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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 2 mai 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 673) M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Thienpont,. donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moor, secrétaireµ, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :

« Le sieur Vandensype demande que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit accordé aux instituteurs communaux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la réforme électorale.


< Le sieur Gatty propose des mesures pour augmenter le nombre d'électeurs capables, assurer le secret du vote et la liberté de l'électeur. »

- Même dépôt.


« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Même dépôt.


« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »

- Même dépôt.


« Des ingénieurs demandent que le projet de loi relatif à la réforme électorale accorde le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales aux ingénieurs diplômés et aux géomètres jurés et assermentés. »

— Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.

« Par dépêche en date du 2 mai, M. le ministre de la guerre transmet des explications sur la pétition du sieur Engelbrecht tendante à obtenir le payement de son fonds de remplacement et de son boni de masse. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« M. Kervyn de Lettenhove, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mouton. - J'ai l'honneur de déposer plusieurs rapports sur des demandes de naturalisation.

M. Couvreurµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a été chargée d'examiner la convention conclue entre la Belgique et le duché d'Anhalt pour la garantie réciproque de la propriété littéraire et artistique.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant quelques dispositions des lois électorales

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale continue.

M. Nothomb. - Voici, messieurs, les amendements que j'ai eu l'honneur d'annoncer hier à la Chambre et qui résument l'opinion que nos honorables collègues et moi nous avons soutenue à la section centrale.

« Addition à l'article 2 du projet de loi du gouvernement.

« Par dérogation à l'article 2 de la loi électorale, sont également comptés les centimes additionnels perçus au profit de la province et dont la quotité est fixée par la loi du 12 juillet 1821. (Article 14.)

« Amendements.

« Art. 1er. Par dérogation au n°3 de l'article premier de la loi électorale, sont électeurs provinciaux ceux qui versent au trésor de l'Etat, de la province ou de la commune, en contributions directes, patentes comprises, la somme de 15 francs.

« Art. 2. Par dérogation au n°3 de l'article 7 de la loi communale, sont électeurs communaux ceux qui versent au trésor de l'Etat, de la province ou de la commune, en contributions directes, patentes comprises, a) dans les communes de 2,000 habitants et au-dessus, la somme de 15 francs ; b) dans les communes de 2,000 habitants et en dessous la somme de dix francs.

« Art. 3. A partir de 1870, nul électeur nouveau ne sera inscrit sur la liste électorale, s'il ne justifie qu'il sait lire et écrire.

« Art. 4. Cette justification se fera par l'intéressé au moment de la formation de la liste, au moyen de la production d'un certificat de fréquentation durant 3 années au moins et avec fruit d'un établissement d'enseignement primaire, publie ou privé.

« Ce certificat sera délivré lors de la sortie de l'établissement.

« Le double en sera conservé sur un registre ad hoc tenu dans l'établissement.

« Art. 5. A défaut de production de ce certificat, l'intéressé pourra, sur sa demande, subir une épreuve publique, s'il le désire, devant une commission composée d'un membre du collège échevinal de sa commune, de l'inspecteur cantonal de l'enseignement primaire et d'un membre de la députation permanente provinciale, qui présidera.

« Les frais seront supportes par l'Etat. »

Je vais avoir l'honneur de justifier ces amendements. Mon intention cependant n'est pas d'entrer dans la discussion de toutes les théories qui peuvent se rattacher au système électoral, je veux me renfermer dans l'examen des différents projets pratiques et constitutionnels que la question de la réforme électorale a fait surgir devant vous.

Nous sommes en présence de trois systèmes : celui du gouvernement, celui de l'honorable M. Guillery et celui de la minorité de la section centrale que je viens de formuler en amendements.

Vous n'avez pas oublié, messieurs, que la question de l'extension du droit de suffrage a été soulevée par le programme présenté à la couronne par l'honorable M. Dechamps en 1864. Vous vous rappelez également qu'un dissentiment s'est produit à l'occasion de cet article, que c'est ce dissentiment qui a empêché l'avénement de nos amis au pouvoir ; de plus que la responsabilité de ce refus d'acquiescer au principe d'une réforme électorale a été acceptée par le ministère.

