(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 547) M. Thienpont, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Spalbeek appelle l'attention de la Chambre sur les dangers pour la santé publique de la circulation des viandes provenant du bétail abattu à Hasselt et la prie d'aviser aux mesures que réclame cette situation. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre de discuter le 19 mars prochain, toute affaire cessante, la loi sur la réforme électorale. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Anvers prient la Chambre de rejeter le projet de loi du gouvernement relatif à la réforme électorale et d'adopter la proposition de M. Guillery. ».
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« M. Pirmez, obligé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
dépôt d'un rapport.
M. Thonissenµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport fait au nom de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi allouant au département de l'intérieur des crédits supplémentaires s'élevant à 660,000 francs pour l'exercice 1867.
- Ce rapport sera imprimé et distribué.
M. Thonissenµ. - Je viens de déposer un rapport sur le projet de loi allouant au département de l'intérieur un crédit de 660,000 francs destiné à accorder des indemnités du chef du bétail abattu à l'occasion de l'invasion de la peste bovine. Ce rapport sera imprimé et envoyé ce soir aux membres de la Chambre. Comme il s'agit d'un projet urgent et qui n'est pas de nature à provoquer de longues discussions, je prie la Chambre de vouloir bien le mettre à l'ordre du jour avant le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
MpVµ. - Comme il ne reste plus à voter que quelques articles du titre IX du code pénal, il se peut que la Chambre aborde encore aujourd'hui la discussion générale du projet de loi sur l'organisation judiciaire. M. Thonissen ne jugerait-il pas utile de modifier sa proposition et de demander que le projet de crédit dont il a parlé soit porté en tête de l'ordre du jour de demain ?
M. Thonissenµ. - Je me rallie à cette proposition.
- Cette proposition est adoptée.
De la destruction des animaux.
« Art. 538. Quiconque aura empoisonné des chevaux ou autres bêtes de voiture ou décharge, des bestiaux à cornes, des moutons, chèvres ou porcs, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs. »
- Adopté.
« Art. 539. Quiconque aura jeté dans une rivière, un canal, un ruisseau, un étang, un vivier ou un réservoir, des substances de nature à détruire le poisson et dans le but d'atteindre ce résultat, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois et d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs. »
- Adopté.
« Art. 540. Ceux qui, sans nécessité, auront tué l'un des animaux mentionnés à l'article 538, ou lui auront causé une lésion grave, seront punis ainsi qu'il suit :
« Si le délit a été commis dans les bâtiments, enclos et dépendances, ou sur les terres dont le maître de l'animal tué ou blessé était propriétaire, locataire, colon ou fermier, la peine sera un emprisonnement d'un mois à six mois et une amende de cinquante francs a trois cents francs.
« S'il a été commis dans les lieux dont le coupable était propriétaire, locataire, colon ou fermier, la peine sera un emprisonnement de huit jours à deux mois et une amende de vingt-six francs à cent francs.
« S'il a été commis dans tout autre lieu, l'emprisonnement sera de quinze jours à trois mois et l'amende de cinquante francs à deux cents francs. »
M. Lelièvreµ. - Quoique l'article en discussion ne parle pas de l’usufruitier et de l'usager, à l'exemple de ce qui est écrit dans l'article 538, je pense que notre disposition s'applique à tous ceux qui ont la jouissance légale des baux énoncés en l'article. En un mot l’énumération écrite dans l'article que nous discutons n'est pas limitative. J'ai exprimé cette opinion afin qu'il ne puisse s'élever aucun doute à cet égard.
- L'article 540 est adopté.
« Art. 541. Quiconque aura, sans nécessité, tué un animal domestique autre, que eaux qui sont mentionnés dans l'article 538, ou lui aura causé une lésion grave dans un lieu dont celui à qui cet animal appartient est propriétaire, usufruitier, usager, locataire, colon ou fermier, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois, et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ou d'une de ces deux peines seulement.
« Les mêmes peines seront portées si ces faits ont été commis méchamment sur un animal apprivoisé ou sur un animal entretenu en captivité, dans les lieux où ils sont gardés, ou sur un animal domestique au moment où il était employé au service auquel il était destiné et dans un lieu où son maître avait le droit de se trouver.
M. Delaetµ. - Messieurs, cet article me paraît avoir une portée un peu trop étendue. Il y a des animaux domestiques aussi nuisibles aux voisins que le sont des animaux de proie. Ainsi, le chat d'un voisin peut venir détruire des poules, des oiseaux de volière ; il sera dès lors aussi nuisible qu'une fouine. Si on tue le chat, sera-ce par nécessité, ou seulement par utilité ou par convenance ? Et tombera-t-on sous l'application de la pénalité comminée par l'article 541 ? Il y a là un éclaircissement à donner, et j'ai l'honneur de le demander à M. le ministre de la justice.
M. Lelièvreµ. - Je pense que dans le cas indiqué par l'honorable M. Delaet il n'y aura pas de délit, par le motif que l'auteur du fait prévu par notre article aura agi en état de légitime défense de sa propriété. Le cas de nécessité existera en pareille occurrence. C'est, du reste, en ce sens que s'est prononcée la jurisprudence relativement à une disposition analogue du code pénal de 1810.
M. Orts. - Messieurs, le texte de l'article donne pleine satisfaction à l'honorable M. Delaet, non seulement pour ces mots : « sans nécessité » mais encore par l'ensemble de son texte. Il défend de tuer un animal domestique sur le terrain de son maître. Si donc un animal domestique (page 548) est un voisin dangereux et envahisseur, celui sur le terrain duquel le chat maraudeur sera trouvé en flagrant délit de déprédation le tuera et agira dans un cas de légitime défense de ses poules ou de ses volières.,
Seulement, il n'est pas permis d'aller tuer le chat sur le terrain de son maître.
- Personnes ne demandant plus la parole, l’article 541 est mis aux voix et adopté.
« Art 542. Dans les cas prévus aux articles précédents, s'il y a eu violation de clôture, le minimum de la peine sera élevé conformément à l’article 266. »
- Adopté.
« Art. 545. Si les faits prévus dans les sections V et VI du présent chapitre ont été commis soit en haine d'un fonctionnaire public et à raison de ses fonctions, soit pendant la nuit, le minimum de la peine sera élevé conformément à l'article 266. »
- Adopté.
« Art. 544. Les auteurs et les complices des délits prévus dans les sections II à VI du présent chapitre, qui seront en état de récidive pour faits de même nature, pourront être placés sous la surveillance spéciale de la police pendant deux ans au moins et cinq ans au plus. »
- Adopté.
« Art. 545. Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ou d'une de ces peines seulement, quiconque aura, en tout ou en partie, comblé des fossés, coupé ou arraché des haies vives ou sèches, détruit des clôtures rurales ou urbaines, de quelques matériaux qu'elles soient faites ; déplacé ou supprimé des bornes, pieds corniers ou autres arbres plantés ou reconnus pour établir les limites entre différents héritages. »
- Adopté.
« Art. 546. Lorsque les faits prévus par l'article précédent ont été exécutés dans le but de commettre une usurpation de terrain, la peine sera un emprisonnement d'un mois à un an et une amende de cinquante francs à deux mille francs. »
- Adopté,
« Art. 547. Seront punis des travaux forcés de dix ans à quinze ans, ceux qui auront méchamment ou frauduleusement inondé tout ou partie des travaux d'une mine.
« Si, d'après les circonstances, le coupable a dû présumer qu'il se trouvait dans la mine une ou plusieurs personnes au moment de l'inondation, il sera condamné aux travaux forcés de quinze ans à vingt ans. »
- Adopté.
« Art. 549. Toute personne qui aura méchamment ou frauduleusement inondé l'héritage d'autrui, ou lui aura transmis les eaux d'une manière dommageable, sera condamnée à une amende de vingt-six francs à trois cents francs. »
- Adopté.
« Art. 550. Seront punis d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs, les propriétaires, les fermiers ou toutes autres personnes jouissant de moulins, usines ou étangs qui, par l'élévation du déversoir de leurs eaux au-dessus de la hauteur déterminée par l'autorité compétente, auront inondé les chemins ou les propriétés d'autrui.
« S’il est résulté de ces faits quelques dégradations, la peine sera, outre l'amende, d'un emprisonnement de huit jour a un mois. »
- Adopté.
MpVµ. - La discussion générale est ouverte.
M. Lelièvreµ. - Le projet soumis à la Chambre est l'œuvre d'une commission spéciale composée des hommes les plus éminents appartenant à la magistrature. Lorsqu'il fut présenté en 1856 à la législature, il contenait nombre de dispositions concernant les matière de compétence déférées aux cours et tribunaux en général ; il réglait tout ce qui était relatif aux conflits et présentait un ensemble complet et remarquable concernant l'organisation judiciaire. Je regrette qu'on ait cru devoir le réduire à ce que l'exposé des motifs qualifie lui-même de travail de simple codification.
Nous sommes ainsi privés du bienfait d'une foule de dispositions qui réalisaient des améliorations importantes à introduire dans la législation en vigueur ; d'un autre côté, ce qui concerne la compétence des cours et tribunaux faisait partie intégrante de l'organisation judiciaire, et devait naturellement trouver sa place dans un projet de la nature de celui que nous discutons. Je regrette de devoir signaler cette lacune, et je n'hésite pas a donner la préférence au projet de 1856.
Quant aux dispositions que contient le projet en discussion, je pense d'abord que sans nécessité il recule l'âge auquel l'accès est ouvert aux diverses fonctions dont il s'occupe. Pourquoi s'écarter, à cet égard de la loi du 20 avril1810 ? Il me semble même que l'on pourrait admettre d'une manière uniforme l'âge de vingt-cinq ans. A cet âge, il est possible d'arriver aux positrons politiques et administratives les plus éminentes. On peut devenir le chef de la magistrature, tandis que d'après le projet on ne pourrait occuper les places inférieures. C'est là une anomalie qu'il est impossible d'admettre dans la législation. II est évident qu'il faut placer les fonctions judiciaires sur la même ligne que les fonctions administratives et politiques. C'est aux autorités appelées à pourvoir aux emplois qu'il appartient d'examiner si les candidats présentent par leur âge les garanties nécessaires pour s'acquitter convenablement des fonctions auxquelles ils aspirent, mais je ne voudrais pas admettre une prescription légale reportant l’âge voulu à un terme trop reculé et peu en harmonie avec le degré de notre civilisation.
Le ministre de la justice actuel ne pourrait être membre de la cour de cassation. Semblable conséquence démontre à l'évidence l'inadmissibilité du nouvel ordre de choses que l'on veut introduire.
Quant à la juridiction des tribunaux de commerce, j'estime que si l'on maintient ces tribunaux d'exception, il est indispensable, dans l'intérêt de. la bonne administration de la justice, de les faire présider par un magistrat civil.
Il n'est personne qui, après avoir vu fonctionner ces tribunaux, ne soit convaincu de la vérité de ce système.
Comment veut-on que des négociants étrangers aux matières de droit puissent sainement apprécier les difficultés graves que présentent presque toujours les affaires commerciales ayant de l'importance ? Il s'élève souvent des questions de procédure qu'il est indispensable de juger séance tenante.
