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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 mai 1867

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1059) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. De Lexhy, retenu chez lui par des affaires importantes et urgentes, demande un congé. »

- Accordé.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Hymans dépose plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation ordinaire.

M. de Rossiusµ dépose un rapport sur une demande de naturalisation.

Projet de loi érigeant la commune de Macquenoise

Rapport de la commission

M. Hagemansµ dépose le rapport de la commission qui a examiné le projet de loi sur l'érection de la commune de Macquenoise.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à l’expropriation par zones

Discussion générale

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je crois ne pas excéder les bornes des convenances parlementaires en vous disant que je suis peut-être un de ceux qui, dans cette enceinte, se sont occupés depuis le plus longtemps, et le plus assidûment, des questions qui ont rapport à la loi en discussion, c'est-à-dire des questions d'assainissement, d'amélioration et d'embellissement des villes, et que, par conséquent, je crois avoir une certaine compétence dans ces questions.

Si je commence mon discours de cette manière, messieurs, c'est pour mieux vous faire comprendre que si je dois critiquer la loi actuellement en discussion, c'est dans un esprit de bienveillante sollicitude pour les grandes villes dont je comprends tous les besoins et que je voudrais voir s'améliorer, s'assainir, s'embellir le plus promptement possible.

Messieurs, après les deux discours que vous avez entendus hier, je pourrai me borner à très peu de mots sur les questions de principe, sur les questions constitutionnelles que le projet de loi soulève.

Je dirai cependant mon avis parce qu'il diffère à certains égards des avis exprimés hier par MM. Tack et Elias.

Je crois, messieurs, que la Constitution n'est pas défavorable à l'idée de l'expropriation, même par zones, lorsqu'il y a utilité publique certaine, démontrée, incontestable.

Je crois qu'aux termes mêmes de la Constitution, cette expropriation ne peut jamais avoir lieu que par des lois spéciales, séparées pour chaque projet qui comporte l'expropriation par zones.

L'article 11 de la Constitution est ainsi conçu :

« Nul ne peut être privé de sa propriété, que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi. »

Il est bien évident que la loi actuelle ne prévoit qu'un cas général et généralise même celui prévu par celle du 1er juillet 1858 et que les administrations communales, quand elles voudront appliquer cette loi, se trouveront de même qu'avec cette dernière loi, en présence de cas particuliers imprévus, offrant des conditions nouvelles spéciales, des difficultés qu'elles seront impuissantes à vaincre, parce que ces cas, ces difficultés, n'auront pas été prévus dans la loi en discussion.

Du reste, messieurs, c'est le système de lois spéciales qui est suivi par toutes les nations constitutionnelles, par l'Angleterre, par l'Amérique, en un mot, par tous les peuples qui ne veulent pas livrer à des administrations ou à des commissions, souvent anonymes, toujours irresponsables, la propriété privée, l'avoir des citoyens.

En Angleterre, on ne niera pas que le parlement ne soit chargé d'une besogne infiniment plus importante, plus grave, plus multipliée que la nôtre, et cependant il ne s'y construit pas un ponceau, s'il s'agit pour cela d'expropriation et si ce ponceau n'est pas compris dans un projet général de travaux publics déjà voté par le parlement après enquête, après discussion, il ne se construit pas un ponceau, dis-je, sans que les Chambres aient donné leur assentiment.

Ici, messieurs, il peut s'agir dans les projets d'amélioration ou d'embellissements pour les villes, il peut s'agir d'intérêts considérables, il peut s'agir quelquefois de la fortune même d'une quantité de citoyens, et lorsque nous sommes appelés, comme nous l'avons encore été hier, à voter sur une simple séparation de communes ayant chacune un budget de quelques milliers de francs à peine, je ne vois pas pourquoi nous ne serions pas appelés à contrôler et à examiner, à discuter les conditions d'expropriation de vastes surfaces de terrains dans les villes, représentant parfois des valeurs considérables, et qui, par suite, peuvent faire l'objet de convoitises ardentes.

D'autre part il me semble que si nous entrions dans le système de la loi qui nous est proposée, nous nous dépouillerions volontairement et sans nécessité d'une de nos plus précieuses prérogatives, celle de contrôler le maniement de la fortune publique et de conserver, de protéger la fortune particulière.

La question de faire voter, dans chaque cas particulier, la loi nécessaire et les conditions spéciales de l'expropriation par zones pour cause d'utilité publique comprenant même, j'y consens volontiers, l'amélioration et l'embellissement des villes, offre à d'autres points de vue des avantages considérables que je ne puis négliger de vous exposer.

Je vous ai signalé tantôt ce fait que la loi de 1858 n'avait pas produit tous ses effets et n'avait pas pu les produire par cette raison que dès le premier cas qui s'est présenté on s'est trouve en présence de difficultés que n'avait pas prévues et que ne pouvait prévoir cette loi.

La législation spéciale, au contraire, s'appliquant à des cas déterminés, s'appliquant à des cas étudiés, faits d'avance, mûris par les administrations communales, provinciale et centrale et présentés en fin de compte à la législature, pourra tenir compte chaque fois de toutes les difficultés techniques, pratiques, légales, qui se présenteront, et aucune de ces difficultés ne pourra échapper à l'action de la législature si elles rentrent dans le cadre de la Constitution.

Si ces difficultés sont de nature légale, par exemple, les Chambres seraient chaque fois appelées à les résoudre souverainement, ce que ne peuvent faire, à coup sûr, ce que vous ne permettriez pas de faire ni aux administrations locales ni à l'administration centrale.

Maintenant sera-ce, pour les administrations des villes mêmes, une perte de temps ? Je ne le pense pas ; je pense au contraire que ce sera assurer d'une façon beaucoup plus certaine l'exécution des travaux qu'elles ont l'intention de faire.

Il faut bien maintenant passer par toutes les différentes étapes que je vous ai énumérées tantôt, tandis que pour l'examen des Chambres et la discussion publique des projets dans des assemblées comprenant inévitablement des représentants de toutes les opinions, les propriétaires et la propriété privée obtiennent des garanties que ne leur donneront pas au même degré des administrations locales, qui ne sont quelquefois que la représentation d'un seul parti, d'une seule opinion dans la ville, ce qui nécessairement pourra créer des résistances regrettables, si l'on touche à des intérêts qui appartiennent à des opinions contraires.

Il est donc évident qu'en soumettant ces cas à la législature, on arrivera à résoudre beaucoup plus facilement, avec beaucoup moins de résistance, les oppositions que l'on rencontrera naturellement, si l'on adopte la loi qui vous est proposée.

Je pense, messieurs, que ces quelques explications justifieront d'une façon beaucoup plus précise que je n'ai pu le faire hier, l'opinion que (page 1060) j'ai émise que le projet de loi actuel devrait être ajourné au commencement de la session prochaine, afin que l'on puisse y introduire les modifications que je crois indispensables dans l'intérêt même des villes et des localités populeuses.

Messieurs, après vous avoir exposé en aussi peu de mots que possible, le système que je désirerais voir substituer à celui de la loi actuelle, je vais examiner également, aussi succinctement que le comporte le temps avancé de la session, les différentes questions pratiques que soulève le projet.

La première question que j'ai à examiner, en nous plaçant au point de vue du système de la loi qui nous est proposée, c'est de savoir quelle utilité elle produira pour les villes.

Car il est bien évident que c'est sous la pression de la représentation des grandes villes que le projet de loi nous a été soumis ; comme nous l'a dit hier l'honorable bourgmestre de Bruxelles, c'est avec l'espoir d'assainir très promptement les quartiers insalubres, de faire disparaître les quartiers qui déparent les grandes villes que l'on nous demande le vote de ce projet de loi, sans accorder de délai à ceux qui croient qu'une étude plus approfondie pourrait être nécessaire, afin d'arriver à une bonne législation qui garantisse les droits de tous.

Eh bien, messieurs, je soumets cette petite objection aux administrateurs des villes ici présents : je crois pouvoir leur prédire qu'ils ne parviendront pas, à l'aide de la loi proposée, à assainir les quartiers insalubres plus promptement qu'ils n'ont pu le faire avec la loi de 1858 ; et encore moins à les améliorer ou embellir. Pourquoi ? Par la simple raison que cette loi ne leur donnera pas les capitaux qui sont nécessaires pour faire cette opération.

Mais, dira-t-on : nous allons pouvoir faire de grandes zones, exproprier beaucoup de terrains et par suite regagner, sur la surface que nous revendrons, les frais d'expropriation, d'amélioration, d'assainissement et d'appropriation de ces nouveaux quartiers.

Messieurs, je n'hésite pas à vous dire que c'est une pure et complète illusion. Les villes qui se lanceront dans ces opérations n'y trouveront que des mécomptes et des déficits ; et, loin d'améliorer leurs finances, elles y rencontreront un gouffre qui les conduira rapidement à la banqueroute, si elles s'engagent dans cette voie avec un peu d'ardeur.

J'établirai ce que j'avance par de très simples calculs ; mais comme ces calculs devront servir en même temps à démontrer que ces mêmes terrains expropriés ne pourront jamais être employés à y construire des maisons d'ouvriers, je dois dire quelques mots sur ce point avant de le présenter.

En effet, si je lis le rapport très remarquable de notre honorable collègue de Gand, c'est en quelque sorte ce qu'on pourrait appeler la question ouvrière qui paraît être la cause unique du projet de loi.

C'est pour procurer à la classe ouvrière des logements plus aérés, plus vastes et plus sains que l'on demande le pouvoir presque discrétionnaire, eu égard aux termes vagues de la loi qui nous est proposée, d'exproprier pour ainsi dire toute la surface des villes et de leurs faubourgs.