En 1864, M. Dechamps et ses collègues proposaient d'abaisser le cens électoral pour la commune sans que le minimum pût descendre au-dessous de dix francs et pour la province sans que le cens pût être inférieur à 25 et peut-être à 30 francs.

Les chiffres n'avaient pas été positivement arrêtés par mes honorables (page 674) amis ; ils avaient même poussé la prudence jusqu'à en subordonner la fixation à l'avis préalable des députations permanentes. Ainsi leur système se résumait en ceci ; Abaissement modéré, graduel du cens pour la commune et la province, maintien de l'échelle proportionnelle de la loi de 1836, enquête des autorités compétentes pour éclairer le gouvernement, en s'entourant de toutes les lumières, de toutes les garanties que peut donner l'expérience des autorités provinciales. C'est cependant ce système qui a été repoussé en 1864, vous savez avec quelle véhémence de langage. Ai-je besoin de le rappeler ? Jugé inadmissible, dangereux, révolutionnaire, ce programme a été déclaré indiscutable. Ce principe de réforme modérée, graduelle, presque timide, a suffi pour condamner le cabinet de mes amis comme impossible.

Eh bien, messieurs, c'est ce principe, repoussé en 1864, condamné dans les termes les plus violents, c'est cependant ce principe que le projet du gouvernement consacre aujourd'hui ! Il a suffi de moins de deux ans pour amener cette conversion. Si je la signale, ce n'est pas pour le stérile plaisir de constater chez nos adversaires une aussi flagrante contradiction. Non, mais c'est pour prouver d'un côté que la pensée de mes honorables amis répondait à un mouvement sérieux de l'opinion publique et d'un autre côté, que l'opportunité d'une réforme de nos lois électorales est aujourd'hui généralement acceptée. En effet, depuis plusieurs années nous n'avons cessé de vous la signaler. L'honorable M. Dechamps et ses collègues dans leur programme ont indiqué les bases de cette extension, l'honorable M. Guillery les a précisées et enfin le gouvernement a suivi le mouvement.

Je puis conclure de cet ensemble, que le principe même d'une réforme électorale n'est plus contestable et n'est plus contesté.

C'est un point capital qu'il m'importait de faire ressortir.

Mais toute réforme électorale, pour être sage et juste, pour être large et loyale, doit s'inspirer non d'un intérêt de parti, mais de l'intérêt de tous, non d'un calcul de prépondérance de parti, mais de l'impartialité politique. C'est à ce point de vue qu'il convient d'apprécier les diverses propositions qui nous sont soumises.

Il m'est, quant à moi, impossible de reconnaître dans le projet du gouvernement, ce caractère de justice, d'égalité et d'impartialité sans lequel toute réforme électorale n'est plus, à vrai dire, qu'un acte de stratégie politique.

Sous ce rapport, le projet de mes honorables amis de 1864 et celui que je développe en ce moment sont essentiellement différents.

M. Dechamps demandait simplement et nous aujourd'hui nous demandons une réduction de cens pour le vote communal et pour le voté provincial, mais nous maintenons les bases de la loi provinciale et de la loi communale existantes. On n'a jamais accusé ces lois d'avoir été faites dans un intérêt de parti et, en les respectant comme nous le faisons, on se met certainement à l'abri du reproche de tenter une modification électorale dans un intérêt de parti. Aujourd'hui comme alors nous voulons une réforme loyale, libérale, constitutionnelle au profit de tous, et non au profit de quelques catégories et de quelques privilégiés.

Tel est cependant le caractère qu'il faut reconnaître dans le projet du gouvernement, et l'on n'en juge pas trop sévèrement en affirmant que c'est un intérêt politique, un intérêt de parti qui l'a dicté.

On dirait que forcés de présenter le projet pour conserver le pouvoir et un reste de popularité, les auteurs du projet se sont posé le problème suivant : Etant donnée ou subie plutôt la nécessité d'une réforme électorale, quel est le système qui, sous des apparences, sous des formes libérales, serait au fond le moins libéral possible et servirait le mieux les intérêts d'une opinion exclusive.

