(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 255) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-ver) de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des facteurs ruraux du canton de Beauraing demandent une augmentation de traitement. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le budget des travaux publics.
(page 256) « Les membres du conseil communal de Tillet demandent le prolongement de la route de Forrières par Nassogne à la route de Laroche à Saint-Hubert jusqu'à la station de Sibret. »
- Même renvoi.
« Les sieurs Willems et De Pooter, président et sociétaire de la société flamande Met tyd en Vlyt, demandent la publication d'une traduction flamande de la Biographie nationale. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de la commune de Meux demandent l'autorisation de procéder au partage définitif de la partie du bois de Meux dont ils ont été mis en possession. »
- Même renvoi.
« Le sieur Danneau, de Wervicq, demande une indemnité pour les commissaires de police qui remplissent les fonctions de ministère publie près des tribunaux de simple police. »
« Même demande du commissaire de police de Saint-Hubert, qui prie en outre la Chambre d'accorder à ces magistrats le bénéfice de 10 années pour les pensions. «
M. Lelièvreµ. - Je demande le renvoi de la requête à la commission des pétitions qui sera priée de faire un prompt rapport.
MpVµ. - Le bureau voulait proposer le renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.
M. Lelièvreµ. - Je me rallie à cette proposition.
- Le renvoi à la commission est ordonné.
MpVµ. - La discussion continue sur l'article 7 du livre premier.
M. Vleminckxµ. - Je suis un des signataires de la proposition sur laquelle vous délibérez en ce moment. Je crois devoir faire connaître à la Chambre non pas tous les motifs, qui m'ont fait me ranger depuis longtemps du côté des abolitionnistes, mais celui qui m'a paru le plus puissant.
Je suis étranger à la science du droit, mais vous me concéderez du moins que je ne le suis pas entièrement à la connaissance de l'homme physique. C'est à cette dernière étude que je dois la conviction profonde que plus d'un malheureux a porté sa tête sur l'échafaud, pour des crimes dont la responsabilité ne pouvait pas lui être entièrement imputée. Et veuillez bien remarquer, messieurs, que je n'entends pas parler ici de manie et de démence qui rendent nécessairement l’homme complètement irresponsable, mais d'un état cérébral anormal qui ne porte pas de nom dans la science, mais qui n'en existe pas moins.
Je sais que cette proposition rencontrera bien des incrédules, soulèvera même quelques indignations, mais que voulez-vous que j'y fasse ? Le fait n'en reste pas moins le fait, et je défie qu'on interroge sur ce point un physiologiste quelconque, ayant étudié avec soin les fonctions du cerveau, qui ne partage pas entièrement ma manière de voir.
Et il n'est pas un de vous d'ailleurs, messieurs, qui ne soit sans quelque expérience sous ce rapport. Ne vous est-il pas arrivé maintes fois de rencontrer des enfants, des jeunes gens, que vous appeliez des natures mauvaises, qui semblaient réellement n'exister que pour faire le mal ?
Vous avez lu tout récemment les horreurs commises dans un pénitencier français par des jeunes gens, que dis-je ! par des enfants. Pouviez-vous croire bien sincèrement qu'il ne s'agit pas ici d'organisations malheureuses poussées en quelque sorte à faire le mal et même à s’en réjouir ? Il est né mauvais, dit-on. Qu'est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu'on est né avec un de ces états cérébraux que les meilleurs milieux ne parviennent pas toujours à corriger : jugez alors ce que deviennent de pareils êtres, quand les milieux eux-mêmes, au lieu d'être une excitation puissante au bien, aident au contraire à l'extension et au développement d'instincts pervers.
Je n’hésite pas à affirmer ici que le point de départ d'une foule d'actions criminelles est une organisation cérébrale mauvaise. Je sais bien tout ce que l'on va me dire à cet égard. Vous supprimez, m'objectera-t-on, le libre arbitre. Messieurs, nous ne sommes pas ici une Académie de sciences morales, je ne discute donc pas la question du libre arbitre, mais j’affirme que ma proposition ne supprime rien du tout. De l'avis de moralistes éminents, le libre arbitre peut être dans certaines circonstances subjugué par la puissance des causes prédisposantes ou excitantes. La force de résistance est loin d'être la même chez tous les individus, et ce n'est pas sans raison que l'on invoque, dans une foule de cas, les circonstances atténuantes.
L'honorable M. Pirmez a cherché à vous effrayer en vous parlant de Dumolard : j'en demande pardon à l'honorable membre, mais l'exemple est des plus mal choisis. Dumolard était fils d'un guillotiné.
M. Thonissenµ. - C'est très vrai.
M. Vleminckxµ. - Ce qui prouve du moins que ce n'est pas la crainte de la guillotine qui l'a arrêté. Mais Dumolard était une exception dans la nature, c'était un monstre, et quelque opinion que l'on ait sur l'inviolabilité de la vie humaine, sur les droits de la société, vis-à-vis de cette vie, je lui dénie celui de tuer les monstres ; les monstres, on les enferme jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de les rappeler à lui.
J'ai la conviction, messieurs, que si la peine de mort n'est pas abolie, des malheureux de la catégorie de ceux dont je viens de parler, monteront encore sur l’échafaud. C'est un des motifs, et j'en ai encore beaucoup d'autres, que plusieurs de mes honorables collègues ont mieux développés que je ne pourrais le faire, qui m'ont fait adhérer à la proposition qui vous est faite d'abolir la peine de mort.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, je ne désirais pas prendre la parole dans ce débat et j'ai dit, avec franchise, à la Chambre que je le croyais inopportun.
Il n'y a pas un an, en effet, que la même discussion a eu lieu dans une autre enceinte, et j'ai eu l'occasion d'y manifester mon opinion.
Je ne crois pas que, depuis cette époque, la question qui nous occupe ait fait un pas assez considérable pour que nous puissions espérer un succès, et c'est précisément dans l'intérêt de la cause de l'abolition de la peine de mort que j'avais demandé à la Chambre de ne pas traiter cette question en ce moment. Mais, messieurs, la Chambre n'a pas été de mon avis.
M. Teschµ. - La Chambre n'a pas été consultée.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - La Chambre a été consultée en ce sens que d'honorables membres ayant présenté un amendement, il était évidemment impossible à la Chambre de rejeter le débat.
Des discours oui été prononcés. L'honorable M. Pirmez a présenté la défense complète de l'efficacité de la peine de mort, et je croirais déserter mon devoir, si, même sans espoir de succès, je ne venais rétablir devant la Chambre ce que je crois être la vérité.
Je serai forcé, naturellement, de répéter beaucoup de ce que j'ai dit au Sénat, et cela tient à la matière qui ne permet pas la variété des arguments.
Avant d'examiner en détail le discours de l'honorable M. Pirmez, permettez-moi, messieurs, de répondre à quelques observations préliminaires.
L'honorable membre a d'abord constaté que son rôle était pénible, ingrat, qu'il avait dans le débat la position désagréable. Eh bien, messieurs, permettez-moi de vous le dire, je ne suis pas de cet avis. En effet, l'honorable membre a constaté à diverses reprises que l'opinion des masses était avec lui, que les populations lui donnaient raison. Je ne crois pas qu'il soit bien agréable de heurter de front le sentiment des masses.
L'honorable membre a vivement attaqué les défenseurs de l'abolition de la peine de mort, et il en résulte qu'en défendant cette cause, on s'expose à une foule de reproches. En effet, messieurs, on nous représente comme des hommes légers, inexpérimentés, se laissant séduire par les théories ne tenant pas compte de la pratique. On est presque qualifié de songe creux, quand on n'est pas accusé, comme nous l'avons été par l'honorable membre, de défendre les criminels ; tandis que les partisans de la peine de mort sont des hommes pratiques, connaissant la situation du pays, connaissant les intérêts véritables des populations et ne cédant pas facilement à des accès de sensiblerie.
D'un autre côté, y a-t-il des compensations dans la presse ? Mais si dans les grands centres la presse libérale défend la cause de l'abolition de la peine de mort, nous trouvons la presse catholique soutenant la peine de mort avec une remarquable unanimité, absolument comme s'il s'agissait de la défense d'un dogme. De plus, les pouvoirs publics croient encore, à l'heure qu'il est, à la nécessité de la peine de mort.
Je ne sais donc en quoi l'honorable M. Pirmez aurait le rôle ingrat, le rôle difficile de la situation. L'honorable M. Pirmez nous disait avant-hier qu'il n'y avait pas de (page 257) mouvement en faveur de l'abolition de la peine de mort, que l'opinion publique ne se prononçait pas pour cette réforme.
Cela est parfaitement vrai si l'honorable membre fait allusion à ce qui se passe dans les couches inférieures de la population ; là en effet on trouve peu de sympathies pour la réforme qui nous occupe ; mais l'honorable M. Pirmez ne peut pas contester qu'il y a dans les classes instruites de la société un mouvement important en faveur de l'abolition de la peine de mort. Il ne peut pas contester que les criminalistes les plus sérieux se sont convertis à la thèse que nous soutenons, et ce qui s'est passé dans cette enceinte n'est-il pas la preuve la plus évidente des progrès de notre cause ?
Est-ce que l'honorable M. Pirmez n'en est pas venu à déclarer que, si le droit de grâce n'existait pas, il voterait, comme législateur, la suppression de la peine de mort ; n'en est-il pas venu à nous convier à tenir le glaive dans le fourreau, à ne point le tirer et à ne point appliquer la peine qu'il inscrivait dans la loi ? Eh bien, messieurs, rien que ce discours accuse le mouvement, atteste le progrès de nos idées et prouve que si nous sommes les vaincus aujourd'hui, nous serons bientôt les vainqueurs.
La répugnance, messieurs, que le peuple éprouve pour cette réforme est-elle une raison pour l'écarter ? Mais le peuple, chacun le sait, est, de sa nature, hostile à toute réforme, dès qu'il croit ses intérêts menacés. On n'a cessé de répéter que la peine de mort est le bouclier de la vie humaine, le peuple le croit ; mais est-ce la première fois que le peuple se trompe ?
Lorsque M. Pirmez invoquait le sentiment du peuple, je me suis permis de lui répondre protection et libre échange. L'honorable membre a semblé ne pas comprendre, et cependant l'exemple était frappant. Quand l'on demandait la suppression de la protection, le peuple croyait qu'on voulait lui ravir son pain, celui de sa famille. Elle peuple faisait de la résistance. (Interruption.)
L'honorable M. Pirmez ignore donc les faits ? Quand les libre-échangistes se sont présentés à Tournai, le peuple voulait les jeter à l'eau. Il y a eu une émeute, la gendarmerie a du intervenir.
Voilà la vérité. Le peuple était protectionniste parce qu'il croyait que le libre échange l'aurait privé de ses moyens d'existence, il défendait son pain ; de même que maintenant en se montrant favorable à la peine de mort il croit défendre sa vie.
Le peuple était protectionniste ; l'honorable M. Dumortier tonnait à la Chambre contre le libre échange ; la presse catholique protestait contre les funestes doctrines du libre échange.
Qu'est-il arrivé ? Toutes ces ruines prédites, toutes ces prophéties funestes se sont-elles réalisées ?
La misère allait nous envahir, la Belgique courait à sa perte. La protection a succombé, le libre échange est proclamé et aujourd'hui, l'honorable M. Dumortier, lui-même, est, je pense, converti, ce qui prouve, messieurs, qu'il ne faut point céder au sentiment populaire.
Le sentiment populaire ne doit être le guide du législateur qu'autant qu'il repose sur la vérité, et ici je passe à un autre ordre d'idées. Vous souvenez-vous de ce document fameux qui a paru à l'origine de notre nationalité !
Nous avions proclamé certaines libertés, la liberté de l’enseignement et la liberté d'association. On nous disait : Vous allez périr, vous ne serez qu'un nid de révolutionnaires, un danger pour vous-mêmes et pour l'Europe,
L'expérience a répondu à tous ces prophètes de malheur, elle a prouvé que nous pouvions conserver la liberté et l'ordre et que, loin d'être un nid de révolutionnaires, nous avions acquis assez de force et de vitalité pour arrêter, comme nous l'avons fait en 1848, la révolution à nos frontières.
Voilà la vérité.
La vérité repose sur des principes et non sur les préjugés populaires.
Nous ne devons pas attendre, messieurs, pour réaliser une réforme, qu'elle soit entrée dans l'esprit des masses, que les couches les plus profondes de la société l'acceptent et l'imposent. Il serait évidemment trop tard alors de venir la proposer à la législature.
