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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 mai 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1069) M. de Moor, secrétaireµ, procède h l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction du procès-verbal est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des dispositions légales concernant, les frais de protêt. »

M. Jamarµ. - Je prie la Chambre de renvoyer cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

Mais comme il est impossible de se faire illusion sur l'époque où ce prompt rapport nous sera présenté, j'appelle également l'attention de M. le ministre des finances sur cette pétition. Les pétitionnaires réclament avec raison contre l'exagération des frais de protêt qui pèsent si lourdement sur les transactions du commerce.

Je sais combien M. le ministre des finances est favorable à une réforme de la législation actuelle sur ce point, et je crois pouvoir compter avec confiance sur les résultats de l'étude de celle question par le gouvernement.

M. Hymans. - J'appuie les observations que vient de présenter l'honorable M. Jamar.

- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport est ordonné.


« Par messages du 23 mai, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« Le projet de loi relatif à la mise à la retraite des magistrats ;

« Le projet de loi portant érection de la commune de Bruly-de-Pesche, province de Namur ;

« Le projet de loi qui autorise un échange de terrain avec la ville d'Arlon ;

« Le projet de loi qui proroge pour les années 1868 et 1869 le mode de nomination des jurys d'examen pour les grades académiques. »

- Pris pour information.

Ordre des travaux de la chambre

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, mon honorable collègue M. le ministre des finances est retenu au Sénat ; on y discute le projet de loi sur la péréquation cadastrale, et il parle en ce moment. Aussitôt que le projet de loi sera voté, M. Frère se rendra à la Chambre.

Je prie l'assemblée de bien vouloir intervertir l'ordre du jour. Nous avons encore quelques petits projets à voter.

M. Coomans. - Nous savons tous que la présence de M. le ministre des finances est nécessaire dans toutes les questions un peu importantes ; mais il me semble que dans celle-ci, où il s'agit d'un des points essentiels du budget de la guerre, la présence de M. le ministre de la guerre ne serait pas à dédaigner. Elle me paraît même plus nécessaire que celle de M. le ministre des finances.

C'est la remarque que j'avais à soumettre à la Chambre et surtout à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable ministre de la guerre avait l'intention de se rendre à la séance ; je suis étonné qu'il ne soit pas ici. Je le ferai prévenir.

M. Vander Doncktµ. - Je demande que la Chambre veuille bien s'occuper du rapport relatif à la réduction de la patente des meuniers.

Il s'agit d'un simple vote par assis et levé, qui ne prendra pas plus de deux minutes à la Chambre.

M. Hagemansµ. - J'appuie la proposition de M. le ministre de l'intérieur de mettre en discussion le projet de loi portant érection de la commune de Macqnenoise.

Interpellation

M. de Smedt. - En attendant que la Chambre prenne une résolution quant à l'ordre du jour à adopter pour la séance d'aujourd'hui, je demanderai la permission d'adresser au gouvernement une interpellation, au sujet d'un des plus grands intérêts de. l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.

Je me suis rendu aujourd'hui chez M. le ministre des travaux publics, où j'ai appris, à mon grand regret, qu'une indisposition l'empêcherait d'assister à la séance d'aujourd'hui et peut-être même à celle de demain.

J'espère qu'en son absence, M. le ministre de l'intérieur voudra bien me donner quelques renseignements au sujet des travaux à exécuter à l'Yser, et qui sont interrompus depuis quelques années, sans que je sois parvenu à connaître les motifs véritables de ce retard.

Les inondations ont été tellement graves cet hiver qu'elles ont menacé 15,000 à 16,000 hectares de terre. Ce n'est donc pas un minime intérêt que je défends ici, et les dernières pluies, en submergeant de nouveau une grande étendue de cette riche vallée, ont donné à mon interpellation un caractère d'utilité que la Chambre prendra certainement en sérieuse considération.

Les lois du 8 mars 1858 et du 8 septembre 1859 ont mis à la disposition du gouvernement des crédits extraordinaires pour améliorer, au double point de vue de la navigation et de l'écoulement des eaux, le régime de l'Yser. Ces travaux ont été estimés devoir coûter 1,500,000 fr. De cette somme un peu plus d'un tiers seulement a été dépensé pour une partie des travaux à exécuter.

L'impatience de la Chambre de terminer aujourd'hui ou demain son ordre du jour ne me permet pas d'entrer dans les détails de cette importante question. Mais je dois dire que depuis trois ans les travaux sont interrompus. Je demanderai donc à M. le ministre de l'intérieur, qui, avant qu'il fût ministre, a pris souvent à cœur la défense de ces intérêts, d'user, aujourd'hui qu'il fait partie du gouvernement, de toute l'influence dont il dispose sur son collègue des travaux publics, pour presser ces travaux et les faire continuer dans le courant de cet été. Le travail le plus pressant est l'exhaussement de certaines parties de la digue de l'Yser et l'approfondissement et l'élargissement du canal de Loo.

Il est constaté dans les procès-verbaux du conseil provincial de la Flandre occidentale que tous les plans et devis sont définitivement adoptés par le gouvernement ; il ne s'agit pas non plus ici d'une question d'argent, car les crédits votés pour cet objet ne sont dépensés qu'au tiers, et il reste à peu près un million disponible. Aucune raison sérieuse ne peut donc être invoqué, pour justifier un plus long retard à l'exécution de travaux décrétés depuis plus de huit ans et dont l'urgence se fait de jour en jour davantage sentir. J'espère donc que M. le ministre de l'intérieur pourra me donner quelques explications au sujet de cette affaire, en l'absence de son collègue des travaux publics.

M. de Coninckµ. - Messieurs, je me joins à mon honorable ami M. de Smedt pour engager M. le ministre des travaux publics, en son absence M. le ministre de l'intérieur, à faire achever le plus tôt possible les travaux de l'Yser.

Ces travaux ont un double but, empêcher les inondations et amener une bonne navigation ; ils sont d'un intérêt considérable, essentiel pour les arrondissements de Dixmude et Furnes. Aussi les populations de (page 1070) ces arrondissements ne cessent-elles de réclamer vivement l'achèvement le plus prompt de ces travaux, dont la nécessité est plus évidente, plus urgente que jamais.

Par suite de la fonte de la grande quantité de neige qui a couvert le pays au mois de janvier dérider, une crue d'eau subite a inondé plusieurs milliers d'hectares dans les arrondissements de Dixmude et Furnes, et a menacé tout le Furnes-Ambacht d'une ruine complète.

Sans le dévouement des populations dirigées par leurs bourgmestres, le territoire de plus de vingt communes serait aujourd'hui dévasté par les eaux. Heureusement, quelques travaux habilement exécutés et la circonstance fortuite de la fonte des neiges qui s'est faite sans pluie, sont parvenus à préserver le Furnes-Ambacht de ce désastre.

Mais un nombre considérable de communes des arrondissements de Dixmude et Furnes, situées sur la rive droite de l'Yser, ont subi des pertes considérables ; les semailles, les engrais, la main-d'œuvre, tout est perdu ; ce sont là des pertes qu'on calcule par centaines de milliers de francs.

Dans plusieurs communes, entre autres à Merckem et Woumen, des familles ont dû quitter le rez-de-chaussée de leurs habitations pour se réfugier au grenier, d'autres ont dû abandonner leurs demeures et se sauver en canot. Depuis vingt-cinq ans, on n'avait pas souvenir d'un pareil débordement.

Heureusement que cette inondation est arrivée en plein hiver et non, comme je le crains au moment où je vous parle, après ces dernières grandes pluies, lorsque les moissons sont encore dans les champs, et que le travail, le revenu d'une année entière sont détruits en quelques heures.

Bien des fois j'ai vu, après des inondations d'été, brûler les récoltes sur place et les cendres servir d'engrais, ou bien couper les épis aux ciseaux à la surface de l'eau et les récoltes se faire en barquettes.

Les lois du 8 mars 1858 et du 8 septembre 1859 ont mis à la disposition du gouvernement des crédits extraordinaires, s'élevant à la somme de 1,300,000 fr., pour améliorer, au double point de vue de la navigation et de l'écoulement des eaux, le régime de la voirie l'Yser et du canal de Plasschendaele par Nieuport et Furnes à la frontière de France, sous la réserve du concours de la province de la Flandre occidentale, des communes et des propriétaires intéressés.

Ce concours s'est traduit en une offre qui a été acceptée par les Chambres et qui s'élève à 216,666 francs 67 centimes ; somme que la province et les wateringues, qui payent pour le propriétaires intéressés, sont prêtes à payer à la première demande.

Ces 216,666 fr. 67 centimes avec les 1,300,000 francs mis à la disposition de M. le ministre des travaux publics par la législature donnent un total de 1,516,666 francs 67 centimes.

M. le ministre des travaux publics ne pourra donc pas me répondre, comme il l'a fait à presque toutes les demandes, qu'il n'a pas d'argent. Ces travaux ont été décrétés en 1859 ; il y a donc huit ans, ainsi que les crédits nécessaires pour les exécuter, et cependant peu, très peu a été fait, et aujourd'hui on pourrait croire ces travaux abandonnés. D'après le rapport sur l'administration dans la Flandre occidentale, fait au conseil provincial par la députation permanente en 1864, 472,707 fr. 82 cent, ont été employés depuis 1859 :

1° Par l'approfondissement du canal de Plasschendaele à Nieuport, 225,988 fr. 50 cent.

2° La construction d'un siphon sous le canal de Nieuport par Furnes à Dunkerque à la sortie de Nieuport, 70,468 fr. 18 cent.

3° Le creusement d'un canal de dérivation du Langgeleed entre Wulpen et Nieuport, 76,428 fr. 29 cent.

4° La construction d'un déversoir à vannes dans la digue droite de l'Yser près de Nieuport, d'une écluse à sas aux abords de cette ville, le dévasement du canal dit : Bras mort de l'Oostvaert et mise sous profil et ensablement d'une partie de la digue gauche de l'Yser, 1,460 mètres de longueur, 94,000 francs.

5° La construction d'un pont biais sur le canal de dérivation du Langgeleed, sous la route communale de Wulpen à Oostduynkerke, 5,823 fr. 5 centimes ; ensemble 472,707 fr. 82 c., c'est-à-dire à peu près le tiers seulement sur les 1,516,666 fr. 67 c. que le gouvernement a depuis 8 ans à sa disposition, ont été dépensés.

.J'ignore à quoi attribuer ces retards. Evidemment les plans, les devis étaient faits lorsque le crédit a été demandé ; le gouvernement à l'argent à sa disposition, les ingénieurs employés à ces travaux sont actifs et remplis de talent et cependant rien ne s'achève.

Je sais que les travaux décrétés seront insuffisants pour mettre nos belles et riches plaines à l'abri des inondations ; je sais qu'il faudra d'autres crédits avant d'atteindre le but qu'on a en vue ; on pourrait toutefois il me semble, achever les travaux décrétés.

Différents travaux peuvent, de l'avis de tous, préserver à l'avenir cette belle et riche plaine de ces calamités. Parmi ces travaux, je recommande vivement à M. le ministre des travaux publics les suivants : l'élargissement sur tout son parcours de l'Yser depuis Nieuport jusqu'à Rousbrugghe, élargissement dont l'exécution pourrait être faite au moyen d'un des 60 millions que la conférence de Londres et la paix rendront disponibles, bien entendu si les Chambres les votent.

Renforcer et exhausser les digues de l'Yser et du canal d'Ypres à l'Yser depuis le pont de Knocke jusqu'à l'écluse de Boesinghe.

Ces digues forment aujourd'hui un chemin à l'état de sol naturel large de dix à quinze mètres, complètement impraticable pendant les trois quarts de l'année. Par suite des transports considérables qui se font par ce chemin, qui sert aussi de chemin de halage, et de la nature du terrain de cette digue composée presque uniquement de terre glaise, de terre d'alluvion, cette digue est souvent fortement endommagée et lors des fortes crues d'eau elle est une cause d'alarmes continuelles.

Je pense qu'un excellent moyen de protéger cette digue contre ces dégradations serait d'y établir une route pavée depuis Nieuport jusqu'à Rousbrugghe et à l'écluse de Boesinghe ; de cette manière vous aurez procuré un triple avantage à cette riche plaine des Flandres ; conservation des digues ; un chemin de halage et une bonne communication entre plusieurs communes qui en sont dépourvues aujourd'hui.

Je recommande également comme nécessaires et urgents, les travaux déjà décrétés pour l'élargissement et l'approfondissement du canal de Loo ; et la communication de l'Yser avec le canal de Plasschendaele à Nieuport.

Sans doute il est regrettable autant que fastidieux de devoir revenir constamment sur cette question de l'Yser, et d'avoir à renouveler des plaintes à cet égard, mais on comprendra facilement que cette situation se prolongeant, il nous est impossible de garder le silence.

J'espère que M. le ministre des travaux publics prendra les mesures nécessaires pour faire droit à des réclamations légitimes, et que ces travaux en souffrance depuis quelque temps seront exécutés le plus tôt possible.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Une indisposition empêche mon honorable collègue des travaux publics d'assister à la séance, et il m'est assez difficile de répondre d'une manière catégorique à l'interpellation qui vient d'être faite.

Cependant, comme je connais l'affaire dont il est question, attendu que j'y ai pris une grande part et que c'est même sur mes instances réitérées que les crédits pour l'amélioration du régime de l'Yser ont été votés, je tâcherai de donner quelques explications aux honorables membres. Voici, à ma connaissance, où en est cette affaire.

Dès que les plans du travail ordonné par M. le ministre des travaux publics ont été achevés, et ces plans ont exigé de longues études, les travaux ont été partiellement entrepris. Mais on a dû commencer nécessairement par l'aval de la rivière, et c'est à Nieuport d'abord, puis dans la direction de Dixmude, que l'on a travaillé. Ces premiers travaux sont terminés.

M. le ministre des travaux publics, que j'ai eu l'honneur d'entretenir très souvent de cette affaire, m'a promis tout récemment encore de faire toutes les diligences nécessaires pour activer et faire achever dans le plus bref délai possible les travaux qui restent à faire.

Dans une lettre qu'il a adressée récemment à mon honorable ami M. le sénateur Mazeman, mon collègue a promis en outre de faire immédiatement quelques travaux urgents, non prévus au devis, à l'Yser supérieur entre Elsendamme et Rousbrugghe, afin de faciliter la navigation vers ce bourg.

Je suis heureux de pouvoir donner cette assurance à mes honorables collègues de Furnes et de Dixmude. J'espère donc qu'un remède très prompt sera apporté au mal et je ne puis que remercier ces honorables députés du concours qu'ils veulent bien prêter en cette circonstance à MM. le baron Mazeman, sénateur, et de Florisone, ainsi que moi, représentant de l'arrondissement d'Ypres. Je puis de plus leur donner l'assurance la plus positive que nous continuerons à faire les plus grands efforts pour faire obtenir aux populations dont les intérêts nous sont confiés, les bienfaits que doit leur assurer l'exécution complète des grands travaux projetés dans la vallée de l'Yser.


M. Jacobµ. - Quelle que soit l'impatience de la Chambre, je crois (page 1071) ne pas abuser de ses moments en lui demandant de consacrer quelques minutes au barrage de l'Escaut oriental avant la fin de cette session.

Au mois de décembre dernier j'ai interpellé M. le ministre des affaires étrangères, réclamant de lui communication des pièces relatives h cette grave question internationale. Dans une séance ultérieure, le 19 février, M. le ministre a déposé ces documents.

L'échange d'explications qui eut lieu à cette époque fournit à M. le ministre l'occasion d'apprendre à la Chambre qu'il venait de recourir a une dernière tentative de conciliation, en priant les trois grandes puissances voisines de nommer des ingénieurs consultants pour donner leur avis sur la question.

D'après les renseignements que vous avez pu puiser tous dans la presse, les rapports de ces ingénieurs sont entre les mains du gouvernement, leur contenu a été plus ou moins ébruité déjà.

Si ce que les journaux nous ont appris est exact, les ingénieurs, tout en donnant à la Belgique ses apaisements quant à la moindre des questions qui leur étaient soumises, quant à la bonté du canal de Sud-Beveland, comme équivalent de l'Escaut oriental pour la navigation intérieure, ils doivent s'être trouvés divisés, comme les ingénieurs belges et hollandais l'ont été, sur la question principale, sur l'influence que doit avoir le barrage de l'Escaut oriental sur le régime de l'Escaut occidental.

Je demande à M. le ministre des affaires étrangères de vouloir bien déposer sur le bureau de la Chambre les rapports des ingénieurs étrangers et de nous en donner dès à présent le résumé. Je lui demande encore, si l'état actuel de cette négociation délicate est de nature à être communiqué à la Chambre, de le lui faire connaître et de lui dire quelle attitude le gouvernement belge entend prendre à l'avenir. La Chambre, pendant cette longue négociation, sans montrer ni la loquacité ni la virulence des chambres hollandaises, a toujours fait preuve de fermeté et le gouvernement peut compter sur son appui unanime.

Cet appui, dont le gouvernement s'est senti fortifié depuis l'origine de cette contestation, la Chambre n'entend pas l'en priver aujourd'hui qu'elle devient de plus en plus délicate. Je n'entends pas plus que qui que ce soit gêner l'action diplomatique du gouvernement. S'il déclare, sous sa responsabilité, qu'il ne peut donner d'explication en ce moment, j'attendrai ; mais je lui demande de reconnaître l'appui que 'l Chambre lui continue tout entière en lui faisant connaître ce que la prudence autorise.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). Messieurs, l'honorable représentant d'Anvers ayant eu l'obligeance de m'annoncer dès hier qu'il se proposait de m'adresser une interpellation aujourd'hui, j'ai été à même de préparer la réponse que je devais lui faire.

Je le remercie du procédé dont il a usé vis-à-vis du ministre en ne l'interpellant pas en séance avant de l'avoir prévenu.

- Voix à droite. - Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Je profite aussi, messieurs, de cette circonstance pour remercier la Chambre tout entière, et particulièrement l'opposition, de l'attitude qu'elle n'a cessé de tenir vis-à-vis du gouvernement en cette difficile affaire.

Jamais l'assemblée n'a cherché à entraver la marche du gouvernement. Elle lui a laissé toute liberté d'action, mais, par là, elle a aussi laissé entière sa responsabilité.

Dois-je voir dans cette réserve de la Chambre une marque de confiance ? Je ne demande pas mieux.

Tout ce que je puis promettre, c'est de continuer à diriger cette affaire de manière à ne point démériter de cette confiance, si tant est que je puisse m'en prévaloir aujourd'hui.

Messieurs, je reprends l'affaire où je l'avais laissée dans le dernier exposé que j'ai fait à la Chambre en déposant sur le bureau les divers documents dont elle a ordonné l'impression.

Ces documents comprennent d'une part l'historique des négociations qui ont occupé une période de 20 années et, d'autre part, le compte rendu des séances des diverses commissions qui ont été nommés pour examiner cette question si difficile.

Je présume que les membres de la Chambre auront peut-être eu le temps de prendre connaissance de ces pièces.

Ainsi que l'a rappelé l'honorable représentant, j'avais annoncé à la Chambre que le gouvernement avait cru devoir recourir à l'obligeance de trois gouvernements étrangers, pour obtenir d'eux la désignation d'ingénieurs auxquels seraient soumises les questions qui n'avaient pas pu être résolues de commun accord par les ingénieurs néerlandais et belges réunis en commission.

Depuis, messieurs, des rapports ont été fournis par les ingénieurs à leurs gouvernements respectifs qui nous les ont successivement transmis.

Mon intention, messieurs, est de publier in extenso les trois rapports que j'ai reçus, mais, en attendant je crois pouvoir sans inconvénient communiquer à la Chambre les conclusions de chacun de ces trois rapports.

Les ingénieurs anglais et prussien ont écrit leurs rapports, chacun dans sa langue. Il a fallu les traduire.

Il s'écoulera encore un certain temps avant que je puisse les déposer sur le bureau.

M. Dumortier. - Vous en faites le dépôt aujourd'hui ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Non. Je me borne à faire connaître les conclusions des rapports.

Trois points étaient à examiner par les ingénieurs étrangers :

1° Equivalence du canal de Sud-Beveland substitué à la passe navigable de l'Escaut oriental ;

2" Effets du barrage du Sloe sur la conservation de la rade de Rammekens ;

3° Effets du barrage de l'Escaut oriental sur le régime de l'Escaut occidental. Ce dernier point était de beaucoup le plus important.

Sur le premier point :

Les ingénieurs anglais et prussien pensent que le nouveau canal est une voie pleinement équivalente à la voie actuelle. L'examen de l'ingénieur français n'a pas porté sur ce point.

Sur le second point :

L'ingénieur anglais estime que le barrage du Sloe hâtera sans doute la destruction de la rade, sans considérer cette conséquence comme assez grave pour exiger la substitution d'un viaduc à la fermeture complète du Sloe.

L'ingénieur prussien, dans la prévision que le barrage hâtera la suppression de la rade, recommande pour garantir la sécurité de la navigation des mesures telles que l'établissement de nouveaux feux.

Le travail de l'ingénieur français ne porte pas non plus sur ce second point.

Quant au troisième point que nous avons toujours considéré comme le plus important et qui a toujours fait l'objet principal de nos réclamations, voici la conclusion des trois ingénieurs :

L'ingénieur français, qui avait reçu pour mission de se placer exclusivement au point de vue des intérêts français, a déclaré que la fermeture définitive de l'Escaut oriental ne saurait mettre en souffrance les intérêts de la navigation française dans l'Escaut occidental.

L'ingénieur prussien est d'avis que le barrage de l'Escaut orientai n'exercera pas d'influence défavorable sur la navigabilité de l'Escaut occidental, lorsqu'un nouveau et profond chenal aura été formé à la hauteur, de Bath. « Mais il s'agit, dit-il, de savoir si la formation de ce nouveau chenal pourra avoir lieu sans occasionner une grave perturbation à la navigation et si dans l'intervalle le chenal existant ne se relèvera pas de manière à rendre impossible le passage des grands navires, hormis, tout au plus, pendant le temps assez court de la marée haute. Il y aurait donc à redouter une interruption très préjudiciable de la grande navigation. Quant aux moyens d'y obvier, c'est ce que pourront indiquer mieux que moi, dit-il, qui n'ai que fugitivement inspecté le fleuve, les ingénieurs hollandais, lesquels connaissent exactement les circonstances locales et sont spécialement experts en ce qui concerne tous les travaux hydrauliques. »

Les conclusions de l'ingénieur anglais sont conçues dans les termes suivants :

« 1° La fermeture de la branche orientale de l'Escaut an moyen d'un barrage solide, produira un effet défavorable sur le régime de l'Escaut occidental depuis Anvers jusqu'à la mer,

« 2° La construction d'un viaduc au lieu de ce barrage est tout à fait praticable et n'entraînerait aucune conséquence fâcheuse. »

Le gouvernement des Pays-Bas a reçu, je suis porté à le croire, comme (page 1072) le gouvernement belge, communication des rapports des ingénieurs français, anglais et prussien.

On sait que dans le temps que ces ingénieurs se livraient à l’examen des questions qui leur étaient soumises, les travaux du barrage n'ont pas été suspendus par le cabinet de La Haye et que, sans attendre leurs conclusions, l'achèvement en a été poursuivi avec une grande activité.

A la date du 6 avril, je recevais de M. le baron Gericke la communication ci-après, de la part de son gouvernement :

« Monsieur le ministre,

« Par suite des travaux d'art en cours d'exécution dans l'Escaut oriental, cette voie de communication entre l'Escaut et le Rhin sera incessamment remplacée, pour la navigation par le canal de Sud Beveland entre Anvers et Wemeldinge.

« Depuis quelques mois déjà, les navigateurs ont été à même d'apprécier, par son usage de plus en plus fréquent, les avantages de ce canal, et mon gouvernemental convaincu que l'expérience démontrera promptement que le canal constitue une. voie non seulement aussi sûre, aussi bonne et aussi commode que l'Escaut oriental, mais une voie beaucoup meilleure, plus sûre et plus commode.

« Il s'estimera doublement heureux, monsieur le ministre, de voir cette expérience donner au gouvernement de S. M. le Roi des Belges la même conviction.

« En m'acquittant par cette communication des ordres de mon gouvernement, je saisis en même temps cette occasion, etv.

« (Signé) Gericke. »

Cette communication fut transmise à notre ministre à La Haye, qui y fit la réponse suivante :

« A Monsieur le comte de Zuylen de Nyevelt, ministre des affaires étrangères de S. M. le Roi des Pays-Bas.