La réponse à ce problème a été le projet que le gouvernement nous a présenté et dont on a pu dire avec raison qu'il n'est pas digne du nom de réforme électorale.

Que devait faire un projet de cette nature ? Il devait étendre sérieusement le nombre des électeurs, il devait favoriser le principe de l'égalité, il devait simplifier et faciliter l'exercice du droit électoral.

C'est tout l'opposé qu'il fait.

Loin d'étendre le nombre des électeurs, il met à la faculté d'obtenir ce droit, une condition exorbitante, une limite que bien peu pourront franchir : l'obligation de produire un certificat constatant que l'on a suivi pendant trois ans un cours d'enseignement moyen.

Etablir une telle restriction, exiger la production d'un pareil certificat pour avoir droit au vote, c'est une véritable dérision ; c'est faire une apparente concession sachant très bien qu'elle est illusoire pour le grand nombre, et pour tout dire, cela n'est pas sérieux.

C'est en définitive exclure de la réforme tous les agriculteurs, tous les petits négociants, tous les chefs artisans, toute l'élite de nos ouvriers qui est digne d'entrer dans le corps électoral. Rien que pour cette incroyable prescription je repousserais le projet ; il ne tient pas ce qu'il annonce, il n'est pas une réforme électorale ; d'un côté il semble faciliter le moyen d'exercer le droit électoral et de l'autre il en ferme l'accès en imposant l'obligation de produire une attestation que pas un sur 50 ne pourra se procurer. Ensuite le projet crée des privilégiés, il établit des classes et invente la caste des lettres. Dans ce système que verrions-nous ? Des catégories nombreuses, des électeurs payant le cens complet ; des électeurs payant un demi-cens et enfin des électeurs ne payant pas de cens du tout.

C'est, à coup sûr, le composé le plus bizarre qu'on aurait jamais vu dans une législation électorale ; j'en ai cherché vainement l'analogie et je ne l'ai trouvée nulle part si ce n'est peut-être dans la législation espagnole, où l'on admet à l'exercice du droit électoral des catégories de personnes qui ne payent que la moitié du cens. J'ignore si c'est dans cette législation qu'on a puisé l'idée du projet, mais ce n'est pas en Espagne, pays qui ne brille ni par une liberté bien réglée, ni par la stabilité., que j'aurais été chercher le modèle d'une referme électorale.

Nous savons, d'ailleurs, que dans ce pays même on n'est pas satisfait de ce régime et qu'on parle de le changer eu abaissant considérablement le cens électoral.

D'un autre côté le projet amènera certainement l'entrée dans le corps électoral de personnes qui en réalité n'auraient pas le droit d'en faire partie ; il conduira à la création d'électeurs en quelque sorte fictifs en permettant à l'esprit de parti, à l'intrigue de nommer en apparence des commis, des employés avec 1,500 fr. de traitement et moyennant un léger droit de patente de faire entrer subrepticement dans le corps électoral des personnes qui n'en auraient pas le droit. Comme on le dit à mes côtés, c'est le moyen de faire des fournées d'électeurs.

Le projet augmente aussi et d'une manière démesurée, contraire à nos institutions, l'influence du gouvernement, il établit par les fonctionnaires une véritable aristocratie électorale. Et nous verrons cette singularité que des fonctionnaires qui sont aujourd'hui exclus du droit de siéger dans les assemblées délibérantes, deviendront par faveur électeurs pour ces mêmes assemblées.

Enfin, messieurs, pour la délivrance de ce certificat, qui est la base du projet, qui en est le pivot, on est exposé à rencontrer la partialité ou l'arbitraire, car, remarquez-le, les corps qui doivent décider si un établissement est dans les conditions voulues par la loi sont des corps ou politiques ou dépendants du pouvoir exécutif ; aucune garantie n'existe de ce côté pour les citoyens ; l'autorité judiciaire, qui devrait certainement décider à cet égard, n'intervient pas.

