(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 625) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction du procès-verbal est adoptée.
M. de Florisone présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Les secrétaires communaux du canton de Fosses prient la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants des Haies de Nalinnes demandent que ce hameau de la commune de Nalinnes en soit détaché pour former une commune distincte. »
M. T'Serstevensµ. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec prière de. faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Des pêcheurs à Mariekerke présentent des observations contre la pétition ayant pour objet de faire rapporter l'arrêté royal de 1863 qui prohibe, dans les eaux de l'Escaut et du Rupel, l'emploi du filet du pêche nommé anherkuyl. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les membres de l'administration communale d'Herquegies demandent que le pouvoir de fermer les barrières sur les chemins de petite vicinalité soit conféré au bourgmestre du chef-lieu de canton ou au commissaire voyer cantonal, et que des agents à nommer par les conseils communaux soient reconnus aptes à dresser des procès-verbaux contre les délinquants. »
« Même demande des administrations communales de. Montrœul-au-Bois, Anvaing, Moustier, Thienlain, Arc-Ainièrce, Blervacq, Saint-Sauveur, Hacquegnies, Forest et du sieur Mainvault. »
M. Bricoultµ. - Je demande le renvoi de ces pétitions à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« L'administration communale de Barry demande une loi qui interdise la circulation à charge sur les chemins vicinaux pavés pendant quinze jours au moins après la date fixée par la députation permanente pour la circulation sur les routes de l'Etat. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« L'administration communale de Petit-Enghien demande que le gouvernement prenne à sa charge la partie de la route provinciale d'Assche à Enghien, qui se trouve entre Enghien et la station des chemins de fer de Hal à Ath et de Braine-le-Comte à Gand, et qu'il fasse élargir le pavage de cette route. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent que l'arrêté royal du 10 novembre 1845, prescrivant l'obligation du livret pour les ouvriers, soit rapporté. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Serinchamps demande que les trains express du chemin de fer du Luxembourg fassent arrêt à la station de Haversin. »
- Même renvoi.
MpVµ. - La discussion générale continue.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je dois une courte réponse à mes contradicteurs. Je la ferai aussi brève que possible.
Avant d'entrer dans le débat, je dois cependant présenter une remarque générale. Ce qui ressort de quelques-uns des discours que nous avons entendus, non pas directement, mais par insinuation tout au moins, c'est que ceux d'entre nous qui défendent la cause des contribuables, la cause du grand nombre, sembleraient manquer de patriotisme.
Messieurs, je repousse énergiquement ces insinuations, que rien n'a justifiées, Nous sommes tous ici pour donner ouvertement, loyalement notre avis sur les questions qui nous sont soumises, et quelle que soit notre opinion, elle doit être considérée comme émanant des sentiments patriotiques qui nous animent tous.
Ceci dit, messieurs, je vais répondre à mes contradicteurs dans l'ordre où ils ont parlé. Je répondrai donc d'abord à l'honorable M. Bouvier. Je lui dois cette réponse, non pas tant pour la qualité intrinsèque de l'opinion qu'il a émise, mais parce que cette opinion me paraît être l'expression naïve, sincère, naturelle du grand nombre de ceux qui, en définitive, jugent en dernier ressort les questions qui sont soumises à nos délibérations. Or, messieurs, cette opinion, par l'action qu'elle exerce dans les affaires publiques, doit être prise en très sérieuse considération. Le grand nombre, en effet, juge presque toujours les choses d'après les apparences extérieures ; il ne remonte pas des effets aux causes ; il s'attache à ce qu'il voit réellement ou croit voir réellement de ses yeux, et s'il voyait courir un lion dans la plaine, il se hâterait de courir aux arbres ou de fermer ses portes, sans s'enquérir si les pas ne sont pas marqués de l'empreinte de ses fers, et si, sous sa terrible crinière, on ne voit poindre les oreilles d'un animal des plus pacifiques.
Eh bien, messieurs, l'âme enlionnée jonc un grand rôle dans la politique, surtout lorsqu'il s'agit de faire sortir les deniers des poches des contribuables ; c'est par son moyen que des centaines de millions ont été à diverses reprises demandés en Angleterre contre l'invasion française ; et des centaines de millions sous forme de navires de bois de toutes dimensions, pourrissent aujourd'hui dans les ports de l'Angleterre, tandis que d'autres se rouillent sous la forme de canons qui n'ont jamais servi.
Dans d'autres pays le même moyen est employé, souvent sous d'autres prétextes, et toujours avec le même succès, je crains fort que nos armements exagérés ne servent un jour de lion terrible motivant l'extension des armements de nos voisins ; c'est pourquoi je suis heureux que l'honorable membre auquel je vais répondre m'ait fourni l'occasion de soulever un coin de la fourrure de l'innocent animal.
Si l'honorable membre était médecin et si un de ses clients s'adressant à lui, lui exposait le cas suivant :
« J'ai des voisins très incommodes ; je suis exposé chaque jour, je ne sais quand, à une attaque imprévue de l'un des deux ou de tous les deux ensemble ; je voudrais bien savoir comment je dois m'y prendre pour être toujours en mesure de leur opposer une force suffisante... »
M. Bouvierµ. - Je me mettrais sur la défensive.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Si l'honorable membre voulait être logique et d'accord avec son discours d'avant-hier, voici la réponse qu'il devrait faire à ce client :
« Commencez par vous faire saigner, ôtez-vous dix onces de sang à des époques déterminées ; même, si votre terreur augmente, j'ordonnerai peut-être treize onces ; puis vous vous mettrez à la diète... »
M. Bouvierµ. - Du tout ! du tout !
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - « ... Vous vous procurerez des évacuations abondantes, enfin, vous porterez une puissante armure et vous vous exercerez constamment à la lutte que vous aurez à soutenir. »
M. Bouvierµ. - En vous affaiblissant.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Si l'honorable membre le permet, je vais lui prouver que c'est point pour point le conseil qu'il a donné avant-hier à la nation belge.
(page 626) En effet, tous les ans la conscription prend au pays pour fournir à l'armée 10,000 hommes. Ces hommes sont choisis parmi les plus forts, les plus intelligents, les mieux constitués que procure l'inscription de l'année. Ces hommes, s'ils étaient restés chez eux, se seraient tous nourris, vêtus et logés par leur propre travail, comme ils le font pour la plupart depuis l'âge de 8, de 10 ou de 12 ans ; une fois enrôlés, non seulement ils ne se nourrissent plus par leur travail, mais leur nourriture est prise sur le travail de la masse qui n'est pas appelée, c'est-à-dire sur la partie la moins forte, la moins vigoureuse, la moins propre au travail, de ceux qui restent et qui étant obligés de prendre une partie du produit de leur travail pour nourrir ceux qui ne travaillent pas, sont bien soumis, je pense, à la diète prescrite par le médecin.
Tous les ans 40,000 hommes en moyenne, d'après les états qui nous sont soumis, sont de cette façon nourris, logés, hébergés, vêtus au compte du restant de la nation : cela nous coûte environ 43 millions.
Le travail non produit par ces 40,000 hommes qui sont tenus en moyenne sous les armes, vaut certainement bien 20 millions. La dette qui s'accroît sans cesse et qui n'existe que parce que nous maintenons un armement en disproportion avec nos besoins, s'élève déjà à 45 millions. Voilà donc un total de 110 millions qui annuellement est pris sur le produit du travail de la nation pour maintenir un état militaire qui, je vous l'ai dit avant-hier, est en grande partie inutile, au moins dans sa forme actuelle et en présence des obligations que l'Europe a contractées vis-à-vis de nous et de celles que nous avons contractées vis-à-vis de l'Europe
Je pense que ce serait bien là l'évacuation ordonnée par le docteur comme faisant partie du traitement prescrit.
Quant à l'exercice continuel qu'il conseille à son client, il existe dans le fait même de l'organisation militaire que vous voulez maintenir. C'est bien là la nation toujours sous l'armure et toujours en action.
Je n'ai donc pas exagéré ; je n'ai fait que traduire en termes vulgaires, trop vulgaires peut-être, mais exacts et vrais, les conseils que l'honorable membre a donnés au pays dans son discours d'avant-hier.
Que disons-nous au contraire ? Nous disons à la nation : Restez dans votre calme, vaquez à vos travaux ordinaires, prenez toute la force que peut vous donner l'exercice de votre travail habituel ; soumettez-vous à l'instruction dès votre enfance, prenez des exercices gymnastiques qui vous donnent la force qui vous sera nécessaire dans le cas d'agression. Veillez à ce que les produits de votre travail ne soient pas gaspillés dans des entreprises inutiles, et lorsque le moment sera venu, lorsque vous serez injustement attaqués, vous serez forts, non seulement parce que votre population sera robuste, parce qu'elle sera bien nourrie, parce qu'elle sera intelligente et instruite, mais encore parce qu'elle sera riche et aura des épargnes au lieu d'avoir des dettes.
Voilà les deux systèmes mis en présence et je pense que l'honorable membre ne peut pas contester que je ne sois resté dans les termes qu'il a lui-même posés.
M. Bouvierµ. - Je demande la parole.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - L'honorable ministre de la guerre, qui probablement avait fait son siège d'avance, a répondu à mes discours des années précédentes, mais je ne pense pas qu'il ait répondu un mot au discours que j'ai prononcé dans la séance d'avant-hier.
Cependant puisqu'il s'est lancé sur le terrain économique, il me permettra de l'y suivre et de répondre quelques mots aux doctrines qu'il a émises et aux faite qu'il a avancés.
Voici ce que dit l'honorable ministre :
« La plupart de nos militaires proviennent des classes les plus pauvres. Ils arrivent au corps chétifs, faibles de constitution. Sur les 9,000 ou 10,000 jeunes gens que le sort désigne, un dixième à peine sait lire et écrire convenablement, trois dixièmes savent, tant bien que mal, signer leur nom ; le reste est complètement illettré. » Il ajoute :
« L'armée rend annuellement à la société un certain nombre de jeunes gens instruits ; le nombre total, depuis 37 ans, peut être évalué à plus de 40,000 hommes, qui, certainement, ont acquis une valeur qu'ils n'avaient pas en entrant au service et qu'ils n'auraient jamais acquise s'ils étaient restés chez eux. »
Un peu plus loin il dit encore :
« Le milicien, en passant par l'armée, acquiert des connaissances, des qualités, des vertus dont il n'avait aucune notion.
« On lui enseigne l'ordre, l'économie, la propreté, l'obéissance ; sachant respecter les autres, il saura se respecter lui-même.
« Patrie, honneur, devoirs ne sont plus pour lui des mots vides de sens. »
Messieurs, pourquoi n'y a-t-il qu'un dixième des miliciens qui sachent lire et écrire ? Pourquoi n'y a-t-il, depuis 37 ans, que 10,000 jeunes gens sortis de l'armée, ayant reçu une certaine instruction, ayant acquis une certaine valeur ? Pourquoi, au contraire, les 1,200,000 jeunes gens qui depuis 37 ans ont été inscrits sur les registres de la conscription, n'ont-ils pas tous atteint ce même degré d'instruction ? Précisément parce que nous dépensons en armement, en grande partie inutile, les sommes que nous aurions dû dépenser à les instruire.
M. Teschµ. - En Prusse tout le monde est soldat et tout le monde sait lire et écrire.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Si M. Tesch veut bien attendre que je sois arrivé à ce point, je lui répondrai.
Savez-vous, messieurs, ce que la ville de New-York seule dépense pour l'instruction primaire ? Elle dépense presque autant que la Belgique pour son budget de la guerre. Et n'avez-vous pas aperçu les résultats de ce système dans la dernière guerre américaine ? N'était-ce pas une jeunesse forte, intelligente et instruite que celle qui en si peu de temps a vaincu l'insurrection du Sud ? Si la nation américaine avait été soumise depuis 37 ans, proportionnellement aux mêmes impôts, aux mêmes charges que nous, croyez-vous qu'elle eût pu supporter cette crise immense dont elle est sortie victorieuse en trois ans ? Mais, messieurs, aucun Etat, aucune puissance de l'Europe n'aurait résisté, sans d'affreuses convulsions, à une crise semblable, tandis qu'en trois ans elle a aboli l'esclavage et rétabli l'ordre dans le pays.
MfFOµ. - Ses charges sont plus élevées que les nôtres.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Dans quelques années les choses seront rétablies dans l'état où elles étaient avant l'insurrection.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La liberté du commerce n'y existe plus en fait.
M. Hymans. - Cent pour cent de droit ; voilà l'économie politique en danger !
M. Bouvierµ. - Quels libre échangistes !
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Les Américains n'ont jamais fait profession d'être libre échangistes.
Avant la guerre ils n'avaient que la douane pour faire face aux besoins de la république et ce n'est qu'à cause de la guerre qu'ils ont dû établir d'autres impôts.
