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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 14 novembre 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)

(Présidence de M. Dolezµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 135) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Bechet propose des moyens de pourvoir à l'augmentation du budget de la guerre sans augmenter les charges des contribuables. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Westmalle protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Saint-Gilles demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi à Bruxelles. »

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Il est fait hommage à la Chambre par M. Vinche, éditeur à Verviers, de 27 exemplaires d'une brochure sur la réorganisation de l'artillerie belge. »

-Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Crousse, capitaine d'état-major, envoie à la Chambre 100 exemplaires des Considérations sur le recrutement, etc. »

- Même décision.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1868

Discussion du tableau des crédits

Chapitre VIII. Cultes

Articles 27 à 30

« Art. 27. Clergé supérieur du culte catholique, personnel enseignant et dirigeant des grands séminaires, à l'exception de celui de Liège : fr. 318,200. »

- Adopté.


« Art. 28. Bourses et demi-bourses affectées aux grands séminaires, à l'exception de celui de Liège : fr. 62,011. »

- Adopté.


« Art. 29. Clergé inférieur du culte catholique, déduction faite de 7,710 fr., pour revenus de cures : fr. 4,250,000. »

- Adopté.


« Art. 30. Subsides aux provinces, aux communes et aux fabriques d'église, pour les édifices servant au culte catholique, y compris les tours mixtes et les frais du culte dans l'église du camp de Beverloo : fr. 469,000.

« Charge extraordinaire : fr. 256,000. »

- Adopté.

Article 31

« Art. 31. Culte protestant et anglican (Personnel) : fr. 65,936. »

M. le président. - M. le ministre de la justice a proposé une augmentation de 3,400 fr. pour le traitement d'un pasteur à Seraing, ce qui porterait le chiffre à 69,536 fr.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, le gouvernement demande une augmentation de 3,400 francs à l'article 31 pour le traitement d'un pasteur protestant à Seraing. La population protestante de Seraing est presque égale à celle de Liège, et il est impossible au pasteur de Liège de se déplacer continuellement, comme il l'a fait jusqu'à présent.

- Le chiffre proposé par M. le ministre de la justice est adopté.

Articles 32 à 37

« Art. 32. Subsides pour frais du culte et dépenses diverses : fr. 13,000. »

- Adopté.


« Art. 33. Culte israélite (Personnel) : fr. 11,220. »

- Adopté.


« Art. 34. Frais de bureau du consistoire central et dépenses imprévues : fr. 300. »

- Adopté.


« Art. 35. Subsides aux provinces, communes et consistoires pour construction d'édifices consacrés aux cultes protestant et israélite (charge extraordinaire) : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 36. Pensions ecclésiastiques (payement des termes échus avant l'inscription au grand-livre) : fr. 11,000. »

- Adopté.


« Art. 37. Secours pour les ministres des cultes ; secours aux anciens religieux et religieuses : fr. 30,000. »

- Adopté.

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Article 38

« Art. 38. Frais d'entretien et de transport d'indigents dont le domicile de secours est inconnu ou qui sont étrangers au pays : fr. 160,000. »

M. Van Cromphautµ. - Messieurs, l'année dernière, lors de la discussion du budget de la justice, je me suis permis de faire valoir quelques considérations ayant pour but de demander des modifications à la loi du 18 février 1845, relative au domicile de secours. J'avais espéré que l'honorable ministre de la justice, prenant en considération les nombreuses réclamations arrivées au gouvernement et à la Chambre, aurait fait élaborer un projet de loi plus équitable, si longtemps déjà à l'étude au ministère, et attendu avec la plus vive impatience.

Ces réclamations, qui datent depuis de longues années déjà, se sont reproduites annuellement dans cette enceinte. Je n'entrerai pas dans le détail des nombreux griefs que nous avons à reprocher à l'application de certaines dispositions de cette loi. Je ne pourrais que reproduire ce qui a déjà été dit et répété à ce sujet. Je me borne pour le moment à demander à l'honorable chef du département de la justice, si la question que je viens de soulever recevra bientôt une solution de la part du gouvernement, ou si nous devons la considérer comme définitivement abandonnée.

Les administrations des communes rurales apprendront avec plaisir qu'il n'en sera pas ainsi.

J'espère que l'honorable ministre voudra bien donner un mot d'explication au sujet de cette question.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La section centrale a adressé au gouvernement des questions relatives à la loi sur le domicile de secours.

Je pense que la question du domicile de secours ne se présente plus de la même manière qu'autrefois, parce que la loi sur la mendicité a modifié la situation en ce qui concerne les dépenses des communes. Il résultera de l'exécution de la loi sur la mendicité un dégrèvement considérable pour les communes ; dès lors, les plaintes seront moins nombreuses.

Au surplus le problème est loin d'être facile à résoudre ; toute la question est de savoir par quel temps de séjour se déterminera le domicile de secours. Sur ce point, les villes et les communes rurales ont des intérêts différents.

Si vous exigez 4 ans pour établir le domicile de secours, il y aura des plaintes de la part des villes ; ce seront les villes qui demanderont le changement de la loi ; si vous prenez un terme moyen et que vous exigiez 6 ans, ce n'est pas la peine de changer la loi.

Je le répète, je crois que la loi sur la mendicité aura pour effet de diminuer les causes de plaintes : je demande donc à la Chambre de vouloir bien attendre le résultat de l'expérience. Aux termes de la loi de 1865, le gouvernement doit faire rapport sur les conséquences produites par la mise à exécution des nouvelles dispositions législatives relatives à la mendicité. Ce rapport sera déposé, et avec ce nouveau document les Chambres et le gouvernement pourront apprécier s'il y a lieu de présenter un projet de loi.

M. Thibautµ. - On a émis, je ne puis dire si c'est ici, à la Chambre ou au Sénat, une idée qui me paraît juste et que je recommande à (page 136) l'attention du gouvernement ; c'est de faire concourir les communes dans les frais d'entretien des indigents, proportionnellement à la durée de leur séjour dans chacune des communes pendant les six ou sept dernières années.

Il arrive souvent que le même indigent, quittant son lieu de naissance, passe deux ans dans une autre commune, deux ans dans une troisième, un an dans une quatrième, etc. Eh bien, il serait juste, me semble-t-il, de faire contribuer ces communes, proportionnellement à la durée du séjour momentané de l'indigent dans chacune d'elles. Les charges seraient ainsi réparties d'une manière équitable et pèseraient d'un poids moins lourd qu'aujourd'hui.

Je recommande cette idée à l'attention du gouvernement.

M. Kervyn de Lettenhove. - Depuis plusieurs années, de nombreuses pétitions ont signalé à l'attention de la Chambre la gravité de la question.

Je crois volontiers avec M. le ministre de la justice que la loi sur la mendicité atténuera quelques-uns des effets de la loi actuelle, qu'on a exposés ; mais il est non moins vrai que nous sommes loin d'un remède complet et qu'il serait digne du gouvernement et de la Chambre de ne pas reculer sans cesse devant des difficultés, quelque sérieuses qu'elles soient, lorsqu'il s'agit d'arriver à des mesures équitables et réparatrices.

Nous sommes tous convaincus que les charges du domicile de secours sont réparties aujourd'hui d'une manière très inégale et très souvent injuste.

Et à côté des charges qui pèsent sur les administrations communales, vient se placer une autre question qu'il ne faut pas perdre de vue : c'est que la situation actuelle des choses engendre un état permanent et légal de paupérisme.

J'appelle donc de tous mes vœux la discussion la plus prochaine de mesures législatives qui améliorent ce qui existe aujourd'hui, et je n'hésite pas à ajouter que si le gouvernement n'en saisissait pas la Chambre, ce serait un devoir pour nous d'user de notre initiative parlementaire.

- L'article 38 est adopté.

Article 39

« Art. 9. Subsides : 1° à accorder extraordinairement à des établissements de bienfaisance et à des hospices d'aliénés ; 2° aux communes, pour l'entretien et l'instruction des aveugles et sourds-muets indigents, dans le cas de l'article 131, n°17, de la loi communale ; 3° aux établissements pour aveugles et sourds-muets ; 4° pour secours aux victimes de l'ophtalmie militaire, qui n'ont pas droit à une pension ou à un secours à la charge du département de la guerre : fr. 166,000. »

M. de Kerchove de Denterghemµ. - A plusieurs reprises, l'attention de la Chambre a été appelée sur la nécessité d'organiser par le pouvoir public l'instruction des sourds-muets ; diverses pétitions en ce sens lui sont même parvenues.

La loi communale (article 131, n°17) met à la charge de la commune les frais d'entretien et d'instruction des sourds-muets indigents ; or, messieurs, faute d'établissements suffisants ou inspirant assez de confiance pour y tenir ces malheureux, les administrations communales se trouvent souvent dans l'impossibilité de satisfaire, malgré leur bonne volonté, aux prescriptions de la loi.

On me demandera peut-être : Pourquoi les grandes villes ne fondent-elles pas elles-mêmes ces établissements ? Je répondrai que c'est de toute impossibilité. En effet, pour qu'un établissement de sourds-muets puisse être à la hauteur du but qu'il doit atteindre, il faut qu'il réunisse un nombre suffisant d'élèves ; sinon les frais d'entretien et d'instruction deviendraient une charge trop lourde pour les communes. Or, en supposant le nombre total des sourds-muets dans notre pays proportionnel à celui qui a été constaté il y a peu d'années pour la France, il serait d'environ 3,000, soit un peu plus d'un quart pour chacune de nos 2,300 communes.

Admettons que l'éducation de ces infortunés doive durer neuf ans, soit de six à quinze, ce qui est bien au delà de la moyenne généralement admise, on aura, d'après les statistiques les plus autorisées, à en recueillir, dans les établissements ad hoc, environ un cinquième du nombre total, soit pour tout le pays, environ 600 appartenant par moitié à chacun deus deux sexes.

Se basant sur ces données qui paraissent dépasser la réalité plutôt qu'elles ne restent en dessous, on peut donc présumer que le nombre total des jeunes garçons sourds-muets, en âge de recevoir l'instruction, doit être pour la Belgique entière d'à peu près 300, chiffre infiniment trop peu élevé, non seulement pour fonder des établissements communaux, mais même des établissements provinciaux. Aussi M. le ministre de la justice, dans la séance de la Chambre du 15 décembre dernier, n'hésitait-il pas à émettre l'avis qu'il y avait lieu de créer dans le pays deux établissements destinés à l'instruction des sourds-muets, l'un dans la partie flamande, l'autre dans la partie wallonne.

La ville de Gand, toujours désireuse d'étendre les bienfaits de l'instruction à toutes les classes de la société, a fait des propositions au gouvernement pour l’établissement, dans cette ville, d'un institut de sourds-muets. Si mes renseignements sont exacts, il en est de même de la ville de Liège. Une entente entre ces villes et le gouvernement sera facile à établir ; je prie donc l'honorable ministre de la justice de hâter, autant que possible, la solution de cette question ; il rendra un vrai service à toute une classe de malheureux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable bourgmestre de Gand sait personnellement que le département de la justice s'occupe de cette question ; mais, je dois le dire, l'examen n'est pas très avancé, parce que les autorités gantoises n'ont pas encore elles-mêmes arrêté toutes les conditions financières et autres qui se rattachent à la création d'un institut central. Pour l'institut de Liège, presque rien n'est fait ; les autorités ne veulent point entrer en négociations avec la gouvernement sur les bases que j'ai indiquées dans mon discours de l'année dernière ; elles persistent à demander que le gouvernement ait un établissement à lui, tandis que la ville de Gand a admis, au contraire, le principe d'un établissement fondé par l'autorité provinciale ou communale avec le concours du gouvernement.

M. Wasseige. - J'ai déjà eu l'honneur de faire des observations l'année dernière à ce sujet. Je crois qu'il ne peut pas convenir de concentrer toute l'instruction des sourds-muets dans deux établissements, l'un dans les provinces flamandes, l'autre dans les provinces wallonnes. Comme j'ai l'honneur de le dire, il existe des institutions de sourds-muets dans plusieurs parties du pays ; je citerai entre autres l'établissement qui existe dans la province de Namur, qui, de l'avis de toutes les autorités appelées à le surveiller, se trouve dans les meilleures conditions.

Il est déjà très difficile d'engager les parents à se séparer de leurs enfants qui sont dans cette situation malheureuse, pour les placer dans un établissement rapproché ; s'il fallait les envoyer beaucoup plus loin, c'est-à-dire à Gand ou à Liège, les parents refuseraient, et beaucoup de ces malheureuses créatures croupiraient dans l'ignorance.

Je crois, messieurs, qu'il vaut mieux améliorer ce qui existe que de concentrer l'instruction des sourds-muets dans deux seules villes de la Belgique ; le gouvernement doit donc, à mon avis, continuer son appui et ses subsides aux établissements actuellement existants et qui les méritent et à placer au premier rang de ceux qui méritent ses faveurs, celui qui existe dans la ville de Namur.

M. de Haerneµ. - Puisque M. le ministre de la justice vient de dire qu'on s'occupe à son département de cette importante question, je crois que ce n'est pas le moment d'émettre une opinion définitive à ce sujet ; il me semble qu'il faut attendre, pour se prononcer, que nous connaissions les conclusions auxquelles arrivera le gouvernement.

