(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 587) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Robert prie la Chambre de discuter le 19 mars prochain, toute affaire cessante, le projet de loi sur la réforme électorale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Boisschot prient la Chambre de porter, au budget du présent exercice, la somme nécessaire pour établir un système de barrage dans la Grande-Nèthe. »
« Même demande d'habitants de Westmeerbeek, Hulshout. »
M. de Mérodeµ. - Messieurs, comme ces pétitions offrent, tant au point de vue général qu'au point de vue particulier de l'agriculture, un très grand intérêt, je propose le renvoi à la commission, avec demande d'un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« Par message du 1er mars, le Sénat informe la Chambre, qu'il a adopté le projet de loi qui accorde au ministère des travaux publics, un crédit de 250,000 francs, pour la continuation des travaux de défense de la côte contre l'action de la mer. »
- Pris pour notification.
MpVµ. - La Chambre a chargé le bureau de nommer la commission chargée d'examiner le traité avec l'Autriche ; elle est composée de MM. Van Iseghem, de Brouckere, de Vrière, de Rossius, Jonet et Dumortier.
M. Dupontµ dépose le rapport de la commission d'organisation judiciaire, sur les amendements de M. le ministre de la justice.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
MpVµ. - La discussion continue sur l'article 34.
M. Van Iseghem. - Messieurs, après le discours si complet de l'honorable M. Delcour, je ne dirai rien de la question de constitutionnalité. Je laisserai traiter cette question par les jurisconsultes, et j'avoue que je ne suis pas du nombre. J'appartiens au commerce, sans cependant avoir fait jamais partie d'un tribunal consulaire.
Si la Constitution nous permettait de supprimer les tribunaux de commerce, je n'en voterais pas moins le maintien de cette institution. Qui demande la suppression ? Sont-ce les justiciables ? Est-ce le commerce ? Est-ce l'industrie ? Est-ce la navigation ? Où sont les plaintes ? Où sont les pétitions ? Je n'ai jamais entendu dire par un industriel ou par un commerçant que les tribunaux de commerce devraient être supprimés.
Ceux qui prétendent que les tribunaux de commerce ne jugent pas bien n'ont-ils pas les cours d'appel pour faire réformer les jugements qui seraient défectueux ? Ne sont-ils pas là devant des avocats ? Hier l'honorable M. Jamar a cité des chiffres très éloquents qui prouvent que les tribunaux de commerce ne jugent pas si mal !
Aujourd'hui, il existe une idée de laisser faire à chacun ce qu'il veut ; en conséquence, je vous demande, messieurs, de laisser le commerce faire ses affaires comme il l'entend. Pourquoi intervenir ? Que demandent le commerce et l'industrie ? Ils demandent le maintien de ce qui existe. Pourquoi changer, contre le vœu des justiciables, une institution si conforme à leurs intérêts et dont ils sont satisfaits ?
Je suppose, messieurs, qu'un juge consulaire s'acquitte mal de ses fonctions ; soyez bien convaincus qu'à l'expiration de son mandat il ne sera pas réélu.
C'est là une grande garantie ; car les juges qui sont soumis à une élection publique sont intéressés à s'occuper activement et avec toute l'impartialité possible de leurs fonctions ; cette durée temporaire du mandat est une garantie aussi grande que celle de l'inamovibilité des juges civils.
On a dit que les greffiers faisaient toute la besogne ; l'honorable M. Thonissen a dit même que les greffiers étaient quelquefois intéressés. Voici ce qui se passe : Quand une affaire se plaide devant le tribunal de commerce, après les plaidoiries les juges se rendent en chambre du conseil, examinent l'affaire, prennent une résolution, et c'est alors que le greffier rédige le jugement, qui, avant d'être prononcé, doit encore être approuvé par les juges.
On a fait accroire aussi que les greffiers sont intéressés à provoquer des procès. Je proteste contre ces paroles. Je n'ai jamais entendu de plaintes à cet égard. Ces magistrats, au lieu de provoquer des procès, font voir souvent à la partie intéressée qu'un accord est préférable. Au contraire, ce sont d'autres personnes qui souvent engagent affaire des procès.
Les adversaires des tribunaux de commerce ont fait allusion à la Hollande ; ils vous ont dit que dans ce pays les tribunaux de commerce étaient supprimes et qu'on ne s'en plaignait pas. Mais que se passe-t-il en réalité ? En Hollande, lorsqu'il se produit des contestations entre négociants, ceux-ci nomment très souvent des arbitres pour ne pas être obligés de comparaître devant les tribunaux civils, et dans ce cas ce sont les arbitres qui décident les questions.
Quant aux présidents, dont on a parlé aussi, s'il arrive qu'ils ont recours, comme on le prétend, à des avocats pour la. rédaction des jugements, il faut reconnaître que souvent aussi les avocats doivent recourir aux lumières des négociants pour faire leurs plaidoiries.
L'honorable M. Vermeire vous a dit hier, en parlant d'une affaire de charte partie, qu'on peut nommer des experts. C'est une erreur.
On nomme des experts pour faire établir la valeur des objets ; mais quand il s'agit de questions de fait, comme celles qui se trouvent dans une charte partie, ce sont les tribunaux qui jugent et on ne doit pas avoir recours à des experts. Si, par hasard, le tribunal civil nommait, pour l'examen d'un procès, des experts, ce serait la preuve la plus évidente qu'il ne comprend pas l'affaire.
M. Vermeireµ. - Je demande la parole.
M. Van Iseghem. - Si l'on vent absolument supprimer les tribunaux de commerce, il faudra les remplacer partout où ils existent ; on ne pourrait pas obliger les négociants d'Ostende, d'Alost et de Saint-Nicolas à se déplacer pour vider leurs contestations.
A Ostende, à Alost et à Saint-Nicolas, il n'y a pas de tribunal civil, et vous serez obligés d'en créer un, si vous y supprimez le tribunal de commerce ; cela est évident, car on ne peut laisser des localités de cette importance sans juges. En particulier, à Ostende, ce sont en grande partie des affaires maritimes qui se traitent devant le tribunal de commerce ; ces affaires ne peuvent pas subir de retards et exigent une (page 588) prompte solution ; ce serait une perte immense pour mes concitoyens de devoir se déplacer. Or, cette seule création vous entraînera à des dépenses considérables.
Quant à l'amendement présenté par MM. Lelièvre et Thonissen, M. Jamar l'a réfuté hier. Je partage complètement son opinion. Les présidents sont maîtres absolus du tribunal.
Je crains qu'il n'y ait un autre danger. Si les greffiers ne sont pas d'accord avec les présidents, il y aura lutte continuelle entre eux et au détriment peut-être d'une bonne justice.
L'adoption de l'amendement entraînerait également à des dépenses considérables, car pour nommer 14 juges présidents, il ne faudrait pas moins de 100.000 francs.
M. Vermeireµ. - J'ai demandé la parole lorsque j'ai entendu M. Van Iseghem défendre l'existence de tribunaux de commerce actuels et cela par le motif qu'Ostende est trop éloignée de la localité la plus yoisine où il y a un tribunal civil.
Mais, messieurs, il y a bien d'autres localités où l'on fait des affaires commerciales, qui n'ont pas de tribunaux de commerce et dont les habitants sont obligés de déférer leurs contestations commerciales au tribunal de commerce établi dans une autre ville.
La question n'est pas de savoir si, à cause de l'éloignement du tribunal civil, on doit instituer, dans des localités, des tribunaux de commerce tels qu'ils sont constitués aujourd'hui, mais bien si les tribunaux civils, peuvent remplacer les tribunaux de commerce.
Maintenant si la ville d'Ostende a un nombre d'affaires commerciales si considérable qu'il soit nécessaire d'y établir un tribunal civil connaissant commercialement de ces affaires, je ne m'y opposerai pas.
Je n'ai traité la question qu'à un seul point de vue ; je ne me suis préoccupé que de la question de savoir si les tribunaux civils sont, oui ou non, aptes à connaître des contestations commerciales.
Et, après avoir fait de cette question l'objet d'une étude approfondie basée sur l'usage, j'ai reconnu que les tribunaux civils sont bien plus aptes à connaître des affaires commerciales que les tribunaux de commerce, tels qu'ils sont établis aujourd'hui.
M. Dumortier. - Voilà bien longtemps, messieurs, que j'entends parler des tribunaux de commerce ; et dans cette discussion, notamment, j'ai entendu mettre fortement en avant ce qu'on a appelé les inconvénients des tribunaux de commerce.
Dans le cours de ma longue carrière, j'ai entendu bien des fois certains avocats se plaindre aussi de ce qu'ils appelaient les inconvénients des tribunaux de commerce, mais jamais je n'ai entendu un commerçant se plaindre de ces prétendus inconvénients. Je comprends ce langage de la part de MM. les avocats. Pour eux, les affaires se traitent trop vite par les tribunaux de commerce et cela ne procure pas assez de profits. (Interruption.) Mais je doute que tel soit l'avis des justiciables des tribunaux de commerce ; jamais je n'ai entendu ceux-ci se plaindre de la célérité et de la modicité des frais de procédure devant les tribunaux de commerce.
Messieurs, je suis bien convaincu que si la Chambre comptait un peu moins d'avocats, hommes d'un grand talent et auquel je me plais à rendre hommage, et un peu plus de négociants, je suis fondé de croire que la discussion actuelle s'en ressentirait fortement.
N'est-il pas au moins étrange, messieurs, qu'on vienne ici faire dire au texte de la Constitution qu'on peut supprimer les tribunaux de commerce ? Oh ! je le sais, pour messieurs les avocats, en général, la question n'est pas toujours de savoir ce que la loi dit, mais ce qu'on peut lui faire dire. Quant à moi, j'avoue que mon gros bon sens se refuse à comprendre comment lorsque la Constitution dit, en termes impératifs : « Il y a des tribunaux de commerce », on puisse prétendre que cela veut dire : « Il n'y a point de tribunaux de commerce. » J'avoue que je n'ai jamais compris ce français-là ; qu'il m'est impossible de comprendre qu'on puisse épiloguer sur des termes aussi clairs, aussi précis et les interpréter dans un sens diamétralement contraire aux expressions mêmes dont le législateur constituant s'est servi.
Je dis, messieurs, qu'avec un pareil système d'interprétation on finira par faire de la Constitution tout ce qu'on voudra ; on lui fera dire tout ce qu'on jugera utile à la thèse qu'on voudra faire prévaloir. Les juristes renversent les lois et ne les fortifient pas.
Restons dans les termes de la Constitution, messieurs ; ils sont trop clairs pour laisser place à la moindre équivoque ; l'honorable M. Delcour vous l'a démontré hier de la manière la plus péremptoire.
Le pouvoir constituant savait ce qu'il faisait quand il votait cet article de la Constitution ; il a pourvu dans cette disposition à toutes les objections qui peuvent se présenter ; il les a toutes résolues. Restons donc dans les principes constitutionnels et n'en sortons pas. (Interruption.)
Je demanderai à mon honorable ami qui m'interrompt comment il se fait que lui, partisan d'une large extension du droit électoral, veuille supprimer le mode électif pour la nomination des juges consulaires. C'est une logique que j'avoue ne pas bien comprendre.
Messieurs, je regarde l'institution des tribunaux de commerce comme une des plus belles institutions de notre époque, n'en déplaise à d'honorables amis à qui je rends, du reste, complètement hommage ; les tribunaux de commerce sont chez nous le legs d'un long passé. On a prétendu qu'ils étaient d'importation française ; qu'ils n'avaient aucune racine dans notre pays. C'est une erreur complète. Nous avions dans toutes nos communes des corps de métiers, des échevinages divers ; toutes institutions dont on a conservé le principe par l'établissement des tribunaux de commerce. C'était le peuple commerçant qui élisait ses juges, et c'est le peuple commerçant qui les élit encore aujourd'hui.
Voilà, à mon avis, une des dispositions les plus libérales qui nous régissent.
Je me garderai bien de toucher à des principes aussi larges et aussi beaux, que je voudrais voir étendre beaucoup plus loin.
Si je me le rappelle bien, mon honorable ami, M. de Theux, qui va prendre la parole, ne se bornait pas, au Congrès, à se prononcer pour la nomination des juges consulaires par le peuple ; il voulait aller plus loin : il voulait aussi que le peuple élût les juges ordinaires. Cela n'a pas été admis ; mais conservons au moins la nomination des juges consulaires par le peuple. (Interruption.) C'est un cens électoral comme un autre.
Messieurs, il y a deux choses possibles en matière de judicature : l'inamovibilité du mandat ou la brièveté du mandat. Les juges consulaires ne sont pas inamovibles ; mais leur mandat est de courte durée. Il ne faut pas se faire illusion ; cette brièveté du mandat est une garantie considérable.
Si un juge consulaire allait jusqu'à forfaire à son devoir, obligé bientôt de comparaître devant le peuple commerçant, il ne serait pas réélu. Voilà, je le répète, une des garanties les plus précieuses que vous ayez dans la loi.
Cette garantie assurée au peuple par la brièveté du mandat, vous la lui avez donnée contre vous-mêmes : vous n'êtes nommés que pour quatre ans, afin que le peuple puisse nommer d'autres représentants si vous ne répondez pas à sa confiance. Il en est de même de nos conseillers provinciaux et de nos conseillers communaux. Ils ne sont élus que pour un certain nombre d'années.
Si l'on a opéré d'une manière différente à l'égard du pouvoir judiciaire proprement dit, c'est parce que la couronne en nommait les membres et que, d'un autre côté, on n'a pas voulu soumettre les magistrats à la réélection tous les 3, 4 ou 6 ans ; on leur a accordé l'inamovibilité ; mais dans l'un et l'autre système il y a des garanties considérables. Eh bien, en matière de commerce, la plus forte garantie que nous ayons consiste précisément dans la brièveté du mandat.
