(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 685) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :
« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »
« Même demande des sieurs Simon, Claes et autres membres du comité de l'association électorale de Saint-Gilles. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Même décision.
« Des ouvriers à Bruxelles et a Molenbeek-Saint-Jean présentent des observations sur l'article 2 du projet de loi relatif aux coalitions. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« L'administration communale de Segelsem, se plaignant de la grande différence de format de quelques feuilles d'impression du Recueil des lois, demande qu'il soit porté remède à cet état de choses qui rend difficile la reliure des volumes, ou que l'abonnement à ce recueil cesse d'être obligatoire pour les communes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Engels propose d'assainir la ville de Bruxelles par les eaux mêmes des deux Sennes. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de crédit pour les travaux d'assainissement de la Senne.
« L'administration communale de Bruxelles demande que, dans l'établissement du cens électoral, il soit tenu compte du payement des centimes additionnels et de tous les autres impôts directs payés, soit à la province, soit à la commune. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.
« Le sieur De Roo, milicien de 1865, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir un nouveau congé. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« M. Giroul, retenu chez lui, demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
Les bureaux des sections de mai se sont constitués comme suit.
Première section
Président : M. de Ruddere de Te Lokeren
Vice-président : M. Jacquemyns
Secrétaire : M. de Macar
Rapporteur de pétitions : M. Elias
Deuxième section
Président : M. Bouvier
Vice-président : M. Hayez
Secrétaire : M. Dupont
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Troisième section
Président : M. Funck
Vice-président : M. Van Overloop
Secrétaire : M. de Kerchove
Rapporteur de pétitions : M. De Fré
Quatrième section
Président : M. Muller
Vice-président : M. de Moor
Secrétaire : M. Carlier
Rapporteur de pétitions : M. Bricoult
Cinquième section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. Julliot
Secrétaire : M. Braconier
Rapporteur de pétitions : M. Van Wambeke
Sixième section
Président : M. de Theux
Vice-président : M. La Hardy de Beaulieu
Secrétaire : M. T’Serstevens
Rapporteur de pétitions : M. Thienpont
M. Delcourµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi accordant amnistie aux miliciens réfractaires et aux militaires en état de désertion.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
M. Bouvierµ. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section centrale sur le projet de loi accordant la garantie d'un minimum d'intérêt pour relier les villes de Maeseyck et de Virton au réseau général des voies ferrées du pays.
- Même décision.
MpVµ. - Messieurs, les sections ont autorisé la lecture de la proposition de loi qui a été déposée hier et qui est ainsi conçue :
« Nous, Léopold II, etc.
« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit d'un million de francs (fr. 1,000,000), pour être employé, avec le produit à provenir de la souscription publique, à l'érection d'un monument, témoignage de la reconnaissance de la nation belge envers feu Sa Majesté le Roi Léopold Ier.
« Art. 2. Ce crédit sera prélevé sur les ressources ordinaires.
« H. de Brouckere, de Theux, Victor Tesch, Vicomte Vilain XIIII, Aug. Orts, C. Rodenbach, H. Dolez, Alp. Nothomb, A.-G. Moreau, P. de Decker, Baron de Terbecq, Louis Crombez, De Haerne. »
A quel jour les auteurs de la proposition de loi désirent-ils la développer ?
- Des membres. - Immédiatement.
MpVµ. - La parole est à M. de Brouckere pour développer la proposition de loi.
M. de Brouckere. - Messieurs, dès les premiers temps qui suivirent la sinistre date du 10 décembre 1865, plusieurs membres de la Chambre, membres de la gauche et membres de la droite, manifestèrent la pensée qu'il y avait lieu de faire intervenir le trésor public dans les frais du monument à élever à la mémoire de S. M. Léopold Ier. Mais, par une réserve que vous apprécierez, ils crurent devoir attendre, pour vous soumettre une proposition à cette fin, que le moment fût trouvé opportun par le gouvernement. Ce n'est donc qu'après nous être assurés de son assentiment que nous avons remis entre les mains de notre honorable président le projet de loi dont il vient de vous donner lecture.
Si, répondant à son appel, je monte à cette tribune, c'est uniquement, (page 686) messieurs, pour me conformer à une prescription de notre règlement ; mais je ne vous ferai pas l'injure d'entrer dans des développements pour justifier le projet de loi ; sa justification est écrite dans le cœur de tous les Belges et chacun de vous se souvient aussi bien que nous-mêmes des immenses services que, pendant son règne de 34 ans, Léopold Ier a rendus à la Belgique. Aussi sommes-nous certains que la Chambre accueillera notre proposition avec la plus vive sympathie.
- La discussion est ouverte sur la prise en considération de la proposition de loi.
La proposition de loi est prise en considération.
MpVµ. - A qui la Chambre entend-elle renvoyer l'examen de la proposition de loi ?
- Des membres. - A une commission que le bureau nommera.
M. Allard. - Je propose à la Chambre de voter par acclamation et séance tenante la proposition de loi qui lui est soumise.
MpVµ. - On a fait la proposition de renvoyer le projet de loi à l'examen d'une commission à nommer par le bureau. Insistez-vous sur votre motion, M. Allard ?
M. Allard. - J'ai fait une proposition, M. le président ; la Chambre statuera.
MpVµ. - On demande l’exécution du règlement ; si la Chambre ne s'y oppose pas, le bureau nommera une commission. (Adhésion.)
MpVµ. - Messieurs, il a été convenu qu'au début de la séance M. le ministre de la justice donnerait les explications qui lui ont été demandées par M. Funck.
La parole est à M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, l'honorable M. Funck, la semaine dernière, m'a adressé une interpellation pour savoir à quel point était arrivée l'exécution de la loi de 1864 sur les fondations de bourse» d'étude.
J'ai dû différer ma réponse à l'honorable membre, parce que je discutais le Code pénal au Sénat.
Cette discussion étant terminée, je vais m'empresser de donner à la Chambre les explications qui m'ont été demandées.
La loi sur les bourses d'étude est presque entièrement exécutée en ce qui concerne le gouvernement. Les commissions provinciales ont été envoyées en possession de toutes les fondations en faveur des boursiers.
D'un autre côté, le gouvernement a envoyé les séminaires en possession de toutes les bourses de théologie.
Des bourses peuvent être restées en dehors de ce travail, parce qu'on ne les ait pas découvertes, ou parce que les renseignements ne sont pas complets à leur égard.
Quant aux fondations au profit de l'enseignement public, le travail n'est pas aussi avancé. Un certain nombre de communes ont cependant déjà été envoyées en possession des fondations en faveur de l'enseignement primaire.
Les commissions provinciales s'acquittent de leurs fonctions avec beaucoup de zèle et quelques-unes sont déjà arrivées à des résultats très satisfaisants.
Je dois constater que toutes font leur devoir et que jusqu'à présent pas une n'a manifesté une intention hostile à la loi, ni montré la moindre velléité de résister en quoi que ce soit aux instructions du gouvernement.
Ce point, messieurs, est très remarquable et mérite de fixer l'attention de la Chambre. En effet parmi les commissions provinciales, il y en a dans lesquelles se trouvent en majorité des personnes notoirement attachées à l'opinion catholique, des personnes dont on ne peut suspecter le dévouement complet à l'Eglise, et qui sont les adversaires les plus déclarés de la politique du gouvernement. Eh bien, toutes ont exécuté la loi.
Ce fait, messieurs, est important. D'abord, il prouve que ces administrateurs ont agi comme de bons citoyens ; ils se trouvent devant une loi du pays qui peut ne pas leur convenir ; mais ils l'exécutent et c'est là, messieurs, le devoir qu'il importe que les citoyens comprennent et remplissent dans un pays constitutionnel. Quand des principes ne plaisent pas, on les attaque avant qu'ils soient passés dans la loi, mais quand ils sont passés dans la loi, on ne peut plus y résister. On peut demander la révision de la loi, on peut faire tous ses efforts, par tous les moyens légaux pour obtenir des pouvoirs publics le changement de la législation. Mais tant que la loi existe, on doit s'incliner devant son autorité. C'est ce qu'ont fait ces citoyens ; c'est un hommage que je me plais à leur rendre.
M. Dumortier. - Et c'est ce que vous n'avez pas fait dans la loi du recensement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cette attitude des commissions provinciales des bourses d'étude dans lesquelles la majorité des membres est dévouée à la religion catholique, témoigne aussi qu'elles n'ont pas tenu compte des anathèmes qu'on a dirigés contre une loi du pays.
Personne, pas même les chefs de la religion catholique, ne peut douter de l'attachement de leurs membres à l'Eglise. Eh bien, malgré tout ce qu'on a fait pour provoquer la résistance à la loi, elles n'ont pas reculé et elles sont allées jusqu'à l'exécution judiciaire pour que force reste à la volonté du pays.
C'est, messieurs, une preuve évidente que ces personnes considèrent que la religion n'est en rien engagée dans la loi sur les bourses d'étude, car certainement elles n'accorderaient pas leur concours à une loi qui violerait les droits de la conscience et qui serait contraire à leur foi religieuse.
M. Coomans. - On enterre la réforme électorale.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Coomans dit qu'on enterre la réforme électorale, mais veut-il qu'on enterre le droit d'interpellation des membres de la Chambre ? Des interpellations ont été faites, il faut bien que le gouvernement s'explique.
Je sais parfaitement que les explications que j'ai à donner au pays ne plaisent pas à l'honorable M. Coomans. Mais oublie-t-il qu'au dehors, on fait de l'agitation au sujet des bourses d'étude. Quand on attaque et quand on vilipende le gouvernement et la Chambre ; il faut bien que le gouvernement et la Chambre aient le droit de se défendre.
M. Coomans. - Après la réforme électorale. Voilà ce que vous ne voulez pas !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Du reste, messieurs, hâtons-nous de le dire, beaucoup d'administrateurs spéciaux et même des ecclésiastiques ont exécuté la loi des bourses sans aucune résistance. Il n'a pas fallu de papier timbré pour obtenir ce résultat ; mais nous devons déclarer que depuis la publication du manifeste des évêques, les administrateurs ecclésiastiques n'exécutent plus la loi ; ils ne le feront plus à moins d'y être contraints par la justice.
C'est avec les plus grands égards que la loi est appliquée.
Elle a été promulguée le 19 décembre 1864 et ce n'est qu'à la fin de 1865 que les arrêtés d'envoi en possession ont été signés. Au préalable l'avis des administrateurs spéciaux a été demandé ; un grand nombre n'ont pas daigné répondre. On leur a notifié les arrêtés d'envoi en possession. Sur cette notification ils devaient remettre les pièces et rendre leurs comptes. Mais ces administrateurs spéciaux ne s'exécutant pas, on les mit judiciairement en demeure et c'est seulement après toutes ces formalités et après avoir épuisé tous les moyens amiables que les commissions provinciales ont assigné en justice.
C'est donc à tort qu'on a déclaré dans le manifeste épiscopal que dès fonctionnaires avaient agi avec la plus grande sévérité ; cela est inexact. On a exécuté la loi avec la plus grande douceur, sans précipitation, après avoir consulté toutes les administrations et après les avoir engagées à se conformer aux dispositions légales.
Mais, messieurs, nous avons rencontré chez certains administrateurs la résistance la plus regrettable. Beaucoup d'entre eux ont refusé d'accuser réception des arrêtés qui leur étaient signifiés. Quelques-uns ont adressé aux administrations légales des lettres dont vous connaissez le contenu et dont vous apprécierez la convenance ; d'autres, quand on s'est mis en mesure d'exécuter la loi, se sont empressés de conférer les bourses en dehors même de toutes les prescriptions des actes de fondation.
C'est ainsi, messieurs, que dans une fondation ayant son siège à Tournai un collateur qui ne pouvait agir sans le concours d'une autre personne a conféré des bourses sans l'intervention de son collègue, et les a données à des jeunes gens qui n'étudiaient plus ou qui ne demandaient pas de bourses. (Interruption.)
Voilà le procédé dont on a usé au moment où l'on a demandé la remise des fondations.
Relativement aux bourses de théologie, le gouvernement à fait tout ce que la loi lui prescrivait de faire ; il a envoyé les séminaires en (page 687) possession des bourses affectées à la théologie ; mais nous devons le dire, la loi est inexécutée sous ce rapport.
Les évêques, présidents des bureaux d'administration des séminaires, ont refusé de convoquer ces corps administratifs.
Les séminaires refusent d'administrer les fondations dont la gestion leur a été déférée, de telle sorte que toutes les bourses de théologie sont en ce moment dans une situation illégale, sous la responsabilité évidemment de ceux qui ont été investis par la loi d'un pouvoir et qui refusent de l'exercer.
On a dit, messieurs, qu'en remettant aux séminaires les bourses de théologie, on les a détournées de leur destination.
Est-il sérieux de prétendre que quand on donne aux séminaires des bourses de théologie qui étaient entre les mains d'ecclésiastiques on les a distrait de leur but ? Evidemment non. Ce n'est point pour les affecter à un enseignement impie ou irréligieux ; il est certain que les séminaires conféreront les bourses pour l'étude de la théologie dans les meilleurs établissements ecclésiastiques.
Donc, sous ce rapport, pas le moindre détournement possible.
On dit : Les séminaires ne conviennent pas pour administrer ces fondations. Je ferai remarquer que c'est la première fois que cet argument se produit.
Si, lorsqu'on a fait la loi de 1864, on avait soutenu que les séminaires ne pouvaient gérer le patrimoine des bourses de théologie, il est évident que le législateur et le gouvernement n'auraient fait aucune difficulté pour investir d'autres corps publics de la gestion et de la collation de ces bourses.
Le gouvernement avait intérêt à faire toutes les concessions compatibles avec les principes, qui fussent de nature à satisfaire l'épiscopat sur ce point.
Si l'épiscopat trouve que les séminaires ne sont pas organisés de façon à pouvoir administrer les bourses d'étude, nous sommes prêts à examiner quelles modifications il y aurait lieu d'introduire dans la loi, mais nous constatons que cet argument s'est produit après coup et qu'il n'est venu que lorsque la loi était en cours d'exécution.
Au surplus est-il sérieux de dire que les séminaires ne conféreraient pas les bourses de théologie aussi bien que les anciens collateurs ecclésiastiques ?
Tout le monde sait, et le gouvernement en a la preuve en mains, que les collateurs ecclésiastiques étaient sous le contrôle de leurs supérieurs ; lorsqu'ils conféraient des bourses, ils devaient s'en référer aux évêques.
A propos de la fondation d'Anne Bolskens, un administrateur ecclésiastique répondait qu'il s'agissait d'une fondation religieuse régie selon le concile de Trente et dont, par conséquent, l'évêque diocésain est « le seul interprète ».
Lorsque la ville de Louvain voulut transiger au sujet des intérêts arriérés de certaines rentes dues aux fondations des collèges, les ecclésiastiques, proviseurs de ceux-ci, firent savoir qu'ils ne pouvaient consentir à cette transaction sans une permission spéciale de leur évêque.
Il est, en effet, de jurisprudence ecclésiastique que l'évêque exerce un contrôle supérieur sur toutes les fondations.
Donc, que la collation des bourses de théologie appartînt à des ecclésiastiques individuellement ou aux séminaires, le résultat était tout à fait le même, tout venait se centraliser entre les mains de l'évêque. Le changement introduit par la loi n'offre aucun inconvénient sérieux ; il n'y a là qu'une simple question de détail sur laquelle il eût été bien facile de s'entendre.
La plupart des administrateurs ecclésiastiques ne se soucient pas, du reste, des prescriptions de l'autorité civile.
Les proviseurs-collateurs des fondations du collège d'Arras ne se firent pas scrupule d'avouer qu'ils avaient toujours procédé sans connaître ni les statuts, ni les arrêtés de l’établissement des fondations qu'ils étaient chargés d'administrer.
On a dit qu'on avait enlevé des fondations aux séminaires et aux fabriques d'église. Il est très vrai qu'on a enlevé aux séminaires quelques fondations qui ne concernaient pas exclusivement les études théologiques ; mais combien de fondations leur a-t-on remises ? Leur nombre s'élève à 121. On a dit : On enlève des fondations aux fabriques d'église. Oui, on leur en a enlevé deux, et savez-vous pourquoi ? Parce que dam les deux fondations l'élément concernant l'instruction publique était prédominant.
Tous ces griefs sont donc sans fondement.
Avant d'aborder un autre point, permettez-moi, messieurs, de vous dire un mot des petits séminaires, et de faire justice d'un reproche articulé contre la loi du 19 décembre 1864.