Aussitôt les charges disparues, les choses reviendront à l'état où elles étaient avant la guerre. (Interruption.)
M. Tesch m'a interrompu tantôt pour me signaler la Prusse. L'honorable membre connaît-il bien la source de la force de la Prusse ?
M. Teschµ. - Je n'ai pas parlé de la force de la Prusse, mais de son instruction.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - L'une est le corollaire de l'autre. La Prusse doit, sa force au traité de Tilsit, qui l'a obligée à n'entretenir qu'une armée
MfFOµ. - Et cela ne coûte rien !
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Et c'est grâce à ses finances prospères qu'elle a vaincu l'Autriche.
M. Teschµ. - Voulez-vous me permettre un mot ?
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Je le ferais volontiers ; mais si l'on m'interrompt toujours, le discours que j'avais l'intention de faire court va se prolonger et je n'en sortirai pas.
Nous avons dépensé depuis vingt-sept ans 2 milliards, non compris les intérêts, à des armements que nous déclarons, maintenant que les faits ont parlé, inutiles, et que nous déclarons maintenant devoir modifier. N'est-il pas évident que l'intérêt seul de ce capital suffirait aujourd'hui à pourvoir à tous les services du gouvernement tout entier ?
Voilà ce que je veux faire ressortir devant la Chambre, et c'est la réponse que je crois pouvoir faire à la partie économique du discours de l'honorable ministre de la guerre.
Si une fraction, une simple fraction seulement de cette somme inutilement dépensée avait été appliquée à augmenter l'instruction publique, à augmenter le bien-être des classes qui fournissent la plus grande partie des miliciens, ceux-ci n'arriveraient pas au corps sans instruction, débiles et exténués par les privations de toute nature auxquelles l'impôt les a soumis ; ils y arriveraient, au contraire, forts au moment où l'on en aurait besoin.
L'honorable M. Lambert, j'ai le regret de le lui dire, a émis hier une théorie, excessivement imprudente, et que je trouve beaucoup plus téméraire que celle qu'il m'a reprochée. Quoi ! représentant d'une (page 627) nation faible, d'une nation qui doit surtout puiser sa force dans les traités, dans les engagements pris envers elle, il est venu nier la vertu de ces traités, il est venu justifier les résultats de la force brutale et de la violation du droit, il est venu dire à ceux contre lesquels, en définitive, on nous propose d'essayer nos forces physiques : Ne vous arrêtez pas devant la force morale ; elle n'est bonne que pour ceux qui veulent bien s'y soumettre.
Messieurs, est-ce là le langage qui devrait être tenu dans cette assemblée ? Est-ce que l'honorable membre n'aurait pas dû, au contraire, soutenir la thèse que j'ai soutenue, que les traités sont sacrés pour les forts comme ils le sont pour nous-même, et que nous ne reconnaîtrons jamais à personne le droit de les violer.
Quant à l'honorable M. Dethuin, qui ne m'a pas attaqué et auquel je n'ai par conséquent pas à répondre, je me bornerai à lui faire une simple prédiction :
Il va voter le budget de la guerre de cette année, eh bien, je le lui prédis, il aura de longues années pour regretter ce vote.
M. Bouvierµ. - Il sera en nombreuse compagnie, je vous l'assure.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Un vote de cette nature est bien difficile à rétracter. Une fois engagé, revenir sur ses pas, offre plus d'une difficulté, et je le lui prédis, quand le rapport de la grande commission sera soumis à son appréciation, il aura beau faire ; en présence du vote qu'il va émettre, il devra suivre la commission dans toutes les conséquences des propositions qu'elle nous fera.
M. Julliot. - Messieurs, je demande à motiver mon vote approbatif du budget de la guerre.
L'année dernière, je me suis abstenu de le voter en disant que, tant qu'on ne ferait pas concorder notre organisation militaire avec notre nouveau système de défense du pays, je ne voterais plus de budget de la guerre parce que la situation me paraissait fausse et inefficace.
Aujourd'hui on s'occupe sérieusement de ce travail, que j'attendrai avant de me prononcer sur sa valeur.
Je dois le dire, partisan dévoué de la liberté et de l'égalité, des citoyens, je suis en même temps partisan de la division du travail, et dans l'application de ces principes je trouve que le système militaire des Anglais est supérieur à tous les autres au point de vue de ces principes, que je crois les vrais.
Comment les Anglais font-ils pour soutenir des guerres fréquentes et pour maintenir des forces militaires dans toutes les parties du monde au nombre de 100,000 hommes sans recourir à la conscription qui s'impose avec tant de dureté à d'autres peuples ? Je l'ignore, mais c'est à étudier.
Toujours est-il que l'Anglais n'est soldat que par choix et par état, et que l'Angleterre est respectée au moins à l'égal de la Prusse, où tous sont militaires.
Du reste, quelque sorte travail de la commission, je ne consentirai jamais à transformer forcément tout Belge en soldat ; cela se rapproche trop de la servitude d'autrefois.
Messieurs, hier l'honorable M. Lambert a été bien cruel pour les économistes : Ce sont des théoriciens, des rêveurs pour ne pas dire plus, et pendant tout son discours il a battu cette science en brèche sur le dos de mon honorable et estimé collègue, M. Le Hardy de Beaulieu.
Enfin l'honorable député de Philippeville a parlé des économistes avec un dédain tel, que si je me permettais d'écrire dans un journal que M. Lambert est quelque peu économiste, je pense qu'il m'attrairait en justice pour calomnie.
Du reste, toujours en vertu de la division du travail, il est permis d'être avocat sans être économiste et vice-versa, et si le dernier ennuie parfois son auditoire parce qu'il n'est pas compris, le premier à le privilège de pouvoir chloroformiser son juge qui, en s'éveillant en sursaut, rend souvent un jugement favorable pour ne pas avouer qu'il n'a pas écoulé le plaidoyer.
Aussi l'art de l'un consiste à condenser beaucoup d'idées dans peu de phrases, tandis que l'autre, souvent selon la valeur de la cause et surtout quand elle est mauvaise, a intérêt à risquer si peu d'idées que possible dans un plaidoyer à extinction de chaleur naturelle.
Bref, messieurs, chacun son métier et les bœufs ne seront que mieux gardés, et j'en ai pour preuve qu'à la fin de son discours, l'honorable membre a appelé un huissier à son secours.
Quelles sont, malgré un budget de la guerre de 50 millions, les causes du grand développement de la richesse publique en Belgique ?
Eh bien, ce sont les principes économiques qui ont présidé au gouvernement du pays, et depuis que la France est dirigée par un homme de génie, auquel notre initiative n'a pas échappée, la France nous imite contre toute attente, car on sait combien la fausse protection des intérêts agricoles et industriels florissait naguère dans ce pays.
Je fais donc des vœux pour que nos ministres civils restent économistes, et que notre ministre militaire devienne économe.
Dans ces conditions, nous serons bien gouvernés.
Messieurs, je conclus ; je ne suis pas disposé à courir des aventures, ni à faire des essais impossibles. Nous devons avoir une armée, mais nous ne devons pas nous ruiner à l'avancé par un enthousiasme militariste que nous payerions cher peut-être ; nous n'avons pas à copier ces puissances guerroyantes et conquérantes qui ne rêvent que bosses et plaies ; notre rôle est plus modeste.
Selon moi, tant que nous ne verrons pas en Europe se former de part et d'autre de fortes alliances entre puissances belligérantes, je pense que nous pouvons être rassurés.
Il n'est pas de puissance qui s'avisera de faire seule, sans entente aucune, la conquête d'un pays, dont l'existence intéresse toutes les autres puissances, qu'elle aurait sur les bras le lendemain de son équipée.
Soyons donc modérés dans notre attitude, ne mettons pas le poing sur la hanche en laissant croire que la force doit dominer le droit.
Quoi qu'on en dise, le droit public n'est pas mort, surtout alors qu'une grande partie de l'Europe est intéressée à ce qu'il vive.
Messieurs, en 1830, vous avez su, sans armée aucune, balayer l'armée hollandaise de notre territoire ; vous n'aviez pas de budget à cette époque : une nation est donc puissante quand elle le veut.
Je dis vous, car je ne suis pour rien dans cette affaire, si ce n'est que je figurais en troisième sur la liste de ceux dont le mobilier devait sortir en désordre par la fenêtre, alors qu'il était entré chez moi par la porte et avec soins.
Je suis un conservateur de la veille comme du lendemain, et en fait de révolution, le dicton : qui a bu boira, ne m'est pas applicable.
En attendant avec confiance l'avenir, je vote le budget transitoire de la guerre.
M. de Brouckere. - J'ignore, messieurs, si parmi nous il se trouve en effet quelques membres qui ont manifesté l'opinion que notre devoir était de voter silencieusement le budget de 1867 comme on l'a fait entendre hier. S'il s'en trouve en effet qui aient manifesté cette opinion, je ne suis pas de leur nombre.
J'ai pu dire et je pense que nous ferons bien de nous abstenir d'ouvrir une discussion sur chacun des articles, d'abord parce que le budget qui nous est présenté n'est que l'application d'une loi encore en vigueur, celle du 8 juin 1853 et, en second lieu, parce que le budget peut à bon droit être considéré comme transitoire.
Nous avons lieu d'espérer qu'avant que nous ayons à examiner un nouveau budget, un projet de loi introduisant des modifications à la législation actuelle nous aura été présenté.
Au surplus, messieurs, je ne puis mieux protester contre l'opinion qui dépeindrait notre silence comme obligatoire qu'en prenant la parole moi-même,
Nous avons entendu trois sortes de discours : Les uns avaient en vue de démontrer, ou de reconnaître l'obligation, la nécessité pour la Belgique d'avoir une armée capable de défendre d'une manière efficace notre nationalité contre ceux qui chercheraient à y porter atteinte par la violence.
Je considère les membres qui ont prononcé ces discours comme ayant posé un acte patriotique, et comme ayant fait une bonne action.
Il est désirable et il est utile que du haut de cette tribune on fasse de temps à autre, à certains intervalles, comprendre à la population que si elle aime son indépendance, si elle tient à ses libertés, il faut qu'elle fasse, pour les conserver, des sacrifices d'hommes et des sacrifices d'argent ; il faut qu'elle mette à la disposition du gouvernement des moyens suffisants pour défendre et notre indépendance et nos libertés, quelles que soient les éventualités qui se présentent.
D'autres orateurs ont pris la parole pour présenter des observations, pour donner des conseils, pour user de leur droit de critique relativement aux différentes parties de notre organisation militaire.
Ils peuvent s'être trompés sur certains points, ils ont peut-être été exagérés sur d'autres, mais, en réalité, leurs discours, irréprochables quant à la forme, seront consultés utilement par tous ceux qui s'occupent en ce moment de modifications à introduire dans notre organisation militaire.
Enfin, messieurs, quelques-uns, de nos collègues ont fait beaucoup de (page 628) frais d'éloquence cet une grande dépense d'esprit pour nous prouver qu'une armée en Belgique était une chose des plus inutiles, que c'était une charge, un luxe entièrement superflu, que dis-je ? qu'elle constituait un danger pour nous.
Messieurs, ces idées, quelque singulières qu'elles nous paraissent à nous, ce système que nous trouvons quelque peu bizarre, ne sont pas nouveaux. Depuis 35 ans ils se sont produits chaque année dans cette Chambre, et chaque année aussi on y a répondu d'une manière victorieuse et je crois ne pas me tromper en disant que les partisans de l'abolition complète de toute force armée en Belgique n'augmentent pas en nombre. On peut différer sur le chiffre qu'il faut allouer pour l'entretien de l'armée ; mais quant à soutenir qu'il n'en faut pas, je crois que les partisans de cette opinion sont fort rares et sont aussi rares qu'ils l'ont été à aucune époque ; ce qui ne prouve pas que cette doctrine ait fait de grands progrès.
Comment s'y prend-on pour la préconiser, pour la défendre ? Ce sont toujours les anciens arguments qui se reproduisent ; mais enfin rencontrons-les encore une fois très brièvement.
Quels sont les considérations et les arguments à l'aide desquels on étaye ce système ? Je les résumerai brièvement et je tâcherai d'être exact.
La Belgique a été instituée Etat indépendant et neutre. cette indépendance et cette neutralité n'ont pas seulement été reconnues par les cinq grandes puissances, mais le maintien de notre indépendance et de notre neutralité a été garanti par des traités solennels. S'il en est ainsi, disent les honorables membres, qu'avons-nous à nous occuper de défendre une indépendance et une neutralité que les grandes puissances nous garantissent ? Dormons sur nos deux oreilles ; personne ne nous attaquera, parce que les traités défendent de nous attaquer. Et puis, si l'on nous attaque, cela ne nous regarde pas ; c'est aux grandes puissances qui sont nos garanties à nous défendre ; qu'elles nous défendent puisque c'est un devoir ; mais quant à nous, ce n'est pas notre affaire ; nous n'avons pas à nous mêler de défendre notre pays.
