(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 521) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
M. Maghermanµ. - Je remarque que mon nom n'est pas compris aux Annales parmi ceux des membres qui ont voté le budget des travaux publics.
MpVµ. - Cette observation ne se rapporte pas au procès-verbal.
M. Maghermanµ. - Pardon, M. le président ; elle s'y rapporte en ce sens que si le procès-verbal contient la même erreur, j'en demande la rectification.
MpVµ. - Le procès-verbal ne contient jamais les noms des votants ; il n'y a donc pas de réclamation contre la rédaction du procès-verbal et en conséquence je le déclare adopté.
Quant à la rectification réclamée par M. Magherman, elle sera faite par son observation même.
M. de Smedt. - Je suis victime de la même erreur que celle que vient de signaler M. Magherman et j'en demande également la rectification.
MpVµ. - Votre observation en tiendra également lieu.
M. Thienpont,. présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Remy demande que la qualité d’électeur pour la province et la commune soit attribuée à tout médecin vétérinaire âgé de 21 ans. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Les sieurs Eyerman, Lamquet et autres membres de l'association libérale de l'arrondissement d'Alost déclarent appuyer la demande du conseil communal de Gand, tendante à transférer la juridiction électorale entre les mains des magistrats de l'ordre judiciaire. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Tirlemont, le 6 février 1867, des notaires de l'arrondissement de Tirlemont demandent la réduction du nombre des notaires de ce canton.
Les pétitionnaires prétendent qu'il existe une anomalie ou une irrégularité dans le nombre des notaires du canton de Tirlemont.
Jadis ce canton renfermait deux justices de paix et était beaucoup plus important et plus populeux qu'il ne l'est aujourd'hui.
On en a distrait dix communes, qui ont été réunies aux cantons de Jodoigne et de Wavre ; une des deux justices de paix a été supprimée en 1822 ; il en est résulté que la population s'est trouvée réduite à une trentaine de mille habitants. Pour cette population, il y a huit notaires. Or, les pétitionnaires prétendent que, d'après la loi, il ne devrait y en avoir que cinq.
La loi fixe le nombre de notaires à cinq par circonscription de justice de paix, et en tenant compte de la population, il ne peut y avoir d'après la loi de ventôse an XI, qu'un notaire par 6,000 habitants. Dans l'un et l'autre sens, il ne pourrait y avoir que cinq notaires dans le canton de Tirlemont.
Vous avez entendu, sur cette question, l'honorable M. Broustin qui a expliqué et soutenu la demande des pétitionnaires. Votre commission partage l'opinion qu'il a exprimée, elle croit que les pétitionnaires sont fondés dans leur réclamation, elle vous propose le renvoi de leur pétition à M. le ministre de la justice.
- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.
M. Vander Donckt, rapporteurµ. - Par pétition datée de Landen, le 13 décembre 1866, les secrétaires communaux du canton de Landen prient la Chambre de prendre les mesures nécessaires pour améliorer la position des secrétaires communaux.
Même demande des secrétaires communaux de l'arrondissement de Thielt-Roulers et du canton de Beeringen.
Il y a des pétitions de secrétaires communaux inscrites dans tous les feuilletons de pétitions des mois de décembre, janvier et février, qui sont aujourd'hui soumis à la Chambre. Trois rapporteurs sont chargés de rapports sur ces pétitions, nous nous sommes entendus pour ne pas tomber dans des redites qui, sans être d'aucune utilité pour les pétitionnaires, prendraient à la Chambre un temps précieux.
M. de Macar, qui a fait de la réclamation des secrétaires communaux l'objet d'une étude spéciale, vous fera un rapport complet. Quant à moi, pour ne pas abuser des moments de la Chambre, je m'abstiendrai et je conclurai purement et simplement au renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. de Macarµ. - Le rapport auquel M. Vander Donckt vient de faire allusion est prêt. C'est un prompt rapport qui a été compris, par erreur, parmi les rapports ordinaires. Si la Chambre le désire, je puis lui donner lecture de ce rapport immédiatement après les prompts rapports de MM. Vander Donckt et Bouvier.
M. Bouvierµ. - Appuyé !
MpVµ. - La parole est à M. Bouvier, deuxième rapporteur.
M. Bouvierµ. - La proposition de M. de Macar a-t-elle été admise par la Chambre ?
MpVµ. - Il n'y a eu aucune opposition ; la parole sera donc donnée à M.- de Macar.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée d'Isières, le 14 décembre 1866, des habitants d'Isières demandent l'établissement d'une halte sur la ligne de Hal à Ath.
Les pétitionnaires se sont adressés à diverses reprises à la législature pour obtenir une halte à Isières, sur la route de Hal à Ath. La compagnie concessionnaire a si bien reconnu l'utilité de celle halte si désirée, qu'elle s'est empressée de dresser le plan pour la construction des bâtiments, plan qu'elle a fait parvenir au gouvernement. Dans cet état de choses, ils réclament votre intervention pour le décider à prendre une résolution.
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre des travaux publics, en l'engageant à l'examiner avec une grande bienveillance.
M. Jouretµ. - Je ne m'oppose pas aux conclusions proposées par ta commission, mais je dois rappeler à la Chambre que, sur l'interpellation de l'honorable M. Bricoult, l'honorable ministre des travaux publics a déclaré, dans la discussion récente de son budget, que le principe du point d'arrêt demandé était admis par l'administration. M. le ministre l'a formellement déclaré ; c'est donc une affaire décidée.
Mi. Bouvier, rapporteurµ. - Puisque, d'après la déclaration que vient de faire l'honorable M. Jouret, satisfaction est donnée aux pétitionnaires, je crois devoir modifier les conclusions de la commission, prises antérieurement à l'assurance donnée par M. le ministre des travaux publics, et proposer l'ordre du jour (Non ! non !) ou bien le dépôt au bureau des renseignements.
M. Jouretµ. - Je crois qu'il faut maintenir la proposition primitive tendante au renvoi à M. le ministre des travaux publics ; mais avec cette (page 522) réserve que la déclaration faite par cet honorable ministre reste acquise aux intéressés.
- La Chambre ordonne le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition sans date, des bateliers naviguant sur le canal de Charleroi à Bruxelles demandent le rachat par l'Etat des canaux-embranchements de cette voie navigable.
Les pétitionnaires font ressortir que, sur les canaux-embranchements du canal de Charleroi à Bruxelles, les péages de navigation sont de vingt à vingt-cinq fois plus élevés que ceux perçus par l'Etat sur les voies de navigation les plus imposées. Ils se plaignent également des vexations nombreuses de navigation intérieure auxquelles ils sont soumis. Ils citent à l'appui de leurs doléances l'exemple suivant : Un bateau chargé, venant du canal de Charleroi pour décharger à un rivage quelconque des embranchements, paye le parcours entier du canal ; son bateau déchargé, le batelier, ayant un bon pour charger à un rivage éloigné de quelques cents mètres, dût-il même retourner sur ses pas, doit de nouveau payer à vide le parcours entier des canaux-embranchements lorsqu'il a son chargement, ce même batelier, pour aller au canal de Charleroi, doit, pour la troisième fois, payer le parcours entier.
Si cet état de choses, révélé par la pétition, est exact, il suffira de le signaler à la sérieuse attention du gouvernement pour qu'il prenne des mesures pour faire cesser un état de choses si préjudiciable à la classe si intéressante des bateliers.
Votre commission vous propose le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics en l'engageant à en faire l'objet d'un sérieux examen.
(addendum, page 535) M. Jouretµ. - J'ai à faire sur cette pétition la même observation que sur la précédente. Encore une fois, dans la discussion du budget des travaux publics, M. le ministre a eu l'obligeance de nous dire, quant au rachat des embranchements du canal de Charleroi, des paroles d'espoir que la Chambre n'a pas oubliées, je pense.
J'appuie donc le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, tout en faisant remarquer qu'il a promis d'opérer le rachat des canaux-embranchements, aussitôt que l'état du trésor le permettra.
MfFOµ. - Et quand on se sera mis d'accord sur les conditions.
M. Jouretµ. - Evidemment.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Mechelen, le 25 novembre 1866, les secrétaires communaux du canton de Mechelen-sur-Meuse prient la Chambre d'améliorer la position des secrétaires communaux.
Même demande des secrétaires communaux du canton d'Avennes et de différentes provinces du pays.
Comme l'honorable M. de Macar l'a fait remarquer, il y a quelques instants, nous avons été d'accord au sein de la commission pour le charger de présenter à la Chambre un rapport général sur toutes les pétitions de ce genre.
Dans tous les cas, nous vous proposons, messieurs, le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Mechelen, le 25 novembre 1866, les secrétaires communaux du canton de Mechelen-sur-Meuse présentent des observations sur les indemnités à allouer aux agents chargés de faire le recensement de la population et la statistique agricole.
Les pétitionnaires justifient leur demande sur ce que le travail du recensement de la population et surtout de la statistique agricole leur impose une besogne très longue et très compliquée qui ne leur permet pas de le terminer à l'époque fixée et ils estiment que la rétribution de ce travail devrait être équitablement fixée comme suit :
1° Dix centimes par parcelle de terrain.
2° Cinq centimes pour le bulletin de profession.
3° Cinq centimes par habitant.
Notre commission a pensé que cette pétition mérite de fixer la bienveillante attention du gouvernement ; elle vous propose, en conséquence, le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Bouvier, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bruxelles, le 12 décembre 1866, des secrétaires communaux, délégués par leurs collègues des différents arrondissements du pays, prient la Chambre de fixer, à la fin du mois de mai 1867, le délai de rigueur pour la clôture du travail de la statistique agricole, et pressent une modification au tarif de rétribution arrêté pour ce travail et pour le recensement de la population.
Nous vous en proposons le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
MpVµ. - Si la Chambre v consent, j'accorderai la parole à M. de Macar, pour présenter son rapport sur les pétitions de divers secrétaires communaux.
M. de Macar, rapporteurµ. - Le sieur Manin, sécrétaire communal à Vilvorde, prie la Chambre d'améliorer la position des secrétaires communaux.
Même demande de secrétaires communaux dans l'arrondissement de Huy.
La pétition qui nous est soumise porte sur deux points. Quant au premier, les réclamations ne sont pas nouvelles. A de très nombreuses reprises, les secrétaires communaux se sont adressés à la Chambre pour obtenir une amélioration de position.
Chaque fois, ces réclamations ont été accueillies avec sympathie, mais jusqu'ici, il faut bien l'avouer, cette sympathie a été complètement stérile.
En effet, toujours et très unanimement on reconnaissait les services sérieux rendus à la commune, à la province et à l'Etat par ces fonctionnaires ; on ne méconnaissait pas l'insuffisance de leurs traitements ; mais des objections étaient produites contre toute participation pécuniaire de l'Etat en leur faveur.
Ces objections prenaient leur source dans la crainte hautement exprimée de l'immixtion du gouvernement dans les affaires de la commune ; il y avait empiétement, disait-on, sur le pouvoir communal et il fallait éviter toute mesure pouvant ressembler à de la centralisation.
En d'autres termes, on admettait bien l'intervention de l'Etat pour réclamer aux secrétaires des travaux en dehors de leurs fonctions communales, mais dès qu'il s'agissait de rémunérer ces travaux, de par la centralisation à craindre, l'Etat ne pouvait plus se montrer ; la commune seule avait qualité. Cette thèse, messieurs, a plus d'une fois déjà été combattue dans cette enceinte et n'a point paru probante à votre commission.
L'intervention de l'Etat pour diverses dépenses communales existe et n'enlève rien à l'autonomie de la commune (voirie vicinale, enseignement, culte, hygiène, etc.)
Elle agirait moins encore dans l'espèce que dans tous autres cas. En effet, le secrétaire relevant directement du conseil lequel a le droit (article 109 de la loi communale) de le suspendre ou de les révoquer, est et restera avant tout l'homme de la commune.
Mais si l'on veut éviter même toute communication directe de l'Etat avec le fonctionnaire communal, rien ne s'oppose à ce que la marche actuellement suivie soit continuée et que le bourgmestre soit l'intermédiaire du gouvernement auprès du secrétaire.