On a soutenu que la loi de 1864 avait réagi contre la législation du roi Guillaume. Sous l'empire de cette législation, a-t-on dit, les petits séminaires avaient la personnification civile, et voilà le gouvernement, un gouvernement impie, qui vient leur enlever ce privilège !
Or, je le demande à tous les hommes de la droite, y a-t-il quelqu'un capable de soutenir une pareille thèse ? On vient prétendre que la loi des bourses a retiré le privilège de la personnification aux petits séminaires, alors que la loi des bourses ne s'occupe pas de cet objet.
La question des petits séminaires est tranchée par des lois antérieures à celle de 1864. Est-il vrai que, sous le roi Guillaume, la personnification civile était accordée aux petits séminaires ? Pas le moins du monde. Sous le roi Guillaume, nul ne pouvait créer à son gré des établissements d'instruction. Par le concordat de 1829, on a permis aux évêques d'établir des petits séminaires, comme la Constitution de 1830 a permis à tout citoyen d'ouvrir des maisons d'instruction. Mais il s'agissait là d'établissements sans aucune espèce de privilèges. (Interruption de M. Dumortier.)
Vous prétendez que non, M. Dumortier. Mais il faut alors aller plaider devant les tribunaux. Je vais vous lire un arrêt de la cour de cassation qui vous prouvera d'une manière évidente que la loi de 1864 ne s'est pas occupée de cette question, et que la législation du roi Guillaume n'a jamais donné la personnification civile aux petits séminaires. Un arrêt de la cour de cassation du 4 décembre 1865 a décidé la question dans un procès entre le fisc et le petit séminaire de Malines ; le petit séminaire prétendait être un établissement public et ne devoir pas payer l'impôt ; le gouvernement soutint que les(séminaires n'avaient pas le privilège de la personnification civile. Et que dit l'arrêt ?
« Attendu que de même que les édifices du culte, les évêchés et les presbytères, les séminaires ont été compris parmi les établissements qui devaient jouir de l'exemption à raison du but de leur institution ;
« Qu'il résulte des lois organiques qui les concernent que les séminaires sont des maisons d'instruction réservées à ceux qui se destinent à l'état ecclésiastique ; qu'ils ont été considérés, sous ce rapport, comme des établissements d'utilité générale, non productifs de revenus par suite des conditions d'admission des élèves ; et que c'est pour ce motif que les bâtiments du domaine national leur ont été affectés, et que l'Etat, le département ou la province ont été chargés de subvenir à leurs dépenses ;
» Attendu que c'est sans fondement que l'arrêté attaqué assimile, quant à l'exemption de l'impôt, les établissements dits petits séminaires, tels que la liberté d'enseignement permet de les organiser en Belgique, aux séminaires diocésains ;
« Attendu que c'est sans plus de motifs que l'arrêté attaqué invoque les dispositions du concordat du 18 juin 1827 et les arrêtés royaux du 2 octobre de cette année et du 2 octobre 1829 ; que ces dispositions, en supposant qu'elles soient encore applicables, concernent uniquement le droit d'enseigner reconnu à l'autorité ecclésiastique et que ce droit comprenait celui d'organiser des séminaires et d'ouvrir dans ces séminaires des chaires pour l'instruction des élèves :
« Attendu que l'exemption de l'impôt en faveur des établissements dits petits séminaires ne résulte par conséquent d'aucune des lois invoquées. »
M. Dumortier. - Cela n'est pas fondé. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela n'est pas fondé. C'est possible. Il faut aller le dire à la cour de cassation.
M. Dumortier. - Je n'ai pas à examiner les arrêts de la cour de cassation.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous pouvez les examiner, vous avez ce droit. Mais ne venez pas dire que la loi des bourses a fait ce qu'elle n'a pas fait et ce qu'elle n'a pas songé à faire. La loi des bourses ne s'est pas occupée de cette question et ne devait pas s'en occuper. Or, dans le manifeste épiscopal, on laisse croire que c'est la loi des bourses qui a empêché les petits séminaires d'avoir la personnification civile.
Voilà donc, messieurs, un arrêt bien formel et bien clair. Les petits séminaires sont des établissements privés, créés en vertu de la liberté d'enseignement. Ils n'ont jamais eu le caractère de personne civile ni sous le roi Guillaume, ni depuis la Constitution de 1830. Et maintenant, pour attaquer la loi, pour la rendre odieuse, on vient dire que ce que le roi Guillaume a fait pour les petits séminaires, le gouvernement libéral de 1866 l'a défait. Voilà Ce qui est odieux : c'est d'attribuer à une législation ce qui lui est étranger ; c'est de diriger contre elle de prétendus griefs qui se rapportent à une autre législation.
(page 688) Je viens de vous indiquer, messieurs, où en est l'exécution de la loi des bourses. Il me reste à répondre à la partie de l'interpellation de l'honorable M. Funck en ce qui concerne les abus constatés dans l'ancienne gestion des bourses d'étude. C'est, messieurs, vous le comprenez, la partie délicate de ma tâche.
Pas n'est besoin de justifier la loi des bourses devant le pays, le corps électoral a été appelé à se prononcer sur cette loi.
Il l'a approuvée en renforçant la majorité qui l'avait votée. Cette loi repose sur des principes que le monde moderne a admis d'une manière définitive et contre lesquels vous ne réagirez pas. Vous aurez beau revenir au pouvoir, mais, comme pour beaucoup d'autres lois que vous avez condamnées, vous ne pourrez pas, malgré votre désir, toucher à la loi des bourses.
Sans doute, ce n'est pas sans récriminations qu'on opère de pareilles réformes. Ceux qui vivent des abus crient contre ceux qui sont chargés de les faire disparaître.
Mais, messieurs, le temps et les bienfaits constatés d'une pareille réforme finissent par rendre justice à qui le mérite et par faire entrer dans la législation, sans aucune plainte, avec l'approbation de tout le monde, même de ceux qui les ont attaqués, des principes comme ceux qui sont consacrés dans la loi de 1864.
Le gouvernement n'avait aucun désir de mettre à nu les plaies de l'ancienne administration. Mais quelle que soit sa longanimité, en présence du débordement d'injures que l’on déverse sur une loi qui a été votée par les Chambres et qui a été promulguée par le pouvoir exécutif, il importe évidemment de faire naître la lumière sur tout ce qui s'est passé, et de montrer où est la vérité.
On accuse cette loi non seulement dans la presse, mais tous les jours dans les chaires de vérité. Tous les jours des prêtres sont signalés au gouvernement comme s'étant servis des termes les plus durs contre l'autorité et malgré les demandes du parquet, le gouvernement a toujours refusé de lui laisser exercer des poursuites en pareilles circonstances ; il trouve qu'il n'a rien à craindre d'attaques au-dessus desquelles il est beaucoup trop élevé.
Messieurs, on accuse la loi des bourses d'avoir outragé la justice, d'avoir volé le bien des familles, et l'on se tairait quand on a la preuve que cette loi n'est qu'une loi de réparation, de justice et de bonne administration !
Nous eussions préféré le silence ; on nous a forcés de parler ; nous n'acceptons pas la responsabilité de la réouverture du débat qui devait être considéré comme clos.
Nous allons faire devant vous l'histoire des abus des anciennes administrations, et vous verrez combien peu on est fondé à dire que la loi de 1864 a détourné les fondations de leur but, et quels sont ceux qui ont substitué à la volonté des fondateurs leurs désirs et leurs intérêts.
Les renseignements que je vais avoir l'honneur de donner à la Chambre sont, je le pense, exacts ; ils ont été relevés avec la plus grande impartialité tant par les fonctionnaires de mon département que par quelques commissions provinciales.
Il est possible, probable même que quelques erreurs se sont glissées dans un travail aussi long ; mais si des inexactitudes ont été commises, elles l'ont été de bonne foi.
Ces renseignements sont incomplets. Il est évident qu'avec la résistance que nous avons rencontrée, nous sommes dans l'impossibilité de donner l'histoire complète de tous les abus des anciennes administrations.
Beaucoup de papiers, beaucoup de titres ne sont pas restitués ; ensuite il a été impossible de dépouiller jusqu'ici tous les papiers qui ont été rendus. Des abus nouveaux nous sont signalés tous les jours, mais l'histoire de ces abus est déjà assez longue pour qu'on puisse la faire connaître à la Chambre.
On demande, et c'est là un argument auquel je veux répondre à l'avance, on demande comment il se fait que ces abus n'aient pas été signalés dans les rapports des députations permanentes. Les députations permanentes étaient chargées du contrôle des fondations des bourses : et cependant, dit-on, on ne remarque rien dans leurs rapports.
Cela se conçoit. La plupart des députations permanentes n'ont jamais eu que des bribes de comptes ; on n'indiquait pas tous les capitaux employés ; on faisait passer éternellement les mêmes chiffres sous les yeux des députations permanentes. Au surplus, les députations se sont plaintes ; elles ont demandé une nouvelle loi ; elles ont déclaré que le contrôle était inefficace.
Quand une députation permanente trouvait une administration en défaut, elle ordonnait au proviseur de plaider ; le proviseur n'agissait pas ; il disait qu'il n'avait pas d'argent pour soutenir un procès.
Comme les députations permanentes ne pouvaient pas accuser les administrations spéciales de malversations et de détournements qu'elles n'avaient pu constater, la répression des abus était le plus souvent chose impossible.
Au surplus, quelles serait la valeur de l'argument auquel je réponds ? En supposant que les anciens administrateurs spéciaux eussent été assez habiles pour cacher les abus aux députations permanentes, ces abus n'en existeraient pas moins, et pourriez-vous les détruire en me répondant que les députations permanentes ne les ont point connus ?
Messieurs, quand on a remis les pièces on constata, notamment dans le Hainaut, que le plus grand nombre des administrations spéciales ne possédaient pour tous documents qu'un registre dans lequel étaient inscrits indistinctement les actes d'administration et de collation ; les chassereaux que devaient tenir les receveurs faisaient généralement défaut ; et si quelques-uns étaient régulièrement tenus, d'autres n'étaient que de véritables chiffons de papier.
Quant aux capitaux, ou tenait en caisse des sommes de beaucoup supérieurs aux besoins courants de la fondation.
Certaines administrations faisaient des placements chez des particuliers ; d'autres achetaient du Crédit foncier, des Langrand-Dumonceau. (Interruption.) Il en est ainsi dans la fondation Desorbais ; on avait acheté des lettres de gage du Crédit foncier.
Dans la fondation Francq, vous avez un échantillon de la manière dont les administrateurs spéciaux déféraient aux invitations des autorités supérieures ; on était en retard de produire les comptes ; sept ou huit lettres de rappel ont été adressées inutilement.
Il y a plus : cette même fondation avait été créée pour deux bourses distinctes ; que faisait-on ? On donnait les deux bourses au même étudiant. (Interruption.)
- Un membre. - Quel était le chiffre des bourses ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Peu importe le montant de chacune des deux bourses ; le principe est le même ; je ne puis pas perdre mon temps à donner des chiffres insignifiants. Si le fondateur a créé deux bourses, il a entendu favoriser deux personnes ; sinon, il n'aurait créé qu'une seule bourse.
Dans la fondation de Martin, les comptes étaient, chaque année, la copie littérale des comptes de l'année précédente, et l'on ne mentionnait jamais les capitaux remboursés dans l'intervalle d'une année à d'autre. Des capitaux remboursés avaient été remployés au nom de la fabrique de l'église.
Le proviseur fit des observations. Savez-vous ce que les administrateurs spéciaux, qui respectent si bien la loi, répondirent ? Ils répondirent : Cela ne vous regarde pas. Voilà le respect de l'autorité ! Quand le comptable eut remis son compte, on constata que par sa négligence des sommes avaient été perdues.
En 1830, le doyen de Saint-Pierre, à Louvain, était proviseur-collateur d'un grand nombre de bourses ; vieux et infirme, il avait abandonné les soins de la collation aux mains d'une espèce de chevalier d'industrie. C'est le véritable nom qu'on doit lui donner. Ce chevalier d'industrie s'attribuait le montant d'une partie des bourses, et quant au restant, il le vendait, moyennant argent, à des personnes qui n'y avaient pas droit.
M. Delcourµ. - En quelle année ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - En 1830.
Tout cela résulte de documents officiels.
M. Delcourµ. - Par qui ont été pillées ces bourses ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis citer des noms propres. Je vous donne les faits, et je vous les donne sous ma responsabilité. Je fournis des explications ; cela vous déplaît évidemment. (Interruption.)
M. Van Overloopµ. - Je demande s'il s'agit du directeur du mont-de-piété de Louvain ?
M. Thonissenµ. - Peut-on voir les pièces ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand vous voudrez les pièces, je vous les produirai devant la Chambre.
M. Delcourµ. - Je demande la publication des pièces. Ce sont des accusations dirigées contre d'honnêtes gens. Je veux la publication des pièces. Alors seulement nous discuterons. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela est charmant. Je demande quel est ici le rôle du gouvernement. Qui est celui qui vous parle ? C'est le ministre de la justice.
M. Thonissenµ. - Il n'est pas infaillible.
(page 689) M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est celui qui, de par la loi, est chargé de contrôler les administrations dont je parle.
M. Thonissenµ. - Quand on accuse, on prouve. Publiez les pièces ; prouvez l'accusation.
MpVµ. - La parole est à M. le ministre de la justice, et je prie de ne pas interrompre. On répondra, si l'on veut.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous prie de vous calmer, car j'ai des faits beaucoup plus forts que ceux-là. Si vous vous lâchez ainsi, je n'oserai pas continuer.
Il fut question d'exercer des poursuites dans cette affaire de Louvain, mais on passa l'éponge. Le doyen était un très honnête homme et il avait été la victime d'un chevalier d'industrie.
M. de Mérodeµ. - Cela peut arriver à tout le monde.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Sans doute, cela arrive à tout le monde, mais surtout aux administrations spéciales.
M. Beeckman. - Et votre administration publique de Louvain ?
M. Thonissenµ. - L'administration du mont-de-piété.
M. Jacobsµ. - Et à Anvers ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous ne les défendons pas. Si à Louvain, si à Anvers il y a eu des administrateurs prévaricateurs, l'autorité a-t-elle fermé les yeux ? Ces fonctionnaires ne sont plus en place, tandis que tous vos efforts tendent à maintenir ce genre d'administrateurs. (Nouvelles interruptions.)
M. Jacobsµ. - Ce n'est pas une question de genre ; c'est une question de personnes.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je fais si peu de ceci des questions de personnes, que les honorables membres ont remarqué que je n'ai pas cité de noms.
M. Jacobsµ. - Ce sont des faits individuels.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ces faits sont tellement nombreux qu'ils prennent le caractère d'un véritable système.
Dans une autre fondation, la fondation Grégoire, il était impossible de réunir les administrateurs. Ils étaient trois, Xavier, Adrien et Anselme, tous trois habitaient des communes différentes. On les convoqua à diverses reprises. Mais quand Xavier se rendait à la convocation, Anselme était absent ; quand Anselme s'y trouva, Xavier déclara « qu'il ne voulait plus se mêler de cette affaire-là. » Dès 1862, le proviseur ne pouvant vaincre la résistance ou le mauvais vouloir des administrateurs offrit sa démission. L'un des administrateurs écrivait entre autres choses au proviseur qu'il pouvait se soustraire aux embarras qu'ils lui occasionnaient, en donnant sa démission ! Après de nouveaux efforts, le proviseur découragé suivit ce conseil.
Pour beaucoup de fondations, les titres ont été perdus, ainsi que les capitaux.
M. Van Overloopµ. - Quand cela ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous indiquerai les faits.
M. Teschµ. - En 1862, à Gosselies.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tandis que des fondations administrées par des communes, telles que les fondations Delcourt et Ducochey, voient doubler leurs capitaux, des fondations gérées par des administrateurs spéciaux perdent leur avoir.
Dans la fondation Counard, administrée par deux ecclésiastiques, on laisse périmer les rentes et les inscriptions hypothécaires, et l'on a dû passer par toutes les exigences des débiteurs qui ne voulaient plus payer ; on a fini par une transaction préjudiciable à l'intérêt public.
La fondation Libert, de Froidmont, possède sept hectares de terre, qui en 1855, étaient loués pour le prix de 1,350 fr. ; en 1864, ces terres furent louées deux cents francs de moins et l'on fit entrer le locataire immédiatement en jouissance, sans soumettre le procès-verbal d'adjudication à l'approbation de la députation permanente.
