(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1866-1867)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 79) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Pierre Verhoeven, ancien tailleur à Anvers, né à Nispen-sous-Rosendael (Pays-Bas) demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
(page 80) « Le sieur Roumy demande que les secrétaires des parquets des tribunaux de première instance aient un traitement égal à celui des commis greffiers de ces tribunaux. »
« Même demande du sieur Magonette. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Le sieur Masset propose à la Chambre d'examiner s'il n'y aurait pas lieu d'inviter le gouvernement à encourager l'organisation des sociétés de secours mutuels en vue de l’établissement d'un service médical dans les campagnes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Dubois, pensionné militaire, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Beho prient la Chambre de décréter et de faire construire le plus tôt possible une route de Gouvy à la frontière prussienne par Beho. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lorent, ancien brigadier de gendarmerie, demande la révision de sa pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Vifquin, se plaignant d'avoir été démissionné de son emploi de portier de 2ème classe à Tournai, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une place analogue à ces fonctions ou sa mise à la pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lefebvre, ancien sous-officier, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension ou du moins une indemnité égale à la somme de retenues qu'il a versées au trésor. »
- Même renvoi.
« Des facteurs du canton de Landen demandent une augmentation de traitement. »
M. Lelièvreµ. - J'appuie la pétition et je demande qu'elle soit renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.
- Adopté.
« Le sieur Alexandre Cauwel, instituteur à la maison de sûreté de Gand, né à Walloncappel (France), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Legrain fait hommage à la Chambre de 150 exemplaires d'un nouveau document relatif à la suppression de l'école de médecine vétérinaire de l'Etat et à l'annexion de son enseignement à une faculté de médecine. »
- Distribution aux membres de la Chambre, dépôt à la bibliothèque et dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.
« M. Broustin qui ne peut assister à la séance de ce jour, demande un congé d'un jour. »
- Accordé.
Les bureaux des sections du mois de décembre ont été constitués ainsi qu'il suit :
Première section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Van Overloop
Secrétaire : M. Bricoult
Rapporteur de pétitions : M. T’Serstevens
Deuxième section
Président : M. Thonissen
Vice-président : M. Thienpont
Secrétaire : M. Lambert
Rapporteur de pétitions : M. Landeloos
Troisième section
Président : M. d’Elhoungne
Vice-président : M. Allard
Secrétaire : M. Elias
Rapporteur de pétitions : M. de Lerchove
Quatrième section
Président : M. Lelièvre
Vice-président : M. Descamps
Secrétaire : M. Van Hoorde
Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe
Cinquième section
Président : M. Hayez
Vice-président : M. Notelteirs
Secrétaire : M. de Coninck
Rapporteur de pétitions : M. Van Wambeke
Sixième section
Président : M. Lippens
Vice-président : M. Julliot
Secrétaire : M. Orban
Rapporteur de pétitions : M. Bouvier
M. Hagemansµ (pour une motion d’ordre). - Messieurs, d'après les Annales parlementaires, je suis au nombre des membres de la Chambre qui ont voté contre le budget des voies et moyens, tandis que j'ai voté pour. Un membre de la droite a dit non, au moment où je disais oui. De là l'erreur.
MpVµ. - Votre observation, qui sera consignée aux Annales parlementaires, servira de rectification.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, les pétitions sur lesquelles je suis appelé à faire rapport aujourd'hui, sont d'une date assez ancienne. Il est probable que plusieurs sont aujourd'hui sans objet,.Cela m'a fait faire une remarque que je désire communiquer à la Chambre.
Noire règlement a fixé un jour pour les rapports des pétitions. Il est évident que si ces rapports ne nous sont présentés que le 6 ou 7, mais après l'arrivée des pétitions à la Chambre, le droit de pétition est singulièrement diminué, et on peut même dire que dans le cas qui nous occupe ce droit est complétement annihilé.
Je demanderai donc à la commission des pétitions et aux honorables rapporteurs de vouloir bien en revenir à l'exécution du règlement, et présenter leurs rapports tous les vendredis.
Messieurs, la première pétition sur laquelle j'ai à vous faire un rapport est celle de la femme Rasschaert, veuve De Schulter, qui demande un congé illimité pour son fils François, milicien de 1863.
La commission propose le renvoi à la section centrale chargée de l'examen de la loi sur la milice.
Elle demande le même renvoi pour la pétition du sieur Coulon qui réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils Lambert, milicien de 1864, obtienne une prolongation de congé.
Messieurs, les deux pétitions se rapportent à des cas excessivement pénibles. Ici, c'est une mère qui a trois enfants, dont une fille âgée de 22 ans est atteinte d'une phtisie pulmonaire, et un fils âgé de 26 ans est estropié d'un pied ; de sorte que le second fils, qui devrait la soutenir, est obligé de servir, bien qu'il ait, pour être libéré du service, des titres plus fondés que s'il était enfant unique.
La commission a pensé que ces deux pétitions peuvent utilement être renvoyées à la section centrale, chargée de l'examen de la loi sur la milice.
- Ces conclusions sont adoptées.
M. Le Hardy de Beaulieu, rapporteurµ. - Par pétition en date du 12 avril 1866, l'administration communale de Nouvelles prie la Chambre d'accorder au sieur Dequanter la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Charleroi, avec embranchements vers Frameries, Mons, Gilly et Lambusart.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Le Hardy de Beaulieu, rapporteurµ. - Par pétition datée de Waelhem, le 19 mars 1866, le conseil communal de Waelhem demande que le gouvernement fasse paver le chemin vicinal dit Zandstraet et Stuikens straet qui relie la chaussée de Malines à Anvers à la route provinciale de Malines à Lierre.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre des travaux publics.
- Adopté.
M. Le Hardy de Beaulieu, rapporteurµ. - Par pétition datée de Nivelles, le 11 avril 1866, le sieur Ladrière, combattant de 1830, demandé la croix de Fer ou une pension..
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Le Hardy de Beaulieu, rapporteurµ. - Par pétition datée de Bouchaute, le 23 mars 1866, le sieur Buysse, secrétaire communal à Bouchaute, demande une loi qui fixe le minimum de traitement des secrétaires communaux.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
M. Le Hardy de Beaulieu, rapporteurµ. - Par pétition datée de Soy, le 5 avril 1866, le sieur Kauze, ancien instituteur, demande la liquidation de sa pension.
Conclusions : Renvoi à M. le ministre de l'intérieur.
- Adopté.
MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi qui ouvre au département des travaux publics un crédit de 99,900 fr. destiné à payer le montant d'une condamnation judiciaire.
- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et le renvoi à l'examen des sections.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, dans la séance du 20 février de cette année, l'honorable ministre de l'intérieur, faisant fonctions ad intérim de ministre de la guerre, a annoncé à cette Chambre que le rapport de l'honorable M. Chazal sur l'organisation de l'armée était terminé et qu'il serait déposé en même temps que le budget de 1867. Comme c'est un document qui me paraît extrêmement important et nécessaire pour discuter utilement ce budget, je viens demander à l'honorable ministre de la guerre ad intérim, si ce rapport nous sera bientôt distribué et s'il y a des raisons pour lesquelles il ne nous a pas été distribué jusqu'à ce jour.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Messieurs, l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu me demande si le gouvernement compte déposer, dans un bref délai, le rapport élaboré par l'honorable général Chazal, il y a plus d'un an, et s'il y a des motifs pour ne pas déposer immédiatement ce rapport. Il me sera facile de démontrer à la Chambre et à l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu, que le dépôt immédiat de ce rapport serait sans objet et que ce rapport ne pourrait pas servir de base à une discussion sérieuse.
M. Coomans. - Je ne comprends pas cela du tout.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Je vais tâcher de vous le faire comprendre.
L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et la Chambre savent qu'il s'est passé, durant l'été de cette année, des événements fort graves ; une guerre qui paraissait devoir durer longtemps fut promptement terminée et tous les hommes compétents attribuent cette prompte solution aux progrès et aux améliorations introduits dans le mode de recrutement et dans l'armement de l'une des armées.
Cet événement a vivement préoccupe les divers gouvernements. Dans les pays mêmes où l'organisation militaire était considérée comme étant la plus parfaite, on a remis à l'étude toutes les questions relatives à l'armée et à la défense nationale, et vous savez comme moi, messieurs, qu'aujourd'hui, dans tous ces pays, des commissions examinent, non pas s'il y a lieu, mais quelles sont les modifications qu'il y a lieu d'apporter à l'organisation de leurs armées.
Or, le rapport que l'honorable baron Chazal avait promis de présenter à la Chambre en même temps que le budget de 1867, devait contenir non seulement un exposé de la situation de notre armée, mais encore des conclusions qui tendaient à y introduire certaines améliorations et réformes ; ce rapport a été fait il y a plus d'un an, donc il était impossible à l'honorable général Chazal de tenir compte de faits que l'expérience a révélés récemment, des améliorations nouvelles constatées pendant la dernière guerre. Ce rapport serait donc sans objet et, je le répète, il ne pourrait pas servir de base à une discussion sérieuse ; il serait une espèce d'anachronisme.
D'un autre côté, je priera Chambre de vouloir bien remarquer que lorsqu'il s'agit d'apporter des modifications peut-être profondes à l'une de nos grandes lois organiques, il faut que ces modifications soient présentées par un homme spécial qui, après les avoir présentées et après en avoir obtenu l'approbation des Chambres, puisse se charger de les exécuter et en prendre la responsabilité. On me dira peut-être : Quand notre intérim cessera-t-il ? La Chambre voudra bien comprendre qu'il ne m'est pas possible de répondre à cette question. De hautes convenances exigent que la prérogative royale s'exerce en toute liberté.
Mais ce que je puis dire, c'est que, quant à moi, je désire plus que personne que l'intérim cesse le plus tôt possible. Je forme les vœux les plus ardents pour qu'un ministre titulaire vienne enfin s'asseoir à ma place. Car bien que les fonctionnaires du département de la guerre cherchent à rendre ma tâche aussi facile que possible, je n'en ai pas moins eu pendant dix mois depuis un an et demi, un surcroît de besogne dont je désire enfin être débarrassé. J'espère que, sous ce rapport, mes vœux seront bientôt exaucés.
Du reste, messieurs, vous pouvez être convaincus que le nouveau chef du département de la guerre se fera un devoir et un honneur d'examiner sérieusement et promptement toutes les questions qui ont été depuis si longtemps l'objet des préoccupations de cette assemblée.
J'aime à croire que l'honorable M. Coomans, qui m'interrompait au début de mon discours, sera d'avis, comme moi, qu'en ce moment le dépôt d'un rapport élaboré depuis plus d'un an serait complètement sans objet.
Je pense donc que l'on n'insistera pas pour obtenir actuellement ce dépôt qui, dans tous les cas, pourra avoir lieu lorsqu'on présentera le budget de 1868.
(page 91) M. Couvreurµ. - Il faut avouer, messieurs, que notre organisation militaire est poursuivie par un mauvais sort, et je ne serais pas fâché de faire un peu l'historique de la question, pour l'édification non pas de la plupart des membres de la Chambre, mais des nouveaux venus parmi nous et du public.
Ne vous effrayez pas, je ne remonterai pas au déluge ; je n'irai pas rechercher dans les Annales d'il y a 15 ou 20 ans les discours des principaux chefs de la gauche sur la question militaire. Cette étude pourra être instructive un jour. Je la passe pour ne m'occuper que des faits contemporains.
Lorsque, il y a deux ans, l'opposition au budget de la guerre allait en grandissant, l'honorable général Chazal, allant au-devant de cette opposition, proposa spontanément à la section centrale de déposer un rapport sur notre organisation militaire.
La section centrale accepta la proposition, la consigna formellement dans ses conclursons, et cet engagement agit de la façon la plus favorable, au point de vue du gouvernement, sur les délibérations de la Chambre lorsqu'elle examina le budget de la guerre.
Comme je ne veux pas prolonger outre mesure le débat, je ne rappellerai pas toutes les déclarations qui ont été faites dans cette enceinte. Je me bornerai à mentionner les points qu'il est utile d'enregistrer.