Maintenant qu'aurez-vous fait quand vous aurez supprimé les tribunaux de commerce ? Vous ne le pouvez pas constitutionnellement, cela est clair ; « il y a » ne signifiera jamais « il n'y a pas ». Car l'amendement de M. Jacobs se borne à créer des tribunaux civils jugeant commercialement. Mais quand vous aurez supprimé les tribunaux de commerce, qu'arrivera-t-il ? Vous aurez à créer une institution nouvelle. Que sera cette institution ? Nous savons ce que nous avons aujourd'hui et encore une fois le commerce ne s'est jamais plaint, il ne se plaint pas du tout de l'existence des tribunaux de commerce ; ce sont les avocats qui se plaignent. Mais ce n'est pas pour les avocats que les tribunaux sont faits ; c'est pour le commerce lui-même.
D'autre part, on veut nommer un juge comme président des tribunaux de commerce. On se plaint de ce qu'aujourd'hui le greffier a trop d'influence, et l'on veut nommer comme président un juge, qui aura beaucoup plus d'influence que le greffier. Il est évident que ce juge que vous aurez nommé ou sera absorbé par les autres juges ou absorbera lui-même le tribunal, et c'est le second cas qui arrivera. Le mandat étant limité pour les juges consulaires et étant permanent pour les juges, (page 589) le juge qui serait président absorberait le tribunal et vous finiriez par avoir la justice d'un seul. Et que se présentera-t-il alors ?
Quand arriveront toutes les affaires dont s'occupent les tribunaux de commerce, quand arriveront les faillites, les liquidations et toutes ces affaires qui prennent tant de temps aux juges consulaires, comment ferez-vous ? Trouverez-vous encore des personnes qui iront se dévouer pour faire une telle besogne ? Vous croyez que vous trouverez encore des négociants qui viendront siéger dans de pareilles circonstances ? Comme vous l'a dit l'honorable M. Jamar, vous n'en trouverez plus, parce qu'il est certain qu'il y aura là, pour les commerçants, une situation d'infériorité telle, que son honneur lui commandera de ne pas venir siéger à ce tribunal. Aujourd'hui le président du tribunal de commerce est le premier entre ses égaux, tandis que, dans le système que l'on préconise, les juges consulaires ne seront plus que des assesseurs vis-à-vis du président. Vous aurez donc supprimé de fait les tribunaux de commerce, et vous n'aurez plus de juges consulaires.
Je le déclare, quant à moi, je ne puis admettre un pareil système. Je trouve l'institution qui nous régit satisfaisante sous tous les rapports. Elle peut avoir quelques inconvénients : mais elle a le sort de toutes les institutions humaines qui toutes ont leurs inconvénients.
On vient vous dire, par exemple : C'est le greffier qui rédige souvent les jugements. Et quand cela serait, quel mal y aurait-il à cela ? Si le tribunal a délibéré, et a donné gain de cause à telle ou telle partie, ne faut-il pas que quelqu'un rédige le jugement ? Mais dans une cour de 3 ou de 7 membres, ce n'est pas la cour réunie, c'est un seul conseiller qui rédige le jugement.
C'est ce qui se passe dans un tribunal de commerce. Quand une décision est prise, il faut que quelqu'un rédige le jugement. Le greffier du tribunal de commerce peut en être le rédacteur comme un conseiller dans une cour, comme un juge dans un tribunal.
Il en est de même dans toutes les assemblées délibérantes. Qui rédige nos procès-verbaux ? N'est-ce pas M. le greffier ? Sommes-nous amoindris parce que le greffier rédige nos procès-verbaux ?
De même, en section centrale, vous nommez un rapporteur, qui rédige le rapport. Tout à l'heure l'honorable M. de Vrière vous lira un rapport que nous venons d'approuver. Sommes-nous amoindris parce que c'est l'honorable M. de Vrière qui a rédigé ce rapport ? J'ai été heureux, quant à moi, qu'il voulût bien remplir les fonctions de rapporteur et je ne me crois pas pour cela le moins du monde amoindri.
Ce sont de prétendus abus qu'on met en avant pour bouleverser ce qui existe. Or, je dis que la chose que l'on ne devrait pas bouleverser, qu'on ne devrait pas même modifier, c'est une institution qui donne satisfaction complète à ceux pour qui elle a été créée. C'est au commerce que nous devons donner satisfaction, ce n'est pas à MM. les avocats. Les avocats n'aiment pas les tribunaux de commerce, parce qu'il n'y a pas assez de vacations, assez de séances, parce que les affaires ne traînent pas assez en longueur, parce qu'ils ne gagnent pas assez d'argent. J'en suis très fâché pour eux, mais j'en suis très heureux pour le commerce.
Je dis que cette institution est parfaite et si elle n'existait pas, nous devrions la créer. Je remercie le Congrès de l'avoir inscrite dans la Constitution en termes si clairs et si positifs.
M. de Theuxµ. - Messieurs, après tout ce qui a été dit hier sur la question en discussion, je serai très court.
La première observation que j'ai à présenter résulte du texte et de l'ensemble de l'article 105 de la Constitution. Cet article maintient les tribunaux militaires et maintient les tribunaux de commerce ; il maintient les tribunaux de commerce d'une manière plus explicite qu'il ne maintient les tribunaux militaires. Pourquoi ? Parce qu'un doute s'était élevé et qu'on a voulu le faire disparaître en rendant le texte plus clair.
Voyez, messieurs, où vous arriveriez si vous supprimiez les tribunaux de commerce ! Si cette suppression ne trouve point d'obstacle dans la Constitution, vous pouvez demain supprimer les tribunaux militaires. Qui dit : «Tribunaux militaires » dit certainement : « Tribunaux composés de militaires » et qui dit : « Tribunaux de commerce » dit : « Tribunaux composés de commerçants. »
Croyez-vous, messieurs, que la discipline dans l'armée serait encore assurée ? En aucune manière : les conseils de guerre et la haute cour militaire sont des institutions indispensables à une bonne armée ; elles donnent à l'armée les garanties spéciales que l'honneur militaire exige et vous ne pourriez les supprimer sans perdre l'armée. Eh bien, messieurs, prenez garde à l'interprétation de l'article 105, car un jour pourrait surgir le projet de supprimer les tribunaux militaires et de les remplacer par des juges civils. Or, assurément, le Congrès, qui était si sage, si animé de l'esprit de conservation en même temps qu'il avait des idées de liberté très grandes, n'a certainement pas voulu qu'on pût un jour supprimer une garantie aussi précieuse pour l'armée que celle des tribunaux militaires. Ces tribunaux se trouvent donc maintenus par le premier paragraphe de l'article 105. Mais le paragraphe 2 est encore plus explicite. Le premier paragraphe porte :
« Des lois particulières règlent l'organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux et la durée de leurs fonctions.
« Il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Elle règle leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la durée des fonctions de ces derniers. »
Quelle est, messieurs, l'application qui a été faite immédiatement du paragraphe 2 de l'article 105 de la Constitution ? Dès 1833, les tribunaux de commerce de Bruges et de Courtrai ont été rétablis. C'était une garantie contre les précédents du gouvernement des Pays-Bas, que la Constitution consacrait.
On a fait diverses objections. On a dit : Mais s'il faut des tribunaux de commerce, il est certain qu'il en faut partout et qu'on ne peut pas, dans certaines localités, déférer les causes commerciales aux tribunaux civils. On ajoute : Pourquoi laissez-vous décider par les cours d'appel les questions commerciales qui ont été jugées en première instance par les tribunaux de commerce ?
Messieurs, d'après la loi d'organisation des tribunaux de commerce, on les établit là où il y a des besoins particuliers ; là où ces besoins n'existent pas, le tribunal civil peut très bien juger les causes commerciales.
Cela ne présente aucun inconvénient dans les localités où il n'existe, pas des affaires trop nombreuses ni trop importantes. (Interruption.) Messieurs, nous ne pouvons pas invoquer le droit constitutionnel pour tous les arrondissements judiciaires, puisque la Constitution n'a pas appliqué la même règle à tous les arrondissements judiciaires ; la Constitution a eu surtout en vue les grands centres de commerce ; la Constitution n'a pas voulu autre chose que ce qui avait été établi par le code de commerce ; elle n'a pas innové, elle a dit :
« Là où l'expérience a constaté l'utilité des tribunaux de commerce, là ces tribunaux seront maintenus. » Il en est de même des conseils de prud'hommes ; ils n'existent point partout.
On dit encore : « La législation actuelle fait naître des procès de compétence, c'est très fâcheux, Cela empêche la prompte décision des contestations. » Mais d'après le système propose, les questions de compétence existeront de la même manière, car la chambre civile que l'on veut instituer devrait juger d'après des règles spéciales ; elle devrait donc toujours décider si ce sont les règles spéciales du commerce ou les règles de la justice civile qui doivent être appliquées.
Ainsi, messieurs, les questions de compétence se présenteraient absolument comme elles se présentent aujourd'hui. Cela est de toute évidence.
Je crois, messieurs, qu'il est inutile d'en dire davantage. Quant à moi, je pense que la Constitution maintient les tribunaux de commerce, sauf au législateur à les supprimer là où ils deviendraient inutiles. Les deux paragraphes de l'article 105, l'un relatif aux tribunaux militaires, l'autre relatif aux tribunaux de commerce, ces deux paragraphes sont rédigés dans le même sens, et le deuxième paragraphe est encore plus clair que le premier. Cependant personne dans cette Chambre n'oserait soutenir qu'on peut remplacer les tribunaux militaires par les tribunaux civils.
Mais si vous interprétez la Constitution contre l'existence des tribunaux de commerce, il faut l'interpréter également contre les tribunaux militaires. Je prie la Chambre d'être bien attentive à ce point, car si, dans la suite, l'opinion venait à prévaloir qu'il faut supprimer les tribunaux militaires, il en résulterait un immense préjudice pour le pays.
M. de Vrièreµ dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'augmenter la dotation de S. A. R. le comte de Flandre.
(page 590) - Plusieurs membres. - La lecture ! La lecture !
M. de Vrière, rapporteurµ. - Dans la séance du 26 février dernier, M. le ministre des finances a déposé un projet de loi ayant pour objet l'augmentation de la dotation annuelle de S. A. R. le Comte de Flandre.
Renvoyé à l'examen des sections, ce projet y a reçu un accueil sympathique. La section centrale, de son côté, l'a adopté à l'unanimité de ses membres.
Le changement heureux qui doit s'opérer prochainement dans la position du comte de Flandre nous a fait considérer l'augmentation proposée par le gouvernement comme juste, modérée et conforme aux précédents.
En vous proposant l'adoption du projet de loi, nous sommes certains, messieurs, de répondre aux sentiments du pays qui ne laisse échapper aucune occasion de donner à notre dynastie nationale des témoignages de dévouement et d'affection.
M. Allard. - Je demande la discussion immédiate de ce projet de loi.
- Plusieurs - Appuyé !
- La proposition de M. Allard est adoptée.
MpVµ. - La discussion générale est ouverte.
M. De Fréµ. - Je demande à la Chambre la permission de motiver le vote que j'émettrai sur ce projet de loi.
En 1856, lorsque l'honorable M. Mercier, alors ministre des finances, a proposé à la Chambre de voter au comte de Flandre une dotation de 150,000 francs, j'ai vainement combattu ce projet., Le projet de loi actuel est une extension du même principe ; voilà pourquoi je voterai contre ce projet. Ce n'est pas un acte d'hostilité au prince ; je rends hommage à ses sentiments élevés ; c'est un acte de logique.
- La discussion générale est close.
L'assemblée passe à la discussion des articles, ainsi conçus :
« Art. 1er. La dotation annuelle de 150,000 fr., allouée à S. A. R. le Comte de Flandre par la loi du 14 mars 1856, est portée à 200,000 fr. à partir de la date de son mariage, avec réversibilité éventuelle, en cas de décès, jusqu'à concurrence de 50,000 francs au profit de la veuve. »
- Adopté.
« Art. 2. Le crédit alloué à l'article 2 du budget des dotations de l'exercice 1867 sera augmenté conformément à l'article premier de la présente loi. »
- Adopté.
II est procédé à l'appel nominal ; le projet de loi est adopté à la majorité de 70 voix contre 2. II sera transmis au Sénat.
Ont répondu oui :
MM. Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Vleminckx, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, de Baillet-t de Brouckere, de Coninck, de Florisone, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Thuin, de Vrière, Dewandre, de Woelmont, Dumortier, Dupont, d'Ursel, Frère-Orban, Hagemans, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jonet, Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Liénart, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Nélis, Nothomb, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Schollaert, Tack, Tesch, T'Serstevens et E. Vandenpeereboom.
Ont répondu non : MM : De Fré et Guillery.
M. Van Iseghem. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission qui a examiné avant la séance le traité de commerce et de navigation conclu entre la Belgique et l’Autriche le 23 février 1867.
Ce traité, messieurs, a un caractère d'urgence.
Il y a un traité du 11 décembre 1866 entre l'Autriche et la France par lequel l'Autriche a réduit considérablement les droits d'entrée sur plusieurs articles qui intéressent notre industrie. Ces réductions sont entrées en vigueur depuis hier, et nous devons tâcher que nos industriels en profitent la plus tôt possible ; en conséquence je propose à la Chambre de m'autoriser à donner lecture de mon rapport et de mettre immédiatement le traité en discussion,
- Cette proposition est adoptée.