Messieurs, ce n'est pas moi qui, pendant quelque temps, ai été à la tête du ministère des affaires étrangères, qui parlerai avec dédain des traités. J'y attache un haut prix ; je les regarde comme ayant une immense importance. Mais qui donc oserait dire que tous les traités solennellement signés ont été fidèlement observés ? Qui oserait dire qu'on n'en a jamais violé aucun ? Je veux bien admettre qu'on ne les viole pas avec préméditation et de gaieté de cœur. Mais n'arrive-l-il pas parfois que des circonstances qu'on ne prévoyait pas, des événements de force majeure ont entraîné à la guerre contre son gré ?
Il existe des traités entre toutes les puissances ; toutes sont liées les unes vis-à-vis des autres par des conventions. Savez-vous quel est le premier article de ces traités ? Il y aura paix et amitié perpétuelle entre les deux gouvernements et entre les deux nations.
Et, cependant, les gouvernements et les nations qui sont liés par de semblables traités se font quelquefois la guerre. Je crois pouvoir affirmer qu'il n'y a jamais eu une guerre, sans qu'un traité ait été violé.
Cependant, messieurs, je fais une concession à mes honorables adversaires. Si nous pouvions avoir la certitude que les cinq grandes puissances qui ont garanti notre indépendance et notre neutralité n'auront jamais maille à partir ensemble, qu'elles seront toujours d'accord, qu'elles n'auront jamais la guerre entre elles, je serais tenté de croire que l'utilité d'une armée permanente en Belgique est au moins douteuse. Mais qui donc oserait affirmer que cet accord régnera toujours entre les cinq puissances qui sont nos protectrices ?
Vous pouvez si peu le garantir que toutes les cinq ont eu la guerre entre elles. La France et l'Angleterre ont eu une longue guerre avec la Russie ; l'Autriche et la Prusse viennent à peine de signer la paix !
Les cinq grandes puissances se sont donc battues ; elles ont eu la guerre entre elles. (Interruption.)
Mais après les exemples que je viens de citer, ne peut-il pas arriver que deux puissances plus rapprochées aient la guerre ensemble ? On n'oserait, certes, pas le nier.
Eh bien, si le champ de bataille était à nos frontières, malgré les meilleures intentions des deux parties belligérantes, n'est-il pas fort à craindre qu'une division, une brigade, un régiment, si vous voulez, de l'une des deux armées, se trompe un peu de route et n'envahisse une partie de notre territoire ?
Or, messieurs, si nous ne sommes pas en position de résister à un semblable envahissement partiel, c'en sera bientôt fini de nous.
On a cité hier un poète très populaire ; on a parlé de la grenouille belge et du bœuf français on du bœuf prussien. Eh bien, moi je prierai de tourner la page et d'appliquer aux envahisseurs volontaires ou involontaires ces deux vers du même auteur :
« Laissez leur mettre un pied, chez vous,
« Ils en auront bientôt mis quatre. »
Il faut donc, sans que pour cela nous manifestions la moindre défiance vis-à-vis de nos puissants voisins, avec lesquels nous avons toujours entretenu et. nous entretenons encore les meilleurs rapports ; il faut, dis-je, que nous soyons toujours en garde contre les événements qui peuvent nous menacer et qui éclateraient, même sans la préméditation de ceux qui s'en rendraient coupables.
On parle toujours de l'inefficacité de l'armée belge, de l'inutilité d'une grande forteresse, de l'impossibilité pour nous de résister à l'armée française ou à l'armée prussienne, on a oublié l'armée anglaise : et à cette occasion, l'honorable M. Coomans a dit : « En France, on va mettre 1,200,000 hommes sur pied ; en Prusse, l'armée sera plus nombreuse encore ; si nous voulons nous préparer à résister à nos voisins, nous devons avoir au moins 1,200,000 hommes ; et cela ne nous avancerait encore en rien ; car si, par un bonheur incroyable, nous parvenions à anéantir l'armée, française ou l'armée prussienne, il s'en formerait une nouvelle et nous aurions à recommencer la lutte, après l'avoir une première fois terminée à notre avantage. »
Je crois que l'honorable M. Coomans a voulu recourir à tous les arguments qui se présentaient à lui pour défendre sa cause ; mais ce n'est pas sérieusement qu'il a parlé d'une semblable hypothèse. J'ai la conviction, et tous les hommes qui veulent bien se donner la peine de réfléchir l'auront comme moi, que jamais une des grandes puissances ne se mettra en campagne pour attaquer la Belgique, en quelque sorte personnellement, individuellement, si je puis m'exprimer ainsi.
Cela n'arrivera pas, parce qu'elle agirait contre son intérêt. Jamais aucune des grandes puissances qui ont garanti notre neutralité ne fera la guerre à la Belgique. Cela est de toute évidence. Mais la Belgique, contre son gré et contre le gré même de ses voisins, peut être entraînée dans une guerre qui aurait lieu à sa frontière.
Eh bien, je ne serai jamais partisan du système des honorables membres qui prétendent que, dans ce cas même, une année belge serait inutile. Un pareil système est impossible.
Un exemple vous rendra plus sensibles l'utilité et la nécessité pour nous d'avoir non seulement une armée, mais une armée capable de nous défendre. On a parlé hier de la guerre d'Allemagne ; on a cité la Saxe et le Hanovre, et je dois dire qu'on n'a pas été très exact dans les citations qu'on a faites.
Je ne dirai aujourd'hui quelques mots que du Hanovre. Les faits sont encore trop présents à votre mémoire pour que vous ayez oublié que le gouvernement prussien avait organisé deux grandes armées pour les opposer aux armées autrichiennes ; que de plus la Prusse avait dû organiser d'autres armées pour les opposer à celles des puissances secondaires de l'Allemagne qui faisaient cause commune avec l'Autriche. Un corps d'armée s'était porté vers le Hanovre ; le Hanovre qui avait un simulacre d'armée, semblable à l'armée dont on veut nous doter, a fait un simulacre de défense ; mais cette défense a été bientôt abandonnée ; et le Hanovre est aujourd'hui effacé de la liste des nations indépendantes.
Eh bien, veuillez-vous prêter à cette hypothèse ; supposez que le Hanovre fût une nation de 5 millions d'habitants ; qu'il eût eu, à l'époque dont je parle, une armée bien organisée, bien commandée, bien patriotique surtout, composée d'un effectif de 100,000 hommes.
Et puis veuillez supposer encore que cette armée eût eu derrière elle une forteresse comme celle d'Anvers. Pensez-vous que le Hanovre ainsi organisée n'eût pas résisté jusqu'à la paix, c'est-à-dire pendant quelques semaines, au corps d'armée prussien détaché pour aller à la rencontre et qui était composé d'un chiffre d'hommes ne montant pas à la moitié de celui que je suppose à l'armée hanovrienne.
Eh bien, si le Hanovre avait résisté pendant quelques semaines, si le Hanovre avait tenu bon jusqu'à la signature de la paix, quel motif, quel prétexte aurait-on eu de faire du Hanovre une province prussienne ? Aucun, et je pense que l'exemple que je viens de vous citer doit vous donner lieu de réfléchir.
(page 629) Nous avons été plus prudents ; nous avons une forteresse et nous avons une année que l'on semble lézarder aujourd'hui comme ne présentant plus aucune solidité, uniquement parce qu'il s'agit de la mieux organiser.
Mais ma conviction est que l'armée, telle qu'elle est aujourd'hui, et avec les moyens de défense que nous avons, résisterait à une armée égale, de quelque côté qu'elle vînt.
Mais on ne s'est pas contenté de chercher à nous persuader qu'une armée était inutile. On nous a dit qu'elle était un danger. Et pourquoi est-elle un danger ? Parce que si nous la faisons assez forte pour qu'elle puisse nous défendre efficacement, elle a l'air d'une armée agressive, et l'on considère l'armée que nous avons aujourd'hui comme ayant un aspect effrayant.
Soit dit en passant, ici, l'honorable M. Couvreur et l'honorable M. Coomans ne sont pas d'accord, car tandis qu'aux yeux de M. Couvreur notre armée est trop forte pour une armée défensive, et qu'elle ressemble à une armée prête à attaquer ses voisins, l'honorable M. Coomans nous a dit qu'il résultait de renseignements certains pris par lui, que pendant l'été dernier notre armée était tellement insuffisante, qu'elle n'aurait pas pu résister au moindre choc.
Le fait est que si l'année belge avait été attaquée l'été dernier, l'année belge aurait résisté avec le courage qu'elle a montrée partout et dans toutes les occasions.
Mais l'honorable M. Couvreur, qui est si bien placé pour être parfaitement informé, a-t-il jamais entendu dire qu'une puissance, je ne dis pas une grande puissance, mais qu'une puissance quelconque ait été effrayée de nos armements ? a-t-il jamais entendu dire que quand nous avons organisé ou réorganisé notre armée, ce qui a eu lieu à différentes reprises, des plaintes aient été faites de.la part d'une puissance quelconque contre le chiffre et la force de cette armée ? Quant à moi, je n'ai pas la prétention d'être aussi bien informé que l'honorable membre ; mais je déclare que je n'ai jamais rien entendu de pareil. J'ai entendu autre chose et j'ai vu autre chose.
J'ai entendu souvent de grands éloges donnés par l'étranger à la Belgique sur les soins qu'elle prenait d'organiser sa défense. J'ai vu des encouragements adressés à la Belgique de ne jamais abandonner cette voie. Les puissances qui s'intéressent à nous nous ont toujours dit : Nous sommes bienveillants pour vous ; nous désirons vous défendre à l'occasion ; mais le meilleur moyen d'assurer votre indépendance, c'est d'abord d'organiser vous-mêmes votre défense.
Voilà ce qui nous a été dit de toutes parts.
M. Bouvierµ. Le bon sens le dit.
M. de Brouckere. - La bonne diplomatie est toujours conforme au bon sens.
Voilà, messieurs, ce que j'affirme nous avoir été dit, nous avoir été conseillé à différentes époques.
Irons-nous donc, après cela, nous laisser entraîner par des idées économiques, telles que celles que vous a précitées l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ? Irons-nous nous laisser séduire par le raisonnement très spirituel et surtout très spirituellement présenté de l'honorable M. Coomans, qui nous dit : Mais, en supprimant votre armée, vous ne vous exposez à aucun danger. Et voyez un peu quels avantages pour vous ? Vous ferez une économie de 60 millions ! 60 millions, ni plus moins.
Ces 60 millions n'étant plus nécessaires au trésor, vous pourrez supprimer différents impôts, et particulièrement l'impôt sur le sel et l'impôt sur le café.
La population qui aujourd'hui, pense-t-il, se montre assez froide, assez insouciante à l'endroit de noire défense nationale, serait immédiatement saisie de l'ardeur la plus patriotique, ou si l'on veut, du patriotisme le plus ardent, et au moindre événement qui semblerait nous menacer, toute la Belgique, heureuse d'avoir le sel et le café à meilleur marché, (interruption), se soulèverait pour courir à la frontière, comprenant parfaitement bien que si nous venions à perdre notre indépendance et nos libertés, ce ne serait pas tout, le café et le sel reviendraient à l'ancien prix.
Messieurs, je ne me laisse pas séduire par les doctrines économiques et par la perspective d'avoir certaines denrées à meilleur marché. Pour moi, la première des choses, la chose qui passe avant le prix du café et du sel, c'est de conserver notre indépendance, c'est d'assurer la conservation de nos précieuses libertés ; et je ne pense pas du tout comme certains honorables collègues que nos populations se soient le moins du monde refroidies relativement à l'importance du maintien de notre indépendance et de nos libertés. Le patriotisme est aussi vivace aujourd’hui en Belgique qu'il l'était en 1830 et dans les années qui ont suivi immédiatement cette époque.
- Des membres. - Certainement.
M. de Brouckere. - Maintenant, messieurs, répondrai-je à ce qu'a dit l'honorable membre, quand il nous a raconté l'histoire de ce qui s'est passé dernièrement à Naples ? Il y avait, selon lui, à Naples une armée magnifique, une armée parfaitement aguerrie. Eh bien, il a suffit de l'apparition de Garibaldi (je prie l'honorable M. Coomans de remarquer que je ne dis pas monsieur Garibaldi, je sais que cette qualification ajoutée à certains noms lui déplaît ; je dis donc Garibaldi tout court) : il a suffi de l'apparition de Garibaldi à Naples pour que toute cette armée se dispersât, pour qu'elle se fondît comme la neige aux premiers rayons du soleil.
