(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)
(page 91) M. Reynaert, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. Reynaertµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Dubois appelle l'attention de la Chambre sur l'opportunité de décréter la mise à la retraite forcée des fonctionnaires civils à un âge déterminé. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Cureghem demandent le prompt achèvement des travaux de la nouvelle gare du Midi à Bruxelles. »
- Même renvoi, avec demande d'un prompt rapport.
« Des habitants de Contich protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice.
« Même demande d'habitants de Saint-Léonard, Merxem et Deurne. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Oignon prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent l'abolition du tirage au sort pour la milice. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dierckx prie la Chambre de statuer sur sa réclamation à charge du département de la guerre. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur sa réclamation.
« Des habitants de Liège présentent des observations relatives à l'organisation de l'armée. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation de l'armée.
« Il est donné lecture d'un message par lequel le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté le projet de loi sur les expropriations pour cause d'utilité publique. »
- Pris pour notification.
« M. le ministre de l'intérieur transmet à la Chambre un exemplaire du compte rendu des séances du conseil provincial du Brabant, session de 1867. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Dolez, empêché par une affaire urgente, demande un congé de deux jours. »
« M. de Lexhy, empêché par une affaire urgente, demande un congé d'un jour. »
- Ces congés sont accordés.
M. Eliasµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les caisses de prévoyance en laveur des ouvriers mineurs.
- Ce rapport fera imprimé et distribué ; son objet est mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Nous sommes restés hier à l'article « douanes », la discussion continue sur cet article et sur l'amendement de M. Couvreur.
MfFOµ. - Messieurs, dans la dernière séance, l'honorable M. Couvreur s'est occupé longuement de la question douanière. En commençant, il a exprimé le regret de ne pouvoir traiter, d'une manière générale, la question de nos impôts, et spécialement de ne pouvoir aborder la question de la suppression des douanes ; il a concentré ensuite toute son action pour faire, sous tous les rapports, la critique de notre tarif actuel.
L'honorable membre a invoqué, pour expliquer la réserve qu'il voulait bien s'imposer, des raisons de prudence qui ne lui permettent pas d'entamer, dans la situation où nous nous trouvons, un débat approfondi sur la question de nos impôts.
J'avoue que je n'ai guère compris cette réserve ; je ne suis par parvenu à découvrir les motifs de prudence qui pouvaient s'opposer à ce qu'on examinât actuellement dans cette Chambre, d'une manière complète et approfondie, quels sont les vices de notre système d'impôts, et s'il convient, s'il est possible de supprimer la douane. Je pense que rien, dans la situation actuelle, n'est de nature à empêcher un pareil examen.
A la vérité, l'honorable membre a allégué que, dans des temps difficiles, lorsque des crises s'annoncent, la modération exige qu'on ne traite pas certaines questions. Mais, messieurs, cette restriction n'est guère en harmonie avec la conclusion de l'honorable membre qui, au moment même où il signale, sous le rapport des denrées alimentaires, une situation qui a un caractère assez regrettable, met précisément cette question à l'ordre du jour. S'il avait été réellement inspiré par les motifs de prudence qu'il a invoqués, il me semble qu'il aurait pu s'abstenir aussi dans ce moment de soulever la question sur laquelle a porté la fin de son discours.
Mais je crois bien plutôt, messieurs, que les véritables raisons de prudence de l'honorable membre, sont celles-ci. Il a parfaitement compris qu'il ne suffit pas de prendre le nom de réformiste pour être un réformateur, et qu'il ne suffit pas de réclamer la suppression des douanes pour recevoir l'approbation de l'opinion publique.
Pour être un réformateur ou un réformiste, il faut tout autre chose. Il ne faut pas avoir seulement ce que, dans une petite église, on appelle le courage de demander la suppression des douanes ou la suppression des impôts en général ; c'est là un genre de courage extrêmement facile. Non, messieurs, cela ne suffit pas : lorsqu'on attaque ouvertement les sources qui alimentent le trésor de la nation, ce n'est point assez de les vouloir tarir ; il faut en indiquer d'autres qui puissent les suppléer.
Sans doute, je crois que l'on trouverait fort peu de partisans de la douane, par amour de la douane elle-même ; ceux qui soutiennent la nécessité du maintien de la douane, le font uniquement parce que c'est un moyen de revenu ; et il semble à beaucoup de gens sensés qu'il en vaut bien un autre.
Mais le principal obstacle auquel on se heurte, l'on veut tenter de supprimer la douane, c'est le chiffre considérable des recettes dont, seule, elle peut assurer la perception, recettes qu'il faudrait demander à d'autres impositions.
Quand on parle de la douane, il ne s'agit pas seulement des quatorze ou quinze millions qu'elle procure au trésor ; mais le système douanier forme un ensemble avec le système d'accise ; l'un ne peut être maintenu sans l'autre ; l'un ne peut disparaître sans que l'autre disparaisse en même temps, et c'est ainsi de 50 millions de revenu qu'il s'agit dans cette question.
Renonçons donc à nous poser en réformistes commodes, faciles, théoriques pour demander la suppression des douanes, et occupons-nous un peu d'indiquer les moyens d'arriver à remplacer les 50 millions de revenus qui sont aujourd'hui acquis au trésor.
En attendant que la prudence ne retienne plus l'honorable membre (page 92) en cette matière, il a voulu s'occuper du tarif. Déjà, messieurs, à plusieurs reprises, mais pas d'une manière aussi complète ni aussi approfondie, l'honorable M. Couvreur s'est occupé du tarif des douanes pour le couvrir de ses critiques. C'est à la suite de ses observations et parce que je voulais rencontrer les erreurs qui avaient été commises par l'honorable membre, que j'ai inséré dans la note préliminaire du budget des voies et moyens un exposé complet des réformes qui ont été accomplies en Belgique, des changements considérables qui ont été introduits dans nos lois douanières. J'étais arrivé à cette conclusion que, tout considéré, nous nous trouvions, dans l'état actuel des choses, avoir un tarif aussi libéral que le tarif d'aucune des nations civilisées qui nous environnent.
J'ai dit également dans cette note les difficultés et les résistances qu'il avait fallu vaincre pour arriver à opérer ces réformes. L'honorable membre semble avoir oublié que nous étions presque seuls à les défendre et à les propager. Les partis politiques s'étaient emparés de la question ; on essayait d'alarmer les intérêts. Nous avons résisté cependant ; nous avons persévéré dans notre voie. Nous n'étions alors soutenus par aucune propagande du dehors. Les meetings économistes n'étaient pas nés. A part un congrès qui avait eu lieu en 1847 en Belgique, aucune espèce de réunion, de meeting n'avait été tenue pour soutenir les efforts que faisait alors le gouvernement. Les meetings réformistes sont venus lorsque tous les principes étaient posés, lorsque la loi sur les céréales était faite, lorsque les droits différentiels, en partie détruits, étaient ébranlés jusque dans leurs fondements.
Messieurs, c'est dans cette situation, le lendemain même de ma rentrée au pouvoir, en 1858, que les meetings économistes sont venus presser le gouvernement d'achever à heure fixe les réformes que nous avions entreprises.
Nous croyons pouvoir dire, messieurs, que nous n'avons pas eu besoin, comme l'a prétendu l'honorable membre, d'être excité par l'opinion publique pour accomplir la tâche que nous nous étions librement imposée ; il n'a pas été nécessaire de nous pousser dans cette voie beaucoup plus que nous ne le désirions, comme il l'a dit également. Nous avons accompli successivement toutes les réformes que nous avions annoncées, dès que le moment opportun était arrivé, et sans le moindre retard.
Mais aujourd'hui, dit l'honorable membre, vous n'êtes plus en avant du mouvement.
De quel mouvement ? Je ne connais que le mouvement pour la suppression des douanes. Veut-on que le gouvernement se mette à la tête de ce mouvement ? A la tête du mouvement pour la suppression des douanes ! Mais le gouvernement se couvrirait de ridicule. Il est permis à des personnes sans responsabilité de demander à grands cris la suppression des douanes. Mais si le gouvernement annonçait que tel est son programme, tous les jours, chaque matin, il serait sommé de l'accomplir immédiatement !
Tel n'est pas, assurément, le rôle du gouvernement. Il vous déclare, au contraire, que, quant à lui, il n'a point encore découvert les moyens de remplacer les 50 millions de revenus que nous possédons.
Mais en attendant, nous dit l'honorable membre, donnez-nous tout au moins un tarif simple, fiscal et pas protectionniste ; que nous ayons au moins cette légère consolation !
L'honorable M. Couvreur a pris pour son idéal le tarif anglais. « Donnez-nous le tarif anglais ! s'écrie-t-il, et nous nous tiendrons pour satisfaits. Le tarif anglais est d'une admirable simplicité. Quand un voyageur se présente à la frontière, la douane lui remet un petit papier qui, en quatre lignes, le met au courant de toutes ses obligations, et tout est dit. Une simple déclaration suffit ; toutes les formalités sont pour ainsi dire supprimées. »
Et pourtant, messieurs, naguère, à l'occasion de l'exposition universelle une motion a été faite au sein du parlement pour demander que l'on dispensât de la visite les bagages des nombreux voyageurs dont on prévoyait l'affluence pour visiter l'exposition. Qu'est-il arrivé ? Le gouvernement s'est opposé à ce qu'on prît une pareille mesure ; il a déclaré que si la visite des bagages n'avait pas lieu, et tous ceux qui ont passé en Angleterre savent que la visite s'y fait comme partout ailleurs, la fraude s'exercerait sur la plus vaste échelle aux dépens du trésor public, et la motion a été abandonnée.
Néanmoins, je reconnais que le tarif anglais est simple ; il n'est pas protectionniste, je l'accorde. Mais qu’on nous demande d'introduire un tarif fiscal à la manière anglaise, voilà ce qui me confond.
Tous les objets de grande consommation, c'est-à-dire de consommation populaire, car ceux-là seuls sont des objets de grande consommation, sont soumis à des droits énormes en Angleterre.
M. de Naeyerµ. - La viande et le poisson ne payent rien en Angleterre.
M. Coomans. - Ni le sel.
M. Bouvierµ. - On a dit cela hier.
MfFOµ. - Je dis que les droits énormes qui figurent dans le tarif anglais s'appliquent tous à des objets de grande consommation ; je ne comprends naturellement pas le sel parmi ces objets de grande consommation....
M. Coomans. - Au contraire.
MfFOµ. - ... puisque j'ai eu l'honneur de dire hier à la Chambre que l'impôt sur le sel est aboli en Angleterre depuis longtemps... (Interruption.) Lorsqu'on discute de bonne foi, on entend les choses pro subjectia materia, comme elles doivent être entendues par l'ensemble de la discussion.
J'entends donc par objets de consommation générale, ceux qui donnent les plus grands produits, et ces objets sont frappés de droits énormes par le tarif anglais, cela est incontestable. C'est qu'on n'en est pas encore arrivé en Angleterre à soutenir précisément les doctrines que l'on défend ici ; tout au moins les chanceliers de l'échiquier ne partagent pas les opinions de plusieurs économistes de cette assemblée ; ils ne pensent pas, notamment, qu'il faille remplacer les impôts indirects par des impôts directs. M. Gladstone, interrogé par un économiste sur ce rpint, répondait : « J'aime la brune et la blonde. » Il tenait pour les deux impôts.
M. Couvreurµ. - C'était un financier qui parlait, et non pas un économiste.
MfFOµ. - Nous allons voir si c'était simplement le financier, et non pas l'économiste.