Dans la fondation Huward, les administrateurs perçoivent, à leur profit personnel, les honoraires de 200 fr. et le receveur reçoit une indemnité de 67 fr. au delà de son denier de recette.
La fondation Guillaume Fauconnier est mentionnée comme ne possédant aucun revenu. Cependant je puis rassurer la Chambre, la commission provinciale espère retrouver les biens de cette fondation.
Les fondations Gilsoux, Delvigne et Gelain sont aussi considérées comme perdues.
D'autres fondations étaient complètement inconnues de l'autorité supérieure ; ce sout les fondations Pierre Recq, à Mons, Nicolas de Bussignies en la même ville ; de l'abbé Bataille, à Marchienne-au-Pont, de Robert Molle, à Louvain et Pierret, à Ransart, etc.
Vous voyez, messieurs, quels inconvénients résultaient de ces administrations ; comptabilité détestable, pas de registres en règle, pas de titres conservés, pas de chassereaux ; les remplois de biens effectués au nom de fabriques d'église ; quand les administrateurs sont infirmes l'administration est abandonnée à des chevaliers d'industrie ; on place mal les fonds, on place les fonds en valeurs de spéculation. C'est la nature de ces administrations d'être essentiellement mauvaises.
Quand on a fait l'histoire des fondations charitables, la même chose s'est rencontrée, on a constaté les mêmes malversations.
Il est évident que quand des individus ne subissent pas le frein de l'autorité, quand ils n'ont aucun compte à rendre, ils tendent à gérer les biens comme leur propriété personnelle, et à en disposer à leur gré.
Un des caractères saillants des anciennes administrations, c'est la résistance à l'autorité supérieure. On s'étonne aujourd'hui que les administrateurs résistent à la loi de 1864, mais ils ont toujours résisté à la loi ; ils ont résisté aux arrêtés du roi Guillaume tout autant qu'à la loi de 1864
Les administrateurs ecclésiastiques prétendent qu'ils ne dépendent pas de l'autorité civile, qu'ils puisent leurs droits dans les testaments, que les testaments n'établissent pas de contrôle et que, par conséquent, ils peuvent administrer les biens de fondation comme ils le jugent convenable. Je vais citer des exemples.
Voyons la fondation de Hautport. Cette fondation est l'une des plus importantes du pays. Les administrateurs prétendirent qu'ils ne se soumettraient à aucun contrôle de l'autorité supérieure parce que le testament ne leur imposait pas cette obligation.
M. Dumortier. - A quelle époque ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vais vous le dire.
M. Dumortier. - Quelle est la date ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous aurez les dates.
En 1846 le gouvernement est dans l'obligation de destituer les administrateurs. (Interruption.)
- Un membre. - Il a bien fait.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il a bien fait, mais les administrateurs n'ont pas été de cet avis, et ils ont refusé de restituer les pièces, absolument comme aujourd'hui, et ils ont dit à leurs successeurs : « Si vous voulez les pièces, venez-les prendre. »
En 1846, notre opinion n'était pas au pouvoir. L'honorable ministre de la justice d'alors, autorisa la fondation à plaider contre les administrateurs destitués.
La fondation gagna son procès, mais ce ne fut pas tout ; les administrateurs appelèrent, et pendant dix ans, de 1846 jusqu'en 1856, on gaspilla les fonds en frais de procédure.
Enfin de guerre lasse, en 1856, on dut transiger. Voilà le beau régime qu'on nous reproche d'avoir supprimé, et à propos duquel on nous accuse de faire des lois qui froissent les consciences et qui violent les droits les plus sacrés.
M. Bouvierµ. - C'est de la mise en scène.
- Plusieurs membres. - Oui, c'est de la mise en scène. C'est très juste.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut avouer que si c'est de la mise en scène les personnages ne sont pas fournis par nous.
Dans la fondation de Jean Lemire, les choses se passèrent avec beaucoup plus de simplicité. Là, depuis bien longtemps, les administrateurs ont rompu toute relation avec l'autorité supérieure. Qu'a dû faire le gouvernement ? Il a nommé en 1862 un administrateur provisoire, mais cet administrateur provisoire n'a pas d'argent pour plaider, le gouvernement n'a pas d'argent à lui donner et l'administrateur ne peut pas plaider à ses propres frais. Il est impossible donc de faire exécuter les arrêtés par les administrateurs.
Les administrateurs, messieurs, agissaient le plus souvent comme ils l'entendaient.
Dans la fondation Duquesne, à Tournai, le curé de l'église de Saint-Brice a longtemps refusé de rendre son compte et lorsqu'il y fut enfin forcé, on découvrit qu'il avait prêté sur simple billet les capitaux de la fondation montant à 9,200 fr.
On lui demanda des renseignements sur un poste de son compte ; il avait remboursé à une institutrice certaines avances qu'elle avait faites.
On le pria de fournir des explications à ce sujet et après bien des pourparlers il adresse la lettre suivante à l'autorité supérieure :
« Quant à la quittance de 101 fr. 51 c., de Mlle Dupretz, que M. le gouverneur ne trouve pas suffisamment justifiée, parce qu'elle n'y a pas donné le détail des avances faites par elle, je regrette de ne pouvoir (page 690) apaiser ses scrupules, car la mort a affranchi cette bonne fille, le 13 de ce mois, de toutes les tracasseries de ce bas monde. »
Voilà donc, messieurs, la manière d'administrer et de rendre compte. (Interruption.)
- Un membre. - L'administrateur de la fondation Duquesne était un homme d'esprit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Parmi les administrateurs spéciaux, il ne manque pas d'hommes qui méritent la même qualification.
Voilà donc des gens chargés de rendre compte ; ils remboursent des avances, on leur demande une justification, ils répondent : « La personne est morte, elle est débarrassée des tracasseries de ce bas monde. » (Interruption.) Il devait se mettre en mesure. Je ne dis pas que le curé ait mis cet argent dans sa poche.
M. Dumortier. - Je vous demanderai de vouloir bien indiquer les villes,
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Mais il me semble que c'est à Tournai. La Chambre a entre les mains le tableau de toutes les fondations avec les divers renseignements que vous demandez. Ce tableau est imprimé ; il est suivi d'une table par ordre alphabétique, vous y trouverez les villes et tout ce que vous désirez savoir.
Dans la fondation Marci de Chassepierre, aucun compte n'avait été rendu depuis 1853 par l'administrateur qui était un ecclésiastique, habitant la commune de Chassepierre. Le curé de cette paroisse fut chargé, en sa qualité de proviseur, d'exercer des poursuites, mais le curé ne voulut rien faire contre son paroissien ; ce n'est qu'à force d'instances nouvelles qu'en 1862 l'administrateur consentit enfin à rendre des comptes.
Depuis 1844, l'administrateur-receveur de la fondation Deleixhe (Liège) n'avait voulu rendre aucun compte, malgré de nombreuses invitations. Sa comptabilité se trouvait dans un état déplorable. Un arrêté du 22 janvier 1850 délégua un commissaire spécial pour régulariser cette comptabilité ; mais le commissaire ne put rien obtenir. En 1856, un nouvel arrêté chargea le proviseur de poursuivre l'administrateur ; mais il ne fut pas donné suite à cet arrêté, et en 1858 l'administrateur n'avait encore fait que des promesses.
Les administrateurs de la fondation Collard, dont le siège est à Ortho, n'ayant produit depuis 1858 ni renseignements ni comptes, malgré des rappels réitérés, on dut, en 1862, autoriser le proviseur à les citer en justice.
Vous voyez donc, messieurs, que le caractère saillant de toutes ces administrations c'est de résister à l'autorité supérieure, de refuser de rendre compte, et, quand on demande des explications, de dire : Je n'ai pas à en donner.
Voici, messieurs, une troisième catégorie de faits. Ils sont relatifs au mode de collation, au respect de la volonté des fondateurs, à la distribution des bourses, au cumul des bourses.
Dans la fondation Wansart, il s'agit d'une bourse créée pour la prêtrise. En 1858, les administrateurs spéciaux, qui respectent toujours la volonté des testateurs, ont conféré la bourse pour les études professionnelles.
J'espère que l'honorable M. Dumortier ne se plaindra pas. La loi de 1864 aura pour effet de donner à la théologie ce qui revient à la théologie.
Dans la fondation Jacques Mahieu, à Elouges, il existe deux bourses. Pendant longtemps on n'en a donné qu'une seule. Le montant de la seconde bourse était employé en œuvres charitables.
C'est encore le respect de la volonté du testateur !
C'est sans doute parce que le testament le prescrit. (Interruption.)
La fondation de Hautport a un revenu de 17,000 fr., qui doit être distribué en bourses d'études aux parents du fondateur, et, à leur défaut, aux jeunes gens pauvres de la province.
Que font les administrateurs ? Ils persistent à ne donner les bourses qu'aux jeunes gens de certaines localités déterminées, et comme ils ne peuvent ainsi les employer toutes, ils thésaurisent. Il ne leur est pas permis de thésauriser au détriment des boursiers.
Dans la fondation Gilles de Brabant, sous prétexte d'absence de candidats, les collateurs ont donné des bourses à d'autres personnes que celles indiquées dans le testament, et le ministre de la justice a dû déclarer ces collations illégales en 1862
M. Dumortier. - Il n'y avait pas un seul parent qui se présentait dans la fondation Brabant, II fallait bien donner les bourses à quelqu'un.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Si l'honorable M. Dumortier n'a que des réponses aussi triomphantes à me faire, il ferait mieux de s'abstenir. Je dis qu'en 1862 M. le ministre de la justice a dû se prononcer sur l'une de ces collations, et il a déclaré qu'elle était illégale.
Dans la fondation Biseau, on donne pendant plusieurs années une bourse à une personne qui, d'après le testament, n'y avait pas droit.
Dans la fondation Colin, un étudiant toucha, pour la même année scolaire (1858-59), une bourse pour étudier au petit séminaire de Bonne-Espérance et une autre bourse pour étudier au séminaire de Tournai ; il avait le don d'ubiquité, celui-là.
Il y avait des boursiers, messieurs, qui touchaient trois et quatre bourses à la fois.
Ainsi, un boursier toucha une bourse de 450 fr. pour étudier au petit séminaire de Bonne-Espérance, et une bourse de 450 fr. pour étudier la théologie au séminaire de Tournai.
Un autre boursier toucha des bourses sur quatre fondations, dont deux ont leur siège dans la province d'Anvers et deux dans la province de Brabant ; ces bourses s'élevaient ensemble à 1,264 fr.
Un élève de l'Université de Louvain toucha une bourse de 500 fr. de la fondation Thomassen, et une bourse de 650 fr. de la fondation de Hautport.
Un élève a obtenu, pour étudier à Bonne-Espérance, 650 francs de la fondation de Hautport, et 400 francs de la fondation Deramaix.
M. Julliot. - S'il était le plus proche parent ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Il faut savoir s'il était le seul parent. Les bourses, en tout cas, ne peuvent dépasser le montant des frais de l'enseignement, et elles doivent être distribuées avec équité
M. Delcourµ. - Est-ce en qualité de parent ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Peu m'importe que ce soit en qualité de parent, les cumuls sont contraires à la loi et ne se produiront plus.
Un élève a reçu, comme natif d'Ath, une bourse de 650 fr. de la fondation de Hautport, et 125 fr. de Ghistelles pour étudier au petit séminaire de Bonne-Espérance.
Deux étudiants de la ville d'Ath ont obtenu chacun une bourse de 650 fr. sur les revenus de la fondation de Hautport, et une bourse de 330 fr. de la fondation de Houst, ensemble 980 fr., pour étudier la théologie au séminaire de Tournai.
Plusieurs jeunes gens touchaient des bourses différentes sous des prénoms différents.
Un boursier a touché une somme totale de 7,800 fr. pour étudier la pharmacie. Il est probable qu'il aura gagné plus à étudier sa profession qu'à l'exercer.
M. Orts. - C'est un compte d'apothicaire cela.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela ne pouvait manquer sous un pareil régime. On donnait les bourses à la faveur, aux intérêts de parenté.
Il y a plus : à Tournai on refusait des bourses de métier à des gens qui étaient dans la misère, pour les donner à des individus appartenant à des familles très riches.
M. Dumortier. - Cela n'est pas probable.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je l'affirme.
M. Dumortier. - C'est qu'il y avait un grave motif.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Un autre inconvénient, et celui-là a déjà été signalé, c'était la protection au profil de l'université de Louvain et des établissements religieux.
La Constitution de 1830 a proclamé la liberté de conscience et la liberté d'enseignement.
Il est évident que la conséquence la plus immédiate de cette proclamation était le droit pour les boursiers d'aller étudier où ils voulaient, et non pas selon la volonté prétendue du fondateur.
C'est ainsi que nos adversaires ont compris la loi ; car nous avons vu, sous le ministère De Decker, les 60 bourses appartenant aux universités de l'Etat être distribuées aux quatre universités du pays. Le ministère De Decker a déclaré qu'en vertu de la Constitution les bourses devaient être données aux boursiers pour étudier où ils voulaient.
M. Jacobsµ. - Celles du gouvernement.
(page 691) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez proclamé le principe de la liberté du boursier et vous n'en voulez plus quand il s'agit de fondations. Vous inventez alors que l’ancienne université de Louvain a pour héritière l'université actuelle.
Qu'arriva-t-il ? C'est que dès que l'université catholique fut installée, le collège échevinal de Louvain écrivit en 1839 à M. Crassaert, collateur de bourses, que les élèves de l'université de Louvain avaient un droit absolu de préférence à toutes les bourses fondées près de l'ancienne université.
Les collateurs décidaient que les boursiers étudieraient à Louvain.
Des jeunes gens ayant droit à des bourses durent passer par cette condition. C'est ce qui a eu lieu pour des bourses des fondations Van T'Sestich, de Batty, Milius, Haywegen, etc.
M. Delcourµ. - Dans l'affaire de la fondation van T'Sestich, les collateurs ont consulté au préalable trois jurisconsultes et notamment M. Forgeur.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne dis pas que vous n'ayez pas consulté trois jurisconsultes, mais je dis que vous avez exercé une pression, et c'est pour avoir raison de ces jurisconsultes et empêcher cette pression, qui est contraire à l'esprit de notre Constitution, que la loi de 1864 a été faite.
M. Delcourµ. - M. de Luesemans était un des collateurs...
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ils étaient trois...
M. Delcourµ. - Vous voyez donc bien qu'ils n'ont pas violé la Constitution (Interruption.)
M. Teschµ. - Cela ne prouve rien.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je le demande, n'est-ce pas un bien que d'avoir soustrait les boursiers à cette pression ? Vous ne pouvez pas soutenir que l'université catholique est l'héritière de l'ancienne université de Louvain, et ce n'est que par une série de sophismes que l'on arriverait à le démontrer.
Eh bien, je le répète, n'est-ce pas un bien, n'est-ce pas un progrès que d'avoir affranchi l'étudiant de celle pression, de ne pas l'avoir maintenu entre son intérêt et sa conscience ? (Interruption.)
Pour arriver à prétendre que la loi de 1864 est contraire à l'esprit des fondateurs, vous êtes obligés de présenter tous les établissements publics comme des sentines d'impiété, comme des foyers de pestilence, comme des endroits immondes. Est-ce sérieux ?
Passons maintenant à un ordre de faits beaucoup plus graves. (Interruption.)
Ces faits sont déplorables ; il est triste de devoir mettre à nu toutes les plaies des anciennes administrations. Mais c'est notre devoir. Comment ! les administrations spéciales relèvent la tête, elles veulent s'imposer au pays ; le problème des administrations spéciales n'est pas résolu ; le parti catholique conserve toujours dans son programme le rétablissement de la mainmorte et des couvents, et il ne nous serait pas permis de faire connaître ce que produisent les administrations spéciales ?
- Voix à droite. - Allons donc !
- Voix à gauche. - Oui ! oui !
M. de Borchgraveµ. - Vous ne croyez pas un mot de ce que vous dites.
M. Dumortier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Il y a dans le règlement un article sacramentel qui porte que toute imputation de mauvaise intention est interdite. Or, M. le ministre est venu dire ici que nous voulons rétablir la mainmorte et la dîme... (Interruption.) C'est une chose odieuse.