Eh bien, messieurs, prenons le quartier le plus pauvre de Bruxelles, comme exemple, le quartier où le terrain a le moins de valeur, où le terrain, y compris la bâtisse, ne vaudrait que 30 francs le mètre, ce qui n'existe certainement pas, à Bruxelles du moins. Eh bien, faites-y la démolition, les nivellements, les égouts, les pavages, enfin tout ce qui est nécessaire, et vous arrivez, sans y mettre de luxe, au moins à 60 francs pour le prix de revient du mètre. Vous ne donnerez pas sans doute à une maison quelconque quelque peu aérée moins de cent mètres de surface, dégagements de derrière, compris.

Vous voilà de suite à 60 fr. le mètre, à 6,000 fr. rien que pour le terrain, pour l'emplacement de la maison, c'est-à-dire 300 fr. de loyer, d'intérêt d'argent, à 5 p. c. seulement.

Il faut construire sur ce terrain. Mettez-y la maison la plus simple. Vous aurez 300 fr. encore. Voilà 600 fr. de loyer, somme que ne peut payer aucun membre de la classe ouvrière, même en divisant le loyer entre deux ménages.

Il est donc complètement impossible de songer, au moyen de la loi proposée, à donner aux classes ouvrières des logements dans les villes.

Qu'arrivera-t-il ? C'est que la classe ouvrière sera non pas attirée dans les villes, mais qu'elle en sera chassée, qu'elle sera forcée d'aller se loger à l'extérieur et que la conséquence lointaine sinon immédiate sera que l'industrie suivra la classe ouvrière, et que l'industrie, qui fait la richesse et la fortune des villes, ira s'établir dans les campagnes, que l'industrie devra suivre, et que loin d'avoir ainsi amélioré la situation des grandes villes, loin de leur avoir fourni de nouveaux contribuables, vous n'y conserverez que les gens oisifs, les rentiers, les commerçants et les mendiants.

Messieurs, d'après les explications que je viens de donner et qui, je crois, ne seront pas démenties d'une façon sérieuse parce qu'elles ne pourraient pas l'être, si la loi actuelle était votée et si l'on voulait s'en servir, parce qu'elle pourrait être votée sans inconvénient si on la laissait dans les cartons, les villes au lieu d'améliorer leur situation l'empireraient très rapidement ; bien loin de consolider leur situation financière, elles la rendraient moins bonne ; bien loin d'augmenter leur population, elles la diminueraient de telle sorte que la loi ne serait pour elles qu'un présent des plus dangereux.

N'y a-t-il rien à faire pour remédier à la situation des villes, situation que j'ai tantôt reconnu être très digne de toute notre sollicitude ? Ai-je nié les misères dont les grandes populations souffrent ? Ai-je nié que les grandes villes contenaient des quartiers insalubres, des maisons malsaines, que leur voirie devrait s'améliorer, que les rues devraient s'élargir pour laisser passer leur trafic sans cesse grandissant ?

Ai-je rien dit de semblable ?

Tout au contraire. Toutes les causes de retard dans la prospérité des villes existent, je le sais, depuis longtemps, car depuis longtemps aussi j'ai fait quelques efforts pour y obvier.

Ces efforts n'ont pas toujours réussi, je le sais.

J'ai trouvé les mêmes obstacles contre lesquels se sont buttées les administrations communales. Je connais ces obstacles ; mais je crois pouvoir vous dire ou plutôt vous répéter encore que la loi actuelle ne donnera aucun remède contre ces maux, et que si vous voulez vous en servir, loin d'arriver aux résultats que vous espérez, vous n'aboutirez à d'autres résultats que de vous obérer et, par la réaction qui s'ensuivra, réaction qui sera peut-être très vive, vous empêcherez pendant longtemps toute espèce d'amélioration.

Qu'y a-t il à faire, messieurs, pour obvier aux maux dont souffrent actuellement les grandes villes ? Faut-il avoir recours, comme chez nos voisins du midi, à des mesures exceptionnelles, à des mesures un peu violentes et quelquefois très arbitraires ? Je ne le pense pas.

Il faut tout simplement d'abord laisser agir l'initiative individuelle, et non pas l'entraver, non pas la réglementer, non pas l'arrêter ; mais la laisser faire quand elle veut faire et surtout bien faire.

Vous trouverez là beaucoup plus de force, beaucoup plus d'argent, beaucoup plus d'énergie, beaucoup plus de viabilité que vous n'en trouverez dans toutes les administrations possibles. Or, c'est précisément la voie contraire que, depuis trente ans, nous suivons en Belgique ; l'initiative individuelle, soit qu'elle s'exerce par l'individu même, soit qu'elle se montre sous forme d'association, soit qu'elle se montre sous telle autre forme qu'elle juge convenir, est systématiquement, je puis le dire, découragée, arrêtée, entravée, et tout naturellement elle ne produit aucun fruit. Il est impossible que l'initiative particulière, dans les conditions que lui fait l'esprit public je le veux bien, que lui fait l'esprit des administrations, je le veux bien encore, il est matériellement impossible, dis-je, qu'arrêtée, entravée de toutes parts, celle initiative puisse jamais produire aucun fruit valable.

Il y a une seconde manière de venir en aide à l'initiative particulière.

Celle-ci, notons-le bien, ne rejette pas le concours des villes, le concours des administrations publiques, ne rejette pas le concours quelquefois juste, quelquefois nécessaire, des deniers des contribuables, car les contribuables ont un intérêt réel et direct dans certains travaux, un intérêt qui ne peut pas toujours se traduire en sous et deniers ou en revenus et qui ne se traduit peut-être qu'en améliorations morales ou en facilités de diverses natures. Il est juste, il est naturel qu'ils acquièrent ces bienfaits véritables à prix d'argent, exactement comme un particulier achète une facilité, un avantage quelconque. Je ne repousse donc en aucune façon le concours du public par ses deniers dans l'exécution de certains travaux d'intérêt général. Le public doit être mis, sous ce rapport, exactement sur la même ligne que les particuliers et payer ce qu'il achète, ce qu'il veut acquérir, à prix d'argent comme ceux-ci.

Par conséquent, je ne repousse pas le concours du public par son administration. Quand je parle de l'initiative particulière, je veux tout simplement dire que les administrations des villes comme des provinces et comme l'Etat, perdent une très grande force, une force plus grande qu'elles ne peuvent produire elles-mêmes, lorsqu'elles repoussent ou découragent par toutes sortes d'entraves ou de moyens indirects ou autres, les particuliers dont l'action est toujours plus énergique et plus efficace que celle des administrations publiques.

(page 1061) Un autre moyen à employer par les administrations des grandes villes pour hâter les améliorations, car je crois qu'on peut ranger sous ce terme générique tout ce qui a rapport à l'embellissement comme à l'assainissement, et sous ce rapport je dois remercier la section centrale d'avoir réduit à ce simple mot l'objet de la loi qui nous est proposée. Je dis donc qu'un autre moyen d'activer les améliorations de la part des grandes villes particulièrement c'est d'user avec sagesse mais avec énergie quelquefois, des mesures de réglementation dont elles peuvent user.

Une ville décrète, par exemple, l'ouverture d'une voie publique, utile à la généralité.

Jusqu'à présent, la ville de Bruxelles en sait quelque chose ; elle a cru absolument nécessaire d'exproprier la partie des maisons qui faisaient saillie sur la voie décrétée, et elle a dépensé pour cet objet d'énormes capitaux ; elle demande maintenant, et c'est même là un des buts principaux de la loi, elle demande, pour se rattraper des frais que lui causeront ces élargissements de la voie publique, de pouvoir exproprier par zones. Je commencerais plutôt par décréter la voie publique et j'imposerais pendant un certain temps, et après un délai moral suffisant avant d'avoir recours à l'expropriation, un impôt ou taxe sur la partie des bâtiments faisant saillie et qui occupe le sol de la voie publique décrétée, un impôt sur la partie des bâtiments destinés à être abattus et que les propriétaires ne voudraient pas démolir (interruption), et lorsqu'on aurait, après un délai suffisant pour que tout le monde eût pu trouver les moyens pécuniaires de se conformer aux plans adoptés, après que l'on aurait échoué par ces moyens et averti plusieurs années d'avance, le propriétaire, s'il ne démolit pas ce qui occupe la voie publique et s'il ne se fatigue pas de payer l'impôt, sera exproprié après que l'on aura demandé à la législature la loi spéciale nécessaire.

Notez, messieurs, que c'est précisément le moyen employé chez les nations qui jouissent de la liberté beaucoup plus largement que nous ne le faisons et qui protègent la propriété par des lois autrement efficaces que celles que nous possédons, mais qui savent aussi se soumettre sans murmurer aux nécessités de la vie sociale, parce qu'ils savent qu'une ville, pour prospérer, doit avoir des rues en proportion avec son trafic, qu'on ne peut pas faire un grand commerce dans une ville où les rues sont tellement étroites que les charriages et les transports y sont arrêtés à chaque pas, tandis que la valeur des immeubles s'accroît en raison du trafic qui se fait et que, par conséquent, lorsque l'on contraint les propriétaires récalcitrants à contribuer à l'élargissement de la voie publique, on augmente la valeur de leur immeuble, et qu'ainsi on leur fait véritablement cadeau d'une valeur nouvelle, bien loin de leur imposer un sacrifice et de les exproprier.

Eh bien, messieurs, c'est ainsi qu'après l'incendie de la ville de New-York l'administration communale n'a eu besoin d'exproprier personne pour élargir et redresser les rues ; on s'est exproprié volontairement soi-même afin de gagner ainsi la plus-value ; les maisons non incendiées se sont laissé abattre ; car tout le monde a compris qu'il fallait faire les sacrifices nécessaires à l'élargissement de la voie et gagner par cet élargissement plus du double de ce que l'on semblait donner.