Cependant, messieurs, si la Chambre veut bien me le permettre, j'aurai quelques observations à faire en réponse à ce qui vient d'être dit par l'honorable M. de Kerchove.

Déjà précédemment l'honorable membre a saisi la Chambre de cette question. D'abord, le 2 décembre 1864 une discussion s'est engagée, relativement aux institutions des sourds-muets, sur l'initiative qui avait été prise par l'honorable membre. Il a émis alors à peu près les mêmes idées qu'il vient de développer et j'ai eu l'honneur de répondre brièvement à ce qui avait été avancé. J'ai dit que les établissements qui existent sont soumis à la surveillance des autorités ; que, partant, le gouvernement aussi bien que les communes et même les provinces, contrôlent ces institutions ; car ils reçoivent des subsides et, en général, tous les établissements subsidiés sont soumis à la surveillance du gouvernement. On pourrait donc dire que, sous ce rapport, le gouvernement doit avoir ses apaisements.

Mais l'honorable membre semble supposer, comme je l'ai déjà dit dans la circonstance que je viens de rappeler, que si les établissements étaient créés par le gouvernement, ils ne laisseraient plus rien à désirer (page 137) ni sous le rapport de l'instruction, ni sous le rapport de la marche générale de ces maisons.

C'est une grande erreur, et l'histoire des établissements des sourds-muets fait voir que c'est précisément le contraire qui a eu lieu dans d'autres pays, qui avaient des établissements dits publics créés par le gouvernement ou placés directement sous son contrôle qui ont donné lieu au plus grand nombre de plaintes. C'est ce qu'on a remarqué notamment à propos des établissements de France.

- Un membre. - Et ceux de Hollande !

M. de Haerneµ. - En Hollande, les établissements marchent très bien et ce sont des établissements privés ayant même la qualité de personnes civiles (interruption), qui acceptent directement, en leur nom, des dons et legs, sans passer par l'intermédiaire de la commune, qui pourrait disposer, comme chez nous, de ces dotations, pour d'autres institutions de sourds-muets.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sous la direction du gouvernement.

M. de Haerneµ. - Ces établissements sont entièrement libres dans leur direction ; ils sont administrés par des curateurs privés ; mais le gouvernement y exerce une surveillance, une inspection, qui justifie, du reste. l'allocation des subsides qu'il leur accorde. (Interruption.)

J'ai déjà dit que le gouvernement a le droit de visite dans ces établissements ; ces visites s'exercent par les autorités locales, par les autorités provinciales et par l'autorité supérieure pour l'instruction et la surveillance. Fondés au moyen de dons et de legs, en vertu de la liberté, ces maisons d'éducation reçoivent, en outre, des cotisations privées et enfin les subsides du gouvernement. Voilà, messieurs, les trois sources auxquelles puisent les établissements de sourds-muets de Hollande.

Des établissements de même genre existent en Allemagne et quant à la France, où il y en a 48, on n'en trouve que deux qui sont déclarés impériaux, ce sont ceux de Paris et de Bordeaux. Ceux-là aussi jouissent de la personnification civile et se maintiennent en partie au moyen de dons et de legs. Vous le voyez, messieurs, cette création est toute différente de celle qu'on voudrait introduire ici.

Je dirai encore que ces deux établissements de France ont été d'abord des institutions privées et ce n'est que plus tard qu'elles ont été érigées en établissements publics.

Mais, messieurs, si je ne craignais d'abuser de l'indulgence de la Chambre... (Non ! non ! parlez !) je me permettrai donc d'entrer dans quelques considérations que je crois utiles et qui rentrent dans l'ordre d'idées qu'a exposées l'honorable M. de Kerchove. L'honorable membre paraît croire que les abus signalés dans les établissements privés ne se présenteraient pas dans les établissements publics. Je crois, moi, messieurs, que c'est plutôt le contraire que l'on a remarqué dans les pays étrangers. Il y a des abus partout ; mais c'est surtout à l'égard des institutions officielles qu'il y a des plaintes.

Il faut bien remarquer, messieurs, qu'il s'agit ici d'un enseignement tout à fait spécial et que, par conséquent, lorsqu'il s'agit de traiter cette question, il ne faut pas du tout la confondre avec celles qui ont trait à l'enseignement en général. Aussi mon intention n'est-elle nullement de mêler ces deux ordres d'idées et je m'attacherai uniquement à la question de l'enseignement des sourds-muets. Cette branche d'enseignement offre des difficultés toutes particulières à cause de sa spécialité, et les difficultés que je viens de signaler sont nées surtout quand le gouvernement a voulu s'ingérer d'une manière trop directe dans ces établissements spéciaux.

Pour s'en convaincre, il suffit de savoir ce qui s'est passé en France. Après la retraite de l'abbé Sicard, un des hommes les plus éminents de l'Europe dans la partie, M. Bébian, voulut réformer la méthode de l'abbé Sicard et en revenir à celle de l'abbé de l'Epée en perfectionnant celle-ci d'après l'expérience ; et de l'avis de tous les hommes compétents M. Bébian était parfaitement dans le vrai. Aussi a-t-il laissé une réputation très grande en France comme ailleurs.

Mais qu'est-il arrivé ? A la suite de la demande faite par M. l'abbé Sicard, l'établissement était devenu public, et M. Bébian échoua dans ses efforts pour ramener l'institution à son ancien principe ; il s'est donc affranchi du contrôle par trop absolu du gouvernement et il a ouvert une institution particulière ; mais on lui a fait la guerre ; il s'est expatrié et il est allé mourir à la Guadeloupe, son pays natal. Mais il avait laissé derrière lui des élèves illustres qui se sont répandus dans toute la France et qui y ont établi des écoles privées. Ces établissements se trouvent généralement dans une situation florissante.

Voici ce que disait de ces élèves de Bébian, le docteur Blanchet, en 1850 :

« Pénétrés des principes de Bébian, de nombreux professeurs allèrent fonder des établissements de sourds-muets en province et s'y livrer, indépendants du conseil d'administration, qui n'avait pas toutes leurs sympathies, aux essais des études et des observations qu'ils avaient faites. Ces maîtres habiles avaient à cœur de combler les lacunes qu'on remarquait avec douleur, après la retraite de Bébian, dans la méthode de Paris ; et l'on eût dit qu'ils emportaient avec eux la partie la plus essentielle de cet enseignement, puisque, depuis leur départ, on ne vit plus cette institution publique que rétrograder sans cesse dans l'enceinte de son berceau par suite du joug qu'imposait à l'art une administration composée, il est vrai, de philosophes, d'écrivains illustres, de personnages haut placés par leur naissance, mais entièrement étrangers, pour la plupart, il faut bien le dire, à l'enseignement des sourds-muets. En vain la commission administrative (nommée par le ministère) crut-elle devoir appeler à son aide un auxiliaire imprévu, qu'elle décora du titre pompeux de conseil de perfectionnement..., les membres de ce conseil n'étaient pas plus expérimentés en général que les administrateurs... et les études furent livrées au désordre et à l'arbitraire. »

Voilà ce que dit le docteur Blanchet de l'école de Paris, et il ajoute ce qui suit : « Quoique l'uniformité ne soit pas complète dans les institutions privées, on rencontre plus d'esprit d'unité, plus d'harmonie dans le personnel, plus de tendance à suivre docilement une voie commune, plus d'accord chez ceux qui sont animés de l'esprit de l'abbé de l'Epée, dans l'enseignement des sourds-muets, tels que les sœurs de la sagesse, les religieuses du bon-pasteur, les frères de saint Gabriel et les frères de la doctrine chrétienne. »

M. de Watteville, autre homme très compétent dans la matière, regrette également le défaut d'uniformité dans les deux institutions nationales.

L'école de Bordeaux est la seconde institution officielle de France ; elle n'a pas eu, après la retraite de Bébian, à se féliciter davantage, d'après M. Blanchet, de la commission administrative et du conseil de perfectionnement qui lui avait été imposé.

Voici ce que je lis à cet égard dans la biographie de Saint-Sernin par M. Valade-Gabel, ancien instituteur des sourds-muets à Bordeaux :

« A Dieu ne plaise que nous voulions faire la critique des administrateurs éclairés et consciencieux qui ont géré avec tant de succès les intérêts moraux et matériels de cet établissement.... Mais sans porter aucune atteinte à la réputation de ces hommes généreux, nous pouvons dire que, comme ils n'avaient pas étudié les sourds-muets, ils méconnurent les conditions hors desquelles l'éducation de ces enfants est impossible... Une mesure extra-légale exclut le corps enseignant tout entier du séjour de l'établissement. Ni l'aumônier, ni l'instituteur en chef ne purent trouver grâce devant la commission, qui, pour la surveillance à exercer sur les élèves, les remplaça par deux militaires en retraite. »

Un instituteur américain, M. Harvey P. Peet, président de l'institution des sourds-muets à New-York, dans un rapport sur les institutions de l'Europe, qu'il avait visitées en 1851, s'énonce dans le même sens au sujet de l'établissement de Paris. Il reprend l'histoire de cette maison au point où l'avait laissée le docteur Blanchet.

Après Bébian, dit-il, M. Désiré Ordinaire s'attacha particulièrement et, d'une manière trop exclusive, d'après ce qu'on admet généralement en France aujourd'hui, à l'articulation artificielle, surtout en ce qu'il la combinait avec le système de rotation, qu'il introduisit dans cette partie de l'enseignement. Le système de rotation consiste en ce que les professeurs montent de classe en classe avec les mêmes élèves. Il en est résulté que les élèves de chaque professeur, après avoir achevé leurs cours, avaient presque toujours été instruits d'après des méthodes différentes de celles suivies par les élèves qui étaient venus immédiatement après et qui étaient dirigés par d'autres professeurs, tant il y avait de confusion entre les diverses classes et de divergences d'opinions.

Tel fut le résultat de la méthode de rotation combinée avec une autre méthode que j'approuve d'ailleurs, celle de l'articulation, sur laquelle je ne puis m'expliquer ici, cette matière étant d'une nature trop spéciale.

Ces efforts ne produisaient nullement les résultats qu'on attendait de cette innovation, dit encore l'auteur américain que je viens de citer.

M. Ordinaire se retira en 1858. M. Morel, qui avait fait preuve de (page 138) grandes connaissances dans la matière, paraissait le plus capable pour lui succéder ; mais le ministre confia ces fonctions à un homme distingué par son caractère et par son influence politique, à savoir M. De Lanneau, un ancien maire de Paris, mais étranger à l’enseignement spécial dont il s'agit, d'après M. Harvey P. Peel.

M. Ordinaire s'était peu occupé de l'enseignement ; M. De Lanncau fit encore moins sous ce rapport, et les divergences continuèrent à se manifester dans le corps professoral. Il négligea même les conférences entre les professeurs et rompit ainsi les derniers liens qui avaient existé entre eux.

Depuis quelques années, comme le déclare aussi l'auteur américain que je viens d'avoir l'honneur de vous citer, on a eu le bon esprit à Paris de placer à la tête de l'école impériale un éminent professeur qui avait fait ses preuves, un homme qui réunit toutes les qualités requises pour l'accomplissement de la tâche difficile qui lui est confiée et qui par son savoir reconnu de tout le monde, par sa grande influence, a considérablement amélioré la situation de 1'élabfissemenl aux divers points de vue dont je viens de parler.

Mais si les résultats répondent enfin à l'attente, c'est aux qualités personnelles de cet habile instituteur, M. Vaïsse qu'on en sera redevable et non pas à l'esprit de centralisation qui avait tout gâté précédemment.

M. Harvey Peel pense que pour réussir dans la direction scientifique et morale d'une école de sourds-muets, il faut un chef au courant des méthodes et qui puisse, par son influence, mettre l'accord et l'harmonie entre les instituteurs sur lesquels il doit avoir pour ainsi dire une autorité illimitée. Cela résulte surtout de la spécialité de cet enseignement.

Telles sont les idées du chef d'un des premiers établissements du monde, et sans doute le plus nombreux, celui de New-York.

Un des principaux instituteurs de l'Allemagne, le célèbre Hill, qui dirige depuis plus de trente ans l'institution des sourds-muets de Weissenfels, abonde dans le même sens et fait voir que c'est à l'absence de ces conditions qu'il faut attribuer avant tout le désarroi qu'on a remarqué dans plusieurs institutions officielles de France et d'Allemagne

Ce même écrivain fait ressortir toute l'importance de l'instruction religieuse pour les sourds-muets, point essentiel, sur lequel j'ai eu l'honneur d'appeler l'attention de la Chambre, dans la séance du 2 décembre 1864. Les difficultés toutes spéciales qui se rattachent à cette partie de l'enseignement chez les sourds-muets rendent évidemment la tâche d'une commission gouvernementale très délicate, et sont une des causes pour lesquelles il faut donner en règle générale, dans cet enseignement spécial, la préférence aux institutions privées, tout en les soumettant à une surveillance et à une inspection sérieuses, ce que l'on peut faire, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, puisqu'on y est autorisé par la mesure générale établie quant aux établissements subsidiés.