M. Van Iseghem, rapporteur. - Messieurs, le traité de commerce et de navigation conclu entre la Belgique et l'Autriche, le 23 février de cette année, a été négocié sur les bases de notre système douanier d'accorder à nos produits le traitement de la nation la plus favorisée, comme à notre navigation le traitement national. Par réciprocité, le commerce autrichien jouira des mêmes avantages en Belgique, et ses navires auront aussi le traitement national de part et d'autre pour les arrivages de l'étranger, plus de droits différentiels et réciprocité complète entre les deux pavillons ; en ce qui concerne cependant le cabotage et la pêche, ces deux branches de navigation sont réservées par le paragraphe 2 de l'article 3, et nous espérons avec le gouvernement que la réserve du cabotage ne sera que d'une courte durée, le gouvernement fondant son opinion sur l'idée, qu'il entre dans les vues du cabinet de Vienne d'admettre prochainement les pavillons étrangers à la navigation du cabotage, sous condition de réciprocité.
Au système de traitement complet de la nation la plus favorisée quant au payement des droits d'entrée et d'accises, l'article 4 établit quelques réserves : le sel d'Autriche ne jouira pas en Belgique de la réduction de 7 p. c. sur les droits d'accise, comme nous l'accordons au sel français marin, et nous n'obtiendrons pas en Autriche les faveurs spéciales indiquées dans les paragraphes a, b et c de l'article 4 du traité. Ces faveurs ne sont accordées qu'aux pays limitrophes de l'Autriche.
Le gouvernement a joint à l'exposé des motifs le tableau des réductions apportées au tarif des douanes de l'Autriche, en vertu du traité du 11 décembre 1866, entre la France et l'Autriche. Ces réductions dont jouira notre commerce sont applicables à plusieurs produits industriels d'une grande importance qui intéressent vivement la Belgique.
Le nouveau traité franco-autrichien du 11 décembre est entré en vigueur le 1er janvier dernier.
Mais les concessions douanières que par ce traité l'Autriche a accordées à la France ne sont devenues applicables qu'à partir du 1er mars. Ces concessions sont donc aujourd'hui en vigueur et notre industrie a intérêt à jouir immédiatement des mêmes avantages.
La commission propose donc à la Chambre, par six voix et une abstention, l'adoption du traité et exprime en même temps le vœu de voir accroître les relations commerciales entre les deux pays.
« Article unique. Le traité de commerce et de navigation conclu, le 23 février 1867, entre la Belgique et l'Autriche, sortira son plein et entier effet. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet.
Il est adopté par 70 voix.
Un membre, M. Dumortier, s'abstient.
En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.
Ont adopté :
MM.. Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Vleminckx, Wasseige, Watteeu, Wouters, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, Dewandre, de Woelmont, d'Ursel, Frère-Orban, Guillery, Hagemans, Hymans, Jacobs, Janssens, Jacquemyns, Jonet, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Lebeau, Lelièvre, Liénart, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Nothomb, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Schollaert, Tack, Tesch, T'Serstevens et Ern. Vandenpeereboom.
M. Dumortier. - Messieurs, je vois avec un plaisir extrême la Belgique entrer en relations commerciales avec l'Autriche.
Cette puissance, à laquelle la Belgique porte un vif intérêt, sort des difficultés, elle reprend sa force si nécessaire à l'Europe et je suis excessivement heureux de voir que nous nous soyons unis commercialement avec une puissance qui a laissé chez nous de si attachants souvenirs et à laquelle nous sommes liés par notre dynastie.
Mais n'ayant pas eu le temps à raison de mes nombreuses occupations de lire le projet de loi, je ne pouvais en conscience lui donner un vote affirmatif ni un vote négatif. J'ai donc dû m’abstenir.
(page 591) M. Teschµ. - J'ai, comme ministre de la justice, déposé, sur le bureau de la Chambre, le projet de loi qui est en ce moment soumis à vos délibérations.
La Chambre comprendra donc que je vienne expliquer en quelques mots les motifs qui ont déterminé le gouvernement à maintenir le système que le projet consacre et qui existe actuellement.
J'ai entendu à différentes reprises, dans cette enceinte, et en dehors de cette enceinte, des plaintes assez vives contre les tribunaux de commerce.
Mais je dois ajouter que ces plaintes n'émanaient jamais de ceux qui étaient intéressés à leur existence, c'est-à-dire des justiciables de ces tribunaux, des commerçants eux-mêmes ; au contraire, les commerçants en demandaient le maintien. (Interruption. Jamais corps commercial, jamais commerçants notables ne se sont adressés ni au gouvernement, ni aux Chambres, pour demander la suppression de la juridiction qui est plus spécialement chargée de décider des contestations qui surgissent entre négociants.
Il m'a paru singulier à cette époque et il me paraît encore singulier aujourd'hui, de vouloir supprimer ce que les intéressés demandent que l'on maintienne, alors surtout que cette suppression doit entraîner, pour le trésor, des dépenses énormes. (Interruption.) Il est évident que si vous supprimez les tribunaux de commerce, vous devez créer autant de chambres nouvelles près des tribunaux civils qu'il y a de chambres dans les tribunaux de commerce, c'est-à-dire que vous devrez créer à Bruxelles, à Anvers, à Gand, à Liège, à Mons, à Verviers, à Namur, etc., etc., un nouveau personnel judiciaire qui entraînera une dépense d'au delà d'un demi-million (interruption), d'au delà d'un demi-million sans aucune espèce d'exagération. Voilà ce qui d'abord est certain, incontestable.
Que du reste, messieurs, on ne se méprenne pas sur mes paroles. Je ne veux pas que l'administration de la justice soit une question d'argent, et si les commerçants, les industriels venaient dire : Nous avons une mauvaise justice, notre justice est mal administrée, assurément l'idée ne me viendrait pas de dire : Vous conserverez cette justice, parce qu'il en coûterait trop de créer d'autres éléments pour vous la rendre. Pas un homme sensé ne pourrait faire d'une pareille question une question d'argent. Mais lorsque les commerçants, les industriels demandent le maintien des tribunaux consulaires, les supprimer, en créant ainsi pour le trésor des charges nouvelles, ne me paraît pas raisonnable.
C'est dans cet ordre d'idées que j'ai proposé le maintien des tribunaux de commerce.
Comme le gouvernement proposait à la Chambre de maintenir les tribunaux de commerce, je n'avais pas à examiner la question constitutionnelle ; elle ne surgissait pas.
Mais depuis les amendements qui ont été présentés, notamment depuis l'amendement déposé par M. Jacobs, le débat a pris de plus grandes proportions et la question constitutionnelle est soumise à notre examen.
Dès le début, j'ai été convaincu que l'amendement de M. Jacobs est inconstitutionnel et que, si on l'adopte, on peut à l'avenir faire dire à la Constitution, à peu près dans tous ses articles, le contraire de ce qu'ils disent en réalité, et cela par des arguments de même nature. Je prends d'abord le texte même de cet amendement, et je le mets en rapport avec la Constitution.
La Constitution dit : Il y a des tribunaux de commerce. M. Jacobs dit : Il y aura une juridiction commerciale. Mais il est évident que ce que dit M. Jacobs est autre chose que ce que dit la Constitution. Or, si vous dites autre chose que ce que dit la Constitution, vous violez la Constitution.
Pourquoi confondre la composition du tribunal avec la juridiction ? Jamais de la vie juridiction n'a été synonyme de tribunal. Juridiction commerciale et tribunaux de commerce ne sont pas plus synonymes que juridiction criminelle n'est synonyme de jury, que juridiction civile n'est synonyme de tribunal civil. Quand vous dites donc : Il y aura une juridiction commerciale, vous dites autre chose que ce qu'a voulu dire la Constitution et vous violez manifestement celle-ci.
Le discours de M. Delcour n'a fait que me confirmer dans cette opinion. Mais pour me convaincre de plus près, j'ai relu tout ce qui a été dit au Congrès à ce sujet et, pour moi, la question est tellement claire, que je croirais manquer à tous mes devoirs si je ne soutenais l'inconstitutionnalité de la disposition qu'on propose. Il n'y a, du reste, pas de commentaires plus éloquents que les paroles prononcées au Congrès. Cela n'est pas long, et je demande à la Chambre de lui lire cette discussion.
Le rapport de M. Raikem qui a été rapporteur du titre relatif au pouvoir judiciaire commence par dire, quant aux tribunaux de commerce : « La section centrale a pensé qu'on devait s'en rapporter à la loi. »
Voilà à peu près la seule phrase qu'il y ait dans le rapport ; vous verrez qu'elle a une valeur.
Au Congrès, l'article 81, qui est ainsi conçu, est mis en discussion.
« Art. 81. Des lois particulières régleront l'organisation des tribunaux militaires, leurs attributions, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions.
« Une loi réglera également l'organisation des tribunaux de commerce, le mode de nomination de leurs membres et la durée de leurs fonctions. »
Voilà quel était le projet primitif :
M. de Robaulx propose de poser comme principe constitutionnel l'existence des tribunaux de commerce. Il présente l'amendement suivant : « Les tribunaux de commerce sont conservés ; la loi réglera, etc. » M. Raikem, rapporteur, pense que le sens de l'article est assez clair et qu'il ne laisse aucun doute sur l'existence des tribunaux de commerce.
« M. Lebeau pense qu'il ne faut pas poser l'existence des tribunaux de commerce comme principe constitutionnel. La question est très importante ; l'honorable membre est d'avis d'en laisser la décision à la loi. Il propose de rédiger en conséquence le paragraphe 2 de l'article 81 en ces termes :
« La loi pourra instituer des tribunaux de commerce ; elle en réglera l'organisation, le mode de nomination de leurs membres, et la durée de leurs fonctions. »
« M. Raikem, rapporteur, défend la rédaction de la section centrale.
« M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, donne lecture de l'amendement de M. Lebeau.
« M. Fleussu combat cet amendement.
« M. Lebeau réfute en quelques mots les objections de M. Fleussu.
« M. le baron Osy appuie la proposition de M. de Robaulx.
« M. Gendebien propose l'amendement suivant : « Il y aura des tribunaux de commerce... » (Le reste semblable au paragraphe 2 de l'article 81.)
« M. Charles Le Hon. L'article 81 maintient l'institution des tribunaux de commerce. J'aimerais mieux qu'on retranchât entièrement le second paragraphe de cet article, afin de ne pas lier la législature à venir.
« M. Raikem, rapporteur, demande qu'on conserve dans la Constitution l'existence des tribunaux de commerce ; reproduisant l'amendement de M. Gendebien qu'il adopte, il propose de rédiger le paragraphe 2 de la manière suivante :
« Il y aura des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Elle réglera leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la durée des fonctions de ces derniers. »
« M. Gendebien déclare se réunir à l'amendement de M. Raikem.
« M. de Robaulx s'y réunit aussi.
«Après une assez vive discussion à laquelle prennent part MM. Le Grelle, Trentesaux. Destouvelles et Gendebien, M. Nothomb, secrétaire, donne lecture de l'amendement de M. Lebeau.
« Cet amendement est mis aux voix et rejeté.
« Celui de M. Raikem est mis aux voix et adopté. »
Ainsi, messieurs, il ressort très clairement de ce débat que le Congrès a fait de l'existence des tribunaux de commerce un principe constitutionnel.
M. Lebeau comme M. Le Hon demandait que le Congrès réservât l'avenir, qu'il laissât à la législature le soin de décider s'il y aurait ou s'il n'y aurait pas des tribunaux de commerce. Le Congrès s'y est refusé. M. Raikem, rapporteur, MM. de Robaulx et Gendebien ont demandé que le principe fût dans la Constitution et le Congrès leur a donné raison.
De quels tribunaux de commerce s'agissait-il ? Des tribunaux de commerce tels qu'ils existaient à cette époque. Il ne s'agissait pas de juridiction commerciale, de procédure commerciale, il s'agissait de tribunaux de commerce tout à fait comme quand la Constitution a parlé de tribunaux militaires ; elle a entendu les tribunaux militaires tels qu'ils existaient alors, comme quand la Constitution a déclaré que le jury était établi en matière criminelle et pour les délits politiques, elle a entendu parler du jury tel qu'on le comprenait à cette époque.
Il est incontestable que si aujourd'hui vous venez dire : Il s'agissait simplement d'une procédure commerciale ou d'une compétence commerciale, vous faites dire à la Constitution le contraire de ce qu'elle a voulu dire. Le Congrès ne s'est pas occupé de la procédure, il ne s'est pas occupé des questions de compétence, mais bien de l'existence même des tribunaux de commerce et voici pourquoi. C'est parce que, sous le royaume des Pays-Bas, l'existence des tribunaux de commerce venait précisément d'avoir été mise en question et que les tribunaux de commerce venaient d'être supprimés.
M. Orts. - Ils ont été maintenus par la loi de 1827 avec un président civil.
M. Teschµ. - Ils n'étaient pas maintenus tels qu'ils existaient à cette époque et la Constitution en a voulu le maintien.
(page 592- Il est donc impossible de venir prétendre, comme le fait l'honorable M. Jacobs, l’l'honorable M. Dumortier le disait tantôt avec beaucoup de raison, qu'on puisse dire : Il n'y aura pas de tribunaux de commerce, alors que l'article 105 de la Constitution dit : Il y a des tribunaux de commerce.
En dépouillant l'amendement de l'honorable M. Jacobs de toute espèce d'artifice, on n'y trouve pas autre chose que ceci : Les tribunaux de commerce sont supprimés et les tribunaux civils leur sont substitués.