Examinant de plus près l'influence des impôts de consommation, voici ce que disait le financier ou l'économiste, comme vous voudrez, mais voici ce que disait M. Gladstone, dans son exposé de 1860 :
« Je n'hésite pas à déclarer que c'est une erreur de supposer que le meilleur moyen d'être utile aux classes ouvrières consiste simplement à opérer sur les objets de leur consommation. Si vous voulez leur procurer le maximum de bien, vous devez, de préférence, opérer sur les articles qui leur donnent le maximum d'occupation.
« Qu'est-ce qui a produit le grand changement que leur condition a éprouvé dans les dernières années ? Ce n'est pas ce fait que telle de vos lois a retranché çà et là 1 ou 2 p. par livre (10 ou 21 c. par 25 fr.) sur le prix de quelque article consommé par les classes ouvrières ; ce n'est pas là ce qui a amélioré leur condition, comme on l'a vu durant les dix ou quinze dernières années : c'est que vous avez affranchi leur commerce, c'est que vous avez mis à l'œuvre le moyen d'assurer le champ le plus vaste et la rémunération la plus élevée à leur travail.
« Considérez le grand changement opéré dans la législation des grains ; on peut douter que vous ayez donné au peuple le pain à meilleur marché ; il peut être légèrement moins cher qu'auparavant, ce changement est relativement sans portée ; mais vous avez créé un commerce régulier et constant de quelque chose comme 15,000,000 de livres (375,000,000 de fr.) par an ; par ce commerce, vous avez créé une demande correspondante pour les marchandises dont vous êtes les producteurs, le travail constituant un élément essentiel de leur production, et c'est le salaire que le travail procure ainsi aux ouvriers, ce n'est pas le prix des marchandises à meilleur marché, qui forme le principal avantage qu'ils ont à en recueillir.
« Tel est le principe d'une saine économie politique applicable à la législation commerciale, et c'est d'après ce principe que nous nous engageons à agir. »
Quoi qu'il en soit, messieurs, nous ne croyons pas qu'il soit possible d'avoir un tarif fiscal à la manière anglaise. Mais, dit l'honorable M. Couvreur, ce tarif est d'une parfaite simplicité, tandis que le nôtre est excessivement compliqué ; s'il est réduit chez nous à quelques pages, c'est par une sorte de subterfuge, car il est accompagné de notes et d'un répertoire très volumineux où l'on doit nécessairement aller puiser tous les renseignements nécessaires pour faire une déclaration en douane. Et pour mieux faire saisir cette énorme différence, l'honorable membre, exhibe de la poche de son gilet le petit tarif anglais dont j'ai ici un spécimen, et l'oppose à ce tarif belge formant un petit volume in-8°. Voilà, dit-il, la distance qui sépare la Belgique de l'Angleterre : la plus grande simplicité d'une part, une extrême complication de l'autre. Et cependant, toujours d'après l'honorable membre, nous nous(page 93à abîmons dans la contemplation de notre œuvre ; nous nous complaisons dans l'admiration de ce tarif officiel de la Belgique ; nous le considérons presque comme un chef-d'œuvre. Nous le croyons tout au moins d'une rare perfection et nous nous imaginons que désormais il n'y a plus rien à faire. Voilà le thème de l'honorable M. Couvreur.
Eh bien, messieurs, je suis obligé de confesser que je n'ai pas cette excellente opinion du tarif belge ; sans doute, je le crois aussi bon que ceux des autres nations, je crois qu'il peut leur être avantageusement comparé, et qu'il peut soutenir la comparaison, même avec le tarif anglais. Mais quant à déclarer qu'il n'est pas susceptible de perfectionnement ou d'amélioration, qu'on ne peut désormais y introduire aucun changement, qu'il ne peut donner lieu à aucune espèce de critique, je ne me suis jamais permis une pareille exagération, et l'honorable M. Couvreur s'est donné une peine fort inutile en me prêtant, en cette matière, les sentiments d'une satisfaction que je n'éprouve en aucune façon.
Mais nous disons une chose qui nous paraît assez rationnelle ; nous disons que ce tarif vient à peine d'être publié (il n'a été imprimé qu'en 1866) ; que ce n'est pas précisément à cette heure qu'il faut commencer à le réformer, et qu'il est permis de demander, sans trop d'exagération, d'attendre encore un peu pour le modifier.
Toutefois, messieurs, je maintiens l'assertion consignée dans la note préliminaire du budget des voies et moyens, que le tarif belge, tel qu'il est, est l'un des meilleurs qui existent et qu'il répond à tout ce que les idées libérales peuvent actuellement réclamer.
On vous a dit, messieurs, qu'il n'en était rien, que nous nous trompions, et l'on a cru triompher de nous en opposant à notre publication le tarif minuscule de l'Angleterre, dont je vous parlais tout à l'heure.
L'honorable membre nous a dit qu'il s'était adressé au Board of trade pour obtenir ce document ; dès lors il était bien convaincu de son authenticité.
On veut bien convenir que nous pourrions également, si nous le voulions, concentrer notre tarif proprement dit en quelques pages et que nous serions ainsi à peu près au niveau du tarif anglais. Mais, nous dit-on, il y a un obstacle ; ce serait un document incomplet ; on ne peut séparer le tarif belge du répertoire, ce qui établit une notable différence entre les deux positions.
Eh bien, j'ai eu l'honneur de dire à l'honorable membre en l'interrompant hier, et je le prie de m'excuser, qu'il ne connaissait le tarif anglais que de vue. (Interruption.) Il ne le connaît pas intimement, il ne l'a pas approfondi. J'ai eu l'honneur de lui dire l'an passé, en l'interrompant encore lorsqu'il critiquait le même répertoire, que cela existe également en Angleterre ; il a néanmoins prétendu qu'il n'en était rien.
Eh bien, l'honorable membre se trompe complètement. Un répertoire des marchandises existe en Angleterre comme ici, et cela se comprend parfaitement, car c'est là un complément du tarif.
S'il a reçu du Board of trade ce petit livret qui est dans le commerce, qui est l'œuvre d'un particulier et non de l'administration des douanes, c'est qu'on lui a remis le tarif des économistes et non celui des négociants.
Si ce petit tarif à l’usage des économistes était exact et complet, on aurait, je le reconnais, fait en Angleterre une fort belle réforme ; mais quand les négociants se trouvent devant la douane, ils ont à faire absolument ce que l'on a à faire ici.
Si nous voulions imprimer séparément notre tarif, sans lui donner d'annexe, nous le ferions aussi, comme je le disais tantôt, sous un très petit volume. Nous aurions pu faire cette petite mystification au public. Maïs d'autre part, si l'on voulait imprimer tous les documents qui constituent l'ensemble du tarif anglais, c'est-à-dire en y joignant les annexes indispensables, il serait aussi volumineux que le nôtre, qui ne l'est guère beaucoup, cependant, il faut en convenir.
Le répertoire qui est joint à ce tarif des douanes contient des renseignements dont le commerce ne saurait se passer, sans de graves inconvénients. C'est un recueil méthodique qui rend pour les agents et pour les particuliers les déclarations simples et faciles, et dont la publication a eu pour résultat d'éviter bien des plaintes et des réclamations qui se produisaient autrefois, à défaut d'avoir des nomenclatures aussi bien faites, aussi complètes. Mais il est indubitable qu'à l'aide du tarif seul et des notes qui l'accompagnent, l'application des droits peut être faite à toutes les marchandises, sauf que l'on serait dans l'obligation de dire aux déclarants : Donnez-vous la peine de rechercher vous-mêmes dans quelle forme, sous quelles dénominations, sous quelles unités vous devez faire la déclaration des articles que vous présentez en douane.
Il importe aussi de remarquer, messieurs, que ce n'est pas seulement dans le but d'opérer la perception que ce répertoire est dressé ; il l'est aussi afin de pouvoir établir la statistique commerciale ; sans cela la statistique commerciale serait impossible, et c'est à ce titre, c'est pour assurer la statistique que le répertoire existe également en Angleterre.
En Angleterre on oblige le public à faire les déclarations conformément aux divisions, aux subdivisions, aux classes indiquées dans la nomenclature des marchandises.
Je puis mettre à la disposition de l'honorable membre le tableau des articles à l'importation et le tableau spécial de l'exportation, car, en Angleterre, où tout n'est pas toujours extrêmement clair, il se trouve que le tarif à l'importation diffère de celui à l'exportation, ce qui, l'honorable M. Couvreur voudra bien le reconnaître, n'est pas précisément une simplification, et ce qui rend certainement les déclarations très difficiles à former. Voici ces tableaux, messieurs. Je crois que cela ne ressemble pas mal au volume contenant le tarif belge que l'honorable membre a fait voir hier à l'assemblée.
Par des ordres en conseil, on a indiqué tout ce que les négociants et les particuliers ont à faire pour formuler une déclaration en douane.
Voici le préambule de ces tableaux :
« Je suis chargé par le conseil des douanes de vous transmettre pour votre gouverne, à partir du 1er janvier 1861, le tableau ci joint des marchandises importées dans le Royaume Uni, lequel indique les dénominations qui doivent les distinguer, les énumérations de quantité ou de valeur à inscrire en face de chacune d'elles dans les déclarations, et les taux de droits qui leur sont applicables.
« Je vous transmets en même temps copie de l'ordre du conseil des douanes du 27 courant et d'un avis aux négociants, que vous devrez faire afficher à la douane de votre part et distribuer aux négociants, courtiers ou agents commerciaux au prix de 3 d. (0 fr. 31c.). »
Ordre du 27 décembre 1800 :
« Le conseil des douanes, ayant pris en considération l'importance de se procurer des informations exactes pour la préparation des tableaux statistiques, a fait préparer un nouveau tarif des marchandises d'importation, indiquant la manière dont chaque article doit être déclaré par le négociant.
« Il importe que les employés au débarquement fassent comprendre aux importateurs la nécessité de déclarer exactement leurs marchandises comme dénomination et comme valeur approximative, pour éviter toute discussion et tout retard. »
Puis vient un avis destine à éclairer les négociants et leurs agents sur leurs obligations vis-à-vis de la douane ; il est ainsi conçu :
« En publiant un nouveau tableau des marchandises d'importation étrangère, rendu nécessaire par les récentes modifications apportées au tarif des douanes, le conseil des douanes appelle l'attention des négociants et de leurs agents sur les dénominations inscrites à ce tableau comme étant celles sous lesquelles les marchandises devront, à l'avenir, être déclarées.
« En préparant ce tableau, le conseil des douanes a eu en vue, d'une part, de faire jouir les négociants du plein avantage de la simplification apportée dans le tarif et de leur épargner à eux et à leurs commis toute peine inutile, et c'est ainsi que plus de deux cents sous-divisions d'articles ont été effacées du tarif. D'autre part, le conseil a voulu rendre aussi complète et aussi exacte que possible la statistique commerciale du pays, car c'est un objet que le conseil de commerce et le gouvernement ont spécialement à cœur,
« Le conseil des douanes espère que les négociants recommanderont expressément à leurs commis et à leurs agents de déclarer les marchandises sous les dénominations voulues et d'en indiquer la valeur réelle autant qu'elle leur sera connue. »
Or, messieurs, savez-vous combien il y a de classes dans ce tarif anglais, ou plutôt dans ce répertoire qui forme le complément du tarif anglais ? lI ne renferme pas moins de 345 rubriques divisées en 870 classes, sous lesquelles les marchandises doivent être déclarées par les importateurs,
Il mentionne, entre autres, 477 espèces de produits assimilés à ceux qui sont dénommés dans les classes que je viens d'indiquer ; et le tout est terminé par une rubrique « articles non dénommés » subdivisée en deux classes : « articles fabriqués en tout ou en partie » et « articles non fabriqués en tout ou en partie. »
Et ce n'est pas tout, messieurs ; comme je viens de le rappeler, les (page 94) subdivisions pour les marchandises provenant du sol et de l'industrie de l'Angleterre et qui sont exportées, ne sont pas les mêmes que les subdivisions pour les importations. Un autre ordre en conseil, annexé à celui que je viens d'indiquer, détermine les divisions et subdivisions d'articles requises par la douane en pareils cas.