Dès qu'une thèse est vraie, dès que son application peut être faite sans aucun danger social, c'est un devoir pour le législateur de la faire passer dans la pratique.
Rejetons donc une bonne fois cet argument tiré du nombre, cet argument tiré de l'opinion dos masses et discutons.
L'honorable M. Pirmez a dit et répété dans son discours que les partisans de l'abolition de la peine de mort n'écoulaient que leur cœur et ne consultaient pas leur raison ; eh bien, M. Pirmez se trompe.
Si je n'écoutais que mon cœur, comme il bondit d’indignation au récit des méfaits commis par certains misérables, loin de demander pour eux l’abolition de la peine de mort, je rétablirais les supplices le plus cruels : mais, précisément, c’est la raison qui calme les élans de mon indignation et qui me ramène à l’étude des véritables intérêts de la société.
Je le reconnais, messieurs, la question qui nous occupe doit être étudiée froidement, il faut l'examiner au point de vue des principes qui doivent régir la société et assurer à ses membres la sécurité, la tranquillité sans lesquelles elle ne peut vivre et c'est à ce seul point de vue que j'entends me placer.
L'honorable M. Pirmez, usant d'un stratagème habile, a voulu poser la question du débat et c’est sur une question mal posée par lui qu'il a édifié tout son échafaudage d'arguments.
« Voulez-vous, a-t-il dit, de la peine de mort pour les crimes d'une exceptionnelle et épouvantable gravité, oui ou non ? Vous ne la voulez pas, vous êtes logiques, mais constatons bien que la question gît tout entière dans les tenues où je la pose et qu'elle n'est pas ailleurs. »
Ainsi pour l'honorable M. Pirmez, la question est celle-ci : Voulez-vous de la peine de mort pour les crimes d'une exceptionnelle et épouvantable gravité, oui ou non ?
Eh bien, je vais répondre à M. Pirmez. Oui, je la veux si je ne consulte que mon cœur, si je me refais le récit du crime commis, si je pense aux souffrances des victimes ; je ne la veux pas si je n'écoute que l'intérêt et la dignité de la société. Je vais le prouver en posant à mon tour la véritable question du débat.
La société a incontestablement le droit de punir, niais a-t-elle le droit de punir arbitrairement. Où s'arrête son droit ? Le droit de punir de la société s'arrête là où la peine n'est plus nécessaire à sa conservation ; lorsque la peine est inutile, elle devient une rigueur qu'il n'est pas permis d'employer.
Vous n'êtes pas la justice divine, vous n'avez pas pour mission de distribuer le châtiment d'une manière absolue ; vous n'avez qu'un droit, c'est d'empêcher la reproduction des forfaits pour assurer la sécurité de la société. et si nous démontrons qu'il ne faut pas la peine de mort pour atteindre ce résultat, vous n'avez plus le droit de la prononcer. Si vous souteniez le contraire, vous justifieriez toutes les tortures qui étaient en usage autrefois, car il y a des forfaits qui méritent en eux-mêmes les plus terribles supplices.
Je le répète, le droit de la société est limité par la nécessité du châtiment ; là où le châtiment n'est pas nécessaire, la peine n'est pas légitime.
C'est pour avoir négligé ces principes que M. Pirmez n'a pas posé la véritable question du débat. Il ne s'agit pas de savoir si la peine de mort doit être supprimée pour les crimes les plus épouvantables, il s'agit de savoir si la peine de mort est indispensable au salut de la société. Poser la question de savoir si la peine de mort sera supprimée pour les crimes exceptionnellement graves, c'est épouvanter le public et se créer des partisans parmi ceux qui ont peur.
La sécurité de la société étant assurée, une peine odieuse et irréparable est-elle nécessaire ? Voilà la question.
Il est à noter que c'est à vous à prouver que la peine de mort est indispensable et nécessaire. Cette preuve ne nous incombe pas. Si le moindre doute plane sur l'efficacité de la peine de mort, il faut évidemment la rayer de nos codes. Il faut la rayer, parce qu'elle est contraire aux principes du droit pénal, parce qu'elle est odieuse, parce qu'elle est irréparable et parce qu'elle est démoralisante.
Elle est contraire aux principes du droit pénal. En effet la peine ne doit pas seulement donner satisfaction à la vindicte publique, elle doit faciliter l'amendement du condamné. Or, que faites-vous du deuxième élément de la peine ? Avec votre peine de mort, au lieu de corriger le condamné, vous le supprimez.
Elle est odieuse. Si le crime excite l'indignation de l'honnête homme, il n'est pas moins vrai que le cœur humain répugne à l'échafaud.
Par une sorte de terreur instinctive toute naturelle, on voit couler avec peine le sang humain, quand bien même c'est le sang du plus misérable des assassins.
La peine est irréparable, et lorsqu'une erreur a été commise, la société est plongée dans le remords.
Oui, s'écrie l'honorable M. Pirmez ; mais votre erreur judiciaire est un mythe ; votre erreur, je ne l’aperçois pas ; votre erreur est un fantôme que vous faites apparaître devant la foule pour obtenir ses applaudissements. L'erreur judiciaire est impossible dans notre siècle de civilisation. Vous (page 258) ne devez pas craindre de voir un innocent porter sa tête sur l'échafaud.
Est-il nécessaire, messieurs, de réfuter de pareilles paroles ? Peut-on soutenir que l'erreur humaine est impossible alors que le propre de l'homme est de faillir.
Citez-moi des erreurs judiciaires, me dit l'honorable M. Pirmez. Je pourrais lui en citer de nombreuses. J'en ai rappelé trois déjà, elles concernent la femme Doize, Bruno Claeys et enfin Bonné et Geens.
Mais, ajoute l'honorable membre, ils n'ont pas été exécutés ! C'est vrai, messieurs, ils n'ont pas été exécutés, mais c'est là le fait de circonstances toutes spéciales.
Si Bonne et Geens avaient été condamnés à cette époque de terreur causée par les méfaits de la bande noire, croyez-vous qu'ils n'auraient pas payé de leurs têtes le crime dont ils avaient été injustement accusés ? Pour ma part, j'ai des doutes sérieux à cet égard.
Je dis de plus, messieurs, que l'application de la peine de mort est démoralisante. Et, en effet, le coupable devient presque un héros ; on a d'abord de la pitié pour la victime, plus tard lorsque le bourreau a accompli sa triste fonction, l'intérêt s'attache au condamné, le peuple et les journaux après lui répètent : Il a marché courageusement au supplice. Et cet homme se fait parmi les criminels une sorte de renom, et il éveille dans la foule des sentiments de compassion.
Eh, messieurs, n'est-il pas, en outre, pénible de voir assister aux exécutions sanglantes cette masse de femmes et d'enfants ? On s'y rend comme à un spectacle public, on se rassasie de ce plaisir exceptionnel, et la foule en se retirant fait entendre des lazzis obscènes et immondes. Souvenez-vous des dernières exécutions qui ont eu lieu à Paris. On y a assisté comme s'il s'agissait d'une fête !
Qu'en conclure, messieurs, si ce n'est que ce spectacle est profondément démoralisant ? A côté de ces spectateurs cyniques, vous en trouvez d'autres qui disent ceci : Mais cet homme a protesté de son innocence ; est-il bien certain qu'il n'ait pas été condamné à tort ? Il se peut que l'on ait fait tomber sur l'échafaud la tête d'un innocent.
Il en est d'autres qui disent : Cet homme se repent ; il a avoué son crime ; il veut revenir à résipiscence ; pourquoi le tuer ? Est-ce que sa victime ressuscitera ? Voilà les sentiments divers qui agitent la foule. Ne croyez-vous pas d'après cela que si la peine de mort pouvait être supprimée de nos codes, ce serait un bienfait ?
Ce qui m'a profondément étonné, je dirai même attristé, c'est que l'honorable M. Pirmez s'est demandé quel avantage on pourrait retirer de la suppression de la peine de mort. Ainsi donc, non seulement on ne se contente pas de soutenir que la peine de mort est une loi nécessaire, une dure loi, on va plus loin, on déclare qu'il n'y aurait aucun avantage à retirer de sa suppression.
Mais, messieurs, ne serait-ce pas un immense avantage que d'empêcher la société de verser le sang humain ? Ne serait-ce pas un immense avantage que de supprimer un châtiment irréparable ? Ne serait-ce pas un immense avantage que de débarrasser nos places publiques de ce spectacle scandaleux d'une exécution capitale ? Ne serait-ce pas un immense avantage que de permettre au condamné de revenir au repentir et de pleurer le crime qu'il a commis ? Je dis, messieurs, que si nous pouvions introduire cette réforme dans nos codes sans inconvénient pour la société, la Belgique aurait réalisé un progrès considérable.
Messieurs, le terrain du débat est déblayé. J'ai démontré, je pense, que si la peine de mort pouvait être supprimée de nos codes, ce serait un bien. Voyons maintenant si elle est indispensable.
Je l'ai déclaré dans une autre assemblée, et je le maintiens : je ne crois pas à l'inviolabilité de la vie humaine, en ce sens que si la société ne peut se conserver qu'à la condition que ceux de ses membres qui conspirent contre elles payent leur forfait de leur sang, la société a le droit d'appliquer la peine de mort. Mais il ne suffit pas que ce droit soit admis ; il faut encore qu'on prouve qu'il y a nécessité indispensable à en user. Cette preuve, je l'ai déjà dit, incombe à nos adversaires. Puisqu'ils veulent user d une peine irréparable, c'est à eux qu'il appartient d'en établir la nécessité.
Cependant bien que nous n'ayons rien à prouver, nous montrons que la peine de mort a été supprimée dans d'autres pays, et que cette suppression n'a pas amené les conséquences que l'on redoute. On nous répond : Cela ne signifie rien. Mais si cela ne signifie rien pour nous, cela prouve encore moins pour vous. De ce que la peine de mort a disparu dans certains pays, et cela sans inconvénient, vous ne pouvez inférer que la peine de mort est indispensable. C'est déjà un indice que nous avons raison de demander l'essai de la suppression de la peine de mort.
On tente cependant de discuter les faits invoqués. On a supprimé la peine de mort en Italie, en Allemagne, en Amérique, soit. Mais, dit-on, les Toscans sont si doux ; les Toscans ont une si excellente police, et immédiatement, par un retour inconcevable, quand nous parlons de l'Amérique, on nous dit : Oui, mais les Américains usent du revolver et ils n'ont pas de police ! (Interruption.) Ainsi, si l'on veut employer les bons effets de la suppression de la peine de mort en Toscane, douceur et bonne police. Si on veut les justifier en Amérique : revolver et absence de police. (Interruption.)
On vous a démontré que la peine de mort avait été supprimée chez des peuples différents, sous des climats différents et jouissant d'institutions diverses.
Je vous répondrai donc invariablement, si vous ne justifiez pas autrement votre thèse : vous n'avez pas de bonnes raisons et vous ne savez en alléguer.
Vous vous inquiétez peu du phénomène de la non augmentation de la criminalité chez les peuples où l'échafaud ne fonctionne plus, vous invoquez des situations, des faits, des circonstances.. Mais, en réalité, vous ne produisez rien de sérieux. Si certains peuples doux comme les Florentins, violents comme les Américains, ont pu se passer de la peine de mort, je crois que nous qui formons le juste milieu, nous nous en passerons parfaitement bien aussi.
Pour ce qui est de notre pays, nous avons soutenu que la criminalité n'avait pas augmenté dans les provinces où des exécutions n'avaient pas eu lieu. Nous ne prétendons pas que la suppression, en fait, de la peine de mort a diminué les crimes, c'est une absurdité que l'honorable M. Pirmez nous a prêtée gratuitement. Nous nous sommes bornés à dire que la suppression de la peine de mort n'avait point augmenté la criminalité. Il est certain que la criminalité dans le ressort de la province de Liège n'est pas plus grande que dans les ressorts où l'on exécute. Mais, dit-on, l'épée de Damoclès est là. La peine de mort est inscrite dans le code ; en conséquence, votre argument pèche par la base. La menace à elle seule, est salutaire.
Vous devez reconnaître pourtant que la menace sans l'exécution, surtout lorsque la situation se prolonge, perd singulièrement son effet, et qu'elle devient une lettre morte. Eh bien, l'affaiblissement de la menace n'a amené aucun résultat fâcheux.
Messieurs, j'ai examiné l'influence de la peine de mort en Belgique. L'honorable M. Thonissen a cité les chiffres par année ; je pense qu'il est préférable de prendre les chiffres d'une période décennale. Car on sait parfaitement que le nombre des crimes dépend de circonstances auxquelles le fonctionnement de la guillotine est étranger.