Mais, messieurs, si, quand la Constitution dit : « Il y a des tribunaux de commerce », vous pouvez dire : « Il y a une juridiction commerciale, elle est exercée de telle et telle manière », pourquoi ne diriez-vous pas la même chose pour d'autres institutions judiciaires ? Pourquoi ne diriez-vous pas pour le jury : Il y a une juridiction criminelle, la justice est administrée par des tribunaux correctionnels.
II n'y a aucune différence.
Vous pouvez, de cette manière, faire dire aux articles de la Constitution tout à fait le contraire de ce qu'ils veulent dire.
L'honorable M. Nothomb, répondant hier à l'honorable M. Delcour, a cherché à démontrer la parfaite constitutionnalité de l'amendement ; et comment a-t-il expliqué l'article de la Constitution ? a Ce qu'on a voulu à cette époque, a-t-il dit, c'était mettre fin à l'arbitraire qui existait ; le Congrès a simplement voulu transférer du gouvernement à la législature le droit d'organiser la juridiction commerciale dont parle l'article 625 du code de commerce.
Mais, messieurs, l'honorable M. Nothomb ne tient pas compte des modifications que l'article 105 a subies au Congrès précisément pour lui faire dire autre chose que ce qu'il suppose que la Constitution a voulu dire. L'article primitif donnait pleine satisfaction au sentiment que l'honorable M. Nothomb suppose avoir inspiré l'article 105. Voici ce que disait l'article primitif.
« Une loi réglera également l'organisation des tribunaux de commerce, le mode de nomination de leurs membres et la durée de leurs fonctions. »
Dans le rapport de M. Raikem, il était dit : « Quant aux tribunaux de commerce, la section centrale a pensé qu'on devait s'en rapporter à la loi. » Il était donc donné satisfaction à ce grief par l'article tel qu'il avait été primitivement rédigé.
Mais le Congrès a voulu plus, il a voulu que l'existence constitutionnelle des tribunaux de commerce fût consacrée et il a ajouté : « Il y a des tribunaux de commerce, » et c'est cette disposition que l'amendement méconnaît.
L'honorable M. Nothomb vous a dit ensuite : Mais si votre interprétation est la vraie, la Belgique se trouve dans une singulière situation. Depuis 36 ans la loi est violée dans une partie du pays.
Cela, messieurs, n'est pas exact du tout.
Le Congrès se trouvait en présence d'une situation donnée, en présence de circonscriptions judiciaires qui les unes avaient des tribunaux de commerce, qui les autres n'en avaient pas. Comme il n'y a rien d'absolu, parce que la nature des choses se refuse à l'absolu, le Congrès a déclaré qu'il y aurait des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi.
Pourquoi a-t-il déclaré cela ?
Mais parce que tous les arrondissements ne possèdent pas un personnel suffisant pour créer des tribunaux de commerce, parce qu'il faut un certain nombre de commerçants suffisamment intelligents pour rendre la justice et c'est pour cela que le Congrès n'a pas fait de sa disposition une règle absolue et qu'il a laissé au législateur le soin de déterminer les arrondissements dans lesquels il y aura un tribunal de commerce.
Mais l'esprit de l'article quel est-il ? C'est que partout où vous trouvez dans un arrondissement judiciaire les éléments convenables pour organiser un tribunal de commerce, vous devez le créer.
Voilà l'esprit de la Constitution. Son texte n'est donc pas violé par ce qui existe aujourd'hui, parce que dans certains arrondissements il n'y a pas de tribunaux de commerce. Cet argument n'est donc pas plus fondé que le premier et il y en a un troisième qui n'est pas plus sérieux que les deux autres.
M. Nothomb a dit : Si vous voulez avoir des tribunaux de commerce, vous devez avoir des cours d'appel de commerce.
Cela est encore inexact.
Le Congrès, messieurs, se trouvait devant un état de choses existant. Quelle était la situation ? Vous aviez des tribunaux de commerce dans différentes parties du pays. Vous aviez des tribunaux civils rendant la justice commerciale dans d'autres.
Puis vous aviez des cours d'appel auxquelles étaient déférés tous les appels, tant ceux des sentences des tribunaux de commerce que ceux des jugements des tribunaux civils.
Le Congrès a voulu maintenir la situation telle qu'elle existait dans ce moment.
Voilà ce que le Congrès a voulu. S'il avait dit qu'il y aurait des cours d'appel de commerce, comme il a dit qu'il y aurait des tribunaux de commerce, il faudrait obéir à la prescription constitutionnelle ; il faudrait établir des cours d'appel commerciales, comme on a établi des tribunaux de commerce.
Je crois donc qu'au point de vue de l'organisation, et abstraction faite de la question de constitutionnalité, il n'y a pas de raison suffisante pour supprimer les tribunaux de commerce et qu'il n'y a pas lieu de créer une nouvelle source de dépenses pour les remplacer.
D'un autre côté, je ne puis consentir à la suppression du deuxième paragraphe de l'article 105 de la Constitution ; car l'amendement de l'honorable M. Jacobs n'est pas autre chose. Si cet amendement est admis, c'est la violation la plus manifeste du pacte fondamental qu'on puisse commettre.
Toutes les institutions judiciaires, la cour de cassation, les cours d'appel, le jury, tout pourra être supprimé par des arguments de même nature.
Je voterai contre l'amendement de l'honorable M. Jacobs.
M. Watteeuµ. - Messieurs, des scrupules et des doutes se sont élevés dans la séance d'hier et dans celle d'aujourd'hui sur la constitutionnalité de l'amendement de l'honorable M. Jacobs ; des scrupules et des doutes sont toujours respectables, surtout en pareille matière, car tous nous devons être jaloux de respecter les principes de la Constitution.
Cependant, messieurs, je n'hésite point à dire qu'à mes yeux ces scrupules et ces appréhensions doivent disparaître, si l'on veut apprécier sainement la portée et les termes de l'amendement.
Indubitablement si la proposition de l'honorable M. Jacobs tendait à la suppression des tribunaux de commerce, il y aurait là une violation manifeste, flagrante de la Constitution.
Mais que demande l'honorable membre ? Et en cela il me paraît rester complètement dans les termes de l'article 105 ; il demande qu'on maintienne les tribunaux de commerce, qu'on ne change rien à leurs attributions, qu'on ne bouleverse pas leur organisation, leur mouvement actuel : il rie fait qu'une chose : c'est de substituer aux trois juges consulaires qui rendent maintenant la justice, trois autres hommes pourvus de connaissances spéciales qui leur permettent de rendre convenablement la justice.
La question de constitutionnalité a été également soulevée tout à l'heure par l'honorable M. Dumortier ; il s'est livré à quelques réflexions qui ne témoignent pas, de sa part, d'une bien vive sympathie pour le barreau. L'honorable membre s'est imaginé que les membres du barreau avaient un certain intérêt à exciter à la suppression ou la modification des tribunaux de commerce ; et avant d'entrer plus avant dans l'examen de la question, j'éprouve le besoin de déraciner dans l'esprit de l'honorable M. Dumortier une erreur qu'il reconnaîtra lui-même, je l'espère.
La question ne se présente pas pour la première fois devant une assemblée délibérante ; elle a été traitée d'une manière approfondie au conseil provincial du Brabant, par des personnes assez compétentes pour la traiter.
Or, dans cette assemblée, treize avocats ont pris part à la discussion et de ces 13 avocats, je déclare, à la grande satisfaction de l'honorable M. Dumortier, que huit ont partagé sa manière de voir.
Messieurs, il importe, dans les questions de ce genre, de nous dégager de toute préoccupation personnelle. Je voudrais bien savoir où l'on pourrait chercher et trouver ce motif d'intérêt.
On dit que dans l'opinion des avocats, la justice consulaire va trop vile. Comment ! cela va trop vite ; mais dans l'esprit de l'honorable M. Jacobs, comme dans celui de tous ceux qui adhèrent à l'amendement, il est bien entendu que la justice consulaire devrait continuer à fonctionner, comme elle fonctionne aujourd'hui, sans aggravation de frais, sans intervention d'officiers ministériels, avec la même célérité et le même mode de procédure, avec les mêmes formes économiques.
Je dirai plus : cette procédure sommaire des tribunaux de commerce est encore susceptible, à mon avis, de grandes simplifications. Ce n'est pas le moment de s'occuper de cet objet. Lorsque la Chambre sera saisie de la révision du code de procédure civile, j'espère pouvoir démontrer qu'on peut encore simplifier beaucoup les formes que l'on suit aujourd'hui.
(page 593) Messieurs, je rentre dans la question de constitutionnalité, qui doit nécessairement préaller. C'est en quelque sorte la question de compétence, si je puis me servir d'une expression du barreau. Il est évident que si en principe il était reconnu que la proposition est inconstitutionnelle, il n*est pas un de nous qui ne s'empressât d'abandonner la proposition et d'accepter comme une nécessité ce qui existe maintenant.
Or, voyons si le reproche d'inconstitutionnalité mérite d'atteindre la proposition.
L'article 105 de la Constitution dit qu'il y a des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi, c'est-à-dire qu'il ne doit pas s'en trouver dans tous les arrondissements indistinctement. C'est, d'ailleurs, ainsi que la Constitution a été interprétée et suivie jusqu'à présent.
En effet, si je ne me trompe, nous avons 15 tribunaux civils qui jugent consulairement, et nous avons, si ma mémoire est exacte, 14 tribunaux de commerce, c'est-à-dire qu'il y a même une majorité de tribunaux civils contre les tribunaux de commerce. Vous voyez déjà que la loi peut restreindre le nombre des tribunaux de commerce ; on pourrait aller jusqu'à n'avoir qu'un seul tribunal de commerce dans le pays ; on serait encore dans les termes de la Constitution,
Mais la Constitution ajoute : « La loi détermine leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la durée de leurs fonctions. »
On pourra m'objecter que la durée des fonctions, à déterminer par la loi, serait inconciliable avec la Constitution qui proclame le grand principe de l'inamovibilité des juges ; mais cette objection ne doit pas nous arrêter ; car alors, dans les arrondissements où il y aurait un tribunal de commerce, exclusivement chargé de la connaissance de toutes les contestations commerciales, il y aurait exactement ce que nous voyons aujourd'hui pour les tribunaux correctionnels. Il s'opère aujourd'hui dans les tribunaux un roulement annuel ; telle chambre qui s'est occupée exclusivement d'affaires civiles pendant une année, s'occupe, l'année suivante, de matières exclusivement commerciales ; organisation qui fonctionne à la satisfaction générale, que je voudrais voir introduire seulement dans les arrondissements où il y a nécessité, où il y a urgence d'établir des tribunaux de commerce.
Il ne faudrait pas pour cela en établir dans tous les arrondissements ; là où le nombre d'affaires n'est pas assez important pour justifier ces deux juridictions coexistantes, on pourrait parfaitement maintenir l'état de choses actuel. Mais là, au contraire, où les affaires commerciales sont en assez grand nombre pour justifier la création d'un tribunal de commerce, il suffirait d'adjoindre au tribunal civil une chambre nouvelle qui ferait, d'année en année le service du tribunal de commerce, comme cette même chambre fait d'année en année le service du tribunal correctionnel, et on pourrait ainsi faire un roulement de manière à introduire chaque année un élément nouveau dans le tribunal.
La durée des fonctions ! Mais n'avons-nous pas un autre exemple ? La Constitution dit que le juge est inamovible ; cependant c'est un arrêté royal qui détermine la durée des fonctions des juges d'instruction. C'est un arrêté royal qui vient choisir dans le personnel du tribunal le magistrat chargé de remplir les fonctions de juge d'instruction qui durent trois ans. Tout cela est donc parfaitement compatible avec le principe constitutionnel.
Maintenant, messieurs, il doit être bien entendu qu'il ne s'agit ni de supprimer les tribunaux de commerce, ni de modifier leur organisation, leur mode de procédure, leurs attributions ; il s'agit, au contraire, de maintenir tout cela. Avons-nous le droit de réglementer leur mode de nomination ? Avons-nous le droit de faire même des catégories ? Mais évidemment, messieurs, tous les exemples que j'ai entendu citer tout à l'heure, les exemples que vous a cités l'honorable M. Tesch ne viennent pas le moins du monde à rencontre de mon argumentation.
L'honorable M. Tesch vous a parlé du jury. Le jury est institué, en matière de presse et de délits politiques, par l'article 98 de,la Constitution ; pourriez-vous, disait tout à l'heure l'honorable membre, déclarer par une loi que ce jury sera exclusivement composé de magistrats jurisconsultes ?
Non sans doute, et il y a pour cela une très bonne raison ; c'est qu'il y a incompatibilité. Mais en second lieu, et ceci prouve que l'argumentation n'est pas très solide, c'est que, même au point de vue du jury, depuis que son institution a été consacrée par la Constitution, vous avez eu déjà deux ou trois lois qui sont venues modifier ou restreindre le choix des personnes qui pouvaient le constituer. Telle loi est venue déclarer que, pour être juré, il fallait remplir telle ou telle condition.
Vous avez donc pour le jury lui-même des arguments qui détruisent votre raisonnement, Et, en effet, messieurs, si vous ne pouvez pas restreindre le choix des juges, vous ne pourriez pas davantage restreindra le choix des jurés ; vous devriez alors appeler au hasard tous les citoyens indistinctement à être jurés, et cependant vous avez exigé pour eux certaines conditions d'aptitude et d'autres conditions encore. Car vous avez voulu qu'ils payassent un cens, et un cens fort élevé, comme on le fait remarquer près de moi.