« Monsieur le comte,

« Le baron Gericke d'Herwynen a officiellement informé le cabinet de Bruxelles que l'Escaut oriental sera remplacé par le canal de Sud Beveland.

« La notification que S. E. a adressée au gouvernement du Roi n'envisage la substitution du canal à l'une des branches de l'Escaut qu'au point de vue des facilités relatives que la navigation pourra rencontrer dans la voie nouvelle.

« Elle laisse à l'écart le point du litige sur lequel la Belgique a le plus insisté, à savoir l'effet préjudiciable que le barrage de l'Escaut oriental exercerait sur le cours principal du fleuve.

« La notoriété publique avait déjà averti le gouvernement belge de la reprise et de la poursuite accélérée des travaux destinés à amener la fermeture prochaine et complète de l'Escaut oriental. La communication de l'envoyé néerlandais n'en a pas moins produit sur l'esprit du cabinet de Bruxelles la plus pénible impression et c'est avec un profond regret qu'il a reçu la confirmation officielle d'un fait contre la simple éventualité duquel il n'a cessé de s'élever.

« Nous avions lieu d'espérer que le gouvernement néerlandais aurait pris en considération les mesures pratiques qui lui ont été indiquées pour arriver à une solution conciliant les intérêts communs. L'événement n'ayant pas répondu à cet espoir, le gouvernement du roi renouvelle ici ses protestations et ses réserves antérieures en laissant au cabinet de la Haye la responsabilité des conséquences de l'acte qu'il est à la veille d'accomplir.

« J'ai l'honneur, etc.

« (Signé) Baron Du Jardin. »

Depuis lors, toute correspondance à ce sujet, avec les cabinets de la Haye et de Bruxelles s'est trouvée interrompue.

Au milieu des circonstances graves qui, dans ces derniers temps, ont occupé presque exclusivement l'attention du gouvernement belge et des divers gouvernements, la Chambre comprendra que la question du barrage ait subi un temps d'arrêt.

Toutefois, l'administration ne l'a point perdue de vue : les rapports des trois ingénieurs étrangers ont été soumis à l'appréciation des ingénieurs belges et nous attendions le résultat de cet examen, pour déterminer la nouvelle ligne de conduite que nous aurons à suivre.

Voilà, messieurs, ce que j'ai à répondre aujourd'hui à l'honorable représentant.

Je pense que cette réponse lui suffira quant à présent. Il me serait impossible de rien ajouter au delà. Je veux bien donner tous les renseignements qu'on me demandera quant au passé. Mais quant à l'avenir, je crois que la Chambre voudra bien ne pas presser le gouvernement s'expliquer sur la marche qu'il entend suivre.

MpVµ. - L'incident est clos.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le président. — Sur quoi ?

M. Dumortier. - Sur l'incident. (Interruption.)

- Des membres. - Non ! non !

M. Dumortier. - Je voulais dire quelques mots ; mais je satisfais au désir de la Chambre en renonçant à la parole. Je me réserve de revenir plus tard sur cette question. Car cet incident est tellement sérieux, tellement grave qu'il ne peut pas passer inaperçu.

M. de Brouckere. - Il ne passe pas inaperçu.


M. Dewandreµ (pour une motion d’ordre). - J'avais prévenu M. le ministre des travaux publics, d'une interpellation que je me proposais de lui faire relativement à l'exécution du chemin de fer de Tamines à Landen. Il m'a fait savoir que, s'il ne pouvait se rendre à la Chambre, un de ses collègues serait chargé de me répondre.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il peut me répondre.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est M. le ministre des finances qui en est chargé.

M. Dewandreµ. - J'attendrai sa présence.

Projet de loi érigeant la commune de Macquenoise

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, la Chambre passe à la délibération sur les articles.

« Art. 1er Les hameaux de Macquenoise, de Formatot et de La Masure sont séparés de la commune de Momignies, province de Hainaut, et érigés en commune distincte, sous le nom de Macquenoise.

« La limite séparative est fixée conformément au tracé indiqué par les lettres A, B, C, D, au plan annexé à la présente loi. Cette limite, à partir du territoire de Beauwelz, suit le chemin d’entre les deux bois, puis la lisière sud et est du bois communal jusqu’au point du territoire de Séloignes, appelé le Rouillé. »

- Adopté.


« Art. 2. Le cens électoral et le nombre de conseillers à élire dans ces communes seront déterminés par l'arrêté royal fixant le chiffre de leur population. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adapté à l'unanimité des 89 membres présents.

Ce sont :

MM. Thienpont,. Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de. Brouckere, de Coninck, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eugène de Kerckhove, Delaet, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, Dewandre, Dumortier, Elias, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Hayez, Hymans, Jacobs, Janssens, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lesoinne, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack et Ern. Vandenpeereboom.

Projet de loi allouant un crédit au budget du ministère de la guerre, pour la transformation de l’armement de l’infanterie

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale est ouverte.

M. Gerritsµ. - Messieurs, si la transformation des fusils nous était proposée comme une mesure isolée, peut-être suffirait-il d'examiner la valeur du nouveau type choisi par le gouvernement et les conditions dans lesquelles se ferait le travail.

Il est bien vrai que de nos jours, où le progrès de la science est si rapide, les inventions d'hier seront les vieilleries de demain, d'où il résulte que les dépenses pour armement devront fréquemment se renouveler.

Il est vrai encore que nous voyons sur les champs de bataille la victoire rester à ceux qui savent devancer leurs adversaires, non pas à ceux qui se contentent de les suivre.

Mais, malgré cela je comprends qu'on ne veuille pas imposer à une armée, grande ou petite, l'humiliation de devoir se servir, ne fût-ce que pour la parade, d'engins par trop surannés, et je serais assez disposé à accorder la somme nécessaire pour donner à nos soldats un fusil à la mode. Malheureusement, il ne s'agit pas seulement d'une somme de 8 millions ; le projet de transformation des armes de l'infanterie fait partie d'un plan d'ensemble qui tend évidemment à donner un développement excessif à notre force armée.

Au numéro suivant de l'ordre du jour figure un emprunt de 60 millions, dont la destination n'est pas encore clairement indiquée, mais il ne faut pas perdre de vue que cette somme a été demandée pour parer à des éventualités de guerre.

D'ailleurs tout ce qui transpire des travaux de la commission spéciale, chargée d'étudier la réorganisation de l'armée, nous fait prévoir, de ce côté encore, une très grande augmentation de dépenses.

Je crois donc avoir le droit de présenter quelques observations au point de vue général. Comme la Chambre a hâte de terminer ses travaux, je tâcherai d'être aussi bref que possible.

Certes, messieurs, il est difficile de refuser au gouvernement des ressources sollicitées par lui sous prétexte de défense nationale.

Le gouvernement a bien soin, pour chaque dépense militaire qu'il demande, de la présenter comme une manifestation patriotique, et ceux qui, d'enthousiasme, ne se soumettent pas à ces charges sont exposés aux soupçons les plus odieux, aux attaques les plus violentes.

Quant à moi, la prévision de ces attaques ne m'effraye pas. J'ai assez de confiance dans le bon sens de nos populations pour espérer que toutes ces manifestations militaires seront considérées comme inopportunes, inefficaces et même comme dangereuses.

Pour se convaincre de l'inopportunité de ces mesures, il suffit de se rappeler que nous sommes au lendemain de la conférence de Londres, où la paix européenne a été affermie, d'après les déclarations solennellement faites par toutes les parties intéressées, notre gouvernement y compris.

N'est-il pas étrange de voir, au moment où l'Angleterre fait des efforts pour arriver au désarmement général, la Belgique donner l'exemple de l'opposition à ce désir, de voir la Belgique neutre s'armer jusqu'aux dents, au moment où de toutes parts s'élèvent des protestations de modération et de paix.

La réunion à Londres des signataires du traité de 1839 et les bons résultats de celle conférence doivent cependant être considérés comme une nouvelle et puissante affirmation de notre neutralité.

Est-il prudent dès lors de proclamer que nous n'avons pas confiance dans les décisions des congrès, de montrer que nous n'accordons pas de valeur aux traités qui garantissent notre indépendance ?

Je ne le pense pas et je crains qu'un jour on ne nous dise : Vous-mêmes vous n'avez pas montré de respect pour les traités internationaux ; vous-mêmes vous ne les avez pas considérés comme sérieux ; eh bien, nous partageons votre avis et vous en subirez les conséquences.

Oui, dans les circonstances actuelles les armements sont inopportuns et par là même, à mes yeux, ils constituent une faute politique, faute d'autant plus grave que toutes les mesures militaires qu'il serait en notre pouvoir de prendre seraient dans tous les cas inefficaces.

Pense-t-on sérieusement qu'une puissance militaire de premier ordre s'arrêterait dans l'accomplissement de ses desseins, parce que les fusils de notre infanterie auraient été transformés, parce que le gouvernement aurait quelques millions en caisse, parce que notre armée compterait quelques milliers d'hommes de plus ?

Non ! La véritable force de la Belgique consiste dans l'intérêt que l'Europe entière porte à son indépendance.

Ce qui arrêterait les belligérants à notre frontière, si la guerre devait éclater entre nos voisins, ce qu'à Dieu ne plaise, c'est la certitude qu'ils auraient de voir une grande partie de l'Europe se tourner contre celui dont les soldats les premiers violeraient notre territoire. On a parlé des avantages stratégiques à retirer de l'occupation de notre territoire, mais que seraient ces avantages dans la balance, si de l'autre côté pesaient toutes les forces des puissances qui ont intérêt à notre existence et qui ont pris l'engagement de nous défendre ?

Dans un esprit chevaleresque, on prétendra peut-être qu'il est indigne d'un peuple qui se respecte de compter sur la force d'autrui.

Pour moi, il n'y a rien d'humiliant à prendre ouvertement, franchement la position qui nous a été faite par des traités librement consentis. cette position convient parfaitement à un petit peuple, peuple petit par le nombre, mais assez respecté pour que les grandes puissances lui aient fait l'honneur de lui accorder leur protection collective.

Reste donc le grand argument que l'on invoque toujours et qui consiste à dire que mous devons au moins contribuer à la défense de notre pays.

Je me permettrai de faire remarquer que, il n'y a pas longtemps, un ministre de la guerre, dans cette enceinte, à différentes reprises, a fait la déclaration que la sécurité de la Belgique était assurée, bien entendu, au prix des sacrifices demandés alors.

Aujourd'hui ces assurances ne paraissent plus avoir de valeur ; les sacrifices d'alors ne comptent plus ; on dirait vraiment que jusqu'à ce jour on n'a pas pensé en Belgique à un système de défense.

On s'écrie que la force de nos voisins a augmenté et que nous devons maintenir l'équilibre.

Maintenir l'équilibre ! Est-ce possible ? L'appel sous les armes de toute notre population valide ne pourrait pas rétablir cet équilibre. Nos forces doivent fatalement être comme lest à 10, et prétendre, dans ces circonstances, que l'équilibre est maintenu, à mes yeux, c'est tout simplement de l'outrecuidance.

Quant à l'idée de faire servir nos forces comme appoint de l'un on de l'autre côté, il s'agirait d'examiner si, pour remplir ce rôle, notre armée n'est pas déjà assez forte, assez nombreuse. Ce sera d'ailleurs une question à examiner lorsque viendront à notre ordre du jour les propositions de la commission de réorganisation de l'armée. Mais je tiens à dire dès maintenant que cette idée me paraît souverainement malheureuse.

En cas de défaite du parti auquel nous nous serions alliés, la Belgique aurait cessé d'exister ; en cas de victoire du même parti, nous nous serions probablement imposé à nous-mêmes un vasselage aussi humiliant qu'onéreux.

Ce que nous devons chercher avant tout, c'est de nous tenir à l'écart c'est de n'être entraînés dans aucune guerre,

Pour cela, à mon avis, il faut surtout que notre attitude soit calme en même temps qu'elle soit digne, mais le moyen de garder cette attitude, ce n'est pas de faire des armements, qui peuvent servir de prétexte à des récriminations. Surtout pas de donquichottisme !

Ceci m'amène à vous dire pourquoi les armements dans les circonstances actuelles sont dangereux.

Un exemple vous fera immédiatement saisir ma pensée.

Pourquoi récemment une contestation qui a menacé de devenir sanglante a-t-elle surgi entre deux grandes nations au sujet du Luxembourg ?

Est-ce que le Luxembourg avait de l'importance à leurs yeux par son étendue ? Nullement. La contestation a surgi à cause de la valeur militaire du grand-duché.

Ce qui prouve que la valeur militaire du Luxembourg était, sinon l'unique, du moins la principale cause de ce différend, c'est que la conférence de Londres a eu bien soin, pour aplanir la difficulté, de stipuler que la ville de Luxembourg cesserait d'être une place fortifiée.

Peut-on plus clairement faire entendre qu'au vœu de l'Europe un pays neutre ne doit pas être un Etat militaire ? Peut-on plus clairement faire comprendre le danger qu'il y a pour les petits Etats à susciter, par des armements excessifs, des méfiances.

Je sais très bien que sur ce point mon opinion est contraire à celle du gouvernement.

MfFOµ. - Elle est contraire à celle de la conférence.

M. Gerritsµ. - La conférence a décidé que la ville de Luxembourg cesserait d'être une place fortifiée. Quant à l'affirmation de M. le (page 1074) ministre, aucun document ne nous a été fourni. J'attends, à cet égard, les explications du gouvernement.

On n'a invoqué jusqu'ici qu'une seule preuve pour démontrer la nécessité pour un pays neutre d'être fortement armé. Cette preuve, je l'ai trouvée dans le rapport de la section centrale, au sujet de l'emprunt de 60 millions. Là on invoque l'opinion de Napoléon Ier. A mes yeux, l'autorité du congrès pacifique vaut immensément plus que l'opinion d'un conquérant qui a tenté tout ce qui était possible pour faire disparaître le nom de Belge.

Chercher chez Napoléon Ier ce qui convient à la conservation des nationalités, autant vaudrait consulter les loups sur la meilleure manière de garder les brebis. (Interruption.)

Vous comprenez, messieurs, qu'il ne peut pas me convenir de fournir à un ennemi futur des prétextes de querelle ; je n'insiste donc pas.

Je m'arrête forcément. Mais si le patriotisme commande parfois la discrétion, le patriotisme ne commande pas de fermer les yeux sur des fautes qu'on est sur le point de commettre et de se laisser entraîner par le courant alors que c'est la peur qui forme ce courant, car la peur elle-même est aveugle.

Je désire que cette faute ne soit pas commise, mais s'il en est ainsi cependant, que la responsabilité retombe sur qui de droit.

Je tiens à déclarer que mon vote négatif sur le projet de transformation des fusils doit être considéré comme une protestation contre la trop grande extension donnée dans notre pays au militarisme.

Je pense que le militarisme non seulement entrave le développement de la richesse publique, non seulement amoindrira nos libertés civiles, mais finira peut-être par être cause de la perte de ce bien suprême : l'indépendance nationale.

M. Thonissenµ. - Je n'ai qu'une simple observation à présenter.

Le crédit de 8,400,000 francs, qu'on nous demande, renferme une somme assez élevée pour rétribuer l'inventeur du fusil, dit Albini.

J'espère que le gouvernement, avant de payer cette rétribution, aura soin de s'assurer qu'il se trouve réellement en présence du véritable inventeur.

Je n'affirme rien à cet égard ; mais je sais que, parmi les personnes qui s'occupent de la fabrication des armes, il existe des doutes sérieux sur le point de savoir quel est le véritable inventeur du fusil que nous allons adopter.

Le gouvernement aurait tort de perdre cet objet de vue, parce qu'il pourrait en résulter de grands désagréments et même des pertes pour le trésor public.

M. Hayezµ. - Messieurs, l'adoption du projet de loi soumis à vos délibérations par le gouvernement ne me paraissant pas douteuse, je me bornerai à présenter quelques observations qui motiveront le vote que j'émettrai.

Je crois que dans les succès de l'armée prussienne on fait, au fusil à aiguille, la part beaucoup trop large ; et cette opinion peut offrir du danger, car, si elle domine, on en viendra à croire le pays parfaitement en sûreté quand il possédera deux ou trois cent mille fusils de cette espèce.

Or, d'après le système de défense qui a été adopté, il ne me semble pas utile d'armer toute notre infanterie d'un fusil tirant 5, 6 ou 10 coups à la minute. Je crois même que ce fusil pourra devenir un danger pour la Belgique, car il sera peut-être cause qu'on risquera, au début d'une guerre, d'opposer notre armée, en rase campagne, à une armée ennemie composée de soldats faits et commandés par des chefs ayant l'expérience de la guerre.

Les suites d'une pareille imprudence me paraissent inévitables et nous feront perdre la chance de tirer quelque parti de la forteresse sur laquelle, au dire de ceux qui l'ont érigée, repose notre indépendance.

Je crois, en m'exprimant ainsi, ne pas sortir de la vérité ; les conscrits d'une armée peuvent se montrer très solides au feu, lorsqu'ils sont mêlés à de vieux soldats ; s'ils composent seuls toute l'armée, et c'est notre cas, il est fort à craindre que, malgré toute la bravoure dont ils seraient dotés individuellement, ils ne soient influencés d'une manière défavorable par l'étrangeté de leur position toute nouvelle.

Il me semble donc que le plus sage serait de nous servir de la position que nous nous somme créée, puisqu'elle existe, de borner nos efforts à y réunir des éléments suffisants de résistance ; on éprouvera déjà des difficultés assez grandes pour obtenir ce résultat. Et dans ce cas, le fusil tirant une dizaine de coups par minute doit céder le pas au fusil portant sa balle à de grandes distances et ayant un tir d'une grande justesse. Toutefois il serait bon de posséder quelques milliers de fusils au tir rapide pour s'en servir dans les sorties et lors d'un assaut, Au lieu de fabriquer de suite 130,000 fusils Albini, je voudrais qu'on se bornât à n'en faire que 10,000.

Cette manière de procéder aurait l'avantage de permettre de faire subir à l'arme que l'on veut adopter, ou, pour parler plus juste, que le gouvernement a déjà adoptée, l'expérience de plusieurs années d'usage entre les mains de la troupe. Cette expérience ne s'improvise pas et, en allant trop vite, on s'expose à créer un matériel de guerre discrédité avant d'être achevé.

Nous avons, sous ce rapport, fait récemment de tristes expériences ; ne nous exposons pas à les renouveler.

Les épreuves que l'on a fait subir à l'arme proposée, et dont parle l'exposé des motifs du projet de loi, me paraissent insuffisantes pour légitimer son adoption définitive, malgré le résultat satisfaisant qu'elles ont offert.

L'exposé des motifs dit que la transformation de notre fusil en fusil du système Albini coûtera 43 fr. ; il ajoute qu'un des motifs qui ont déterminé son adoption est la facilité d'opérer cette transformation. Je désirerais savoir ce qui, dans notre fusil, peut être utilisé pour en faire un fusil Albini. Le calibre étant diminué, il me semble que ni le canon, ni le fût, ne peuvent plus servir ; il reste la batterie, qui ne paraît pas davantage pouvoir être utilisée. La transformation annoncée ressemble donc beaucoup à un renouvellement complet.

Combien coûte un fusil Albini neuf ? Avec ce renseignement, on pourrait s'assurer si la transformation de notre fusil est une opération avantageuse.

Dans le cas où le prix d'un fusil neuf différerait peu d'un fusil transformé, il me semblerait plus prudent de conserver notre armement actuel intact ; les inventions nouvelles ont, comme les livres, leur destin, et la science marche si vite, dit-on ; d'où il est permis de conclure que la merveille du jour tournera à l'état de vieillerie le lendemain.

La transformation de 150 mille fusils devant coûter environ 8 millions ; celle de tout notre armement reviendra à 16 millions, auxquels, selon toutes les apparences, il faudra bientôt ajouter une vingtaine d'autres millions, ou bien parce que l'on reconnaîtra que la transformation n'a pas été heureuse, ou bien encore parce que la science aura marché, et ses voyages coûtent fort cher, comme chacun sait.

En portant à 20 millions le coût d'un armement complet, je ne compte qu'à 65 francs c'est-à-dire 22 fr. de plus que le prix de la transformation, le prix d'un fusil neuf se chargeant par la culasse, et d'un système à adopter. Il est probable que je reste en dessous de la vérité.

Messieurs, si le patriotisme consiste à voter, sans en avoir reconnu l'utilité par un mûr examen, tous les crédits demandés pour les dépenses militaires, s'il faut pousser le chauvinisme jusqu'au point de perdre le fruit de l'expérience du passé, je confesse très humblement que je manque de patriotisme ; mais je suis plus porté à croire qu'il consiste au contraire à ménager les deniers de l'Etat qui sont les deniers de tous ; à ne les engager que quand il y a nécessité bien reconnue, et c'est pour cette raison que je voterai contre le projet du gouvernement.

M. Davidµ. - J'ai demandé la parole, messieurs, non pas pour répondre aux discours que vous venez d'entendre, mais dans le but unique de motiver mon vote favorable, par les courtes considérations que voici.

Puisque à notre époque de civilisation, de progrès et de confraternité des peuples, nous voyons encore le droit et les traités les plus solennels écrasés par la force brutale du canon, et puisque au dix-neuvième siècle des nations qui, ne se rendant pas compte de leur droit à gérer leurs affaires et à décider de leurs destinées, se ruent encore les uns sur les autres et s'exterminent, afin de satisfaire l'ambition de leurs gouvernants, les petits pays, quoique neutres et pacifiques comme la Belgique, doivent aussi, par une organisation militaire quelconque, se préparer à repousser les barbares qui voudraient leur ravir leur indépendance, leurs institutions libres et bienfaisantes et leur nationalité.

Je ne sais quel sera le système de défense nationale à l'étude en ce moment ; reposera-t-il sur une armée permanente considérable ? ou bien aura-t-il pour base une organisation, la seule à laquelle je puisse donner mon assentiment, comme la plus économique et la plus efficace, d'après laquelle nous aurions une petite armée permanente de volontaires, de 15,000 à 16,000 hommes, y compris un cadre suffisant d'officiers instruits pour enrégimenter, en cas de danger, une milice nombreuse organisée et exercée dans chaque province en temps de paix ? Nos prochaines discussions décideront cette question importante.

Mais que l'on s'arrête à l'un ou à l'autre système, il faudra absolument donner à nos soldats des armes égales, sous tous les rapports, à celles des armées dont nous avons à redouter le choc.

(page 1075) Dans notre patriotisme, nous ne voulons pas nous exposer d'avance à la défaite en refusant les moyens de combattre aux vaillantes cohortes qui auront la mission de défendre nos frontières et le pays.

Tout en continuant, comme par le passé, à protester contre un établissement militaire exagéré en temps de paix, je voterai le crédit de 8,400,000 francs pour la transformation des fusils de notre armée.

M. Hymans. - Messieurs, j'ai demandé la parole pendant le discours de l'honorable M. Gerrits, pour faire observer une confusion déplorable. L'honorable membre a combattu de prétendus armements, alors qu'il s'agit en réalité de fabriquer ou plutôt de modifier des armes.

Il ne s'agit pas d'armement, il s'agit d'armes. La différence est notable.

Le discours de l'honorable M. Gerrits ne tend à rien moins qu'à nous demander la suppression des dépenses militaires, l'abolition pure et simple de l'armée, et s'il n'en est pas ainsi, je ne le comprends pas, car il tendrait à prouver alors qu'une armée munie de mauvais fusils vaut mieux qu'une armée pourvue de bonnes armes.

L'honorable député d'Anvers, à l'appui de sa thèse économique et philosophique, a invoqué des faits récents, est entré dans des considérations sur la politique générale de l'Europe, et il a prétendu que notre sort ne dépend pas du plus ou moins de ressources que nous aurons pour nous défendre, mais de l'intérêt que l'Europe prend à notre indépendance, au maintien de notre nationalité.

Cela est vrai, messieurs ; l'intérêt que l'Europe prend à notre existence est pour beaucoup dans notre sécurité.

Mais pourquoi l'Europe prend-elle intérêt à la Belgique ?

Pourquoi, dans des circonstances récentes, l’Europe a-t-elle affirmé de nouveau et d'une manière solennelle sa volonté de défendre à l'occasion la nationalité et l'indépendance de la Belgique ? Précisément parce qu'elle a vu, par l'exemple de ces dernières années, que la Belgique était décidée à se défendre elle-même avant de faire un appel à la garantie des puissances étrangères.