Il y a huit ou dix ans, lors de la création du pare central de New-York, parc situé au milieu de la ville, de 350 hectares d'étendue, si j'ai bonne mémoire, il a fallu une loi spéciale pour l'expropriation de ce terrain d'utilité et d'agrément.

La législature, à laquelle le projet a été soumis, a accordé les pouvoirs nécessaires pour faire les expropriations et, en même temps, à imposé aux propriétaires riverains du parc, le quart de la dépense totale, mesure fort juste, puisque ces propriétés ont gagné au moins quatre fois ce qu'elles avaient dû payer et ce que les propriétaires avaient payé avec plaisir, puisqu'ils devaient être en bénéfice après l'opération.

Vous voyez donc, messieurs, par ces exemples que je cite au hasard, qu'il n'est pas absolument nécessaire de compromettre le principe vital je dirai de notre société et de notre Constitution, c'est-à-dire le principe de la propriété, pour arriver à l'amélioration des villes, cela n'est nullement indispensable ; et lorsque, dans des cas spéciaux, extraordinaires, on ne peut pas en sortir autrement, vous viendrez demander une loi spéciale pour résoudre la difficulté, je ne pense pas qu'il y ait une seule législature, à quelque opinion qu'elle appartienne, qui vous refusât une semblable loi.

Je dis donc, messieurs, que comme principe je repousse la loi qui nous est présentée, je la repousse comme entachée du vice d'inconstitutionnalité et comme étant, en pratique, je le répète, impuissante à remplir l'objet pour lequel elle est demandée, bien plus comme pouvant compromettre, si les villes voulaient s'en servir d'une façon un peu vive, un peu énergique, comme pouvant compromettre les améliorations qu'elle ferait obtenir parce que la réaction qui serait produite dans l'esprit des populations par l'exécution de cette loi, serait, je pense, tellement violente qu'il faudrait s'arrêter et peut-être même reculer.

Notez bien, messieurs, que nous ne sommes pas ici les mandataires de tous les propriétaires.

Il y a, messieurs, en Belgique, la discussion de la loi sur l'extension du suffrage l'a démontré, près 1,100,000 propriétaires et, dans les comices électoraux il n'y en a que 50,000.

Or, de quel droit nous, qui ne représentons directement que le vingtième des propriétaires de la Belgique, diminuerions-nous des garanties qui appartiennent à tous et qui n'ont de valeur que parce qu'elles appartiennent à tous ?

Messieurs, c'est encore là une considération que je vous prie de peser sérieusement avant d'émettre votre vote.

Nous sommes chargés par la nation tout entière de l'administration de la chose publique dans l'intérêt de tous. Pour faire le bien, nous sommes, je puis le dire, et je me crois, pour ma part, armé de pleins pouvoirs, mais dès qu'il s'agit de compromettre seulement une parcelle des droits qui appartiennent non seulement à ceux qui nous ont envoyés ici, mais aussi à ceux que nous représentons indirectement, je me crois complètement dénué de tout pouvoir et je crois que je n'ai pas mandat de compromettre en quoi que ce soit les garanties inscrites dans la Constitution qui appartient à tous.

Messieurs, je regrette de vous tenir si longtemps, mais j'ai encore à examiner la loi qui nous occupe sous un point de vue plus mesquin peut-être, mais qui n'en est pas moins important. Il s'agit de l'indemnité.

Cette question a été touchée hier avec beaucoup de talent, comme tout son discours, du reste, par l'honorable M. Tack, et je croirais avoir bien peu de chose à y ajouter si je n'avais pas quelque point particulier à vous signaler.

Messieurs, qu'est-ce que l'indemnité ?

L'indemnité ou plutôt l'expropriation est l'échange forcé d'une valeur immobilière qui, de sa nature, augmente sans cesse de valeur, quelquefois d'une façon très rapide, contre un capital mobilier destructif de sa nature et perdant sans cesse de sa valeur.

La Constitution dit qu'en cas d'expropriation forcée pour cause d'utilité publique, l'indemnité sera juste...

- Une voix. - Et préalable.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Préalable, ce n'est qu'un mode, mais elle doit être juste.

Quelle est la base de l'indemnité ? L'indemnité juste est celle qui laisse le propriétaire après l'expropriation exactement dans la même situation où il était avant ; en un mot, pour que l'indemnité soit juste il faut que le propriétaire du côté de la rue qui est exproprié soit exactement dans la situation où il serait si la chance l'avait mis du côté de la rue non exproprié.

Pourquoi cela ? Parce qu'il est membre de la même société.

Qu'est-ce qu'une ville ?

Descendons un peu au fond des choses. C'est une association sous certaines lois dont la principale est la loi communale, qui met tous les membres de cette association exactement sous le même niveau, tous devant contribuer de même aux charges publiques, tous devant profiter de même des avantages produits par l'association.

Et parce qu'une série de ces contribuables se trouverait forcée de céder, pour le bien commun de la masse, leurs propriétés à la chose publique, on voudrait et c'était le sens de la loi primitive proposée par le gouvernement, que l'indemnité comprît seulement la valeur vénale des biens au moment de l'expropriation, c'est-à-dire si par exemple un père de famille dans un faubourg avait acheté un demi-hectare ou un hectare de terre pour en faire, prévoyant l'augmentation de valeur qui devrait résulter de l'augmentation de la population, la dot de ses enfants, venait à tomber dans l'alignement et sous le niveau du plan de l'administration communale, if faudrait qu'il sacrifiât toutes ses espérances et celles de sa famille pour le bien commun. Le public en général profiterait de sa prévoyance, lui seul n'en profiterait pas.

Il y a autre chose encore. J'ai un peu l'expérience des expropriations et comme expropriant et comme exproprié. Le tribunal nomme des experts ; les experts évaluent la maison, mesurent l'épaisseur des murs, mais ils oublient toujours une seule chose, C'est de tenir compte du revenu.

Or, par suite de cette circonstance, il arrive que l'exproprié, après (page 1062) l'opération et l'indemnité payée, se trouvait privé du tiers de son revenu, c'est qu'au bout d'un certain nombre d'années, 8, 10, 20 ans par la perte de son revenu, il est privé de son capital. Voilà l'expropriation juste comme l'entendent certains tribunaux, comme l'entendent même certaines cours d'appel.

D'un autre côté j'ai vu des opérations contraires, j'ai vu payer quatre fois la valeur d'un bien racheté qui n'avait passé que par les mains du dernier propriétaire pour arriver à l'expropriation.

Eh bien, je dis que dans les deux cas il y a profonde injustice, complète injustice. Ce n'est pas là l'expropriation juste ; la propriété de la pièce de cinq francs dans les mains de l'expropriant a autant de droit au respect des tribunaux et des experts que l'immeuble de l'exproprié. Les deux intérêts ont droit à la même protection, mais il faut de part et d'autre qu'il y ait justice, c'est-à-dire qu'on ne puisse prendre à l'un pour donner à l'autre et réciproquement. Si la loi devait passer, si l'expropriation devait être décrétée non pour cause d'utilité publique mais par simple spéculation, il y aurait d'autant plus lieu de donner au propriétaire évincé la juste valeur, la valeur largement juste du bien qui lui est enlevé. (Interruption.)

Je vous cite des cas où là justice a interprété largement la loi dans les deux sens. (Interruption.)

La discussion des lois dans cette assemblée est faite pour éclairer ceux qui sont chargés de rendre la justice et d'interpréter les lois.

Je résumerai maintenant en quelques mots l'opinion que je viens d'émettre. Je crois la loi, dans la forme générale qu'elle a prise et non dans la forme particulière inconstitutionnelle, je la crois inefficace, je la crois dangereuse pour les villes qu'il s'agit de servir, dangereuse pour les propriétaires qui auront leurs immeubles empris.

Je crois que si vous voulez bien faire, vous devez revenir à l'avis de ceux qui vous ont proposé hier de remettre la discussion de cette loi à la session prochaine. Dans l'intervalle les légistes, les hommes spéciaux, les administrations pourraient être priés de présenter les amendements que cette loi réclame, je crois l'avoir démontré d'une façon péremptoire.

Quant à moi, si la loi n'est pas modifiée dans son principe, ainsi que je viens de le dire, je me verrais à regret obligé de la repousser.

M. Anspachµ. - Il me paraît que l'honorable membre qui vient de se rasseoir a, à propos du projet de loi soumis à vos délibérations, développé des idées passablement contradictoires. L'honorable membre a commencé par déclarer que la Constitution ne s'opposait pas à l'expropriation par zone et il a terminé son discours en motivant son opposition au projet, en disant que le projet lui paraissait, en même temps qu'inefficace, inconstitutionnel.

L'honorable membre veut supprimer la faculté que la loi prévoit pour les communes et la remplacer par des impôts spéciaux dont on frapperait ceux qui sont destinés à profiter plus largement des sacrifices de tous.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je n'ai pas dit un mot de cela.

M. Anspachµ. - Je rappelle à la Chambre que l'honorable membre a cité l'exemple de New-York, où des propriétaires riverains d'un parc à créer avaient été taxés pour un quart de la dépense à faire.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Cela ne touche en rien au principe. Je n'ai pas dit que la Constitution s'opposait à l'expropriation par zone, mais que cette expropriation ne serait constitutionnelle qu'à la condition que chaque expropriation fût décrétée par une loi spéciale.

M. Anspachµ. - Il faudrait, selon l'honorable membre, pour que la loi devînt constitutionnelle qu'elle s'appliquât à un cas déterminé ; je ne vois pas très bien comment un projet de loi particulier peut être plus constitutionnel qu'un projet de loi général.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - La Constitution le dit.

M. Anspachµ. - Je ne verrais pas, quant à moi, de grands inconvénients à saisir la législature de projets de loi spéciaux pour chaque cas particulier, parce que je suis convaincu qu'elle en reconnaîtrait toujours l'utilité. Mais le temps ferait défaut à la législature belge pour les examiner.