M. Thonissenµ. - Pardon, M. le ministre, j'ai pris des périodes de cinq ans.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai établi mes chiffres par périodes de dix ans. (Interruption.)
La valeur de la statistique, vous pouvez la contester. Je n'en fais pas un argument en ma faveur. Je déclare, de la manière la plus formelle, que la statistique m'est complètement indifférente dans la question.
Mais puisqu'on prétend qu'on s'appuie sur les faits, il faut bien que je les interroge à mon tour. Or, en dehors de la statistique, je ne sais quelle espèce de faits l'on peut invoquer. Nous sommes des théoriciens, dit-on, tandis que les partisans de la peine de mort sont des praticiens et des statisticiens. Or, si nos adversaires sont des statisticiens, il nous est permis aussi à nous, de recourir à la statistique.
De 1831 à 1840, il y a eu 231 assassinats, 28 empoisonnements, 3 parricides ; en tout 262 crimes emportant nécessairement la peine de mort. J'ajouterai 27 rébellions et 230 meurtres simples. Total 519 crimes. La guillotine n'avait pas fonctionné pendant cinq ans.
Elle est à l'œuvre ; nous allons voir les résultats :
De 1841 à 1850, il y a eu 290 assassinats, 62 empoisonnements, 7 parricides ; en tout 359 crimes emportant la peine capitale, soit 100 de plus que dans la période précédente. Si nous ajoutons 7 rébellions et 435 meurtres, nous arrivons au chiffre de 801 crimes, c'est-à-dire 200 de pins que dans la période précédente.
De 1851 à 1860, il y a eu 289 assassinats, 124 empoisonnements, 8 parricides ; total 421 crimes emportant la peine capitale. Il y a eu 7 meurtres avec rébellion, 396 meurtres simples, en tout 824 crimes, soit 200 de plus que dans la période de 1831 à 1840. On n'exécute pas de 1850 à 1836. A partir de 1836 on exécute. On croit que la criminalité va diminuer. Les crimes augmentent dans une proportion de 200 en plus dans chaque période suivante.
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De 1851 à 1866, il y a 479 crimes capitaux et 17 exécutions. Croyez-vous que la criminalité va baisser ? Voyons.
Pendant la période de 1856 à 1800, il y a eu 414 crimes capitaux, à peu près le même chiffre, et dans cette période, sous le ministère de mon honorable prédécesseur, on n'a exécuté que quatre fois. Croyez-vous que cette douceur dont l'honorable M. Tesch a fait preuve ait augmenté la criminalité ? J'ai le plaisir d'apprendre à la Chambre que, d'après les calculs que j'ai faits, dans les six dernières années nous n'avons eu que 113 crimes capitaux. Sous le ministère de l'honorable M. Nothomb, il y a eu 17 exécutions, ce qui n'a fait nullement diminuer la criminalité de 1856 à 1860.
Mais, messieurs, croyez-vous que j'aie cité ces chiffres pour prétendre que ce sont les exécutions ou les non-exécutions qui ont fait diminuer la criminalité ? En aucune façon. Je l'ai fait pour infirmer la thèse de ceux qui prétendent que les crimes cessent dans une localité, parce que l'échafaud y a été dressé. La criminalité tient à bien d'autres causes. Elle tient surtout à la promptitude et à la certitude de la répression.
Nous arrivons, messieurs, à la question importante du débat, c'est la question de savoir si la peine de mort est indispensable. Nous avons prouvé l'inutilité de la peine de mort, nous avons montré que les faits vous convient à la supprimer ; voyons si elle est indispensable.
Si la peine de mort est abolie, dit l'honorable M. Pirmez, l'assassin n'a plus de frein, les crimes vont se multiplier. Comme nous sommes ici chargés de défendre les populations, nous ne devons pas, pour MM. les assassins, supprimer la peine de mort et la laisser infliger à nos administrés. Voilà la théorie de l'honorable membre.
Mais, messieurs, l'assertion de l'honorable M. Pirmez est une allégation très catégorique, je le veux bien, mais, je le déclare, très dénuée de preuves. Il ne suffit pas de prétendre que si la peine de mort est supprimée les assassinats vont augmenter, il faut encore le prouver. Pourquoi, par exemple, les travaux forcés à perpétuité n'exerceraient-ils pas la même influence sur les individus disposés au crime ? Qui nous dit que le remplacement de la peine de mort par les travaux forcés n'empêcherait pas tout aussi bien la multiplication des crimes que vous prétendez devoir se produire si la peine de mort était supprimée ? Vous n'apportez aucune raison à l'appui de votre hypothèse.
Je me trompe ; vous prétendez que vous avez interrogé les condamnés, et que les condamnés vous ont répondu : « Si j'avais su que la peine de mort aurait pu m'être appliquée, je n'aurais pas commis l'assassinat qui me conduit à l'échafaud. »
Voilà le premier argument de l'honorable M. Pirmez.
Comment ! vous demandez à un condamné : Auriez-vous commis le crime qui vous mène à l'échafaud si vous aviez su que la peine de mort était encore appliquée ; et le condamné de répondre sur sa parole d'honneur qu'il s'en serait bien gardé, qu'il croyait la peine de mort supprimée en fait ! (Interruption.)
C'est à des misérables, souillés des crimes les plus odieux, qui ont menti pendant tout le cours des débats, c'est à ces hommes que vous allez demander la solution du grave problème posé devant nous ; et si, au moment où ils n'ont plus rien à espérer de la justice, ou entièrement livrés à la clémence royale, ils répondent qu'ils n'auraient pas commis le crime, s'ils avaient su que la peine de mort existait, vous viendrez dire à la législature : « En présence des aveux de ces condamnés, maintenons la peine de mort. »
Si l'honorable M. Pirmez veut, avec moi, se livrer à une expérience, nous visiterons ensemble les prisons du pays ; nous interrogerons tous les détenus, et s'il y en a un seul qui ne déclare pas : « que s'il avait su qu'il serait conduit dans cette prison il n'aurait pas commis le crime, » s'il y en à un seul qui ne réponde pas de cette manière, je consens à abandonner la cause que je défends. Tous disent : « Si j'avais su que je serais condamné aux travaux forcés, ou à la réclusion, je n'aurais pas enfreint la loi et je vous promets qu'à l'avenir je ne recommencerai plus. » Ce qui ne les empêche pas, s'ils viennent à être rendus à la liberté, de se livrer de nouveau à leurs mauvais instincts.
M. Pirmezµ. - J'accepte bien volontiers l'enquête que vous me proposez.
Si les condamnés nous répondent que s'ils avaient su encourir la peine qu'ils subissent, ils n'auraient pas commis l'infraction, nous conclurons à l’efficacité de la peine.
La question a été faite pour la peine de mort, et de la réponse obtenue j'ai tiré la conclusion que vous indiquez : l'efficacité de la peine.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous êtes dans l'erreur la plus complète lorsque vous voulez me faire dire que toutes les peines sont inutiles. Vous voulez prouver qu'il n'y a que la peine de mort qui soit efficace. (Interruption.) Eh bien, je dis que si vous adressiez aux condamnés aux travaux forcés la question posée aux condamnés à mort, ils vous répondraient : « Si j'avais su que je serai condamné aux travaux forcés, je n'aurais pas commis ce crime. »
Or, je dis que si les travaux forcés suffisent pour empêcher les crimes, vous ne devez pas maintenir la peine de mort.
Mais, d'après votre raisonnement il n'y a que la peine de mort. EU bien, si votre raisonnement était juste, vous auriez prouvé l'inefficacité de toutes les peines autres que la peine de mort.
L'honorable M. Thonissen a dit dans son discours qu'il croit qu'une exécution a purgé toute une commune de criminels ; l'honorable M. Pirmez s'empare de cette phrase et en conclut que l'efficacité de la peine de mort est incontestable. Eh, messieurs, l'honorable M. Thonissen a pu faire cette déclaration sans que pour cela votre conclusion se justifie. Est-ce que, si au lieu d'être exécuté, le criminel avait été condamné aux travaux forcés à perpétuité, le même résultat n'eût pas été atteint ?
M. Thonissenµ. - C'est justement ce que j'ai dit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous disons qu'il faut un châtiment et un châtiment sévère, mais surtout un châtiment certain ; ce qui encourage les malfaiteurs, c'est l'espoir de l'impunité.
Au surplus, messieurs, est-il vrai de dire que ce soit aux exécutions que l'on doit la diminution des crimes ?
Nous demandons à l'honorable M. Pirmez et à tous les défenseurs de la peine de mort de vouloir citer les faits. Un des plus zélés défenseurs de la peine de mort, M. le procureur général de Bavay, en a cité deux : la disparition des chauffeurs après la révolution de 1789 et la disparition de la « haine de cense » dans l'arrondissement de Tournai.
M. Thonissenµ. - La chose est parfaitement connue.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Pirmez n'a pas reproduit le tableau des chauffeurs, je ne sais pas pourquoi. Il a probablement trouvé que son exemple manquait de bases.
M. Pirmezµ. - J'en ai assez.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais il a parlé du mauvais gré dans le Tournaisis, timidement, sans trop s'aventurer, comme s'il se fût attendu à une réfutation péremptoire.
Comme ce fait concerne l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter, je me suis enquis de cette disparition miraculeuse du mauvais gré opéré en 1844 par suite de l'exécution d'un incendiaire.
Voici ce qui est arrivé. Le mauvais gré qui existe dans l'arrondissement de Tournai remonte, d'après l'honorable M. de Bavay, au règne d'Albert et d'Isabelle.
Le mauvais gré est la vengeance du locataire dépossédé ; il brûle les propriétés de son ancien propriétaire, ou du nouveau locataire, ou bien il empoisonne les bestiaux et les récoltes.
L'honorable M. de Bavay et, à sa suite, l'honorable M. Pirmez soutient que par une exécution opérée en 1844, celle du nommé Duret, le mauvais gré a cessé.
Je me demande tout d'abord comment il se fait que le mauvais gré qui existait sous Albert et Isabelle qui ne se faisaient pas faute d'appliquer la peine de mort, je me demande comment le mauvais gré a continué de subsister malgré cela, et comment il a fallu attendre 1844 pour délivrer l'arrondissement de Tournai du mauvais gré.
Voilà un fait que les défenseurs de la peine de mort devraient nous expliquer, car si la peine de mort a cette propriété énergique, incontestable, de purger le pays de malfaiteurs, comment se fait-il que quand on applique le remède, on n'obtient pas de guérison ?
Ensuite, chose des plus remarquables, le code pénal, auquel l'honorable M. Pirmez a considérablement travaillé, ne punit plus de mort l'incendie, le crime habituel du mauvais gré ; voilà donc, de par l'honorable M. Pirmez, l'arrondissement de Tournai condamné à voir renaître le mauvais gré.
Ou bien nous sommes dans le vrai quand nous disons : Si en 1844 au lieu de condamner à mort cet incendiaire, et de l'exécuter, vous l'aviez condamné aux travaux forcés, le mauvais gré aurait cessé. Ou bien nous sommes dans notre tort et alors vous devez maintenir la peine de mort pour ce crime, car vous ne pouvez livrer toute une contrée à l'incendie et à l'empoisonnement.
M. Coomans. - Cela est irréfutable.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On ne nous expliquera (page 260) pas, messieurs, comment, en 22 ans, la situation a changé, comment la peine de mort a été indispensable en 1844 et comment elle ne l’est plus aujourd'hui.
Heureusement, messieurs, je puis rassurer mes concitoyens ; le mauvais gré ne régnera pas parce que la peine de mort aura disparu du code.
La véritable cause de la disparition du mauvais gré n'est nullement dans l'application de la peine de mort, mais dans le châtiment qui a atteint le coupable.
Voici ce qui s'est passé.
Les crimes se commettaient ; ils étaient nombreux et il était impossible de saisir les coupables. Les cultivateurs n'osaient pas parler ; les gens de la campagne étaient dans la terreur et le parquet était occupé par un vieillard infirme qui n'osait pas sortir de chez lui. Cela est constaté dans des rapports et dans les dossiers du ministère de la justice.
Mais quand la répression est arrivée, quand les gens ont dénoncé les coupables et ont parlé devant les juges, les crimes ont cessé et aujourd'hui le mauvais gré dans l'arrondissement de Tournai est puni de quelques mois de prison.
Une affaire de mauvais gré m'a encore été soumise il n'y a pas six semaines, mais le mauvais gré à l’état épidémique a disparu.