L'honorable membre, abordant un autre ordre d'idées, nous a dit : Pourquoi demandez-vous aujourd'hui de l'argent pour faire des fusils ? Ne nous a-t-on pas affirmé depuis plusieurs années que la défense de la Belgique était assurée ? Un honorable ministre de la guerre l'a affirmé plusieurs fois dans cette enceinte.

Messieurs, cet argument n'est pas sérieux. La sécurité de la Belgique n'est pas moins assurée aujourd'hui qu'il y a six mois. Le système de défense reste ce qu'il était. Notre situation vis-à-vis de l'Europe n'a pas changé. Mais à l'époque où un honorable ministre de la guerre tenait ce langage, on n'avait pas mis en œuvre à l'étranger les engins perfectionnés qui se sont révélés depuis, et vous ne contesterez pas que nous devions nous tenir à la hauteur de la science si l'on veut que notre système de défense se maintienne au lieu de déchoir.

C'est parce que les puissances ont changé l'armement de leur infanterie que nous sommes condamnés à changer aussi le nôtre.

Il ne faut pas d'armes, dit l'honorable membre, car nous ne devons nous laisser entraîner dans aucune guerre.

Cela est incontestable. Nous ne devons rien faire pour être entraînés dans une guerre. Cela va de soi.

Je ne sais où est l'homme d'Etat belge qui eût pu songer à entraîner la Belgique dans une conflagration quelconque. Mais je voudrais connaître le spécifique que possède l'honorable M. Gerrits pour nous empêcher d'être entraînés malgré nous dans un conflit européen.

Il a indiqué une seule garantie. II a dit : Si vous ne voulez pas être entraînés, il suffit de ne pas faire du donquichottisme.

Est-ce faire du donquichottisme que de transformer des fusils, que de remplacer une mauvaise artillerie par une bonne ?

Que l'honorable membre demande sur ce point l'opinion de l'honorable M. Hayez ; cet honorable collègue sera le premier à lui dire qu'il est absurde de garder de mauvais fusils quand nos voisins fabriquent des armes plus parfaites. Tout cela me paraît banal à force d'être vrai.

L'honorable M. Gerrits vient de nous dire que la conférence de Londres a prouvé combien, à son avis, il était dangereux, illogique, que de petits pays fussent armés, car il a fallu que le Luxembourg fût désarmé.

Il y avait une forteresse à Luxembourg, et cette forteresse, cause du différend qui a surgi en Europe, doit être rasée. A ce prix seulement, les puissances garantiront la neutralité du grand-duché.

L'honorable M. Gerrits se trompe de la façon la plus absolue sur ce qu'a décidé la conférence.

La conférence, ne l'oubliez pas, eu même temps qu'elle décidait que la forteresse de Luxembourg serait rasée, a reconnu de nouveau, d'une manière solennelle, comme je le disais tout à l'heure, la neutralité de la Belgique. La conférence savait tout ce que la Belgique avait fait depuis trente-sept ans, pour assurer la défense de son territoire, et n'a pas considéré ces actes comme des atteintes portées à nos obligations vis-à-vis de l'Europe.

La conférence a fait plus. Il résulte des déclarations de lord Stanley que l'Angleterre n'a pas garanti la neutralité du Luxembourg, parce qu'il n'était pas en état de se défendre lui-même, tandis que l'Europe continue à garantir la neutralité de la Belgique, parce qu'elle est bien résolue à se défendre elle-même. (Interruption.)

M. Delaetµ. - Il est à espérer que le ministre nous fera des communications à cet égard.

M. Hymans. - Cela résulte des déclarations faites au parlement anglais.

Nous pouvons donc voter le crédit en nous fondant précisément sur l'œuvre de la conférence de Londres que l’honorable M. Gerrits a invoquée pour nous combattre.

L'honorable membre a terminé son discours en faisant une protestation fort inopportune contre le militarisme.

Je ne vois, pour ma part, le militarisme nulle part en Belgique.

Il y a eu Belgique une armée qui est une institution constitutionnelle, une garde civique qui est une institution constitutionnelle.

Si c'est du militarisme qui de maintenir ces deux forces respectables, M. Gerrits fait un singulier abus des mots, du moins en français.

Je ne vois dans le pays que la ferme volonté de faire face à toutes les circonstances ; de défendre le sol national contre ceux qui pourraient songer à l'envahir.

Je crois que, sous ce rapport, notre passé est un sûr garant de l'avenir.

Si fâcheux que pût être le militarisme, si militarisme il y avait en Belgique, je me consolerais plus volontiers de le voir surgir que de voir se propager les idées de défaillance et de résignation à l'avance dont l'honorable M. Gerrits vient de se faire l'apôtre.

L'honorable, membre a terminé son discours par un apologue.

Il ne veut pas qu'on demande conseil aux loups sur la façon de protéger les brebis.

L'apologue est maladroit. Il a réveillé dans mon esprit le souvenir d'une des plus jolies fables de Lafontaine, dans laquelle il est également question de loups et de brebis.

Dans cette fable les loups font alliance avec les moutons ou plutôt les moutons font alliance avec les loups et, sur la foi des traités, les moutons congédient les chiens qui les protègent.

Aussitôt les chiens partis, les loups rentrent dans la bergerie et dévorent les moulons.

Voilà ma réponse à l'apologue de l'honorable M. Gerrits.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je ne suivrai pas l'orateur qui se rassied sur les hauteurs où il a cherché à égarer la discussion. Vous me permettrez de revenir au fusil Albini, objet de la discussion. Mon vote dépendra de la réponse que l'honorable ministre de la guerre fera à la question que je vais lui poser.

Je lisais, il y a quelques jours, dans le Times, ceci : « On vient de faire à Vincennes des expériences d'ensemble avec le fusil Chassepot. Un bataillon de 500 hommes, tirant à 600 mètres sur un front d'égale largeur, ont tiré 8,000 balles en deux minutes. 1,992 balles ont atteint le front attaqué et sur le devant l'herbe était entièrement labourée. Ce que voyant, l'empereur s'écria : « C'est effrayant, c'est un vrai massacre. »

M. Vleminckxµ. - De brins d'herbes. (Interruption.)

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je vais maintenant poser la question.

Le fusil Albini, que ce soit ou non un canard, ce dont je viens de vous faire part, porte-t-il à 50 ou 100 mètres plus loin, ou même porte-t-il aussi loin que le fusil dont je viens de vous donner les résultats réels ou supposés.

S'il porte moins loin, il est évident qu'il ne servira pas plus que si l'on armait nos soldats de badines.

S'il porte plus loin, au contraire, je voterai pour ce fusil.

Je dois aussi dire qu'à l'inspection, ce fusil m'a paru un gentil fusil de cabinet, un fusil de paix. Mais comme fusil de guerre, et je crois en avoir vu quelques-uns dans ma vie, cette arme me paraît excessivement légère et très sujette à des accidents, et si je suis bien informé, dans l'usage, il laisse tomber souvent les cartouches que l'on y met, d'où il résulterait, si ces renseignements sont vrais, que (page 1076) l'armement pour lequel on nous demande une somme aussi considérable, n'est guère qu'un armement provisoire, une expérience, en attendant qu'on obtienne un armement parfait.

Je dois dire que, si je n'obtiens pas une réponse satisfaisante de M. le ministre de la guerre, comme je suis décidé pour ma part à voter le meilleur armement possible, quelle que soit l'organisation qui sera adoptée pour la défense du pays, je ne voterai pas une dépense qui ne devrait produire aucun résultat utile.

MgGµ. - Messieurs, je puis rassurer complètement l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. Le fusil Albini, que nous avons adopté, possède les mêmes avantages que les meilleurs fusils se chargeant par la culasse connus jusqu'à présent.

L'honorable membre a parlé des fusils Chassepot. Eh bien, le fusil Chassepot et le fusil Albini sont identiquement dans les mêmes conditions de tir, c'est le même calibre, la même rayure du canon ; la cartouche est différente, mais son effet est le même.

Si le fusil Chassepot porte à 600 mètres, le fusil Albini portera à 600 mètres et je crois que 500 hommes armés de fusils Albini feraient les mêmes dégâts et faucheraient l'herbe tout aussi bien que les 500 hommes qui ont fait à Vincennes emploi du fusil Chassepot.

L'honorable M. Le Hardy n'est pas rassuré sur les conditions de solidité du fusil Albini. Je puis lui donner la certitude que ce fusil est très solide. Il a parfaitement réussi aux épreuves de tous genres auxquelles on l'a soumis. Le soldat le moins expérimenté peut le démonter, le remonter et le nettoyer sans l'intervention de personne. Toutes les pièces sont très solides et très résistantes.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Ce fusil ne laisse-t-il pas tomber la cartouche ?

MgGµ. - C'est une erreur.

Comme ce fusil se charge très vite et très facilement, on ne le charge qu'au moment de s'en servir. Mais j'admets que le fusil soit chargé et qu'on ne veuille pas tirer ; en maintenant le chien au premier cran, le mécanisme ne peut plus s'ouvrir et la cartouche ne peut tomber.

Comme solidité, je puis vous garantir que c'est le meilleur que je connaisse. Je ne dis pas qu'on ne trouvera pas dans l'avenir une arme supérieure, mais comme fusil de transformation, c'est ce qu'on a de plus parfait, de plus complet jusqu'à présent !

M. Coomans. - Messieurs, j'adhère pleinement aux considérations élevées qui vous ont été soumises par divers adversaires du projet ; mais je m'abstiendrai de les reproduire, parce qu'il me serait impossible de vous les soumettre dans des termes meilleurs.

D'autres considérations déterminent encore mon vote hostile.

D'abord j'éprouve un scepticisme absolu, vraisemblablement irrémédiable, au sujet de toutes les promesses, de toutes les prophéties que l'on nous a faites relativement à la défense nationale.

Quoique je ne sois aucunement militaire, j'ose m'inscrire en faux contre toutes les promesses qui nous ont été prodiguées pas nos militaires les plus instruits, les plus honnêtes, les plus loyaux, et voici comment je raisonne.

Déjà vieux parlementaire, hélas ! j'ai gardé le souvenir de maintes séances à peu près pareilles à celles-ci. En voici l'histoire très résumée.

En 1849, on vint nous demander 1,500,000 fr. pour assurer le salut de la défense nationale. Il s'agissait tout simplement d'élever, en avant d'Anvers, quelques ouvrages en terre. C'était tout ce qu'il fallait avec le budget de 26 millions que nous votions.

Ainsi, 1,500,000 fr. de fortifications, rien pour l'armement, et 26 millions de budget, et le salut de la Belgique était assuré, parole d'honneur de tout le monde !

Peu de temps après, le salut de la Belgique courait quelques dangers. On nous demandait plusieurs millions pour transformer les ouvrages en terre en ouvrages en pierre ; on les vote encore.

Ce n'est pas encore une sécurité suffisante. Peu de temps après, on nous somme de voter l'embastillement d'Anvers, sous peine de compromettre la sécurité nationale. On vote encore cela, mais en nous promettant, avec serment civil, que la Belgique ne serait plus exposée désormais à aucun danger, que le budget de la guerre ne serait pas augmenté, qu'on ne changerait pas nos canons qui étaient excellents et qu'on ne demanderait pas un centime, en sus des sommes votées en 1859 pour les fortifications anversoises.

Toujours on argumentait de notre incompétence que nous avions la modestie excessive de proclamer trop haut, et on argumentait en même temps de la parfaite compétence du gouvernement.

C'est encore au nom du salut de la patrie qu'on nous demande aujourd'hui 8 millions 400,000 fr., pour la transformation des fusils de notre infanterie, qu'on nous demande d'autres millions pour l'artillerie, d'autres millions pour la garde civique ; qu'on nous demande 60 millions dont on se réserve la destination arbitraire ; et l'on nous jure encore une fois que la patrie sera définitivement sauvée. Je n'en crois rien du tout.

Tous ces précédents, dont je néglige plusieurs, me démontrent que bientôt on viendra soutenir que le fusil Albini ne vaut rien, qu'il y a un meilleur engin que celui-là.

Et l'on votera de nouveaux millions pour remplacer le fusil Albini par un autre fusil ; et l'on nous dira qu'il faut voter les sommes nécessaires à cette transformation, sous peine de passer pour de mauvais patriotes.

Ceci prouve qu'en fait de sciences militaires, il n'y a pas de vérité absolue ; qu'il n'y a qu'une vérité relative, une vérité de circonstance, en d'autres termes que nous ne pouvons nous fier à rien dans cet ordre d'idées.

Messieurs, je vous en prie, n'abdiquons pas entièrement notre liberté de raisonner, par peur de passer pour de mauvais patriotes. Nous n'avons été que trop leurrés en cette matière.

L'année dernière, au mois de juillet, la sécurité nationale était parfaitement garantie ; tous les membres du ministère l'avaient déclaré. Eh bien, je le demande, si avant ou après le mois de juillet 1866, une puissance voisine avait accepté l'offre qui paraît lui avoir été faite par une autre puissance à notre détriment ; je le demande, qu'aurions-nous fait ? Moi, qui ne puis rien compromettre, je puis faire cette question ; je suppose vrai ce que beaucoup de journaux ont avancé ; je suppose que la France eût accepté la Belgique des mains de la Prusse, qu'eussions-nous fait ?

Nous avons 40,000 hommes disponibles ; nous aurions pu en avoir 60,000 ou 70,000 ; voulez-vous davantage ? Soit ; voulez-vous même que toute notre garde-civique se fût jointe à l'armée ? Nous aurions eu 150,000 hommes ; et puis ? Aurions-nous sérieusement résisté à un million d'ennemis ? Qui oserait le croire ? Moi pas. Toutes nos précautions militaires eussent été complètement inutiles. Notre armée, notre forteresse d'Anvers et toutes nos autres citadelles n'ont jamais pesé un fétu dans les balances de la politique européenne.

Pour moi, je regrette de voir tant d'hommes de cœur et d'intelligence perdre leur temps, gaspiller tant de talent sous l'uniforme et dans nos casernes pour obtenir des résultats inefficaces et stériles. (Interruption.)

Je ne pense pas que l'existence d'une armée puisse être utile à la conservation de l'indépendance nationale, notre bien le plus précieux. A cet égard, je me réfère aux observations qui souvent déjà ont été présentées. L'argument du Luxembourg, que l'honorable M. Gerrits a fait valoir, me paraît très fort.

Pourquoi le Luxembourg conserve-t-il son autonomie ? l'a-t il protégée par les armes ? Il la conserve, parce que d'autres Etats ont intérêt à la maintenir. Le Luxembourg n'a été menacé dans sa précieuse petite autonomie qu'à cause de sa forteresse.

Je crains fort que la Belgique ne soit menacée un jour à cause de ses forteresses, à cause d'Anvers, et qu'Anvers ne finisse par jouer en Europe le rôle de la forteresse de Luxembourg.

Si l'on se borne à raser les fortifications d'Anvers, même malgré nous, j'applaudirai de grand cœur, pourvu que l'indépendance nationale reste sauve.

Messieurs, j'ai une autre remarque à faire, elle a rapport à la Constitution. On fait bon marché de nos prérogatives. Je proteste contre ce qui vient d'être fait.

Le ministère a engagé les 8,400,000 francs avant de présenter sa demande de crédit à la Chambre ; et cette fois il n'a pas l'excuse qu'il pouvait alléguer l'année dernière.

En juillet 1866, les Chambres n'étaient pas réunies quand le ministère a fait des dépenses militaires extraordinaires, et je m'étonne que jusqu'ici il n'ait pas présenté une demande de crédits pour régulariser cette affaire. L'année dernière, il avait ce prétexte : l'absence du parlement ; cette année, il ne l'a pas ; son strict devoir était de nous laisser l'honneur d'apprécier, sous notre responsabilité, les nécessités nationales.

Il n'en a rien fait. Il a marché en avant, en disant qu'il était sûr de l'unanimité de nos suffrages. J'ai lieu de croire qu'il se trompait à ce sujet. Il a dépensé ou engagé 8 millions 400,000 fr. sans nous consulter, C'est une violation flagrante de la Constitution, et bien que ce fait se (page 1077) présente souvent, je crois de mon devoir de protester chaque fois que j'en ai l'occasion.

Et puis, il y a, même parmi les hommes compétents, parmi lesquels Je me garderai bien de me ranger, des doutes sérieux sur l'efficacité du fusil qui a été adopté. J'ai entendu des militaires émettre des doutes à cet égard. Pourquoi donc le gouvernement s'est-il tant pressé ? Pourquoi a-t-il mécontenté injustement, selon moi, un grand nombre de fabricants belges ? Il n'y avait rien d'urgent. On pouvait mettre la chose en adjudication ; nous aurions gagné non seulement de l'argent, mais encore du temps qui, en pareille circonstance, vaut plus que de l'argent. Je ne serais pas étonné de voir, au bout de dix mois, le fusil Albini mis au rebut. Ce sera une rétractation de plus ajoutée à toutes celles dont le gouvernement nous a donné le ruineux spectacle.

M. Lesoinneµ. - Messieurs, le fusil que le gouvernement a adopté pour le nouvel armement de l'infanterie me paraît bon et solide, surtout comme fusil de transformation ; peut-être est-il encore susceptible de recevoir quelques perfectionnements, et si des perfectionnements étaient signalés comme possibles, je pense que M. le ministre n'hésiterait pas à les adopter.

Il paraît que pour faire confectionner ces armes, on a conclu des contrats qui pouvaient se justifier par les circonstances dans lesquelles on se trouvait alors. Cependant, ces contrats n'ont pas été faits, selon moi, avec toutes les précautions que l'on doit prendre, lorsqu'il s'agit de fournitures pour l'Etat. On n'a pas procédé par adjudication, on s'est adressé à quelques fabricants seulement en laissant de côté beaucoup d'autres fabricants très capables d'exécuter ces fusils.

Je suppose que ces contrats ne sont que provisoires et peut-être M. le ministre pourra-t-il encore fixer un prix qu'on ne pourra pas dépasser. Car, s'il en était autrement, avec les conditions que l'on m'a dit avoir été accordées, et qui consistent à donner aux fabricants 15 p. c. au-dessus du prix de la fabrication à la manufacture d'armes de l'Etat, si, par suite de circonstances, le prix des matières à employer ou le prix de la main-d'œuvre venaient à augmenter, les avantages pour les fabricants qui ont contracté avec le gouvernement, augmenteraient aussi dans une forte proportion. Si le fusil qui doit coûter 40 à 43 fr. venait à en coûter 50, les 15 p. c. que l'on accorde aux fabricants augmenteraient leur bénéfice dans une proportion beaucoup trop considérable.

Il y a une autre clause sur laquelle j'appellerai l'attention de M. le ministre de la guerre ; c'est celle qui est relative à la visite et au contrôle des armes fournies.

En général, les armes sont fabriquées au domicile de l'ouvrier. Les ouvriers portent ces armes achevées chez le fabricant. Si le gouvernement fait contrôler les armes chez les fabricants, il devra envoyer ses contrôleurs tantôt chez un fabricant, tantôt chez un autre.

Je crois qu'il ferait beaucoup mieux de faire contrôler ces armes à la manufacture de l'Etat, cela éviterait aux ouvriers beaucoup de courses inutiles. D'un autre côté, le gouvernement ne serait pas obligé d'envoyer son personnel au dehors, et le contrôle fait sous les yeux des officiers de la manufacture du gouvernement serait plus efficace et se ferait plus promptement.

Je recommande ce point à l'attention de M. le ministre de la guerre.

M. Vleminckxµ. - Messieurs, dans l'exposé des motifs du projet de loi, il est bien dit que la transformation de nos fusils d'infanterie doit se faire dans le système Albini. Mais rien n'est dit à cet égard dans le dispositif du projet de loi.

H doit être bien entendu que si, dans le cours des travaux de transformation, on venait à découvrir de nouvelles améliorations, le gouvernement resterait libre d'appliquer le crédit à un autre modèle.

J'ai entendu dire tout à l'heure : Dans six mois, vous aurez à voter de nouveaux crédits, parce qu'on trouvera de nouvelles améliorations. Or, je réponds que le crédit que nous allons voter doit être appliqué à l'acquisition de la meilleure arme possible, qu'elle soit dans le système Albini ou dans tout autre système.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'avais demandé la parole pour faire la même observation que l'honorable M. Vleminckx.

H me semble que la question est complexe, du moins telle qu'elle a été discutée aujourd'hui, et il y a là un sérieux inconvénient.

S'il s'agit de voter un crédit de 8 millions pour donner à notre armée un gage de sympathie et pour mieux assurer la protection des intérêts patriotiques qu'elle peut être appelée à défendre, la majorité, la presque unanimité de la Chambre votera ce crédit.

Mais s'il y a lieu, au contraire, de décider que le fusil Albini est le meilleur de tous les fusils possibles, il est permis de croire que cette assemblée n'est pas apte à porter un pareil jugement.

Je désirerais donc qu'il fût bien entendu que nous votons le projet de loi, sans nous occuper ni de l'exposé des motifs ni de l'annexe.

Nous entendons voter pour l'armée l'armement le plus convenable, mais nous laissons au département de la guerre le soin de répéter ses expériences et de rechercher si, dans les manœuvres d'ensemble, on arrive aux mêmes résultats que ceux qui ont été obtenus dans des essais isolés.

Nous voulons donc arriver au meilleur résultat possible, et pour atteindre ce résultat, il faut ne pas lier le gouvernement.

J'espère que M. le ministre de la guerre ne verra aucun motif pour ne pas entrer dans cet ordre d'idées.

MgGµ. - Je partage tout à fait la manière de voir de l'honorable M. Kervyn.

Le fusil Albini est pour moi, ou plutôt pour les officiers d'artillerie qui l'ont examiné, le meilleur, celui qu'il est désirable d'adopter pour l'armée. Mais naturellement aucun de nous ne peut répondre qu'on ne trouvera pas un meilleur système. Hier encore j'ai reçu un nouveau fusil qui ne vaut pas le fusil Albini, mais enfin, je le répète, on trouvera peut-être encore mieux que celui-ci.

II est bien entendu que le vote de la Chambre ne s'applique pas spécialement au fusil Albini. Si, d'ici à deux ou trois mois, on découvrait un meilleur système, le gouvernement n'hésiterait pas à l'adopter, le calibre et la cartouche restant les mêmes.

M. Braconier. - Je viens ajouter quelques observations à celles que vous a présentées mon honorable collègue, M. Lesoinne, relativement à certaines clauses des contrats provisoires qui ont été faits avec des fabricants d'armes de Liège.

Dans ces contrats, le prix de l'arme n'est pas fixe. On calcule le prix de revient mensuel à la manufacture d'armes de l'Etat et l'on accorde au fabricant un bénéfice de 15 p. c.

II y avait des raisons d'en agir ainsi : le fusil type n'était pas encore adopté et, par conséquent, on ne pouvait soumettre à l'industrie privée des contrats avec un chiffre bien déterminé.

Mais ce système a des inconvénients très sérieux au point de vue des autres fabricants.

Si vous accordez à un certain nombre de fabricants un prix qui varie selon les circonstances, c'est-à-dire si vous leur accordez 15 p. c. au-dessus du prix de revient du fusil à la manufacture d'armes de l'Etat, il s'ensuit que si la main-d'œuvre ou si la matière première vient à renchérir, ces fabricants réaliseront toujours le même bénéfice, tandis que les autres fabricants, qui n'auront pas été favorisés de ces commandes, se trouveront dans des conditions désastreuses. Ayant contracté à un prix fixe avec des particuliers ou avec d'autres gouvernements, devant supporter cette hausse de la main-d'œuvre ou de la matière première, ils se trouveront dans la position la plus fâcheuse.

De là sont nées la plupart des réclamations de divers fabricants d'armes de Liège. J'appelle sur ce point l'attention de M. le ministre de la guerre, et j'espère que, dans les contrats définitifs qu'il fera, il tiendra compte de mes observations.

MgGµ. - Je serai très heureux de pouvoir tenir compte des observations que vient de faire l'honorable M. Braconier.

Quant les contrats ont été préparés, nous étions dans des circonstances tout exceptionnelles, à la veille de graves événements ; on a été obligé de traiter rapidement et dans des conditions qui laissaient peu de latitude.

Il était du reste impossible de convenir de prix fixes, attendu que, bien que le système fût arrêté, le modèle définitif du fusil n'existait pas, et que son prix de revient ne pouvait être exactement établi. Nous nous trouvons maintenant dans de meilleures conditions ; je ferai du reste tout mon possible pour concilier les intérêts de l'Etat, ceux des parties engagées et enfin ceux de l'industrie liégeoise.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Un crédit spécial de huit millions quatre cent mille francs (8,400,000 francs) est ouvert au ministre de la guerre pour la transformation de l'armement de l'infanterie.

