Séance du 19 novembre 1867
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 153) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Liège demandent la révision de la loi du 23 septembre 1842 sur l'enseignement primaire. »
- Renvoi a la commission des pétitions.
« Le sieur Raemaeckers, ancien garde-convoi au chemin de fer de l'Etat et facteur de station, se plaint d'être démissionné parce qu'il se trouve momentanément dans l'impossibilité de reprendre son service à cause d'une affection contractée dans l'exercice de ses fonctions, et demande, s'il ne peut être réintégré dans son emploi, de lui faire accorder une indemnité en compensation de la perte qu'il subit et des retenues qui lui ont été faites. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal d'Herbeumont prie la Chambre d'accorder à la société Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire, notamment pour la ligne de Libramont par les ardoisières d'Herbeumont à la frontière française vers Sedan, et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. »
- Même renvoi.
« Le sieur Honnet se plaint d'être révoqué de ses fonctions de garde-convoi au chemin de fer de l'Etat. »
- Même renvoi.
« Les secrétaires communaux de l'arrondissement de Louvain prient la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lorge, ancien militaire pensionne, demande la révision de sa pension ou un emploi au gouvernement. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Merxem protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Même renvoi.
« Le sieur Copette présente des observations relatives à l'enseignement des aveugles et des sourds-muets, demande que cet enseignement dépende directement du ministre de l'intérieur et propose la création, par le gouvernement, de deux établissements centraux d'instruction pour ces infortunés. »
- Même renvoi.
« Le sieur Adaus demande que les charges militaires ne soient pas aggravées. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre.
« Des habitants de Bruxelles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi. »
- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Le sieur Ch. Fettweis, teinturier à Verviers, né à Montjoie (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Pierre Hofman, négociant à Laroche, né à Namur d'un père étranger, prie la Chambre, s'il ne peut être considéré comme Belge, de lui accorder la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Jean Verua, ouvrier à l'administration des chemins de fer de l'Etat à Malines, né à Donnelen (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« La cour des comptes, conformément à l'article 116 de la Constitution, adresse à la Chambre son cahier d'observations sur le compte définitif de l'exercice 1864 et la situation provisoire de l'exercice 1865. »
- Il est donné acte à la cour des comptes de l'envoi de ce document, qui sera distribué aux membres de la Chambre.
« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville de Mons fait hommage à la Chambre de deux exemplaires de son rapport sur l'administration de cette ville. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. J. Maton, secrétaire de la commission médicale de Tournai, adresse à la Chambre un paquet de brochures ayant trait à la réorganisation du corps pharmaceutique militaire. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
« MM. de Rongé, Hagemans et d'Hane-Steenhuyse, retenus chez eux pour affaires, demandent un congé. »
- Ces congés sont accordés.
M. Thienpont,. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un rapport sur deux demandes de naturalisation ordinaire.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et les demandes qu'il concerne portées sur un prochain feuilleton.
M. le président. - La section centrale conclut purement et simplement à l'adoption du projet de loi.
La discussion générale est ouverte.
M. Vleminckxµ. - Messieurs, le projet de loi soumis en ce moment à nos délibérations poursuit un but essentiellement moral, qu'il est désirable de voir atteindre.
J'ai donc lieu de croire qu'il sera accueilli au sein de cette assemblée avec la même faveur qu'il l'a été dans les sections. Le projet de loi n'a pas besoin d'être défendu ; il se défend suffisamment par lui-même.
Mais la section centrale a fait sienne une observation produite au sein de la quatrième section et sur laquelle je désire attirer un instant l'attention du gouvernement et de la Chambre. Voici cette observation :
« Avant de terminer ce rapport, votre attention, messieurs, doit être appelée sur un vœu qui a été émis par la quatrième section, et que la section centrale a résolu de vous soumettre. Il se rattache indirectement à la loi actuelle, en ce qu'il intéresse également les ouvriers mineurs.
« Il s'agit du travail des femmes et des filles dans l'intérieur des exploitations.
« Ce travail donne lieu à des abus, à des dangers, qui vous ont été souvent signalés par les chambres de commerce. Des médecins, qui par leur clientèle sont en position de bien connaître les maladies des bouilleurs, prétendent que ce travail amène presque toujours des détériorations physiques très graves.
« D'un autre côté, la Prusse a interdit ce travail, l'Angleterre a fait de même depuis 1842, et ces interdictions ne paraissent pas avoir été un obstacle au développement de l'industrie. Plusieurs exploitations belges n'ont jamais voulu admettre les femmes dans les travaux souterrains, ou ont renoncé à leur emploi, et ces exploitations ne sont ni les (page 154) moins considérables, ni les moins bien administrées, ni les moins productives du pays.
« Tenant compte de ces faits, la section centrale a pensé que cette question méritait la plus sérieuse attention, tant de la part des Chambres que du gouvernement. »
Ces réflexions, messieurs, sont l'expression de la plus exacte vérité. La section centrale eût pu ajouter que non seulement le travail des femmes et des filles dans les mines est interdit en Angleterre et en Prusse, mais qu'il tend de plus en plus chaque jour à disparaître également en France.
Chez nous, messieurs, la même tendance se manifeste : dans le bassin de Liège c'est à peine si l'on fait encore emploi de femmes et de filles pour les travaux souterrains. La chambre de commerce de Mons en demande également la proscription ; il n'y a guère que la chambre de commerce de Charleroi qui semble en désirer le maintien.
Je comprends que de très graves intérêts soient attachés à cette question, et qu'on ne puisse songer à la résoudre sans en avoir fait un examen approfondi. Mais il ne reste pas moins vrai que la dégradation morale est le résultat presque inévitable de l'emploi des femmes et des filles aux travaux des mines.
Je demande, avec la section centrale, que cette question soit examinée par le gouvernement avec le plus grand soin ; non pas, à coup sûr, qu'il faille y aller brusquement et en lésant des intérêts qui ont droit à tous nos égards ; mais je pense qu'on pourrait parfaitement arriver à un résultat heureux, en ménageant une période de transaction.
Il n'est pas possible que la Chambre, que le pays tout entier restent indifférents aux effets déplorables du travail qui fait l'objet de mes observations. Je ne suis pas puritain, messieurs, mais je vous avoue franchement que j'hésiterais à communiquer à la Chambre le tableau des désordres qui se commettent dans les bassins houillers.
J'appelle donc sur ce point toute la sollicitude du gouvernement et spécialement celle de l'honorable ministre des travaux publics.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je me bornerai à appuyer les observations de l'honorable M. Vleminckx, et je ferai seulement remarquer, sans chercher des exemples dans les législations étrangères, que, dans l'ancien pays de Liège, il a toujours été défendu de faire travailler les femmes dans les houillères. La femme, soit qu'on ne voie en elle que la jeune fille, soit qu'on la considère déjà comme devant être un jour mère de famille, a droit à notre protection. J'exprime donc le vœu que cette question, si digne d'intérêt, soit étudiée avec le plus grand soin et qu'il n'en soit pas de celle-là comme de beaucoup d'autres dont la gravité est reconnue et dont la solution se fait néanmoins trop longtemps attendre.
M. Delcourµ. - Messieurs, je m'associe aux objections qui ont été présentées par les honorables MM. Vleminckx et Kervyn de Lettenhove. J'ajouterai un seul mot, pour que la Chambre comprenne toute l'importance de la question soulevée.
Le rapport de la section centrale mentionne la législation anglaise comme ayant pris une mesure protectrice dans l'intérêt des femmes appelées aux travaux souterrains des houillères.
En Angleterre, il s'est présenté un fait que je me permettrai de rappeler, parce qu'il justifie, à un autre point de vue, les remarques si judicieuses de M. Vleminckx. L'honorable membre désire que la question soit examinée avec le plus grande attention par le gouvernement. Il vous a parlé des mesures transitoires qu'il y aura probablement à prendre.
En effet, messieurs, voici ce qui a eu lieu en Angleterre : Dès que la loi interdisant le travail des femmes dans l'intérieur des mines fut devenue obligatoire, une résistance se produisit. On a vu des femmes passer plusieurs mois dans les mines sans vouloir en sortir ; ce n'est qu'avec quelque peine que le gouvernement a pu faire exécuter une disposition législative si éminemment morale, mais qui contrariait quelques intérêts privés.
Les préjugés cependant sont bientôt tombés. L'utilité de la loi n'a pas tardé à être généralement reconnue en Angleterre. L'opinion publique a même réclamé d'autres modifications ; et, par une loi postérieure, on ne s'est plus contenté d'interdire aux femmes les travaux souterrains, on a même interdit de les employer aux travaux extérieurs des mines.
Je ne vais pas jusque-là. Mais j'ai cru prudent de signaler ce point à l'attention du gouvernement. La question soulevée est très sérieuse ; tous, nous désirons qu'une mesure législative soit prise. Mais, tous aussi, nous demandons que cette mesure soit étudiée au double point de vue de la liberté de l'industrie et de la moralité publique.
- Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale, la Chambre passe aux articles.
« Art. 1er. Les associations connues sous la dénomination de caisses communes de prévoyance en faveur des ouvriers mineurs, pourront, comme les sociétés de secours mutuels, être reconnues par le gouvernement.
« Les caisses de prévoyance ont pour objet d'accorder, dans les conditions et dans les limites à déterminer par leurs statuts, des pensions et secours :
« 1° Aux ouvriers employés à l'exploitation des mines, des minières, des carrières et des usines admises dans l'association ;
2°Aux veuves de ces ouvriers et à leurs familles. «
- Adopté.
« Art. 2. Les associations qui voudront être reconnues adresseront leurs statuts à la députation permanente de la province dans laquelle elles sont établies.
« La députation permanente les transmettra, avec ses observations, au ministre des travaux publics qui les soumettra, s'il y a lieu, à l'approbation du Roi. »
- Adopté.
« Art. 3. Les caisses de prévoyance reconnues jouiront des avantages suivants :
« 1° Faculté d'ester en justice, à la poursuite et diligence de leur administration. Toutefois, lorsque l'affaire excédera la compétence du juge de paix, elles ne pourront plaider qu'avec l'autorisation de la députation permanente du conseil provincial, sauf le recours au Roi en cas de refus d'autorisation. Elles pourront obtenir exemption des frais de procédure, en se conformant à l'arrêté royal qui sera pris en vertu de l'article 4 ;
« 2° Exemption des droits de timbre et d'enregistrement pour tous actes passés au nom de ces caisses, ou en leur faveur. Seront délivrés gratuitement et exempts des mêmes droits, tous certificats, actes de notoriété ou autres, dont la production devra' être faite pour le service de ces caisses ;
« 3° Faculté de recevoir des donations et des legs d'objets mobiliers, moyennant l’accomplissement des formalités prescrites par le n°3 de l'article 76 de la loi communale. »
M. Elias, rapporteurµ. - A propos du paragraphe 3, je ferai observer qu'il est bien entendu que c'est « au » n°3 de l'article 76 de la loi communale, modifié par l'article 2 de la loi de 1865, que cet article se rapporte.