Les juges commerciaux ont besoin d'être éclairés par un homme spécial, au courant des principes de la législation. Il convient que l'on rencontre cet homme au sein même du tribunal et que les juges ne soient pas forcés de recourir ailleurs, en sollicitant l'avis de personnes qui ne présentent pas des garanties suffisantes au point de vue des principes de bonne justice.
On a suivi la voie que j'indique relativement à la cour militaire, et personne ne méconnaît les heureux résultats de la mesure décrétée à cet égard par la loi de 1849.
Il est évident que le même principe rendu applicable à la juridiction consulaire produira également les meilleurs fruits. Les contestations commerciales présentent souvent les questions de droit les plus ardues. Comment veut-on qu'elles soient résolues par le tribunal d'après ses propres lumières, s'il ne se trouve parmi ses membres un jurisconsulte qui par ses études spéciales ait l'habitude de semblables difficultés ?
Ce n'est pas tout. Nul n'ignore que souvent les juges commerciaux sont appelés à plaider et à défendre leurs intérêts devant le tribunal dont ils font partie. C'est encore là un motif puissant qui doit porter le législateur à conférer la présidence du siège à un magistrat impartial qui, par sa position en dehors de toute influence, inspire toute confiance aux justiciables.
Je ne crains pas, du reste d'affirmer que tous les barreaux du pays sont inanimés à reconnaître la nécessité de la mesure que je défends. La dignité de la justice exige que les décisions judiciaires soient respectées et ne puissent être suspectées sous aucun rapport. Or, l'institution d'un président civil aura certainement pour conséquente de relever la justice consulaire, en lui donnant un prestige dont elle ne peut se passer.
L'élément commercial conserve, du reste, une notable influence et c’est tout ce que l'on peut légalement désirer.
(page 549) Il s'agit ici d'un objet de l'ordre le plus élevé et il n'est pas possible que des considérations d'amour-propre individuel viennent contrebalancer les graves intérêts de la justice.
Du reste, tous ceux qui ont vu de près fonctionner les juridictions dont il s'agit, non moins que les justiciables qui ont eu à soulever devant elles des contestations importantes, proclament la nécessité de la mesure que je propose, comme seule propre à faire cesser les abus existants.
Les officiers de l'armée occupant les positions les plus élevées qu'ils ont conquises au prix de services signalés rendus au pays, ne se sont pas crus amoindris parce que la loi a appelé un conseiller de la cour d'appel à présider la cour militaire. A quel titre les négociants seraient-ils plus susceptibles ? Il s'agit d'ailleurs d'assurer la bonne administration de la justice, et cet intérêt est trop élevé pour qu'il ne fasse pas taire toutes considérations secondaires.
La première condition pour qu'un tribunal remplisse convenablement sa haute mission, c'est qu'il soit indépendant et à même de comprendre les questions qui se discutent devant lui. A ce point de vue, la présidence déférée à un magistrat de l'ordre civil produira les meilleurs fruits, et je suis convaincu que les bienfaits de semblable institution ne tarderaient pas à être généralement appréciés.
Je préférerais, du reste, la suppression complète de la juridiction consulaire au maintien du régime actuel, qui laisse tant à désirer. Un grand nombre de tribunaux civils s'occupent également des affaires commerciales, et jamais cet état de choses n'a donné lieu à des plaintes sérieuses.
J'estime donc que le système développé par mon exposé satisfait à des nécessités qu'il est impossible de méconnaître. Il est, du reste, conforme aux dispositions du projet de 1856.
Il me reste à dire quelques mots sur un amendement de la commission. Celle-ci propose de conférer aux juges de paix la connaissance des affaires de commerce dans les limites de la compétence de ces magistrats, mais elle pense que l'appel des décisions devrait être déféré aux tribunaux de commerce.
Il m'est impossible de partager cette opinion. Il est préférable, à mon avis, de porter les appels devant le tribunal civil, d'abord parce que c'est ce tribunal qui est le juge supérieur, relativement aux juges de paix, et en second lieu, parce que le système proposé ferait souvent naître des contestations sérieuses pour des causes de peu d'intérêt.
En effet, l'on sait que la question de compétence, en ce qui concerne certaines affaires, présente, souvent de graves difficultés. S'agit-il d'actes de commerce ou bien d'une affaire purement civile, c'est la souvent une question bien délicate. Eh bien, si l'on appelle les tribunaux de commerce à s'occuper, en certains cas, des appels des décisions rendues par le juge de paix, il se présentera fréquemment des questions de compétence. L'intimé soutiendra que l'appel a été incompétemment porté devant le tribunal de commerce et cette contestation contribuera à faire absorber en frais l'objet du litige en donnant lieu à de grave, complications que l'on éviterait si l'on appelait la juridiction civile à statuer sur l'appel.
Du reste si les cours royales sont appelées à connaître des appels des jugements des tribunaux de commerce, pourquoi le tribunal civil, qui a la plénitude de la juridiction, ne statuerait-il pas sur les appels formés contre les décisions des juges de paix prononçant en matière commerciale ?
Ne changeons pas l'ordre des juridictions. On peut, à mon avis, attribuer sans inconvénient, aux juges de paix la connaissance des affaires commerciales, dans les limites de la compétence établie par la loi du 25 mars 1841, mais que l'appel ne soit pas porté devant le tribunal de commerce, juridiction exceptionnelle qui n'a jamais été appelée à statuer à l'égard des jugements rendus par un juge civil tel que le juge de paix. A mon avis, l'innovation proposée serait loin de produire d'heureux résultats.
Je dois du reste faire observer que le système de la commission est conforme à un projet présenté en 1848 par l'honorable M. de Haussy. Or, ce système a été rejeté par la section centrale en 1849, et le gouvernement a retiré le projet qui le sanctionnait. Ce précédent, qui appuie mon opinion, est un argument nouveau qui repousse l'amendement de la commission auquel il m'est impossible de me rallier.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, l'honorable M. Lelièvre, en terme de discussion générale, a soulevé trois questions.
Il a trouvé trop élevé l'âge auquel le projet permet d'appeler à siéger dans les différents degrés de la hiérarchie judiciaire. Il a pensé que nous avions été trop sévères en demandant un âge plus élevé que celui auquel il est permis de siéger dans cette enceinte. C'est là, messieurs, une question qui se présentera à l'occasion de chacun des articles où l'on a déterminé l'âge auquel il est permis de nommer à l’une des fonctions judiciaires. L'honorable M. Lelièvre nous permettra donc de renvoyer l'examen de ces observations aux articles très différents qui fixent l'âge auquel on peut être nommé juge de paix, membre d'un tribunal de première instance, membre d'une cour d'appel ou membre de la cour de cassation.
L'honorable M. Lelièvre a critiqué la composition des tribunaux de commerce proposée par le gouvernement et acceptée par la commission, composition qui est le maintien de l'état de choses actuellement en vigueur. Lorsque nous serons arrivés à cet article, si l'honorable M. Lelièvre propose un amendement dans le sens des observations qu'il vient de présenter, je lui répondrai et je combattrai cet amendement ; mais aussi longtemps qu'aucune proposition n'est faite, je renverrai purement et simplement l'honorable M. Lelièvre aux raisons données dans l'exposé des motifs et dans le rapport de la commission.
L'honorable M. Lelièvre a critiqué enfin la disposition nouvelle, introduite dans le projet de loi par la commission. Je ne sais encore si le gouvernement se rallie à cette innovation, qui consiste à donner aux juges de paix le droit de connaître, dans les limites de leur compétence ordinaire, des affaires commerciales
L'appel serait, d'après la commission, porté devant le tribunal de commerce et non pas devant le tribunal civil. Nous avons été, comme le dit le rapport, déterminés dans le choix de cette juridiction supérieure par des considérations d'économie auxquelles l'honorable M. Lelièvre, jusqu'à présent, n'a rien répondu. Il est incontestable que le bienfait principal de la juridiction consulaire, c'est l'économie des frais pour les justiciables ; or, si l'affaire déférée au juge de paix devait être déférée au tribunal civil, il est certain que l'avantage économique disparaîtrait. Que l'honorable. M. Lelièvre veuille bien attendre, pour approfondir ce sujet, que le projet de la commission soit mis en discussion, alors nous pourrons examiner la question, mais, en attendant, je me borne à faire remarquer que les observations présentées sont la discussion anticipée de trois ou quatre dispositions du projet.
M. Lambertµ. - J'ai suivi avec intérêt les observations générales que l'honorable M. Lelièvre a présentées à propos du rapport actuellement en discussion ; j'ai été frappé de la justesse de plusieurs de ces observations et j'avoue que je n'ai point compris le motif pour lequel l’honorable rapporteur n'y répond pas. En effet, l'honorable M. Orts s'est borné à dire : Mais pour le moment il n'y a pas d'amendements. Donc il n'y a rien à discuter. Mais il me semble que cette réponse est la négation complète de l'utilité d'une discussion générale.
Nous discutons, messieurs, d'une manière générale sur le projet de loi qui est soumis à nos délibérations pour nous instruire d'une façon également générale, et cette discussion doit nécessairement laisser quelque fruit dans les esprits des auditeurs. Je crois donc, messieurs, que les observations de l'honorable M. Lelièvre doivent être prises en sérieuse considération par tous les membres de cette Chambre, et j'en ajouterai quelques-unes pour lesquelles je demande aussi quelque attention.
Je ne suis pas partisan, messieurs, de l'innovation qui se trouve insérée dans le travail de la commission ; cette innovation consiste à saisir MM. les juges de paix de la connaissance des affaires commerciales dans la limite de leur compétence ordinaire.
Messieurs, je crains toujours des jugements rendus par une seule personne. Il n'y a pas de contradiction possible ou du moins elle est rare, et il en résulte que la sentence rendue dans ces conditions échappe souvent à la critique, et il faut de la critique en matière judiciaire. On veut conférer au juge de paix un énorme surcroît de besogne ; sera-t-il en état de s'en acquitter ? Je crois réellement qu'il ne pourra y suffire.
Les juges de paix, ne l'oublions pas, avaient été investis d'une fonction d'une nature toute paternelle. Leur mission principale consistait beaucoup moins à rendre des jugements qu'à les prévenir. On s'est départi singulièrement de cette idée originaire et l'on a augmenté toujours et toujours leur compétence, de sorte qu'aujourd'hui, abstraction même de la nouvelle commission qu'ils vont recevoir, si le projet est adopté, ils ont déjà tout leur temps absorbé.
Vous imaginez-vous, messieurs, qu'un juge de paix pourra suffire à l'énorme besogne dont il va être surchargé, par suite de la connaissance des affaires commerciales, dont il aura à connaître ? On ne peut en juger par ce qui se passe dans les centres de population, parce que l'objet de la demande judiciaire est presque toujours d'une valeur considérable.
(page 550) Nous qui vivons dans des tribunaux de deuxième et de troisième classe, nous voyons à combien de procès donnent lieu, en matière commerciale, des contestations inférieures à 200 francs et, pour nia part, je ne puis m'imaginer qu'un juge de paix pourra suffire à une telle besogne.
