(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1867-1868)
(Présidence de M. Dolezµ.)
(page 15) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et quart.
M. Reynaert, secrétaireµ, lit le procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Van Humbeeck présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :
« Les sieurs Gillon-Cappon et Boin, président et secrétaire de la société royale de rhétorique dite de Kruisbroeders, demandent que les miliciens illettrés apprennent à lire et à écrire dans leur langue maternelle. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur (erratum, page 33) Magnier soumet à la Chambre un projet d'établissement moyen et de bienfaisance en faveur des orphelins sans fortune des fonctionnaires civils et militaires. »
- Même renvoi.
« Le sieur Cattéeu demande que son fils Félix, milicien de l'année 1865, soldat au 4ème régiment de ligne, soit renvoyé dans ses foyers. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Dohan prie la Chambre d'accorder à la compagnie Forcade la garantie d'un minimum d'intérêt sur une somme proportionnée à l'importance des lignes qu'elle aurait à construire et d'accueillir favorablement toute demande de suppression des voies les moins utiles. »
« Même demande des conseils communaux de Rochehaut, Bagimont, Ucimont-Saint-Pierre, Pussemange, Sugny, Noirefontaine et Sensenruth. »
- Renvoi a la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.
« Les sieurs Besselers et Berton, président et secrétaire de la société flamande à Borgerhout, protestent contre les propositions de la commission militaire et demandent que le gouvernement soit invité à présenter, dans la session actuelle, un projet de loi qui abolisse le tirage au sort pour la milice. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. le ministre des finances transmet à la Chambre 133 exemplaires du tableau général du commerce de la Belgique avec les pays étrangers pendant l'année 1866. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. Nypels, professeur à l'université de Liège, fait hommage à la Chambre d'un exemplaire du tome premier de la Législation criminelle de la Belgique, etc. »
- Dépôt à la bibliothèque.
MM. Allard, Mascart, Schollaert et Van Wambeke font connaître que des motifs de santé les empêchent de se rendre à la Chambre et les obligent à demander un congé.
- Accordé.4
« M. d'Ursel, de Rongé et de Moor, retenus par des affaires urgentes, prient également la Chambre de leur accorder un congé. »
- Accordé.
Les bureaux des sections, pour le mois d'octobre, ont été constitués comme suit.
Première section
Président : M. Jamar
Vice-président : M. Jonet
Secrétaire : M. Magherman
Rapporteur de pétitions : M. Dethuin
Deuxième section
Président : M. de Kerchove de Denterghem
Vice-président : M. de Terbecq
Secrétaire : M. de Moor
Rapporteur de pétitions : M. Orban
Troisième section
Président : M. Lippens
Vice-président : M. Thonissen
Secrétaire : M. Jacobs
Rapporteur de pétitions : M. Hagemans
Quatrième section
Président : M. Funck
Vice-président : M. d’Hane-Steenhuyse
Secrétaire : M. Carlier
Rapporteur de pétitions : M. Bricoult
Cinquième section
Président : M. David
Vice-président : M. Sabatier
Secrétaire : M. Elias
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Sixième section
Président : M. de Theux
Vice-président : M. Vermeire
Secrétaire : M. de Macar
Rapporteur de pétitions : M. Bouvier-Evenepoel
M. le président. - Avant d'aborder l'ordre du jour, je dois demander à la Chambre si elle entend procéder elle-même à la composition de la commission de comptabilité ou si, suivant sa pratique habituelle, elle entend laisser cette nomination aux sections.
- Plusieurs membres. - Oui ! oui ! aux sections !
M. le président. - Il en sera donc ainsi.
M. le président. - L'ordre du jour appelle en premier lieu le vote sur le budget de la dette publique.
« Article unique. Le budget de la dette publique est fixé, pour l'exercice 1868, à la somme de quarante-cinq millions trois cent douze mille neuf cent dix-neuf francs dix-huit centimes (45,312,919 fr. 18 c), conformément au tableau ci-annexé. »
Il est procédé à l'appel nominal.
Le budget est adopté à l'unanimité des 73 membres présents.
Ce sont :
MM. Wouters, Ansiau, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Broustin, Carlier, Coomans, Couvreur, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Delaet, Delcour, de Maere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, De Smedt, de Terbecq, Dethuin, de Zerezo de Tejada, d'Hane-Steenhuyse, Frère-Orban, Funck, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Kervyn de Lettenhove, Lambert, Landeloos, Lebeau, Lelièvre, Liénart, Lippens, Magherman, Moreau, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rogier, Snoy, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vleminckx, Watteeu et Dolez.
- Le projet de loi sera transmis au Sénat.
M. le président. - M. le ministre, des finances a fait parvenir au bureau plusieurs amendements au budget des voies et moyens pour l'exercice 1868, amendements dont je crois devoir donner immédiatement connaissance à la Chambre :
1° Article 2 nouveau. Les rétributions perçues des particuliers pour la délivrance des extraits de matrice et de plans du cadastre sont versées au trésor ; un arrêté royal en détermine le taux.
2° Article 3 nouveau. Le gouvernement est autorisé à apporter à la législation sur la pêche les modifications nécessitées par la suppression des primes d'encouragement.
3° Article 4 nouveau. L'article 28 de la loi du 31 mai 1824 est abrogé.
Ce dernier amendement fait droit à une proposition qui a été adoptée par la section centrale.
L'article 2 du projet primitif devient l'article 5 et l'article 3 devient l'article 6.
La discussion générale du budget des voies et moyens est ouverte.
La parole est à M. Lelièvre.
(page 16) M. Lelièvreµ. - Le budget en discussion me donne l'occasion de présenter quelques observations que je recommande à l'attention du gouvernement.
La mise à exécution du nouveau Code pénal doit produire certain accroissement de recettes au profit du trésor public.
Ci-devant les amendes prononcées par les tribunaux de simple police étaient appliquées à la commune où la contravention avait été commise (articles 466 du Code pénal de 1810). Aujourd'hui ces amendes sont perçues au profit de l'Etat (article 38 du nouveau Code).
Cet état de choses, qui modifie la position des communes, réclame certaines mesures en leur faveur. C'est ainsi que toutes les dépenses concernant les tribunaux de simple police doivent nécessairement être supportées par l'Etat.
II doit en être ainsi au moins pour partie du traitement du commissaire de police qui remplit les fonctions du ministère public près ces tribunaux. Cet agent remplit aujourd'hui un service qui profite directement au trésor public.
J'appelle l'attention du gouvernement sur les dispositions qu'exige le régime établi par la nouvelle législation.
Je dois signaler un autre objet à la sollicitude de M. le ministre des finances.
La loi du 10 février 1866 et celle du 30 mars même année ont supprimé les amendes concernant les pourvois en cassation en matière civile comme en matière répressive.
Ces dispositions doivent avoir pour conséquence nécessaire la réduction des frais exorbitants exigés pour l'enregistrement des actes d'appel et des pourvois en cassation.
Le coût de l'enregistrement des actes d'appel en matière civile est excessivement élevé, et on le perçoit sur chaque exploit signifié dans la même affaire aux intimés ayant leur domicile dans des arrondissements différents. Il en est de même du coût des pourvois en cassation.
D'un autre côté, le montant de l'enregistrement des actes de pourvoi en cassation en matière correctionnelle et de simple police dépasse les justes limites ; lorsqu'il s'agit d'objets de peu d'importance, l'état de choses actuel présente les plus sérieux inconvénients.
Il est évident que ce régime n'est plus en harmonie avec les idées qui ont inspiré le législateur de 1866. On a voulu faciliter aux citoyens les recours contre les décisions dont ils croient avoir à se plaindre. Il importe donc qu'on diminue les frais à payer au trésor public.
La perception des droits dont il s'agit ne se concevait qu'au point de vue d'un système légal ayant pour objet d'apporter des entraves à l'exercice du droit d'appel ou du recours en cassation. La condamnation du principe doit nécessairement amener la cessation de toutes les mesures qui étaient la conséquence de l'ordre de choses dont les inconvénients sont reconnus.
Cette matière importante mérite d'être étudiée par le gouvernement.
Le section centrale propose la suppression de l'article 28 de la loi du 31 mars 1824, en ce qui concerne la surtaxe des droits de succession à laquelle les fonds publics étrangers sont soumis.
J'applaudis à cette mesure d'autant qu'il est certain que la disposition à abroger avait été portée sous le gouvernement des Pays-Bas dans des vues entièrement opposées à celles qui président aujourd'hui aux relations internationales. Mais pour être conséquent, l'on devrait aussi abroger les dispositions de la loi du 27 décembre 1817, qui frappent du droit de succession à payer au trésor belge les immeubles situés en pays étranger, de sorte que le Belge est forcé de payer deux fois l'impôt.
Cependant les immeubles ne sont régis que par la loi de leur situation, et il est impossible qu'on paye en Belgique un droit à raison de biens immobiliers qui ne sont soumis qu'aux dispositions législatives en vigueur au lieu où ces immeubles sont situés.
Le droit de succession se paye à raison de la protection accordée au nouveau possesseur.
Or, la loi belge est impuissante à protéger une propriété qui échappe à son empire.
Ces immeubles ne peuvent donc être frappés d'un impôt au profit du trésor de Belgique. Enfin j'estime que la révision de la loi du 22 frimaire an VII serait chose utile en ce qui concerne certains actes dont il serait possible de réduire les frais au point de vue des droits dus au trésor.
Sans doute, il ne faut toucher qu'avec réserve et circonspection à l'une des lois les plus remarquables qu'ait promulguées la république française. Mais je pense qu'on pourrait aujourd'hui, en cette matière, réaliser des améliorations, et il serait digne de M. le ministre des finances de proposer à cet égard une réforme qui serait accueillie avec empressement par le pays.
M. Delcourµ. - Messieurs, je profiterai de la discussion' générale du budget des voies et moyens pour rappeler un vœu qui a déjà été émis l'an passé par la section centrale chargée de l'examen du budget des voies et moyens de 1867.
L'honorable M. Dewandre, organe de cette section centrale, a signalé à l'attention de M. le ministre des finances la question suivante : Ne conviendrait-il pas de réduire le droit d'enregistrement, en matière d'échanges, surtout lorsqu'il s'agit de propriétés rurales contiguës, et, par conséquent, de propriétés rurales de peu de valeur ?
Je regrette que ce vœu n'ait pas été reproduit cette année dans le rapport de la section centrale sur le budget que nous discutons.
La question de savoir s'il convient de réduire le droit d'enregistrement en matière d'échanges, surtout lorsque les terres sont contiguës, a fait l'objet d'un examen approfondi.