- L'article est adopté.
« Art. 4. Des arrêtés royaux détermineront :
« 1° Les conditions et les garanties requises pour l'approbation des statuts des caisses de prévoyance ;
« 2° Les conditions auxquelles les caisses de prévoyance reconnues seront admises à plaider gratis ;
« 3° Les causes qui pourront entraîner la révocation de l'acte d'approbation ;
« 4° Les formes et les conditions de la dissolution, et le mode de liquidation ;
« 5° L'emploi de l'actif, après le payement des dettes, en cas de révocation ou de dissolution.
« Cet actif pourra être attribué à des caisses du même genre, reconnues par le gouvernement, ou à des bureaux de bienfaisance, chargés de la continuation du payement des pensions et secours. »
-Adopté.
« Art. 5. Les contraventions aux arrêtés royaux pris en exécution des numéros 3, 4 et 5 de l'article précédent, seront passibles des peines comminées par l'article premier de la loi du 6 mars 1818. »
-Adopté.
« Art. 6. Les pensions et secours accordés par les caisses de prévoyance reconnues et par les caisses particulières de secours qui en sont les auxiliaires, ne sont ni cessibles ni saisissables. »
- Adopté.
« Art. 7. Chaque année, avant la fin du mois de mai, l'administration de chaque caisse adressera, à la députation permanente de la province où elle a son siège, conformément au modèle arrêté par le gouvernement, un compte de ses recettes et de ses dépenses pendant l'exercice écoulé.
(page 155) « Elle répondra à toutes les demandes de renseignements que l'autorité lui transmettra sur des faits concernant ces associations. »
- Adopté.
« Disposition transitoire.
« Art. 8. Le gouvernement adressera un rapport détaillé aux Chambres, sur l'exécution de celle loi, au plus tard dans la session ordinaire de 1869-1870. »
- Adopté.
Il est procédé au vole par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 70 membres présents.
Ce sont :
Mal. Allard, Anspach, Bara, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Kerckhove, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Hayez, Jamar, Jonet, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Lippens, Magherman, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Sabatier, Snoy, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Vermeire, Vleminckx, Watteeu et Dolez.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?
MfFOµ. - C'est le gouvernement lui-même qui a transmis cette proposition à la section centrale.
M. le président. - La discussion s'ouvre donc sur le projet modifié.
La parole est à M. de Zerezo.
M. de Zerezo de Tejadaµ. - Je désire, messieurs, vous présenter quelques observations relativement au projet de loi tendant à consacrer la liberté du travail de l'or et de l'argent, et vous exposer les raisons pour lesquelles je pense devoir le combattre, à part toutefois la disposition qui fixe pour l'or le premier titre à 800 millièmes et le deuxième à 750 millièmes, et pour l'argent le premier titre à 900 millièmes et le deuxième à 800 millièmes.
Cette disposition, je l'accepte avec empressement telle qu'elle a été modifiée par la section centrale, parce que, comme le dit fort bien l'exposé des motifs, il ne faut pas que les orfèvres belges demeurent plus longtemps obligés de travailler les métaux précieux à un titre supérieur à celui des autres pays. Cette inégalité de condition doit enfin avoir un terme, et il devient urgent de mettre nos orfèvres à même de lutter sur les marchés extérieurs avec leurs concurrents étrangers.
Je pense, messieurs, que personne ne contestera la nécessité de modifier à cet égard la loi qui régit actuellement la matière qui nous occupe. Je n'insisterai donc pas davantage sur ce point. Seulement avant de passer à d'autres considérations, je veux vous faire remarquer que la section centrale a sagement agi en proposant la suppression du troisième titre, qui dans le projet présenté par le gouvernement est de 600 millièmes pour l'or et de 750 millièmes pour l'argent. En effet, messieurs, si la loi accordait aux orfèvres la faculté de travailler les matières d'or à ce denier titre, les bijoux, renfermant dès lors 400 millième d'alliage, ne représenteraient plus une valeur intrinsèque assez élevée pour nécessiter le poinçon. Ils perdraient trop leur caractère d'objets précieux, et, de plus, au point ce vue de la fabrication, l'or au titre de 600 millièmes est moins facile à manipuler, parce qu'il devient fusible et cassant.
Je le répète donc, messieurs, je fais des vœux sincères pour que la Chambre adopte la disposition dont je viens de parler, mais, sous tous les autres rapports, je désire vivement le maintien de la loi actuelle, qui, en matière d'ouvrages d'or et d'argent, exige impérieusement le contrôle de l’Etat. Je reconnais que ce contrôle a le défaut de constituer une réglementation, mais tout en étant autant qu'un autre partisan de la liberté de l'industrie, je pense qu'il ne faut pas appliquer les principes économiques d'une manière absolue, et qu'au besoin on doit les faire fléchir devant l'intérêt général. Or, messieurs, cet intérêt se trouve en jeu dans la question qui nous occupe, et je crois, pour ma part, qu'il serait gravement compromis par la suppression de la loi du 19 brumaire an VI, que l'on qualifie de surannée.
Les principales dispositions de cette loi sont parfaitement résumées dans un passage de l'exposé des motifs. Permettez-moi de vous en donner lecture :
« L'orfèvrerie est régie aujourd'hui par la loi du 19 brumaire an VI, modifiée par l'arrêté du 14 septembre 1814.
« Cette loi a été calquée sur les anciens règlements. De même que ceux-ci, elle détermine la quantité d'or ou d'argent fin que doivent contenir les ouvrages d'orfèvrerie ; elle oblige le fabricant à marquer ses produits et à les soumettre au contrôle de la garantie avant qu'ils soient entièrement achevés ; elle autorise les employés du gouvernement à faire des visites chez les orfèvres en vue de rechercher et de constater les contraventions ; elle frappe d'un droit fiscal les objets essayés et marqués du poinçon de l'Etat, etc. ; enfin elle commine des peines sévères à charge des fabricants ou marchands infidèles. »
Cette législation peut avoir soulevé des plaintes ; c'est bien possible ! mais il n'en est pas moins vrai qu'elle donne aux consommateurs des garanties que ne lui assure guère le nouveau projet du gouvernement, et que, d'autre part, elle met les fabricants parfaitement à l'abri de toute concurrence déshonnête. Pour vous le prouver, messieurs, permettez-moi de vous soumettre quelques considérations.
Le projet de loi du gouvernement substitue au contrôle forcé le contrôle facultatif. Selon toutes les probabilités, il en résultera bien souvent qu'il n'y aura pas de contrôle du tout, parce que beaucoup d'acheteurs négligeront de soumettre le bijou dont ils ont fait l'acquisition à la vérification et à la marque de l'essayeur nommé par le gouvernement. C'est leur affaire, me dira-t-on, puisqu'on leur donne la latitude de faire vérifier le titre de l'objet d'or ou d'argent dont ils ont fait l'emplette, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes s'ils sont trompés.
Je tiens compte de l'objection, mais il faut cependant reconnaître que de cette façon le pays se remplira d'ouvrages d'orfèvrerie qui ne seront point contrôlés, chose qui ne laisse pas, à mes yeux, que d'offrir un grand inconvénient. En outre, et j'appelle, messieurs, toute votre attention sur ce point, en n'obligeant pas le fabricant à soumettre ses produits au contrôle de la garantie, avant qu'ils soient achevés et en ne permettant pas aux employés du gouvernement de visiter les ateliers des orfèvres, pour se rendre compte de la fabrication, si le consommateur apporte à l'essayeur un objet entièrement fini, il faudra donc que ce dernier le brise pour s'assurer s'il ne renferme pas de la soudure à l'intérieur. Vous savez, messieurs, que la soudure est un alliage composé d'or et de six ou sept cent millièmes d'argent ou de cuivre. Je le répète, sous le régime de la loi que l'on vous propose, il n'existera pas d'autre moyen de vérifier l'intérieur d'un bijou, que de le rompre et de le casser.
D'un autre côté, pour ne retomber d'aucune façon dans le système préventif, le projet de loi n'impose plus aux orfèvres l'obligation d'apposer une estampille particulière sur les objets qu'ils confectionnent. Cependant c'est an moyen de cette estampille que le fabricant signe son ouvrage, et qu'il s'en reconnaît l'auteur. Si on la supprime, on porte une nouvelle atteinte à la sécurité de sa clientèle, car comment prouver désormais que tel objet d'or ou d'argent a été acheté chez tel orfèvre ?
Il est évident pour moi que la facture détaillée, qu'il est loisible d'exiger, n'atteindra pas, à cet égard, le but que l'on se propose. En effet, le vendeur pourra toujours contester que l'objet en question sort de son magasin, tandis que si ce dernier porte sa marque particulière, il faudra bien qu'il en convienne, à moins toutefois qu'il ne prétende qu'elle a été contrefaite et appliquée par un faussaire. Ici, messieurs, l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale se rencontrent pour combattre la nécessité aussi bien du contrôle du gouvernement que de l'estampille de l'orfèvre, en arguant de la facilité de la contrefaçon.
Cette objection cependant ne me semble pas avoir une grande portée, car, après informations prises, je ne sache pas qu'en Belgique les poinçons dont je parle aient jamais été contrefaits. D'ailleurs, lors même, chose que je crois pouvoir nier, ce fait aurait eu lieu, il n'en résulterait pas une raison plus concluante de supprimer les poinçons que n'en aurait l'Etat de ne plus battre de la monnaie sous prétexte qu'il s'est rencontré des faux monnayeurs. En outre, messieurs, permettez-moi de vous le faire remarquer, les estampilles de garantie ne se contrefont pas avec aussi peu de cérémonie que paraît le supposer l'exposé des motifs, parce que la loi frappe l'industrie des faussaires de peines (page 156) excessivement rigoureuses. On ne se hasarde pas volontiers à apposer une fausse marque sur un objet d'or ou d'argent, lorsqu'on s'expose, par ce fait, à recevoir une vraie marque sur l'épaule.
Je passe maintenant, messieurs, à l'examen de la question de savoir si le projet de loi favorise les intérêts du public et celui des orfèvres, en autorisant ces derniers à travailler l'or et l'argent à tous les titres, c'est-à-dire en leur accordant la faculté d'y ajouter autant d'alliage que bon leur semble. D'après l'exposé des motifs, le gouvernement, lorsqu'il propose de conférer aux orfèvres une pareille latitude, a surtout pour but de faire baisser le prix des produits, et de les mettre ainsi à la portée d'un plus grand nombre de consommateurs.