Il est donc indubitable qu'il vous appartient de déterminer quelles seront les conditions qu'il faudra réunir pour être juge d'un tribunal consulaire. Et cette condition ne peut-elle être précisément celle d'être docteur en droit ou d'appartenir à la magistrature ?
Et vraiment, quand je vois que l'on discute en ce moment un projet de réorganisation judiciaire et quand je remarque dans ce projet les précautions minutieuses que l'on prescrit à l'égard des fonctionnaires de l’ordre judiciaire les plus subalternes, quand je vois que même pour un greffier, pour un commis greffier, il faut certaines conditions, certaines garanties, je me demande s'il n'y a pas une inconséquence choquante à investir du titre et des attributions de juge de simples citoyens qui peuvent être d'honorables négociants, qui peuvent être les gens les plus respectables, mais qui, en définitive, n'ont pas la science infuse et ne peuvent s'improviser juges du jour au lendemain.
Pour moi donc, la question de constitutionnalité ne peut présenter aucun doute réel sérieux, quand, bien entendu, on veut se rendre un compte exact de la portée de la proposition et de ses conséquences légales, c'est-à-dire que rien ne doit être changé si ce n'est le nom.
En effet, supposez que, dès demain, trois juges civils aillent dans la même salle, dans le même local, prendre les sièges qu'occupent aujourd'hui les trois juges consulaires, que la même procédure soit suivie, que le même greffier soit là et que le tout, en un mot, se passe comme aujourd'hui, pourrez-vous dire que vous avez détruit les tribunaux de commerce, et qu'il n'y aura plus de juridiction commerciale ?
M. Teschµ. - Ce serait un tribunal civil jugeant en matière commerciale, et pas autre chose.
M. Watteeuµ. - Je remercie l'honorable M. Tesch de son interruption ou plutôt de son observation ; car il me rappelle que j'avais une distinction à signaler à l'assemblée, et qui peut-être m'aurait échappé. Cette distinction, la voici.
Aujourd'hui, les juges civils qui jugent commercialement ne le font que par exception. Ils ne sont pas, pendant une période déterminée, juges ne s'occupant exclusivement que d'affaires commerciales. Je voudrais, et mon exemple de tout à l'heure vous le faisait voir d'ailleurs, que les juges civils jugeant commercialement pendant une période déterminée ne fussent que juges consulaires. Je ne voudrais pas qu'ils s'occupassent aujourd'hui d'affaires civiles et demain d'affaires commerciales, comme cela se passe dans les petits arrondissements. Je voudrais une chambre commerciale stable comme nous avons une chambre correctionnelle stable. Ainsi, il ne s'agit nullement d'une assimilation aux tribunaux civils qui aujourd'hui jugent commercialement.
Si, messieurs, je passe de la question de constitutionnalité à la question d'opportunité, alors je suis véritablement embarrassé de choisir parmi les nombreuses et bonnes raisons qui s'offrent à moi pour justifier la modification profonde que je désire voir introduire dans la juridiction commerciale.
L'honorable M. Jamar vous a fait connaître hier combien il avait été touché des paroles, peut-être un peu vives, qui avaient été mises au service de la démonstration que d'autres orateurs ont voulu faire avant moi.
Eh bien, en ce qui me concerne, que l'honorable M. Jamar se rassure.
II n'est personne qui soit plus disposé que moi à rendre un entier hommage au dévouement, au dévouement absolu dont un grand nombre de juges consulaires ont donné des preuves incontestables. Je veux bien admettre avec lui que la juridiction commerciale n'ait soulevé aucun grief, aucune plainte sérieuse. Mais quand j'examine ce qu'est dans notre pays notre magistrature, quand je me rends compte du respect dont elle est entourée, non seulement dans le pays, mais je dirai dans l'Europe entière, je la considère comme une véritable gloire pour notre pays. Et pourquoi ? Parce que non seulement elle est composée d'hommes ayant donné toutes les garanties de savoir désirables, mais qu'en outre nos lois constitutionnelles lui ont donné l'assurance d'une parfaite indépendance.
Par conséquent elle se présente à nous, elle se présente aux justiciables avec le caractère le plus complet de toutes les garanties qui peuvent assurer une bonne justice, et je voudrais précisément que la justice consulaire fût aussi à l'abri du soupçon que notre magistrature. Je (page 594) voudrais que la justice consulaire, comme la femme de César, ne pût être l'objet d'un soupçon.
Eh bien, quelque honnête qu'aient été les négociants qui ont bien voulu remplir jusqu'ici les fonctions souvent pénibles de juge, il n'en est pas moins vrai que plus d'un justiciable quitte le tribunal de commerce avec la crainte de ne pas y avoir trouvé l'impartialité dont ils voudraient être sûrs. Et pourquoi ? Parce que le justiciable bien souvent est jugé par un de ses concurrents, parce que bien souvent l'une des parties se trouve être débitrice d'un des juges et qu'un des juges lui-même est souvent débiteur d'une des parties.
Il y a, messieurs, des circonstances qui se présentent et qui sont de nature à faire soupçonner l'impartialité des juges consulaires.
Voilà déjà une première considération qui doit vous faire comprendre combien il est fâcheux que le juge consulaire puisse même être soupçonné, qu'un justiciable n'accepte pas sans arrière-pensée ou sans récrimination une sentence qui, quelque juste qu'elle soit, perd souvent tout caractère de justice à ses yeux parce qu'il est enclin à attribuer les décisions rendues à d'autres motifs que des motifs de conscience.
Messieurs, à côté de ces motifs de suspicion, n'y a-t-il pas également cette absence de connaissances spéciales ? Le justiciable ne sait-il pas que lorsqu'il se présente devant des magistrats consulaires, il sera jugé, pour peu qu'il se présente une question de droit au débat, par le greffier. Et, messieurs, qu'on ne se fasse pas illusion à cet égard, ce n'est pas de la théorie, ce n'est pas par effort d'imagination que je vous parle de cela. Cela est tellement de notoriété que dans une pétition adressée récemment par les greffiers de tous les tribunaux de commerce du pays, ces messieurs se targuent eux-mêmes de la prépondérance qu'ils ont, de l'influence qu'ils exercent et de la mission tout à fait exceptionnelle et importante qu'il sont appelés à remplir près des tribunaux de commerce.
Et cela se conçoit. Comment hésiter à reconnaître qu'un homme qui est arraché du jour au lendemain à ses affaires, peut difficilement se prononcer sur les intérêts si graves qui pourront être débattus devant lui ? Et, remarquez-le bien, je ne veux pas ici remonter à l'origine des tribunaux de commerce, je ne veux pas rechercher si, dans notre ancien régime, tel qu'il était organise à cette époque, les tribunaux d'exception qui fonctionnaient à cette époque peuvent avoir la moindre analogie avec les tribunaux de commerce actuels.
Mais, messieurs, les tribunaux de commerce tels que vous les connaissez, aujourd'hui, ont été organisés par le gouvernement français ; leur origine et notre Constitution elle-même remontent à une date où, incontestablement, les affaires commerciales étaient loin d'avoir l'importance qu'elles ont aujourd'hui. N'est-il pas démontré que depuis une vingtaine d'années la fortune publique s'est en quelque sorte transformée, que la fortune mobilière a acquis une importance que l'on peut dire égale à celle de la fortune immobilière ?
Ne voyons-nous pas la généralité des citoyens exposés tous les jours à avoir des contestations où une partie notable de leur fortune se trouve engagée ?Et vous voulez que ces contestations soient déférées à des juges qui, quelque honorables qu'ils soient, ne peuvent pas avoir du jour au lendemain les connaissances nécessaires pour décider de semblables conflits ?
L'honorable M. Jamar a dit que les tribunaux de commence sont, avant tout, des tribunaux d'équité, qu'ils jugent, avant tout, d'après les usages commerciaux.
M. Jamarµ. - Je n'ai rien dit de semblable.
M. Watteeuµ. - Soit. Je n'ai donc pas à insister sur ce point.
Mais, messieurs, ce que je disais tout à l'heure se trouve rapporté par un auteur bien connu. voici un passage de la Revue critique de législation et de jurisprudence, publiée en 1863. (L'orateur donne lecture de ce passage.)
Vous le voyez, messieurs, les esprits les plus sages, les esprits les moins prévenus, les plus désintéressés ne peuvent s'empêcher de signaler cette position délicate et difficile. Pouvons-nous, messieurs, maintenir cette contradiction flagrante de deux juridictions si importantes dont l'une est entourée des garanties les plus considérables tandis que l'autre est dépouillée de toute espèce de garantie ? Voilà cependant ce qui existe, et voilà le singulier système que l'on vient défendre devant vous.
L'honorable M. Tesch nous disait que jusqu'ici les commerçants ne se plaignaient pas, que ceux qui sont le plus intéressés à avoir une bonne justice s'accommodaient parfaitement de l'état actuel des choses.
On nous a déjà donné, messieurs, les raisons pour lesquelles les justiciables ne se plaignent pas, mais est-il bien vrai qu'ils ne se plaignent pas ? et qui peut mieux que personne être le dépositaire de leurs doléances, si ce ne sont les conseils auxquels ils ont recours lorsqu'il s'agit de la défense de leurs intérêts ?
Ce sont, dit-on, les avocats qui cherchent à faire modifier la législation. Il à déjà été démontré qu'ils n'ont à cela aucune espèce d'intérêt ; mais soyez bien persuadés que ce reproche de chercher à faire modifier les lois, vous aurez à le leur adresser bien souvent. Ce sont, en effet, les hommes qui consacrent toute leur existence à l'étude des lois qui sont le plus à même d'en signaler les vices ainsi que les améliorations dont elles sont susceptibles.
Vous trouverez toujours dans les avocats les sentinelles avancées du progrès. Voilà pourquoi ils demandent la réforme des tribunaux de commerce ; leur chercher d'autres pensées, ce serait méconnaître le mobile qui les fait agir.
Est-il bien vrai, messieurs, que les juges consulaires peuvent convenablement s'acquitter de leurs belles et nobles fonctions parce qu'ils ont la connaissance des usages du commerce et que, dans les cas exceptionnels, ils iront consulter le greffier ? Mais non, messieurs, car le code de commerce n'est, en définitive, qu'une branche détachée du code civil ; tous les dispositions du code de commerce sont gouvernées par les principes du droit commun, et permettez-moi de faire un aperçu rapide de ce qu'est le code de commerce ; vous verrez après cela s'il est possible de croire un seul instant qu'on puisse être juge consulaire sans avoir la connaissance du droit.
Je commence par l'article 2, dans lequel il est parlé d'émancipation. Mais celui qui n'a pas la connaissance des lois doit rechercher ce qu'est, l'émancipation, comment elle s'opère.
Si vous allez plus loin, vous trouvez le titre des sociétés, qui soulève, à l'égard des administrateurs, la responsabilité du mandataire.
Qu'est-ce que le mandat ? Ce n'est pas le code de commerce qui l'enseigne, c'est le code civil.
L'article 64 du code de commerce parle de prescription. Est-ce qu'il y a dans le code de commerce un seul enseignement de ce qui concerne et la prescription et l'interruption de la prescription ?
L'article 92 renvoie purement et simplement, pour les devoirs et les droits des commissionnaires, au code Napoléon.
L'article 95 renvoie aux principes du code civil pour le nantissement.
L'article 97 les déclare non responsables de la force majeure.
Y a-t-il rien de tout cela qui soit défini, déterminé dans le code de commerce ?
Il en est de même pour les voituriers, les lettres de change, les navires, les faillites. Vous ne parcourrez pas une seule page du code de commerce qui ne soit de l'inconnu pour celui n'a pas de notions de droit.
Quant aux usages qu'on voudrait faire prévaloir sur la loi, je ne les trouve nulle part. On a fait tout à l'heure bonne justice de cet argument que, pour être bon juge consulaire, il faut être au courant des usages du commerce.
Chaque commerce a ses usages, chaque localité a ses usages et, dans les contestations sérieuses, quand il s'agit de déterminer une question d'usages, on le fait à l'aide de parères aussi bien devant les tribunaux civils que devant les tribunaux de commerce.
Je ne veux pas, messieurs, abuser de la patience de la Chambre. Je viens de lui exposer aussi brièvement que j'ai pu le faire les raisons qui m'ont déterminé sans la moindre hésitation et sans me laisser la moindre crainte d'avoir entamé un principe quelconque de la Constitution, à voter pour l'amendement introduit à l'article 34 du projet de loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, j'admets bien volontiers avec l'honorable préopinant que les avocats sont désintéressés dans la question du maintien ou de la suppression des tribunaux de commerce, mais il voudra bien admettre, lui, que les négociants y ont quelque intérêt. Or, il est incontestable que la classe des négociants désire le maintien, des tribunaux de commerce et je pense que cette assertion, déjà répétée à diverses reprises, ne trouvera ici aucune contradiction.
Je me demande, messieurs, pourquoi nous prononcerions aujourd'hui la suppression d'une institution qui convient parfaitement à tous ceux pour lesquels elle a été créée et qui n'est pas un privilège, car une institution ne constitue un privilège que quand en avantageant les uns elle froisse les autres. Or, le maintien des tribunaux de commerce ne saurait froisser personne.
Après tout ce qui a été dit sur la manière dont les juges consulaires ont rempli jusqu'ici leurs fonctions et en présence du désir incontestable de la classe commerçante, je n'hésite pas à penser que nous infligerions une véritable humiliation aux négociants si, contre leur gré et parce que (page 595) quelques abus se sont glissés dans la juridiction consulaire, nous supprimions les tribunaux de commerce.
Des abus, messieurs, mais quelle est l'institution humaine dans laquelle il ne se glisse aucun abus ?