J'avais donc raison de dire que l'honorable M. Couvreur n'avait qu'une connaissance très imparfaite du tarif anglais, puisqu'il a cru qu'il se composait uniquement de cette nomenclature d'articles imposés dont il vous a parlé.
M. Couvreurµ. - J'ai dit tout juste le contraire.
MfFOµ. - Vous avez dit tout juste le contraire ? Mais il me semble que votre critique a porté sur ce répertoire qui existe chez nous, et qui n'existerait pas en Angleterre.
M. Couvreurµ. - Je répondrai.
MfFOµ. - J'en suis convaincu et je désire que vous le fassiez d'une manière péremptoire. Mais je pense que l'assemblée restera convaincue que l'honorable M. Couvreur a erré lorsqu'il a critiqué notre tarif en le représentant comme compliqué d'un répertoire dont ne serait pas accompagné le tarif anglais... Je viens d'apporter des preuves écrites qu'il était, sons ce rapport, dans une erreur complète, et j'ajoute que les classifications anglaises sont de beaucoup plus compliquées, plus obscures, plus imparfaites que celles du tarif belge.
Mais, aux yeux de l'honorable membre, il a tout au moins un grand avantage, ce tarif anglais ; c'est qu'on ne peut pas en rire, tandis que le tarif belge prête singulièrement à la plaisanterie.
Vous avez entendu hier, messieurs, les plaisanteries, d'ailleurs très spirituelles, de l'honorable membre : parlant de ce qui se trouve dans notre répertoire, il a livré aux sarcasmes de la Chambre les chevaux qui boivent dans leur blanc, qui sont marqués d'un épi, dont la robe est couleur isabelle, café au lait ou soupe au lait teintée d'un jaune d'œuf, etc.
Tout cela est très plaisant, en effet ; mais l'honorable membre penec-t-il qu'il n'existe pas quelque chose de ce genre dans le tarif anglais ? Rien de plus facile que de rire d'un tarif, rien de plus facile encore que de rire des instructions qu'il faut donner pour son application ; je reconnais qu'avec un peu de bonne volonté, les détails dans lesquels on est obligé d'entrer prêtent singulièrement à la plaisanterie. Mais enfin les Anglais, qui sont essentiellement sérieux, ont aussi, dans leurs nomenclatures, certaines minuties que, pour ma part, je trouve assez plaisantes.
J'y trouve, par exemple, les allumettes chimiques, qu'il faut distinguer selon qu'elles sont en bois (Lucifer) ou en cire (Vesta). J'y trouve les amandes amères, les amandes douces de première qualité et de Malaga qui doivent être déclarées à la douane avec ces distinctions. J'y trouve aussi les balais et les brosses, les bouchons de liège cassés, ou disposés pour être arrondis, et les bouchons pour la pêche ou pour d'autres usages.
J'y trouve encore les boyaux de vers à soie pour la pêche. (Interruption.)
Oui, messieurs, des boyaux de vers à soie pour la pêche. J'y trouve, à l'article « cuirs ouvrés » les bottes et les souliers, c'est naturel ; mais cela se divise d'abord en bottines, brodequins et souliers pour femmes, puis en bottines, brodequins et souliers à semelles simples et à semelles doubles ; même distinction pour les hommes, et de plus, pour ceux-ci, les bottes ayant une hauteur de plus de neuf pouces et les bottes ayant une hauteur de moins de neuf pouces doivent être soigneusement distinguées et déclarées. J'y trouve les souliers et les tiges de bottes qu'il faut distinguer selon que la partie antérieure a plus ou moins de neuf pouces. (Interruption.)
J'y trouve enfin le jalap, les jambons, les muscades, les oignons, les osiers pour vanniers, divisés en deux classes, osiers pelés et osiers non pelés (Interruption) ; les pierres à rasoir et les planchettes pour la fabrication des petites boîtes, les saucissons, etc., etc.
Ainsi, messieurs, rien de plus facile que de se donner le plaisir de rire de certains articles qui se trouvent dans le tarif anglais ; mais il est vrai que l'honorable membre ne s'est pas occupé de cela, soit qu'il n'eût pas connaissance des annexes du tarif anglais, soit qu'il s'attachât spécialement au tarif seul, qu'il exalte un peu trop, selon moi. Voyons, en effet, s'il y a lieu de recommander spécialement ce tarif comme exemple, à l'attention des gouvernements.
Je trouve dans ce tarif, comme soumis au payement de certains droits, la pâte d'amandes, les bonbons et les dragées, les cartes à jouer, le chloroforme, le collodion, les dés à jouer, et même le vernis grevé d'un droit qui pourrait bien passer pour un droit protecteur. Ce sont là tous articles qui déparent le tarif anglais et qui, dans le tarif belge, seraient assurément l'objet des critiques et des plaisanteries de l'honorable M. Couvreur.
Mais ce n'est pas tout : le régime anglais consacre encore des prohibitions, que nous ne rencontrons plus dans notre tarif ; il impose des conditions et des restrictions à l'importation de diverses marchandises ; il grève en outre de droits énormes des denrées qui devraient même être exemptes de toute taxe dans l'ordre d'idées de l'honorable M. Couvreur ; je ne puis donc pas me résoudre à partager l'admiration complète, sans réserve, qu'il professe pour le tarif anglais.
L'honorable M. Couvreur s'est attaché à faire connaître à la Chambre l'influence que la réforme des tarifs a exercée sur le mouvement commercial de la France ; il a dit combien ce mouvement s'est développé dans ce pays, depuis l'introduction de la réforme douanière.
J'aurais, messieurs, en fait de statistique, beaucoup de réserves à faire ; je pourrais, en comparant les chiffres de la statistique belge et de la statistique française, montrer des anomalies extraordinaires.
Quoi qu'il en soit, je veux bien, pour un moment, admettre, avec l'honorable M. Couvreur, ces statistiques comme exactes, et comparer d'après leurs données, l'extension prise par le commerce français avec le développement du commerce et de l'industrie de la Belgique durant ces vingt dernières années. Nous nous assurerons ainsi que la réforme de notre tarif n'a pas été sans résultat sur la prospérité de la Belgique.
(Les Annales représentent ensuite un tableau comparatif de la valeur des importations et des exportations, générales et spéciales, en 1847 et en 1865, pour la France et la Belgique. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
(page 95) Ces chiffres me paraissent avoir une telle éloquence, qu'ils dispensent absolument de tout commentaire.
Mais, après avoir établi cette comparaison entre la France et la Belgique, il ne sera pas sans intérêt d'examiner si nous sommes restés bien loin du développement industriel et commercial de l'Angleterre, Je vais montrer qu'en général nous nous sommes rapprochés beaucoup de l'Angleterre, et que même, pour ce qui concerne les importations générales, nous l'avons dépassée.
(Les Annales représentent ensuite un tableau comparatif de la valeur des importations et des exportations, générales et spéciales, en 1847 et en 1865, pour la France et l’Angleterre. Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée.)
Messieurs, nous n'avons pas, ce me semble, trop à regretter les tarifs sous l'empire desquels l'industrie et le commerce se sont développés en Belgique comme nous venons de le voir.
Mais, si l'honorable M. Couvreur recommande d'abord la simplification des tarifs, puis ensuite et surtout la suppression des douanes, c'est que pour lui la suppression des douanes et la suppression de l'armée, c'est tout un ; ce sont les deux termes d'une même proposition.
Car, selon l'honorable membre, bien entendu, dès que vous aurez supprimé la douane, vous n'aurez plus besoin d'armés. Notre pays va être tellement riche, tellement heureux, tellement prospère, que les convoitises séculaires dont la Belgique a été l'objet viendront à disparaître comme par enchantement. Quant à moi, je l'avoue en toute humilité, j'avais la naïveté de croire, au contraire, que si la richesse de la Belgique s'accroissait dans les proportions qu'on indique, il se pourrait bien qu'elle fût plus convoitée encore qu'elle ne l'a été dans les temps passés. (Interruption.)
Et maintenant, messieurs, pour revenir au sujet qui nous occupe, quelle a été la conclusion du discours de l'honorable M. Couvreur ? Desinit in piscem. (Interruption.) Après avoir parlé de la suppression des douanes, après avoir montré cette suppression comme pouvant seule assurer le bien-être des populations, il a conclu simplement à quoi ? A la suppression du droit d'entrée sur le poisson ! 100,000 fr. ! J'avoue que la conclusion est un peu maigre. (Interruption.)
M. Coomans. - Le calembour est gras.
MfFOµ. - Ce qui paraît plus extraordinaire encore, c'est qu'après les sentiments de prudence que l'honorable M. Couvreur avait exprimés au début de son discours, il ait cherché à justifier sa proposition comme il l'a fait devant la Chambre. Le pain est cher, a-t-il dit ; la viande est chère ; les pommes de terre sont chères. Nous sommes menacés pour l'hiver d'une situation difficile. Eh bien, conservons toutes les recettes que peuvent nous procurer les droits de douanes établis sur des denrées de première nécessité, mais, pour satisfaire le pauvre peuple, supprimons les droits sur les huîtres, sur les homards, sur le saumon, sur le turbot ! (Interruption.)
Voilà ce que l’honorable membre convie la Chambre à faire. Je suis convaincu que la Chambre se refusera à s'associer à une aussi amère, à une aussi cruelle dérision.
M. Thonissenµ. - Il y a deux ans, j'ai appuyé une proposition de suppression du droit d'entrée sur le poisson, et cependant je voterai aujourd'hui contre l'amendement de l'honorable M. Couvreur. Je me bornerai à motiver mon vote et à me disculper, par avance, du reproche d'une apparente inconséquence.
En principe, mes opinions en matière de douanes sont les mêmes que celles du député de Bruxelles. Je voudrais qu'on pût faire disparaître immédiatement le droit d'entrée sur toutes les substances alimentaires sans exception. Il y a là, je le sais, un intérêt national bien entendu. Mais un autre intérêt national, un intérêt majeur que la Chambre ne saurait pas perdre de vue, c'est de maintenir le trésor public, les finances nationales dans une situation prospère. Ici toutes les classes de la société se trouvent sur la même ligne, et je crois même pouvoir affirmer que les classes inférieures seraient les premières à souffrir du délabrement de nos finances.
II y a trois ans, nous avions un excédant considérable, et la suppression d'une recette de cent cinquante mille francs me semblait une mesure inoffensive au point de vue de l'intérêt du trésor. Aujourd'hui, au contraire, suivant les calculs de l'honorable M. Couvreur lui-même, nous avons la perspective d'un découvert de près de deux millions. Les circonstances n'étant plus les mêmes, mon vote changera avec elles. Jadis j'ai dit oui, aujourd'hui je dirai non, sauf à demander de nouveau la suppression du droit quand nos revenus auront repris leur mouvement ascendant. Je ne me rends donc pas coupable d'inconséquence.