Nous avons réfuté les deux seuls faits cités par l'honorable M. Pirmez à l'appui de sa thèse que la peine de mort est indispensable, l'interrogatoire du condamné et le mauvais gré dans l'arrondissement de Tournai ; des faits plus récents établissent tout au moins l'inefficacité particulière de cette peine.
Je fais appel à mon honorable prédécesseur, et je lui dis : Coucke et Goethaels ont été exécutés. Est-ce que pour cela Doucher et Leclercq ont cessé leurs forfaits ? Mais Leclercq assistait à l'exécution de Coucke et Goethaels ; il était au pied de l'échafaud. Est-ce que cette exécution a ramené au bien un seul des membres de la bande noire ?
Les forfaits ont continué de plus belle ; voilà la vertu intimidante de la peine de mort ! Est-ce que quelque temps après dans ce même arrondissement de Charleroi, Leurquin n'a pas assassiné ? Pète n'a-t-il pas assassiné un père de famille pour quelques francs ? et ce misérable, vous ne l'avez pas exécuté ! et pourtant la criminalité a diminué dans l'arrondissement de Charleroi. On exécute Coucke et Goethaels, et les crimes continuent ; on n'exécute pas Pôle, et les crimes cessent.
Expliquez-moi ces faits.
Vous n'y trouvez certes pas la preuve de l'utilité de la peine de mort. Mais ils doivent faire naître les doutes les plus sérieux sur l'efficacité de cette peine, et dès lors vous devez faire disparaître ce châtiment irréparable.
Dumolard, M. Vleminckx l'a dit tout à l'heure et je l'affirme, Dumolard est le fils d'un supplicié ; eh bien, ni l'exemple de son père, ni le souvenir du châtiment qui l'avait atteint, rien n'a fait ; il a poursuivi ses crimes avec sang-froid et cynisme. Dernièrement vous avez vu un jeune homme paraître devant la cour d'assises de Draguignan, un nommé Coudurier, qui avait mis le feu au pénitencier de l'île du Levant. Ce jeune homme était le fils d'un supplicié et son oncle avait été condamné aux travaux forcés ; donc, vous le voyez, l'intimidation avait été nulle.
M. Dumortier. - Donc il ne faut pas punir.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si, mais il ne faut pas punir inutilement.
Les raisons que j'invoque reposent sur des considérations psychologiques très importantes. En effet, qu'est-ce qui détermine le coupable à commettre son crime ? C'est l'ignorance, ce sont les mauvaises situations, c'est la misère, c'est la vengeance, c'est la haine. Qu'est-ce qui l'empêche de commettre son crime ? croyez-vous que ce soit exclusivement la crainte de la peine de mort ? Si tout criminel savait qu'il serait atteint de la peine des travaux forcés à perpétuité, il n'y aurait plus de criminel sur la terre.
En effet, cette peine est suffisamment intimidante, mais l'on dit et je prends l'argument : Un homme va voler, pourquoi ne tuerait-il pas, puisque l'assassinat n'emporterait pas une peine plus forte ? En tuant il supprime les témoins du crime.
M. Pirmez, lui-même, a déclaré qu'il ne voulait de la peine de mort que dans quelques cas déterminés ; il n'a pas parlé des crimes qui ont pour mobile les passions, il ne veut la peine de mort que pour les criminels qui vont tuer, dans les campagnes, de pauvres gens sans défense.
Les voleurs tueront, dites-vous, s'il n'y a pas d'augmentation de peine toutes les fois que leur intérêt l'y engagera. Je dis non et je le prouve. Un individu va voler ; s'il est découvert, il tuera alors même que vous auriez effacé du code la peine de mort, et il tuera parce que ce qu'il veut avant tout c'est l'impunité. Ce n'est pas la différence de la peine de mort à celle de travaux forcés à perpétuité qui arrête le criminel, il tuera parce qu'il ne veut pas de témoins, parce qu'il ne veut pas de la peine des travaux forcés à perpétuité et que l'assassinat est pour lui un moyen de se soustraire à cette peine. Ainsi vous le voyez, avec la peine de mort, vous n'empêchez pas d'ailleurs le voleur de tuer.
Mais, dit M. Pirmez, j'ai un cas dans lequel vous êtes impuissant : que ferez-vous, par exemple, du criminel qui tue son gardien ? Si la question était réduite à ces proportions, si la peine de mort ne devait avoir pour but que de protéger la vie des gardiens, elle serait peu nécessaire. Car il y a d'autres moyens de sauvegarder la vie de ces employés.
Mais au surplus l'argument peut être détruit et je puis poser à M. Pirmez une question tout aussi embarrassante. Voici un homme condamné à mort ; il revient dans sa cellule ; on tarde à statuer sur son pourvoi, mais cet homme a la certitude d'aller à l'échafaud, il n'a plus rien à attendre des hommes, il a tout intérêt à tuer son gardien. Eh bien, si le condamné tue son gardien, que fera M. Pirmez ? Le tuera-t-il en détail ?
Notez, messieurs, que si la peine de mort existe, le condamné a tout intérêt à commettre un nouveau crime pour se sauver, car il n'y a pour lui aucun espoir et on ne peut lui infliger de châtiment plus dur que celui auquel il est condamné. Il n'en est pas même pour le condamné aux travaux forcés.
Celui-ci a toujours l'espérance de la grâce ; il sait bien qu'il peut un jour sortir de prison s'il se rend digne de sa liberté par sa bonne conduite, et s'il tue il ne fera qu'aggraver sa situation. Donc cet argument se réfute lui-même.
D'ailleurs, y a-t-il une si grande différence entre la thèse de M. Pirmez et la thèse que je soutiens ? Que disons-nous ? La peine de mort n'exerce pas les effets que vous indiquez, ou tout au moins il y a des doutes sérieux sur son efficacité.
Eh bien, tentons un essai, faisons comme d'autres peuples, supprimons pour le moment, de notre législation, la peine capitale. Nous ne nions pas la légitimité de la peine de mort. Si elle est nécessaire, nous la rétablirons. Supprimons donc la peine de mort, sauf à la rétablir si la nécessité en est démontrée, faisons l'essai d'une législation plus douce, nous sommes assez avancés en civilisation pour tenter une expérience.
Que dit M. Pirmez ? Si le droit de grâce n'existait pas, je supprimerais la peine de mort, mais le droit de grâce existe ; conservons donc le glaive, sauf à le laisser dans le fourreau. Quelle différence y a-t-il entre nos deux systèmes ? Vous nous donnez raison tout en faisant des efforts pour établir que nous avons tort. Vous êtes obligés d'être du même avis que nous.
Je suppose que votre système soit pratiqué, le gouvernement fera grâce, mais à un moment donné les crimes se multipliant, il pourra tirer le glaive du fourreau. Eh bien, dans ce cas nous irions reprendre l'épée que nous aurions remise à la législature.
- Une voix. - Avec effet rétroactif.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pas plus que vous. Vous voyez donc que notre système si progressif ne présente pas de différente avec celui de M. Pirmez.
Nous sommes d'accord ; vous nous faites toutes les concessions théoriques que nous puissions désirer ; seulement vous voulez que la peine de mort reste à l’état de menace platonique dans le code pénal. Voilà la seule différence qui existe entre nos deux systèmes.
J'en conclus que, nous qui sommes en apparence les vaincus, nous sommes en réalité les vainqueurs, car, en attendant que nos idées triomphent, nos adversaires nous disent de ne pas reculer.
La peine de mort, dit-on, est une arme ; mais c'est une arme dont il ne faut pas user ; on craint qu'elle ne se retourne contre la société ; on craint qu'en s'en servant, la société elle-même puisse se blesser. Mais, messieurs, permettez-moi de fane une réflexion au sujet du système de l'honorable M. Pirmez.
Qu'est ce que ce système ? C'est l'abus du droit de grâce. Sous l'impression de la terreur populaire, un homme sera traité plus sévèrement que dans des conditions différentes.
Les plus grands coupables ne payeront pas de leur tête leurs forfaits, parce que la situation de la société sera normale, parce que les crimes ne seront pas nombreux.
On n'examinera plus la criminalité dus hommes d'après le caractère intrinsèque des crimes qu'ils auront commis, mais eu égard aux nécessités sociales, en égard aux besoins du moment. On sera passible de la peine de mort si la situation est mauvaise, et seulement de la peine des travaux forcés si la situation est bonne. Ce ne sera plus de la justice, ce sera du caprice. (Interruption.)
(page 261) Vous voulez que la justice reste respectée dans le peuple, vous avez peur que le sentiment de la justice ne s'affaiblisse.
Eh bien, c'est précisément ce qui arrivera si vous avez deux poids et deux mesures pour les mêmes actes, selon les circonstances. Vous affaiblissez le sentiment de la justice, lorsque vous faites monter un homme sur l'échafaud dans certaines circonstances, tandis que pour le même fait vous condamnez un autre criminel aux travaux forcés. Or, messieurs, c'est là ce que nous avons le plus à craindre.
Quoi que vous en disiez, messieurs, il y a un mouvement sérieux contre la peine de mort ; ce mouvement n'existe pas dans les masses ; mais il se fait sentir dans les classes instruites de la société ; et vous le savez, c'est parmi les classes instruites que vous choisissez vos jurés et vos jugés.
Eh bien, si vous n'abolissez pas la peine de mort, vous verrez se multiplier les acquittements. Les circonstances atténuantes sont là, direz-vous. Oui, mais si vous attribuez au jury l'appréciation des circonstances atténuantes, qu'en résultera-t-il ? C'est que vous verrez chez nous ces scandales qui se produisent dans d'autres pays. Vous verrez un Martin Réau, empoisonneur de sa femme et de son enfant, obtenir le bénéfice des circonstances atténuantes. Vous verrez une femme et son amant déclarés coupables, mais avec des circonstances atténuantes, pour avoir livré leur enfant en pâture à une truie ! Voilà, messieurs, ce qui affaiblit le sentiment de la justice. Dans notre système, de pareils dangers ne sont pas à craindre. Une belle occasion se présente pour la Belgique de réaliser un grand progrès, et de se placer ainsi à la tête des nations. Notre territoire est petit, mais nous sommes grands par le devoir qui nous incombe ; et ce devoir c'est précisément de tenter une réforme que d'autres nations bien plus puissantes que nous n'osent pas entreprendre. C'est par l'élévation de ses institutions, c'est par la grandeur des principes déposés dans sa législation bien plus que par son étendue territoriale et le nombre de ses habitants, qu'un peuple, parvient à se placer à la tête des nations civilisées. (Interruption.)
(page 265) M. Teschµ. - Messieurs, je suis d'accord avec l'honorable ministre de la justice sur un point, c'est que le débat engagé en ce moment est inopportun et ne peut que nuire à nos travaux.
A quoi peut-il en effet aboutir en ce moment ? Ou l'opinion qui prévaudra dans cette Chambre sera conforme à celle du Sénat et dans ce cas nous aurons perdu du temps en discussions stériles, ou le vote de la Chambre sera en opposition avec la décision de l'autre assemblée, et dans ce cas l'antagonisme qui surgit entre les deux Chambres ajourne indéfiniment la réforme du code pénal à laquelle nous travaillons depuis 16 ans.
C'est là, messieurs, le côté sérieux de la situation que crée l'amendement présenté et sur lequel je crois devoir appeler toute l'attention de la Chambre.
Assurément, il eût été plus sage de suivre la marche qu'avait proposée l'honorable ministre de la justice et de faire de la peine de mort l'objet d'un projet de loi séparé. Nous aurions pu alors discuter à loisir, sans autre préoccupation que celle de la question même. Le Sénat, de son côté, aurait pu le faire sans craindre d'ajourner, en persistant dans son vote, des réformes que le pays désire depuis si longtemps.
Mais enfin, il n'a dépendu ni de M. le ministre de la justice ni des membres de cette Chambre qui ne partagent pas son opinion qu'il en fût ainsi et force nous est à tous d'aborder le débat.
Messieurs, vous le savez, le code pénal a été élaboré par une commission ; le premier livre a été présenté il y a plus de 16 ans, et ce n'est pas, pour l'avoir discuté à cette époque devant la Chambre comme ministre, que je viendrai aujourd'hui soutenir l'une ou l'autre de ses dispositions si elle n'était pas conforme à mes convictions.
Je ne suis pas partisan de l'abolition de la peine de mort, je ne l'ai jamais été et je crains bien que personne ne parvienne à me convertir au principe que consacre l'amendement.
Je ne suivrai pas l'honorable ministre de la justice dans une grande partie de son argumentation, que je regarde comme à peu près étrangère au débat.