Voici comment s'exprimait à cette époque l'honorable M. Lelièvre ;
« La section centrale, a pris une résolution ainsi conçue :
« La section centrale prend acte de l'offre faite par M. le ministre de la guerre de soumettre à la Chambre un rapport spécial accompagné de tous les documents nécessaires, qui permettrait de se former une opinion raisonnée sur l'organisation de l'armée ; elle demande que ce rapport soit déposé avant la discussion du budget de la guerre pour l'exercice 1866, afin que la Chambre soit mise à même de décider s'il y a lieu d'apporter des modifications à l'organisation de l'armée, dans le sens d'une réduction des dépenses. »
Je demande que la Chambre donne son assentiment à cette résolution.
En conséquence, je dépose la proposition suivante :
« La Chambre prend acte de l'offre faite par M. le ministre de la guerre de lui soumettre un rapport spécial accompagné de tous les documents nécessaires, qui permettrait de se former une opinion raisonnée sur l'organisation de l'armée.
« Elle demande que ce rapport soit déposé avant le budget de la guerre pour l'exercice 1866, afin qu'elle soit mise à même de décider s'il y a lieu d'apporter des modifications à l'organisation de l'armée dans le sens d'une réduction des dépenses. »
M. Lelièvre retira sa proposition, en raison d'une déclaration formelle présentée par l'honorable baron Chazal et promettant le dépôt d'un rapport ; mais, avant le retrait de cette proposition, voici comment s'exprimait l'honorable M. Hymans :
« J'ajouterai que si ce rapport, qui nous est annoncé pour l'exercice prochain, ne nous donne pas une satisfaction complète, je serai le premier à demander, non pas qu'on nomme une commission, car ce serait un bon moyen d'augmenter le budget de la guerre de quelques millions, mais qu'on fasse, sur la situation et les besoins de notre établissement militaire, une enquête parlementaire, dans laquelle chacun aura sa responsabilité publique vis-à-vis du pays. »
En attendant que la lumière se fît, l'honorable M. Hymans se déclarait prêt à voter le budget de la guerre. Vous voyez, messieurs, par ces citations, quelle influence la promesse du rapport exerça sur les délibérations de la Chambre. Mais le budget voté, le rapport s'évanouit ; il n'en est plus question. Le 28 du mois d'avril, M. Vleminckx essaye de le faire revivre ; il fait ce que j'appellerai une motion d'avertissement. Il demande que la Chambre décide qu'elle n'examinera pas le budget de 1866 avant d'être en possession du rapport. Cela est accepté par le gouvernement, et de nouveau la Chambre prend patience.
A l'ouverture de la session de 1865-66, pas de rapport. Le 1er décembre, l'honorable M. Van Overloop, secondé par M. Coomans, essaye de refaire ce qu'avait déjà fait au mois d'avril M. Vleminckx : il rappelle les précédents ; il insiste pour qu'on dépose le rapport, mais on leur prouve clairement par de très éloquents discours qu'ils sont des indiscrets, des trouble-fêtes, et la Chambre passe à l'examen du projet sur le contingent de l'armée.
En décembre 1865, vous le savez, un grand malheur frappe le pays, la douleur publique suspend toute vie publique, l'organisation de l'armée, comme les autres institutions du pays, en ressent le contre-coup.
Plus tard, car on ne pouvait plus tenir compte de la décision de la Chambre d'ajourner constamment le budget de la guerre, l'honorable M. de Brouckere fit la proposition de voter le budget, même en l'absence du rapport, ce fut alors, au mois d'avril 1866, que M. Vandenpeereboom, ministre de la guerre ad intérim, comme aujourd'hui, prit l'engagement rappelé par M. Le Hardy de Beaulieu.
« Le rapport étant terminé, disait-il, le gouvernement le déposera en même temps que le budget de 1867 qui pourra, je l'espère, être présenté dans le courant de cette session. Ce rapport pourrait ainsi être examiné dans l'intervalle des deux sessions, et lors de la discussion du budget de 1867, on pourrait régler, la tête reposée et à l'aise, toutes les questions concernant l'armée. »
A la suite de cette déclaration, M. le ministre appuie la proposition de M. de Brouckere, laquelle est adoptée par la Chambre.
Au mois de mars, nous abordons enfin la discussion du budget de la guerre ; c'est alors que, reprenant la pensée formulée par M. Hymans, je déposai une proposition d'enquête parlementaire. cette proposition ne fut ajournée qu'à l'aide du rapport : trente-neuf voix me firent l'honneur de la voter, quarante-neuf l'ajournèrent : un déplacement de cinq voix eût suffi pour assurer le succès de l'enquête parlementaire.
L'été se passe, et avec lui de grands événements surviennent ; pendant ces événements, le ministre civil a repris son harnois de guerre et laisse à son chef d'emploi tout le loisir nécessaire pour élaborer le rapport. Nous allons donc en être saisis... Point. Trois mois se passent, Pas le plus petit rapport qui verdoie. En revanche, à l'ouverture de la session, nous apprenons que non seulement nous n'aurons pas de rapport, mais que nous n'avions pas même de ministre de la guerre.
Je ne veux rien dire de désobligeant pour personne, surtout lorsqu'il s'agit d'un absent, mais je ne crois pas être injuste en constatant que l'honorable général Chazal aurait pu mieux choisir son temps pour résigner ses fonctions.
Quoi qu'il en soit, à défaut d'un rapport et d'un ministre de la guerre, nous eûmes une brochure bien lancée, elle fit grande sensation dans le pays, non seulement, pour ce qu'elle contenait, mais plus encore par la position de son auteur.
Je ne veux pas insinuer que cette brochure ait une portée officielle : son auteur en a assumé toute la responsabilité, en déclarant que le gouvernement y était complètement étranger. Mais il n'en est pas moins vrai que, si cette brochure n'était pas un ballon d'essai, elle n'a pas contribué à améliorer la situation de notre organisation militaire vis-à-vis de la Chambre et du pays.
Telle est, en ce moment, la situation, plus embrouillée que jamais, et je crois qu'il faut savoir gré à l'honorable député de Nivelles d'avoir essayé de la débarrasser des nuages qui la couvrent. Son interpellation a déjà eu cela de bon qu'elle nous a appris que le rapport n'existe plus. C'est la justification de ce que j'ai dit il y a 6 ou 8 mois.
J'avais annoncé que le rapport ne serait que la confirmation de ce qui existait ou qu'il serait démenti par les événements qui se préparaient. Comme M. le ministre de l'intérieur vient de le dire, il n'y a pas que les Autrichiens qui aient été battus à Sadowa ; les armées permanentes et leur organisation y ont aussi subi une fière défaite, et plus d'un chapitre du rapport y aura péri. Il ne fallait pas être bien clairvoyant pour le pressentir. Or, précisément le grand reproche que nous, adversaires de l'organisation militaire, nous pouvons adresser non seulement à l'honorable général Chazal, mais encore à tous les membres du cabinet qui sont solidaires des opinions de leur collègue le ministre de la guerre, c'est de n'avoir rien prévu du tout. Nous ne sommes pas plus avancés aujourd'hui qu'il y a deux ans.
Il faudra maintenant que nous ayons un nouveau rapport pour pouvoir discuter utilement la question ; il faudra aussi que nous ayons un ministre de la guerre effectif, et il faudra que ce ministre ait préalablement étudié à nouveau toutes les modifications que les récents événements politiques de l'Europe doivent apporter à notre organisation militaire. Qu'est-ce que cela, en réalité, si ce n'est un ajournement indéfini ?
Voilà, messieurs, où vous nous avez amenés. L'on s'est servi du (page 92) rapport annoncé comme d'une ficelle, qu'on me pardonne l'expression, et cette ficelle est devenue une grosse corde à l'aide de laquelle tous les membres récalcitrants pouvaient franchir ce grand fossé du budget de la guerre qui va sans cesse s'élargissant.
Toute cette histoire, messieurs, ne rappelle-t-elle pas un peu ce fameux billet, que Ninon de Lenclos avait signé à La Châtre et dont elle se moquait si agréablement avec les rivaux trop heureux de ce gentilhomme trop crédule ? Ah ! le bon billet qu'avait la Chambre ! Je ne veux pas, messieurs, vous comparer à Ninon de Lenclos, mais de grâce vous auriez bien de nous épargner le rôle ridicule de La Châtre.
Donc plus de rapport, pas de ministre de la guerre et nous nageons plus que jamais dans le vague.
Déjà, si je ne me trompe, six semaines se sont écoulées depuis la démission de l'honorable général Chazal ; je veux croire que le gouvernement n'a rien négligé pour le remplacer, qu'il a parcouru l'almanach militaire depuis A jusqu'à Z ; mais il n'est pas moins vrai que cette situation est désastreuse pour le pays autant que pour les intérêts de l'armée.
Ce que nous avons de plus sage à faire, et la situation nous l'indique, c'est de laisser là et le rapport et le ministre de la guerre. Le futur ministre de la guerre et son rapport viendront quand les circonstances le permettront ; mais cela ne nous dispense pas, nous, de nous préoccuper de la défense du pays. Ou bien voulez-vous que nous votions encore et le contingent de l'armée et des crédits provisoires sans la coopération d'un ministre effectif ?
II n'y a pas de ministre effectif, me dit-on ; mais qu'est-ce qui empêche le gouvernement de nommer un commissaire spécial pour défendre le budget ? Ou mieux encore pourquoi l'honorable M. Vandenpeereboom n'assumerait-il pas ce devoir ? Il a le talent, la capacité et l'expérience nécessaires. Un stage de deux années lui donne tous les droits imaginables à passer chef définitif du département qu'il gère ad intérim. (Interruption.)
Eh, messieurs, de toutes les solutions ce ne serait peut-être pas la plus mauvaise, et si l'honorable ministre voulait dans ses nouvelles fonctions réaliser seulement la moitié des réformes qu'il a introduites au département de l'intérieur, pour ma part, je ne regretterais pas le temps perdu depuis deux années.
Quoi qu'il en soit, messieurs, un fait est certain, c'est que l'état provisoire actuel ne peut se prolonger. Le temps presse et des moments trop précieux ont déjà été perdus.
Je suis l'adversaire de l'organisation actuelle de notre défense nationale non seulement parce que je la juge trop coûteuse, mais parce que cette organisation repose sur des bases injustes, parce qu'elle est fallacieuse, insuffisante ; pour cette raison, plus que pour toutes les autres, je ne puis que regretter la quiétude avec laquelle le gouvernement laisse s'éterniser cette grave question. Voyez où cela nous mène. Deux années d'interrègne ministériel, vous voulez en ajouter une troisième. et cela, à quel moment ? Alors qu'il faudrait déployer la plus grande activité.
Nous sommes en paix ; mais cette paix a plutôt l'aspect d'un trêve M. le ministre vient de le dire.
- Un membre. - Il n'a pas dit cela.
M. Couvreurµ. - Non, il n'a pas dit cela ; mais il a reconnu que tous les Etats se préoccupaient du remaniement de leur organisation militaire à raison des événements de la dernière guerre, et j'ajoute, moi, que s'ils s'en préoccupent, c'est qu'ils nourrissent les uns l'arrière-pensée d'agrandir leurs destinées, et les autres celle de se défendre contre les convoitises de leurs voisins.
M. Guillery. - Cela est évident.
M. Couvreurµ. - Je dis donc que tous les gouvernements se préoccupent de l'avenir. La Prusse constitue l'armée de la Confédération du nord sur les bases de sa propre organisation militaire ; l'Autriche songe moins à panser ses plaies qu'à préparer sa revanche ; la Bavière, le Wurtemberg, le grand-duché de Bade recherchent les causes des faiblesses que leurs forces militaires, analogues aux nôtres, ont révélées sur le Mein ; la Suisse au sud, la Suède au nord veulent donner plus d'intensité à leur système défensif.
La diète helvétique s'est ouverte hier, et le président, dans son discours, a vivement insisté sur la nécessité du ce devoir patriotique.