J'appellerai l'attention sur un autre ordre d'idées.
Messieurs, jusqu'à présent les justices de paix se sont plus ou moins ressenties de l'origine que j'ai déterminée tout à l'heure ; elles sont restées plus ou moins paternelles et, il faut bien l'avouer, elles ont conservé ce caractère parce que les avocats y faisaient défaut.
Si l'on porter de nombreux procès devant les justices de paix, il va surgir une espèce de barreau que j'appellerai barreau déclassé.
On y verra des hommes d'affaires, toujours animés à exciter les procès parce qu'ils en vivent et parce qu'ils en vivent sans dignité.
Vous y verrez des personnes qui portent diplôme, mais qui n'ont pas su conquérir une position dans un barreau honorable ; elles aussi seront du barreau déclassé. De là surgiront procès sur procès, et appels sur appels, et cela pour des sommes véritablement minimes. Eh bien, c'est là un danger que je signale à l'attention de la Chambre.
De tous temps, messieurs, le législateur s'est montré sévère pour les actes d'appel ; il n'a pas voulu que les plaideurs irrités allassent, bride abattue, en appel ; il a fixé une limite de compétence ; autrefois pour que l'appel fût reçu, il fallait que la somme litigieuse s'élevât à plus de 1,000 fr. quand il n'y avait pas de principes entamés, telle qu'une question de compétence ; plus tard, en 1841, on a augmenté le chiffre de la compétence d'appel de façon à rendre les procès encore plus rares ; il fallut que l'objet de la demande atteignît 2,000 fr. ou, s'il s'agissait d'immeubles, que le revenu s'élevât à 75 fr.
Que va-t-il arriver avec le projet actuel ? C'est que le débiteur aux abois pour retarder sa condamnation ne manquera pas de formuler appel quand il s'agira d'une somme supérieure à 100 francs. Car aux termes de la loi de 1841 les sentences des juges de paix sont susceptibles d'appel dès que la somme dépasse 100 francs.
Aussi verrez-vous les tribunaux de commerce et de première instance regorger de procès, de mauvaises chicanes, uniquement parce qu'on aura ouvert la porte en matière de commerce à des appels pour des sommes minimes.
Il faut, pour apprécier le danger que je signale, connaître l'esprit, non des négociants des grandes villes, mais des petits négociants. Ceux-ci useront de tous les moyens, croyez-moi, pour retarder leur condamnation ; ils dépenseront 50 fr. pour ne pas payer, dans la quinzaine, une somme de 100 fr. ; en sorte, que le négociant qui aura fourni sa marchandise se verra traîner devant un tribunal d'appel et aura encore à supporter de ce chef des dépenses considérables.
Je sais bien qu'on peut m'objecter que le code de procédure rend exécutoires par provision les jugements rendus par les juges de paix jusqu'à concurrence de 300 francs. Mais il n'en est pas moins vrai que, nonobstant l'exécution provisoire, on intentera encore l'appel, de sorte que le négociant aura toujours à supporter deux procès, l'un en première instance, l'autre en appel. Eh bien, je ne puis pour ma part ratifier cette innovation ; je préfère la marche suivie jusqu'à présent. Que les tribunaux de commerce restent ce qu'ils étaient, ou qu'on leur donne un président appartenant au corps judiciaire, peu importe, mais que le premier degré de juridiction reste compose de trois juges pouvant s’éclairer mutuellement sur les causes dont ils connaîtront.
Dans ces conditions, la justice a plus de chances d'être mieux rendue que par une seule personne qui, le plus souvent, n'aura que bien peu de notions des matières commerciales. C'est pourquoi tout en me réservant de présenter un amendement en temps et lieu, je crois devoir, des maintenant, sous forme de discussion générale, refuser mon adhésion à la partie du rapport que je viens d'examiner.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demande la parole pour faire, à l'honorable M. Lambert, une observation dans le sens de celle de l'honorable M. Orts. C'est que le moment n'est pas venu de discuter les articles. (Interruption.) L'honorable membre nous disait : C'est la suppression de la discussion générale. Cela n'est pas tout à fait exact : la discussion générale est maintenue, mais à la condition qu'elle porte sur l'ensemble du projet de loi. Il est évident que tout ce qu'a dit l'honorable M. Lambert se rapporte à un seul article du projet de loi, et il me semble qu'il sera plus utile de lui répondre quand nous serons arrivés à cet article. Je crois donc devoir différer ma réponse à l'observation de l'honorable membre, ainsi que l'appréciation que j'ai à faire de l'amendement de la commission.
- La discussion générale est close.
M. Orts, rapporteur. - Avant de passer à la discussion des articles, je dois rappeler que la commission a proposé la suppression du préambule du projet de loi, qui n'est autre chose que la reproduction de onze articles de la Constitution. Je demanderai à M. le ministre de la justice de nous dire s'il voit une utilité quelconque au maintien de ce préambule.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à supprimer ce préambule. Je déclare en même temps que je me rallie également à l'opinion de la commission quant à l'article premier ; cet article, qui n'est, lui aussi, que la reproduction d'un article de la Constitution, peut également être supprimé.
M. Thonissenµ. - Je n'ai pas d'objection à faire contre la suppression de l'article premier. Cet article est ainsi conçu : « Le pouvoir judiciaire est exercé en matière civile et criminelle par les juges de paix, les tribunaux de première instance, les tribunaux de commerce, les cours d'appel et la cour de cassation. »
A mon avis, il serait dangereux et irrationnel de maintenir les tribunaux de commerce dans l'organisation actuelle. Je me proposais de. combattre ce système, et c'est dans ce but que j'avais demandé la parole. Cependant, comme mes observations s'appliquent plus spécialement à l'article 54, je renoncerai momentanément à la parole, sous réserve de la reprendre quand nous en viendrons à cet article.
- La suppression de l'article premier transcrit ci-dessus est mise aux voix et prononcée.
« Art. 2, Il y a un juge de paix et deux suppléants dans chaque canton judiciaire limité dans sa circonscription actuelle.
« Toutefois, le Roi peut, si les besoins du service le permettent, charger un juge de paix de desservir un canton continu, auquel cas ce juge n'a droit de ce chef qu'aux émoluments. »
- Adopté.
« Art. 3. Le siège et le ressort des justices de paix sont déterminés par le tableau joint à la présente loi. »
M. Orts, rapporteur. - Je prends la parole pour soumettre un doute à M. le ministre de la justice. Depuis que ce doute a surgi dans mon esprit, je n'ai pas vérifié si ce tableau, annexé au projet de loi, comprend les justices de paix établies jusque dans ces derniers temps ; je citerai notamment la justice de paix de Châtelet.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Elle y est.
M. Orts, rapporteur. - Dans ce cas, mon observation tombe et mon doute disparaît. Il est évident que l'article a pour but de maintenir les circonscriptions actuelles quelles qu'elles soient.
M. Maghermanµ. - L'article 3 porte que le siège et le ressort des justices de paix sont déterminés par le tableau joint à la présente loi. Or, quand on consulte ce tableau, on remarque qu'il indique seulement les chefs-lieux de justices de paix sans déterminer les communes du ressort. Je puis même dire que j'ai trouvé dans ce tableau des erreurs sous le rapport de l'indication des chefs-lieux. Ainsi on indique Ellezelles comme chef-lieu de canton ; or, depuis longtemps le chef-lieu de ce canton a été transféré à Flobecq. Il y aurait donc lieu de compléter l'indication des chefs-lieux par la nomenclature des communes qui font partie de chaque ressort.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le tableau annexé au projet de loi n'est pas complet. Il ne renseigne pas la création d'une nouvelle chambre au tribunal de première instance de Bruxelles et l'adjonction d'un juge à celui de Charleroi, non plus que le nouveau juge d'instruction nommé à Bruges. Le tableau était complet quand le projet de loi a été présenté ; depuis lors, quelques modifications ont été adoptées dont il devra être tenu compte.
M. Maghermanµ. - Quand le tableau sera complété, je verrai s'il n'y a pas de modifications à proposer quant aux différents ressorts.
M. Bara, ministre de la justiceµ. - Permettez. Il ne s'agit ici que des justices de paix, et quant à celles-ci le tableau est complet, puisqu'il renseigne la justice de paix de Châtelet, la dernière qui a été créée. Mon observation ne concernait que deux tribunaux de première instance et le juge d'instruction de Bruges. Quant à la circonscription des cantons, si l'honorable membre a des observations à faire, c'est maintenant qu'il devrait les présenter ; mais je dois dire que je ne suis nullement disposé, pour ma part, à modifier les circonscriptions actuelles des justices cantonales.
- L'article est adopté.
(page 551) « Art. 4. Nul ne peut être juge de paix s'il n'est âgé de vingt-cinq ans accomplis, et s'il n'a obtenu le grade de docteur en droit. »
- Adopté.
« Art. 5. Le juge de paix et ses suppléants sont nommés directement par le Roi.
« Les juges suppléants sont, comme le juge de paix lui-même, nommés à vie ; ils ne peuvent être nommés qu'à l'âge de vingt-cinq ans accomplis. »
- Adopté.
« Art. 6. Les audiences en matière civile et de police sont tenues au chef-lieu de chaque canton. »
- Adopté.
« Art. 7. Dans les communes divisées en deux justices de paix ou plus, le service du tribunal de police est fait successivement par chaque juge de paix en commençant par le plus ancien.
« Il peut aussi, dans ce cas, y avoir plusieurs sections pour la police ; chaque section est tenue par un juge de paix. »
- Adopté.
« Art. 8. En cas de maladie, absence ou autre empêchement du juge de paix, ses fonctions sont remplies par un suppléant.
« Les suppléants sont appelés à remplacer le juge de paix suivant l'ordre de leur nomination. »
- Adopté.
« Art. 9. En cas d'empêchement légitime d'un juge de paix et de ses suppléants, le tribunal de première instance, dans l'arrondissement duquel est située la justice de paix, renvoie les parties devant le juge de paix du canton le plus voisin.
« La distance d'une justice de paix à l'autre est réglée d'après celle des chefs-lieux entre eux.
« Le jugement de renvoi est rendu à la demande de la partie la plus diligente sur simple requête, sur les conclusions du procureur du roi, parties présentes ou dûment appelées.
« Ce jugement n'est susceptible ni d'opposition, ni d'appel. »
- Adopté.
« Art. 10. Il y a dans chaque justice de paix un greffier qui est nommé et peut être révoqué par le Roi. »
- Adopté.
« Art. 11. Les greffiers des justices de paix peuvent avoir un ou plusieurs commis greffiers dont ils sont responsables et dont le traitement est à leur charge. »
- Adopté.
« Art. 12. Nul ne peut être nommé greffier d'une justice de paix s'il n'est âgé de vingt-cinq ans accomplis.
« Nul ne peut être nommé commis greffier d'une justice de paix s'il n'a vingt et un ans accomplis. »
- Adopté.
