(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 35) M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre :
« Les sieurs Vanden Bossche, Van Montfort et autres membres du Cercle populaire de Borgerhout demandent le rejet du projet de loi de la commission militaire et de tout autre projet qui aurait pour résultat d'étendre le service militaire et d'augmenter les dépenses pour l'armée ; ils émettent en outre le vœu que le tirage au sort pour la milice soit aboli. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le conseil communal de Bertrix prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. »
« Même demande du conseil communal d'Offagne. »
- Même renvoi.
« M. le bourgmestre de la ville de Thielt adresse à la Chambre trois exemplaires du rapport sur l'administration et la situation des affaires de cette ville pour 1865-1866. »
- Dépôt à la bibliothèque.
M. le président. - Messieurs, j'ai reçu de l'honorable M. Van Overloop la lettre suivante :
« Monsieur le président,
< Un coup d'œil jeté sur les Annales parlementaires me fait présumer que la lettre par laquelle j'ai demandé un congé n'est pas parvenue à sa destination ; j'ai, en conséquence, l'honneur de répéter ma demande de congé pour affaires urgentes.
« Veuillez agréer, M. le président, l'assurance de ma considération la plus distinguée.
« Van Overloop.
« Gand, 30 octobre 1867. »
- Le congé est accordé.
M. Vermeireµ. - Messieurs, j'avais demandé la parole hier, lorsque l'honorable M. Lambert a prétendu que les boissons alcooliques ne pouvaient pas être soumises à une aggravation de droit sans que cette industrie en souffrît considérablement.
L'honorable M. Lambert a fait aussi quelques recherches statistiques auxquelles je crois devoir répondre, parce que je pense qu'il est tombé dans des erreurs profondes.
C'est ainsi qu'il a dit que les exportations s'élèvent à plus d'un million d'hectolitres, quand, quelques instants auparavant, il l'avait seulement évaluée à 400,000 hectolitres.
Il a cité le document statistique qui nous avait été distribué hier dans la journée.
Il résulte des recherches que j'ai faites dans cette statistique, que, loin d'être d'un million d'hectolitres, l'exportation s'élève à peine à 20,906 hect. à 50° Gay-Lussac pour 1865 et à 20,876 hect. pour 1866.
De là à un million d'hectolitres, il y a donc une grande différence.
En supposant même que la densité de l'alcool fût augmentée de deux tiers, c'est-à-dire qu'on multipliât le chiffre par 3 à cause de l'élévation du degré à 50°, on serait encore bien loin du chiffre indiqué hier par l'honorable membre.
L'honorable M. Lambert a dit aussi que l'élévation du droit devait certainement influer d'une manière défavorable sur la production de l'alcool.
Effectivement, en thèse générale, la simple raison nous dit que plus une marchandise est chère, moins aussi la consommation en est élevée.
Cependant il résulte encore une fois des recherches statistiques que j'ai faites, que c'est tout le contraire qui arrive dans la question qui nous occupe.
Ainsi pour ne citer que les chiffres de 3 années, en 1850 la consommation totale a été évaluée à 274,579 hectolitres, ayant donné lieu à un droit d'accise de 3,859,740 francs : en 1860 la consommation est de 353,054 hectolitres ayant donné lieu à une perception de 8,673,106 fr., et en 1865 alors que le droit était beaucoup plus élevé, la consommation totale a été de 375,642 hectolitres ayant donné lieu à une perception de droit de 12,599,503 fr.
Ainsi, si on divise le nombre d'hectolitres par le droit perçu, on trouve qu'en 1850 l'hectolitre a payé un droit de 10 fr. 34 ; qu'en 1860 ce droit a été de 24 fr. 56 et en 1865 de 33 fr. 54 ; en d'autres termes que l'augmentation de 1860 sur 1850 a été de près de 30 p. c. ; de 1865 sur 1860 de 7 p. c. ; de 1865 sur 1850 de 57 p. c.
Voilà pour les quantités. Ainsi, à mesure que le prix s'est élevé, la distillation a augmenté considérablement.
Il est vrai qu'en 1865 la population s'élevait à près de 5 millions d'habitants tandis qu'elle n'était que d'environ 4,500,000 en 1850. Mais tout en tenant compte de l'augmentation de la population, on peut dire encore que l'augmentation de la production et de la consommation va en progressant. Aussi, en élevant le droit d'accise sur les alcools ne réduirait-on pas la consommation.
Il faut dire aussi que la cherté du grain entre pour quelque chose dans le prix élevé du genièvre et que lorsque en 1865 et 1866 le grain était à un prix exorbitant, le genièvre n'en a pas moins été fabriqué dans une forte mesure.
Il importe aussi de remarquer que le genièvre que l'on dit entrer dans la consommation, entre pour une certaine partie dans les usages industriels, d'où la conséquence que cette quantité doit être défalquée de celle qui entre en consommation.
On a indiqué des moyens d'atténuer l'augmentation de la consommation des boissons distillées. Je crois que de tous ces moyens il n'en est pas un seul qui puisse faire diminuer dans une certaine mesure la consommation de l'alcool.
C'est aux progrès de la civilisation, a-t-on dit, qu'il faut demander la diminution de la consommation de l'alcool ; donnez l'instruction à. toute la population, donnez-la surtout aux enfants des ouvriers, aux enfants des pauvres.
Je ne crois pas que la diffusion de l'instruction soit précisément le moyen de faire diminuer la consommation du genièvre, et voici comment je raisonne : il est un fait avéré, c'est que depuis 20 ans, l'instruction a fait, dans notre pays, des progrès considérables, aussi bien dans les campagnes que dans les villes, à tel point que dans la commune que j'habite et dans d'autres communes limitrophes, il est très rare de rencontrer encore des jeunes gens de 11 à 13 ans qui ne sachent pas lire et écrire.
Or, la civilisation s'étant développée, il devrait en être résulté une diminution de consommation du genièvre proportionnelle à la diffusion de l'instruction. Eh bien, d'après les chiffres que je viens de citer, il n'est pas ainsi, car nous remarquons que les consommation du genièvre a suivi une progression constante parallèlement au développement de la civilisation.
(page 36) Comment donc pouvez-vous attendre d'une diffusion plus grande encore de l'instruction, une diminution dans la consommation du genièvre ?
Pour moi, messieurs, je crois que c'est une illusion, et je serais peut-être tenté de me demander si le développement de l'instruction n'a pas pour effet une augmentation de consommation du genièvre. Et, en effet, messieurs, ce sont précisément les hommes qui ont reçu une demi-instruction, ceux qui ont appris à lire et à écrire, qui sont le plus tentés d'aller au cabaret pour discourir sur les affaires publiques, et ils ne peuvent le faire sans faire remplir fréquemment leurs verres.
Je suis donc convaincu que l'extension de la civilisation ne peut pas faire diminuer la consommation du genièvre.
Je crois, messieurs, en présence de la situation du Trésor, en présence de la nécessité de plus en plus impérieuse de pourvoir aux besoins de la situation, je crois, dis-je, que le gouvernement ferait chose utile en augmentant l'accise sur les boissons distillées, si tant est, ce que j'ignore, que des traités internationaux n'y fassent point obstacle.
Mais, dit-on, si l'accise sur les boissons alcooliques était trop élevée, l'industrie des distilleries péricliterait bientôt, si même elle ne devait finir par renoncer à sa fabrication. Vous savez, messieurs, que le droit sur le genièvre est perçu sur la matière mise en macération, et que cette matière est censée donner un certain quantum de genièvre.
Or, si ce quantum est dépassé, il en résulte que toute la quantité qui a été obtenue en plus entre en franchise de droit dans la consommation. Pour mieux faire saisir ma pensée, je dirai que si, par exemple, une quantité de matière mise en macération doit, au point de vue du droit, produire huit litres et si le fabricant trouve le moyen d'en retirer neuf litres, le neuvième litre entre dans la consommation sans payer de droits. Or, plus la distillation est considérable, plus aussi le distillateur obtient du genièvre indemne de droit. Et cela est si vrai que j'ai entendu maintes fois de petits distillateurs me dire qu'il leur est presque impossible de soutenir la concurrence avec les grands distillateurs, attendu que ceux-ci obtenant une plus grande quantité de genièvre exempte du droit, ils peuvent accorder une réduction équivalente sur le prix du genièvre, réduction qui rend toute concurrence pour ainsi dire impossible.
Je crois donc, pour ma part, que le genièvre est une matière qui peut très facilement subir des droits plus élevés, un droit d'accise plus considérable, sans que cette augmentation puisse nuire à une industrie qui, je le reconnais volontiers, est très utile à l'agriculture. Je dois dire, toutefois, que si une augmentation de droit sur le genièvre devait avoir pour résultat de diminuer un peu la distillation, je n'y verrais pas encore un grand mal. Les grains qui aujourd'hui sont convertis en genièvre pourraient être plus convenablement convertis en pain. Il est encore à observer que pour l'exportation on restitue l'accise. Si donc on restitue l'accise, l'exportation ne peut en aucune façon souffrir de l'augmentation du droit d'accise ; de manière que s'il y a un drawback à l'exportation, ce drawback vient encore une fois en diminution de la quantité consommée à l'intérieur.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau, au nom de la commission spéciale chargée de l'examen du projet de révision du code de commerce, un rapport portant sur le titre VII du livre premier.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour avec les autres titres du code de commerce qui y sont déjà.
M. Bouvierµ. - Dans le cours de la discussion, on s'est beaucoup préoccupé, et avec raison, je le proclame, de la santé publique, de la criminalité prenant sa source dans l'abus des spiritueux.
On s'est vivement alarmé sur le sort des ivrognes, on a justement flétri, et en termes indignés, l'ivrognerie, les funestes conséquences qu'elle entraîne à sa suite ; mais je n'ai pas entendu une parole, un seul mot qui s'adressât à une classe de la société bien mieux faite pour exciter nos justes alarmes, je veux parler de la classe agricole, et, partant, des distilleries agricoles.
Notre devoir à nous, législateurs impuissants à porter un remède à un mal irrémédiable, autrement qu'en développant l'instruction publique, c'est de porter toute notre attention sur cette branche si importante de notre législation.
Plus la civilisation avance, plus, à mon sens, l'ivrognerie diminuera. Ce n'est pas l'opinion de l'honorable M. Vermeire, qui vient de soutenir, à l'instant même, la thèse contraire ; il prétend que plus la société progresse, se civilise, plus l'abus des boissons alcooliques se développe et grandit, plus on voit augmenter le nombre des consommateurs de genièvre. C'est bien là l'opinion de l'honorable membre.
M. Vermeireµ. - Je l'ai puisée dans la statistique.
M. Bouvierµ. - Chacun a sa manière d'interpréter la statistique. Mais l'honorable membre me permettra d'être d'un avis diamétralement opposé au sien. Je pense que si les classes laborieuses ne se moralisaient pas chaque jour davantage, si l'instruction ne se répandait de jour en jour, le nombre des consommateurs, qui est déjà considérable, serait bien plus grand encore, il deviendrait effrayant. Mais l'intérêt que nous portons aux classes laborieuses ne doit pas nous faire sacrifier une industrie importante du pays, que je proclame la plus importante, l'industrie agricole, et cela pour courir après un fantôme, l'extirpation de l'ivrognerie par une aggravation du droit d'accise.
Il faut a dit hier l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, avec toute l'autorité dont le législateur est armé, éloigner des lèvres de l'ouvrier le poison qui le conduit aux passions violentes, aux excès irréfléchis, aux désordres les plus déplorables en anéantissant chez lui tous les sentiments honnêtes.
Ce langage est fort beau, sans doute, mais il ne diminuera malheureusement pas le chiffre des ivrognes, tout en portant un coup fatal à la plus précieuse de nos industries.
Que deviendront, je me le demande, messieurs, les distilleries agricoles dont la situation actuelle est déjà si déplorable ? Que deviendra l'alimentation publique, qui doit être une des préoccupations constantes du législateur ? Oublie-t-on que la production de la viande, la fertilisation des terres par la quantité considérable d'engrais que procurent les distilleries sont une source indispensable et féconde d'alimentation, non seulement pour les classes laborieuses, mais pour toutes les classes de la société ?
Irez-vous sacrifier, pour arriver à un résultat négatif, la classe la plus saine, la plus morale et la plus laborieuse, la classe agricole, et croyez-vous de bonne foi qu'en élevant le droit vous extirperez une passion redoutable qui ne raisonne ni ne calcule ? Mais votre aggravation de droits punira les bons ouvriers sans amender les mauvais. Il ne faut pas méconnaître, et on l'a dit avant nous dans une pétition déposée sur le bureau de la Chambre, que, pour le travailleur besogneux, l'alcool, pris dans une certaine limite, est une boisson nécessaire, un élément réparateur, un élément respiratoire énergique. Je suis au regret de ne pas apercevoir à son banc l'honorable M. Vleminckx qui, j’en suis convaincu, m'accorderait son approbation.
M. Vleminckxµ. - Je suis présent.
M. Bouvierµ. - Pardon, je n'ai pas eu l'honneur de vous découvrir, ne vous voyant pas à votre place habituelle.
Et j'ajoute indispensable pour celui qui fouille les entrailles de la terre, le mineur, par exemple, pour celui qui travaille au sein des marais ou dans les terrains fangeux. Il arrivera de deux choses l'une : ou cet homme se passera de l'alcool qui lui est nécessaire, ou bien cet impôt de consommation deviendra une véritable réduction de salaire.
L'amendement qui a la prétention de favoriser la classe ouvrière va donc à l’encontre du but auquel il tend, et je ne pense pas que les électeurs de l'arrondissement d'Alost aient lieu de s'en féliciter.
M Delaetµ. - Il s'occupe du bien public et non de son arrondissement.
M. Bouvierµ. - Je crois que nous nous occupons tous du bien public. C'est là notre suprême devoir ; mais je dis que l'amendement doit porter à l'industrie agricole un coup fatal ; j'ajoute que, dans l'arrondissement de M. Liénart, il y a des distillateurs qui ne seront pas très satisfaits de la présentation d'un pareil amendement....