Je suis d'avis, comme lui, que des questions de cette nature doivent être examinées en elles-mêmes, abstraction faite du bruit qui se fait autour d'elles : je me préoccupe peu de ce que peut en penser le public.
Ce que je veux, avant tout, c'est d'émettre une opinion consciencieuse et, qu'après de longues réflexions, je crois être conforme à l'intérêt social.
Il n'est pas exact, cependant, de dire, comme l'a fait M. le ministre de la justice, que ceux qui viennent défendre ici la peine de mort aient le beau rôle. Non, messieurs, la défense du bourreau est toujours une tâche ingrate, et ceux qui s'y dévouent apparaîtront toujours comme des hommes ennemis de tout progrès, qui répudient le développement des sentiments généreux dans l'humanité : mais, comme je le disais, laissons de côté toutes ces questions et abordons le fond de la discussion.
Ce débat, messieurs, tout le monde semble vouloir le restreindre à ces termes : La peine de mort est-elle nécessaire ? C'est ainsi que tous les orateurs l'ont successivement posé.
L'honorable ministre de la justice a beaucoup insisté sur un point ; il nous a dit : C'est à vous, défenseurs de la peine de mort, à la justifier ; c'est à vous à en prouver la nécessité. En entendant ce raisonnement, je me suis cru un instant devant les tribunaux où des plaideurs débattent la question de savoir à qui incombe une preuve à rapporter. Si je voulais me placer à ce point de vue un peu étroit, qu'on me permette de le faire observer, je dirais à M. le ministre : « La peine de mort est dans nos codes ; c'est à vous de prouver qu'elle y est inutile ; c'est à vous d'établir que vous avez trouvé une autre peine aussi efficace et qui assurera à la société la même sécurité. » Je crois que la logique serait de mon côté, si je tenais ce langage. Mais je ne veux pas insister sur un semblable argument dans une assemblée d'hommes intelligents qui pèseront nos raisons, qui se formeront leur conviction, sans se préoccuper de la question de savoir si l'obligation de faire une preuve incombe plus spécialement à l'une ou à l'autre opinion.
Messieurs, à notre avis, la peine de mort est nécessaire, parce que la société est chargée de garantir la sécurité la plus absolue à tous les citoyens qui la composent.
Or, je dis qu'il n'y a pas de sécurité lorsque vous arrivez à une situation où l'impunité existe au profit de l'un ou l'autre membre du corps social. Impunité pour certains individus et sécurité pour les autres, ce sont deux termes qu'avec tout son talent M. le ministre de la justice ne parviendra jamais à concilier.
Eh bien, le jour où vous aurez supprimé la peine de mort, vous aurez, dans certains cas consacré l'impunité ; ce jour-là il y aura dans la société des hommes plus puissants que la société elle-même ; qui pourront encore, quelque chose contre la société, et contre lesquels vous, société, vous ne pourrez plus rien.
L'individu condamné à la détention perpétuelle pourra dans sa prison, même commettre de nouveaux méfaits ; comme il aura épuisé les rigueurs de vos lois répressives, que pouvez-vous ? C'est pour éviter une semblable situation que la peine de mort sera toujours nécessaire, indispensable, qu'elle doit rester comme expression de la suprématie sociale sur l'individu.
L'honorable M. Pirmez avait dit : « Que ferez-vous lorsqu'un condamné aux travaux forcés à perpétuité aura tué son gardien ? M. le ministre, de la justice a dit : « Si l'abolition de la peine de mort ne présente que ce danger, nous prendrons des mesures. »
Mais je vous demande de répondre à cette question : un individu est condamné aux travaux forcés à perpétuité ; cet homme tue son gardien ; le traduirez-vous une seconde fois devant la cour d'assises pour le faire condamner de nouveau aux travaux forcés à perpétuité ? Et si cet homme parvient à s'évader, promène la terreur partout, continue ses attentats contre la vie de ses semblables, le retraduirez-vous encore devant la cour d'assises, et le ferez-vous condamner une troisième fois aux travaux forcés à perpétuité ? Je dis que votre action sociale dans ce cas deviendrait ridicule ; et jamais le sentiment de justice, qui existe à un si haut degré dans la société, ne se contentera d'une répression qui n'aurait plus rien de sérieux.
Il est donc incontestable que sans la peine de mort vous aboutissez à un moment où l'impunité existe. Or, ainsi que je le disais il y a un instant, l'impunité et la sécurité sont deux termes inconciliables. Il faut, dans mon opinion, que la société ait entre les mains une arme égale au moins à celle dont l'individu peut user vis-à-vis d'elle. Hors de là, la justice sociale n'existe plus avec un caractère suffisant d'efficacité et la garantie que la société doit à ses membres n'est plus complète, et je le répète, l'individu est plus fort que la société.
Messieurs, dans ce débat la statistique a joué un très grand rôle. Pour établir que la peine de mort n'est pas nécessaire, on nous a promenés dans tous les pays, en Valachie, en Amérique, en Allemagne, en Italie ; on a été partout. J'ai écouté très attentivement et je dois dire que je n'ai pas entendu un seul mot, j'en demande pardon à mes honorables adversaires, qui ait apporté chez moi la moindre conviction et je déclare que je ne me refuse pas à recevoir la lumière, n'importe d'où elle arrive.
Vous me parlez de l'Amérique, de l'Etat du Maine ; je ne sais quels sont, dans l'Etat de Maine, les moyens qu'on a substitués à la peine de mort ; je ne sais si en Amérique on n'a pas introduit le système cellulaire qui jadis y a pris naissance, en le pratiquant de manière à tuer d'abord l'homme moralement et ensuite physiquement. Je comprends bien que vous pourriez remplacer la peine de mort par une peine de cette nature ; il est très possible que le système cellulaire appliqué de cette façon répande une terreur aussi salutaire que la peine de mort ; c'est la séparation absolue de l'homme d'avec tous ses semblables, comme on l'a dit, séquestration du condamné dans une chemise de pierre. Il est très possible qu'avec un pareil système, vous supprimiez l'échafaud, mais vous n'aurez pas, en réalité, supprimé la peine de mort. Celle-ci existera toujours, mais plus lente et plus cruelle.
Vous avez aussi parlé de quelques pays d'Allemagne ; vous ne nous avez pas fait connaître l'état des mœurs, des idées de ces pays, leur degré d'instruction, rien de ce qui nous mettrait à même d'établir une comparaison avec notre pays. Mais ce dont vous vous êtes le moins occupés, c'est de la Belgique, de la France, précisément les deux pays qui ont le plus d'affinité sous tous les rapports... (Interruption.) Oui, l'honorable M. Thonissen a parlé de la France, mais en laissant de côté le fait le plus saillant de l'histoire criminelle de ce pays pendant les quarante dernières années.
Messieurs, la meilleure preuve à donner que nos honorables adversaires ne trouvent rien dans la statistique de notre pays qui vienne à l'appui de la thèse qu'ils soutienne, c'est que tour à tour chacun arrange les chiffres à sa guise ; il semble que la statistique n'est plus qu'une question de groupement de chiffres. Il me serait facile d'établir que cette statistique prouve absolument le contraire de ce que mes adversaires lui font dire.
(page 266) Ainsi, de 1831 à 1835, il y a eu 3 exécutions et 68 condamnés.
De 1836 à 1840, il y a 79 condamnés et 2 exécutions.
De 1841 à 1845, il y a eu 128 condamnés et 8 exécutions.
De 1846 à 1850, il y a eu 213 crimes et 18 exécutions.
Le nombre des exécutions double et triple, et immédiatement nous voyons le nombre des crimes diminuer de plus de 25 p. c.
De 1851 à 1855, il y a eu 141 crimes et 17 exécutions. Et immédiatement, dans la période de 1855 à 1860, nous voyons tomber les crimes de près de 10 p. c. Ils tombent à 100.
Ainsi, en 10 ans, de 1845 à 1855, nous trouvons 33 exécutions et une diminution énorme dans la criminalité. Assurément ce résultat ne prouve pas pour votre système. Une diminution notable de la criminalité après un certain nombre d'exécutions. Voilà ce qui résulte de votre statistique en Belgique, et je vous défie de le nier.
Ainsi donc, la statistique belge prouve précisément contre tout ce qui a été allégué : lorsqu'on a réprimé sévèrement, lorsqu'on a laissé aux arrêts des cours d'assises leur exécution, lorsque la peine de mort a été appliquée avec rigueur, les crimes ont diminué notablement. Voilà le fait ; la sévérité dans la répression est-elle la cause de la diminution dans la criminalité ? En suivant votre manière d'argumenter, je devrais nécessairement l'admettre.
En France, que s'est-il passé ? La réforme pénale y date de 1832. Eh bien, à partir de 1832, vous avez eu immédiatement une très grande augmentation de crimes et de délits ; la criminalité s'y est élevé dans de très grandes proportions.
Le fait est grave, très grave ; l'honorable M. Thonissen l'a parfaitement compris. Aussi il a cherché à l'expliquer.
Il nous a dit : Certainement il y a eu augmentation dans la criminalité en 1832 en France ; mais il ne faut pas l'attribuer à la réforme pénale, car cette augmentation porte sur des faits qui sont restés punis de la peine de mort et sur des faits qui, avant la réforme, n'étaient pas punis de la peine de mort. Par conséquent la question de la peine de mort est complètement étrangère à l'augmentation de la criminalité qui a été signalée.
Mais l'honorable M. Thonissen n'a pas dit, et c'était cependant là le point capital, qu'en 1832, on a introduit en France le système des circonstances atténuantes et que c'est précisément l'abus qui en a été fait, qui avait fait croire à l'abolition de la peine de mort, et que c'est sous l'empire de cette croyance que cette augmentation rapide de la criminalité s'est produite en France.
C'est ce qui a été constaté en pleine Chambre de France et c'est ce que disait le rapporteur d'une commission chargée d'examiner la proposition de M. Sabatié-Laroche, sur l'abolition de la peine de mort. Voici ce qu'il dit :
« Nous voilà donc forcément ramenés à cette question de fait : La société peut-elle à la fois supprimer les exécutions capitales et garantir l'existence de tous ceux qu'elle est chargée de protéger ?
« Ici, messieurs, permettez-moi de vous rappeler un fait qui a produit un grand retentissement. Vous le savez, en 1832 le Code pénal fut réformé ; on effaça la peine de mort de plusieurs de ses articles, on autorisa le jury à admettre, dans toutes les accusations, des circonstances atténuantes.
« Je me hâte de le déclarer, afin qu'on ne se méprenne pas sur le sens de mes paroles. Cette réforme est peut-être la principale gloire de la révolution de Juillet. Néanmoins, lorsque cette loi fut promulguée, un nombre inusité d'assassinats vint attrister le pays. Plusieurs des coupables furent condamnés à périr sur l'échafaud. Ils avouèrent qu'ils avaient cru la peine de mort entièrement abolie. Ce bruit s'était répandu dans nos campagnes ; ils avouèrent que sans cette persuasion ils n'auraient point versé le sang humain. »
El ce n'est pas seulement à cette époque ; mais encore en 1848 et 1849 que nous voyons le même fait se reproduire.
M. Thonissenµ. - Vous ne dites pas ce que M. Béranger a répondu. Il a prouvé que le rapporteur avait tort.
M. Teschµ. - Vous le direz si cela vous convient. Vous auriez pu le dire d'abord, et expliquer l'influence du système des circonstances atténuantes.
M. Thonissenµ. - J'ai cité M. Béranger au bas de mon discours.
M. Teschµ. - Vous pouviez me dispenser d'en venir sur ce point et dire qu'en France cette augmentation de la criminalité avait été attribuée au système des circonstances atténuantes introduit à cette époque, et dont, cela est historique, tout le monde a accusé le jury d'abuser.
Voici après cela un autre passage, je ne sais si M. Déranger y a répondu, mais qui a été cité au Sénat par l'honorable baron d'Anethan, et qui prouve, qu'en 1848, la croyance à l'abolition de la peine de mort a produit le même résultat.
« Après la proclamation de la république, disait M. Guizot, à la séance du 25 mars 1851, de la société d'économie charitable, où les hommes les plus compétents dissertaient la question pénitentiaire, après la proclamation de la république, on avait répandu dans certains départements la croyance que la peine de mort était abolie ; le nombre des crimes avait augmenté dans une proportion effrayante. On peut donc dire que l'expérience a prononcé contre l'abolition de la peine de mort.