Il y a longtemps, messieurs, que l'on sait que les morcellements des terres sont nuisibles au progrès de l'agriculture et des exploitations rurales. Il est à désirer, dans le but d'encourager les échanges, qu'on facilite la réunion des propriétés trop disséminées. Le rapport de la section centrale de 1867 s'énonce en ces termes : « Les graves inconvénients, tant au point de vue de l'intérêt privé qu'au point de vue de l'intérêt général, des cultures morcelées et des parcelles enclavées, trop petites ou de formes irrégulières, sont d'une incontestable évidence. »
Ces inconvénients avaient été signalés déjà dans la discussion de la loi du 22 frimaire an VII.
La Chambre voudra bien me permettre d'entrer, à cet égard, dans quelques détails.
Avant la loi du 22 frimaire an VII, on considérait les échanges comme opérant une double mutation ; en conséquence, le droit de vente était perçu sur les deux immeubles cédés. L'article 69 de la loi de frimaire an VII l'a réduit à moitié du droit réglé pour les aliénations à titre onéreux, c'est à dire à 2 p. c, et établit que, lorsqu'il n'y aurait aucun retour, le droit ne serait perçu que sur la valeur d'une des parts. Mais, s'il y a retour, le droit sera payé à raison de 2 p c, sur la moindre portion, et, comme pour une vente ordinaire, sur le retour ou la plus-value.
Aujourd'hui donc, il y a à payer, pour les échanges qui ne donnent lieu à aucune soulte, 2 p. c. de droit d'enregistrement et 1 p. c. de droit de transcription, non compris les centimes additionnels.
Nous devons reconnaître que la loi du 22 frimaire an VII avait déjà considérablement amélioré la situation. Mais le droit d'enregistrement de 2 p. c. n'était-il pas encore trop élevé ? N'allait-il pas encore empêcher les échanges ?
Des craintes furent émises sur ce point dans la discussion de la loi même. Un membre du conseil des Cinq-Cents fit remarquer qu'astreindre les échanges à un droit de 2 p. c, c'était frapper l'agriculture, et s'opposer aux échanges.
En effet, messieurs, la question fut reprise peu de temps après. Lorsque, de 1808 à 1811, le chef du gouvernement interrogea les commissions consultatives sur le projet du code rural, toutes mirent le contrat d'échange au nombre des actes qui, par une extrême modicité des droits, ou par l'absence de tout droit, devront être principalement encouragés.
Ces vues de la commission ne peuvent recevoir immédiatement leur application. Elles ne furent cependant point stériles.
Le gouvernement français répara, par la loi du 16 juin 1824, la faute commise par le Directoire.
L'article 2 de cette loi porte : « Les droits sur les échanges des biens immeubles sont modérés ainsi qu'il suit :
« Les échanges d'immeubles ruraux ne payeront qu'un droit fixe de 1 fr. pour tout droit d'enregistrement et de transcription, lorsque l'un des immeubles échangés sera contigu aux propriétés de celui des échangistes qui le recevra. »
A l'égard de tous les autres échanges de biens immeubles, quelle que soit leur nature, le droit de 2 p. c. fixé par la loi du 22 frimaire an VII, fut réduit à 1 p. c.
Et dans tous les cas où l'échange donnait lieu à une soulte, la loi du 1824 maintenait le droit tel qu'il avait été antérieurement fixé.
Cette loi fut favorablement accueillie par l'opinion publique. Mais au point de vue fiscal, elle donna lieu à une fraude qui la fit abroger en 1854.
(page 17) Voici la fraude. Afin d'échapper un droit proportionnel et pour profiter du droit fixe d'un franc, les propriétaires qui désiraient échanger leurs propriétés achetaient une parcelle de terre contiguë aux propriétés de celui avec lequel il voulait faire l'échange, et l'échange s'opérant ensuite, ils profitaient de toute la réduction du droit.
Voilà la fraude qu'il a fallu frapper ; pour l'atteindre, on a abrogé une loi dont les heureux effets pour l'agriculture étaient reconnus par tous les hommes compétents.
M. Troplong a blâmé, en termes très vifs, l'abrogation de la loi de 1824.
La nouvelle commission qui fut chargée de rédiger le projet de code rural, a cru devoir revenir sur cette abrogation.
M. de Parie», vice-président du conseil d'Etat en France, parle, dans son ouvrage Sur la théorie de l'impôt, des travaux de cette commission. Il nous apprend qu'une disposition conçue dans les termes suivants avait rallié de bons esprits. « Les échanges des immeubles ruraux ne sont assujettis qu'à un droit proportionnel de 25 centimes par 100 fr. de la valeur d'une des parts, pour tout droit d'enregistrement et de transcription lorsque les immeubles échangés sont contigus. »
Dans de telles conditions, la diminution du droit d'enregistrement ne nuirait presque pas au trésor, et serait un moyen efficace de faciliter les échanges.
Je ne fais, messieurs, aucune proposition. Je sais combien il est difficile et dangereux de toucher à une loi générale, telle que la loi du 22 frimaire an VII. Il me suffit d'avoir appelé l'attention de M. le ministre des finances. J'espère qu'il tiendra compte du vœu émis par la section centrale dont l'honorable M. Dewandre a été l'organe. Je suis assuré qu'en réduisant le droit existant, le gouvernement ferait une chose utile non seulement à l'intérêt privé, qui me préoccupe peu en ce moment, mais surtout à l'intérêt général.
M. Watteeuµ. - Messieurs, parmi les droits d'enregistrement, il en est qui me paraissent empreints d'une souveraine injustice. Je vais présenter à cet égard quelques observations que je livre aux méditations de l'honorable ministre des finances.
Je ne demande pas qu'à l'improviste, en quelque sorte, on modifie sensiblement une loi sous l'empire de laquelle nous avons vécu pendant plus d'un demi-siècle ; j'appelle seulement son attention sur les critiques que je vais lui soumettre et j'espère qu'il pourra, dans un temps plus ou moins rapproché, nous présenter des modifications dont l'équité n'échappera à personne. J'entends parler des droits exorbitants qui se perçoivent sur les condamnations judiciaires.
On me répondra que les condamnations judiciaires forment titre et que par conséquent il est très juste de les soumettre au droit qui frappe les autres titres ; mais qu'on ne perde pas de vue que la plupart du temps les condamnations judiciaires ne sont payées que par le commerce qui ne prospère pas, et que le commerce qui prospère y échappe de la manière la plus complète, par la raison fort simple qu'il n'est pas d'usage de passer pour des affaires commerciales, quelque importantes qu'elles soient, des actes sujets aux droits d'enregistrement.
Ce droit, messieurs, n'est pas seulement injuste dans son principe, mais il est encore exorbitant par la manière dont il est perçu.
Je dis qu'il est injuste dans son principe. Quelles sont les circonstances dans lesquelles le droit se perçoit ? Un créancier se trouve malheureusement obligé de poursuivre son débiteur ; c'est déjà une chose bien regrettable pour lui, puisqu'il se trouve avoir une créance compromise ; il vient demander le secours de la justice.
Or, dans un pays bien organisé, la justice est due à tous ; elle devrait même être administrée gratuitement. Il obtient une condamnation, mais immédiatement cette condamnation donne lieu à la perception d'un droit proportionnel, dont il doit à l'instant faire l'avance. Sa position est ainsi aggravée ; il reste créancier du principal et il devient créancier des frais.
Et quand il a ainsi fait un nouveau sacrifice, qu'arrive-t-il le plus souvent ? C'est qu'il se trouve devant un débiteur insolvable, et la preuve que le débiteur a peu de solvabilité, c'est la nécessité où l'on s'est trouvé d'exercer des poursuites contre lui. Le malheureux créancier perd non seulement sa créance, mais il perd encore les frais qu'il a dû faire pour exercer contre son débiteur des poursuites que la loi lui permettait d'exercer.
Comment se fait la perception ? Instantanément et pour le tout. Il n'obtient pas de titre exécutoire s'il n'a acquitté le montant des droits afférents à la condamnation prononcée.
Pour les autres impôts, par exemple pour les contributions directes, le contribuable a la faculté de se libérer par douzièmes. Pour les mutations immobilières et mobilières, il dépend de l'acquéreur de choisir son moment ; quand il est en mesure d'acquérir, il doit être également en mesure d'acquitter l'impôt. Là encore le contribuable obéit à un mouvement spontané de sa volonté.
Quant aux droits de succession, il ne sont exigibles qu'au moment même où celui qui doit les acquitter voit sa fortune augmentée.
Dans toutes ces circonstances, l'impôt peut se percevoir sans que le contribuable ait trop à en souffrir.
M. Coomans. - Il a encore six mois de temps.
M. Watteeuµ. - Il a encore six mois de temps, comme le fait remarquer très bien l'honorable M. Coomans.
Le créancier, au contraire, qui se trouve dans la pénible nécessité d'agir contre son débiteur, n'obtient aucune espèce de faveur et son action se trouve complètement enrayée s'il ne se trouve à l'instant même dans le cas de faire face aux exigences du fisc.
Il me semble qu'il y a dans ces quelques observations l'objet de sérieuses réflexions. Une bouche bien autorisée signalait dernièrement (je fais allusion au remarquable discours que prononçait la semaine dernière l'éminent magistrat que le vote de ses collègues vient d'élever à la dignité de premier président de la cour d'appel de Bruxelles), signalait, dis-je, diverses améliorations à introduire dans l'administration de la justice.
Il disait, avec raison, que la magistrature devait s'attacher à rendra une justice prompte, sûre et peu coûteuse.
Eh bien, messieurs, ce qui la rend très coûteuse, ce sont notamment les droits d'enregistrement proportionnels à l'importance de la condamnation.
On dirait vraiment qu'on s'est ingénié à entourer l'obtention d'un titre exécutoire contre son débiteur, d'un véritable luxe de bases de perception.
Non seulement, il y a un droit d'enregistrement proportionnel sur la minute, mais encore un droit d'enregistrement sur l'expédition. L'expédition elle-même ne peut se faire que sur papier timbré et avec l'exigence de n'inscrire qu'autant de lignes et autant de mots par ligne ; enfin on choisit le moment le plus fâcheux pour imposer le contribuable d'une manière écrasante, c'est-à-dire alors qu'il ne fait le plus souvent qu'empirer sa position en augmentant sa créance par l'obligation de payer des droits que trop souvent il ne peut pas plus récupérer que le principal.
J'ai saisi l'occasion que me fournissait la discussion générale du budget des voies et moyens pour soumettre ces observations à l'attention et à la sollicitude de l'honorable ministre des finances.
J'espère qu'il voudra bien en tenir note et qu'il pourra, dans des circonstances prochaines, saisir la Chambre d'un projet qui puisse mettre un terme à ce que je considère et qualifie sans hésitation un véritable abus.
M. Bouvierµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour appuyer les observations présentées par l'honorable M. Delcour en ce qui concerne la facilité d'échanger des immeubles en obtenant un dégrèvement fiscal.
Le conseil provincial du Luxembourg a émis, dans le cours de la session de cette année, un vœu dans le sens des idées émises par l'honorable membre.
Puisque j'ai la parole, j'appellerai l'attention de M. le ministre des finances sur une institution qui existe en Angleterre qui développe singulièrement chez les artisans, les domestiques, les classes infimes de la société, le sentiment de la prévoyance, source de l'épargne ; je veux parler des post-office saving banks, où les personnes et les classes auxquelles je viens de faire allusion portent leurs épargnes. Les bureaux de poste disséminés, comme en Belgique, sur toute la surface du royaume, les enregistrent et en font l'encaissement. Ils procurent cet immense avantage que l'ouvrier s'il a besoin de porter son industrie ailleurs, peut retirer le dépôt partout où il rencontre un bureau de poste. Il voyage en quelque sorte avec une bourse qui porte intérêt, sans le solliciter, à la vue d'un cabaret, à y entrer.
Ce système, récemment inauguré en Angleterre, y a produit un effet merveilleux.
Je pense que la création en Belgique de post-office saving banks est digne de fixer toute la sollicitude de l'honorable ministre des finances.
(page 18) M. Broustinµ. - Nous savons généralement combien les règles du droit fiscal en matière d'enregistrement sont d'une application difficile. Les transactions sont souvent paralysées par l'accomplissement des formalités prescrites par les lois du timbre et de l'enregistrement. Avant la loi du 5 juillet 1860, les difficultés étaient encore plus grandes, car les notaires ne pouvaient, sous peine d'amende, faire ou passer aucun acte en conséquence d'un autre, si celui-ci n'avait été préalablement enregistré.
La loi du 5 juillet 1860 a levé cette défense ; elle porte dans son article 3 que l'acte dont il est fait usage pourra être présenté à l'enregistrement avec l'acte qui s'y rapporte et en même temps à la formalité du visa pour timbre.
Grâce à cet article, les notaires peuvent donc aujourd'hui citer dans leurs actes d'autres actes publics ou sous seing privé, à la seule condition de soumettre ceux-ci à la formalité de l'enregistrement et même au visa pour timbre en même temps que les actes dans lesquels il en auront fait usage.
L'article 4 de la même loi semble aller plus loin encore ; il maintient l'exception établie par les article 41 et 42 de la loi de frimaire pour les effets négociables compris sons l'article 69, paragraphe, § 2, n° 6 de cette dernière loi, à condition que ces effets seront présentés à l'enregistrement avec les actes par lesquels il en aura été fait usage.
Afin de mieux faire comprendre mes observations contraires à l'article 4 de la loi de 1860, je dois dire en quoi consistent les exceptions mentionnées dans ces deux articles de la loi de frimaire.
Après avoir posé en principe que les notaires, huissiers, greffiers et les secrétaires des administrations publiques ne peuvent faire aucun acte en conséquence d'un autre acte, avant que celui-ci ait été enregistré, un paragraphe de l'article 41 excepte de la formalité préalable de l'enregistrement les effets négociables dont il est parlé à l'article 69 paragraphe 2 de n°6 de la loi de frimaire, c'est-à-dire les cessions d'actions et coupons d'actions mobilières de compagnies et sociétés d'actionnaires et tous autres effets négociables.
Il résultait de cette exception que les actions des sociétés, les effets publics en général pouvaient être cités dans les actes notariés sans qu'ils dussent pour cela subir la formalité de l'enregistrement.
Or, en subordonnant la faveur de citer les actions et effets négociables dans les actes, à la condition de soumettre ces valeurs à l'enregistrement avec les actes où ils ont été mentionnés, l'article 4 a été à l’encontre de l'intention du pouvoir législatif, puisque tout en ayant l'air de venir en aide aux particuliers, il les oblige à payer des droits d'enregistrement sur des titres qui en étaient exceptionnellement dispensés.
Qu'est-il résulté de cette nouvelle disposition ? C'est qu'après quelques années de la mise en vigueur de la loi de 1860, l'administration de l'enregistrement s'est prévalue de l'article pour réclamer les droits d'enregistrement sur tous les effets publics des actions mentionnées dans les actes ; et notamment dans ceux d'ouverture de crédit ou de prêt sur gage ; alors que l'article 24 de la loi du 11 février 1816, confirmant l'exception dont je viens de parler, dispensait formellement de l'enregistrement les actes d'emprunt sur fonds publics, qui ne seraient pas faits pour plus de six mois.
Ainsi donc, tout en paraissant avoir un but utile au public et aux notaires, la loi du 5 juillet 1860 est venue au contraire embarrasser davantage les uns et les autres, par la disposition de l'article 4.
Elle a rendu impossibles les actes authentiques d'ouverture de crédit et de prêt garantis par des actions et d'autres titres commerciaux. Elle a engendré une foule de procès en recouvrement de droits d'enregistrement sur les actions et les effets négociables, qui avaient été remis en nantissement, en vertu d'actes authentiques passés postérieurement à la loi de 1860.
Pour éviter la perception des droits d'enregistrement, les établissements de finance et les particuliers recourent maintenant aux actes de crédit et de nantissement sous seing privé. En recourant à cette forme d'acte, les actions et les effets négociables peuvent être cités sans crainte de l'enregistrement.
Il en résulte donc un traitement inégal pour les contribuables, qui échappent à l'impôt ou y sont soumis, selon qu'ils emploient l'acte authentique ou l'acte sous seing privé.
II me suffit de signaler cette inégalité, pour attirer l'attention de la Chambre sur l'apparence d'inconstitutionnalité de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1860.
J'engage donc M. le ministre des finances à examiner mes observations avec l'attention qu'elles me semblent mériter.
Et je me demande s'il n'y a pas lieu d'abroger l'article 4 de la loi en question.
M. Coomans. - Les remarques présentées par les honorables MM. Delcour et Watteeu me semblent si justes, que je crois de mon devoir de m'y associer. Me plaçant au point de vue de l'équité où ils se sont mis, je ferai au gouvernement une remarque dans le même ordre d'idées.
Nous savons tous que les frais de déguerpissement sont énormes, encore aujourd'hui : il en coûte souvent gros pour faire déloger un locataire insolvable ou malveillant.
Je voudrais que les frais de déguerpissement fussent à peu près nuls et je le voudrais bien plus dans l'intérêt du petit locataire que dans l'intérêt du grand propriétaire, car le petit locataire souffre doublement de l'état actuel des choses : d'abord il ne parvient qu'avec difficulté à se loger, attendu que le propriétaire a appris, et souvent par expérience, combien il est difficile de faire déguerpir une famille endetté et il y regarde à deux fois avant d'admettre dans son immeuble des personnes qui ne lui paraissent par parfaitement solvables.
De là l'extrême difficulté pour ce qu'on appelle les petites gens de trouver une habitation fixe.
En second lieu, les petits locataires souffrent encore de l'état actuel des choses, en ce qu’ils doivent finalement payer tous les frais, à moins qu'ils ne soient complètement insolvables, et alors il y aurait une injustice criante envers le propriétaire.
Mais, dans la plupart des cas, quand le propriétaire est un peu attentif, il a soin d'exercer ses droits en temps utile et de saisir le mobilier du locataire. Sur qui le gouvernement prélève-t-il ses frais ? Sur le petit locataire, sur le malheureux locataire.
Messieurs, il y a bien des années que j'ai signalé cet abus, je puis dire même cette injustice ; j'ajouterai cette absurdité ; et je suis étonné vraiment qu'on n'ait pas encore fait droit à mes plaintes, qui sont exprimées par la généralité des gens sensés.
C'est un de nos grands étonnements que de voir comment des abus, reconnus comme tels par l'immense majorité des citoyens, se maintiennent. Je n'ai pas rencontré un seul homme encore qui ne se soit rendu à l'évidence, et qui n'ait reconnu que la législation actuelle sur le déguerpissement est aussi mauvaise pour les petits locataires que pour les grands propriétaires. Tout le monde va même jusqu'à dire qu'il y a là une flagrante injustice ;et cette injustice se maintient. Nous nous acharnons à de prétendues réformes qui ne profitent très souvent à personne.
Je voudrais donc que M. le ministre de la justice, s'associant à son collègue des finances, nous fît le plus tôt possible une petite loi dans le sens que je viens de dire. II faudrait faciliter considérablement le déguerpissement, diminuer les frais, les annuler même, simplifier les formalités et surtout les raccourcir. Quand le propriétaire saura qu'en 24 heures ou en deux fois 24 heures il pourra se débarrasser d'un locataire qui a manqué à ses engagements, il admettra beaucoup plus facilement de pauvres locataires dans ses maisons ; et, en cas de malheur, d'infortune d'un locataire, celui-ci n'aura pas du moins à subir en sus la charge très considérable que j'ai signalée. Les frais judiciaires sont parfois absurdes.
Petit propriétaire que je suis, j'ai eu très rarement recours, Dieu merci ! à cette mesure extrême ; mais il m'est arrivé un jour, étant dix fois dans mon droit, de devoir me débarrasser d'un méchant locataire qui me devait, je crois, une centaine de francs.
Eh bien, les formalités judiciaires du déguerpissement m'en ont coûté 300.
Pour finir, je demanderai un renseignement au ministère. Je désirerais savoir s'il est décidé à maintenir, comme base du droit de suffrage, la taxe sur le débit des boissons fortes. (Interruption.) On me dit oui ; j'aimerais mieux recevoir la réponse d'une bouche ministérielle, je veux dire d'une bouche de ministre. (Interruption.)
Si le gouvernement répondait par la négative, ce dont je lui serais très reconnaissant, je considérerais comme un devoir d'indiquer d'autres bases du droit de suffrage ; car la Chambre me fera l'honneur, j'espère, de m'en croire sans peine quand je lui dirai que le but de mon interpellation n'est point du tout de diminuer le nombre des électeurs belges ; je crois que ce nombre est déjà beaucoup trop restreint et que plus que jamais il serait temps d'admettre une notable fraction du peuple belge dans les comices. Il me serait facile de proposer d'autres bases du droit de suffrage.
(page 19) Quant à la base dont je viens de parler, quant à ce droit de débit sur les boissons fortes (qu'il m'est impossible de considérer comme un impôt direct), quant à ce droit de débit, je ne puis pas l'admettre, surtout depuis que M. le ministre des finances lui-même a constaté que ce droit crée 11,000 électeurs pour les Chambres, c'est-à-dire la neuvième partie environ de tout le corps électoral. Eh bien, c'est là une iniquité, un véritable scandale, et je saisirai toutes les occasions qui se présenteront de protester de toutes mes forces.