C'est la députation permanente qui déclarera si l'établissement est dans les conditions de la loi, et en cas de recours, c'est le gouvernement qui prononcera en dernier ressort. Est-ce là une garantie ? Non, évidemment non. Cependant pour ce point capital du projet, il aurait fallu une autre garantie que celle qu'on peut puiser dans lés caprices et les intérêts politiques d'un gouvernement qui devient ainsi juge et partie. C'est une lacune des plus regrettables dans le projet.

Enfin, et on l'a déjà fait observer le projet du gouvernement, supprimant le cens pour une catégorie d'électeurs, mérite beaucoup plus qu'aucun autre le reproche de rendre un jour inévitable la révision de la Constitution. Dans aucun des projets soumis à la Chambre, on n'avait songé à supprimer complètement le cens, base de notre droit public, et le projet du gouvernement vient décréter cette suppression pour une catégorie d'électeurs favorisés. On comprend une suppression comme mesure générale ; elle est inadmissible comme faveur au profit de quelques-uns.

En somme donc, on peut dire que, d'après le projet du gouvernement, les privilégiés et les fonctionnaires profiteraient seuls du bénéfice de la réduction proposée par le gouvernement. C'est un acte de parti purement politique, qui se fait non dans un intérêt national, mais dans l'intérêt d'une seule opinion, ce serait introduire en Belgique une oligarchie nouvelle contre laquelle proteste certainement le sentiment du pays.

Quant au projet de l'honorable M. Guillery, il se rapproche beaucoup plus des idées que nous n'avons cesse de défendre. Au moins il maintient l’égalité en principe, mais en principe seulement ; car en fait, en fixant un cens uniforme de 15 fr. il aboutit à l'inégalité entre les diverses communes du pays. Dès lors il me paraît manquer du principe fondamental de justice.

C'est parce que l'honorable membre a admis le cens uniforme, qu'il a dû s'arrêter à 15 fr. de crainte sans doute d'aller trop loin et frapper (page 675) ainsi d'une exclusion que rien ne peut justifier, l’immense majorité des électeurs communaux.

En effet, il exclut en réalité de la réforme les communes d'une population inférieure à 2,000 âmes. Or, vous le savez, sur 2,538 communes, il y en a 1,962 dont la population n'est que de 2,000 habitants et en dessous, et partant, sur les 225,637 électeurs communaux du pays, ces communes en comprennent 101,072 qui resteraient exclus du bénéfice de la réforme.

La proposition de l'honorable membre ne s'appliquerait donc qu'à la moitié des électeurs communaux et pas même au tiers des communes du pays. Elle serait faite uniquement au profit des grandes communes. Elle ne repose donc pas assez, je le répète sur la justice distributive et sur l'équité politique.

C'est pourquoi nous l'avons modifiée en proposant de fixer à 10 fr. le cens communal dans les localités en dessous de 2,000 habitants. Nous faisons ainsi participer la généralité des citoyens au bénéfice de la réduction.

Il y a un second point à propos duquel nous nous éloignons de la proposition de l'honorable M. Guillery ; nous maintenons le cens proportionnel et voici nos raisons.

En effet, la base du droit électoral c'est l'impôt combiné avec la population. Or, l'impôt n'est pas uniforme ; il est différentiel. Donc le cens électoral, ayant l'impôt pour base, doit être différentiel lui-même.

Cet impôt varie considérablement selon l'importance des localités.

Le même individu, par exemple, se transportant d'un village dans la rue de la Madeleine, à Bruxelles, pour y occuper une maison de même grandeur, ayant le même nombre de portes et fenêtres pour y exercer la même profession, payera à Bruxelles, pour valeur locative, pour l'impôt personnel et la patente 15 ou 20 francs d'impôt, tandis qu'il ne payait que la moitié dans son village. Pourquoi ce citoyen sera-t-il électeur à Bruxelles et pourquoi ne le serait-il pas dans son village ? On ne pourrait justifier une pareille différence.