« Ce crédit sera couvert par une émission de bons du Trésor. »

(page 1078) MfFOµ. - Messieurs, tout à l'heure M. Coomans a dit que le gouvernement, au mépris des droits de la Chambre et malgré les engagements pris, avait dépensé...

M. Coomans. - Ou engagé.

MfFOµ. - Dépensé ou engagé ; soit : engagé me paraît une addition, n'importe. Eh bien, M. Coomans s'est complètement trompé : pas un centime du crédit actuellement demandé à la législature n'a été dépensé, que je sache, et il n'y a et ne peut y avoir d'engagement que sous la condition du vote législatif. Rien n'a donc été fait jusqu'à présent...

M. Coomans. - On n'a encore rien fait ? Que devient alors la sécurité nationale ?

MfFOµ. - C'est vraiment incroyable ! Vous vous rappellerez, messieurs, que, dans le premier discours prononcé par M. Coomans, nous étions accusés d'avoir méconnu les droits de la Chambre en faisant des dépenses à découvert. Quelque important que fût l'objet de ces dépenses au point de vue des plus chers intérêts du pays, le gouvernement était coupable aux yeux de M. Coomans.

Maintenant, que nous démontrons l'erreur dans laquelle est tombé M. Coomans, il trouve tout simple de s'écrier : « Que devient la sécurité nationale ! »

M. Coomans. - Non ! non !

MfFOµ. - M. Coomans a donc entendu parler de dépenses faites à raison des circonstances critiques que nous venons de traverser ? (Interruption.) C'est pour avoir fait ces dépenses sans l'assentiment préalable de la législature qu'il blâme le gouvernement, et il s'étonne de ce que cette affaire n'ait pas encore été régularisée par la demande d'un crédit spécial.

Messieurs, il est très vrai qu'au milieu des circonstances difficiles où s'est trouvée l'Europe en 1866 et en 1867, nous avons cru devoir faire certaines dépenses dans l'intérêt du pays. Déjà d'ailleurs nous en avons informé la Chambre, et M. Coomans le sait parfaitement, car il invoque lui-même ce que nous avons dit pour en faire le thème de sa critique.

Des circonstances indépendantes de notre volonté ne nous ont point permis de faire régulariser ces dépenses, qui s'élèvent, environ, au chiffre de 7 millions de francs. Les comptes n'étant pas encore réglés, je n'ai pas les chiffres tout à fait exacts, mais c'est à peu près cette somme que nous devrons demander pour régulariser les dépenses faites de ce chef en 1866 et en 1867. La session était beaucoup trop avancée pour qu'on pût discuter un pareil objet ; car, cette présentation faite ainsi aux derniers jours d'une session n'eût pas manqué de soulever les réclamations de M. Coomans. J'ai donc pensé qu'il n'y avait pas d'inconvénient à ajourner cette demande de crédit à la session prochaine.

M. Coomans. - Je n'admets pas du tout la théorie de M. le ministre des finances. Il avoue qu'il a dépensé depuis un an 7 millions de francs sans l'assentiment des Chambres ; eh bien, cela est très irrégulier. Notre premier droit, notre premier devoir est de voter librement les charges de l'Etat ; le gouvernement a donc eu tort.

D'un autre côté, en supposant que, vu l'absence des Chambres, il fût de son devoir d'ordonner certaines dépenses, il aurait dû faire rectifier la situation immédiatement après notre rentrée au mois de novembre dernier. A coup sûr, il ne devait pas attendre jusqu'aujourd'hui et peut être jusqu'au mois de novembre prochain pour liquider ces comptes.

Je maintiens donc mon observation.

Je maintiens également qu'il résulte de diverses déclarations faites par la presse officieuse et des faits à notre connaissance que le gouvernement a dépensé ou au moins engagé une partie tout au moins du crédit qu'il demande aujourd'hui. (Interruption.)

Mais quoi ? M. le ministre de la guerre vient de dire que, étant pris à l'improviste, il a dû ordonner en partie la transformation de l'armement de l'infanterie ; est-ce que les ouvriers et leurs patrons ont travaillé gratis ? « Rien n'est dépensé, rien n'est fait », vient dire M. le ministre des finances ; eh bien, c'est à ce point de vue que j'ai fait l'objection que vous avez transformée en contradiction : et la sécurité nationale ! Vous venez dire : « Rien n'est fait » et M. le ministre de la guerre vient dire : « J'ai fait beaucoup. »Vous avez fait beaucoup, et on travaille au jour le jour ! N'importe on travaille et on ne travaille pas gratis.

Il n'est donc pas vrai de dire que rien ne serait fait si la Chambre ne votait pas le crédit pour acheter des machines, donc on a dépensé de l’argent, donc notre vote n'est pas libre. Est-ce M. le ministre des finances qui payera et les 7 millions et les 8 millions ? Je dis que nous ne sommes pas libres, et si notre vote n'est pas libre, la Constitution est violée.

MfFOµ. - Ici encore, M. Coomans se trompe absolument, en prétendant que le crédit de 8,400,000 francs qui est sollicite par le gouvernement pour la transformation de l'armement de nos troupes, serait déjà dépensé, ou tout au moins engagé, et en soutenant, comme conséquence, que le vote de la législature ne serait plus libre. Il est dans une erreur complète en disant que si la Chambre rejetait le crédit, il y aurait des dépenses de fabrication d'armes, ou d'autres de même nature, qui ne pourraient pas être payées. Rien de tout cela n'est exact.

Voici ce qui s'est passé.

La Chambre se souvient qu'avant sa séparation, j'avais annoncé qu'un crédit de 8,400,000 francs serait demandé, que déjà nous avions autorisé l'achat de machines, en Angleterre, pour la fabrication ou la transformation de fusils, et que nous avions fait procéder à la construction d'un bâtiment dans lequel ces machines devaient être placées.

Sur ces indications, l'honorable M. Thibaut, le lendemain, car il n'y avait pas eu le jour même de contradiction à ce que j'avais dit, M. Thibaut, le lendemain ou le surlendemain, demanda formellement que le gouvernement ne dépensât pas le crédit de 8,400,000 francs avant le vote de la législature.

J'ai répondu que le gouvernement ferait en sorte de satisfaire au désir de la Chambre, dans la mesure de ce qui serait reconnu possible.

Or, jusqu'à présent, rien n'a encore été fait quant aux fusils. A la vérité, on a fabriqué des modèles pour un certain nombre de fusils ; on a préparé des contrats pour régler les conditions de la fabrication des nouvelles armes par l'industrie privée, mais tout s'est borné là. Les seuls travaux qui aient été faits jusqu'à présent l'ont été par la manufacture d'armes de l'Etat, qui travaille au moyen des crédits du budget, et qui a exécuté un certain nombre de fusils de nouveaux modèles.

Les droits de la Chambre sont donc intacts. Aucune demande d'ouverture de crédits n'a été faite au département des finances. Il n'y a donc rien de fait jusqu'à présent, sauf l'achat de machines et la construction d'un hangar, comme je l'ai indiqué.

M. Coomans. - Vous avez dit que rien n'avait été fait.

MfFOµ. - J'ai dit que l'on n'avait fait aucun travail, créé aucune dépense imputable sur le crédit de 8,400,000 fr., sauf l'achat des machines et la construction du bâtiment où elles doivent être placées.

Quant aux crédits extraordinaires que nous avons demandés pour couvrir les dépenses faites en 1866, à raison de l'état de guerre dans lequel se trouvait l'Europe, ils s'élèvent à 3 1/2 millions ou un peu plus, et il y aura à demander une somme à peu près égale pour 1867.

Mais, messieurs, bien loin d'accepter le reproche qui nous est adressé par M. Coomans, je déclare tout au contraire, qu'en pareille circonstance, nous n'hésiterions pas, tous mes collègues et moi, à prendre sous notre responsabilité de faire de pareilles dépenses sans consulter la Chambre, même la Chambre assemblée...

M. Orts. - Et vous auriez parfaitement raison. (Interruption.)

M. Coomans. - Vous n'en avez pas le droit.

MfFOµ. - ... et voici pourquoi.

Je ne prétends pas en avoir le droit, mais je prétends que, selon les circonstances, ce peut être un devoir d'agir ainsi. Il incombe à ceux qui ont la charge du pouvoir d'oser assumer la responsabilité d'actes qu'ils croient nécessaires dans des circonstances exceptionnelles, sauf à soumettre ultérieurement leur conduite à l'appréciation de la Chambre, en réclamant d'elle une bill d'indemnité.

C'est donc ma responsabilité que j'engage en violant ainsi le droit de la Chambre, je le reconnais ; mais je ne le fais, évidemment, que guidé par des motifs d'intérêt public de la plus haute gravité ; parce qu'à certains moments, à certaines heures, il y a nécessité de prendre certaines mesures de précaution qui, si elles étaient rendues publiques, pourraient compromettre le pays au dehors, et l'exposer, peut-être, à une véritable crise financière et commerciale.

On nous dirait au dehors : Pourquoi donc préparez-vous des armements, lorsque nous déclarons ne pas armer nous-mêmes ? Quelles sont donc vos intentions, et contre qui ou pour qui vous armez-vous ? Premier danger ! Second danger : Pourquoi jeter l'alarme dans le pays, pourquoi le troubler, pourquoi l'inquiéter profondément ? Pourquoi arrêter ainsi brusquement le mouvement de toutes les affaires ?

(page 1079) N'est-il pas évident qu'il on résulterait pour le pays des pertes incomparablement supérieures aux sommes que nous aurions à demander à la législature pour parer aux éventualités ? (Interruption.)

Si l'on venait, dans de telles conjonctures, solliciter de la Chambre des crédits extraordinaires pour créer des moyens de défense, on se dirait immédiatement, et non sans raison : Le gouvernement, qui sait ce qui se passe, nous annonce par cela même que l'état de guerre est prochain. Et, immédiatement, toutes les affaires sont suspendues. Les faillites arrivent ; la défiance gagne de proche en proche ; l'argent se cache, en un mot, et la crise est complète.

Voilà, messieurs, ce que nous avons évité en prenant sous notre responsabilité de venir vous demander un bill d'indemnité pour avoir agi sans votre concours.

En nous exposant à toutes les chances résultant de l'engagement de la responsabilité ministérielle devant les Chambres et devant le pays, nous avons sauvegardé la sécurité publique, en évitant de troubler les intérêts des citoyens. Je pense, messieurs, que nous avons ainsi accompli loyalement et courageusement notre devoir de gouvernants.

- La discussion est close.

« Art. 1er. Un crédit spécial de huit millions quatre cent mille francs (8,400,000 francs) est ouvert au ministre de la guerre pour la transformation de l'armement de l'infanterie.

« Ce crédit sera couvert par une émission de bons du trésor. »

- Adopté.


« Art, 2. La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal.

99 membres y prennent part.

87 membres répondent oui.

11 membres répondent non.

1 membre (M. Le Hardy de Beaulieu) s'abstient.

En conséquence la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis an Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Ansiau, Anspach, Bara, Beeckman, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, Eug. de Kerckhove, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, Dewandre, Dumortier, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hagemans, Hymans, Janssens, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lelièvre, Lesoinne, Liénart, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tack et Ernest Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Thienpont, Vander Donckt, Van Wambeke, Vermeire, Coomans, Delaet, de Muelenaere, Gerrits, Guillery, Hayez et Jacobs.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, mon abstention se justifie par la question que j'ai posée.

M. le ministre n'est pas parvenu à me convaincre que le fusil Albini était le meilleur fusil.

Motion d’ordre

M. Dewandreµ. - Je profite de la présence de l'honorable ministre des finances pour renouveler l'interpellation que j'ai faite déjà.

La société du chemin de fer de Tamines à Landen était obligée de terminer ce chemin de fer pour le 1er octobre dernier.

Non seulement il n'est pas terminé, mais depuis quelque temps les travaux sont complètement abandonnés.

Je demanderai au gouvernement si l'on compte prendre bientôt les mesures nécessaires pour obliger cette compagnie à remplir ses engagements.

MfFOµ. - Mon honorable collègue des travaux publics, qui est indisposé, m'a prié de déclarer à la Chambre, en réponse à l'interpellation que fait l'honorable membre, que la compagnie de Tamines à Landen, qui doit exécuter la section de Tamines à Fleurus, sera mise en demeure de remplir ses engagements et que des mesures énergiques seront prises pour qu'elle le fasse dans un bref délai.

Il m'a prié de dire également à la Chambre que la section du chemin de fer de Ramillies à Tirlemont sera mise en exploitation, au plus tard, à la mi-juin.

M. Jacobsµ. - L'élection de Nivelles approche.

M. Lelièvreµ. - Je dois insister de mon côté près du gouvernement pour qu'il force la compagnie du chemin de fer de Tamines à Landen à achever les travaux de l'embranchement de Geest-Gérompont à Namur. La compagnie est depuis longtemps en demeure de satisfaire à ses obligations sur ce point. Cependant sans cet embranchement la ville de Namur et une partie de son arrondissement sont privées des principaux avantages que devait leur procurer la construction de la voie ferrée dont il s'agit. Je ne puis donc assez recommander au gouvernement de veiller à l'exécution d'un travail d'utilité publique qui ne doit plus être différé.

Projet de loi autorisant le gouvernement à contracter un emprunt de 60 millions de francs

Discussion générale

MpVµ. - La parole est à M. Vleminckx. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Vleminckxµ. - J'en ai pour une demi-heure. Je suis à la disposition de la Chambre.

M. de Brouckere. - Je crois que l'honorable membre ne se propose pas de parler contre le projet ni même de demander aucune modification à son texte. Il comptait présenter des observations sur l'emploi à faire des 60 millions qu'on demande à emprunter.

Est-ce que l'honorable membre ne voudrait pas consentir à faire insérer son discours aux Annales parlementaires ?

- Plusieurs membres. - Non ! non !

MpVµ. - C'est une très mauvaise pratique que d'insérer au Moniteur des discours qui n'ont pas été prononcés. Les Annales parlementaires ne doivent renfermer que ce qui a été dit en séance.

M. Dumortier. - Il y a une question très sérieuse que M. Vleminckx veut soulever. Le projet qui nous est soumis a été présenté en vue de faire face aux dépenses militaires. L'honorable membre veut qu'il serve à autre chose. C'est là une question inhérente au projet de loi lui-même.

MfFOµ. - Voulez-vous me permettre de vous donner une explication ?

M. Dumortier. - Je vous cède la parole.

MfFOµ. - J'ai compris que les honorables membres qui viennent de prendre la parole, MM. Vleminckx et Dumortier, voulaient traiter devant la Chambre la question de savoir s'il ne serait pas nécessaire d'établir une réserve de guerre, et de maintenir constamment dans les caisses de l'Etat une certaine somme, pour parer aux éventualités qui pourraient se produire. (Interruption.) C'est bien là ce que veulent ces messieurs ; eh bien, je crois que cette question, dont je ne veux pas méconnaître l'importance, peut être traitée à une autre occasion qu'à propos du vote de l'emprunt ; cela est incontestable.

Je demande simplement la faculté d'emprunter, et il est encore incertain de savoir à quelle époque je ferai cet emprunt. Les mesures que j'ai dû prendre ont eu pour résultat de concentrer dans les caisses de l'Etat des sommes fort considérables. On aura donc parfaitement le temps de traiter cette question. Au surplus, on ne veut pas faire une réserve de 60 millions : ce que l'on voudrait, c'es tout au plus, je suppose, une réserve de 20 à 30 millions. Eh bien, cette réserve vous l'aurez tout entière à votre disposition, le jour où vous voudrez traiter cette question. Jusqu'à présent, il s'agit simplement de l'autorisation d'emprunter ; or, sur ce point, je ne pense pas qu'il y ait désaccord.

M. Coomans. - Je trouve que l'on veut simplifier beaucoup trop le régime parlementaire ; on en vient à nous engager à voter d'abord et à discourir ensuite. (Interruption.) Votez d'abord et on lira demain votre discours ! Votez d'abord, nous dit-on, et nous déciderons dans six mois ce qu'on fera de l'emprunt ! On nous demande 60 millions, applicables à (page 1080) quoi ? nous ne le savons pas. (Interruption.) Ce sont des bouches officielles qui l'ont dit.

Eh bien, c'est là une manière de procéder qui me répugne ; je veux plus que jamais qu'il y ait des strictes limites à des projets de ce genre, d'autant plus que M. le ministre des finances vient de déclarer que, même la Chambre présente, il dépense l'argent qui lui convient dès qu'il croit qu'il y a un intérêt national en jeu. Devant une pareille déclaration j'ai bien raison de dire qu'on simplifie par trop le régime parlementaire, car il n'y aura bientôt plus qu'à mettre les clefs de la Chambre sous la porte du ministère des finances. (Interruption.)

MfFOµ. - Je suppose que M. Coomans n'a pas compris la question qu'on devait agiter, sinon, il se serait abstenu des observations qu'il vient de présenter. La question n'est pas de savoir si l'on appliquera les 60 millions à faire une réserve de guerre ; on ne propose pas de décision sur ce point, on propose simplement d'examiner cette question. Or, j'ai demandé qu'on voulût bien ajourner cet examen à une autre occasion ; la question restera entière et dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui ; elle est d'ailleurs indépendante de l'emprunt ; on n'emprunterait pas, que la question pourrait être agitée et que l'on pourrait décider qu'il y aura une réserve de guerre. (Interruption.) J'admets qu'on pourrait la discuter à l'occasion de la loi d'emprunt ; mais je soutiens aussi qu'il n'y a pas de connexité nécessaire entre les deux objets.

Maintenant, on ne sait pas, dit M. Coomans, pourquoi l'on va emprunter. Si M. Coomans ne le sait pas, c'est qu'il n'a lu ni l'exposé des motifs du projet, ni le rapport de la section centrale. Que résulte-t-il de ces documents ? Que la Chambre et le Sénat, d'accord avec le gouvernement, ont voté 70 millions de dépenses jusqu'à présent ; la Chambre vient de voter 8,400,000 fr. qui, ajoutés aux 70 millions, font 78,400,000 fr.

M. Jacobsµ. - Sans compter les 7 millions...

MfFOµ. - Nous venons d'annoncer des crédits extraordinaires, qui sont du reste indiqués dans les mêmes documents, et qui sont estimés à environ 7 millions. Nous aurons donc 83,400,000 fr., indépendamment des autres crédits qui seront jugés encore nécessaires, car certainement nous vous en demanderons d'autres ! Voilà la situation. Si donc le gouvernement demande à la législature la faculté d'emprunter 60 millions, c'est afin de pouvoir faire face à des dépenses que la législature a votées.

C'est là, je crois, un compte bien clair, et vous comprenez bien aussi, messieurs, qu'il ne s'agit pas pour le gouvernement de dépenser sans contrôle, sans aucune espèce de considération pour les droits de la Chambre. Les droits de la Chambre, nous les avons respectés...

M. Coomans. - Allons donc !

MfFOµ. - ... et j'oserai dire que nous les avons respectés plus que vous. Mais en qualité de ministres chargés du pouvoir exécutif et de la défense de l'Etat, oui, il est des ressources que nous créerons, il est des dépenses que nous ferons sous notre responsabilité, sauf pour la Chambre à user de son droit, à nous blâmer, à nous renverser, à nous mettre en accusation si elle croit que nous avons manqué à nos devoirs.

Mais, nos devoirs, nous saurons les remplir. Certes, il serait infiniment plus commode pour nous de venir dire à la Chambre : Nous croyons telles dépenses nécessaires, et nous vous demandons de les sanctionner, la conviant ainsi à prendre sa part de responsabilité dans les mesures que nous croirons devoir décréter. Eh bien, nous comprenons autrement la mission du gouvernement, et si nous passons outre, ce ne sera jamais qu'en présence d'une impérieuse nécessité, et bien convaincus que nous devons agir ainsi dans l'intérêt du pays. Dans celle occurrence, nous sommes bien convaincus aussi que la Chambre et le pays ratifieraient notre conduite.

M. Orts. - Un mot seulement. J'ai demandé la parole uniquement pour faire remarquer à M. Dumortier que le projet actuel n'a aucune espèce de corrélation avec l'idée de créer une réserve de guerre, un trésor de l'Etat qui en temps de paix resterait enfermé dans une cave ou une citadelle quelconque d'où on ne le retirerait que le jour où l'on en aurait besoin. (Interruption.) Cela ne se rattache en aucune façon à la question de l'emprunt, et M. Dumortier le savait comme moi, puisqu'il a porté cette question au sein de la commission militaire qui, certes, n'avait pas à examiner le projet de loi d'emprunt. (Interruption.)

La question ayant été discutée par cette commission, elle reviendra devant la Chambre avec l'appréciation des travaux de la commission, lorsque le gouvernement nous soumettra ses projets d'organisation, La réserve de guerre, le recrutement, la défense nationale, les forteresses sont choses connexes. Nous les apprécierons en même temps.

L'emprunt que le gouvernement demande à pouvoir conclure est destiné à payer des dépenses votées par les Chambres. On n'en saurait rien distraire pour une destination à venir, comme la formation d'une réserve de guerre.

Il faut bien donner au ministre des finances le moyen de payer les dettes contractées en exécution de voles du Parlement.

M. Vleminckxµ. - Mon intention n'est nullement d'empêcher le gouvernement de payer les dettes qu'il a contractées. Mais la question n'est pas là. Déjà avant qu'elle eût été agitée dans la grande commission militaire dont l'honorable M. Orts fait partie, elle avait été produite dans les sections de cette Chambre. Ce n'est que postérieurement qu'elle a été portée de cette Chambre à la commission.

La question est celle-ci. Dans le rapport de la section centrale, il est dit que toutes les sommes qui ne seront pas appliquées au service de l'armée seront dépensées en travaux publics.

Eh bien, je le demande à l'honorable ministre des finances lui-même, est-il vrai, oui ou non, que s'il n'y avait pas eu de dépenses à faire pour l'armée, il ne nous eût pas proposé un emprunt de 60 millions, ni même d'une partie de ces 60 millions pour faire des travaux publics ?

N'était-il pas entendu que tous les travaux qui avaient été votés seraient payés sur les excédants des budgets et non par l'emprunt ?

Eh bien, ce que je voulais démontrer, c'est qu'il fallait continuer à faire ces travaux, sur les excédants de budgets, et garder ce qui restera disponible de l'emprunt pour constituer ce que j'appelle une réserve de guerre.

Maintenant, c'est à la Chambre à décider. Je discuterai la question quand elle le jugera convenable, mais elle se rattachait évidemment au projet d'emprunt qui nous est soumis.

M. Dumortier. - Je ne puis laisser sans réponse ce que vient de dire l'honorable Orts ; car on pourrait donner à ma pensée une couleur très fausse.

L'honorable membre prétend que nous voulons qu'une somme de 30 millions, par exemple, repose dans une caisse sans produire d'intérêts. Cela est complètement inexact ; ce que nous voulons, c'est que l'on ait toujours des fonds disponibles pour le cas de danger, et il est des moyens, qu'il est inutile d'énumérer ici, de les avoir.

Quant à moi, je déclare qu'il me serait impossible de voter l'emprunt proposé, si cet emprunt n'avait pas pour but de créer une réserve militaire. Et le motif en est très simple. Ainsi que vient de le dire avec raison l'honorable M. Vleminckx, sans la question militaire, on ne serait pas venu demander l'emprunt.

Les travaux qui ont été votés devaient être payés sur les excédants des budgets et non par voie d'emprunt, et c'est ainsi qu'on doit les payer. Si l'emprunt n'a pas pour destination d'amortir une partie des bons du trésor et de constituer une réserve pour le cas de danger, je le répète, il ne pourrait avoir mon assentiment.

Je pense que cette réserve est indispensable. Nous sommes dans des circonstances telles que la Belgique ne peut pas s'exposer à avoir une armée qu'elle ne puisse payer.

M. Vermeireµ. - Je croyais que la question de la réserve militaire restait entière pour être examinée dans un autre moment.

En ce qui me concerne, je suis fortement opposé à ce qu'il y ait une réserve spéciale pour le cas de guerre, réserve à laquelle on ne pourrait pas toucher.

Je crois qu'il doit être entendu que nous discuterions cette question en temps et lieu, et qu'elle ne se lie pas à l'emprunt qu'il s'agit d'autoriser.

MpVµ. - Nous revenons à la discussion du projet d'emprunt.

- Des membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non ! non !

MpVµ. - Je consulte la Chambre pour savoir si elle veut remettre à demain.