Je profiterai de l'occasion pour demander à l'honorable ministre des finances un mot d'explication au sujet de l'amendement par lequel il propose de modifier la rédaction de l'article 3. M. le ministre demande pour le gouvernement l'autorisation d'apporter, par arrêté royal, aux lois sur la pêche les modifications devenues nécessaires par suite de la suppression des primes. Je voudrais savoir quelles sont les modifications auxquelles se réfère l'amendement de M. le ministre. S'il ne s'agit que de quelques mesures d'exécution, l'autorisation doit être incontestablement accordée. Mais s'il était question d'aller plus loin, je (page 96) ne pourrais pas, pour ma part, y consentir. En principe, les lois existantes ne doivent être modifiées que par des lois nouvelles.
MfFOµ. - Je puis satisfaire immédiatement à la demande de l'honorable M. Thonissen
La législation sur la pêche est extrêmement compliquée ; elle forme tout un volume, par suite du régime des primes et d'autres moyens d'encouragement qui existaient autrefois. Ces primes ont disparu. Une foule de mesures réglementaires encore en vigueur aujourd'hui doivent donc être abrogées. Eh bien, au lieu de soumettre à la Chambre un projet de loi pour rapporter les dispositions législatives qui sont entremêlées de dispositions réglementaires sur cette matière, je demande l'autorisation de mettre simplement la loi en harmonie avec la décision de la Chambre qui a supprimé la prime. Les mesures réglementaires vont donc disparaître. Au lieu d'un volume, nous aurons cinq ou six articles ; dans tous les cas, le moins possible.
M. de Smetµ. - Messieurs, j'ai écouté avec une grande attention, et je dirai plus, avec une légitime satisfaction, le discours que notre honorable collègue M. Couvreur a prononcé dans la séance d'hier. La raison, je n'hésite pas à le dire avec franchise, c'est que je partage presque sur tous points sa manière de voir en matière de droits de douanes. Comme mon honorable collègue, je désire la simplification de notre régime douanier, et non seulement la transformation de nos droits protecteurs en un droit purement fiscal, mais de plus la suppression des douanes quel que soit le caractère que revête cette institution qui, grâce à l’activité énergique des économistes, tombe de jour en jour dans un discrédit de plus eu plus grand.
En effet, messieurs, la douane, alors même qu'elle ne serait plus qu'une mesure purement fiscale, serait encore de tous nos impôts celui dont la perception est la plus onéreuse et la plus vexatoire pour tous les genres d'industrie et de commerce auxquels elle s'applique. Mais toute réforme, avant de pouvoir se formuler en loi, a besoin d'être acceptée par l'opinion publique et demandée par elle
Or, messieurs, en enlevant successivement à la douane son caractère le plus odieux, savoir l'abolition de tous les droits qui grèvent les objets d'alimentation générale, n'allons-nous pas à l'encontre du but que tout libre-échangiste doit se proposer, savoir : l'abolition complète de cette mauvaise institution ?
Lorsque l'on aura amené notre régime douanier tout entier à n'être plus qu'un droit purement fiscal, établissant par exemple un droit uni que de 10 p. c. à la valeur sur la plupart des objets d'importation étrangère, n'aurons-nous pas du même coup donné à cette institution qui tendait à s'écrouler une viabilité nouvelle ? Et nous, libre-échangistes, n'aurons-nous pas, par des mesures analogues à celles que nous propose M. Couvreur, brisé entre nos mains l'arme la plus puissante que nous avions à notre disposition pour discréditer ce régime dans l'opinion publique ? Débarrassés de toute protection nuisible aux consommateurs, ceux-ci resteraient parfaitement indifférents à l'existence ou à la suppression des douanes transformées en impôts indirects.
Quant à moi, messieurs, je ne déplore déjà que trop le procédé de réduction successive au point d'en arriver à un droit uniforme pour toute espèce de marchandise, procédé qui a été suivi jusqu'ici en cette matière, et je crains bien que les soi-disant réformes réalisées jusqu'à ce jour n'aient consolidé le régime au lieu de faciliter sa disparition. C'est là ma conviction intime. Si donc le faible droit protecteur perçu sur le poison de provenance étrangère était, comme le pense à tort d'après moi, l’honorable M. Couvreur, de nature à influencer sur le prix de vente de cet important objet de l'alimentation générale, je crois que les partisans de l'abolition complète de toute douane devraient ne pas désirer la suppression de cette protection, ils devraient la maintenir, comme ils maintiennent le droit sur la viande, sur le blé, les farines, le fromage, le beurre, le sel, etc., etc., afin de se servir du côté odieux du régime pour faire brèche à l'institution tout entière,
Je crois que ce procédé serait plus adroit et plus efficace pour agir sur l'opinion publique qui s'émeut d'une question alimentaire aussi insignifiante qu'elle puisse être et qui par contre reste presque toujours inattentive et indifférente devant une simple question d'impôt, payé presque sans que l'on s'en doute, et que l'usage et le temps ont d'ailleurs fait passer dans les mœurs et les habitudes d'une nation.
Après ces considérations générales que je livre à l'appréciation des libre-échangistes de cette Chambre, je désire faire valoir quelques raisons en faveur du maintien. au moins provisoire du droit d'entrée actuel sur le poisson étranger.
J'espère qu'il me suffira, pour faire écarter par la Chambre la proposition de l'honorable M. Couvreur, de faire ressortir son inopportunité et son inefficacité.
Je dis que la mesure est inopportune et même dangereuse, parce que l'industrie de la pêche nationale, fortement protégée jusqu'ici, vient déjà d'être privée successivement de tous les encouragements auxquels elle était habituée depuis l'établissement de notre indépendance nationale.
Après avoir successivement réduit les primes,, la Chambre les a abolies définitivement l'année dernière. Ces primes s'élevaient encore, il y a bien peu d'années, à environ 100,000 fr. par an En outre, messieurs, les différents traités de commerce que nous avons contractés récemment avec les pays qui se livrent à ce genre d'industrie ont eu pour conséquence de diminuer considérablement les droits d'entrée sur le poisson étranger au point de les réduire à bien peu de chose, en ce qui concerne surtout les produits de cette industrie qui sont d’une alimentation générale et presque populaire, tels que la morue, le hareng, etc.
Après tous les sacrifices que cette importante industrie a dû subir dansées derniers temps, je crois donc qu'il serait imprudent de la faire passer, sans transition suffisante, d'un régime de protection exagérée peut-être à un régime de liberté absolue.
Pour mon compte, messieurs, j'ai l'intime conviction que cette industrie qui est naturelle au pays aurait pu naître et se développer sans l'aide d'aucune prime et d'aucune protection douanière ou autre ; mais je ne suis pas moins convaincu qu'un changement de régime aussi subit et aussi inattendu que celui auquel on veut la soumettre maintenant, ne soit de nature à porter à sa constitution même une sérieuse atteinte.
Prenez, messieurs, la première plante indigène venue, faites-la pousser et croître longtemps dans une serre chaude à l'abri des froids et des intempéries de notre climat, puis tout à coup sans ménagements suffisants exposez-la au grand air, sans la garantir des froids rigoureux de nos hivers, croyez-vous que cette plante ne survivra pas, bien qu'indigène et même ne croyez-vous pas qu'elle périsse par suite de ces brusques changements de régime ? Eh bien, messieurs, il en pourrait être de même pour notre intéressante industrie de la pêche.
L'exposer trop brusquement au grand air de la liberté, alors qu'elle a été habituée à des soins et des protections spéciales, serait imprudent et en tous cas inopportun, vu les récentes et nombreuses protections qu'on lui a déjà enlevées.
En outre, messieurs, je dis que la suppression de tout droit d'entrée sur le poisson étranger sera tout à fait imperceptible au point de vue de son influence sur le prix du poisson ; ce sera une mesure inefficace, pour quelque temps du moins. Or le but que se propose M. Couvreur par son amendement, c'est de rendre cet objet d'alimentation publique accessible aux classes populaires.
Ce but est louable sans doute, et si j'étais convaincu qu'en supprimant les droits d'entrée, on obtiendrait ce résultat, je n'hésiterais pas à faire le sacrifice de toutes les considérations que j'ai eu l'honneur de présenter à la Chambre,
Mais ici plus qu'en toute autre matière nous avons, comme enseignement pour apprécier l'avenir, l'histoire du passé.
Les octrois communaux ont été abolis et on a supprimé tout à coup 5 à 6 millions de recettes qui grevaient exclusivement des objets de consommation générale et populaire ; tels que grains et farines, pain, poisson (319,000 fr.), beurre, œufs, bestiaux, viande dépecée, charbon, etc.
Or, à la suite de cette suppression radicale et instantanée, y a-t-il eu de ce chef un dégrèvement, je ne dis pas équivalent, mais quelconque, sur ces différents objets de consommation générale ?
Vous le savez tous, messieurs, ce dégrèvement a fait l'affaire des fournisseurs et le public consommateur n'en a nullement profité.
Il est probable que la loi de la concurrence est venue à la longue en faire participer également le consommateur ; mais il faut le remarquer, ce résultat ne peut se produire qu'à la longue.
Or, ce que veut mon honorable collègue M. Couvreur, c'est un abaissement immédiat du prix du poisson en vue, dit-il, de la cherté actuelle de toutes les denrées alimentaires.
L'adoption de cet amendement ou son rejet ne peuvent donc influencer sérieusement les prix actuels du poisson, surtout les prix du poisson commun. Mais cet amendement, s'il était adopté par la Chambre, aura d'autres conséquences, immédiates et infaillibles celles-là.
Premièrement, elle priverait le trésor public d'une recette certaine d'au moins 130,000 fr. Libre aux adversaires de tout accroissement (page 97) de notre établissement militaire de faire bon marché de cet argument financier ; mais pour les membres de cette Chambre qui croient nécessaire d'aggraver nos charges militaires, il serait souverainement inconséquent et même imprudent de leur part, d'abandonner une source de revenu relativement importante. Ce sont 130,000 fr. enlevés aux travaux publics et aux améliorations que notre situation financière nous empêche d'exécuter.
En second lieu, messieurs, avec un résultat insignifiant, sinon nul sur le prix de cette denrée, la mesure radicale et subite que vous propose l'honorable auteur de l'amendement, succéderait immédiatement à la disparition des primes, qui a été désastreuse pour la partie la plus considérable de cette industrie, pour la pêche à la morue qui se pratique l'hiver au Doggersbank.
Frapper coup sur coup cette branche du travail national, autrefois si encouragée par le gouvernement et les Chambres, serait, à mon avis, jeter cette intéressante industrie dans un découragement dont elle aurait peine à se relever. Il faut lui laisser du moins le temps de se reconnaître, de s'améliorer, d'avoir confiance en ses propres forces en lui retirant lentement, et non pas brusquement et imprudemment, la protection dont elle était entourée autrefois.
Je repousse donc l'amendement de l'honorable M. Couvreur, parce que je le crois contraire à la rapide disparition de l'odieux et vexatoire régime des douanes, contraire aussi à tous les précédents de prudence et de sagesse de la Chambre qui a toujours repoussé toute mesure radicale qui aurait pour conséquence de faire un vide important dans la caisse de l'Etat, tout en jetant le trouble, sans profit pour personne, dans une importante branche de notre industrie nationale, qui vient à peine d'essayer de voter de ses propres ailes. Attendons que les effets de nos votes précédents aient eu le temps de se produire, et alors nous pourrons en connaissance de cause examiner s'il est opportun d'aller plus loin dans le système d'affranchissement de toute protection pour celle industrie. L'important pour le moment est d'obtenir pour cette industrie de meilleures conditions pour l'écoulement de ses produits en France. Aujourd'hui on paye 44 fr. les 100 kil. pour la morue.