M. Le Hardy de Beaulieu nous a cité ce qui se faisait en Angleterre. Mais en Angleterre la Chambre ne doit pas, comme ici, être en nombre pour délibérer ; elle se réunit en comité, elle se réunit chaque jour à 4 heures du soir pour terminer à 1 heure du matin ; il lui est donc possible de s'occuper d'affaires administratives, mais il serait impossible aux Chambres belges de discuter tons les projets qui seraient imaginés dans le but d'assainir les grandes villes de la Belgique.

Je crois donc que le système proposé par l'honorable membre est tout à fait impraticable.

L'honorable membre, cédant à son amour extrême pour les idées américaines et anglaises, a préconisé la liberté absolue ; il a engagé les administrations à s'occuper le moins possible de travaux d'assainissement, il a dit : Laissez faire les individualités ; laissez passer. Vous irez beaucoup plus vite et beaucoup mieux qu'en donnant aux administrations communales des pouvoirs dangereux dont elles pourront abuser.

L'honorable membre paraît oublier que les travaux d'assainissement dans les villes sont des opérations qui laissent toujours, et dans tous les cas, derrière elles, un déficit considérable ; et si la Chambre veut bien m'accorder quelques minutes d'attention, je voudrais montrer le côté pratique de la loi, les nécessités devant lesquelles se trouvent les administrations communales, presque chaque jour et à quelles nécessités le projet actuellement soumis doit donner satisfaction dans une certaine mesure.

Sous l'empire de la législation de 1835 et de 1810, les communes qui avaient décrété un travail d'assainissement devaient se borner, lors de l'ouverture de rues ou de places nouvelles, à l'expropriation stricte du sol de la rue ou de la place nouvelle, de sorte que lorsqu'une commune avait, à grands frais, acquis les maisons, payé les indemnités d'éviction que vous savez, avait nivelé, pavé le sol, fait les travaux souterrains pour le passage des eaux, du gaz, etc., il se faisait qu'une plus-value considérable était attribuée immédiatement aux propriétés riveraines de la voie nouvelle, de sorte que les deniers de tous servaient à créer un bénéfice considérable pour un certain nombre de privilégiés. Les sacrifices du trésor communal se traduisaient par un bénéfice fort considérable pour les propriétaires riverains de la voie qu'il s'agissait de créer.

On conçoit que, dans ces conditions, l'ouverture de rues nouvelles, les travaux d'assainissement étaient une charge accablante pour les communes ; que devait-il se passer ? C'est que ces travaux ont été extrêmement rares et que l'assainissement a été extrêmement négligé. Et chose digne de remarque, à mesure que ces travaux devenaient plus nécessaires, à mesure aussi ils devenaient plus impraticables pour les communes, parce que la densité de la population favorise l'élévation du prix des immeubles.

Enfin, messieurs, quand de loin en loin une commune, vaincue par la nécessité de sauvegarder la santé publique, se décidait aux lourds sacrifices d'ouvrir une artère importante dans un quartier malsain, encore dans ce cas, une partie des sacrifices de la commune était perdue. Et cela se conçoit. Comme la commune ne pouvait exproprier strictement que le sol de la voie, il arrivait, comme l'a fort bien explique hier l'honorable M. Tack, que le long de la voie nouvelle il y avait des parcelles où il n'était pas possible d'élever des constructions convenables ; et à l'insalubrité ancienne, venait se substituer une insalubrité nouvelle.

En résumé, sous l'empire de la législation de 1835 et de 1810, les travaux d'assainissement étaient extrêmement rares, et quand ils étaient entrepris, ils étaient en grande partie inefficaces.

Cette législation devait être condamnée et elle le fut en effet par la législature de 1858, qui permit l'expropriation par zones pour cause d'assainissement.

Cependant, messieurs, malgré les espérances que nous avions conçues, la loi devait rester infructueuse, elle devait rester, entre les mains des administrations communales, comme une arme inutile.

Lorsque la loi parut, l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, fit connaître sa pensée quant à son application. Dans une circulaire de 1859, il montra que, dans tout travail d'assainissement, on devait nécessairement rencontrer des propriétés, des habitations qui n'étaient pas en elles-mêmes des causes particulières d'insalubrité, il ajoutait que la zone des expropriations contiguës à la voie à créer devait comprendre les bonnes comme les mauvaises parties des rues ou des quartiers à assainir, que c'était là le seul moyen de faire produire à la loi nouvelle les résultats que le législateur s'était proposé lorsqu'il l'avait adoptée.

Si la circulaire de l'honorable M. Rogier avait servi de base aux opérations subséquentes que nécessitait l'application de la loi, je n'eusse point poursuivi, comme je l'ai fait, la demande de dispositions législatives nouvelles. Mais il n'en a pas été ainsi. Les commissions nommées en vertu de la loi de 1858 appliquèrent généralement d'une manière stricte les dispositions de la loi. Les commissions divisaient les projets d'assainissement ; pour telle partie du projet, il y avait possibilité d'appliquer la loi de 1858, pour telle autre, il fallait recourir à la législation de (page 1063) 1810 ; de tel côté d'une rue à créer, on pouvait appliquer la loi d'assainissement, de tel autre on ne le pouvait pas. Ces commissions jetaient ainsi la perturbation dans les combinaisons financières des communes, et rien ne se faisait.

C'est ainsi, messieurs, que la loi devint en quelque sorte inutile et que les efforts que faisaient les communes dans un but que le législateur doit permettre d'atteindre, parce qu'il s'agit d'assurer la santé publique et la prospérité future des villes, furent paralysés.

L'honorable M. Elias disait hier que cette idée que l'on avait présentée à l'appui du projet de loi, à savoir qu'il était favorable à l'amélioration des habitations des classes nécessiteuses, n'était qu'un leurre, qu'il s'agissait bien plus pour les villes de s'embellir et de s'enrichir que de donner de meilleurs logements à la classe ouvrière.

Je crois que l'honorable membre connaît fort mal l'esprit qui anime les administrations communales des grandes villes. Toutes ont pour première préoccupation de veiller à la sécurité morale et matérielle des classes les plus nombreuses ; et comme réponse à l'objection qu'a faite l'honorable membre, je veux lui citer un seul fait.

Dans le projet d'utilité publique communale, le plus grand, je crois, qui ait été proposé jusqu'ici, le travail de l'assainissement de la Senne, l'administration de Bruxelles a imposé à la compagnie concessionnaire des travaux, à mesure de la démolition des habitations qui servent de logement aux ouvriers, de faire construire en nombre suffisant, des habitations ouvrières nouvelles, convenables et salubres...

M. Eliasµ. - Où ?

M. Anspachµ. - Elle a le droit de construire ces maisons hors du territoire de Bruxelles. Quel est le but de l'interruption ? L'honorable membre pense-t-il que les nouvelles habitations ouvrières doivent être élevées là où les habitations auront été démolies ? (Interruption.)

Pourquoi doivent-elles être élevées sur le territoire de Bruxelles ?

M. Eliasµ. - Parce que les classes ouvrières que vous expulserez du territoire de Bruxelles seront privées de leur domicile de secours.

M. Anspachµ. - Voilà une très grosse question ; l'honorable M. Elias signale une des difficultés les plus graves que les administrations communales rencontrent lorsqu'il s'agit de faire disparaître les bouges malsains de nos villes. C'est le domicile de secours.

Voilà, en effet, l'obstacle fatal qui arrête l'assainissement rapide de nos grandes villes. Oui, les classes tout à fait indigentes, inscrites sur les registres de la charité publique, qui habitent ces bouges, ont une très grande frayeur de perdre ce revenu.

Enfin à cet égard, il sera peut-être indispensable que le pouvoir législatif prenne des mesures pour empêcher les inconvénients de la charité légale ; il faudra modifier la loi sur le domicile de secours, pour empêcher qu'il n'y ait une population d'indigents, qui toujours et dans toutes les communes, est en proportion directe de la richesse des hospices.

Dans les villes où par hasard les secours publics ont disparu, la population indigente a disparu à son tour.

L'honorable M. Elias me fait un signe de dénégation ; eh bien, je puis lui citer l'exemple d'une ville qui a passé de la plus extrême misère à l'aisance la plus générale, par suite du fait dont je parlais tout à l'heure. La ville de Saint-Hubert était, avant la révolution française, un nid de mendiants ; le couvent qui donnait la sportule ayant disparu, les secours n'ayant plus été distribués, il s'est trouvé qu'au bout de quelques années, tout le monde travaillait, et que l'aisance s'est généralisée ; et maintenant, si cette même ville n'avait pas encore le malheur d'avoir l'étole de saint Hubert, il n'y aurait plus là de pauvres du tout. Je ne veux pas continuer dans cet ordre d'idées : cela nous mènerait beaucoup trop loin.

Mais je crois qu'il n'est pas bon, qu'il n'est pas équitable de dire qu'une ville ne remplit pas son devoir, quand elle remplace les habitations malsaines, que les classes nécessiteuses occupent sur son territoire, par d'autres habitations saines et salubres, élevées en dehors de ses limites.

Messieurs, à part l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, qui a parlé de l'inconstitutionnalité de la loi, je crois que cette objection peut être considérée comme résolue ; elle a été réfutée d'avance avec tant d'autorité par l'honorable M. de Theux, l'article 11 de la Constitution a reçu un commentaire si net de la part de l'honorable M. de Naeyer, et enfin le rapport de la section centrale s'en explique avec tant de clarté qu'à mon avis il n'y a plus lieu d'examiner devant les Chambres si le projet de loi est oui ou non constitutionnel ; la constitutionnalité ne m'en paraît pas douteuse.

Mais il y a une objection qui a été produite hier par les honorable MM. Tack et Elias, et qui me touche davantage.