Messieurs, le cens uniforme a rencontré des adversaires chez les hommes les plus éminents et les plus sincèrement amis de la liberté et de l'ordre. Ainsi Royer-Collard, en parlant du cens uniforme consacré par l'article 14, disait :

« L'égalité aurait été plus observée, si l'uniformité l'avait été moins. »

M. Berryer a dit :

« Avec le principe de la souveraineté nationale je ne comprends pas le cens fixe. »

Lord John Russell tient le même langage :

« Tout système de suffrage uniforme, excepté le suffrage universel, est entaché d'un vice radical. »

Le cens proportionnel est dans l'esprit de notre Constitution ; il est dans nos mœurs et dans nos habitudes ; il est inscrit dans nos lois organiques ; nous croyons qu'il est prudent de le conserver, comme pouvant le mieux assurer la vraie représentation des intérêts, et en cela, mais en cela seulement nous sommes d'accord avec le projet du gouvernement.

C'est par suite de ces considérations que nous vous proposons les amendements dont j'ai eu l'honneur de vous donner lecture. Notre projet de réforme aurait les bases suivantes :

Pour la Chambre, nous admettons d'abord l'abaissement de l'âge à 21 ans, comme le porte le projet du gouvernement, et nous désirons compter pour la formation du cens les centimes additionnels perçus au profit des provinces et dont la quotité est fixe, telle qu'elle est déterminée par la loi du 12 juillet 1821.

Nous aurions voulu y comprendre également les centimes additionnels payés au profit des communes ; mais on nous a fait observer que, quoique maintenus dans la généralité des communes, les centimes additionnels avaient été abolis dans plusieurs localités ; que dans cet état de choses, il n'était pas possible de les comprendre dans le cens pour les Chambres, puisqu'il y aurait ainsi des électeurs à bases variables. Ces raisons, nous avons dû les accepter ; et c'est à regret que nous renonçons à l'adjonction des centimes additionnels payés aux communes : ce qui eût contribué à augmenter le nombre des électeurs pour la Chambre.

Pour le sélections provinciales, nous demandons le cens fixé d'une manière uniforme à 15 francs.

Pour les élections communales, nous réduisons le cens à 15 francs pour les communes d'une population supérieure à 2,000 habitants ; et à 10 fr. pour les communes de 2,000 âmes et au-dessous.

Messieurs, nous avons eu à examiner la seconde condition introduite par l'honorable M. Guillery dans son projet de réforme : c'est celle de savoir lire et écrire.

Cette question n'est pas nouvelle pour la Chambre : cette condition a été longuement discutée, il y a moins d'un an. Pour ma part, je l'ai vivement appuyée et je l'appuie encore.

A cette époque, pour amoindrir les inconvénients inhérents à un pareil système et que je suis le premier à reconnaître, j'ai proposé une commission d'examen différente de celle que proposait l'honorable M. Orts, un jury, qui présentait, selon moi, plus de garanties d'impartialité. Mais ce n'est pas à dire que je me sois dissimulé les difficultés pratiques, dans l'exécution, et le moyen que j'avais indiqué conservait encore le tort d'être trop compliqué.

Néanmoins il y a, selon moi, un si grand intérêt à faire de cette condition un préliminaire, si je puis parler ainsi, de la vie politique, qu'il ne faut pas aisément l'abandonner.

Il y a en présence un double et grave intérêt social : celui d'avoir le plus grand nombre possible d'électeurs et celui d'avoir des électeurs intelligents et nous les voulons intelligents parce que nous les voulons libres. Ces deux intérêts sont immenses et il faut les concilier pour la sécurité de l'avenir.

Il convient donc de ne pas reculer devant les difficultés pratiques et il faut résolument et de bonne foi les aborder. Il faut s'attacher à un système plus simple que celui qu'avait proposé l'honorable M. Orts et que celui que j'avais moi-même indiqué. Je suis prêt d'ailleurs à me ranger à tout autre mode qui paraîtrait meilleur.

Mais pour le moment nous avons pensé que l'on pouvait se contenter d'un certificat de fréquentation d'une école primaire pendant trois ans, d'un certificat constatant qu'on a suivi l'école avec fruit, c'est-à-dire qu'on sait lire et élire ; j'admets bien que ce ne sera pas la preuve absolue qu'arrivé à certain âge l'individu sait encore lire ou écrire ; mais ce sera au moins une présomption et celui qui a su, saura en général toujours lire et écrire. Cette présomption me paraît devoir suffire.