Mais, pour arriver à la fin que l'on souhaite, est-il nécessaire de recourir à la mesure que l'on convie la Chambre d'adopter ? Je ne le pense pas, messieurs, car il me semble que le résultat que l'on a en vue est complètement atteint sous le régime de la loi actuelle.
En effet, les documents officiels, nous dit le gouvernement lui-même, attestent que, pendant l'année 1864, on a poinçonné 255,180 objets en or presque tous au titre de 750 millièmes, et 329,464 en argent qui, supposés au titre belge de 833 1/2 millièmes, ont une valeur intrinsèque moyenne, les premiers de fr. 7,11 par pièce, et les seconds de fr. 3,40. Veuillez remarquer qu'il s'agit ici d'ouvrages d'or et d'argent d'un titre relativement élevé, et de cette considération résulte la conséquence forcée, que pour avoir en matière de bijoux des produits à très bon marché et à la portée de toutes les bourses, il n'est nullement nécessaire de travailler l'or et l'argent avec tout alliage.
D'ailleurs ce dernier système offre beaucoup d'inconvénients, les uns plus graves que les autres.
D'abord il n'est bon qu'à produire de la marchandise de pacotille, dont il devient souvent impossible de constater la valeur intrinsèque, puisque en dessous de huit carats ; il ne reste plus à l'essayeur du gouvernement lui-même d'autre moyen de contrôle efficace que de fondre les objets, et ce moyen, vous en conviendrez sans peine, n'est pas praticable. Relativement aux bijoux de peu de prix, il serait donc préférable de conserver le système actuel, c'est-à-dire de continuer aux orfèvres l'autorisation de fabriquer des objets en doublé, ou, en d'autres termes, des plaqués d'or ou d'argent doré, dont la valeur peut être contrôlée.
De celle manière le public saura au moins ce qu'il achète, tandis que s'il se pourvoit de bijoux à bas titre, il est condamné à l'ignorer. De plus, les objets d'or et d'argent mêlés de beaucoup d'alliage reviennent plus cher aux consommateurs, à cause de la difficulté de fabrication, nouveau motif pour ne pas en permettre le travail.
Et que l'on ne vienne pas dire, messieurs, que la mesure que l'on vous propose tend à favoriser l'industrie des orfèvres belges. Il paraît constant que la plupart d'entre eux, et ils doivent pourtant mieux que personne connaître leurs intérêts, ne demandent pas la liberté de fabriquer à tous les titres, et d'échapper au contrôle obligatoire de l'Etat. Et cela se comprend, messieurs, lorsqu'on considère que si cette liberté de fabrication se trouvait accordée, nos bijoutiers deviendraient tributaire de l'Allemagne, parce qu'en ce qui concerne les ouvrages d'or ou d'argent à bas titre, ils ne pourraient pas lutter contre les fabricants de ce pays, qui sont outillés d'une manière spéciale pour la confection de ces objets, et dont les ouvriers ne gagnent que le tiers du salaire obtenu par les ouvriers belges.
D'ailleurs, il paraît notoire qu'en Hollande la loi de 1852, qui permet de travailler à tous les titres, a soulevé des plaintes nombreuses.
Je termine, messieurs, par une dernière considération qui ne laisse pas, suivant moi, que d'être importante, c'est que l'adoption de la loi que l'on vous propose, enlèverait au trésor un revenu annuel de près de 300,000 francs. Je pense que dans un moment où le gouvernement a besoin de toutes ses ressources, il n'est pas prudent de supprimer un impôt, lorsqu'on ne peut pas le remplacer par un autre plus équitable. Or, messieurs, l'impôt que produit le contrôle sur les matières d'or et d'argent porte essentiellement et exclusivement sur le luxe. Pourquoi donc l'abolir, lorsqu'on se trouve contraint de maintenir les lourdes charges qui frappent des denrées de première nécessité, le sel, par exemple ? Je crois ne pas devoir en dire davantage à ce sujet.
Pour me résumer, messieurs, je déclare de nouveau que je suis partisan de la réduction des titres de l'or et de l'argent telle pue vous la présente la section centrale, et je crois que tous nos orfèvres l'envisageront comme un bienfait ; mais par contre, je ne puis admettre qu'en abolissant la loi du 19 brumaire an vi, modifiée par l'arrêté du 14 septembre 1814, on enlève au public presque toutes les garanties qu'elle lui assure.
MfFOµ. - Messieurs, je ne puis pas me rallier aux idées qui viennent d'être exposées par l'honorable préopinant, et je ne pense pas qu'elles soient de nature à exercer quelque influence sur la Chambre
Nous voulons consacrer aujourd'hui une liberté qui n'existe pas, la liberté du travail des matières d'or et d'argent. Pourquoi prétendrait-on faire considérer cette liberté comme dangereuse ? Quel motif sérieux pourrait-on invoquer contre la mesure proposée par le gouvernement ?
C'est, dit-on en premier lieu, que vous supprimez la garantie que la législation actuelle offre aux consommateurs. Il faut les prémunir contre les fraudes et les tromperies dont ils pourraient être l'objet ; c'est en vue de conserver cette garantie que les dispositions de la loi de brumaire an VI doivent continuer à rester en vigueur.
Il aurait fallu, d'abord, établir, contrairement à ce qui est démontré dans l'exposé des motifs, que la législation actuelle donne des garanties véritables et sérieuses au public. Malheureusement pour la thèse soutenue par l'honorable membre, cette garantie n'existe eu aucune façon ; elle est tout à fait illusoire. Comment pouvez-vous constater, lorsque vous allez acheter un objet d'or ou d'argent, que cet objet est dans les conditions déterminées par la loi ?
M. de Zerezoµ. - L'essayeur est là.
MfFOµ. - Oui, mais quelle valeur a la marque placée sur l'objet ? Comment l'acheteur peut-il la distinguer et en reconnaître l'authenticité ?
M. de Zerezoµ. - Jamais en Belgique des poinçons n'ont été contrefaits.
MfFOµ. - Je veux bien volontiers admettre l'hypothèse de la plus extrême loyauté de la part de tous nos fabricants, sans aucune exception. Nous les mettrons donc hors de cause.
Mais vous serez bien obligé de reconnaître qu'ailleurs, dans tous les autres pays, les poinçons de garantie ont été contrefaits.
M. de Zerezoµ. - Je le reconnais.
MfFOµ. - Vous reconnaîtrez encore qu'il est admis dans tous les autres pays qu'un très grand nombre d'objets échappent au contrôle, et entrent ainsi dans la circulation sans aucune espèce de vérification.
Nous, je l'admets, nous formons une oasis. Nous faisons exception à cette règle générale. Chez nous, il n'y a pas de fraudeurs, la loi est parfaitement observée, tous les objets sont présentés au contrôle, nous le voulons bien.
Mais, s'il en est ainsi, il me semble qu'il y a là une raison déterminante d'abolir la loi ; car si nous avons affaire à de si braves gens, à des fabricants qui ne trompent jamais, qui veulent absolument respecter de la manière la plus scrupuleuse les règles de la bonne foi, sans aucun doute il n'y a aucune nécessité de prendre, à leur égard, des mesures qu'ils pourraient considérer comme injurieuses. La loi actuelle étant abrogée, ils continueront, comme auparavant, à faire preuve de loyauté ; ils ne vendront que des produits fabriqués dans les meilleures conditions, et déclareront sincèrement la valeur réelle de ces produits à leurs chalands.
C'est donc une raison de plus pour faire disparaître la loi.
Pourquoi d'ailleurs la vente des matières d'or et d'argent devrait-elle être soumise à des règles particulières, à des principes différents de ceux qui régissent tous les autres commerces, toutes les autres fabrications ?
C'est là le résultat d'un vieux préjugé, qui faisait considérer l'or et l'argent comme étant la richesse par excellence, et en conséquence duquel on voulait en entourer la vente et l'achat de garanties particulières.
De pareilles idées, messieurs, doivent être complètement abandonnées aujourd'hui.
Nous avons dit quelle était, en moyenne, la valeur intrinsèque, par unité, des objets d'or et d'argent soumis au contrôle. L'honorable membre vient de le rappeler, cette valeur est de 7 francs pour les objets d'or et de 3 francs et quelques centimes pour les objets d'argent.
Pourquoi faut-il qu'il y ait toute une organisation, un contrôle et des garanties spéciales pour assurer la pureté de produits ayant une pareille valeur ?
Il faut bien l'avouer, cela n'est pas raisonnable. Ce qui l'est moins encore, c'est que, lorsqu'il s'agit de pierres précieuses, on ne demande pas ces garanties. Ces pierres, qui ont parfois une valeur considérable, beaucoup supérieure à celle de la petite quantité d'or ou d'argent qui (page 157) leur sert de monture, se vendent sans aucun contrôle, sans la moindre garantie officielle. C'est une question de confiance. On s'en rapporte aux personnes qui vendent ces objets et qui en déclarent la valeur. C'est affaire à régler entre l'acheteur et le vendeur.
Pourquoi faut-il qu'il en soit autrement pour l'or et l'argent ? Au point de vue de l'intérêt public, le législateur n'a pas plus à s'occuper de ces matières que de toute autre marchandise. On ne peut donc trouver de raison plausible pour maintenir la loi existante.
J'avoue que certains fabricants se sont d'abord émus à l'annonce du projet de loi. Ils en ont été un moment fort troublés ; mais ils se sont depuis lors familiarisés avec l'idée d'un travail absolument libre. On a discuté avec eux. J'ai eu à cet égard de longs entretiens avec des fabricants ; j'espère, que j'ai réussi à les persuader et, moyennant les amendements que j'ai présentés à la section centrale, je crois que tout le monde sera satisfait, même les fabricants.
Personne ne se plaint plus actuellement, et un grand nombre de fabricants admettent parfaitement la loi. Il ne faut donc pas se montrer plus rigoureux qu'eux. Il ne faut pas être plus catholique que le pape. Ils admettent la loi, ils consentent à soumettre leur industrie à ce régime de liberté, ne le leur refusez pas.
L'honorable membre a répété ce que disaient les fabricants lorsqu'ils se sont adressés à la Chambre à l'annonce du projet de loi. Ils prétendaient qu'ils allaient être écrasés par la concurrence des fabricants allemands.
Messieurs, c'est la règle générale en pareil cas : chaque fois que l'on enlève à une industrie la protection dont elle jouit, elle déclare incontinent qu'elle va succomber. Que d'exemples n'avons-nous pas eus de ces sinistres pronostics, dès qu'une réforme libérale était annoncée en matière industrielle ou commerciale ! Eh bien, toutes les prédictions qui ont été faites à cet égard pour une foule d'industries, ont constamment été démenties par les faits : aucune industrie n'a succombé par la liberté ; toutes au contraire ont rencontré dans la liberté un stimulant plus grand. Ainsi en sera-t-il du commerce de l'orfèvrerie ; je suis persuadé qu'il prendra un plus grand développement quand la liberté sera consacrée ; c'est là le résultat ordinaire de la liberté.