En France, la question militaire est l'objet exclusif des études actuelles de l'empereur Napoléon et de ses conseillers ; enfin l'Angleterre elle-même, malgré ses riflemen et sa position insulaire, cherche à amender son système de recrutement. Vous, vous seuls, à l'heure où toute votre attention devrait être absorbée par les éventualités qui peuvent nous menacer, vous en êtes à devoir nous avouer que vous n'avez rien prévu, que vous êtes pris à l'improviste, que vous cherchez encore, quoi ? Un matériel perfectionné, une organisation plus rationnelle ; non pas. Un homme qui sera chargé d'étudier tous ces problèmes, et qui défendra ici, pour vous, les intérêts les plus sacrés du pays.
Je crois que, dans cette situation, ma proposition du mois de mars 1866 est la seule qui puisse nous tirer d'embarras. Puisque, depuis deux ans, le gouvernement n'a rien fait et, qu'à cette heure encore, il ne peut pas nous offrir un ministre de la guerre, c'est à nous qu'incombe le devoir d'agir pour lui.
- Un membre. - Et la prérogative royale ?
M. Couvreurµ. - La prérogative royale ? Elle reste entière, je la respecte. Est-ce que ma proposition empêche le gouvernement de se compléter, de nous présenter un rapport, un projet de réorganisation ? Mais puisqu'il s'est abstenu d'agir, devons-nous nous résigner à l'inaction ?
J'aurai l'occasion, messieurs, de revenir sur ce sujet lorsque je ferai revivre ma proposition d'enquête. Pour le moment, afin de ne pas prolonger outre mesure ce débat incidentel, je me borne à demander, en ce moment, que la Chambre veuille ordonner le renvoi du budget de la guerre et du contingent militaire aux sections, afin que ces deux objets, et tout au moins la loi sur le contingent de l'armée puissent être mis à l'ordre du jour de la séance du 18 décembre ; je renouvellerai alors ma proposition d'enquête parlementaire, et j'espère que cette fois j'aurai un plus grand nombre d'adhérents.
(page 81) M. Coomans. - Messieurs, après les justes remarques que vous venez d'entendre, je puis être bref, du moins je m'efforcerai de l'être.
Messieurs, il y a deux sortes de gens mystifiés ; ceux qui le sont sans le savoir, et ceux qui savent qu'ils le sont. Je tiens beaucoup à ne figurer que dans la dernière de ces deux catégories, et c'est pourquoi je prends la parole.
M. le ministre de l'intérieur, en terminant ses explications, qui n'expliquent rien, a formulé le ferme espoir que je me déclarerais satisfait. Mais cela m'est impossible.
Je ne vois, pour moi, qu'une conclusion à tirer du discours de l'honorable ministre, c'est que le budget de la guerre ne peut être ni discuté ni voté ; que peut-être on consentirait bien à nous le laisser discuter plus ou moins pour sauver les apparences parlementaires ; mais qu'on exigera un vote, peut-être sans ministre de la guerre, vraisemblablement sans rapport, ce dont je ne me plaindrais pas, mais, à coup sûr, sans délibération sérieuse. Or, consentirez-vous, pour la sixième fois, à jouer un pareil rôle ?
Il n'y a que le mot propre qui serve. Je crois qu'on ne veut pas de discussion du budget de la guerre, et cela pour deux raisons : la première, c'est que le gouvernement ne sait ce qu'il veut ; et la seconde, c'est que le gouvernement ne veut pas permettre à la majorité de cette Chambre de vouloir.
Si l'on avait voulu un débat sérieux pour le budget de la guerre, nous aurions eu un ministre de la guerre sérieux depuis 15 mois ; or, pendant 15 mois, nous avons eu un ministre de la guerre absent ou malade ; et M. le ministre de l'intérieur ne trouvera pas mauvais que je révoque en doute le caractère sérieux du dépôt du portefeuille de la guerre entre ses mains.
Quoi ! vous avez déclaré, au moins vous avez donné à entendre, et à coup sûr vous êtes bien convaincus que l'organisation actuelle de notre armée n'est pas bonne. Vous êtes persuadés aussi qu'il y a péril en la demeure ; qu'il faut absolument réorganiser nos institutions militaires ; et que faites-vous ? Rien.
Vous venez nous dire que votre rapport est aujourd'hui un anachronisme ; vous ne nous présentez pas un ministre de la guerre ; vous n'osez pas nous laisser espérer que nous en aurons bientôt un.
Bref, comme je viens de le dire : vous ne faites rien pour conjurer les périls de la situation, qui vous paraît grosse de tous les dangers imaginables.
Messieurs, je ne reviendrai pas sur l'enfouissement du rapport, je ne le regrette que parce que je n'ai pas eu l'occasion de le détruire ; mais encore faudrait-il des explications. Votre intention est-elle réellement de nous faire voter, à la fin du mois, le budget de la guerre, sous prétexte qu'il n'y a pas de ministre de la guerre et que vous n'avez pas d'idées arrêtées ? Ce serait par trop fort. Et je crois pourtant que tel est, sinon le but, au moins le résultat de vos efforts.
Ainsi que le demande l'honorable M. Couvreur et comme l'exigent du reste la loi et le règlement de la Chambre, le budget de la guerre doit être renvoyé en sections.
Qu'y dirons-nous ? Qu'y ferons-nous ? Du moins que diront, que feront la plupart des membres de cette assemblée ? Ils seront fort embarrassés. Mais le gouvernement prétextera notre ignorance et la sienne pour nous arracher un simple vote, c'est-à-dire pour maintenir un statu quo qu'il déclare insoutenable.
Il y a un an, on ne nous donnait pas le rapport parce que c'était trop tôt. Aujourd'hui, on ne nous le donne pas, parce qu'il est trop tard. Quand aurons-nous quelques lumières ? Vous nous répondez que vous n'en savez rien. Mais votre devoir est de le savoir et notre droit à nous est de le savoir.
Les dépenses et les charges militaires imposées au pays sont tellement considérables que, pour les supporter patiemment, le pays doit avoir la conviction qu'elles sont utiles. Aujourd'hui nous sommes à peu près tous d'accord pour reconnaître que l'état actuel des choses est absolument inefficace, que de très grandes modifications sont indispensables ; qu'il y a danger pour demain, pour après-demain, certes, et cependant rien ne se fait encore.
(page 82) Il est bien vrai que c'est avec des écus qu'on se défend, mais avec des écus bien employés et non avec des millions inutilement gaspillés.
Je le redemande, qu'allons-nous faire du budget de la guerre ? La pensée secrète du ministère est de le faire voter tel quel, comme minimum. Eh bien, de toutes les solutions, c'est la plus mauvaise. C'est décourager à la fois l'armée et le pays, et vous opposez un déni de justice aux réformistes qui voudraient au moins sauver un des grands intérêts en litige.
Pour moi, conformément à mes antécédents qui sont mieux justifiés que jamais, je ne voterai pas un sou, je ne voterai pas un homme, à moins que l'utilité de ces sacrifices ne us soit clairement démontrée.
Allons au fond des choses ; il n'y a que deux systèmes possibles au point de vue où nous nous plaçons aujourd'hui ; c'est l'armement général de la Belgique, c'est l'armement de tous les Belges valides, ou c'est le désarmement général. Le mezzo-termine est détestable.
L'une de ces deux thèses est la bonne, l'une et l'autre peuvent être soutenues.
Si vous déclarez que le maintien à tout prix de l'indépendance nationale est le plus grand de tous les intérêts et que tous les autres doivent y être sacrifiés, alors votre conduite est clairement indiquée. Armez un million d'hommes. Ayez non seulement le courage de la raison, mais ayez le courage de la logique. Armez un million d'hommes et ruinez-vous ; mais ruinez-vous glorieusement et honnêtement.
Si vous croyez que même, en nous imposant de pareils sacrifices, nous ne pourrions pas échapper aux arrêts du sort militaire, eh bien, alors, l'autre thème se présente de soi ; désarmez, ne maintenez en Belgique que le nombre d'hommes suffisant pour le maintien de l'ordre.
M. Bouvierµ. - Une gendarmerie.
M. Coomans. - Oh ! ce n'est pas pour M. Bouvier que je discute.
Dans cette seconde hypothèse donc, désarmez ; appuyez-vous sur les traités, sur la morale, sur la justice, sur le droit, surtout sur la liberté et sur l'amour de tous les Belges pour leur patrie. Voilà des forces qui ne sont que morales, mais qui peut-être seraient plus puissantes que toutes les forces matérielles que vous pourriez apporter en ligne.
Oui, messieurs, voilà les deux politiques : avec la première, vous avez des centaines de mille Belges arrachés à leur travail, et constamment l'arme au bras pour s'opposer, coûte que coûte, à n'importe quelle puissance étrangère qui voudra nous envahir.
Dans la seconde hypothèse, vous avez le peuple belge unanimement uni sous des institutions qui deviendraient les plus libérales du monde, et sous un système d'impôts qui serait le plus léger du monde. Ainsi, beaucoup plus de libertés, peu d'impôts, pas d'armée, voilà un système. L'autre système, un million de soldats... (Interruption.) 500,000 au moins. Si vous n'avez pas un million de soldats, vous ne ferez la guerre que pour le roi de Prusse. (Interruption.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il n'y a pas de quoi rire.
M. Coomans. - Non certes. Dans l'autre hypothèse donc, un million de soldats ; 500,000 tout au moins ; peu de libertés ; d'énormes impôts et je ne crains pas de le dire, un accroissement de désaffection, une diminution de patriotisme.
Soyons justes ; reconnaissons-le ; quoique l'amour de la pairie soit distinctif chez tout le monde, il s'accroît et il diminue d'après les bienfaits que cette patrie procure à ses enfants. Or, à mon sens, les destinées de la Belgique n'étaient pas militaires ; elles étaient tout autres ; nous devons donner au monde le spectacle du peuple le plus libre, le plus uni, le plus heureux de l'univers et ne pas chercher à lutter avec d'autres rivaux qui sont bien sûrs de nous écraser.
Je ne suis pas honteux d'appartenir à un petit peuple. Je crois que c'est au sein des petits peuples que les libertés, les arts et toutes les jouissances sociales peuvent se déployer le plus largement. Mais si je ne suis pas honteux d'être citoyen d'un petit pays, si j'en suis plutôt heureux et fier, je puis recueillir les bénéfices de cette situation et me soumettre aux inconvénients de cette situation.
Le rôle de la grenouille qui jalouse le bœuf ne m'a jamais séduit et nous jouerions ce rôle si la petite Belgique, grenouille relative, voulait se faire aussi grosse que le bœuf français ou que le bœuf prussien. (Interruption.)
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est joli !
M. Coomans. - Voilà la question, et nous n'avons pas besoin de rapport pour la poser. Voilà la question : l'armement général ou le désarmement général. Eh bien, choisissez le plus tôt possible.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Je ne répondrai pas aux considérations générales que vient de faire l’honorable M. Coomans, et qui seraient mieux placées dans une discussion générale du budget de la guerre. Il ne s’agit pas de savoir en ce moment si vous devons avoir une armée d’un million d’hommes ou pas d’armée du tout. Il s’agit seulement d’examiner si la proposition qu’a faite l’honorable M. Couvreur est pratique, s’il est possible de l’adopter.
L'honorable M. Couvreur a l'intention de proposer une enquête sur la question militaire, le 18 de ce mois, à l'occasion de la discussion du budget de la guerre ; or je ferai remarquer à la Chambre que ce budget n'est pas présenté, et la loi du contingent ne l'est pas encore non plus. La raison en est bien simple, je désire que ces lois soient présentées par un ministre définitif ; j'espère qu'il en sera ainsi dans un bref délai ; mais quelque bref que soit le délai, il est évident que, dans aucun cas, la discussion ne peut avoir lieu le 18 de ce mois.
M. Coomans. - Pourquoi ?
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Parce que le nouveau ministre devra examiner la situation quand le Roi aura pourvu à mon remplacement.
M. Coomans. - Ne parlez pas toujours du Roi, vous êtes responsables.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Nous sommes ministres responsables, sans doute, mais le Roi a ses prérogatives que vous devez respecter. Tous les actes que nous posons, nous en sommes responsables, et nous acceptons cette responsabilité. (Interruption.)