M. Vleminckxµ. - Cela doit-il l'empêcher de faire son devoir ?
M. Bouvierµ. - Non sans doute ; nous sommes parfaitement d'accord.
Messieurs, si je fais allusion à l'honorable M. Liénart et à son amendement, c'est que cet honorable membre se préoccupe à juste titre de ses électeurs. Cela est si vrai qu'à l'occasion de la discussion sur l'abolition de la peine de mort, il a cru devoir, il en a fait la confession devant la Chambre, il a cru devoir, dis-je, consulter ces mêmes électeurs sur cette question. Je crois que s'il avait eu recours dans cette circonstance au même moyen, ils l'auraient dispensé, dans l'intérêt de l'agriculture, de présenter son amendement.
(page 37) L'honorable M. Kervyn a invoqué la législation hollandaise dans laquelle le droit d'accise sur la fabrication a subi une forte augmentation par les lois des 1er mars 1864 et 7 juillet 1805, qui l'ont porté de 35 fl. à 50 fl. Mais cet honorable membre a oublié de prouver que cette surélévation des droits ait eu la moindre influence sur la consommation des boissons alcooliques.
L'honorable membre a dû reconnaître, sur une interruption de l'honorable ministre des finances, que l'aggravation de l'impôt n'a pas eu pour résultat de diminuer la consommation, mais de l'arrêter.
Eh bien, nous allons démontrer à l'honorable membre que cette surélévation n'a pas atteint en Belgique le but qu'il entrevoit et qu'il désire atteindre.
Consultons donc les chiffres.
M. Coomans. - Consultons notre conscience.
M. Bouvierµ. - Nous n'avons pas, sous ce rapport, de leçons à recevoir de M. Coomans.
M. le président. - Je demande qu'on cesse ces colloques. M. Bouvier, continuez votre discours.
M. Bouvierµ. - Je vais satisfaire à ce désir, M. le président ; mais quand on m'attaque, je me défends.
Consultons donc les chiffres indiqués dans le rapport de la section centrale.
En 1840 le droit d'accise par hectolitre de cuve matière s'élevait à 40 c. et le prix du genièvre à 52,3.
En 1841 le droit était de 60 c. prix 50.
De 1842 à 1861 droit 1 fr., prix 58,4.
De 1852 à 1859 droit 1 fr. 50 c, prix 75,8.
De 1860 à 1866 droit 2 fr. 45 c., prix 76,2.
Que proclament ces chiffres, sinon qu'au fur et à mesure que le droit à la cuve matière s'élève, le prix moyen du genièvre suit la même progression, et cependant, chose triste à constater, vous l'avez proclamé vous-même, M. Kervyn, la consommation d'augmenter et d'augmenter de 50 p. c. de 1848 à 1865. Je dois cependant émettre un doute sur la hauteur de ce chiffre, que je crois exagéré dans de fortes proportions.
M. Coomans. - Non ! non !
M. Bouvierµ. - Comment non ? Ce sont des chiffres puisés dans la statistique. L'honorable M. Coomans voudra bien y répondre. Dans la séance d'hier, l'honorable M. Kervyn proclamait qu'il n'y avait rien de plus éloquent qu'un chiffre, que les plus beaux discours devaient céder devant lui. Or je cite un chiffre et je pense que cela devrait satisfaire l'honorable M. Coomans, si jamais l'on peut parvenir à un pareil résultat avec lui.
Quel est la résultante de cette statistique ? C'est que l'aggravation dans le passé n'a pas exercé la moindre influence sur la consommation des boissons distillées et je suis en droit de proclamer par voie de conséquence, et en tenant compte de ce qui se passe en Hollande, qu'elle n'en produira aucune dans l'avenir.
Cela est profondément regrettable au point de vue moral, social, humanitaire, mais les chiffres inexorables constatent l’impuissance du législateur et prouvent qu'il doit faire la part des passions de l'homme.
Pour me résumer, je déclare avec une profonde conviction que l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Liénart porterait le dernier coup, le coup de mort aux distilleries agricoles déjà si profondément atteintes par la législation actuelle. Loin de diminuer le nombre des débits alcooliques, cet amendement en favoriserait l'extension par la suppression du droit qui les frappe actuellement, pour le porter sur le droit de fabrication, c'est-à-dire, sur le travail agricole. Au nom des intérêts les plus sacrés de l'agriculture, au nom de l'alimentation publique, je repousse cet amendement fatal à une industrie à laquelle je porte le plus grand intérêt.
M. le président. - La parole est à M. Le Hardy de Beaulieu. Mais cet honorable membre m'a prévenu qu'il n'entendait pas parler sur la question dont s'occupe en ce moment la Chambre.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je demande à remettre mon discours jusqu'au moment où la discussion sur le débit des boissons alcooliques sera épuisée.
M. le président. - Je crois en effet qu'il vaut mieux laisser cette discussion suivre son cours.
Quelqu'un demande-l-il encore la parole ?
M. Coomans. - Je demande la permission de dire encore un mot, bien que j'aie déjà parlé deux fois. Mais, je dois faire observer que je n'ai parlé qu'une fois sur la question qui nous occupe. Du reste, je ne prendrai que trois minutes.
M. le président. - Je crois que la Chambre ne s'opposera pas à vous entendre. Vous avez la parole.
- Des membres. - Parlez ! parlez !
M. Coomans. - Il m'a semblé, hier, que lorsque j'ai pris la liberté d'interrompre l'honorable M. Hymans, à qui je disais qu'il y avait dans le corps électoral, pour les Chambres, 11,000 électeurs qui ne seraient pas électeurs sans le droit de débit sur les boissons fortes, l'honorable ministre des finances m'a dit que je me trompais. Il a dit : Mais non.
MfFOµ. - Ce n'est pas cela.
M. Coomans. - Ce n'est pas cela ! Alors comme les journaux ont très mal rendu cette partie de la séance, je tiens à les rectifier. Il est donc acquis aujourd'hui...
MfFOµ. - Voulez-vous me permettre de dire un mot ? Ce n'est pas acquis du tout.
M. Coomans. - Mais laissez-moi formuler ma pensée. Il est acquis à la discussion et il est constaté par le Moniteur du mois d'avril de cette année et par le rapport de l'honorable M. Sabatier, que M. le ministre des finances a déclaré lui-même que le corps des électeurs pour les Chambres renfermait 11,000 électeurs qui ne le seraient pas si le droit de débit sur les boissons fortes n'était pas compté dans le cens électoral.
Voilà ce qui est acquis à la discussion et voilà tout ce que j'ai voulu dire. Or, il me semble que lorsque le dixième d'un corps électoral très restreint, très privilégié, se compose de cabaretiers qui ne sont électeurs qu'à titre de cabaretiers, sans compter les 7 ou 8 mille autres électeurs cabaretiers qui figurent dans ce même corps électoral, c'est là un fait considérable, qui a dû exercer une influence énorme sur les votes, surtout alors que dans plusieurs scrutins de liste, la victoire n'a été remportée que par 10 ou 12 électeurs.
Or, quand le corps électoral d'un grand arrondissement renferme 1,400 cabaretiers au moins, on peut bien supposer que le résultat final causé par une douzaine de suffrages est dû à une douzaine de cabaretiers.
Voilà ce qui m'afflige, voilà ce qui m'indigne, voilà ce que je repousse au nom des principes du libéralisme honnête et sincère.
MfFOµ. - Messieurs, j'ai interrompu hier M. Coomans, lorsqu'il a dit qu'il y a 11,000 électeurs pour les Chambres législatives, qui ont cette qualité exclusivement à raison de l'impôt sur le débit des boissons alcooliques.
M. Coomans. - Comme appoint.
MfFOµ. - Je vous ai interrompu précisément pour vous faire remarquer qu'il s'agissait uniquement d'un appoint.
Dans la discussion de la loi sur les fraudes électorales, j'ai déjà eu l'occasion de m'expliquer à cet égard, et j'ai indiqué dans quelle mesure le droit sur le débit des boissons venait compléter le cens électoral.
- Un membre. - Nous sommes d'accord.
MfFOµ. - Ce n'est pas précisément ce que l'on a prétendu.
- Un membre. - C'est la même chose.
MfFOµ. - Ainsi, pour vous, il est indifférent qu'un électeur paye 95 p. c. du cens eu impôts ordinaires, et 5 p. c. seulement au moyen de l'impôt sur le débit des boissons, ou qu'il paye la totalité du cens au moyen de ce dernier impôt ? Il me semble, à moi, qu'il y a là, au contraire, une bien grande différence.
M. le président. - Cet incident est clos.
La parole est à M. le ministre des finances dans la discussion générale.
MfFOµ. - Messieurs, je ne sais si les discours prononcés dans cette discussion ont fait sur vous la même impression que sur moi. Mais, quant à moi, il m'a paru qu'il y avait une disproportion énorme, un défaut d'harmonie extraordinaire, entre les considérations qui ont été développées et les conclusions auxquelles on a fini par aboutir.
Nous avons entendu d'honorables membres s'élever avec la plus grande éloquence contre les abus de l'ivrognerie, contre l'usage immodéré des boissons alcooliques. Sous ce rapport, ils avaient parfaitement raison. Ils ont signalé à votre indignation les maux de toute espèce qu'engendre cette fatale passion. Ils vous ont fait remarquer combien de victimes elle voue à l'aliénation mentale, et comment elle multiplie les crimes et les (page 38) délits. Tout cela est malheureusement très exact, et personne ne songe à en rien contester. Seulement, comme conclusion à tous ces beaux discours, à quels remèdes vous convie-t-on d'avoir recours pour refréner ces regrettables abus ?
On arrive tout simplement à vous proposer de donner un peu plus de facilités qu'il n'en existe aujourd'hui pour l'établissement des cabarets, et cela seulement à la condition de mettre un verre d'eau dans un hectolitre de genièvre ! (Interruption.) C'est là, en réalité, tout le système sur lequel nous délibérons.
Aujourd'hui il y a un certain obstacle à l'ouverture des cabarets, puisqu'il y a un droit à payer ; mais si la proposition qui vous est soumise était adoptée, évidemment toute entrave aurait disparu. Que l'impôt soit un obstacle à l'ouverture des cabarets, cela est évident : au-dessous de ceux qui payent actuellement l'impôt établi sur le débit des boissons, il y a assurément un certain nombre d'individus qui ne demanderaient pas mieux que d'essayer de gagner quelque chose en tenant un petit cabaret, mais qui sont arrêtés dans leur désir par l'impossibilité où ils se trouvent de payer la taxe exigée.
Or, supprimez la taxe, et ces personnes pourront immédiatement ouvrir des débits nouveaux.
Mais, dit-on, la proposition va augmenter dans une certaine mesure le droit sur le genièvre et par suite le prix de cette boisson, d'où l'on espère une réduction de la consommation. Mais en quoi consiste cette proposition d'augmentation des droits, et quel en sera le résultat au point de vue du prix ? Sait-on ce que cela représente ? Peut-être un ou deux centimes par litre de genièvre.
M. Liénartµ. - Elevez la proportion, j'y consens volontiers.
MfFOµ. - Bien ! Mais cela ne fera pas disparaître le premier vice que je signale dans votre proposition, l'écart qui existe entre vos prémisses et vos conclusions, c'est-à-dire la facilité plus grande que vous donnerez à l'établissement des cabarets. Voilà qui est incontestable.
Maintenant, quant au taux du droit, vous voulez, dites-vous, l'élever beaucoup plus que vous ne l'avez indiqué d'abord. Eh bien, on pourra le faire, mais sans atteindre le moins du monde le résultat que vous poursuivez.
Il suffît de consulter notre propre législation, il suffit de savoir ce qui s'est fait dans ce pays depuis 25 ou 30 ans pour avoir la conviction inébranlable que l'accroissement du droit n'opérerait pas dans le sens d'une réduction de la consommation.
Il est arrivé que le droit a été élevé de 70 p. c., sans que l'on ait abouti à restreindre l'usage des boissons alcooliques, comme vous l'avez constaté vous-mêmes en invoquant, à l'appui de votre argumentation, l'accroissement constamment progressif de la consommation.
Au surplus, messieurs, tout en rendant hommage aux excellentes intentions exprimées par les honorables membres auxquels je réponds, je crois pouvoir dire qu'ils poursuivent avec non moins d'ardeur un but tout autre que celui auquel ils semblent s'attacher de préférence. La conclusion de leurs beaux discours, et la conséquence de leur proposition, en un mot le véritable objectif de leurs efforts, c'est la suppression de 10,000 à 11,000 électeurs. (Interruption.) C'est là le résultat le plus net de la proposition, et cela tendrait à prouver que les sentiments philanthropiques, le désir de corriger le peuple de l'abus des boissons distillées, a d'heureuses conséquences politiques.
Depuis ces dernières années, on a fait des tentatives de tout genre pour arriver à réduire le nombre des électeurs par la suppression de l'impôt qu'on exige de ceux qui débitent des boissons distillées. Nous avons vu des députations permanentes s'acharner contre les électeurs cabaretiers et s'obstiner, malgré les décisions de la cour de cassation, à ne pas vouloir admettre cet impôt comme base du cens électoral.
On a cependant échoué dans ces tentatives, et la cour de cassation, par des résolutions solennelles a décidé que la taxe établie sur le débit des boissons et qui est un impôt direct, doit être compris dans la supputation du cens électoral.
Lorsqu'on a échoué dans toutes les tentatives, ici, au dehors et devant les tribunaux, on a recours à la philanthropie, on manifeste le désir de corriger les passions populaires, mais, en réalité, pour obtenir quoi ? La suppression d'un certain nombre d'électeurs ! (Interruption.)