Les fabricants, à l'annonce du projet de loi, se sont préoccupés de cette idée qu'ils allaient être vivement atteints dans leurs intérêts par la concurrence de l'Allemagne. Mais l'un d'eux, homme fort intelligent, s'est dit : Allons pourtant voir ce monstre, et assurons-nous par nous-mêmes s'il est de taille à nous dévorer. Il se rend en Allemagne, va visiter les fabriques et revient avec cette conviction que ce qu'il y avait de mieux à faire, c'était de proclamer la liberté, et que la liberté serait tout à l'avantage et des fabricants et des ouvriers.
Ce fabricant m'a remis une note exposant ses idées après cette visite :
« La fabrication des ouvrages d'or et d'argent, dit-il, a atteint en Allemagne un degré de perfection que nous sommes loin d'égaler. J'attribue à la liberté la prospérité de cette industrie. Les Allemands, pouvant fabriquer à tout titre, ont pu, par là même, accaparer le marché du monde entier, et ils exportent une incroyable quantité de marchandises. Les débouchés et l'immensité des marchandises produites ont permis aux Allemands de diviser leur fabrication et d'arriver, par des spécialités, à un résultat surprenant de bon marché et de rapidité d'exécution. Telle maison, qui occupe continuellement 100 ou 150 ouvriers, ne fabrique exclusivement qu'un seul article, soit la bague, la chaîne ou bien la clef, etc., et ces articles se font, à l'exclusion de tous autres, dans ces fabriques.
« Cette division du travail forme des ouvriers qui deviennent d'une habileté remarquable sous le rapport de la rapidité et de la perfection du travail. Elle permet aussi aux fabricants de faire des frais d'outils et de modèles spéciaux ; ces frais s'amortissent sur un grand nombre de bijoux du même modèle, mais ils sont trop onéreux pour le fabricant qui, par l'insuffisance de ses débouchés, ne pourrait placer que quelques bijoux d'un même modèle. Je suis donc persuadé que toute loi qui permettra à notre industrie d'étendre le cercle de ses opérations, lui sera certainement de la plus grande utilité. »
Voilà un fabricant intelligent.
M. Dumortier. - D'où est-il ?
MfFOµ. - De Bruxelles. Il ajoute qu'il serait nécessaire, dans l'intérêt de cette industrie, que la loi fût votée le plus tôt possible et il indique l'avantage qui doit en résulter pour les classes ouvrières.
J'ai écarté tantôt la principale raison tirée de l'intérêt public ; la raison tirée de l'intérêt des fabricants est écartée également.
Cependant l'honorable membre objecte qu'en Hollande, où une loi analogue à celle que nous proposons a été décrétée, il en est résulté un grand préjudice pour l'industrie. Les fabricants l'ont dit aussi, mais je ne sache pas que cela soit exact. Je me suis enquis de ce qui s'est passé en Hollande et voici ce qui m'a été répondu officiellement le 21 janvier de cette année :
« Satisfaisant à l'invitation contenue dans la dépêche de V. E. du 10 de ce mois, n°198, transmissive d'une demande de l'ambassadeur belge tendante à obtenir de nouveaux renseignements en ce qui concerne la réduction du titre de l'or et de l'argent sur le pied déterminé par la loi du 18 septembre 1852, journal officiel, n°770, j'ai l'honneur de faire connaître à V. E, comme suite à la dépêche du 11 novembre 1865, n°2, relative au même objet, que, pour autant qu'il s'agisse strictement de petits objets de bijouterie, le titre de 583 millièmes est devenu d'un usage si général que, sauf de simples exceptions locales, le titre de 750 millièmes n'est plus en usage pour ces sortes d'ouvrages.
« Ce n'est que pour des articles de luxe d'une plus grande valeur et pour d'importants ouvrages d'orfèvrerie à l'usage des campagnes, qu'un titre plus élevé a été maintenu.
« En revanche, le résultat de la loi précitée est satisfaisant, sous le rapport de la fabrication indigène, en ce qui concerne les objets travaillés à un titre inférieur et uniquement pourvus d'une marque qui prouve que l'impôt a été payé, mais qui ne donne aucune garantie relative au titre ; tout ouvrage d'un titre inférieur à 250 millièmes n'étant pas reconnu par la loi comme ouvrage d'or et d'argent, n'est ni marqué, ni soumis à l'impôt.
« La grande latitude accordée pour la qualité des ouvrages d'or et d'argent travaillés au-dessous du titre légal, et les incertitudes qui en résultent au sujet de la valeur du métal, semblent s'opposer à un débit durable.
« Les essais ayant pour objet de fabriquer de semblables articles sur une grande échelle ont généralement donné des résultats défavorables.
« Cependant, deux avantages qui ne sont pas à dédaigner sont résultés de la faculté de fabriquer des ouvrages d'or et d'argent sans titre déterminé, et portant simplement une marque pour justifier du payement de l'impôt.
« D'abord il a été possible de ranger dans cette catégorie les objets fourrés de matière hétérogène ou qui sont composés de métaux de moindre valeur, et de cette manière le fabricant indigène trouve l'occasion qui lui manquait précédemment, de pouvoir rivaliser pour les produits de même espèce avec les fabricants allemands et anglais. D'un autre côté, le fabricant n'est plus exposé à voir briser ses produits lorsqu'ils ne répondent pas au titre légal.
« Du reste, la loi du 18 septembre 1852 et l'introduction d'un titre inférieur pour l'or ont eu un résultat avantageux pour cette partie du commerce et de l'industrie ; on en trouve de plus eu plus la preuve dans les quantités toujours croissantes d'or indigène qui depuis l'introduction de la loi sont annuellement soumises à l'impôt et à la marque et dont le poids, depuis 1852 jusqu'à 1865, s'est élevé dans une proportion de 9 à 13.
« A l'appui de ce qui précède, il y a lieu de citer le produit des droits de garantie résultant principalement de la fabrication indigène ; sous le régime de la nouvelle loi, ce produit est augmenté environ de 70 p. c, dont 20 p. c. doivent être attribués à l'introduction d'un tarif plus élevé.
« L'importation des ouvrages d'or et d'argent d'origine étrangère a également subi une certaine augmentation depuis l'introduction de la loi du 18 septembre 1852, mais cette amélioration ne s'est pas produite dans la même proportion. Les dispositions de cette loi ne semblent pas avoir exercé sur l'importation une influence qui soit digne d'être remarquée. »
Telle est, messieurs, la réponse que nous a faite M. le ministre des finances des Pays-Bas, l'honorable M. Schimmelpenninck.
Ainsi, sous ce rapport encore, on doit, ce me semble, être parfaitement rassuré : il n'y a pas eu en Hollande ces grands désastres qu'on avait annoncés ; tout au contraire, l'industrie de l'orfèvrerie a continué à y prospérer et vous voyez, en effet, qu'on a soumis au contrôle une quantité de métaux précieux beaucoup plus considérable qu'auparavant.
Maintenant, une seule objection de détail a été faite par l'honorable membre. C'est que la vérification étant facultative, le titre étant inférieur, et la soudure étant alliée dans de plus fortes proportions à l'or et à l'argent, il y aura de grandes difficultés pour vérifier le titre des objets fabriqués.
Cela est parfaitement exact ; mais cela existe aussi à certains degrés dans l'état actuel des choses. J'introduirai d'ailleurs dans le projet de (page 158) loi une modification tendante à laisser au gouvernement la faculté de déterminer les moyens à l'aide desquels cette vérification, qui est purement facultative, se fera désormais ; et dans quelle condition devront se trouver les objets fabriqués pour pouvoir être admis au contrôle. Evidemment on ne pourra pas appliquer le poinçon sur les objets dont le titre ne saurait être vérifié.
Je fais au surplus cette observation : nous proclamons d'une manière absolue la liberté du travail des matières d'or et d'argent, le contrôle dont on parle est purement facultatif ; on pourra donc se dispenser d'y recourir, si l'on trouve quelque inconvénient à cette vérification ; dès lors il n'y a plus, ce me semble, d'objection sérieuse à faire au projet de loi.
Enfin l'honorable membre a présenté une dernière considération basée sur la perte qui résulterait pour le trésor d'un revenu d'environ 300,000 francs.
Je. rappellerai, d'abord, que le contrôle est maintenu, bien qu'il soit rendu facultatif ; on y recourra donc encore et par conséquent le revenu actuel ne sera pas complétement perdu.
Quoi qu'il en soit, nous avons reconnu que les avantages que le projet de loi devait procurer au point de vue de l'industrie et de la classe ouvrière du pays seraient de beaucoup supérieurs à la perte qu'il occasionnera au trésor. Nous n'avons donc pas pu hésiter à faire le sacrifice d'une partie du revenu que le trésor retire aujourd'hui du contrôle des matières d'or et d'argent.
M. Dumortier. - Le projet de loi qui nous est soumis, messieurs, est le complément d'une série d'autres projets de loi que, pour mon compte, je suis loin de considérer comme avantageux à la société et qui, comme je l'ai dit un jour, me semblent bien plutôt constituer l'organisation légale de la coquinerie en Belgique. (Oh ! Oh ! Interruption.)
M. le président. - Pas d'interruption, messieurs ; c'est une opinion tout individuelle.
- Voix à gauche. - C'est bien entendu.
M. Dumortier. - Qu'avons-nous vu, en effet, depuis quelques années ? Nous avons vu proposer, dans l'intérêt des plus grands scélérats, l'abolition de la peine de mort. (Interruption.)
M. Vermeireµ. - Je demande la parole.
M. Dumortier. - Vous parlerez à votre tour, M. Vermeiec ; permettez-moi de continuer.
Pour les scélérats de second ordre, nous avons vu proposer la suppression de la détention préventive.
Pour les voleurs de commerce, on a proposé la suppression de l'emprisonnement pour dettes. Enfin pour ceux qui trompent le public sur la valeur des matières d'or et d'argent, on nous propose maintenant la suppression de la garantie.
Voilà, je le répète, toute une organisation dans laquelle ce qui me frappe le plus, c'est qu'elle tend à désarmer complètement la société contre les gens à mauvaises intentions ; et c'est là ce que, je le répète, j'appelle l'organisation de la coquinerie en Belgique.
Ainsi, on nous propose aujourd'hui la suppression de la garantie des matières d'or et d'argent ; est-ce que, par hasard, cette garantie a été établie dans l'intérêt des fabricants ? Non, messieurs, elle a été établie dans l'intérêt du public, des acheteurs de matières d'or et d'argent, pour que chacun sache que l'objet qu'il achète a bien la valeur pour laquelle il est vendu.