L'honorable ministre disait, il est vrai, dans la séance du 6 avril 1865 que « si les travaux devaient être rétribués par l'Etat, l'Etat aurait le droit d'en surveiller l'exécution et d'intervenir dans ce qui doit être fait sous la direction des administrations communales. En effet, celui qui paye doit être armé du droit de contrôle. »
Mais sans aucun doute si les travaux réclamés jusqu'à ce jour ont été exécutés d'une façon satisfaisante lorsqu'ils étaient faits sans rémunération pour leurs auteurs, ils continueront à être exécutés de même lorsqu'ils seront rétribués d'une façon équitable.
Dans le même ordre d'idées, une autre question est soulevée par les pétitionnaires.
La loi communale de 1836 impose aux communes l'obligation de porter à leur budget un traitement de secrétaire communal.
Les pétitionnaires voudraient voir fixer ce traitement d'après une échelle de proportion établie sur la population et l'importance de la commune.
La loi de 1836 a voulu sans doute faire une position convenable au secrétaire communal.
Nous nous plaisons à le constater, les efforts de l'honorable M. Vandenpeereboom ont contribué puissamment à faire obtenir, dans une certaine mesure, ce résultat. Mais ce résultat est incomplet, et bien des communes encore ne portent à leur budget que des traitements véritablement dérisoires.
Trois provinces ont cherché à obvier à cet état de choses, elles ont pris des arrêtés dans le sens désiré par les pétitionnaires.
L'honorable ministre de l'intérieur ne se refusera pas, nous nous permettons de l'espérer, d'examiner avec la bienveillance qu'on a si souvent constatée ce point important de la pétition sur laquelle nous avons à statuer.
Dans la seconde partie de la pétition les secrétaires communaux prient la Chambre d'introduire dans la loi une disposition portant que les secrétaires ne pourront être suspendus ou révoqués que pour des motifs clairement indiqués et constatés, et après avoir été entendus dans leur défense.
(page 523) Dans notre libre Belgique, il semble que cette dernière condition doive exister pour toute espèce de jugement et en tout état de cause.
Ici deux considérations viennent étayer la requête. D’abord les secrétaires communaux versent à la caisse centrale de prévoyance. Ensuite leurs fonctions, pour être convenablement remplies, exigent des connaissances spéciales qui par conséquent, ont nécessité des études assez sérieuses.
Il y a donc un intérêt réel et respectable à sauvegarder qu'il serait juste, selon nous, de ne pas abandonner à l'arbitraire d'une majorité du conseil communal agissant sans contrôle efficace, le plus souvent sans publicité, et sur laquelle des sentiments de partialité politique ou d'animosité personnelle peuvent facilement avoir accès. Les motifs de révocation devraient être déterminés, le droit de défense consacré d'une façon absolue. Au résumé, votre commission des pétitions a pensé que les objections antérieurement produites n'étaient pas de nature à empêcher la réparation due aux secrétaires communaux.
Elle se permet d'appeler toute l’attention de l'honorable ministre sur la justice qu'il y aurait, selon elle, à prendre les mesures nécessaires pour assurer à ces modestes et utiles fonctionnaires une position convenable tant au point de vue de leurs intérêts pécuniaires qu'à celui de leur stabilité et de leur dignité.
Elle vous propose, messieurs, dans ces conditions, le renvoi à l'honorable ministre de l'intérieur.
M. Van Overloopµ. - Je me rallie aux conclusions proposées par la commission.
Les secrétaires communaux, messieurs, ont trois espèces de besognes : ils ont une besogne communale, qui est inhérente à leurs fonctions ; ils ont une besogne dans l'intérêt de l'administration provinciale ; enfin, ils ont des travaux qui leur sont imposés dans l'intérêt général du pays.
C'est, messieurs, un principe de rigoureuse justice que toute peine mérite salaire ; mais la question est de savoir qui doit payer le salaire.
Evidemment, on ne peut pas, avec équité, imposer à la commune la rémunération de travaux ordonnés dans l'intérêt de l'administration provinciale ; encore moins peut-on mettre à sa charge le payement du salaire dû pour des travaux accomplis dans l'intérêt de l'Etat.
Puisque les secrétaires communaux ont un travail considérable pour l'administration provinciale, un travail encore plus considérable pour l'administration générale du pays, il est incontestable, au point de vue du principe de haute justice « toute peine mérite salaire », que celui dans l'intérêt duquel la peine est occasionnée, paye le salaire ; il est dès lors incontestable que c'est la province, d'une part, et l'Etat, de l'autre, qui doivent payer le travail fait par les secrétaires communaux dans l'intérêt de la province et de l'Etat.
II ne se passe pas de semaine, à coup sûr, il ne se passe pas de mois que les secrétaires communaux ne soient dans le cas de répondre à des demandes très compliquées de renseignements statistiques adressés à la commune par la province ou par l'Etat.
Est-il juste que ce travail, qui est plus ou moins important, mais qui exige souvent un temps très long, ne soit pas payé ? Evidemment non. S'il n'est pas juste que ce travail ne soit pas payé, est-il juste que celui dans 1'intérêt duquel le travail se fait, ne le paye pas ? Encore une fois non. Serait-il juste de le faire payer par celui dans l'intérêt duquel il n'est pas fait, par la commune ? Personne n'oserait le soutenir.
Messieurs, il y a dans notre pays, sous certains rapports, beaucoup trop de bureaucratie, de paperasserie ; les écritures sont beaucoup trop multipliées. M. le ministre de l'intérieur a déjà introduit de grandes réformes à ce sujet, je pense qu'il y a encore énormément à faire. Permettez-moi de vous citer un exemple.
Dernièrement une commune envoie à la députation permanente une pièce dont ce collège devait connaître. C'était un travail que le secrétaire communal avait dû faire. Eh bien, il est arrivé que des bureaux de la députation permanente, on a renvoyé la pièce à la commune, parce que l'administration communale n'avait pas fait passer cette pièce par le bureau de M. le commissaire de l'arrondissement. Je vous le demande, messieurs, à quoi cela sert-il ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Est-ce que. le commissaire d'arrondissement ne devait pas donner son avis ?
M. Van Overloopµ. - Le commissaire d'arrondissement n'avait rien à y voir ; la députation permanente était seule appelée à apprécier ; et cependant la pièce a été renvoyée des bureaux du gouvernement provincial à la commune, uniquement parce qu'elle n'avait pas été adressée à la députation permanente par le canal du commissaire d'arrondissement.
Il résulte de là, en réalité, que l’on considère le commissaire d'arrondissement, qui occupe un rang assez élevé dans la hiérarchie administrative ; que l’on considère, dis-je, ce fonctionnaire comme une espèce de facteur de la poste. Je voudrais voir cesser cet état de choses.
Je demande donc, dans l'intérêt des secrétaires communaux, non pas qu'on impose aux communes l'obligation de leur payer un traitement supérieur à celui qu'elles leur allouent actuellement pour leur besogne exclusivement communale ; niais qu'on améliore la position des secrétaires communaux, en ce sens que ceux qui leur imposent un travail non communal soient obligés de payer ce travail.
- Le renvoi des pétitions à M. le ministre de l'intérieur est ordonné.
MpVµ. -La Chambre est arrivé à l'article 379.
MfFOµ. - Messieurs, dans la discussion d'un des titres précédents du code pénal, on s'est occupé des pénalités applicables aux contraventions à la loi sur les loteries. A cette occasion, M. Coomans a demandé la suppression de ces pénalités, ou du moins de la peine de l'emprisonnement, alléguant que les dispositions prises contre les loteries n'étaient pas exécutées et que l'on avait reculé devant l'application des peines prononcées par la loi.
Voici en quels termes s'est exprimé M. Coomans.
« Plusieurs journaux de Bruxelles, même les journaux libéraux, je prie l'honorable M. Tesch de le croire, avaient commis le même délit. Je pense me rappeler que c'était sous l'administration de M. Tesch.
« M. Tesch. - Les journaux ont été poursuivis sans distinction de parti.
« M. Coomans. - Je n'en doute pas. Seulement vous avez reculé devant l'absurdité de la peine. Car ni mes confrères ni moi nous n'avons jamais eu à subir les conséquences de ces poursuites et de ces condamnations. La loi est restée complètement inexécutée à la suite d'une petite protestation que nous avons faite.
« M. Tesch. - S'il y a eu, de votre part, recours en grâce...
« M. Coomans. - Du tout.
« M. Frère-Orban, ministre des finances. - S'il n'y avait pas eu de recours en grâce, les arrêts auraient été exécutés.
« M. Coomans. - Je ne demande grâce que lorsque je suis coupable.
« M. Tesch. - Cela regarde M. le ministre des finances. »
A la simple audition de l'affirmation de M. Coomans, je me suis dit qu'il devait y avoir là de sa part une erreur manifeste. Pour moi, il était évidemment impossible que des jugements de condamnation fussent restés inexécutés. L'hypothèse contraire supposait de la part du ministre un empiétement sur la prérogative royale, une véritable usurpation du droit de grâce, par l'affranchissement de ceux qui avaient été frappés par la justice.
Vous comprenez, messieurs, l'importance de la déclaration de M. Coomans. Si elle n'avait pas été relevée, les particuliers auraient pu se croire autorisés à enfreindre les lois, en se fondant sur une prétendue tolérance qui n'existe pas. J'ai donc fait rechercher, dans les archives de l'administration, ce qui s’était passé en ce qui concerne les contraventions constatées à la loi du 31 décembre 1851 sur les loteries.
Il y a eu, de 1852 à 1864, douze poursuites à Bruxelles à l'égard de particuliers qui avaient fait des annonces de loteries non autorisées.
Ces douze poursuites, dont l'une devait entraîner même la peine d'emprisonnement, ont été suivies d'exécution : l'amende a été payée dans tous les cas ; quant à la peine d'emprisonnement, elle a été commuée en une amende de cent francs, qui a également été acquittée.
Certains journaux, comme l'a dit M. Coomans, ont aussi été l'objet de poursuites pour annonces de loteries non autorisées.
De 1856 à 1806, il y a eu treize poursuites contre des journaux ; toutes ces poursuites ont donné lieu à des condamnations qui, toutes, ont été exécutées. Chaque fois les amendes qui avaient été infligées ont été payées. Et, chose remarquable, au nombre de ces journaux poursuivis, condamnés et exécutés, il s'en trouve un qui porte la signature de M. Anatole Coomans ; une condamnation a été prononcée contre ce journal le 25 février 1858, et l'amende a été payée sans contrainte le 27 mai de la même année.
Les souvenirs de M. Coomans l'ont donc très mal servi. Il n'existe pas la moindre trace de protestation de la part des journalistes qui ont été poursuivis et condamnés pour contravention à la loi du 11 décembre (page 524) et on n'a donc pas reculé devant leurs protestations, comme le prétendait M. Coomans. C'eût été là, d'ailleurs, un véritable abus.
« Art. 379. Quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, facilitant ou favorisant habituellement, pour satisfaire les passions d’autrui, la débauche, ou la corruption des mineurs de l'un ou de l’autre sexe, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, si les mineurs sont âgés de plus de quatorze ans accomplis, et de deux ans à cinq ans d'emprisonnement, si les mineurs n'ont pas atteint cet âge. »
- Adopté.
« Art. 381. Le minimum des peines portées par les articles présents sera élevé conformément à l'article 266 :
« Si les coupables sont les ascendants de la personne prostituée corrompue ;
« S'ils sont de la classe de ceux qui ont autorité sur elle ;
« S'ils sont ses instituteurs, ses serviteurs à gages ou serviteurs des personnes ci-dessus désignées ;
« S'ils sont fonctionnaires publics ou ministres d'un culte. »
M. Lelièvre. — Je pense qu'il est bien entendu que le paragraphe 3 ainsi conçu : « s'ils sont de la classe de ceux qui ont autorité », s'entend non seulement d'une autorité légale, mais également de toute autorité de fait, conformément aux principes admis par la jurisprudence en vigueur. Cette observation me paraît essentielle pour qu'il ne puisse s'élever aucun doute sur ce point.
- Cet article est adopté.
« Art. 382. Dans les cas prévus par le présent chapitre, les coupables seront, en outre, condamnés à une amende de cinquante francs à mille francs et à l'interdiction des droits spécifiés aux n°1, 3, 4, 5 et 7 de l'article 31.
« Si l'attentat a été commis par le père ou la mère, le coupable sera, en outre, privé des droits et avantages à lui accordés sur la personne et les biens de l'enfant par le code civil, livre I, titre IX, de la Puissance paternelle.