Il faut enfin, comme je l'ai fait voir le 2 décembre 1864, respecter la liberté communale, dans cette matière, et ce serait une atteinte à la liberté communale que de forcer les communes à envoyer leurs sourds-muets et leurs aveugles ou autres indigents dans des établissements qui n'auraient pas leur assentiment. Il faut laisser à cet égard la liberté aux communes.

Par tous ces motifs, je crois que c'est là une des questions les plus délicates qui puissent se présenter et qu'il ne faut pas la trancher à la légère. Je répète qu'avant de prendre une conclusion définitive à cet égard, avant d'émettre une opinion absolue, j'attendrai les explications que M. le ministre de la justice a promis de nous donner en temps et lieu quant à cet enseignement.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la Chambre comprendra qu'il m'est impossible d'expliquer toutes les raisons qui ont dû terminé le gouvernement à entrer en pourparlers avec les villes de Gand et de Liège, à l'effet de créer deux instituts de sourds-muets et d'aveugles, l'un pour les provinces wallonnes, l'autre pour les provinces flamandes.

Mais je suis obligé de m'élever contre les théories qu'a émises l'honorable M. de Haerne.

L'honorable membre déclare que dans sa pensée il serait dangereux d'établir des instituts du genre de ceux dont nous nous occupons, que cela ferait dévier l'enseignement des sourds-muets et aveugles et qu'on arriverait à un déplorable résultat, ce qui est démontré par l'expérience des autres pays.

Je croyais que c'était le contraire qui était démontré.

M. de Haerneµ. - C'est un préjugé assez général.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable membre a apporté ses preuves ; je vais en apporter d'autres. D'abord les établissements officiels en France sont très bons, quoi qu'en dise l'honorable membre. L'Institut de Paris est excellent.

M. de Haerneµ. - Je viens de dire qu'aujourd'hui il marche très bien.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Toute l'erreur du discours de l'honorable abbé de Haerne, qui est très compétent en matière d'enseignement des sourds-muets et des aveugles, provient de ceci : c'est qu'il confond le choix des méthodes avec la création des établissements. Il peut se faire que si l'on a un mauvais directeur de l'enseignement officiel, cet enseignement soit mauvais. C'est ainsi que vous avez reconnu vous-même que sous Bélian, qui était cependant à la tête d'un établissement officiel, tout marchait bien, mais que plus tard on n'a pas trouvé de bon directeur. Il est évident que si l'on prend un maire pour diriger un établissement de sourds-muets, ou deux militaires retraités pour diriger un établissement d'aveugles, on n'arrivera qu'à des résultats peu satisfaisants.

Mais je demande à l'honorable membre s'il admet que, dans un pays qui compte 600 sourds-muets et aveugles, on peut avoir dix à douze établissements spéciaux. L'honorable M. Wasseige parle de l'institut de Namur. Je ne veux pas contester la bonne volonté, le zèle des personnes qui, à Namur, s'occupent de l'enseignement des sourds-muets. Mais je pense qu'un établissement qui compte 27 élèves ne peut rien. Il ne peut avoir ni matériel ni professeurs, ceux-ci ne peuvent être suffisamment rémunérés. Ces établissements ne peuvent nécessairement donner à leurs élèves qu'une éducation insuffisante ; ce sont plutôt des établissements de charité que des établissements d'instruction. Voilà la vérité.

Et, messieurs, ce qui prouve que l'honorable M. de Haerne est dans l'erreur, c'est le mouvement de réforme. D'où est-il venu ? Mais il est venu précisément de personnes qui dirigent des établissements privés ; c'est la commission de Liège, qui est à la tête d'un établissement privé, qui déclare qu'il est impossible que l'initiative privée satisfasse aux besoins de l'enseignement des sourds-muets et des aveugles.

On s'est adressé au gouvernement ; celui-ci ne voulant pas se charger de nouveaux services, à dit aux villes : Chargez-vous-en ; on donnera des subsides. Mais quant à laisser croire que toutes les petites institutions répandues dans le pays sont bonnes, je ne puis pas y souscrire.

Il peut y en avoir quelques-unes qui marchent relativement bien, mais quand le moment sera venu je prouverai que la plupart de ces établissements sont des établissements de charité, rien autre chose.

Maintenant, l'honorable M. Wasseige a demandé (et l'honorable M. de Haerne a répété la question) si l'on va forcer les communes à envoyer leurs élèves dans ces établissements. Evidemment non, la liberté restera entière pour les communes, mais le gouvernement n'ira pas subsidier des établissements mauvais, des établissements sur lesquels il n'aurait aucune espèce de contrôle ; on ne subsidiera que des établissements reconnus bons.

Si maintenant il se présente dans d'autres localités des établissements bien organisés, le gouvernement examinera. La proposition ne s'adresse pas seulement aux villes de Gand et de Liège, elle s'adresse à toutes les villes ; mais je déclare que ce sera au-dessus des forces des autres localités, car la ville de Liège elle-même recule ; ni les hospices ni la province ne veulent accepter la charge de l'établissement. Si les villes de Gand et de Liège se rendent au désir du gouvernement, elles rendront un grand service à la généralité du pays, elles se chargeront d'un service très important et qui jusqu'à présent a été négligé. Aussi je crois être certain d'être l'interprète des intentions de la Chambre en disant que le concours de la législature ne manquera pas à ces communes. Il faudrait les encourager, car la position des sourds-muets et des aveugles est réellement malheureuse ; ils manquent de professeurs, ils manquent de surveillance, il n'y a pas de méthode.

Les jeunes gens n'apprennent pas de professions. Il paraît que les jeunes gens qui sortent de l’établissement de Rotterdam ont un état ; ici rien de semblable n'existe. Ainsi, par exemple, il faudrait apprendre aux sourds-muets l'état de jardinier ; je demande dans quelle localité cela est possible ?

Je crois donc, messieurs, que le gouvernement doit poursuivre le but qui a été indiqué, c'est-à-dire continuer ses études en vue de la création d'établissements communaux avec le concours de l'Etat.

M. de Haerneµ. - Je prends acte de la déclaration faite par l'honorable ministre de la justice, à savoir qu'on laissera toute liberté aux (page 139) communes dans le cas où l'on érigerait des institutions gouvernementales. C'est un très grand point acquis à la discussion, et c'est sur ce point essentiel que j'ai appelé l'attention de la Chambre, lorsque j'ai pris la première fois la parole à ce sujet en 1864. C'est sur ce point et sur l'instruction religieuse que j'ai surtout appuyé alors, comme je le fais encore.

Mais M. le ministre de la justice se trompe en disant que je condamne toutes les institutions gouvernementales d'une manière absolue ; il se trompe encore lorsqu'il condamne, lui, toutes les institutions qui ne sont pas gouvernementales, lorsqu'il trouve qu'elles sont mauvaises, qu'elles ne peuvent pas être bonnes par cela même qu'elles ne sont pas gouvernementales.

M. le ministre dit : L'institution de Paris marche très bien aujourd'hui. Oui, je l'ai reconnu ; mais c'est grâce à l'impulsion qui y a été donnée par l'éminent professeur M. Vaïsse.

Mais pendant 30 ans elle a été constamment dans un état déplorable, malgré l'influence de la commission et de toutes les autorités gouvernementales.

J'ai pris la parole, messieurs, pour répondre aux idées exagérées de l'honorable député de Gand. Ce sont les instituteurs privés qui, en général, sont préférés par tous les hommes compétents, mais je n'ai pas dit que toutes les institutions gouvernementales sont mauvaises, par cela seul qu'elles sont gouvernementales.

L'organisation d'un établissement de ce genre est une chose extrêmement délicate, l'expérience le prouve. Voilà sur quoi j'appelle l'attention de la Chambre et du pays !

L'honorable membre dit qu'on n'enseigne que la lecture et l'écriture dans nos maisons de sourds-muets. J'ajouterai : et l'arithmétique, la géographie ainsi que d'autres branches essentielles d'un enseignement plus que primaire ; car dans beaucoup de localités on va à peu près jusqu'à l'enseignement moyen. Mais on ne se borne pas à cela, on enseigne aussi des métiers, et comme je l'ai dit dans la première discussion qui a été soulevée à ce sujet, on a organisé, dans un établissement de Gand et dans un établissement de Bruxelles, des ateliers où les enfants, après avoir achevé leur éducation, sont reçus comme internes et peuvent continuer à travailler s'ils ne trouvent pas à se placer ailleurs ; ce qui arrive assez souvent, pour les filles surtout, comme l'a attesté M. Kirsch, l'instituteur en chef de Rotterdam, où celle institution fait défaut. M. Piroux de Nancy parle dans le même sens.

Voilà ce qui existe à l'institut royal de la rue Rempart des Moines, ainsi qu'à Gand, c'est un refuge érige par la charité, moyennant de grands sacrifices.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous vous tenez à certains métiers.

M. de Haerneµ. - Certainement on n'enseigne pas tous les métiers, mais cela est-il nécessaire ? Ce qui existe peut se développer au besoin par l'influence et par les conseils du gouvernement.

Ainsi le gymnase n'existait pas généralement pour les sourds-muets ; car enfin les ressources sont très restreintes ; mais l'enseignement de la gymnastique a été introduit sur la recommandation des autorités. Nous n'avons pas ici la ressource des dons et des legs affectés directement à nos institutions privées, ce qui existe abondamment en Hollande et dans d'autres pays.

On ne refuse pas le contrôle du gouvernement ; au contraire, on l'appelle, on le désire vivement, et chaque fois que les inspecteurs se présentent, la joie est générale tant chez les instituteurs que chez les élèves. C'est une fête pour l'établissement.

J'avoue, messieurs, que toutes les institutions ne sont pas parfaites, pas plus en Belgique qu'en France ; il y en a de très médiocres ; il en est de même en Allemagne, en Amérique, partout. Mais croyez-vous donc que toutes les écoles primaires, même celles qui se trouvent sous le contrôle du gouvernement, soient parfaites ? Je soutiens, moi, que les écoles spéciales de sourds-muets peuvent être mises en parallèle avec les écoles primaires en général.

Vous avez, d'ailleurs, le moyen de faire rentrer, au besoin, ces établissements dans la voie qu'ils doivent suivre, vous trouvez ce moyen dans les subsides. Si, après l'inspection, les rapports qui vous sont adressés ne sont pas favorables à ces institutions, vous pouvez les supprimer indirectement en supprimant les subsides. Il y en a peu qui résistent à cette épreuve pénale.

En agissant ainsi, vous ferez bien. Ce sera un malheur pour quelques établissements, mais ce sera un bien pour l'instruction de ces malheureux, un bien pour le pays et la public applaudira.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je ne prolongerai pas celle discussion, mais je tiens à ajouter que, lorsqu'il y a quelques années, un concours fut ouvert en France sur la meilleure méthode à employer pour l'instruction des sourds-muets, ce fut un des directeurs de nos établissements libres, l'abbé Carton, qui fut couronné.

Je suis heureux de pouvoir citer ici un nom qui rappelle de si éminents et de si persévérants services rendus à l'une des classes les plus malheureuses et les plus intéressantes de l'humanité.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je dois répondre quelques mots à l'honorable abbé de Haerne.

L'honorable membre dit : Donnez des subsides.

M. de Haerneµ. - Je n'ai pas dit cela. J'ai dit que vous pouvez encourager par voie de conseils.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous n'avons à donner de conseils que là où nous intervenons par voie de subsides.

Il ne s'agit point de mauvaise volonté de la part des établissements privés. Je n'ai jamais accusé les établissements de Namur ou d'autres localités de mauvaise volonté.

L'établissement de Liège, qui est un établissement privé, déclare qu'il ne peut faire plus qu'il ne fait.

On dit : Donnez des subsides. Mais le gouvernement devrait disposer de sommes considérables pour très peu d'élèves. Il y a 600 sourds-muets ou aveugles. Comment voulez-vous que le gouvernement donne à 20 établissements des subsides pour quelques élèves seulement ? Ce serait la dilapidation des deniers publics.

On ne peut prétendre qu'on puisse avoir de bons établissements de sourds-muets alors que ces établissements sont fréquentés par quelques élèves seulement.

On dit qu'on apprend des métiers. Oui, mais le nombre des métiers qu'on y enseigne est très restreint.

Ainsi, on ne peut y apprendre le jardinage, et cela pour une bonne raison, c'est qu'il faudrait que les établissements fussent fournis de jardins spacieux, ce qui entraînerait de grandes dépenses.

M. de Haerneµ. - Cela n'existe ni à Paris ni à Bordeaux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela existe à Rotterdam.

M. de Haerneµ. - Oui ; c'est un établissement privé.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est une institution publique qui jouit des subsides du gouvernement.

L'honorable membre dit : Si l'on avait la personnification civile. Mais les sourds-muets ont la personnification civile dans la commune.

En effet, l'entretien des sourds-muets est une charge communale ; les communes sont des personnes civiles ; il est donc permis de faire des dons et legs aux communes en vue de l'entretien des sourds-muets.

Je crois que la vérité est dans le système du gouvernement, dans la création de deux instituts et dans la liberté pour les communes d'envoyer leurs élèves dans ces établissements, mais avec la liberté pour le gouvernement de ne pas donner de subsides aux élèves qui fréquentent des établissements mauvais.