M. Goblet. - Prouvez le contraire. (Interruption.)
MpVµ. - La parole est à M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je comprends que vous vous fâchiez (Interruption.) Vous voudriez avoir le bénéfice de l'attaque... (Interruption.) Comment ! le gouvernement et les chambres, tous les pouvoirs publics sont représentés comme des voleurs de bourses, et quand nous venons vous dire que ce sont des mensonges vous criez : Comédie ! La comédie n'est pas ici, elle est à l'extérieur ; ici il n’y a que d'honnêtes gens qui se défendent. Est-ce là ce qui soulève la colère de M. Dumortier ? Je lui ai dit que le procès des administrations spéciales n'était pas jugé ; est-ce vrai, oui ou non ? est-ce que vous en seriez venu à rejeter les propositions de 1857 de M. Nothomb, est-ce que vous en seriez venu à déclarer que les principes du projet de loi de M, Nothomb sont mauvais ?
M. Dumortier. - Vous avez dit que nous voulions le rétablissement de la mainmorte.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment.
M. Nothomb. - S'il y a jamais eu un projet qui a voulu supprimer la mainmorte, c'est le projet de 1857.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - En rétablissant les administrations spéciales ; c'est peut-être un moyen comme un autre, mais il n'est pas à la hauteur de mon intelligence.
J'ai dit qu'on voulait rétablir la mainmorte parce que les mots « administrations spéciales » sont synonymes de mainmorte. Les administrations spéciales, c'est la multiplication, l'extension de la mainmorte, c’est le régime d'avant 1789 où les corporations étaient propriétaires des deux tiers du territoire du pays.
Quant au rétablissement de la dîme, je n'en ai pas parlé ; si M. Dumortier veut attaquer la dîme, il n'a qu'à retourner à Rome ; mais cela ne me regarde pas. (Interruption.)
Au décès de l'administrateur-receveur des fondations du collège de Breugel à Louvain, on trouva les archives en très mauvais état, des rentes étaient prescrites et il n'y avait pas un centime en caisse. Or, il résultait des notes tenues par l'administrateur lui-même qu'il avait reçu 2,015 fr. sur lesquels il n'avait dépensé que 111 fr.
Dans la fondation Adriaenssens, l'administrateur a gardé des intérêts arriérés qu'il avait reçus pendant un grand nombre d'années.
La fondation Quewet a perdu sa dotation par la négligence des administrateurs ; il fut décidé que ceux-ci seraient poursuivis, mais il ne fut pas donné suite à ce projet parce qu'il fut démontré que les administrateurs avaient été de bonne foi.
Un curé qui était administrateur de la fondation Wauthier, vendit successivement en son propre nom les propriétés immobilières de la fondation consistant en 21 hectares de terre ; il laissa sa nièce comme héritière.
M. Delcourµ. - En quelle année ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous marquerai l'année si vous voulez.
En 1834, on découvrit la fraude et on assigna la nièce en justice pour lui faire rendre ce qu'elle avait hérité de son parent.
On plaida pendant plusieurs années, et par arrêt de la cour de Liège du 14 juillet 1841, l'héritière fut condamnée à rendre ses comptes.
Mais des prescriptions avaient été acquises et après une longue procédure on dut passer par les exigences de l'héritière ; en 1851 on transigea pour une somme de 10,000 fr.
Ce fut donc au détriment de l'intérêt public, de l'intérêt des boursiers que tous ces faits furent posés.
M. Delcourµ. - En quelle année furent-ils posés ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - On vous le dira ; mais cela ne fait absolument rien.
M. Delcourµ. - Je veux contrôler vos accusations. Je demande des renseignements.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je vous donné l'année de l'arrêt de la cour de Liège, mais je ne vous livrerai pas des noms propres et des noms de famille outre mesure. Je vous donne les faits sous ma responsabilité et de celle de mes fonctionnaires.
M. Dumortier. - C'est-à-dire que vous voulez être cru sur parole.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cela n'est pas sérieux, je vous dis qu'il y a un procès, et je vous cite l'arrêt.
Dans la fondation Meloz, le receveur tombe en déconfiture et laisse un déficit de 2,300 fr. dont on récupère, contre les administrateurs ou leurs héritiers, une somme de 1,720 fr., à la suite d'une transaction faite en 1836.
En 1841, le receveur de la fondation de Névraumont était tombé en déconfiture laissant un déficit de 1,621 fr. 30 c.
Le receveur de la fondation de Beauvarlet a dû être assigné en justice en recouvrement des sommes dont il était reliquataire envers la fondation. Il était insolvable, et sans l'intervention volontaire du fils de l'ancien receveur, la fondation perdait ses capitaux.
En 1846, l'administrateur de la fondation Van Hulle tombe également en déconfiture, laissant un déficit de 1,125 fr. Son gendre reprend l'administration et la quitte à son tour, en laissant un déficit de 2,914 fr.
Jean Ariens avait fondé une bourse qui, au besoin, pouvait servir de titre presbytéral. Le titre presbytéral était un revenu que l'on donnait à un prêtre qui avait fini ses études et qui n'était pas encore placé. C'était en quelque sorte une position d'attente. Eh bien, il y a un prêtre, (page 692) le sieur Wauters, qui a joui de ce titre pendant quarante-quatre ans (de 1794 à 1838.) (Interruption.)
M. Vilain XIIIIµ. - Il n'était pas devenu curé !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable comte Vilain XIIII dit qu'il n'était pas devenu curé. Mais le doyen de Peer, qui était curé, en a joui pendant douze ans (de 1838 à 1850). Quoique curé doyen, il a joui pendant douze ans de cette bourse qui avait été fondée pour de pauvres ecclésiastiques, ne mendicant in opprobrium cleri, afin qu'ils ne mendient pas à la honte du clergé. Certes, le doyen de Peer n'était pas dans une position à devoir tendre la main.
Voilà comment administraient ces administrateurs spéciaux que vous chérissez tant.
M. Bouvierµ. - Et l'on crie au vol !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Barthélémy Van der Eecken a fondé, à Grimmingen, une école primaire. L'instituteur a droit à la jouissance de la maison d'école et d'une partie des revenus de la dotation. Il avait l'administration et la direction de tous les biens, sans pouvoir les aliéner ni les grever. Quant aux arbres croissants sur les biens, il n'avait que le produit de l'élagage.
La fondation fut rétablie en 1846 En 1863, on constata que le titulaire commettait des abus ; qu'il abattait les arbres sans nécessité aucune, qu'il négligeait les plantations, qu'il refusait la reddition de son compte, et qu'il s'appropriait tous les revenus de la fondation. Il fit mieux ; il alla habiter une ferme située à une grande distance, et il fit tenir l'école par un de ses enfants.
Non seulement on constatait ces abus, qui sont très graves, mais il y avait, en vertu des anciennes administrations, de véritables majorats constitués au profit des familles ; c'était un moyen de faire ce que le Code civil ne permettait pas et de maintenir des fidéicommis non seulement au profit des familles, mais au profit de tiers. Ainsi, dans la fondation de Dumont (Luxembourg), l'administrateur distribue 1,200 à 1,300 fr. de bourses et perçoit, à titre d'indemnité, un revenu de 1,950 francs. Cela se pratiquait encore en 1864.
M. Dumortier. - Par testament.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui, mais vous oubliez que les arrêtés de 1818 et de 1823 s'y opposent.
M. Dumortier. - Le gouvernement n'avait-il pas approuvé ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Non, le gouvernement n'avait pas approuvé ; depuis longtemps il a donné des instructions pour mettre un terme à ces irrégularités.
Mais comme l'administrateur est Français et habite la France, il est difficile d'exécuter à son égard les lois belges.
M. Jacobsµ. - Dans ce cas, vous ne pourrez encore l'atteindre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est ce que nous verrons ; nous aurons peut-être un moyen.
Dans la fondation Franck, c'était un curé qui était administrateur, et il a disposé de tous les fonds.
On ne dira pas que j'invente. Il est parti avec la caisse et avec les livres, plus rien n'a été retrouvé.
Du reste, le desservant de l'église de Villers-la-Bonne-Eau, auquel on écrivait, répondait à la date du 15 février 1851 : « Je suis fâché de ne pouvoir vous donner les renseignements demandés touchant la dilapidation des revenus de la bourse en question. Eu entrant à Villers, je n'ai trouvé ni registres de cure, ni de la fabrique. Vous avez entendu dire aussi comment s'est comporté M. Dupuis en sortant contre son gré ; on l'accuse de toutes ces supercheries. Il est mort. Requiescat in pace. » (Interruption.)
C'est déjà la deuxième fois que la mort délivre les administrateurs spéciaux de la nécessité de rendre compte. C'était un moyen facile pour un administrateur, lorsqu'on voulait connaître la gestion de son prédécesseur, que de répondre à l'administration supérieure : Requiescat in pace. Je n'ai pas l'intention de troubler le curé Dupuis dans sa tombe, mais il importe d'empêcher qu'il n'y ait plus de nouveaux curés Dupuis et c'est pour cela que la loi a été faite. Si l'on avait pu contrôler le curé Dupuis, si l’on avait eu une administration surveillée efficacement par les pouvoirs publics, il est évident que les revenus de la fondation Franck n'auraient pas été dilapidés comme ils l'ont été.
Le capital de la fondation Hertzig (Luxembourg) pouvait s'élever à environ 8,000 fr. Ce capital est complètement perdu.
Quant aux immeubles, le receveur qui était en fonctions en 1836 en fit donation à la famille. Une instance fut engagée, et par jugement du 6 mai 1852, les droits de propriété de la fondation furent reconnus.
En 1849, le nouveau receveur loua les biens à son frère par bail perpétuel et pour un prix très minime. Les héritiers du locataire prétendent maintenant que ces biens leur appartiennent.
Dans la fondation Marci, à Chassepierre, il y avait une dotation en immeubles d'une valeur de 200,000 fr. environ. Les revenus de cette fondation devaient être employés à aider des jeunes gens à faire des études primaires, moyennes et supérieures. Cette fondation devait être dirigée par un ecclésiastique.
Un beau jour, il plaît au neveu du fondateur, lequel administrait la fondation, de dire : Il n'est pas bon de favoriser les études moyennes et supérieures ; elles corrompent la jeunesse ; supprimons ces études ; pour exécuter probablement la volonté du fondateur, on n'enseignera plus que les études primaires.
Et quel est l'état des choses ? Le compte de 1864 accuse une recette de 32,800 francs et il n'est dépensé au profit des élèves que 269 francs !
C'est là le sublime du genre. Devant des faits de cette espèce, ce n'est pas à nous qu'on doit adresser le reproche d'avoir détourné les biens de leur destination. (Interruption.)
M. Teschµ. - 'administrateur n'a pas rendu ses comptes depuis 1853.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pardon, en 1862, l'administrateur a rendu les comptes de 1853 à 1860. Je ne l'accuse pas de dilapidation ; il dit qu'il employait les fonds non consacrés aux études à l'amélioration des propriétés bâties et non bâties de la fondation. Je pense qu'il eût beaucoup mieux valu qu'on donnât l'argent aux pauvres pour étudier.
Vous voyez, messieurs, qu'il y avait des faits graves, des abus vraiment scandaleux.
Dans la fondation Thomassen (Hainaut), on vit par le compte de 1859, que les anciens administrateurs avaient constitué une rente au profit d'une religieuse ; c'était sans doute encore par respect pour la volonté du fondateur.
La fondation Van Rivieren, cachée depuis 1795 jusqu'en 1832, est perdue, des parents du fondateur ont retenu les biens.
L'administration de la fondation Capitte, à Malines, n'admettait depuis longtemps qu'un boursier alors que la fondation avait institué deux bourses. De plus, l'administration appliquait le reliquat des comptes annuels aux frais généraux du séminaire de Malines.
Dans la fondation Stevens-Verdonck, les administrateurs ont vendu tous les immeubles à leur profit. Les rentes ont été également détournées. (Interruption.)
Je ne saurais vous dire, en ce moment, quand les biens ont été vendus ; mais il est positif qu'ils l'ont été...
M. Thonissenµ. - Je demande à M. le ministre de la justice si les faits qu'il cite sont antérieurs ou postérieurs à 1823.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Plus tard, dans cette fondation Stevens on découvrit qu'un des parents avait conservé une rente de 67 francs ; on la lui a réclamée ; il a fini par transiger. Singulière transaction ! Quand on jouit d'un bien qui n'est pas à vous et qu'on doit le rendre, on appelle cela une transaction !
Très souvent les bourses étaient employées à l'entretien d'établissements religieux et de couvents. Ainsi, au séminaire de Tournai, dans les fondations du chapitre, en remettait les bourses, non pas aux élèves, mais directement au président du séminaire, on faisait des quittances en blanc, il y avait des jeunes gens qui avaient des bourses à leur insu et à l'insu de leurs parents ; ils croyaient probablement que c'était par charité qu'on les admettait au séminaire.
Dans la fondation Jacquet, les administrateurs, institués en 1838, par l'arrêté du l’établissement, avaient non seulement installé les petits frères dans l'école primaire créée par le fondateur, mais ils avaient laissé absorber par ces religieux tout le revenu des bourses d'étude moyennes et supérieures.
La demoiselle Van Zuntpeene, dame de La Motte, avait créé une école-atelier où les jeunes filles pauvres recevaient l'instruction primaire et apprenaient à faire des dentelles.
A la révolution, les biens furent confisqués.
Plus tard on reconnut que ces biens étaient aux mains d'une corporation religieuse, et ce n'est qu'en 1840 qu'on parvint à obtenir les comptes de cette corporation.
Et savez-vous ce qui est arrivé ? L'institution a perdu presque entièrement son caractère d'école ; sur onze ou douze heures que les enfants y passent chaque jour, ils ne reçoivent l'instruction que pendant une heure, et seulement de jour à autre.
(page 693) Il y a 25 sœurs pour 250 jeunes filles environ dans un établissement qui, d'après l'octroi primitif, ne pouvait avoir plus de 4 institutrices sans une permission expresse du souverain. Le nombre des institutrices fut ensuite porté à 8, puis à dix.
La fondation Verbessems, à Molhem-Bollebeek, offre un exemple tout aussi curieux ; elle a été créée en 1831 à l'effet d'établir une école et un atelier de travail pour les pauvres de la commune.
L'établissement est converti en couvent avec pensionnat de demoiselles où il y a 11 ou 12 religieuses ou novices, tandis que le nombre des filles pauvres qui fréquentent l'école n'est que de 62.
Ainsi encore, un sieur Pottier avait créé à Rumes une fondation au profit d'une école. Trois curés en étaient les administrateurs. Qu'a-t-on fait ? On a remis aux sœurs de la Sainte-Union les biens appartenant à l'école ; celles ci ont, à leurs frais, rebâti l'école, mais en y annexant un couvent.
Voyons maintenant la fondation de Borgreeff qui a été érigée à Louvain.
M. Delcourµ. - C'est ici que je vous attends.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - D’après les actes constitutifs de la fondation, les bourses étaient applicables à l’étude des humanités, à partir de la syntaxe, de la philosophie, de la théologie et du droit.
Prenez bien note de ce point.
Nous allons voir, vous qui voulez qu'on respecte avant tout la volonté du testateur, vous qui dites qu'il n'y a pas de loi qui puisse valoir contre un testament, vous allez voir comment on a respecté ici la volonté du testateur.
Des statuts donnés en 1731 par Marie-Elisabeth, gouvernante des Pays-Bas autrichiens, ajoutèrent l'étude de la médecine aux études que je viens d'indiquer. Ce qui prouve que les anciens souverains ne se faisaient pas scrupule de régler la constitution des fondations, et d'apporter à la volonté des testateurs les modifications motivées par l'intérêt public. La loi de 1864 n'est pas allée jusque-là ; elle respecte la volonté des testateurs en ce que l'affectation des bourses est maintenue conformément aux testaments.
Pendant la révolution, les biens de la fondation Borgreef restèrent en la possession de la famille qui conféra les bourses jusqu'en 1800. Plus tard savez-vous ce qu'elle fit ? Elle se présenta devant l'empereur et obtint un décret par lequel la famille faisait, en son nom, donation de ces bourses au profit exclusif des étudiants de quatre séminaires. Ainsi voilà des biens qui, d'après la volonté du testateur, avaient été affectés à des études pour la théologie, la philosophie, les humanités et le droit, les voilà, par un acte nouveau et par un décret de l'empire, affectés à l'étude de la théologie.
M. Delcour. — Savez-vous de qui il s'agit ? De M. le baron de Peuthy.
C'est la famille de Peuthy que vous traînez ici à la barre. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'observation de l'honorable M. Delcour n'est nullement fondée. D'abord je lui ferai remarquer que je ne traîne pas à la barre la famille de Peuthy.