« Les coupables pourront, de plus, être placés sous la surveillance spéciale de la police, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »
- Adopté.
« Art. 388. La peine portée par l'article précédent sera appliquée an complice de la femme adultère.
« Les seules preuves qui pourront être admises contre ce complice seront, outre le flagrant délit, celles qui résulteront de lettres ou autres pièces écrites par lui. »
M. Liénartµ. - Votre commission a apporté deux modifications très importantes au chapitre VIII du titre VII du code pénal, transmis par le Sénat.
Je ne saurais approuver ni l'une ni l'autre de ces innovations et je regrette, pour ma part, que votre commission ne se soit pas bornée à vous proposer de sanctionner purement et simplement l'œuvre du Sénat.
La première modification consiste dans la suppression partielle de l'article 298 du code civil qui est ainsi conçu :
« Dans le cas de divorce admis en justice pour cause d'adultère, la femme adultère sera condamnée par le même jugement à la réclusion dans une maison de correction pour un temps déterminé qui ne pourra être moindre de trois mois, ni excéder deux années. »
La seconde innovation a pour objet de modifier quelque peu et d'étendre au mari la fin de non-recevoir que la femme puise dans l'article 356 in fine du code pénal actuellement en vigueur.
Tout en tenant compte de la nature spéciale du délit d'adultère et des ménagements indispensables dont il convient d'entourer la poursuite de ce délit, la plupart des auteurs reconnaissent cependant que le législateur de 1810 a plutôt sacrifié à la clémence qu'à la rigueur et qu'il a atteint les dernières limites de la mansuétude. La Chambre et le Sénat ont partagé cet avis, car ils ont, de commun accord, prononcé la peine de l'emprisonnement contre le mari adultère là où l'ancien code se contente de l'amende.
Aujourd'hui, votre commission vous propose de faire, deux pas en arrière et de multiplier, si possible, les entraves qui lient l'action publique.
Je viens vous engager, messieurs, à ne pas suivre la commission dans cette voie.
En effet, le principe dirigeant en cette matière, c'est que, dans l'intérêt de la paix et de l'honneur des familles, si la victime se tait et pardonne au coupable, l'action publique doit rester suspendue ; les intérêts de la répression sont balancés, dans ce cas, par les intérêts de la famille. Que si, au contraire, la victime se plaint, si elle refuse le pardon et juge à propos de venir exposer son infortune aux yeux du public, oh ! alors la répression reprend son libre cours et le ministère public cesse d'être désarmé.
Voilà pourquoi aux termes de l'article 298 du code civil, en cas de divorce prononcé contre la femme pour adultère, celle-ci doit-être condamnée, sur la réquisition du ministère public, à un emprisonnement. Cette disposition est en tous points conforme aux principes que je viens d'invoquer ; elle aurait dû être maintenue. Seulement, comme cet article ne dispose que contre la femme, il convenait, par esprit d'égalité, de l'étendre au mari, dans le cas où celui-ci aurait entretenu une concubine dans le domicile conjugal.
La suppression de l'article 298, que votre commission vous propose serait, je n'hésite pas à le dire, éminemment regrettable et ne se trouve nullement justifiée.
Par quel motif plausible prétendrait-on qu'il appartient encore à la victime qui argumente de l'adultère et qui, loin de pardonner à son conjoint, se sépare de lui publiquement et avec éclat, qu'il lui appartient encore, dis-je, d'enrayer l'action publique et de soustraire le coupable à l'application de la peine ? Comment ! le législateur hésiterait à frapper l'adultère lorsqu'il engendre la conséquence la plus fâcheuse au point de vue social, lorsqu'il devient la cause du divorce !
Cherchez et recherchez les motifs qui enrayent l'action publique en matière d'adultère lorsque la victime ne porte pas plainte, vous n'en trouverez que deux : ce sont l'intérêt de la famille d'abord ; la difficulté des preuves ensuite.
Or, aucun de ces motifs ne se rencontre dans le cas dont il s'agit, c'est-à-dire dans le cas de divorce prononcé pour adultère.
L'intérêt de la famille ! Mais la famille est dissoute, le lien conjugal est brisé, rompu. La difficulté des preuves ! Mais l'adultère est établi, puisqu'il a motivé le divorce.
Ainsi, messieurs, les raisons de faire exception au principe général qui attribue au ministère public la poursuite des délits, ces raisons n'existant plus dans l'espèce, il faut en revenir au droit commun ; car il importe à la dignité même du pouvoir répressif qu'un délit qui est prouvé et publié aux yeux de la justice, ne reste pas impuni lorsque aucune considération ne vient contrebalancer les avantages de la répression.
Le code pénal actuel pèche, vous l'avez reconnu, par un excès de douceur, n'aggravons pas ce défaut, surtout à une époque, où, par suite du relâchement des mœurs dans les classes aisées de la société, l'opinion publique a dépassé toutes les limites de l'indulgence vis-à-vis du délit qui nous occupe.
On m'objectera peut-être que le tribunal qui prononce le divorce étant un tribunal civil, il ne lui appartient pas d'exercer l'action répressive.
J'avoue que l'article 298 est une exception au principe général ; mais ce n'est pas la seule que le code contienne ; et quant à moi, je ne vois aucun inconvénient à la maintenir. Du reste, je ne tiens pas à la juridiction ; tout ce que je veux, c'est que la demande en divorce et le prononcé du divorce équivaillent à une plainte ; peu m'importe ensuite que la peine soit prononcée ou par un tribunal correctionnel ou par les juges du divorce.
J'arrive maintenant, messieurs, à la seconde innovation, et déjà les raisons que j'ai développées justifient en grande partie mon opinion sur cette délicate question..
Sous le code actuel, la femme poursuivie pour adultère trouve une fin de non-recevoir péremptoire dans ce fait que le mari a entretenu une concubine dans le domicile conjugal ; mais pareille fin de non-recevoir n'est pas accordée au mari.
Dans le désir de rétablir, en ce point comme en tous les autres, une égalité plus parfaite entre le mari et la femme, votre commission s'es demandé s'il fallait ou supprimer la fin de non-recevoir ou l'étendre au mari.
Mon avis est que cette fin de non-recevoir ne doit pas être admise.
Comme remarque de détail sur la proposition de la commission, je dirai seulement que ne je comprends pas très bien pourquoi le prévenu qui, antérieurement à la prévention dont il est l'objet, a fait condamner son conjoint pour adultère, ne trouverait pas, dans cette condamnation antérieure, une fin de non-recevoir qui lui appartiendrait s'il avait attendu, pour le faire condamner, jusqu'au moment où lui-même est l'objet d'une prévention du chef d'adultère.
La fin de non-recevoir, en supposant un instant qu'elle devrait être admise, résulte du fait de l'adultère commis antérieurement, mais il importe peu, me semble-t-il, que ce fait ait été judiciairement constaté soit avant, soit après la mise en prévention du second prévenu, surtout (page 525) lorsque la faute du second prévenu suit de près la constatation judiciaire du premier adultère.
Quoi qu'il en soit de cette distinction, je ne suis pas d'avis que les torts de l'un des époux doivent jamais assurer l'impunité à l'autre : il y a là une compensation qui me semble souverainement immorale.
Je conçois, jusqu'à un certain point, que les torts d'un des époux constituent une circonstance atténuante pour les fautes subséquentes de l'autre conjoint, mais je ne puis admettre l'argumentation de l'époux adultère venant dire à la justice : Je suis coupable, c'est vrai, j'ai manqué au devoir de fidélité, mais vous n'avez pas le droit de me punir ; mon conjoint s'est dérangé le premier.
Un pareil système serait excessivement dangereux pour la morale sociale. En le sanctionnant, le législateur semblerait dire, en guise de consolation à la victime ; Puisque votre conjoint a été infidèle, je vous autorise à le tromper impunément à votre tour.
Il suffit de traduire la fin de non-recevoir sous cette forme banale pour faire toucher du doigt tout ce qu'elle renferme à la fois d'original et de bizarre en même temps que d'excessivement nuisible aux intérêts de la société.
Aussi, pour colorer cette fin de non-recevoir, on a eu recours à diverses explications. Ces explications ressortent et du rapport de votre, commission et des discussions qui l'ont précédé dans le sein du Sénat.
On a dit d'abord : L'époux coupable est indigne de porter plainte. Cette objection repose sur une réminiscence peu heureuse, selon moi, de l'ancien droit et même sur une exagération des principes de cette législation.
Il n'y a plus, à proprement parler, de nos jours de délits privés. « La loi, dit un criminaliste célèbre, n'établit pas de peine en faveur du mari, mais bien en faveur de la société. Ce n'est pas parce que l'adultère outrage l'époux dans ses affections et dans son honneur que la loi l'érigé en délit, c'est parce que c'est un mal moral, la violation d'un devoir, c'est parce qu'il brise des droits qu'elle a consacrés, qui sont l'une des bases de l'ordre social, et qu'elle doit protéger ; c'est surtout parce que l'immoralité et le désordre qu'il jette au sein de la société quand il devient public, appellent une répression qui n'est alors que la juste sanction de la morale publique. »
Mais on insiste en disant que l'impunité assurée au second coupable est un moyen efficace de rappeler à ses devoirs celui des époux qui, le premier, serait tenté de les oublier.
En vérité, je le demande, est-ce ainsi que le législateur doit prêcher la morale ? Ne voit-on pas qu'avec un pareil système une première faute amènera souvent la ruine complète de l'union conjugale, parce que le dépit de la victime d'abord, et surtout la certitude de l'impunité ne la porteront que trop à user de représailles.
Si le législateur érige en principe la réciprocité des fautes, que deviendra la famille ? La vie commune deviendra alors, suivant l'expression énergique d'un jurisconsulte distingué, pour les époux un enfer et pour la société un perpétuel sujet de scandale. Il y a là un grand danger social, car on a tout à craindre de ces situations irrégulières et troublées.
C'est ce danger que je redoute et qui me fait repousser les différentes modifications proposées par la commission, pour me rallier purement et simplement au système plus rationnel, plus juridique et plus moral adopté par le Sénat.
M. Lelièvreµ. - Je ne partage pas l'avis de la commission en ce qui concerne l'abrogation de l'article 298 du code civil autorisant le juge saisi de la demande en divorce ou en séparation de corps à prononcer la peine publique contre la femme adultère.
D'abord la rédaction de la disposition proposée est vicieuse. Si la poursuite ne peut avoir lieu que sur la plainte de la partie lésée, il est peu correct d'ajouter les mots « ou la condamnation ». Si l'on veut abroger l'article 298 ci-dessus énoncé, on doit édicter à cet égard une prescription conçue en termes clairs et précis ; mais à mon avis, celui qui poursuit le divorce ou la séparation de corps du chef d'adultère de la femme, formule en justice une plainte caractérisée, et comme, il s'agit d'un véritable délit privé, il est naturel de conférer au juge civil le droit énoncé à l'article 298. Le juge civil a entendu les témoins, le scandale de la poursuite s'est produit en entier. On ne comprend pas qu'on puisse le laisser se renouveler devant le juge correctionnel.
L'action en divorce ou en séparation de corps équivaut à une plainte, et pour éviter de nouvelles poursuites scandaleuses, il est préférable d'y mettre fin pour le tout en maintenant aux tribunaux civils le pouvoir leur conféré par la disposition qu'on veut abroger.
Telles sont les considérations qui me portent à penser que l'innovation proposée ne peut être accueillie.
Quant à la fin de non-recevoir qui, d'après la commission, peut être opposée à la plainte de l'un des époux, je partage en ce point l'avis de la commission. D'abord le système proposé est conforme au code pénal en vigueur et il n'a donné lieu à aucun inconvénient. En second lieu, il est fondé sur la nature des choses. En effet, ne perdons pas de vue que le délit d'adultère est un délit privé, consistant dans la violation des obligations résultant du contrat de mariage. Or, n'est-il pas naturel que celui qui a le premier enfreint le contrat ne puisse se plaindre de ce que son conjoint l'a violé à son tour ?
On connaît la maxime fidem fragenti fides fragatur eidem. Il est impossible d'admettre celui qui a donné l'exemple d'une violation de la foi conjugale, à exercer une action judiciaire fondée sur semblable fait commis par l'autre époux. C'est la conséquence résultant des principes du droit commun en matière de contrats. Or, en cette matière, il faut maintenir les règles du droit commun, parce qu'il s'agit d'un délit privé, subordonné entièrement à la volonté des époux, qui peuvent, soit par la réconciliation, soit par leur seule volonté, arrêter l'action du ministère public, alors même que la poursuite est introduite.