- La Chambre consultée décide qu'elle ne remet pas la discussion à demain.

MpVµ. - En conséquence, la séance continue.

- Des membres. - Une séance du soir.

M. Jacobsµ. - Je propose de remettre la discussion à ce soir.

M. Wasseige. - Je demande à dire un mot pour expliquer le vote de la Chambre.

M. le président nous a posé ainsi la question : que ceux qui ne veulent pas la remise à demain se lèvent, et nous nous sommes levés, Mais ce (page 1081) n'est pas à dire que nous voulions que la séance continue actuellement et je propose une séance du soir.

- La proposition d'avoir une séance du soir est mise aux voix et adoptée.

MpVµ. - En conséquence, la discussion continuera ce soir.

- La séance est suspendue. Il est cinq heures et un quart.

La séance est reprise à huit heures et un quart.

MpVµ. - Nous reprenons la discussion générale du projet de loi autorisant un emprunt de 60,000,000 de francs.

M. Vleminckxµ. - Le projet d'emprunt soumis à nos délibérations a été accueilli par toutes les sections de cette Chambre avec le plus patriotique empressement. Il n'en pouvait être autrement. II s'agissait de défense nationale, de ses nécessités impérieuses et incontestables. Un gouvernement qui eût négligé de préparer les ressources indispensables pour parer aux éventualités redoutables qui s'annonçaient, eût manqué au premier de ses devoirs.

La Chambre n'hésitera donc pas, j'en suis convaincu, à donner son approbation au projet de loi qui lui est proposé, et ce n'est pas à coup sûr pour le combattre, que j'ai cru devoir demander la parole ; mais il m'a paru que c'était l'occasion de vous présenter, sur la situation qui nous est faite, quelques observations qui sont pour ainsi dire d'actualité.

Tous tant que nous sommes, messieurs, à toutes les époques de notre vie nationale, nous avons pu faire la remarque, que lorsqu'une crise politique un peu intense se produit en Europe, force est à la Belgique de se garer contre ses effets, et de ne rien négliger pour maintenir cette forte et loyale neutralité que vos déclarations énergiques ont maintes fois affirmée.

Ce qui constitue, dans les temps de calme et de tranquillité, notre plus grand avantage et une source intarissable de prospérité et de richesse, à savoir, notre position au centre du continent européen, devient aussi, en cas de perturbation, un motif d'appréhension et d'incertitude et nous commande de prendre toutes les mesures propres à défendre et à sauvegarder notre autonomie.

La conséquence la plus claire d'un pareil état de choses, c'est que le trésor doit toujours être prêt à pourvoir aux nécessités qu'impose le soin de veiller à notre sûreté.

Or, nous avons pu constater que malheureusement il n'en était pas toujours ainsi ; et il doit nous être permis de prévoir telle éventualité où nous nous trouverons hors d'état de nous opposer avec succès à cette invasion soudaine que nous laisse entrevoir dans son rapport l'honorable M. De Fré, ou dont il admet tout au moins la possibilité.

A partir du jour où nous avons recouvré notre indépendance, nous avons montré, toutes les fois que nous pouvions nous croire menacés, notre inébranlable volonté de la maintenir et de la défendre. Nous avons consacré à cette démonstration des sommes fabuleuses ; l'entretien d'une armée permanente nous occasionne des dépenses énormes ; nous avons fait construire celle magnifique forteresse d'Anvers, destinée à devenir, s'il le faut, le boulevard de notre indépendance ; nous avons perfectionné et nous perfectionnons encore à grands frais l'armement de notre artillerie et de notre infanterie ; rien, en un mot, n'est omis par nous, pour ne devenir jamais la proie de l'étranger. Et pourtant, messieurs, il ne faut pas se faire illusion, tout cela n'aura servi à rien et nous aurons fait de folles et d'inutiles dépenses, si, au moment suprême, nos caisses sont vides et nos ressources financières épuisées. Dans cette épouvantable hypothèse, quelque grands qu'aient pu être nos sacrifices pendant de longues années, tout serait perdu, même l'honneur.

L'exposé des motifs de la loi que nous discutons nous apprend que si la paix est maintenue, et elle l'est heureusement, nos ressources accumulées seront affectées à l'exécution plus rapide des travaux décrétés par la législature. Il m'est impossible de souscrire entièrement à une déclaration aussi absolue, non pas, entendons-nous, que je ne désire pas, comme vous tous, l'extension des travaux publics qui diminuent la charge du travail et contribuent puissamment au développement du commerce et de l'industrie, mais parce qu'un intérêt supérieur à celui-là me paraît exiger un peu plus de retenue.

Messieurs, vous vous le rappelez (et cela résulte d'ailleurs de l'exposé de la situation du trésor au 1er janvier de cette année, rappelée dans le rapport de la section centrale), nous ne possédions au 31 décembre qu'une réserve de 8,816,735 fr. 67 c., tandis que les engagements résultant de crédits spéciaux encore ouverts s'élevaient, à la même époque, à la somme énorme de 70,784,892 fr. 26 c.

En réunissant toutes nos ressources, tant celles existantes que celles que nous allons créer, c'est à peine si nous arriverons à acquitter cette dette immense, après avoir soldé les dépenses que nécessiteront notre nouvel armement et quelques autres encore que le département de la guerre a jugé utile de faire dans les circonstances où nous nous sommes trouvés et dont il a été question ce matin.

Je sais bien que ces 70,000,000 ne doivent pas être dépensés immédiatement, mais il est incontestable pour moi qu'ils s'en iront tous et vite, et avec eux encore tous les excédants de nos futurs exercices, car les travaux ne manquent jamais ; il y en à, il y en aura toujours de nouveaux, et je m'empresse d'ajouter d'utiles et de fructueux.

D'où résulte, en dernière analyse, que si dans un avenir plus ou moins éloigné, une perturbation nouvelle nous met en face de dangers nouveaux (et il n'y a pas qu'un Luxembourg en Europe), nous retomberons dans les mêmes embarras et les mêmes difficultés.

Oh ! je sais bien ce qu'on va me répondre : « Nous emprunterons comme nous venons de le faire ; ce n'est pas plus difficile que cela. »

C'est clair, vous emprunterez, car il vous répugnera d'imposer à la dernière heure des charges nouvelles, toujours si difficiles à supporter en temps de crise, ainsi que vous le dites vous-mêmes, mais je vous avoue que ce projet ne me rassure pas entièrement.

Personne n'a plus que moi confiance dans la haute intelligence et la rare habileté de notre honorable ministre des finances, et je me joins volontiers à la section centrale, pour rendre hommage au grand service qu'il vient de rendre encore une fois au pays, en pourvoyant avec une grande célérité aux nécessités de la crise que nous venons de traverser ; mais qui nous dit qu'il sera toujours aussi heureux ? Qui nous dit que, pris à l'improviste, il ne sera jamais placé dans une situation telle, que le recours à l'emprunt lui sera pour ainsi dire interdit, et qu'il faudra bien de toute nécessité frapper le pays de ces impôts extraordinaires dont je vous parlais tout à l'heure, impôts si mal venus en tout temps, mais plus spécialement en temps de trouble, et qui d'ailleurs ne rentrent jamais assez tôt pour nous tirer complètement d'affaire et sur l'heure ?

Il ne m'est pas démontré, quoi qu'en puisse dire la section centrale, qu'un ministre, si bon qu'il soit, trouvera toujours en tout temps les ressources nécessaires à la défense nationale. Et puis, en aurons-nous toujours un habile ? Il me semble que le temps n'est déjà pas si loin où nos ressources nous faisant tout à fait défaut, d'urgents besoins commandaient de recourir à d'assez tristes expédients, rien que pour assurer la marche régulière des services ordinaires.

Ce n'est pas tout.

Nous avons réussi à parer, sans trop d'encombre, aux premières exigences de la défense, mais il faut tout prévoir ; la lutte continue. Quels que soient la vaillance et le patriotisme de nos soldats, le sort nous est contraire ; nous sommes obligés de nous réfugier sous les murs d'Anvers ; (page 1082) famille royale, gouvernement, chambres, armée. Que devient là, s'il vous plaît, la résistance, si elle ne peut être soutenue longuement et énergiquement ? Et comment cela sera-t-il possible, si nous n'avons pas les caisses bien garnies ? Le pays est envahi, l’ennemi s’est emparé de nos recettes, le recouvrement des impôts nous est interdit ! Emprunterons-nous encore ? Mais à quoi ? Rappelons-nous ce distique latin si sensé et non moins vrai dans la politique que dans la vie privée : »

« Donce cris felix, multos nunurabis amicos,

« Tempora si fuerint nubila, solus eris. »

Et dans cette situation, à quoi nous servira d'avoir érigé, à si grands frais, ce redoutable boulevard qui doit nous sauver ? Mais il tombera, il tombera même misérablement, et tout cela, parce que vous n'aurez pas pris, lorsqu'il en était temps encore, les précautions nécessaires pour n'être jamais dépourvus des ressources que peut exiger une défense prolongée et énergique.

Messieurs, il n'y a pas de milieu pour moi, ou il faut renoncer à entretenir une armée permanente pour des éventualités de guerre, ou il faut vous déterminer à créer une situation financière qui la mette en état, dans quelque position qu'elle se trouve, de remplir efficacement son devoir.

On ne fait d'ailleurs ni guerre offensive, ni guerre défensive, avec de chances favorables, sans y être suffisamment préparé en toutes choses, et c'est une dangereuse erreur de croire qu'on puisse l'être du jour au lendemain.

Un général des plus distingués, d'une autorité incontestable, un disciple de l'illustre maréchal Bugeaud, le général Trochu vient d'écrire sur tout cela des pages pleines d'intérêt et dont je demande à la Chambre la permission délire quelques extraits. « La préparation consiste d'abord, dit l'honorable général, à organiser solidement tant en principal qu'en accessoires, les troupes destinées à entrer les premières en ligne et les troupes destinées à les appuyer (C'est par là qu'on s'assure, dans la mesure du possible, la chance de ces premiers succès dont j'ai fait ressortir ailleurs l'importance capitale, qui créent ce qu'on appelle le moral de l'armée et préjugent souvent le résultat de la campagne en cours) ; à discuter les extensions probables ou seulement possibles, avec ses hauts et ses bas inévitables, à tout disposer quant aux personnes et aux choses pour faire face à ces extensions ; à accumuler les approvisionnements sur certains points ; à échelonner les ressources d'hommes, de matières, d'argent ; à préparer, dans certaines conjonctures, l'esprit public à des sacrifices inattendus, en un mot, à prévoir et à tout organiser en vue des prévisions admises. »

Et ailleurs, énumérant les causes des succès de la Prusse dans sa dernière campagne, il ajoute : « C'est le mérite et la fortune de la Prusse en 1866, comme autrefois au temps du grand Frédéric, d'avoir prévu cette évolution de voies et moyens de la guerre, d'en avoir étudié très attentivement les conditions pendant une longue paix, de les avoir trouvées pour la plupart, d'en avoir fait opportunément et résolument l'application. » Et parmi ces moyens, l'éminent général indique en première ligne les réserves d'argent, c'est-à-dire des finances prêtes aux efforts qui doivent être entrepris.

Enfin, dans son dernier chapitre intitulé Réorganisation de l'armée, je lis ce qui suit :

« La réorganisation de l'armée, celle que je crois vraiment féconde et qui justifierait les sacrifices à demander pour elle au pays, reposerait sur des bases différentes de celles qu'on semble vouloir lui donner. Avant de les énumérer, je rencontre l'obligation à laquelle n'avait pu échapper le conseil supérieur de la guerre, quand il donnait au gouvernement de la Restauration les avis que j'ai rappelés au commencement de ce livre. Il avait dû supposer que la France, abjurant l'esprit de conquête, entendait toujours être en mesure de faire les guerres nécessaires.

« Je pose ici les mêmes prémisses, avec une liberté d'esprit d'autant plus entière, que le gouvernement de l'empereur, dans des actes politiques considérables, anciens et récents, a fait à cet égard les déclarations les plus formelles. J'admets donc que la France, satisfaite de la grande situation qu'elle a, s'appuie dans sa fore», sans arrière-pensée, sur son épée remise au fourreau.

« Ce principe établi, les quatre propositions suivantes sont les assises fondamentales de tout le système :

« Première proposition : Avoir des réserves d'argent ;

« Deuxième proposition : Entretenir en état de disponibilité permanente les corps spéciaux (artillerie, génie, cavalerie relativement) ;

« Troisième proposition : Préparer un bon matériel de guerre (c'est-à-dire avoir en service dans les corps et en réserve dans les arsenaux, un approvisionnement d'armes et de matériel, répondant, par suite de renouvellements opportuns, à toutes les conditions de perfectionnement que la guerre réclame ;

« Quatrième proposition : Constituer des cadres solides, numériquement et en qualité (pouvant recevoir, former et envoyer successivement ceux armées, lésinasses dont l'appel serait nécessaire). »

Vous venez de l'entendre, messieurs : « Première proposition : des réserves d'argent ». C'est en vain que l'on m'objecterait que ces réserves sont inutiles aux pays neutres, qui n'ont pas, comme le dit le rapport de la section centrale, à conduire au jour marqué des bataillons dans les pays voisins.

Dans la dissertation dont je viens de vous lire quelques pages, il ne s'agit pas le moins du monde de cela, puisque son savant auteur approprie l'organisation à un pays satisfait de sa situation et s'appuyant, dans sa force, sans arrière-pensée, sur son épée remise au fourreau.

Dans cet ordre d'idées, il n'y a pas de différences à établir entre les pays qui sont neutres et ceux qui ne le sont pas, et s'il y en a, elles sont bien plutôt au préjudice des premiers. Lorsque la section centrale insinue que des devoirs différents incombent aux uns et aux autres, c'est de sa part illusion et fantaisie pure. Elle affirme, mais elle ne prouve rien ; or, une affirmation est ici complètement insuffisante, et j'avoue, même ne pas comprendre, qu'après avoir proclamé bien haut qu'un pays neutre doit être armé et armé sérieusement, elle n'ait pas jugé indispensable de l'assujettir du même coup au quatre conditions fondamentales d'une bonne organisation, sans en excepter une seule, si parfaitement résumées dans l'écrit du général français.

Je ne puis donc consentir au projet arrêté par le gouvernement et approuvé par la section centrale d'affecter à des travaux publics l'intégralité de nos ressources accumulées, sans garder une réserve pour des éventualités malheureuses.

Je sais bien que je vais rencontrer ici des adversaires redoutables et nombreux, quoique (permettez-moi de vous le dire en passant) le général Trochu n'ait pas rencontré dans son pays un seul économiste qui ait combattu son livre, dont le succès a été immense.

Quoi ! va-t-on me dire, vous voulez stériliser des capitaux, vous assurer par de grosses primes contre les désastres d'une invasion ! Quelle étrange erreur est la vôtre, et quelle détestable opération financière vous allez faire là ! La science la condamne, le bon sens la réprouve.

Mon Dieu,, messieurs, je me suis fait à moi-même ces observations, et j'avoue sincèrement que je ne suis pas parvenu à me convaincre. « Je vais stériliser des capitaux. » Je le sais bien, mais l'objection est étrange, au moins de la part de ceux qui ont stérilisé et qui stérilisent encore, des sommes colossales pour la création de la forteresse d'Anvers, pour notre armement, pour l'entretien d'une armée permanente. Qu'est-ce donc que tout cela, messieurs, sinon des primes contre (erratum, page 1100) la violation de notre neutralité ? Forteresse d'Anvers, prime ; armement, prime ; établissements militaires de tout genre, prime ; prime encore d'entretien d'une armée permanente.

Eh bien, à toutes ces primes je demande, moi, qu'on en ajoute une autre, la plus indispensable, la première de toutes, suivant le général Trochu, et sans laquelle les autres ne sont rien ou presque rien, puisqu'elles ne nous empêcheraient pas de périr misérablement. Je n'ignore pas qu'une armée et des forteresses ne s'improvisent pas et qu'il faut par conséquent les préparer longtemps à l'avance ; mais êtes-vous bien certains que vous improviserez toujours l'argent ; que vous trouverez toujours sur l'heure des ressources immédiatement indispensables ? Que l'on me prouve, mais que l'on me prouve à toute évidence qu'il en sera toujours ainsi, que nous serons toujours en mesure, financièrement parlant, de résister énergiquement et jusqu'à la dernière heure ; que nous ne serons jamais surpris par les événements et dans l'impossibilité de mettre efficacement en œuvre tous nos moyens de défense, oh ! alors je vous accorderai tout ce que vous voulez. J'aime et j'apprécie les travaux publics autant que quiconque ; et je ne désire pas mieux que de me laisser convaincre ; mais si vous n'avez à m'opposer que de simples affirmations, si vous n'avez à vous appuyer que sur des probabilités qui peuvent ne pas se réaliser, oh ! alors je ne suis plus rassuré, mes inquiétudes ont des raisons d'être et je me crois obligé de résister. Je mets le salut de mon pays au-dessus de toute autre considération.

(page 1083) En résumé, messieurs, je ne demande qu'une chose, c'est que l'on ne défense pas toutes nos ressources ; c'est que, comme on dit vulgairement, nous gardions une bonne pomme pour la soif et nous on aurons besoin. Cela vous paraît-il si exagéré ? Si mes renseignements sont exacts, la commission chargée de l'examen des questions qui se rattachent à la réorganisation de l'armée a émis tout récemment un vœu de même nature. Déjà l'honorable M. Dumortier et moi nous l'avions exprimé au sein de la quatrième section. Je ne suis donc pas heureusement seul de mon avis.

Faut-il craindre qu'en supposant qu'on parvienne à réunir des ressources, on ne les garde pas et qu'on soit toujours tenté d'y toucher et même de les épuiser ? Messieurs, je n'ai pas cette défiance extrême des Chambres législatives ; sages et prudentes, elles ne perdront jamais de vue que gouverner c’est prévoir, et, faute de prévoyance, elles ne risqueront pas de compromettre, de perdre peut-être pour tout jamais le précieux héritage que nous devons, que nous pouvons léguer à nos enfants, une patrie et la liberté !

MpVµ. - M. Le Hardy de Beaulieu s'excuse de ne pouvoir assister à la séance de ce soir.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, lorsque, il y a un mois, le gouvernement déposait sur le bureau de la Chambre un projet de loi l'autorisant à contracter un emprunt de 60 millions, une approbation à peu près unanime accueillit cette mesure. Nous comprenions tous qu'il faut savoir placer au même rang les devoirs du patriotisme et les charges qui, dans les circonstances exceptionnelles, n'en sont que la conséquence «t l'application.

Le gouvernement invoquait, en effet, à l'appui de ce projet de loi, des éventualités redoutables, profondément menaçantes la veille encore, et qui, en ce moment, n'avaient pas cessé de l'être.

Il ajoutait que si ces éventualités venaient à disparaître, les fonds obtenus par voie d'emprunt trouveraient dans les travaux publics un fécond et utile emploi.

Aujourd'hui, messieurs, la situation s'est complètement modifiée, et je me félicite, pour l'honneur de mon pays, que la Belgique, qui n'aurait reculé devant aucun sacrifice dans le cas d'une terrible conflagration, a aussi compris le véritable rôle qui lui est assigné parmi les Etats modernes, en siégeant à Londres pour la première fois dans le conseil des puissances européennes, non pas pour garantir des traités et des engagements au risque d'être entraînée hors des bornes de sa neutralité, mais pour s'associer à des paroles d'apaisement et de réconciliation. Antique berceau de l'industrie et des arts, il lui appartenait d'invoquer, au milieu des nations qui l'entourent, des intérêts bien supérieurs à ceux dont peuvent s'étayer des rivalités et des jalousies passagères, ces grands et éternels intérêts de l'émulation et du travail dans la carrière de la civilisation et de la paix. Mais, qu'il me soit surtout permis de faire remonter aussi haut que se porte ma pensée, jusqu'au faîte des pouvoirs constitutionnels, jusqu'au trône, cette gloire, qui restera gravée dans l'histoire, d'avoir si noblement interprété la mission politique de la Belgique, d'avoir veillé avec tant de sollicitude à sa tranquillité et à son indépendance, d'avoir exercé si efficacement en son nom cette influence modératrice et conciliatrice, la seule que la Belgique puisse revendiquer, la seule qu'elle ambitionne, car c'est à la fois la plus belle tradition de son passé et la base la plus durable de son avenir.

- Plusieurs membres. - Très bien.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je tiens à ne pas m'appesantir sur des éventualités qui, heureusement, se sont éloignées de nous.. Cependant, je ne puis complètement passer sous silence une phrase de l'exposé des motifs qui a été reproduite, commentée, développée par l'honorable rapporteur de la section centrale, et qui pourrait donner lieu à de graves et difficiles discussions. Je trouve dans cette phrase une allusion à ce que les puissances étrangères ont pu exiger ou peuvent exiger pour que la Belgique maintienne une neutralité loyale et forte ; c'est l'expression dont se sert l'exposé des motifs.

Je ne sais si des injonctions ont été faites, et en cas d'affirmative, dans quelles limites elles peuvent avoir eu lieu. Je ne pose à cet égard aucune question. Mais puisque l'honorable rapporteur de la section centrale a développé les idées qui s'y rapportent et a tracé en quelque sorte tout un système d'armement et de défense nationale, je ne puis m'empêcher de faire des réserves à ce sujet. Ce n'est pas au moment où la Chambre va se séparer, ce n'est pas au dernier jour de la session, qu’il est possible d'entamer une discussion approfondie à cet égard. Je me borne donc, tant pour les Chambres que pour moi, à faire des réserves quant aux jugements différents, que nous pourrions porter sur l'application de ces idées et de ce système.

MfFOµ. - C'est une appréciation de nos devoirs par nous-mêmes.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je lis dans l'exposé des motifs : « La guerre a paru imminente entre deux grandes nations nos voisines, ayant un égal intérêt à avoir la preuve indubitable que la Belgique, fidèle aux devoirs qui lui sont prescrits par son propre intérêt tout autant que par les traités, ne reculerait devant aucun sacrifice pour maintenir une neutralité loyale et forte. »

Eh bien, je ne veux pas m'arrêter sur ce point ; je ne cherche pas à savoir si les grandes puissances voisines, dans les circonstances graves que nous avons traversées, ont insisté auprès de nous pour tracer à notre neutralité tels ou tels devoirs, tel ou tel caractère...

MfFOµ. - Nous avons été seuls juges et seuls appréciateurs.

M. Delaetµ. - Donc il n'y a pas eu de pression diplomatique.

M. Kervyn de Lettenhove. - Cependant je remarque que l'honorable rapporteur de la section centrale a développé les idées du gouvernement à cet égard et comme je crois que la Chambre en ce moment n'entend pas se livrer à une discussion approfondie, discussion dont l'occasion se présentera plus naturellement lorsque nous serons saisis de l'examen de la réorganisation de notre établissement militaire, je me borne à faire des réserves sur ce point et je continue.

Messieurs, comme j'avais l'honneur de le dire tout à l'heure, le projet de loi que le gouvernement a soumis à la Chambre avait un double caractère, d'abord un caractère d'urgence, qui était attaché aux circonstances au milieu desquelles il a été déposé. Subsidiairement dans le cas où ces circonstances seraient écartées, il avait pour but l'application d'une grande partie des fonds de l'emprunt à des travaux d'utilité publique.

Je comprends jusqu'à un certain point le langage de M. le ministre des finances, quand dans des circonstances graves, plaçant sa responsabilité au niveau de ces circonstances, il réclame pour le cabinet un bill d'indemnité ; je comprends que dans cette situation l'emprunt devait conserver un caractère tout spécial, qui excluait des explications imprudentes. Cependant, je ne puis pas admettre complètement ce silence prolongé. Je crois, au contraire, que dans le gouvernement d'un pays libre, il y a, en cas de circonstances graves, une nouvelle force pour le pays, lorsque le pouvoir s'est mis complètement d'accord avec la représentation nationale.

Mais à côté de ce caractère d'urgence, à côté de cette destination des fonds de l'emprunt à des éventualités redoutables, qui sont aujourd'hui heureusement dissipées, il y a une autre destination dans laquelle le gouvernement se félicite, comme nous, de rentrer : c'est la destination des fonds de l'emprunt à l'exécution de travaux d'utilité publique dans la plus large mesure possible. Et ici je ne comprends plus la réserve et le silence du gouvernement.