Je suis loin de dire que les tribunaux de commerce n'ont jamais commis aucune faute, qu'il n'y a pas le plus léger reproche a leur faire, mais je maintiens que malgré cela, l'institution est bonne en elle-même et qu'elle convient à ceux pour lesquels elle est créée.
Au surplus ce n'est pas au point de vue de la convenance de maintenir ou de supprimer les tribunaux de commerce que j'ai demandé à vous présenter quelques observations.
Je désire, messieurs, vous dire deux mots sur une question bien plus importante, sur celle de la constitutionnalité.
Je croyais, messieurs, qu'on avait démontré par des arguments irréfragables que la Constitution avait décrété d'une manière formelle le maintien des tribunaux de commerce.
Je viens d'entendre par le discours qu'a prononcé l'honorable M. Watteeu que, malgré toutes les preuves qui ont été fournies par les précédents orateurs, il soutient encore que la Constitution ne contient aucune prescription à cet égard.
Comment peut-on se tromper à ce point sur les termes si positifs de l’article 105 de la Constitution ?
Cet article dit : « Il y a des tribunaux de commerce. »
L'honorable préopinant prétend que cette phrase signifie simplement que les causes commerciales seront jugées au moyen d'une procédure particulière.
Mais, s'il en était ainsi, la Constitution n'avait pas besoin de parler. Les lois de procédure sont de la compétence du législateur ordinaire.
Qu'a voulu la Constitution ? Elle a voulu précisément décréter et l'honorable M. Tesch l'a démontré par la discussion du Congrès, le maintien non pas de la juridiction commerciale, mais de tribunaux exceptionnels pour juger les affaires commerciales.
Je suppose, messieurs, que ce qui induit les honorables membres en erreur, c'est que la Constitution parle au présent. Elle dit : « Il y a des tribunaux de commerce » Si elle avait dit : « Il y aura des tribunaux de commerce », ou « les tribunaux de commerce sont maintenus » tout le monde serait d'accord.
Eh bien, je vais vous prouver que cette forme « il y a » est absolument l'équivalent.
On n'a pas fait attention à une chose très importante, c'est que la Constitution, dans tous ses articles de principes, parle au présent.
Trouverez-vous dans la Constitution : « Il y aura un jury » ? Non, elle dit : « Le jury est établi. »
La Constitution dit-elle : « La presse sera libre » ?
Du tout, elle dit : « La presse est libre. »
Dit-elle : « L'enseignement sera libre » ! Nen, elle dit : « L'enseignement est libre. »
Comme elle dit : « Les Belges ont le droit de s'associer ; les Belges ont le droit de s'assembler. »
Allez-vous tirer de ces dispositions et parce que la Constitution parle au présent, la conséquence qu'on peut supprimer le jury pour l'avenir, qu'on peut supprimer la liberté de la presse, la liberté d'enseignement, . la liberté d'association ?
Vous le soutiendriez avec autant de raison que vous prétendez qu'on peut supprimer les tribunaux de commerce.
Je sais bien, messieurs, qu'on cherche à se tirer d'affaire par de certaines échappatoires.
Par exemple, l'honorable auteur de l'amendement qui veut la suppression des tribunaux de commerce, commence par une déclaration. Il dit : « La juridiction commerciale est maintenue. » Mais voulez-vous apprécier la valeur de cette déclaration ? Je vais mettre le contraire, et vous verrez que l'article dans son ensemble sera beaucoup plus logique. Je suppose que l'article de M. Jacobs commence de la manière suivante : « Les tribunaux de commerce sont supprimés » et continue selon le texte de M. Jacobs : « la juridiction commerciale sera désormais exercée par une des chambres, etc. » L'article est infiniment plus logique.
M. Jacobsµ. - Je demande la parole.
M. de Brouckere. - Ce qui vous prouve que cette déclaration n'est qu'un moyen d'échapper à la défense que fait la Constitution de supprimer les tribunaux de commerce quand même.
M. Watteeu a en recours à une échappatoire un peu plus habile encore peut-être. Il vous dit : Mais l'amendement de M. Jacobs ne supprime pas les tribunaux de commerce ; savez-vous ce qu'il fait ? Au lieu de conserver trois juges consulaires, il établit, pour former le tribunal de commerce, trois juges du tribunal civil.
Eh ! c'est précisément ce que la Constitution vous défend de faire. Je sais bien que l'honorable M. Jacobs maintient une juridiction spéciale et une procédure spéciale pour les affaires commerciales, mais il supprime les tribunaux de commerce et M. Watteeu avec son échappatoire les supprime également. Il se figure qu'il nous ferme la bouche en répétant : Messieurs, vous croyez que nous supprimons les tribunaux de commerce ? Du tout, nous y substituons les tribunaux civils.
Fort bien ; mais je lui répète : c'est ce que la Constitution vous défend de faire. La Constitution vous dit de la manière la plus nette et la plus formelle : « Il y a des tribunaux exceptionnels dans les lieux où la loi les établira pour juger les affaires commerciales. » Vous voyez, messieurs, que les honorables membres qui demandent la suppression des tribunaux de commerce entrevoyaient bien les difficultés insurmontables que leur présente la disposition si formelle de l'article 105, et que c'est vainement qu'ils cherchent à les tourner.
M. de Theux, qui a également démontré l'obligation constitutionnelle, pour nous, de maintenir les tribunaux de commerce, vous disait : Mais si vous supprimiez les tribunaux de commerce, vous pourriez également supprimer la juridiction militaire exceptionnelle.
Remarquez-le bien, messieurs, la Constitution est bien plus explicite et bien plus précise, en ce qui concerne les tribunaux de commerce qu'en ce qui concerne les tribunaux militaires. Vous ne trouverez pas dans la Constitution : « Il y a des tribunaux militaires, » la Constitution dit simplement : « Des lois particulières règlent l'organisation des tribunaux militaires. »
Et après avoir parlé de cette manière moins explicite, dans le paragraphe qui suit, elle dit : « Il y a des tribunaux de commerce. » Comme si elle voulait prescrire le maintien des tribunaux de commerce d'une manière plus formelle que les tribunaux militaires.
En vérité, messieurs, en présence d'un texte aussi formel, eu présence de la discussion qui a précédé au Congrès l'adoption de ce texte, il est difficile de comprendre qu'on s'obstine à soutenir que la Constitution a voulu laisser aux législateurs qui suivraient le droit de maintenir ou de supprimer les tribunaux de commerce.
Je sais bien qu'on pourra dire : Mais si la Constitution prescrit le maintien des tribunaux de commerce et laisse aux législatures le soin de n'en établir que là où elles le trouveront bon, elles pourront faire à peu près ce que défend la Constitution, en n'en-laissant subsister que dans une ou deux localités tout à fait exceptionnelles.
L'honorable M. Tesch a parfaitement répondu à cet argument. Sans doute, si vous ne consultez que le texte de la Constitution qui, après avoir dit : II y a des tribunaux de commerce, ajoute : La loi décidera dans quels lieux ils seront établis, comme la loi décidera le mode de nomination de ses juges, et pour quel temps ils rempliront leurs fonctions ; si vous vous tenez au simple texte, vous pourrez frauder la Constitution, la rendre illusoire, mais aucune législature ne le fera parce qu'elle agirait contrairement au vœu de la Constitution qui a été on ne peut pas plus clairement expliqué par M. Tesch.
La Constitution veut qu'il' y ait des tribunaux exceptionnels de commerce partout où le commerce est assez développé, partout où les éléments commerciaux sont assez éclairés pour qu'on puisse convenablement y établir une juridiction exceptionnelle.
Voilà le sens évident de la Constitution et si, par des considérations particulières, on venait plus tard à supprimer le plus grand nombre des tribunaux de commerce, je n'hésite pas à dire qu'on violerait la Constitution dans son esprit, comme vous la violeriez aujourd'hui de la manière la plus évidente dans son texte si vous décrétiez la suppression de tous, ces tribunaux.
M. Orts. - J'examinerai surtout la question constitutionnelle, à laquelle certains orateurs paraissent attacher une importance que méritent, du reste, toutes les questions constitutionnelles sérieuses.
Je ne dirai que deux mots, en terme d'introduction, sur un argument très souvent reproduit et qui me toucherait, moi partisan de la réforme proposée par M. Jacobs, si l'argument était fondé : Les commerçants ne se plaignent pas ! Je suis le premier à le reconnaître ; les tribunaux de commerce rendent des services et comptent bon nombre de partisans. Je l'ai dit au nom de la commission dans le rapport : Je reconnais volontiers, comme le disait hier l'honorable M. Jacobs, que le zèle, le dévouement incontestable d'un grand nombre de ceux qui ont été chargés de faire fonctionner les tribunaux de commerce ont sauvé l'institution.
(page 596) Si donc j'appuie la réforme qu'est venu provoquer l'honorable M. Jacobs et qui était la pensée de la minorité de votre commission, c'est parce que je veux, non pas supprimer une mauvaise chose, une chose intolérable dont l'opinion publique demande qu'on débarrasse le pays ; mais parce que je veux une grande, sérieuse et positive amélioration de l'administration de la justice. Je crois la justice que nous obtiendrions par l'amendement de M. Jacobs meilleure que la justice actuelle quelque bonne que celle-ci puisse être.
On nous dit : Les négociants ne demandent pas cette réforme.
Je fais à ce sujet une observation.
Si les négociants ne demandent pas la suppression des tribunaux de commerce, ce que je concède, je demanderai si les négociants répugnent à la juridiction civile que nous croyons préférable là où elle fonctionne à leur égard ? Ici je réponds hardiment : Non. S'il n'y a pas de plaintes graves contre les tribunaux de commerce, il n'y a pas de réclamations sérieuses qui appellent l'érection de tribunaux de commerce dans les arrondissements importants où le commerçant n'a pas de tribunaux spéciaux. (Interruption.)
Il y en a, me dit-on ? Distinguons ; si vous voulez bien.
Je ne connais aucune réclamation des justiciables. Naturellement je mets de côté les réclamations des aspirants à la dignité de juge ou de président de tribunaux de commerce. Puisqu'on a récusé le témoignage des avocats comme suspect et intéressé, il me sera bien permis de récuser à mon tour le témoignage de ceux qui voient quelquefois dans le tribunal de commerce un marchepied pour arriver à d'autres dignités.
De réclamations de justiciables, je n'en vois pas dans l'arrondissement de Nivelles qui a cependant une importance industrielle et commerciale notable puisqu'il a demandé et obtenu une chambre de commerce. Je ne sache pas qu'il ait réclamé jamais un tribunal de commerce.
Je ne connais pas davantage de réclamations sérieuses émanant des justiciables de l'arrondissement de Charleroi, appelant une juridiction autre que celle qui y fonctionne depuis de longues années.
M. Dupontµ. - Il en est de même de l'arrondissement de Huy.
M. Orts. - On me cite l'arrondissement de Huy, et l'on a raison. Je pourrais passer en revue tous les arrondissements du pays dépourvus de tribunaux de commerce, affirmer qu'ils n'en réclament pas et je suis certain qu'aucun de leurs représentants dans cette Chambre ne se lèvera pour me contredire.
L'honorable M. Jacobs faisait hier une observation sérieuse à ce point de vue et je veux la compléter. Il nous disait : « Si l'intelligence des affaires commerciales est une chose si exclusivement du domaine des commerçants, comment donc se fait-il que les commerçants, qui ont le droit de plaider eux-mêmes leurs causes devant leurs pairs, préfèrent confier à des jurisconsultes la défense de leurs intérêts ? »
Ah ! si les commerçants avaient à paraître devant des magistrats, je le comprendrais ; mais non, des commerçants sont leurs juges, et devant ces commerçants, leurs pairs, ils ne vont pas défendre eux-mêmes leurs intérêts et ils chargent de ce soin, non pas même d'autres négociants, mais des jurisconsultes.
M. de Brouckere. - C'est qu'ils ont plus de confiance dans la science des avocats.
M. Orts. - Mais s'ils ont confiance dans les avocats au point de les préférer pour les charger de défendre leurs intérêts plutôt que de s'en charger eux-mêmes, ou d'en charger d'autres commerçants, pourquoi donc la même confiance ne leur fera-t-elle pas préférer des jurisconsultes siégeant comme magistrats ?
M. Dolezµ. - Les magistrats eux-mêmes, quand ils ont un procès, prennent des avocats.
M. Orts. - Les magistrats choisissent des avocats pour les défendre, non par défiance d'eux-mêmes, mais par délicatesse. Ils ne veulent pas jeter le poids de leur qualité de collègue dans la balance de la justice.
Plaider n'est pas juger, répondra-t-on peut-être ?
Passons des plaideurs aux juges. Un grand nombre d'affaires commerciales, contentieuses et les plus importantes naissent de contrats qui permettent aux parties de choisir leurs juges où elles le veulent.
Dans plusieurs de ces contrats essentiellement commerciaux, il est de coutume, de tradition que l'on inscrive la classe d'arbitrage ; dans d'autres, la loi elle-même l'établit. Telles sont les matières de société et d'assurances maritimes, les grandes entreprises de travaux publics. Les arbitres peuvent être choisis par les commerçants où ils le veulent.
Il s'agit d'affaires commerciales, d'affaires maritimes, par exemple, qui, plus que toutes autres, subissent l'influence de pratiques et d'usages spéciaux. Et où croyez-vous, messieurs, qu'en vertu de la clause d'arbitrage, le négociant va choisir son arbitre, son juge ? Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il prend pour juge, pour arbitre, un jurisconsulte, tandis qu'il pourrait le choisir parmi les commerçants. Ceci répond mieux encore que l'argument tiré de la défense à cette sorte de répugnance qu'auraient, selon quelques esprits, les commerçants à se faire juger par des magistrats ordinaires, par des juristes.