MpV. - Si vous interrompez encore, je vous rappelle à l'ordre.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - M. le président, je vous prie de ne pas rappeler mon interrupteur à l'ordre ; ce n'est pas nécessaire.
L'honorable M. Couvreur est bien clairvoyant ; il a eu la chance de tout prévoir dès l'année dernière ; il a parfaitement dit alors ce qu'il fallait faire. Il a vu plus clair que les hommes les plus éminents de l'Europe, car c'est aujourd'hui seulement qu'on réunit, dans les divers pays, des commissions pour examiner ce qu'il y a à faire, par suite de l'expérience acquise.
Je constate du reste ceci, que si le rapport avait été déposé il y a 18 mois et que si les conclusions en avaient été adoptées alors, il y aurait probablement à recommencer notre examen afin d'introduire, dans notre organisation militaire, les nouveaux progrès reconnus cet été.
Je dis donc, messieurs, que dans le moment actuel, dans la situation où nous nous trouvons, situation qui, je l'espère, ne se prolongera pas longtemps, il est impossible qu'un rapport fait il y a 18 mois par le général Chazal, puisse servir sérieusement de base à une discussion et qu'une enquête serait inopportune. Je prie la Chambre d'attendre, car j'espère que dans un bref délai nous entrerons dans une situation normale.
(page 92) M. Couvreurµ. - Messieurs, j'avais proposé deux choses, d'abord que le budget de la guerre et la loi sur le contingent fussent renvoyés aux sections cette semaine encore, afin que, si la chose était possible, le rapport sur le budget pût être déposé avant le 18 de ce mois, et que, dans tous les cas, la loi du contingent put être disputée à cette époque.
Si j'ai bien compris ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, j'apprends, à mon très grand étonnement, que nous n'avons pas encore de budget de la guerre. Je croyais que ce budget était déposé, et j'avais de très bonnes raisons de le croire : d'abord, j'ai reçu un très gros volume contenant les budgets, et je pensais que le budget de la guerre y était compris ; ensuite, je connaissais la loi de comptabilité qui exige la présentation de tous les budgets dix mois au moins avant l'exercice.
En effet, messieurs, voici ce que dit l'article premier de la loi du 15 mai 1846 sur la comptabilité de l'Etat : « Le budget est présenté au moins dix mois, avant l'ouverture de l'exercice. »
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - C'est de commun accord avec la Chambre qu'il n'a pas été déposé.
M. Couvreurµ. - Ah ! c'est parfait. Ainsi une déclaration faite dans cette enceinte sans vote, une espèce de convention tacite peuvent l'emporter sur une loi de l'Etat ! Mais la loi est formelle, et vous venez dire très tranquillement : « Le budget n'est pas présenté. » Mais, messieurs, c'est une situation très grave que vous vous êtes faite là et j'aurais beau jeu à la blâmer. Mais je ne veux pas pousser les choses à l'extrême. Réparez le temps perdu. Rien ne vous empêche de déposer le budget et le rapport. Vous dites que le rapport ne peut pas servir de base à une discussion, mais au moins il nous donnera des éclaircissements très intéressants ; il fera connaître quelle était l'opinion du gouvernement sur l'organisation de l'armée avant que les événements vinssent démontrer combien il a été imprévoyant. M. le ministre de la guerre m'a raillé de ma clairvoyance ; mais, messieurs, si j'ai signalé ce que ce système a de défectueux, non pas dans ses détails, mais dans son principe, je n'en ai aucune mérite ; il suffisait d'étudier le mouvement général des idées en Europe.
Je persiste dans mes conclusions, et puisque nous n'avons pas le budget, eh bien, je propose que la Chambre invite le gouvernement à le déposer, afin que nous puissions l'examiner au plus tôt, et rentrer ainsi dans la légalité.
M. Coomans. - Je tiens à constater que l'honorable ministre ne nous a pas appris si le budget sera discuté avant le 1er janvier ou bien s'il y aura des crédits provisoires.
- Une voix. - Cela dépend.
M. Coomans. - Cela dépend de qui ?
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - De la nomination du ministre de la guerre.
M. Coomans. - De manière que s'il vous plaisait, que s'il plaisait aux cinq ministres (et le mot me paraît plus juste qu'il ne le semble au premier abord) de ne pas avoir de ministre de la guerre, nous devrions, résigner à ne pas voter le budget de la guerre, à voir violer la loi de comptabilité.
Je dois bien préciser ce point de la question ; je crains qu'on ne présente le budget de la guerre que vers la fin du mois, avec la loi du contingent et qu'alors on ne nous prouve que nous ne pouvons pas discuter puisqu'il ne nous reste qu'une heure et qu'il faut bien laisser une demi-heure au Sénat pour avoir l'air d'examiner aussi. Mais tout cela n'est pas légal et je dirai même que cela n'est pas tout à fait loyal ; il faut permettre à tous les membres de la Chambre d'exprimer leur opinion sur le budget de la guerre.
(page 83) Nous voila aux premiers jours de décembre, le budget doit être voté avant le 1er janvier ; quand sera-t-il présenté ? Vous n'en savez rien. Par qui sera-t-il présenté ? Vous n'en savez rien. Vous n'osez pas même dire que vous le présenterez vous-même, s'il n'y a pas de ministre de la guerre définitif. Vous ne dites rien du tout. Eh bien, il m'est impossible d'être satisfait de cette manière de répondre.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Messieurs, je n'ai pas l'espoir de satisfaire l'honorable M. Coomans, mais je vais lui répondre très catégoriquement. Je dis que si je ne suis pas débarrassé du département de la guerre, je ne me croirai pas en position de présenter un budget et que je demanderai des crédits provisoires.
M. Coomans. - Et supplémentaires aussi.
M. Bouvierµ. - Cela est possible.
M. A. Vandenpeereboom, ministre de l'intérieur et ministre de la guerre ad intérimµ. - Tout le monde le sait, à partir du 1er janvier prochain, si l'on ne présentait pas de budget et pas de crédits provisoires, les fonds manqueraient pour la solde et l'entretien de l'armée.
L'honorable M. Coomans pourra, à l'occasion de la discussion de ce budget ou de la demande de crédits provisoires, faire et dire ce qu'il voudra.
Que ferons-nous ? dit-il. Vous ferez ce que vous voudrez, vous ferez probablement ce que vous avez toujours fait. Que ce soit le budget, ou des crédits provisoires qu'on demande, vous voterez contre. Je n'ai pas l'espoir de vous convertir.
M. Pirmezµ. - Messieurs, l'honorable ministre de la guerre paraît croire que ce qui se passe à l'égard du budget de la guerre ne doit exercer aucune influence sur le vote des membres de la Chambre. Il se fonde sur ce que l'honorable M. Coomans votera contre le budget de la guerre quoi que l'on fasse.
Je dois déclarer, quant à moi, que le système suivi par le gouvernement depuis 2 ans influence singulièrement ma manière de voir.
J'avais toujours voté le budget de la guerre ; l'année dernière je me suis abstenu parce qu'il m'a paru que ces promesses de rapport toujours faites et toujours ajournées, n'aboutissant absolument à rien, constituaient un système dilatoire pour obtenir le budget sans faire les changements qu'on reconnaît nécessaires dans l'organisation de l'armée.
L'année dernière on a promis, rappelons-le, de déposer le rapport avant le budget de la guerre, ce qui voulait dire que le budget de la guerre serait déposé à l'époque fixée par la loi et que le rapport serait déposé auparavant.
Aujourd'hui on nous dit : Nous n'avons pas déposé le budget de la guerre parce que nous n'avons pas déposé le rapport.
Il n'est pas besoin de dire que c'est changer complètement la position.
Le gouvernement semble vouloir obtenir le vote de crédits provisoires parce que c'est plus facile que d'obtenir le vote du budget. Le gouvernement se dit que l'on votera ces crédits provisoires sans discussion, que le budget sera présenté à la fin de la session et qu'ainsi l'on pourra encore gagner la session prochaine sans faire les changements nécessaires dans l'organisation de l'armée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous ne pouvez d'ici au mois de janvier faire une enquête.
M. Coomans. - Il y a six mois que vous pouviez la faire.
M. Pirmezµ. - Je reconnais que d'ici au mois de janvier nous ne pouvons étudier la question et apporter les réformes nécessaires. Mais, ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que si nous avons si peu de temps, c'est parce que le gouvernement n'a pas fait ce qu'il devait faire.
Je le répète, pour ma part, je ne puis donner les mains à ce système. Je suis convaincu que notre pays doit avoir une organisation militaire forte et je ne regarderais pas, pour atteindre ce but, à quelques millions s'ils sont démontrés nécessaires pour constituer l'armée de manière qu'elle puisse maintenir l'indépendance du pays, mais je ne puis consentir à voter un budget lorsque j'ai la conviction que le pays dépense des sommes énormes et qu'on n'en obtient pas l'effet utile qu'on devrait obtenir.
M. Coomans. - Voilà !
M. Pirmezµ. - Que le gouvernement fasse la statistique des membres qui, depuis quelques années, ont voté contre le budget de la guerre, il verra qu'il y a une progression croissante dans le nombre des opposants, c'est-à-dire que chaque année il y a de nouveaux membres qui se détachent de la majorité votant le budget ou pour s'abstenir ou pour voter contre.
Je suis convaincu que si l'on, continue à marcher dans la voie où l'on est entré, ce nombre augmentera chaque année et l'on arrivera ainsi, en refusant de faire des réformes, à ce qui se produit toujours. Quand pendant trop longtemps on refuse des réformes, l'on arrivera à détruire l'institution même qu'on voulait conserver. C'est être mauvais conservateur, que de vouloir toujours conserver sans modifier ; il faut savoir apporter à temps les réformes nécessaires ; sans cela, ce que l'on veut conserver croule.
Il est incontestable que notre organisation militaire n'est pas ce qu'elle doit être depuis les changements opérés par la construction de la citadelle d'Anvers. Depuis six ans que cette forteresse est décidée et depuis qu'elle est construite, l'on n'a rien fait pour la réorganisation de l'armée. Est-il cependant raisonnable, pour ne citer qu'un point en passant, de conserver l'organisation de la cavalerie, comme elle l'était avant la création de cette forteresse.
C'est parce que je considère comme un intérêt de premier ordre d'avoir une armée forte, que je demande qu'on ne la discrédite pas dans l'opinion publique en refusant de la rendre aussi forte qu'elle doit l'être, avec les sacrifices que nous faisons.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de critiquer l'organisation de l'armée. Cependant il nous fait cette déclaration rassurante que, tout en voulant la réorganisation de l'armée, il veut une armée forte. Sous ce rapport, il ne me paraît pas d'accord avec l'honorable orateur qui l'a précédé. Il veut arriver à l'organisation d'une armée forte après examen. Il s'agit de savoir sur quelles bases on établira cette armée forte. L'organisation actuelle ne vaut rien, suivant lui.
Quant à moi, je fais partie du gouvernement depuis un grand nombre d'années, et il me serait impossible de déclarer dès aujourd'hui, à priori, que l'organisation est mauvaise.
On a dit cela en d'autres temps. On a procédé alors à une nouvelle organisation de l'armée. Cette organisation a été acceptée comme bonne pendant longtemps. Voilà que tout à coup elle ne vaut rien et qu'il faut la modifier de fond en comble.
Je conçois, messieurs, qu'après ce qui se passe dans tous les pays que l'on a cités tout à l'heure, des doutes puissent s'élever sur la meilleure organisation possible de l'armée belge, qu'on se demande s'il n'y a pas lieu d'y introduire des modifications, mais je déclare dès maintenant que je ne puis admettre l'opinion qu'il faut la modifier de fond en comble.
On accuse le gouvernement d'user de tactique, de manquer même de loyauté, de vouloir gagner du temps pour obtenir des crédits provisoires et arriver ainsi à faire voter le budget de 1867 sans présenter une nouvelle organisation.
Je fais appel à mon tour, messieurs, à la bonne foi de nos honorables collègues et je leur demande s'ils croient en âme et conscience, quoi qu'on fasse, qu'on puisse arriver à une nouvelle organisation de l'armée avant le milieu de l'année prochaine.