M. Delcourµ. - Comment ! Elle s'est emparée des biens d'une fondation qu'elle administrait.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas dit cela, vous êtes dans l'erreur. J'ai dit qu'elle s'était présentée devant l'empereur et qu'elle avait obtenu un décret par lequel elle affectait les bourses à un autre but que celui déterminé par les anciens statuts. Les bourses primitives devaient servir à l'étude de la théologie, de la philosophie, des humanités et du droit, et au lieu de cela, elles furent uniquement affectées à l'étude de la théologie dans quatre séminaires du pays.
M. Dumortier. - Ces biens avaient été confisqués.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et quand la révolution était passée, on n'aurait pas dû les restituer à leur destination primitive ? Comment ! Vous vous feriez les complices et les imitateurs de 89.
M. Dumortier. - Les complices de 89, c'est vous.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous proclamez sans cesse qu'avant tout, on doit respecter la volonté des testateurs, et voilà que, pour vous justifier, vous êtes obligés de faire appel à 89 et à 93.
M. Dumortier. - Lorsque les biens avaient été confisqués et que la famille a cherché à les enlever à la confiscation, elle a bien fait ; sans cela, ces biens auraient été réunis au domaine.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je suis curieux d'entendre cette morale qui consiste à prouver que 89 a affranchi toutes les administrations spéciales de leurs obligations parce que leurs biens avaient été confisqués.
M. Dumortier. - Ils n'ont pas tous été confisqués.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Confisqués ou non, je vous dis que ces biens avaient une destination, d'après la volonté du testateur. Eh bien, vous qui venez constamment plaider le respect de la volonté des testateurs, vous n'avez pas le droit d'invoquer la révolution de 89.
M. Thonissenµ. - C'est un acte de l'empereur des Français, cela ne nous regarde pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'engage beaucoup l'honorable M. Thonissen à ne pas parler ici de l'acte de l'empereur. Car je lui démontrerai que beaucoup d'autres personnes et notamment un évoque l'ont imité.
Je dis donc que ces bourses furent affectées désormais à quatre séminaires, Evidemment la famille n'en a pas profité ; mais les conditions du testament ont été changées et les bourses ont été détournées au profit des séminaires.
Arrivons à d'autres faits.
Il y avait à Herve une corporation enseignante. La révolution s'empara des biens des corporations enseignantes. En 1830, M. de la Coste, conformément aux lois existantes, remit ces biens à la régence de Herve pour servir à l'établissement d'une école moyenne. L'honorable M. Dumortier dit : Très bien ; la confiscation a passé là-dessus ; la loi en dispose. Mais comment qualifier l'acte de l'honorable comte de Theux qui, en 1835, va enlever les biens à la régence de Herve pour les donner à un couvent de récollettines, qui n'y avait aucune espèce de droits ? (Interruption.)
Nous allons probablement les reprendre maintenant aux récollettines. Vous crierez au voleur ! mais pourquoi n'avez vous pas crié au voleur en 1835 lorsqu'on enlevait ces biens à la commune de Herve ? C'était alors qu'il fallait crier. L'honorable comte de Theux, qui prenait un arrêté pour donner ces biens aux récollettines, agissait loyalement, je n'en doute pas, mais il était complètement dans l'erreur. En 1856, l'honorable M. Nothomb s'est trouvé dans le même cas et il n'a pas imité l'honorable comte de Theux. En effet, les sépulcrincs avaient à Jupille un établissement d'enseignement. Qu'est-il arrivé ? Si l'on avait suivi la thèse de l'honorable M. de Theux, on aurait dû rétablir cette corporation enseignante. Que fit l'honorable M. Nothomb, d'accord avec l'honorable M. de Decker ? Il déclara que la loi sur l'enseignement public devait avoir force et vigueur et que les biens des anciennes sépulcrines devaient être attribués à la commune.
Que fait la loi de 1864 ? Elle n'a pas d'autre but que de réagir contre ce que M. de Theux a fait, de faire ce que l'honorable M. Nothomb a fait ; c'est de reprendre aux établissements qui ont été mis indûment en possession, les biens qui appartiennent à l'instruction publique.
L'honorable comte de Theux ne pourrait à aucun point de vue justifier cet acte, et je dois ajouter que, dans cette occasion, il a été condamné par tous les hommes sérieux de son parti.
M. de Theuxµ. - C'est vous qui le dites ; mais je n'accepte pas votre condamnation. Voulez-vous que l'on discute ici les actes d'une longue administration ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cet acte a été longuement étudié...
M. de Theux. — M. le ministre de la justice vient parler ici de centaines de faits. La session ne serait pas close au moment des élections, s'il fallait discuter tous ces faits.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Cette affaire des récollettines de Herve, l'honorable comte de Theux l'a très bien examinée et il doit la connaître parfaitement.
C'est une de ces graves questions sur lesquelles on ne se décide pas à la légère et je n'admets pas que lorsqu'un fait pareil est rappelé, on vienne répondre : Je ne m'en souviens plus. Cet acte a eu assez de retentissement ; tout le conseil communal de Herve a donné sa démission à cette occasion.
Ainsi, voilà des domaines de l'Etat que sans aucune raison l'on donna à un couvent, à une corporation religieuse ! Eh bien, la loi de 1864 a pour but de rendre à la commune, pour l'instruction des enfants pauvres, les biens qui leur reviennent. Et c'est cette loi qu'on traite de spoliatrice !
On a cité comme un modèle la fondation de Terninck à Anvers. Le fondateur avait établi une maison d'instruction et avait déclaré que cette maison ne pouvait être convertie ni en couvent ni en établissement sentant le couvent. Il avait dit que le nombre des élèves serait de 60 à 70 et (page 694) que ce nombre pourrait être augmenté avec le développement du capital.
Il avait, en conséquence, permis d'élever le nombre des maîtresses jusqu'à 40 ; mais ce nombre, cela va de soi, devait toujours demeurer en harmonie stricte avec les besoins de l'enseignement.
Or, depuis 1840 à 1864,1e nombre des religieuses varie de 22 à 27,et le nombre des élèves de 69 à 73.
M. Delaetµ. - Il n'y a pas de religieuses dans l'établissement.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Des maîtresses, si vous voulez.
M. Delaetµ. - Votre mise en scène ne réussira pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est ce qui vous prouve la justice de la loi, c'est qu'elle ne s'occupe pas de savoir s'il s'agit de religieuses ou d’autres institutrices. (Interruption.) Je vous laisse tout le mérite de cet éclatant triomphe.
Voici, messieurs, un autre fait qui ne manque pas d'intérêt. Il y a, à Liège, une fondation qui avait été créée vers le milieu du XVIIème siècle par une communauté de sépulcrines, connue sous le nom de dames anglaises. Les biens furent nationalisés par la révolution. Un arrêté royal de 1828 les soumit au régime des arrêtés de 1818 et de 1823 sur les bourses d’étude. Le ministre de l'intérieur fut chargé de dépenser le revenu en bourses de 300 florins au plus. Qu'est-il arrivé ?
Il y avait à Liège un couvent de bénédictines, qui avait été reconnu par le roi Guillaume comme communauté enseignante. Ce couvent était dans la gêne ; il ne faisait plus ses affaires, il ne pouvait plus se soutenir. Les bénédictines jetèrent un œil de convoitise sur les biens de l'ancienne communauté des sépulcrines anglaises, biens dont la valeur était d'environ 250,000 francs, et elles écrivirent à l'honorable comte de Theux une lettre trop charmante pour que je n'en donne pas connaissance à la Chambre. Elles déclarèrent qu'elles se trouvaient dans une grande détresse., « qu'elles avaient eu infiniment de peine à conserver à l'instruction publique, leur belle et ancienne abbaye ; qu'elles s'étaient imposé tous les sacrifices possibles pour y parvenir, et qu'en ce moment la communauté restait encore grevée de plus de 50,000 francs ; que cet état de gêne n'avait pas permis jusqu'ici d'organiser convenablement ce vaste établissement... qu'elles se sont dit qu’il se pourrait bien que M. le ministre eût encore à sa disposition quelques restes de revenus d'anciennes corporations religieuses enseignantes ; ... que cette supposition leur paraissait d’autant moins invraisemblable qu'il existait autrefois à Liège plusieurs établissements de ce genre ; ... qu'elles se bornaient à citer l’établissement des dames anglaises. »
Elles finissent par implorer le ministre de « venir à leur secours, soit en affectant à leur communauté d'anciens revenus de corporations enseignantes éteintes, soit en y créant des bourses pour former de bonnes institutrices, soit enfin par forme de subside à charge du budget de l'instruction publique. »
Evidemment, messieurs, il était difficile de rester sourd à un pareil langage ; que fit l’honorable comte de Theux ? Il reprit à l'instruction publique les revenus du capital des 250,000 fr., et en donna la jouissance aux bonnes sœurs bénédictines, à la charge de donner gratuitement l'instruction à autant de filles pauvres que ce revenu présentait de fois la somme de soixante-dix francs. (Interruption.)
M. de Theuxµ. - « Donnez-moi deux lignes de l'écriture d'un homme, » disait un ancien, « et je me charge de le faire pendre ». Si nous devions un jour fouiller dans vos archives, nous y trouverions bien autre chose.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je demanderai à l'honorable comte de Theux comment il n'est pas opportun de citer ce fait. On publie un manifeste épiscopal dans lequel on nous accuse de vol et de spoliation ; du haut de la chaire de vérité on nous injurie, on nous outrage ; quand nous rendons à l'instruction publique les biens qui ont été légués à l'instruction publique, on vient dire : « C'est un vol, c'est une spoliation » et nous ne pourrions pas dire au pays par quelle mesure incroyable on a attribué à ces religieuses les revenus dont elles disposent !
Du reste, je vais prouver à l'honorable comte de Theux...
- Un membre. - Il s'en va.
-Un autre membre. - Il vient d'être appelé par un huissier. C'est une haute inconvenance,
M. Royer de Behr. - Le comte de Theux n'a pas l'habitude de fuir les débats.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Ce n'est pas nous qui avons révélé tous ces abus ; nous nous défendons quand on nous appelle voleurs et spoliateurs.
M. Nothomb. - N'attaquez pas M. de Theux.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ferai observer à l'honorable M. Nothomb que je n'ai dit aucune parole offensante pour l'honorable comté de Theux. J'ai dit qu'il avait posé un acte illégal ; ce n'est pas la première fois qu'on fait ce reproche à un ancien ministre ; cela ne porte pas atteinte à son honorabilité. (Interruption.)
On donnait donc la jouissance des biens aux bénédictines, à la condition de donner l'instruction aux jeunes filles, à raison de 70 fr. par élève. On s'aperçut bientôt que c'était une véritable donation ; on demanda à la corporation de consentir à recevoir 5 ou 6 jeûnes filles comme pensionnaires.
Le gouvernement désirait que la nomination de ces jeunes filles lui fût attribuée.
Il n'obtint que le droit d'approuver les nominations faites par les bénédictines elles-mêmes ; et, comme on avait parlé, à ce propos, de la générosité des dames bénédictines, l'honorable baron d'Anethan, qui était alors ministre de la justice, écrivit en marge de la pièce : « Les dames bénédictines ayant reçu les revenus des dames anglaises, il me paraît difficile de qualifier leur engagement de généreux. »
L'honorable M. d'Anethan avait considéré l’acte passé au profit des bénédictines comme un véritable acte de donation, comme le considérait lui-même l'honorable M. Nothomb, quand en 1856, il rompait avec la jurisprudence de l'honorable de M. de Theux, à propos de l'affaire ce Jupille.
La loi de 1864 n'a fait que consacrer la jurisprudence admise par le ministère de Decker-Nothomb et inaugurée par M. De Haussy.
Vous savez, messieurs, qu'un des grands sujets d'attaque contre nous, c'est la prétendue violation de la volonté des fondateurs. On ne fait que répéter que la loi de 1864 viole la volonté des fondateurs, que c'est un acte de spoliation.
Eh bien, voyons si les principes de cette loi n'ont pas été admis par nos adversaires. Je viens de dire que l’honorable M. Nothomb les a appliqués dans l'affaire de Jupille.
Ces principe, nos évêques eux-mêmes les ont pratiqués à leur profit, et aujourd'hui qu'on leur demande beaucoup moins, ils les attaquent.
La dame Kemerlinx a, par testament du 2 mai 1603, créé une fondation de trois bourses pour étudier les humanités, la philosophie, la théologie, le droit ou la médecine. La testatrice appelle à la jouissance de ces bourses ses plus proches parents, et à leur défaut, les jeunes gens de certaines localités désignées. La collation appartient à la famille. L'administration était confiée au régent du séminaire de Saint-Trond, à la charge par lui de rendre annuellement compte de sa gestion aux proviseurs de la fondation, dont les biens étaient indépendants de ceux du séminaire.
Lors de la mainmise nationale, les biens de la fondation Kemerlinx furent confondus avec ceux du séminaire de Saint-Trond, et c'est aussi par erreur que le séminaire de Liège, ayant obtenu, par décret du 12 septembre 1806, les biens provenant de l'ancien séminaire de Saint-Trond, étendit sa prise de possession à la dotation des bourses de la fondation de Kemerlinx.
Cette fondation fut rétablie en 1828.
Les administrateurs-collateurs s'adressèrent au séminaire de Liège pour lui réclamer les biens de la fondation dont il avait pris possession, ou tout au moins, pour faire payer par le séminaire les bourses grevant ces biens.
Savez-vous ce qu'on leur répond ? C'est l'évêque lui-même qui prend la plume :
« Liège, le 10 novembre 1847.
« Vous m'avez adressé, en date du 24 septembre dernier, une lettre relative aux bourses Kemmerlinx, dans laquelle vous vous plaignez de mon administration dont vous voudriez que je réformasse les décisions. Je sais que vous mettez en moi une vraie confiance et que vous me croyez incapable de commettre sciemment la moindre injustice. Je m'honore de cette confiance et j'espère qu'il ne sortira jamais de ma plume une lettre, ni de ma bouche un mot qui puisse me la faire perdre. Mais j'éprouve le besoin de vous faire observer que, dans les affaires litigieuses, et il s'en présente sans cesse, je suis d'autant plus obligé de prendre l'avis de légistes éclairés, que, voulussé-je décider en sens inverse de l'administration dont je ne suis que membre et, si vous voulez, le chef, le président, je ne le pourrais pas ; ma décision serait nulle et de nul effet. »
J'aime à reconnaître que l'évêque de Liège d'alors reconnaissait que (page 695) les séminaires sont des établissements publics, qu'il n'avait pas d'autorité absolue sur eux. Il n'en a pas été ainsi à propos de la loi actuelle. Je continue la lecture de la lettre.
« Le seul rôle que je puisse assumer en dehors de l'action légale, c'est celui de conciliateur. Je l'accepte toujours, quand on me le présente, et alors mon premier soin est d'éclairer, si c'est possible, les parties sur le véritable état de la question. J'ai lieu de croire, par exemple, à en juger du moins par l'exposé que vous m'en faites, que le différend entre feu le colonel Crooy et l'administration du séminaire ne vous a pas été rapporté, quant à sa solution, d'une manière exacte. Voulez-vous me permettre de faire moi-même un exposé, que je crois complet, de toute l'affaire ? Vous me ferez, après cela, avec la même franchise, autant d'observations que vous le jugerez bon.
« Avant la révolution française, le séminaire de Liège avait, outre l'administration des biens du séminaire de Liège, celle des biens des petits séminaires de Liège, à Louvain et à Saint-Trond.
« La dotation de ces établissements consistait, en très grande partie, en biens et rentes légués ou donnés à charge de fournir la table et l'instruction à un nombre de jeunes gens déterminé. Tout le monde sait ce qui arriva à l'époque de la révolution française : tous les biens et rentes de quelque importance, appartenant au séminaire de Liège, furent vendus ; les bâtiments de Liège furent affectés au lycée ; ceux de Saint-Trond le furent au collège et ceux de Louvain au Prytanée. En 1806 et 1807, l'empereur affecta au nouveau séminaire de Liège les biens non aliénés et les rentes non transférées du séminaire de Liège et du séminaire de Saint-Trond.
« Bientôt les créanciers de l'ancien séminaire vinrent élever des prétentions à charge de la nouvelle dotation ; une seule de ces réclamations dépassait la somme de cent mille florins de Liège. Le séminaire soutint, et n'eut pas de peine à établir que la nouvelle dotation était exempte et libre de charges ; que le séminaire la possédait au même titre que le domaine l'avait possédée jusqu'alors ; qu'il possédait à titre nouveau et que, n'étant pas aux droits de l'ancien séminaire, il ne pouvait être tenu aux charges de celui-ci ; enfin que si les créanciers de l'ancien séminaire avaient négligé de faire liquider leurs créances, le nouveau séminaire n'en pouvait être responsable.