El quelles conséquences l'honorable membre veut-il tirer de là ? Est-ce que par hasard il serait d'avis que la Belgique aujourd'hui se trouve dans l'état où se trouvait le royaume de Naples à l'époque dont il parle ? Est-ce qu'il estime que notre organisation, que la manière dont nous sommes gouvernés ou plutôt dont nous nous gouvernons nous-mêmes, ressemble à la manière dont Naples était gouverné ?
Et après tout, messieurs, de quoi s'agissait-il à Naples ? Il s'agissait d'une révolution. Ce n'était pas une invasion étrangère, c'était une révolution.
C'était si peu une invasion étrangère, que Garibaldi est entré seul à Naples, en voiture découverte, et qu'il n'a rencontré aucune résistance.
Qu'est-ce que cet exemple a à faire dans la question ? Nous ne cherchons pas à nous prémunir contre les révolutions intérieures, nous n'avons pas à les craindre ; nous cherchons à nous prémunir contre une invasion étrangère et tous les Garibaldi du monde se présenteraient devant l'armée belge, elle ne se disperserait pas. Je le répète, nous ne cherchons pas à nous prémunir contre les révolutions intérieures, nous cherchons à nous prémunir contre une invasion étrangère qui pourrait être le produit d'événements volontaires ou involontaires.
Mais faisons-nous une chose extraordinaire ? Faisons-nous une chose que les autres nations ne font pas ?
Dois-je vous apprendre ce qui se passe au sein des cinq grandes puissances ? Avez-vous, oui ou non, la certitude que toutes les cinq s'occupent de la réorganisation de leurs armées, qu'elles cherchent à améliorer les armes dont leurs soldats se servent et à développer le système de leurs fortifications ? Personne n'en peut douter. L'Italie, malgré tous ses embarras intérieurs, dont elle aura bien de la peine à sortir, soit dit en passant, l'Italie, malgré tous ses embarras, tient sous les armes une armée tellement nombreuse que l'on croirait qu'elle va entrer en campagne dans huit jours. En Espagne, le gouvernement augmente l'armée et il déclare cependant qu'il est bien décidé à n'entrer dans aucune guerre, ce sont uniquement des moyens défensifs.
La Suède, elle fait comme l'Espagne et elle déclare qu'elle est décidée à rester étrangère à toutes les complications européennes.
II faut avouer, messieurs, que si ce proverbe que vous connaissez tous, car il est devenu banal : Si vis pacem paru bellum, si vous voulez la paix préparez-vous à la guerre, si ce proverbe est vrai, jamais il n'y a eu un amour aussi ardent de la paix qu'à l'époque où nous nous trouvons, et à aucune époque on n'a vu les puissances plus occupées des moyens de conserver la paix, car me fiant à la sagesse des nations, j'aime à croire que partout ce sont des moyens défensifs qu'on organise. Je ne demande pas mieux ; on peut être aussi partisan de la paix que moi, on ne saurait pas l'être davantage.
Mais voyons ce qui se passe dans un pays très rapproché de nous et dont la population ne dépasse guère les trois cinquièmes de la population belge ; je veux parler du royaume des Pays-Bas. Je pourrais, messieurs, vous donner des détails sur ce qui se fait dans les Pays-Bas, sur l'organisation dont on s'occupe, sur les dépenses considérables auxquelles on est déjà résigné, mais je trouve le tout résumé et parfaitement résumé dans une phrase que j'extrais du rapport de la section centrale de la seconde Chambre, qui a examiné le budget de la guerre de 1867. Ce n'est pas long, vous voudrez bien me permettre de vous en donner lecture. Comme il fait fort obscur en ce moment et que le caractère est très petit, l'honorable M. Jouret voudra bien se charger de faire cette lecture.
(M. Jouret, lisant). « Certes, si toutes les puissances réunissaient leurs forces contre nous, la résistance serait impossible. Mais une pareille éventualité ne peut être admise. Une attaque contre nos frontières ne serait qu'un incident d'une crise générale qui obligerait les Etats les plus puissants à disséminer leurs forces. Nous avons beaucoup moins à (page 630) craindre l'assaut d'un ennemi considérable que l'attaque d'une petite armée, comme celle que l'Autriche et la Prusse rassemblèrent en 1864 dans la guerre du Danemark, en vue de s'emparer d'une partie de notre territoire, d'exiger la cession d'un port ou le sacrifice de certains intérêts politiques. Contre une pareille invasion, nous sommes parfaitement en mesure de résister, pourvu que nous organisions notre défense nationale. Tel est notre devoir. La Suisse elle-même, malgré sa pauvreté, n'a reculé devant aucun sacrifice pour assurer son indépendance, et s'est assuré de la sorte la profonde estime de l'Europe. Encore une fois, l'argent dépensé pour la défense du pays n'est pas de l'argent perdu, et la Hollande ne peut compter sur sa force morale en Europe que lorsqu'elle aura fait tous ses efforts pour assurer les moyens matériels qui doivent préserver contre les périls extérieurs son indépendance nationale et ses libertés. »
Voilà, messieurs, le langage des élus de la nation batave ; les représentants de la nation belge ne feront pas moins que leurs anciens frères.
Mais, dans le passage qui vient d'être lu, il a été question de la Suisse. La Suisse, voilà le pays modèle par excellence ! Ce pays où il n'y a point d'armée permanente, où l'on ne songe ni à attaquer ni à se défendre, où le budget de la guerre ne coûte rien, voilà le pays modèle !
D'abord c'est une république et il est convenu que dans les républiques tout se fait beaucoup mieux que dans les Etats monarchiques. Voyons si les Suisses sont aussi rassurés qu'on le croit, et si les Suisses ne songent pas à se défendre en cas d'attaque.
La Suisse est neutre comme nous ; l'existence de la Suisse comme nation date d'une époque bien plus reculée que la nôtre ; elle a tous les titres possibles à être respectée. Eh bien, je vais faire pour la Suisse ce que j'ai fait pour les Pays-Bas et je vous demanderai la permission de lire un tout petit discours prononcé à l'ouverture du conseil fédéral par le respectable président d'âge de cette assemblée :
« Lorsque, il y a trois ans, les conseils suisses se constituèrent à nouveau, on fondait de grandes espérances sur le congrès des souverains proposé par l'empereur des Français pour régler les difficultés européennes : à l'époque de notre dernière session de juillet, la situation s'était considérablement modifiée. Alors, dans plusieurs Etats, les fureurs de la guerre sévissaient avec rage. Nous attendions chaque jour avec inquiétude les rapports de la veille. Remercions la Providence de ce que la tranquillité de notre pairie n'ait pas été emportée dans la tourmente des événements.
« Depuis lors la tempête s'est apaisée ; mais si nous jetons un regard sur les Etats à travers lesquels elle a passé et si nous ne nous laissons pas éblouir par des rapports ronflants, que trouvons-nous ? De tous côtés des plaies profondes, des trônes renversés et des peuples qui ont changé de maîtres sans qu'on les ait consultés !
« Qu'ont rapporté tant d'efforts et de sacrifices ? En est-il résulté un progrès dans le développement social. Le sort des peuples s'en est-il amélioré ? Permettez-moi, messieurs, de taire là-dessus ma pensée. L'histoire dira un jour clairement ce qui en est.
« Pour combien de temps la tempête est-elle calmée ? Ces immenses luttes ont-elles créé pour les Etats de l'Europe une situation stable qui permette aux peuples de se consacrer entièrement aux travaux de la paix ?
« L'opinion publique, dans tous les pays où elle peut se manifester librement, donne à ces questions une réponse peu satisfaisante. Dans plusieurs pays surgissent des questions brûlantes qui peuvent facilement rappeler les peuples sous les armes ; la méfiance continue à régner entre les nations et il s'y joint, pour plusieurs, un sentiment d'aigreur. En outre, les immenses sacrifices faits partout pour réorganiser les armées, les instruire et les munir de meilleures armes, ce ne sont pas là des signes de paix durables, quoi qu'en dise le vieil adage : Si vis pacem, para bellium.
« La Suisse, il est vrai, a reçu de toutes les puissances des assurances solennelles touchant le respect de sa neutralité, et nous entretenons des relations de bonne amitié avec tous les peuples. Nous ne demandons à tous que de respecter notre honneur, notre liberté et notre territoire. En revanche, nous garantissons à tous ceux qui peuvent le désirer, non seulement notre protection territoriale, mais la jouissance de nos libres institutions. On devrait donc croire que le maintien de notre neutralité est tellement dans les intérêts généraux de l'Europe que nous pouvons sans crainte attendre l'avenir. Mais une fois que le mot de guerre est prononcé, c'est la force qui règne, et la force ne connaît ni droit, ni justice, ni limite, ni égards ; tel il en était autrefois, ici il en est malheureusement encore aujourd'hui. C'est pour cela, messieurs, que les propositions du conseil fédéral concernant le perfectionnement de notre armement constituent l'un des objets principaux soumis à vos délibérations.
« A la vérité, il est triste et pénible de penser qu'à notre époque le progrès semble consister dans l’invention et le perfectionnement d'engins destinés à tuer les hommes. Cependant, nous ne pouvons pas nous abstenir de suivre le mouvement qui se produit à cet égard, car celui-là est excusable qui n'emploie ces moyens que pour assurer son existence, son honneur et sa liberté. »
Eh bien, messieurs, après ce que je viens de vous dire et cela pourrait vous être dit plus complètement, plus éloquemment que par moi, y en aura-t-il beaucoup parmi vous qui soient tentés d'accepter le système préconisé par quelques-uns de nos honorables collègues et qui ne tend à rien moins qu'à l'anéantissement complet de notre armée.
A la vérité un honorable membre qui siège sur le même banc que moi, vous a dit hier qu'il reconnaissait la nécessité d'une certaine armée, mais dans des proportions bien plus restreintes que celle que nous avons aujourd'hui.
Eh bien, je n'hésite pas à vous le dire. A choisir entre le système de l'honorable M. Couvreur et celui des honorables MM. Le Hardy de Beaulieu et Coomans, je donne la préférence au dernier.
Une armée insuffisante ne sert à rien. Autant ne pas en avoir, et du moins je serais d'accord avec l'honorable M. Coomans pour que nous ayons du café et du sel à bon marché.
Messieurs, on vous a dit : Vous pouvez dissoudre votre armée, mais vous aurez toujours une précaution à prendre, il faudra renforcer la gendarmerie, la porter, par exemple, à 10,000 hommes.
C'est l'avis de l'honorable M. Coomans, mais il est en contradiction encore une fois avec l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu. L'honorable M. de Beaulieu a prouvé, il y a deux ans, qu'il n'y a rien de plus stupide que la police dans laquelle est comprise la gendarmerie. Il a démontré qu'à New-York il n'y a pas de police et comment la police coûte plus cher que le préjudice résultant de tous les vols qu'on peut commettre.
Vous voyez donc que les honorables MM. Coomans et Le Hardy de Beaulieu ne sont pas d'accord sur ce point.
Un dernier mot, messieurs. L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu ne veut pas d'armée ; elle est inutile, selon lui ; peut-être acceptera-t-il, pour faire plaisir à son collègue, une gendarmerie. Mais je lui demanderai : A quoi bon cette gendarmerie ? Nous avons une armée quoique les traités défendent à tous les gouvernements étrangers de nous attaquer.
Nous avons cette armée pour le cas où les traités seraient violés. L'honorable M. Le Hardy prétend que c'est inutile.
Mais la loi civile ne défend-elle pas d'une manière expresse la violation des propriétés ? Pourquoi ne vous en tenez-vous pas à la loi ? Ayez autant de confiance dans la loi belge que dans les traités et autant de confiance dans vos concitoyens que dans les étrangers.
Cependant si un ami de l'honorable M. de Beaulieu allait le voir dans son château et remarquant que ce château est muni de portes et de volets bien solides, lui dit : A quoi bon ces portes, à quoi bon ces volets. Tout cela vous entraîne à un entretien dispendieux. Enlevez ces portes, enlevez ces volets et ayez toute confiance dans la loi qui défend la violation des propriétés et dans vos concitoyens qui respecteront bien certainement cette loi.
Je voudrais bien savoir si l'honorable M. de Beaulieu, avec ses magnifiques idées économiques, suivrait le conseil de son ami ! M'est avis que si les portes et les volets lui semblaient laisser quelque chose à désirer sous le rapport de la solidité, il réorganiserait ses volets et ses portes.
Eh bien, messieurs, je demande à l'honorable M. de Beaulieu une seule chose : qu'il nous permette de faire pour la Belgique, et vis-à-vis de l'étranger, ce qu'il fait pour son habitation et contre ses concitoyens.