« Art. 13. Les commis greffiers des justices de paix sont nommés et peuvent être révoqués par les greffiers. »
- Adopté.
« Art. 14. Le greffier de la justice de paix remplit ses fonctions au tribunal de police.
« Dans le cas de l'article 7, chaque greffier fait le service avec le juge auquel il est attaché. »
- Adopté.
« Art. 15. Les greffiers des justices de paix sont autorisés à faire les prisées et ventes publiques, au comptant, des meubles et effets mobiliers, en se conformant aux lois et règlements qui y sont relatifs.
« Cette attribution n'appartient pas aux commis greffiers. »
M. Maghermanµ. - Messieurs, l'article 15 dispose que les greffiers des justices de paix sont autorisés à faire les ventes publiques « au comptant » ; jusqu'ici ces fonctionnaires ont fait des ventes, non seulement au comptant, mais encore dans les conditions ordinaires, c'est-à-dire à terme ; je ne vois pas pourquoi on leur interdit de faire des ventes à terme. Je n'en vois pas l'utilité ; au contraire, cela présente des inconvénients au point de vue de la vente avantageuse.
M. Orts, rapporteur. - Messieurs, la disposition contenue dans l'article 15 du projet est le maintien de la législation existante. C'est une loi de la république du 22 pluviôse an VII qui a déterminé les attributions des différents officiers ministériels qui peuvent procéder à des ventes de meubles ; cette loi exige implicitement que les ventes soient faites au comptant. Voici pourquoi : c'est parce que si la vente n'est pas faite au comptant, le procès-verbal d'adjudications rédigé par le greffier ne donne aucune espèce de garantie ni de preuve contre l'acquéreur pour le faire payer, s'il s'y refuse à l'expiration du terme.
En effet, à la différence des notaires, le greffier ne rédige pas un acte authentique, mais un acte privé. Si la vente n'a pas lieu au comptant et si l'on veut donner au procès-verbal une utilité quelconque pour faire récupérer plus tard la somme due, il tant forcer les parties, après l'adjudication de chaque lot, de signer au procès-verbal ; sinon, le procès-verbal ne signifie rien.
Voilà pourquoi on s'est borné aux ventes au comptant. Il y aurait danger à aller au delà. Il est arrivé, sans doute, dans la pratique que, malgré cet inconvénient les greffiers font des ventes autres que des ventes au comptant. C'est là une très mauvaise habitude qui a engendré de très nombreux inconvénients et des procès non moins nombreux. Je crois donc prudent de maintenir la législation existante.
M. Lelièvreµ. - Je crois devoir appuyer les observations de l'honorable M. Magherman. Dans l'intérêt des vendeurs, en effet, forcer les greffiers des justices de paix à vendre au comptant, c'est réellement décréter une mesure défavorable à la vente. Les ventes au comptant se font à vil prix, il faut nécessairement accorder crédit à l'acheteur, si l'on veut que les enchères portent l'objet à sa véritable valeur. L'expérience de tous les jours démontre cette vérité. Il me paraît donc indispensable d'accorder aux greffiers la faculté de vendre à crédit.
L'objection faite par l'honorable M. Orts ne me paraît pas fondée ; en effet, il est évident qu'en cas de crédit accordé, les greffiers devront faire signer par les vendeurs le procès-verbal.
Voilà naturellement la formalité à remplir, mais certainement, rien ne justifie l'interdiction de vendre à crédit, prescrite par notre article. cette mesure serait gravement préjudiciable aux intérêts du vendeur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, c'est déjà une disposition exceptionnelle que celle qui autorise les greffiers à faire des ventes. Je ne crois pas qu'en partant de ce principe il y ait lieu d'étendre la disposition.
Au surplus, cette extension n'aurait aucune utilité, car même les notaires qui font des ventes publiques d'effets mobiliers stipulent que le payement se fera au comptant ; et ils agissent dans l'intérêt même de la vente et dans leur propre intérêt ; seulement ils accordent des crédits ; c'est pourquoi ils touchent un tantième assez élevé. La vente est au comptant ; mais les acheteurs ne payent pas immédiatement ; les notaires font recevoir le prix de la vente dans un délai déterminé.
Il en est de même des greffiers de justice de paix ; si vous modifiez l'article 15, le procès-verbal de vente devra être signé, ainsi que l'a dit l'honorable M. Orts, et vous compliquerez les détails de l'opération.
On a autorisé les greffiers à faire des ventes publiques au comptant ; mais il ne faut pas empiéter sur les attributions des autres officiers ministériels.
- Personne ne demandant plus la parole, l'article 15 est mis aux voix et adopté.
« Art. 16. Les minutes des actes des juges de paix en matière civile et de police sont déposées tous les ans dans un local de la maison de l'administration communale, et les expéditions en sont délivrées par les greffiers de ces juges.
« Les juges de paix veillent, sous leur responsabilité, à l’exécution de cette disposition et prennent reçu de l’administration communale. »
MpVµ. - La commission propose de rédiger l'article 16 ainsi qu'il suit : « Les minutes des actes des juges de paix en matière civile et de police sont déposées tous les ans dans un local fourni par l’administration communale... » (Le reste connue au projet.)
- L'article 16 ainsi modifié est adopté.
« Art. 17. Il y a un tribunal de première instance par arrondissement judiciaire, limité dans sa circonscription actuelle.
- Adopté.
« Art. 18. Le siège, la classe, le personnel et le ressort des tribunaux de première instance sont déterminés par le tableau joint à la présente loi. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ici vient mon observation qu'il y aura à compléter ce tableau, et la Chambre pourra voter séparément.
Au surplus, ce tableau n'est que la constatation de l'état de choses actuel.
M. Thonissenµ. - Je voudrais savoir si, lorsque nous arriverons au tableau annexé à la loi, il y aura une discussion spéciale sur la classification des tribunaux, telle qu'elle est indiquée dans ce tableau.
(page 552) - Des membres. - Non ! non !
M. Thonissenµ. - Je voudrais prouver que ce tableau est vicieux et qu'il y a lieu de le modifier.
- Des membres. - Parlez ! parlez !
M. Thonissenµ. - Suivant l'article 18, un tableau joint à la loi que nous discutons divise les tribunaux de première instance en trois classes.
Quand on considère cette division, ou pour mieux dire, cette classification au point de vue exclusif des principes, elle n'a aucune raison d'être. Dans notre système d'organisation judiciaire, les membres des tribunaux de première classe et ceux des tribunaux de troisième classe se trouvent absolument sur la même ligne. Les uns ont identiquement le rang et les attributions des autres. Leur compétence est la même ; leur nomination s'opère suivant les mêmes formes ; ils jugent selon les mêmes règles de procédure, leurs jugements sont susceptibles des mêmes voies de recours ; ils sont soumis à une action disciplinaire absolument égale ; bref, leurs membres sont tous des juges civils de première instance, rien de plus, rien de moins. La seule différence qui existe entre eux, c'est que les uns sont mieux payés que les autres.
On me dira, on a déjà dit bien souvent, que le nombre des procès diffère suivant l'importance des localités, et que, par suite, il est juste que les juges des divers tribunaux reçoivent des traitements différents, suivant l'importance relative du travail auquel ils sont astreints. Mais si ce système est si juste, si rationnel, pourquoi ne l'a-t-on pas appliqué aux cours d'appel ? Pourquoi, notamment, attribue-t-on le même traitement aux conseillers de Gand et aux conseillers de Bruxelles, alors que les causes jugées à Bruxelles sont trois fois plus nombreuses que les causes jugées à Gand ? Pourquoi encore ne suit-on pas le même système pour les juges de paix ?
Remarquons, d'ailleurs, messieurs, que le nombre des causes n'est pas toujours et nécessairement la mesure exacte du travail imposé aux magistrats. Ce n'est pas le nombre, ni même l'importance pécuniaire des procès qu'on doit exclusivement envisager.
C'est avant tout leur nature qui doit être prise en considération ; car il se peut que dix procès de l'importance d'un million soulèvent moins de questions de droit et de fait que cinq procès d une valeur totale de 100,000 francs. Du reste, on doit l'avouer, les magistrats ne succombent nulle part sous le fardeau du travail. Si le gouvernement prend pour règle de ne nommer que des juges capables, ils n'auront pas de peine à s'acquitter facilement de leur tâche, d'autant plus que, dans les arrondissements populeux, où il y a le plus de jugements à rendre, les magistrats sont en plus grand nombre que dans les localités moins importantes.
Si l'on veut absolument établir une différence, quant au traitement entre les divers tribunaux, et la classification n'a réellement que ce seul but, on doit, à mon avis, s'attacher avant tout aux dépenses qu'entraîne la vie sociale dans les lieux où résident les juges. La dignité de la justice est intéressée, sans contestation possible, à ce que les magistrats puissent subsister d'une manière conforme à leur rang. A ce point de vue, je comprends à la rigueur la raison d'une différence dans les appointements, parce que les dépenses que nécessite la vie matérielle diffèrent considérablement suivant les lieux où le magistrat est obligé de résider.
Avec une autre base, on arrive à des conséquences très justes en apparence, mais très injustes en réalité. Comparons, par exemple, le rang assigné aux tribunaux de Louvain et de Hasselt. A Louvain, le nombre des causes civiles terminées de 1850 à 1861 s'élève à 1,656, tandis qu'à Hasselt il ne s'élève qu'à 858. Dans la même période, le nombre des affaires correctionnelles atteint à Louvain le chiffre de 10,812, tandis qu'à Hasselt il ne dépasse pas celui de 4,887. On a en conséquence rangé le tribunal de Hasselt dans la troisième et celui de Louvain dans la seconde classe.
Eh bien, messieurs, à l'égard des juges de Hasselt, c'est une véritable injustice, et cela pour deux raisons : d'abord, parce que, si le tribunal de Hasselt ne rend que la moitié des jugements qui sont rendus à Louvain, le tribunal de cette dernière ville se compose de deux chambres et celui de Hasselt d'une seule, ce qui égalise exactement la besogne des magistrats ; ensuite, parce que le tribunal de Hasselt, indépendamment de la compétence ordinaire, remplit les fonctions de tribunal de commerce, travail accessoire, mais assez considérable, dont le tribunal de Louvain se trouve affranchi. Cela ne veut pas dire qu'on a eu tort de placer le tribunal de Louvain dans la deuxième classe ; telle n'est pas mon intention. Je ne fais que constater un fait à l'appui de ma thèse.
Faisons encore une comparaison. Le tribunal de Tongres appartient à la seconde classe, et je ne critique pas le rang qu'on lui a assigné. Par une dérogation aux règles ordinaires, c'est Tongres et non pas Hasselt qui forme le chef-lieu judiciaire du Limbourg. Le tribunal de Tongres doit donc appartenir au moins à la deuxième classe. Or, si ce tribunal rend, en moyenne, quelques jugements civils de plus que le tribunal de Hasselt, il rend, par contre, beaucoup de jugements correctionnels de moins. Suivant le dernier exposé décennal de la situation du royaume, le nombre des prévenus correctionnels jugés à Hasselt, de 1850 à 1860, s'élève à 7,801, tandis qu'il ne s'élève qu'à 5,553 à Tongres. Pourquoi donc placer le tribunal de Hasselt dans une position inférieure à celui de Tongres ?