« Cette augmentation a été, en 1840, de plus d'un quart pour les parricides, fratricides et homicides. (Discours de M. Casablanca à l'assemblée législative, 8 décembre 1851.) »
Voilà des faits qui se produisent à côté de nous et qui sont, pour moi, la preuve que l'abolition de la peine de mort, abstraction faite de toute autre raison, constituerait pour le pays un véritable danger.
Aussi, messieurs, quand la question a été agitée en France, elle a toujours reçu une solution négative. A dix reprises différentes, la question qui nous occupe a été traitée par les grands pouvoirs publics de France : elle l'a été en 1789, en 1810, en 1824, en 1830, en 1848, en 1849, en 1860, en 1864, en 1865, et à d'immenses majorités, la proposition de supprimer la peine de mort a été repoussée.
On nous a parlé de l'Italie, on nous a parlé de la Toscane. L'honorable M. Pirmez vous a déjà fait observer que jamais aucune de ces expériences faites dans ces pays n'avait été assez longue pourque réellement on pût en tirer une conclusion sérieuse, certaine. Il y a quelque chose qui me porte à croire que cette expérience dont on parle tant et qui a été faite en Italie, en Toscane, n'a pas convaincu tout le monde. Dernièrement, l'abolition de la peine de mort ayant été admise par la Chambre, la question a été soumise au Sénat, qui compte dans son sein les hommes les plus éminents de l'Italie, et si je ne me trompe, elle a été résolue négativement à la presque unanimité des voix. Cependant nul n'était mieux placé, pour apprécier l'expérience dont on nous parle, que ces hommes qu'on n'accusera pas d'être des esprits arriérés et inaccessibles à toute idée de progrès.
Toutes ces expériences que l'on cite, et qui doivent avoir été faites dans des pays dont nous ne pouvons apprécier les conditions, ne prouvent donc rien ; tous les faits que vous citez n'ont pour moi aucune valeur. Si vous voulez consulter des faits, il faut les prendre en Belgique et dans les pays voisins où les mœurs, les idées, le degré d'instruction, de bien-être, les institutions sont à peu près les mêmes. Eh bien, ces faits constatés dans ces pays condamnent votre système.
A deux reprises différentes la croyance se répand dans les masses que la peine de mort est abolie et chaque fois vous voyez la criminalité augmenter dans une grande proportion. Ce sont là des faits irrécusables et dont il est impossible de méconnaître l'importance.
Mais, messieurs, à côté de ces statistiques on a cherché à citer quelques faits, et j'ai vu avec regret M. le ministre de la justice invoquer ces faits après M. Lambert. Il n'y a pas là, à mon avis, un élément sérieux de discussion. M. Lambert vient nous dire : « Dans l'arrondissement de Ciney un homme guettait les femmes au coin d'un bois, les attirait, puis les tuait pour assouvir sur elles ses abominables passions ; cet homme n'a pas été exécuté, et cependant les mêmes faits ne se sont pas reproduits. » Mais on n'aurait pas poursuivi cet homme, on l'aurait enfermé comme fou, il est bien certain que ces crimes auraient cessé.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas cité ce fait.
M. Teschµ. - Il est évident que sur le globe entier il n'y a pas un deuxième individu capable de commettre de pareils crimes, alors même qu'il n'aurait aucune espèce de punition à redouter. Et vous venez induire de ce fait que la peine de mort n'est pas nécessaire, puisque ces crimes ont cessé, bien que leur auteur n'eut pas été exécuté. Ce n'est pas là un argument.
M. Guillery. - Il n'y a pas deux Dumolard non plus.
M. Teschµ. - Evidemment ce n'est pas sur des faits semblables, ni sur des faits isolés qu'on peut baser une discussion sur la peine de mort.
Je trouve, messieurs, qu'il y a quelque chose de plus concluant que les fails cités. Que chacun s'interroge et qu'il se demande entre autres quel est le sentiment le plus vivace au cœur de l'homme ; nous trouverons là la solution qu'on va chercher ailleurs.
Eh bien, je dis que le sentiment le plus fort qui existe dans l'homme, c'est le sentiment de la conservation de soi-même, et je dis que c'est la (page 267) peine qui s'attaque à ce sentiment qui produira le plus d'effet. Voilà pourquoi la peine de mort aura toujours, comme intimidation, comme exemple, une puissance beaucoup plus grande que toute autre peine que vous pourriez introduire dans nos codes. Il n'est donc pas nécessaire de consulter les statistiques ni de chercher des faits soit dans l'arrondissement de Dinant, soit ailleurs. Chacun peut sonder ses sentiments intérieurs et il trouvera là que la peine de mort est de toutes la plus efficace, celle qui de toutes est le plus de nature à prévenir le crime et à assurer la sécurité de la société.
La statistique et les faits particuliers n'ont pas suffi à l'honorable M. Thonissen ni à l'honorable ministre de la justice pour justifier l'abolition de la peine de mort ; ils ont sondé le sentiment des criminels, ils ont recherché quelles étaient leurs appréciations pour les conséquences que pouvaient entraîner pour eux les méfaits qu'ils allaient commettre, et l'honorable M. Thonissen nous a dit qu'ils étaient pénétrés de l'idée qu'ils échapperaient aux investigations de la justice. C'est aussi l'opinion de l'honorable ministre de la justice Je crois, moi, que les criminels font un raisonnement beaucoup plus complet que celui que leur prêtent l'honorable ministre de la justice et l'honorable M. Thonissen. Oui, ils calculent les conséquences de leur acte, oui, ils comptent à un certain degré sur l'impunité, mais ils vont encore beaucoup plus loin, ils se demandent aussi quelle sera la peine qui les atteindra s'ils sont découverts.
Ils ne se disent pas seulement : J'échapperai ; ils se disent aussi : « J'ai quatre-vingt-dix-neuf chances contre une d'échapper ; mais il reste toujours une chance d'être découvert ; si elle tourne contre moi, quelle sera la peine qui pourra me frapper ? » C'est de cette préoccupation de celui qui prémédite un crime que vous ne tenez pas compte. Et la meilleure preuve que les criminels ne comptent pas absolument sur l'impunité c'est que le plus grand nombre des grands crimes se commet par des récidivistes. Lorsqu'ils ont commis leur premier crime, ils ont pu compter sur l'impunité ; mais quand ils recommencent, ils savent bien par expérience que l'impunité ne leur est pas assurée.
Eh bien, je désire qu'ils sachent que si cette chance leur est défavorable, elle aura pour eux les plus redoutables conséquences. Il ne faut pas que les criminels puissent se dire : « Nous avons toute chance d'échapper, mais si, par hasard, la justice nous découvre, nous en serons quittes pour une détention. » La détention ne les effraye pas ; ils savent parfaitement bien qu'il n'y a que les morts qui ne reviennent pas. Il ne faut pas détruire dans les masses ce sentiment, fruit de l'enseignement religieux, que celui qui se sert du glaive périra par le glaive.
Messieurs, ce que je viens de vous dire ici ne sera pas contesté par les hommes qui ont suivi sérieusement les débats judiciaires des cours criminelles.
Je me rappelle avoir remarqué, non pas une fois mais cent fois, que parmi les individus qui allaient s'asseoir sur les bancs de la cour d'assises il s'en trouvait beaucoup qui savaient parfaitement bien quelles étaient, au point de vue du code pénal, les circonstances aggravantes qui pouvaient entraîner la peine de mort ; ils savaient parfaitement bien éviter celles qui devaient les amener sur l'échafaud. Vous voyez donc bien que non seulement ils ne comptaient pas sur l'impunité, mais ils connaissaient les dispositions de la loi pénale et ils savaient que tel crime commis dans telle ou telle circonstance pouvait entraîner la peine capitale, et ils cherchaient à l'éviter.
Ce calcul, qui était un effet salutaire de la loi, va se retourner contre les victimes.
On calcule aujourd'hui comment on peut échapper à l'échafaud et on épargne les victimes pour ne pas tomber sous l'application de la peine capitale. A l'avenir on fera un autre calcul. On supputera, quoi qu'en dise M. le ministre de la justice, combien il faudra de victimes pour empêcher que la preuve du fait ne puisse être établie.
M. Guillery. - Je demande la parole.
M. Teschµ. - Il ne peut en effet en être autrement. Celui qui aura atteint le dernier échelon de la criminalité ne reculera plus lorsque plus rien au delà ne pourra l'atteindre et il usera de tous les moyens restant à sa disposition pour empêcher que le fait puisse être établi. II faudrait nier les instincts du cœur humain pour le contester sérieusement.
En réalité donc vous arriveriez à cette conséquence que la peine sera supprimée contre les assassins qu'elle n'existera qu'à leur profit pour être toujours appliquée par eux à des innocents ; et les chances de mort pour ceux-ci augmenteraient dans la proportion précisément de votre mansuétude pour les assassins.
A tous ces points de vue donc, messieurs, je ne puis, en ce qui me concerne, voter l'abolition de la peine de mort et je ne puis admettre qu'il y ait possibilité de trouver une peine équivalente et qui ait les mêmes effets préventifs.
L'honorable ministre de la justice nous a dit : Mais ce n'est pas la peine de mort qui arrête les malfaiteurs, c'est la célérité et la certitude de la répression.
Je demande qu'on commence par me donner la célérité et la certitude de la répression. Commencez donc par modifier toutes vos lois de police et d'instruction ; commencez par assurer à la société ce que vous considérez comme une espèce d'équivalent, avant de lui enlever ce qu'elle a.
J'ai entendu dire aussi que c'est l’instruction qui doit, en définitive' modifier les mœurs du pays et détruire la criminalité. Admettons qu'il en soit ainsi, mais attendons ce développement intellectuel et moral avant de faire disparaître cette arme qui, dans la situation actuelle des mœurs, est complètement nécessaire.
Quand vous aurez amené ce bel état social, quand vous aurez réformé votre législation, quand votre police sera plus active, quand elle sera assez intelligente pour découvrir immédiatement le crime et donner cette certitude de répression qui doit valoir, selon vous, mieux que la peine comminée par le. code, nous verrons ; mais jusque-là permettez-nous de maintenir ce qui existe et ce que je regarde comme la sauvegarde de la société.
On me dit : Les travaux forcés ne suffiraient-ils pas ? Les travaux forcés produiraient identiquement le même résultat que la peine de mort.
Je ne puis être de cet avis. Je crois que quand on parle ainsi de la peine de mort, on y apporte, qu'on me permette le mot, beaucoup trop de matérialisme. C'est l'expression de ma pensée bien sincère.
Entre vous et nous, la différence capitale sur la peine à appliquer consiste en ce que vous voulez placer l'assassin en présence du connu et moi, le laisser en présence de l'inconnu.
La peine des travaux forcés est parfaitement connue de l'assassin ; il sait à l'avance à quoi il s'expose et il peut espérer que, même condamné aux travaux forcés à perpétuité, il arrivera une époque où il sera libéré. Il comptera sur l'avènement ou le mariage d'un prince, sur la naissance d'un héritier présomptif, sur tout autre événement favorable à la nation pour obtenir une réduction de peine.
Vous placez, je le répète, l'assassin en présence du connu, je veux, moi, dans l'intérêt du corps social, qu'il reste toujours en face de l'inconnu, car la peine de mort, pour moi, ce n'est pas seulement le bourreau, ce n'est pas seulement l'échafaud, ce n'est pas seulement la cessation de la vie terrestre, c'est le commencement de l'éternité, avec tous ses redoutables problèmes, avec toutes ses terribles incertitudes.
Voilà ce que c'est que la peine de mort. Ce n'est pas seulement le châtiment de l'homme, c'est la porte ouverte au châtiment de Dieu et quelques peines que vous édifiiez, elles n'inspireront jamais autant de terreur que celles que la toute-puissance divine se réserve d'appliquer.
(page 261) M. Guillery. - Messieurs, je dois, en quelque sorte, m'excuser devant la Chambre de la discussion qui occupé depuis deux jours son attention. Amis et adversaires ont considéré l'amendement comme inopportun et comme devant nuire au succès de la cause que nous défendons. Il aurait fallu, dit-on, l'ajourner à des temps meilleurs, et attendre les progrès de l'opinion publique.
Ma conviction est que des questions comme celle-ci, dût-on subir des échecs certains, doivent être discutées devant le pays. Je crois que ce n'est qu'en appelant sur elle l'attention des philosophes, des penseurs, des hommes d'Etat, que nous arriverons à persuader à nos concitoyens qu'on les effraye de vaines terreurs, qu'on leur montre des dangers chimériques.