Or, quelle sera désormais la garantie qui restera encore au public ? Vous imaginez-vous par hasard que tous les acheteurs de matières d'or et d'argent sont des orfèvres, que chacun d'eux est à mène de vérifier la valeur des objets qu'il achète ! Est-ce que chaque acheteur va se munir d'une pierre de touche pour s'assurer si on ne lui vend pas du cuivre pour de l'argent de l'argent pour de l'or ? Voilà cependant où il faudra en venir par suite de la liberté du travail des matières d'or et d'argent.
Quant à moi, messieurs, j'aime beaucoup la liberté, mais non pas la liberté de tromper son semblable ; car, messieurs, la liberté de travailler les matières d'or et d'argent n'est autre chose que la liberté accordée à tous les mauvais drôles de tromper les acheteurs sur la valeur réelle des objets qu'ils leur délivreront.
J'aime beaucoup la liberté, mais non pas la liberté de faire le mal.
Maintenant, messieurs, quel péril y avait-il à maintenir la loi qui est en vigueur et qui n'a donné lieu à aucune plainte ? (Interruption.) Je répète ma phrase : Qui n'a donné lieu à aucune plainte.
MfFOµ. - Vous avez reçu des pétitions nombreuses.
M. Dumortier. - Pour le maintien de la loi ; j'ai reçu ici les visites d'un grand nombre d'orfèvres de Belgique qui sont venus me parler en faveur du maintien de la loi. Je ne pense pas que nous ayons reçu des pétitions pour la suppression de la loi ; peut-être quelques théoriciens ont-ils réclamé en ce sens, et ils l'ont fait, n'est-ce pas avec une arrière-pensée de tromper plus tard le public, en matières d'or et d'argent ?
S'il était question de supprimer la peine de mort, ne verrait-on pas les assassins vous adresser de nombreuses pétitions pour demander cette suppression ?
Eh bien, messieurs, ma sympathie n'est pas du côté de ceux qui trompent, mais du côté de ceux qui sont trompés. Or, dans l'état actuel des choses, qu'est-ce que le poinçon qu'on met sur les matières d'or et d'argent ? C'est une garantie donnée au public.
Mais, dit l'honorable ministre des finances, ne mettez-vous pas le poinçon sur les pierres précieuses. Je réponds que c'est inutile ; et pourquoi ? Parce qu'on voit ce qui est à l'intérieur d'une pierre précieuse... (Interruption.)
Le prix, c'est une autre question ; je répète que vous voyez ce qui est dans l'intérieur d'une pierre précieuse ; mais pouvez-vous voir ce qui se trouve à l'intérieur d'une fourchette d'argent, par exemple ? Vous êtes obligé d'acheter de bonne foi ; eh bien, votre bonne foi peut être trompée ; vous pouvez avoir affaire à des gens qui veulent vous tromper, Est-ce que la société n'a pas intérêt à ce que ses membres ne soient pas trompés ?
Je déclare que je n'entends pas la liberté de cette manière. La liberté pour moi est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas autrui. La loi actuelle a été votée comme garantie ; puis-je donner mon assentiment à la suppression de cette garantie, alors que cette suppression doit donner naissance à une foule d'abus, doit avoir pour conséquences des vols et des larcins ? (Interruption.)
Est-ce que par hasard toutes les lois consistent dans la garantie du code pénal ? On veut supprimer l'instruction religieuse dans les écoles ; on veut supprimer la garantie en matières d'or et d'argent ; eh bien, vous finirez par avoir comme unique garantie de la moralité publique le gendarme et le tribunal.
Messieurs, je crois que tout ceci mérite un très sérieux examen ; il ne faut pas se laisser prendre à de grands mots ; il faut aller au fond des choses. Ce qui existe aujourd'hui est une garantie ; que donnez-vous aux particuliers, en compensation de cette garantie que vous supprimez ? Quelle est la garantie qui est aujourd'hui assurée au public ? C'est le contrôle. (Interruption.)
« Il y a un contrôle facultatif, » me dit-on ; mais, messieurs, tout le monde vendra sans recourir au contrôle facultatif. Le contrôle facultatif, c'est la véritable suppression du contrôle ; mais si vous trouvez le contrôle bon, pourquoi le supprimer ?
Maintenant, la suppression du contrôle privera le trésor public d'un revenu de 300,000 francs. On nous dit toujours que le trésor n'est pas riche et vous consentez de gaieté de cœur à une perte de 300,000 fr.
Mais, dit M. le ministre des finances, nous ne perdrons pas ces 300,000 francs, du moins entièrement, puisque nous aurons le contrôle facultatif.
Ce contrôle donnera très peu de chose, et vous devez conserver tout votre personnel ; par conséquent, vous aurez la dépense et vous n'aurez pas le revenu du contrôle obligatoire. Ainsi, le trésor public subira une perte sèche de 300,000 francs pour le plaisir de certaines théories.
Mais, a dit encore M. le ministre des finances, en répondant à l'honorable M. de Zerezo, si, comme je le pense avec vous, les industriels sont honnêtes, c'est une raison de plus pour adopter la loi en discussion.
Mais si vous supprimez la garantie, est-ce qu'à côté des industriels actuels qui sont honnêtes, il ne viendra pas s'en établir de malhonnêtes qui feront chez nous ce qu'on fait en Allemagne ? J'ai un jour acheté dans ce pays une paire de lunettes qu'on disait être d'or ; et, en fait, il s'est trouvé que ces lunettes étaient ce qu'il y avait de plus commun (interruption) ; j'ai été trompé, dirais-je à mon honorable interrupteur ; experto crede Roberto. Je n'aurais jamais été trompé de cette manière en Belgique, parce que la loi y a protégé l'acheteur jusqu'ici.
Maintenant l'acheteur ne sera plus protégé, vous allez avoir une singulière fabrication d'or à tous les degrés, cela aura à l'extérieur une belle vue, cela paraîtra de l'or et quant vous croirez avoir de l'or, vous n'aurez que du zinc, par exemple, avec une petite partie d'or à l'extérieur.
Il s'agit donc ici d'un intérêt très sérieux. Je dis, pour mon compte, que je ne saurais donner mon assentiment à une loi qui doit avoir pour (page 159) résultat de dépouiller la société d'une garantie qu'elle possède maintenant et qui, à mes jeux, lui est indispensable.
M. de Zerezo de Tejadaµ. - Messieurs, je ne dirai que quelques mots pour répondre à M. le ministre des finances. L'honorable M. Frère, à l'appui de son opinion, invoque le mot magique de liberté, qui doit nécessairement attirer à la cause qu'il défend un grand nombre de partisans.
Moi aussi, messieurs, j'ai fort à cœur la liberté du commerce et de l'industrie comme toutes les autres libertés, pour autant toutefois qu'elles ne portent pas préjudice à l'intérêt général. Or, je crois qu'il serait lésé par la liberté de travail de l'or et de l'argent qu'on veut accorder aux orfèvres.
Je passerai maintenant en revue quelques objections que m'a faites M le ministre des finances.
Lorsque j'ai dit que les poinçons, servant de marque particulière à l'orfèvre, constituaient une forte garantie pour le public, parce qu'elle était en quelque sorte la signature de l'industriel, j'ai prétendu avec raison qu'il était dangereux de les supprimer.
En effet, on n'a indiqué dans le projet de loi aucun expédient efficace pour les remplacer, et vous conviendrez cependant que l'on ne peut entourer de trop de sécurité le commerce de l'or et de l'argent.
Maintenant, que cette marque de l'orfèvre ait une valeur sérieuse, on ne peut le nier ; en effet, les poinçons n'ont jamais été contrefaits en Belgique. Ils doivent donc faire foi. Un seul cas de fraude s'est présenté sous le gouvernement hollandais ; il y a eu un contrefacteur à Luxembourg, mais comme cette ville nous est actuellement étrangère, cela ne nous regarde pas.
En supprimant donc cette marque particulière, vous n'avez plus aucun moyen de constater d'une manière quelque peu certaine qu'un objet d'or ou d'argent provient en réalité du magasin de l'orfèvre qui l'a vendu.
Sous le régime de la loi actuelle, il est facile, je le répète, au moyen de l'estampille du fabricant appliquée sur l'objet, de lui prouver qu'il l'a bien réellement fourni. On a tort de m'objecter que le poinçon n'est pas efficace, du moment qu'on ne parvient d'aucune façon à établir son inefficacité. On peut le contrefaire, dit-on. Je réponds qu'il n'a jamais été contrefait en Belgique et que par conséquent il constitue une grande garantie. Je suis donc en droit de maintenir mon argument, puisqu'il n'a été nullement réfuté.
M. le ministre des finances a produit une autre assertion à propos du contrôle.
Il a dît : « Le contrôle s'applique à tant d'objets, à des objets de si minime valeur, que vraiment ce n'est pas la peine de l'apposer. »
Messieurs, je trouve que tout, en ce monde, est relatif, et qu'un objet de chétive valeur pour l'honorable ministre des finances et pour nous tous, peut être d'un prix considérable pour un homme qui possède peu de ressources. Sous ce rapport, je trouve qu'il est aussi nécessaire d'accorder une garantie aux objets de peu de valeur, ne valussent-ils que 20 centimes, que de contrôler les bijoux les plus précieux.
M. le ministre des finances a dit aussi que les orfèvres étaient aujourd'hui familiarisés avec le projet de loi. Or, je puis déclarer en conscience que dans la supposition que beaucoup d'entre eux lui donnent en effet leur approbation, je ne le contesterai pas, parce que je n'ai pu parler à tous, d'autre part, un grand nombre d'orfèvres, encore en ce moment, sont excessivement hostiles à ce projet et le regardent comme très préjudiciable à leurs intérêts. Quant à dire de quel côté se trouve la majorité, cela m'est impossible.
J'avais une grave objection à présenter encore à M. le ministre des finances, mais il est allé au devant, de sorte qu'elle tombe. Il est évident que du moment qu'un objet d'or et d'argent est terminé, il est impossible à l'essayeur, quelque adroit, quelque expert qu'il soit, de voir dans l'intérieur sans briser l'ouvrage. M. le ministre dit qu'il se propose de faire insérer dans le projet en discussion une disposition telle que l'intérieur de ces objets puisse être vérifié. Cette concession change l'état des choses et détruit l'objection la plus considérable que j'avais à faire.
M. le ministre des finances, à propos des réclamations de laà Hollande contre la loi de 1852, que j'ai cru devoir signaler, m'oppose un document officiel. Je n'ai pas, moi, de document officiel à lui retourner. Je n'ai parlé de ces réclamations que par ouï-dire, de sorte que, sous ce rapport, force m'est de m'incliner devant la déclaration de M. le ministre des finances.