Evidemment, si l'on tient uniquement compte du nombre des causes annuellement jugées, le tableau annexé au projet de loi est plein d'anomalies et d'incohérences.
Il faut, messieurs, chercher une autre base, et cette base, aussi juste que rationnelle, nous est fournie par les dépenses que nécessite la vie matérielle dans le lieu où siège le tribunal. Les dépenses étant beaucoup plus considérables à Hasselt qu'elles ne le sont à Furnes, à Marche, à Neufchâteau, à Ypres et à Turnhout, où se trouvent des tribunaux de troisième classe, je crois que nous ne pouvons, sans injustice, maintenir dans la même classe le tribunal de Hasselt. En le faisant passer de la troisième dans la deuxième classe, les magistrats qui le composent se trouveront sur la même ligne que ceux de leurs collègues qui résident à Arlon, à Dinant, à Termonde, à Verviers et à Tongres. Assurément cette prétention ne saurait être accusée d'exagération.
J'ai l'honneur de déposer un amendement en ce sens.
MpVµ. - Voici l'amendement déposé sur le bureau :
« Les soussignés proposent de modifier le tableau annexé à la présente loi de manière à faire passer le tribunal de première instance de Hasselt de la troisième à la seconde classe.
« (Signé) Thonissen, de Theux. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il m'est impossible de me rallier à l'amendement proposé par les honorables MM. Thonissen et de Theux. Il est évident que tous les arrondissements trouveront qu'ils n'ont pas une place convenable dans le tableau annexé à la loi et nous verrons dans cette discussion absolument la même chose que ce que nous voyons quand on discute le budget des travaux publics ; chacun viendra demander que son arrondissement soit élevé d'une classe. Moi, je le demanderai pour Tournai ; M. Tack le demandera par Courtrai ; Malines et beaucoup d'autres arrondissements feront la même demande.
Les honorables membres voudront bien reconnaître que les villes d'Ypres, de Malines, d'Audenarde, de Courtrai, etc., sont, sous beaucoup de rapports, aussi importantes que la ville de Hasselt.
Messieurs, je crois qu'il y a une autre manière de procéder, c'est de se demander si réellement des plaintes surgissent au sujet de la classification.
Le but des honorables membres n'est pas simplement d'obtenir pour le tribunal de Hasselt une augmentation en quelque sorte honorifique, c'est une augmentation de traitement et rien autre chose.
Or, je me demande, messieurs, si cette augmentation est nécessaire. On vient d'augmenter le traitement des magistrats.
Je ferai ensuite remarquer que la commission propose d'accorder l'éméritat aux magistrats qui ont atteint l'âge de 70 ans. C'est là une proposition tout à l'avantage de la magistrature. Je crois que le moment serait mal venu de supprimer la troisième classe. Je reconnais volontiers que ce n'est pas le nombre d'affaires qui doit servir de base à la classification ; mais d'après ce principe, il faut supprimer les classes et dire que tous les tribunaux du pays seront de la première classe. Je demande si la Chambre est disposée à mettre cette augmentation de dépense à la charge du trésor.
M. de Theuxµ. - Il y a, messieurs, une raison déterminante pour faire passer le tribunal de Hasselt de la troisième à la deuxième classe, c'est que depuis que la ville de Hasselt a été crée chef-lieu de province, la cherté de la vie y est devenue beaucoup plus grande qu'elle ne l'était auparavant ; il n'y a pas de comparaison.
M. le ministre argumente de la proposition de la commission qui veut donner l'éméritat à toute la magistrature ; cet article n'est pas encore voté ; la commission n'a pas été unanime, nous n'avons pas l'opinion du gouvernement ni l'opinion de la Chambre ; on ne peut donc pas argumenter de cette proposition.
(page 553° M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas argument de cette proposition comme d'une chose faite, j'en ai argumente comme d'une tendance.
L'honorable membre dit que Hasselt est chef-lieu de province, mais si cet argument doit être pris en considération, Namur demandera à passer dans la première classe pour être assimilé aux chefs-lieux de province Gand, Anvers, Liège ; Arlon fera la même demande. Je demanderai à l'honorable comte de Theux si Hasselt a plus d'importance que Malines. Malines est une ville de 33,000 âmes, et la vie est aussi chère à Malines qu'à Hasselt. (Interruption.) Pourriez-vous faire passer Hasselt dans la deuxième classe sans y faire passer Malines, sans y faire passer Courtrai. ?
Je le répète, si vous entrez dans cette voie, vous n'aurez plus qu'une seule classe. L'honorable M. Dewandre demandera à faire passer Charleroi dans la première classe, parce que, selon lui, la vie est aussi chère à Charleroi qu'à Bruxelles. Si la Chambre veut donner à tous les magistrats du pays le même traitement que ceux de Bruxelles, qu'elle le décide, mais pour moi je ne vois aucun inconvénient à maintenir l'état actuel des choses.
M. Thonissenµ. - L'honorable ministre de la justice dit que notre proposition conduirait à la suppression des classes. Il est incontestable que les classes ne sont qu'une affaire de traitement. (Interruption.) Mais cependant, je ne veux pas du tout qu'on mette sur la même ligne, sous le rapport du traitement, les membres de tous les tribunaux de première instance de la Belgique. Il est évident, par exemple, que le juge résidant à Turnhout, à Marche ou à Furnes, peut vivre à bien meilleur compte que le juge de première instance résidant à Bruxelles. Ce n'est donc pas à la suppression complète des trois classes que nous voulons arriver.
Mais, ajoute l'honorable ministre de. la justice, tout le monde réclamera comme vous, et M. Tesch s'est écrié qu'il réclamerait pour Arlon.
Il ne suffit pas, messieurs, de réclamer, il faut donner des motifs, et, pour ce qui concerne Arlon, je pense que son tribunal est parfaitement bien classé. Il se trouve dans la deuxième classe, tandis que celui de Hasselt, localité beaucoup plus importante, est relégué dans la troisième.
Le Limbourg renferme deux arrondissements judiciaires, celui de Hasselt et, celui de Tongres. Le tribunal de Tongres appartient, à juste titre, je l'ai déjà dit, à la seconde classe, tandis que le tribunal du chef-lieu de la province figure dans la troisième. Ce sont là, messieurs, des anomalies qu'il faut faire disparaître.
Si d'autres membres de cette Chambre croient que le tribunal de leur arrondissement est mal classé, qu'ils fassent valoir leurs droits, et la Chambre appréciera ; mais on n'allègue pas une raison sérieuse en me disant : Tout le monde réclamera comme vous.
Je persiste donc, messieurs, à soutenir qu'il est indispensable de tenir compte, dans la classification des tribunaux, des exigences de la vie matérielle. Or, ainsi que l'honorable comte de Theux vous l'a dit avec une entière vérité, depuis quinze à vingt ans, ces exigences ont à peu près doublé à Hasselt. Peut-on raisonnablement soutenir qu'à Turnhout, à Neufchâteau, à Marche, on soit assujetti aux mêmes dépenses qu'au chef-lieu de la province de Limbourg ?
- L'amendement de MM. Thonissen et de Theux est mis aux voix ; il n'est pas adopté.
L'article 18 est ensuite mis aux voix et adopté.
« Art. 19. Nul ne peut être nommé juge ou juge suppléant ou substitut du procureur du roi s’il n’est âgé de vingt-cinq ans accomplis, s’il n’est docteur en droit et s’il n’a exercé des fonctions judiciaires ou suivi le barreau pendant au moins deux ans. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il y a ici une innovation.
L'article 19 déclare qu'on ne peut être nommé juge suppléant ou substitut du procureur du roi qu'à l'âge de 25 ans accomplis.
Je dois dire, pour ce qui me concerne, je ne suis pas partisan de cette innovation Aujourd'hui on peut être nommé à 22 ans. Lorsqu'un jeune homme remarquable et donc la capacité est attestée sort de l'université, on peut lui faire des offres qui souvent sont acceptées. Si on lui laisse le temps de suivre pendant cinq ou six ans le barreau, il se crée une clientèle, et il ne veut plus entrer dans la magistrature. Il faut bien reconnaître, messieurs, que les traitements des magistrats sont modestes auprès de ce que rapporte la profession d'avocat.
Je crois donc que la limite de 25 ans est bonne pour le juge et le juge suppléant, mais que, pour le substitut du procureur du roi, il n'y a pas de raison de ne pas maintenir ce qui existe ; le substitut ne juge pas, et pour les quelques cas où un jeune homme distingué peut, avant 25 ans, entrer dans la magistrature, je crois qu'il faut laisser au gouvernement le moyen de le nommer.
M. Delcourµ. - Quel âge proposez-vous ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vingt-deux ans.
M. Orts. - Pour ma part, je ne vois pas grand inconvénient à adopter l'âge de 21 ou 22 ans plutôt que celui de 235
La loi d'organisation de 1810 acceptait l'âge de 22 ans et je ne crois pas qu'on ait abusé de la disposition.
C'est, du reste, si mes souvenirs sont exacts, l'âge légal en France.
D'ailleurs, le projet renferme une condition qui ne permettra guère, si elle est maintenue, de nommer souvent des gens âgés de 22 ans : c'est l'obligation d'avoir suivi le barreau pendant au moins deux ans.
L'âge le plus rapproché auquel il sera possible de nommer quelqu'un sera en fait au moins 23 ans.
Voulez-vous laisser 22 ans comme âge légal, vous serez d'accord avec la législation antérieure, et en fait, vous ne vous écarterez guère de ce que l'on avait d'abord proposé.
Tout cela n'offre au fond aucun intérêt et j'accepte tout ce que l'on voudra.
M. Maghermanµ. - La rédaction de cet article, messieurs, est différente de celle de l'article 4. D'après la rédaction de l'article 4, quelques anciens juges de paix devraient cesser leurs fonctions. Nous avons, en effet, d'anciens juges de paix qui ne sont pas docteurs en droit ; l'article 4 devrait donc être rédigé dans les mêmes termes que l'article en discussion, c'est-à-dire : « Nul ne peut être nommé juge de paix, etc. »
Cette observation eût mieux trouvé sa place à l'article 4. Mais avec le consentement de la Chambre, il n'est pas trop tard pour le rectifier.
M. Orts. - Il y a un autre article général qui maintient tous ceux qui sont en fonctions.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, il suffit de rédiger l'article 19 comme suit :
Supprimer les mots : « Ou substitut du procureur du roi » et ajouter un second paragraphe ainsi conçu :
« Nul ne peut être nommé substitut du procureur du roi s'il n'est âgé de vingt-deux ans accomplis, s'il n'est docteur en droit et s'il n'a exercé des fonctions judiciaires ou suivi le barreau pendant au moins deux ans. »
- L'article ainsi modifié est mis aux voix et adopté.