On a parlé tout à l'heure d'une enquête parlementaire : supposons qu'on accorde à l'honorable député de Bruxelles son enquête parlementaire ; combien de temps cette enquête durera-t-elle si on la veut sérieuse, solide, pratique ?
Est-ce en un mois, est-ce en trois mois, est-ce en six mois, que vous serez éclairés, par cette enquête, sur le meilleur système d'organisation, que vous pourrez faire une œuvre digne d'une assemblée législative ? J'espère que la Chambre n'ira pas s'engager dans cette voie et procéder à une enquête sur l'organisation de l'armée. Mais raisonnons, comme cela est vraisemblable dans l'hypothèse, qu'on soumette la question militaire à une commission administrative.
Cette commission, pour faire un travail sérieux, ne devra pas l'improviser. De toutes parts on étudie la question de la réorganisation des armées ; on l’étudie dans les pays les plus militaires et on y met le temps. Il faudra bien que la Belgique y mette le temps également. En attendant que la commission ait terminé ses travaux et puisse présenter des conclusions, il faut que l'armée vive ; on ne peut pas laisser succomber cette institution faute de ressources. Vous serez donc amenés nécessairement, avant le mois de janvier prochain, ou à voter le budget ou à ouvrir des crédits provisoires, et il va de soi que ces crédits se prolongeront pendant une grande partie de l'année ; il faut vous y attendre.
Le gouvernement a agi avec une complète loyauté dans cette affaire ; il a promis un rapport : ce rapport a été fait et s'il n'a pas été présenté à la Chambre dès le commencement de l'année, c'est qu'il a dû d'abord, ainsi que nous l'avons dit à la Chambre, être soumis à l'examen du chef constitutionnel de l'armée.
(page 84) Dans l'entre-temps, qu'est-il arrivé ? Il est arrivé que par suite des événements la plupart des Etats ont été amenés à étudier chez eux un nouveau système d'organisation de leur armée. En présence de ces faits nouveaux et imprévus, les idées émises et considérées comme bonnes en 1865 ont pu éveiller des doutes même chez leur auteur en 1866.
Nous n'avons pas la prétention d'avoir pu deviner en 1865 ce qui arriverait en 1866. Dès lors, ce rapport a perdu de son opportunité, et nous n'avons pas pu remettre entre les mains de la Chambre des conclusions que nous aurions peut-être été amenés à contredire quelque temps après. Est-ce cela que l'on veut ? Veut-on que nous déposions le rapport rédigé par le très honorable général Chazal ? Mais non ; l'on veut sans doute un rapport éclairé, justifié par de nouvelles études et sur lequel on puisse asseoir un système nouveau, si tant est qu'il faille bouleverser le système existant.
Quant à moi, jusqu'à nouvelles lumières, jusqu'à ce que l'on m'ait démontré le contraire par des raisons solides, je tiens pour bon le système de l'organisation militaire actuelle ; nous avons l'armée et la garde civique. Sans doute on peut améliorer, perfectionner, fortifier, mais les bases sont bonnes et il ne faut pas les renverser.
Pour ne pas surprendre la Chambre, voici ce que je me permets de prédire : c'est qu'à la fin de ce mois, vous aurez à voter des crédits provisoires ; cela est inévitable. Que vous ayez un nouveau ministre de la guerre ou non, vous ne pourrez pas voter le budget de la guerre ; vous aurez des crédits provisoires qui se prolongeront pendant une partie de l'année 1867, il faut en prendre son parti, à moins que vous ne votiez le budget lui-même, sauf à le modifier, si, dans le courant de l'année 1867, une nouvelle organisation de l'armée était décrétée.
M. Delaetµ. - Je vais abonder dans le sens de l'honorable ministre des affaires étrangères. Il vient de nous dire que la vérité militaire aujourd'hui est tellement peu stable, qu'un rapport qui aurait été la perfection il y a un an, serait aujourd'hui suranné, et que, s'il vous avait présenté l'organisation que préconise le rapport, il devrait aujourd'hui se contredire en plusieurs points.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai pas dit que ce rapport fût une perfection...
M. Delaetµ. - Je ne vous ai pas sténographié... D'ailleurs, au banc des ministres vous vous permettez souvent de vous servir d'un synonyme pour reproduire les paroles que nous avons employées ; dernièrement mon honorable ami, M. Coomans s'était servi du mot « promesses », M. le ministre des finances en a fait « engagement ». Je n'ai pas retenu exactement les termes dont vous vous êtes servi, mais je crois en avoir reproduit le sens. Si vous nous aviez présenté un rapport sur l'organisation militaire, vous auriez, je suppose, voulu nous soumettre le système le plus parfait possible. Or, même à vos yeux ce qui aurait été la perfection possible en 1866 serait en 1867 un véritable anachronisme.
M. le ministre des affaires étrangères nous dit : Il faut transformer l'armée ; il faut une enquête soit par la Chambre, soit par, le gouvernement et cette enquête va nous prendre six mois, huit mois, un an peut-être. Mais, messieurs, une chose m'étonne, c'est que le gouvernement qui a si profondément le sentiment de la nécessité de défendre le pays n'ait pas plus de hâte de le mettre en état de bonne et sérieuse défense. (Interruption.) Vous voyez ce qui se fait en France ; est-ce qu'on attend là ? Là l'empereur qui, après tout, n'est pas, comme vous peut-être, sous la menace d'une attaque extérieure, ne perd pas un jour.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sommes-nous sous la menace d'une attaque ? Qui a dit cela ?
M. Delaetµ. - Tous les jours la commission se réunit ; on a introduit le système Chassepot ou tout autre.
MfFOµ. - On n'a encore rien adopté.
M. Delaetµ. - Et nous, que faisons-nous ? Nous nous abstenons. Je crois cependant qu'il y a hâte pour le pays de savoir à quoi s'en tenir sur la situation de l'armée, qu'il y a hâte pour le pays de savoir s'il nous faut un armement général ou un désarmement ; les deux systèmes sont discutables, je n'entends pas dire que je veuille du dernier, mais enfin il faut une solution.
M. le ministre de la guerre ad intérim me fait l'effet de Fabius Cunctator. Mais je ne sais si devant un nouvel Annibal il réussira comme le général romain.
Je ne pense pas que nous ayons quelque chose à gagner à attendre. Il importe donc qu'un ministre de la guerre sérieux vienne figurer à ces bancs, qu'il nous propose un système sérieux et que la Chambre puisse le discuter sérieusement.
Je n'admets pas que lorsque tout le monde prévoit que l'Europe n'a plus que deux années de paix devant elle, nous puissions perdre une année.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'armée est bonne et capable de défendre le pays.
M. Delaetµ - Vous dites vous-même qu'elle ne l'est pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous ne pouvons admettre l'opinion soutenue par quelques honorables membres et d'après laquelle il n'y aurait rien à attendre de l'armée dans les circonstances actuelles. Je repousse de la manière la plus énergique une pareille supposition. Je dis que notre armée ferait son devoir...
M. Delaetµ. - Personne n'en doute.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - ... et qu'elle est en position de le faire. Pourquoi venir ici jeter sur elle le discrédit ?
M. Delaetµ. - Je demande la parole.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n’ai pas du tout dit que notre organisation devait être bouleversée ; elle peut être améliorée, perfectionnée comme toutes les institutions. Mais je soutiens que c’est grandement à tort que l’on vient jeter du discrédit sur elle (Interruption.) Oui, vous l’avez fait !
Oui, vous l'avez dit et on l'a répété. On a répété à satiété que l'organisation actuelle de l'armée ne valait absolument rien et qu'il fallait, et plutôt aujourd'hui que demain, procéder à une réorganisation complète.
Voilà un thème que, pour ma part, je repousse de toutes mes forces, au nom même de l'armée.
On nous parle d'attaques imminentes dont nous serions menacés. Je ne sais pas ce qui autorise à croire à un danger de ce genre ; je ne sais pas où l'honorable membre a puisé ses renseignements. Quant à moi, je n'entrevois pas ces attaques si prochaines et si imminentes qu'il le dit. Mais de ce que nous serions menacés d'attaques prochaines, est-ce à dire qu'il faut réorganiser l'armée dans l'espace de quelques jours ? Comment l'entendez-vous ?
Vous parlez d'une nouvelle organisation militaire, vous parlez d'un système nouveau ; il vous faut du nouveau. Mais voulez-vous bien me dire où vous trouverez le génie qui en huit jours vous improvisera un système nouveau, meilleur que celui qui existe ? Quant à moi, je suis profondément convaincu que ce n'est ni en huit jours, ni en quinze jours, ni en un mois, ni en trois mois que vous arriverez à décréter une organisation nouvelle.
J'ai l'honneur de prendre part depuis longtemps à la direction des affaires du pays ; eh bien, messieurs, mon expérience personnelle m'autorise à croire que ce que nous avons de mieux à faire, avant d'adopter un nouveau système, c'est d'attendre que nous puissions profiter des recherches faites par les divers gouvernements qui s'occupent aujourd'hui des questions relatives à l'organisation militaire.
Voilà comment doit procéder le gouvernement d'un pays qui, comme le nôtre, ne possède pas un état militaire considérable. Son devoir est d'observer, d'attendre, de s'instruire de ce qui se passe au dehors, de recueillir toutes les lumières qui peuvent lui venir des autres pays ; et je crois que le futur ministre de la guerre aura grand soin, avant de se prononcer sur un système nouveau, de profiter de ce que les discussions du dehors lui apporteront de lumière et d'expérience.
La Chambre ne doit donc pas s'attendre à être saisie immédiatement d'un nouveau système militaire ; il n'est pas un seul ministre qui eût l'imprudence, je dirai même l'outrecuidance, de vous apporter un système nouveau pour le 18 décembre, puisqu'on paraît tenir à cette date.
La situation actuelle se prolongera donc pendant quelque temps encore ; et en attendant qu'on puisse y mettre un terme, il ne faut pas venir déclarer ici que notre armée est un mauvais instrument de défense.
Pour ma part, je protester de toutes mes forces contre une pareille opinion, et je soutiens que l'armée est en position de faire son devoir, et qu'elle le ferait si un danger sérieux venait à menacer le pays. Certainement, le pays doit être attentif aux événements extérieurs ; mais il ne faut pas se laisser aller à de fausses alarmes ; il ne faut pas croire à des dangers imminents, à des attaques prochaines. Pour ma part, il m'est impossible de voir les choses sous un jour aussi sombre ; et lorsque nous en serons à la discussion du budget des affaires étrangères, si on le désire, nous nous expliquerons à cet égard devant la Chambre. En attendant, je crois donc pouvoir rassurer l'honorable député d'Anvers et lui dire que, pour le moment, la ville d'Anvers ne court aucune espèce de danger, et qu'elle n'a nullement à se préoccuper de la (page 85) défense qui lui incomberait en cas d'attaques dirigées contre le pays.
Je me permets d'observer au surplus, que cette discussion me semble prématurée ; le gouvernement ne propose rien ; attendez au moins qu'il vous ait présenté un budget ou une demande de crédits provisoires, vous aurez alors l'occasion de discuter utilement.
M. Guillery. - J'ai été frappé, messieurs, d'une observation que vient de faire M. le ministre des affaires étrangères et qu'il avait présentée déjà la première fois qu'il a pris la parole : c'est qu'une enquête parlementaire durerait non pas un mois, non pas trois mois, mais six mois, et peut-être même un an.
Cette déclaration me fait regretter plus encore que je ne l'avais regretté jusqu'à présent, que la Chambre n'ait pas adopté la proposition que l'honorable M. Coomans a déposée l'année dernière.
MfFOµ. - Vous auriez eu à recommencer.
M. Guillery. - Car évidemment si la proposition avait été adoptée, la commission d'enquête fonctionnerait actuellement et pourrait nous promettre une prompte solution (interruption), une solution qui nous plaçât dans la même position que la plupart des puissances de l'Europe, où l'on étudie activement la question de la réorganisation des armées.