Je n'insiste pas davantage, messieurs, sur ce côté de la question ; les réponses qui y ont été faites me semblent péremptoires.
L'honorable M. Tesch a lancé dans le débat un argument qui sans être bien décisif, sans pouvoir prétendre à l'importance qu'il a paru y attacher, pourrait cependant exercer une certaine influence occulte ou indirecte sur certains membres de cette Chambre ; c'est l'argument de l'économie.
L'honorable M. Tesch vous a dit : « Ce n'est pas une petite affaire financière que la suppression des tribunaux de commerce ; il y va d'un demi-million en plus à porter au budget de la justice. « Je pourrais objecter, et l'honorable M. Tesch est déjà d'accord avec, moi sur ce point, qu'une bonne administration de la justice ne se marchande pas. Tout le premier, ministre de la justice, l'honorable membre n'en ferait jamais une question d'argent. Il n'en est pas moins vrai que la considération d'économie est de nature à impressionner certains esprits. Il importe donc de l'examiner de près.
Je me permettrai de le dire à l'honorable M. Tesch, je ne crois pas du tout qu'une dépense de 500,000 francs serait la conséquence fatale d'un vote favorable à l'amendement de l'honorable M. Jacobs. Je ne le crois pas et cela par la très bonne raison que s'il y a des tribunaux de commerce cil Belgique, ils ne sont pas tous énormément occupés. Il en est qui ne siègent qu'une fois par semaine. (Interruption.) On m'interrompt pour me dire qu'à Ostende on juge deux affaires par mois. (Nouvelle interruption.) Cela nous donne 24 causes par an. Est-ce exact ? Je l'ignore. (Interruption.) Enfin pour faire plaisir à mon honorable collègue M. Van Iseghem qui m'interrompt, j'en mettrai bien 50. Si le tribunal civil de Bruges avait 50 affaires de plus à juger par an, il ne mourrait pas à la peine, sans augmentation de personnel.
J'ajoute que des tribunaux de commerce existent dans certaines localités à côté de tribunaux civils très maigrement occupés et qui pourraient, parfaitement siéger un jour ou deux de plus par semaine. (Interruption.)
Messieurs, rappelez-vous le tableau que nous a produit, il y a quelque temps, dans un autre ordre d'idées, sur les travaux de certains tribunaux de première instance, un honorable député de Gand, M. de Maere.
Les chiffres qu'il a cités n'ont pas été contestés, et ils ont prouvé une chose que personne n'a révoquée en doute. Ils ont démontré que beaucoup de tribunaux n'ont pas une besogne comportant le personnel qui leur a été attribué, si le nombre des causes à juger déterminait seul le chiffre du personnel des tribunaux.
Voilà une première observation en réponse à l'augmentation de dépense d'un demi-million dont on nous effraye. On oublie encore que si la juridiction civile va statuer sur les affaires commerciales, la plus grande partie de ces affaires rentrera dans les attributions des juges de paix ; que généralement la majorité de ces affaires ne sortent pas des limites de la compétence de ces magistrats, même en dernier ressort.
Après avoir supprimé les tribunaux actuels de commerce, il ne faudra donc pas établir partout de nouvelles chambres près les tribunaux civils.
Qu'il faille créer, peut-être, une chambre nouvelle dans quelques grandes villes, comme Bruxelles et Anvers, je l'admets. Qu'il faille ailleurs nommer un ou deux juges de plus, c'est possible encore. Mais autant de chambres en plus qu'il y aura de tribunaux supprimés, c'est exagération pure.
Le surcroît de dépense qui en résultera restera énormément en deçà du demi-million dont on a parlé.
Mais ce n'est pas tout, et si la réforme proposée est de nature à occasionner un léger surcroît de dépenses au budget de la justice, elle produira aussi ou peut produire des économies notables. Il y aura économie dans la matière du greffe, car, avec le temps, deux greffes se fondront en un seul. L'économie sera grande surtout dans la matière des faillites, où la surveillance du juge-commissaire sera plus sérieuse et plus énergique, à l'avantage des contribuables.
Je passe maintenant à la question constitutionnelle. Cette question, messieurs, se réduit à très peu de chose. La Constitution, dans son article 105, dit : Il y a des tribunaux de commerce. Si l'on proposait de mettre à la place de cet article une disposition portant : (page 597) « Il n'y a pas de tribunaux de commerce ; » il est incontestable que l'honorable M. Dumortier, si rarement d'accord avec les honorables MM. Tesch et de Brouckere, aurait, avec les deux honorables membres qui composent cette rare trinité, aurait parfaitement raison. Nous violerions la Constitution de la façon la plus manifeste.
Je vous accorde donc qu'il doit y avoir des tribunaux de commerce, de par la Constitution, mais je vous demande si l'honorable M. Jacobs, par son amendement, empêche d'avoir des tribunaux de commerce ?
La Constitution, après avoir proclamé l'existence des tribunaux de commerce, dit-elle quelque part de quels juges ces tribunaux de commerce doivent être composés ? Voilà la question vraie. Est-il écrit dans la Constitution que les membres des tribunaux de commerce doivent être des commerçants ? (Interruption.)
Cela est évident, dit l'honorable M. de Brouckere.
Je m'attendais à cette réponse ; je l'espérais de moi adversaires, et je l'avoue, j'aurais été fort désappointé si l'honorable membre, ou tout autre d'entre eux, ne me l'avait pas faite. La réplique, comme on dit au théâtre, m'eût manqué.
Il faut donc, d'après l'honorable membre, que les tribunaux de commerce soient, au vœu de la Constitution, composés de commerçants. Eh bien, je demande à l'honorable M. de Brouckere si, avant que l'amendement de l'honorable M. Jacobs fût produit, il avait jamais pensé que l'amendement présenté par les honorables MM. Thonissen et Lelièvre, et le projet déposé en 1856 par le gouvernement, fussent parfaitement inconstitutionnels ?
S'il est inconstitutionnel de mettre trois jurisconsultes comme juges dans les tribunaux de commerce parce que les juges consulaires doivent être commerçants, il est inconstitutionnel au même degré d'en mettre un seul, président ou assesseur. Si au contraire la Constitution permet les combinaisons mixtes, comme le pense l'honorable M. Delcour, permet-elle d'aller jusqu'à deux jurisconsultes assistés d'un seul commerçant ? Et si elle permet deux, pourquoi défend-elle trois ?
Messieurs, je dis que la sagesse du Congrès n'a pas voulu de ce système, véritable enfantillage.
La sagesse du Congrès a voulu qu'il y eût des tribunaux de commerce, c'est-à-dire une justice spéciale pour les commerçants, avec des garanties et des formes spéciales d'économie et de célérité. (Interruption.)
Je demanderai à l'honorable membre qui m'interrompt si l'amendement des honorables MM. Thonissen et Lelièvre est oui ou non inconstitutionnel ? Oui, me dit-on ; je m'étonne très fort qu'on ait attendu, pour le trouver inconstitutionnel, que l'amendement de l'honorable M. Jacobs fût déposé ; jusque-là on n'y avait pas trouvé ce vice capital. Les scrupules constitutionnels à l'endroit de la proposition des honorables MM. Thonissen et Lelièvre arrivent bien tard dans le débat, et l'on me permettra de croire que si l'honorable M. Jacobs n'avait pas fait de proposition, jamais ces scrupules constitutionnels ne se seraient élevés au sujet de celle des honorables MM. Thonissen et Lelièvre.
Mais continuons, messieurs, à rechercher si, pour se conformer à la Constitution, il faut absolument maintenir la juridiction exclusivement consulaire, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui. Voici comment raisonnent sur ce terrain les honorables membres auxquels je réponds. « Les tribunaux de commerce qui existaient au moment de la publication de la Constitution tiennent leur existence de la Constitution. Ils doivent rester ce qu'ils étaient alors : on ne peut y toucher. La loi qui peut régler leur organisation, leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la durée des fonctions de ces derniers, ne peut pas cependant déférer ces fonctions à des non-commerçants. »
En effet : il n'y a pas de milieu. Ou bien, on a maintenu purement et simplement quant à la composition ce qui existait, ou bien on a laissé à la législature le droit de modifier cette composition. Si on a maintenu purement et simplement ce qui existait, il faut que la justice consulaire soit exclusivement composée de commerçants ; si au contraire on a permis à la législature de modifier ce qui existait, son pouvoir à cet égard est indéfini. (Interruption.) La Constitution ne pose pas de limites.
Voyons où cette théorie nous conduirait.
L'honorable M. Dumortier parlait du caractère populaire, démocratique de la juridiction commerciale. C'est le peuple commerçant qui élit ses juges ! s'écriait-il. Singulier peuple vraiment, composé exclusivement de notables choisis par le caprice de l'autorité administrative, chose fort peu démocratique. (Interruption.)
On peut modifier, dit l'honorable M. Dolez, et c'est ce que fait le projet du gouvernement. Grâce à ce projet, vous aurez un peuple commerçant, composé de patentés à 42 francs 32 cent.
La réforme, on l'avouera, n'est pas encore très démocratique, mais enfin je suppose que, dans l'ordre d'idées populaires où se plaçait l'honorable M. Dumortier, nous soyons venus dire : « Est-il bien séant que le peuple souverain du commerce n'ait pas le droit de choisir ses juges où il lui plaît ? Pourquoi cette entrave à sa liberté d'élection ? pourquoi le condamner à prendre exclusivement des patentés, des commerçants pour juges ? Mais s'il voulait nommer un docteur en droit, un magistrat qui lui inspire confiance, un brave juge de paix dont l'électeur commerçant a beaucoup moins à se défier que de tel ou tel commerçant qui lui fait à sa porte une concurrence de tous les jours, trouveriez-vous inconstitutionnelle celle extension de la liberté de choisir ? Si vous reculez, que devient cette nécessité, constitutionnelle d'après vous, que les tribunaux de commerce soient exclusivement composés de commerçants ?
En consacrant le statu quo, la Constitution a trouvé fort légal de continuer aux juges civils l'exercice des fonctions attribuées aux juges de commerce, dans les arrondissements où il n'y a pas de tribunal de commerce. Elle n'y supprimait pas pour cela la justice consulaire, puisque la loi en impose les formes et les garanties à la justice civile. Ce qui est constitutionnel, c'est donc la juridiction.
Si la juridiction commerciale doit être maintenue, si les tribunaux, jugeant commercialement, peuvent être composés d'autres membres que de commerçants ; si on peut déléguer tout un tribunal civil pour exercer la juridiction commerciale, comme cela a lieu aujourd'hui dans plusieurs arrondissements ; si cette juridiction peut être exercée par des juges délégués, pourvu qu'elle le soit d'après la forme commerciale, avec les facilités qu'elle offre, et avec son économie ; si tout cela peut continuer à fonctionner comme cela fonctionne aujourd'hui, nous aurons mille fois obéi au vœu de la Constitution, en votant l'amendement de l'honorable M. Jacobs. Nous aurons maintenu l'institution des tribunaux de commerce, et nous l'aurons améliorée.
On nous a dit, enfin : « La justice militaire est placée sur la même ligne par l'article 105 de la Constitution que la justice commerciale. Croyez-vous que la Constitution vous donne le pouvoir de composer la justice militaire de juges non militaires ?» Je n'hésite pas à répondre au défi. Oui, messieurs, nous avons certainement ce pouvoir. Non seulement nous avons ce pouvoir, mais nous en avons usé sans scrupule jusqu'en 1849.
La majorité de la haute cour militaire était composée, avant cette époque, de jurisconsultes inamovibles nommés par le Roi, et ils jugeaient les militaires très constitutionnellement. On n'a jamais, de 1831 à 1849, osé prétendre que l'article 105 de la Constitution obligeait à faire juger les militaires par des militaires.
Eh bien, si on peut composer partiellement la justice militaire de magistrats non militaires, si l'article 105 met la justice consulaire sur la même ligne, on peut composer la justice consulaire de magistrats non commerçants, comme on a pu composer la cour militaire de bourgeois.
Et la Constitution n'ayant pas dit qu'on ne pouvait le faire que partiellement, la législature a toute latitude à cet égard. (Interruption.)
Nous proposons de déléguer une chambre du tribunal civil pour rendre la justice dans les tribunaux de commerce, comme on délègue aujourd'hui tout le tribunal civil entier pour juger les affaires commerciales dans les arrondissements où il n'y a pas de tribunal de commerce.
M. Teschµ. - Vous désorganisez et détruisez l'institution.
M. Orts. - Je ne désorganise ni ne détruis l'institution ; je maintiens la chose ; mais je modifie les personnes, et les personnes ne sont pas dans la Constitution.
Je finis ; et pour donner pleine satisfaction à l'honorable M. Tesch qui m'interrompt avec une persistance qui me flatte, je lui dis : La justice commerciale que l'honorable M. Jacobs organise est une justice plus commerciale que celle qui fonctionne aujourd'hui dans les arrondissements où le tribunal civil remplit les fonctions de tribunal de commerce. D'après l'honorable M. Jacobs, les fonction de tribunal de commerce seront remplies par une chambre du tribunal civil, c'est-à-dire qu'il crée un tribunal spécial devant lequel il faudra porter toutes les affaires commerciales, tandis que dans la situation qui existe aujourd'hui et que vous trouvez légale, on peut porter des affaires commerciales devant chacune des chambres indifféremment qui composent le tribunal délégué. Ces affaires sont jugées au milieu d'affaires civiles, selon le caprice du président qui règle l'ordre des causes ou selon les besoins de l'audience. Avec l'amendement, vous aurez, au moins une chambre exclusivement (page 598) commerciale, comme nous avons, dans nos tribunaux civils, une chambre exclusivement correctionnelle.