M. Jacquemynsµ. - Je tiens, comme l'honorable M. Thonissen, à expliquer les motifs pour lesquels je ne voterai pas l'amendement de l'honorable M. Couvreur. J'y tiens d'autant plus, que j'ai fait partie de la commission d'enquête sur la situation de la pêche maritime et qu'en qualité de membre de cette commission, je me suis joint à mes collègues pour demander la suppression du droit d'entrée sur le poisson.
Je ne sais si mes opinions se sont modifiées depuis cette époque ou non. Mais enfin, si l'on veut admettre qu'elles se sont modifiées, j'en prendrai mon parti et je dirai que cela tient à ce que je suis aujourd'hui plus éclairé que je ne l'étais jadis. Je ne rougirai pas de changer d’opinion, quand les circonstances changeront ou quand je serai mieux éclairé sur une question.
Je tiens encore pour un autre motif à expliquer les raisons pour lesquelles je voterai contre l'amendement de l'honorable M. Couvreur ; c'est que je ne désire pas que l'on m'attribue les motifs que vient de vous donner l'honorable M. de Smedt, qui votera contre l'amendement de l'honorable M. Couvreur, parce que le droit sur le poisson est l'un des plus odieux. Si j'avais cette opinion, je voterais contre le droit ; ce serait pour moi un motif déterminant pour appuyer l'amendement de l'honorable M. Couvreur.
D'ailleurs, je demeure partisan décidé de la suppression du droit sur le poisson pour deux motifs : d'abord, parce que je suis partisan de la libre entrée de toutes les denrées alimentaires ; ensuite, parce que je crois que la législation douanière sur le poisson prête à des abus considérables. Ainsi on perçoit à la frontière le droit d'entrée sur le poisson étranger ; on ne le perçoit pas sur le poisson belge. Je me demande comment on distingue le poisson belge du poisson étranger, et je crois qu'il y a beaucoup de poisson qui, étranger dans le filet et même dans le bateau du pêcheur, devient poisson belge par suite de la vente à un batelier belge, et entre comme tel libre de tout droit à l'entrée. C'est là un abus que je voudrais voir supprimer.
Mais quels sont, en présence de ces convictions, les motifs pour lesquels je n'appuie pas la proposition de l'honorable M. Couvreur ? D'abord, je crois que le moment est assez mal choisi pour proposer une réduction de 130,000 fr. dans nos recettes.
Sans partager la crainte que, suivant une pente sur laquelle nous glisserions, nous arrivions à avoir un système financier comme celui de l'Espagne, Je comprendrais mal que l'on vînt, en ce moment, diminuer nos recettes.
D'ailleurs, l'abolition du droit d'entrée sur le poisson diminuerait fort peu les charges de la classe ouvrière pendant l’hiver où nous entrons. On sait que le droit sur le poisson est très minime et il y a un moyen très simple de réduire le prix de cet aliment dans une proportion plus forte que ne le ferait la suppression du droit d’entrée.
C'est de supprimer les taxes communales, c'est de supprimer les divers moyens par lesquels on établit le monopole de la vente du poisson.
L'honorable M. Couvreur dit : Mais nous ne le pouvons pas à moins de faire une loi. Je ne suis pas tout à fait d'accord sur ce point avec mon honorable collègue ; je pense qu'il ne faut pas, absolument parlant, une loi spéciale pour interdire aux communes de percevoir d'une manière indirecte un droit d'octroi sur le poisson. La loi de 1860 a supprimé définitivement les octrois communaux et on ne peut pas les rétablir d'une manière déguisée.
De plus la perception des taxes communales sur le poisson se fait en vertu de règlements ; qui, généralement, n'ont pas d'existence légale. Ces règlements ont été pris à diverses époques fort anciennes et je crois que la plupart n'ont pas reçu la sanction de l'autorité supérieure.
Mais quand même il faudrait une loi spéciale pour abolir toutes les taxes qui grèvent la vente du poisson, pour autoriser d'une manière absolue le colportage des poissons, où serait la difficulté ?
Je ne crois pas qu'il soit plus difficile de faire un petit projet de loi pour interdire les droits élevés que l'on perçoit aux minques et pour permettre le colportage ; je ne pense pas que cela soit plus difficile, dis-je, que de supprimer le droit de douane sur le poisson, par la modification d'un article du budget des voies et moyens.
Mais le plus grave motif, c'est que dans notre tarif de douanes, il existe un droit qu'il y aurait lieu d'abolir bien avant de songer à abolir le droit sur le poisson. L'homme peut très bien vivre sans manger du poisson, et si l'on pénètre dans les modestes chaumières de nos ouvriers dans les campagnes, il est facile de reconnaître qu'ils mangent très peu de poisson ; je crois fort que l'ouvrier agricole ne paye qu'une part extrêmement mince dans les droits d'entrée sur le poisson ; mais tous les jours le plus simple ouvrier dans la plus modeste chaumière mange du pain de seigle et je crois qu'en bonne logique il faudrait abolir les droits de douane sur le seigle avant de songer à abolir le droit de douane sur le poisson.
S'il m'était permis d'abolir les deux, je voterais la suppression, mais je tiens à ne pas voter la suppression du droit sur le poisson avant de voter la suppression du droit sur le seigle.
J'entends dire à côté de moi que le droit de douane sur le seigle rapporte deux millions, il y a erreur. En effet dans le tableau du commerce j'ai vu ce matin qu'en 1866 le droit d'entrée sur le seigle n'a produit que 150,080 fr., c'est-à-dire 20,000 fr. environ de plus que le droit sur le poisson, et pourtant les importations de seigle, en 1866, ont dépassé la moyenne annuelle.
De 18 56 à 1861 la moyenne annuelle de l'importation du seigle en Belgique n'a été que de 14 millions de kilog. ; cela correspond à un droit de 86,800 fr. Je dis donc que le droit d'entrée sur le seigle ne rapporte en moyenne que 86,800 francs. Or, à cause de ce droit qui grève le seigle à l'entrée, à cause de ce droit qui s'élève à 4 p. c. du prix du seigle, de cette denrée alimentaire de toute première nécessité, tout le seigle indigène se vend à un prix plus élevé sur nos marchés.
On nous objectera que le seigle sert en grande partie pour les distilleries ; mais, par la discussion qui vient d'avoir lieu tout récemment, j'ai cru m'apercevoir que beaucoup de membres de cette assemblée ne seraient pas hostiles à une augmentation des droits sur le genièvre et que d'autres ne seraient pas hostiles à une augmentation du droit sur le débit des boissons distillées. Une augmentation de 1 p. c. sur les eaux-de-vie indigènes équivaudrait à toute la recette du droit sur le seigle et une augmentation de 6 p. c. sur le droit de débit équivaudrait à la même recette.
L'agriculture ne saurait se plaindre de la suppression du droit d'entrée sur le seigle, par la raison que le seigle indigène n'est guère consommé que par les populations agricoles elles-mêmes. L'usage du seigle comme aliment est très peu répandu dans les villes.
D'ailleurs une grande partie du seigle sert à la consommation du bétail et dès lors la suppression du droit tendrait à réduire le prix de la viande et le prix des engrais.
La consommation du poisson est une consommation exceptionnelle dans une certaine mesure ; il est des hommes qui ne mangent pas même du seigle, il en est qui en sont réduits à ce degré de misère qu'ils ne peuvent guère se procurer une tranche de pain noir et qui sont obligés (page 98) de se nourrir exclusivement de pommes de terre ; mais je n'en connais pas un qui puisse se dispenser de manger du sel, et je crois qu'il y aurait lieu de rechercher le moyen de supprimer le droit d'accise sur le sel bien avant de songer à supprimer le droit de douane sur le poisson.
Tels sont, messieurs, les motifs qui me porteront à ne pas voter, quant à présent, la suppression du droit sur le poisson.
M. Delaetµ. - Messieurs, l'honorable préopinant a terminé son discours en disant qu'avant de songer à abolir les droits sur le poisson il fallait songer à abolir le droit sur le seigle.
Je voudrais autant que personne réduire le droit sur les céréales à un simple droit de balance ; mais en attendant, il me sera permis de faire remarquer qu'il n'y a pas de similitude entre les deux articles d'alimentation publique.
Le seigle ne perd rien à être arrêté en douane pendant quelques heures, même pendant quelques jours, tandis que le poisson, au contraire, perd en qualité à chaque heure, à chaque instant, surtout dans la saison des grandes chaleurs.
Ce n'est donc pas contre l'élévation du droit sur le poisson que je me prononce. Je reconnais qu'il est minime, et, si le poisson était un article de conserve, je ne m'associerais pas à la proposition de l'honorable M. Couvreur ; mais si le droit est minime, ce qui influe sur l'alimentation publique, c'est la perte de qualité que subit le poisson. Or, quiconque habite un port de mer par où se fait l'importation de cette denrée confirmera que la recette de 130,000 fr. opérée de ce chef par le trésor occasionne au moins une perte d'un demi-million de valeur pour l'alimentation publique.
M. Coomans. - Voilà la vérité.
M. Delaet.µ. - C'est un impôt qui est excessivement cher, et voici comment.
Du moment qu'on a quelque chose à payer à la douane, il faut remplir toutes les formalités.
Ces formalités exigent beaucoup de temps. Le département des finances aura beau donner toutes les instructions possibles pour accélérer le travail, la rapidité qu'on pourra mettre à remplir les formalités ne fera pas qu'il n'y aura pas 2, 3, 4 et quelquefois 6 heures de perdues. Or, par les grandes chaleurs, le poisson perd la moitié de sa valeur en quelques heures.
Le poisson n'est pas un objet d'alimentation publique dans les parties les plus intérieures du pays, je le veux bien ; mais sur tout le littoral, le poisson entre pour une grande part dans la nutrition et je crois que ce serait un bienfait au moins pour la moitié de la Belgique que de décréter la libre entrée du poisson étranger.
Ce n'est donc pas une question de droit fiscal, mais une question de temps, ce n'est pas la surcharge que le droit, fait peser sur le prix du poisson, c'est la perte de valeur qui a lieu à l'occasion de la déclaration de droits que je veux faire disparaître.
MfFOµ. - Messieurs, l'honorable préopinant reconnaît que la question des droits, si elle se présentait isolément, serait insignifiante et ne pourrait avoir d'influence sur le prix du poisson ; cela est parfaitement exact.
Mais, dit-il, ce sont les formalités en douane qui sont fâcheuses, en ce qu'elles causent la détérioration d'une certaine quantité de poisson, et augmentent ainsi le prix de la marchandise.
Je fais d'abord une première remarque : c'est que, qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de droits, les formalités en douane doivent être remplies de la même manière.
Mais je fais une seconde observation : c'est qu'à la différence de ce qui se pratiquait naguère, la presque totalité de l'importation du poisson se fait aujourd'hui par le chemin de fer et par le bureau d'Esschen, province d'Anvers.
Or, sur les observations qui déjà avaient été produites dans cette Chambre et notamment par l'honorable M. Delaet, l'année dernière, une enquête a été ordonnée par l'administration, et il a été constaté que la vérification en douane du poisson présenté à l'importation, ne dure pas plus de vingt minutes.
Vous voyez donc qu'à quelque point de vue qu'on se place, il est impossible de prétendre que le droit ou les formalités auraient une influence réelle sur le prix du poisson.
M. Delaetµ. - Messieurs, je comprends qu'au bureau d'Esschen on ne mette que 20 minutes à la vérification, mais il ne s'agit pas des importations par chemin de fer.