MfFOµ. - Messieurs, je n'aurais guère qu'à déclarer que j'examinerai avec soin les questions dont se sont occupés les honorables préopinants, puisque aucune proposition précise n'a été faite, et que l'on s'est borné a recommander à l'attention du gouvernement quelques points plus ou moins importants de notre législation fiscale, qui paraissent aux honorables membres susceptibles de certaines améliorations.
Je dirai cependant quelques mots sur quelques-uns de ces questions.
L'honorable M. Lelièvre a de nouveau demandé si l'on pouvait équitablement soumettre au droit de succession les immeubles situés en pays étrangers. Il y a, à ma connaissance, une vingtaine d'années que cette question se reproduit devant la Chambre, et que tous les ministres des finances qui se sont succédé sont obligés de répondre invariablement de la même manière. Je ne puis que reproduire la même réponse.
On ne soumet point les immeubles situés en pays étrangers à un impôt quelconque ; mais nous avons en Belgique un droit sur les successions, qu'il ne faut pas confondre avec le droit de mutation en ligne directe, mais un impôt sur les successions. Quand une succession est déclarée en Belgique et qu'elle doit y acquitter les droits, on ne peut pas apparemment y faire figurer seulement le passif, l'actif se trouvant à l'étranger ; vous ne pouvez pas déclarer qu'il n'y aura pas à payer de droit en pareil cas. La succession comprend tout ce que possédait la personne défunte. Que les biens dont elle était propriétaire soient situés dans le pays ou à l'étranger, qu'il s'agisse de valeurs mobilières ou immobilières, peu importe ; c'est sur l'actif de la succession que le droit est perçu.
Donc, à moins de changer la base de l'impôt, on doit bien reconnaître qu'il y a lieu de continuer à percevoir le droit comme il l'a été depuis 1817.
Il est arrivé parfois que, dans des pays étrangers, et notamment en France, des particuliers qui se croyaient injustement atteints ont fait entendre des réclamations, soit par voie de pétitions aux chambres, soit en s'adressant directement au gouvernement lui-même. Le gouvernement français a demandé au gouvernement belge des éclaircissements, des explications sur cette matière ; et le gouvernement belge s'est borné à exposer quelle était sa législation et à expliquer par suite de quelles considérations les biens d'un Belge, qui se trouvaient situés dans un pays étranger, devaient entrer en ligne de compte pour établir l'actif de sa succession.
Depuis lors, on n'a plus insisté ; et, en effet, il ne peut pas en être autrement.
Il arrive aussi que les gouvernements étrangers perçoivent des droits sur des valeurs d'origine belge, qui sont également soumises ou peuvent être soumises à des droits dans ce pays. Je ne pense pas qu'aussi longtemps que le principe de la législation sera maintenu, il soit possible d'opérer autrement qu'on ne l'a fait jusqu'à présent.
L'honorable M. Delcour a appelé l'attention du gouvernement sur la question des échanges de biens et des frais dont ces échanges sont grevés. Plusieurs fois, déjà, il a été question de cette affaire dans cette Chambre, et j'a eu l'honneur de faire remarquer que ce n'est pas le droit d'enregistrement peu élevé auquel sont soumises ces transactions, qui est, comme on semble le croire, un obstacle sérieux et réel à l'échange des petites parcelles. Cela tient à une foule d'autres causes, et, par exemple, depuis la loi de 1851 surtout, à la nécessité d'un acte notarié ; obligation qui entraîne à des frais beaucoup plus considérables que le droit lui-même.
Dans ces derniers temps, la commission supérieure d'agriculture, des comices agricoles, des conseils provinciaux se sont occupés de cette question ; des jurisconsultes l'ont également traitée. L'attention du gouvernement a donc été particulièrement appelée sur ce point. Je ne crois pas devoir entretenir aujourd'hui la Chambre des études qui ont été faites à cet égard ; mais je pense que j'irai au-devant des intentions des honorables membres, en publiant le résultat de ces études, comme annexe au budget des voies et moyens pour l'année 1869. On pourra alors s'il y a lieu, engager utilement une discussion sur cette matière.
Je résumerai toutes les observations qui ont été présentées par les autorités consultées, les opinions qui ont été émises par des personnes compétentes, et les discussions auxquelles on s'est livré sur ce point. La Chambre, ainsi éclairée, pourra se prononcer en parfaite connaissance de cause.
L'honorable M. Watteeu a signalé à la Chambre les droits, qu'il a qualifiés d'exorbitants, dont sont frappées les condamnations judiciaires. Je n'ai pas examiné cette question ; je ferai seulement, à première vue, une remarque qui, je crois, frappera l'honorable membre : s'il y avait un droit différentiel, et à plus forte raison, s'il n'y avait pas de droit pour les condamnations judiciaires, alors qu'un droit existe pour les actes authentiques, qu'arriverait-il ? C'est qu'il n'y aurait plus d'actes authentiques à passer ; en passerait ces actes par jugement.
C'est une matière qui me paraît très délicate et qui doit être examinée avec beaucoup de maturité. Que les particuliers qui se présentent devant les tribunaux dans les conditions auxquelles l'honorable membre a fait allusion, soient dans une position fâcheuse, cela est parfaitement vrai. Mais faut-il, en considération de cette situation regrettable, aller jusqu'à faire ce que demande l'honorable membre, c'est-à-dire charger les tribunaux de rendre des jugements qui puissent dispenser des frais d'un acte notarié, et faire prononcer des condamnations d'une manière absolument gratuite ? Malheureusement, l'Etat ne peut rien faire gratuitement. Quand on parle d'une chose à faire gratuitement par l'Etat, cela n'a d'autre signification que celle-ci : c'est que les uns payeront pour les autres. Quand on veut faire quelque chose gratuitement, on ne peut évidemment le faire qu'à l'aide de l'impôt. Il faudrait donc prélever sur la masse des contribuables, que n'intéressent en aucune façon les condamnations judiciaires, de quoi indemniser ceux qui sont dans la nécessité de recourir aux tribunaux.
L'honorable M. Broustin a indiqué, comme pouvant être utilement modifiée, une disposition d'une loi de 1860, votée à la sollicitation des notaires qui se plaignaient de ne pas pouvoir mentionner, dans leurs actes authentiques, des actes passés sous seing privé et qui n'avaient pas été soumis à la formalité de l'enregistrement. Cette facilité leur a été accordée ; jusqu'à présent j'avais cru qu'on avait satisfait au vœu exprimé à cette époque par les notaires ; mais j'apprends par l'honorable membre qu'il est une disposition de la loi de 1860 qui lui paraît critiquable.
J'examinerai très volontiers les observations qui ont été présentées par l'honorable membre.
Je ne veux pas dès à présent émettre une opinion sur ce point ; mais si j'ai bien saisi le sens de ses observations, elles se résument en ceci : on se dispense, par exemple, d'un acte notarié pour des ouvertures de crédit qui doivent être garanties par le dépôt de titres négociables ; on se contente d'un acte sous seing privé. Mais si les parties jugent à propos de se passer d'un acte authentique, si elles trouvent une garantie suffisante pour elles dans un acte sous seing privé, y a-t-il lieu de les contraindre à passer un acte authentique ?
M. Broustinµ. - L'article 3 de la loi du 5 juillet 1860 a facilité, en effet, la rédaction et la passation des actes authentiques ; mais l'article 4, tout en paraissant contribuer à cette facilité, a fait le contraire et a aggravé les frais en retirant aux contribuables le bénéfice de l'exception posée dans l'article 41 de la loi de frimaire, qui dispensait de l'enregistrement les effets négociables et les actions des compagnies de finances et autres.
MfFOµ. - J'examinerai, du reste, avec soin, les observations qui ont été présentées sur ce point par l'honorable membre.
M. Coomans s'est élevé très vivement contre les frais de justice, énormes selon lui, qu'entraîne le déguerpissement. Je ne sais si je me trompe, mais je crois que ce discours vient un peu tard. Autrefois, on a fait entendre des plaintes très vives au sujet de ces frais de déguerpissement, mais depuis lors, une loi est intervenue, qui les a diminués considérablement, en rendant les juges de paix compétents pour ordonner le déguerpissement. Je ne sais ce qu'on peut faire de plus. L'honorable membre réclame la promptitude dans le jugement et l'économie des frais. C'est ce que la loi a fait ; en plaçant les actions en déguerpissement dans la compétence des juges de paix, on a fait tout ce qu'il était possible de faire et pour aller plus vile et pour procéder avec le plus d'économie possible.
(page 20) Mais si vous vous adressez aux tribunaux civils, il doit y avoir nécessairement des frais plus considérables ; il est impossible qu'il n'y en ait pas.
L'honorable M. Coomans dit que pour le déguerpissement d'un locataire qui lui devait 100 fr., il a été obligé de payer 300 fr. de frais judiciaires. Cela me paraît incompréhensible. II doit y avoir erreur. II y aura eu sans doute une contestation portée devant les tribunaux ordinaires. Mais pour le simple déguerpissement, je ne pense pas qu'on puisse aller au delà, de ce que la loi a fait.
Enfin, M. Coomans a demandé au gouvernement de déclarer s'il entend, oui ou non, maintenir le droit de débit sur les boissons distillées parmi les impôts directs admis pour la formation du cens électoral.
Je m'étonne que cette question soit adressée au gouvernement, puisqu'il a proposé une loi dans ce sens en 1849 ; que depuis lors, la question ayant été souvent agitée, il n'a pas cessé de répéter que, l'impôt étant direct, devait être compté pour la formation du cens électoral, aux termes formels de la Constitution.
M. Dumortier. - C'est la question.
MfFOµ. - Il est possible que ce soit aujourd'hui la question pour l'honorable M. Dumortier. Mais il n'avait pas ce doute à une autre époque. En 1838 l'honorable M. Dumortier soutenait très fermement que c'était un impôt direct et qu'aux termes de la Constitution, il devait compter pour la formation du cens électoral.
M. Dumortier. - J'ai dit que tous les impôts directs devaient servira la formation du cens électoral, mais j'ai ajouté que l'impôt qu'il s'agissait d'établir était un impôt indirect.
MfFOµ. - Je crois que dans la séance du 8 février 1838, l'honorable M. Dumortier qualifiait l'impôt dont nous nous occupons d'impôt direct ; il ajoutait : « La Constitution veut que tout impôt direct versé dans la caisse de l'Etat soit compris dans le cens électoral, et il ne nous appartient pas de faire qu'un impôt, direct de sa nature, soit réputé impôt indirect. Ce serait, je le répète, insérer un mensonge dans la loi. »
M. Dumortier. — J'ai dit que vous aviez inséré un mensonge dans la loi de 1849, et c'est encore mon opinion. En disant que l'impôt sur les boissons distillées est un impôt direct, on a inséré un mensonge dans la loi.