« Art. 20. Pour pouvoir être nommé président, vice-président ou procureur du roi, il faut être âgé de trente ans accomplis, être docteur en droit et avoir exercé des fonctions judiciaires ou avoir suivi le barreau pendant au moins cinq ans. »
- Adopté.
« Art. 21. Lorsqu'une place de président ou de vice-président devient vacante, le tribunal en avertit le premier président de la cour d'appel, et le procureur du roi en donne avis au procureur général.
« Les formes prescrites pour la présentation aux places de conseillers sont observées. La présentation appartient au conseil de la province où la place est vacante. »
M. Orts. - Messieurs, je demande pardon à la Chambre de revenir sur l'article qui vient d'être amendé, mais j'entendais tout à l'heure l'honorable M. Nothomb faire à demi-voix une observation qui m'a frappé et que je désire soumettre à la Chambre pour qu'elle l'apprécie.
Puisque nous venons de permettre de nommer des substituts de 22 ans, faut-il nécessairement attendre, pour le nommer procureur du roi, qu'il ait 30 ans ? Vous le condamneriez ainsi à ne pouvoir devenir chef de parquet avant 8 années de fonctions. Il me paraît que cela est exorbitant et qu'il faudrait au moins, si l'on veut réfléchir, convenir dès maintenant qu'au second vote on examinera cette question.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a encore d'autres limites d'âge, et je pense qu'il vaudrait mieux s'en tenir à l'ancien système.
De fait il est certain que très peu de jeunes gens arrivèrent à l’âge de 25 ans, bien peu arriveront avant l'âge de 30 ans aux fonctions de procureur du roi. Mais, néanmoins, je ne vois pas pourquoi ton enlèverait au gouvernement la faculté de nommer, dans des cas tout à fait exceptionnels, des jeunes gens capables.
MpVµ. - Il serait donc convenu qu’on pourrait revenir au second vote sur les limites d’âge.
(page 554) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je présenterai, au second vote, des dispositions pour rétablir les anciennes limites.
« Art. 23. Les juges d'instruction sont choisis par le Roi parmi les juges du tribunal de première instance, pour trois ans.
« Ils peuvent être continués plus longtemps et conservent séance au jugement des affaires civiles et criminelles suivant le rang de leur réception. »
- Adopté.
« Art. 24. Les juges d'instruction sont, quant aux fonctions de police judiciaire, sous la surveillance du procureur général près la cour d'appel. »
- Adopté.
« Art. 25. Lorsque le juge d'instruction, ou un des juges d'instruction dans les arrondissements où il y en a deux ou plusieurs, se trouve empêché par quelque cause que ce soit, le tribunal et, en cas d'urgence, le président, désigne un juge titulaire pour le remplacer.
« Si les besoins du service l'exigent, le tribunal peut, sur la demande du ministère public, déléguer un, juge titulaire pour remplir momentanément les fonctions de juge d'instruction, conjointement avec les autres. »
- Adopté.
« Art. 26. Il y a dans chaque tribunal de première instance un greffier qui est nommé et peut être révoqué par le Roi. »
- Adopté.
« Art. 27. Le greffier est assisté d'un ou de plusieurs commis greffiers, dont le nombre est déterminé par le Roi, selon les besoins du service. »
- Adopté.
« Art. 28. Nul ne peut être nommé greffier d'un tribunal de première instance, s'il n'est âgé de vingt-cinq ans accomplis, et s'il n'est docteur en droit ou s'il n'a rempli, pendant dix ans, les fonctions de commis greffier d'une cour ou d'un tribunal de première instance, ou de greffier d'une justice de paix.
« Nul ne peut être nommé commis greffier d'un tribunal de première instance, s'il n'a vingt et un ans accomplis. »
- Adopté.
« Art. 29. Les commis greffiers sont nommés par le tribunal auquel ils sont attachés, sur une liste triple de candidats présentée par le greffier.
« Ils peuvent être révoqués par le tribunal qui les a nommés. »
- Adopté.
« Art. 30. Les tribunaux de première instance ne peuvent rendre jugement qu'au nombre fixe de trois juges, y compris le président. »
- Adopté.
« Art. 31. Les tribunaux de première instance qui n'ont pas de vice-président ne forment qu'une chambre. Ceux qui comptent un ou plusieurs vice-présidents se divisent en deux ou plusieurs chambres. »
- Adopté.
« Art. 32. Lorsque le besoin momentané du service l'exige, le tribunal, soit d'office, soit sur l'injonction de la cour d'appel, constitue une chambre temporaire, composée des juges et des juges suppléants qu'il désigne. »
- Adopté.
« Art. 33. Dans la dernière huitaine des mois d'avril et septembre de chaque année, le procureur du roi près chaque tribunal de première instance adressa au procureur général un état contenant :
« 1° Le nombre des causes portées sur le rôle dans le semestre précédent ;
« 2° Le nombre des instances d'ordres entre des créanciers ;
« 3° Celui des rapports d’affaires instruites par écrit ;
« 4° Le nombre des affaires civiles et criminelles qui ont été jugées contradictoirement, et celui des affaires jugées par défaut ;
« 5° Le nombre des affaires restant à juger ;
« 6° Les causes du retard des jugements des affaires arriérées.
« Sont réputées arriérées les causes d'audience qui sont, depuis plus de trois ans sur le rôle général, ainsi que les ordres ou procès par écrit, qui ne sont pas vidés dans quatre mois. »
- Adopté.
« Art. 34. Il y a des tribunaux de commerce.
« Le siège, le personnel et le ressort en sont déterminés par le tableau joint à la présente loi. »
MpVµ. - La commission propose d'ajouter à cet article :
« Néanmoins les juges de paix connaissent des affaires commerciales dans les limites de leur compétence.
« L'appel de leurs sentences, s'il y a lieu, sera porté devant le tribunal de commerce de l'arrondissement par un exploit contenant citation à jour fixe et élection de domicile dans le lieu ou siège le tribunal. »
Un amendement a également été présenté à cet article par MM. Lelièvre et Thonissen. II est ainsi conçu :
* Les soussignés ont l'honneur de présenter l'amendement suivant à l'article 34 :
« Insérer, comme deuxième paragraphe, la disposition suivante :
« Ils sont présidés par des juges civils nommés par le Roi. »
La parole est à M. Lelièvre pour développer cet amendement.
M. Lelièvreµ. - L'amendement que nous déposons, l'honorable M. Thonissen et moi, a été développé dans les observations que j'ai soumises à la Chambre lors de la discussion générale. Notre amendement énonce le principe de l'institution d'un président civil. Si ce principe était admis par la Chambre, nous proposerions de l'organiser au moyen des dispositions du projet de 1856 qui sont conçues en ces termes :
« Pour pouvoir être nommé président d'un tribunal de commerce, il faut être âgé de 30 ans accomplis, être docteur en droit et avoir exercé des fonctions judiciaires ou avoir suivi le barreau pendant au moins cinq ans.
« Les présidents des tribunaux de commerce sont nommés par le Roi sur deux listes doubles présentées, l'une par la cour d'appel du ressort, l'autre par le conseil provincial. »
Pour le moment, je me borne à me référer aux considérations que j'ai présentées dans mon premier discours. M. Thonissen se chargera de déduire les autres motifs qui appuient l'amendement par nous proposé.
- L'amendement est appuyé, et fait partie de la discussion.
M. Thonissenµ. - En ouvrant le rapport rédigé par l'honorable M. Orts, je m'attendais à y trouver une longue et solide discussion sur le problème si vivement controversé de la conservation des tribunaux de commerce avec leur organisation actuelle. Grande a été ma surprise en n'y rencontrant que trois lignes, et encore ces trois lignes renferment-elles quelques mots qu'on pourrait invoquer contre le maintien de la juridiction consulaire. Voici toutes les raisons alléguées par M. Orts : « En conservant la juridiction consulaire spéciale, la commission n'a pas méconnu les défauts essentiellement inhérents à l'institution. Mais le commerce tient à conserver ses juges, et l'opinion publique ne réclame pas d'innovation. »
En réduisant ces lignes à un langage plus simple, on arrive au résultat que voici. « La chose n'est pas excellente, mais ceux qui en profitent tiennent à la conserver et ceux qui pourraient se plaindre ne crient pas trop fort. »
Ce sont là, messieurs, des motifs qu'il m'est impossible de prendre au sérieux.
Le commerce, dit l'honorable rapporteur, tient à conserver ses juges. M. Orts, qui connaît aussi bien et mieux que moi l'histoire du droit, ne peut pas ignorer que les privilégiés ont toujours été unanimes à réclamer la conservation de leurs privilèges. Or, le jugement des commerçants par les commerçants est un véritable privilège, et je conçois très bien que ceux qui en profitent ne désirent aucunement l'abandon d'un système qui les place en dehors du droit commun.
Sous l'ancien régime, les nobles tenaient, eux aussi, à leurs privilèges ; ils ne demandaient pas mieux que de les conserver et, pour sortir des classes nobiliaires, les chefs des maîtrises et des jurandes tenaient tout aussi fortement au maintien des corporations de métiers. Des regrets et des préférences de ce genre ne doivent pas être pris en considération. Les commerçants notables, en demandant à être jugés par des commerçants, ne font pas autre chose que ce qu'ont toujours fait les privilégiés de tous les régimes.
Quant à l'opinion publique, l'honorable M. Orts n'en a pas exposé l'état réel. L'opinion publique réclame depuis quarante ans, et elle réclame énergiquement ; nous trouvons, jusque dans les documents législatifs, des preuves nombreuses de ses réclamations incessantes et parfaitement fondées.
Déjà sous le gouvernement des Pays-Bas, il y avait eu des plaintes nombreuses, et la loi d'organisation judiciaire du 18 avril 1827, (qui, par suite des événements politiques, ne fut pas appliquée en Belgique) portait en termes exprès, que désormais les tribunaux de commerce auraient pour président un jurisconsulte désigné par le gouvernement.
(page 555) Après la révolution, de nouvelles réclamations se firent jour et, en 1832, plusieurs tribunaux, plusieurs, remarquez-le, engagèrent vivement le ministre de la justice à introduire dans la législation nationale le principe consacré par la loi hollandaise de 1827. Tel fut notamment l'avis des tribunaux de première instance de Bruxelles, de Bruges, de Louvain et de Mons, quatre tribunaux qui, ne l'oublions pas, voyaient siéger chaque jour à côté d'eux des juges consulaires.
En 1856 se passa un fait beaucoup plus grave. Deux années auparavant le ministre de la justice avait chargé une commission spéciale, composée de jurisconsultes éminents et expérimentés, du soin d'élaborer un nouveau projet d'organisation judiciaire.
Le 23 avril 1856, M. le ministre de la justice vint déposer le projet sur le bureau de la Chambre, et, dans l'exposé des motifs, on trouve ces lignes : « Une longue expérience a prouvé que, dans l'intérêt des justiciables comme dans l'intérêt de la dignité de la justice, il convient de placer à la tête des tribunaux de commerce un magistrat qui, par ses connaissances spéciales, soit à même de diriger et d'éclairer les délibérations de ses collègues.