Nous ne pouvons pas nous empêcher de remarquer qu'un emprunt de 60 millions est toujours, au point de vue financier, une chose grave. Il y a à peine deux ans que dans cette même enceinte nous votions également un emprunt de 60 millions ; et cette fois le gouvernement avait eu soin de nous faire connaître de la manière la plus précise la destination de cet emprunt. Il s'agissait, vous vous en souvenez, messieurs, de travaux considérables, de l'assainissement de la Senne, du Palais de Justice de Bruxelles, des travaux de la Vesdre, du chemin de fer de Bruxelles à Louvain, et de bien d'autres travaux encore.

Eh bien, lorsque au bout de deux années, nous nous trouvons en présence de la nécessité d'un nouvel emprunt, quelque sympathie que la Chambre éprouve pour l'exécution de travaux publics, quel que soit notre désir de venir en aide à tout ce qui peut augmenter la prospérité du pays, il me semble toutefois que la Chambre a un devoir à remplir ; c'est de demander au gouvernement des explications plus précises sur la quotité des fonds de cet emprunt de 60 millions qui sera appliquée aux travaux publics, dans quelles mesures et dans quel temps cet emploi aura lieu et enfin quels seront les travaux auxquels ces fonds seront tout d'abord affectés.

Il y a là une question qui intéresse la représentation nationale, les députés de toutes les provinces, de tous les districts, et j'espère que le (page 1084) gouvernement voudra bien nous donner à cet égard des explications plus complètes.

Maintenant, en ce qui concerne les observations présentées tout à l'heure, par un honorable préopinant, je n'hésite pas à dire qu'il me serait impossible de m'y rallier. Immobiliser une partie de la richesse publique est toujours une chose regrettable. Il est conforme à toutes les notions de l'économie politique de favoriser et d'activer autant que passible la circulation des capitaux, et il ne faut pas perdre de vue qu'augmenter la fortune publique d'un pays, c'est en même temps développer sa puissance, et que les nations les plus prospères sont aussi les plus patriotiques.

M. de Fré, rapporteurµ. - Messieurs, comme rapporteur de la section centrale, j'ai été chargé de justifier le projet de loi. Il a fallu soutenir cette théorie, qu'un pays neutre devait être armé.

Si un pays neutre ne devait pas s'armer contre les éventualités redoutables dont parle M. le ministre des finances dans son exposé des motifs, la conduite du gouvernement ne s'expliquait pas ; de sorte que la théorie développée dans mon rapport était la justification de la conduite du gouvernement.

La théorie que j'ai développée dans mon rapport était logiquement commandée par les faits et je ne comprends pas comment l'honorable M. Kervyn, aux sentiments élevés duquel je rends toujours hommage, a trouvé qu'il y avait une contradiction entre l'exposé des motifs et le rapport de la section centrale.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai pas dit qu'il y avait contradiction ; j'ai dit, au contraire, que votre rapport développait l'exposé des motifs.

M. De Fréµ. - Eh bien, ce développement était un développement logiquement amené, car, je le répète, si la Belgique ne devait pas s'armer contre des éventualités redoutables, la conduite du gouvernement de se justifiait pas.

La section centrale a approuvé la conduite du gouvernement, elle n'a eu pour lui que des éloges, parce que, dans ces circonstances difficiles, il avait trouvé les moyens qui permettaient au pays de remplir ses devoirs de neutralité. Si les éventualités que le gouvernement redoutait ne sont plus à prévoir, les fonds qu'il a recueillis sont destinés à des travaux publics.

La section centrale a exprimé le vœu que les travaux publics qui seraient exécutés fussent d'abord les travaux dont la Chambre a déjà voté l'exécution, et aujourd'hui M. le ministre des finances vous a rappelé que le chiffre de ces travaux est supérieur au chiffre de l'emprunt.

Je dois dire un mot à la Chambre sur la question qui a été soulevée par l'honorable M. Vleminckx.

On avait d'abord demandé dans la quatrième section que les 60 millions, s'ils n'étaient pas appliqués aux nécessités de la guerre, formassent un fonds de réserve pour la défense nationale.

Les deux membres qui avaient fait cette proposition l'ont modifiée et ont demandé qu'il y eût une réserve soit de 20 soit de 30 millions.

La section centrale a examiné cette question et elle a repoussé cette proposition à l'unanimité, parce que ceux qui parlent d'une réserve pour la défense du pays comparent la Belgique à des pays militaires qui rêvent la conquête.

M. Vleminckxµ. - Du tout !

M. Dumortier. - C'est précisément parce qu'il y a des pays qui rêvent la conquête, que nous devons pouvoir nous défendre.

M. De Fréµ. - L'autorité qui a été invoquée par l'honorable M. Vleminckx appartient à un pays qui fait des conquêtes depuis quinze ans et dont l'esprit conquérant en dernier lieu a été contenu par un urgent besoin de paix que le congrès de Londres a sanctionné.

La Belgique, messieurs, doit être armée et pour me servir des expressions de l'honorable ministre des finances, lorsque des éventualités redoutables se présenteront, la Belgique trouvera toujours les moyens, sans cette réserve, d'y faire face. Cette réserve que vous demandez et qui serait un capital stérile, le gouvernement l'a trouvée dans des circonstances difficiles.

Le gouvernement grâce à son habileté, grâce à sa vigilance, a fait entrer dans la caisse de l'Etat 66 millions, et avec ces 66 millions qu'il a demandés aux ressources du pays et aux ressources du trésor, il a créé une réserve. Et pourquoi, dans des circonstances identiques, le gouvernement ne trouverait-il pas une réserve pareille ?

Messieurs, est-il possible qu'un pays comme la Belgique se trouve à la merci d'une armée étrangère dans les 24 heures ? Mais vous voyez vous-mêmes quels immenses préparatifs les puissances qui se disposent à la guerre, sont obligées de faire.

M. Vleminckxµ. - Vous parlez vous-même dans votre rapport d'une invasion soudaine.

M. De Fréµ. - Messieurs, il se peut que, quand une guerre éclate entre deux grandes puissances, il y ait une invasion soudaine, parce que l'une ou l'autre de ces puissances pourrait avoir intérêt à prendre position dans un pays neutre ou bien pour tomber plus vite sur ses adversaires ou pour prendre une position avantageuse sur l'adversaire qu'il combat. Mais les grandes guerres n'arrivent qu'après de longs préparatifs et vous avez vu combien dans les pays voisins on a pris de temps pour se préparer à la guerre.

Lorsqu'une guerre doit éclater, tout le monde le sait ; grâce à la publicité dont ces préparatifs sont entourés, la Belgique aura toujours le temps de se créer la réserve dont elle aurait besoin.

D'un autre côté, en admettant que le gouvernement ne trouvât pas par lui-même, dans de pareilles circonstances, les ressources nécessaires pour faire face à une position dangereuse, est-ce que le pays ne s'empresserait pas de fournir au gouvernement les ressources dont il au ait besoin ?

II y a en Belgique un trop grand amour de nos institutions, il y a en Belgique un trop grand besoin d'indépendance nationale, pour que le gouvernement ne trouvât pas, en faisant un appel au pays, tout ce qu'il lui faudrait pour se défendre contre une invasion.

Voilà les motifs pour lesquels la section centrale n'a pas admis l'idée d'une réserve pour la défense nationale. Ce serait un capital stérile et la Belgique se trouve dans une situation assez heureuse, le fait actuel le prouve, pour que toujours le gouvernement trouve sous sa main les sommes indispensables au maintien de la défense du pays.

Aujourd'hui, toutes les éventualités se sont dissipées, le ciel s'est éclairci, la guerre est éloignée pour longtemps, et la section centrale prend acte de la déclaration du gouvernement que les fonds seront employés à des travaux d'utilité publique. C'est dans cette pensée que la section centrale a voté le projet de loi à l'unanimité.

M. Davidµ. - L'idée de l'honorable M. Vleminckx, de former une réserve de guerre, lui est certainement dictée par un sentiment de patriotisme ; mais elle est aussi antiéconomique, que son exécution serait fatale au pays. Elle n'est exécutable que dans un pays où l'on vit le casque en tête et l'épée au côté, et où l'on dort le fusil à aiguille au chevet de son lit, avec un canon rayé pour oreiller.

Comment ! après avoir enlevé toutes les forces vives à l'agriculture, à l'industrie et au commerce par la conscription, vous viendriez encore lui prendre un capital de vingt à trente millions pour le laisser reposer improductif dans les caisses de l'Etat, probablement pendant une longue série d'années !

Ce serait enrayer la marche et l'extension de l'agriculture, de l'industrie et du commerce, et personne ne niera que l'argent fructifie infiniment mieux dans la poche du contribuable que dans les caisses de l'Etat.

Les événements de 1848 nous démontrent qu'en cas de danger sérieux, le pays est prêt à fournir toutes les ressources nécessaires au gouvernement. A cette époque, il y a eu empressement à payer les emprunts forcés ; pourquoi n'en serait-il plus de même à l'avenir ?

Si M. le ministre des finances pouvait partager l'opinion de l'honorable M. Vleminckx, à propos de la question que je viens de traiter, je serais obligé de voter contre la loi, mais ses principes économiques me sont trop bien connus pour que je ne sois pas convaincu qu'il la condamne au contraire.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis laisser sans réponse le discours de l'honorable rapporteur. Il m'est impossible d'admettre le principe qu'il a posé, car, pour moi, j'ai la conviction profonde que si vous n'avez point, dans la situation actuelle de l'Europe, une réserve métallique, toujours disponible en cas de nécessité, il vaut beaucoup mieux supprimer votre année.

Napoléon, qui se connaissait en guerre, disait toujours qu'il fallait deux choses pour faire la guerre : des hommes et de l'argent. Eh bien, vous aurez beau avoir une armée parfaitement organisée, des soldats nombreux, si vous n'avez pas le moyen de payer votre armée, si vous n'avez pas le nerf de la guerre, vous ne pourrez rien faire.

Quelle est la situation qui est faite à l'Europe ? Il ne faut point se faire illusion, il ne faut point se nourrir d'illusions : un changement total s'est opéré dans l'état militaire de l'Europe ; à l'avenir, les guerres (page 1085) seront rapides et de courte durée. Voyez la guerre qui a eu lieu, l'an dernier, en Allemagne. Neuf jours avant, la Prusse n'était pas sous les armes, et neuf jours après on commençait à se battre. Voilà la perspective dont parlait l'honorable rapporteur. Je reconnais que quand une nation ne s'est pas préparée, quand elle n'a pas organisé ses moyens de défense, il lui faut un temps très long pour pouvoir mettre son armée en campagne ; mais quand on a eu soin, de longue main, de prendre toutes les mesures nécessaires pour être à même de rendre son armée immédiatement mobilisable, alors on peut agir quand on le veut et surprendre son adversaire. Eh bien, je dis que si vous voulez le maintien de notre nationalité, la première chose dont vous devez vous assurer, c'est une réserve métallique.

On nous dit : Vous ferez un emprunt forcé ; mais vous n'aurez pas le temps de faire un emprunt forcé. Je sais fort bien qu'au point de vue des théories économiques, que va tout à l'heure développer mon honorable ami M. Vermeire, la création d'une réserve métallique fait perdre beaucoup d'intérêts, mais je sais aussi que quand on ne veut pas subir cette perte d'intérêts, on s'expose à perdre le pays.

Que s'est-il passé en Autriche, à la suite de la campagne d'Italie ? Cet imprudent Reichsrath a voulu faire des économies sur l'armée et il a ainsi attiré sur son pays les plus affreuses calamités.

Ne suivons pas un pareil exemple ; nous sommes dans une position telle que nous devons constituer notre armée d'une manière solide et de façon qu'elle soit rapidement mobilisable, et nous devons à toutes les époques avoir des fonds disponibles.

Mais, dit l'honorable M. De Fré, ce système est excellent pour une puissance agressive, mais il est inutile pour une puissance neutre. Je pense, messieurs, que c'est précisément le contraire : une puissance agressive sait parfaitement quand et qui elle va attaquer, tandis qu'une puissance neutre peut être attaquée à l'improviste ; elle doit donc être à même, à toutes les époques, de se défendre, et pour cela il est indispensable qu'elle ait une réserve métallique.

Comme l'a dit l'honorable M. Vleminckx, ce qui a fait la force de la Prusse, ce qui a assuré ses victoires...

M. De Fré, rapporteurµ. - C'est un pays conquérant,

M. Dumortier. - ... je dis que c'est précisément un pays conquérant qui a le moins besoin d'une réserve ; un pays conquérant a toujours le temps de prendre ses mesures, tandis qu'un pays neutre peut être attaqué à l'improviste et ne pas avoir le temps de réunir des fonds suffisants pour faire marcher son armée ; c'est donc surtout un pays neutre qui a besoin d'une réserve métallique.

Mais, ajoute l'honorable rapporteur, la Belgique est un pays patriotique, animé des plus pures intentions, qui veut conserver sa Constitution, bien entendu telle que le Congrès l'a votée, et ce pays saura supporter un emprunt forcé.

Mais l'honorable membre oublie une chose : combien de temps faut-il pour percevoir un emprunt forcé ? Mais jamais vous ne pourrez le percevoir. Vous le pourriez si vous étiez prévenus six mois d'avance, mais si la Belgique doit être attaquée, elle le sera à l'improviste ; elle ne le saura peut-être pas huit jours d'avance.

Voyez si l'Autriche a été prévenue 8 jours d'avance qu'elle allait être attaquée. La déclaration était faite à peine, que déjà les armées étaient en campagne.

M. Mullerµ. - Elle a été prévenue 6 mois d'avance.

M. Dumortier. - Je disais donc qu'en de pareilles matières, je n'ai aucun souci des théories économiques qui, quelque belles qu'elles puissent être dans les circonstances ordinaires, sont hors de mise quand il s'agit du salut de la patrie.

Si vous voulez une armée, il la faut forte, et pour qu'elle soit forte il faut que vous puissiez vous en servir au jour du danger.

Si donc il fallait employer l'emprunt à des travaux publics, je voterais contre, puisque en définitive il faut prévoir quelque chose de plus que les besoins matériels. Il faut prévoir les besoins du salut de la patrie.

M. Vermeireµ. - Je ne tiendrai pas longtemps la Chambre. Je veux seulement expliquer le vote que je compte émettre sur le projet actuel.

Si, ce matin, j'ai voté contre la loi allouant un crédit de 8,400,000 fr. pour la transformation des fusils, c'est parce que je croyais que cette demande n'était pas suffisamment justifiée.

Mon vote sera approbatif quant au projet d'emprunt de 60 millions, parce que je vois par l'exposé des motifs que des sommes plus considérables que celles qui sont demandées par cet emprunt sont déjà engagées.

Ainsi j'ai remarqué qu'une somme de 70,000,000 est déjà engagée pour les travaux publics.

L'honorable M. Dumortier, qui vient de se rasseoir, dit qu'il votera contre le projet, si la somme ne devait s'appliquer qu'à des travaux publics.

Mais on ne peut faire des travaux sans les payer et puisqu'on est engagé devant le pays pour 70 millions de travaux publics, il faut bien les solder.

Le gouvernement devant faire une dépense totale de 84,500,000 fr., trouve sur les excédants probables et sur ceux déjà existants, une somme de 24,500,000 fr. Il vous demande le complément de 60 millions de francs.

Avec l'ensemble, il doit faire face à tous les besoins, à ceux de l'armement et à ceux des travaux publics.

Il me semble qu'en présence de ce fait, il est impossible de ne pas donner son approbation au projet de loi et ce sont là les motifs pour lesquels je le voterai.

M. Delaetµ. - Si j'avais pu avoir la velléité de voter en faveur de l'emprunt, si la sublime vérité émise par l'honorable rapporteur que « les nations sans défense armée attirent l'ennemi comme les paratonnerres attirent la foudre » avait été à la portée de mon humble intelligence, et m'eût converti au projet de loi, les contradictions dans lesquelles s'est perdu aujourd'hui l'honorable ministre des finances auraient suffi à me faire changer d'avis.

Ce matin, messieurs, nous avons assisté à l'un des plus singuliers spectacles qui, de mémoire parlementaire, ait été donné en Belgique.

L'honorable ministre des finances est venu nous déclarer d'un ton digne d'un autre pays et d'une autre enceinte, que quand même la Chambre serait assemblée, et qu'il crût le pays en danger, plus ou moins,, il disposerait des deniers publics absolument comme s'il n'y avait pas de Chambres, et prendrait sous la seule responsabilité ministérielle les mesures propres à sauver le pays.

Il y a dans ce fait deux choses très graves. D'abord, il y a la prétention et la sagesse ministérielles mises à la place du droit et de la sagesse de la Chambre ; il y a la théorie de l'intelligence et de la volonté d'un seul homme, mises à la place de la volonté et de l'intelligence de tous ; il y a la théorie de l'action d'un seul homme mise à la place du patriotisme de tous.

Messieurs, ceci est la théorie du despotisme. C'est la théorie par laquelle commence partout la chute des parlements et l'autocratie des ministres et des gouvernements.

Nous avons vu un ministre en Prusse faire et répéter à la chambre de son pays une déclaration à peu près identique, et nous savons où la Prusse a été menée. (Interruption.)

On nous parle de sauver la nationalité belge.

Autant que personne, messieurs, je me crois dévoué à la nationalité belge, à mon pays, au pays où je suis né. (Interruption.) Est-il si ridicule de dire de la patrie qu'on y est né ? Faut-il absolument, messieurs, qu'un membre de cette Chambre soit né hors de la Belgique pour avoir le droit d'y parler de patriotisme ?

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est tellement naturel qu'on ne le dit pas.

M, Delaetµ. - Je n'ai pas entendu l'interruption. Si on voulait la répéter je pourrais y répondre.

- Plusieurs voix. - Continuez.

M. Delaetµ. - Messieurs, l'époque où nous sommes est peut-être plus solennelle que vous ne le croyez.

Vous votez des millions pour des armes ; vous allez dans une session d'été demander 3,000 hommes de plus au pays. Il faut dire au pays pourquoi.

Si dans ce parlement un ministre peut déclarer qu'il est sûr de sa majorité, même alors que la Chambre assemblée, il viole sans nécessité absolue et en vue de simples convenances, le droit du parlement, il est bon qu'une voix s'élève ici et proclame que la Belgique démocratique n'est pas morte. (Interruption.)

Oui, il y a une autre Belgique : la Belgique ministérielle.

J'ai dit que M. le ministre des finances, après cette déclaration, que j'ai été étonné de voir accueillir silencieusement par la Chambre, est tombé dans des contradictions sans fin.

(page 1086) Je vais en relever quelques-unes.

On nous a dit : Vous avez voté des travaux publics, l'emprunt servira a l'exécution de ces travaux publics ; vous avez voté des dépenses, il faut en faire les voies et moyens. Mais, messieurs, quand nous avons voté ces dépenses, on nous assurait qu'elles étaient couvertes par des excédants de budget.

Aujourd'hui on vient nous dire qu'il n'y a pas d'excédants. Il y en avait pourtant quand nous avons voté les dépenses. Que sont-ils devenus ? Il faut qu'ils aient trouvé un emploi quelconque, une destination que nous ignorons ; car, certainement, les frais d'un armement que la Chambre n'a pas voté ne peuvent pas avoir absorbé les excédants du budget. Et à ce propos, permettez-moi de vous rappeler que ce matin l'honorable ministre des finances a eu un magnifique mouvement oratoire. Quand un homme prétend mettre sa volonté et sou intelligence à la place de la volonté et de l'intelligence, de tous, il lui faut toujours invoquer le bien public. Aussi l'honorable ministre des finances n'a pas failli à la règle. Il nous a dit en résumé : « J'ai fait dans le plus grand secret les dépenses d'armement, parce que si le pays avait su que j'armais, s'il avait su que je prenais des précautions, il se serait alarmé, les affaires se seraient arrêtées, il y aurait eu des faillites, une débâcle financière. »

Voilà le motif avoué, le prétexte de bien public. Mais, messieurs, ce motif est-il sérieux ? Quand le gouvernement achète des chevaux, quand le gouvernement rappelle des miliciens, quand le gouvernement commande des armes, est-ce que cela se fait en secret, est-ce que le pays n'est pas averti, est-ce que, malgré les dénégations des journaux complaisants, on ne sait pas à quoi s'en tenir ? Et d'ailleurs, ne grossissons pas trop notre importance ; est-ce que ce sont nos armements à nous ou les armements sur nos frontières qui jettent l'inquiétude dans le pays ? Est-ce la Belgique qui règle les bourses européennes ? Je ne vois donc pas de motif très sérieux au secret de ces dépenses qui se font en dehors des Chambres lorsqu'elles ne sont pas assemblées et qui, d'après la déclaration de M. le ministre des finances, se feraient encore en dehors des Chambres, alors même qu'elles siégeraient. Il ne peut y avoir à cela qu'un seul motif et il n'est pas proclamé : c'est qu'en réalité, le voisin déteint sur nous et qu'il y a quelque part à l'étranger des figures qu'on a envie d'imiter.

On nous a demandé un emprunt sous la pression des événements de l'extérieur. Cet emprunt, le rapport de la section centrale en fait foi, était un emprunt de guerre. Dans le travail de M. De Fré, en effet, vous trouvez la Brabançonne à chaque ligne, à part les dernières peut-être, où il est touché un mot, un seul mot de travaux publics. Or, cet emprunt de guerre on déclare aujourd'hui n'en avoir plus besoin. L'honorable ministre des affaires étrangères est venu déclarer à cette tribune, que non seulement la Belgique était garantie, mais qu'elle avait reçu un baptême nouveau de la conférence de Londres. Nous sommes donc plus garantis que jamais, non pas seulement par l'engagement des puissances, mais, ce qui vaut mieux, par l'intérêt des puissances. Pourtant l'emprunt est maintenu. Mais il l'est, nous dira-t-on, parce qu'il est à peu près fait, parce que les conventions provisoires sont conclues. M. le ministre des finances a eu soin de nous apprendre qu'il n'en est rien, qu'il ferait l'emprunt quand cela lui conviendrait, c'est-à-dire quand cela conviendrait, selon lui, aux finances du pays.

Ainsi, il n'y a pas de nécessité de faire l'emprunt aujourd'hui dans des vues financières ; il n'y a pas de nécessité de faire l'emprunt dans des vues militaires, et à la fin d'une session, lorsque à peine la Chambre a le temps de discuter, et qu'elle se voit obligée de tenir une séance du soir, on fait passer l'emprunt ! Ce sont là de ces contradictions que j'avoue ne pas plus comprendre que la comparaison de l'honorable rapporteur de la section centrale.

Mais, messieurs, quand mon honorable ami M. Gerrits a parlé de la conférence de Londres, quand il a dit que notre neutralité avait été reconnue par la conférence qui, en décrétant elle-même le démantèlement de la forteresse du Luxembourg, avait déclaré que les pays neutres n'avaient pas besoin de forces militaires, que les pays feraient mieux de ne pas attirer la foudre par des paratonnerres mal faits, l'honorable M. Hymans, se faisant l'interprète de la pensée ministérielle, nous a dit que la conférence de Londres avait affirmé tout le contraire. J'ai interrompu l'honorable ministre des finances pour lui demander de déposer les documents diplomatiques prouvant que la conférence avait invité la Belgique à s'armer. Il n'a pas répondu à l'instant même ; mais tout à l'heure il est venu nous dire qu'aucune pression diplomatique n'a été exercée sur nous, que personne ne nous a dit de nous armer, que personne ne nous a sommés de nous mettre en mesure de nous défendre nous-mêmes. Qui nous expliquera ces contradictions-là ? (Interruption.) S'il n'y avait que ma personne en jeu, vos interruptions ne me dérangeraient pas le moins du monde.

Je comprends que quand on fait entendre dans cette Chambre un langage qui n'y est pas habituel, une partie de l'assemblée puisse être désireuse de l'étouffer. (Interruption.)

M. Orts. - Je demande la parole.

M. Delaetµ. - Mais après tout, si ceux qui, pour maintenir la nationalité belge, ont foi dans la puissance de la liberté plus qu'en la force des armes, ne sont pas nombreux dans cette Chambre, ils sont la majorité dans le pays. Eh ! quand vous demandez au pays de l'argent et des hommes, quand vous lui demandez des sacrifices de toutes sortes, il serait utile et convenable de lui dire pourquoi, autrement que par des contradictions où personne ne voit clair, pas même le ministère qui y a recours.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Wasseige. - La loi que nous discutons est trop importante, et par elle-même, et par les circonstances au milieu desquelles elle se discute, pour qu'il me paraisse convenable de la repousser sans motiver mon vote. C'est ce que je demande à la Chambre la permission de faire le plus brièvement possible.