M. Hagemansµ. - Rassurez-vous, messieurs, je ne serai pas long. Je désire simplement motiver mon vote. Quoi qu'ait pu dire l'honorable M. de Brouckere, je ne suis pas partisan d'une armée permanente, je ne l'ai jamais été et je ne le serai jamais. Mais je ne défendrai pas mon opinion dans ce moment : ce débat n'a déjà que trop longtemps duré, d'autant plus que nous sommes à la veille de la discussion d'une autre question très importante, pour laquelle nous avons fixé jour.
Je ne relèverai donc rien de ce qui a été dit jusqu'ici ni dans l'un ni dans l'autre sens ; je me permettrai seulement une observation.
(page 631) Un honorable membre disait, avant-hier, qu'il y avait lâcheté à émettre certaines opinions, que c'était ouvrir la porte à l'ennemi que de ne plus vouloir d'armée.
Pour moi, messieurs, je trouve que le véritable courage consiste à se défendre soi-même plutôt qu'à envoyer au-devant de l'ennemi de malheureux miliciens tenus inutilement pendant de longues années dans les casernes.
Je suis certain que si la Belgique était attaquée, nous concourrions tous à sa défense, et c'est pour cela que je ne crois pas à la nécessité d'une armée.
Mais quoi qu'il en soit, messieurs, ne voulant pas revenir encore sur ce débat, je dirai comme l'honorable M. Vleminckx : Nous sommes dans un moment de transition qui nous oblige non à enrayer le bon vouloir du gouvernement, mais bien à lui venir en aide.
Aussi je voterai le budget, provisoirement et sans m'engager pour l'avenir. Je le voterai parce que j'ai confiance dans notre excellent ministre de la guerre ; je le voterai parce que je veux avoir confiance dans les résultats des travaux de la commission de réorganisation militaire. Ces travaux seront peut-être si parfaits, si complets qu'ils me persuaderont que notre neutralité a besoin d'être armée, que nous ne pouvons nous confier simplement au patriotisme d'une milice citoyenne bien organisée et commandée par des officiers nommés à vie.
Je voterai le budget de la guerre parce que nos braves soldats belges se sont si bien montrés dans ces derniers temps à Hasselt et à Marchienne.
M. Bouvierµ. - Dites donc au Mexique.
M. Hagemansµ. - Je ne veux pas parler du Mexique.
En terminant j'affirme que, quoi qu'il arrive, je ne doute pas un instant de l'avenir de la Belgique. Nos institutions sont trop belles, nos libertés sont trop grandes pour que nous ne soyons pas tous décidés à les maintenir, pour que nous ne soyons pas prêts à les défendre au prix de notre sang, de quelque côté que vienne le danger.
- Plusieurs membres. - La clôture.
- D'autres membres. - Non ! non !
M. Couvreurµ. - Messieurs, je demande à la Chambre de vouloir bien m'entendre pendant cinq minutes.
J'ai posé hier à l'honorable ministre de la guerre deux questions en faisant dépendre mon vote de la réponse qui leur serait faite. Je demande la permission de motiver le vote que j'émettrai.
MpVµ. - Il y a encore deux orateurs inscrits.
M. Coomans. - II faut les entendre.
M. Bouvierµ. - J'ai également demandé la parole pour répondre à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je me suis abstenu dans les sessions précédentes lors du vote sur le budget de la guerre.
- Des voix. - Ce n'est pas la discussion sur la clôture cela.
- D'autres voix. - On y a renoncé.
MpVµ. - Insiste-t-on pour la clôture ?
- Voix nombreuses. - Non, non, continuons.
MpVµ. - La parole est donc à M. Kervyn.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je me suis abstenu dans les sessions précédentes lors du vote sur le budget du département de la guerre, et chaque fois j'ai donné à cette abstention cette interprétation que, sans approuver ce qui existe et sans songer à l'ébranler imprudemment, j'appelais de mes vœux des améliorations qui importent à ccs deux grands intérêts que je ne sépare point, que je ne veux pas séparer, du pays et de l'armée.
Aujourd'hui que le gouvernement a reconnu lui-même la nécessité de ces améliorations, aujourd'hui qu'une commission investie du mandat le plus étendu et aidée dans sa tâche par la coopération si éminemment bienveillante de M. le ministre de la guerre, s'occupe à la fois et de la question d'organisation militaire et de la loi du recrutement sans cesse promise et sans cesse ajournée, mon abstention n'aurait plus de motifs ; et de même qu'il y a trois mois j'ai voté les crédits provisoires au département de la guerre, je voterai aujourd'hui le budget de ce même département, qui offre un caractère également transitoire.
Il ne me reste que deux mots à ajouter. Comme les honorables préopinants, j'espère que la commission se livrera à la haute mission qui lui est confiée avec toute son activité, avec tout son zèle, avec tout son dévouement ; je regrette seulement que M. de Brouckere n'ait pas cru devoir nous apprendre quelque chose du degré d'avancement de ses travaux.
Ce que je désire surtout, c’est que cette commission puisse atteindre au but vivement désiré, c'est qu'elle puisse à la fois alléger les charges des populations et fortifier l'armée en lui donnant une base entièrement honorable, affranchie de la lèpre du remplacement, demandant le moins possible à la contrainte qui est le deuil des familles et le plus possible à ce sentiment libre et spontané qui forme les carrières, trouvant dans une légitime rémunération le prix de services sérieux, et méritant enfin de plus en plus à tous les titres les sacrifices que le pays, dans la juste limite des droits et des devoirs de sa neutralité constitutionnelle, n'hésitera jamais à s'imposer.
MpVµ. - La parole est à M. Bouvier.
- Des voix. - La clôture !
M. Bouvierµ. - Je suis prêt à renoncer à la parole si la Chambre le désire.
- Voix nombreuses. - Non, non.
M. Bouvierµ. - J'ai demandé la parole pour répondre quelques mots à M. Le Hardy de Beaulieu. Je serai très court en présence de l'impatience de la Chambre...
- Des voix. - Nous vous écoutons :
M, Bouvierµ. - ... en présence de l'impatience d'une partie de la Chambre...
M. Wasseige. - Nous sommes charmés de vous entendre.
M. Bouvierµ. - Vous êtes trop aimable.
L'honorable M. Le Hardy est venu prêcher, dans cette enceinte, des idées économiques ; c'est sa thèse, il n'en démord pas. Il semble que lui seul, avec quelques rares économistes, ait souci des deniers publics et que la grande majorité de cette Chambre se livre à un gaspillage effréné du trésor public. Mais que l'honorable membre le sache bien, il n'est personne parmi nous qui partage une semblable manière de voir.
Mais qu'est-ce donc que l'économie politique ? C'est la production, la distribution, la consommation des richesses.
Eh bien, la véritable politique, que veut-elle ? C'est qu'on donne la sécurité à nos concitoyens pour qu'ils puissent au moins conserver ce que l'honorable M Le Hardy de Beaulieu préconise si vivement et avec tant d'instance : la richesse acquise. Notre devoir, à nous, ce n'est pas de faire de l'économie politique seulement, c'est de faire de la bonne politique, et la bonne politique consiste à conserver et à maintenir notre bien-être moral et matériel en faisant des dépenses militaires en proportion avec nos ressources. Voilà ce que je voulais répondre en deux mots à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, quant à son système d'économie politique touchant notre organisation militaire.
L'honorable membre nous dit : Vous avez des traités qui garantissent votre nationalité. Eh bien, je le lui demande, supposons un cas d'envahissement. Ira-t-il, lui, courir à la frontière son discours à la main et dire : Messieurs les envahisseurs, retirez-vous ! Vous nous avez garanti solennellement, devant le monde entier, notre nationalité ; vous avez promis de garantir notre neutralité et partant notre indépendance, et vous ne reculez pas ! Au nom de l'économie politique, au nom de la production sociale, au nom de nos richesses accumulées, retirez-vous et ne venez pas vous parjurer en attaquant un peuple qui a eu foi dans vos promesses et vos engagements ! L'honorable membre croit-il qu'en présence de ses objurgations et de ses discours économiques, l'armée envahissante reculerait et respecterait ces traités déjà déchirés ? Il ne peut pas le croire, et je ne le crois pas plus que lui.
Messieurs, je le répète, la véritable économie politique consiste à faire les dépenses compatibles avec nos ressources, à apporter notre contingent de force et de courage pour résister avec honneur et avec succès à une violation de notre territoire.
Voilà ce que la sagesse politique nous enseigne, enseignement dont le pays, j'en ai la conviction, ne se départira jamais.
Je n'en dirai pas davantage, la Chambre me paraissant pressée d'en finir avec la discussion générale, qui pourra se renouveler avec beaucoup plus de fruit à l'occasion du projet de loi sur notre réorganisation militaire.
M. Couvreurµ. - L'heure est trop avancée pour que je m'engage dans la défense de quelques-unes des idées que j'ai développées déjà, en réponse à l'honorable M. de Brouckere.
C'est un procédé de dialectique bien connu, que d'attribuer quelquefois à son adversaire des opinions et des arguments qu'il n'a pas émis pour se donner le facile triomphe de renverser l'édifice qu'on a ainsi élevé.
Ce que j'ai soutenu hier et ce que je maintiens aujourd'hui, c'est que notre neutralité, telle qu'elle est reconnue, telle qu'elle est garantie par les puissances, nous impose une organisation militaire spéciale ; c’est que nous ne pouvons pas, sous peine de méconnaître les obligations de (page 632) cette neutralité nous donner une organisation militaire hors de proportions avec nos ressources politiques, sociales et économiques.
Ce que j'ai soutenu, c'est que, territoire neutre, nous devons chercher à limiter notre organisation militaire aux organisations militaires d'autres peuples qui sont dans les mêmes conditions de neutralité que nous, à une organisation militaire analogue à celle que la Prusse possédait avant sa dernière transformation, analogue encore à celle que possède aujourd’hui la Suisse : organisation autrement forte que celle de la Belgique.
Et qu'il me soit permis ici de répondre à une insinuation que je regrette d'avoir rencontrée dans la bouche de l'honorable M. de Brouckere : c'est que j'aurais donné la Suisse comme modèle à la Belgique, parce que la Suisse est une république.
M. de Brouckere. - Je déclare de la manière la plus formelle que je n'ai pas pensé à l'honorable M. Couvreur, quand j'ai parlé de lu Suisse.
M. Coomans. - Etait-ce à moi que vous faisiez, allusion ? (Interruption.)
M. de Brouckere. - Messieurs, je suis heureux de toutes ces protestations.
M. Coomans. - Je ne proteste pas du tout. J'ai demandé si c'était à moi que vous faisiez allusion.
M. de Brouckere. - Je n'ai voulu faire allusion à aucun de mes honorables collègues en particulier. Je défie qu'on me cite une parole s’appliquant à l'un d'entre eux. J'ai parlé en général de ceux qui trouvaient que dans les républiques tout était mieux que dans les monarchies.
M. Couvreurµ. - Je suis très heureux de la protestation de l'honorable M. de Brouckere. Seulement il voudra bien reconnaître que j'ai pu m'y méprendre.
M. de Brouckere. - Non ! non !
M. Couvreurµ. - J'avais parlé de la Suisse, j'avais cité ce pays comme un exemple, et lorsque l'honorable membre a dit que l'on citait la Suisse comme un pays modèle parce que c'était une république, j'ai dû croire que c'était à mes paroles qu'il faisait allusion.
M. Coomans. - Du reste, ce n'est pas une injure ; il y a du bon dans beaucoup de républiques.
M. Bouvierµ. - C'est positif : il y a de bonnes républiques comme de bonnes monarchies.
M. Couvreurµ. - Je disais donc que la Belgique, pays neutre, doit chercher à assimiler son organisation militaire à l'organisation militaire de la Suisse. Mais, je le répète, je ne veux pas m'engager en ce moment dans la réfutation, ni du discours de l'honorable M. de Brouckere, ni de celui prononcé en dernier lieu par l'honorable M. Bouvier. Nous aurons encore trop souvent l'occasion de revenir sur ce débat, et quoique les militaires doivent trouver que je m'entends très peu en ces matières, je connais du moins assez la tactique pour savoir que, dans l'art de la guerre, il est très maladroit de se tenir sur la défensive quand on peut porter la guerre chez l'ennemi.
Il ne s'agit pas, en ce moment, de savoir quelles sont mes opinions sur l'organisation militaire ; il s'agit de connaître les opinions du gouvernement. Or, c'est sur ce point que je l'ai interpellé et que je n'ai pas reçu de réponse satisfaisante.
M. Coomans. - Il n'en a pas encore.
M. Bouvierµ. - Mais un moment de patience, M. Coomans ! Quelle ardeur juvénile !
M. Couvreurµ. - J'avais demandé à M. le ministre de la guerre, et j'avais fait dépendre de sa réponse mon vote sur le budget, ou bien la communication du rapport promis par l'honorable général Chazal, ou bien des explications sur les causes qui avaient amené la retraite de son honorable prédécesseur.