- Le chiffre est adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1868

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale qui a examiné le budget du département des finances pour l'exercice 1868.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1868

Discussion du tableau des crédits

Chapitre IX. Etablissements de bienfaisance

Articles 40 à 44

« Art. 40. Frais de route et de séjour des membres des commissions spéciales pour les établissements de charité et de bienfaisance ; des médecins chargés de rechercher et de traiter les indigents atteints de maladies d'yeux, suite de l'ophtalmie militaire ; des membres et secrétaires de la commission permanente et de surveillance générale des établissements pour aliénés, ainsi que des comités d'inspection des établissements d'aliénés. Traitement du secrétaire de la commission permanente d'inspection ; traitement du secrétaire de la commission d'inspection de l'établissement de Gheel, ainsi que de l'employé adjoint à ce secrétaire : fr. 12,000. »

- Adopté.


(page 140) « Art. 41. Impressions et achat d'ouvrages concernant les établissements de bienfaisance et frais divers : fr. 2,000. »

- Adopté.


« Art. 42. Subsides pour les enfants trouvés et abandonnés, sans préjudice du concours des communes et des provinces : fr. 100,000. »

- Adopté.


« Art. 43. Subsides pour le patronage des condamnés libérés : fr. 20,000. »

- Adopté.


« Art. 44. Ecoles de réforme pour mendiants et vagabonds âgés de moins de 18 ans : fr. 200,000. »

Chapitre X. Prisons

Section première. Service économique
Article 45

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, les sections centrales ayant appelé l'attention du gouvernement sur l'application du système cellulaire, le gouvernement lui a fait parvenir une longue note où se trouvent passées en revue la plupart des observations que j'avais eu l'honneur de présenter à la Chambre l'année dernière.

Je regrette que la réponse du gouvernement ne soit pas complète et que je ne puisse pas la trouver satisfaisante.

Il me paraît fort à regretter qu'après une expérience qui remonte à sept années, puisque depuis 1860 il y avait environ 3,000 détenus en cellule, le gouvernement n'ait pu encore préciser quels ont été, au point de vue de l'amendement des condamnés, les résultats du système cellulaire.

Je m'applaudis, pour ma part, des sacrifices que la Chambre s'est imposés et je crois qu'à côté de la question financière, il en est une que nous plaçons tous beaucoup plus haut.

C'est cet amendement que le législateur doit surtout se proposer ; mais puisque depuis plusieurs années nous marchons dans cette voie, il nous appartient, à coup sûr, d'apprécier les résultats des sacrifices que nous nous sommes imposés et de savoir jusqu'à quel point se trouvent confirmées nos espérances. Je regrette que le gouvernement n'ait pas pu nous fournir quelques lumières à cet égard.

J'aurais désiré, pour ma part, apprendre de M. le ministre de la justice quelle est en ce moment l'organisation du système cellulaire.

Il est deux points notamment que j'ai déjà indiqués et sur lesquels il m'est impossible de ne pas revenir.

Je suis convaincu qu'il faut que par voie réglementaire on arrive à établir l'uniformité de régime dans toutes les maisons soumises au régime cellulaire et que cette organisation soit le résultat de l'expérience, mais je ne comprendrais pas que la répression ne fût pas organisée dans les différentes maisons.

C'est là, ce me semble, une condition de justice.

Ce que je demande également, c'est que tous les condamnés à la même peine soient soumis à la même répression, qu'il n'y ait pas de condamnés frappés d'une détention plus ou moins longue selon le genre de détention qu'ils subissent, en un mot que lorsque la loi frappe un homme qui a manqué à ses devoirs envers la société, il ne soit pas puni plus ou moins sévèrement qu'un autre qui s'est rendu coupable du même

Il est une autre question sur laquelle j'avais appelé l'attention de la Chambre et sur laquelle j'avais cru devoir insister, c'est sur le vœu de ne pas voir soumettre à l'emprisonnement en commun les jeunes détenus passibles d'un emprisonnement de moins de six mois.

Dans une note fournie à la .section centrale, le département de la justice a fait remarquer, avec beaucoup de raison, que lorsque la condamnation est prononcée pour un terme si court, on ne saurait faire un essai sérieux du système cellulaire.

Mais dans cette même note on remarque, et j'insiste sur ce point, qu'il ne faut pas entendre par détention cellulaire cette détention qui existe à Louvain et dans d'autres maisons entourées de mille précautions soumise à l'organisation complète.

Et lorsque au mois de décembre 1866 j'ai eu l'honneur de prendre la parole à la chambre, j'exprimais clairement ma pensée. Ce que je demandais avant tout, c'était le système de la séparation. Je crois qu'il est profondément déplorable de livrer des jeunes gens qui sont atteints our la première fois au contact d'autres condamnés ou de jeunes gens du même âge, mais plus corrompus.

Il y a là un danger considérable, contre lequel le législateur doit se précautionner et on ne peut sans hésitation affirmer qu'un grand nombre de récidives ne sont que le résultat de ce contact.

J'avais donc appelé sur ce point l'attention de M. le ministre de la justice et je regrette de voir que les observations que j'ai présentées n'ont pas été prises en considération.

Enfin, messieurs, quant à la question si intéressante de la libération des condamnés, je ne trouve également dans la réponse du département de la justice que des considérations assez vagues qui établissent que la situation est mauvaise, mais qui ne font pas entrevoir son amélioration.

Il est un point notamment qui a été passé sous silence, c'est celui de la surveillance de la police qui a été trop souvent exercée d'une manière fâcheuse dans l’intérêt des condamnés et dans l'intérêt de la société.

J'appelle donc de tous nos vœux une réponse satisfaisante du gouvernement sur cette question, elle nous importe à tous, parce qu'elle intéresse la société tout entière à raison des sacrifices qu'elle s'impose et des vœux qu'elle doit former pour l'amendement du coupable.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement s'est trouvé dans l’impossibilité de satisfaire au désir exprimé par M. Kervyn

L'honorable membre voulait obtenir du gouvernement un dans lequel serait traitée la question de l'emprisonnement cellulaire, au point de vue de la récidive.

Or, messieurs, il est bien vrai qu'on a pu depuis sept ans faire des expériences sur les effets de l'emprisonnement cellulaire, mais ce n'est que depuis l'année 1865 que l'expérience a quelque valeur. En effet, avant cette époque, on ne tenait pas note des condamnés qui subissaient leur peine dans d'autres prisons que celle de Louvain. Si je venais livrer a la Chambre un travail incomplet, on me dirait que ce travail n' a aucune valeur scientifique.

Je ne puis présenter de rapport en ce moment que sur des faits constatés pendant deux années ; cette expérience suffit-elle ? Parce que depuis deux ans il y aura eu diminution dans le nombre des récidivistes, peut-on dire que le régime cellulaire a fait ses preuves sous ce rapport ? Non.

Les conclusions des rapports que le gouvernement a en sa possession sont favorables au système cellulaire, mais le gouvernement ne peut les livrer à la publicité parce qu'ils ne portent pas sur une période assez longue.

Je convie donc la Chambre à attendre et à patienter,

M. Kervyn a parlé d'un second point sur lequel je suis d'accord avec lui, de la nécessité de faire subir à tout le monde le même régime, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que tel condamné à un ou deux ans de prison aille dans une maison commune, tel autre condamné à la même peine, dans une maison cellulaire.

Il y a là une grande injustice : d'abord le même régime n'est pas appliqué, ensuite celui qui subit le régime qui doit l'amender le plus ne fait que la moitié de sa peine.

Il faut arriver à faire subir à tout le monde l'emprisonnement dans une maison cellulaire ; c'est là le vœu de la législature qui l'a manifesté dans le vote du code pénal.

Mais la réalité s'oppose à ce que le désir de l'honorable membre et le mien puissent recevoir satisfaction maintenant. Pourquoi ? Parce que nous n'avons pas de prisons cellulaires en nombre suffisant, Il n'y a que 43 p. c. de détenus qui puissent être enfermés en cellules. Le gouvernement continue à construire des prisons cellulaires ; tout à l'heure, un libellé d'article sera modifié pour permettre de construire deux maisons nouvelles, l'une à Malines et l'autre à Tournai ; de cette façon, on arrivera à avoir un nombre de prisons cellulaires suffisant pour que tous les condamnés puissent y subir la peine de l'emprisonnement,

M. Vleminckxµ. - Excepté ceux de Gand.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Excepté ceux de Gand, mais à Gand on pourra plus tard faire des modifications. Si les prévisions de l'administration se réalisent, la prison de Vilvorde disparaîtra. La diminution du nombre des détenus est telle, qu'on peut prédire, si les choses continuent, la fermeture de la prison de Vilvorde. On n'aura soumise plus alors qu'une seule maison centrale, à Gand ; dans ce cas, on pourra (page 141) s'imposer des sacrifices pour obtenir le régime commun et le régime cellulaire complet à Gand. Dans l'avenir, nous aurons des maisons cellulaires sur les divers points du pays, c'est là un grand avantage.

Ainsi, voilà des campagnards qui sont condamnés à huit ou quinze jours de prison, il faut bien leur faire subir leur emprisonnement dans la prison la plus proche. On ne peut les diriger tous sur Bruxelles et Louvain.

Dans les conditions où se trouvent la plupart des prisons communes maintenant, les condamnés sont obligés d'être en contact avec des voleurs, dans le même atelier, dans le même préau. Il résulte de là de graves inconvénients et ici je réponds aux observations de l'honorable préopinant, relatives aux jeunes détenus. Pourquoi a été faite la circulaire concernant les jeunes détenus ? Parce qu'on a constaté l'impossibilité de faire des expériences sur les jeunes détenus qui n'ont que quelques mois de prison à subir et qu'on n'a pas de cellules en nombre tel, qu'on puisse s'en passer pour les détenus sur lesquels le régime doit produire des effets.

Je crois donc qu'il a été suffisamment répondu à cet égard à la demande de l'honorable M. Kervyn, par la note qui se trouve insérée dans le rapport de la section centrale.

Si tous les jeunes détenus devaient être conduits dans les prisons cellulaires, ces prisons ne suffiraient pas.

Quant aux comités de patronage des condamnés libérés, j'ai dit l'année dernière que ces comités avaient complètement échoué ; depuis lors ils n'ont rien fait pour se relever ; je crois donc que l'institution est condamnée.

En ce qui concerne la surveillance de la police, après le discours de l'honorable membre de l'année dernière, j'ai donné, je pense, des instructions à divers chefs de parquet.

- L'article est adopté.

Articles 46 à 53

« Art. 46. Gratifications aux détenus. : fr. 34,000. »

- Adopté.


« Art. 47. Frais d'habillement des gardiens : fr. 30,000. »

- Adopté.


« Art. 48. Frais de voyage des membres des commissions, des fonctionnaires et employés : fr. 11,000. »

- Adopté.


« Art. 49. Traitement des fonctionnaires et employés : fr. 712,000. »

- Adopté.


« Art. 50. Frais d'impression et de bureau : fr. 10,000. »

- Adopté.


« Art. 51. Prisons. Entretien et travaux d'amélioration des bâtiments : fr. 155,000 »

- Adopté.


« Art. 52. Maison d'arrêt cellulaire à Louvain. Achèvement des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 140,000. »

- Adopté.


« Art. 53. Maison de sûreté cellulaire d'Arlon. Achèvement des travaux de conduction ; charge extraordinaire : fr. 200,000. »

- Adopté.

Article 54

« Art. 54. Maison d'arrêt cellulaire à Huy. Achèvement des travaux de construction ; charge extraordinaire : fr. 100,000. »

M. Vleminckxµ. - Je ne demande pas la parole pour combattre le crédit qui nous est ici demandé ; je viens seulement demander à M. le ministre de la justice si bientôt la ville de Bruxelles aura, elle aussi, sa prison cellulaire. Nous avons à Bruxelles une grande prison, c'est même une des plus grandes du pays, mais c'est une prison commune ; et tandis que presque tous les chefs-lieux de province ont aujourd'hui une prison cellulaire, la capitale en est encore privée. Je désirerais savoir de M. le ministre de la justice si bientôt il nous présentera une demande de crédit pour doter la capitale d'une prison cellulaire.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - La ville de Bruxelles a déjà une prison cellulaire.

M. Vleminckxµ. - Pour les femmes.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pour les femmes, sans doute, mais c'est déjà un commencement.

Quant à la prison commune de la capitale, c'est une des moins mauvaises du pays. Je reconnais avec l'honorable membre que, dans le système du gouvernement comme dans le système qui a été sanctionné par les Chambres, la prison commune de Bruxelles devra disparaître avec toutes les autres. Mais je ne puis pas m'engager à venir du jour au lendemain demander à la législature les sommes considérables qu'il faudra pour transformer la prison commune de Bruxelles en prison cellulaire, transformation que je considère, en principe, comme devant avoir lieu.