MfFOµ. - Oui, mais en 1838, vous disiez que cet impôt était direct.
MfFOµ. - Pas du tout.
M. le président. - M. Dumortier, faites-vous inscrire ; mais n'interrompez pas.
MfFOµ. - Je dois déclarer que je n'ai pas vérifié moi-même, de mes propres yeux, la citation que je viens de faire ; je ne veux donc rien affirmer ; mais on m'a donné ce renseignement.
Dans la séance du 8 février 1838, on examinait la question de savoir si le droit spécial que l'on voulait établir sur le débit des boissons alcooliques, devait être considéré comme un impôt direct ou comme un impôt indirect.
Que dit l'honorable M. Dumortier ? Il dit : C'est un impôt direct, et il ajoute qu'aux termes de la Constitution, tout impôt direct doit être compris dans la formation du cens.
M. Dumortier. - Je ne dis pas que c'est un impôt direct.
MfFOµ. - Vous ne le dites pas ; mais vous l'avez dit en 1838.
M. Dumortier. - Mais non ; je n'ai jamais dit cela.
M. le président. - M. Dumortier, je vous ai prié de ne pas interrompre.
M. Dumortier. - Mais on ne doit pas me faire dire le contraire de ce que j'ai dit. Cela n'est pas permis.
MfFOµ. - D'ailleurs, je vérifierai. L'honorable M. Dumortier reconnaît que là citation est exacte en un point ; je la vérifierai pour l'autre. Il s'agissait bien en 1838 de l'impôt sur le débit des boissons ; il s'agissait de savoir si c'était un impôt direct ou un impôt indirect.
M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé sur cette question.
M. Coomans. - Il s'agit du résultat de la loi.
MfFOµ. - L'honorable M. Dumortier vérifiera donc, comme nous vérifierons ce point. Maintenant, l'honorable M. Dumortier aurait changé d'avis, qu'il n'y aurait pas grand mal à cela. On peut changer d'opinion sur une question de ce genre, et surtout après un espace de 20 à 30 ans ; on peut avoir des appréciations différentes.
Mais je constate ce qui s'est passé d'abord par ce qui a été fait et par ce qui a été dit, par ce que l'honorable M. Dumortier a dit à une époque et par ce qu'il a dit à une autre époque. C'est aussi pour bien constater qu'il n'est guère possible d'avoir de doutes sur l'opinion du gouvernement en cette matière.
M. Coomans vient nous dire : Je ne veux pas cependant réduire le nombre des électeurs...
M. Coomans. - Non, au contraire.
MfFOµ. - ... je veux l'augmenter.
Mais ce ne sera certainement pas en supprimant cette catégorie d'impôt direct que vous augmenterez le nombre des électeurs. Et si vous ne le pouvez de cette façon, je ne sais comment vous y parviendrez. Il n'y a d'autre moyen pour les élections générales, que de compter les impôts directs pour la formation du cens ; et lorsque vous dites qu'il faut absolument élargir les bases du droit électoral, vous demandez, pour les élections générales, si je ne me trompe, la révision de la Constitution.
M. Coomans. - Non.
MfFOµ. - Alors je n'y comprends plus rien du tout. Nous avons des impôts directs. Il faut, selon vous, faire des catégories ; il faut faire un choix : compter les uns pour la formation du cens, et ne pas compter les autres. Or, si vous supprimez quelques-uns des impôts directs qui entrent dans la formation du cens, vous arrivez nécessairement à réduire le nombre des électeurs. Je ne sais comment vous préviendriez ce résultat autrement qu'en modifiant la Constitution.
Je conçois que lorsqu'il s'agit des élections provinciales et des élections communales, là où l'on n'est pas lié par le texte constitutionnel, on puisse demander l'élargissement des bases électorales ; mais en matière d'élections générales, il est impossible d'établir le cens autrement qu'en tenant compte de tous les impôts directs. N'en retranchons donc pas.
Maintenant, que la situation actuelle présente certains inconvénients, je le veux bien, mais ces inconvénients ne sont pas, à mes yeux, ceux qui ont été signalés.
Ce n'est pas parce qu'on compte l'impôt sur le débit des boissons distillées pour la formation du cens électoral, qu'on arrive à augmenter la consommation des boissons distillées. Le droit serait supprimé, on ne l'admettrait plus comme base du cens électoral, que vous auriez autant et même plus de consommation ; car l'impôt est encore un certain obstacle.
Il est vrai qu'à un autre point de vue, cet impôt offre des inconvénients que je ne méconnais pas.
Il donne lieu à des fraudes en matière électorale. Cela est très vrai. Mais de ce que les cabarets se multiplient nominalement, par suite de déclarations faites uniquement en vue du droit électoral, il n'en résulte pas pour le pays une immoralité plus grande, une consommation plus considérable de boissons alcooliques Ce sont des cabarets fictifs, où la consommation est pour ainsi dire nulle. S'il y avait possibilité de remédier à cet abus, je m'y prêterais très volontiers.
Je crois avoir toujours prouvé à la Chambre que je désirais en cette matière la sincérité la plus complète, et j'ai toujours contribué à tout ce qui pouvait conduire d'une manière réelle à la répression des fraudes électorales. Mais ici, le moyen, je ne le découvre pas. Peut-être en exigeant une plus longue possession que la possession triennale, arriverait-on à un résultat satisfaisant ; j'examinerai si l'on ne peut trouver quelque combinaison qui permette de mettre un terme aux fraudes qui se pratiquent à l'aide du droit de débit, comme à l'aide du droit de patente ; car le droit de patente prête également à la fraude, de la même manière que le droit de débit.
Je le répète, nous ferons tous nos efforts pour prévenir, pour réprimer les fraudes ; mais quant à reconnaître que le droit de débit n'est pas un impôt direct, et à ne pas le compter dans le cens, c'est ce qu'on ne peut pas nous demander.
Messieurs, si l'on envisage la question de ce droit de débit ou d'impôt sur les boissons à un point de vue de haute moralité, il est tout autre chose qu'une question électorale : Il s'agit de savoir s'il y a moyen de réduire la consommation, de combattre l'ivrognerie. Sur ce point, bien des essais ont été tentés ; bien des législations ont été faites ; et elles ont été à peu près impuissantes. Dans certains Etats de l'Amérique du Nord, on est arrivé à interdire complètement la distillation et la (page 21) vente des eaux-de-vie, pour arriver à la répression de l'ivrognerie, Je ne pense pas qu'en Belgique on soit disposé à en agir ainsi, je ne pense pas non plus qu'on arriverait, même par ce moyen extrême, à un résultat satisfaisant, car on n'y est pas arrivé ailleurs.
C'est par l'adoucissement des mœurs, par l'instruction, par la civilisation que l'on peut espérer quelque amélioration de situation actuelle, bien plutôt que par une législation qui violenterait les habitudes de la population, habitudes, du reste, qui résultent un peu du climat. C'est ainsi qu'en Hollande la consommation du genièvre est encore beaucoup plus considérable qu'en Belgique.
Quoi qu'il en soit, on n'a pas, jusqu'à présent, signalé un remède que le gouvernement puisse appliquer. La section centrale s'est occupée de, ces matières, elle s'est livrée à des considérations générales, et jusqu'à ce qu'on ait trouvé une solution positive de cette difficile question, nous sommes obligés de subir les inconvénients de la situation actuelle.
M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis laisser sans réponse l'affirmation si souvent répétée par l'honorable ministre des finances qu'en 1838, dans la discussion première du projet de loi sur le droit de débit des boissons distillées, j'aurais déclaré que cet impôt était un impôt direct.
L'honorable ministre, répondant à mes dénégations, a dit qu'il n'avait pas mon discours sous les yeux, mais il n'en a pas moins persisté à déclarer que j'avais soutenu que cet impôt était un impôt direct ; il a voulu ainsi me mettre en contradiction avec moi-même.
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui pensent que les hommes politiques sont semblables aux bornes milliaires qui servent à indiquer aux voyageurs le chemin qu'ils ont parcouru ; je crois qu'il est permis à un homme de modifier ses opinions d'après la marche des faits qui se passent sous ses yeux. Quand le changement d'opinion a pour but d'arriver au pouvoir ou de s'assurer des faveurs, alors c'est un acte souverainement malhonnête ; il est, au contraire, digne de toute approbation quand il est le résultat des études et des méditations auxquelles tout homme d'Etat est tenu de se livrer. Aussi, si je m'étais trompé, je n'hésiterais pas à le reconnaître en exposant le motif du changement de mes convictions. Mais ici, je n'ai qu'à persister dans l'opinion que j'ai émise il y a trente ans sur cette matière, c'est ce que je vais établir.
M. le ministre des finances, qui a fait son droit romain, aurait dû en citant mes paroles, se rappeler cette maxime du droit romain que moi, qui n'ai pas l'honneur d'être avocat, je prends mon plaisir de lui rappeler : Incivile est nisi tota lege perspecta, c'est-à-dire qu'il est incivil de citer un discours sans l'avoir lu en entier.
Si M. le ministre, au lieu de s'en rapporter au dire de l'un de ses employés, avait lu en entier l'opinion que j'ai émise en février 1838, il ne serait pas arrivé à commettre une erreur qui, en définitive, ne peut retomber que sur celui qui en est l'auteur.
Messieurs, quelle était la discussion lorsque j'ai pris la parole dans la séance du 28 février 1838 ? On en était à discuter le préalable de la discussion elle-même, la position de la question sur laquelle la discussion devait rouler. Quelle était la position de la question ?
L'honorable M. Lebeau venait de prendre la parole et voici comment, il s'était exprimé ; voici à quoi j'ai répondu :
L'honorable M. Lebeau avait dit :
« De ce qu'un impôt est direct, il ne s'ensuit pas qu'il doive être essentiellement compris dans le cens électoral. »
Eh bien, messieurs, il me semblait que cette thèse était contraire à la Constitution et je répondis immédiatement à M. Lebeau. En prenant la parole après lui je me suis exprimé en ces termes :
« Je suis aussi d'avis qu'il faut absolument laisser la question dans son entier, mais je ne suis pas de l'opinion de l'honorable préopinant lorsqu'il vient dire que de ce qu'un impôt est direct il ne s'ensuit pas qu'il doive faire partie du cens électoral. »
Vous le voyez, messieurs, je ne discutais pas la loi, mais je discutais la thèse émise par l'honorable M. Lebeau, thèse, suivant moi, inconstitutionnelle.