Il m'a été répondu par M. le ministre de la guerre que le général Chazal pouvait seul disposer de son rapport et que le gouvernement ne pourrait examiner le système militaire qui convient à la Belgique que lorsque la commission mixte se serait enquise des changements qui ont été apportés à l'organisation militaire, depuis plusieurs années, dans les divers Etats européens.
Quel que soit mon désir de ménager l'honorable général Goethals, quelles que soient les sympathies personnelles que j'éprouve pour lui, quelque convaincu que je sois qu'il est plein de loyauté et de bonnes intentions, la Chambre voudra bien reconnaître que je ne puis me tenir pour satisfait de sa réponse. J’avais demandé pourquoi l'honorable général Chazal avait cru devoir abandonner son portefeuille, et sur ce point je n'ai reçu de réponse d'aucune sorte.
J'avais demandé la production du rapport, rapport sur la foi duquel, pendant deux ans, la Chambre a voté le budget de la guerre ; on m'a encore opposé une fin de non-recevoir.
Pour mon compte, cette fin de non-recevoir, je ne puis l'accepter. Je n'admets pas qu'un gouvernement puisse manquer à un engagement pris solennellement envers la Chambre ; je ne puis admettre qu'après avoir manqué à ses engagements, il emporte encore un bill d'indemnité, une espèce de satisfecit délivré par ceux envers lesquels il avait contracté cette obligation.
Qu'on me permette une comparaison pour faire apprécier le procédé employé envers la Chambre, comparaison qui sera comprise dans un pays industriel et commercial où l'on sait ce que vaut l'honneur d'une signature.
La Chambre, représentant les intérêts du pays, et le gouvernement ont fait une opération commerciale. On nous demandait le vote de 35 millions, et nous étions peu disposés à les accorder. M. le ministre de la guerre de l'époque nous a dit alors :
« Patientez, je vous fournirai, en retour du vote que je vous demande, un rapport explicatif et justificatif ; je vous le promets, voici ma promesse ; bon pour un rapport. »
A la première échéance, notre débiteur est absout ; il est allé, pour sa santé respirer l'air pur des montagnes. Mais il a laissé un fondé de pouvoirs, c'était l'honorable ministre de l'intérieur. Ce fondé de pouvoirs nous a tenu à peu près ce langage :
« Messieurs, je suis désolé ; les fonds ne sont pas faits ; cependant soyez indulgents, vous ne pouvez me poursuivre ; d'ailleurs je ne demande pas mieux que de m'en aller ; tout cet attirail militaire ne me va nullement ; j'ai accordé aux soldats autant de congés que j'ai pu, même à ceux qui voulaient partir pour le Mexique. Quant au gérant de l'entreprise, veuillez considérer qu'il a été malade, empêché ; ce n'est pas la bonne volonté qui lui a manqué. Mais il n'est pas insolvable : il ne tardera pas à revenir, il dégagera sa promesse ; accordez-lui un petit renouvellement. »
Nous accordons le renouvellement sollicité de trois mois d'abord, puis un autre d'une année.
Nouvelle échéance. cette fois, le débiteur a disparu, emportant la contre-valeur qu'il devait nous fournir. Celle contre-valeur ne se retrouve plus ou du moins elle ne se retrouve que tardivement, sans utilité pour nous, entre les mains de l'honorable M. Tesch, auquel nous ne pouvons pas la réclamer.
Le titre, cependant, nous le possédons toujours ; sur ce titre, le pays a payé 40 millions par deux fois ; ce titre porte l'endossement de la Chambre, l'endossement de la section centrale ; il est endossé par tous les membres du gouvernement ; et je suis incapable de comprendre comment le gouvernement peut laisser protester la signature d'un de ses anciens membres, la signature de la Chambre, celle de la section centrale et la sienne propre.
Je suis convaincu que l'honorable général Chazal ne demande pas mieux d'ailleurs que de dégager sa parole, de nous fournir son rapport : je trouve la preuve de cette intention dans le fait d'avoir envoyé le rapport à l'honorable M. Tesch. Pourquoi cet envoi à l'honorable M. Tesch ? Est-ce pour fournir à celui-ci l'occasion de déclarer qu'il est en possession du rapport ?
Mais la parole de l'honorable M. Tesch eût suffi. Si l'honorable général Chazal a envoyé son rapport à son ancien collègue, c'est pour que celui -ci le communiquât à la Chambre. Aussi, pour moi, je suis convaincu que si le gouvernement en témoignait le désir, l'honorable général Chazal acquitterait la promesse qu'il avait faite à la Chambre.
Mais non seulement le gouvernement nous refuse l'exécution d'un engagement contracté par lui, il refuse même des explications sur ses vues d'avenir, sur son programme futur.
« J'attends les lumières de la commission mixte, » dit M. le ministre de la guerre. et cela semble très naturel à un grand nombre de membres de cette Chambre, si naturel, qu'ils sont disposés à voler le budget.
Ainsi donc à l'avenir, toutes les fois qu'un nouveau ministre arrivera au pouvoir et qu'il se trouvera en présence d'une question grave, qui intéresse les destinées du pays, il nommera une commission et il se retranchera derrière ses délibérations.
Et que faites-vous de l'action, de l'initiative et de la responsabilité du gouvernement dans un pareil système ? Qui dit gouvernement, dit action ; qui dit initiative, dit responsabilité. Vous supprimez tout cela.
Comment ! voilà une question qui, depuis vingt ans, ne cesse d'occuper (page 633) tous les esprits en Belgique, qui depuis deux ans met en émoi toutes les cervelles en Europe ; une question que bon nombre de gouvernements ont déjà résolue ou sont en voie de résoudre ; une question de premier ordre pour notre existence nationale, et vous n'avez pas d'opinion ! vous ne savez pas ce que vous avez à faire ; vous ne savez pas dans quelle direction vous voulez marcher ; vous paraissez ne pas savoir, votre département ne sait pas quels changements ont été apportés à l'organisation militaire dans les divers Etats européens ; vous devez attendre que la commission se soit enquise de ces changements.
- Un membre. - Et en France ?
M. Couvreurµ. - Je ne vais pas chercher mes exemples en France.
Et vous voulez que, dans ces conditions, nous soyons rassurés, que nous ayons une confiance illimitée, alors que, du jour au lendemain, l'orage peut éclater, avant que vous ayez eu seulement le temps de lire le rapport de la commission mixte ! Evidemment vous n'avez pas pesé les conséquences de votre réponse.
Voyez ce qui se passe en ce moment dans un grand pays voisin que l'on peut citer comme le modèle des gouvernements constitutionnels, et où j'aime mieux aller chercher des exemples que dans le pays dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Bouvier.
En Angleterre, un ministère faible, hésitant, divisé, est obligé de résoudre une question de premier ordre, une question que nous aurons à aborder, nous aussi, la semaine prochaine : la question de la réforme électorale. Effrayé de sa tâche, que fait le gouvernement ? Il apporte au parlement quelques principes généraux tellement vagues, que toutes les solutions peuvent en sortir. Il dit à la chambre des communes avec beaucoup de bonhomie : « Voilà. Tâchez de tirer de cet être informe un enfant viable, aidez-moi à trouver une solution qui puisse vous satisfaire. Cherchons en commun le mol du problème. »
Et de tous les points de l'Angleterre s'élève un cri de réprobation contre un tel abandon des devoirs du pouvoir exécutif. Les adversaires du gouvernement condamnent le procédé, les libéraux transfuges qui l'ont aidé à arriver au pouvoir se séparent du cabinet, et ses amis eux-mêmes se réunissent et lui signifient d'apporter à la chambre des communes un système complet, un système exprimant ses opinions, au risque de descendre du pouvoir. » Voilà la véritable ligne de conduite à suivre, et c'est celle que le gouvernement anglais s'est résigné à subir.
Mais vous, messieurs, vous retranchez-vous derrière le parlement ? Non pas, vous vous retranchez derrière une commission que vous avez nommée, derrière une commission que votre volonté a créée et que votre volonté peut défaire demain. Vous vous retranchez derrière une commission sans responsabilité, dans laquelle siègent vos subordonnes en très grand nombre, je dirai presque en majorité. Vous vous retranchez enfin derrière une commission dans laquelle siègent des membres du parlement qui sont animés d'intentions très patriotiques, très louables sans doute, mais qui ont accepté de devenir les collaborateurs du gouvernement, rôle qui ne me paraît pas compatible avec l'esprit de nos institutions. (Interruption.)
M. Coomans. - C'est très vrai.
M. Couvreurµ. - Messieurs, j'ai déjà dit et je demande la permission de le répéter, dussé-je soulever des inimitiés (Non ! non !) ou tout au moins les contradictions des quatorze membres de la commission...
- Un membre. - Et de beaucoup d'autres.
M. Couvreurµ. - Mais je fais abstraction ici des personnes. Je suis convaincu que les intentions ont été bonnes, louables, excellentes, patriotiques.
Seulement, qu'on me permette de développer franchement et sincèrement l'opinion, peut-être erronée, que je me fais.
Je le répète, je ne crois pas que les mandataires de la nation, juges des actes du gouvernement, puissent se faire les coopérateurs et les préparateurs des actes de ce gouvernement.
Une comparaison encore, pour préciser ma pensée.
Un jour, l'honorable M. Bara, pressé de présenter à la Chambre des projets de loi d'ordre judiciaire, fit valoir qu'il n'avait à sa disposition, au département de la justice, qu'un nombre limité de jurisconsultes qui l'aidaient dans ses travaux préparatoires et que si la Chambre voulait être saisie de ces projets, elle devait lui fournir les moyens d'activer ces travaux.
Je suppose que, pour répondre à une nécessité et dégager cet encombrement, l'honorable M. Bara vienne un jour proposer à la Chambre de doubler, de tripler, le nombre de ces jurisconsultes, ses assesseurs, de constituer, non seulement au profit de son département, mais au profit également d'autres administrations, une espèce de conseil d'Etat chargé de la préparation des lois.
Je suppose encore que, la proposition étant acceptée par la Chambre, un arrêté royal nomme comme membres de ce conseil d'Etat les jurisconsultes les plus éminents de cette assemblée. Trouveriez-vous ce procédé régulier ? Trouveriez-vous qu'il y a compatibilité entre le mandat de conseiller d'Etat et le mandat de membre de la représentation nationale ? Trouveriez-vous qu'un conseiller d'Etat, après avoir ainsi coopéré à l'élaboration des lois, pourrait venir dans cette enceinte, à la fois comme mandataire de la nation et comme membre du conseil d'Etat, d'abord défendre les lois, et ensuite se prononcer sur elles, voter sur elles ? Non, vous déclareriez qu'il y a incompatibilité entre les fonctions de membre du conseil d'Etat et celles de représentant, entre l'action et le contrôle.
Eh bien, messieurs, ce que vous ne sanctionneriez pas pour une situation permanente, vous l'admettez pour une situation transitoire. Votre commission mixte est une espèce de conseil d'Etat au petit pied, créé pour résoudre la question de l'organisation militaire et qui fournira, pour nos futurs débats, des défenseurs intéressés à faire triompher ses principes, non pas seulement parce qu'ils auront reconnu la justice de ces principes, mais parce qu'ils auront aidé à les édicter.
Eh bien, messieurs, je me demande avec un légitime effroi comment, en présence de cette œuvre à venir, nous, pauvres députés isolés, qui n'aurons pas été admis à pénétrer les mystères des délibérations de la commission, qui n'aurons pas eu l'occasion de faire des études militaires développées, comment nous réussirons à lutter contre les forces supérieures qu'on nous opposera. (Interruption)
M. Coomans. - Aurons-nous le compte rendu des séances ?
M. Couvreurµ. - Je comprends parfaitement les raisons qui, dans ces conditions, portent le gouvernement à ajourner le débat. Il sera assuré d'avoir à côté de lui des avocats qui auront étudié la cause solidairement avec lui.
Aussi, lui dis-je, lorsque vous déclarez que vous n'avez pas d'opinion arrêtée, vous vous faites trop modeste. Vos opinions sont formées dès à présent, mais vous voulez les réserver. Si elles n'étaient pas formées, quel critérium appliqueriez-vous aux conclusions de la commission ?
Ces conclusions, vous allez être obligé de les juger, eh bien, vous les jugerez avec les principes que vous croyez bons, que vous croyez nécessaires à un bonne organisation militaire en Belgique.
Voilà pourquoi j'ai demandé à connaître dès à présent vos opinions, les opinions qu'en votre qualité de gouvernement, vous êtes obligés d'avoir, afin d'engager le débat dès aujourd'hui et non pas alors que toutes les chances me sont défavorables.
Ces opinions, je ne puis forcer le gouvernement à les faire connaître, je ne puis le forcer à me donner le rapport du général Chazal : eh bien, messieurs, puisque je ne puis pas vous forcer à parler, je voterai contre vous.