Je demande donc à la Chambre de voler la proposition de l'honorable M. Jacobs, à laquelle je m'étais déjà rallié, au sein de la commission, avec l'honorable M. Nothomb.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande à la Chambre à présenter quelques courtes observations.
Je n'examinerai pas la question constitutionnelle. Elle a été traitée d’une manière complète par les partisans de la constitutionnalité de la réforme et par les adversaires de cette constitutionnalité ; les observations que je tiens à présenter à la Chambre sont applicables même dans le cas où l'on déciderait que l'on peut constitutionnellement adopter l'amendement de l'honorable M. Jacobs.
Que veut-on ? Messieurs, il faut bien le dire, on veut remplacer les juges commerçants par des juges civils. Voyons les conséquences de ce système et voyons si nous sommes en mesure de les réaliser.
Y a-t-il des abus ? Oui, dit-on. Il y a des plaintes de tout le barreau ; il y a des plaintes des commerçants peut-être, je le reconnais, je vais plus loin que d'autres membres qui les ont niées. Il y a des plaintes et je dirai que moi-même j'ai vu des abus, j'en ai constaté.
Croyez-vous qu'il n'y ait pas de tribunaux civils qui soient dans la même situation ? Mais, messieurs, il y a des tribunaux civils dont on se plaint également et dans lesquels certaine partie de la population dit n'avoir pas confiance. A quoi cela tient-il ? Cela ne tient pas à l'institution ; cela lient aux hommes qui pratiquent l’institution. Car tout à l'heure, quand je citerai des chiffres, j'aurai l'honneur de vous montrer que les tribunaux de commerce ne jugent pas plus mal que les tribunaux civils, et je vous dirai pourquoi ils ne jugent pas plus mal.
Is est donc certain que l'on ne peut dire à priori, et personne, du reste, n'a tenu dans cette enceinte un pareil langage, que la juridiction commerciale ne juge pas conformément au droit et n'est pas impartiale.
Je crois que les abus ne touchent ni à l'impartialité ni au droit. Ils touchent à un tout autre ordre d'idées. .
Peut-on affirmer d'une manière absolue qu'un commerçant ne peut être juge ? Mais nous avons assisté hier à un spectacle assez singulier. L'honorable M. Vermeire, qui déclarait très modestement à la Chambre qu'il ne se sentait pas de force à être juge consulaire, prenait à partie deux minutes après, un savant professeur de droit, l'honorable M. Delcour, et lui montrait, la Constitution à la main, qu'il se trompait, qu'il interprétait mal cette Constitution. Ainsi l'honorable M. Vermeire, qui se disait incapable de juger une question de droit, discutait une question de constitutionnalité, une question de droit public très importante et sur laquelle nous voyons les jurisconsultes les plus distingués de cette Chambre différer d'opinion.
Messieurs, il faut remarquer que, dans certaines localités, les tribunaux de commerce n'ont presque rien à faire ; et ce n'est pas assurément des petits tribunaux de commerce que l'on se plaint. Or, dans les tribunaux établis dans les grands centres d'affaires, il arrive très souvent qu'il y ait des docteurs en droit, et dans le tribunal de commerce de Bruxelles on en a compté plusieurs. Voilà, certes, des juges dont on ne contestera pas les capacités juridiques. Il n'est donc pas absolument vrai que l'élément jurisconsulte fasse défaut dans les tribunaux de commerce. Tout le monde, au surplus, doit rendre hommage à la manière dont la justice consulaire est rendue. Les tribunaux de commerce existent depuis très longtemps ; leur prestige a-t-il disparu ? Mais non. Il est certain que si ces tribunaux de commerce avaient commis des iniquités, les gens lésés dans leurs intérêts n'auraient pas manqué de réclamer. (Interruption.)
Certainement, si d'une manière constante et persistante il y avait eu des abus, des injustices, de nombreuses protestations auraient surgi. Or, il n'en est rien. La presse ne s'occupe pas plus des tribunaux de commerce que de toute autre question. Au contraire, à part certains incidents qui se sont produits à Anvers et que l'honorable M. Jacobs voudra bien ne pas attribuer exclusivement à l'institution des tribunaux de commerce, il y avait dans l'affaire d'Anvers, l'honorable M. Jacobs ne l'ignore pas, autre chose que la question même de l'institution, je n'ai pas vu qu'on se soit occupé spécialement des tribunaux de commerce.
Et si nous consultons l'opinion publique, que voyons-nous ? Dans le conseil provincial du Brabant, principalement intéressé à la question, puisque la province compte deux tribunaux de commerce, ceux de Bruxelles et de Louvain, la question est longuement discutée ; les avocats dont on invoque l'opinion interviennent dans le débat et ils se prononcent en majorité en faveur du maintien des tribunaux de commerce et la majorité du conseil provincial se rallie à leur opinion.
Si donc il y a quelque chose à conclure de la situation actuelle, c'est qu'on ne demande pas la modification du système. Et savez-vous pourquoi on ne le demande pas ? Parce que les négociants tiennent à deux choses : à la rapidité de la procédure et à l'économie des frais.
L'honorable M. Orts et l'honorable M. Jacobs disent que l'amendement tend au même but, je ne le crois pas. Il ne suffit pas de dire dans la loi : Il y a une juridiction commerciale, pour que l'on modifie les habitudes du juge civil. Vous aurez beau dire : Le juge civil remplacera le juge de commerce ; il ne le remplacera pas. Il obéira aux traditions et l'on plaidera six mois ou un an au lieu de deux mois.
Si nous avions la réforme du code de procédure ; si nous étions arrivés à une simplification de la procédure civile ; si nous avions pu, par une réforme de l'organisation judiciaire dans les tribunaux civils, faire en sorte que les affaires ne fussent pas arrêtées aussi longtemps, alors la question des tribunaux de commerce se présenterait dans de meilleures conditions. Vous auriez peut-être, à part la question de constitutionnalité qui doit être réservée et que j'entends réserver aussi, des arguments pour étayer votre opinion.
Ce ne sera pas quand vous aurez fait de la justice civile une justice plus expéditive que vous serez fondés à la donner aux commerçants ; aujourd'hui ils n'en veulent pas, quels que soient les inconvénients de la juridiction consulaire.
On a parlé de la manière dont la justice est rendue par les tribunaux de commerce. Eh bien, il y a différents relevés des affaires qui ont été portées devant les cours d'appel dans les trois ressorts de ces cours, affaires jugées par les tribunaux civils et affaires jugées par les tribunaux de commerce, et vous allez voir que dans les affaires commerciales les jugements rendus par les tribunaux civils ont été réformés en plus grand nombre que les jugements rendus par les tribunaux de commerce.
M. Orts. - Je ne suis pas très convaincu de l'exactitude de celle statistique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis pas garantir l'exactitude de cette statistique ; je commence par déclarer que je ne l'ai pas faite moi-même ; elle peut contenir des erreurs parce que le travail a été fait assez rapidement ; si on veut la rectifier, on la rectifiera, mais voici ce qu'elle constate : De 1860 à 1865, 406 affaires venant des tribunaux de commerce ont été jugées contradictoirement par les cours d'appel, 306 jugements ont été confirmés, 160 ont été réformés, c'est-à-dire, deux tiers maintenus et un tiers réformé.
Dans le même laps de temps, 77 affaires commerciales jugées par les tribunaux civils ont été déférées aux cours d'appel, 44 jugements ont été confirmés et 33 réformés. Soit moins des trois cinquièmes de jugements confirmés, et plus des deux cinquièmes réformés.
Je ne veux pas en conclure que les tribunaux de commerce connaissent mieux le droit que les tribunaux civils, ce serait une absurdité, mais je veux établir que l'on a tort de croire à l'existence d'un grand nombre d'abus. N'oublions pas qu'à côté des tribunaux de commerce il y a un greffier qui a intérêt à ce que le tribunal juge bien.
On a dit que les greffiers avaient intérêt à faire rendre des jugements interlocutoires. Ce n'est certainement pas dans les grandes villes qu'un intérêt de ce genre peut exister ; car les rôles des tribunaux de commerce y sont surchargés, et le greffier a bien plus intérêt à voir rapidement terminer les affaires qu'à les entraver.
Je ne dis pas que les greffiers ne peuvent pas manquer à leurs devoirs, mais il faut bien admettre que les greffiers sont ordinairement choisis parmi les avocats honorables du barreau, et que, par conséquent, on n'est pas fondé à suspecter leur intégrité.
Il est donc certain que si la Chambre veut faire une réforme, le mieux sera de la réaliser lorsque nous aurons vu à quel système de procédure nous devons nous arrêter.
Quand nous aurons réformé le code de procédure civile, nous pourrons nous occuper de nouveau des tribunaux de commerce, sauf toujours la question de constitutionnalité.
Examinons maintenant la réforme au point de vue pécuniaire. Si le code de procédure civile est révisé dans des vues de simplification, les tribunaux auront moins de besogne, et alors vous pourrez peut-être, si la Constitution le permet, leur déférer, sans surcroît de dépense, le jugement des affaires commerciales.
Si vous faites la réforme maintenant, le ministre de la justice, quel qu'il soit, sera obligé de faire porter au budget 500,000 ou 600,000 fr. (page 599) de plus tous les ans pour la justice consulaire. (Interruption.) Je vais vous expliquer pourquoi. Sans doute deux ou trois tribunaux civils pourraient peut-être être chargés du jugement des affaires commerciales sans qu'il soit nécessaire d'augmenter leur personnel ; mais dans les grands centres, comme Bruxelles par exemple, croyez-vous qu'il ne serait pas nécessaire d'ajouter plusieurs chambres au tribunal civil ? Vous serez obligés d'avoir tout un personnel pour les faillites. Notez que les juges suppléants des tribunaux civils n'accepteront pas, comme les juges suppléants des tribunaux de commerce, les fonctions de juges-commissaires ; ils n'assisteront pas aux inventaires, ils ne surveilleront pas les ventes, et vous serez obligés de nommer autant de juges titulaires.
M. Orts. - Comment faites-vous à Charleroi ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce sont les juges civils qui sont juges-commissaires à Charleroi et il faudrait me dire combien il y a de faillites à Charleroi. Vous parlez de Charleroi, mais vous oubliez que les habitants de Charleroi se sont plaints que la justice consulaire ne marchât pas assez rapidement.
On a dit qu'on ne se plaint pas des tribunaux civils jugeant commercialement ; on ne se plaint pas des personnes, mais on se plaint des lenteurs que subissent les affaires et cela est inhérent aux tribunaux civils.
La question est donc de savoir si la Chambre peut déclarer que hic et nunc on portera au budget 500,000 ou 600,000 fr. pour déférer aux juges civils la juridiction consulaire. Un grand intérêt est en jeu dans ce débat, car s'il continue, la justice consulaire perdra tout son prestige ; si donc on veut faire la réforme, il faut la voter immédiatement, en faire l'objet d'un projet de loi séparé qui devra être envoyé de suite au Sénat, car les juges consulaires ne rempliront plus leurs fonctions avec le même zèle qu'aujourd'hui ; ils seront moralement destitués.
Les considérations pratiques que je viens de développer seront, je l'espère, pesées par la Chambre, et elles engageront même les membres qui seraient les adversaires des tribunaux de commerce à ajourner la réforme vers laquelle tendent leurs efforts.
Une seule observation sur l'amendement de l'honorable M. Jacobs ; cet amendement n'a pas toute la portée qu'on lui prête. Il ne maintient pas la procédure commerciale, il se borne à supprimer la présence du ministère public et le ministère des avoués.
J'engage vivement la Chambre à repousser cet amendement.
- Il est procédé à l'appel nominal sur l'amendement de M. Jacobs.
78 membres y prennent part. -
21 répondent oui.
57 répondent non.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui :
MM. Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Vermeire, Watteeu, Anspach, de Coninck, Delaet, de Liedekerke, de Smedt, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Dupont, Hayez, Jacobs, Janssens, Landeloos, Lelièvre, Nothomb, Orts et Preud'homme.
Ont répondu non :
MM. Alp. Vandenpeereboom, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Wouters, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Haerne, E. de Kerckhove, Delcour, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, de Woelmont, Dolez, Funck, Gerrits, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jonet, Jouret, Julliot, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Liénart, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Orban, Rogier, Sabatier, Schollaert, Tack, Tesch, T'Serstevens et Ernest Vandenpeereboom.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'amendement de MM. Lelièvre et Thonissen.
67 membres y prennent part.
11 répondent oui.
56 répondent non.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui :
MM. Wouters, E. de Kerckhove, Delcour, de Smedt, Dewandre, Funck, Jacobs, Jonet, Landeloos, Lelièvre et Liénart.
Ont répondu non :
MM. Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Watteeu, Allard, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, Bruneau, Carlier, de Brouckere, de Coninck, de Florisone, De Fré, de Haerne, De Lexhy, de Macar, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, de Terbecq, de Theux, Dethuin, de Vrière, de Woelmont, Dolez, Dumortier, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Julliot, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Magherman, Moncheur, Moreau, Nothomb, Orban, Orts, Preud'homme, Sabatier, Schollaert, Tack, Tesch et Ernest Vandenpeereboom.
MpVµ. - Messieurs, conformément à une décision de la Chambre, le premier objet à l'ordre du jour, à la rentrée, sera le budget de la guerre.
- La Chambre s'ajourne au 12 mars prochain, à deux heures.
La séance est levée à 4 heures trois quarts.