La discussion prouvera que le danger pour les hommes isolés, pour les campagnards dont on a invoqué la sécurité, que le danger pour les familles n'est pas dans l'abolition de la peine de mort, mais qu'il est au contraire dans cette peine sanglante, à l'exécution de laquelle le peuple vient se presser comme à un spectacle, apprenant ainsi à verser le sang et désapprenant les idées morales et religieuses qu'on a cherché à lui inculquer par l'éducation. Vous voulez que vos enfants consacrent leurs jeunes années à l'école primaire, qu'à la voix de leurs instituteurs ils se pénètrent des idées de morale, de pitié, de bonté, d'amour du prochain et vous détruisez en un jour par le spectacle de l'échafaud tout ce que vous avez fait par l'instruction.
Non, la peine de mort n'est pas une protection nécessaire, la peine de mort est un mal. Non seulement elle n'empêche pas les crimes, mais elle les amène, elle produit des scènes scandaleuses de joie féroce, d'ivresse, de débauche qui feraient supposer que ceux qui ont assisté à ces exécutions sont descendus au niveau de la brute.
El quel est donc cependant ce peuple qui nous inspire cette pitié, j'allais dire ce mépris ? C'est le même peuple qui, lorsque vous faites appel à ses sentiments généreux, se trouve sur la place publique, se réunit au nombre de 600,000 citoyens pour venir acclamer le Roi et la patrie et dire à l'Europe que nous voulons être Belges et que nous sommes prêts a mourir pour notre pays. C'est ce peuple qu'on avilit par d'horribles spectacles, et c'est au nom de son intérêt que nous venons protester contre la peine de mort. Chaque fois que l'occasion se présentera de discuter cette question nous viendrons protester de toutes les forces de ntire âme et chaque fois qu'une discussion se déroulera devant le pays nous verrons s'augmenter le nombre des adversaires de la peine de mort.
Un honorable préopinant dans un discours bien habile et bien savant, un honorable préopinant dont la compétence ne peut être contestée, a nié le mouvement qui se fait en faveur de l'abolition. Pour moi, je cherche en vain ceux qui ne prennent pas part à ce mouvement. Nous avons connu un partisan de la peine de mort, nous avons lu du moins les écrits d'un homme qui a cru devoir placer le bourreau au pied du trône et de l'autel comme le seul défenseur de la morale et de la famille. Cet homme a pensé : « que toute grandeur, toute puissance, toute subordination reposait sur l'exécuteur ». Mais cet homme a-t-il trouvé des échos ?
Et ceux mêmes qui ont parlé contre notre amendement ne sont-ils pas les adversaires de la peine de mort ? Ne viennent-ils pas nous dire avec M. Rossi : « La peine de mort est un moyen extrême, dangereux, qu'on doit désirer de voir supprimer complètement, et pour l'abolition duquel le devoir nous commande d'employer tous nos efforts. »
On la considère comme un mal nécessaire, mais comme un mal.
L'honorable membre qui vient de se rasseoir et qui, après avoir pris part à la discussion du code pénal présenté par M. de Haussy, a rendu de si grands services dans l'amélioration de notre législation, l'honorable membre est un abolitionniste, il a aboli la peine de mort (Interruption). Oui, il n'est pas d'abolitionnistes plus fervents que M. Tesch et j'en dirai autant de M. Pirmez.
Le code pénal de 1810 comminait la peine de mort dans 39 articles comprenant près de 50 délits. M. Tesch a réduit le nombre de cas où la peine de mort est applicable à cinq, je pense. Mais je lui demanderai : Si vous n'abolissez pas la peine de mort pour les assassins, pourquoi l'avez-vous abolie pour les incendiaires ; est-ce pour que les incendiaires reprennent courage et promènent leur torche dans les campagnes ?
N'avez-vous donc pas de pitié pour les victimes des incendies, croyez-vous que les incendiaires sont des hommes plus sensibles que les assassins, qu'ils ne calculent pas comme ceux-ci ? Voyant que la peine de mort est abolie, ne recommenceront-ils pas à incendier ? Avez-vous remarqué que. le nombre des incendies ait augmenté depuis la présentation du code pénal nouveau ? Tout le monde connaît la déclaration que M. le ministre de la justice actuel a faite au Sénat ! Les assassins se sont-ils réjouis de cette déclaration ? Ont-ils recommencé des opérations abandonnées ?
Je ne vois pas que les effets désastreux prophétisés par les défenseurs de la peine de mort et qui, d'après vous, se seraient produits en France après la réforme pénale de 1822, se soient produits ici. Et pour le dire en passant, comment après avoir constaté les effets désastreux de la réforme pénale de 1832, avez-vous eu le courage de présenter la réforme du code pénal ? Comment ! la réforme pénale de 1832, qui va moins loin que celle que vous avez présentée, augmente le nombre des assassins et des assassinés, elle n'est un bienfait que pour les assassins et vous venez ici continuer cette œuvre destructive !
Heureusement, comme l'a dit M. Thonissen, la statistique citée par M. Tesch n'est pas aussi concluante qu'il le croit. M. Tesch n'a lu le discours de M. Thonissen que par parties, M. Béranger répond à la statistique qu'on lui a opposée. Il répond que le mauvais état des prisons, l'organisation vicieuse du système pénitentiaire est souvent la véritable cause de l'augmentation de la criminalité.
M. Thonissenµ. - C'est l'opinion du gouvernement français lui-même.
M. Guillery. - Laissons de côté la statistique, tout le monde la déclare trompeuse et tout le monde l'invoque. Je ne pense pas, quant à moi, qu'il soit possible de dire : Tel délit a augmenté telle année, c'est pour tel motif. Dumolard a tué, violé, c'est parce qu'en telle année il y a eu ou il n'y a pas eu d'exécution. Ce qui diminue la criminalité en France, en Belgique, en Angleterre et en Allemagne, dans tous les pays, civilisés, c'est l’adoucissement des mœurs ; les hommes sont moins féroces, les idées de vengeance se produisent moins fréquemment malgré le mauvais système pénal et pénitentiaire, malgré la négligence qu'on a eue pendant tant d'années pour l'instruction du peuple, les mœurs se sont adoucies, voilà pourquoi les crimes ont diminué.
Continuez à développer l'instruction primaire comme le fait M. le ministre de l'intérieur qui a pris avec tant d'énergie en mains ces précieux intérêts ; continuez à améliorer l'ordre social, ôtez au peuple ces terribles et sanglants spectacles et vous arriverez à la diminution de la criminalité mieux que par la vaine terreur de l'échafaud.
Je disais que la peine de mort, non seulement n'est pas nécessaire, mais qu'elle est fatale à la moralité publique. Une enquête a été faite et elle n'a laissé dans l'esprit de ceux qui l'ont lue aucun doute sur la vérité de ce que j'avance.
Toutes les personnes consultées, toutes les personnes compétentes ont déclaré que les exécutions publiques avaient des effets déplorables sur la moralité.
M. le ministre de la justice vous a cité plusieurs exemples ; il vous a montré combien de crimes ont été médités au pied de l'échafaud ; il vous a montré Dumolard, fils de supplicié. Doit-on s'en étonner ? Ne sait-on pas que le sang appelle le sang ? Mais qu'est-ce donc que ces hommes contre lesquels on requiert la peine de mort ? Ce sont des hommes qui, pour l'un ou pour l'autre motif, soit par des passions exceptionnelles, soit par une ignorance déplorable, presque toujours par les vices de l'éducation, sont placés en dehors de la société.
Entre la société et eux il y a une question de lutte et une question de vengeance ; il y a l'homme qui ne veut pas entrer dans l'ordre social et la société qui ne veut pas le recevoir dans son sein.
Je comprends la mission civilisatrice du législateur qui dit : Cet homme est étranger à la société, il vit en dehors de la société ; je veux l'y faire rentrer à force de bons procédés, de bienveillance, de douceur. Cet homme est cruel, je serai humain pour lui ; il est brutal, je serai doux, je le forcerai ainsi à se repentir et à marcher dans la bonne voie.
Je comprends le système de l'amendement, le système pénitentiaire, le système des colonies agricoles, qui ont produit de si heureux résultats. N'y a-t-il pas bien des exemples que je pourrais citer si je ne craignais de fatiguer la Chambre ; n'y a-t-il pas un grand nombre d'exemples de déportés qui, après avoir commis un crime emportant la peine de mort, ont donné les exemples les plus édifiants de moralité et d'honnêteté ?
Il ne faut pas désespérer facilement de la conscience humaine. Vous dites : Cet homme est mauvais et je lui tranche la tête, car c'est ainsi que s'expriment l'article 8 du nouveau code comme l'article 12 de l'ancien : le condamné à mort aura la tête tranchée. Voilà donc votre moyen suprême d'amendement !
Eh bien, je vous dis, moi : Non, vous n'agissez pas en chrétien ; cet homme est désarmé, cet homme n'est plus un être qui menace la société ; ce n'est plus qu'un homme à convertir, une mauvaise nature à corriger ; c'est un homme dont vous êtes responsables et s'il vous est possible, par un bon système pénitentiaire, de faire de ce scélérat un honnête homme de faire qu'il ne quitte ce monde que purifié, et que vous négligiez les moyens qui s'offrent à vous, vous avez sur la conscience tous les crimes qu'il n'a pas expiés.
Eh, messieurs, d'où provient cette lutte contre la société ? Voici un fils, un jeune homme qui voit monter sur l’échafaud un père, un frère, un camarade ; quel sentiment emporte-t-il de ce spectacle ? Le sentiment que le Corse nourrit contre celui qui a tué son père, son frère, son ami : il jure au pied de l'échafaud de venger le sang qu'il a vu verser. Vous pouvez certainement trouver ce sentiment horrible, contre nature ; mais je dis qu'il est dans la logique du crime, dans la logique de l'échafaud !
Voici maintenant ce que dit un savant criminaliste de l'enquête qui a eu lieu en Angleterre ; car vous savez, messieurs, que le code pénal qui vous est soumis en ce moment et qui commine la peine de mort, a été fait sur le rapport d'un savant criminaliste qui, aujourd'hui, vous convie à ne plus appliquer la peine de mort. Il demande, à la vérité, qu'une expérience soit faite (mais c'est, en réalité, la doctrine de M. le ministre de la justice), et il prévoit la suppression de la peine de mort dans un temps peu éloigné.
Parmi les témoins figurait un homme d'une grande expérience, l'aumônier de la prison de Pentonville, M. Kingsmille, qui regardait les exécutions capitales comme excessivement dangereuses pour la moralité du peuple.
« Dix ans après, la chambre des lords nomma une nouvelle commission d'enquête, chargée d'examiner la question relative à l'application de la peine de mort. Les études de cette commission, qui entendit un grand nombre de personnes expérimentées, particulièrement des shérifs, des directeurs et aumôniers de prisons, des officiers de police, etc., eurent pour objet, 1° les effets produits par les exécutions publiques sur les spectateurs de ces exécutions, sur les populations des villes où elles avaient lieu et sur les autres criminels, 2° les inconvénients qui pouvaient résulter de la substitution des exécutions dans une enceinte fermée, aux exécutions publiques ; 3° les avantages qu'elle pouvait offrir ; 4° le bien et le mal produits, dans d'autres pays, par cette substitution.
Le rapport de la commission exprima l'avis que les exécutions capitales étaient considérées par les masses comme de simples spectacles, et qu'elles avaient pour effet de plonger les populations des villes où elles avaient lieu, pendant vingt-quatre heures, dans des excès de débauche de toute espèce ; que les exécutions publiques tendaient à glorifier le criminel et à l'entourer en quelque sorte des honneurs du martyre. Le rapport ajouta que l'expérience des pays où les exécutions se faisaient dans l'enceinte des prisons, était favorable au maintien de cette mesure. En somme, la commission conclut à la suppression des exécutions publiques, à la condition : 1° que les exécutions dans l'intérieur des prisons ou dans des lieux spécialement destinés à cet effet eussent pour spectateurs des fonctionnaires ad hoc et chargés de consigner leurs déclarations dans les formes légales ; 2° que les autorités locales pussent, en outre, y admettre telles autres personnes auxquelles elles jugeraient convenable d'accorder une autorisation spéciale ; 3° que l'heure du supplice fût annoncée au dehors par le tintement des cloches, et le moment de l'exécution par l'érection d'un drapeau noir, l'administration conservant la faculté d'employer tout autre moyen propre à réaliser le but désiré.