Je voterai contre vous pour vous blâmer de votre conduite dans le passé ; je voterai contre vous, parce que vous me refusez des explications pour l'avenir.
Je voterai contre vous, parce que je n'admets pas qu'un gouvernement ne tienne pas ses promesses, parce que je n'admets pas qu'il abdique ou dissimule son action et sa responsabilité.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'honorable préopinant est parfaitement libre de voter contre le budget de la guerre, mais nous ne pouvons pas admettre les motifs qui le déterminent à émettre un pareil vote. Il votera contre le budget de la guerre parce que le gouvernement aurait manqué à ses engagements et parce que le gouvernement refuse de faire connaître dès maintenant sa manière devoir quant à l'organisation de l'armée.
Le gouvernement a manqué à ses engagements ! L'honorable ministre de la guerre, le général Chazal a quitté le pouvoir, l'honorable membre paraît ignorer pourquoi. Je pense, messieurs, que la cause de la retraite du général Chazal n'est un mystère pour personne dans cette Chambre ni dans le pays ; il n'a pas eu d'autre raison pour quitter le pouvoir, que des raisons de santé, et le mauvais état de sa santé n'a été malheureusement pour lui et pour ses amis que trop longtemps constaté.
Mais, dit-on, l'honorable général Chazal avait promis un rapport à la Chambre et les autres ministres s'étaient associés à cette promesse. Le général Chazal a fait son rapport ; il l'a déposé entre les mains du Roi ; c'est ce que nous avons eu l'honneur de déclarer plusieurs fois à la Chambre, mais, je le répète aussi, aucun ministre, à l'heure qu'il est, ne se trouve en possession de ce rapport. Où est-il prescrit et dans quelle (page 634) tradition parlementaire trouvera-t-on qu'un ministre, se retirant du pouvoir, doit encore des rapports à la Chambre.
Où est-il écrit qu'un ministre qui n'a plus de responsabilité devant les Chambres doive encore poser des actes devant elles, et quelle est la force, je ne dirai pas parlementaire, mais quelle est la force humaine qui pourrait obliger le général Chazal a poser un acte dont il ne serait plus responsable devant la Chambre.
Si le général Chazal se représentait sur ces bancs, vous auriez le droit de lui demander ce rapport ; mais ce droit vous ne l'avez plus.
- Un membre. - Nous le demandons aux autres ministres.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous déclarons que nous n'avons pas eu connaissance de ce rapport.
Qui nous dit, d'ailleurs, qu'un tel travail, après les événements de l'année dernière, n'aurait pas dû subir de profondes modifications ? Est-ce l'opinion du général Chazal d'il y a deux ans, que vous demandez, ou est-ce le rapport du général Chazal, éclairé par les faits si considérables qui se sont produis depuis ?
Du reste, messieurs, l'existence du rapport du général Chazal ne peut être mise en doute. On sait qu'il a remis son travail à un membre de la commission militaire et je ne pense pas qu'il lui ait recommandé de ne le communiquer à personne ; mais si ce travail était remis à ceux qui le réclament le plus vivement, peut-être ne se donneraient-ils pas la peine de le consulter.
M. Coomans. - Nous serions plus curieux que vous.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On demande au successeur du général Chazal, à peine entré au pouvoir, de faire connaître son système militaire, son opinion toute formée sur la meilleure organisation à donner à l'armée.
Lorsque nous voyons tous les pays de l'Europe, sans exception, les gouvernements les plus militaires, les plus autorisés, ceux à qui, tout à l'heure, on attribuait une initiative si complète, si puissante lorsque nous les voyons recourir à des consultations à des commissions, on vient demander à un ministre de la guerre à peine entré au pouvoir, de fournir immédiatement à la Chambre un système complet sur la meilleure organisation de l'armée, cela est-il raisonnable ? Cela est-il pratique ? Cela peut-il se concilier avec les sentiments prétendument bienveillants que l'on professe pour le nouveau ministre.
Mais, on lui impute un bien autre grief : la nomination d'une commission composée d'éléments militaires parlementaires. Nous pensions, nous, que, dans un gouvernement comme le nôtre, les convenances, les usages, l'intérêt public exigeaient que le gouvernement s'entourât de lumières ; or dans un pays où il n'y a pas de conseil d'Etat, où le gouvernement trouve-t-il ses conseillers naturels, ceux en qui le pays et lui-même doivent avoir le plus de confiance ? N'est-ce point parmi les représentants du pays lui-même.
Voilà ce qui s'est fait non pas seulement pour notre organisation militaire mais dans une foule d'autres circonstances. A toutes les époques, des commissions parlementaires ont été consultées. Tous nos projets de lois les plus importants ont été préparés par des commissions parlementaires et, en ce qui concerne l'organisation de l'armée, c'est aussi au sein d'une commission composée de membres des Chambres et de militaires que le projet de loi de 1853 a été élaboré.
A cette époque, personne n'a trouvé à y redire, et il a fallu l'entrée de M. Couvreur à la Chambre pour découvrir qu'il y avait là les plus graves irrégularités, que la commission était plutôt une assemblée de suspects qu'une réunion d'hommes indépendants dont les lumières et l'expérience présentaient les plus complètes garanties.
Le rôle que fort gratuitement l'honorable M. Couvreur fait jouer à ses collègues, n'est pas présenté, je dois le dire, en termes bienveillants ni convenables. On accuse l'opinion des membres de la commission comme étant dès maintenant acquise au gouvernement.
M. Orts. - Il dit qu'il n'en a pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le gouvernement, à qui l'on a reproché de ne pas avoir d'opinion, aurait obtenu dès maintenant...
M. Couvreurµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais vous avez parfaitement donné à entendre que le gouvernement était pour ainsi dire assuré d'avance des conclusions de la commission, et si ce n'est pas là votre reproche, que reprochez-vous à la commission ? Je demande à l'honorable M. Couvreur si, par hasard, il avait été appelé à faire partie de la commission, et je crois qu'il n'aurait pas récusé la nomination, je lui demande s'il n'aurait pas trouvé fort inconvenant et fort injuste, qu'un de ses collègues fût venu mettre en suspicion sa parfaite indépendance.
M. Coomans. - Je n'aurais pas accepté.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - M. Coomans, avec qui il marche d'accord, a fait partie autrefois de semblables commissions et je lui demande si sa vertu parlementaire si immaculée, si sa probité politique si immaculée en a souffert le moins du monde.
M. Coomans. - C'est comme rapporteur de la section centrale, que j'ai figuré dans trois commissions. Je n'ai été désigné ni par le gouvernement, ni par la Chambre.
M. Orts. - Vous avez été dans la commission de la marine militaire avec moi. (Interruption.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ainsi, messieurs, on reproche d'une part au ministre de la guerre de ne pas avoir d'opinion à émettre, dès maintenant, sur la meilleure organisation militaire qui convient à la Belgique ; on lui reproche de ne pas avoir d'opinion, et, d'un autre côté, on lui reproche de vouloir imposer son opinion à la commission militaire, où l'on a soin de faire remarquer qu'il figure un certain nombre d'agents du gouvernement, comme si l'on pouvait s'occuper de l'organisation de l'armée en éliminant de cette commission l'élément militaire.
Le gouvernement se retranche, dit-on, derrière une commission ; est-ce donc à dire que le chef puissant d'un empire voisin se retranche derrière une commission parce qu'il soumet l'organisation de l'armée française à l'examen d'une commission de maréchaux ? Est-ce à dire que ce grand et puissant gouvernement recule parce que le travail de cette commission se trouve en ce moment soumis au conseil d'Etat ? Est-ce par esprit de timidité, parce qu'il n'a pas d'opinion, parce qu'il veut se cacher derrière une commission ? Non, c'est parce que, comme tout gouvernement raisonnable et pratique, il cherche à s'entourer du plus de lumières possible, qu'il consulte les hommes les plus compétents.
On fait en Belgique ce qu'on fait partout ailleurs. Je défie qu'on cite en ce moment un seul pays où l'on ne procède pas à la même enquête qui se fait en Belgique, et il n'est pas encore en Europe un gouvernement qui ait produit et fait prévaloir son opinion définitive sur la meilleure organisation.
Vous dites qu'on a fini presque partout. En fait, on n'a fini réellement nulle part. Je ne parle pas des anciennes organisations qui ont fait leurs preuves, mais des pays où l'on s'occupe en ce moment-ci de l'examen des questions qui touchent à la réorganisation des armées.
Nous ne sommes donc pas en retard, mais il serait plus que ridicule de vouloir qu'alors qu'on élabore partout des projets de réorganisation, qu'on examine partout ces questions, le gouvernement eût la présomption de se déclarer dès à présent prêt à produire le meilleur système, se crût plus éclairé, plus capable, plus avancé que tous les autres gouvernements et ne voulût pas attendre les résultats des enquêtes qui se font partout avant de se prononcer.
Je désire, messieurs, que nous puissions assurer au pays une organisation définitive, mais je désire aussi que la commission travaille avec maturité et ne se prononce pas sur les questions avant d'avoir examiné avec soin comment elles sont résolues à l'étranger.
Quand la commission aura produit son travail, est-ce à dire que le gouvernement va sans examen s'y rallier, croit-on qu'il va accepter les conclusions de la commission quelles qu'elles soient ?
C'est alors, messieurs, que commencera le rôle du gouvernement. Il examinera les conclusions de la commission, et s'il croit devoir s'en écarter sous sa responsabilité, il le fera.
Quelque confiance que nous ayons dans ceux de nos honorables collègues, dans les membres de l'armée qui font partie de la commission, nous n'entendons pas dire que nous n'aurons qu'à soumettre purement et simplement leurs conclusions aux Chambres.
Le gouvernement examinera ; il ne cherche pas à se réfugier derrière une commission, mais il proposera un projet sous sa responsabilité.
(page 635) Je crois, messieurs, que c'est ce que la Chambre a parfaitement compris, et que c'est sous ces réserves que la grande majorité votera aujourd'hui le budget de la guerre qui n'engage, du reste, personne pour l'avenir.
M. Pirmezµ. - Messieurs, l'honorable M.Couvreur ne s'est pas borné à attaquer le budget de la guerre, il a cru devoir blâmer les membres du parlement qui ont accepté de faire partie de la commission militaire nommée par le gouvernement.
L'honorable membre a déclaré que jamais il n'eût consenti à faire ce que beaucoup de ses collègues, et moi entre autres, nous avons fait. Il considère que nous avons porté atteinte à notre indépendance, et qu'il n'aurait pu sans porter atteinte à la sienne, accepter la mission que nous avons acceptée.
Messieurs, je crois ne pas devoir laisser passer cette accusation qui me touche parce que je tiens à conserver, autant que l'honorable M. Couvreur mon indépendance. Me suis-je trompé en acceptant ce mandat ?
Je constate que, si je l'ai fait, c'est en bonne compagnie, et que de tous les membres à qui il a été offert, aucun ne l'a refusé.
Il est bien étrange que l'honorable M. Couvreur ait attendu jusqu'à la nomination de la commission militaire pour trouver que la nomination de cette commission est, non pas en contradiction avec le texte de la Constitution, mais contraire aux usages constitutionnels.
On a nommé fréquemment de pareilles commissions, messieurs, et très récemment encore on a institué une commission pour la pêche nationale. L'honorable M. Couvreur, si je ne me trompe, a pris part à la discussion sur cet objet, et il n'a pas critiqué la nomination de celle commission, dans laquelle figuraient des membres de la Chambre.
Si nous remontons plus haut, nous en trouvons plusieurs autres. Nous avons eu la commission des canaux, qui était présidée par l'honorable M. de Brouckere, et dont faisaient partie MM. Sabatier, Jacquemyns, Muller et Jouret.
Lorsqu'il s'est agi de faire une loi sur l’enseignement, on a nommé une commission dans les conditions de la commission militaire.
Pour la question de la milice, on a nommé une commission dans laquelle figuraient encore plusieurs membres du parlement.
Pour la marine militaire, il y a eu une commission, dans laquelle figurait l'honorable M. Coomans, qui a oublié qu'il a porté atteinte alors à sa propre indépendance.
Pour les chemins de fer encore, on a nommé une commission dans laquelle figuraient plusieurs membres du parlement.
Il est donc bien étonnant que ce soit précisément lorsqu'il s'agit des affaires militaires qu'on découvre l'abus si grave de placer des membres de la législature dans ces commissions.
Cela s'explique parfaitement, selon moi, pour l'honorable M. Couvreur. L'honorable membre, qu'il me permette de le lui dire, a laissé passer le bout de l'oreille.
Il est adversaire quand même du budget de la guerre et dès lors il doit trouver mauvais tout ce qui doit servir à rendre l'armée meilleure.