J'ajoutais :
« Je suis d'un avis tout contraire ; lorsqu'un impôt est direct il ne dépend pas de nous de dire qu'il est indirect. Dire qu'un impôt direct est indirect, ce serait consacrer un mensonge dans la loi ; or, nous ne devons jamais consacrer de mensonge dans la loi. »
Cette opinion, je la soutiens encore et j'ajoute que de même que ce serait faire mentir la Constitution de qualifier d'indirect un impôt direct, de même c'est consacrer un mensonge que de venir qualifier de direct un impôt indirect. Puis, j'ajoutai, et ceci va répondre clairement à l'accusation que me lance M. le ministre des finances.
« Maintenant qu'est ce qu'un impôt direct ? Qu'est-ce qu'un impôt indirect ? L'impôt direct est celui qui s'applique aux personnes ; l'impôt indirect est celui qui s'applique aux choses, par exemple, aux vins, aux spiritueux. »
Et de quoi s'agissait-il ? Il s'agissait précisément des spiritueux.
«... aux spiritueux, à la bière, au sel ; ce sont là des impôts indirects ; mais les impôts qui s'appliquent aux personnes sont directs. »
C'est clair assez, je pense ; l'impôt sur les spiritueux, je le déclarais un impôt indirect. Il est impossible de s'exprimer d'une manière plus formelle, car la loi présentée était une loi destinée à frapper le débit des spiritueux.
Et l'on vient dire que j'ai soutenu que l'impôt proposé était direct, lorsque j'ai dit positivement que l'impôt était indirect.
J'ai soutenu toujours que l'impôt dont il s'agit n'était qu'une forme d'accise et que, par conséquent, cet impôt était indirect. Pourquoi ? Parce que le Congrès, quand il a fait l'article 47 de la Constitution, qui est relatif au cens électoral, a fait cet article d'après la loi qui régissait alors la matière, c'est-à-dire la loi de 1821. Or, qu'a fait la loi de 1821 ?EIle a classé les impôts en impôts directs, en impôts indirects, et en accises, comprenant tous les impôts sur des matières de consommation. Toutes les matières de consommation, la loi de 1821, que le Congrès avait sous les yeux, les a placées dans la catégorie des accises, c'est-à-dire, parmi les impôts indirects.
Et veuillez-le remarquer, messieurs, parmi les impôts indirects, parmi les accises, il y en avait qui se percevaient directement, par perception directe, atteignant la personne imposée au moyen d'un forfait, exactement de la même manière que l'impôt sur le débit des boissons distillées, je veux parler de l'impôt mouture, qui se percevait, dans les communes rurales, sous forme d'abonnement, payé directement au moyen d'un forfait sans cesser pour cela d'être un impôt indirect. Voilà ce que savait le Congrès national, quand il formulait l'article 47 de la Constitution.
Or, la loi de 1838 qualifiait précisément l'impôt sur le débit de boissons distillées d'abonnement pour le débit des boissons distillées. Comme dans la loi sur la mouture, l'impôt y est établi sur une matière d'accise par voie directe au moyen d'un forfait. Et de même que l'abonnement pour la mouture restait un impôt indirect, de même l'abonnement pour débit de boissons distillées est un impôt indirect, et c'est faire mentir la Constitution que de le qualifier de direct.
Voilà quelle a toujours été mon opinion et jusqu'ici je n'ai pas vu qu'elle ait été réfutée.
Ainsi, ne venez pas ici me représenter comme ayant modifié mes opinions. Lorsque je disais que l'impôt sur les spiritueux était indirect, je crois que j'étais dans le vrai. Pour le surplus, je ne faisais que combattre une doctrine que je considérais et que je considère encore comme mauvaise. De même qu'aujourd'hui encore je considère comme inconstitutionnelle la doctrine qui, dans un but électoral, transforme en impôt direct un impôt déclaré indirect par la loi de 1821 sous l'empire de laquelle la Constitution a parlé.
M. Liénartµ. - Messieurs, je n'avais pas l'intention de placer ici l'amendement que je me proposais de présenter avec quelques-uns de mes collègues, mais voyant la discussion s'engager, j'ai demandé la parole et je prie la Chambre de bien vouloir m'accorder quelques instants de bienveillante attention.
Cet amendement, qui coïncide fortuitement avec l'invitation que M. Frère vient d'adresser aux membres de cette Chambre, est conçu comme suit :
« Supprimer le produit de l'impôt sur le débit des boissons alcooliques.
« Majorer de 12 1/2 p. c. le droit d'accise sur la fabrication des boissons alcooliques et stipuler spécialement que le produit provenant de cette majoration sera exempt de la réduction de 35 p. c. établie en faveur du fonds communal par la loi du 18 juillet 1860. »
Aujourd'hui on peut dire que la question est mûre. Après s'être produites à différentes reprises, mais isolément et presque accidentellement dans cette Chambre, les réclamations contre le droit de débit des boissons distillées ont trouvé un écho au sein de la section centrale, qui en a fait l'objet d'un examen approfondi. Par 6 voix contre une, cette section a déclaré qu'il y a lieu de supprimer la valeur électorale de cet impôt et, (page 22) pour y arriver, elle conseille au gouvernement de reporter sur l'accise l'impôt qui grève aujourd'hui le droit de débit.
C'est exactement dans le même ordre d'idées qu'a été conçu l'amendement que nous avons eu l'honneur de présenter à la Chambre. Notre seul mérite, si mérité il y a, est d'avoir donné un corps aux vœux de la section centrale, et nous scions charmés si nous n'avons pas trop mal exécuté le plan dont nous lui avons emprunté l'idée.
La question des boissons alcooliques présente deux faces bien distinctes. Il y a d'abord, à proprement parler, le côté purement juridique : à savoir si, sous l'empire de la législation actuelle, cet impôt doit ou ne doit pas compter pour la formation du cens électoral.
C'est la question du passé ! Pour la résoudre il faut rechercher quel est le caractère qui a été imprimé à cet impôt par la loi de 1849. C'est cette question et celle-là seulement que la cour de cassation a tranchée dans deux arrêts récents, respectivement en date du 18 novembre 1865 et du 6 septembre 1867.
Mais, pour nous législateurs, appelés non pas à interpréter la loi, mais à la faire, le moment est venu de nous demander s'il est utile, pour l'avenir, de conserver à cet impôt son prestige électoral.
Un premier motif, messieurs, qui doit nous engager à revenir sur le passé est tiré du but même de la loi de 1838. Ce but était de diminuer le nombre de débits de boissons distillées.
Je veux bien reconnaître, en faisant la part la plus large aux débits clandestins, que ce but n'a pas été atteint, même sous la loi de 1838, mais, ce qui est certain et ce qui est démontré d'une façon irrésistible par les chiffres consignés dans le rapport de la section centrale, c'est qu'à dater de 1849 l'augmentation du nombre des débits prend des proportions tout autrement considérables et que l'honorable rapporteur de la section centrale n'a pas exagérées en les qualifiant d'inquiétantes.
Je ne vous fatiguerai pas, messieurs, de la lecture des chiffres, vous les aurez sous les yeux.
« Comme on le voit, dit à ce sujet l'organe des députations permanentes dans le mémoire adressé au gouvernement et aux Chambres pour l'abolition des barrières, jusqu'en 1845, l'accroissement est lent ; il n'est pas même proportionné à la population, puisque 630 débits nouveaux seulement ont été créés et que la moyenne des habitants par débit monte de 90 à 92. Arrive la loi du 1er décembre 1849 et la progression décuple ; 7,512 débits nouveaux apparaissent, de 1845 à 1850, et la moyenne des habitants tombe brusquement de 92 à 82.
« Mais depuis 10 ans surtout, l'accroissement acquiert des proportions inconnues jusqu'alors ; il est de 19,741 de 1855 à 1860 et de 16,269 de 1860 à 1865. Dans la première de ces périodes quinquennales le rapport de la population au nombre des débits tombe de 82 à 62 et dans la seconde de 62 à 54. Nul ne peut prévoir où s'arrêtera cette désolante multiplication, car chaque année voit éclore des milliers de débits nouveaux exerçant à l'envi leur influence démoralisatrice. »
A quoi tient cette augmentation ? Je dirai tout de suite que j'en trouve une première cause dans l'abaissement du droit dont le minimum, de 20 qu'il était en 1858, est descendu subitement jusqu'à 12 en 1849. Aussi, suis-je tout disposé, si la proposition en est faite par un honorable membre, à élever le droit d'accise même au delà du taux auquel il est porté par notre amendement.
Mais, messieurs, à côté de cette première cause, il en est, il faut bien en convenir, une autre dont l'influence n'a pas été moins décisive, c'est la valeur électorale de cet impôt.
Soyons de bon compte, cette valeur électorale a été exploitée par les deux partis, et l'on est arrivé ainsi à cette chose bizarre, à cette chose inouïe, qu'un impôt voté en 1838 pour ainsi dire en haine des débitants de boissons alcooliques est devenu, par le caractère qui lui a été imprimé par la suite, un stimulant à la création de ces mêmes débits.
Un exemple, messieurs, entre mille. Dans une commune d'un arrondissement du Hainaut, dont le nom m'échappe en ce moment, grâce à l'animosité et à l'habileté des partis, on est arrivé jusqu'à créer, en vue des élections, quatre-vingts débitants de boissons alcooliques. Vous croirez peut-être qu'il s'agit là, comme le faisait remarquer, il n'y a qu'un instant, l'honorable ministre des finances, de débits purement fictifs et dans lesquels il ne se faisait pas de consommation sérieuse. C'est tout le contraire. Les factotums ou les chefs de parti avaient pris leurs mesures de façon à attacher à chaque débit un groupe respectable de consommateurs, si bien que lorsque la députation permanente a ouvert une enquête sur ce point, elle n'a pu rayer que 3 ou 4 débitants qui n'avaient pas, à proprement parler, la base du cens. Quant aux 70 autres, force a été de les maintenir sur les listes parce que ces messieurs prouvaient facture à la main qu'ils étaient bel et bien à la tête d'un établissement sérieux et dans lequel il se faisait une consommation régulière.
Que résulte-t-il de là, messieurs ? Il en résulte cette conséquence excessivement importante que le même intérêt qui porte les partis à créer des débits de boissons alcooliques les oblige à créer des consommateurs.
Si nous voulons donc franchement opposer une digue à cette augmentation des débits de boisson, il faut absolument, par un moyen ou un autre, enlever aux partis politiques l'intérêt qu'ils trouvent à créer de semblables débits. Si nous y parvenons, nous aurons du même coup mis un terme aux fraudes nombreuses qui ne manquent jamais de se mêler aux combinaisons électorales de ce genre.