Et bien, messieurs, je me demande si l'on sait bien, à ne considérer la question qu'au point de vue politique, je l'examinerai tantôt au point de vue moral et hygiénique, je me demande, dis-je, si l'on sait bien où l'on va et ce que l'on fait ? Je me demande si l'on s'est bien assuré que, sous prétexte d'atteindre les cabaretiers, on n'arrivera pas à éliminer du corps électoral un grand nombre de citoyens très respectables, très dignes d'intérêt, d'électeurs réunissant toutes les conditions de moralité et d'aptitude que l'on peut exiger. Voilà ce que l'on ignore absolument. C'est un point sur lequel aucun éclaircissement n'a été donné par les honorables auteurs de la proposition.
L'honorable M. Liénart nous dit qu'en formulant sa proposition telle qu'il vous l'a soumise, il a été inspiré uniquement par un esprit de modération et de conciliation. Eh bien, messieurs, moi qui suis également animé du même esprit de modération et de conciliation, je lui demande de renoncer à cette proposition, pour ne pas faire disparaître du corps électoral 10,000 ou 11,000 électeurs qui y figurent aujourd'hui à juste droit. Nous ne lui refuserons pas d'ailleurs la satisfaction d'aller plaider de nouveau la question devant la cour de cassation.
De cette façon on répondra beaucoup mieux encore à ce que réclame l'esprit de modération et de conciliation en cette matière.
Comment cet esprit de conciliation et de modération pourrait-il consister à porter une atteinte si grave à une situation qui existe depuis tant d'années ? Cet esprit doit consister à se soumettre d'abord aux décisions de la législature et ensuite à celles des corps judiciaires, et je dois dire que l'honorable membre ne serait ni modéré ni conciliant, en persistant dans une proposition qui devrait avoir de pareils résultats.
Le but réel que l'on poursuit est donc la suppression d'un certain nombre d'électeurs. On veut surtout cette suppression parce que, selon d'honorables membres, l'impôt sur le débit des boissons ne doit pas être considéré comme un impôt direct !
Mais pourquoi ? Quelle différence y a-t-il entre le droit qui est réclamé de ceux qui vendent en détail des boissons distillées, et le droit réclamé de ceux qui exercent un autre commerce quelconque, pour lequel ils payent patente ?
Nous n'avons pas besoin de nous livrer sur cette question à des études théoriques, de recourir aux économistes, comme l'a fait l'honorable rapporteur, pour savoir ce que c'est que l'impôt direct et l'impôt indirect.
La solution de la question se tire tout naturellement de notre législation. Qu'est-ce que notre législation entend par impôt direct et par impôt indirect ? Mais le doute n'est pas possible à cet égard. Je conçois très bien que les économistes discutent le point de savoir ce qu'il faut entendre par impôt direct et par impôt indirect, mais à un tout autre point de vue, c'est-à-dire pour savoir comment agissent ces impôts et quelle est leur influence.
Mais, pour nous, législateurs, il n'y a pas l'ombre d'un doute, d'une difficulté. Nous appelons impôts directs, la contribution foncière, la contribution personnelle, les patentes, la redevance sur les mines, etc.
Je demande maintenant quelle différence on peut trouver entre la patente et le droit de débit ? Il n’y en a pas. On peut bien, par une subtilité que, certainement, je n'admets point, prétendre que cet impôt doit être considéré comme un droit d'abonnement, et appuyer cette prétention par quelque raisonnement tout spécieux, tel que celui-ci, par exemple : Un impôt de consommation existe, mais on peut se racheter de cet impôt par un abonnement fixe, qui représente la consommation présumée de l'individu qui acquitte cet abonnement.
Je comprends cela jusqu'à certain point ; mais ici, l'on ne réclame pas de ceux qui consomment le genièvre un certain prix à titre d'abonnement, pour tenir lieu de leur droit de consommation. On réclame une taxe, une véritable patente spéciale, de celui qui débite cette marchandise, comme on réclame un droit de patente de celui qui débite du sucre ou du café.
Les positions sont donc identiquement les mêmes sur ce point, et je suis à cet égard tout à fait de l'avis de l'honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Je suis surpris d'entendre l'honorable M. Dumortier demander la parole, lorsque je fais cette déclaration.
M. Dumortier. - Est-ce que cela vous offense ?
MfFOµ. - Certainement non. Mais cela me rappelle que j'ai une explication à donner à l'honorable membre sur la citation que j'ai faite, dans une séance précédente, d'un de ses discours.
M. Dumortier. - J'espère que vous voudrez bien reconnaître que c'était une citation incomplète.
MfFOµ. - J'ai vérifié depuis, et j'ai trouvé que le véritable sens de la citation est bien celui que j'ai donné.
(page 39) M. Dumortier. - Ah ! ah ! vous en connaissez mieux le sens que moi.
MfFOµ. - J'ai trouvé que M. Dumortier avait combattu l'opinion exprimée par M. Lebeau ; qu'il lui a dit, d'une manière générale, que si l'impôt était direct, il devait être compté pour la formation du cens, mais que s'il était indirect, il ne pouvait être admis comme base du cens. Voilà bien le sens de la citation que j'ai faite. Seulement, il y a quelque chose de plus. Il y a un vote qui révèle clairement l'opinion de l'honorable M. Dumortier. On avait mis aux voix un article du projet de loi qui tendait à faire considérer la taxe qu'il s'agissait d'établir sur le débit des boissons, comme une sorte d'impôt de consommation, d'abonnement, c'est-à-dire comme impôt indirect.
M. Dumortier. - Je n'étais pas présent alors.
MfFOµ. - Pardon ; vous n'étiez pas présent le jour où il a été décidé que le droit ne compterait pas pour former le cens électoral ; mais le jour où l'on a voté sur le point que j'indique, vous étiez présent et vous avez voté contre cette interprétation.
M. Dumortier. - Nous vérifierons cela.
MfFOµ. - Voilà ce que j'ai trouvé. (Interruption.) L'honorable membre a voté dans le second vote en 1838, précisément avec tous les membres qui avaient figuré dans le premier vote, comme voulant faire compter dans le cens électoral l'impôt de débit des boissons, c'est-à-dire avec MM. Raikem, Dubus, Doignon, etc., les compagnons ordinaires de l'honorable M. Dumortier. (Interruption.)
Quoi qu'il en soit, messieurs, il a été formellement décidé que le droit de débit de boissons alcooliques est un impôt direct. Je l'ai toujours soutenu quant à moi, tout en respectant l'opinion de ceux qui ne partagent pas mon appréciation, et je suis surpris de voir d'honorables membres qui font constamment parade de leurs opinions démocratiques, qui veulent l'extension du droit électoral, prétendre ici restreindre le nombre des électeurs dans une proportion considérable, en appuyant l'amendement de M. Liénart. A cela l'on a répondu : Nous avons un remède ; nous l'avons déjà signalé et nous nous étonnons que vous ne vous en souveniez pas. Je m'étonne bien plus que vous ne vous souveniez pas de la réponse que je vous ai faite ; je la croyais tellement péremptoire, que je m'imaginais que vous aviez dû abandonner dès lors l'utopie que vous aviez mise en avant.
Vous aviez dit, non pas seulement que vous aviez un remède, mais que vous en aviez deux. Le premier, c'était le suffrage universel. Je vous ai répondu que, le suffrage fût-il universel, vous auriez encore dans le corps électoral une égale proportion de cabaretiers et de débitants de boissons. (Signe de dénégation de M. Coomans.) Vous faites un signe de dénégation ! voyons : eussions-nous le suffrage universel, il ne procurerait pas 900,000 électeurs, déduction faite des incapables, des indignes, des individus secourus par la bienfaisance publique, etc.
Or, nous comptons 95,000 débitants de boissons, dont 11,000 figurent dans le corps électoral actuel, soit 10 à 11 p. c.
M. Jacobsµ. - Et les débitantes.
MfFOµ. - Oh ! avouez que c'est une petite misère. D'ailleurs au lieu d'une proportion de 11 p. c., voulez vous qu'elle se réduise à 9 ou 10 p. c. ? Je vous le concède volontiers ; mais au fond la situation ne serait pas modifiée.
Le second remède a été donné par M Coomans ; il consiste à transformer les impôts indirects en impôts directs, en établissant une taxe sur le cube des habitations. Ce serait un impôt cubique. (Interruption.)
J'ai objecté à cela que nous avions 900,000 maisons en Belgique et que, dans l'état actuel, sur ces 900,000 maisons, plus de 500,000 sont exemptes d'impôts ; c'est-à-dire que ceux qui les occupent sont dans une position telle, qu'il leur est impossible d'acquitter la faible contribution qui répond à l'occupation de ces maisons.
M. Coomans. - Est-ce que ces habitants ne payent pas l'impôt indirect ?
MfFOµ. - Vous déplacez toujours les questions.
Lorsqu'une objection vous paraît un peu forte, vous parlez d'autre chose. Restons, s'il vous plaît, sur le terrain où nous sommes ; tout à l'heure je viendrai à votre objection.
M. Coomans. - Je diminue l'impôt.
MfFOµ. - Ah ! maintenant vous diminuez l'impôt ! Cela est très facile à dire. Quoiqu'il en soit, le système que vous proposez n'est qu'un ingénieux moyen d'arriver à la réduction du nombre des électeurs, tout en proclamant que, ce que vous voulez avant tout, c'est l'extension du droit de suffrage.
M. Coomans m'objectait tout à l'heure que les occupants de ces maisons exemples d'impôts directs payent cependant aujourd'hui l'impôt indirect ? Oui ; l'impôt indirect, ils l'acquittent ; seulement, nul ne sait dans quelle mesure. Mais ce qui est certain, c'est que l'impôt que vous voudriez substituer à celui qui existe, et que vous voudriez réclamer directement de ces occupants d'habitations chétives, tomberait nécessairement en non-valeurs. Et puis, est-ce que vous vous êtes imaginé que, lorsque vous aurez transformé un impôt indirect en impôt direct, à votre façon, les particuliers n'acquitteront plus l'impôt ? Ils le payeront en tout état de cause, soit directement, soit indirectement, car dans l'hypothèse ou l'impôt tomberait en cotes irrécouvrables, ils le payeraient par la consommation des objets qu'ils seraient obligés d'acheter, et dont le prix s'élèverait en proportion de la charge qui retomberait sur la masse des contribuables solvables.
Ainsi, une chose reste vraie : c'est que la proposition qui nous est faite ne peut avoir d'autre objet et n'aurait d'autre résultat que de diminuer le nombre des électeurs.
Au point de vue moral et hygiénique, il est inutile de s'occuper de la proposition, car elle ne pourrait avoir, sous ce rapport, aucune influence.
Mais, je vous le demande : savez-vous ce que vous faites, savez-vous où vous allez, savez-vous quels sont les électeurs que vous voulez rayer ? Vous vous occupez exclusivement du cabaretier proprement dit, de certains cabaretiers, dans certaines localités et dans certaines conditions données ; mais la masse des débitants de boissons doit-elle être frappée du même anathème ? Sont-ils tous dans les mêmes conditions, et ne faut-il pas dire d'eux en général ce que disait M. Kervyn en parlant de ceux qui exercent leur industrie dans la commune qu'il habite ? Ce sont pour la plupart, disait-il, des gens très honorables, des citoyens parfaitement dignes de figurer sur les listes électorales. Et cependant vous allez les frapper ; vous allez les rayer de ces listes ; pourquoi ? Le peut-on dire sérieusement ?
M. Bouvierµ. - Parce que c'est leur cauchemar.
MfFOµ. - Messieurs, un honorable sénateur a fait une étude sur la question des cabarets ; il l'a livrée à la publicité. Cela m'a fourni l'occasion de faire rechercher, pour la commune qu'habite cet honorable sénateur, quelle est la condition des électeurs, soit communaux, soit généraux. Un travail de ce genre pour tout le pays, s'il pouvait être fait, serait, je crois, de nature à convaincre bien des incrédules.
Il s'agit d'une commune peu importante des environs de Bruxelles. Dans cette commune il y 27 débitants, dont quatre seulement exercent exclusivement la profession de cabaretier ; deux d'entre ces derniers sont des veuves, imposées à la contribution foncière et dont les fils sont cultivateurs. Les 23 autres se subdivisent comme il suit : .
6 sont exclusivement cultivateurs.
1 est cultivateur et brasseur.
1 est cultivateur, boutiquier et menuisier.
1 est cultivateur et marchand de charbon.
1 est cultivateur et distillateur.
1 est cultivateur et garde champêtre.
1 est sellier.
2 sont menuisiers.
1 est boutiquier.
2 sont cordonniers.
53sont maçons.
1 est maréchal ferrant.
1 est fermier de barrière communale.
1 enfin est ouvrier gantier.
Voilà, messieurs, quels sont les vingt-sept débitants de cette commune peu considérable.
Maintenant, quels sont les impôts que payent, au profit de l'Etat, ces diverses personnes ? 15 débitants payent en contribution foncière 270 fr. 12, c'est-à-dire 24 p. c. du total ; 23 payent en contribution personnelle 366 fr. 72, c'est-à-dire 33 p. c. du total ; 25 payent 230 fr. 27, ou 12 p. c. pour droit de patente ;
Enfin, un de ces débitants paye 6 francs du chef d'un débit spécial de tabac.
(page 40) Ces diverses sommes nous donnent un total de 775 fr. 11, dans lequel les impôts autres que le droit de débit figurent pour 1.9 p. c.
Abstraction faite des autres conditions, sept débitants sur 27, ou un quart, ne deviennent électeurs communaux qu'au moyen du droit de débit de boissons, représentant un tiers des impôts. Les autres contributions, qui constituent les deux autres tiers de la somme payée, fournissent, sans le débit de boissons, vingt électeurs à francs, ou 77 p. c. de la liste électorale.
Maintenant quelle est l'influence des débits de boissons, dans cette même commune, sur les électeurs généraux ? Elle se traduit par les chiffres suivants : En 1866, il y avait 19 électeurs généraux, dont 6 sont imposés au droit de débit de boissons, et de ces six débitants, il en est quatre qui ne payeraient par 42 fr. 32 sans ce droit. Les impôts payés par ces 19 citoyens s’élèvent, savoir :
Foncier fr. 902-63 ou 53 p. c.