« Une des dépositions les plus intéressantes, faites devant la commission d'enquête, fut celle de M. Clay, aumônier de prison depuis trente-quatre ans. Ce témoin déclara que, dans son opinion, basée sur une longue expérience, la publicité de l'expiation sanglante produisait sur les populations des effets pernicieux, et que les exécutions dans l'intérieur d'une prison frapperaient plus fortement l'imagination des masses, que les exécutions sur la place publique. »
Voilà votre système ; vous voulez l'exécution capitale pour frapper les imaginations ; parce que vous croyez qu'en donnant de temps en temps au peuple le spectacle d'un homme qui a la tête tranchée, ce peuple sera plus moral que s'il était privé de ce spectacle. Si les assassins n'assistaient pas de temps en temps à ce spectacle, ils se livreraient plus facilement au crime ; car ce n'est pas pour le condamné que vous l'exécutez, vous pourriez vous borner à l'enfermer dans sa cellule ; non : c'est pour que son exécution serve d'exemple. C'est pour moraliser le peuple qu'il est bon de lui offrir de temps à autre ce spectacle d'une tête coupée. Voilà, en deux mots, la pensée qui fait croire à l'efficacité de la peine, de mort.
Ainsi donc, messieurs, et ici j'irai plus loin que M. le ministre de la justice, la peine de mort, telle qu'elle est maintenue dans le nouveau code pénal, non seulement n'est pas efficace, non seulement n'est pas nécessaire, mais elle est fatale à la moralité publique parce que le sang appelle le sang et parce qu'il ne faut pas montrer au peuple l'exemple du sang humain qui coule.
On parle, messieurs, du sentiment public ; eh bien, le sentiment public, si on le consultait, se traduirait ainsi : au moment du crime le peuple appliquerait la loi de Lynch ; dans son indignation, il ferait périr le coupable. Mais lorsque le coupable a comparu devant ses juges, lorsqu'il a été condamné légalement, lorsqu'il est désarmé, le peuple s'intéresse plutôt au coupable qu'il ne demande sa mort.
L'intérêt, comme le dit très bien l'enquête dont je viens de lire un extrait, l'intérêt public est tout entier pour le coupable, et aux yeux de bien des gens ce dernier apparaît comme un véritable martyr.
Vous voyez, messieurs, qu'à consulter un pays où la peine de mort a été appliquée avec une grande prodigalité, à consulter un pays où l'on raisonne de sang-froid, un pays où, sur toute question, on commence par ouvrir une enquête dans laquelle on entend toutes les opinions, tous les hommes compétents, vous voyez que le résultat de l'enquête est contraire à votre système et prouve qu'il est fatal à la moralité publique et que les exécutions capitales font plus de mal à la société que la peine ne peut causer de terreur au coupable.
Voyons si au moins cette peine si fatale pour la moralité publique a un bon côté quant à la terreur qu'elle peut causer au coupable.
L'honorable M. Tesch est convaincu que les assassins raisonnent beaucoup, qu'ils supputent toutes les chances d'impunité, et se demandent à quel genre de peines ils s'exposent ; que si la peine est légère, ils se dérident plus facilement à poursuivre leurs projets criminels.
Je crois au contraire que le crime est, le plus souvent, le fruit d'un aveugle entraînement que d'un froid raisonnement. Je crois qu'on arrive au crime de chute en chute, que peu d’hommes commencent par un (page 263) grand crime. On débute par un délit ; peu à peu on s'enhardit et on finit par ne plus reculer devant aucune atrocité.
Voilà, messieurs, la marche ordinaire du criminel ; et des monstres comme Dumolard sont des natures exceptionnelles et que la crainte de la mort n'intimide même pas. Elles s'aveuglent d'ailleurs souvent avant le crime par l'abus de libations qui font perdre la raison et lorsqu'elles sont lancées, rien ne les arrête plus. Il n'y a pas là ce froid raisonnement dont on vous a parlé.
Il est bien vrai qu'il y a eu une confidence de trois criminels qui ont dit que s'ils avaient su qu'on dût les exécuter, ils n'auraient pas commis le crime.
Eh bien, pourquoi l'honorable M. Tesch, avec les convictions qui l’animent, n'a-t-il pas fait répondre à ces condamnés : « Maintenant que vous savez que la peine de mort existe, vous n'avez plus rien à craindre ; nous vous ouvrons les portes de la prison ; nous vous renvoyons chez vos parents, avec l'avertissement que la peine de mort vous sera appliquée, si vous commettez de nouveaux crimes. »
Si on croyait à la sincérité de leur déclaration, on devait agir ainsi ; si on n'y croit pas, on ne peut invoquer leur témoignage et le produire dans nos délibérations. Quant à moi, je suis convaincu que personne n'y a cru, ni l'avocat, ni le procureur général, ni le ministre de la justice.
Messieurs, voici un argument que je reconnais très grave. Il a agi sur l'esprit de plusieurs de nos honorables collègues. Un criminel se trouve avoir commis un crime emportant la peine des travaux forcés ; s'il est découvert et que la peine de mort n'existe pas, il va se débarrasser des témoins qui l'ont découvert, puisque en aucun cas la peine capitale ne peut l'atteindre ; il va assassiner les témoins.
J'avoue, messieurs, que l'argument a une apparence terrible, mais si vous voulez l'examiner de sang-froid, vous reconnaîtrez qu'il n'a pas en réalité la gravité qu'on lui attribue. L'homme qui commet un crime est sous le poids d'une grande surexcitation ; et quels que puissent être son énergie et son courage, la terreur qu'il éprouve, au moment où il est découvert, ne lui laisse guère d'autre préoccupation que celle d'échapper ; et dans cette situation il est tout naturel qu'il ne calcule pas la peine qu'il encourt, s'il se débarrasse des témoins.
Mais voici un autre exemple qui vous montrera que la suppression de la peine de mort sera, au contraire, le salut des témoins. Je suppose que la peine de mort existe comme elle existe aujourd'hui, que le crime dont il s'agit emporte la peine capitale ; qu'un individu s'introduise de nuit dans une maison, qu'il y assassine pour voler, et qu'il soit découvert ; il ne peut espérer aucune grâce. Eh bien, cet homme se trouvant sous le coup d'une exécution capitale inévitable, n'ayant aucune clémence à attendre, ne reculera devant aucun autre crime pour faire disparaître les témoins de son premier forfait.
Mais si un homme ne doit s'attendre qu'à une détention perpétuelle, sa férocité ne sera-t-elle pas adoucie ? Il ne sera pas poussé par la même terreur, par le même intérêt, à faire disparaître les témoins.
Ainsi dans l'un et l'autre cas, suivant l'hypothèse où vous vous placez, vous pourrez sauver les témoins.
Messieurs, vous voyez que ce grand argument qui a frappé certains esprits, est renversé par une hypothèse analogue. C'est qu'en définitive vous sauverez souvent les témoins, si le coupable n'est pas passible de la peine de mort, parce qu'alors même que le crime aurait entraîne le maximum de la peine, il pourra du moins espérer d'obtenir un jour sa grâce.
Messieurs, on a qualifié très sévèrement des exemples qui ont été cités par M. le ministre de la justice et par M. Lambert. A propos d'un de ces exemples dont parlait l'honorable M. Tesch, je me suis permis de l'interrompre : c'est quand il disait : Qu'est-ce que cela prouve ; voilà un monstre, comme il n'y en a pas deux en Europe. Si on l'avait enfermé comme un fou, on aurait produit le même résultat ; il aurait suffi de l'enfermer.
Eh bien, messieurs, voilà ce que nous demandons. Quand il y aura un monstre comme Dumolard, nous demandons qu'il soit renfermé comme fou ; puisque, d'après l'honorable M. Tesch, cela produira le même effet, nous demandons qu'on ait égard à sa recommandation et que l'on place désormais l'honorable M. Tesch à la tête des abolitionnistes.
D'autres exemples pourraient vous prouver de la manière la plus péremptoire qu'il est impossible que les défenseurs de la peine de mort invoquent la statistique pour prétendre que les exécutions ont jamais amené une diminution de criminalité ; la statistique prouve au contraire que les exécutions ont multiplié les crimes d'une manière effrayante : la foule se grise à ces exécutions, (Aux voix !)
Messieurs, la Chambre est impatiente d'arriver au vote ; je ne veux pas abuser plus longtemps de ses moments ; si je me suis permis, à une heure assez avancée de la séance, de prendre la parole, si je me suis exposé à prolonger la séance au delà de l'heure habituelle, c'est que j'ai cru que l'importance du sujet excuserait ma témérité.
L'honorable M. Tesch a dit qu'on cite des exemples de pays qui n'ont aucune analogie avec la Belgique et que par conséquent ces exemples ne sont pas concluants. « Oubliez-vous, a-t-il ajouté, que le sénat italien a rejeté le projet de loi emportant abolition de la peine de mort ? » Je dirai à mon tour que la chambre des députés l'a accueilli à une immense majorité et malgré le gouvernement.
Oubliez-vous que le duché de Nassau, qui n'est pas fort loin de la Belgique, dont vous pouvez parfaitement connaître les mœurs, a aboli la peine de mort ; que dans le grand-duché de Bade, la chambre des députés a voté l'abolition, malgré le gouvernement et sur le rapport d'un ancien officier du parquet ; qu'en Hollande (voilà un pays qui n'est pas loin de nous) le gouvernement est sur le point de présenter un projet de loi pour prononcer la même abolition ?
Et en Belgique nous ne sommes pas dans la même situation que l'Italie où le gouvernement vient dire : « Je ne puis répondre de la sécurité publique, si vous m'enlevez cette arme. »
Si l'honorable M. Tesch était encore ministre de la justice et qu'avec la confiance dont il jouissait, et dont il était digne à tous égards, il fût venu vous dire : « Je ne réponds pas de la sécurité publique, si vous abolissez la peine de mort ; « je comprendrais qu'on eût hésité devant cette abolition, puisque le gouvernement aurait considéré la peine capitale comme indispensable à l'exercice de sa responsabilité. Mais ici c'est le gouvernement lui-même qui prend en quelque sorte l'initiative de l'abolition de la peine de mort et qui vient vous dire : « Je n'ai pas besoin de cette arme ; je ne veux pas de ce moyen de répression » ; et c'est la Chambre qui viendrait dire au gouvernement : « Nous voulons que vous soyez armé mieux et plus que vous ne le désirez vous-même. »
Messieurs, la conséquence de ce vote, c'est que votre décision serait un acte de défiance à l'égard de M. le ministre de la justice. (Interruption.)
Messieurs, l'argument est très sérieux. Comment ! vous considérez, vous, la peine de mort comme indispensable, et l'honorable ministre de la justice vous dit qu'elle est inutile, et vous êtes convaincus qu'il exercera dignement ses fonctions. Mais vous vous mettez en contradiction avec vous-mêmes. Si vous êtes convaincus que l'honorable ministre de la justice est à la hauteur de sa mission, comment ne le croyez-vous pas lorsqu'il vous dit qu'il ne veut pas se servir de cet instrument que vous voulez mettre entre ses mains ?
Il me semble que cet argument n'est pas sans force et que la contradiction est évidente entre donner un vote de confiance à un ministre et l'obliger à accepter un moyen de répression dont il déclare ne pas avoir besoin.
J'aurais voulu...
- A droite. - Aux voix !
- L'orateur se rassied.
La discussion est close.
MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement.
Il est ainsi conçu :
« Supprimer le numéro 1° : la peine de mort. »
- L'appel nominal est demandé.
Il donne le résultat suivant :
98 membres prennent part au vote.
45 votent pour l'amendement.
53 votent contre.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
Ont voté l'adoption :
MM. de Rossius, Descamps, Dethuin, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Gerrits, Guillery, Hagemans, (page 264) Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lambert, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Mouton, Muller, Preud'homme, Rogier, Sabatier, Thonissen, Valckenaere, Vander Maesen, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Vermeire, Vleminckx, Anspach, Bara, Beeckman, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, de Coninck, De Fré, de Kerchove, Delaet, de Macar et de Maere.
Ont voté le rejet :
MM. de Naeyer, de Rongé, de Smedt, de Terbecq, de Theux, de Vrière, de Woelmont, Dumortier, d'Ursel, Jacquemyns, Julliot, Liénart, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Pirmez, Schollaert, Snoy, Tesch, Thibaut, Thienpont, T'Serstevens, Van Cromphaut, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Wambeke, Verwilghen, Vilain XIIII, Warocqué, Wouters, Allard, Ansiau, Bouvier-Evenepoel, Bricoult, Broustin, de Baillet-Latour, de Haerne, Delcour, de Lexhy, d’Elhoungne, de Mérode, de Moor, de Muelenaere et Ern. Vandenpeereboom.
- La séance est levée à cinq heures et un quart.