Elle peut se formuler ainsi :

Est-il convenable, quels que soient les avantages du but à atteindre, de permettre à des communes de spéculer sur les propriétés privées ? Voilà l'objection qui pourrait empêcher les deux honorables membres dont je viens de parler, de donner leur approbation au projet de loi.

Eh bien, je crois, messieurs, que la crainte qu'on exprime est vraie ; je crois que, dans des travaux de cette nature, il ne peut jamais être question de spéculation.

Permettez-moi d'abord de vous faire remarquer que, si spéculation il y a, la commune, en la faisant, ne se substitue en aucune façon aux propriétaires intéressés.

En effet, l'application de la plus-value n'a lieu en déduction des charges des travaux, et c'est presque une vérité naïve, que si le travail est fait. Or, si le travail est impossible quand la plus-value ne vient pas en ligne de compte, je demande de quoi vous privez le propriétaire ?

M. Coomans. - Vous le privez des chances de la plus-value dans l'avenir.

M. Anspachµ. - Je demande à la Chambre quand les travaux d'assainissement sont impossibles...

M. Dumortier. - Il ne s'agit pas d'assainissement, mais bien d'embellissement dans la loi.

M. Anspachµ. - Il s'agit si peu d'embellissement, que la section centrale a fait disparaître le mot « embellissement » dans le projet du gouvernement. Je ferai remarquer à l'honorable M. Dumortier qu'il n'est question que d'assainissement dans cette loi...

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. Anspachµ. - Laissez-moi continuer ma démonstration. J'ai dit tout à l'heure à la Chambre que si la loi de 1858 avait été appliquée d'une manière plus large, comme le voulait l'honorable M. Rogier dans sa circulaire, je n'aurais pas demandé le vote d'une nouvelle loi ; mais comme il n'en a pas été ainsi, il a fallu modifier la loi de 1858 de manière à rendre l'assainissement possible. L'assainissement n'est possible dans les grands centres agglomérés que si on peut faire un travail d'ensemble.

Le gouvernement est donc venu proposer une extension de la loi de 1858, dans le sens de la circulaire de l'honorable M. Rogier. La section centrale a demandé la suppression du mot « embellissement », parce que chaque fois qu'il y a assainissement il y a amélioration, et chaque fois qu'il y a amélioration, il y a embellissement.

De quoi s'agit-il avant tout pour les communes qui insistent sur le vote d'une nouvelle loi ? Est-ce pour pouvoir faire des travaux de luxe ? Eh, messieurs, elles n'y pensent pas ; il s'agit pour elles de faire disparaître ces foyers d'insalubrité qui déshonorent nos cités.

Si l'honorable M. Dumortier voulait bien me suivre un jour dans un quartier qui est bien près de cette enceinte, qui va jusqu'à la place des Barricades, il serait surpris de voir, à côté des rues somptueuses qui le bordent, à côté de ce boulevard qui fait l'admiration de tous, des impasses et des ruelles, dans lesquelles il s'étonnerait que l'on puisse vivre, que l'on puisse trouver un air respirable.

Eh bien, les administrations communales qui ont charge de la sûreté publique, sont désolées de ne pouvoir, sans ruiner les contribuables, faire disparaître de pareils quartiers.

Voilà, messieurs, ce qu'on recherche. On ne recherche pas l'embellissement ; c'est pour donner aux classes inférieures ce qui leur manque aujourd'hui, que nous sommés venus demander la loi.

M. Dumortier. - Il ne vous est pas possible de supprimer toutes les impasses ; il faudrait démolir les villes.

M. Anspachµ. - L'honorable M. Dumortier dit qu'il n'est pas possible de supprimer toutes les impasses. Du jour au lendemain, sans doute c'est impossible, mais laissez-nous commencer ; donnez-nous, vous législateurs, les moyens de mettre la main à l'œuvre et de pouvoir peu à peu transformer cet état de choses. Et si nous venons aujourd'hui vous demander votre appui, croyez-le bien, M. Dumortier, ce ne sera pas la dernière fois que nous le réclamerons.

Nous devrons vous demander encore, et de larges subsides, et peut-être de nouvelles dispositions législatives, parce que nous avons avant tout un grand devoir à remplir, celui de faire disparaître de nos cités les causes d'insalubrité et de sauvegarder la vie des classes nécessiteuses.

(page 1064) Je disais donc, pour reprendre au point où m'ont arrêté les interruptions de l'honorable M. Dumortier, qu'on ne privait pas les propriétaires de quelque chose d'appréciable, que la commune ne faisait pas une spéculation en se substituant à eux.

Messieurs, voyez combien il est impossible qu'il soit ici question pour les communes de spéculation. Les communes ne peuvent pas être ici inspirées, comme des particuliers, par des instincts injustes ; elles représentent l'intérêt de tous, et vous ne pouvez croire que des administrations publiques aillent chercher à faire des travaux dans un intérêt de spéculation, en privant des particuliers d'avantages dont ils ont la légitime possession. Mais enfin, supposons gratuitement qu'il y ait une commune qui veuille, dans un but de spéculation, priver des propriétaires de bénéfices qui leur reviennent. A côté du contrôle de la presse, vous avez l'autorité provinciale, et puis vous avez le gouvernement. Est-ce que l'autorité provinciale, est-ce que le gouvernement vont s'associer pour autoriser des travaux qui ne seraient pas commandés par l'intérêt public ? Evidemment, il y a là une garantie, il y a une barrière.

Il y en a encore une autre dans le projet, c'est l'article 6 qui dit : Si les propriétaires croient qu'il y a un bénéfice à réaliser, ils pourront faire eux-mêmes l'opération. Il suffit qu'ils le déclarent à la commune, et s'ils croient qu'il y a une spéculation à faire, ils en retireront les avantages.

De toute manière donc il est impossible de craindre une spéculation de la part des communes.

Non, messieurs, ma conviction bien sincère, ma conviction intime, éclairée par l'expérience, me démontre, comme je le disais tout à l'heure à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu que, dans n'importe quelle hypothèse, les travaux d'assainissement, prévus par la loi, seront toujours extrêmement coûteux pour les communes, se traduiront toujours pour elles en un déficit considérable, et que ce n'est qu'un adjuvant, que ce n'est qu'une aide que nous venons vous demander par la loi. Les grandes villes devront toujours consacrer des sommes extrêmement considérables lorsqu'il s'agira de faire des rues nouvelles à travers des quartiers insalubres.

Veut-on des exemples ?

Nous avons appliqué la loi de 1858 à la création de la rue du Midi. Cela a coûté à la ville 700,000 fr.

Nous avons à prolonger la rue de la Régence. Les calculs les plus sérieux ont été faits : avec l'expropriation par zones, il en coûtera encore à la ville de Bruxelles 1,100,000 fr.

Pour redresser la Montagne de la Cour et faire disparaître ces ruelles que vous connaissez tous, qui s'appellent les rues de Saint-Roch et qui s'étendent de la rue Terarken à la Montagne de la Cour, il en coûterait à la ville une somme de 4 millions.

Mais 1'exemple le plus frappant, c'est l'assainissement du quartier dont je vous parlais tantôt, du quartier de la rue Notre-Dame-aux-Neiges. S'il y avait lieu de croire que jamais on pût faire une spéculation de terrains, c'est là qu'on devrait aller la chercher. C'est un quartier composé d'impasses, de rues étroites et tortueuses, ne renfermant que des maisons qui ont relativement peu de valeur.

Que croyez-vous qu'il en coûterait à la ville pour faire à travers ce quartier de larges voies de communication ? On a fait des études et ces études ont été contrôlées. Il y avait une compagnie puissante qui avait le projet de faire ce travail d'assainissement. La ville aurait à dépenser une somme d'environ 7 millions.

Il est une ville qui a fait sur une large échelle ces travaux d'assainissement. C'est Paris ; et les motifs pour lesquels ces sortes d'opérations seront toujours onéreuses, je vais les trouver dans quelques lignes que j'aurai l'honneur de lire à la Chambre et qui émanent d'un homme qui, en présidant à de semblables travaux, s'est fait un nom européen : c'est M. Haussmann.

Voici la lettre que M. Haussmann m'écrit :

« Paris, le 1er février 1867.

« Monsieur le bourgmestre,

« Vous m'avez fait l'honneur de m'écrire pour me demander si les grandes opérations de voirie que la ville a entreprises lui ont imposé des sacrifices pécuniaires ou si les frais de ces opérations ont pu être compensés par le produit des rentrées provenant de la revente des terrains.

« Les opérations dont il s'agit sont des plus onéreuses pour la ville, et la revente des terrains restés libres, sauf sur certains points des quartiers extrêmes où l'on trouve encore des terrains vagues ou des jardins maraîchers sans habitations, ne saurait donner qu'une compensation partielle de la dépense nette de l'opération. Il est facile de s'en rendre compte si l'on considère, d'une part, que la ville ne revend qu'une partie des terrains expropriés et qu'elle est forcée d'abandonner l'autre partie, généralement la plus considérable, à la voie publique ; d'autre part qu'elle ne revend que des terrains nus, alors qu'elles dû payer pour l'expropriation, non seulement la valeur du sol de ces terrains, mais encore celle des constructions à démolir et les indemnités d'éviction à payer aux occupants. Pour que le prix de revente des terrains restés libres pût, non pas lui procurer un bénéfice, mais seulement la couvrir de ses déboursés, il faudrait donc qu'il représentât à la fois le prix que ces terrains lui ont coûté et celui de la surface dévolue à la voie publique, plus les frais de toute espèce nécessités par l'opération. Or, il est constant que les terrains revendus, si bien qu'ils puissent l'être, ne rapportent pas à la ville mètre pour mètre, ce qu'ils lui ont coûté. Elle a donc à supporter l'écart entre le prix de revente de la partie et le prix d'expropriation du tout, plus les frais, tels que plans, procédures, frais de viabilité, etc.