MfFOµ. - Je dis que la presque totalité s'importe par là.
M. Delaetµ. - Je puis vous dire comment il se fait que l'on ait importé plus de poisson par le bureau d'Esschen que par rivière. C'est la question du chemin de fer que j'ai agitée, il y a un an à peine, et qui est aujourd'hui résolue d'une manière satisfaisante.
Il se faisait que, par le système de transports internationaux, le poisson arrivant par chemin de fer était transmis sur tous les marchés belges par tous les trains, tandis que le poisson arrivant par rivière n'était transmis que par un seul train spécialement désigné à cet effet. Il est résulté de là que tous les facteurs en poisson, au lieu d'envoyer la marchandise à leurs correspondants d'Anvers, ont créé des correspondants sur divers points du pays et expédié le poisson par chemin de fer, s'assurant ainsi, pour ainsi dire, le monopole du marché intérieur en Belgique.
J'ai signalé cette situation à l'honorable ministre des travaux publics et, comme je l'ai dit, elle a changé depuis quelque temps.
Quand j'ai parlé de la vérification en douane, il n'est pas entré dans ma pensée de parler du chemin de fer, par lequel n'entre du reste que du poisson de toute première qualité, du poisson de luxe.
Le poisson qui fait l'objet de l'alimentation publique à Anvers et dans les environs, l'églefin, la flotte, la raie, le hareng frais et autres poissons de ce genre, entre par bateau. Or, comment l'honorable ministre des finances soutiendra-t-il que le bateau étranger, ayant à payer le droit sur la marchandise importée, n'a pas plus de formalités à remplir en douane que la pêche nationale qui entre libre de droits.
Le poisson importé par nos pêcheurs est expédié immédiatement, tandis que celui de provenance étrangère, qui a des droits à acquitter, doit attendre la bonne volonté de M. le contrôleur ou de M. le vérificateur.
Je n'entends pas dire que la douane y mette de la mauvaise volonté ; mais elle a bien d'autres services à remplir et souvent il faut que le pêcheur attende qu'il y ait des douaniers disponibles.
Dans l'entre-temps la marchandise se gâte. Le pêcheur perd quatre, cinq, six fois plus sur la valeur de sa marchandise qu'il n'a de droits à payer à l'Etat.
MfFOµ. - L'honorable préopinant est dans une complète erreur s'il suppose que l'administration a fait constater uniquement ce qui se passe au bureau d'Esshen.
L'enquête avait déjà porté sur ce qui se passe dans les ports de mer, et j'ai donné connaissance de ses résultats à là Chambre.
Il est certain que les formalités sont très peu compliqués, et qu'elles sont très rapidement remplies dans les ports de mer comme dans les bureaux de chemins de fer.
Comme le poisson s'importait principalement par le bureau d'Esschen, c'est là en dernier lieu que l'enquête a dû être prescrite. Or, il se trouve qu'à ces bureaux en 20 minutes les convois sont expédiés et que les choses se passent de la même manière dans les ports de mer. (Interruption.) Les formalités sont très promptement accomplies, et la pêche nationale, qui n'a pas de droit à acquitter, n'en est pas plus exempte que la pêche étrangère ; il est impossible qu'il en soit autrement.
M. Coomans. - Pourquoi ?
MfFOµ. - Parce que s'il n'en était pas ainsi, le poisson couvrirait la fraude.
M. Coomans. - Il suffirait, pour parer à ce danger, d'une simple visite.
MfFOµ. - Mais c'est précisément cette visite qui présente des difficultés et que l'on représente comme pouvant détériorer le poisson.
Que le poisson soit libre ou non, il faut que la vérification en douane ait lieu. Mais on procède très promptement et je ne pense pas qu'il y ait eu depuis longtemps des plaintes sur les retards apportés à cette vérification.
M. Van Iseghem. - Je ne répéterai pas ce que mes honorables collègues ont dit pour combattre l'amendement de l'honorable M. Couvreur et je ne répéterai pas non plus tous les arguments que je fais valoir, depuis une vingtaine d'années, en faveur d'un droit d'entrée sur le poisson.
On semble reconnaître généralement que le droit de douane actuel d'un franc par 100 kilos n'exerce aucune influence sur le prix du poisson ;j il est inutile par conséquent de faire une démonstration à cet égard.
La question à discuter est donc celle de savoir si les formalités pour le débarquement du poisson dans les ports de mer sont un retard, si elles (page 99) augmentent les frais et si elles font du tort à la qualité. Evidemment non. Sons ce rapport je ne puis qu'appuyer ce que vient de dire a cet égard l'honorable ministre des finances.
Comme les chaloupes belges, les chaloupes étrangères sont exemptes d'une déclaration en gros à leur entrée ; à Ostende, le poisson frais importé n'importe par quel bateau se décharge immédiatement, on met le poisson frais dans des paniers, la douane connaît leur poids, compte les paniers d'un bateau étranger et le patron acquitte le faible droit, de manière que le poisson introduit par un bateau étranger est expédié en même temps que celui du bateau belge. J'ai assisté souvent au débarquement des pêcheurs français. Voilà pour le poisson frais.
Reste le poisson salé, sec et fumé.. Ce dernier ne risque rien d'attendre deux ou trois heures pour être débarqué et ce petit retard ne peut nullement nuire à la qualité.
Pense-t-on, parce qu'un bateau importe des marchandises libres à l'entrée, qu'il n'y a plus de visites douanières à faire ? On a tort de le dire. La douane doit prendre toutes les mesures nécessaires pour se prémunir contre la fraude, et soyez certains que si les navires pêcheurs étrangers étaient exempts d'une visite, tout de suite on trouverait des individus qui tâcheraient d'importer des marchandises en fraude par ces bateaux.
Je puis donner l'assurance à la Chambre que jamais on n'apporte le moindre retard au débarquement du poisson et que même avec l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Couvreur, rien ne serait changé à cet égard.
Pour le moment, je me bornerai à ces simples observations, sauf à reprendre la parole plus tard si c'était nécessaire.
- Des voix. - La clôture !
M. Delaetµ. - Un seul mot.
On s'abrite, pour maintenir le droit sur le poisson, derrière la nécessité d'empêcher la fraude. Mais il suffit de supprimer un droit de quelques centimes pour rendre la fraude impossible. Elle deviendrait sans objet, le poisson indigène, qui ne jouirait plus d'aucun privilège, ne pouvant plus faire l'objet d'une justification spéciale.
MfFOµ. - L'honorable membre n'a pas compris l'objection que j'ai faite : je n'ai pas parlé de la fraude sur le poisson, mais de la fraude que couvrirait le poisson.
- Des voix. - La clôture !
M. Couvreurµ. - La Chambre est impatiente de passer au vote sur l'amendement que j'ai présenté. Je ne la retiendrai pas longtemps. Je me bornerai à rectifier quelques erreurs commises par l'honorable ministre des finances, m'en remettant pour le surplus à mon premier discours. A le comparer avec la réponse qu'il a reçue, on pourra se convaincre que mon contradicteur joint à toutes ses autres qualités celle d'être un avocat excessivement habile, lequel choisit, dans l'argumentation qu'il combat, les points faibles ou obscurs, force le sens des autres et passe à côté de ceux qui méritent une réponse approfondie.
Une première erreur que je tiens à rétablir, c'est que le mouvement réformiste en Belgique ne se serait organisé et développé qu'alors que les grands principes économiques étaient résolus, précisément à l'époque oh l'honorable ministre est rentré aux affaires.
C'est accomplir un devoir que de rappeler en cette occasion à la reconnaissance du pays les services rendus, non seulement par l'honorable M. Frère, par l'abolition des droits sur les denrées alimentaires et sur les droits différentiels, mais, avant lui, par un autre homme d'Etat qui a honoré cette Chambre par sa science et dont la mémoire est chère à la ville de Bruxelles.
Je veux parler de M. Charles de Brouckere, qui, non pas en 1857. mais dès 1848, organisa en Belgique la première association pour la réduction des droits de douanes. Cette association tint à Bruxelles plusieurs assemblées publiques où elle protesta contre le régime restrictif encore fort puissant à cette époque en Belgique. Ce fut de ce mouvement que sortit, sur la proposition de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, le congrès de 1847.
Quant à l'autre mouvement, il ne remonte pas à 1857 mais à 1853 au plus tard. Ce fut vers la fin de cette année que l’association pour la réforme douanière fut constituée. Elle tint ses meetings dans les années suivantes, son congrès en 1856 et ce fut précisément vers l'époque assignée à sa plus grande activité par M. le ministre des finances qu'elle cessa son agitation, parce qu'en ce moment elle considéra sa tache comme accomplie par les conclusions du traité avec l'Angleterre.
Ainsi, je n'accepte ni pour elle ni pour l'association qui l'a précédée le reproche de n'être née et de ne s'être mise en compagne que pour contrarier les travaux de M. le ministre des finances alors que le plus difficile de la besogne était achevé.
MfFOµ. - J'ai constaté que de 1847 à 1852 il n'en était plus question.
M. Couvreurµ. - Je réponds que le mouvement a commencé en 1846, qu'il s'est arrêté en 1848 sous le coup des événements politiques de cette année et qu'il a repris aussitôt que le calme étant rentré dans les esprits, ils ont pu s'intéresser aux réformes économiques.
MfFOµ. - C'est de 1847 à 1852 que tous les principes avaient été posés.
M. Couvreurµ. - Les principes ont été propagés dans le pays par l'association formée en 1846, sous la présidence de M. de Brouckere et la vice-présidence de M. le comte Arrivabene. C'est en 1851 que vous avez prononcé votre grand discours qui a servi de point de départ au second mouvement. Voilà la vérité, l'agitation a eu sa plus grande période d'activité, non sous votre ministère, mais sous celui dans lequel M. Mercier était ministre des finances.
L'honorable ministre a tenu à justifier la comparaison toute à l'avantage du tarif belge qu'il a établie dans l'exposé des motifs du budget entre ce tarif et le tarif anglais. Il m'a dit à ce propos que je ne connaissais le tarif anglais que de vue ; politesse pour politesse, il me permettra de lui dire qu'il ne connaît le tarif belge qu'a travers les lunettes trop complaisantes de ses chefs de service.
J'avais pris soin de bien établir que le tarif anglais, mis sous les yeux de la Chambre par le gouvernement, n’était pas le tarif officiel anglais, que j’avais le tarif entre les mains, qu’outre les articles traduits, il en contient un grand nombre d’autres non tarifiés, enfin que c’était ce tarif qui servait à la perception des droits par les soins des agents de la douane.
J'ai reconnu moi-même que les articles y sont très nombreux, mais que du moins le tarif appelle les choses par leur nom, au lieu de les dissimuler sous des rubriques générales, comme le tarif belge. Lorsque l'honorable ministre des finances vient nous dire que le répertoire anglais est aussi compliqué que le nôtre, qu'à ce répertoire anglais s'ajoutent aussi des instructions spéciales, il a raison. Seulement il méconnaît que ce répertoire général ne servant qu'à constater le mouvement commercial de l'Angleterre, les prétendues complications n'exercent aucune influence sur la perception des droits et les déclarations en douane, la presque totalité des articles étant libres à l'entrée.
Voilà où est l'énorme différence entre les deux tarifs. En Angleterre, il importe peu que le négociant se trompe dans ses déclarations ; chez nous, le commerçant, le voyageur, arrivant à nôtre frontière, doit faire sa déclaration conformément au répertoire pour acquitter le droit, et s'il fait une déclaration inexacte, par erreur ou ignorance, on le suspecte d'avoir voulu frauder le Trésor.