Pour terminer, je dirai un mot du revenu de 300,000 fr. que nous enlève le nouveau projet, s'il est adopté.
L'honorable ministre des finances dit que ce revenu ne sera pas complètement détruit, qu'il en restera toujours quelque chose. Je veux bien le croire ; mais, d'un autre côté, je voudrais savoir approximativement ce qui en restera. Si la somme qui devra, de ce chef, désormais rentrer dans le trésor est importante, j'avoue franchement qu'il ne faut pas regarder à quelques milliers de francs. Mais je crois que la réduction sera considérable et qu'il ne restera presque rien du revenu. Sous ce rapport donc, je ne suis pas non plus partisan du projet de loi, parce que, je le répète, il ne faut pas supprimer un impôt de luxe, quand nous en avons qui portent sur des objets de première nécessité.-
Les ouvrages d'or et d'argent sont l'apanage de ceux qui jouissent du superflu. A la rigueur, on n'en n'a pas besoin, tandis que personne ne peut se passer de sel et d'autres denrées alimentaires ; aussi longtemps que ces objets seront grevés de charges, on ne doit pas supprimer des impôts en quelque sorte somptuaires.
M. Vermeireµ. - J'ai demandé la parole, lorsque j'ai entendu comparer la loi que nous discutons à une coquinerie. Pour moi, je crois que la loi que nous discutons est une loi très sérieuse et que le travail de l'orfèvrerie de toute la Belgique y est intéressé.
Ainsi, que voyons-nous dans l'état actuel des choses ? C'est que beaucoup d'objets d'or et d'argent sont importés en Belgique, de pays où le titre est plus bas que celui auquel on peut fabriquer ici.
M. Dumortier. - Baissez le titre alors, comme on l'a fait en Hollande.
M. Vermeireµ. - C'est assez singulier ; je n'ai pas encore commencé à développer ma manière de voir et l'honorable M. Dumortier m'interrompt déjà.
Du reste, pour répondre à quelques objections qui ne sont pas précisément à leur place dans cette discussion, je dirai que lorsqu'on nous proposera la suppression de la peine de mort, nous examinerons cette question sous toutes ses faces, et nous verrons si l'abolition de la peine de mort aurait de meilleurs résultats que le maintien de cette peine. Pour le moment, je ne me prononce pas sur cette question.
Il en sera de même de l'emprisonnement pour dettes. Je ne pense pas, quant à moi, que l'emprisonnement pour dettes ait eu de très bons résultats ; je crois, au contraire, que les résultats sont mauvais, et que l'on prête d'autant plus facilement de l'argent à des personnes que l'on sait devoir en faire un mauvais usage, que l'on est certain de pouvoir emprisonner son débiteur. Donc, sans me prononcer non plus sur cette question, je me réserve de l'examiner, tant sous le rapport des avantages que des inconvénients qui peuvent résulter de la suppression de cette peine.
Pour en venir à l'objet en discussion, je me demande quelle différence il y a entre le commerce des métaux précieux et le commerce d'autres objets. Tous les arguments qu'on a fait valoir pour le maintien du poinçonnage des métaux précieux sont les mêmes que ceux que l'on faisait valoir lorsque en 1778 ou 1779 on a aboli les jurandes et les maîtrises. Que disait-on alors ? Si tout le monde peut faire des habits, si tout le monde peut être tailleur, comment le monde sera-t-il habillé ? De quelles étoffes seront faits ces habits ? Ou a aboli, et je crois qu'on n'est pas moins bien habillé aujourd'hui qu'au temps des jurandes et des maîtrises. (Interruption.)
Il en a été de même encore à propos de la liberté commerciale. On disait : Si vous admettez la liberté commerciale, les étrangers viendront vous faire une concurrence immense dans votre propre pays. N'ayez plus votre échelle mobile : laissez importer les grains étrangers en Belgique, et vous serez inondés des grains qui vous arriveront non seulement des pays voisins, mais surtout de l'Amérique.
Nous avons laissé entrer les grains étrangers. Je ne crois pas que nos agriculteurs soient plus ruinés qu'ils ne l'étaient il y a soixante ans. Ce que je constate, c'est que dans l'agriculture aussi bien que dans le commerce et l'industrie, il y a une somme de bien-être plus grande que celle que nous remarquions jadis, et ce qui en est la preuve, c'est qu'aujourd'hui, quand des terres sont mises en vente, on les paye trois fois la valeur qu'elles avaient il y a trente ans. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Cela est très exact.
M. Vermeireµ. - Messieurs, il y a dans le rapport de la section centrale une phrase qui n'a pas été relevée ; à savoir que, autrefois, la (page 160) loi sur le travail des matières d'or et d'argent avait un double but : 1° celui de constater la valeur réelle des objets ; 2°" celui de prévenir, par la cherté des objets, l'usage immodéré qu'on en aurait fait, au détriment d'objets de première nécessité dont on a un indispensable besoin.
Eh bien, messieurs, ni l'un ni l'autre de ces buts n'a été atteint. Vous avez entendu dire tout à l'heure par l'honorable ministre des finances que la valeur des objets d'or et d'argent est patente ; vous avez entendu, d'autre part, que l'industrie belge ne peut rien y gagner, parce que nous ne pouvons travailler qu'à un titre supérieur à ceux qui sont admis dans d'autres pays ; la concurrence est donc impossible.
Que diraient les industriels ordinaires si le gouvernement venait leur dire : Pour la fabrication de tel objet, vous emploierez telle et telle matière première en telle et telle quantité ? Mais les industriels diraient au gouvernement : Vous êtes incompétent ; de quoi vous mêlez-vous ? Est-ce que cela vous regarde ?
Messieurs, si une pareille intervention devait exister, ce serait un obstacle à toute espèce de progrès. Si, aujourd'hui qu'on fait tant de recherches, on devait, au moyen de certains alliages, parvenir à faire de plus beaux bijoux que ceux d'or ou d'argent, devrait-on y renoncer ou soumettre également ces nouveaux produits au poinçonnage de l'Etat.
Pour moi je pense que celui qui achète des objets à base de métaux précieux, doit être assez sensé pour apprécier la valeur de l'objet dont il fait l'acquisition. De plus il se fera d'abord délivrer une facture dans laquelle on lui garantira la quantité d'or fin ou d'argent fin qui sera entrée dans la fabrication de l'objet ; puis avec cette facture, et le numéro du bijou, il le fera vérifier soit par l'Etat, soit par une personne en qui il a confiance, et s'il est trompé sur la quantité d'or ou d'argent qui lui a été garantie, eh bien, je crois qu'il y a encore des lois en Belgique qui punissent la sophistication. (Interruption.)
Voulez-vous qu'on ne vende en Belgique que des objets à un titre déterminé ? Mais si je veux avoir de ces bijoux à bon marché qui me feraient passer pour un homme qui a beaucoup d'or et d'argent à étaler, pourquoi ne pas me laisser cette satisfaction ? Il y a des personnes si vaniteuses qui aiment à se faire passer pour des grands avec un très bas titre.
Messieurs, je crois donc que de la liberté que nous allons inaugurer de nouveau, et qui est encore un pas en avant dans la voie du progrès, il résultera, pour l'industrie et pour le commerce, de nombreux avantages. Quant à tous ces mauvais pronostics qu'on a fait passer devant nos yeux, ils ne m'effrayent pas.
M. Watteeuµ. - Messieurs, le projet de loi qui nous occupe est, à mon sens, une de ces améliorations qui ne devraient pas rencontrer d'adversaires. Je ne me plains pas cependant qu'elle ait soulevé des objections, car la discussion fait mieux ressortir l'utilité de la loi nouvelle et en fait mieux apprécier le sens et le but.
Toutefois, l'honorable M. Dumortier qui a conservé ses vieilles idées avec autant de force qu'il a conservé sa vigueur d'esprit et sa verdeur de jeunesse, a fait de singuliers rapprochements en venant placer à côté d'une loi qui n'a rien de pénal, des lois dont le caractère est exclusivement pénal.
Il ne s'agit pas ici de pénalités, car l'honorable M. Dumortier doit se rappeler que le nouveau code pénal a maintenu des peines contre le vendeur qui aurait trompé le public sur la qualité de la marchandise. Il n'est donc pas question d'une loi qui favoriserait un commerce malhonnête.
Mais, messieurs, l'ancienne loi, dont la disposition paraît inspirer tant de regret à l'honorable M. Dumortier, avait précisément pour effet de faciliter la fraude ; c'est que l'ancienne loi ne donnait à l'acquéreur qu'une fausse sécurité.
L'honorable ministre des finances a démontré tout à l'heure que les mesures établies par la loi ancienne étaient complètement illusoires, qu'elles n'offraient à l'acheteur aucune garantie sérieuse. Eh bien, messieurs, toute mesure de ce genre qui n'offre pas de garanties sérieuses est un mal parce qu'elle inspire à l'acheteur une confiance mal fondée qui le porte à ne pas veiller suffisamment à ses intérêts. Quand l'acquéreur saura, au contraire, qu'on peut lui vendre des objets d'or et d'argent non contrôlés, il se tiendra sur ses gardes, il aura soin de faire constater sur la facture la valeur de l'objet, et s'il a des doutes, il saura faire contrôler l'objet.
Auparavant si vous achetiez une chaîne d'or et si la marque du contrôle se trouvait sur l'un des chaînons, aviez-vous la certitude que tous les autres chaînons étaient au même titre ? Il y avait donc sous l'empire de l'ancienne loi un véritable danger auquel on ne songeait pas à échapper précisément parce qu'on avait le contrôle, qui ne donnait, en réalité, aucune garantie.
Comme on l'a dit avec raison, pourquoi de semblables mesures n'existent-elles pas pour les autres objets d'industrie ou de commerce ? Ainsi lorsque vous ache.tz du vin, est-ce que l'Etat a un bureau de dégustation pour vous garantir que le vin n'est pas frelaté, qu'il provient de tel ou tel cru et qu'il est de telle année ? Evidemment non. Ce sont là des vestiges d'un ordre de choses qui a été condamné par l'expérience.
La liberté du commerce dans toutes ses manifestations, la suppression de toute entrave, voilà ce que nous devons rechercher avant tout, et quand tout le monde sera bien pénétré de ces principes, chacun saura défendre ses intérêts avec plus de sollicitude que ne pourrait le faire le gouvernement.
Je crois, messieurs, qu'il est inutile de nous occuper de ces rapprochements faits par l'honorable M. Dumortier.
La peine de mort existe encore dans notre code pénal ; il est à espérer que dans un temps assez rapproché elle en disparaîtra.
La contrainte par corps existe encore dans notre législation et je pense que le temps n'est pas éloigné où nous verrons disparaître ce vieux débris d'une législation qui ne s'accorde pas avec les idées actuelles.