Personnelle fr. 516-05 ou 35 p. c.
Patente fr. 136-95 ou 8 p. c.
Enfin le droit de débit de boissons distillées figure pour 5 p. c. seulement dans le total des contributions payées par ces 19 individus. Ainsi, dans les 1,687 fr. de contributions qu'ils payent, on ne compte que 90 francs pour le droit de débit de boissons.
En présence de pareils faits, ne vous semble-t il pas, messieurs, abstraction faite de toute autre considération, qu'avant de prendre une mesure qui atteindrait si profondément le corps électoral, qui supprimerait 10,000 à 11,000 électeurs qui figurent sur les listes depuis une vingtaine d'années, ne vous semble-t-il pas, dis-je, que cela mériterait bien un certain examen, un peu de réflexion ; et qu'il ne suffit pas d'improviser sur les bancs de la Chambre un amendement quelconque, pour arriver à une solution sensée, rationnelle, d'une difficulté aussi grave que celle qui se présente ici ?
Une autre observation, messieurs, doit encore être soumise à la Chambre.
On suppose que toute patente de débit de boisson représente un cabaret : débit de boisson et cabaret, c'est la même chose pour certaines personnes ; tout débit de boisson est un cabaret, disent-elles. Or, messieurs, c'est là une erreur, et une erreur très grande ; vous allez voir quels sont ceux que vous atteindriez encore.
La loi assujettit à cette patente spéciale tous ceux, quels qu'ils soient, qui débitent des boissons par quantité de cinq litres et au-dessous. D'où il suit qu'il y a une multitude de boutiquiers, d'aubergistes, d'épiciers, de confiseurs, de pâtissiers, etc., qui acquittent ce droit de débit de boissons. Ceux-là pourtant ne sont sans doute pas des cabaretiers, et néanmoins ils disparaîtraient des listes électorales, grâce à la mesure qu'on vous propose.
Il me paraît donc indubitable que, sous prétexte de proscrire les cabaretiers proprement dits, on arriverait à atteindre un nombre considérable de citoyens qui acquittent une somme notable d'impôts. Ce sont des citoyens très convenables, très respectables, très dignes du droit électoral, et il n'y a aucune espèce de raison de les proscrire.
Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire sur le côté politique de cette affaire, sur le côté qui, j'ai lieu de le croire, a été réellement l'objet de la pensée intime de l'auteur de l'amendement.
Je reconnais qu'il y a, à côté de ceux qui agissent presque exclusivement dans des vues politiques, un grand nombre de membres qui se préoccupent sérieusement, sincèrement, de la question même de l'abus des boissons alcooliques, au point de vue de la moralité et de l'hygiène publique.
Messieurs, nous ne sommes pas de ceux qui viennent les derniers s'occuper de cette question : il y a quelques années, en 1858, la Chambre, dans une adresse en réponse au discours de la Couronne, avait recommandé à la sollicitude du gouvernement l'examen de cette question importante. Le gouvernement n'a point négligé cet examen.
J'ai fait faire sur cet objet une étude que je crois très approfondie ; je me proposais de la soumettre à la Chambre ; mais, après avoir tout vu, tout lu, tout examiné, après avoir pris l'avis des personnes les plus compétentes, l'opinion des écrivains les plus recommandables, après avoir consulté et comparé les législations de tous les pays, j'ai été arrêté par cette conviction, que tous les efforts qui ont été faits dans le but de restreindre l'usage et surtout l'abus des liqueurs alcooliques sont restés absolument stériles ; je me suis vu obligé de confesser mon impuissance, ne pouvant pas proposer au parlement une mesure quelconque qui pût être considérée comme réellement efficace.
Voici, messieurs, telle qu'elle est encore à mon dossier, la note qui devait précéder le dépôt, sur le bureau de la Chambre, de l'étude dont je viens de parler et que j'ai ici sous la main.
« Dans l'adresse présentée l'an dernier à S. M., en réponse au discours du trône, la Chambre des représentants a recommandé à la sollicitude du gouvernement, la recherche et l'examen des moyens législatifs qui seraient propres à restreindre l'abus des boissons fortes.
« De leur côté, plusieurs honorables membres du Sénat, lors de la discussion du budget des voies et moyens de 1860, insistèrent sur la nécessité de combattre l'ivrognerie, par des mesures énergiques émanant du pouvoir.
« Le gouvernement est loin de méconnaître ce qu'il y a de fondé dans les observations qui ont été faites, et il n'a cessé de se préoccuper de cette question. Mais s'il est aisé de constater le mal, il est fort difficile de trouver le remède que le gouvernement pourrait y apporter. Les opinions sont aussi nombreuses que variées sur ce point, et il en est qui vont même jusqu'à contester la compétence de l'autorité publique en pareille matière.
« Quoi qu'il en soit, j'ai pensé qu'avant d'en arriver à déterminer dans quelles limites l'action de la loi est désirable et serait efficace, qu'avant de formuler aucun projet à cet égard, il était indispensable que l'opinion publique fût mise à même d'apprécier ce qui avait été fait et obtenu dans les pays où l'abus signalé s'était manifesté avec le plus de gravité, et avait été le plus combattu.
« L'expérience a d'ailleurs prouvé que, partout où des mesures émanées de l'autorité avaient devancé les vœux de la nation, les efforts tentés étaient restés stériles. Ce n'est pas trop, en effet, du concours de tous, ou tout au moins du plus grand nombre, lorsqu'il s'agit de déraciner un abus qui, il faut bien le dire, trouve un puissant auxiliaire dans les mœurs traditionnelles du peuple. Mais, pour pouvoir compter sur ce concours, il faut s'attacher d'abord à agir sur l'opinion en l'éclairant.
« C'est en vue d'atteindre ce premier résultat que j'ai l'honneur de communiquer aux Chambres, une série de renseignements destinés à rendre plus générale la connaissance de faits qui, pour la plupart, n'ont guère été mentionnés jusqu'aujourd'hui en Belgique que dans des ouvrages spéciaux, dont la publicité est d'ailleurs restreinte dans un cercle peu étendu. »
Ainsi, le travail existe ; il est prêt ; il est là ; mais, je le répète, j'ai reconnu que j'étais impuissant à proposer un moyen qui pût amener un résultat utile. Je crois que les honorables membres qui se sont également occupés de cette question doivent en être arrivés à peu près à avoir la même conviction ; car ils ne formulent aucune proposition formelle, ils n'indiquent aucune mesure propre à exercer une influence réelle sur l'abus des liqueurs fortes. Ils se bornent à exprimer des plaintes au sujet de la situation regrettable qu'ils constatent.
Ces plaintes peuvent être fondées, je ne le méconnais point. Mais, messieurs, il ne faut pas cependant exagérer le mal, et je crois sincèrement qu'on l'exagère. La consommation des liqueurs fortes est considérable en Belgique, je le sais bien, mais lorsqu'on fait la comparaison avec d'autres pays, pour montrer combien cette consommation est excessive chez nous, on me paraît tomber dans une erreur très grande. Quand on compare la consommation des liqueurs fortes en France, chez nous, en Italie avec la consommation en Belgique, cela ne prouve rien ; on ne peut tirer de là aucune conclusion, les populations de ces divers pays n'étant pas du tout dans les mêmes conditions que la nôtre. Si, sous ce rapport, on compare la Belgique à la Hollande, pour prendre un pays voisin, je dis qu'il faut encore là n'établir cette comparaison qu'avec des restrictions et des réserves.
Si vous prenez les chiffres apparents de la consommation dans les deux pays, nous sommes portés à dire qu'elle est sensiblement la même des deux côtés ; mais je la tiens pour plus considérable en Hollande qu'elle ne l'est en Belgique, et voici pourquoi : le droit est infiniment plus élevé en Hollande qu'il ne l'est chez nous. Un droit très élevé produit deux conséquences : la fraude à la fabrication et la fraude à l'importation ; une partie de la consommation est nécessairement alimentée par cette double fraude.
Et puis, messieurs, l'on oublie que l'industrie absorbe une énorme quantité d'alcool ; or, les industries qui absorbent de l'alcool sont beaucoup plus nombreuses et plus importantes en Belgique qu'elles ne le sont en Hollande ; la consommation d'alcool, de ce chef, est donc fort considérable dans notre pays, et si les deux chiffres de la consommation apparente, légale, semblent donner un résultat à peu près analogue dans les deux Etats, en fait la consommation proprement dite est plus grande en Hollande qu'elle ne l'est en Belgique.
(page 41) Maintenant, existe-t-il un rapport direct quelconque, comme l'a soutenu l'honorable rapporteur de la section centrale, entre la loi de 1849 et l'accroissement de la consommation des liqueurs fortes ? L'honorable rapporteur a demandé s'il n'était pas constant que, depuis cette loi, le nombre des débits de boissons fortes s'était accru dans une proportion considérable et si, par suite de ce fait, la consommation n'a pas augmenté d'une manière notable.
Eh bien, je réponds sans hésiter qu'il n'en est absolument rien. Le débit est plus considérable en 1867 qu'il ne l'était en 1838, qu'il ne l'était en 1856, on ne peut le nier. Mais il y a bien des éléments qui ont agi sur la consommation. L'accroissement de la population et le développement de la richesse publique, l'aisance relative qui s'est répandue dans les classes ouvrières, ont exercé incontestablement une influence sur la consommation. C'est là une situation tout autre que celle où l'on se trouvait à l'époque de la crise des Flandres, à l'époque de la crise alimentaire de 1845 et de 1846.
Mais, dira-t-on peut-être, l'augmentation du nombre des débits a été proportionnellement plus forte que l'accroissement de la population.
Cela est encore vrai ; mais on n'a pas égard à un élément que j'ai constamment signalé : c'est qu'à partir de la loi de 1849, on a supprimé un nombre considérable de débits clandestins ; ces débits ont, depuis lors, été déclarés, de manière que, sous ce rapport, la loi n'a pas augmenté le nombre des débits ; elle s'est bornée à provoquer la constatation d'un fait qui existait précédemment, mais d'une manière occulte.
On avait prévu ce fait, lorsqu'on s'est occupé de la loi de 1849 ; l'exposé des motifs l'établit. Antérieurement à 1849, le nombre des débits clandestins était tellement considérable que l'honorable M. Verhaegen, lors de la discussion du budget des voies et moyens en 1845, a pu dire, sans être contredit par personne, que les contraventions avaient donné lieu à l'application d'amendes dont le chiffre total s'élevait à plus de cent mille francs.
Quant à l'influence de l'augmentation du nombre des débits sur la consommation, en supposant qu'elle soit réelle, comme le pense l'honorable rapporteur de la section centrale, il se trouve que les faits prouvent directement contre la thèse qu'il soutient. Car je vais démontrer que la consommation ne s'est pas considérablement développée depuis 1830.
Je sais bien que, pour établir le contraire, on a certaine manière de raisonner, certaine méthode de faire dire aux chiffres ce qu'ils ne signifient pas réellement. Quelques-uns disent : J'ouvre vos propres statistiques, celles que vous avez établies vous-même, et j'y vois qu'en 1831 la consommation n'était que de 131,000 hectolitres, tandis qu'en 1866 elle s'est élevée au chiffre exorbitant de 421,000 hectolitres. Voilà la progression ; elle est énorme. D'autres, qui veulent être plus modérés, disent : En 1856, la consommation moyenne était de 233,000 hectolitres ; elle est aujourd'hui de 360,000.
Messieurs, ce sont là de petites fantasmagories que l'on se permet avec des chiffres. Mais les chiffres ont besoin d'être discutés, d'être scrutés, d'être approfondis ; il faut savoir en extraire la véritable signification.
Eh bien, reprenons ces chiffres en procédant par périodes, d'abord parce qu'il faut procéder sur des période sassez longues, pour que la loi des probabilités amène la reproduction des circonstances qui influent sur la production et sur la consommation des eaux-de-vie. Or, ces circonstances sont de natures très diverses : crises financières, crises alimentaires, cherté, épidémies, etc., tout cela exerce une notable influence en cette matière, et il faut que ces causes aient affecté dans une certaine mesure quelques-unes des années de chaque période, afin que l'on puisse établir une comparaison sur des éléments ayant une suffisante analogie.
Eh bien, pour la première période indiquée dans les statistiques sur lesquelles a raisonné l'honorable M. Sabatier, j'écarte tout d'abord les années 1831 et 1832 et l'honorable M. Sabatier va reconnaître qu'elles doivent être écartées.
M. Sabatierµ. Je n'ai pas tenu compte de ces années : je reconnaissais parfaitement qu'on ne pouvait en tenir compte.
MfFOµ. - Effectivement, elles doivent être écartées par diverses raisons ; parce que nous étions en révolution, parce qu'on était sous l'empire de la loi de 1822 qui était un des griefs de la révolution, et qu'une grande et extrême indulgence a régné alors dans la perception de l'impôt ; en troisième lieu parce qu'on était dans l'attente d'une législation nouvelle qui était promise, et d'une notable réduction de droit, ce qui fait qu'on fabriquait le moins possible.
A partir de 1833 au contraire, la législation nouvelle a été introduite ; des faits nouveaux sont à constater.
Eh bien, sous l'empire de la législation de 1833, nous trouvons une consommation de 300,000 hectolitres, soit 7 litres 15 par habitant. C'est un chiffre qui n'est pas choisi par moi pour la circonstance, mais qui a été indiqué à la Chambre lors de la présentation de. la loi de 1842.
Dans la deuxième période, de 1841 à 1850, on n'a que 263,218 hectolitres par année ; il y a là une diminution notable ; mais la diminutions ne coïncide pas avec la mise en vigueur de la loi de 1838 ; elle coïncide avec la loi de 1842, qui augmenta l'impôt de 70 p. c. De 1839 à 1842, vous avez une consommation.....
M. Sabatier, rapporteurµ. - Vous reconnaissez donc que la hauteur de l'impôt peut avoir de l'influence sur la consommation ?