M. Vleminckxµ. - Je dois faire remarquer que de tous les chefs-lieux de province du pays, il n'y aura plus guère que ceux du Brabant et de la province de Namur qui seront privés de prison cellulaire ; car je ne crois pas que l'on puisse tenir compte de la prison cellulaire des femmes qui existe à Bruxelles. Cependant la prison commune de la capitale est une des plus importantes du royaume et il serait extrêmement désirable qu'elle devînt cellulaire, afin que tous les détenus qui doivent y être enfermés y soient soumis au même régime.

Je recommande seulement cet objet à l'attention toute spéciale de M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je tiens à rectifier une erreur de l'honorable membre, qui prétend que le Brabant n'a pas de prison cellulaire. Il a oublié la prison centrale de Louvain.

M. Vleminckxµ. - Entendons-nous ; j'ai parlé des chefs-lieux de province.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il est vrai que Bruxelles n'a pas de prison cellulaire, mais Louvain en a une et d'après le nouveau libellé d'un article qui bientôt sera soumis au vote de la Chambre, il y en aura bientôt une seconde non loin de Bruxelles, à Malines. Mais, je le répète, je reconnais, en principe, que la prison commune de Bruxelles doit être modifiée et transformée en prison cellulaire.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 55

« Art. 55. Maison de sûreté cellulaire d'Anvers. Agrandissement et continuation des travaux ; charge extraordinaire : fr. 212,000. »

M. le président. - Ici se place le nouveau libellé proposé en ces termes par M. le ministre de la justice :

« Agrandissement de la maison de sûreté cellulaire à Anvers, reconstruction de la prison militaire en celle ville et construction de maisons d'arrêt cellulaires à Malines et à Tournai. »

Le chiffre est le même, il n'y a que le libellé qui soit modifie.

- Le chiffre de 212,000 francs est adopté avec le nouveau libellé.

Article 56

« Art. 56. Honoraires et indemnités de route aux architectes, pour la rédaction de projets de prisons, la direction et la surveillance journalière des constructions ; charge extraordinaire : fr. 26,000. »

- Adopté.

Section II. Service des travaux
Article 57

« Art. 57. Achat de matières premières et ingrédients pour la fabrication : fr. 1,000,000. »

M. Coomans. - On m'assure qu'une des misères du régime pénitentiaire est le refus de travailler, dans lequel s'obstinent parfois un certain nombre de détenus. (Interruption.) A ce mal, ajoute-t-on, on n'oppose pas de remède efficace ; c'est-à-dire que les condamnés qui refusent de travailler, ou tout au moins de remplir la tâche assez modérée qui leur est imposée chaque jour, continuent à être soumis au même régime alimentaire que les autres détenus.

Or, cela ne me paraît pas juste ; le premier devoir du détenu est de suffire autant que possible à son entretien. Le droit de la société est de forcer, dans la mesure du possible, le détenu à suffire à son entretien. Et comme nous ne pouvons pas, comme nous ne voulons pas appliquer les pénalités afflictives, c'est-à-dire comme il n'y a pas moyen de battre le détenu jusqu'à ce qu'il consente à travailler, comme il n'est pas possible de le transformer en esclave noir, ce que personne ne veut, il ne reste d'autre moyen que de s'en prendre à son appétit, et de réduire sa pitance au strict nécessaire, c'est-à-dire de le mettre littéralement au pain sec et à l'eau.

M. Vleminckxµ. - Les détenus n'ont ni plus ni moins que ce qu'il leur faut.

M. Coomans. - Je crois qu'ils ont plus qu'il ne leur faut absolument, parce qu'on m'affirme, d'autre part, que le régime alimentaire de nos prisons est meilleur que celui de nos casernes. (Interruption.) Cela m'est affirmé.

M. Vleminckxµ. - Cela n'est pas sérieux.

M. Coomans. - Cela m'est affirmé et je dirai de suite que c'est par des officiers dont la parfaite honorabilité n'est pas contestable. Ceci soit dit en réponse à l'interruption de l'honorable M. Vleminckx.

M. Vleminckxµ. - Je prétends encore que cela n'est pas sérieux.

M. Coomans. - Je n'ai pas prétendu que nos détenus eussent (page 142) trop à manger, ni que la qualité de leur nourriture fût trop bonne. Mais quand un détenu refuse de travailler, il mérite une certaine punition, et je n'en vois pas d'autre que celle que j'indiquais tout à l'heure, c'est-à-dire une réduction de la ration dans les limites strictement fixées par les hommes de l'art... (interruption), non seulement pour qu'il ne meure pas de faim, mais pour qu'il ne devienne pas malade par suite de cette réduction d'aliment. Il me paraît que ma prétention n'est pas excessive ; car, enfin, le petit régime que je voudrais voir appliqué aux criminels, mais qui donc de nous ne l'a pas appliqué ou vu appliquer à des enfants ?

Je demande quelles sont les mesures efficaces qu'on prend lorsqu'on se trouve devant des individus obstinés qui refusent constamment de travailler, quoique le travail soit le premier de leurs devoirs.

(page 152) M. Lambertµ. - J'ai l'honneur de faire partie de la commission administrative d'une prison cellulaire et je puis parler de ce système en connaissance de cause. L'expérience m'a appris que le système cellulaire produisait non seulement de très bons effets sur les condamnés, mais qu'il amenait aussi d'excellents résultats, comme mesure préventive.

Messieurs, on ne peut pas se le dissimuler : le système cellulaire est infiniment plus redoutable que celui qui a été pratiqué anciennement ; il n'y a pas, je puis l'affirmer, de condamné qui, après avoir subi seulement quelques jours d'emprisonnement cellulaire, ne prenne spontanément la résolution de ne plus pécher ; sans doute, il peut encore pécher, mais il n'en est pas moins vrai que le système a pour effet de conduire à l'amendement ; et lorsque je disais tout à l'heure que ce système avait un effet préventif, c'est qu'en fait, il est certain que chaque individu qui sort d'une maison cellulaire rend compte des tristes impressions que lui a laissées la dure expiation qu'il a subie.

Quant au travail, le système forcé, pour ainsi dire, le condamné à y recourir. On trouve certaines personnes rebelles qui, lors de leur entrée dans la prison, se refusent avec une énergie, d'abord très vive, à adopter les habitudes du lieu ; mais quelques jours à peine se sont écoulés que les condamnés qui avaient été si rebelles se montrent complètement adoucis et demandent avec instance qu'on leur procura du travail, à l'effet de dissiper l'ennui terrible qui les assiège et qui finirait par les tuer.

Il y a quelque temps...

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il n'y a pas d'exemple.

M. Lambertµ. - Il est cependant certain que si on n'avait pas le travail, certains condamnés finiraient misérablement.

La difficulté est celle-ci : c'est de pouvoir procurer du travail ; et, je dois dire que généralement les commissions, et surtout les directeurs des prisons, usent de tous leurs moyens pour procurer à leurs tristes pensionnaires un aliment pour user le temps.

Quant à la nourriture, elle est ce qu'elle doit être ; elle n'est pas meilleure que celle à laquelle sont assujettis nos soldats ; mais elle est suffisante et bien préparée.

Puisque j'ai la parole sur ce sujet, je me permettrai d'appeler l'attention de M. le ministre de la justice sur un point digne de sa sollicitude et de celle de tous les membres de la Chambre.

Les maisons cellulaires sont les seules qui existent, soit dans les chefs-lieux de province, soit dans les chefs-lieux d'arrondissement. Malheureusement ou heureusement, selon l'idée qu'on se fait de la chose, la contrainte par corps existe encore et elle est pratiquée ; eh bien, les condamnés à la contrainte par corps sont assujettis au régime cellulaire ; ils sont assujettis à tous les règlements si excessifs de ce système. (Interruption.)

Pardon ; je ne suis pas dans l'erreur, ils sont soumis aux mêmes règlements ; ils subissent toutes les heures de détention ; ils ont leurs heures de promenade comme les autres condamnés ; ils sont assujettis à la même nourriture. Je conviens que s'ils avaient de l'argent en poche, ils pourraient se procurer une autre nourriture ; mais précisément parce qu'ils n'ont pas su payer et satisfaire à leurs obligations, ils sont le plus souvent dépourvus d'argent.

Il n'est entré dans l'esprit de personne, lorsqu'on a établi la contrainte par corps comme garantie et moyen du payement dès obligations civiles et commerciales ; il n'est entré, dis-je, dans l'esprit de personne que le détenu pour dettes serait soumis au même régime que celui qui est condamné pour un délit.

Je supplie M. le ministre de la justice de s'informer de la vérité des faits que j'apporte dans cette enceinte ; en ce qui me concerne, je puis attester que j'ai vu ce que je rapporte et je l'ai vu avec peine.

(page 142) M. Vleminckxµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu l'honorable M. Coomans dire qu'il avait appris d'officiers de l'armée que les soldats n'étaient pas aussi bien nourris que nos prisonniers dans les prisons cellulaires ou communes. Je ne sais quel officier a pu tenir ce langage à l'honorable M. Coomans ; mais quand les officiers seraient tous ici présents et qu'ils tiendrait ce langage, je déclarerais que ce langage est contraire à la vérité. L'honorable M. Coomans n'a qu'à se faire rendre compte du régime d'alimentation des détenus, et de celui de nos soldats, il verra quelle est la différence en faveur de ces derniers,

Je répète que ce qu'on a avance est tout à fait inexact, et il m'a semblé essentiel de repousser, du haut de cette tribune, une allégation qui, si elle était conforme à la vérité, constaterait la plus grande faute que le gouvernement pût commettre.

L'honorable M. Coomans a demandé à M. le ministre de la justice quelle punition on inflige au prisonnier qui ne veut pas travailler ; il propose un moyen ; c'est celui de le faire jeûner.

Je ne sais quelle sera la réponse que M. le ministre de la justice fera à l'honorable membre ; mais quant à moi qui ai été pour quelque chose dans l'arrangement de la nourriture des détenus, je déclare qu'avec cette nourriture, le détenu peut se porter bien ; mais que retrancher de cette nourriture, c'est exposer le détenu à devenir malade et que cette maladie coûtera bien plus à l'Etat que la partie des aliments dont on aura privé le détenu.

Il y a peut-être un autre moyen de punir ceux qui ne veulent pas travailler ; je le soumets à M. le ministre de la justice ; il verra s'il est exécutable ; c'est de ne pas permettre à ces détenus d'aller à la cantine ; c'est de les obliger à se contenter purement et simplement de la nourriture de la prison.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je n'ai pas connaissance des faits qui ont été avancés par l'honorable M. Coomans ; il n'est pas arrivé au département de la justice de plaintes de directeurs de prison constatant comme un fait général que des détenus se refusent à travailler.

Il est évident qu'il ne peut être question que de quelques faits isolés. Cela arrive dans les prisons communes comme dans les prisons cellulaires ; mais, je le répète, on ne m'a pas rapporté comme un fait général que les détenus se refusaient à travailler.

Au surplus, si cela existe, s'il y a des détenus qui ne veulent pas travailler, les commissions et les directeurs ne sont pas désarmés. L'honorable M. Coomans a indiqué un moyen ; l'honorable M. Vleminckx en a indiqué un autre ; je suis convaincu qu'il y a des moyens bien plus efficaces que ceux-là. Il y a le cachot ; il y a l'interdiction de la promenade ; il y a d'autres moyens encore auxquels on pourrait avoir recours.

Ensuite le détenu est excité au travail par l'appât du gain ; sur chaque objet qu'il confectionne, il gagne une certaine somme.

Ajoutez-y, comme l'a dit l'honorable M. Lambert, que le régime de l'emprisonnement cellulaire cause au détenu un ennui tel, qu'il désire travailler. Je ne crois donc pas qu'on ait à craindre un refus général de la part des détenus.

Quant à la nourriture, je crois ne devoir rien ajouter à ce qu'a dit l'honorable M. Vleminckx. Cette objection a déjà été présentée à la Chambre. Ce n'est pas la première fois, je pense, que l'honorable M. Coomans dit que les détenus sont mieux nourris que les militaires. Cela n'est pas exact. Je n'ai pas le chiffre de la journée d'entretien des prisonniers, mais il est bien inférieur au prix de la nourriture du soldat.

L'honorable M. Lambert a dit que les personnes qui devaient subir la contrainte par corps étaient traitées de la même manière que les autre détenus. Je ne m'attendais pas à cette observation, mais je crois avoir déjà répondu à une observation de ce genre, faite par l'honorable M. Funck. Si je ne me trompe, l'honorable M. Funck m'a fait cette interpellation et ma réponse a été qu'il résultait des renseignements que j'avais pris que ces détenus ne subissaient pas le même traitement que les autres.

Je ne sais ce qui se passe à la prison de Dinant ; il est possible que le règlement n'y soit pas observé. Ces détenus sont séparés, ils ne sont pas mêlés aux autres détenus ; ils ne subissent pas, à proprement parler, le régime cellulaire. Les contraints par corps ont tous les avantages de la pistole ; ils ne sont nullement soumis au même traitement que les autres détenus.

L'honorable membre dit qu'ils ont leurs heures de promenade. C'est évident ; mais, encore une fois, ce n'est pas là l'emprisonnement cellulaire. Je crois donc, autant que mes souvenirs sont exacts, c'est que l'honorable M. Lambert est dans l'erreur, et au surplus je vérifierai les faits.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Articles 58 à 60

« Art. 58. Gratifications aux détenus : fr. 150,000. »

- Adopté.