« Chacun des membres de la commission a pu, dans sa carrière judiciaire, constater des faits nombreux attestant que, dans l'état actuel, les tribunaux de commune sont constamment, quant à leurs décisions, sous l'influence de personnes sans caractère officiel. »
Ces lignes n'ont assurément pas besoin de commentaires !
Ce n'est pas tout. En 1859, le 15 mars, au moment où l'on s'attendait à voir discuter le nouveau projet d'organisation judiciaire, un grand nombre d'avocats du barreau d'Anvers, plaidant chaque jour devant la justice consulaire, adressèrent à cette Chambre une pétition longuement motivée dont je ne lirai que quelques passages.
« A côté des tribunaux civils, disaient-ils, les tribunaux de commerce, supprimés dans divers pays, nos rivaux, sinon nos maîtres pour l'intelligence du négoce, offrent encore en Belgique une juridiction d'exception, où le soin de rendre la justice est abandonné à des hommes complètement étrangers à la science du droit, qui est la source de toute justice sociale.
« De là cette tendance ou pour mieux dire la prétention hautement proclamée de recourir à de prétendus usages locaux, souvent variables, récents, clandestins, dépourvus de toutes les conditions qui peuvent leur donner autorité, et d'appliquer ces usages, non seulement pour suppléer au silence et à l'obscurité de la loi, mais pour la faire fléchir, pour corriger et remplacer au gré du juge, l'œuvre même du législateur, fruit de tant de labeurs, résumé de l'expérience de tant de siècles !
« De là impuissance pour le juge de suivre et bien moins d'apprécier des discussions juridiques et publiques, qui devraient l'éclairer et qu'il est incapable de comprendre ; de là impuissance pour le tribunal de se guider par ses propres lumières, et nécessité d'invoquer le concours d'un officier ministériel, chargé par la loi, non d'inspirer, mais de constater les décisions des magistrats.
« De là, enfin, devant une juridiction où tout dégénère ainsi en fiction, de là, défiance et préventions des plaideurs obligés pourtant, de par la loi, de soumettre les questions les plus ardues et les plus importantes, celles dont parfois dépendent la fortune et l'honneur, à des juges que non seulement leur éducation n'a pas préparés à de si difficiles fonctions, mais que leur profession, leurs relations journalières, leurs intérêts les plus chers exposent presque fatalement à des influences et par suite à des suspicions, dont l'ombre même ne devrait jamais pouvoir atteindre la justice. »
Ils terminaient leur pétition par les lignes suivantes :
« Il importe, messieurs, de mettre un terme à ces anomalies, dont les funestes conséquences se font surtout sentir dans notre métropole commerciale, parce que la plupart des affaires contentieuses y sont du ressort de la juridiction consulaire.
« Le maintien de ces abus pourrait même devenir extrêmement nuisible à nos relations internationales, car le commerce étranger ne se sent pas attiré vers un pays où les institutions ne garantissent pas à tous une justice éclairée, placée, par la considération générale, au-dessus même du plus léger soupçon.
« Les soussignés croient donc remplir un impérieux devoir en appelant instamment l'attention de la Chambre sur la réalité de ces abus, et sur la nécessité d'y apporter un prompt remède. »
On dira peut-être que ceux qui parlent ainsi sont des avocats et non des commerçants. Mais, messieurs, avouons-le, s'il est une catégorie d'hommes qui soient bien placés pour connaître les avantages et les vices ; de l'organisation judiciaire, ce sont incontestablement les avocats ; ce sont les avocats qui se trouvent chaque jour, à chaque heure, en présence des clients ; ce sont les avocats qui traitent les affaires et qui sont sans cesse consultés sur toutes les difficultés qui se présentent. L'opinion du barreau ne doit être ni négligée, ni surtout dédaignée par ceux qui veulent arriver à une organisation judiciaire juste et rationnelle.
A mon avis donc, il ne faut pas tenir compte des vœux émis par des commerçants qui demandent la conservation d'un privilège, et, d'autre part, je crois avoir prouvé qu'on se trompe en disant que l'opinion publique ne réclame pas la mesure que nous proposons. Le fait est que cette innovation est réclamée, depuis plus de quarante ans.
Maintenant, que faut-il faire ? J'avoue que, si je n'avais pas à me préoccuper de la question constitutionnelle, je demanderais la suppression pure et simple des tribunaux de commerce.
L'article 105 de la Constitution me fait hésiter. Cet article porte : « Il y aura des tribunaux de commerce dans les lieux déterminés par la loi. Elle règle leur organisation et leurs attributions, le mode de nomination de leurs membres et la durée des fonctions de ces derniers. » On peut dire, il est vrai, que cet article ne stipule qu'une chose, à savoir que, dès l'instant que l'on veut maintenir les tribunaux de commerce, leur organisation et leurs attributions doivent être réglées par la loi. Mais il y a là au moins un doute sérieux, et c'est pour ce motif, pour ce seul motif, que je me suis rallié à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, au lieu de demander la suppression des tribunaux de commerce.
En effet, en me plaçant en dehors du texte de la Constitution, j'aurais bien des raisons à alléguer pour obtenir cette suppression pure et simple, et je prie la Chambre de me permettre de les lui exposer brièvement.
Je crois, messieurs, pouvoir vous prouver que la juridiction des tribunaux de commerce constitue un privilège, qu'ils sont inutiles, qu'ils sont incompatibles avec une bonne et impartiale administration de la justice et enfin qu'ils sont condamnés par tous les jurisconsultes qui ont eu l'occasion de les voir fonctionner de près.
Quant au premier point, l'existence du privilège, il est impossible de le nier. (Interruption.)
Si le mot vous déplaît, je dirai simplement que les tribunaux de commerce sont des tribunaux d'exception, et bien certainement nous serons d'accord sur ce point. Ce sont des tribunaux d'exception qui ne statuent que sur une certaine catégorie d'affaires et pour une certaine classe de justiciables. Ces affaires et ceux qui les intentent sont donc placés en dehors du droit commun.
Je vous avoue qu'il m'est difficile de ne pas voir ici un privilège, et le mot ne me semble pas trop dur. Les commerçants demandent à être jugés par des commerçants ; maïs je leur demanderai à mon tour ce qu'ils diraient si les agriculteurs, les artistes, les savants, les hommes de lettres, les fermiers et les locataires réclamaient le droit d'être jugés par des hommes exerçant la même profession ; si, par exemple, les hommes de lettres et les savants manifestaient la prétention d'être jugés par la classe des lettres ou la classe des sciences de l'Académie royale ? Soyons de bon compte, messieurs, et reconnaissons que les tribunaux de commerce, inconnus de nos ancêtres, introduits par le régime français, constituent un véritable privilège pour une certaine catégorie de citoyens ; on ne peut pas sérieusement le contester.
Je dis, en second lieu, qu'ils sont inutiles, et ici, messieurs, pour qu'on ne m'accuse pas de passer sous silence les motifs allégués par mes adversaires, je rappellerai à la Chambre ceux qui ont été exposes dans un mémoire publié il y a quelques années par le tribunal de commerce d'Anvers.
Le droit commercial, dit-on, est un droit à part, un composé de mœurs et d'usages qui exigent des connaissances spéciales. L'article 1107 du code civil l'a lui-même proclamé en disant : « Les règles particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au commerce. »
On en conclut que les jurisconsultes seraient nécessairement de mauvais juges en matière de commerce !
L'objection est curieuse, j'allais presque dire plaisante. Pour peu qu'on veuille réfléchir, on voit, à l'instant, que dans les matières commerciales, comme ailleurs, la connaissance approfondie du droit est un des éléments indispensables au juge qui veut se trouver à la hauteur de ses fonctions.
L'article 1107 du code civil proclame qu'il y a des règles particulières aux transactions commerciales ; mais ces règles particulières au commerce, auxquelles l'article 1107 nous renvoie, sont elles-mêmes formulées dans un de nos codes, et ce code est, à coup sûr, une œuvre de droit. (page 556) Et cependant, aux yeux d'une foule de négociants, l'étude des lois devient une cause de défaveur, d'exclusion, d'incapacité !
Arrêtons-nous un instant à cette allégation qui consiste à dire qu'il y a des usages commerciaux qu'un avocat ne peut pas connaître, qu'on ne connaît jamais à moins d'avoir été soi-même commerçant.
Ces usages peuvent offrir un triple caractère. Ils sont consacrés par la loi, ils sont contraires à la loi, ou, enfin, ils sont laissés en dehors de la loi. Ces trois hypothèses embrassent tous les usages possibles.
Si les usages sont consacres par la loi, ils appartiennent à la science du droit et, dans ce cas, les jurisconsultes sont incontestablement capables d'en comprendre le sens et d'en faire l'application. La première hypothèse doit donc être écartée.
La seconde hypothèse ne doit pas davantage nous arrêter .car, si les usages sont contraires à la loi, il y aurait abus manifeste à en faire l'application.
Le seul cas à examiner est par conséquent celui où les usages sont laissés en dehors de la loi.
Messieurs, je me demande en vain pourquoi un docteur en droit serait plus incapable de découvrir et de reconnaître ces usages qu'un brasseur, un tanneur, un bijoutier, un marchand de charbon ?
Je comprendrais encore l'objection, si dans chaque cause commerciale vous aviez des juges exerçant la même profession que les justiciables qui se présentent à leur barre. Mais cela ne se voit jamais dans les tribunaux de commerce.
Pour rendre l'argument entièrement décisif, il faudrait, je le répète, qu'on vînt nous prouver que, dans toutes les causes exigeant des connaissances spéciales, on trouve des juges consulaires possédant exactement ces connaissances exceptionnelles. Mais c'est là une preuve qu'on n'essayera pas même de produire !
Messieurs, j'ai, pendant quelque temps, exercé la profession d'avocat dans une ville où les causes commerciales étaient jugées par le tribunal de première instance. Je n'ai donc que rarement plaidé devant de véritables tribunaux de commerce ; mais je n'en ai pas moins conservé quelques souvenirs instructifs.
Plaidant un jour pour un tanneur, dans une contestation relative à une fourniture de cuirs, j'ai trouvé pour juges un brasseur, un bijoutier et un négociant exploitant une spécialité de casseroles en fer.
Une autre fois, plaidant pour un bijoutier, dans une contestation entre deux industriels de cette catégorie, j'eus pour juges un armateur, un meunier et un marchand de toiles. (Interruption.)
Je fais rire la Chambre ; mais au fond la chose est très sérieuse. Les exemples que j'ai cités peuvent être vulgaires ; mais ils suffisent pour prouver que les négociants ne disent pas la vérité lorsqu'ils affirment qu'ils sont mieux placés que les avocats pour connaître les usages particuliers de chacune des nombreuses professions exercées dans leur arrondissement.
Mais discutons plus sérieusement et envisageons la question au point de vue du droit.
On dit qu'il y a, en matière de commerce, des usages à constater ou à consulter. Cela est vrai ; mais, dans le code civil, on trouve aussi beaucoup d'articles qui renvoient aux usages locaux, sans qu'il en soit jamais résulté un embarras sérieux pour la magistrature.