MfFOµ. - Elle peut avoir et elle a, dans certains cas, cette influence. Mais n'oubliez pas que, quand un impôt est tout à coup notablement élevé, la fraude s'empare d'une partie du droit sans que la consommation réelle soit pour cela réduite.
Je dis donc que de 1839 à 1842 nous avons encore une consommation sensiblement la même que celle de la période précédente, nonobstant la situation meilleure de la masse de la population.
Mais viennent les crises : la crise alimentaire, la misère des Flandres. Nous avons immédiatement une grande dépression dans la consommation.
Dans la troisième période, après cette dépression, la consommation remonte à 283,000 hectolitres, sans atteindre encore la consommation de 1835 à 1840. Les raisons sont faciles à trouver. Par la loi de 1851, l'impôt avait été de nouveau augmenté de 50 p. c. et nous avions en 1854 et en 1855, une crise alimentaire. Voilà ce qui explique que dans cette période on trouve une consommation moindre que dans la période précédente.
Vient la quatrième période qui est celle de 1861 à 1866. Nous avons là six années pendant lesquelles aucune de ces causes ne se fait sentir : nous n'avons pas eu de crises ; nous n'avons pas eu de famine ; nous n'avons pas eu de misère exceptionnelle.
Aussi, dans cette période, on constate une augmentation de consommation, c'est vrai ; mais elle n'est pas énorme, si on la compare à celle qui a été constatée dans les périodes précédentes et si l'on tient compte de la différence des situations.
La moyenne de ces six années ne dépasse pas 360,000 hectolitres, ce qui fait par habitant 7 litres. 61.
M. Sabatier, rapporteurµ. - C'est une augmentation.
MfFOµ. - Mais ne faut-il pas tenir compte de l'influence des faits ? Est-ce que notre situation est la même que dans la période de 1830 à 1840 ? Est-elle la même que dans la période de 1840 à 1850 ? N'y a-t-il aucune espèce de développement de la population, de l'industrie, de la richesse publique ? N'y a-t-il pas une augmentation des salaires ? Est-ce que les consommations ne sont pas, par cela même, plus fortes, et ne constatons-nous pas ces consommations plus considérables de tous les autres objets ?
M. Sabatier, rapporteurµ. - Voulez-vous me permettre un mot ?
MfFOµ. - Volontiers.
M. Sabatier, rapporteurµ. - L'honorable ministre des finances a invoqué cette circonstance que dans la dernière période, celle de 1861 à 1866, la consommation a dû être plus forte, parce qu'elle n'a été entravée par aucune crise, aucun fait calamiteux, et il invoque en même temps ce fait que, dans cette période, certaines augmentations de droit n'ont point exercé d'influence sur la consommation, tandis qu'à d'autres époques les augmentations de droit auraient comprimé la consommation.
Eh bien, je répondrai à l'honorable ministre que cette augmentation de droits qu'il croit avoir existé pendant la dernière période, n'a pas l'importance qu'il suppose et ne peut être invoquée comme preuve qu'un droit élevé n'est pas toujours un remède à l'accroissement de la consommation. C'est même ce qui m'a fait dire hier qu'aucune expérience décisive n'a été faite quant à l'influence du droit, quant à l'influence du prix du genièvre. En voici la preuve : en 1860, on a augmenté de 63 p. c. les droits à l'occasion de la suppression des octrois, mais cette augmentation a été singulièrement déforcée par le dégrèvement des charges communales.
Ensuite, messieurs, la fabrication a fait des progrès et on a retiré des matières mises en macération une plus grande quantité de genièvre ; or (page 42) ce n'est pas sur le genièvre produit que le droit est perçu, c'est sur les matières mises en œuvre.
Enfin, le développement de la richesse publique, le développement de l'industrie et la hausse des salaires ont considérablement amoindri le droit d'accise.
C'est l'ensemble de ces circonstances qui pourrait déterminer le gouvernement à étudier la question de savoir si une augmentation notable des droits ne pourrait pas avoir d'influence sur la consommation.
MfFOµ. - Messieurs, je ne me place pas du tout au point de vue ou vient de se placer l'honorable membre : je me place au point de vue de l'accroissement de la consommation, j'examine s'il est vrai, comme on le prétend, que la consommation s'est extrêmement développée en Belgique. Voilà la question que j'examine, et point d'autre.
Maintenant, je dis : la consommation est aujourd'hui d'un peu plus de 6 p. c. plus élevée qu'elle ne l'était dans la période de 1831 à 1840. Si cela est vrai, et je crois avoir clairement prouvé cette vérité, la consommation n'a point pris le développement si considérable qui a été erronément signalé et qui a excité les craintes et les alarmes des honorables membres.
L'honorable rapporteur vient de dire que les quantités indiquées par la statistique ne sont pas les quantités réelles, parce que le rendement a augmenté. Mais, messieurs, l'administration a tenu compte, en dressant les statistiques, de cette augmentation du rendement ; dans la période de 1831 à 1840 le rendement supposé est de 5 litres 7 dixièmes par hectolitre de matières mises en macération.
Dans la deuxième période, de 1841 à 1850, il est calculé sur 6 litres 3 dixièmes ;
Dans la troisième période, de 1851 à 1860, il est évalué à 7 litres 1 dixième ;
Et enfin dans la quatrième période, de 1861 à 1866, il est estimé 7 litres 2 dixièmes ;
On a donc tenu compte des progrès de la fabrication. Ainsi votre observation sous ce rapport n'est pas fondée.
Maintenant, je dis que cette différence de 6 p. c. est tout à fait insignifiante, si, à part même l'accroissement de la population, l'on considère quel a été le développement de la richesse publique dans les dernières années, quel a été le développement de l'industrie et quelles ont été les grandes consommations des industries qui font usage d'alcool.
II y a un grand nombre d'industries qui se servent de produits alcooliques ; on s'en sert dans la fabrication des vernis, des teintures, des vinaigres, des eaux aromatiques, des bougies, des savons, des potasses et soudes pures, des extraits pharmaceutiques, des produits chimiques, des pâtes de caoutchouc, du collodion, dont font aujourd'hui un si grand usage les médecins, les pharmaciens, et surtout les photographes.
Dans toutes ces industries on fait une consommation très considérable d'alcool, sans parler de celui qui est brûlé pour les usages domestiques et autres.
Eh bien, messieurs, si nous constatons que l'augmentation n'a été que de 6 p. c, alors que le développement de l'industrie a été si considérable, nous devons plutôt croire à une diminution delà consommation proprement dite qu'à une véritable augmentation.
Si l'on veut examiner quel a été le développement de la consommation des autres boissons, on sera encore porté à croire quo, pour les boissons alcooliques, il y a plutôt restriction qu'augmentation.
Ainsi dans la période de 1831 à 1840, la quantité de bière consommée a été de 5,56',965 hectolitres représentant 1 hectolitre 26 par habitant.
Dans la période de 1841 à 1850, de 5,242,891 hectol,, soit 1.22 par habitant.
Dans la période de 1851 à 1800, de 5,941,725 hectol., soit 1.29 par habitant.
Dans la période de 1861 à 1866, de 7,002,053 kilog., soit 1.46 par habitant.
Donc, après 30 ans, l'augmentation de la consommation par habitant n'aurait été pour les eaux-de-vie, que de 7 litres 15 centilitres à 7 litres 61 centilitres, ou 6 p c.
Elle a été pour la bière de 1 hectol. 26 litres à 1 hectol. 46 litres, soit 16 p. c. ; et pour les vins, elle a été pendant la même période, de 2 litres à 2 litres 98 centilitres, soit 49 p. c.
Il n'y a donc pas lieu, messieurs, de trop s'inquiéter de la situation que nous constatons dans le pays.
Sans doute, s'il y avait des mesures efficaces à prendre pour empêcher que les abus qui existent ne deviennent plus fréquents, pour qu'ils soient même restreints, nous serions très disposés à y prêter les mains.
Mais l'amendement qui nous est soumis peut-il quelque chose sous ce rapport ?
J'ai déjà dit qu'il favorisait plutôt le mal par la suppression du droit de débit. Quant à l'augmentation du droit d'accise, clic ne peut réellement exercer aucune espèce d'influence. Que voulez-vous que fassent 10 ou 12 p.c. d'augmentation du droit, sur le prix du genièvre à la vente en détail ? Songez donc qu'une goutte d'eau payera ce droit. Et si vous me répondez ; que le genièvre sera ainsi altéré, qu'il aura moins de force, et qu'ainsi il sera moins nuisible, je vous répondrai que, malheureusement, on a le moyen de lui rendre de la force en y mêlant quelques ingrédients qui viendront encore le rendre plus dangereux, plus pernicieux qu'il ne l'est aujourd'hui.
Donc, à ce point de vue encore, l'amendement n'est pas admissible. Et d'ailleurs le moyen indiqué, à part même son inefficacité, est-il bien pratique ?
On nous dit : Elevez le droit. Mais, messieurs, pour élever le droit, pour en assurer la perception au profit du trésor, il faut se trouver dans certaines conditions ; il faut voir d'abord si les moyens mis à la disposition de l'administration sont suffisants ou s'ils ne le sont pas, car, à mesure que vous élèverez le droit, la fraude prendra plus d'extension. Que voyons-nous déjà aujourd'hui ? On a constaté des fraudes énormes, des fraudes qui s'exerçaient sur la plus vaste échelle. Et si, aujourd'hui déjà, l'action de la fraude est si considérable, vous allez l'exciter davantage encore par le nouvel appât que vous lui offrirez, et vous mettrez ainsi très probablement le gouvernement dans la nécessité de proposer à la législature d'autres moyens de surveillance et de répression. Il serait impossible que le législateur voulût atteindre ce but de faire passer le plus clair des revenus du Trésor dans les mains des fraudeurs, livrant à la consommation des produits exempts de droits.
D'un autre côté, on n'a pas songé au droit à l'entrée. Nous avons une législation qui frappe d'un droit la fabrication à l'intérieur, et qui établit un droit à l'importation. Il y a une corrélation nécessaire entre ces deux droits. Il ne suffit donc pas de frapper un droit plus élevé sur les produits indigènes ; il faut aussi s'occuper des produits étrangers. L'amendement ne le fait pas.
On ne s'est pas demandé enfin si, ces mesures devant être prises, nous avions les pouvoirs suffisants pour le faire.
Voici à cet égard quelle est notre législation.
Les droits d'entrée sur les eaux-de-vie sont fixés par des traités avec la France et les Pays-Bas
Le traité du 1er mai 1861 conclu avec la France contient une disposition spéciale pour le cas où l'accise serait augmentée.
L'article 6 porte qu'en pareil cas une augmentation proportionnelle pourra être établie sur le droit d'importation du produit similaire étranger.
Quant au traité avec les Pays-Bas du 12 mai 1863, il ne contient aucune disposition de ce genre.
Il y aurait donc nécessité d'entamer avec la Hollande une négociation en vertu du 2ème alinéa de l'article 4 du traité. Mais je né conseillerai pas à la Chambre, dans l'intérêt de notre industrie, d'entrer, pour le moment, dans cette voie.
Ainsi, en résumé, si l'on considère la question au point de vue politique, au point de vue de la réduction du nombre des électeurs, on est obligé de reconnaître que cette question n'a même pas été étudiée, qu'on ne sait pas où l'on va, qu'on frapperait en aveugle, et qu'on ferait disparaître du corps électoral un grand nombre de citoyens payant une forte quotité d'impôt et qui ont le droit d'y figurer.
Si on la considère au point de vue moral et hygiénique, les mesures proposées seraient absolument inopérantes ; elles sont inefficaces et, bien plus, elle sont de nature à faciliter l'abus que tous nous avons l'intention de restreindre.
Je pense, messieurs, que dans ces conditions la Chambre ne peut se rallier à l'amendement qui a été présenté par l'honorable M. Liénart.
M. Dumortier. - Messieurs, vous me permettrez de régler d'abord un petit compte avec l'honorable ministre des finances.
L'honorable membre a bien voulu relire la discussion à laquelle il a fait l'autre jour allusion et il a reconnu que j'avais eu raison de dire que dans la séance de 1838 à laquelle il avait fait allusion, je n'avais fait que réfuter une doctrine de l'honorable M. Devaux.
Mais, a-t-il dit, l’honorable M. Dumortier a fait autre chose. On a mis aux voix la question de savoir si l'impôt serait compris dans le cens électoral.
(page 43) MfFOµ. - La question de savoir si ce serait un abonnement, c'est-à-dire : un impôt indirect.
M. Dumortier. - Et il a voté avec ses honorables collègues MM. Dubus, Doignon et Raikem, c'est-à-dire contre.
Moi j'ai été voir le Moniteur, et j'ai constaté ce dont j'étais bien persuadé, c'est que cela n'existe pas.
Je pourrais encore donner cette explication que, voulant le rejet de la loi, je devais voter contre tous les articles.
Je m'en suis expliqué dans la section d'une manière catégorique. J'ai voté contre le projet de loi parce que je le considérais comme mauvais, parce qu'il frappait une catégorie de citoyens.
Notre honorable président était présent. Je crois qu'il se le rappelle encore. (Interruption.) Il y a pris une part trop belle pour ne point se rappeler la discussion.
J'ai prononcé un discours dans lequel je proposais de remplacer cet impôt par un droit à la fabrication.
La question ayant été mise aux voix, j'ai voté effectivement avec mes honorables amis, MSI. Raikem, Dubus et Doignon.
Mais voici l'article contre lequel j'ai voté avec eux :
« Indépendamment des impôts existant actuellement, il sera perçu, à partir du 1er avril 1838, un droit de consommation sur les boissons distillées à l'intérieur ou à l'étranger, et autres boissons alcooliques qui seront vendues en détail ; le droit sera acquitté par voie d'abonnement et d'avance sur la déclaration que devront faire les débitants en détail desdites boissons aux bureaux qui seront indiqués à celle fin, par le gouvernement. »
Voici le résultat du vote : Nombre de votants 70. Votent pour l'adoption 46. Votent contre 24. La Chambre adopte.