« Ainsi, pour une rue de 20 mètres, il n'est pas rare que la zone d'expropriation, quelque intérêt que la ville ait à la restreindre, soit d'une largeur double. Il peut donc y avoir 10 mètres à revendre, en moyenne, de chaque côté. Si l'on suppose que l'opération ait coûté en indemnités foncières et locatives, en frais et en travaux de toute espèce, 800 francs seulement par mètre exproprié, il faudrait que la ville retirât 1,000 francs de chaque mètre à revendre, pour rentrer dans ses déboursés, et qu'elle obtînt un prix encore supérieur à ce chiffre pour faire un bénéfice. Il est bien plus probable qu'elle revendrait 500 ou 600 francs chacun de ces mètres représentant une dépense de 1,000 francs.

« On voit donc que les opérations de voirie sont loin d'être avantageuses au point de vue financier ; mais c'est de plus haut qu'il faut les envisager pour en saisir exactement la valeur. La question est de savoir si le prix net de la dépense qu'une opération a coûté est en rapport avec son utilité : or, il n'est pas besoin d'insister sur les améliorations de toute sorte que réalise l'ouverture d'une voie nouvelle au point de vue de. la facilité et de l'activité des communications, de la sécurité et de la salubrité publiques, etc.

« Au surplus, si l'exécution des grandes opérations de voirie que la ville a entreprises a été en soi très onéreuse, elle a, par l'augmentation de la matière imposable et le développement des consommations locales qui en ont été la conséquence exercé l'influence la plus féconde sur le revenu municipal, qui, par ce seul effet, n'a cessé de s'accroître dans une proportion plus forte que l'intérêt des capitaux immobilisés par elle dans ces opérations. Ce résultat final est la meilleure justification de la théorie des dépenses productives, quand l'application en est faite avec prudence et discernement.

« Veuillez agréer, monsieur le bourgmestre, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

« Le sénateur préfet de la Seine,

« Haussmann. »

Je me hâte d'ajouter que nos villes ne sont plus dans la situation de la ville de Paris ; le revenu des octrois nous échappe, non que je veuille m'en plaindre, car personne plus que moi n'a applaudi à la grande mesure de la suppression des octrois, je constate seulement la différence qui existe sous ce rapport entre nos villes et la ville de Paris.

Messieurs, je crois avoir montré quel est le but pratique de la loi. J'espère que la Chambre hâtera par son vote la solution d'un problème extrêmement important, le remplacement pour les classes laborieuses des masures qu'elle habite actuellement par des habitations salubres, régénératrices à tous les points de vue. C'est là le mérite principal, c'est même le seul but du projet de loi.

M. Jacobsµ. - Comme l'honorable bourgmestre de Bruxelles, comme l'honorable député de Gand, rapporteur de la section centrale, j'ai accueilli, au premier abord, avec sympathie le projet que nous discutons. J'avoue que l'idée d'« haussmaniser » un peu la ville d'Anvers m'avait séduit. Je me suis livré à l'étude de la question de l'expropriation par zones ; j'ai lu ce qui a paru sur cette matière, et ce n'est pas peu de chose, j'ai médité les remarquables études de MM. Delmarmot, Léon Collinet, Olin et autres, j'ai abouti au doute ; ce sont ces doutes, ces scrupules, ces hésitations que je viens soumettre à la Chambre.

Je me suis demandé d'abord jusqu'à quel point l'article 11 de la Constitution autorise l'expropriation de terrains qui ne doivent pas être affectés à un service public ?

J'ai rencontré de graves avis qui soutiennent la négative. M. le (page 1065) procureur général Leclercq penche de ce côté. Mais, je dois le dire, en présence des antécédents de la Chambre, qui a étendu le droit d’expropriation au-delà des limites du domaine public, en votant, en 1837, la loi relative aux communications nécessaires aux exploitations de mines ; en 1847, celle concernant le défrichement des terres incultes ; enfin, en 1858, l’expropriation par zone pour cause d’assainissement ; j’ai cru devoir m’incliner ; ces précédents ont résolu la question.

Cependant, j'ai remarqué que dans ces trois circonstances où la législature a admis l'expropriation de terrains qui ne doivent pas être affectés à un service public, il est un point qui toujours a été proclamé, c'est que cette extension du droit d'expropriation ne peut avoir lieu qu'exceptionnellement, que dans des bornes excessivement restreintes, que pour des motifs excessivement sérieux ; aujourd'hui même le gouvernement se défend de généraliser cette extension.

Ce n'est, dit-il, que pour un ensemble de travaux, ce n'est que dans ce cas isolé que sera autorisée l'expropriation par zones. Et, de fait, le respect de la propriété, sa stabilité est l'une des bases de l'ordre social.

La propriété, c'est la patrie en miniature ; le père de famille fait son nid, il passe sa vie à l'embellir, il y donne une valeur d'affection qu'aucune indemnité ne lui rendra, et c'est pour cela qu'il ne doit en faire le sacrifice à l'intérêt général que lorsque cet intérêt est sérieux et incontestable.

L'agrément seul de ses concitoyens, l'embellissement de la ville suffit lorsque la voie publique passe sur le terrain du père de famille, mais lorsqu'elle le côtoie, on ne l'a jusqu'ici englobé dans l'expropriation que pour des raisons majeures, telles que l'accès des mines, le défrichement des terres incultes, la salubrité publique.

Que fait-on aujourd'hui, messieurs ? On généralise l'expropriation par zones et l'on admet que le simple agrément public, le seul embellissement des cités, suffit pour enlever à un particulier et le terrain nécessaire à la voirie et les terrains adjacents.

Jusqu'à présent, d'après la loi de 1858, c'est l'honorable M. Rogier, je crois, qui a donné la formule, on pouvait embellir en assainissant, aujourd'hui on pourra embellir sans assainir, on pourra même créer sans assainir, créer des quartiers mauvais, dans le seul but d'étendre l'agglomération.

J'ai été fort étonné, messieurs, d'entendre tout à l'heure l'honorable député de Bruxelles, bourgmestre de cette ville, nous dire que, si l'on n'avait pas donné à la loi de 1858 une interprétation restrictive, on ne réclamerait pas la loi actuelle.

S'il s'agissait de donner une interprétation extensive à la loi de 1858, une interprétation conforme à la circulaire de 1859, de l'honorable M. Rogier, personne de nous ne songerait à s'y refuser.

Mais que nous demande-t-on ? On nous demande d'admettre comme cause d'expropriation par zones le seul embellissement, car le mot « embellissement » n'a été biffé du projet par la section centrale que parce que le mot « amélioration » en est le synonyme.

Nous allons donc admettre que l'embellissement pur et simple, sans mélange d'assainissement, est une cause légitime d'expropriation par zones. Nous allons plus loin, et tandis que la loi antérieure ne permettait que de transformer des quartiers existants, la loi actuelle va permettre de créer des quartiers nouveaux.

Si j'en juge par l'insistance de l'honorable rapporteur de la section centrale, c'est là le but principal, presque exclusif de la loi.

L'assainissement n'est pas en cause ; la loi de 1858 le permet, et, s'il faut en étendre les termes, nous sommes prêts à le faire. Ne nous parlez donc pas d'épidémies, ne cherchez pas à nous faire frissonner par l'émouvante peinture des bouges infects où croupissent les classes nécessiteuses, tout cela est étranger au débat, tout cela ne peut faire l'objet d'un débat entre nous.

L'assainissement est, de l'avis de tous, une cause légitime d'expropriation par zones ; nul ne veut y mettre des limites et des obstacles ; la discussion ne roule que sur l'embellissement des quartiers anciens, sur la création de quartiers nouveaux.

Le rapport de la section centrale justifie la mesure proposée en faveur de cette création par la nécessité de rendre aux classes ouvrières les habitations dont lès expropriations dans le centre des grandes agglomérations vont les priver.

Pour ma part, je ne suis pas d'avis que la mission de fournir des habitations aux classes ouvrières incombe aux administrations communales. Grâce à la fécondité de l'initiative individuelle nous voyons se fonder chaque jour des sociétés pour la création d'habitations ouvrières.

II s'en est établi, dans le courant de cette année, dans les principales villes de la Belgique.

On peut leur accorder des subsides et des encouragements mais ce n'est pas le rôle des pouvoirs publics de se substituer, en cette matière, à l'initiative individuelle.

Ce motif unique, longuement développe dans le rapport de la section centrale pour justifier la création de quartiers nouveaux au moyen de l'expropriation par zones, n'est pas en corrélation avec la proposition qui nous est faite. Aucune limite n'est imposée à ces créations nouvelles, ces quartiers ne devront être ni exclusivement ni même principalement occupés par la classe ouvrière.

Un amendement en ce sens a été écarté. Ce seront des quartiers de toute nature, aristocratiques aussi bien que démocratiques, qu'on pourra dorénavant créer en expropriant toute une zone.

Messieurs, soyons vrais et sincères.

Ce qu'il s'agit de faire, c'est de substituer la règle à l'exception, c'est de rendre l'expropriation limitée à la voie publique, un véritable mythe, c'est d'établir toujours et dans tous les cas l'expropriation par zones.

Remarquez, messieurs, que l'ensemble de travaux, seule limite maintenue par le projet de loi actuel, a été interprété d'une manière tellement large, qu'il n'y aura plus un seul travail qui ne puisse être considéré comme un ensemble.

M. le ministre de l'intérieur, dans une réponse à la section centrale, déclare que le redressement d'une rue peut être un ensemble de travaux, parce qu'il peut se composer d'une part de la voirie, travaux publics, et d'autre part de maisons à édifier le long de la voirie, travaux privés.

S'il suffit aux administrations communales de décréter un plan pour les habitations qui longent la rue à redresser, pour être autorisées à exproprier par zones, on fera un plan, ne fut-ce que pour atteindre ce résultat !