Je sais bien que, dans la pratique, ces choses ne se passent pas ou ne se passent plus avec la rigueur d'autrefois. Mais il n'en est pas moins vrai que légalement la douane ne doit aucune assistance à l'importateur pour sa déclaration, que celui-ci est censé connaître la loi dans tous ses détails et que quand il se trompe, même de bonne foi, une amende lui est infligée.
Cela est si vrai, qu'il y a quelques années on frappait encore d'une pénalité des déclarations où le déclarant se trompait à son désavantage. Je ne veux pas affirmer que le cas se présenterait encore aujourd'hui, mais il s'est présenté et il était conforme à l'interprétation stricte de la loi.
De là, je le répète, pour l'importateur, l'obligation de connaître non seulement les six pages du tarif tel qu'il a paru au Moniteur, mais le répertoire général et les notes explicatives, obligation qui n'existe pas en Angleterre.
MfFOµ. - Allons donc !
M. Couvreurµ. - Encore une fois, où peut être la nécessité pour l'importateur en Angleterre de faire une étude approfondie d'un tarif et d'un répertoire qui n'ont pour objet qu'un intérêt de statistique commerciale ? C'est l'affaire de la douane.
D'ailleurs, messieurs, il suffit de comparer les deux tarifs pour comprendre parfaitement comment notre tarif de douane, par l'éparpillement des droits, par la multiplicité des tarifications, ne peut pas être aussi simple que le tarif anglais : il suffit de les comparer pour constater que, dans l'un, tous les droits sont concentrés sur quelques articles de grande consommation, tandis que, dans l'autre, une multiplicité d'objets sont encore frappés, et ce qui est plus grave, c'est que ces objets, pour (page 100) une recette de 8 millions sur 15, sont des objets manufacturés ou des matières premières.
Si j'additionne ce que le citoyen anglais paye à la douane du chef des boissons distillées ou fermentées, des denrées alimentaires telles que le café, le thé, le sucre, le tabac, etc. et si je fais la même opération pour le citoyen belge, je constate que la première, abstraction faite, bien entendu, de l'accise intérieure , je ne tiens compte que des produits de la douane paye, par tête et par an, une somme de 17 ou 18 francs ; mais il faut remarquer que dans ce chiffre figure une somme de 5 fr. pour les tabacs, de fr. 4-54 pour les sucres, de 3 francs pour les eaux-de-vie, soit 12 fr. sur 18. Ici, en Belgique, dans les mêmes conditions, une somme de huit francs par tête et par an. En regard de ces chiffres, il faut mettre la différence qui existe entre les deux pays dans la valeur de l'argent et dans le prix de la journée de travail ; alors les deux chiffres se balancent à peu près.
En effet, la moyenne des salaires est de deux francs en Belgique et de quatre shillings en Angleterre ; d'où la conclusion que malgré l'apparente élévation des taxes, l'Anglais ne paye pas plus à la douane pour les articles assimilés à l'assise et pour les denrées alimentaires que le Belge.
MfFOµ. - Cela n'est pas exact.
M. Couvreurµ. - Mais ce qu'il importe surtout de remarquer, et le passage du discours de M. Gladstone que vous avez cité tantôt est un argument de plus en faveur de ma thèse, c'est qu'en Angleterre le tarif ne contient plus aucun droit sur les matières premières, et sur les articles fabriqués, d'où il suit que l'ouvrier anglais est placé dans de meilleures conditions de production que nos ouvriers ; qu'il peut donc payer plus facilement les droits qui frappent les objets de sa consommation.
Ainsi en Belgique chaque citoyen paye du chef des vêtements qu'il porte une taxe de 50 centimes par an ; du chef du bois qu'il transforme en habitation ou en outils, une somme de 25 centimes.
En effet, les tissus figurent au trésor pour une recette de 2 1/2 millions, les bois pour une recette de 1 million 300 mille fr.
Tous ces points si importants, M. le ministre les a laissés dans l'ombre.
Ils constituent l'essence des réformes que je l'engage à introduire dans nos lois et qui peuvent se réaliser facilement, même sans toucher à l'impôt direct. Au besoin, augmentez la part des vins, des eaux-de-vie étrangères et surtout des tabacs. Mieux vaut un droit élevé sur les tabacs qu'un droit sur les poissons.
M. le ministre des finances a raillé ma prudence. J'avoue, messieurs, que je ne m'attendais pas à cette raillerie et que je l'ai trouvée fort déplacée ; la question de la réforme radicale des impôts est sans contredit la plus grave qu'on puisse agiter ; elle touche à tous les intérêts sociaux ; elle permet de les ébranler tous de fond en comble.
La Chambre comprendra, sans que je doive insister, pour quelles raisons plus sérieuses que celles indiquées par l'honorable M. Frère, je n'ai pas jugé à propos d'aborder en ce moment ce redoutable problème.
Je choisirai mon jour et mon heure. Elle s'expliquera aussi que ce sont précisément les mêmes considérations de prudence et de prévoyance qui m'ont engagé à proposer à l'entrée d'une crise alimentaire, une suppression de droit sur le poisson,
Je ne partage nullement l'opinion de l'honorable M. Delaet que les droits sur le poisson n'exercent pas d'action sur le prix de cette denrée, et que tout le mal vient des entraves de la perception. Le mal gît dans les deux causes à la fois.
M. le ministre des finances appelle l'affranchissement du poisson dans l'intérêt des classes laborieuses un acte dérisoire. Il me dit que je veux en réalité libérer de toute espèce de droits le turbot, le saumon, les huîtres et troubler ainsi l'équilibre du trésor au profit des classes riches. C'est ce qu' mie faisait dire tantôt, messieurs, que M. le ministre des finances ne connaît le tarif que par les yeux d'autrui.
Dois-je lui rappeler que les droits sur le poisson sont établis non à la valeur mais au poids ? Le droit sur le poisson est d'un franc les cent kilos.
MfFOµ. - Qu'est-ce que cela fait ?
M. Couvreurµ. - Ce que cela fait ? Il en est résulté que le rapport de 4 1 /2 p. c. renseigné par vos statistiques est une moyenne, que le droit est proportionnellement très peu élevé sur le poisson dit de luxe mais qu'il est très considérable et bien supérieur à 4 1/2 p. c. sur la morue, la raie, la sole et sur tous les autres poissons qui forment la base de la consommation populaire. Voilà ce que cela fait ; et comme je ne veux pas suivre le gouvernement sur le terrain de la complication des tarifs, je n'ai pas jugé nécessaire de faire une distinction en frappant de certains droits les poissons dits de luxe pour en exonérer les poissons communs.
M. Jacquemyns me reproche de n'avoir pas proposé la suppression du droit d'entrée sur le seigle.
J'ai voulu éviter de porter une atteinte trop sensible à l'équilibre de nos finances. Si l'on supprime les droits sur le seigle, il faut aussi supprimer les droits sur les autres céréales. Ils rapportent 2 1/2 millions et au lieu de 4 1/2 p. c., le droit n'est guère en moyenne qucde21/2p.c. sur la valeur de la marchandise. Dans l'état actuel des choses, il faut choisir, il faut mesurer son action. J'ai cru qu'à raison de la nature même du poisson, à raison de son assimilation à la viande, à raison des excellents arguments invoqués il y a deux ans par l'honorable M. Jacquemyns lui-même, en faveur de la proposition alors signée par lui et que je reproduis aujourd'hui, je ne pouvais faire mieux que de soulager la détresse publique par la libre entrée du poisson.
Dans un moment donné, si la crise alimentaire s'aggrave, je ne dis pas que je ne proposerai pas une réduction ou même la suppression du droit sur les grains. Mais je crois que, quant à présent, et en attendant que la situation du Trésor nous soit mieux connue, nous pouvons nous borner à ce que je demande ; d'ici à quelque temps nous verrons ce que la situation nous commandera. La crise commence à peine ; nous ne savons pas encore quelle en sera toute l'étendue. ; les avis qui nous arrivent de l'étranger ne sont pas favorables ; la situation n'est pas bonne ; nous ne savons pas tous les sacrifices qui nous seront imposés.
Mais je sais que nous ferons une chose excellente en montrant notre bonne volonté à aller au-devant des nécessités que les circonstances pourraient créer en indiquant à notre désir de ne pas laisser le mal s'aggraver et d'aller au-devant des réclamations qui ne manqueront pas de surgir.
C'est dans cette pensée que j'ai présenté mon amendement et je termine en exprimant l'espoir que la Chambre lui donnera son assentiment.
MfFOµ. - L'honorable M. Couvreur, dans son discours d'hier, a lancé quelques sarcasmes à l'adresse du gouvernement et particulièrement du ministre des finances qui, selon l'honorable membre, doit être poussé pour opérer des réformes dans le tarif.
C'est à cette occasion que, me défendant de ce reproche....
M. Coomans. - Je n'entends pas, et j'aime à vous entendre.
MfFOµ. - Je vous en remercie.
C'est à cette occasion que, me défendant de ce reproche que je crois très injuste, j'ai dit que la réforme qui avait été introduite dans nos tarifs, l'avait été à une époque où, bien loin de recevoir un appui du dehors, nous avions à combattre les partis qui s'emparaient de ces questions pour alarmer tous les intérêts ; j'ai dit que nous n'avions pas l'appui de certains économistes ; que ces économistes n'étaient pas nés.
J'ai entendu par là, et l'honorable membre ne s'y est pas trompé, j'ai entendu faire allusion à ces réunions bruyantes, aux meetings organisés de ville en ville à une époque bien postérieure, en 1858 ou en 1859. (Interruption.) Je ne prétends pas que vous n'ayez pas agi en 1855 et en 1856, je l'ignore ; nous n'étions pas alors aux affaires, et ce n'était pas apparemment pour nous pousser que l'on agissait ; mais ce que je sais parfaitement, c'est que nous n'avons pas été aidés ou poussés de 1847 à. 1852, époque des luttes les plus vives, et pour la question des céréales, et pour celle des droits différentiels, point de départ de notre réforme économique ; ce que je sais encore, c'est que, rentré aux affaires en 1857, nous avons rencontré alors cette agitation du dehors, faisant un peu de politique sous prétexte d'économie politique et qui dénonçait les lenteurs du gouvernement.
C'est donc en faisant allusion à ces réunions que j'ai dit que les économistes ou les meetings économistes n'étaient pas nés. Je n'ai pas entendu dire, et tout le monde l'a compris, qu'il n'y eût pas à cette époque dans cette Chambre et dans le pays, des personnes qui fussent comme nous partisans de la réforme commerciale ; permettez-moi de le dire, c'eût été une parfaite absurdité. (Interruption.)
L'histoire est là ; elle constatera que lorsque la loi sur les céréales a été faite, nous n'avions pas l'appui des meetings économistes ; que cet appui nous a manqué également quand nous avons commencé la (page 101) démolition de la loi sur les droits différentiels ; qu'ils sont apparus alors que tout le système commercial de la Belgique avait été ébranlé dans ses fondements, et qu'il ne restait plus qu'à choisir l'heure opportune pour opérer les réformes qui ont été successivement introduites dans notre législation.
Maintenant, quant au tarif de l'Angleterre, l'honorable membre reconnaît que le petit livret qu'il a exhibé hier n'est pas le vrai tarif et qu'il y en a un autre ; mais il a dit que ce dernier tarif ne concerne pas les négociants ; que les négociants font leurs déclarations à la douane en vertu du petit tarif simple et facile ; que l'autre tarif n'intéresse que la douane, qui s'en sert pour dresser la statistique commerciale.