Aujourd'hui, nous n'avons pas une commission parlementaire et nous n'avons pas de ministre de la guerre. Voilà le résultat de la faiblesse de la Chambre, car ici c'est à la Chambre que je m'en prends ; ce que je critique, c'est la conduite de la Chambre ; c'est la faiblesse de n'avoir pas compris sa mission. Le résultat de cette faiblesse, c'est qu'aujourd'hui nous n'avons pas une commission parlementaire, nous n'avons pas d'enquête, et nous n'avons pas de ministre de la guerre. Voilà, messieurs, quelle est aujourd'hui la situation.
D'un autre côté, M. le ministre de l'intérieur nous dit qu'il ne veut pas accepter la responsabilité de la présentation du budget ; mais il accepte une responsabilité, selon moi, bien autrement grave : celle de la non présentation du budget, la responsabilité de la présentation de crédits provisoires et d'une administration provisoire.
Savez-vous, messieurs, ce que c'est qu'un crédit provisoire ? C'est un blanc-seing ; c'est un budget illimité. (Interruption.) C'est remettre à un ministre de la guerre, intérimaire ou non, un certain nombre de millions dont il dispose sous sa responsabilité.
M. de Brouckere. - Je demande la parole.
M. Guillery. - J'ai sans doute la plus grande confiance dans l'honorable ministre de l'intérieur ; mais enfin il n'est pas dans nos mœurs constitutionnelles de donner des blancs-seings aux ministres ; et quand la Constitution a dit qu'on votera le budget article par article, le législateur constituant n'a point pensé qu'on se ferait une habitude de voter des crédits provisoires.
Et cependant, messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères vient de nous annoncer que nous irions probablement jusqu'au milieu de l'année prochaine avec des crédits provisoires. Voilà la situation.
Mais, messieurs, si M. le ministre de l'intérieur nous disait : J'accepte la responsabilité de la direction du département de la guerre ; j'ai fait une étude spéciale des questions qui s'y rattachent, j'en éprouverais la plus vive satisfaction, car j'ai la plus grande confiance dans sa loyauté, dans son patriotisme, dans son intelligence et je suis convaincu qu'il pourrait diriger le département de la guerre avec autant de talent qu'il dirige le sien ; mais il ne nous dit pas cela.
Il nous dit, au contraire, qu'il n'accepte pas cette responsabilité, qu'il ne se considère pas comme capable de présenter un budget de la guerre ; qu'il ne nous présentera pas même le projet de loi du contingent de l'armée. Eh bien, messieurs, je déclare que cette situation est vraiment déplorable. Certes, je ne crois pas à des dangers extérieurs imminents, loin de là ; mais je crois, moi, qu'il importe que nous ayons une organisation militaire solide ; je crois qu'il est indispensable qu'en Belgique on étudie activement cette question et qu'on arrive à une solution quelle qu'elle soit. La seule chose que je ne comprenne pas, c'est qu'on ne fasse rien. Or, je dis qu'on ne peut rien faire d'efficace avec un ministre de la guerre intérimaire qui nous déclare ne pas pouvoir même accepter la responsabilité de la présentation du budget.
Je viens de dire que je verrais avec plaisir l'honorable ministre de l’intérieur prendre définitivement le portefeuille de la guerre ; j'ajoute qu'à mon sens il serait désirable qu'un ministre pris en dehors des rangs de l'armée acceptât la responsabilité de la direction du département de la guerre ; je crois même que ce n'est que par ce moyen que nous arriverions à une organisation définitive de l'armée.
Je profite de ce qu'il n'y ait pas un général à la tête du département de la guerre (car il pourrait considérer ma théorie comme une personnalité, comme un mauvais compliment), pour dire que je crois que le meilleur système serait de placer un administrateur à la tête du département de la guerre, sauf à confier à des commissions, à des hommes spéciaux, à des généraux, la solution des questions militaires.
En France, le ministre de la marine actuel n'est pas marin, et son prédécesseur ne l'était pas non plus, et j'ai entendu dire par des marins de profession que c'étaient les meilleurs ministres de la marine que la France ait eus ; que, lorsqu'on plaçait des amiraux à la tête de ce département, ils y arrivaient tous avec un système, tous avec des injustices à réparer et dont ils exagéraient souvent la portée et la réparation ; qu'ils arrivaient avec un système souvent exclusif et qu'ils défaisaient ce qu'avaient fait leurs prédécesseurs, tandis que depuis qu'on avait comme ministre de la marine un administrateur, l'administration était beaucoup plus ferme, plus régulière et que la discipline de la marine n'en avait reçu aucune atteinte.
Je crois en effet, que c'est donner une fausse position à un général que de l'appeler à commander ses camarades, alors que le lendemain du jour où il aura cessé d'être ministre, il viendra sous les ordres d'un de ceux qu'il a commandés la veille.
Si on nommait un directeur général du département des finances ministre de ce département, que du jour au lendemain il redevînt directeur général et remplacé comme ministre par un autre directeur général, auquel il donnait des ordres la veille, on regarderait sans doute ce système comme défectueux.
Jamais un ingénieur n'a été mis à la tête du département des travaux publics. Nos ingénieurs sont cependant fort distingués. Mais si l'un d'eux doit devenir ministre, je souhaite que ce soit à la tête d'un autre département que celui des travaux publics.
Cette anomalie ne se présente qu'au ministère de la guerre. Il en résulte que la liberté du ministre est enchaînée par mille circonstances, qui n'enchaîneraient pas un homme politique.
Je crois devoir appeler l'attention de la Chambre et du gouvernement sur cette idée, parce qu'elle me paraît importante dans les circonstances actuelles. J'ignore la cause' ui empêche le gouvernement de trouver un ministre titulaire pour le département de la guerre ; mais je ne serais pas étonné que la difficulté consistât à trouver un général qui consentît à accepter la responsabilité d'un système pour lequel il aurait à subir des reproches quand il sera rentré dans les rangs de l'armée.
Un général doit prendre en considération cette circonstance, que lorsqu'il aura cessé d'être ministre, il devra retrouver des camarades dans ses subordonnés de la veille.
Je crois donc que la solution pratique serait que le département de la guerre fût confié à un administrateur comme les autres départements, et non à un fonctionnaire ; en d'autres termes, qu'on fasse pour le département de la guerre exactement ce qu'on fait pour tous les autres ministères.
Par ce moyen nous arriverons à une position normale et régulière.
Je désire, quant à moi, pouvoir voter le budget de la guerre. Je l'ai voté jusqu'à l'année dernière ; et, l'année dernière, j'ai expliqué mon vote. Je désire pouvoir le voter les années suivantes ; mais pour cela il faut que le gouvernement entre dans une voie régulière ; c'est-à-dire qu'on nous présente le budget en temps opportun, qu'on nous permette de l'examiner à tête reposée. Si, à raison de circonstances extérieures, de dangers qui menaceraient le pays, il fallait indispensablement voter d'urgence, même sans discussion, je serais le premier à donner l'exemple d'un vote patriotique dans de semblables circonstances. Mais nous pouvons aujourd'hui délibérer avec calme, et nous décider en connaissance de cause. Les circonstances sont propices ; il faut donc que le gouvernement nous fournisse le moyen de les mettre à profit, sans attendre qu'il soit trop tard.
M. Delaetµ. - Messieurs, après l'interprétation forcée que M. le ministre des affaires étrangères a donnée à mes paroles, j'ai quelque lieu de m'étonner de la susceptibilité dont il a fait preuve lorsque j'ai parlé de perfection à propos du rapport à déposer en 1866.
Je n'ai pas dit que l'armée belge, telle qu'elle est aujourd'hui, ne ferait pas son devoir. Je tiens l'armée belge, dont j'ai eu l'honneur de faire partie et dont un de mes fils fait partie à l'heure qu'il est, je la tiens pour aussi dévouée, aussi brave, aussi vaillante, aussi héroïque, aussi fidèle à son devoir qu'aucune armée de l'Europe ; mais je dis qu'en dehors du personnel de l'armée, il y a quelque chose : c'est l'organisation de cette armée.
Or, M. le ministre des affaires étrangères a traité d'anachronisme le (page 86) rapport qui en 1866 devait nous être présenté sur cette organisation. J'ai pris acte de cet aveu de l'honorable ministre pour lui dire que dans la situation actuelle de l'Europe il n'y avait pas de temps à perdre, que la Belgique devait aviser ; que si l'armée ferait à coup sûr son devoir, le gouvernement, comme la Chambre, avait aussi un devoir à remplir. Voilà quelle a été mon intention.
Maintenant, M. le ministre des affaires étrangères, initié plus que nous à la politique de l'Europe, connaissant mieux que nous les secrets des cabinets, nous dit qu'il n'y a pas de péril en la demeure, que nous n'avons pas de dangers immédiats à craindre, et que par conséquent nous avons tout le temps de prendre des leçons à l'étranger. Voyons ce que fera la Prusse, ce que fera la France. Quand la Prusse et la France auront un système définitif, il sera temps d'aviser à ce que nous avons à faire.
Sans avoir la prétention de pénétrer les secrets des cabinets, sans vouloir être ni optimiste ni pessimiste, ne peut-on pas croire que si nous avons quelque chose à craindre, c'est de la part de la Prusse ou de la France et peut-être de l'une et de l'autre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai pas parlé de ces deux puissances ; J'ai parlé de la situation générale de l'Europe.
M. Delaetµ. - Je ne connais pas les intentions de ces deux puissances ; mais, est-ce par hasard l'Italie, est-ce l'Autriche, est-ce la Turquie qui viendra nous attaquer ? Evidemment, si nous devons être attaqués, c'est par la Prusse ou par la France. On ne nie pas l'évidence, alors même qu'on est ministre des affaires et qu'on a l'habitude de parler la langue de la diplomatie.
Je dis donc que si ces deux puissances sont en état de faire la guerre, elles n'attendraient certainement pas que nous ayons à loisir avisé aux moyens de défense à opposer à leur attaque.
On nous reproche à l'étranger, et c'est un très grand péril pour notre nationalité, d'être des imitateurs en toute chose, de n'avoir ni une pensée propre, ni une sérieuse initiative.
Ici, sans doute nous devrions prendre l'initiative, puisqu'il s'agit de l'intérêt le plus sacré du pays ; et cependant l'honorable ministre des affaires étrangères vient nous dire : Nous n'avons pas d'initiative à prendre ; et attendons que l’étranger ait adopté un système et imitons-le.
C'est-à-dire, en d'autres termes, préparons une armée non pas pour la Belgique, mais pour l'étranger, faisons, selon l'occurrence, une armée française ou une armée prussienne, portant provisoirement la cocarde belge.
Voilà où est le danger de votre imitation ; et aujourd'hui plus que jamais je voudrais voir prendre l'initiative par mon pays.
Je voudrais que la Belgique étudiât le problème militaire à son point de vue spécial et national, et nous avons certainement des généraux assez intelligents, nous avons dans notre armée un état-major assez intelligent pour qu'on nous dise : Dans l'état actuel de la science en Europe, voilà le système de défense qui convient à la Belgique.
Eh bien, faisons appel à son initiative, à son intelligence, et alors, si nous sommes battus, nous pourrons dire du moins que nous avons fait notre devoir jusqu'au bout et que c'est une armée belge qui a été battue, et non une armée française ou une armée prussienne portant la cocarde belge et toute prête à servir sous les drapeaux d'un ennemi victorieux.
M. de Brouckere. - Messieurs, je souhaite sérieusement que la discussion à laquelle la Chambre vient de se livrer porte ses fruits. Je désire qu'elle ait pour résultat de bâter la nomination d'un ministre de la guerre et je désire qu'elle fasse comprendre à ce futur ministre, qu'il soit pris dans les rangs de l'armée ou en dehors de l'armée, que son devoir est d'examiner avec la plus grande activité quelles sont les modifications que peut réclamer l'organisation de l'armée.
J'ai pris, messieurs, une part très active à l'organisation de 1853. Je crois que cette organisation convenait au pays à l'époque où le cabinet dont je faisais partie l'a présentée, à l'époque où les Chambres l'ont votée. Mais je suis bien loin de prétendre que cette organisation n'est pas susceptible de modifications et même de modifications assez essentielles.