La commune qui négligerait ce soin ferait preuve d'impéritie administrative ou de négligence des intérêts de ses administrés.

Toutes les raisons données pour étendre l'expropriation par zones, la nécessité de ménager les finances communales, la justice qu'il y a à faire profiter de la plus-value celui qui, par des travaux onéreux, la procure, ces raisons s'appliquent à toute expropriation, et me confirment de plus en plus dans l'idée que l'on veut faire, de l'expropriation par zone, la règle et non plus l'exception.

Si, comme je le dis, le projet de loi est l'expropriation par zones devenue la règle, il faut reconnaître que nulle part on n'a été aussi loin.

A Paris même, le décret de 1852 a des bornes que je n'aperçois pas ici, si loin que portent mes regards. Ce qui n'existe pas davantage en France, ce sont les plans imposés aux constructions latérales.

A l'avenir, nous aurons toujours un plan communal à suivre à droite et à gauche de la voie. Si l'obligation de s'y conformer constitue des servitudes perpétuelles, il en résultera des dépréciations sensibles de la propriété. Il ne sera plus possible de transformer une maison de rentier en maison de commerce, en magasin, parce que vous aurez imposé une servitude perpétuelle pour pouvoir exproprier par zone.

Si ce n'est pas une servitude perpétuelle, vos garanties d'hygiène sont illusoires et c'est avouer qu'elles ne sont qu'un prétexte.

L'Etat, les communes, ne sont pas meilleurs architectes qu'entrepreneurs des quartiers nouveaux. Je vois encore ici la trace de cette manie d'intervenir, de réglementer, funeste maladie des temps modernes.

Un spirituel avocat du barreau de Liège se demande si, après avoir réglementé la dimension, le style et l'ornementation des façades, la hauteur des étages, la profondeur des appartements, la largeur des portes et fenêtres, dans le but d'embellir la cité, il ne faudra pas, pour l'agrément de la société, réglementer la voie publique ; la forme, la couleur et le luxe des équipages, et même les costumes de ceux qui voudront se promener dans cette ville embellie qu'ils n'ont pas le droit d'enlaidir, Je conseille de faire rédiger un règlement communal de l'avis conforme d'une commission de tailleurs et de faiseuses en renom.

Je viens de dire à la Chambre de quelle manière je comprends la loi. Je crois avoir déduit les conséquences logiques de son texte et des développements qui y ont été donnés.

Si l'on ne me fournit pas de garanties contre l'arbitraire, malgré mon désir de contribuer au développement des grandes villes, il me sera très difficile de m'y associer.

Le gouvernement doit mettre une grande réserve dans l'approbation à accorder aux plans, qui lui sont soumis par les administrations communales.

Aujourd'hui son contrôle est efficace, le sera-t-il à l'avenir ?

La circulaire de 1859 s'exprimait ainsi :

« Sans doute il doit être interdit aux communes de s'enrichir à l'aide (page 1066) d'expropriations qui cacheraient, sous une apparence d'utilité publique, un but de spéculation et de lucre. S'il en était qui pussent ainsi méconnaître leurs devoirs, il appartiendrait à l'autorité supérieure de les y ramener, »

Sous le régime de la loi de 1858 le contrôle était très aisé. Il s'agissait d'examiner s'il y avait ou non insalubrité.

Permettez l'expropriation pour embellissements pour création de quartiers nouveaux, ce qui comprend le redressement d'une rue, et dites-moi sur quoi s'appuiera le gouvernement pour nier l'embellissement et refuser l'expropriation.

Impuissant à contenir la fièvre de transformation qui s'emparera de quelques grandes communes, il ne sera plus un contrôle ; c'est d'ailleurs dans la loi et non dans l'arbitraire du gouvernement que je veux trouver le remède à l'arbitraire des communes.

A défaut d'une formule qui limite l'expropriation par zones, soit de la façon proposée hier par l'honorable M. Tack, soit de toute autre manière malgré les bons résultats que la loi peut produire, je ne pourrai, je le répète, m'y associer.

M. Coomans. - Messieurs, je me bornerai à une seule observation, que je n'aurais pas même présentée aujourd'hui si l'honorable bourgmestre de Bruxelles ne m'y avait en quelque sorte provoqué.

Il nous annonce de nouvelles demandes de subsides pour les grands centres de population. Il s'apitoie, non sans raison, je le reconnais, sur la mauvaise situation où se trouvent dans beaucoup de cités les populations-ouvrières.

Mais, messieurs, ne perdons pas de vue que les populations ouvrières des campagnes en faveur desquelles le budget ne fait rien, se trouvent dans une situation pire, surtout l'hiver, que celle où sont les populations les plus malheureuses des grands centres urbains.

Il faut ne pas avoir parcouru la campagne l'hiver pour ignorer que tout manque aux pauvres paysans. L'habitation est ouverte à tous les vents ; les literies, le manger, le médecin, tout ce qui est nécessaire leur fait défaut et lorsque la neige vient supprimer les communications, une grande partie des hameaux éloignés sont semblables aux steppes de la Sibérie ; les malheureux y meurent sans médecin et sans secours. (Interruption.)

Cela est vrai, sinon pour les grandes communes qui ont des défenseurs dans cette Chambre, au moins pour beaucoup de communes dont l'étendue est de 2 ou 3 lieues, et à l'extrémité desquelles se trouvent des populations complètement abandonnées.

Je reconnais qu'à ces maux-là le remède sera bien difficile, et je ne me propose pas de vous l’indiquer de sitôt ; à coup sûr je ne le pourrais pas aujourd’hui, mais je me place au point de vue de la justice, si l'on réservait aux populations pauvres des villes, presque tous les avantages du budget.

Dans nos villes, les familles ouvrières, quelque malheureuses qu'elles soient.ne sont jamais complètement abandonnées ; elles ont des compensations à leur infortune ; il y a dans les villes une police mieux faite, des bureaux de bienfaisance plus riches, bref, il y a une foule de voisins qui viennent au secours des malheureux ; tout cela n’existe pas dans nos campagnes ; et pour en finir par un chiffre, je dirai qu’il y a dans les campagnes de Belgique dix fois plus de familles malheureuses que dans les grands centres.

M. Vleminckxµ. - La loi soumise à vos délibérations est bonne, et j'espère bien qu'elle sera adoptée par la Chambre. Elle aura pour effet immédiat de permettre aux grandes communes de donner de l'air et de l'espace aux populations agglomérées ; elle aura encore pour résultat d'augmenter la force et l'énergie de nos populations et par conséquent de les rendre plus résistantes aux causes de maladies qui les environnent.

Puisqu'il s'agit d'hygiène, je dois cependant faire remarquer que la loi, telle qu'elle est formulée, est encore insuffisante et ne produira pas tout le bien qu'il serait désirable de réaliser. A cet égard, je crois devoir demander à M. le ministre de l'intérieur quelques explications.

Ne serait-il pas convenable de présenter à la législature un projet à l'effet d'interdire la construction d'impasses ayant moins de 10 mètres de largeur, de déterminer le minimum de largeur des rues à ouvrir et de fixer le maximum de hauteur des maisons en proportion de la largeur des rues ? (Interruption.)

Vous parlez toujours des règlements de la ville de Bruxelles, mais ces règlements n'existent pas partout ; or, puisque nous faisons des lois pour la salubrité publique, je demande qu'on applique ces règles à toutes nos populations.

Il est un autre point essentiel. Vous aurez beau accorder l'autorisation d'exproprier et de faire des demeures pour les classes ouvrières, si ces demeures ne sont pas saines, vous n'aurez rien fait.

La loi devrait donc exiger que toute maison d'habitation soit pourvue d'eau potable, d'égouts et de latrines bien construits. A cette occasion le conseil supérieur d'hygiène s'exprimait comme suit :

« Fixer législativement ces points d'intérêt local, ce n'est point porter atteinte aux droits des communes, c'est en régler l'usage dans un but d'utilité publique. Or, de même que les intérêts privés, les convenances locales doivent céder à l'intérêt général, lequel commande de garantir la santé publique contre les dangers qui peuvent naître de l'imprévoyance ou de l'impéritie du pouvoir communal. »

Il me semble que cela n'est contestable à aucun point de vue.

J'ai une dernière observation à faire ; il ne suffit pas de détruire ce que la loi d'expropriation permettra de détruire, il faut encore avoir les moyens de colloquer convenablement les pauvres et les ouvriers que la construction des rues nouvelles chasse de leurs demeures, car si l'on n'y avise pas, on n'aura fait que déplacer le mal. Le gouvernement ferait chose sage, utile en veillant à l'exécution de cette condition.

L'honorable bourgmestre de Bruxelles nous disait tout à l'heure quelles étaient les conditions imposées à la compagnie chargée de l'exécution des travaux d'assainissement de la Senne.

Ces conditions, selon moi, sont encore incomplètes ; il ne suffit pas d'exiger d'une compagnie la construction de demeures nouvelles au fur et à mesure de la démolition des anciennes ; les demeures nouvelles doivent être construites avant. Si elles ne le sont pas, il arrivera ce qui est arrivé à l'occasion de la construction du palais de justice ; on n'avait pas préparé de demeures pour le peuple, eh bien, le peuple chassé est allé encombrer d'autres demeures et le mal s'est aggravé.

Voilà une condition que je prie M. le ministre de l'intérieur de recommander toutes les fois qu'il s'agira d'autoriser une expropriation.

MpVµ. - La parole est à M. d'Elhoungne, rapporteur.

- Des voix. - A demain !

- D'autres voix. - Non, non.

M. Allard. - Je ne m'oppose pas à ce qu'on remette à demain la suite de la discussion du projet de loi qui nous occupe en ce moment, mais l'heure n'étant pas très avancée, je demanderai s'il ne serait pas possible de voter encore, dans cette séance, quelques petits projets de loi...