Ne perdons pas de vue, d'ailleurs, qu'eu égard au scandale qui est la conséquence des actions de l'espèce, l'on doit fatalement admettre les moyens propres à les empêcher. Or, n'est-il pas évident que, dans l'intérêt public, la fin de non-recevoir la plus péremptoire c'est celle déduite de la conduite du plaignant qui est toujours mal reçu à venir se plaindre de son conjoint, qu'il a porté lui-même à la violation de ses devoirs en lui donnant de fâcheux exemples. Tels sont les motifs qui m'engagent à appuyer sur ce point le système de la commission.
- L'article 388 est mis aux voix et adopté.
« Art. 390. La poursuite pour adultère ne pourra avoir lieu que sur la plainte de l'époux qui se prétendra offensé. »
MpVµ. - Il y a un amendement de la commission ainsi conçu :
« Art.03590. La poursuite ou la condamnation ne pourra avoir lieu que sur la plainte de l'époux qui se prétendra offensé.
« Le prévenu n'encourra aucune peine, lorsque, sur sa plainte, son conjoint est condamné du chef d'adultère, pour un fait antérieur à celui pour lequel il est lui-même poursuivi. »
M. Pirmezµ. - Messieurs, les honorables MM. Liénart et Lelièvre ont traité la double question dont s'occupe l'amendement que propose la commission.
La première est celle de savoir s'il faut maintenir le code civil qui veut que dans le cas où le tribunal prononce le divorce, il condamne la femme contre laquelle le divorce pour adultère aura été réclamé.
Votre commission, messieurs, a pensé qu'il fallait abroger la disposition. Il y a lieu de remarquer d'abord que cette disposition constitue une anomalie.
Le tribunal civil n'est pas appelé en général à prononcer des peines. C'est le seul cas de nos lois où le résultat d'un procès civil soit suivi de condamnation pénale pour l'une des parties.
A cette anomalie s'en joint une autre. C'est que d'après le système que propose la commission, et qui est celui du gouvernement, il y a inégalité entre la femme et le mari.
Le nouveau code considère l'adultère commis par le mari, dans les circonstances qu'il détermine, comme devant entraîner des peines de même nature que celles qui sont prononcées contre la femme.
Si l'on veut être conséquent, il faut non seulement maintenir l'article du code civil, mais encore l'étendre au mari et dire qu'en cas de divorce, il faut toujours condamner à un emprisonnement l'époux contre lequel le divorce est prononcé.
La commission s'est trouvée dans cette alternative ou d'abroger complètement l'article du code civil ou de l'étendre au mari. Elle a pensé qu'il était plus convenable d'abroger complètement cette disposition qui constitue une anomalie et de revenir au droit commun, que d'étendre la disposition aux deux époux.
Voici pourquoi elle l'a pensé.
D'après notre législation, l'adultère est un délit de droit privé, c'est-à-dire que l'époux adultère ne doit être puni que s'il y a plainte. L'époux peut demander le divorce contre son conjoint sans vouloir qu'il soit condamné à une peine.
Nous croyons que dans tous les cas il doit être juge du point de savoir s'il y a lieu de prononcer une peine. Dans l'affirmative, il peut porter plainte, et alors les tribunaux correctionnels seront juges. Si, au contraire, il ne veut demander que le divorce, nous croyons qu'il faut s'en (page 526) rapporteur à lui et qu'il n'y a pas lieu de prononcer une peine contre son gré.
La seconde question, messieurs, est bien plus grave. Vous avez déjà entendu les observations contraires des honorables MM. Liénart et Lelièvre. La question se résout à ceci : Faut-il, dans la poursuite d'adultère, tenir compte à l'époux poursuivi des torts antérieurs de son conjoint ? Telle est la question.
Le Sénat a pensé qu'il ne fallait insérer dans la loi aucune disposition à cet égard, qu'il fallait, dans tous les cas, maintenir la plénitude de la répression contre les deux conjoints coupables.
Ce système du Sénat est en contradiction avec celui de la Chambre.
La Chambre a adopté un autre système, elle a pensé que quand les deux époux sont coupables, il ne fallait pas étendre la répression aux deux époux, mais qu'il fallait concentrer toute la rigueur de la loi sur celui qui par un premier tort a introduit le désordre dans le ménage.
Vous avez maintenant, messieurs, à choisir entre les deux systèmes. Votre commission vous propose d'en revenir au système que vous avez déjà voté, en repoussant celui du Sénat.
M. de Brouckere. - Il y a un troisième système, celui de compensation.
M. Pirmezµ. - Oui, mais je ne crois pas qu'il puisse être produit. Le système de compensation consisterait à innocenter les deux époux.
Je ne puis admettre que si un époux s'est rendu, sans aucune provocation, coupable d'adultère, il puisse être innocenté, parce que son conjoint, entraîné par son exemple, aurait commis une faute à son tour. Le fait du premier coupable a toute sa gravité et subsiste tout entier malgré le fait postérieur de l'autre conjoint.
Je crois que celui qui a le premier commis la faute doit être puni et ne peut invoquer le fait postérieur que sa faute a provoqué.
Il va, messieurs, entre ces deux systèmes cette grande différence que l'un attache à la peine une influence beaucoup plus grande que l'autre.
L'honorable M, Liénart paraît croire qu'à défaut de peine en cette matière on encouragerait de grands désordres, que les adultères se multiplieraient et que l'on abandonnerait complètement la sanction du lien conjugal.
Je dois à cet égard répondre immédiatement que je ne crois pas beaucoup à l'efficacité des peines en cette matière. Je ne crois pas que les peines que nous prononçons empêchent beaucoup l'adultère.
Je crois que si dans notre pays l'union conjugale est, sauf des exceptions quelquefois bruyantes, généralement respectée, nous ne devons pas attribuer ce résultat à la sanction pénale, mais bien aux mœurs, aux habitudes de moralité, à la sanction de l'opinion.
M. Moncheurµ. - Et au sentiment religieux.
M. Pirmezµ. - Et au sentiment religieux sans doute, mais ce n'est pas à la sanction pénale.
S'il en est ainsi, c'est un motif de ne pas craindre de voir diminuer l'intervention des tribunaux et je crois qu'à ce point de vue les observations de l'honorable M. Liénart n'ont aucun fondement.
Voyons donc, messieurs, si d'après les idées qui forment la base de la législation en cette matière, il est nécessaire d'étendre la pénalité aux deux conjoints.
Messieurs, je viens de le dire, notre législation considère l'adultère comme étant un délit privé, c'est-à-dire un délit dont la poursuite et la vengeance appartiennent à l'époux offensé. La loi fait une espèce de délégation de son autorité à l'époux offensé pour poursuivre son conjoint coupable d'infidélité.
La question revient ainsi à savoir si lorsqu'un époux a les torts les plus graves, puisque le premier il a violé la foi conjugale, il peut encore être investi de cette délégation de la loi et si l'on peut confier au principal coupable le droit de faire poursuivre et de faire prononcer une peine contre son conjoint, moins coupable que lui. Eh bien, je n'hésite pas à le dire, il y a là une cause d'indignité incontestable.
C'est une espèce de magistrature privée que l'on confère à l'époux en matière d'adultère. On lui donne le droit d'invoquer la force publique, l'autorité de la loi pour faire punir un méfait dont il se plaint. On lui donne le droit de juger s'il faut punir cet acte.
S'il en est ainsi, il faut déclarer qu'il est déchu de cette magistrature, lorsque lui-même est plus coupable que celui qu'il veut faire punir.
M. Teschµ. - Sinon, il faut faire de l'adultère exclusivement un délit public.
M. Pirmezµ. - L'observation que fait l'honorable M. Tesch est extrêmement juste.
Si vous n'admettez pas l'idée que je viens d'énoncer, qu'il y a une espèce de magistrature de droit privé dont on investit l'un des époux ; si vous n'admettez pas en même temps que lorsque cet époux est le plus coupable des deux, il doit être déchu de cette magistrature ; si vous n'attachez pas à la répression ce caractère intime, et si vous croyez que l'intérêt social commande la poursuite de l'adultère, il faut que dès que le ministère public connaît un fait d'adultère, il intente une poursuite d'office.
C'est la conséquence du système que nous combattons, et cette conséquence, je pense, ne sera admise par personne.
En effet, messieurs, il y a dans la poursuite d'adultère presque toujours plus d'inconvénients que d'avantages. Les inconvénients du scandale sont plus grands que les avantages de la répression.
Pourquoi maintenez-vous la peine ? Ce n'est pas dans le but principal de maintenir la foi du mariage ; car je crois que la peine est peu efficace en cette matière ; mais c'est parce que, lorsque l'époux offensé se plaint, la loi ne doit pas paraître, par son inertie, donner son approbation au fait qui lui est signalé. C'est une satisfaction que vous donnez à la conscience publique.
Je n'hésite pas encore une fois à le dire, si vous voulez poursuivre les deux époux dans le cas dont il s'agit, vous n'aurez pas donné satisfaction à la conscience publique ; au contraire vous l'aurez profondément blessée.
Supposez qu'un des époux se soit rendu coupable d'adultère, ait violé la foi conjugale de la manière la plus scandaleuse alors que son conjoint menait une vie exemplaire, et que celui-ci, provoqué par ces désordres, excité par le mauvais exemple qu'il a sous les yeux, exaspéré par une conduite qui le blesse profondément, commette à son tour une faute.
Si tous deux comparaissent devant la justice, et si vous les condamnez tous deux, l'opinion publique dira : Il n'y a pas de justice dans cette égale répression, parce que les fautes ne sont pas égales ; celui qu'il faut punir, c'est celui qui, le premier, a jeté le désordre dans l'union conjugale ; c'est, contre celui-là que l'opinion publique et la conscience publique en même temps, c'est-à-dire l'opinion éclairée et morale de la population se prononcera.
Quand vous aurez puni ce premier coupable, vous aurez donné une pleine et entière satisfaction à ce sens moral public.
L'opinion dira que ce premier coupable a bien mérité ce qui arrive, que le second a peut-être été trop loin dans sa vengeance ; mais personne ne se plaindra de ce que le premier époux ait non seulement la peine immédiate, mais ait à subir les conséquences de la conduite mauvaise dont il a le premier donné l'exemple.
Il y a une autre considération qui, à elle seule, me paraît décisive pour ne pas punir à la fois les deux époux conjoints ; c'est la position des enfants.
L'adultère est une faute qui ne se commet pas à tous les âges de la vie, mais qui généralement se commet lorsque les enfants sont jeunes.
M. Vleminckxµ. - Cela dépend. (Interruption.)
M. Pirmezµ. - L'honorable M. Vleminckx qui est un médecin éminent est beaucoup plus apte que moi pour se prononcer à cet égard, mais je croit que s'il a étudié les statistiques sur ce point, il reconnaîtra que d'une manière générale et sauf les exceptions que peuvent contenir les livres de science, ces fautes se commettent à un âge où les enfants des deux conjoints sont encore jeunes. Or, je crois que, dans ce cas, il y aurait le plus grand inconvénient à condamner à l'emprisonnement en même temps les deux conjoints. Car, pendant ce temps, que deviendront les enfants, que deviendront les affaires de la communauté, que deviendront les affaires du ménage ?
M. Nothomb. - Il y aura une double infamie
M. Pirmezµ. - Comme le dit l’honorable M. Nothomb, non (page 527) seulement vous avez une double infamie dont vous frappez les deux conjoints, mais vous faites rejaillir les conséquences des fautes commises sur les enfants qui en sont innocents.
Vous laissez les enfants sans protecteur, vous les mettez en mains de tiers qui en auront moins de soin que l'un des époux ; et que deviendront des affaires qui peut-être, dans l'intérêt de la famille, demandent une gestion active ?
Il me paraît que cette considération à elle seule, et à part les autres considérations d'un caractère plus élevé que j'ai fait valoir d'abord, suffit pour faire voir qu'en cas de double faute, il ne faut pas condamner les deux époux à l'emprisonnement, priver des enfants, presque toujours en bas âge, d'un protecteur et livrer les affaires de la famille à un abandon complet, pendant des mois entiers.