La Chambre adopte par assis et levé l'article premier dans son ensemble composé du paragraphe ci-dessus et du paragraphe suivant précédemment adopté.
Ont voté contre :
« Ce droit ne sera pas compris dans le cens électoral. »
MM. Angillis, Brabant, David, Dechamps, de Foere, de Jaegher, Demonceau, de Perceval, d'Hoffschmidt, Doignon, Dubus (aîné), Dumortier, Gendebien, Hye-Hoys, Liedts, Maertens, Manilius, Metz, Milcamps, Raikem, Van Volxem, Verhaegen, Troye.
Est-ce contre l'amendement voté par assis et levé que j'ai voté ? Mais non (comptez les voix), c'est l'article que j'ai rejeté, non compris cette phrase « ce droit ne sera point compris dans le cens électoral » qui avait été votée précédemment.
C'est l'article premier du projet de loi que j'ai rejeté, et, dans cet article premier il n'était pas question de savoir si ce droit serait oui ou non compté dans le cens électoral.
Et l'on viendra dire à cette Chambre que j'ai voté le contraire ! Il est temps, messieurs, d'en finir avec cette manière de faire. Voilà deux fois que l'on me met sur la sellette, qu'on m'attribue des opinions diamétralement contraires à celles que j'ai professées !
Je dis que cela est intolérable.
M. le président. - Calmez-vous, M. Dumortier, je vous prie.
M. Dumortier. - Vous avez raison, M. le président ; je devrais me calmer, mais il est bien difficile de rester calme quand on entend par deux fois un ministre du Roi vous attribuer dans cette Chambre des paroles tout à fait opposées à celles que vous avez prononcées.
J'ai toujours soutenu que les impôts qui frappaient les objets consommés étaient des impôts indirects, ou pour mieux dire, des impôts d'accise.
MfFOµ. - Comme la patente.
M. Dumortier. - La patente n'est pas un impôt d'accise. Elle ne frappe pas les objets de consommation, elle frappe les professions.
Qu'est-ce que c'est que votre loi ? C'est un droit d'exception par lequel vous frappez une industrie spéciale en raison du débit d'un objet fournis à l'accise. Un pareil impôt n'est autre chose qu'un accessoire de l'accise.
C'est un accessoire de l'accise comme l'était l'impôt de mouture, comme le sont les droits réunis. Comment se percevait le droit d'abonnement pour la mouture ? On taxait les citoyens à raison de la présomption de ce qu'ils consommaient de grain moulu et on recevait d'eux directement comme vous recevez directement aujourd'hui. Direz-vous que l'impôt mouture était un impôt direct dans les villes et indirect dans les campagnes ?
L'honorable ministre des finances a prétendu tout à l'heure que c'était une chose bien certaine que l'impôt dont nous nous occupons est un impôt direct. Je soutiens, moi, que c'est un impôt d'accise et que les impôts d'accise ne peuvent pas compter pour la formation du cens électoral.
On me dira qu'il y a des arrêts de la cour de cassation. J'ai le plus profond respect pour les arrêts de la cour de cassation, mais ces arrêts sont discutables et quant à moi, je crois que la cour de cassation a jugé la question par la question.
D'ailleurs il n'y a pas encore d'arrêt solennel et alors même qu'il y en aurait, vous ne pouvez pas empêcher les députations qui ne partagent par votre opinion de continuer à rejeter certains électeurs.
En Amérique, où il est reconnu que le pouvoir judiciaire examine avant tout la constitutionnalité des lois, qu'arrive-t-il ?
Ouvrez Tocquevillc, le pouvoir judiciaire n'ayant, dit-il, à discuter que les faits portés devant lui ne peut pas faire la loi comme les anciens parlements.
J'espère que les députations des provinces continueront à comprendra que la loi actuelle étant inconstitutionnelle, leur devoir est de continuer à agir comme elles l'ont fait.
L'application de la loi est-elle inconstitutionnelle ? Il est inutile de se jeter dans les définitions des impôts. Quand le Congrès, par l'article 47 de la Constitution, a décidé que l'impôt direct seul serait appelé à former le cens électoral, a-t-il défini l'impôt direct ? Non, mais il a fait mieux, il a catégorisé les impôts. (Interruption.)
Le Congrès avait en vue la loi de 1821, cela est si vrai que lors du vote de la loi électorale, il a ajouté les mots : « patente comprise », à cause de la controverse qui s'était établie à cet égard.
Le législateur parle toujours le langage des lois qui existent à son époque ; or, la loi qui existait à l'époque du Congrès, était la loi de 1821. Or, la loi de 1821 ne définit pas l'impôt direct, mais elle vous dit ce que c'est ; elle catégorise les impôts et vous dit. Cet impôt-ci est direct, celui-là est indirect, ce troisième est accise.
Peu importe le mode de perception de ces impôts. Ainsi tous impôts sur les spiritueux sont des impôts d'accise, l'impôt mouture est un impôt d'accise et que cet impôt se perçoive directement ou non il est toujours un impôt d'accise, attendu que le mode de perception n« change pas la nature de l'impôt.
L'accise se perçoit sous beaucoup de formes, celle-ci en est une. (Interruption). Il n'y a rien de commun dans la loi de 1821 entre la patente et les accises. La patente est classée parmi les impôts directs, elle doit rester considérée comme impôt direct. Et ne venez pas dire que votre droit de débit est une patente.
Lorsque M. Toussaint, en 1849, a voulu transformer le droit de débit en une patente, M. de Brouckere a fait voir toute la différence qui existe entre les deux droits. La patente frappe tout le monde à raison des bénéfices de son commerce, elle remplace l'impôt sur la propriété qui frappe le propriétaire de la terre.
Ainsi la loi qui fait du droit de débit un impôt indirect est une loi d'exception. Or, a-t-on jamais pu croire qu'on ferait des électeurs par une loi d'exception ?
C'est ce que nous avons repoussé autrefois. Anciennement quand on était noble on était électeur, maintenant on est électeur quand on est cabaretier. (Interruption.)
Vous avez supprimé l'ordre nobiliaire pour le. remplacer par l'ordre des cabaretiers. Je demande si cela est sensé. Mais, messieurs, remarquez-le, c'est là un véritable privilège, un privilège contraire à la Constitution qui porte dans son article 112 : Il ne peut être établi de privilèges en matière d'impôt. Or lorsque vous établissez sur une catégorie d'électeurs un impôt auquel vous attachez l'électorat, vous créez un privilège contraire à l'article 112 de la Constitution. Maintenant quel a été le résultat de votre privilège ? M. le ministre des finances a glissé sur ce point ; le résultat a été clair comme deux et deux font quatre, il a été de tripler le nombre de débits de boissons.
Le tableau qui figure dans le rapport de la section centrale est accablant sous ce rapport.
D'abord, jusqu'en 1849, époque de la révision de la loi, le nombre des (page 44) cabaretiers ne s'était élevé qu'à 44,000 à 45,000. Après la loi qui leur a donné le cens électoral, ce nombre s'est tout à coup élevé à 53,000, 55,000, 56,000 et jusqu'à 58,000. L'augmentation n'a pas été très considérable dès le début parce que la manière de se servir de la loi était un secret ; ceux qui le possédaient en avaient le brevet. Mais en 1857-1858 ce brevet tombe dans le domaine public et que voyons-nous ? C'est que tout à coup le nombre des débitants s'élève successivement et rapidement à 70,000, à 80,000 et jusqu'à 100,000.
Et vous prétendrez que ce n'est pas votre loi politique qui a produit ce résultat, qui a occasionné cette multiplication effrayante des débits de boissons ; et vous direz que ces débits n'engendrent pas l'ivrognerie et la débauche ?
Vraiment, messieurs, cela n'est pas soutenable et je trouve que l'honorable M. Hymans avait parfaitement raison lorsqu'il nous disait hier : l'occasion fait le larron. Plus vous créez de débits de boissons plus la consommation doit augmenter ; et, en effet, la consommation, qui autrefois n'était que d'environ 150,000 hectolitres, s'élève aujourd'hui au chiffre énorme de 400,000 hectolitres. et vous direz que tout cela est indifférent, qu'il n'y a rien à faire ! Je dis, moi, que cela est intolérable et que les faits signalés par l'honorable M. Sabatier dans son rapport sont écrasants et qu'on ne peut rien y répondre de sérieux.
Vainement s'évertuera-t-on à disséquer les tableaux qui nous ont été fournis ; vainement s'évertuera-t-on à des combinaisons de chiffres plus ou moins habiles, rien ne pourra atténuer l'effrayante progression de 150,000 à 400,000 hectolitres que je viens de vous signaler.
Oui, messieurs, le fait qui a fait électeurs les débitants de boissons est une chose fatale à la Belgique et à laquelle il est devenu absolument indispensable d'apporter un remède énergique.
Qu'objecte-t-on à l'amendement de mon honorable ami M. Liénart ? On prétend qu'il n'aura pas d'effet.
Mais, messieurs, n'eût-il pour effet que de maintenir à 100,000 le nombre des cabaretiers, je dis que l'amendement aurait encore produit un effet éminemment utile ; car, ne vous faites pas illusion, d'ici à dix ans, si l'état de choses actuel n'est pas modifié, nous aurons 150,000 cabaretiers au lieu de 100.000.
L'amendement est donc complètement justifié sous ce premier rapport. Il l'est encore à un autre point de vue. Il remédierait à un abus que nous avons pu souvent constater par nous-mêmes. Aujourd'hui, messieurs, on peut dire qu'il n'y a plus de police rurale ; pourquoi ? Parce que, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Sabatier, dans les communes rurales, ce sont les cabaretiers qui font les élections ; c'est là un fait que personne ne contestera.
Il en résulte qu'aujourd'hui plus aucun magistrat communal n'oserait faire exécuter les règlements de police sur la fermeture des cabarets ; partout, sous ce rapport, règne le plus grand désordre, l'anarchie la plus complète. (Interruption.)
Mais, me dit-on, vous allez frapper en aveugle ! Non, messieurs, nous ne frapperons pas en aveugle ; l'amendement de mon honorable ami prouve, au contraire, qu'il a été conçu après mûre réflexion. Mais, messieurs, si l’amendement a pour effet d'enlever le droit électoral à ces gens qui, de par leur droit de débit, sont électeurs et dirigent les élections à leur gré, où donc sera le mal ? L'ordre se rétablira dans les communes rurales, la police pourra s'y faire convenablement. Par conséquent, loin de frapper en aveugle, l'amendement proposé produira des effets d'une utilité incontestable.
Mais, il y a plus, vous n'oseriez pas arriver aujourd'hui avec une loi qui porterait à 40 francs le droit imposé aux débitants de boissons, pourquoi ? Parce que, comme l'a dit l'honorable M. Kervyn de Lettenhove, vous feriez passer dans le corps électoral les deux cent et autant de mille débitants de boissons qui existent en Belgique, et dès lors le corps électoral serait profondément vicié. Vous n'oseriez donc pas porter remède au mal aussi longtemps que l'impôt comptera dans le cens électoral.
C'est la valeur électorale qu'on attribue faussement à cet impôt qui empêche toute mesure en faveur de la morale publique ; mais le jour où cela ne sera plus un appât politique, le jour où il n'y aura plus de droit électoral attaché à cette profession, ce jour-là, vous pourrez prendre en faveur de le morale publique la mesure que nous réclamons, parce que vous n'aurez plus à craindre cette invasion épouvantable de 200,000 cabaretiers dans le corps électoral.
II est donc évident qu'un remède énergique doit être apporté à une situation qui, je dois le dire à l'honneur du parti libéral, a été signalée avant tout par des hommes appartenant à ce parti. Ce remède n'existe pas, nous dit-on, dans l'amendement de mon honorable ami, parce qu'il ne propose pas un droit assez élevé.
Eh bien, je réponds à l'objection en proposant de porter le droit à 25 p. c. au lieu de 12 1/2 p. c, au profit du trésor, bien entendu, et en supprimant le droit de débit.
Mais, dit l'honorable M. Frère, vous aurez plus de débits ! C'est une erreur, messieurs, les chiffres le prouvent et nous autorisent à dire que le jour où le droit de débit ne sera plus un allèchement électoral, le nombre des débits diminuera de 10,000, à 20,0 0, de 30,000 peut-être. II y a des communes, messieurs, où il y a jusqu'à 200 et 300 électeurs au moyen du droit de débit. On en a fabriqué partout pour obtenir des voix dans le conseil communal.
Mais le jour où il n'y aura plus de privilège électoral attaché au droit de débit, on n'aura plus aucun intérêt à faire de faux électeurs au moyen de cabaretiers plus ou moins sérieux, et le nombre de ces électeurs diminuera évidemment dans une forte proportion.
L'honorable M. Sabatier vous a démontré à la dernière évidence, messieurs, que l'accroissement continu du nombre des débitants de boissons ne peut s'expliquer que par cette unique raison que le droit de débit compte aujourd'hui dans le cens électoral. C'est donc cette faculté électoral, qu'il faut supprimer ce que nous réclamons au nom de la morale publique.
Mais, messieurs, est-ce que par hasard l'intérêt du peuple n'est plus rien ? L'honorable M. Frère prétend maintenir ce qui est, uniquement parce que, dit-il, l'amendement proposé réduirait dans une certaine proportion le nombre des électeurs.
Eh bien, messieurs, je vous demande s'il est honorable de la part d'un gouvernement de vouloir greffer un intérêt purement électoral sur la démoralisation de la population. Cela n'est-il pas déplorable ? Quand on est à la tête d'un grand parti, et vous êtes à la tête d'un grand parti, il faut se préoccuper un peu des nécessités morales de la population. Vous parlez toujours du développement de l'instruction, c'est très bien ; mais ce qui est tout aussi sérieux, même beaucoup plus sérieux, c'est d'empêcher le peuple de devenir un tas d'ivrognes.