Aussi la crainte de l'honorable M. Couvreur est que le projet qui sortira des travaux de la commission ne soit tellement fort et tellement appuyé dans cette enceinte, qu'il n'y ait plus moyen de l'attaquer avec succès.
Mais il reconnaîtra que pour la majorité de la Chambre qui désire une armée forte et bien consolidée il en est tout autrement.
Je me hâte de le dire, parmi les membres de la Chambre qui votent contre le budget de la guerre ou qui s'abstiennent, il y en a beaucoup qui ne font opposition que parce qu'ils ne trouvent pas que l'armée est ce qu'elle doit être, et qui n'attendent pour voler le budget de la guerre que de la trouver convenablement organisée.
Pour ma part, je me suis abstenu jusqu'ici sur le budget de la guerre ; mais je le voterai aujourd'hui, parce qu'on me paraît vouloir apporter les réformes nécessaires. Je serai très heureux de le voter quand je la verrai organisée dans des conditions convenables.
Il y a une contradiction dans la conduite de l'honorable M. Couvreur. Il y a quelques semaines à peine, il demandait la nomination d'une commission d'enquête.
M. Couvreurµ. - Parlementaire.
M. Coomans. - Nommée par la Chambre.
M. Pirmez.µ. - Ainsi donc l'honorable M. Couvreur voulait une commission exclusivement parlementaire, et il trouve mauvaise comme trop parlementaire la commission qui est seulement en partie parlementaire.
Je suppose, messieurs, que la commission ait été nommée par la Chambre, qu'après l'enquête on soit venu présenter à la Chambre un projet de réorganisation, est-ce que le grief de M. Couvreur contre la commission aujourd'hui nommée ne serait pas exactement le même ?
M. Couvreurµ. - Non.
M. Pirmezµ. - Pourquoi pas ? Vous auriez dit : Mais dans votre commission d'enquête, vous avez fait de la matière une étude spéciale, je ne puis plus vous démolir aussi facilement. Vous arrivez nombreux pour défendre le projet qui est votre enfant, vous le défendez avec un amour paternel, vous êtes une force trop grande, je ne puis plus lutter contre vous.
MfFOµ. - Vous vouliez donc démolir !
M. Pirmezµ. - Laissons de côté cette question et voyons si les membres de la commission ont aliéné quelque chose de leur indépendance.
Cette question est-elle sérieuse ?
- Voix nombreuses à gauche. - Non, non.
MfFOµ. - C'est une offense.
M. Pirmezµ. - Est-ce qu'en allant dans une commission nous ne conservons pas tous la liberté d'apprécier ce qui nous est proposé et ce que nous proposons nous-mêmes ?
M. Couvreur paraît supposer que les membres de cette commission deviennent des commissaires du gouvernement, c'est-à-dire des conseillers, des défenseurs-nés du gouvernement, alors qu'aussi libres dans la commission qu'à la Chambre, ils peuvent même faire obstacle au projet que le gouvernement fera présenter par les militaires qui font partie de la commission. (Interruption.)
M. Couvreur nous a dit que le gouvernement serait trop fort parce qu'il aurait tous les membres de la commission pour défendre ses idées et il a avancé en même temps que les membres de la commission défendraient les idées de la commission parce qu'ils auraient pour elles des sentiments paternels.
En présence d'une pareille contradiction, j'avoue que je ne comprends plus le reproche.
M. Coomans. - Je n'éprouve pas le besoin de répondre aux critiques dont mon discours d'hier a été l'objet, mais j'ai un mot de réplique à adresser à M. le ministre des affaires étrangères qui, ramassant une interruption de M. Bouvier, a trouvé étrange que j'eusse l'air de m'associer à l'opinion de M. Couvreur sur la question, alors que moi-même j'avais fait partie d'une commission militaire nommée par le gouvernement.
Il ne m'est pas encore bien démontré que l'acte reproché à M. le ministre des affaires étrangères, par M. Couvreur, soit inconstitutionnel ou même simplement contraire à l'esprit de la Constitution.
Je me borne à croire que cet acte n'est pas très convenable, n'est pas très courageux et n'est pas empreint de cet esprit de franchise, d'audace avec lequel le gouvernement a toujours affirmé que notre organisation militaire est excellente et que notre indépendance nationale était garantie à tout jamais avec l'armée telle qu'elle est actuellement organisée.
Mais je dois rectifier un fait avancé par l'honorable ministre des affaires étrangères.
Il est vrai, j'ai fait partie de commissions militaires nommées par le gouvernement, de trois commissions, si ma mémoire ne me trompe. Mais la vérité est aussi que j'en ai toujours fait partie comme rapporteur de la section centrale...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qu'est-ce que cela fait ?
M. Coomans. - C'est au moins la déclaration qui m'a été faite par le gouvernement. (Interruption.)
On a dit qu'il était convenable que la Chambre fût représentée dans la commission et qu'on ne croyait pas pouvoir trouver de meilleur représentant que le rapporteur de la section centrale.
C'était beaucoup d'honneur pour moi, je le reconnais, mais la vérité est que je me croyais envoyé à la commission comme rapporteur de la section centrale (Interruption), et j'avais d'autant plus de raison de le croire que le sénateur admis dans cette commission militaire était également rapporteur du budget de la guerre.
Il y avait deux autres pékins dans les nombreuses commissions militaires, mais leur choix était raisonné ; ces deux honorables laïques, ces deux profanes étaient le bourgmestre d'Anvers, comme le représentant (page 636) le plus direct de la ville d'Anvers, et le président de la chambre de commerce d'Anvers.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Avez-vous fait partie de la commission militaire, oui ou non ?
M. Coomans. - Certainement.
M. Bouvierµ. - Eh bien, elle était nommée par le gouvernement.
M Coomansµ. - J'y ai été amené d'une façon plus naturelle que mes honorables collègues.
M. Bouvierµ. - Allons donc ! faites plutôt votre mea culpa.
M. Coomans. - M. Orts me fait une objection qu'en toute loyauté je trouve trop forte. Il me dit : Vous avez fait partie de la commission de la marine. C'est vrai ; M. Orts et moi nous avons subi pendant 13 ou 14 séances le supplice du développement des conclusions ultra.... je ne dirai pas maritimes, mais ultra militaires qu'on nous proposait d'adopter.
Mais je dois faire remarquer qu'il s'agissait alors de mettre la défense d'Anvers, au point de vue maritime, eu rapport avec la nouvelle organisation de la défense nationale. Cela est si vrai, et M. Orts se le rappellera certainement, que les gros arguments invoqués pour l'établissement d'une marine militaire eu Belgique s'appuyaient tous sur la nécessité d'empêcher qu'Anvers ne fût attaqué du côté de l'Escaut. Enfin...
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Enfin vous avez fait partie de la commission.
M. Coomans. - Oui, mais c'est encore comme rapporteur de la section centrale du budget de la guerre que j'ai été induit en commission maritime, ce dont je me repens, et ce dont le gouvernement s'est repenti aussi.
Un mot encore.
- Une voix. - La clôture !
M. Coomans. - Ne vous impatientez pas tant, M. Bouvier.
M. Bouvierµ. - Mais je vous écoule.
M. Coomans. - Quant à l'étrangeté de l'histoire du rapport militaire, je dois déclarer que je suis tout à fait de l'avis de M. Couvreur.
Maintenant, j'ai un petit conseil à donner à tous les honorables membres de cette Chambre qui se sont laissé nommer de la commission des 28.
C'est de veiller à c 'qu'un rapport, aussi détaillé que possible, se fasse, et ensuite, quand ce rapport sera fait, d'avoir l'œil dessus, afin qu'on ne le subtilise pas (interruption), et qu'on nous le soumette. Je tiens énormément à lire le rapport qui sera le résultat des délibérations de la commission des 28.
M. Bouvierµ. - Il n'y a pas eu de subtilité ; on vous a déclaré comment le rapport était arrivé entre les mains de M. Tesch.
MpVµ. - M. Bouvier, je vous prie de ne plus interrompre. Vous le faites trop souvent, et cela amène des incidents fâcheux.
M. Coomans. - Soit ! (Interruption.) Je désire donc que ce rapport soit aussi complet que possible et que nous l'ayons sans retard sous les yeux.
M. Orts. - Je ne demande qu'à rectifier en deux mois les souvenirs de l'honorable M. Coomans.
Je veux bien croire que l'honorable M. Coomans, qui a été induit en tentation une fois...
M. Coomans. - Pas en tentation ! en commission. (Interruption.)
M. Orts. - Je maintiens que l'honorable M. Coomans a été induit en tentation ; car s'il n'avait pas été tenté d'entrer dans une commission, il n'y serait pas entré.
M. Coomans. - Je vous jure que je ne l'ai pas demandé.
M. Orts. - Celui qui est induit eu tentation ne demande jamais à l'être. On le tente ; il n'est pas assez fort pour résister à la tentation, il cède et c'est comme cela qu'il est induit. (Interruption.)
Je veux prouver à l'honorable M. Coomans simplement ceci : c'est qu'il est impossible qu'il soit entré dans la commission de la marine militaire en qualité de rapporteur de la section centrale sur l'objet que nous avions à examiner à l'époque où j'ai eu l’honneur d'être nommé avec lui membre de cette commission ; je tiens à déclarer qu'à mon point de vue c'était un honneur ; l'honorable M. Van Iseghem, l'honorable M. Coomans et moi, nous formions avec l'honorable sénateur, comte de Renesse, l'élément civil de la commission chargée d'examiner la question de l'organisation d'une marine militaire.
Il ne s'agissait nullement d'introduire dans la commission le rapporteur d'une section centrale qui aurait eu à défendre l'opinion de la Chambre sur l'utilité d'une marine militaire. Notre marine militaire était morte depuis longtemps à la suite d'un vote budgétaire émis par cette Chambre qui l'avait supprimée, et ce n'était pas l'honorable M. Coomans qui était alors le rapporteur du budget des affaires étrangères.
Ce n'était pas non plus comme rapporteur du budget de la guerre que l'honorable M. Coomans entrait dans cette commission, puisque le budget de la marine faisait partie du budget des affaires étrangères et non de celui de la guerre.
Ce n'était pas davantage comme rapporteur d'un projet quelconque concernant l'augmentation des fortifications d'Anvers, car il ne s'agissait pas, à cette époque, d'augmenter les fortifications d'Anvers en vue de mieux défendre l'Escaut.
M. Coomans. - Je vous demande pardon.
M. Orts. - Vous faites erreur. Je vous prie de rafraîchir vos souvenirs par la lecture de quelque vieux recueil des gazettes de cette époque, (vous devez en avoir) et vous verrez que je suis très certain de ce que j'affirme, quand je dis qu'on nous demandait alors une marine militaire non seulement pour défendre l'entrée de l'Escaut, alors qu'il ne s'agissait nullement de l'augmentation des remparts ou des citadelles d'Anvers vers le fleuve, mais surtout pour créer trois stations navales portant le pavillon belge outre-mer, l'une en Amérique, l'autre dans l'Indo-Chine et la troisième en Australie.
Voilà ce qu'on nous demande et voilà ce que l'honorable M. Coomans et moi nous avons refusé ; ce qui prouve, par parenthèse, que les membres de cette Chambre, qui acceptent de faire partie de commissions gouvernementales, savent conserver leur indépendance. Nous avons fait de l'opposition jusqu'au bout et vis-à-vis de cette opposition le gouvernement a reculé contre l'avis de la majorité de la commission.
M. Coomans. - C'est ce que nous avons fait de mieux dans notre vie. (Interruption.)
M. Orts. - Aussi, je ne le regrette pas, et c'est parce que j'espère faire, en ce qui concerne la réorganisation de l'armée, acte d'indépendance égale et quelque chose d'aussi bon et d'aussi utile, peut-être cette fois en appuyant le gouvernement au lieu de le combattre, que je suis entré dans cette commission, comme je suis entré en 1850 dans la commission chargée d'une lâche identique.
Et à ce propos, je veux répondre aux conseils que nous donne l'honorable M. Coomans.
Les membres de la commission de 1867 n'ont pas le moindre besoin de ces conseils ; ils entendent faire ce que leurs prédécesseurs ont fait dans la commission de 1850, défendre consciencieusement leurs opinions, tâcher d'obtenir ce qu'ils croient être bon, c'est-à-dire appuyer la solution qu'ils jugent la meilleure dans l'intérêt du pays ; et ce devoir accompli, je leur prédis le résultat que nous avons obtenu en 1850 ; je le leur prédis qu'ils trouveront dans cette Chambre des collègues en grande majorité, qui, au lieu de mettre désagréablement eu suspicion leur indépendance et de blâmer avec peu d'obligeance leur conduite, donneront un appui quasi unanime à l'opinion que nous aurons défendue et su faire triompher au sein de la commission.
MpVµ. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits dans la discussion générale.
- La discussion générale est close.
La séance est levée à cinq heures et un quart.