« Art. 59. Frais d'impression et de bureau : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 60. Traitements et tantièmes des fonctionnaires et employés : fr. 100,000. »

- Adopté.

Chapitre XI. Frais de police

Article 61

« Art. 61. Mesures de sûreté publique : fr. 80,000. »

- Adopté.

Chapitre XII. Dépenses imprévues

Article 62

« Art. 62. Dépenses imprévues non libellées au budget : fr. 5,000.

« Charge extraordinaire : fr. 1,800. »

- Adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble

- La Chambre décide qu'elle passera immédiatement au vote définitif du budget.

Les amendements admis au premier vote sont définitivement adoptés.

M. Wasseige. - Je demande à la Chambre de me permettre de justifier par quelques considérations le vote négatif que je me propose d'émettre sur le budget de la justice. Je le déclare franchement, mon vote sera un vote de défiance envers celui qui se trouve actuellement à 'a tête de ce département.

Le 23 novembre 1865, à l'occasion de la discussion de ce même budget, M. Dolez, notre honorable président, s'exprimait ainsi :

«Le chef du département de la justice compte au nombre de ses devoirs les plus élevés et les plus délicats, celui de présenter au Roi les nominations à une foule d'emplois très importants. Je me permets de recommander à l'honorable ministre de se montrer, sons ce rapport, d'une réserve extrême, de faire comme faisait son honorable prédécesseur, de veiller à n'appeler à siéger dans la magistrature que des hommes qui en sont profondément dignes. Je me permettrai de conseiller à l'honorable ministre qui, par son âge, verra arriver autour de lui, comme compétiteurs pour les fonctions de la magistrature, beaucoup de ses contemporains, de ses condisciples, de leur dire qu'il n'attend pas d'eux des services politiques, qu'il n'attend pas d'eux qu'ils deviennent des agents électoraux. Je lui conseille de leur rappeler avec austérité, qu'un magistrat, par cela même qu'il a une mission plus délicate et plus élevée à remplir dans notre ordre social, doit rester à l'abri de tout soupçon de passions politiques. »

Dans la séance du 7 mars 1867, à l'occasion de la loi sur la mise à la retraite forcée des magistrats, l'honorable M. Pirmez disait :

« Quant à moi, j'engage beaucoup M. le ministre de la justice, à faire, avec la plus grande impartialité, les nombreuses nominations qui seront la conséquence de la mesure. Je le dis très sincèrement, je n'aime pas les nominations de parti dans la magistrature ; je désire qu'elles se fassent, autant que possible, en dehors de toute préoccupation de parti. Je ne crains pas de le dire, toutes choses égales d'ailleurs, le meilleur magistrat est celui qui a le moins d'activité politique. »

(page 143) Ces sages conseils donnés à l'honorable ministre par ses meilleurs amis, ont-ils été suivis ? J'en fais juge la Chambre, mais quant à moi je réponds sans hésitation. Non, ils ne l'ont pas été, et celui qui par l'abrogation de l'article 100 de la Constitution a décapité la magistrature belge en la privant de ses membres les plus éminents, celui-là vient de la saper dans sa base, par ses nominations nouvelles.

Je ne parlerai pas des nominations à la cour de cassation où les choix du ministre étaient presque forcés par les présentations des corps qui en sont chargés par la Constitution.

Bien-que les nominations de conseillers de cour d'appel, de présidents et vice-présidents des tribunaux soient aussi à peu près fixées par les propositions des cours et des conseils provinciaux, M. le ministre de la justice a cependant trouvé moyen d'y appliquer deux poids et deux mesures.

Il a nommé vice-président du tribunal de Tournai le second candidat de la cour, sans doute parce que le premier n'était pas candidat du conseil provincial du Hainaut ; mais par contre M. le ministre a nommé conseiller à la cour de Liège un premier candidat de la cour, quoiqu'il ne fût pas même candidat du conseil provincial du Limbourg.

Des deux côtés les rivaux avaient obtenu de la cour d'appel un nombre à peu près égal de suffrages ; des deux côtés le vaincu de la cour était seul et premier candidat du conseil. La position était identiquement la même, mais il s'agissait d'écarter à Tournai le frère d'un ancien ministre de la droite et on a préféré à ce juge, qui datait depuis plus de 12 ans, l'ancien greffier du tribunal, qui, depuis quelques mois seulement, avait quitté sa plume. A Liège, il fallait récompenser l'ancien concurrent de notre collègue M. Thonissen et imposer au catholique Limbourg un représentant dont il paraît s'être aussi peu soucié à la cour qu'à la Chambre.

Mais c'est dans les nominations de juges de tribunaux de première instance, dans les nominations des officiers du parquet à tous les degrés, là où l'honorable ministre avait toute sa liberté, que la partialité, l'esprit de parti se sont montrés en toute évidence.

C'est surtout dans les nominations de juge de paix, magistrats si bien placés pour exercer une grande influence politique et électorale, que M. le ministre, au mépris des sages conseils qui lui étaient donnés par notre président, a paru avoir bien plus en vue les intérêts de son parti que les intérêts d'une bonne et loyale justice.

Ainsi que voyons-nous à Liège ?

Un docteur en droit de fraîche date, nommé récemment et d'emblée substitut, voit mettre le comble à un premier passe-droit fait en sa faveur par sa nomination aux fonctions de procureur du roi, dans le même tribunal, tribunal de première classe. Loin de moi la pensée que sa qualité de beau-frère de l'un de nos honorables collègues de la gauche ait pu contribuer à sa nomination. Mais le public est parfois si méfiant qu'il pourrait bien ne pas penser comme moi.

Les concurrents de l'élu, ses aînés dans la carrière, sont envoyés l'un à Hasselt, l'autre à Charleroi et le dernier venu est nommé à Liège.

Mais il y a plus fort, d'après l'adage si connu dans nos provinces forestières, que les meilleurs gardes sont les anciens braconniers, nous voyons nommer aux fonctions de substitut à Verviers le prévenu qui, sous l'énergique réquisitoire de M. Schuermans, était condamné, il y a quatre mois à peine, à 2 mois de prison pour duel.

Et voilà l'homme qui sera chargé de faire respecter les lois et de poursuivre ceux qui tenteraient de les violer !

M. le président. - M. Wasseige, vous excédez les limites de la critique légitime.

M. Wasseige. - M. le président, je cite un acte officiel ; pouvez-vous m'empêcher de dire que celui-là qui a été nommé substitut du procureur du roi, avait été condamné par un tribunal correctionnel ?

M. le président ; - Non, sans doute. Mais vous ne pouvez pas signaler un magistrat comme étant dans une situation qui lui rend impossible l'accomplissement des fonctions auxquelles il est appelé.

Cela me paraît excéder votre droit et je vous prie de modérer votre langage.

M. Wasseige. - Tout en maintenant mon droit, je chercherai à être aussi modéré que possible, dans une matière déjà si délicate.

Revenons donc à Liège.

Et j'ajouterai que l'heureux élu était rédacteur de l'un des journaux officieux les plus importants.

Mais peut-être, l'un de nos honorables collègues, que je regrette de ne pas voir à son banc, pourrait-il nous dire combien la tâche de justifier chaque jour tous les actes du ministère est rude, ingrate et laborieuse, et combien elle mérite d'égards et de récompenses.

Il serait seulement curieux de connaître si le magistrat dont il s'agit a attendu sa nomination pour purger sa condamnation, et si nous allons avoir l'intéressant spectacle d'un officier du parquet devenant prisonnier correctionnel, on bien s'il a demandé et obtenu sa grâce, et si nous n'avons pas eu, dans cette circonstance, une nouvelle édition de l'affaire de Burlet.

Deux poids et deux mesures, les uns pour les amis, les autres pour les adversaires.

Que voyons-nous à Bruxelles, à Anvers, à Bruges, à Courtrai ?

Toujours le même favoritisme, le même esprit de parti, et par suite, des nominations presque exclusivement politiques.

A Bruxelles, le fils d'un honorable sénateur est nommé d'emblée substitut dans un tribunal de deuxième ordre, sans avoir eu le temps de faire ses preuves au barreau, mais ayant probablement perfectionné les études du droit belge par celle des antiquités égyptiennes sur les bords du Nil et sur le dos des chameaux du désert, exercice très propre à faire apprécier l'esprit et les mœurs des nations, à former un excellent diplomate, mais qui n'avait jamais été recommandé pour se préparer aux factions sérieuses de la magistrature.

Autre fait : L'article 64 du décret du 20 avril 1810 sur l'ordre judiciaire porte que pour être nommé juge il faut être licencié en droit, avoir 25 ans d'âge et avoir suivi le barreau pendant deux ans.

Un juge, nommé à Bruxelles, n'avait pas deux ans de pratique au barreau ; le parquet n'a requis son admission à la prestation du serment que sur l'ordre formel de M. Bara.

Il me semble que le premier devoir d'un ministre est d'observer la loi, et que les travaux du candidat soit à un greffe, soit à un parquet, ne peuvent suppléer à la pratique du barreau impérieusement exigée par la loi.

Un journal a beau prétendre que le parquet avait lui-même proposé le candidat dont il s'agit ; cela fût-il, l'erreur du parquet, dont l'attention n'était pas éveillée, n'excuse pas l'illégalité commise par le ministre dont l'attention était appelée sur ce point. .

Voyons Anvers. Dans toutes les grandes villes une fraction du jeune barreau est à la tête de la jeune garde des associations libérales.

M. Allard. - Il y a de jeunes avocats qui sont à la tête des associations catholiques,

M. Wasseige. - Ceux-là le sont d'une manière complètement désintéressée, car ils ne peuvent jamais espérer que leur position soit pour eux un titre aux faveurs de l'honorable M. Bara.

L'association libérale d'Anvers comptait dans son sein plusieurs jeunes avocats peu soucieux d'attendre la clientèle ; trois faisaient partie du comité central : l'un est nommé d'emblée substitut au chef-lieu de la province, les deux autres sont nommés juges de paix. L'un d'eux, singulier exemple donné aux justiciables, était condamné il y a quelques jours, par la Cour d'appel de Bruxelles, à 100 fr. d'amende pour voies de fait envers le bourgmestre du chef-lieu de canton.

Mais, dira-t-on peut-être, le juge de paix dont la cour de Bruxelles a eu à s'occuper si tristement, a été nommé, il y a peu de mois, en remplacement de son père.

Tel est assez l'usage dans les justices de paix comme dans le notariat.

M. le ministre y fait cependant des exceptions ; en voici une bien frappante :

Le juge de paix de Cruyshautem vient à mourir, laissant un souvenir auquel le procureur général près la cour d'appel de Gand a rendu récemment un magnifique hommage. Son fils, avocat distingué du barreau de Gand, recommandable à tous égards et recommandé par les autorités judiciaires, se voit préférer un avocat du barreau d'Audenarde. Le candidat malheureux avait eu l'imprudence de ne pas prendre part aux luttes politiques, si vives dans la Flandre orientale.

Deux autres jeunes juristes, membres de la même association libérale d'Anvers, sont nommés, l'un substitut dans les Flandres, l'autre d'emblée juge dans un tribunal de première classe. Ce dernier, sorti vainqueur de l'épreuve du doctorat après plusieurs assauts infructueux, trouvait dans un oncle ministre d'Etat une compensation à ses infortunes.

Total, cinq membres de l'association libérale, trois du comité, enrôlés dans la magistrature.

Je pourrais étendre considérablement mon examen et mes critiques ; je pourrais aussi parler de certaines nominations faites à Courtrai, à Bruges (page 144) et dans la province de Namur ; presque partout je pourrais signaler la passion politique dominant l'esprit de justice, et les services rendus ou à rendre au ministère, préférés aux titres les mieux établis ; maïs il ne me convient pas de le faire.

J'ai l'honneur de faire partie du tribunal de Namur en qualité de juge suppléant, et je ne trouverais pas convenable de discuter ici mes collègues.

Je n'ai cité que les faits les plus saillants parmi ceux parvenus à ma connaissance. Si je voulais discuter plus complètement les questions de personnes, établir des comparaisons, il y a bien peu de nominations de l'honorable M. Bara qui échapperaient à la critique ; mais je le répète, il ne me convient pas de faire ici une plus longue revue.

J'en ai dit assez, je pense, pour faire voir, dans quelques circonstances importantes, quelles ont été les considérations qui ont dirigé le choix de M. le ministre. Si quelques nominations catholiques viennent émailler cet immense parterre de nominations libérales : « Apparent rari nantes in gurgite vasto »; et je crois être en droit de dire que ces rares nominations ont été faites précisément pour servir de voile, voile hélas ! bien faible et bien transparent, à toutes les injustices que l'on voulait commettre et pallier.

J'en ai dit assez, messieurs, pour vous faire comprendre qu'il me sera impossible de voter le budget de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il me paraît que l'habitude va s'introduire à la Chambre de faite la discussion générale à la fin des budgets. Déjà l'année dernière j'ai cru devoir me plaindre, non sans raison, d'un pareil procédé. Il est évident que, quand on veut discuter les actes d'un ministre, on doit le faire au commencement de son budget.