« Ces moyens avaient constamment triomphé, et les avocats de feu le Colonel Crooy les trouvèrent si péremptoires, qu'ils se gardèrent bien de les attaquer ; mais ils vinrent soutenir que les biens affectés aux bourses Kemmerlinx n'avaient jamais appartenu au séminaire de Saint-Trond, que ces bourses étaient des bourses de famille, des bourses particulières, qu'on avait fait rétablir par arrêté royal et dont le séminaire n'avait que l'administration.
« Ces assertions étaient déjà contredites en tous points par les registres du séminaire d'une date très ancienne et d'une tenue irréprochable ; mais, en faisant des recherches dans les archives du séminaire, on trouva mieux ; on découvrit un ancien dossier concernant ces bourses, lequel dossier contenait les pièces d'un vieux procès intenté au séminaire par les héritiers Kemmerlinx, soutenant également que ces bourses étaient des bourses de famille, des bourses particulières, ayant une dotation à elles ; or, ce procès avait été jugé en faveur du séminaire, et on retrouva le jugement porté en dernier ressort par le tribunal de la Rote, à Rome.
« Ce jugement, exhibé en forme authentique, produisit, si je suis bien informé, sur les conseils de feu M. le colonel un effet tel, qu'ils déterminèrent celui-ci à prier l'administration de ne pas lever le jugement pour ne pas augmenter les frais déjà considérables à charge des bourses. La commission administrative du séminaire accéda à cette demande, et l'affaire fut dûment terminée et anéantie. »
« (Signé) Corneille, évêque de Liège. »
On nous dit, messieurs : Il n'y a pas de droit au-dessus de la justice, il y a une morale universelle, il faut respecter la volonté des fondateurs. Si vous voulez vous mettre sur ce terrain, vous devez aller jusqu'au bout ; mais vous avez soutenu vous-même la force de la puissance législative, et aujourd'hui que faites-vous ? Vous venez nous dire : La loi que vous avez votée et qui a été sanctionnée, nous ne l'exécuterons pas, parce qu'il y a une justice au-dessus du droit. Mais dites donc cela aussi pour les lois de la révolution française, lorsqu'on vient vous demander une bourse d'étude que vous savez exister ; dites aussi qu'il n'y a pas de droit contre la justice universelle, contre la morale universelle.
Nous ne touchons pas, nous, à la propriété ; nous ne voulons que réformer l'administration.
Plus tard, le gouvernement autorisa les administrateurs de la fondation Kemmerlinx à ester en justice.
Alors le séminaire de Liège, pour triompher de son adversaire, opposa la prescription, et les avocats de la fondation durent déclarer que ce moyen était infaillible.
En présence de cet avis, les administrateurs de la fondation Kemmerlincx sollicitèrent l'autorisation de se désister de leur action. L'honorable M. d'Anethan était, à cette époque ministre de la justice, et voici comment un homme que personne ne suspectera, M. Paquet, secrétaire général de ce département, appréciait cette demande :
« La consultation ci-jointe de M. Jaminé, avocat de la fondation, expose le fait et la question de droit. Je crois devoir m'y référer entièrement.
« Le séminaire est en possession des biens litigieux depuis 1806, et l'action n'a été intentée qu'en janvier 1838. Celle-ci était donc prescrite en vertu de l'article 2262 du code civil, sans examiner si le séminaire n'avait déjà pas acquis la prescription par dix ou vingt ans. Ni l'adage contra non valentem agere non currit prœscriptio, ni l'arrêté de 1828 ne peuvent être invoqués contre la prescription, parce que les faits invoqués ne constituent pas une cause légale de suspension ou d'interruption. (V. articles 2242 et suivants du code civil.)
« Une démarche officieuse auprès de l'évêque peut bien être tentée, parce qu'il n'est jamais bien loyal de gagner son procès par la voie de la prescription, mais je n'ai nul espoir dans la réussite de cette démarche, parce que le séminaire a constamment soutenu au fond, quoique à tort, à mon avis, que la fondation dont il s'agit a toujours été administrée et considérée comme bien du séminaire de Saint-Trond, et a été par conséquent comprise dans le décret de mise en possession de 1806. Plutôt que de faire une démarche dont le résultat n'est que trop facile à prévoir, j'estime qu'il y a lieu d'autoriser le désistement. »
Voilà donc ce fameux principe ! Les évêques ont deux manières d'agir, selon que leur intérêt le leur commande. Dans certains cas, ils ne tiennent pas compte de la volonté des fondateurs ; dans d'autres, c'est sur cette volonté qu'ils fondent leur résistance à la loi.
Du reste, messieurs, cette manière d'agir du séminaire de Liège n'était pas nouvelle. Une affaire analogue à celle de la fondation Kemmerlinx s'était produite en 1836 pour la fondation Germeys, et voici ce que le secrétaire de l'évêque de Liège écrivait à cette époque :
« Liège, le 13 juin 1836.
« Monseigneur a bien voulu me charger d'examiner votre réclamation concernant les bourses fondées à l'ancien petit séminaire de Saint-Trond par Germeys, et de vous communiquer le résultat de cet examen. J'aurai donc l'honneur de vous informer, que le séminaire est aux droits de l'ancien mais pas aux charges, par la raison bien simple qu'il n'a récupéré qu'une bien minime portion de son ancienne dotation et que la dotation nouvelle il la possède à titre nouveau et au même droit que la possédait le domaine.
« Aussi, pas une seule dette de l'ancien séminaire n'a été reconnue par le nouveau. Il existe une autre considération bien importante que M. De Meuten n'aurait pas dû passer sous silence. C'est que l'arrêté royal du 26 décembre 1818, n°48, qui ordonne le rétablissement des bourses, ne concerne aucunement les séminaires, mais bien l'administration du domaine, les bureaux de bienfaisance et les hospices.
« Cependant, lorsque des ayants droit de ces bourses se trouvent dans nos séminaires, l'administration ne les oublie pas.
« (Signé) de Bubers. »
Ainsi, messieurs, on a accusé la loi de 1864 d'avoir volé les bourses d'étude. Voici un séminaire qui a été envoyé en possession, par erreur, de biens appartenant à ces bourses d'étude.
Que répond-on pour le séminaire ?
Le séminaire possède à titre nouveau ; nous sommes ni aux droits ni aux charges de l'ancien séminaire ; nous possédons au même titre que le domaine, nous n'avons pas à nous occuper de la volonté des fondateurs. Nous savons qu'au XVIIème siècle un testateur a fondé des bourses ; mais la révolution a passé là-dessus, et, si cela ne vous fait pas plaisir, il y a des tribunaux en Belgique ; plaidons !
Je le demande, est-on autorisé à dire alors : Il y a un droit au-dessus de la loi, une morale au-dessus des lois du pays, une justice universelle qu'on ne peut en vain enfreindre, lorsque vous, princes de l'Eglise, lorsque votre séminaire, en possession de biens par erreur, vous dites (et comme juriste, vous êtes fondés à le prétendre) que vous êtes aux droits du domaine et que vous n'ayez pas à remplir les charges de la fondation !
Est-ce que la loi de 1864 a proclamé de pareils principes ? Pas le moins du monde. Elle a fait respecter les charges comme les droits, (page 696) tandis que le séminaire dit : Je ne prends pas les charges, mais je prends les biens, et ensuite il ajoute avec ironie : Si quelqu'un des parents se trouve dans le séminaire « je ne l'oublierai pas, » C'est une sorte d'aumône.
Après de pareils faits, on n'est plus autorisé à venir parler d'infraction à la loi, à la morale et à la conscience : je le déclare, la loi que nous avons faite est une loi de réparation. Sous la nouvelle administration, le patrimoine de l'instruction publique grandira et prospérera. Au lieu des dilapidations dont nous avons été témoins, nous aurons un riche accroissement de ressources pour répandre partout les bienfaits de l'instruction publique.
M. Dumortier. - Je ne pais comprendre comment, dans la situation actuelle de l'Europe, lorsque l'orage s'amoncèle à nos portes, en présence des dangers qui nous menacent, un ministre du Roi vient jeter dans cette assemblée un pareil brandon de discorde. (Interruption.)
Je ne puis comprendre comment un gouvernement qui se respecte peut déconsidérer d'une pareille manière tous les pouvoirs publics, comment il peut avoir assez peu de respect de soi-même et assez peu de patriotisme pour semer ainsi la désunion au moment où l'on répète sur tous les tons que l'on veut faire renaître la concorde et l'union, si nécessaires au salut de la patrie.
Qui donc vous forçait à engager une pareille lutte ? Qui donc vous forçait à venir introduire ici ce scandaleux rapport qui n'est qu'un acte de diffamation publique, sans oser nommer les coupables, si tant est qu'il en existe ?
Ah ! vous le sentez, le pays se soulève contre votre politique violente et insensée, il se soulève contre vous ; ces protestations sont le cri de l'agonie expirante d'hommes qui veulent se cramponner au pouvoir ; vous voulez résister à la grande voix de l'opinion publique, mais vous luttez en vain, vous mourrez. Vous mourrez parce que vous avez violé tout ce qu'il y a de sacré dans le cœur de l'homme, son culte et sa foi. Et c'est afin de conserver un pouvoir repoussé par le pays que vous venez ici jeter l'injure aux hommes les plus honorables en les diffamant sous le couvert de votre inviolabilité ministérielle, en les représentant comme des voleurs et des escrocs. Une pareille conduite, on ne devait pas l'attendre d'un gouvernement qui se respecte, on ne devait pas s'y attendre surtout dans la situation où se trouve le pays.
Je le sais, vous dites que vous êtes attaqués. Oh ! vous me rappelez l'histoire de ce voyageur qui en parlant de certains animaux disait : Ils sont si féroces qu'ils se défendent quand on veut les tuer.
Quoi ! vous attaquez par tous les moyens possibles le temporel des cultes, vous l'attaquez dans toutes vos circulaires, dans la loi des bourses, dans l'instruction, dans les administrateurs spéciaux des fondations, dans la loi sur le temporel du culte ; partout vous poursuivez les catholiques dans leurs établissements religieux ; le clergé, vous le dénigrez sans cesse, vous employez tous les moyens en votre pouvoir pour empêcher sa mission civilisatrice, et vous trouvez mauvais qu'il se regimbe ! Ce que vous voulez, je vais vous le dire : vous voulez l'avoir à vos pieds ou sous vos pieds. Mais votre espoir est vain ; il y en a de plus forts que vous qui l'ont tenté sans réussir, vous n'y parviendrez jamais.
Qu'a-t-on fait aujourd'hui ? On a compulsé toutes les archives du département de l'intérieur et de la justice pour trouver des arguments... (Interruption.)
On a compulsé des documents de l'administration de MM. de Theux et Nothomb, et qu'a-t-on trouvé ? On a sous la main 2,500 comptes de fondations, et dans ces comptes qu'a-t-on trouvé ? Quelques abus isolés, et c'est sur des faits de ce genre et en incriminant d'autres faits de bonne administration, représentés sous le jour le plus odieux, qu'on se fonde pour prétendre que les administrateurs spéciaux sont des voleurs, des dilapidateurs des deniers publics. Mais n'avez-vous pas honte de tenir un pareil langage ? Quant à moi, je trouve votre conduite inqualifiable et je ne trouve pas d'expressions assez fortes pour la flétrir.
Mais, messieurs, si nous faisions une enquête pareille sur les actes des autorités administratives, que verrions-nous ? Que trouverions-nous ? A Louvain, c'est un agent du mont-de-piété qui enlève un capital de 324,000 fr. Eh bien, est-ce que tous ces faits que vous ayez accumulés représentent le dixième de ce qu'un seul de vos hommes a enlevé ?
Allez à Anvers ; c'est encore un de vos administrateurs qui agit de même. Allez à Ypres, c'est encore le même fait.
Dans l'enregistrement, n'a-t-on pas vu plusieurs fois des vols de 300,000 à 400,000 fr. commis par des agents du gouvernement ?
Et tous ces faits, vous les passez sous silence, parce que ce sont vos hommes parce que c'est la chair de votre chair ! Et lorsqu'il s'agit d'un curé, lorsqu'il s'agit d'un prêtre ! ah ! quel crime abominable ! alors vous ne sauriez assez le flétrir.
Voilà votre conduite. Eh bien, je dis qu'une pareille conduite est indigne d'un gouvernement, qu'elle est un brandon de discorde que vous jetez dans le pays, pour y faire renaître les mauvaises passions, sans lesquelles vous ne pouvez exister.
Mais le pays vous connaît, il veut la concorde ; il saura que c'est un dernier moyen que vous employez pour vous cramponner au pouvoir et il comprendra ce qu'il y a d'odieux dans une pareille conduite, dans un aussi abominable dénigrement.
Messieurs, vous concevez qu'il est impossible d'entamer une discussion sur chacun des faits qui viennent d'être exposés. Cela est d'autant plus impossible que M. le ministre de la justice s'est soigneusement abstenu de citer ni les lieux, ni les dates, ni les personnes, de produire aucune pièce. Eh bien, je fais aussi la demande que toutes les pièces dont a parlé M. le ministre soient déposées sur le bureau, que la Chambre en ordonne l'impression et qu'après cette impression, on fixe une date pour la discussion. Nous ne reculons pas devant le débat. Mais nous voulons que la lumière se fasse afin que nous puissions contrôler vos assertions.
Vous venez nous parler de votre loi, vous dites qu'elle a respecté tous les droits.
Mais qu'avons-nous dit dans toutes les occasions ? S'il y a des abus, faites une loi pour les réprimer. Mais ce que nous combattons, ce que nous avons toujours combattu et ce que nous combattrons toujours, c'est la confiscation des bourses d'étude, c'est le vol des biens de fondation.
Et ne vous faites pas illusion, le pays a qualifié votre loi. L'honorable prince de Ligne a dit que c'était une atteinte à la propriété ; le pays a ratifié ces paroles de l'honorable prince de Ligne ; il a appelé votre loi la loi du vol, et ce nom lui restera. (Interruption.)
MpVµ. - M. Dumortier, vous ne pouvez dire qu'une loi du pays est une loi de vol. Je vous prie de retirer ces paroles.
M. Dumortier - J'ai dit qu'on l'appelait ainsi dans le pays, et je répète que dans le pays on ne l'appelle pas autrement. Je maintiens mon droit.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, la violence dont vous venez d'être témoins vous prouve à la dernière évidence que le gouvernement était pleinement en droit de vous apporter sa défense.
Comme vous le dit l'honorable M. Dumortier, il .a dans le pays certaines personnes qui vont partout disant que c'est la loi du vol, et je demande s'il n'est pas du devoir du gouvernement, même au point de vue de nos institutions, même au point de vue de notre nationalité, de montrer à l'Europe qu'il n'y a pas à la tête de la Belgique un gouvernement qui fait une loi de vol.
L'honorable membre dit que c'est nous qui avons entamé la lutte. Comment peut-il lancer une accusation aussi téméraire ? Est-ce nous qui avons provoqué les évêques à descendre dans l'arène électorale avec un manifeste ? Est-ce nous qui avons provoqué les évêques à venir dire aux administrateurs de fondations : Résistez à la loi et résistez à l'autorité ? Et quand vous voyez une pareille résistance de la part de citoyens, quand vous voyez des corps publics comme les séminaires dire : « Je n'exécuterai pas la loi, » nous n'aurions pas le droit de nous défendre !
Nous n'avons rien provoqué. Si nous nous étions tus, on aurait dit que nous étions coupables. Si, les mains pleines de preuves, nous n'avions rien prouvé, on aurait dit que nous n'avions rien à prouver. Notre longanimité a été assez grande ; car, je dois le dire, la plupart des faits que j'ai rapportés, mon honorable prédécesseur les avait dans son dossier ; il n'avait pas voulu les révéler, et c'est parce que nous y avons été amenés par vos accusations, par vos injures, par vos procédés inqualifiables, que nous avons bien dû recourir à cette triste et regrettable nécessité de faire connaître la vérité.
Vous en appelez aux électeurs. Ils seront juges. Le pays a déjà prononcé ; il a approuvé la majorité qui a voté la loi des bourses et il l'approuvera encore. Je désire une chose : c'est que tout ce que je dis parvienne jusqu'au fond de la dernière commune du pays ; c'est qu'on lise la lettre de l'évêque de Liège où l'on voit que le clergé défend les mêmes principes que le gouvernement, mais seulement lorsque ses intérêts sont en jeu.