Je crois qu'on aurait tort d'attacher une très grande importance aux sinistres prédictions de l'honorable M. Dumortier. Pour moi, je suis convaincu que le commerce de l'orfèvrerie et de la bijouterie continuera à s'exercer au futur avec non moins de loyauté que dans le passé.
Il ne faut donc pas s'alarmer de l'adoption de la loi qui est en discussion.
M. Dumortier. - L'honorable membre qui vient de se rasseoir voudrait voir disparaître toutes les anciennes restrictions portées à la liberté ! Mais, cependant, il n'y a pas seulement que l'or et l'argent qui soient poinçonnés.
Je vois que l'Etat applique son poinçon sur une foule de libertés, de maîtrises, de jurandes, comme on l'a dit.
Est-ce que tout le monde peut être avocat ? Est-ce que tout le monde peut être médecin ? Est-ce que tout le monde peut être notaire ? Il y a là un véritable poinçonnement. L'honorable membre entend-il le faire disparaître ? Voilà ce que je voudrais savoir, d'abord. Pour mon compte, je trouve que l'Etat est moins intéressé à toutes ces professions poinçonnées par l'Etat qu'aux matières d'or et d'argent.
Il y a bien moins d'intérêt à donner un monopole de science, de vertu et de mérite qu'à garantir des matières au moyen desquelles on peut tromper les particuliers. On n'a point ébranlé mon argumentation qui se résume en termes très simples.
Mais, dit l'honorable M. Vermeire, on aura une facture et l'on aura ainsi le moyen de se défendre contre la fraude. Vous savez, messieurs, que sa plupart des objets d'or et d'orfèvrerie s'achètent sans facture et que dès lors il n'y a plus aucun recours
L'honorable membre me paraît bien peu au courant de la manière dont se traite la vente de ces matières.
Je pense, messieurs, qu'il est regrettable de priver la société de cette garantie.
L'honorable ministre des finances a soutenu tout à l'heure, mais il n'a pas démontré qu'il n'y avait point de garantie actuellement. Si cela était, il en résulterait en fin de compte que l'administration n'a pas fait son devoir, et certes, l'honorable ministre des finances ne voudrait pas jeter un pareil pavé à la tête de ses employés.
Comment ! quand un objet d'or ou d'argent est fabriqué, il faut le soumettre à l'administration qui le contrôle et en constate la valeur en le poinçonnant, et vous trouvez que cela ne constitue pas une garantie pour l'acheteur ?
On dit qu'en Hollande il y a eu un surcroît de travail et l'honorable M. Vermeire s'écrie : S'il me plaît à moi de donner de l'extension à la fabrication en abaissant le titre.
Mais, s'il y a des mesures à prendre pour étendre la fabrication, qu'on les prenne, mais qu'on n'adopte pas une mesure si radicale, qu'on ne supprime pas tout.
(page 161) La Chambre a très bien fait de ne pas admettre la suppression de la peine de mon comme elle fera bien de ne point admettre la suppression de l'emprisonnement pour dettes. Je crois qu'elle aurait bien fait de ne pas admettre la suppression des pénalités qui existaient sur l'usure. Nous aurons livré sans défense les gens honnêtes et paisibles à toutes les supercheries des mauvais drôles.
MfFOµ. - Messieurs, je m'étonne que l'honorable membre, ayant les idées qu'il émet, s'en tienne à de simples protestations lorsqu'on propose la suppression de l'une ou l'autre entrave qui se rencontre encore dans notre législation commerciale ou industrielle.
Il me semble qu'il devrait, usant de son droit d'initiative, proposer de réorganiser une bonne fois toutes nos industries et tous nos commerces, afin d'empêcher la coquinerie d'être organisée par les législateurs actuels.
Je ne conçois pas, par exemple, que l'honorable membre permette qu'on vende des objets quelconques sans la garantie de l'Etat. Pour être conséquent avec lui-même, il devrait exiger le contrôle du gouvernement pour la vente de tous les objets fabriqués quelle qu'en soit la nature. Je citerai entre autres les étoffes, les vêtements...
M. Dumortier. - Ce n'est pas la même chose.
MfFOµ. - C'est absolument la même chose, et j'ajouterai que ce système a existé jusqu'à un certain point, dans le temps où la garantie des matières d'or et d'argent a été instituée. (Interruption.)
Vous croyez donc qu'en maintenant cette garantie vous aurez sauvé la société d'un grand danger ? Mais réclamez donc aussi la garantie pour les objets qui sont de première nécessité pour le peuple, et sur lesquels la tromperie s'exerce également. C'est sur ces objets qu'une semblable garantie devrait exister, si tant est qu'elle doive exister sur un produit quelconque.
L'honorable membre vous a dit : Mais il existe encore d'autres entraves. L'Etat met encore son estampille ici et là ! Et il a cité les notaires, les avocats, les médecins, etc., etc.
Pour les notaires, messieurs, c’est tout à fait différent. Il s'agit là de fonctions publiques. Ce n'est pas précisément l'exercice d'une profession, d'une industrie ; c'est à d'autres titres et par d'autres considérations que le contrôle de l'Etat est établi en cette matière. Mais, pour ce qui concerne les avocats, je crois réellement que nous sommes encore un peu dans l'ancien régime.
Le temps viendra sans doute, et peut-être n'est-il pas très éloigné, où l'on fera disparaître également ce contrôle, cette marque officielle du gouvernement. La société sera-t-elle en péril le jour où l'on dira que les particuliers peuvent défendre eux-mêmes leurs intérêts, ou charger de cette défense qui bon leur semblera ? Quant à moi, je ne le crois pas.
Ce n'est donc pas pour la profession d'avocat qu'il faudra maintenir la garantie.
Mais, en attendant, commençons toujours par la suppression qui est proposée dans ce moment ; nous ferons un pas de plus quand le temps sera venu.
L'honorable membre a dit encore que la mesure n'était réclamée par personne, que personne ne se plaignait, et que tout à coup l'on était venu, sans raison, proclamer la liberté du commerce des matières d'or et d'argent. L'honorable membre ignore ce qui s'est passé.
Je serais, pour ma part, très flatté si, personne n'ayant réclamé, j'étais venu proposer un projet de ce genre. Je crois que, je n'en aurais pas moins rendu un véritable service à l'industrie et au commerce. Mais la vérité est que le projet de loi est venu après de longues réclamations. Il y a dix ans que les orfèvres et les bijoutiers demandent la suppression de la législation actuelle.
Je reconnais qu'un certain nombre d'entre eux n'ont pas persisté dans leur idée première ; mais, dès 1856, ils ont adressé au ministre des finances une pétition que j'ai là sous les yeux, qui est revêtue de 354 signatures, et où je lis :
« En Allemagne, le contrôle n'existe pas comme chez nous ; là les fabricants de bijoux peuvent mettre autant d'alliage qu'ils veulent.
« Notre fabrication diminue de jour en jour, nos ateliers doivent se fermer, et nos ouvriers, nous-mêmes, si cela continue, devrons nous éloigner de notre pays, car l'exercice de notre profession est devenu impossible.
« Abolissez la loi actuelle du contrôle pour y substituer la loi allemande, et nous pourrons soutenir la concurrence. »
Et puis de nouvelles pétitions sont arrivées en 1863. L'honorable M. Sabatier a même fait un rapport très remarquable sur ces pétitions, et il a conclu précisément dans le sens du projet de loi. Ainsi, nous n'avons pas le mérite d'être venu spontanément déposer ce projet ; nous l'avons fait sur les instances des intéressés et parce que nous avons trouvé qu'ils avaient raison. Il est légitime de supprimer les entraves à l'exercice de leur industrie, et nous avons la conviction que, lorsque ces entraves auront disparu, cette industrie se trouvera dans des conditions beaucoup plus favorables, qu'elle aura plus de travail, qu'elle ne sera plus concentrée sur le marché intérieur, mais qu'elle ira concourir sur les marchés étrangers.
M. Couvreurµ. - J'avais l'intention de répondre au discours de l'honorable M. Dumortier, mais après les arguments produits par l'honorable ministre des finances et les deux orateurs qui l'ont précédé, je crois pouvoir me dispenser de rentrer dans le fond du débat. Je me bornerai à une simple observation qui m'a frappé pendant que l'honorable député de Roulers nous menaçait d'une inondation de calamités de toute nature, de grandes et de petites coquineries. Son discours m'a rappelé la fable du Singe et de la Lanterne. L'intelligent animal montrait à son auditoire les faits les plus merveilleux, mais l'auditoire avait beau écarquiller les yeux, il n'y voyait goutte. La lanterne n'était pas éclairée. Il en est de même du discours que nous venons d'entendre. Il nous montre toutes les conséquences de la loi si nous la votons, mais il néglige de démontrer que la garantie qu'il s'agit de supprimer est une garantie sérieuse, réelle, efficace. Pour nous, cette garantie n'existe point, n'a jamais existé. Mais l'honorable M. Dumortier a glissé sur cette difficulté. Sa lanterne manque de lumière.
Puisque j'ai la parole, je me bornerai, messieurs, à toucher quelques points de détail mieux placés dans la discussion générale parce qu'ils touchent aux divers articles et sur lesquels je serais bien aise d'avoir quelques explications de M. le ministre, des finances.
A l'article 2 il est dit : « Tous les ouvrages d'or et d'argent, fabriqués à l'un des titres indiqués ci-après, peuvent être soumis par le vendeur ou par l'acheteur à la vérification et à la marque de l'essayeur de la garantie. »
L'article 3, modifié par la section centrale, porte :
« Le gouvernement détermine la forme des poinçons de l'Etat et fixe les frais d'essai à percevoir par le trésor. Il arrête également les autres mesures d'exécution de la présente loi, ainsi que l'époque à laquelle elle deviendra obligatoire, etc. »
Il semble résulter de la combinaison de ces deux articles qu'il y aura à la fois l'application de la marque de l'essayeur du gouvernement et l'application dii poinçon. Dans l'état actuel des choses, je crois que les lingots, entre autres, ne sont marqués que d'une seule marque, celle de l'essayeur. Cela suffit. Je désirerais savoir s'il entre dans les intentions du gouvernement de faire appliquer sur les articles d'or et d'argent une seule marque, celle de l'essayeur, ou s'il faudra encore que ces objets portent un poinçon spécial.
Voici pourquoi l'observation a quelque valeur.
Quoique le projet ne rende pas la marque obligatoire, il est à supposer qu'un grand nombre de fabricants, surtout ceux qui tiendront à attacher un certain caractère à leurs produits, voudront apposer une marque. Un objet de peu d'importance portera donc trois marques qui ne peuvent manquer de les défigurer.
MfFOµ. - Il n'y en aura qu'une seule : on a employé dans les articles 2 et 3 des expressions différentes, mais il s'agit de la même chose.