- Un membre. - Quand on veut.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment quand on veut. Aussi je ne dis pas à l'honorable membre que je ne veux pas lui répondre ; mais, quand une discussion s'est paisiblement écoulée et qu'on vient alors soulever un débat politique qui peut durer très longtemps ; quand on voit surtout ce débat se produire presque immédiatement après la publication d'un journal qui demande à ses amis politiques de ce journal d'émettre sur l'heure un vote de défiance, on peut se demander si l'on n'avait pas oublié tous les crimes du ministre qui est en cause et si l'on s'en serait souvenu sans l'article de ce journal.

Remarquez, messieurs, qu'on ne s'est pas même donné la peine de faire un discours et qu'on s'est borné à copier l'article auquel je viens de faire allusion.

L'honorable M. Wasseige, au nom de la droite probablement, me dit qu'il me refuse un vote de confiance, et il m'assure que c'est à cause des nominations.

Je n'en crois rien. L'année dernière, j'avais fait très peu de nominations, la loi n'était pas votée et l'honorable M. Kervyn, aussi au nom de la droite, me fit une déclaration analogue. Ce n'est pas la loi sur la mise à la retraite des magistrats qui est la cause de cette hostilité ; la vérité, c'est que j'ai le malheur d'avoir dans mon département les questions politiques les plus irritantes, celles qui nous divisent le plus ; c'est que j'ai le malheur, aux yeux de la droite, de devoir appliquer les principes du parti auquel j'ai l'honneur d'appartenir.

Mais, messieurs, voyons si je mérite les accusations de l'honorable membre. Les nominations sont des actes de parti ! Or, messieurs, tout le monde le reconnaîtra, peut-être jamais ministre n'a été moins attaqué par la presse pour ses nominations, à part l'article d'hier.

M. Bouvierµ. - Comminatoire !

M. le ministre de la justice (M. Bara). Comminatoire, si l'on veut.

Je pose en fait qu'il y a eu fort peu d'attaques.

M. Wasseige. - Je le crois bien ; les nominations viennent de paraître.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Voilà qui donne une nouvelle idée de la manière dont l'honorable membre a vu l'ensemble de la question qu'il soulève. Les nominations d'il y a quelques jours sont le complément ces nominations du ressort de Liège, c'est la fin des nominations ; toutes les autres sont faites depuis longtemps. Les Chambres sont rentrées depuis trois semaines, il fallait nous attaquer, nous critiquer dès le début, si nous étions des coupables ; mais non, il a fallu cet article arrivé de Liège pour soulever l'opposition que vous faites en ce moment. Eh bien, je vais discuter avec vous.

La cour de cassation, l'honorable M. Wasseige n'en dit rien ; nous n'en dirons pas davantage.

Pour la cour d'appel, l'honorable membre se plaint que le gouvernement n'ait pas suivi partout la même règle : ainsi pour trois sièges de conseillers, il a pris les candidats qui étaient à la fois présentés par la cour et le conseil provincial ; pour un autre siège, il n'a pas suivi le même système, et il a pris le candidat qui avait obtenu la première candidature de la cour d'appel n'avait pas été présenté par le conseil provincial.

Est-ce là critiquer des nominations ? Prétendez-vous que le gouvernement, sous peine d'être injuste, doit suivre une règle invariable et nommer toujours les candidats qui sont présentés dans telles conditions déterminées ? Mais si la loi donne au gouvernement le droit de choisir entre plusieurs candidats, évidemment il peut prendre même le candidat présenté par un seul corps. Si vous voulez contester ce droit au gouvernement...

M. Coomans. - On ne conteste pas le droit, mais la convenance.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous ne parlez pas du tout de la convenance, vous avez calculé les voix obtenues au conseil provincial et les voix obtenues à la cour d'appel ; vous avez fait le même calcul pour Liège et le même calcul pour le Hainaut et vous avez dit : Vous avez deux poids et deux mesures. Dans un cas, on prend le candidat qui avait réuni les suffrages de la cour et du conseil provincial ; dans l'autre on prend celui qui n'a obtenu qu'une présentation, celle de la cour. Mais vous n'êtes pas venus dire que le candidat qui a été nommé était inférieur à l'autre sous le rapport de la capacité, du mérite et des convenances judiciaires.

Ce n'est que lorsque vous m'aurez démontré cela que vous aurez gagné votre procès, mais pas avant.

L'honorable membre qui m'engage à ne pas faire de politique en fait à son tour. Il a été fait d'autres choix absolument identiques et il n'en parle pas. Il parle uniquement de deux nominations parce que la politique y est de son côté. C'est le bout de l'oreille qui passe.

Tout en se mettant à l'abri de l'opinion de l'honorable M. Dolez, il ferait bien de profiter de ses conseils et de ne pas blâmer le ministre uniquement par raison politique.

Donc, deux nominations sont à critiquer parmi les nombreuses nominations de conseillers à la cour de cassation et à la cour d'appel.

II y en a davantage parmi les membres des tribunaux de première instance. M. Wasseige a critiqué six choix en tout et pour tout. Il s'étonne qu'un substitut de Liège ait été nommé procureur du roi.

L'honorable membre n'a pas été complet dans sa citation de la Gazette ; il oublie de dire que son auteur affirme que ce procureur du roi est très capable, qu'il a beaucoup de connaissances, qu'il est d'opinions modérées et que c'est une des meilleures nominations du ministre. L'honorable M. Wasseige n'a pas lu cette partie de l'article. Mais il m'attaque parce que ce substitut a été nommé directement de substitut à Liège à la place de procureur du roi. Il aurait dû d'abord aller en province.

Je vais vous expliquer, messieurs, ce qu'il en est de cette critique. Il y avait, il y a quelque temps, une place vacante à Hasselt, et ce substitut, qui est nomme procureur du roi à Liège, était en droit d'être nommé à Hasselt. Si je l'avais alors nommé à ce poste, l'honorable M. Wasseige n'aurait eu rien à dire.

Le même fait s'est déjà produit. L'honorable M. Schloss, qui était substitut à Liège, a été nommé procureur du roi à Hasselt et puis substitut du procureur général à la cour de Liège dans l'espace d'une année. Ne venez donc pas prétendre que ce sont là des avancements dus au favoritisme.

Le procureur du roi dont vous parlez n'avait qu'un concurrent sérieux.

M. Delcourµ. - Très sérieux.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Blâmez-moi de n'avoir pas nommé ce concurrent, mais ne dites pas qu'il y a une injustice commise à l'égard d'autres personnes. Discutez les titres de ce concurrent et je m'expliquerai, j'aurais alors à prendre dans les actes de mes prédécesseurs des faits semblables à celui que vous me reprochez.

Autre fait. Un jeune avocat dont on ne conteste pas les capacités, a été nommé substitut dans un siège de province. Il s'est battu en duel, et par conséquent, il ne pouvait pas être nommé.

Messieurs, je reconnais bien volontiers qu'il est très fâcheux pour ce jeune homme de s'être battu en duel et cela n'a pas été certainement un titre pour sa nomination. Mais je demande si, dans l'état de nos mœurs, le fait de s'être battu en duel peut être une cause d'indignité pour entrer dans les fonctions publiques.

M. Coomans. - Dans la magistrature, oui certainement. (Interruption.)

(page 145) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demanderai à l'honorable M. Wasseige qui a été si amer pour le jeune homme dont il s'agit s'il ne trouverait pas dans ses souvenirs des motifs personnels qui lui dicteraient plus d'indulgence.

M. Wasseige. - Je ne suis pas procureur du roi, je n'ai pas été condamné, grâce à l'honorable M. Rogier, qui m'a fait échapper.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez pu, malgré votre duel, être nommé juge suppléant et vous l'êtes encore.

M. Dumortier. - Ce substitut a-t-il subi sa peine ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - N'allons pas enchevêtrer une question dans l'autre. L'honorable membre veut m'attirer sur un autre terrain, en me demandant s'il a été fait grâce à ce substitut qui s’était battu en duel. Je lui répondrai tout à l'heure.

M. Dumortier ; - Ira-t-il en prison ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non. Je puis rassurer sous ce rapport l'honorable membre.

On a critiqué encore, messieurs, la nomination d'un avocat de talent à un siège de substitut en province, parce qu'il est fils d'un sénateur, et l'on a soin de ne s'occuper d'aucune autre nomination de la même localité.

C'est un singulier système que de vouloir empêcher que ceux qui sont parents d'hommes publics soient nommés dans la magistrature. (Interruption.)

Je pourrais, messieurs, citer sur vos bancs des faits plus accentués dans cet ordre d'idées. Je ne veux pas le faire, parce que je trouve qu'il ne convient pas de venir attaquer le gouvernement uniquement parce qu'il nomme un parent d'un homme public. Est-ce parce que cet avocat a parcouru l'Egypte qu'il serait indigne d'arriver à un poste judiciaire ?

M. de Brouckere. - Il a été sur le dos d'un chameau.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais c'est là une preuve que ce jeune homme a cherché, en voyageant, à acquérir des connaissances. J'ajoute qu'il a fait ces voyages en vue de son instruction. Je le déclare, le gouvernement sera toujours heureux de trouver des jeunes gens de talent pour les faire entrer dans la magistrature.

M. Wasseige prétend encore que j'ai nommé un magistrat qui n'avait pas ses années de stage et que cette nomination est illégale. J'engage l'honorable membre à aller devant les tribunaux contester la légalité de cette nomination. Qu'il engage quelqu'un à récuser ce magistrat dans le premier procès venu, et il verra ce que les tribunaux lui répondront. Il ne suffît pas de lire dans un journal que telle chose est illégale pour qu'elle le soit, en effet. L'honorable M. Wasseige qui prend ce qu'il lit dans un journal pour article de foi...

M. Wasseige. - C'est un article de loi.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si vous voulez discuter, je vous prouverai que vous êtes complètement dans l'erreur, que cette nomination est légale, qu'elle est inattaquable. Ce n'est pas seulement mon avis : j'ai soumis la question au procureur général de la cour de cassation. qui a été de mon avis, et au président de la chambre qui devait recevoir le serment ; cette chambre avait le droit de contester la validité de la nomination, la contestation était connue de tout le monde et cependant elle a reçu le serment. (Interruption.) Le procureur général de la cour de cassation a déclaré que cette contestation n'était pas sérieuse.

M. Bouvierµ. - Cela est clair.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ainsi donc, je ne puis qu'engager M. Wasseige à se montrer plus prudent à l'avenir, car tout ce que les journaux disent n'est pas toujours exact.

L'honorable M. Wasseige est venu nous faire des historiettes au sujet de membres de l'association libérale d'Anvers. Il est probable que l'honorable membre est plus au courant des faits que moi, car j'ignore absolument, quant à moi, si les jeunes gens nommés à Anvers sont membres de l'association libérale. M. Wasseige nous a parlé aussi de la nomination de cinq jeunes gens du comité. Eh bien, à ma souvenance, je n'ai nommé que quatre jeunes gens d'Anvers. (Interruption.) Je ne veux rien affirmer, parce que ma mémoire ne me sert peut-être pas bien, mais je le crois.

L'honorable M. Wasseige a enfin critiqué la nomination d'un juge de paix qui vient d'être condamné par la cour d'appel à 100 fr. d'amende.

Je ferai remarquer d'abord que cette nomination est ancienne, qu'elle est bien antérieure à la loi sur la mise à la retraite des magistrats.

M. Wasseige. - De qui émane-t-elle ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - De moi, mais quelle conclusion voulez-vous en tirer ? Prétendriez-vous que tous les magistrats nommés par vos amis soient impeccables ? (Interruption.) Un ministre peut-il répondre que jamais un magistrat qu'il a nommé ne commettra un délit ni une contravention ? Ce serait excéder le pouvoir humain.

Ce magistrat était très capable et j'ai été très étonné de voir un jeune homme de sa valeur demander une place de juge de paix dans une localité de la Campine. S'il y a des membres du barreau d'Anvers dans cette enceinte, ils comprendront mon étonnement.

M. Jacobsµ. - Laissez les avocats du barreau d'Anvers en dehors de ce débat.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous appartenez au barreau d'Anvers, eh bien, je crois que vous ne contesterez pas la valeur de ce candidat.

M. Jacobsµ. - Il ne saurait me convenir de débattre la personnalité d'un confrère avec qui j'ai fait une partie de mon stage.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement, pour défendre ses choix, n'a pas d'autres moyens que le rapport des autorités judiciaires et l'opinion du barreau, il s'en sert. Il ne suffit pas de venir dire d'une manière vague : Cet homme ne convient pas. Quand le gouvernement établit que son candidat est convenable et capable, il a satisfait à son devoir.

M. Wasseige, en parlant de la condamnation de ce juge de paix, a oublié de vous dire, d'ailleurs, qu'il avait été condamné à la suite d'une rixe où l'honneur de son père était en jeu, et que la cour d'appel, tenant compte de cette circonstance, avait fait de la loi l'application la plus douce possible. (Interruption.) Ce magistrat, dans une circonstance où il croyait l'honneur de son père engagé, a eu un mouvement coupable, mais qui peut s'expliquer, et il n'y a dans l'acte qu'il a posé rien de flétrissant et qui puisse impliquer l'idée que ce magistrat ne remplira pas convenablement ses fonctions.