Je crois qu'en présence de ces considérations, vous penserez qu'en une matière où la peine et la condamnation ont si peu d'avantages et offrent tant d'inconvénients, il faut les restreindre autant que possible, et que puisqu'il faut un châtiment, il faut se borner à le porter sur l'époux le plus coupable et ne pas l'étendre à celui qui n'a fait que suivre le mauvais exemple.
Messieurs, l'honorable M. Tesch me fait observer que j'ai oublié de répondre à un point.
L'honorable M. Liénart a demandé pourquoi le condamnation antérieure de l'un des époux n'était pas une fin de non-recevoir contre l'adultère. La réponse à cette question est très simple. La commission qui a examiné à plusieurs reprises cette question et qui a fait plusieurs rapports à cette occasion, a pensé qu'il fallait établir le système suivant : Lorsqu'une faute est expiée ou par la réconciliation, ou par la prescription, ou par une condamnation, elle ne peut plus être remise en jeu.
L'époux offensé peut invoquer comme exception la faute antérieure de son conjoint, lorsque cette faute est encore tout entière, lorsque cette faute n'a pas été couverte par une réconciliation qui doit rétablir le ménage sur l'ancien pied, lorsque la faute passée n'a pas été expiée par une condamnation qui peut être considérée comme une expiation complète qui remet aussi les choses à nouveau, lorsqu'elle n'est pas assez ancienne, pour que la prescription la couvre ; mais lorsqu'il en est autrement la commission a cru qu'il n'y avait plus lieu à l'excuse péremptoire de la faute précédemment commise.
Et quand l'époux offensé a lui-même saisi la justice et a fait prononcer la condamnation, si postérieurement il tombe dans la faute qu'il a fait punir d'un emprisonnement, alors il doit subir la loi que lui-même a tracée, et puisqu'il a fait condamner son conjoint à l'emprisonnement, il est très juste que lui-même soit condamné à l'emprisonnement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je me rallie au premier paragraphe de l'article 390, tel qu'il a été amendé par la commission, mais je ne puis me rallier au deuxième paragraphe.
Le premier paragraphe a pour objet d'empêcher la condamnation dans les cas des articles 298 et 308 du code civil. Je crois que c'es réellement une amélioration ; du reste, la proposition de la commission a déjà été adoptée par la Chambre au premier vote.
L'honorable M. Liénart et l'honorable M. Lelièvre ont attaqué cet article, prétendant que dès qu'il y a demande en divorce ou en séparation de corps du chef d'adultère, le scandale est produit et qu'il n'y a plus de raison pour arrêter l'action publique.
Sans doute cet argument a une certaine valeur ; mais la doctrine du code civil, qui n 'a voulu la punition de l'adultère que dans le cas de plainte de l'époux offensé, cette doctrine ne repose pas uniquement sur l'absence de scandale, elle repose aussi sur la volonté de l'époux outragé, qui peut très bien vouloir le divorce pour cause d'adultère, mais ne pas vouloir qu'une peine soit infligée à son conjoint. Il y a, messieurs, des intérêts très graves engagés dans cette question ; ce sont les intérêts des enfants : l'époux adultère peut avoir la garde des enfants. Les relations entre les époux peuvent être telles, qu'il y ait lieu à la dissolution du mariage, mais qu'il n'y ait pas lieu à emprisonnement.
Seulement, messieurs, je crois qu'il faut modifier la rédaction de la commission. En effet, cette rédaction est ainsi conçue :
« La poursuite ou la condamnation ne pourra avoir lieu que sur la plainte de l'époux qui se prétendra offensé.
« Le prévenu n'encourra aucune peine, lorsque, sur sa plainte, son conjoint est condamné du chef d'adultère, pour un fait antérieur à celui pour lequel il est lui-même poursuivi. »
Quand on lit le rapport, il n'y a pas l'ombre d'un doute, c'est la condamnation dans le cas des articles 298 et 308 du code civil, dans le cas de divorce ou de séparation de corps ; mais si l'on n'a pas le rapport sous les yeux, on pourrait croire que le ministère public a le droit de poursuivre et que l'époux offensé peut intervenir et venir dire : « Je vous défends de condamner. »
M. Pirmez rapporteurµ. - Il ne peut y avoir ni poursuite ni condamnation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais proposer une rédaction qui rentre complètement dans la pensée de la commission.
« La poursuite, et dans les cas des articles 298 et 308 du code civil, la condamnation à la peine d'emprisonnement pour adultère ne pourront avoir lieu que sur la plainte de l'époux qui se prétendra offensé. »
L'honorable membre me fait un signe que ce n'est pas cela. Il y a deux hypothèses, la première c'est la poursuite, la deuxième hypothèse c'est la condamnation incidente dans le cas de demande en divorce ou en séparation de corps.
M. Pirmez, rapporteurµ. - D'abord il y a inconvénient à citer les articles 298 et 308 du code civil, ce. serait une anomalie d'abroger expressément des articles du code civil au milieu du code pénal.
En outre il me paraît qu'il faut proscrire tout à fait la condamnation par le tribunal civil.
Or, d'après la rédaction que propose M. le ministre de la justice, le tribunal civil continuerait à prononcer la condamnation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sous ce rapport-là, je demande qu'on n'innove pas ; ne modifions pas ici le code civil. Je veux bien que le juge civil ne prononce pas de peine lorsque l'époux outragé ne le requiert pas ; mais il faut aussi qu'on ne fasse pas deux instances, l'une devant le juge civil, l'autre devant le tribunal correctionnel.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Les auteurs ne sont pas d'accord sur le point de savoir si l'article du code civil est encore en vigueur ou non ; nous avons voulu trancher la controverse et M. le ministre de la justice sait bien qu'il suffit pour cela d'un mot inséré dans la loi et dont le sens est indiqué par la discussion.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Votre rédaction ne peut pas rester ce qu'elle est, car vous autorisez la poursuite d'office.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Mettez alors : « Ni poursuites, ni condamnation. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut toujours lire votre rapport pour savoir quand il pourra y avoir condamnation.
On pourrait, du reste, voter l'article tel qu'il est, si la Chambre admet le système ; ce que je demande, c'est une rédaction plus claire.
On pourrait donc voter l'article, sauf à y revenir au second vote. (Interruption.)
L'honorable M. Pirmez dit que la question de savoir qui prononcera la peine, du tribunal civil ou du tribunal correctionnel, dont il s'agit, est résolue dans son rapport dans le sens négatif. Je crois qu'il y a beaucoup d'inconvénients à faire comparaître deux fois les époux devant la justice.
J'avais pensé, messieurs, que le but de la disposition était de ne permettre aux tribunaux civils de condamnation en vertu des articles 298 et 308 du code civil que dans le cas où l'époux outragé le requérait.
M. Pirmez, rapporteurµ. - D'après la commission, l'article 298 du code est complètement abrogé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je crois que le plus simple est de voter l'article sous réserve d'en modifier la rédaction lors du second vote, si cela est nécessaire.
Quant au deuxième paragraphe de l'article 390, il m'est impossible de l'admettre et je demanderai à la Chambre la permission d'exprimer mon opinion sur ce sujet délicat.
Quelle est la question ? D'après le système du Sénat, lorsque l'un des époux a commis une faute et que l'autre époux a commis la même faute, s'il y a plainte, les deux époux sont condamnés. D’après le système de la commission, que vient de développer l'honorable M. Pirmez, système qui a été adopté par la Chambre au premier vote, lorsque l'un des époux commet une faute, l'autre époux ne peut plus être condamné pour une faute analogue
Eh bien, messieurs, ce système offre des dangers considérables que je vais me permettre d'exposer.
Je n'ai pas défendu le système volé par le Sénat ; j'ai dit que je trouvais dans la première faute commise par l'un des époux une excuse et j'ai demandé que l'époux coupable de la seconde faute ne fût passible (page 528) que de l’amende. Le Sénat ne s'est pas rallié à mon opinion, et cela par un motif qui rentrait du reste dans mes idées ; il a dit que la justice apprécierait la culpabilité des deux époux, et tiendrait compte, dans la limite du minimum et du maximum, des différences dans la position respective des conjoints.
La commission de la Chambre propose un système qui n'est autre que la peine du talion. En droit, messieurs, ce système n'est pas justifiable. L'honorable M. Pirmez dit : « C'est un délit privé », mais ce n'est plus un délit privé, du moment que la cause est déférée à la justice. C'est un délit privé en ce sens qu'il ne peut être poursuivi que sur la plainte de l'un des époux, mais dès que la plainte a été lancée, il n'y a plus qu'un délit ordinaire. (Interruption.)
- Un membre. - L'époux peut empêcher la condamnation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est plus le même ordre d'idées.
Au point de vue du public, un délit d'adultère, commis et poursuivi devant les tribunaux produit un effet plus mauvais qu'une légère voie de fait commise par l'un des époux. Eh bien, je suppose que l'un des époux ait donné à l'autre une chiquenaude, l'autre pourra dire : J'en ai fait autant ; je demande qu'on condamne celui qui a commencé. (interruption.)
La question est de savoir si au point de vue de la moralité publique vous pouvez proclamer dans la loi que celui qui a commis un fait mauvais, doit être disculpé parce qu'une autre personne a commis antérieurement une faute semblable.
Voilà au point de vue social ; maintenant, au point de vue pratique, voyons quel avantage doit avoir le système de la commission.
Un époux a la preuve que son conjoint a commis une faute grave ; eh bien, pendant tout le temps qui s'écoulera avant que la prescription soit acquise, l'époux qui a commis la faute sera dans une position des plus singulières ; son conjoint dira : Je puis vivre dans le libertinage tant que je veux ; il n'y aura pas moyen de l'arrêter dans sa vie de désordre, et si l'époux qui a le premier manqué à la foi conjugale s'avise de se plaindre, c'est lui, lui seul qui sera condamné. (Interruption.)
C'est évidemment ainsi. Je suppose qu'un mari commette le délit d'adultère et que la femme ait la preuve la plus complète du délit ; eh bien, si elle se retire de la maison conjugale et va vivre avec son amant, le mari ne pourra pas faire cesser ce désordre, car l'épouse de son côté dira : Je puis vous faire condamner.
- Un membre. - Dans votre système, vous les mettez tous deux en prison
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment, l'emprisonnement sera un frein dans un pareil cas.
Sans doute, pour les classes élevées de la société, l'emprisonnement ne fera pas grand-chose ; mais je pense qu'il n'en sera pas de même en ce qui concerne les classes inférieures ; là la menace de l'emprisonnement portera ses fruits.
Au surplus, je répète que pendant trois ans, l'époux qui aura une faute à se reprocher sera dans une position très désagréable vis-à-vis de l'autre conjoint ; dans un certain monde, je vous garantis qu'il y aura beaucoup de gens qui feront ce raisonnement : « Je ne risque absolument rien, j'ai une arme en main pour empêcher qu'on ne me fasse condamner ».
Donc, au point de vue pratique, le système présenté par la commission offre du danger ; pour ma part, je préfère le système adopté par le Sénat.
L'honorable M. Pirmez dit que celui qui a commencé à jeter le désordre dans le ménage doit être puni ; eh bien, il y aura des époux très heureux d'avoir une faute à reprocher à leurs conjoints pour pouvoir commettre les faits les plus graves.
Je crois que la proposition de la commission n'est pas heureuse, et je préfère, comme je l'ai dit, l'article qui a été adopté par le Sénat. Le juge sera appréciateur des faits, il verra quel est l'époux le plus coupable, et, le cas échéant, il pourra ne punir que de l'amende celui des conjoints qui n'a que des torts relatifs.
MpVµ. - Messieurs, la commission entend-elle procéder au voie ou bien renvoyer à la commission ?
M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, la commission a déjà fait son rapport ; elle présente un système ; je suis convaincu que les considérations que M. le ministre de la justice a présentées sont parfaitement connues de la commission. Cette matière est très délicate. On peul dire beaucoup pour et beaucoup contre. La commission ne pourra que persister d ans son système.
- La Chambre décide qu'elle volera immédiatement.
Le premier paragraphe du projet de la commission est mis aux voix et adopté.
Le second paragraphe du projet de la commission est ensuite mis aux voix et n'est pas adopté.
« Art. 393. L'homicide commis avec intention de donner la mort est qualifié meurtre. Il sera puni des travaux forcés à perpétuité. »
- Adopté.