J'ai toujours voté toutes les sommes réclamées par le gouvernement dans l'intérêt de la défense nationale ; j'aurais encore agi de même pour le projet qui nous occupe, malgré mes répugnances à donner cette preuve de confiance à un ministère qui, à mes yeux, la mérite si peu ; mais les déclarations hautaines et antiparlementaires de l'honorable ministre des finances dans la séance de ce matin, le bon marché qu'il a fait des prérogatives de la Chambre, qu'il a déclaré avoir violé sciemment et être prêt à violer encore, la Chambre, fût-elle même assemblée, si les mêmes circonstances se représentaient, cette façon bismarckienne de traiter le parlement m'ont fait changer d'avis.

D'ailleurs, le projet que nous discutons n'explique rien, et les circonstances qui auraient pu justifier cette manière de faire sont bien changées. Sont-ce des dépenses militaires auxquelles il faut pourvoir, sont-ce des travaux publics qu'il faut exécuter ? Combien faut-il pour les unes, combien pour les autres ? On ne daigne pas nous l'apprendre. On compte cependant, comme toujours, sur l'appât trompeur des travaux publics pour obtenir notre concours. Quant à moi, je ne me laisserai pas prendre à ce piège ; ces travaux publics ont déjà été décrétés avec affectation spéciale des sommes destinées à leur achèvement ; ces sommes ont été détournées de leur destination, par la seule volonté ministérielle, pourquoi n'en serait-il pas encore ainsi ? Eu un mot, c'est un vote de confiance que l'on exige de nous avec hauteur. Eh bien, cette confiance, il m'est impossible de l'accorder au ministère, dirigé par celui qui nous a traités avec si peu de ménagements.

Je serai toujours disposé à donner un vote favorable à toute mesure destinée à protéger notre nationalité qui m'est aussi chère qu'à qui que ce soit, je l'ai encore prouvé ce matin par mon voie sur les sommes nécessaires à l'amélioration de l'armement de notre patriotique armée ; mais il m'est impossible d'accorder la moindre confiance, le moindre appui à un gouvernement qui, par des lois très récentes, vient de prouver son peu de respect pour notre Constitution et son hostilité systématique contre nos libertés les plus chères et nos droits les plus sacrés.

MpVµ. - La loi à laquelle vous faites allusion a été votée par les deux Chambres ; je vous prie de ménager vos paroles.

M. Wasseige. - Tous nous avons déclaré dans la discussion du projet de loi sur la mise à la retraite forcée des magistrats, que ce projet violait la Constitution. Le vote de la Chambre et du Sénat ne peut avoir effacé cette tache de la loi et étouffé ce cri de nos consciences, il n'a pas changé ma conviction et j'ai le droit de l'exprimer ici.

MpVµ. - Vous pouviez exprimer cette opinion dans la discussion, elle était mieux là à sa place.

M. Wasseige. - J'ai le plus grand respect pour notre honorable président, mais je ne puis admettre celle théorie.

Je voterai donc contre le projet d'emprunt par les raisons que j'ai développées et que je maintiens tout entières en donnant à mon vote une signification purement politique.

(page 1087) M. Orts. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu l'honorable M. Delaet émettre successivement deux opinions contre lesquelles il m'a paru qu'il était nécessaire d'opposer une protestation, parce que le silence qu'il a cru remarquer au sein de la Chambre a été considéré par lui comme une approbation de sa manière d'apprécier les choses

Je crois que cette appréciation est fausse, mais je tiens à ce que cela soit bien constaté et c'est pour cela que je demande à m'en expliquer.

L'honorable M. Delaet, et je le prie de croire que je réponds à son discours précisément parce que j'y attache une importance sérieuse... (Interruption.)

Oh ! messieurs, je n'ai point l'habitude de faire des compliments à personne ; permettez-moi donc de dire ce qui est dans ma conviction. Je crois que l'honorable M. Delaet a une conviction, mais une conviction erronée ; c'est pourquoi je me lève.

L'honorable M. Delaet nous a dit qu'un silence général de la Chambre avait accueilli la déclaration faite par M. le ministre des finances qu'en présence d'un danger sérieux pour l'indépendance nationale, il avait pris sous sa responsabilité, avec ses collègues, le parti de pourvoir aux dépenses que nécessitait une défense sérieuse, une défense sérieuse de nos plus chers intérêts.

M. le ministre des finances, parlant après lui et pour ses collègues, a ajouté que si des circonstances aussi graves se représentaient, il n'hés terait pas, avec ses collègues, à suivre la voie qu'il avait adoptée en 1866 et en 1867, libre au parlement d'apprécier plus lard, lorsqu'un bill d'indemnité lui serait demandé, la conduite du ministère ; libre au parlement de l'approuver ou de le blâmer, de le renverser et même de le mettre en accusation.

Cette déclaration n'a pas été accueillie par le silence de la Chambre ; et je déclare au contraire que, pour ma part, j'ai interrompu M. le ministre des finances pour lui dire : Vous avez bien fait !

- Voix à gauche. - Oui ! oui ! Tous !

M. Orts. - Je puis ajouter qu'un très grand nombre de membres de cette Chambre ont appuyé l'approbation que moi-même je m'étais permis de donner à ses paroles.

- Voix à gauche. - Oui ! oui ! c'est vrai !

M. Orts. - Je suis convaincu, je le déclare immédiatement, que si des ministres pris dans les rangs de la droite, ayant agi de la même manière dans des circonstances semblables, venaient nous faire la même déclaration, ils seraient applaudis par la droite et par la gauche comme il y a des membres de la droite qui ont applaudi avec la gauche aux paroles de M. le ministre des finances.

Lorsqu'il s'agit de circonstances de cette nature, il est impossible que les choses se passent autrement. Et ne venez pas nous parler de politique à la Bismarck ; ne venez pas nous parler de figures de pays étrangers qu'on cherche à imiter ici ; ne venez pas nous parler de violation des principes des gouvernements parlementaires et démocratiques, dans de pareilles circonstances !

Il n'y a n'y politique ni figures étrangères à imiter ; il n'y a aucun principe violé par une pareille manière d'agir. Dans tous les pays libres, dans les pays républicains, dans les pays monarchiques, les hommes qui, dans de telles circonstances, se trouvaient à la tête du gouvernement et qui étaient dignes de. s'y trouver n'ont pas reculé devant la responsabilité que M. le ministre des finances réclamait tantôt pour lui.

Il n'y a pas un ministre anglais ou américain ; il n'y a pas eu un ministre de la France républicaine quand elle a eu de graves dangers à conjurer, qui ait reculé, en présence d'un parlement libre, devant cette déclaration et devant des actes du genre de ceux dont M. le ministre des finances et ses collègues acceptaient ce matin la responsabilité.

Et je le déclare, messieurs, c'est ce courage, c'est cette institution de la responsabilité personnelle dans des circonstances autrement graves que ne les font aujourd'hui les mœurs adoucies de notre siècle, qui ont sauvé les pays libres, qui ont sauvé l'indépendance, la nationalité de la plupart des grande pays que je viens de citer.

Ainsi donc, loin de décourager le cabinet pour l'initiative qu'il a prise, c'est à nous de l'encourager, C'est à nous de le suivre ; c'est à nous de lui dire que pour le maintien haut et ferme dû drapeau national, il n'y a pas de responsabilité qui doive le faire reculer, parce qu'il doit bien savoir que s'il tient le drapeau national haut et ferme, il aura le pays derrière lui et que le pays le suivra, le défendra et aura pour lui la reconnaissance que méritent les hommes de cœur qui font le sacrifice de leur position, et, au besoin, le sacrifice de leur vie.

- Voix à gaucheµ. - Très bien !

M, Wasseigeµ. - Il n'y a pas grand danger.

MfFOµ. - Vous oubliez vite.

M. Orts. - Vous en parlez à votre aise aujourd'hui, mais je demande ce que vous auriez dit il y a un mois si la question s'était produite devant vous. Le pays n'est pas en danger.

M. Wasseige. - Je ne parle pas du pays, mais de la vie du ministre.

MpVµ. - Pas d'interruption.

M. Orts. - Je m'étais prémuni d'avance contre l'exagération qu'on semble me reprocher ; aussi j'avais eu soin de dire que l'adoucissement de nos mœurs actuelles rendait ces dangers tout à fait problématiques. Mais si le danger est moins grand, soyez persuadés que le courage est le même.

Maintenant, l'honorable M. Delaet vous dit, comme une sorte de reproche adressé au rapport de la section centrale, que ce rapport parle de dépenses de guerre.

Il parle d'éventualités de guerre et avec une certaine légèreté d'expression, qui fait bien, comme forme oratoire ; cela respire, nous a-t-il dit, la Brabançonne à chaque ligne.

Eh bien, messieurs, je suis très heureux que, quand le pays se sent menacé, quand le pays a besoin de compter sur lui-même, quand le pays a besoin de rassembler ses efforts et de leur donner le plus haut degré d'énergie possible ; je suis très heureux, dis-je, que le pays se souvienne alors de la Brabançonne ; car c'est la Brabançonne qui, il y aura bientôt 37 ans, nous a faits ce que nous avons le bonheur d'être aujourd'hui et ce que nous resterons, si les sentiments qui ont inspiré les auteurs de la Brabançonne, ainsi que ceux qui, au son de la Brabançonne, ont conquis notre indépendance, persistent dans les générations actuelles et dans les générations qui viendront après.

Je demande donc au cabinet actuel, comme au cabinet qui le suivra, que, dans toutes les circonstances où le gouvernement se trouvera en face des mêmes éventualités qu'en 1866, il montre la même fermeté d'âme, la même initiative, le même courage devant sa responsabilité, et je souhaite à mon pays et à tout cabinet, quelle que soit sa couleur politique, qu'il y ait toujours des gens en grand nombre qui se souviennent de la Brabançonne.

M. Delaetµ. - Messieurs, le jour où l'on chantera la Brabançonne comme chant de guerre, les membres de cette Chambre, à quelque côté qu'ils appartiennent, n'hésiteront pas, je l'espère, à marcher en avant au son de cet air national ; mais autre chose est de chanter la Brabançonne comme marche de guerre lorsque le pays est en danger, et autre chose est de la chanter pour aller à l'assaut du budget.

Je remercie l'honorable M. Orts d'avoir compris que lorsque tout à l'heure j'ai parlé comme je l'ai fait, j'obéissais à une conviction et je remplissais un devoir. II y a peut-être quelque courage ici à faire son devoir jusqu'au bout. (Interruption.) Eh, messieurs, il est des personnes qui désapprouvent ceux qui comprennent le devoir d'une façon autre que la leur. L'honorable M. De Fré, par exemple, a eu soin de faire la contrepartie de M. Orts. Je l'en remercie aussi. Il ne m'a pas compris.

M. Jacobsµ. - Il ne vous comprendra jamais.

M. Delaetµ. - Seulement l'honorable M. Orts n'a pas répondu à tout ce que j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre. Je n'ai pas précisément blâmé le gouvernement d'avoir pris des mesures en 1866 ; je l'ai blâmé d'abord de n'avoir pas, au commencement de la session, fait régulariser par cette Chambre les dépenses faites, ainsi l'exigeait la bonne règle constitutionnelle. Je ne l'ai pas blâmé d'avoir dit que dans des circonstances pareilles il agirait de même ; je l'ai blâmé d'avoir déclaré que dans ce cas, alors même que les Chambres seraient assemblées, il prendrait des mesures de sa seule autorité, sans y associer les représentants de la nation.

MfFOµ. - Je n'ai rien dit de semblable.

M. Delaetµ. - Vous l'avez dit.

MfFOµ. - Non.

M. Delaetµ. - Vous avez déclaré que quand même les Chambres seraient réunies, vous n'auriez pas recours à elles ; et vous avez motivé celle déclaration en disant : « Comment ! j'irais jeter l'alarme dans le pays ; je ferais cesser la confiance publique ; je provoquerais à la banqueroute générale ! Non ! J'agirais donc dans ces circonstances sans venir vous demander votre concours. »

(page 1088) Voilà, M. Frère-Orban, ce que vous avez dit et vous êtes trop fier, je le crois, pour vous donner un démenti à vous même.

Voilà ce que j'ai blâmé dans le discours de M. le ministre des finances et voilà ce que mon honorable ami, M. Wasseige, a eu grandement raison de qualifier de politique bismarckienne. (Interruption.) L'honorable membre était fondé à s'exprimer ainsi, et ce qui le prouve, c'est que M. le ministre des finances recule devant ses propres paroles.

MfFOµ. - Vous tronquez mes paroles.

MpVµ. - M. Delaet, ne soulevez pas d'incident fâcheux.

M. Delaetµ. - Je ne soulève pas d'incident fâcheux ; je me borne à rappeler les paroles qu'a prononcées M. le ministre des finances, que nous avons tous entendues, et M. le ministre des finances vient dire que je tronque ses paroles.

MfFOµ. - Oui, vous les tronquez.

MpV. - M. Delaet, vous avez la parole, mais usez-en avec modération.

M. Delaetµ. - M. le président, j'en use avec modération ; je ne tronque jamais les paroles des autres, et puisque M. le ministre des finances m'adresse ce grave reproche, je lui fais une proposition. Je suis prêt à reconnaître mon tort, si l'épreuve aboutit contre moi : M le ministre des finances consent-il à ce que la séance soit suspendue et qu'on produise la traduction sténographique de son discours.

MpVµ. - M. Delaet, la Chambre discute l'emprunt ; vous avez la parole ; n'en abusez pas.

M. Delaetµ. - Si j'étais à la place de M. le ministre des finances, j'irais incontinent à la table de la sténographie, je prendrais la copie de mon discours et je prouverais, pièces en main, que mes paroles ont été dénaturées...

MfFOµ. - Cela me serait très facile, sans aller à la table de la sténographie.

M. Delaetµ. - Mon triomphe est trop complet. Que M. le ministre assume la responsabilité de son refus ; il me suffit à moi d'en prendre acte.

Je dis donc, messieurs, que ce que j'ai blâmé, et je prie l'honorable M. Orts de bien en prendre acte, que ce que j'ai blâmé dans les actes du ministère, ce n'est pas d'avoir fait des armements en 1866, ce n'est pas même d'en avoir fait en 1867, c'est d'avoir déclaré qu'en pareil cas il se passerait toujours du concours préalable des Chambres alors même qu'elles seraient assemblées.

M. d'Elhoungneµ. - Messieurs, je me lève pour répondre quelques mots à l'honorable préopinant. Il me semble qu'il a non seulement modifié le sens des déclarations qui ont été faites dans la séance de ce matin par M. le ministre des finances, organe du gouvernement, mais qu'il a encore singulièrement faussé la position du débat.

Quel a été l'objet des déclarations de M. le ministre des finances ?

L'honorable ministre a rappelé à la Chambre que sous la pression des circonstances extraordinaires, que l'Europe traversait l'an dernier, et auxquelles l'existence de la Belgique pouvait se trouver intimement liée, le gouvernement a dû prendre certaines mesures de précaution, qu'il n'avait à faire connaître à personne, qu'il n'avait ni à publier à son de trompe, ni à livrer à la publicité de la presse, pour servir de thème aux controverses des inimitiés et des convoitises qui au dehors s'agitaient autour de notre nationalité.

Sous sa responsabilité, ne prenant de conseil que de son patriotisme et de son dévouement au pays, le gouvernement a pris les résolutions qu'il croyait convenables, ne pouvant pas du reste, dans le moment même, consulter les Chambres. M. le ministre a ajouté que ces circonstances étaient d'une nature si délicate, que la position de notre pays se trouvait engagée d'une manière si intime dans les éventualités des complications européennes, que le parlement lui-même eût-il été assemblé, le gouvernement eût cru de son devoir d'assumer plutôt une responsabilité immense que de risquer de compromettre, à quelque degré que ce fût, la position du pays par un appel au concours des Chambres. Il a aimé mieux agir seul et rester responsable, dût-il être plus tard écrasé sous le poids de sa responsabilité, que de compromettre la position et l'indépendance du pays. Est-ce qu'en cela, messieurs, le gouvernement n'a pas agi avec patriotisme ? Il a agi comme doit agir le gouvernement de tout pays, le gouvernement d'un pays libre surtout, parce que celui-là est fort de l'appui qu'il est certain de trouver dans le patriotisme de la nation toujours prête à se redresser tout entière derrière le gouvernement quand il s'agit de l'indépendance et da la libellé de la patrie.

M. Delaetµ. - Et des droits de la nation.

M. d’Elhoungneµ. - Je n'ai pas entendu l'interruption.

MpVµ. - J'ai déjà demandé qu'on n'interrompît pas.

M. Delaetµ. - J'ai dit : et des droits de la nation.

M. d'Elhoungneµ. - Je voudrais répondre à l'interruption, s'il m'était donné de la comprendre. Car je ne recule nullement devant une interruption.

Messieurs, je ne touche ni de près ni de loin à la responsabilité gouvernementale. Je n'ai donc pas de réserve, je n'ai pas de ménagements à observer. Je puis parler librement sous ma responsabilité personnelle, en me plaçant au point de vue d'hypothèses, si l'on veut. Eh bien, je dis que, dans les circonstances où l'on se trouvait l'année passée, lorsque, d'après le bruit qui circulait, une grande puissance semblait faire bon marché de notre nationalité, tandis qu'un autre pays qu'on supposait nourrir quelque convoitise à notre égard, nous donnait au contraire des assurances favorables à notre nationalité, je dis que dans cette situation délicate, si l'on prenait quelques mesures de précaution, il fallait une grande prudence et une grande discrétion.

Je ne sais pas si le gouvernement a fait ce que je suppose ; mais s'il l'a fait, il a bien fait.

Cette situation, messieurs, au lieu de se dénouer, s'est compliquée, et dans le cours de la présente année nous avons été, Dieu sait, à quelle faible distance d'une crise formidable pour notre nationalité en même temps que pour l'Europe.

Le gouvernement a pris des mesures. Il a agi encore une fois sous sa responsabilité. Il n'a voulu ni compromettre le pays, ni compromettre la Chambre ; ni alarmer le pays, ni alarmer la Chambre. Il a pris sur lui tout le fardeau de la responsabilité.

Il a bien fait et il n'y a pas une voix, pas même celle de l'honorable M. Delaet, qui s'élèvera pour le blâmer : votre silence le prouve.

M. Delaetµ. - Je parlerai tout à l'heure, si l'on veut bien m'accorder la parole pour la troisième fois.

M. d'Elhoungneµ. - L'honorable ministre des finances vous a rendu compte de cette situation aux applaudissements non seulement de ceux qui appuient le ministère, mais de tous ceux qu'inspire le sentiment du patriotisme. (Interruption.)

- Des membres. - Oui ! oui !

M. d'Elhoungneµ. - Messieurs, s'il y avait eu aux affaires un cabinet de la droite, aurait-il pu agir autrement ? Y a-t-il un homme sérieux dans la droite qui oserait affirmer qu'il eût agi autrement ? Mais ce serait faire l'aveu qu'il eût manqué de prudence et d'énergie quand l'intérêt du pays les réclamait le plus.

M. le ministre des finances a déclaré enfin que dans des circonstances identiques, il agirait de même, sauf à nous à apprécier plus tard, quand le gouvernement viendrait soumettre sa conduite au parlement, le mérite de ses actes. Il me semble que M. le ministre a eu parfaitement raison de parler ainsi. Il n'a pas entendu en cela porter atteinte aux prérogatives de la Chambre, mais il a rendu hommage à ce grand principe que le salut du pays passe avant tout ; que dans les grands dangers, on doit faire preuve d'un plus grand courage, et qu'un gouvernement ne doit pas, quand la loi de la nécessité commande, reculer devant une grande responsabilité.

Or, c'est là la vérité des principes aussi bien dans les gouvernements constitutionnels que dans tous les gouvernements possibles.

M. Delaetµ. - Messieurs, j'ai ce soir une chance singulière. J'ai à remercier tous mes contradicteurs, et malgré les quelques paroles véhémentes qu'il a prononcées dans la chaleur de l'improvisation, je me fais un devoir de remercier l'honorable M. d'Elhoungne du discours qu'il vient de prononcer.

L'honorable M. d'Elhoungne et moi, nous différons sur un point d'appréciation. Quant au point de fait, nous sommes si complètement d'accord, que j'ai été fort étonné de ne pas voir M. le ministre des finances se lever indigné pour interrompre l'honorable membre qui a dit exactement ce que j'avais dit moi-même. (Interruption.)

En effet, l'honorable M d'Elhoungne et moi, nous sommes si parfaitement, si absolument d'accord quant au fait, qu'il est désormais superflu d'invoquer la sténographie.

M. le ministre des finances, comme on l'a rappelé tout à l'heure sur ces bancs, a dit qu'à l'avenir il agirait de sa propre autorité et sous sa responsabilité personnelle, les Chambres fussent-elles même assemblées, et bien qu'il sût d'avance violer par cette conduite les droits de la Chambre.

(page 1089) Voilà ce que la sténographie dira, si la sténographie est exacte ; voilà ce que d'ailleurs l'honorable M. d'Elhoungne vient de reconnaître.

Maintenant qu'ai-je blâmé ? Ai-je blâmé les mesures qui ont été prises ? Ai-je blâmé le cabinet d'avoir pris ces mesures ? A coup sûr, non ; et sous ce rapport, l'honorable M d'Elhoungne a bien raison de dire que ma voix, si les mesures prises sont bonnes et prudentes, ce que nous aurons à examiner, ne s'élèverait pas contre le ministère.

Mais si l'honorable membre a parlé de liberté et d'indépendance, j'ai parlé aussi des droits de la nation, et nous sommes ici pour ne pas les laisser violer.

L'honorable M. d'Elhoungne a dit que le salut public dicte la loi suprême. Soit ; mais cette loi, nous pouvons la formuler, nous aussi, et ce n'est pas à nous, représentants d'un pays libre, représentants d'un pays constitutionnel, à abandonner le soin de la faire à un seul homme, quel qu'il soit.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Articles 1 à 3

La Chambre passe à la délibération sur les articles.

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à contracter, aux conditions qu'il déterminera, un emprunt d'un capital effectif de soixante millions de francs. »

- Adopté.


« Art. 2. Un crédit spécial de 120,000 francs est ouvert au ministère des finances, pour couvrir les frais de confection et d'émission des litres de cet emprunt. »

-Adopté.


« Art. 3. La présente loi sera obligatoire dès le lendemain de sa publication. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

81 membres sont présents. 0

63 membres votent pour le projet de loi.

15 votent contre.

3 s'abstiennent.

En conséquence le projet de loi est adopté ; il sera transmis au Sénat.

Ont voté l'adoption :

MM. Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Vander Maesen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, J Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Tack et Ernest Vandenpeereboom.

Ont voté le rejet :

MM. Vander Donckt, Van Hoorde, Van Wambeke, Wasseige, Delaet, de Liedekerke, Gerrits, Guillery, Hayez, Jacobs, Liénart, Magherman, Notelteirs, Reynaert et Snoy.

Se sont abstenus :

MM. Dumortier, Julliot et Kervyn de Lettenhove.

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure à la Chambre que s'il s'agissait de voter des fonds pour la défense nationale, mon vote était d'avance acquis au projet, mais que s'il s'agissait de travaux publics, je serais obligé de rejeter la proposition ; comme je n'ai pas vu clair dans la discussion, j'ai dû m'abstenir.

M. Julliot. - Messieurs, je n'ai pas voté contre le projet d'emprunt parce que, ayant donné mon assentiment aux dépenses de l’armement et disposé, comme je le suis, à donner mon approbation aux 7 millions dépensés par le gouvernement par raison d'Etat, je dois bien laisser payer des dépenses dont j'ai voté le principe moi-même, et c'est logique.

Je n'ai pas voté pour le projet parce que, si le capital de 60 millions était suffisant pour parer aux éventualités sinistres dont nous étions menacés il y a trois mois, aujourd'hui que nous sommes en pleine sécurité, il restera, défalcation faite des dépenses militaires, 45 millions disponibles à l'égard desquels je ne veux pas donner un blanc-seing au gouvernement.

MfFOµ. - Le principe d'application de ces millions est voté dans la dernière loi des travaux publics et le crédit servira à les payer.