En second lieu, ce n'est pas que nous soyons animés de sentiments malveillants pour les débitants de boissons ; il y a dans cette classe, comme dans les autres, des citoyens parfaitement honorables et qu'il serait injuste en même temps qu'inconstitutionnel de vouloir systématiquement écarter du scrutin. Mais ce n'est pas là ce que nous voulons. Ce que nous voulons uniquement par notre amendement, c'est réagir contre un système d'impôt qui a pour conséquence d'accorder une prédominance marquée dans les comices électoraux à une classe de citoyens qui, si elle ne mérite pas nos dédains, n'à pas droit davantage à des faveurs spéciales.
Pour établir cette prédominance, je pourrais citer des chiffres d'où il résulte que dans certaines communes le nombre des cabaretiers qui sont électeurs seulement à la faveur de l'appoint résultant de l'impôt sur les boissons alcooliques, monte jusqu'au tiers et même à la moitié des électeurs.
Mais pas n'est besoin de recourir à des chiffres, un raisonnement bien simple établira mieux que toutes les statistiques imaginables la vérité de ce que j'avance. N'est-il pas vrai que tous les impôts qui comptent pour la formation du cens, hormis celui dont il s'agit en ce moment, ne constituent qu'une part relativement restreinte du revenu du contribuable, tandis que le droit de débit de boisson est en dehors de toute proportion avec le revenu, de façon qu'une personne avec un revenu extrêmement modique est électeur comme débitant de boissons qui, même avec un revenu de beaucoup supérieur, cesserait de l'être si elle exerçait une autre profession ?
L'esprit d'égalité, qui est l'esprit de nos institutions, s'oppose à ce qu'une part plus grande de la souveraineté soit accordée à n'importe quelle profession, si importante, du reste, qu'elle puisse être. Notre amendement ne mettra pas les cabaretiers hors la loi ; au contraire, il aura pour effet, de les faire rentrer sous la loi commune, en leur enlevant une position privilégiée et injustifiable.
Ce côté de la question n'est pas le moins sérieux, car la juste et équitable représentation des divers intérêts dans un corps électoral restreint, comme est le nôtre, doit être la première et la plus constante préoccupation du législateur.
Dois-je ajouter maintenant que la prédominance des cabaretiers donne lieu à une foule d'inconvénients ? Elle ne tourne pas toujours au profit de l'ordre et de la morale, surtout dans les petites communes où bourgmestres et conseillers sont obligés de compter avec ces messieurs pour leur réélection. L'autorité s'en trouve affaiblie et humiliée.
Eh bien, messieurs, si la situation est bien telle que je viens de la décrire, et qui oserait le nier ?, ne devons-nous pas nous aider les uns les autres pour la modifier en faisant taire toutes les préoccupations politiques ? Les deux partis ont un intérêt égal, je dirai plus, leur honneur à tous deux est engagé à ne pas repousser systématiquement les moyens qui pourraient être proposés à cet effet, car le parti qui refuserait de porter remède à cette fâcheuse situation ferait supposer qu'il a de bonnes raisons pour en souhaiter le maintien.
C'est dans une pensée de large conciliation et de bonne entente que nous avons choisi de préférence le moyeu qui consiste à reporter sur l'accise l'impôt qui grève les débits.
Nous aurions pu proposer d'en revenir purement et simplement à la loi de 1838 et vous présenter un article conçu, par exemple, comme suit : « Cet impôt ne comptera pas pour la formation du cens. » Nous ne l'avons pas voulu parce que ce moyen soulève la question délicate de la nature de l'impôt au sujet de laquelle plusieurs membres de la gauche sont engagés par leurs précédents.
(page 23) Quant à moi, j'ai la conviction intime que l'impôt, tel qu'il existe aujourd'hui, constitue un impôt indirect qui partant ne devrait pas compter dans le cens, mais enfin tout le monde n'est pas de cet avis et cette question, je le répète, éveille sur les bancs de la gauche des scrupules constitutionnels avec lesquels nous avons cru à la fois convenable et utile de compter.
Telle que la question est posée il ne s'agit plus de rouvrir cette vieille discussion de la nature de l'impôt, qui était passée, un peu à l'état de tactique. Nous avons déplacé la difficulté en déplaçant l'impôt. Partisans ou adversaires de l'opinion qui fait concourir le droit de débit à la formation du cens, nous gardons à ce sujet nos convictions respectives. Aujourd'hui la question de constitutionnalité disparaît pour faire place à une simple question de fiscalité. J'espère qu'à gauche on nous saura gré de cette manière de procéder.
Le paragraphe premier de notre amendement supprime purement et simplement le droit de débit sur les boissons alcooliques. Cet article suffirait à lui seul avec une situation financière prospère, mais dans l'état actuel de nos finances, il est tout à fait impossible que le gouvernement abandonne, sans compensation, le produit de ce droit. Au moyen des paragraphes 2 et 3, nous désintéressons complètement celui qui seul conserve un intérêt légitime dans la question, j'ai nommé le fisc. Grâce à la majoration de 12 1/2 p. c. sur le droit d'accise, la perte résultant de l'abolition du droit de débit sera équilibrée et bien au delà.
Voici de quelle manière nous sommes arrivés à fixer la majoration à 12 1/2 p. c. : Le produit du droit d'accise en 1866 a été de 1,300,000, ce qui fait pour 12 1/2 p. c, 1,625,000fr., chiffre supérieur de 100,000 au produit probable du droit de débit, d'après les prévisions du budget de 1868, qui n'est que de 1,525,000 fr. Ce boni servira au besoin à compenser la perte qui résulterait pour le trésor de la réduction que pourrait subir la fabrication des boissons spiritueuses.
Du reste, nous ne tenons pas du tout au chiffre, il n'y a là rien d'absolu ; c'est au gouvernement lui-même à voir jusqu'à quel point notre proposition lui donne tous ses apaisements pour l'avenir du trésor.
A ce sujet, il me reste, messieurs, à répondre d'avance à une objection qu'on ne manquera pas de me faire, parce qu'elle est toujours de mise lorsqu'il s'agit de s'opposer à l'augmentation d'une taxe ; c'est la crainte que cette augmentation n'ouvre la porte à la fraude.
Je dis que cette objection est vieille, et, en effet, si mes souvenirs sont exacts, déjà en 1838, le ministre des finances d'alors opposait ces appréhensions de fraude à ceux qui lui demandaient à l'origine ce que nous demandons aujourd'hui au gouvernement, à ceux qui lui demandaient précisément de préférer au droit de débit une augmentation sur l'accise.
Mais l'avenir a fait complètement justice de ces craintes exagérées. Le droit sur l'accise, qu'on déclarait en 1838 ne pouvoir plus être augmenté sans avoir à redouter la fraude, ce droit s'est élevé successivement de 22 centimes qu'il était alors, à 40 centimes en 1840, à 60 centimes en 1841, à 1 franc en 1842, à 1 fr. 50 cent, en 1852 et à 2 francs 45 cent, en 1860.
La légère augmentation que je propose sera-t-elle, pour me servir d'une comparaison familière, la goutte d'eau qui fera déborder le vase ? Personne ne le prétendra en présence de la législation des pays voisins, où le droit sur la fabrication est notablement plus élevé que chez nous ; je citerai particulièrement la Hollande.
Messieurs, vous connaissez maintenant l'amendement que nous avons, quelques-uns de mes collègues et moi, l'honneur de vous soumettre ; nous vous le proposons avec confiance. Cette confiance est basée d'abord sur l'examen loyal et indépendant que la section centrale a fait de la question.
Elle a aussi pour garant les paroles mêmes que l'honorable ministre des finances prononçait dans la séance du 24 novembre 1864, parlant au nom de son parti, paroles dont j'ai le droit de m'emparer et qui sont d'un excellent augure pour la solution de la question.
« Pour nous, disait-il, qui reconnaissons principalement dans l'aptitude du citoyen la vraie capacité électorale, nous ne pouvons pas espérer la rencontrer dans les catégories infirmes de la population, où il y a parfois moins de moralité et toujours moins d'instruction qu'ailleurs. Donc si nous maintenons les personnes de cette catégorie (les débitants de boissons alcooliques), c'est que la Constitution le veut ainsi. »
Eh bien, dirai-je à l'honorable M. Frère et aux honorables membres de la gauche au nom desquels il s'exprimait ainsi, si, comme vous le dites, vous avez sacrifié à regret vos préférences au prescrit impérieux de la Constitution, aujourd'hui la Constitution se trouve hors de cause, et vous pouvez donner un libre cours à vos préférences.
Quoi qu'il en soit, si notre amendement venait à être rejeté, il nous restera l'avantage, je pourrais dire l'honneur d'avoir frayé la route et nous souhaitons à d'autres de nos collègues, plus heureux que nous, de trouver un moyen acceptable d'atteindre un but hautement moral et qui est, laissez-moi le croire, dans le vœu de vous tous. »
- L'amendement est appuyé ; il fait partie de la discussion.
M. Coomans. - Je ferai une très courte réponse à M. le ministre des finances.
Si l'honorable M. Frère me laissait jouir du bénéfice de sa précieuse mémoire, il se rappellerait que j'ai, depuis longtemps, indiqué un moyen d'augmenter considérablement le personnel du corps électoral pour la formation des deux Chambres, de le doubler, de le tripler, de le quintupler même, tout en supprimant l'élément des cabaretiers et sans modifier la Constitution belge.
Ce moyen, je l'ai développé sommairement, mais nettement, et je le reproduis ici en deux ou trois mots que je me réserve de justifier pleinement si l'on en conteste la justesse.
En abolissant en tout ou en partie les impositions indirectes et en les transformant en un impôt direct, basé, par exemple, de préférence, selon moi, sur la capacité cubique des habitations, on rendrait électeurs tous les chefs de famille et même, par la division des cote, une foule de sous-locataires. Vous augmenteriez donc considérablement par là le nombre des électeurs constitutionnels, car presque tous les chefs de famille payeraient, soit les 42 francs requis, soit l'appoint qui leur manque aujourd'hui pour figurer dans les comices législatifs. (Interruption.)
M. le ministre des finances reconnaîtra tout au moins qu'un haussement d'épaules n'est pas une réfutation.
Il vient d'affirmer qu'on ne peut pas augmenter le nombre des électeurs sans sortir de la Constitution.
Il n'en est rien ; on peut rester en plein dans la Constitution, et tripler, quadrupler le nombre des électeurs. On obtiendra ce résultat par une transformation d'impôts que les économistes les plus populaires considèrent comme un progrès, c'est-à-dire la transformation des impôts indirects en impôts directs ; si l'impôt que j'indique a l'inappréciable avantage de rendre la fraude impossible, non pas au point de vue électoral, mais au point de vue fiscal ; s'il a cet autre inappréciable avantage de ne rien coûter pour la perception ; s'il a encore cet énorme avantage de ne pas prêter à des non-valeurs, on devra bien reconnaître qu'il est au moins préférable non seulement à l'impôt sur les boissons distillées, mais encore et surtout à des impôts prélevés souvent cruellement sur des objets de consommation obligatoire, tels que le sel, les bières, le vinaigre.