« Art. 394. Le meurtre commis avec préméditation est qualifié assassinat. Il sera puni de mort. »
- Adopté.
« Art. 395. Est qualifié parricide et sera puni de mort, le meurtre des père, mère ou autres ascendants légitimes, ainsi que le meurtre des père ou mère naturels. »
- Adopté.
« Art. 396. Est qualifié infanticide, le meurtre commis sur un enfant au moment de sa naissance ou immédiatement après.
« L'infanticide sera puni, suivant les circonstances, comme meurtre ou comme assassinat.
« Toutefois la mère qui aura commis ce crime sur son enfant illégitime, sera punie des travaux forcés de dix ans à quinze ans.
« Si elle a commis le crime avec préméditation, elle sera punie des travaux forcés de quinze ans à vingt ans. »
M. Lelièvreµ. - L'article que nous discutons a subi quelques modifications admises par le Sénat, qui ne peuvent recevoir mon assentiment.
J'estime, avec la commission de la Chambre, qu'au point de vue de la pénalité, il importe de faire une distinction entre l'infanticide commis par la mère sur un enfant illégitime et celui consommé sur un enfant légitime, par le motif que quand il est question d'un enfant illégitime, la mère se trouve dans une situation mentale qui atténue la gravité du fait, situation qui, dans plusieurs cas, est voisine de la démence.
Il y a donc, dans les deux actes délictueux, une différence de culpabilité morale dont le législateur doit tenir compte.
Tous les jurisconsultes qui ont écrit sur le droit criminel ont constaté la nécessité d'établir la distinction dont il s'agit, et ce serait méconnaître la vérité des faits que de la perdre de vue. Elle a été signalée dans la dissertation de nôtre honorable collègue M. de Brouckere, que j'ai citée en 1859 dans mon rapport et qui, en 1822, a obtenu le prix à l'université de Liège.
Du reste, d'après les pénalités admises par le Sénat, ce serait maintenir un état de choses qui a très fréquemment donné lieu à de scandaleux acquittements, car jamais on ne parviendra à convaincre le jury qu'une malheureuse qui, cédant à la honte, a commis un fait dont, à raison de son état mental, elle ne pouvait comprendre la portée, doit être assimilée à la mère dénaturée qui a fait périr son enfant légitime, au mépris des sentiments naturels qu'aucun motif ne pouvait étouffer. Je ne puis donc que me rallier au système de la commission.
- L'article est adopté.
« Art. 397. Est qualifié empoisonnement, le meurtre commis par le moyen de substances qui peuvent donner la mort plus ou moins promptement, de quelque manière que ces substances aient été employées ou administrées. Il sera puni de mort. »
- Adopte.
« Art. 398. Quiconque aura volontairement fait des blessures ou porté des coups, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de vingt-six francs à cent francs, ou d'une de ces peines seulement.
« En cas de préméditation, le coupable sera condamné à un emprisonnement d'un mois à un an et à une amende de cinquante francs à deux cents francs. »
- Adopté.
« Art. 399. Si les coups ou les blessures ont causé une maladie ou une incapacité de travail personnel, le coupable sera puni d'un emprisonnement de deux mois à deux ans.
« Le coupable sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois (page 529) ans et d'une amende de cent francs à cinq cents francs, s'il a agi avec préméditation. »
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a probablement ici une omission.
Le premier paragraphe ne porte pas la peine de l'amende. Or, dans tous les autres cas prévus, il y a une amende. Il faut donc ajouter au premier paragraphe :
« et d'une amende de 50 fr. à 200 fr. »
- L'article ainsi modifié est adopté.
« Art. 400. Les peines seront un emprisonnement de deux ans à cinq ans et une amende de deux cents francs à cinq cents francs, s'il est résulté des coups ou des blessures, soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente de travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave.
« La peine sera celle de la réclusion, s'il y a eu préméditation. »
- Adopté.
« Art. 402. Sera puni d'un emprisonnement de trois mois à cinq ans et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs, quiconque aura causé à autrui une maladie ou incapacité de travail personnel, en lui administrant volontairement, mais sans intention de tuer, des substances qui peuvent donner la mort, ou des substances qui, sans être de nature à donner la mort, peuvent cependant altérer gravement la santé. »
- Adopté.
« Art. 403. La peine sera la réclusion, lorsque ces substances auront causé, soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente de travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe. »
- Adopté.
« Art. 404. Si les substances administrées volontairement, mais sans intention de donner la mort, l'ont pourtant causée, le coupable sera puni des travaux forcés de quinze ans à vingt ans. »
- Adopté.
« Art. 405. La tentative d'administrer à autrui, sans intention de donner la mort, des substances de la nature de celles mentionnées à l'article 402, sera punie d'un emprisonnement d'un mois à trois ans et d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs. »
- Adopté.
« Art. 407. Si le fait a causé des blessures de la nature de celles prévues par l'article 399, le coupable sera condamné aux travaux forcés de dix ans à quinze ans. »
- Adopté.
« Art. 408. Si le fait a causé la mort d'une personne, le coupable sera puni des travaux forcés à perpétuité. »
- Adopté.
« Art. 410. Dans les cas mentionnés aux articles 398 à 404, si le coupable a commis le crime ou le délit envers ses père et mère légitimes, naturels ou adoptifs, on envers ses ascendants légitimes, le minimum des peines portées par ces articles sera élevé conformément à l'article 266. »
- Adopté.
« Art. 412. Les crimes et les délits mentionnés au précédent article sont également excusables, s'ils ont été commis en repoussant, pendant le jour, l'escalade ou l'effraction des clôtures, murs ou entrées d'une maison habitée ou de leurs dépendances, à moins qu'il soit établi que l'agent n'a pas pu croire à un attentat contre les personnes, soit comme but direct de celui qui tente l'escalade ou l'effraction, soit comme conséquence de la résistance que rencontreraient les desseins de celui-ci. »
M. Lelièvreµ. - L'article me paraît devoir donner lieu à un grave inconvénient ; je ne pense pas que le jury, composé presque toujours de personnes étrangères à la science du droit, comprenne les idées métaphysiques exprimées dans l'article : « Attentat, soit comme but direct de celui qui tente l'escalade ou l'effraction, soit comme conséquence de la résistance que rencontreraient les desseins de celui-ci. »
Je crains que le jury auquel une question sera posée dans les termes ci-dessus, n'en comprenne pas la portée. Du reste, en ce qui me concerne, je ne puis me rallier à la disposition dont il s'agit, qui établit des distinctions nouvelles, repoussées par les législations antérieures et dont la nécessité n'est nullement justifiée. (Interruption.)
Je pense qu'il faudrait renvoyer l'article à la commission à l'effet de proposer une rédaction plus claire et moins métaphysique.
M. Pirmez, rapporteurµ. - Messieurs, la rédaction que critique l'honorable M. Lelièvre est la rédaction du Sénat. M. Lelièvre devrait en présenter une autre ou bien demander l'adoption de la rédaction qui a été votée par la Chambre, s'il croit qu'elle est préférable ; mais je ne vois aucune utilité à renvoyer l'article à la commission, qui l'a mûrement examiné.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 413. L'homicide, les blessures et les coups sont excusables, lorsque le crime ou le délit est commis par l'un des époux sur l'autre époux et son complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit d'adultère. »
- Adopté.
« Art. 414. Lorsque le fait d'excuse sera prouvé :
« S'il s'agit d'un crime emportant la peine de mort, ou celle des travaux forcés à perpétuité, la peine sera réduite à un emprisonnement d'un an à cinq ans et à une amende de cent francs à cinq cents francs ;
« S'il s'agit de tout autre crime, elle sera réduite à un emprisonnement de six mois à deux ans et à une amende de cinquante francs à deux cents francs ;
« S'il s'agit d'un délit, la peine sera réduite à un emprisonnement, de huit jours à trois mois et à une amende de vingt-six francs à cent francs. »
- Adopté.
« Art. 415. Les excuses énumérées dans la présente section ne sont pas admissibles, si le coupable a commis le crime ou le délit envers ses père, mère ou autres ascendants légitimes, ou envers ses père ou mère naturels. »
- Adopté.
« Art. 416. Il n'y a ni crime ni délit, lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légitime défense de soi-même ou d'autrui. »
- Adopté.
« Art. 417. Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de la défense, les deux cas suivants :
« Si l'homicide a été commis, si les blessures ont été faites, si les coups ont été portés, en repoussant, pendant la nuit, l'escalade ou l'effraction des clôtures, murs ou entrées d'une maison ou d'un appartement habité ou de leurs dépendances, à moins qu'il soit établi que l'agent n'a pas pu croire à un attentat contre les personnes, soit comme but direct de celui qui tente l'escalade ou l'effraction, soit comme conséquence de la résistance que rencontreraient les desseins de celui-ci ;
« Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vol ou de pillage, exécutés avec violence envers les personnes. »
- Adopté.
« Art. 420. S'il n'est résulté du défaut de prévoyance ou de précaution que des coups ou des blessures, le coupable sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de cinquante francs à cinq cents francs, ou d'une de ces peines seulement. »
- Adopté.
« Art. 421. Sera puni d'un emprisonnement de huit jours à un an et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ou d'une de ces peines seulement, celui qui aura involontairement causée autrui une maladie ou incapacité de travail personnel, en lui administrant des substances qui sont de nature à donner la mort ou à altérer gravement la santé. »
- Adopté.
« Art. 422. Lorsqu'un convoi du chemin de fer aura éprouvé un accident de nature à mettre en péril les personnes qui s'y trouvaient, celui qui en aura été involontairement la cause sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ou d'une de ces peines seulement.
(page 530) « S'il est résulté de l'accident des lésions corporelles, le coupable sera puni d'un emprisonnement d'un mois à trois ans et d'une amende de cinquante francs à trois cents francs.
« Si l'accident a causé la mort d'une personne, l'emprisonnement sera de six mois à cinq ans et l'amende de cent francs à six cents francs. »
- Adopté.
« Art. 424. Seront punis des mêmes peines, ceux qui auront décrié publiquement ou injurié une personne pour avoir refusé un duel. »
- Adopté.
« Art. 425. Celui qui, par une injure quelconque, aura donné lieu à la provocation, sera puni d'un emprisonnement d’un mois à six mois et d'une amende de cent francs à mille francs. »
- Adopté.
« Art. 426. Celui qui, dans un duel, aura fait usage de ses armes contre son adversaire, sans qu'il soit résulté du combat ni homicide ni blessure, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à six mois et d'une amende de deux cents francs à mille francs.
« Celui qui n'aura pas fait usage de ses armes sera puni conformément à l'article 423. »
- Adopté.
« Art. 427. Celui qui, dans un duel, aura blessé son adversaire, sera puni d'un emprisonnement de deux mois à un an et d'une amende de trois cents francs à quinze cents francs. »
- Adopté.
« Art. 428. Si les blessures ont causé une maladie ou une incapacité de travail personnel, le coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de cinq cents francs à deux mille francs. »
- Adopté.
« Art. 429. L'emprisonnement sera de six mois à trois ans et l'amende de mille francs à trois mille francs, si les blessures résultant du duel ont causé, soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente de travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave. »
- Adopté.
« Art. 432. Dans les cas prévus par les articles 427, 428, 429 et 430, les témoins seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de cent francs à mille francs. »
- Adopté.
« Art. 433. Les coupables condamnés en vertu des articles 425 et suivants seront, en cas de nouveaux délits de même nature commis dans le délai fixé par l'article 56, condamnés au maximum des peines portées par ces articles, et ces peines pourront être élevées au double. »
- Adopté.
« Art. 434. Seront punis d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de vingt-six francs à deux cents francs, ceux qui, sans ordre des autorités constituées et hors les cas où la loi permet ou ordonne l'arrestation ou la détention des particuliers, auront arrêté ou fait arrêter, détenu ou fait détenir une personne quelconque. »
- Adopté.
« Art. 435. L'emprisonnement sera de six mois à trois ans et l'amende de cinquante francs à trois cents francs, si la détention illégale et arbitraire a duré plus de dix jours. »
- Adopté.
« Art. 436. Si la détention illégale et arbitraire a duré plus d'un mois, le coupable sera condamné à un emprisonnement d'un an à cinq ans et à une amende de cent francs a cinq cents francs. »
- Adopté.