M. Wasseige n'ayant pas parlé de Namur, je n'en parlerai pas non plus et je crois pouvoir me résumer en disant qu'on n'a rien attaqué des nominations dans l'ordre supérieur de la magistrature sauf, quelques choix qui n'auraient pas été faits selon des règles inadmissibles et que les critiques à propos des nominations inférieures se bornent à cinq ou six.

La réponse que je viens de faire à ces critiques sera, je pense, de nature à satisfaire la Chambre et le pays.

Le pays reconnaîtra que la loi si importante qui devait mettre en mouvement tant de passions a été exécutée avec le plus grand calme. Et je dois ici rendre à la magistrature cet hommage, que, malgré toutes les excitations, toutes les attaques dirigées contre la loi, elle l'a exécutée avec la plus grande dignité.

Les magistrats frappés se sont néanmoins exécutés avec la plus grande loyauté. Je suis convaincu que dans la magistrature comme dans le pays, tout le monde est persuadé que la loi produira de salutaires effets.

M. Dumortier. - Je ne puis pas laisser se terminer ce débat sans dire quelques mots sur la question si importante qui vient d'être traitée. Au dire de l'honorable ministre de la justice, les observations présentées par mon honorable ami M. Wasseige seraient complètement sans fondement, et toutes les nominations auraient été faites avec un sentiment complet d'impartialité. Il n'a pas dit le mot, mais il l'a donné à entendre.

Eh bien, il est un fait que le pays entier connaît : c'est que jamais, à aucune époque depuis 1830, une partialité aussi scandaleuse n'a présidé à des nominations. (Interruption.)

Vous riez parce qu'elle a eu lieu à votre profit, mais je ne partage pas votre sentiment et je répète que, depuis 1830, aucun ministre ne s'est permis une série de nominations portant le cachet d'une aussi scandaleuse partialité.

Aussi l'honorable ministre de la justice devrait fort s'étonner d'avoir l'appui de la droite parlementaire.

On vous dit : Ces nominations n'ont pas été critiquées ! mais vous n'avez donc pas lu les journaux ? Mais depuis le premier arrêté il n'y a dans la presse qu'un concert de récriminations contre vos nominations. Qu'est-ce en effet que vos nominations ? C'est la droite tout entière, non la droite parlementaire, mais les hommes qu'elle représente mis hors la loi et flétris comme s'ils étaient incapables de figurer dans l'ordre judiciaire ; c'est la magistrature flétrie après avoir été décapitée. (Interruption.)

Oui, après l'avoir décapitée, on la flétrit. Aujourd'hui on lui ôte ces couleurs de virginité qu'elle devrait toujours garder ; on fait de la magistrature un instrument de parti et on dit à la moitié de la Belgique : (page 146) Quand vous paraîtrez devant les tribunaux vous serez condamnée. Eh bien je le demande : comment faut-il apprécier un pareil résultat ?

Ah ! je dois le dire, l'honorable prédécesseur de M. Bara n'entendait pas les choses de cette façon.

MfFOµ. - Vous l'avez également attaqué pour ses nominations.

M. Dumortier. - Il savait faire respecter la sainteté de l'hermine des magistrats.

Aujourd'hui, on en est venu à ce résultat qu'à quelques rares exceptions près, et que l'on pourrait aisément compter sur ses dix doigts, tous les hommes de l'opinion conservatrice, les avocats les plus distingués ont été repoussés des places auxquelles leur talent, leur mérite, leur capacité leur donnaient des litres incontestables.

Vous direz que les hommes de votre choix étaient capables ; soit, mais n'y en avait-il pas également dans l'autre camp ? Et cependant vous en avez systématiquement repoussé. Vous avez divisé la Belgique en vainqueurs et vaincus ; aux vainqueurs, des dépouilles opimes ; à nous, l'ostracisme.

Voilà le résultat de cette déplorable mesure, et ce résultat, messieurs, est vraiment épouvantable pour l'honneur de la patrie, car lorsqu'il n'y a plus de justice dans un pays, il n'y a plus rien.

Vous avez entendu, messieurs, un des principaux organes de votre parti dire en prenant possession du fauteuil de la présidence d'une de nos cours d'appel, qu'il fallait qu'à l'avenir la magistrature reniât tous ses précédents et qu'elle fît désormais de la politique.

Faire de la politique au sein de la magistrature, mais, messieurs, c'est flétrir les uns et donner gain de cause aux autres. Le magistrat auquel je fais allusion a essayé, il est vrai, de pallier ce qu'il avait dit sur le rôle politique que devrait remplir la magistrature, mais il ne s'est pas moins exprimé en ces termes : « La magistrature doit s'occuper de politique ; la magistrature doit rompre avec ses précédents. »

Eh bien, je vous demande, messieurs, si c'est là un langage digne d'un magistrat aussi haut placé.

Il faut en convenir, messieurs, nous sommes bien loin d'il y a deux ans. Il y a deux ans, à pareil jour, un homme de 1830, un homme dont le nom restera attaché à notre histoire...

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - M. Tielemans est aussi un homme de 1830.

M. Dumortier. - Oui, mais celui dont je parle y touche de plus près et il a rendu, depuis, d'immenses services au pays. Eh bien, messieurs, cet homme s'exprimait ainsi dans la séance du 22 novembre 1866 :

« Il faut des hommes modérés, il en faut à tout prix. Eh bien, qu'on les cherche, et s'il répondent aux vœux de la majorité du pays, qu'on les prenne, ce n'est pas nous qui y mettrons obstacle. »

Et plus loin :

« Il y a, je le reconnais, quelque chose de pénible dans la situation ; il y a dans le pays une espèce d'irritation plus grande, plus réelle que celle de 1841 ; je ne le nie pas. Notre devoir serait de calmer cette irritation, nous ne voulons rien faire, rien entreprendre pour exciter davantage les esprits. »

Nobles paroles sorties de la bouche de l'honorable M. Rogier, pourquoi n'avez-vous pas été suivies d'effet ? Pourquoi faut-il qu'une mesure comme celle dont nous nous occupons soit venue exciter les esprits, les agiter profondément et jeter la division dans le pays ?

M. Orts. - Je ne veux dire qu'un seul mot pour répondre à une attaque toute personnelle à laquelle vient de se livrer M. Dumortier contre un honorable magistrat qui n'est pas ici pour se défendre.

M. Dumortier. - Je n'ai pas attaqué sa personne ; j'ai cité un passage de son discours ; c'est officiel, c'est imprimé.

M. Orts. - Oui, c'est très officiel, mais je rappellerai à l'honorable M. Dumortier qu'il y a quelques jours lorsque M. le ministre des finances citait une parole imprimée et officielle aussi, sortie de la bouche de l'honorable membre à une autre époque, il lui a répondu, traduisant un peu librement le latin judiciaire, qu'il était incivil de juger tout un discours sur un mot.

Je me borne donc à renvoyer l'honorable M. Dumortier à ses réflexions de l'autre jour, pour toute réponse à ce qu'il vient d'extraire d'un fragment du discours de l'honorable magistrat auquel il a fait allusion.

Oui, messieurs, ce magistrat a dit qu'il est bon que, rompant avec ses précédents, la magistrature s'occupât de politique, mais il a eu soin d'ajouter immédiatement de quelle politique, Et tout son discours lu sans prévention et sainement compris proteste contre l'interprétation qu'en a donnée l'honorable M. Dumortier en n'en citant qu'un mot, tout officiel qu'il soit,

J'ajoute une dernière parole ; l'homme dont le discours paraît autant que les nominations déplaire à l'honorable M. Dumortier, a été porté à la tête de la cour d'appel de Bruxelles par l'unanimité des suffrages de ses collègues moins un bulletin blanc, bien que dans le personnel de cette cour il y ait encore des hommes qui partagent en politique la manière de voir de l'honorable membre. Mais ces magistrats respectables et respectés, s'ils partagent les convictions de l'honorable M. Dumortier, ne s'associent nullement à ses exagérations.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Wasseige avait commencé par des détails, il a attaqué quelques nominations, et je lui ai répondu. L'honorable M. Dumortier, lui, pose le principe : tout est mauvais ; toutes les nominations ont été faites dans un esprit de parti ; les catholiques sont des parias ; les demandes des avocats les plus distingués de son parti ont été systématiquement repoussées. Mais, messieurs, je demande où sont les martyrs. Il ne suffit pas de dire : Il y a des martyrs ; il faut les nommer.

Ah ! votre rôle est vraiment trop facile !

Toutes les nominations que j'ai proposées sont politiques, dites-vous ; et vous vous abstenez de le prouver. Moi, je prétends que le gouvernement n'a demandé à aucun candidat s'il était libéral ou catholique. Vous venez affirmer que tous les magistrats nommés sont des francs-maçons, des libéraux, des membres d'associations libérales ; mais où donc allez-vous chercher tout cela ? Vos investigations vous donnent-elles raison ? Je n'en sais rien ; je n'ai pas à m'en occuper. Par cela seul qu'un homme est nommé par le gouvernement, vous en concluez qu'il est libéral. Mais l'honorable membre sait parfaitement bien pourtant que j'ai nommé au tribunal même de la ville qu'il habite un homme qui appartient notoirement à son opinion, ce qui m'a valu des attaques de la part de mes amis politiques.

Ne venez donc pas dire que le gouvernement n'a pas de modération ; et vous qui parlez de la politique antérieure à celle qui est actuellement au pouvoir, avez-vous donc oublié que sur sept membres dont se compose le tribunal de première instance de Tournai, il y avait cinq magistrats appartenant à l'opinion cléricale et qui dans les élections marchaient drapeau déployé et signaient les circulaires électorales.

Voilà votre œuvre. (Interruption.) Et le lendemain, lorsque j'ai eu à répondre à de pareils actes, qu'ai-je fait, de quelles représailles ai-je usé ? J'ai été prendre dans vos rangs un homme bien connu par ses convictions catholiques, et je l'ai nommé juge au tribunal de Tournai.

M. Dumortier. - Un !

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Un, dites-vous ; mais que ne faites-vous comme l'honorable M. Wasseige, que ne citez-vous des faits ? Je vous répondrais. Mais non, on aime mieux, et je le comprends, se renfermer dans des généralités, et c'est ainsi qu'on formule et qu'on justifie une accusation dirigée contre le gouvernement d'agir systématiquement dans un esprit de parti !

Il est facile de dire : Tout est politique, tout est partialité. Il est moins facile de le prouver. Mais qu'importe ? Au point de vue électoral cela suffit, et on se contente de dire : Tout ce que le gouvernement fait est dicté par l'esprit de parti. C'est un rôle qui ne coûte absolument rien, mais est-il juste ?

Si vous croyez que les nominations ont été faites contrairement aux exigences de la justice, attaquez d'une manière précise, je vous répondrai. Si vous prétendez qu'il y a des martyrs, des hommes dont les droits auraient été méconnus, signalez-les. Mais non ; vous vous renfermez dans des attaques générales, et dès lors j'ai le droit de dire que vous n'avez rien prouvé du tout.

Vous avez voulu me mettre en opposition avec ce qu'avait fait mon honorable prédécesseur ; vous avez dit que M. Tesch n'agissait pas comme M. Bara ; que M. Tesch nommait des hommes modérés, des hommes qui n'étaient pas des hommes de parti.

Eh bien, vous avez dirigé les mêmes accusations contre mon honorable prédécesseur ; vous lui avez reproché d'avoir nommé des condamnés ; vous avez débité les mêmes discours, les mêmes tirades contre les nominations de M. Tesch. Au surplus, messieurs, avant que les nominations parussent au Moniteur, vos journaux annonçaient que des fournées de nominations de créatures du gouvernement allaient avoir lieu, Vous continuez cette tactique ; ce n'est qu'une tactique ; vous ne pouvez pas. sérieusement attaquer les nominations qui ont été faites dans (page 147) l'intérêt de la justice et, je puis le dire, avec la plus grande impartialité ; vous les attaquez par tactique ; et voilà tout.

- La discussion est close.


M. le président. - Il va être procédé au vote par appel nominal sur l'article unique du projet, ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère de la justice est fixé, pour l'exercice 1868, à la somme de quinze millions cinq cent deux mille cent quarante-huit francs (15,502,148 fr.), conformément au tableau ci-annexé. »

- L'appel nominal donne le résultat suivant :

85 membres prennent part au vote.

54 votent l'adoption.

31 votent le rejet.

En conséquence le budget est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption :

MM. Van Humbeeck, Van Iseghem, Vermeire, Vleminckx, Watteeu, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, de Lexhy, d'Elhoungne, de Macar, de Maere, de Moor, de Rossius, Descamps, de Terbecq, Dethuin, de Vrière, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Lambert, Lange, Lelièvre, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Preud'homme, Rogier Sabatier, Valckenaere, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen et Dolez.

Ont voté le rejet.

MM. Van Hoorde, Van Renynghe, Verwilghen, Wasseige, Wouters, Coomans, de Haerne, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Liénart, Magherman, Notelteirs, Reynaert, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Thibaut, Thienpont et Vander Donckt.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.