M. Couvreurµ. - Je suis bien aise d'avoir provoqué cette explication, car le texte du projet n'était pas clair sous ce rapport. La loi sera donc comprise dans le sens de la réponse de M. le ministre des finances si on ne croit pas devoir modifier sa rédaction.
Un second point sur lequel je veux appeler l'attention de M. le ministre des finances, c'est le dernier paragraphe de l'article 2 ; il porte : « La tolérance est de trois millièmes pour l'or et de cinq millièmes pour l’argent. »
Je voudrais savoir quelle est la tolérance actuelle ; elle est, je pense, de 10 millièmes. La tolérance de 3 millièmes n'est-elle pas trop restreinte ; les essais peuvent-ils, à cette limite, se faire dans de bonnes conditions ?
Une autre observation encore m'a frappé ; c'est celle qui concerne (page 162) l'opération elle-même, le contrôle. Evidemment le contrôle, bien que facultatif, devra pouvoir s'exercer non seulement dans quelques grandes villes, mais dans toutes les principales villes de la Belgique. Quel sera le personnel réclamé par ce contrôle ? L'essayeur, qui doit avoir des connaissances spéciales, ne peut pas être également chargé du contrôle et de la perception ; il faudra là au moins deux personnes : de plus, il sera nécessaire de prévoir les absences, les empêchements de service, ce qui entraînera un personnel assez considérable. D'un autre côté cependant, la loi prévoyant une augmentation dans le travail du contrôle réduit le droit de garantie de vingt à dix francs.
Or, ici je trouve que l'observation de M. de Zerezo, sur la nature de ce droit et sur son importance au point de vue des recettes du trésor, n'est pas sans valeur. Je ne désapprouve pas l'établissement d'un contrôle facultatif, c'est une bonne mesure, mais il ne faut pas perdre de vue que le contrôle est en définitive un avantage accordé au fabricant et à l'acheteur, et qu'il ne serait que juste de le leur faire payer exclusivement.(Interruption.) Si les recettes du contrôle doivent considérablement baisser, il ne serait pas juste d'en faire supporter la dépense par la généralité des citoyens, lesquels pour la plupart n'ont guère les moyens d'acheter des objets d'or et d'argent voire même de la faux bijouterie. Il faudrait que ce service se payât lui-même.
Je n'ai pas sous la main les chiffres exacts du produit de la garantie. M. le ministre des finances pourra nous les dire, mais je crois que le produit actuel est de 250,000 fr. Le service du contrôle coûte à l'Etat 50,000 francs ; reste donc un bénéfice de 200,000 fr. Je veux bien consentir à perdre ce bénéfice, mais je ne puis approuver que de ce chef le trésor soit constitué en déficit.
Je demanderai donc que M. le ministre veuille bien nous donner quelque éclaircissement sur ce point. (Interruption.) Plus on baissera le droit, plus on contrôlera, me dit-on ; soit, mais plus aussi les charges du service augmenteront, et c'est sur ce point que je voudrais être éclairé.
A ce propos, je me permettrai de signaler à l'attention du gouvernement un moyen qui lui permettrait de réduire ces charges. Le service du contrôle des matières d'or et d'argent deviendra probablement plus important qu'il n'est aujourd'hui. Il faut le mettre à la portée du fabricant et du consommateur. Or, à côté de ce service, il en existe un autre, très bien organisé, celui des poids et mesures. Je sais que ce dernier ne regarde pas M. le ministre des finances ; mais je demande s'il ne serait pas possible de combiner les deux contrôles et de charger les contrôleurs et les essayeurs des matières d'or et d'argent de contrôler en même temps les poids et mesures. Si la chose était possible, il en résulterait évidemment un grand avantage pour les fabricants, pour les acheteurs et pour le trésor.
Enfin il est une dernière observation de détail qui ne me paraît pas sans valeur. Le gouvernement a notablement amélioré la loi, en faisant droit par ses amendements aux réclamations qui s'étaient produites de la part des bijoutiers dans l'intérêt de l'écoulement de leurs produits qui ont acquitté le droit du contrôle sous l'empire de la législation actuelle. Même lorsque les craintes provoquées par des innovations ne sont pas fondées, il est prudent d'en tenir compte. Or, parmi les dispositions qui ont été ajoutées, à cet effet au premier projet de loi, il y en a deux qui ajournent jusqu'au 1er juillet 1869 sa mise en exécution. Or, le projet de loi dont nous nous occupons en ce moment a été amendé au mois de février de cette année, il y a sept ou huit mois. Ne serait- il pas juste de prolonger d'autant le délai accordé aux industriels ?
Telles sont les seules observations de détail que j'avais à présenter.
M. Dumortier. - J'ai à répondre à deux orateurs.
M. le ministre des finances s'est étonné que je fusse partisan du maintien de la garantie des matières d'or et d'argent, tandis que lui veut la liberté la plus complète de la fabrication de ces matières. Moi, messieurs, je m'étonne, et à bien plus forte raison, d'une autre chose, c'est que M. le ministre des finances soit aujourd'hui si grand partisan de cette liberté, alors qu'il était naguère l'adversaire le plus déterminé de la circulation de l'or dans le pays. (Interruption.)
Quant à l'honorable M. Couvreur, il a eu l'amabilité de me comparer au singe de la fable de Florian. Cela m'a prouvé une seule chose, c'est qu'il n'a pas pris garde qu'il y a des singes qui tirent les marrons du feu dans le plus grand intérêt des larrons ; et je crois que c'est un peu le rôle qu'il joue encore dans cette affaire. Mais, puisqu'il a cité une fable, il me permettra, je pense, d'en citer une autre à mon tour. Le singe est un animal pour lequel on ne professe généralement pas un grand respect et cependant il est assez voisin de l'homme. La grenouille est beaucoup plus éloignée et je crois que c'est un peu le rôle de la grenouille que jouent l'honorable membre et tous les économistes de son école.
Ils ne s'appliquent qu'à une chose : c'est à s'enfler, à s'enfler toujours afin de se faire aussi gros que le bœuf. Mais vous connaissez tous la morale de cette fable :
« La chétive précore
« S'enfla si bien qu'elle creva ! »
Je regrette que l'honorable membre m'ait obligé de parler de pécore pour lui répondre ; mais il reconnaîtra sans doute que le souvenir classique qu'il m'a opposé m'atorisait suffisamment à lui en opposer un autre.
MfFOµ. - Messieurs, je ne viens pas, à mon tour, vous réciter des fables. Je me bornerai à répondre aux trois observations qu'a faites l'honorable M. Couvreur.
Il a demandé d'abord si, indépendamment de la marque de l'essayeur, il y aurait encore le poinçon de l'Etat appliqué sur les objets soumis au contrôle. J'ai déjà répondu, en interrompant l'honorable membre, qu'on avait employé deux expressions pour rendre la même idée : il s'agit exclusivement du poinçon de l'Etat qu'appliquera l'essayeur du gouvernement.
L'honorable membre a paru supposer que le poinçon s'appliquait également sur les lingots. Il n'en est rien : dans l'état actuel des choses et sous l'empire de la loi de brumaire, an VI, on ne soumet à la garantie que les ouvrages d'or et d'argent ; les lingots n'y sont pas soumis, et je ne pense pas qu'il y ait lieu d'innover sous ce rapport.
L'honorable membre a demandé, en second lieu, si la tolérance indiquée par l'article 2, et qui est de trois millièmes pour l'or et de cinq millièmes pour l'argent, était suffisante.
Il se peut que, dans certains cas, elle ne soit pas suffisante. On m'a présenté à cet égard des observations auxquelles je crois devoir faire droit, et j'ai déjà fait parvenir à M. le président un amendement qui tend à supprimer le dernier paragraphe de l'article 2 et à introduire une disposition nouvelle, qui laisse au gouvernement le soin de déterminer le taux de la tolérance. Cela doit dépendre des circonstances et de la nature des ouvrages. Nous sommes donc d'accord encore sur ce point.
L'honorable membre, tout en admettant la réduction du droit qui est proposée et tout en adoptant le contrôle facultatif, a cependant exprimé le désir que le tarif du droit de contrôle fût établi de manière à couvrir les frais de l'administration de la garantie, qui devra être conservée, du moins en partie.
Je suis d'accord avec l'honorable membre que, tant que le contrôle des matières d'or et d'argent existera, il faudra que l'administration à organiser de ce chef couvre entièrement ses frais. Quant à dire quel sera le produit futur des droits de contrôle, cela est impossible. Ce droit est aujourd'hui connu, mais qu'en sera-t-il quand le contrôle sera facultatif ? Quelques personnes pensent qu'on fera peu contrôler ; d'autres pensent le contraire, et je suis porté à croire qu'au moins pendant les premières années beaucoup d'objets seront présentés à l'essai. Comme vous avez pu le voir par la communication que j'ai faite tantôt d'une dépêche hollandaise, on a, en Hollande, sous la loi nouvelle, soumis au contrôle des objets d'or et d'argent dans des proportions assez considérables.
Maintenant, messieurs, je ne pense pas que l'on puisse confondre l'administration qui sera chargée de ce service avec celle des poids et mesures ; il n'y a d'analogie entre elles qu'en ce qu'un contrôle s'exerce et que certains poinçons sont appliqués ; mais pour exercer dans l'une de ces administrations, aucune connaissance particulière n'est nécessaire, tandis que, pour exercer dans l'autre, il faut certaines connaissances spéciales ; il faut pouvoir faire la vérification du titre avant d'appliquer le poinçon. Il faudrait donc ne plus admettre dans l'administration des poids et mesures que des personnes en état de faire cette vérification. Je ne pense pas, du reste, que l'objet ait assez d'importance pour justifier un tel changement.
L'honorable membre a demandé enfin si l'on ne pourrait point proroger encore le délai de la mise à exécution de la loi, fixée au ler juillet 1869. Je n'y verrais pas grand inconvénient, mais je crois que Je délai fixé est tout à fait suffisant. Il a été établi dans la prévision que le projet de loi ne serait pas adopté immédiatement, et je crois, je le répète, qu'il est suffisant.
(page 163) M. le président. - Voici les amendements que M. le ministre des finances a fait parvenir au bureau :
« Supprimer le dernier paragraphe de l'article 2.
« Rédiger l'article 3 ainsi qu'il suit :
«Le gouvernement détermine la forme des poinçons de l'Etat ; il fixe les conditions dans lesquelles les ouvrages d'or et d'argent devront se trouver pour être admis à la vérification du fisc, ainsi que la tolérance des titres indiqués à l'article 2. Il fixe également les frais d'essai à percevoir au profit de l'Etat et arrête les autres mesures d'exécution. »
- La discussion générale est close ; celle des articles est renvoyée à demain.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.