On vous a cité, messieurs, les mesures énergiques qui ont été prises dans d'autres pays, notamment en Angleterre, pour réprimer l'abus des boissons fortes qui y avait pris des proportions effrayantes.
En Hollande, on consomme beaucoup de genièvre, le climat rend cette consommation en quelque sorte indispensable ; c'est un préservatif contre les fièvres des polders ; mais comment se fait-il qu'en Belgique, sous un climat bien plus favorable, on consomme plus de liqueurs fortes qu'on n'en consomme en Hollande ?
Je dis que c'est effrayant pour nos populations.
J'ai été plusieurs fois dans la Hollande, et j'ai pu voir combien il était nécessaire d'y consommer du genièvre ; moi-même, qui n'en consomme jamais en Belgique, je n'ai pu échapper à cette nécessité ; le climat l'exige absolument.
J'ai vu dans ce pays des citoyens très rangés vider une pinte de genièvre d'un seul trait. On conçoit dès lors que la consommation du genièvre soit considérable en Hollande.
Mais nous ne sommes pas du tout dans la même position en Belgique.
Chez nous les spiritueux affaiblissent le tempérament des populations, énervent les hommes, les rendent incapables de toutes choses et tendent à en faire un peuple de crétins.
Dans la question qui nous occupe, c'est le côté humanitaire, le côté moral qui doit être pris en très sérieuse considération. Nous qui sommes les Chambres mandataires de la nation, ne devons-nous pas veiller avec une sollicitude constante à écarter de nos populations tout ce qui peut porter atteinte à leur moralité ? Comment pourrait-on dès lors rejeter un amendement qui doit servir à arrêter la dépravation de la société belge ? Ce serait pour le pays une calamité épouvantable, et on la provoquerait dans un petit intérêt de parti.
M. Sabatier, rapporteurµ. - Messieurs, un mot seulement. Je n'ai nulle intention de revenir sur ce que j'ai dit hier pour réfuter les appréciations de l'honorable ministre des finances. Cela ne modifierait sans doute pas sa manière de voir, pas plus que mes convictions ne sont ébranlées par son argumentation ; mais il m'est impossible de ne pas rectifier un argument de fait invoqué par l'honorable ministre.
Comment peut-il dire, en présence de la statistique, que la consommation ne se développe pas dans de fortes proportions alors que des (page 45) chiffres officiels constatent que sous l'empire du même droit d'accise le produit de l'impôt sur la fabrication a produit en 1861 9,193,810 francs, en 1862 10,759,588 francs, en 1863 11,657,435 francs, en 1864 12,085,358 francs, en 1865 12,599,500 francs et en 1866 13,100,000 francs.
Et que ce produit, pour 1867, atteindra sans doute 13,600,000 francs, Le mouvement de l'exportation et de l'importation est plutôt favorable à l'importation, les chiffres que je viens de rappeler représentent donc, à très peu de chose près, la proportion de la consommation.
L'honorable ministre des finances doit être du reste très sensible à ce fait ; le chiffre des recettes ne saurait lui être indifférent. Il a cherché à prouver que la consommation n'augmentait guère, je persiste dans l'opinion que j'ai émise hier, que la consommation se développait sans cesse et les chiffres le prouvent.
MfFOµ. - J'ai constaté, ce qui n'est pas susceptible de contestation, qu'en divisant le temps qui s'est écoulé depuis 1830 jusqu'à présent en un certain nombre de périodes, et en comparant ces périodes entre elles, on arrive à établir que nous n'avons pas eu une augmentation inquiétante de la consommation, car s'il y a eu une augmentation, elle n'est pas excessive. (Interruption.)
L'honorable M. Sabatier ne veut tenir compte d'aucune circonstance dans l'appréciation des éléments qui contribuent à rendre cette consommation plus considérable à telle époque donnée. Il est clair qu'à certaines époques où il y a plus de richesse, plus de travail, où les salaires sont plus élevés, il y a une consommation plus forte ; et que la consommation est moindre dans certaines années où sévissent des crises, telles que celles que j'ai rappelées tout à l'heure. Cela n'est pas contestable.
M. le président. - Voici le sous-amendement présenté par M. Dumortier :
« Je propose de fixer à 25 p. c. le taux proposé par M. Liénart. »
- L'amendement et le sous-amendement seront mis aux voix lorsque la Chambre arrivera à l'article du budget que la chose concerne.
M. le président. - La parole est maintenant à M. Le Hardy de Beaulieu qui désire entretenir la Chambre d'un autre objet.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'ai l'intention d'appeler l'attention de la Chambre sur la situation générale de nos finances. Ce sujet est de plus important. Je devrai entrer dans d'assez longs développements.
L'heure étant déjà assez avancée, je demande que la Chambre me permette de prononcer mon discours, mardi au début de la séance.
- La proposition de remettre la suite de la discussion à la prochaine séance est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.
M. de Brouckere. - Il faut fixer le jour de la prochaine séance pendant que la Chambre est en nombre.
- Des membres. - Mardi.
- La Chambre décide que la prochaine séance aura lieu mardi.
M. le président. - Les sections seront convoquées mercredi pour s'occuper des divers projets de loi présentés par le département de la guerre. J'invite tous les membres à se rendre aux sections pour l'examen de ces importants projets.
La discussion générale continue.
La parole est à M. Le Hardy de Beaulieu.
(page 51) M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Dans une de nos dernières séances, lorsqu'il s'agissait de fixer notre ordre du jour, l'honorable M. Dumortier rangeait la dette publique au nombre des petits budgets que nous avions à voter ; et, en effet, ce, budget n'a soulevé dans cette Chambre aucune discussion ; il a été voté en quelques minutes, comme un petit budget.
Pour moi, messieurs, je trouve que ce chapitre de nos dépenses est non seulement très gros et très absorbant, mais en même temps celui de nos budgets qui doit le plus nous préoccuper. C'est principalement pour examiner la situation où le chiffre grossissant sans cesse de la dette publique nous place que j'ai demandé la parole.
Depuis quatre ans à peu près que j'ai l'honneur de faire partie de cette Chambre, nous avons voté 120 millions d'emprunts.
Dans le même temps, l'amortissement, par son action régulière, a opéré une réduction d'environ 28 millions sur la dette publique.
Nous empruntons donc annuellement sur le pied de 30 millions, tandis que nous remboursons environ 7 millions, et cela, non dans une époque de crise, politique ou sociale, non dans une période de dangers extraordinaires pour le pays, circonstances qui seules devraient motiver des emprunts dans le cours naturel des choses, mais dans une période qui vient d'être, il n'y a qu'un instant, caractérisée par l'honorable ministre des finances, comme une époque de prospérité et d'amélioration sociales incontestables.
En examinant cet état de choses, je me suis demandé, messieurs, si nous pouvions continuer à marcher dans cette voie ; si nous pouvions, dans des périodes de prospérité et d'amélioration générale, continuer à aggraver constamment les charges irréductibles de la dette publique par des emprunts nouveaux, par des charges nouvelles résultant de garanties ou de pensions. Je dis que cela est absolument impossible, et j'ajoute que notre devoir est d'examiner sérieusement, et le plus loi possible, l'état réel de nos finances, et j'ai lieu de penser que de cet examen il ressortira clairement la nécessité de nous arrêter une bonne fois dans la voie dangereuse où nous nous sommes lancés.
Messieurs, nous avons emprunté, depuis la constitution du royaume de Belgique, pour deux ordres d'objets différents. Une partie de ces emprunts, qui est qualifiée dans les documents parlementaires de dette ordinaire, représente les emprunts qui ont été contractés soit pour satisfaire aux besoins de notre émancipation nationale, soit pour ceux de la défense du pays. Ces emprunts, d'après les. derniers comptes rendus, s'élevaient, au 1er janvier 1867, à 613,601,291 fr. 5 c., sur lesquels 222,535,536 fr. 88 c. avaient été remboursés au 1er janvier de. cette année. Il reste, donc de ce chef, d'après le compte rendu du ministre, une dette de 391,065,746 fr. 15 c.
La dette qualifiée d'extraordinaire a été contractée, en grande partie, pour la création des travaux publics, et elle s'élevait, avant les emprunts dont je vous ai parlé tantôt, à 271,587,272 fr; 71 c. Elle s'élève aujourd'hui, par suite de l'emprunt qui a été contracté, il y a deux ou trois ans, a 530,712,272 fr., sur lesquels il a été opéré un amortissement s'élevant à 72,938,212 fr. 90 c. Il en résulte que cette dette extraordinaire s'élève aujourd'hui à 257,764,059 fr. En ajoutant à ce chiffre l'emprunt de 60 millions, que nous avons voté cette année, plus les 28 millions d'engagements déjà contractés par suite de votes législatifs pour lesquels aucune ressource positive n'a été fixée, mais qui n'en existent pas moins pour la législature et le gouvernement, et enfin en y ajoutant encore les sommes qui sont déclarées nécessaires, soit pour compléter les moyens de défense, si nous suivons la commission militaire dans la voie qu'elle nous trace dans son rapport, soit pour entreprendre, compléter ou achever des travaux que plusieurs parties du pays réclament avec instance, soit pour satisfaire à d'autres besoins encore indéterminés, il me semble que ce ne serait pas exagérer que d'évaluer à 60 millions encore le chiffre qu'il serait nécessaire d'ajouter à nos engagements pour satisfaire à ce programme, si le gouvernement voulait mettre la situation sur un pied complètement normal, c'est-à-dire fermer le grand-livre et ne plus dépenser que ce que nous fournit le budget des recettes.
Si nous entrions dans cette voie que j'indique sans la préconiser, la dette totale, amortissements déduits, s'élèverait au chiffre total d'environ 800,000,00, soit 100 fr. par tête d'habitant et 800 fr. par famille en moyenne.
Ajoutons à cette dette les garanties d'intérêt, les pensions qui vont aussi sans cesse, en s'accroissant, puis l'intérêt des fonds de dépôt, etc., et nous arriverons, dans très peu d'années d'ici, à une charge annuelle du chef de la dette publique qui s'élèvera à bien près de 50 millions.
Je vous demande, messieurs, si ce n'est pas là une situation très grave qui doive, non seulement nous préoccuper, mais même nous effrayer, car si nous mettons en face de ces dépenses annuelles obligatoires, irréductibles et auxquelles nous ne pouvons nous soustraire, sans proclamer la banqueroute, et que nous ne pouvons diminuer quelles que soient les crises à travers lesquelles nous ayons à passer sans forfaire à l'honneur, je demande, messieurs, quels sont les moyens également positifs, certains et irréductibles que nous possédons pour y faire face.
Je ne puis admettre comme tels que les impôts directs, tels que le foncier, personnel, patentes et redevances sur les mines, licences pour débitants de boissons et de tabac, domaines, etc., lesquels ne produisent en tout que 38,869,200 fr., c'est-à-dire douze millions de moins que ce qu'absorbera la dette publique avant cinq ans d'ici.
Ainsi donc, messieurs, à des dépenses que par leur nature même nous ne pouvons ni suspendre, ni diminuer, et que nous devons forcément faire quoi qu'il arrive et dans quelque situation que puisse se trouver le pays, nous ne pouvons y pourvoir complètement par des recettes de même nature, c'est-à-dire également certaines et irréductibles ou des recettes qui ne soient pas sujettes aux oscillations produites, soit par les événements intérieurs, soit par des crises commerciales, alimentaires, politiques ou autres qui peuvent surgir à chaque instant et dont il est absolument impossible de se préserver complètement.
Là est le danger de notre situation financière, et mon devoir est de le signaler.
Comment y ferons-nous face dans les éventualités que je signale ? Telle est la question que je me suis posée el sur laquelle j'appelle la plus sérieuse attention de cette Chambre et du pays.
Je trouve, messieurs, que cette situation n'est pas du tout rassurante, surtout si nous suivons la commission militaire et le gouvernement dans les propositions qu'ils viennent de nous soumettre en ce qui concerne la défense nationale.
Le budget de la guerre s'élèvera dans très peu de temps, si le pays consent à entrer dans la voie tracée, à un chiffre de 50 millions, également par la raison très simple qu'aujourd'hui, avec une organisation basée sur 80,000 hommes...
MfFOµ. - Cent mille hommes.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Cent mille hommes sur le papier oui, mais 80,000 hommes en réalité. (Interruption.) Lisez les rapports, qui nous ont été remis.
Vous avez indiqué, pour 1868, une augmentation de dépense de 1,900,000 francs environ; mais en 1869 comme vous aurez deux contingents de 13,000 hommes au lieu d'un, vous devrez suivre le mouvement et demander une augmentation analogue sur le chiffre de 1868 et ainsi de suite jusqu'à ce que vous soyez arrivés à la situation normale indiquée dans les rapports officiels.
Je ne veux pas entrer aujourd'hui dans des développements à cet égard ; le temps opportun se présentera assez tôt pour y entrer ; je me borne à une seule règle de trois, et je dis qu'en ajoutant les 30,000 hommes de la réserve aux 100,000 de l'armée permanente, vous arriverez bientôt aux 50 millions pour le budget de la guerre que j'ai indiqués tantôt. C'est tout ce que je veux dire sur ce point, pour le moment.
Eh bien, messieurs, comme je le disais tout à l'heure, nous n'avons en recettes certaines, positives, qu'une somme de 38 à 39 millions, et je suis bien autorisé à me demander ce que nous allons faire lorsque pour deux articles seulement du budget général, la dette et l'armée, nous aurons 100 millions de dépenses ?
Voilà la vraie question qui se dresse devant nous et que nous avons à résoudre. Comment administrer le pays si deux articles seuls des dépenses emportent à peu près le montant total des impôts de toute nature qui, d'après le budget en discussion, s'élèvent en total à 114,069,280 fr. ? Je ne compte pas les produits des travaux publics, ni d'autres articles qui, payant leurs frais, se balancent en grande partie eux-mêmes et parce que d'ailleurs ce ne sont pas, à proprement parler, des impôts, puisque en d'autres pays ils sont l'objet, de spéculations privées ; je mets en regard des dépenses dont je parle, les impôts proprement dits...