- Des voix. - Oui, oui.

M. Allard. - Si la Chambre y consent, je proposerai de mettre en discussion le projet de loi relatif à l'attribution aux cours et tribunaux de l'appréciation des circonstances atténuantes. (Adhésion.)

Projet de loi attribuant l'appréciation des circonstances atténuantes aux cours et aux tribunaux

Discussion des articles

Articles 1 à 7

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, l'assemblée passe aux articles.

« Art. 1er. L'appréciation des circonstances atténuantes, dans les cas prévus par le chapitre IX, livre premier du code pénal, est réservé aux cours et aux tribunaux.

« Ces circonstances seront indiquées dans leurs arrêts et jugements. »

- Adopté.


« Art. 2. Dans tous les cas où il y aurait lieu de ne prononcer qu'une peine correctionnelle, à raison soit d'une excuse, soit de circonstances atténuantes, et dans les cas où il y aurait lieu d'appliquer les articles 72, 73 et 76 du code pénal, la chambre du conseil pourra, à l'unanimité de ses membres, et par une ordonnance motivée, renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle. »

- Adopté.


« Art. 3. Le tribunal de police correctionnelle devant lequel le prévenu sera renvoyé ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne l'âge, la surdi-mutilé, l'excuse et les circonstances atténuantes.

« Il pourra prononcer un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous des minimums fixés par les deux derniers paragraphes de l'article 80 du code pénal, et suivant les distinctions établies par ces paragraphes, sans préjudice de l'application des autres peines prévues par l'article 84 dudit code.

« Toutefois, dans les cas prévus par les articles 72, 73, 76 et 414 du code pénal, il statuera conformément à ces dispositions. »

- Adopté.


« Art. 4. Lorsque le fait imputé sera punissable de l'emprisonnement (page 1067) ou de l'amende, et que, sur le réquisitoire du ministère public, ou sur le rapport fait à la chambre du conseil, les juges seront unanimement d'avis qu'il y a lieu de réduire ces peines au taux des peines de police, ils pourront renvoyer le prévenu devant le juge de paix compétent, en exprimant les circonstances atténuantes. »

- Adopté.


« Art. 5. Le tribunal de police devant lequel le prévenu sera renvoyé ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne les circonstances atténuantes, et il pourra prononcer les peines de police. »

- Adopté.


« Art. 6. Dans les cas prévus par les articles 2 et 4 de la présente loi, la chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même faculté.

« Le ministère public et la partie civile pourront former opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du code d'instruction criminelle. »

- Adopté.


« Art. 7. L'article 4 de la loi du 1er mai 1810 et les articles 3, 4, 5 et 6 de la loi du 15 mai 1849 sont abrogés. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote, par appel nominal, sur l'ensemble de la loi, qui est adoptée à l'unanimité des 81 membres présents.

Ce sont :

MM. Braconier, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Eug. De Kerckhove, Delcour, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Orban, Orts, Preud'homme, Sabatier, Tack, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Beeckman et Ernest Vandenpeereboom.

Ordre des travaux de la chambre

MfFOµ. - Messieurs, je viens du Sénat, où j'ai appris que l'intention de l'assemblée est de se séparer samedi, les membres qui sont soumis à réélection désirant se rendre dans leurs arrondissements. Le Sénat, en conséquence, a exprimé le désir que la Chambre lui envoyât aussi promptement que possible les projets urgents, de manière qu'il pût les voter avant sa séparation.

Parmi ces projets urgents, je pense qu'il n'y en a guère qui aient davantage le caractère que le crédit spécial de 8,400,000 francs pour la transformation de l'armement et le projet d'emprunt de 60,000,000.

Je demande s'il conviendrait à l'assemblée de tenir une séance du soir pour s'occuper de ces objets.

- Des membres. - Demain !

MfFOµ. - Si l'on s'en occupe demain, dans la séance ordinaire, il faudra interrompre la discussion de la loi sur les expropriations par zones, et je ne sais si cela entre dans les intentions de la Chambre.

- Des membres. - Non ! non !

- D'autres membres. - Oui ! oui !

MfFOµ. - Je n'en fais pas la proposition.

Si la Chambre désire voter demain ces projets de loi, et continuer ensuite la discussion de la loi sur les expropriations par zones, soit. On mettrait donc en tête de l'ordre du jour de demain le crédit de 8,400,000 fr., le projet de loi d'emprunt, et ensuite le projet de loi relatif à l'anonymat en faveur des sociétés ayant pour objet la construction et l'achat d'habitations destinées aux classes ouvrières. On pourrait également ajouter à l'ordre du jour de demain, le crédit de 75,000 fr. au département des travaux publics.

- Plusieurs membres. - Votons ces deux projets aujourd'hui.

M. Tack. - Nous pourrions, me paraît-il, voter encore aujourd'hui le projet de loi portant autorisation d'exonérer la société des chemins de fer de l'ouest de la construction de la section de Grammont à Audenarde et le projet de crédit de 75,000 fr.

MfFOµ. - Je demande que la discussion du projet de loi relatif à l'autorisation d'exonérer la société des chemins de fer de l'ouest de la construction de la section de Grammont à Audenarde, soit remise à demain. J'ai une modification à proposer à ce projet de loi. Il contient une disposition qui exempte la société du payement de certains droits.

Je désire que cette exemption soit consacrée d'une manière générale, parce que je viens de recevoir des demandes d'autres compagnies qui sollicitent, à juste titre, me paraît-il, la jouissance de la même faveur. Demain donc on statuerait sur ce projet ; mais la Chambre pourrait statuer dès aujourd'hui sur le crédit de 75,000 fr. et sur l'anonymat en faveur des sociétés ayant pour objet la construction de maisons d'ouvriers.

La Chambre continuera samedi et même demain, si c'est possible, la discussion du projet de loi sur les expropriations par zones.

Projet de loi ouvrant un crédit au budget du ministère des travaux publics

Discussion des articles

Articles 1 et 2

Personne ne demandant la parole, on passe aux articles.

« Art. 1er. Il est alloué au département des travaux publics un crédit extraordinaire de soixante-quinze mille francs (75,000 fr.), pour l'acquisition et l'appropriation d'un immeuble destiné aux services de la poste et des petites marchandises à Namur. »

- Adopté.


« Art. 2. Ce crédit sera couvert au moyens de bons du Trésor. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 77 membres présents.

Ce sont :

MM. Braconier, Bricoult, Broustin, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Eugène de Kerckhove, Delcour, d'Elhoungne, de Macar, de Moor, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Orban, Preud'homme, Sabatier, Tack, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Bara, Beeckman et Ernest Vandenpeerehoom.

Projet de loi relatif aux sociétés anonymes en matière d’habitations ouvrières

Discussion des articles

M. Mullerµ (pour une motion d’ordre). - Je demande que la Chambre s'occupe encore aujourd'hui d'un projet de loi qui est très urgent et qui, je pense, messieurs, ne donnera lieu à aucune discussion ; c'est celui qui tend à accorder l'anonymat aux sociétés qui ont pour objet la construction, l'achat, la vente ou la location d'habitations destinées aux classes ouvrières.

- La proposition de M. Muller est mise aux voix et adoptée.

Personne ne demandant la parole dans la discussion générale, on passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

“Art. 1er. Le gouvernement est autorisé à homologuer, conformément à l'article 37 du code de commerce, les statuts des sociétés ayant pour objet la construction, l'achat, la vente ou la location d'habitations destinées aux classes ouvrières.

« L'homologation aura pour effet de conférer aux sociétés tous les caractères de la société anonyme, suivant la législation en vigueur. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Aucune taxe provinciale ou communale ne pourra être établie sur les habitations dont il s'agit, aussi longtemps qu'elles seront exemptées de l'impôt foncier, en vertu de la loi du 28 mars 1828. »

M, Carlier, rapporteurµ. - Messieurs, cet article a été modifié par (page 1068) la section centrale, d'accord avec le gouvernement, en ce sens qu'au lieu de dire « sur les habitations dont il s'agit », on dirait « sur le revenu des habitations dont il s'agit. »

MfFOµ. - Le texte primitif eût pu faire supposer qu'il s'agissait d'exempter ces habitations des contributions provinciales ou communales, tandis que l'exemption ne s'applique qu'à la contribution foncière, en vertu de la loi du 28 mars 1828 : c'est ce qu'indique clairement la modification introduite dans l'article 2 par la section centrale, d'accord avec le gouvernement.

- L'article 2, modifié par la section centrale, d'accord avec le gouvernement, est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Par dérogation à l'article 2, n°2, de la loi du 21 mars 1839, le droit de timbre sur les actions et obligations émises par les sociétés désignées à l'article premier, est fixé ainsi qu'il suit :

« A cinq centimes pour celles de 50 francs et au-dessous ;

« A dix centimes pour celles de plus de 50 francs jusqu'à 100 francs ;

« A vingt centimes pour celles de plus de 100 francs jusqu'à 200 fr. ;

« Et ainsi de suite à dix centimes pour 100 francs, sans fraction, pour celles de plus de 200 francs jusqu'à 400 francs. v

« Il sera statué par le Roi sur la forme et le type du timbre. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est adopté à l'unanimité des 75 membres qui ont répondu à l'appel.

Ce sont :

MM. Braconier, Bricoult, Broustin, Carlier, Couvreur, Crombez, David, de Brouckere, De Fré, de Kerchove de Denterghem, Eugène de Kerckhove, Delcour, d'Elhoungne, de Macar, de Moor, de Naeyer, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, Dewandre, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, Jouret, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Notelteirs, Orban, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Tack, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vander Maesen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Anspach, Beeckman et Ern. Vandenpeereboom.

- La séance est levée à 5 heures.