M. Julliot. - L'interruption de M. le ministre me permet d'étendre un peu mes motifs. Oui, ces travaux sont votés, mais cette loi dit aussi comment ils seront payés et ce n'est pas par un emprunt, c'en sur le reliquat des recettes qu'ils doivent être faits et au fur et à mesure, de l'accroissement de nos revenus, ils sont échelonnés sur un nombre déterminé d'années. Or, le projet en discussion modifie cette situation aux dépens du trésor, en ce sens qu'on va faire les travaux hic et nunc, à raison du capital à emprunter et que le trésor sera obéré de l'intérêt de l'emprunt, tandis que par la première loi, le trésor restait intact et ne fournissait que son superflu, c'est-à-dire que dans le premier cas, on ne faisait pas de travaux s'il n'y avait pas d'argent, les travaux étaient subordonnés à la situation de la caisse, tandis que par la loi qu'on nous propose le trésor est subordonné aux travaux, c'est-à-dire que l'intérêt de l'emprunt sera obligatoire, que les travaux se feront et que s'il n'y a pas d'argent pour payer les intérêts, on devra s'adresser à l'impôt. Or, n'ayant pu émettre un vole satisfaisant, je me suis abstenu.

MfFOµ. - Nous n'aurions pas de quoi payer la garantie d'intérêt sur les voies ferrées.

M. Julliot. - J'ai compris. C'est bien trouvé, il faut les 45 millions pour payer la garantie d'intérêt sur le bout de ligne ferrée de Tongres à Bilsen.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'ai pas voté contre le projet de loi parce qu'il est destiné, d'une part, à faire face à des dépenses dont je reconnais l'utilité et l'urgence, d'autre part, à assurer l'exécution de travaux publics. Je n'ai pu lui donner un vote approbatif parce que le gouvernement n'a pas présenté à la Chambre les renseignements nécessaires pour apprécier l'emploi d'un crédit si considérable.

Projet de loi exonérant la société ferroviaire de l’Ouest de la construction d’une section du chemin de fer de Grammont à Audenarde

Discussion générale

MfFOµ. - Messieurs, l'article 2 du projet contient une disposition qui a pour objet de faire admettre à l'enregistrement au droit fixe de 2 fr. 20 c. les contrats de cession au profit d'une société déterminée ; depuis que cette proposition a été faite, j'ai reçu des demandes du même genre d'autres compagnies, et il est parfaitement juste de généraliser la mesure. Je proposerai donc de rédiger l'article 2 de la manière suivante :

« Sont soumis au droit fixe de 2 fr. 20 c, les actes portant cession par ces sociétés ou par des particuliers, de la totalité ou de partie de l'exploitation de lignes de chemin de fer dont ils sont ou deviendraient propriétaires. »

M. Maghermanµ. - Je demande la parole. (Interruption.)

MfFOµ. - Si la Chambre ne désirait pas aborder la discussion, elle pourrait scinder les deux propositions ; on peut ajourner la question relative au chemin de fer d'Audenarde et statuer seulement sur la proposition que je viens de faire. (Interruption.) Si l'on veut discuter le projet, je ne m'y oppose pas.

M. Maghermanµ - Messieurs, je n'ai pas l'intention de faire un long discours, et je commence par faire connaître que je ne combats pas le projet de loi qui nous est soumis : la déclaration que j'ai faite à la Chambre en séance du 9 décembre 1865, déclaration qui se trouve consignée dans l'exposé des motifs, m'impose le devoir de loyauté d'en agir ainsi.

En effet, d'après les explications fournies alors par l'honorable ministre des travaux publics, il s'agissait pour l'arrondissement d'Audenarde, principal intéressé à la construction du réseau faisant l'objet de la concession, d'opter entre l'exécution assurée des 9/10 du réseau, et la totalité du réseau seulement sur le papier. Le choix ne pouvait être douteux.

Qu’il me soit permis, toutefois, d'exprimer de nouveau que ce n'est qu'avec une bien vive répugnance, et en quelque sorte contraint et forcé par les circonstances, que j'accorde mon concours à l'abandon d'une section, celle de Grammont à Audenarde, qui devait relier à notre réseau national des populations nombreuses, et notamment le bourg important de Nederbrakel. J'espère que M. le ministre des travaux publics tiendra compte de ce sacrifice à ces populations qui se voient déçues dans leurs espérances légitimes, en les favorisant des dédommagements que les circonstances lui permettront de leur accorder.

Messieurs, l'un des motifs qui ont engagé le gouvernement à abandonner la section de Grammont à Audenarde, c'est son parallélisme avec une partie du chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai. C'est ce qui a porté la section centrale à demander à M. le ministre des travaux publics des renseignements sur l’état d’avancement des travaux de ce chemin de fer.

(page 1090) La réponse de l'honorable ministre a été que ces travaux ne sont pas encore commencés.

Cette réponse n'est pas entièrement exacte : mes renseignements particuliers me permettent d'affirmer que ces travaux ont été commencés et avaient acquis un certain développement.

Ainsi, sur le territoire de la ville de Renaix, que j'habite, des terrains ont été acquis, des chantiers installés, des aqueducs construits, des travaux préparatoires pour le percement d'un tunnel poussés avec activité. Mais un beau matin, après plusieurs mois de travail, tout a été abandonné et même les chevaux employés à ces travaux ont été vendus publiquement. Cette situation d'abandon est peut-être plus fâcheuse que si les travaux n'avaient pas été commencés Je désirerais que le gouvernement pût donner quelques explications à ce sujet et rassurer les populations intéressées à l'exécution de cette importante voie de communication.

Puisque le rapport de la section centrale sur le projet de loi en discussion nous fait part d'un amendement relatif à l'enregistrement de l'acte de cession de l'exploitation du chemin de fer d'Anvers à Tournai, qui intéresse spécialement l'arrondissement d'Audenarde et plus particulièrement, la ville de Renaix, j'y vois l'indice d'une prochaine reprise des travaux. Sur cette ligne aussi, si mes renseignements sont exacts, les travaux ont été commencés, puis abandonnés.

Je prie le gouvernement de vouloir faire connaître si mes espérances sont fondées.

MfFOµ. - Je soumettrai ces observations à mon collègue des travaux publics.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à exonérer la société des chemins de fer de l'Ouest de la Belgique, de la construction de la section du chemin de fer de, Grammont à Audenarde, faisant partie des voies ferrées concédées par arrêté royal du 1er décembre 1865, en exécution de la loi du 31 mai 1865, et à restituer à cette société une somme de cent vingt-cinq mille francs (fr. 125,000) sur le cautionnement de six cent mille francs (600,000), déposé à titre de garantie de l'accomplissement de ses obligations.

- Adopté.


« Art. 2. Sont soumis an droit fixe de 2 fr. 20 c., les actes portant cession par ces sociétés ou par des particuliers, de la totalité ou de partie de l'exploitation de lignes de chemin de fer dont ils sont ou deviendraient propriétaires. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal.

76 membres y prennent part.

67 répondent oui.

9 répondent non.

En conséquence, la Chambre adopte.

Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. T'Serstevens, Valckenaere, Van Cromphaut, Alphonse Vandenpeereboom, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Braconier, Broustin, Bruneau, Cartier, Crombez, David, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, Delaet, de Liedekerke, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, de Smedt, de Terbecq, Dethuin, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lienart, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Pirmez, Reynaert, Rogier, Sabatier, Snoy, Tack et Ern. Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Thienpont, Vander Donckt, Vander Maesen, Bricoult, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, Lesoinne, Lippens et Preud'homme.

Projet de loi relatif à l’expropriation par zones

Discussion générale

MpVµ. - L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion de la loi sur l'expropriation.

M. Dumortier. - Nous sommes restés ici fort tard et avec beaucoup d'assiduité, parce que nous savions que nous étions à la fin de nos travaux.

Je propose à la Chambre de s'ajourner jusqu'à ce que M. le président nous convoque.

M. Anspachµ. - Je dois rappeler à la Chambre que quatre fois dans le cours de la session elle a décidé de faire la loi sur l'expropriation.

Il n'y avait plus d'orateurs inscrits dans la discussion générale. Je crois donc que l'examen de la loi ne peut plus être long. Je propose qu'on le remette à demain.

M. Dumortier. - Il est impossible qu'on termine cette loi en une séance.

M. Mullerµ. - Voilà trois fois qu'on met en cause la décision de la Chambre. Avant-hier nous avons décidé ce point.

M. Dumortier. - Vous ne serez pas en nombre demain.

M. Crombez. - On mettra les absents au Moniteur.

M. Dumortier. - Il est évident que cette discussion durera encore au moins 8 jours.

M. Allard. - Soit, on restera.

M. Dumortier. - Il est évident que celle loi doit être amendée. Le Sénat veut finir demain, nous a dit M. le ministre des finances. Vous feriez donc une œuvre frustratoire et sans profit pour personne.

Donner demain un jour à un pareil travail, c'est ajouter un ajournement aux trois ajournements dont a parlé l'honorable député de Bruxelles.

Je pense donc que la Chambre qui aujourd'hui a décidé qu'il y aurait une séance du soir, dans le but de terminer, ferait bien de s'ajourner.

M. d'Elhoungneµ. - La Chambre comprendra que je ne suis pas moins désireux que M. Dumortier de ne pas voir trop se prolonger la session. C'est donc dans un esprit complet d'abnégation personnelle que je me permets de soumettre quelques observations à la Chambre pour lui prouver qu'il est de sa dignité et peut-être de son devoir de ne pas déserter la discussion commencée du projet de loi d'expropriation par zones.

Notre session s'est ouverte sous la préoccupation très vive et même très douloureuse de la crise qu'on venait de traverser, et qui avait fait parmi la classe ouvrière et souffrante des victimes si nombreuses que tous les sentiments d'humanité, de fraternité chrétienne, dirai-je, se révoltaient en nous lorsque nous pensions aux faits lamentables qui s'étaient révélés.

Le discours du trône a noblement reflété cette impression à l'ouverture des Chambres ; et au soulagement du pays et aux acclamations de cette assemblée, le gouvernement est venu annoncer que des mesures seraient prises pour empêcher que le retour des mêmes épreuves eût des résultats aussi déplorables pour les classes déshéritées.

La Chambre a déclaré, dans son adresse, que le temps des paroles était passé, que le temps des actes était venu. Elle s'est associée tout entière avec élan aux sentiments exprimés par une bouche auguste pour faire connaître aux populations malheureuses qu'elles ont leurs premiers et leurs ardents défenseurs dans les grands pouvoirs de l'Etat.

La Chambre, à différentes reprises, dans le cours de cette session, a témoigné le désir de poser des actes en faveur des classes ouvrières. Elle a d'abord décidé une question que j'appellerai de l'ordre moral, il y a eu abrogation de l'article 1781 du code civil, qui n'était pas une grande concession en soi, mais qui était un noble hommage à rendre au principe d'égalité qui domine toutes les institutions modernes, surtout dans un pays et avec une Constitution aussi démocratiques que la nôtres. (Interruption.)

Je n'ai pas à rappeler à la Chambre sur quelles préventions cette mesure est allée échouer dans une autre enceinte ; toujours est-il qu'il y a eu promesse du gouvernement, vote de l'assemblée qui représente plus immédiatement le peuple, promesse et voie qui sont restés inefficaces devant une décision que je ne blâme pas, que je ne discute pas, que je n'ai le droit ni de discuter ni de blâmer, mais que j'ai le droit de rappeler ici. Est venue la discussion sur les franchises électorales. On a beaucoup parlé d'ouvriers dans cette discussion ; on leur a témoigné de grandes sympathies ; mais il s'agissait de l'élite, je dirais presque de l'aristocratie des ouvriers.

Est venue ensuite la discussion du code pénal qui a occupé une grande place dans nos débats : ce n'était plus, il est vrai, pour l'élite, c'était pour le rebut cette fois des classes ouvrières.

Maintenant il s'agit d'une mesure pour la partie souffrante, c'est-à-dire pour la partie la plus intéressante des classes ouvrières ; il s'agit d'une mesure grande et féconde, et la Chambre, déserterait la discussion ! Mais elle manquerait à sa parole, mieux que cela, elle manquerait à ses engagements. (Interruption.) Oh ! si les intérêts de l'ouvrier ne sont pas ici en jeu, d'après vous, vous le prouverez ; je prends, moi, l'engagement de vous prouver le contraire. Mais si ces intérêts sont en jeu, que feriez-vous en vous ajournant ? Vous donneriez raison (page 1091) à ces économistes de l'école de M. Le Hardy de Beaulieu qui prêchent le suffrage universel en disant que les assemblées qui sont élues par des censitaires ont toujours peu de souci des intérêts de ceux qui ne les élisent pas ; et que les droits, les intérêts de ceux-là ne trouvent pas la même sollicitude et le même zèle que les intérêts et les droits de ceux-ci. Vous ne voudriez pas, messieurs, vous exposer à ce reproche.

M. Delaetµ. - Je ne puis pas laisser passer ce que vient de dire l'honorable M. d'Elhoungne sans un mot de protestation.

Je suis de ceux qui ont demandé des immunités plus larges pour les classes ouvrières, dans les comices et pourtant je ne vois pas la nécessité de discuter hic et nunc la loi sur l'expropriation. Certainement cette loi présentera des avantages, mais quant aux ouvriers je crois que si on les déloge, on ne les loge pas.

M. d'Elhoungneµ. - C'est la question.

M. Delaetµ. - Oui c'est la question, mais c'est une question que nous ne pouvons discuter en présence d'une Chambre fatiguée, d'un Sénat qui veut se séparer et à la veille d'une élection ; dans les circonstances où nous nous trouvons, cette question ne peut plus être discutée avec le développement qu'elle comporte. (Interruption.) Je ne m'oppose, pas à la discussion. Si la Chambre veut la continuer, je serai présent ; mais je crois que, dans l'intérêt même des classes ouvrières, on ferait mieux d'ajourner le débat. Il ne suffit pas de prendre l'enseigne des classes ouvrières pour faire passer une loi d'intérêt administratif. J'ai donc l'honneur de proposer à la Chambre d'avoir une session d'été et de mettre la loi sur l'expropriation en tête de l'ordre du jour de cette session.

M. Dumortier. - J'admire toujours et de vieille date le talent de l'honorable M. d'Elhoungne, mais ce que j'admire surtout en lui, c'est son habileté à présenter les choses sous un jour favorable.

A l'entendre, le projet de loi sur l'expropriation n'a qu'un seul but, c'est de favoriser les classes ouvrières ; mais j'ouvre son rapport et je vois que l'intérêt de l'ouvrier n'est que le prétexte, qu'on se sert de son nom pour faire passer la loi et qu'en réalité le résultat de la mesure qu'on nous propose sera de le desservir.

On ne cesse de nous parler des ouvriers. Mais est-ce pour les ouvriers qu'on construira de grands hôtels, qu'on ouvrira de grandes rues ? Non, au contraire, car après tous ces travaux, l'ouvrier ne trouvant plus à se loger à la ville, sera obligé d'aller se loger à la campagne où il ne jouira plus de la charité publique.

Le but réel que vous poursuivez, c'est l'embellissement. (Interruption.) En construisant de grandes maisons servez-vous les intérêts de l'ouvrier ? Non, vous expulsez l'ouvrier. Cessez donc de parler toujours en son nom.

La discussion du projet qui nous est soumis doit être nécessairement longue ; des amendements ne peuvent manquer de surgir : amendements en faveur des ouvriers, amendements pour limiter le privilège qu'on veut accorder aux villes et aux sociétés puissantes, amendements en faveur des locataires qui certes ont bien aussi quelque droit à notre considération, amendements de toutes sortes, enfin, et vous croyez qu'en deux jours nous pourrons discuter tout cela !

Si chacun ici était d'humeur à dire : « Brigadier vous avez raison », c'est possible, mais il y a des membres qui voudront examiner et ce n'est pas en deux jours qu'ils pourront le faire (Interruption.) Songez donc, messieurs, qu'il s'agit de la propriété et que la propriété est une des choses les plus sacrées dans les sociétés modernes. Vous voulez tout simplement, en prenant prétexte des ouvriers qui ne sont pour rien dans votre loi, remettre la propriété à la discrétion, à la spéculation des villes, je dis qu'une pareille mesure ne peut être sanctionnée par nous sans un examen sérieux et approfondi.

N'avez-vous pas la loi de 1838 et ne vous est-elle pas suffisante si vous n'avez en vue que l'intérêt des classes ouvrières ? Cette loi ne vous permet-elle pas de faire tous les travaux d'assainissement que vous jugez nécessaires, et n'est-ce pas, en effet, au moyen de cette loi que nos grandes villes ont pu transformer leurs quartiers les plus insalubres ? Mais non, ce n'est pas l'intérêt des classes ouvrières qui vous préoccupe avant tout dans cette question : ce que vous voulez, c'est une loi qui vous permette de transformer les habitations d'ouvriers en belles et grandes maisons qui ne sont nullement destinées à la classe ouvrière. Les ouvriers ne sont ici que le prétexte et rien de plus.

Au surplus, quand même nous voterions cette loi actuellement, vous savez bien que le Sénat ne s'en occuperait pas en ce moment : M. le ministre des finances est venu vous déclarer lui-même que le Sénat, dont la moitié des membres sont soumis à réélection, est bien décidé à se séparer demain samedi.

Dès lors à quoi bon discuter ici, dans les derniers jours d'une session, une loi de cette importance qui, fût-elle votée par nous, ne pourrait pas l'être par le Sénat ? Vous n'avez donc, selon moi, qu'une seule bonne chose à faire, c'est d'ajourner la discussion de cette loi jusqu'au moment où vous pourrez l'examiner avec toute la maturité nécessaire et où elle ne sera pas condamnée à un ajournement inévitable devant le Sénat. A peine la discussion est-elle commencée ; nous n'avons pas encore entendu l'honorable rapporteur de la section centrale que je me fais un plaisir de. voir intervenir dans ce débat ; et je ne crains pas de prédire que cette discussion nous prendra au moins encore 10 à 15 jours ; car vous ne savez où l'examen d'une question aussi difficile, aussi délicate peut nous conduire. Nous avons eu déjà une session très laborieuse (interruption), et je crois que c'est sans utilité aucune qu'on voudrait siéger encore demain pour le seul plaisir de nos retenir ici.

Je réitère donc ma proposition de nous séparer dès aujourd'hui jusqu'à convocation de M. le président.

M. d'Elhoungneµ. - L'honorable M. Dumortier suppose que la discussion de la loi des zones n'a pas encore avancé d'un pas. J'ai l'honneur de lui faire remarquer qu'à la séance d'hier il n'y avait plus un seul orateur inscrit.

M. de Naeyerµ. - Dans la discussion générale.

M. ‘Elhoungneµ. - Dans la discussion générale, dit-on....

M. Jacobsµ. - On vous attendait.

M. d’Elhoungneµ. - On est bien bon ; je croyais que le rapport pouvait parfaitement être discuté sans que son auteur dût nécessairement intervenir dans le débat. Au sein des sections il n'y a pas eu seul vote contre ce projet ; dans le sein de la section centrale, pas un seul membre non plus ne s'y est opposé ; il y a été voté à l'unanimité des voix et une abstention. De sorte que, je. ne vois pas en quoi le projet de loi pourrait donner lieu ici à des discussions prolongées.

L'honorable M. Dumortier nous dit que le Sénat ne pourrait pas, dans tous les cas, voter le projet de loi avant la clôture de la session actuelle.

Le Sénat a ses affaires et ses devoirs, mais la Chambre a aussi ses affaires et ses devoirs, et il n'en restera pas moins vrai, si vous ajournez le vote de cette loi, que la seule mesure grande, utile et féconde pour les classes ouvrières qui nous ait été proposée dans le cours de cette session, n'aura pas été examinée et votée par nous. (Interruption.)

Permettez ; vous ne voulez pas que je vous le démontre, puisque vous voulez empêcher la discussion.

M. de Naeyerµ. - Pas du tout ; mais nous voulons une discussion sérieuse.

M. d'Elhoungneµ. - Si la discussion continue, la tâche que je remplirai sera de vous démontrer que ce projet a surtout pour but de soulager les misères des classes laborieuses des grandes villes, misères qui sont une violation permanente des droits de l'humanité.

J'affirme, messieurs, que pas un de vous qui aurait vu la situation des classes ouvrières pendant le dernier fléau n'oserait assumer la responsabilité de retarder d'une heure le vote de cette loi.

- Voix nombreuses. - C'est très vrai !

M. d'Elhoungneµ. - Maintenant, vous pouvez discuter sur la valeur, sur l'efficacité des moyens qu'on propose ; nous sommes tout prêt à vous rencontrer sur ce terrain. Mais nous qui sommes convaincus que le moyen est puissant, qu'il sera efficace, nous commettrions une véritable lâcheté, je dois le dire, si nous nous permettions de souscrire à l'ajournement proposé par l'honorable M. Dumortier.

Il ne sera pas dit que les classes laborieuses et souffrantes, pour une seule mesure proposée en leur faveur dans cette session, n'auront pas trouvé de défenseurs dans cette enceinte. Prenez la responsabilité d'un ajournement ; si le fléau éclate encore sur nous cette année, prenez sur vous la responsabilité de la mort de tous ceux qui succomberont ; faites-le ; moi, je ne veux pas le faire.

- Voix à gauche. - Très bien !

MpVµ. - Je vais consulter la Chambre sur la proposition de M. d'Elhoungne qui a pour objet de faire décider que la loi sur les expropriations figurera en tête de notre ordre du jour de demain.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

M. Orts. - Je demande la parole sur la position de la question. Ce qu'il faut mettre aux voix, c'est la proposition d'ajournement faite par M. Dumortier. (Interruption.)

(page 1092° M. Dumortier. - C'est la même chose !

- Voix à gauche. - Non ! non !

M. Orts. - Ce n'est pas du tout la même chose : la proposition, telle que M. le président voulait la mettre aux vois, est équivoque. Il s'agit de savoir quel sera notre ordre du jour de demain.

MpVµ. - J'allais mettre aux voix en premier lieu la première proposition qui avait été faite.

M. Orts. - Je ne vous conteste pas le droit, M. le président, de mettre cette question en délibération, mais vous ne pouvez pas me contester mon droit de démontrer à la Chambre que la question ainsi posée conduit, bien certainement à notre insu, à une équivoque.

Votre proposition est celle-ci : Quel sera l'ordre de jour de demain ? Or, là n'est pas la question ; la question est de savoir si, oui ou non, la Chambre siégera encore demain. C'est la proposition de l'honorable M. Dumortier qui pose la question sur ce terrain.

M. Dumortier. - C'est la même chose !

M. Orts. - Pas du tout ; car en la résolvant par l'affirmative on saura que la Chambre n'a pas voulu se séparer avant d'avoir rempli un devoir impérieux.

MpVµ. - M. d'Elhoungne retire donc pour un moment sa proposition.

M. d'Elhoungneµ. - Pardon ; je n'ai pas fait de proposition. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la loi sur l'expropriation ; ce sont les membres qui s'y opposent, qui proposent l'ajournement.

MpVµ. - Je mets donc aux voix la proposition de M. Dumortier qui demande que la Chambre termine aujourd'hui ses travaux.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

68 membres prennent part au vote.

53 répondent non.

14 répondent oui.

1 (M. Delaet) s'abstient.

En conséquence la proposition d'ajournement n'est pas adoptée.

Ont répondu non :

MM. Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vleminckx, Warocqué, Allard, Anspach, Bara, Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Crombez, David, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Kerchove de Denterghem, d'Elhoungne, de Moor, de Muelenaere, de Rossius, Dethuin, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lesoinne. Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts Preud'homme, Rogier, Snoy, Tack et Ernest Vandenpeereboom.

Ont répondu oui :

MM. Van Cromphaut, Van Hoorde, Van Wambeke, Wasseige, Wouters, de Liedekerke, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, Dumortier, Janssens, Magherman, Notelteirs et Reynaert.

MpVµ. - M. Delaet est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Delaetµ. - Le motif de mon abstention est dans le dernier discours l'honorable M. d'Elhoungne auquel, vu l'impatience de la Chambre, on n'a pas eu le temps de répondre.

D'après l'honorable rapporteur, ceux qui désirent la remise de la discussion à quelques jours sont les adversaires des classes ouvrières et ne veulent pas que la loi soit discutée en temps opportun. C'est là une erreur grave contre laquelle je proteste. Pour ne pas l'autoriser, je n'ai pas voulu voter l'ajournement.

D'autre part, je ne crois pas que la Chambre puisse discuter utilement et avec tous les développements qu'elle comporte une loi de cette importance. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il s'agit, non seulement de déloger les ouvriers, mais aussi et avant tout de les loger. Il faut donc que la discussion prenne des proportions qu'on n'y saurait plus donner aujourd'hui ; c'est pourquoi je n'ai pas voté contre un ajournement à bref délai.

- La séance est levée à 11 heures 10 minutes.