MfFOµ. - Et vous confisquez les autres revenus.
(page 52) M. Le Hardy de Beaulieuµ. - J'aurai, je pense, l'occasion, plus tard, d'entrer dans quelques détails qui vous prouveront que j'ai raison.
Je vous ai dît. messieurs, que, depuis quatre ans que j'ai l'honneur de faire partie de cette Chambre, nous avons emprunté, sans y être obligés par des circonstances malheureuses ou extraordinaires et seulement pour suffire à une situation normale, pour suivre le courant naturel des choses, 30 millions par an, tandis que l'amortissement, fonctionnant régulièrement, ne remboursait que 7 millions.
Pouvons nous continuer ce système ? Telle est la question que je me suis posée, et je réponds que cela est matériellement impossible. Nous serons forcés de nous arrêter tôt ou tard, de gré ou de force. Et que faudra-t-il faire alors?
Il est évident que nous devrons ou réduire nos dépenses, ou, si nous voulons persister dans le même système, établir des impôts nouveaux, jusqu'à concurrence des dépenses que nous continuerons à maintenir.
Il n'y a pas à sortir de ce dilemme.
Examinons les deux positions.
Si nous voulons diminuer les dépenses, sur quels chapitres les réduirons-nous ? Je pose simplement la question ; je ne veux pas la résoudre aujourd'hui.
Si nous voulons augmenter les impôts, sur quoi les ferons-nous porter ? Qui les payera ? Il n'y a que deux manières d'augmenter l'impôt ; ou répartir les charges nouvelles, en proportion des anciens impôts, sur la généralité des citoyens, ou bien frapper certaines consommations ou certaines catégories de la population.
Or, dans l'état actuel des choses, la partie de la population non représentée sur ces bancs paye déjà les 5/6 de la totalité des impôts parce qu'elle possède les 5/6 de la fortune publique. Or, si vous augmentez l'impôt en proportion des charges actuelles, vous les faites peser pour 5/6 sur les non-représentés. Ensuite pourrez-vous augmenter les impôts jusqu'à concurrence des 23 millions qui vous manquent annuellement depuis quatre ans pour couvrir vos dépenses et achever vos travaux?
M. le ministre des finances nous disait tantôt que 500,000 maisons étaient exemptes, parce que ceux qui les habitaient étaient incapables de payer l'impôt.
Pourrez-vous, soit par un système d'impôts indirects, soit par toute autre combinaison, faire porter une fraction quelconque des charges nouvelles sur cette partie de la population?
Cela serait matériellement impossible, voulussiez-vous employer l'arbitraire.
Savez-vous ce que chaque famille paye déjà en moyenne en Belgique des impôts dont je vous ai donné tantôt la nomenclature : postes, télégraphes, chemins de fer, domaines non compris, etc. ? 114 francs ! En supposant un million de familles pour 5 millions d'habitants. Cette moyenne est bien près d'être exacte, car prenez les tableaux statistiques qui sont distribués par le ministère de l'intérieur et vous y verrez qu'il y a près de 1,100,000 propriétaires dans le pays et il est presque certain que le restant de la fortune publique est divisé à peu près dans la même proportion que la propriété ; il est donc évident par là, que si la moyenne signalée tantôt n'est pas tout à fait atteinte par ceux qui n'ont que leur travail pour vivre, elle est certainement de beaucoup supérieure à la moitié de 114 fr. par famille pour les plus pauvres de nos concitoyens.
Or, quelle est la cause véritable du paupérisme qui ronge les sociétés modernes, et si ce n'est l'exagération évidente et considérable des charges de la communauté? C'est parce que nous avons porté à l'excès cette partie des frais généraux de la société qu'on appelle le gouvernement que nos classes pauvres ne peuvent arriver à l'épargne. La Belgique n'est pas seule à souffrir de ce mal, l'Angleterre en souffre autant qu'elle.
MfFOµ. - L'Angleterre en souffre trois fois plus qu'elle. Et la France et la Hollande ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - C'est pour cela que le paupérisme ne parvient pas à se guérir en Angleterre, ni en France, ni en Belgique ; c'est pour cela qu'il s'accroîtra sans cesse.
Pourquoi en Suisse, par exemple, ne rencontrons-nous point de pauvres comme ici? C'est parce que la Suisse ne dépense que 5 ou 6 francs de frais généraux de gouvernement, tandis que nous en dépensons 30 ou 40.
Il est évident que 50 ou 60 fr. de plus par an, dans une famille pauvre, lui permettraient non seulement d'améliorer sa condition, mais encore d'améliorer sa situation morale et même d'arriver à l'épargne. Or, l'épargne est complètement imposable lorsque l'exagération des frais généraux de la société, c'est-à-dire des dépenses publiques, est arrivée à ce point qu'elle absorbe complètement tout ce que le travailleur pourrait économiser sur ses besoins.
Voilà pourquoi, messieurs, si vous voulez arrêter l'augmentation de notre dette et, par suite, l'accroissement des charges publiques auxquelles nous ne pouvons nous soustraire quelles que soient les circonstances même les plus graves qui puissent se présenter, il faut nous arrêter dans la voie des emprunts et des dépenses improductives. Voulez-vous une autre preuve du principe que j'avance ?
De grandes discussions se sont élevées cette année sur les causas qui ont diminué le produit de nos chemins de fer. Les uns ont accusé l'honorable ministre des travaux publics d'avoir réduit nos tarifs dans une proportion trop forte ; les autres l'ont loué de la mesure et de la persévérance qu'il met à la maintenir.
Je me range de l'avis des derniers, c'est-à-dire de ceux qui ont loué l'honorable ministre.
Je crois que l'honorable ministre a été amené forcément au principe des réductions par l'expérience de l'exploitation. Il a dû voir que lorsque les places s'élèvent au-dessus d'un certain prix, non seulement le nombre des voyageurs diminue dans des proportions considérables, mais le produit de ces places ne prend pas le développement proportionnel avec les places à prix moins élevé. Ce produit reste en quelque sorte stationnaire, tandis que celui des places à bon marché grandit sans cesse malgré les circonstances en apparence les plus défavorables.
Je n'entre pas dans les détails d'une question sur laquelle on pourrait discuter très longuement sans arriver à être d'accord. Je ne la cite que pour prouver cette thèse qui a servi de base aux grandes réformes de l'Angleterre, c'est-à-dire que la population d'un pays quelconque ne pouvant dépenser pour se transporter à distance, pour ses besoins, pour ses plaisirs ou ses passions comme pour ses impôts, qu'une certaine somme donnée, produit de son travail et de son activité corporels ou intellectuels, il n'y a d'autre moyen d'augmenter la somme qu'il peut consacrer à chacun de ces objets, que de diminuer les frais de production et en même temps d'accroître le produit net ou disponible.
Une nation ne peut donc pas dépenser ad libitum ; elle est forcément restreinte par le produit de son travail qu'elle ne peut dépasser sans attaquer l'épargne, c'est-à-dire son capital.
Les dépenses pour les chemins de fer, comme pour les impôts et le reste, doivent ainsi rester dans la proportion de ses ressources. Si elle les excède dans l'une branche ou dans l'autre, elle devra ou puiser dans le capital ou engager l'avenir.
Or, les nations pas plus que les individus ne peuvent, si ce n'est très accidentellement, et dans des circonstances très graves et exceptionnelles, attaquer leur capital pour satisfaire à des besoins journaliers. Les transports comme les impôts devant satisfaire à des besoins de cette nature, il est bien évident que c'est aux produits quotidiens du travail qu'elles doivent demander les moyens d'y faire face.
Cela est élémentaire, el si je prends cet exemple, c'est seulement pour démontrer par un exemple facile à vérifier, la thèse que je soutiens que l'impôt en Belgique, comme dans d'autres pays, ne peut excéder une certaine mesure sans atteindre dans leur source le capital, les forces productives du pays.
Je puis citer un autre exemple à l'appui de cette thèse, c'est l'Espagne. Il y a des chemins de fer dans ce pays, naturellement riche et productif, qui ont vu leurs produits décroître, tandis que partout ailleurs ces produits s'accroissent progressivement et presque sans interruption.
Quelle est la cause de ce phénomène économique qui semble en contradiction avec les lois générales qui dominent dans d'autres pays? C'est que le peuple espagnol n'a pas de quoi payer davantage pour ses transports ; il doit s'arrêter à une certaine limite, et cette limite en Espagne est beaucoup plus étroite qu'on Belgique, en France ou en Angleterre.
Et pour en revenir à notre pays, pourquoi les transports à longue distance ne donnent-ils pas les mêmes accroissements que ceux plus courts? C'est tout simplement parce que la masse qui seule peut donner, par le nombre, les grands produits, ne peut dépenser l'argent nécessaire, pour aller au loin quand les tarifs sont élevés.
L'ouvrier aurait tout aussi besoin, peut-être même davantage que le riche, d'aller au loin chercher du travail ou un salaire plus élevé, si la prix du transport ne l'arrêtait en lui enlevant d'avance son bénéfice. C'est pour parer à ce mal réel, il faut le dire, que l'honorable ministre des travaux publics a voulu, j'aime à le croire, rapprocher les distances en diminuant les frais de transports,
(page 53) Il a voulu permettre à un plus grand nombre de citoyens de parcourir des distances plus grandes, et je ne doute pas que les résultats de son expérience devront le satisfaire pour autant, bien entendu, que par d'autres moyens, on ne puise pas dans la poche de cette classe de citoyens la somme qu'ils pourraient consacrer à ces transports.
Si j'ai fait cette espèce de digression qui m'a quelque peu éloigné de mon sujet, c'est pour mieux faire comprendre que les dépenses générales de l'Etat ont forcément une certaine limite qu'il est impossible de franchir, sans arriver, comme nous l'avons fait depuis quatre ans, à demander à l'emprunt, c'est-à-dire, à l'épargne des citoyens, les moyens de couvrir nos dépenses journalières.
Quand nous aurons épuisé les ressources que l'emprunt peut nous donner, quand les prêteurs, examinant notre situation, pourront craindre que nos ressources ne puissent pas satisfaire à rembourser la somme prêtée, il est évident que nous arriverons à l'état où est l'Espagne.
MfFOµ. - Oh ! oh !
M. Bouvierµ. - Voilà de l'exagération. Ne vous y trompez pas, messieurs.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - L'Espagne a été le pays le plus riche du monde, elle a été longtemps le modèle des administrations financières.
On l'enviait partout, lorsque Charles-Quint, avec qui nous avons certains rapports de nationalité, gouvernait l'Espagne, cette Espagne sur les domaines de laquelle le soleil ne se couchait jamais, comme répétaient ses flatteurs. Eh bien, alors l'Espagne dépensait à peine ce que nous dépensons aujourd'hui en Belgique pour l'administration de notre petit pays.
M. Bouvierµ. - Et la valeur différente de l'argent !
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Il est très facile de repousser des comparaisons au moyen de faits ou d'allégations qu'il est presque impossible de contredire séance tenante, parce que les éléments de la comparaison font défaut.
Mais il y a quelque chose de certain, c'est que l'Espagne à cette époque n'était pas rongée comme elle l'est aujourd'hui par le paupérisme et la misère ; qu'à cette époque elle n'était pas dans une impuissance dont il semble qu'elle ne puisse se relever.
Il suffirait de citer les moindres faits de l'histoire pour le prouver. Alors elle avait l'ambition de la monarchie universelle ; aujourd'hui, elle ne sait pas même payer ses dettes ; et ne croyez pas, messieurs, que ce soit par mauvaise volonté ou parce que la nation espagnole aurait perdu le sentiment de l'honneur.
Non, messieurs, l'Espagne est le pays du monde le plus sensible et le plus chatouilleux à cet égard. Pourquoi donc est-elle dans cette situation ? Parce qu'elle en est venue à ce point que le peuple ayant donné tout ce qu'il possédait, il est devenu matériellement impossible de le pressurer davantage pour payer les dettes de la nation. Aucun système d'impôt ne ferait entrer dans le trésor de l'Espagne plus que le peuple ne peut donner.
Eh bien, continuons encore pendant quelques années à emprunter 23,000,000 de plus que nous ne remboursons, et la Belgique aura fait un grand pas vers la situation où se trouvent ses anciens maîtres les Espagnols.
Je dis donc que l'Etat, absorbant aujourd'hui presque toutes les ressources que la Belgique peut consacrer aux charges publiques, ne peut augmenter ces charges sans étouffer en quelque sorte la nation dans l'impuissance ; car, notons bien et n'oublions pas que les villes, ayant des besoins immenses, ne peuvent y satisfaire que par l'emprunt; que les provinces suivant le même exemple et que les communes rurales étant entraînées dans le même courant, il n'y aura bientôt plus un coin de terre qui ne soit grevé et n'ait dévoré d'avance les ressources de l'avenir.
Je n'exagère donc en aucune façon, quand je prédis qu'une courte période de temps nous sépare du moment où nous serons au niveau de l'Espagne, si nous ne prenons la ferme et inébranlable résolution de nous arrêter dans cette voie.
Je comprends très bien ce qui nous entraîne et que c'est le mouvement des intérêts, non pas des intérêts généraux, mais des intérêts particuliers, personnels.
L'intérêt général réclamerait la liberté de se mouvoir avec le moins d'administration et d'intervention et, par conséquent, avec le moins de dépense possible ; mais les intérêts particuliers, et ce sont ceux qui ont le plus d'influences sur le gouvernement, nous entraînent dans la voie opposée. C'est à ces intérêts restreints que nous devons opposer la résistance la plus grande, basée sur une étude de la situation réelle et non pas telle qu'on veut bien nous la présenter, c'est-à dire sous l'aspect d'une prospérité sans cesse croissante.
- Plusieurs membres. - A mardi.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je veux bien suspendre mon discours, mais il doit être entendu que je pourrai le reprendre à l'ouverture de la séance de mardi.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
(page 45) - La séance est levée.