Quoi qu'il en soit, la révision de l'organisation actuelle est dans les vœux de tout le monde, c'est un fait incontestable, dans les vœux de ceux qui votent le budget comme dans les vœux de ceux qui se prononcent contre le budget.
L'honorable M. Guillery vient d'émettre devant vous l'opinion qu'il serait préférable de voir à la tête du département de la guerre, un homme étranger à l'armée plutôt qu'un homme pris dans ses rangs. Je ne puis pas, messieurs, admettre cette thèse, présentée d/une manière aussi générale que l'a fait l'honorable membre. Je crois au contraire que, généralement et dans les temps ordinaires, il vaut mieux placer au ministère de la guerre un général qu'un homme qui n'est pas militaire, et je n'ai pas été frappé des inconvénients que l'honorable M. Guillery a trouvés à en agir ainsi.
Il n'y a, dit-il, que dans l'armée qu'on prend un fonctionnaire pour le faire ministre, et qui redevient fonctionnaire dans la position qu'il occupait avant son passage au ministère. L'honorable M. Guillery se trompe. Ainsi l'on prend, pour le placer au ministère de la justice, un procureur général, un avocat général, et quand il quitte le ministère, le gouvernement lui donne une nouvelle nomination (car cette nouvelle nomination est nécessaire), ou de procureur général ou d'avocat général, sans que personne y trouve la moindre chose à critiquer.
S'agit-il du ministère de l'intérieur ? Mais on prend, pour le mettre à la tête de ce département, un gouverneur, et à coup sûr rien n'empêche que ce ministre, en quittant le ministère de l'intérieur, reprenne un gouvernement de province.
Vous voyez donc que la thèse qu'a soutenue l'honorable M. Guillery et les arguments qu'il a fait valoir à l'appui de cette thèse ne sont pas de nature à nous convertir entièrement à son opinion.
Mais j'admets parfaitement que, dans certaines circonstances exceptionnelles, il y ait quelquefois avantage à prendre, pour mettre à la tête de l'armée, un homme qui n'est pas dans ses rangs, pourvu que cet homme soit un homme d'une capacité reconnue, d'une énergie éprouvée, pourvu que l'on sache qu'il est habitué à examiner à fond toutes les questions qu'il a à résoudre, et pourvu encore que cet homme ait rendu au pays des services signalés et qui lui ont valu la confiance du pays.
Eh bien, messieurs, je le dirai franchement, si un pareil homme pouvait être choisi pour occuper aujourd'hui le ministère de la guerre, je crois qu'il rendrait autant de services au pays qu'un général, si distingué et si méritant qu'il soit.
Au surplus, nous avons le droit d'émettre une opinion à cet égard. Mais nous aurons après cela à respecter la prérogative royale, quelque usage qu'il en ait été fait.
Messieurs, on a beau récriminer contre les atermoiements du département de la guerre en ce qui concerne le rapport qui nous avait été promis, et je ne dis pas qu'il n'y ait rien de fondé dans les reproches qui ont été articulés sur ce point, les reproches, les récriminations ne conduisent à aucun résultat et j'aime mieux me placer dans la position devant laquelle nous sommes et examiner ce que nous avons à faire.
Le budget de la guerre pour 1867 n'est pas encore présenté à la Chambre. Il est donc incontestable que nous ne pourrons pas nous occuper de l’examen de ce budget avant le 1er janvier, alors même que, cédant aux instances qui lui ont été adressées, M. le ministre de l'intérieur viendrait le déposer dans un bref délai.
Cela est de toute impossibilité. Nous pourrions en commencer l'examen ; certes nous n'arriverions pas à un résultat dans le courant de ce mois ; et d'ailleurs, vous le savez, les budgets doivent être votés par une autre Chambre encore que la nôtre.
Ainsi donc, impossible, dans l'état actuel des choses, d'arriver au vote d'un budget de la guerre avant le 1er janvier prochain.
Mais, dit-on, c'est une tactique de la part du gouvernement. Le gouvernement retarde la présentation du budget de la guerre volontairement, par suite d'une combinaison. Il veut échapper à toute discussion sur le budget de la guerre.
Si le gouvernement pouvait obtenir des crédits provisoires pour les douze mois, je concevrais qu'il y gagnerait quelque chose, puisqu'il échapperait à toute discussion du budget. Mais il n'en est jamais ainsi ; il vous demandera dans quelques jours des crédits provisoires pour quelques mois de l'année 1867, et par cette demande il ne fait qu'ajourner la difficulté. Il n'échappera pas, quoi qu'il fasse, à une discussion approfondie sur l'armée pendant 1867. Je vous demande ce que gagne le gouvernement à un ajournement de quelques mois ? Rien, absolument rien. Nous voterons, il le faudra bien, avant la fin de décembre, des crédits provisoires pour un certain nombre de mois ; mais, dans le courant de 1867, nous discuterons un budget de la guerre ou nous discuterons l'organisation de l'armée, cela est inévitable.
L'honorable M. Guillery a voulu nous effrayer un peu sur les dangers des crédits provisoires, mais la Chambre est édifiée sur ce point, elle a voté tant de crédits provisoires qu'elle sait parfaitement quelles en sont les conséquences. Il n'est pas tout à fait vrai, permettez-moi de le faire remarquer, qu'un crédit provisoire soit un blanc seing donné à un ministre, blanc seing dont il peut user et abuser à son gré. D'abord un (page 87) crédit provisoire pour la guerre ne peut s'appliquer que d'une manière conforme à la loi d'organisation de l'armée. Ensuite il est de règle que le ministre auquel on a accordé un crédit provisoire ne l'emploie qu'en se conformant aux divisions établies dans le budget qu'il a présenté et, si le budget n'a pas même été présenté, qu'en se conformant aux divisions du dernier budget voté par les Chambres.
C'est une règle dont les ministres ne se sont jamais départis. Veuillez d'ailleurs ne pas perdre de vue que la cour des comptes contrôle toutes les dépenses faites par les ministres et certes nous sommes tous d'accord que la cour des comptes n'a pas l'habitude de laisser passer des irrégularités.
Ainsi donc, messieurs, nous avons lieu d'espérer que dans peu un ministre définitif sera placé à la tête du département de la guerre.
Il est hors de doute que ce ministre comprendra la nécessité, pour lui, de s'occuper bien plus de l'organisation de l'armée que des affaires courantes qu'il pourra abandonner jusqu'à un certain pointa ses subalternes.
Quant à ce que nous avons à faire aujourd'hui, il faut que nous nous soumettions à voter des crédits provisoires, parce que, quoi que l'on fasse, nous ne sommes plus en position de voter un budget régulier.
En ce qui concerne la proposition d'une enquête, que l'honorable M. Couvreur nous a annoncée, d'une enquête parlementaire, cette proposition mérite d'être examinée et examinée avec le plus grand soin, je le reconnais, mais je ne pense pas qu'il puisse entrer dans les intentions de l'honorable M. Couvreur, que nous ayons cette discussion avant la fin de décembre ; elle serait nécessairement très écourtée.
Nous avons d'ici à la fin du mois à voter tous les budgets et plusieurs autres objets d'une urgence incontestable. Mais après les vacances que la Chambre prend ordinairement à la fin de l'année et lorsque le ministère de la guerre aura un titulaire définitif, je déclare que je suis tout disposé à prendre par à cette discussion et à y prendre une part très sérieuse.
M. Guillery. - Dans les paroles de l'honorable M. de Brouckere, perce l'ancien ministre. (Interruption.)
Ministre très distingué, incontestablement et très digne de la confiance dont il était investi ; je ne voudrais pas que l'honorable membre pût voir la moindre épigramme dans mes paroles.
M. de Brouckere. - Je l'espère bien.
M. Guillery. - Sans doute. L'honorable ancien ministre ne s'effraye pas des crédits provisoires, il nous a même dit que c'est une maladie chronique. Eh bien, messieurs, apportons-y un remède d'autant plus énergique. Voyez ce que c'est qu'un abus : on présentait d'abord de tout petits crédits provisoires, un crédit provisoire pour le ministère de la justice par exemple ; là il est très facile d'appliquer le crédit, comme le dit l'honorable M. de Brouckere. On ne présentait ces petits crédits provisoires que dans des circonstances exceptionnelles, mais depuis quelques années c'est devenu une règle de présenter le budget de la guerre très tard et même cette année on ne l'a pas présenté du tout. Dès lors le ministre ne pourra pas se conformer aux prescriptions d'un projet qui n'existe pas. On pourra ainsi dépenser vingt millions sans suivre aucune règle et même sous un ministre qui n'accepte pas la responsabilité de la situation.
Le ministre se renferme autant que possible dans les décisions du budget de l'année précédente. C'est une question de loyauté non seulement pour le ministre mais encore pour les fonctionnaires de son département ; mais les budgets changent, il est bien rare de voir un budget qui soit la reproduction du budget précédent. II n'est donc pas possible de calculer les dépenses de 1867 sur les dépenses de 1866. De plus ces dépenses vont peut-être se faire longtemps par un département qui n'a pas de ministre titulaire. Je préférerais donc voter le budget de 1867, tel qu'on le présentera que de voter des crédits provisoires ; nous aurions au moins un budget qui limiterait les pouvoirs du gouvernement.
M. de Brouckere. - L'honorable préopinant a dit que, dans les paroles que j'ai prononcées tout à l'heure, perce l'ancien ministre. Je n'ai aucune raison pour chercher à cacher que j'ai été ministre. Je crois l'avoir été d'une façon honorable, je crois n'avoir posé que des actes que je puis hautement avouer ; je ne regretterai donc jamais que dans mes paroles ait pu percer l'ancien ministre.
Je n'ai demandé la parole que pour dire à l'honorable membre que lorsqu'il me considère comme si grand amateur de crédits provisoires, il ignore que pendant que j'ai été ministre je n'ai pas présenté un seul crédit provisoire, pas même un seul crédit supplémentaire.
MpVµ. - La première proposition de M. Couvreur est devenue sans objet, puisque le projet du budget et le projet du contingent ne sont pas présentés. L'honorable membre vient d'envoyer au bureau la proposition suivante ;
« La Chambre, en présence de l'article premier de la loi du 15 mai 1846, invite le gouvernement à déposer sans délai le budget de la guerre. »
MfFOµ. - Messieurs, je ne comprends ni l'objet de cette proposition, ni le but que l'on veut atteindre.
L'honorable M. Couvreur veut-il que le budget soit déposé, afin qu'il ait ainsi l'occasion de produire la motion qu'il a annoncée et de la faire discuter ? (Interruption.) Mais en quoi la non-présentation du budget peut-elle empêcher l'honorable membre de faire sa motion quand il le trouvera convenable ? Et, à son point de vue, à quoi servira le dépôt du budget ? (Interruption.) Examinons.
Je suppose le budget déposé : il est renvoyé aux sections, il y a un rapport. Mais ensuite, qu'arrivera-t-il ? De deux choses l'une : ou bien l'on pourra discuter et voter le budget, ou bien il faudra se résoudre à accorder des crédits provisoires.
II est matériellement impossible d'aboutir à un autre résultât, d'ici au 1er janvier prochain.
L'honorable M. Couvreur n'a pas lui-même de système à produire en ce qui concerne l'organisation de l'armée, et je pense qu'il est, sous ce rapport, dans la même position que chacun des honorables membres de l'assemblée. Personne que je sache n'a sous la main un système tout prêt à être soumis aux délibérations de la Chambre.
On dit seulement : Etudions cette question, et au besoin faisons une enquête.
Eh bien, l'honorable membre peut-il parfaitement, en faisant abstraction du budget, se livrer à l'étude de toutes les questions qui se rattachent à noire organisation militaire ; il peut même proposer une enquête et appeler la Chambre à se prononcer sur sa proposition. La question d'organisation est, en elle-même, tout à fait indépendante du budget ; et rien ne pourrait empêcher qu'on votât le budget ou qu'on accordât des crédits provisoires, car sans cela les services publics se trouveraient suspendus. C'est assurément ce que personne ne peut vouloir.