« Art. 437. La peine de la réclusion sera prononcée, si l'arrestation a été exécutée, soit sur un faux ordre de l'autorité publique, soit avec le costume ou sous le nom d'un de ses agents, ou si la personne arrêtée ou détenue a été menacée de mort. »
- Adopté.
« Art. 438. Lorsque la personne arrêtée ou détenue aura été soumise à des tortures corporelles, le coupable sera puni des travaux forcés de dix ans à quinze ans.
« La peine sera celle des travaux forcés de quinze ans à vingt ans, s'il est résulté des tortures soit une maladie paraissant incurable, soit une incapacité permanente de travail personnel, soit la perte de l'usage absolu d'un organe, soit une mutilation grave.
« Si les tortures ont causé la mort, le coupable sera condamné aux travaux forcés à perpétuité. »
- Adopté.
« Art. 439. Sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à deux ans et d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs, celui qui, sans ordre de l'autorité et hors les cas où la loi permet d'entrer dans le domicile des particuliers contre leur volonté, se sera introduit dans une maison, un appartement, une chambre ou un logement habités par autrui, ou leurs dépendances, soit à l'aide de menaces ou de violences contre les personnes, soit au moyen d'effraction, d'escalade ou de fausses clefs. »
- Adopté.
« Art. 440. L'emprisonnement sera de six mois à cinq ans et l'amende de cent- francs à cinq cents francs, si le fait a été commis, soit sur un faux ordre de l'autorité publique, soit avec le costume, soit sous le nom d'un de ses agents, soit avec la réunion des trois circonstances suivantes :
« Si le fait a été exécuté la nuit ;
« S'il a été exécuté par deux ou plusieurs personnes ;
« Si les coupables ou l'un d'eux étaient porteurs d'armes.
« Les coupables pourront en outre être condamnés à l'interdiction, conformément à l'article 35, et placés, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, sous la surveillance spéciale de la police. »
- Adopté.
« Art. 441. La tentative du délit prévu par l'article précédent sera punie d'un emprisonnement d'un mois a un an et d'une amende de cinquante francs à trois cents francs. »
- Adopté.
« Art. 442. Sera puni d'un emprisonnement de quinze jours ù deux ans et d'une amende de vingt-six francs à trois cents francs, celui qui se sera introduit, sans le consentement du propriétaire ou du locataire, dans les lieux désignés à l'article 439, et y aura été trouvé la nuit. »
- Adopté.
« Art. 443. Celui qui, dans les cas ci-après indiqués, a méchamment imputé à une personne un fait précis qui est de nature à porter atteinte à l'honneur de cette personne, ou à l'exposer au mépris public, et dont la preuve légale n'est pas rapportée, est coupable de calomnie lorsque la loi admet la preuve du fait imputé, et de diffamation lorsque la loi n'admet pas cette preuve. »
- Adopté.
« Art. 444. Le coupable sera puni d'un emprisonnement de huit jours à un an, et d'une amende de vingt-six francs ù deux cents francs, lorsque les imputations auront été faites ;
« Soit dans des réunions ou lieux publics ;
« Soit en présence de plusieurs individus, dans un lieu non public, mais ouvert à un certain nombre de personnes ayant le droit de s'y assembler ou de le fréquenter ;
« Soit dans un lieu quelconque, en présence de la personne offensée et devant témoins ;
« Soit par des écrits imprimés ou non, des images ou des emblèmes affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux regards du public ;
« Soit enfin par des écrits non rendus publics, mais adressés à plusieurs personnes. »
- Adopté.
« Art. 445. Sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à six mois et d'une amende de cinquante francs à mille francs :
« Celui qui aura fait par écrit à l'autorité une dénonciation calomnieuse ;
« Celui qui aura adressé par écrit à une personne des imputations calomnieuses contre son subordonné. »
- Adopté.
(page 531) « Art. 446. La calomnie et la diffamation envers tout corps constitué seront punies de la même manière que la calomnie ou la diffamation dirigée contre les individus. »
MpVµ. - La commission propose de réunir les articles 447 et 448, sauf le paragraphe 3 de l'article 448 qui est supprimé.
- Adopté.
MpVµ. - La commission propose un article 448 nouveau, ainsi conçu :
« Quiconque aura injurié une personne par des faits ou par des écrits, dans l'une des circonstances indiquées à l'article 444, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à trois mois, et d'une amende de vingt-six francs à cinq cents francs, ou d'une de ces peines seulement. »
M. Lelièvreµ. - Ce que je ne puis admettre, c'est la proposition de la commission relative aux injures que l'on prétend punir d'une pénalité qui peut être portée jusqu'à trois mois d'emprisonnement.
Il est d'abord à remarquer qu'on aggrave, sous le rapport, la législation sur la presse, puisqu'on frappe de l'emprisonnement dont il s'agit des injures qui, sous l'empire du code pénal de 1810, ne sont réprimées que par une simple amende.
Or, en 1859 on était convenu de ne pas déroger aux lois sur la presse et de maintenir à cet égard l'état de choses en vigueur.
Il est d'ailleurs exorbitant de prononcer des pénalités corporelles contre les auteurs d'injures vagues, qui ne présentent aucun caractère sérieux de gravité. Sous ce rapport, je ne vois aucune nécessité d'aggraver la rigueur de la législation existante.
M. Pirmezµ. - L'honorable M. Lelièvre dit que le projet de la commission aggrave la législation existante. L'honorable membre est dans une complète erreur.
L'article que la commission propose est précisément celui que la Chambre avait voté d'abord.
Le Sénat a renvoyé cet article au titre IX. Nous n'avons pu accueillir la proposition du Sénat et voici pourquoi : c'est qu'il est des faits d'injure qui sont d'une gravité telle, qu'il est absolument impossible d'en faire de simples contraventions. Ainsi Je fait de cracher à la figure de quelqu'un. Peut-on, pour un fait semblable, ne prononcer qu'une peine de police ?
M. Guillery. - C'est une provocation en duel.
M. Pirmezµ. - Ce n'est pas nécessairement une provocation en duel. Je dis qu'un homme d'honneur sera plus offensé d'un pareil fait que d'un coup.
Il y a d'autres faits encore : celui, par exemple, de couvrir quelqu'un d'immondices.
Je demande si l'on peut considérer un pareil fait comme un simple délit de police.
Nous avons pensé que cela était tout à fait impossible. Maintenant, M. Lelièvre commet une erreur lorsqu'il dit que nous avons laissé en dehors du code pénal tous les délits de presse. On n'a laissé en dehors du code que les délits de presse qui ont un caractère politique, mais pas les autres. Si nous supprimions du code la calomnie par la presse, il n'y aurait plus aucune espèce de peines prononcées contre la calomnie. Mais ce qui a été convenu, c'est qu'on ne toucherait pas au décret sur la presse, et cela a été respecté.
Quant aux injures par écrit, il a paru impossible de les laisser parmi les contraventions de police. En effet, ce sont choses justiciables de la cour d'assises. Du reste, aujourd'hui ces faits constituent des délits et en les renvoyant au titre X, nous ne maintiendrions pas, comme le dit M. Lelièvre, le code actuel ; nous le changerions complètement.
J'espère donc que la Chambre maintiendra son vote.
Je suis convaincu que si le Sénat s'était rendu compte des faits qu'il s'agit de prévoir, et j'ai constaté qu'il ne l'avait pas fait, il n'aurait jamais fait, de ces faits, des contraventions de simple police.
M. Lelièvreµ. - Les arguments de l'honorable M. Pirmez n'ont pu ne convaincre. D'abord nous aggravons la législation en vigueur. Or, la nécessité de semblable aggravation n'est aucunement démontrée.
D'un autre côté, en fait d'injures, on exagère les pénalités en ce qui concerne les écrits. C'est donc la législation sur la presse qui est rendue plus sévère.
Aujourd'hui, les injures même renfermant un vice déterminé ne sont réprimées que par une amende, tandis que la commission veut frapper des injures de cette nature, par un emprisonnement qui peut être porté à trois mois. Le Sénat a pensé que cette pénalité était excessive et je partage son opinion. Ne perdons pas de vue que du moment que les injures ne contiennent pas l'articulation de faits précis, elles sont réellement sans portée.
A quel titre donc serons-nous plus sévères que les législateurs de 1810 ? Mais nous révisons leur œuvre précisément pour atténuer la sévérité des dispositions actuelles.
N'aggravons donc pas les pénalités existantes, qui sont suffisantes pour la légitime répression.
M. Pirmezµ. - Il faut examiner les choses en elles-mêmes et voir si la peine que nous prononçons est exagérée, et c'est là ce que M. Lelièvre ne fait pas.
Je demande à M. Lelièvre si, pour les faits que je viens d'indiquer, cracher à la figure, couvrir les gens d'immondices, la peine que nous prononçons est exagérée ?
Quant aux injures par écrit qui sont punies aujourd'hui d'une peine correctionnelle, M. Lelièvre veut les faire punir d'une peine de simple police. Je dis qu'il n'est pas conséquent avec ses prémisses, qui sont le maintien de ce qui est.
Maintenant, je le reconnais, il peut y avoir, d'après les dispositions que nous introduisons, des faits punis de l'emprisonnement qui aujourd'hui n'entraînent pas l'emprisonnement correctionnel ; niais il ne faut pas oublier que les peines doivent être prononcées, lorsqu'il s'agit de la presse, par la cour d'assises. Or, je pense, que pour les cas de poursuites pour injures par écrit, la presse a une suffisante garantie dans la composition de ces cours.
Il peut d'ailleurs y avoir, dans la distribution d'écrits, des faits tellement graves que la peine que nous prononçons ne soit qu'une répression modérée.
C'est d'ailleurs une mauvaise raison de dire : Mais le code actuel ne. punissait pas ce fait. Je ferai remarquer à M- Lelièvre que c'est lui-même qui, en matière politique, avait proposé d'aggraver les délits de presse. Dans son rapport sur le titre II, M. Lelièvre proposait de porter de 3 à 5 ans les peines d'emprisonnement.
M. Lelièvreµ. - C'était le projet du gouvernement.
M. Pirmezµ. - C'est vous qui avez proposé l'adoption de ces dispositions et nous avons, à cause de cela, dû revenir sur la question, pour faire un rapport spécial ; et c'est aussi à cause de la proposition que vous avez faite que nous avons dû écarter du code pénal tout ce qui concerne le décret sur la presse.
M. Lelièvreµ. - Le fait de jeter des immondices sur quelqu'un, celui de lui cracher à la figure étaient déjà prévus par la législation actuelle et étaient considérés comme des contraventions contre lesquelles une peine suffisante était prononcée.
En effet, on ne pourrait citer aucun fait justifiant la nécessité d'innover, à cet égard.
En ce qui concerne certains délits de presse dont parle M. Pirmez, ce n'est pas moi qui ai proposé de porter le maximum de l'emprisonnement à cinq ans, mais bien le gouvernement. Or la commission entière, dont M. Pirmez et moi faisions partie, avait adopté le projet dont il s'agit. Sous ce rapport, l'avis que j'ai pu émettre a reçu l'assentiment de mon honorable contradicteur,
Quant à moi, messieurs, je ne puis me rallier à un système qui, contrairement à l'opinion du Sénat, aggrave les pénalités en matière d'injures.
On fait, sans nécessité, à la presse une position plus défavorable que celle qui lui est faite par la législation en vigueur, et, d'un autre côté, on commine contre des injures des pénalités qu'aucune législation antérieure n'a décrétées. Jamais pareille rigueur ne recevra mon assentiment.
M. Teschµ. - Le code pénal n'est pas aggravé, comme le prétend M. Lelièvre. D'après le code ancien toutes les injures par paroles, toutes les injures contenant au moins l'imputation d'un vice déterminé, sont de la compétence des tribunaux correctionnels ; et aujourd'hui nous proposons de renvoyer la plupart de ces injures devant les tribunaux de simple police et nous ne maintenons plus dans la compétence des tribunaux correctionnels que certaines catégories d'injures, celles qui par la publicité qu'elles reçoivent ou par leur nature sont les plus graves. Sous ce rapport il y a dans le projet une véritable amélioration.