A moins de démontrer que M. le ministre des finances a eu complètement tort, il y a 15 ans (et je laisse cette tâche à l'honorable M. Frère), lorsqu'il prétendait que tout impôt de consommation est une diminution de salaire, il faut reconnaître que le système que j'indique en deux mots est cent fois préférable à celui que le ministère maintient depuis si longtemps contre le vœu réel de l'opinion publique, contre la justice, contre le bon sens, contre la morale.
Encore un mot sur la question de savoir si l'impôt est direct ou indirect.
Comme l'a très bien fait remarquer mon honorable ami, M. Liénart, cette question est assez superflue aujourd'hui. Mais je veux faire une grande concession à l'honorable M. Frère ; je veux bien reconnaître que très souvent la taxe sur le débit des boissons distillées est un impôt direct ; mais quand ? Quand le débitant ne débite pas, alors la taxe est un impôt direct ; car le débitant la prend dans sa poche ; il n'est pas remboursé par le public consommateur. Et voyez à quel étrange résultat on arrive ! Ceux qui ne débitent pas payent un impôt direct, mais ceux qui débitent véritablement sont, d'après l'honorable M. Frère, des électeurs frauduleux, car ils payent un impôt indirect.
Voilà mon opinion sur le fond.
Je vote aujourd'hui pour la suppression de la taxe sur le débit des boissons distillées ; quant à la patente, je n'en suis pas admirateur ; j'en ai demandé la suppression. On me dira que je propose beaucoup de suppressions, c'est vrai ; mais c'est que je crois que le progrès est dans les suppressions.
(page 24) M. Sabatier, rapporteurµ. - Si un orateur était inscrit pour combattre la proposition de la section centrale, reprise par l'honorable M. Liénart, je demanderais à parler après lui ; tour le moment, j'aurais à faire valoir la plupart des arguments que la Chambre vient d'entendre à l'appui de cette proposition.
M. Vleminckxµ. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Vleminckxµ. - Messieurs, je me place à un autre point de vue que les honorables membres qui ont pris part à cette discussion.
Pour moi, ce que je désire, avec tout le monde, c'est une diminution considérable de la consommation des boissons alcooliques.
Je me demande de quelle manière on arrivera à cette diminution, si nous acceptons la proposition formulée par la section centrale et qui vient d'être reprise par l'honorable M. Liénart.
Messieurs, depuis 1833 jusqu'en 1860, on n'a fait qu'augmenter le droit d'accise. Est-on parvenu à diminuer la consommation des boissons distillées ? Pas le moins du monde ; loin de diminuer, elle n'a fait que s'accroître d'année en année, à tel point qu'elle a pris les proportions formidables qui sont indiquées dans le rapport de l'honorable M. Sabatier.
Pour que je puisse admettre la proposition dont il s'agit, il faut qu'on me prouve que l'augmentation du droit d'accise aura pour résultat une diminution de là consommation. Eh bien, cette preuve n'est pas faite, et je doute fort qu'on la fasse.
Chose étonnante ! la section centrale, tout en formulant sa proposition, n'est pas bien sûre elle-même de son efficacité. L'honorable rapporteur vous dit dans son rapport que l'augmentation du droit d'accise n'est pas absolument une chose désirable au point de vue d'une consommation moindre des boissons alcooliques... (interruption) que du moins cette augmentation ne produira pas ce résultat.
Messieurs, en aucun cas, l'augmentation du droit d'accise ne peut et ne doit augmenter le prix de vente ; elle peut augmenter le prix des achats en gros chez le distillateur ; mais cette augmentation ne sera jamais assez considérable pour que le prix de la vente en détail puisse influer sur la consommation. On consommera, après l'augmentation du droit comme avant, la même quantité.
Le moyen indiqué par la section centrale ne me paraît pas dès lors propre à atteindre le but que j'ai en vue.
Un autre a été indiqué dans le sein de cette section. Je regrette que ce moyen, qui consistait à augmenterai droit de débit, n'ait pas été adopté par elle. Déjà, dans la session dernière, j'ai eu l'honneur d'en parler à la Chambre ; M. le ministre des finances m'a objecté alors que si on augmentait te droit de débit, on ferait naître des débits clandestins. Cette objection ne me décourage pas ; je reste convaincu que le seul et très efficace moyen de diminuer la consommation, c'est d'augmenter le droit de débit ; plus vous augmenterez ce droit, plus vous diminuerez la consommation.
L'honorable ministre des finances nous disait tout à l'heure, je crois, que la diminution du chiffre des débits ne ferait que déplacer la consommation, que la consommation n'en subirait pas la moindre réduction.
II m'est impossible de partager cette manière de voir. Pour moi, le nombre des débits a une influence considérable sur la masse consommée. Plus il y en a, plus on consomme.
Représentez-vous bien, messieurs, quels sont les usages de nos provinces. Dans le Hainaut, dans le Brabant même, voici ce qui se passe : Je suppose que, dans une commune quelconque, il y ait 18, 19, 20 débits de genièvre. A certains jours, on les visite tous sans exception, et dans tous on consomme ; je crois pouvoir en conclure légitimement que s'il y en avait moins, on boirait infiniment moins.
Au lieu d'engager le gouvernement, comme le fait la section centrale, à examiner s'il n'y a pas lieu de reporter sur le droit d'accise le droit de débit, ce qui ne fera absolument rien pour la consommation, je l'engagerai, je le supplierai même d'examiner, et d'examiner très sérieusement s'il n'y aurait pas lieu d'augmenter considérablement le droit de débit. L'honorable ministre des finances est profondément convaincu, comme nous, que nous sommes en présence d'un grand mal. Il n'est pas possible qu'il se refuse à. faire de nouvelles études et au besoin de nouveaux essais, sinon pour l'extirper entièrement, du moins pour l'amoindrir. Nous avons essayé, sans être certains de réussir, d'une diminution considérable des péages sur nos chemins de fer, Avons-nous réussi ? Je n'en sais rien, et quand il s'agit de détruire ou tout au moins d'atténuer une grande calamité qui désole la Belgique, nous n'oserions pas, nous nous abstiendrions ? Cela n'est pas possible. Il faut faire quelque chose ; l'état actuel ne peut continuer. Chacun indique son remède ; j'indique le mien et je l'indique avec la plus grande et la plus entière conviction.
J'ai entendu dire, et l'honorable ministre des finances vient de le rappeler encore tout à l'heure, qu'il faut tout attendre de l'instruction, de la propagation des lumières.
Ce moyen est sans doute très puissant ; mais avant que vous arriviez par lui à une diminution de consommation, il y aura encore deux ou trois générations qui auront subi les mauvais effets du régime actuel.
Pour moi, ce moyen de l'instruction est un moyen dilatoire ; il n'y a que les marchands qui puissent demander qu'on s'y arrête. C'est un remède efficace qu'il nous faut, et je n'en vois, quant à moi, qu'un seul, je ne puis trop le répéter : c'est de frapper fortement le débitant et de punir sévèrement le fraudeur.
Messieurs, il me semble inutile de vous présenter le tableau de notre situation présente. Moralité, sécurité, santé, bonheur des familles, richesse publique et privée, tout se trouve atteint par cette horrible passion des boissons alcooliques qui va sans cesse en augmentant.
Faites une visite dans nos prisons et vous verrez combien est grand le nombre de ceux qui n'en auraient jamais dépassé le seuil peut-être, s'ils n'avaient trouvé sur leur passage ces funestes poisons qui ont tant d'attrait.
Parcourez nos hôpitaux et vous y trouverez un grand nombre de victimes qui succombent non pas précisément à l'alcoolisme, mais aux résultats éloignés de l'abus des boissons.
Un honorable sénateur, dans une brochure qu'il nous a fait l'honneur de nous adresser, s'exprime comme suit : « Les documents officiels n'accusent guère, par an, comme cause directe des décès, que 60 à 75 cas de cette maladie que les médecins appellent la saturation alcoolique ; les maladies telles que l'énervation, l'hébétement, la dégénérescence, l'anémie, etc., qui résultent de l'abus des liqueurs fortes, sans causer directement la mort immédiate, ne sont pas officiellement indiquées. »
Cela est parfaitement vrai ; l'indication réclamée par l'honorable sénateur n'est pas faite, mais les infirmités signalées par lui et d'autres encore n'en existent pas moins et malheureusement en trop grand nombre.
Je parcourais l'autre jour le rapport que nous a fait distribuer l'honorable ministre de la justice sur la situation des asiles d'aliénés du royaume, pendant les années 1863, 1864 et 1865, et j'y ' lisais le passage suivant :
« L'augmentation qui s'est produite depuis plusieurs années dans le nombre des aliénés séquestrés, s'est maintenue en 1863 et 1864. Ce chiffre est resté à peu près stationnaire en 1865.
Les asiles d'aliénés du pays renfermaient, lors de la première enquête en 1852 3,841 aliénés (les chiffres 1834 à 1864, repris dans les Annales parlementaires, ne sont pas repris dans la présente version numérisée), en 1865 5,431 aliénés. Sans compter 2,000 aliénés traités dans leurs foyers.
C'est-à-dire que le chiffre des aliénés des asiles s'accroît, en moyenne, de 125 par an.
Les rapports réclamés par l'arrêté royal du 17 mars 1853, quoique rédigés avec beaucoup de soin, ne sont pas, à mon avis, assez explicites. Ils constatent aussi exactement que possible, l'état matériel des établissements d'aliénés, mais je voudrais y voir figurer ce que j'appellerai leur compte moral. J'attire sur ce point l'attention de l'honorable ministre de la justice. Ne pourrait-on pas y indiquer les causes certaines ou (page 35) probables des aliénations par catégories d'individus ? En l'absence de cet élément, on peut tirer difficilement des chiffres qui sont produits, des conclusions scientifiques ou administratives ; dans cet état de choses, j'ai cru devoir faire moi-même une petite enquête ; elle n'est ni complète, ni suffisante à coup sûr elle ne pouvait pas l'être ; mais enfin elle a produit tout ce que j'en attendais. Il résulte, en effet, des renseignements qui m'ont été confiés par les hommes les plus autorisés, que l'aliénation parmi nos classes ouvrières, est due en grande partie, si pas exclusivement, à l'abus des boissons alcooliques.
Veuillez tenir note de ceci, messieurs, dans le vote que vous êtes appelés à émettre. Quel qu'il soit, qu'il ait au moins pour résultat de diminuer la consommation, quels que puissent être les inconvénients qui en résulteront pour les partis politiques.
- La séance est levée.