Quant à moi, messieurs, je ne demande pas mieux que de voir examiner prochainement et d'une manière approfondie la question d'organisation militaire, et j'applaudis beaucoup aux sentiments que j'ai entendu exprimer à ce sujet dans le cours du présent débat ; car il y a une grande différence entre les idées qui semblent dominer aujourd'hui et celles qui ont été émises à d'autres époques. Autrefois, en effet, il y avait beaucoup de personnes qui subordonnaient tout à la question d'argent. Nous ne voulons plus, disait-on alors, consacrer au service de l'armée une somme telle que la comporte notre budget de la guerre. La dépense est trop considérable, et nous en demandons la réduction dans une notable proportion.
Aujourd'hui, le langage est tout autre. Ce n'est pas, dit-on, d'une question d'argent qu'il s'agit : ce que nous voulons, c'est une armée fortement organisée, capable de défendre efficacement notre nationalité et d'assurer l'indépendance du pays. S'il nous est démontré qu'il faut faire des sacrifices plus considérables encore que ceux qui nous sont demandés aujourd'hui, soit ! Nous n'entendons pas marchander la défense du pays.
Nous ne pouvons certainement qu'applaudir à un pareil langage. Un examen fait sous l'inspiration d'idées aussi justes, aussi patriotiques, nous paraît de tous points satisfaisant, n'importe par qui cet examen serait fait. Que l'honorable M. Couvreur en soit chargé seul, et je m'en féliciterai encore, s'il est animé des excellentes intentions qu'il vient d'exprimer.
Nous n'avons donc pas à redouter cet examen. Nous demandons seulement qu'on veuille bien le faire, s'il est possible, en présence d'un ministre de la guerre ayant, non pas seulement la responsabilité légale qu'assume dans ce moment mon honorable ami M. le ministre de l'intérieur, mais une responsabilité morale, qui lui donne certaine autorité vis-à-vis de l'armée et du pays.
Qu'arriverait-il si je me déterminais à formuler un projet d'organisation de l'armée, bouleversant tout ce qui existe actuellement, et que je vinsse soumettre un pareil projet à vos délibérations, en prétendant qu'il est excellent, et qu'il répond parfaitement à toutes les nécessités de la situation ? Je suis très convaincu que l'on récuserait immédiatement ma compétence.
- Plusieurs membres. - Pas du tout !
M. Guillery. - C'est tout le contraire qui arriverait.
(page 88) - Plusieurs membres. - Oui ! oui !
MfFOµ. - Cela n'est pas possible, messieurs. (Interruption.) Je remercie certainement les honorables membres du compliment qu'ils veulent bien m'adresser. Mais il est évident que les hommes spéciaux, les hommes réellement compétents, les hommes de guerre, ne sauraient partager cette bienveillante opinion.
Je pense donc que nous devons nous borner, pour le moment, à attendre qu'un ministre de la guerre soit nommé pour traiter avec nous cette importante question d'une manière plus spéciale. Nous aurons ainsi la garantie qu'elle recevra une solution plus complète et plus pratique.
Messieurs, on s'est plaint beaucoup des lenteurs apportées au dépôt du rapport promis par le gouvernement sur notre état militaire.
Je reconnais qu'il y a eu des lenteurs, mais je nie qu'elles aient été calculées ou préméditées, comme on a paru le supposer. On ne peut au contraire méconnaître que ces lenteurs ont été le résultat d'accidents graves, qui se sont succédé depuis l'annonce du rapport. Nous n'avions évidemment aucun motif de ne pas déposer ce rapport, si nous avions été en mesure de le faire. Et cependant, il se trouve qu'il est fort heureux que ce dépôt n'ait pas eu lieu, car il est vraisemblable qu'un nouvel examen serait devenu nécessaire.
En effet, messieurs, il faut bien le reconnaître, les événements qui se sont passés en Allemagne, dans le cours de cette année, les faits qui se sont révélés à cette occasion, paraissent avoir singulièrement modifié, dans la plupart des pays de l'Europe, les idées professées jusqu'alors sur les questions d'organisation militaire.
Quand nous voyons les hommes les plus compétents, le corps des maréchaux de France, délibérer, pour ainsi dire chaque jour, sans pouvoir se prononcer encore sur toutes ces questions, n'ayons pas la prétention d'improviser ici un système que l'on puisse considérer comme en donnant les meilleures solutions.
Nous pouvons donc étudier, et profiter des lumières et de l'expérience d'autrui. Quoi qu'on en dise, nous avons le temps. Je n'aperçois rien à l'horizon qui soit de nature à justifier les craintes et les inquiétudes que l'on manifeste. Nous sommes en pleine paix, en plein calme, et je ne suis nullement touché des alarmantes prophéties qui nous annoncent un bouleversement de toutes choses d'ici à deux ans.
M. Bouvierµ. - A terme fixe !
MfFOµ. - Sans doute, il est désirable que ces questions soient résolues le plus promptement possible ; mais elles doivent l'être sagement et prudemment, et la Chambre fera bien d'attendre encore quelques jours, quelques semaines si l'on veut, jusqu'à ce qu'il y ait un ministre de la guerre, qui puisse les lui exposer en parfaite connaissance de cause.
M. Coomans. - Je m'étonne que la Chambre ne vote pas la proposition de l'honorable M. Couvreur, à l'unanimité, les voix de messieurs les ministres comprises.
A quoi se borne cette proposition ? A rappeler la loi de comptabilité, à émettre le vœu timide que cette loi soit exécutée.
Pouvez-vous repousser cette proposition sans déclarer que la loi de comptabilité n'a plus de vigueur ? Avez-vous le droit, vous Chambre, vous une des trois parties du pouvoir législatif, de déclarer qu'une loi est sans valeur, qu'il ne faut pas l'observer ?
Vous êtes en rerard de 9 mois avec le budget de la guerre. (Interruption.)
Il devait être présenté le 1er mars. C'est une gestation horriblement laborieuse et vous n'êtes pas encore prêts. Et quand un honorable membre vient vous dire : Accouchez donc ! vous demandez encore neuf mois.
Je ne comprends donc pas, messieurs, que le ministère repousse la proposition de l'honorable M. Couvreur.
Y a-t-il quelque danger à ce que nous lisions ce budget pour lequel nous avons à voter des crédits provisoires ? Vous nous avez dit qu'il n'y a presque rien de changé relativement aux budgets précédents ; mais alors où est le danger à ce que nous y jetions un coup d'œil ?
Renferme-t-il quelque mystère ? Non, dit M. le ministre de la guerre, il n'y a pas de mystère. Mais alors déposez-le demain et vous aurez au moins rendu hommage à la loi et nous aurons émis un vote unanime.
- La discussion est close.
- Plusieurs voix : L'appel nominal !
II est procédé à cette opération.
70 membres y prennent part.
29 membres répondent oui.
39 répondent non. 2 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui :
MM. Kervyn de Lettenhove, Landeloos Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Notelteirs, Nothomb, Pirmez, Snoy, Thienpont, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Overloop, Wouters, Coomans, Couvreur, David, de Coninck, Delaet, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Smedt, de Terbecq, Dewandre, d'Hane-Steenhuyse, Funck, Guillery et Jacobs.
Ont répondu non :
MM. Lambert, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Muller, Orban, Orts, Rogier, Sabatier, Tesch, Thonissen, T’Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Anspach, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Crombez, de Baillet-Latour, de Brouckere, De Fré, de Kerchove, de Maere, de Moor, de Rongé, de Rossius, Descamps, Dethuin, Dupont, Elias, Frère-Orban, Hagemans, Jamar, Jouet et Ernest Vandenpeereboom.
Se sont abstenus : MM. de Theux et Dumortier.
MpVµ. - Kes membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître à la Chambre les motifs de leur abstention.
M. de Theuxµ. - (erratum, page 102) Je n'ai pas voulu voter contre, parce que l'on aurait pu croire que je voulais autoriser le gouvernement à ne pas suivre la voie régulière et légale, je dirai même constitutionnelle. Le gouvernement doit présenter le projet de budget annuellement. C'est aux Chambres à le discuter et à le voter. S'il y a des motifs de ne pas voter le budget en entier, on en vote une partie à titre de crédits provisoires.
Je n'ai pas voulu voter pour, parce qu'on aurait pu inférer de mon vote que je suis d'avis que le gouvernement nous apporte immédiatement un projet de réorganisation.
M. Dumortier. - Je n'ai pas voulu voter contre, parce que je partage l'avis de M. de Theux, qu'il faut que les budgets soient présentés en temps. Je n'ai pas voulu voter pour, parce que l'on ne s'est pas occupé d'une question importante, celle de l'armement. Je conçois que l'on tarde pour arrêter une organisation nouvelle ; mais il n'est pas permis de tarder six mois, huit mois, un an, avant d'arrêter quelque chose sous le rapport de l'armement.
MfFOµ. - Messieurs, personne ne s'est mépris sur la pensée de l'honorable M. Couvreur ; il voulait obtenir le dépôt du budget, afin de pouvoir en commencer la discussion et nous soumettre la proposition qu'il a annoncée. Tel était le véritable sens de sa motion. Il ne s'agissait pas de savoir si le gouvernement serait dispensé d'exécuter la loi. Si le budget n'a pas été présenté, c'est par suite d'une espèce d'arrangement conclu avec la Chambre, et qui nous dispensait de déposer le budget dû la guerre à l'époque ordinaire. (Interruption) Ce n'est pas la faute du gouvernement si les budgets ne sont pas votés à l'heure qu'il est. Tous les budgets, sauf celui de la guerre, ont été déposés dans le délai voulu.
L'honorable M. Dumortier semble reprocher au gouvernement de ne pas s'être occupé de l'armement de nos troupes.
Messieurs, j'ai à peine besoin de le dire, le gouvernement n'a pas du tout perdu de vue cette question importante. (Interruption.) On s'en occupe pour ainsi dire chaque jour. On continue les études en ce moment, et lorsque le gouvernement se sera arrêté à un système, il fera des proposions aux Chambres. Mais il est indubitable que la question ne peut être résolue maintenant.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
MpVµ. - Il est insolite de discuter sur des motifs d'abstention.
M- Dumortierµ. - Pourquoi avez-vous laissé parler le ministre ?
MpVµ. - La question de savoir si un ministre peut obtenir la parole sur les motifs d'abstention n'est pas discutable. Ce droit n'est pas réglementaire, il est constitutionnel. En effet, l'article 88 de notre pacte fondamental porte : « Ils (les ministres)... doivent être entendus, quand ils le demandent. »
Quant au point de savoir si une réplique est permise sur les motifs d'abstention d'un membre, cette question est résolue au Sénat, puisque l'article 31 de cette assemblée porte que : « Tout membre présent... est, tenu de voter, à moins qu'il n'en soit dispensé. » Dans cette Chambre la question a été contestée. Sous toutes réserves, je donne la parole à M. Dumortier, pour une motion d'ordre.
M. Dumortier. - Les motifs de mon observation paraissent avoir choqué M. le ministre des finances.
MfFOµ. - Du tout, vous vous êtes mépris.
(page 89) M. Dumortier. - Je conçois parfaitement qu'il y avait pour le gouvernement des motifs de ne pas encore déposer son rapport ; les grands événements qui se sont produits en juin et en juillet sont de nature à faire réfléchir. Mais je ne conçois pas les retards sur la question de l'armement. Si des modifications doivent être apportées à l'armement de notre armée, j'insiste pour qu'elles le soient le plus tôt possible.
Ce n'est pas une petite question que celle de l'armement, et il importe que le pays soit rassuré à cet égard. Le soldat doit avoir confiance dans son arme ; or, il n'a plus confiance aujourd'hui dans l'ancien fusil.
Je demanderai donc au gouvernement où en est l'étude de cette question ?
MfFOµ. - Tous les jours on s'en occupe.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je répondrai à l'honorable préopinant que depuis plusieurs mois on s'occupe d'une manière très active de l'armement de l'infanterie. Si je suis bien informé, des essais ont déjà été faits à la fabrique d'armes de Liège. Sur 35 où 36 armes différentes que l'on a éprouvées ; il y en a cinq ou six qui ont été reconnues bonnes et sur lesquelles on fait les dernières expériences.
- A demain !
La séance est levée à 5 heures.