Mais, comme l'a dit M. Pirmez, il y a des injures d'une gravité telle, qu'elles méritent bien un emprisonnement ; il ne suffit pas qu'une peine soit différente de celle qui a été prononcée actuellement pour prétendre qu'il ne faut pas l'introduire dans le code pénal. Si le code pénal ne prononçait pas une peine en rapport avec la gravité de l'infraction, je (page 532) crois qu'il est du devoir de la Chambre d'établir cette peine, La réforme ne doit pas consister exclusivement dans la réduction des peines.
M. Guillery. - Je viens demander à la Chambre de maintenir le système du Sénat, car je verrais avec grand-peine aggraver la législation de 1810.
Le code pénal de 1810 a toujours été reconnu comme étant rigoureux à l'excès, et je crois que les peines qu'il commine ne doivent pas être renforcées, alors surtout qu'aucun fait n'a été signalé comme justifiant une aggravation de peine.
A-t-on, dans les rapports de la magistrature, des officiers du parquet, a-t-on, dans la pratique du barreau (je fais appel aux avocats qui siègent dans cette enceinte), trouvé la preuve que la législation actuelle ne fut pas assez sévère pour réprimer les injures ?
L'honorable M. Pirmez a cherché à plaisir quelques exemples d'injures d'un caractère spécial. Mais la plupart des injures qu'il a citées sont des provocations en duel ; cracher à la figure de quelqu'un, c'est une provocation en duel ! Si, dans une rue, des gens de condition inférieure se jettent des ordures l'un à l'autre, est-ce là un fait qui mérite un emprisonnement de 3 mois ? Mais, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Lelièvre, l'amendement de la commission soulève une autre question, la question de la presse. Aujourd'hui nous sommes régis par l'article 376 du code pénal qui est aussi conçu :
« Quant aux injures ou aux expressions outrageantes qui ne renfermeraient l'imputation d'aucun fait, précis, mais celle d'un vice déterminé, si elles ont été proférées dans des lieux ou réunions publics, ou insérés dans des écrits imprimés ou non, qui auraient été répandus ou distribués, la peine sera une amende de 16 francs à 500 francs. »
L'article 376 punit des peines de simple police les injures qui n'auront pas eu ce double caractère de gravité et de publicité.
Or, que fait-on ? On substitue à la simple amende d'un côté, à la simple police d'un autre, la peine de trois mois d'emprisonnement. Ne perdons pas de vue, messieurs, qu'il s'agit ici de matières importantes. Est-ce que, dans la polémique, des hommes modérés ne se laissent pas parfois entraîner ? Un des écrivains les plus illustres de la France confessait récemment qu'il s'était, pour sa part, laissé entraîner à des écarts de plume qu'il avait regrettés. Faisons-y attention, messieurs, une injure est bien tôt sortie de la plume ; ne nous exposons pas à infliger, pour une injure que l'auteur est le premier à regretter, une peine de trois mois d'emprisonnement.
On nous dit que la presse trouvera une garantie dans la composition des cours d'assises. Elle aura une garantie plus grande encore dans la loi, si la peine n'est pas comminée.
Jusqu'ici nous avons été protégés par les articles 375 et 376 du code pénal.
Ces articles n'ont donné lieu à aucune espèce de plainte, le Sénat en a conservé l'esprit, j'espère que la Chambre ne persistera pas dans un système qu'elle avait adopté une première fois, mais qui constitue une innovation dangereuse.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Le gouvernement se rallie à l'article tel qu'il est présenté par la commission ; seulement je fais remarquer que les mots « par faits » ne comprennent pas les gestes ; car à l'article 565 du code voté par le Sénat, je trouve ceci : « Seront punies d'une amende de 15 fr. à 25 fr. et d'un emprisonnement d'un jour à sept jours ou d'une de ces peines seulement, toutes injures quelconques dirigées contre des corps constitués ou des particuliers. » Or, par ces mots « injures quelconques » le Sénat avait compris les injures par faits et par gestes.
Maintenant l'honorable M. Pirmez et la commission ont distingué ; ils ont trouvé que les injures par faits sont plus graves que les autres. Il est évident que si vous donnez un charivari à quelqu'un, vous vous rendez coupable d'une insulte publique, qui doit être punie d'une peine plus forte que l'amende.
Il est également évident que le fait de cracher au visage de quelqu'un est plus grave qu'un simple geste injurieux et que, dans ce cas, alors qu'on veut prévenir tout ce qui peut donner naissance à un duel, il importe que le juge puisse infliger une peine qui ne soit point dérisoire.
M. Guillery. - Le fait de cracher au visage de quelqu'un constitue une provocation en duel.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas toujours ; on peut très bien cracher au visage de quelqu'un sans avoir l'intention de le provoquer en duel.
Il est certain qu'on peut commettre à l'égard de quelqu'un des faits d'une nature trop grave, pour n'encourir qu'une peine de simple police.
Mais, dit l'honorable M. Guillery, le code de 1810 n'est pas aussi sévère que le code nouveau. C'est possible, messieurs, mais de ce que le code de 1810 ait été jugé trop rigoureux dans son ensemble, il ne résulte pas que cette observation soit applicable à chacune de ses dispositions prises isolément ; il ne suffit pas de dire que le code de 1810 était trop rigoureux pour prétendre qu'on ne puisse pas appliquer à certains faits des peines plus fortes que celles qui étaient portées par l'ancien code.
Ainsi tout à l'heure la Chambre a voté, et M. Guillery s'est associé à ce vote, un article qui punit d'une peine plus forte l'infanticide commis par une mère légitime que l'infanticide commis par une mère illégitime, distinction que n'établissait point le code de 1810.
Il faut considérer le fait en lui-même et le punir d'une peine proportionnée à la gravité de l'infraction. Il importe, d'ailleurs, de ne pas perdre de vue que le juge pourra toujours tenir compte des circonstances atténuantes et réduire les peines de manière qu'elles soient en rapport avec l'importance des délits.
Reste la question de la presse.
L'honorable M. Guillery dit que la presse ne devrait pas être comprise dans cet article.
M. Guillery - Je n'ai pas dit cela ; j'ai signalé comme un des inconvénients du système proposé, que la disposition s'appliquerait à la presse.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je suis excessivement partisan de la liberté de la presse ; mais il faut cependant admettre que les citoyens qui écrivent dans la presse doivent être soumis aux mêmes peines que tous les autres quand ils se rendent coupables des mêmes délits.
Or, l'honorable M. Guillery voudra bien reconnaître, je suppose, qu'un individu qui lui cracherait au visage mériterait bien huit jours de prison, et il sera d'avis, je pense, que celui qui par la voie de la presse commettrait un acte tout aussi répréhensible devrait encourir la même peine.
M. Guillery. - Est-ce que la législation actuelle est insuffisante ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - La législation actuelle n'est pas logique. Que le fait dont je parle soit commis par un journaliste et qu'on le défère à une cour d'assises, le journaliste sera condamné à une amende de 5 à 10 francs.
Eh bien, je demande si une pareille peine est proportionnée au délit et si un emprisonnement de 8 à 15 jours est une pénalité trop forte.
Messieurs, ce que nous proposons n'est pas autre chose que le droit commun, et la presse n'a jamais demandé que le droit commun.
M. Guillery. - Je ne demande pas autre chose non plus.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pardon, vous prétendez que le fait de cracher au visage de quelqu'un constitue une provocation en duel ; il peut se faire que des individus qui commettent un pareil fait n'aient pas l'intention de se battre avec celui qu'ils insultent, et qu'ils n'agissent point dans le but de le forcer à se battre-. Mais enfin, dans votre système, un écrit qui aurait toute la gravité d'une provocation en duel ne serait puni que d'une peine insignifiante, parce qu'il serait le fait d'un journaliste.
Je crois donc, messieurs, que la Chambre ne verra aucun inconvénient à adopter l'article qui lui est soumis et qui, je dois le lui rappeler, a été déjà voté par elle, de sorte qu'on peut dire qu'il soulève en ce moment des observations un peu posthumes. Si le Sénat a modifié là disposition qui lui était soumise, ce n'est nullement par les considérations qu'a présentées l'honorable M. Guillery, mais tout simplement parce qu'il n'a pas pensé au fait grave signalé par l'honorable M. Pirmez.
M. Guillery. - Je n'ai pas été bien compris par M. le ministre de la justice.
Je ne demande pas d'impunité pour les délits de presse, mais uniquement le droit commun. J'ai fait valoir ce qui concerne la presse à l'appui du système consacré par le Sénat. Je demande qu'on n'augmente pas les peines ; je demande qu'on ne les augmente pas plus pour les particuliers non écrivains que pour les particuliers écrivains. Je demande le maintien du système actuel et je dis que si nous avons vécu jusqu'à présent sous la protection de l'article 375 du code, je ne vois aucune nécessité d'aggraver la peine qu'il commine.
Et notez, messieurs, que l'article 375 ne punit même d'une peine correctionnelle que lorsque l'injure renferme l'imputation d'un vice déterminé, ce qui n'est pas exigé par la rédaction de la commission.
Je ne demande aucun privilège pour les écrivains. Je reconnais (page 533) parfaitement que l'injure par la voie de la presse doit être punie de la même peine que l'injure verbale ou l'injure par faits.
Mais je dis que l'article 423 du nouveau code est parfaitement applicable au cas cité par l'honorable M. Pirmez : « La provocation en duel sera punie d'un emprisonnement de 15 jours à 3 mois et d'une amende de 100 fr. à 500 francs. » Or, le fait de cracher à la figure de quelqu'un constitue évidemment une provocation en duel. (Interruption.)
M. le ministre de la justice vient de nous dire qu'il n'en est pas ainsi, parce que la personne insultée peut bien ne pas avoir envie de se battre en duel. Mais l'honorable ministre se trompe sur le caractère du délit ; c'est le fait même de cracher à la figure qui constitue une provocation en duel.
- Une voix. - Si c'est une femme ?
M. Guillery. - Si c'est une femme, vous ferez mieux de ne pas la traduire devant le tribunal correctionnel.
En définitive, si, en laissant libre cours à l'imagination, on veut citer des faits que ne prévoyait pas le code de 1810, il en est une foule d'autres qu'il faudra prévoir également dans le code. nouveau, nous n'aurions pas assez de mille articles pour les comprendre. Mais j'appelle l'attention de la Chambre sur ce qu'il y a de grave à modifier, pour l'aggraver, une législation qui a suffi jusqu'à présent à la protection des citoyens.
On me dit : Mais les peines ont été aggravées dans d'autres articles que vous avez votés.
C'est possible, messieurs ;mais puis-je prendre la parole sur tous les articles qui ne me conviennent pas, alors surtout qu'il ne s'agit maintenant que d'une révision de dispositions sur lesquelles la Chambre a déjà statué une première fois ? Mais j'ai témoigné plus d'une fois le regret que me faisait éprouver la sévérité du code pénal.
Mon silence sur certaines dispositions ne m'enlève donc nullement le droit de regretter les aggravations de peines qu'on édicté par le nouveau code, alors qu'il s'agit d'un article aussi important que celui-ci. Encore une fois, il s'agit de la question de savoir si l'on condamnera à l'emprisonnement pour de simples injures alors que la législation actuelle, beaucoup moins sévère, a suffi jusqu'à présent.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il y a dans le code aucun un article qui punit d'une amende de 16 fr. à 500 fr. les injures par la presse. C'est un délit. Je crois que. M. Guillery n'a pas cité cet article.
M. Guillery. - Je l'ai lu tout entier.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Soit. Eh bien, il n'y aura qu'une peine légère d'emprisonnement facultative en plus pour les délits les plus graves. Ce n'est pas trop.
J'en reviens toujours à la question. Je voudrais savoir pourquoi un journaliste qui commet une injure grave ne doit pas être puni de la peine que l'honorable membre trouve convenable pour d'autres personnes. L'honorable membre à dit : « Si un individu crache au visage d'un autre, c'est une provocation en duel. » On lui a répondu : « Cela peut ne pas être une provocation en duel, et dans votre système, on ne punirait le fait que d'une simple peine de police. »
A mon avis, il y a lieu d'adopter le projet de la commission
M. Dupontµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission qui a examiné le titre II (chapitres 1 à 12) de la loi d'organisation judiciaire.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. de Theuxµ. - Je propose de remettre à mardi la suite de la discussion de l'article 448 ; la question est fortement controversée, et je crois que la Chambre n'est plus en nombre.
- La Chambre consultée remet à mardi la suite de la discussion.
La séance est levée à 4 1/4 heures.