M. Dumortier. - J'ai demandé l'impression des pièces et je dois insister sur cette impression. Ou ce que vous avez fait n'est pas un acte sérieux, ou vous agirez avec la loyauté qu'exige un parlement. Si (Page 697) vous avez des actes blâmables à signaler, vous ne devez pas reculer devant votre devoir, vous devez les signifier en entier devant le parlement, et ne pas vous borner à des insinuations odieuses et à des accusations dénuées de preuves. Il ne faut pas que ces accusations parviennent, comme vous le dites, à la dernière commune du pays, sans que la réponse puisse y parvenir.
Si, d'ailleurs, des actes répréhensibles ont été commis, vous avez un devoir à remplir : poursuivez les devant la justice du pays ; vous manqueriez à votre devoir, aujourd'hui que vous les avez découverts, de ne pas les livrer à la justice.
Si vous ne le faites pas, si vous vous bornez à des accusations anonymes pour produire de l'effet sur les populations dont vous craignez le verdict, nous qui appartenons à l'opposition, notre devoir est de protester contre une pareille conduite et de vous sommer de prouver les faits que vous avancez. Nous ne vous laisserons pas dans le manteau dont vous vous enveloppez. Nous vous arracherons le masque dont vous vous couvrez pour qu'une pareille accusation n'arrive pas dans le pays sans réponse.
Comment ! vous venez dire qu'on s'est emparé du bien des pauvres, qu'il y a eu dilapidation des bourses d'étude ! Lisez donc ce qu'écrivait naguère encore la députation permanente de Liège, que dans plusieurs communes les revenus du bureau de bienfaisance sont partagés entre les cinq administrateurs de ces bureaux ; que, dans d'autres, ces revenus sont partagés par les quatre cinquièmes de la population et que, dans beaucoup de communes, des propriétaires jouissant des droits électoraux participent au partage des revenus des pauvres.
Voilà les faits de l'administration publique, émanés de documents officiels, et comme ils émanent de vos amis, vous ne parlez pas de ceux-là. Vos accusations ne sont ici qu'une machine de guerre. Vous voulez vous assurer ainsi le résultat des élections. Eh bien, vous ne réussirez pas. Je réitère ma demande. Il faut que toutes les pièces soient imprimées et distribuées et que nous puissions alors répondre à vos accusations. Il ne vous sera pas permis de dégrader des hommes honorables, d'incriminer et de représenter comme vols des faits honorables, et tout cela sous le voile dont vous cherchez à vous envelopper et sous le couvert de l'irresponsabilité ministérielle. Vous portez d'odieuses accusations à cette tribune et vous nous refusez le moyen de les contrôler ; c'est ce que nous ne tolérerons pas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'ai déjà dit, en réponse à une interpellation, que je mettrais les dates auprès des principaux faits qui sont dans mon discours. Mais cela demandera nécessairement quelque temps et mon discours ne pourra probablement paraître qu'après-demain.
L'honorable membre demande l'impression des pièces. Je lui réponds que cette impression est impossible ; parce que l'honneur de plusieurs familles se trouve engagé. (Interruption.)
- Des membres. - A demain !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Laissez-moi achever. Je vous déclare franchement que vous avez tort d'insister ; toutes ces pièces, il vous est facile de les avoir par les administrations spéciales. Vous verrez quelles réclamations se produiront.
Les faits ont été relevés sur des pièces authentiques, sur des rapports, sur des documents reposant dans les dossiers.
Maintenant des inexactitudes peuvent avoir être commises ; s'il y en a, qu'on les signale ; ce n'est pas vous qui sauriez les découvrir ; ce sont les administrateurs spéciaux.
Vous ne pouvez pas supposer que les fonctionnaires de mon département aient dépouillé les faits consignés dans les dossiers, pour les présenter sous un faux jour.
Ce n'est pas vous qui pouvez rectifier ces faits ; les personnes en mesure de relever les inexactitudes, s'il y en a, ce sont les administrateurs auxquels il a été fait allusion. Ils doivent connaître les faits de leur gestion ; ils protesteront, s'il y a lieu ; et s'ils protestent, nous examinerons la valeur de leurs protestations.
M. de Theuxµ. - Messieurs, ma conviction est trop profonde et la circonstance est trop grave pour que je ne réponde pas immédiatement quelques mots à M. le ministre de la justice.
Je déclare que, dans cette circonstance, M. le ministre a manqué à toutes les règles de la justice la plus vulgaire. (Interruption.)
Comment ! il vient produire ici une série d'imputations, d'une manière telle que la réfutation est complètement impossible. Je me demande qui peut répondre à ces accusations.
Messieurs, quand un individu est traduit devant la justice criminelle, après une longue instruction dans laquelle l'accusé a été entendu, ces mots sont inscrits au-dessus de la tête de l'accusé : Tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit reconnu coupable.
Que fait-on dans le cas actuel ? On condamne sans avoir entendu le prévenu. Or, je suis persuadé que la plus grande partie des faits dénoncés par M. le ministre de la justice, comme étant des actes de mauvaise administration, comme atteignant même, jusqu'à un certain point, l'honneur de quelques administrateurs spéciaux ; je suis persuadé, dis-je, que la plus grande partie de ces faits pourraient être justifiés. (Interruption.) C'est mon opinion ; et tout homme impartial, membre de cette Chambre ou simple citoyen, doit réserver son jugement relativement aux faits dénoncés par M. le ministre de la justice. Personne ne peut admettre d'avance ces faits comme avérés, sans manquer aux obligations de la plus stricte justice, aux devoirs les plus rigoureux de la conscience.
Voyez, messieurs, comment procède M. le ministre de la justice. Après de longues recherches, il a trouvé que j'avais proposé au Roi deux arrêtés qui, d'après lui, auraient été contraires à la légalité.
Je nie formellement, pour ma part, qu'ils fussent contraires à la légalité. J'affirme que je n'ai jamais proposé au Roi des arrêtés qui ne fussent parfaitement fondés en droit, au moins dans mon opinion ; j'affirme de plus que ces questions étaient très mûrement examinées, avant qu'une décision fût soumise à la sanction royale.
Maintenant devons-nous traiter devant la Chambre les deux questions qu'a indiquées M. le ministre de la justice ? Je comprends que M. le ministre ait produit ces questions dans l'intérêt de sa cause ; mais si elles doivent être portées devant la Chambre et discutées impartialement, il y en aura au moins pour 5 à 6 jours.
La Chambre est-elle disposée à entamer ce long débat ? Quoi qu'il en soit, je n'admets en aucune façon la condamnation de mes actes par M. Bara.
Messieurs, j'ai dit souvent, avant, pendant et après la loi sur les bourses d'étude : C'est une spoliation. Or, quand on dépouille, surtout en grand, on ne manque pas de crier haro sur les dépouillés. A toutes les époques, cela n'a jamais été autrement. Cela se conçoit sans peine : il faut justifier ses actes, et pour les justifier, il faut accuser ceux qui en sont les victimes. A l'époque révolutionnaire, les hommes que l'on spoliait étaient des hommes abominables, et ceux qui les condamnaient à l'échafaud, à la déportation, étaient des héros, des patriotes. Voilà comment les choses se passent toujours.
Je disais tantôt, en interrompant M. le ministre de la justice, que s'il nous était donné de fouiller dans les archives du département de nos adversaires, et si nous voulions recourir au procédé qu'emploie M. le ministre de la justice, nous aurions à dénoncer des abus à la Chambre pendant plusieurs sessions ; mais nous n'en ferions rien ; et pourquoi n'en ferions-nous rien ? Parce que la dignité du gouvernement s'opposerait à une pareille appréciation.
M. le ministre de la justice a dit qu'il avait le droit de scruter les actes des administrations ; je ne le lui conteste pas ; mais je n'hésite pas à ajouter que de la manière dont M. le ministre de la justice l'a fait, il a manqué gravement à la dignité du gouvernement.
M. Teschµ. - Messieurs, je suis étonné des réclamations que soulève le discours de M. le ministre de la justice. La plus grande partie des faits qu'il a cités aujourd'hui à la Chambre, je les ai cités au Sénat, et jusqu'à présent aucune des parties qui avaient été désignées spécialement dans cette discussion, n'est venue réclamer ; personne jusqu'à présent n'est venu dire que les faits qui avaient été produits étaient inexacts ou faux.
Messieurs, c'est réellement une chose singulière que la manière dont nos adversaires entendent la défense.
Quand il s'agit de la loi sur les bourses, ils nous disent toujours : « Citez donc les abus, citez les actes de mauvaise administration qui se sont produits sous l'empire des arrêtés royaux de 1817 et de 1822. »
Si l'on cite des faits, ils ne veulent plus s'en occuper ; ce sont des calomnies, des faits erronés ; si on les examine de bien près, on pourrait facilement les justifier. Voilà la réponse ; et cependant qu'a-t-on répondu à tous les faits que j'ai invoqués devant le Sénat et qui ont été reproduits ici et complétés par l'honorable M. Bara ? Rien. Ainsi je trouve dans le discours que j'ai prononcé, à cette époque, au Sénat le fait de la fondation de Hautport, fondation qui pendant 10 ans, pour ne pas se soumettre aux arrêtés de 1817 et de 1823, a dépensé en procès une grande partie des revenus.
Voici encore quelques faits que j'ai cités :
« Les administrateurs de la fondation de Jean Lemire, sous prétexte (page 698) de droit de famille, ont rompu toute relation avec l'autorité supérieure, en ne répondant plus à aucune de ses communications. On a dû nommer des administrateurs provisoires, par arrêté royal du 2 mai 1862. Mais ceux-ci, n'ayant pas dans leurs mains l'actif de la fondation, n'ont pas les fonds nécessaires pour se faire installer judiciairement dans leur administration. On ignore encore (en novembre 1864) s'ils y sont parvenus.
« L'administrateur de la fondation de Marci, le sieur Daman, de Chassepierre, n'ayant pas rendu ses comptes depuis 1853, un arrêté ministériel du 10 juin 1861 a chargé le proviseur, qui est le curé desservant de Chassepierre, de poursuivre l'administrateur en justice. Le proviseur n'a rien fait contre son paroissien ; de telle sorte que le gouverneur du Luxembourg a proposé de remplacer ce proviseur. Ce n'est qu'à force d'instances nouvelles que le sieur Daman a enfin rendu, en 1862, les comptes des années 1853 à 1860.
« Les administrateurs de la fondation de Jacques Collard n'ayant produit, depuis 1858, ni renseignements ni comptes, malgré des rappels réitérés, on a dû autoriser le proviseur à les poursuivre en justice, par arrêté ministériel du 11 avril 1862. J'ignore si le proviseur a agi. Le département l'ignore encore.
« Depuis 1844, le sieur Motlard, administrateur receveur de la fondation Deleixhe, n'avait voulu rendre aucun compte, malgré de nombreuses invitations. Sa comptabilité se trouvait dans un état déplorable. Un arrêté du 22 janvier 1850 délégua un commissaire spécial pour régulariser cette comptabilité ; mais le commissaire ne put rien obtenir. Un arrêté ministériel du 18 septembre 1856 chargea le proviseur de poursuivre en justice le sieur Mottard ; mais il n'a pas été donné suite à ce projet, et en 1858 l'administrateur n'avait encore fait que des promesses. Le département de la justice n'a plus rien appris depuis lors.
« Je laisse de côté différents autres faits. Je vais en citer un de date récente, qui va montrer combien le système actuel est vicieux et combien, avec la meilleure volonté du monde, il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de faire marcher une administration lorsqu'il plaît aux administrateurs d'opposer la moindre résistance.
« La fondation de J.-F. Grégoire, créée en 1758, fut celée par la famille depuis la révolution française jusqu'en 1860, époque à laquelle elle fut découverte par les fonctionnaires de l'enregistrement, et ensuite rétablie par arrêté ministériel.
« Cet arrêté nomma administrateurs-collateurs trois membres de la famille du fondateur. Ceux-ci désignèrent comme receveur un autre parent, incapable de remplir ces fonctions. Ces quatre personnes, ainsi que le proviseur, habitent tous des communes différentes, très éloignées les unes des autres et situées dans plusieurs provinces ; mais telle était la volonté du fondateur.
« Dès 1862, le proviseur, qui est le juge de paix de Gosselies, donna sa démission, ne pouvant parvenir à vaincre la négligence et le mauvais vouloir des administrateurs, qui refusaient de se conformer aux règlements, contrariés de ce que le rétablissement de la fondation avait soumis leur gestion au contrôle public. (L'un d'eux avait écrit au proviseur, entre autres choses, que celui-ci pouvait se soustraire aux embarras qu'ils lui occasionnaient, en donnant sa démission.)
« A la suite d'une invitation ministérielle, deux des administrateurs, Xavier et Anselme Grégoire, ainsi que le receveur, prirent l'engagement écrit d'observer les règlements. Le troisième administrateur, Adrien Grégoire, s'abstint.
« L'administration ayant été convoquée ensuite, Adrien et Anselme comparurent seuls ; Xavier (qui avait cependant signé l'engagement mentionné plus haut) déclara qu'il ne voulait plus se mêler de cette affaire-là. Le proviseur l'interpella à deux reprises, sur l'ordre du ministre, et n'obtint aucune réponse.
« Sur ces entrefaites, le gouverneur du Hainaut reçut le compte de la fondation, visé par Xavier et Adrien ; cette fois, c'était Anselme qui sans doute n'avait pas entendu « se mêler de l'affaire. » Ce compte était d'ailleurs irrégulier.
« L'administration marche encore de cette manière, sans se conformer aux instructions. Les membres ne se réunissent pas, et le proviseur, découragé, insiste pour obtenir sa démission, tandis que le gouverneur du Hainaut demande, au contraire, la révocation des administrateurs. Le département n'a plus de nouvelles. »
Ce sont là les faits reproduits par l'honorable M. Bara ; ils sont extraits des dossiers qui se trouvent au département de la justice ; je ne sais pas si le gouvernement verrait quelque inconvénient à déposer les pièces ; car quant à l'impression, elle est impossible. Il s'agit de correspondances qui ont duré des années. Ainsi pour la fondation Daman, il y a peut-être vingt lettres de la députation permanente et autant du ministère. Il y aurait de quoi publier pendant des années, mais tous les faits ont été constatés par des fonctionnaires du département de la justice, parfaitement impartiaux et incapables d'induire le ministère en erreur. (Interruption.)
Croyez-vous donc que si un des fonctionnaires qui m'ont indiqué ces faits, m'avait induit en erreur, je n'aurais pas sévi contre lui ? S'il avait exposé un ministre à venir déclarer devant une Chambre des faits qui ne résulteraient pas des pièces, croyez-vous que ce fait n'aurait pas mérité une répression des plus sévères ? Croyez-vous qu'un fonctionnaire puisse ainsi exposer le chef du département à venir dire des choses qui ne sont pas exactes ?
Tous ces faits ne sont malheureusement que trop exacts, et ils sont faciles à justifier. Je le répète, si M. le ministre de la justice n'y voit pas d'inconvénient, qu'on dépose les dossiers sur le bureau. MM. les membres de la Chambre pourront vérifier par eux-mêmes.
M. Wasseige. - Pendant les élections.
M. Teschµ. - Il y a un moyen bien simple. On peut, d'ici à demain, déposer les dossiers, et vous pourrez vous convaincre des faits.
- Des membres. - Non, non !
M. Teschµ. - Il paraît que l'on n'est pas pressé de discuter. Mais, je le répète, le discours de M. le ministre de la justice vous indiquera les faits ; il vous sera facile de les vérifier, et dans une séance prochaine, le débat pourra être complètement vidé.
M. de Theuxµ. - Le dépôt des pièces, dont parle l'honorable M. Tesch, n'a pas, dans mon opinion, un caractère sérieux. Comment ! l'on voudrait déposer des centaines de dossiers sur le bureau, et nous irions nous occuper à dépouiller chacun de ces dossiers ! Mais quand nous l'aurions fait, nous n'aurions pas la justification de la partie incriminée et nous ne pourrions tirer aucun parti de ces pièces. C'est le dossier de l'accusation dont l'honorable M. Tesch demande le dépôt. Ce que nous demandons, c'est aussi le dossier de la défense.
L'ancien ministre de la justice dit qu'il a déjà cité les faits devant le Sénat. On me dit qu'il en a cité jusqu'à trois...
- Un membre. - Six.