Ainsi, pour les contestations qui se présentent dans les procès relatifs aux constructions, aux salaires des architectes, aux usines, aux servitudes, aux expropriations pour cause d'utilité publique, il arrive très souvent que le tribunal doive tenir compte d'une foule d'usages locaux.
Eh bien, je le demanderai à tout homme désintéressé. Si le juge civil est capable de rechercher et d'apprécier ces usages, pourquoi serait-il incapable de constater les usages commerciaux qui existent, par exemple, pour l'achat et la livraison d'une cargaison de sel, la fourniture de quelques tonneaux de bière, la livraison de quelques balles de café, l'achat de quelques waggons de pommes de terre ?
D'ailleurs, messieurs, vous le savez, si la loi ordonne parfois aux juges de constater les usages locaux, la même loi leur fournit plus d'un moyen certain de constater le véritable caractère de ces usages. Nous avons les enquêtes, les expertises, la visite des lieux ; nous avons une foule d'autres moyens de procédure pour arriver avec certitude à la constatation de toutes les habitudes locales, dans les cas exceptionnels où la justice et la loi exigent qu'on en tienne compte.
Il y a, du reste, une étrange contradiction où tombent les partisans des tribunaux de commerce. Ils disent aux jurisconsultes : « Vous êtes incapables de bien apprécier les causes commerciales ; il faut pour cela, non pas des magistrats, mais des négociants. »
Or, voici qu'une affaire jugée par un tribunal de commerce est frappée d'appel. Où l'appel est-il porté ? Devant des jurisconsultes, devant les cours d'appel !
Or, si les magistrats sont de mauvais juges en matière commerciale, ils doivent l'être à tous les degrés de juridiction, et plus encore en appel qu'en première instance ; car ce sont précisément les affaires commerciales les plus importantes qui arrivent devant la cour d'appel. Pourquoi donc ne demande-t-on pas une cour d'appel composée de négociants ? J'espère que l'honorable M. Orts voudra bien répondre à cette question.
J'ai dit, messieurs, il y a quelques instants, que l'institution des tribunaux de commerce est incompatible avec une bonne et saine administration de la justice. Je le dis franchement, je regarde ces tribunaux comme dangereux à certains égards ; je ne parle pas des hommes qui les composent ; je parle de l'institution même. Celle-ci exerce une influence fâcheuse, et c'est à ce point de vue seulement, je tiens à le dire, que je vois un certain danger dans les tribunaux de commerce tels qu'ils sont aujourd'hui organisés.
Quelles sont les qualités qu'il faut avant tout rechercher chez les magistrats ? Il faut qu'ils soient indépendants et désintéressés.
Ici pas de controverse possible. Et que n'a-t-on pas fait pour rendre nos juges indépendants ? On les a déclarés inamovibles ; on a même décidé qu'ils ne pourraient être déplacés sans leur consentement ; on les a placés dans une position tout à fait exceptionnelle, afin d'arriver à une indépendance complète.
Eh bien, pour les juges de commerce, rien de pareil ; ce sont des négociants remplissant des fonctions de magistrature d'une manière essentiellement temporaire.
MfFOµ. - Votre président ne serait pas constitutionnellement inamovible.
M. Thonissenµ. - J'arriverai tout à l'heure à cette question ; permettez-moi de terminer la partie du débat qui porte en ce moment sur l'indépendance et le désintéressement des magistrats.
Je crois inutile de parler plus longuement, pour prouver que les juges consulaires ne jouissent pas du degré d'indépendance que la Constitution et les lois accordent au juge civil. Je passe donc à la question de savoir si leur désintéressement est suffisamment garanti dans l'organisation des tribunaux de commerce.
Messieurs, soyons francs, nous devons l'être ici ; nous sommes inviolables précisément parce que nous devons être francs. Eh bien, qu'arrive-t-il ? C'est que les juges consulaires se jugent les uns les autres, qu'ils jugent leurs clients, leurs concurrents et leurs rivaux. Le commerçant aujourd'hui juge sera demain justiciable du même tribunal, pour être jugé à son tour pair l'individu qu'il a jugé la veille !
Il est constant aussi, et sur ce point, j'appelle toute l'attention de la Chambre, qu'ils se trouvent rarement dans une position complètement désintéressée. Prenons un exemple. Il y a de nombreuses contestations entre capitaines et armateurs, car les armateurs n'ont pas toujours les mêmes intérêts que les capitaines.
Or, si une contestation entre un capitaine et un armateur est portée devant un tribunal de commerce où siège un autre armateur, celui-ci sera naturellement porté à juger dans le sens des intérêts de la profession qu'il exerce. Assurément, je ne prétends pas qu'il se dise : Je veux être injuste, parce que je puis avoir la même contestation demain et que j'ai intérêt à me procurer un précédent de jurisprudence. Non, messieurs, je repousse cette pensée ; mais je soutiens que nous subissons tous, à notre insu, à des degrés divers, l'influence de l'intérêt personnel, et le juge consulaire se ressent de cette influence, comme tous les autres citoyens.
Autre exemple : les négociants en gros n'ont pas toujours le même intérêt que les négociants en détail, que les simples boutiquiers. Or les négociants en gros jugent les négociants en détail. N'est-il pas évident que, sous ce rapport encore, on peut redouter une certaine tendance à poser des précédents favorables à la classe de négociants à laquelle on appartient ?
J'arrive, messieurs, à une question plus délicate.
Dans beaucoup de tribunaux de commerce, et j'en connais, tous les jugements indistinctement sont rédigés par les greffiers. Le greffier est un jurisconsulte ; les membres du tribunal, qui ne veulent pas un seul jurisconsulte parmi leurs collègues, disent à celui-ci : Faites un jugement ; et il le fait !
Cela existe dans une foule de tribunaux de commerce, et évidemment c'est un vice considérable, d'autant plus que le greffier, à son tour, n'est (page 557) pas toujours désintéressé. Je pourrais même dire qu'il est rarement désintéressé. Il a des appointements peu élevés ; mais il perçoit beaucoup d'émoluments. Or, plus il y a d'incidents de procédure, d'expertises et d'enquêtes, en un mot, plus les procès durent, plus le greffier gagne.
Ce sont des faits malheureusement incontestables.
Dans quelques tribunaux, il est vrai, le président a trop d'amour-propre pour passer par les mains du greffier. (Interruption.) Je ne parle pas du tribunal de Bruxelles, je sais que la justice consulaire est bien rendue dans la capitale... Quelquefois donc, dis-je, le président ne veut pas passer par les mains du greffier ; il a trop d'amour-propre pour demander au greffier de rédiger ses jugements. Mais que fait-il pour échapper à cette humiliation ? Il prend à ses gages un membre du barreau ! J'affirme que j'ai connu deux présidents de tribunaux de commerce qui avaient recours à ce singulier moyen de se tirer d'embarras !
Je vous le demande, messieurs, cet avocat, honnête homme, je vous le concède, peut-il rédiger convenablement les jugements ? Il n'a pas entendu les plaidoiries ; il doit se contenter de quelques notes, de quelques explications et il est constamment en danger de se tromper.
Messieurs, ce que je propose, du reste, n'est pas neuf. On ne niera pas que les Hollandais possèdent aussi bien que les Belges l'intelligence des besoins du commerce. Sous ce rapport, on peut même dire qu'ils nous ont devancés, car c'est surtout à l'aide de leur habileté commerciale qu'ils se sont procuré les moyens de briller dans l'histoire moderne. Eh bien, les Hollandais, qui avaient, comme nous, reçu les tribunaux consulaires des mains de l'étranger, qu'en ont-ils fait' ? Frappés des abus auxquels ces tribunaux donnaient lieu, ils les ont depuis longtemps supprimés, et tous les Hollandais s'en félicitent.
Je regrette qu'en Belgique, l'article 105 de la Constitution me semble former un obstacle à l'admission d'une réforme aussi complète, et je me suis en conséquence rallié à l'opinion de l'honorable M. Lelièvre.
C'est à cette occasion que M. le ministre des finances m'a demandé si mon président serait, lui aussi, désintéressé, indépendant, impartial.
MfFOµ. - Je n'ai rien demandé du tout, j'ai fait une objection au point de vue de l'inamovibilité.
M. Thonissenµ. - C'est donc une objection, et c'est à l'objection que je vais répondre.
Mon président sera-t-il indépendant, impartial et désintéressé ? Evidemment oui.
MfFOµ. - Je n'ai pas fait cette objection.
M. Thonissenµ. - En ce cas, veuillez m'expliquer votre objection.
MfFOµ. - Je n'ai fait d'objection qu'au point de vue de l'inamovibilité constitutionnelle. J'ai dit : Votre président ne serait pas constitutionnellement inamovible.
M. Thonissenµ. - C'est une question.
MfFOµ. - Constitutionnellement, non. Légalement, vous pouvez le faire inamovible ; mais légalement vous pouvez le défaire.
M. Thonissenµ. - Je comprends maintenant l'objection ; je vous demande pardon d'avoir insisté si longtemps.
Par sa position, ce président, même en le supposant amovible, sera déjà plus indépendant que les membres des tribunaux consulaires, parce qu'il n'exercera pas lui-même le commerce, qu'il n'aura pas intérêt à poser des précédents, à faire passer dans la jurisprudence des actes qui lui sont favorables.
Mais, en droit, sera-t-il inamovible ? C'est là une question sérieuse à examiner. La Constitution dit que les juges sont inamovibles. Or, si nous instituons un véritable juge pour l'adjoindre à un tribunal de commerce, ce juge ne rentrerait-il pas, par cela même, dans la disposition générale de la Constitution qui déclare les juges inamovibles ? La question peut présenter quelques doutes, je l'avoue ; mais il est incontestable que, dans tous les cas, l'adoption de notre amendement serait une grande amélioration.
La loi sera mieux appliquée, le greffier ne sera plus le maître des décisions du tribunal. Il y aura un incontestable progrès ; et c'est pour cela que je demande à la Chambre de vouloir décider qu'à l'avenir les tribunaux de commerce seront présidés par un magistrat au courant de la science du droit.
- Des membres. - A demain !
M. Orts, rapporteur - Je n'entends pas discuter, à l'heure actuelle, le système que présentent les honorables MM. Lelièvre et Thonissen, mais je veux donner une réponse immédiate à l'honorable M. Thonissen qui m'a mis en cause comme le défenseur de la composition actuelle des tribunaux de commerce.
M. Thonissenµ. - Pas tout à fait.
M. Orts. - Je déclare à l'honorable M. Thonissen que si c'est moi qu'il a voulu convertir par son discours, il s'est donné une peine inutile. J'étais, avec l'honorable M. Nothomb, de la minorité de la commission qui a proposé la suppression des tribunaux de commerce.
M. Nothomb. - La suppression absolue.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer les budgets des recettes et dépenses pour l'exercice 1868, sauf les budgets des travaux publics et de la guerre, qui ne sont pas encore votés pour l'exercice 1867.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces budgets ; la Chambre en ordonne l'impression et là distribution et les renvoie à l'examen des sections.
-La séance est levée à 4 3/4 heures.