Eh bien, je renvoie l'honorable membre aux ordres du conseil des douanes du 17 décembre 1860, ainsi qu'à l'avis aux négociants et agents du 27 du même mois dont j'ai donné connaissance à la Chambre, et il y lira en toutes lettres :
« Le conseil des douanes appelle l'attention des négociants et de leurs agents sur les dénominations inscrites à ce tableau, comme étant celles sous lesquelles les marchandises devront à l'avenir être déclarées. » (Interruption.)
Et dans l'ordre du 27 décembre 1860, on ajoutait :
« Le conseil a fait préparer un nouveau tarif des marchandises d'importation, indiquant la manière dont chaque article doit être déclaré par le négociant. »
Voilà ce qui est prescrit sous peine d'amende. Il faut donc que ces formalités soient remplies par le commerce. Maintenant, que ces formalités soient imposées, ou bien au point de vue de la perception du droit, ou bien au point de vue de la statistique, cela importe assurément très peu au négociant qui doit les accomplir dans l'une et dans l'autre hypothèse.
L'honorable membre a dit encore que le système anglais en matière de douanes était essentiellement différent de celui qui est en vigueur en Belgique. que, par exemple, il n'y trouvait rien qui eût une apparence de protection, tandis que certaines marchandises, soit fabriquées, soit matières premières, exemples de droit en Angleterre, sont imposées en Belgique.
Messieurs, lorsque l'on veut porter un jugement sur le système douanier d'un pays, il faut voir quel est l'ensemble des droits perçus, parce que c'est cet ensemble de droits qui grève la production générale de ce pays. Eh bien, voyons ce qu'il en est sous ce rapport en Angleterre.
Les importations générales (transit et consommation réunis) ont atteint, pour l'Angleterre, en 18086 la somme de 274,952,172 liv. st., soit 6,873,804,300 francs et les importations générales pour la Belgique ont atteint le chiffre de 1,361,900,000 francs. Qu'est-ce que cela représente de droits perçus ? Pour l'Angleterre, le rapport entre les importations et le montant du droit perçu est de 8.18 p. c., et en Belgique de 2.23 p. c. seulement. Je pense que le résultat de ce rapprochement est tout à l'avantage de la Belgique.
Enfin l'honorable membre a insisté particulièrement sur son amendement ; il n'a pas saisi l'objection que je lui ai faite lorsque j'ai parlé des poissons de luxe. Je lui ai dit : Vous parlez de l'hiver rigoureux qui s'avance. Vous parlez du prix élevé du pain, du prix élevé des pommes de terre, du prix élevé de la viande ; et que venez-vous proposer ? Vous venez proposer la suppression du droit sur les huîtres, sur les homards, sur le saumon, sur le turbot. Vous supprimez aussi le droit sur d'autres produits, je le sais bien ; mais voilà un des résultats de ce que vous proposez ; comme s'il y avait le moindre rapport entre la proposition que vous faites et le mal que vous signalez.
M. Dumortier. - Mon intention n'est pas d'entrer dans la question qui a tenu quelques instants la Chambre, dans la question du poisson, des homards, du turbot, etc. J'ai un autre but en prenant la parole : c'est d'examiner la question très élevée qu'a soulevée l'honorable M. Couvreur et je crois que dans la situation actuelle plus que jamais, il est nécessaire qu'à cette tribune l'on s'occupe un peu des graves intérêts que le commerce et l'industrie mettent en jeu dans notre pays,
Cela est d'autant plus sérieux que nous sommes au commencement d'une crise alimentaire et que par conséquent notre devoir à nous qui, représentons le pays, est d'examiner la situation de ce pays lui-même et de voir si les lois qui régissent son industrie sont suffisantes pour son bien-être.
L'honorable M. Couvreur prétend qu'il serait utile de supprimer tous les droits de douane et pour appuyer cette opinion, il pose ce principe que nous avons entendu cent et cent fois, que tout droit d'entrée est une réduction de salaire.
En principe le droit d'entrée serait donc hostile à l'ouvrier. Quant à moi, je renverserai l'axiome ; je dirai que s'il est vrai qu'un droit d'entrée quelconque est un prélèvement sur les salaires, il est très vrai aussi que dans une foule de circonstances, la suppression des droits protecteurs est la suppression des salaires.
Quand, au moyen de la suppression des droits protecteurs, vous avez mis fin au travail d'une industrie, avez-vous par là amélioré les salaires ? Non, vous les avez fait disparaître. Allez voir dans les établissements qui chôment aujourd'hui en France et en Belgique, qui chôment par suite de cette réduction immodérée des droits protecteurs à l'entrée...
M. Jonetµ. - Et ils ne chômaient pas auparavant ?
M. Dumortier. - Non, quand ils avaient des droits protecteurs, beaucoup ne chômaient pas. Allez voir si par là vous avez amélioré la position de l'ouvrier.
Messieurs, je n'ai jamais été partisan des doctrines économiques. Ma manière de voir est celle, non des prédicants anglais qui cherchent à faire leurs affaires aux dépens du commerce du continent, mais celle des hommes d'Etat anglais qui, avant tout, examinent la question des intérêts. L'intérêt d'un pays, l'intérêt d'un peuple, pour moi c'est la première de toutes les choses.
On nous parle toujours de l'Angleterre ; mais c'est une vieille affaire. L'Angleterre a supprimé les droits sur tous les produits qu'elle peut créer à meilleur marché que tous les autres peuples. Voilà ce qu'elle a fait ; et en cela elle n'a fait une grande concession à personne.
Mais a-t-elle supprimé les droits sur les produits qu'elle ne pouvait créer que plus cher que les autres ? Elle s'en est bien gardée, et toutes les fois que nos établissements industriels sont arrivés en Angleterre pour introduire certains produits, certains objets que ce pays ne produisait pas à aussi bon marché qu'elle, qu'est-il arrivé ? On a laissé entrer la première fois, la seconde fois. La troisième fois, on les a arrêtés ; on a consulté le bureau des douanes et le bureau des douanes a assimilé ces produits, à quoi ? A des objets presque prohibés à l'entrée.
M. Jonetµ. - Vous êtes complètement dans l'erreur.
M. Dumortier. - Vous me répondrez. Mais la chicorée, est-ce que l'Angleterre la reçoit ? Je me rappelle parfaitement bien que le grand établissement industriel de faïences et de porcelaines de Tournai, l'établissement de M. Bock, avait fait une fabrication qui pouvait lutter admirablement bien contre les produits de l'Angleterre.
On a laissé passer une première, une seconde fois. Alors est arrivé le bureau des douanes qui, au moyen d'une interprétation, est venu prohiber les produits à l'entrée.
Une autre fois, un grand industriel de Bruxelles trouve moyen de produire certaine composition chimique qui pouvait arriver en Angleterre et y avoir un magnifique débouché. Le produit passe une fois, deux fois. Mais ensuite arrive la douane qui examine le produit et le fait payer comme quoi ? Comme l'essence de bergamote ; c'est-à-dire qu'il est pour ainsi dire prohibé à l'entrée.
Ne nous parlez donc pas des douanes de l'Angleterre. Tout est fantasmagorie à cet égard dans ce pays, parce que l'Angleterre a toujours son petit moyen caché, qui est son bureau de douanes, au moyen duquel elle défait en détail ce qu'elle a l'air de vous donner en gros. (Interruption.)
Encore une fois, répondez ; quant à la chicorée, qu'avez-vous obtenu ?
Vous avez introduit chez vous les produits anglais à des droits excessivement minimes, et qu'avez-vous en compensation ? Rien.
Messieurs, je me demande si la suppression des douanes serait un bienfait pour le pays, et je dis que ce serait une grande calamité. Je n'ai jamais été partisan du système prohibitif ; je n'ai jamais voulu des prohibitions, excepté lorsque l'alimentation publique en fait un devoir salus populi suprema lex ; mais hors de là, pas de prohibition.
Mais le droit protecteur est toujours un moyen excellent pour empêcher, tout au moins dans les crises, l'étranger d'inonder le pays de produits et de tarir ainsi la source du travail national, la source du salaire de l'ouvrier.
Je ne puis donc pas admettre que la suppression des droits de douane dont parle l'honorable M. Couvreur serait un bonheur ; je crois que ce serait une grande calamité pour le pays. Est-ce à dire que j'approuve le système de M. le ministre des finances ? Est-ce à dire qu'avec lui je trouve que le tarif belge est un des meilleurs qui existent ? Non, je ne partage pas cet avis. Je crois, au contraire, que le tarif qui nous régit est un des plus mauvais, un des plus détestables qui existent, et pour une raison très simple : c'est que vos tarifs sont faits sans réciprocité.
Ainsi vous avez un tarif d'échange avec la France et vous recevez tous (page 102) les produits français à 10 p. c. meilleur marché que vous ne pouvez introduire vos produits similaires en France. Et voilà ce qui, pour vous, est un des plus beaux tarifs qui existent ! Eh bien, je dis, pour mon compte, qu'en matière de tarifs, la première de toutes les conditions, au minimum, c'est la réciprocité.
Voyez, messieurs, l'état de notre industrie. Dans quelle situation se trouvent maintenant les hauts fourneaux de la Belgique ? Presque tous sont exposés à s'éteindre. Vous ne faites plus en Belgique de fontes de moulage au même prix auquel vous arrivent les fontes de moulage anglaises.
Vous parlez toujours de libre échange ; eh bien, vous faites comme l'individu qui a un petit couteau et qui veut se battre contre un individu qui a un grand sabre.
- Un membre. - Aux voix !
M. Dumortier. - M. Delaet, je ne crie pas : « Aux voix » quand vous parlez.
Je dis qu'avec votre libre échange vous jouez le rôle de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf.
Quant à moi, je me félicite d'avoir voté contre tous les traités de commerce, parce que tous ont sacrifié les intérêts de l'industrie nationale.
- Plusieurs membres. - A demain.
- D'autres membres. - Continuons.
M. Dumortier. - M. le président, on demande la remise à demain.
- Un membre. - Laissez voter l'amendement et continuez votre discours demain. (Adhésion.)
M. Dumortier. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on vote sur l'amendement. Je continuerai demain.
M. le président. - Je vais donc mettre aux voix l'amendement de M. Couvreur, qui est ainsi conçu :
« Ajouter au paragraphe premier de l'article premier du projet de loi la phrase suivante : A l'exception des droits d'entrée sur le poisson, qui sont supprimés à dater du 1er janvier 1868. »
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- L'amendement est mis aux voix par appel nominal :
78 membres sont présents.
30 adoptent.
48 rejettent.
En conséquence, l’amendement n’est pas adopté.
On voté l’adoption :
MM. Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Magherman, Orts, Reynaert, Royer de Behr, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Overloop, Van Renynghe, Wasseige, Carlier, Coomans, Couvreur, de Coninck, De Fré, Delaet, de Naeyer, de Rongé, de Terbecq, Dethuin, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jonet et Julliot.
On voté le rejet :
MM. Lange, Lippens, Muller, Nélis, Orban, Pirmez, Preud'homme, Sabatier, Schollaert, Tack, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Ernest Vandenpeereboom, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Vilain XHH, "Warocqué, Watteeu, Wouters, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Bruneau, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, de Maere, de Moor, Descamps, de Smedt, de Theux, de Vrière, Dewandre, de Zerezo de Tejada, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Jacquemyns, Jamar, Landeloos et Moreau.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
M. le président. - M. Carlier, obligé de s'absenter pour affaires importantes, demande un congé pour la séance de demain.
- Ce congé est accordé.
La séance est levée à 5 heures.