M. Teschµ. - J'en aurais cité vingt, j'en aurais cité quarante, s'il l'avait fallu.
M. de Theuxµ. - On n'a pas, dit-on, réclamé.
Cela est-il sérieux ? On a vu lancer dans cette Chambré des accusations ; quand les parties qui prétendaient être calomniées, ont envoyé une réfutation à la Chambre, qu'a-t-on fait ? On a passé à l'ordre du jour, parce qu'on a dit que, si l'on écoutait ces réclamations, la liberté parlementaire serait atteinte. Voilà le moyen que l'on emploie pour fermer la bouche à ceux que l'on incrimine.
Voulez-vous que la Chambre entre en discussion avec chacune des parties intéressées ? Alors demandez-leur aussi de se faire représenter par un avocat.
Je le dis, le discours de M. le ministre de la justice, c'est de la diffamation en grand. C'est cette diffamation que la cour supérieure de Prusse a punie. Mais on a invoqué l'indépendance parlementaire et je crois que l'affaire en est restée là. Je ne sais pas si la décision de la cour a reçu son exécution.
Messieurs, je ne demande pas qu'on puisse prendre à partie les membres de la représentation nationale pour diffamation ou calomnie. Nous perdrions notre indépendance, notre liberté et le pays n aurait plus de représentation nationale. Comme membre du Congrès, j'ai voté pour l'inviolabilité des membres de la législature et je la maintiens dans toute son étendue. Mais je maintiens aussi cette thèse qu'il est impossible que le public impartial accepte comme vraies les accusations lancées de son banc par un ministre, quel qu'il soit.
Messieurs, l'honorable M. Malou a eu à répondre à l'honorable M. Tesch, alors ministre de la justice. Qu'a-t-il fait ? Il a procédé par un moyen bien simple ; il a extrait des rapports des députations-permanentes pendant huit années tout ce qui concernait les bourses. Et que contient cet extrait ? Il contient huit pages.
Si l'on était juste, on permettrait l'impression de ces huit pages à côté du discours de l'honorable ministre de la justice, et si la Chambre le permettait, j'en donnerais lecture pour que cela fasse partie des actes parlementaires. Alors on verra du moins une espèce de défense, une espèce de justification.
Mais voyez quelles garanties le pays avait contre les abus : les receveurs forcés de rendre compte ; des collateurs, des proviseurs ; une députation permanente chargée de la vérification des comptes, de (page 699) contrôler et d'approuver la gestion, ayant droit de poursuivre en justice ; le gouvernement ayant le droit de faire inspecter, pour chaque cas particulier, la gestion des administrateurs,
Mais, dit M. le ministre, nous n'avions pas d'argent. Les députations permanentes ne pouvaient pas plaider.
Cela est inexact ; quand les députations permanentes ont intenté des procès aux administrateurs, les membres de ces députations n'ont pas payé de leur poche. Et si c'est là une objection qui ait quelque apparence de fondement, le gouvernement n'avait qu'à demander un crédit pour faciliter aux députations l'exercice de leur droit. Le gouvernement pouvait demander un crédit pour poursuivre en justice ceux qui se trouvaient en faute. On n'en a rien fait, et c'est une preuve manifeste que ces accusations sont énormément exagérées.
- Un membre. - Il y a eu des procès.
M. de Theuxµ. - Il y a eu des procès ; mais, est-ce parce qu'on a plaidé, qu'on a tort ? Evidemment, une des parties a tort en droit. Mais les deux parties peuvent avoir plaidé de bonne foi. Cela se voit tous les jours. S'il en était autrement, il faudrait dire que la moitié de la Belgique est de mauvaise foi. Si l'on ne pouvait plaider de part et d'autre de bonne foi, il faudrait soutenir que des deux avocats qui plaident il y en a toujours un de mauvaise foi. Vous n'irez pas jusque-là. Vous n'irez pas jusqu'à dire que lorsqu'il y a diversité de jurisprudence sur une question de droit, il y a mauvaise foi de la part d'un des deux tribunaux. Il n'y a donc aucun argument à tirer de ce que des procès ont été soutenus ; et même de ce qu'un procès a été perdu, il n'en résulte pas qu'il y a eu mauvaise foi de la part d'une des parties.
Mais, MM. les ministres, quand ils poursuivent, ne sont-ils jamais condamnés ? Très souvent l'administration est condamnée.
On parle d'abus relativement à l'administration des bourses et l'on fait des recherches pour une période qui remonte à plus de 40 années. Mais, messieurs, si nous pouvions faire des recherches semblables, au lieu des faits qui ont été signalés, nous trouverions de gros millions qui ont été littéralement volés malgré toutes les précautions des administrations publiques laïques. Prenons les administrations financières où tout est si bien contrôlé, n'avons nous pas vu l'administration de Rothschild, qui s'entend cependant en finances, être volé de plusieurs millions ? Citer quelques faits particuliers pour en faire une règle générale, à la charge de toute une catégorie d'administrateurs, cela n'est pas digne d'un gouvernement.
MpVµ. - Il vient de parvenir au bureau une proposition ainsi conçue :
« La Chambre invite le gouvernement à lui communiquer un rapport complet, avec pièces à l'appui, sur l'administration des bourses d'étude antérieure à la loi de 1864.
« Comte de Theux, de Mérode-Westerloo, Wasseige, Delcour. »
MfFOµ. - Messieurs, je ne comprends pas très bien la thèse que l'honorable comte de Theux entend soutenir. L'honorable membre déclare qu'il est exorbitant, qu'il est contraire à toutes les règles d'un bon gouvernement, de publier des faits de la nature de ceux qui ont été exposés par mon honorable collègue, M. le ministre de la justice. Mais, en vérité, messieurs, l'honorable membre ne me paraît pas même soupçonner les conséquences d'une pareille doctrine. Qu'arriverait-il si, par impossible, elle venait à prévaloir. Mais, évidemment, il faudrait supprimer le parlement. (Interruption.)
Pourquoi donc est-il institué ? N'est-ce pas pour contrôler les administrations publiques à tous les degrés ? Est-ce que l'administration spéciale des bourses d'étude doit échapper à ce contrôle souverain, qui est celui de la nation elle-même ? Or, une discussion a été soulevée, a été provoquée à propos de cette administration des bourses d'étude : d'une part, on affirme que cette administration est bonne, et qu'il faut la maintenir. D'autre part, nous soutenons qu'elle est mauvaise, qu'elle engendre des abus, et que le législateur a posé un acte de prévoyance et de sagesse en la réformant. N'est-il pas tout naturel que nous exposions les abus qui ont été constatés, que nous dévoilions les faits graves qui ont dicté notre résolution ? Et que fût-il arrivé, si nous eussions agi différemment ? C'est alors que l'on eût crié à la calomnie, c'est alors que l'on eût dit au pays : Voyez ces libéraux, ces voleurs de bourses ! Ils n'ont pas même un prétexte à invoquer pour couvrir la spoliation qu'ils ont accomplie ! (Interruption.)
L'honorable comte de Theux se trompe donc étrangement en reprochant à M. le ministre de la justice d'avoir manqué à toutes les convenances, en mettant la Chambre et le pays à même de connaître et d'apprécier les anciennes administrations spéciales des fondations de bourses.
Mais, dit l'honorable comte de Theux : « Dans toutes les administrations il a des abus. Il y en a également dans les administrations publiques, malgré le contrôle qui est si bien organisé pour les prévenir. » Cela est parfaitement exact ; mais la question est de savoir à l'aide de quel système d'administration l'on arrive à avoir le moins d'abus. Nous disons que des administrations organisées comme l'étaient celles des bourses d'étude sont les plus mauvaises de toutes, parce qu'elles n'ont pas de responsabilités, et qu'elles échappent à tout contrôle sérieux.
Et lorsque vous invoquez l'action que les députations permanentes étaient appelées à exercer sur ces administrations, lorsque vous rappelez les rapports, si élogieux selon vous, formulés par ces collèges sur la gestion du patrimoine de l'instruction publique, vous ne devriez pas oublier que plusieurs d'entre eux ont fait et réitéré souvent cette déclaration significative, à savoir que les moyens leur manquaient absolument pour exercer leur mandat d'une manière sérieuse et efficace.
Eh bien, messieurs, la loi de 1864 a précisément pour but unique d'établir un meilleur mode d'administration et d'organiser un contrôle réel, qui a toujours fait défaut jusqu'à présent. Voilà notre seul but.
M. Dumortier. - De confisquer.
MfFOµ. - Oh oui ! M. Dumortier : notre but était de confisquer, de voler, n'est-ce pas ! Eh nous le savons bien ; on nous l'a dit si souvent ! Mais lorsque vous osez nous lancer cette audacieuse accusation, vous n'avez pas le droit de vous plaindre si nous venons montrer au pays quels sont ceux qui ont méconnu la volonté des testateurs, ceux qui ont détourné les biens de fondation de leur véritable destination, ceux qui les ont laissé dépérir entre leurs mains malhabiles, ceux enfin qui les ont fait disparaître entre leurs mains malhonnêtes. (Interruption.) Voilà ce que le soin de notre dignité nous commandait impérieusement de mettre au grand jour.
Maintenant, au moment où la lumière se fait, ou plutôt où elle se refait, car, comme l'a très bien dit l'ancien ministre de la justice, mon honorable ami M. Tesch, déjà un très grand nombre de faits avaient été signalés par lui au Sénat, et cela sans soulever la moindre réclamation de la part des intéressés ; mais enfin, le jour où la lumière se fait d'une manière plus complète, vous protestez, vous réclamez avec une énergie incroyable, au nom des convenances que vous nous accusez de méconnaître ?
Que signifie cependant une aussi étrange irritation ? Prenez-vous donc ces abus sous votre protection ? (Interruption.)
M. Thonissenµ. - Nous demandons seulement la preuve.
MfFOµ. - Ah ! c'est uniquement afin d'avoir des preuves que vous croyez nécessaire de tant vous indigner ! Il ne faut point pour cela tant de violences. Ces preuves vous les avez dès à présent. Elles viennent de vous être fournies par l'honorable ministre de la justice. Il vous a cité des faits extraits de documents authentiques reposant dans les archives de son département.
(erratum, page 734) Un membre. - Qu'est-ce que cela fait ?
MfFOµ. - Comment ! Qu'est-ce que cela fait ? Mais alors il n'y a plus rien d'authentique ; les documents administratifs n'ont plus aucune valeur. En vérité, cela n'est pas sérieux. (Interruption.)
Si donc vous avez le désir de vérifier, par vous-mêmes d'une manière plus approfondie, d'examiner, de contrôler ces faits de plus près, eh bien, rien de plus simple : ?5 est-ce que l'on vous refuse la lumière ? est-ce que l'on s'oppose à la communication des dossiers, contenant toutes les pièces, toute la correspondance concernant les faits cités ?
Nous pourrions jusqu'à un certain point faire des réserves au sujet de la communication de documents appartenant à l'administration. (Interruption.) Nous aurions incontestablement ce droit. (Interruption.) Mais vraiment, messieurs, on pourrait en venir à s'imaginer que tout cela vous est personnel ! C'est réellement incroyable ! Je conçois que, dans l'intérêt de la justice, dans l'intérêt de l'honneur des tiers, vous puissiez dire : « Permettez à ces tiers de se défendre, de se justifier. » Tout cela serait très admissible et se justifierait pleinement. Mais parler et agir comme vous le> faites, c'est-à-dire, comme vous pourriez le faire si des imputations personnelles étaient dirigées contre vous, cela, je l'avoue, je ne le comprends pas. (Interruption.)
M. Delaetµ. - M. le ministre de la justice a dit qu'il voulait que le pays entier sût où étaient les voleurs. Eh bien, prouvez le vol.
MfFOµ. - Depuis deux ans et plus nous sommes placés sur la sellette - nous sommes traités de (page 700) la manière la plus indigne ; chaque jour on nous injurie, on nous outrage avec une impudence qui n'a pas d'exemple. On ose nous qualifier de voleurs de bourses, de coupeurs de bourses, et nous avons l'insigne faiblesse de vouloir nous défendre ! Nous vous montrons où sont les voleurs ! Nous nous hasardons à vous dire purement et simplement, sans irritation, sans colère : vous vous trompez : nous ne volons rien du tout. On a bien détourné, gaspillé et même un peu volé le patrimoine de l'instruction ; mais nous ne sommes pas les coupables. Les coupables au contraire se trouvent parmi les anciens administrateurs. Or, notre intention en présentant la loi de 1864, a été de prévenir les détournements, les gaspillages et les spoliations. Nous avons voulu mettre un terme à des abus qui n'ont été que trop longtemps abrités en quelque sorte sans le patronage de l'administration publique. Et c'est pour cela que vous vous récriez, que vous vous irritez, que vous vous indignez ?
- Un membre. - La preuve !
MfFOµ. - Bien loin de reculer devant la preuve des faits que nous citons, nous voulons la fournir au grand jour, nous la livrons à la libre discussion du parlement, nous mettons le -t le monde et surtout les intéressés eux-mêmes, en mesure de la contrôler. (Interruption.)
Mieux que personne, assurément, les tiers intéressés pourront réclamer contre toute inexactitude qui leur semblera exister dans l'énonciation des faits ; ils pourront produire leur justification s'ils le jugent convenable, et, personne n'en doute assurément, ils trouveront dans la presse et ici-même de nombreux défenseurs tout disposés à venir demander réparation en leur nom.
Est-ce là craindre la lumière ? est-ce là mettre la lumière sans le boisseau ? (Interruption.)
Comment le gouvernement pourrait-il empêcher les tiers qui sont désignés clairement, presque nominativement dans le discours de M. le ministre de la justice...
M. Rodenbach. - Pas presque, tout à fait.
MfFOµ. - Donc, il n'y aura pas de méprise possible. Par conséquent, comment pourra-t-on les empêcher de se défendre avant les élections, alors que le discours de mon honorable collègue sera publié cinq semaines avant l'époque de ces élections ? Ils auront ainsi parfaitement le temps de préparer leur justification.
Mais vous voulez davantage. Vous exigez l'impression des pièces, afin, dites-vous, de pouvoir vérifier les faits plus directement et personnellement.
M. le ministre de la justice vous a déjà répondu sur ce point, et je ne puis que répéter ses paroles : Comment voulez-vous vérifier des faits qui ne vous sont pas personnels ? Quand vous aurez sous les yeux les documents les plus complets, quand vous aurez la copie tout entière de la correspondance, que saurez-vous de plus ? Absolument rien. Il n'y a de justification possible que par les intéressés eux-mêmes.
Cependant, nous ne nous refusons pas le moins du monde à vous donner communication de ces pièces. Nous offrons de déposer les dossiers sur le bureau de la Chambre. Vous aurez le loisir de les examiner très promptement et en tout cas avant les élections. (Interruption.)
Que signifie donc cette prétention de livrer à l'impression les archives du département de justice, sinon que vous voulez gagner du temps, vous réservant ainsi le moyen d'exploiter la situation à votre profit. Vous voulez pouvoir dire au pays que le gouvernement a calomnié les anciennes administrations des bourses d'étude ; que la calomnie sera parfaitement établie par la publication des pièces... qui sont à l'impression.
Eh bien, la Chambre saura déjouer cet ingénieux calcul électoral.
Nous voulons, nous, que la lumière se fasse, mais qu'elle se fasse complètement et surtout rapidement, dans l'intérêt de la vérité. Nous ferons donc le dépôt sur le bureau de tous les dossiers relatifs aux faits articulés par le gouvernement.
- Plusieurs voix. - A demain.
M. de Borchgraveµ. - A demain la réforme électorale.
M. Jacobsµ. - Messieurs, si l'on veut voter de suite sur la proposition, je suis prêt à renoncer à la parole. Si, au contraire, on voulait prolonger la discussion, je demande qu'on me continue la parole.
- Plusieurs voix à gauche. - A demain !
- Voix à droite. - Non, non !
MpVµ. - Messieurs, je parlerai quand vous me laisserez le loisir de remplir mon devoir. Je dois consulter la Chambre sur les propositions faites. On propose la remise à demain.
- Plusieurs voix à droite. - L'appel nominal !
Il est procédé à l'appel nominal.
79 membres y prennent part.
41 répondent oui.
38 répondent non.
En conséquence la suite de la discussion est renvoyée à demain.
Ont répondu oui :
MM. Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Crombez, David, de Bast, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Macar, de Moor, de Rongé, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Lippens et Ernest Vandenpeereboom.
Ont répondu non :
MM. Notelteirs, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Beeckman, de Borchgrave, de Conninck, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux r d'Hane-Steenhuyse, Dumortier, Hayez, Jacobs, Janssens, Landeloos et Magherman.
- La séance est levée à 5 3/4 heures.