La tendance générale, c'est que l'enfant du peuple, devenu adulte, continue à apprendre, à s'appliquer, et aujourd'hui l'ignorance absolue devient de plus en plus rare. Bientôt, et c'est l'honneur de la Belgique, chacun y saura lire et écrire.

Nous voudrions donc qu'on pût se contenter de ce certificat délivré au moment de la sortie de l'école, et non au moment où l'individu veut entrer dans la vie électorale, où l'on veut, être porté sur les listes ; il y aurait à cela plusieurs inconvénients que je n'ai pas besoin d'indiquer.

Pour conserver à ce certificat son caractère de vérité et d'impartialité, il faut le délivrer à la sortie de l'établissement et pour avoir la garantie d'un contrôle, nous demandons qu'il y ait un registre à l’établissement, où l'on tienne un double de ces documents.

Maintenant, dans le cas où le certificat ne pourrait pas être produit, j'admettrais par exception une épreuve publique devant une commission dont j'ai indiqué la composition. Je suis prêt, je le répète d'ailleurs, à accepter telle autre composition, jugée meilleure.

Telles sont, messieurs, les bases que nous avons l'honneur de vous proposer et sur lesquelles nous vous convions à accepter la réforme.

Celte réforme est foncièrement conservatrice, car en augmentant sérieusement le nombre des électeurs, en faisant participer un plus grand nombre de citoyen à la vie politique du pays, on les intéresse au bien-être public, à la stabilité, à l'ordre, à nos institutions, et plus vous aurez de citoyens, moins vous aurez d'indifférents ; plus grand sera le nombre de vos citoyens, et plus grand dans les temps difficiles sera le nombre des soutiens de la nationalité.

Cette réforme est juste aussi ; car elle étend le principe de la souveraineté nationale qui est la base même de notre existence politique. Elle est conforme au principe de l'égalité qui est certainement le sentiment le plus profondément entré dans les idées des peuples modernes, et ce sentiment se développe de jour en jour.

Enfin cette réforme est à nos yeux prudente et prévoyante, car elle conjure des exigences inévitables de l'avenir qui s'imposeront si on n'y cède librement et spontanément à temps.

M. Bouvierµ. - Messieurs, l'honorable M. de Smedt était hier en verve. Cet esprit aimable et correct a voulu prouver à la Chambre qu'il savait parfaitement manier l'arme de la plaisanterie. Il a décoché deux traits.

Le premier est tombé en pleine poitrine sur l'honorable rapporteur, M. Hymans.

« Je prends les Annales parlementaires et je vois :

« D'après l'honorable membre, cette réforme est « une mesure (page 676) inconsidérée qui abandonnerait le gouvernement du pays aux caprices de la multitude. » A en croire l'honorable rapporteur, adopter la proposition Guillery, c'est saper nos institutions nationales dans leur base ; pour voter cela, il faudrait être barbare ou « sauvage, » ce serait « abattre l'arbre pour mieux en cueillir les fruits. »

« Et comme il y a certains fruits qui, pour M. Hymans, sont trop verts et... je passe la qualification de la fable, il ne faut pas y toucher, alors même qu'on pourrait les cueillir sans nuire le moins du monde à l'arbre... »

Eh bien, je dirai à l'honorable membre que cette phrase, qui a fait l'objet des plaisanteries de la presse cléricale, se trouve textuellement dans le livre V, chapitre 13, de Montesquieu, ce qui prouve que l'honorable M. Hymans lit des ouvrages très sérieux.

M. de Smedt. - Je n'en ai jamais douté. Il n'y a que des amis qui en doutent.

M. Bouvierµ. - L'autre petit trait est celui-ci ; il est à mon adresse :

« Permettre à un citoyen ne payant que 15 fr. d'impôts directs, d'intervenir dans les affaires des grandes communes et des villes, alors que ce droit lui est accordé quand il habite un village ! Quelle énormité ! Où allons-nous ? dirait M. Bouvier. »

Eh bien, je vais démontrer à l'honorable membre où nous allons. Je parlerai avec une entière franchise.

Ceux qui veulent introduire le suffrage universel sans conditions dans notre système électoral ne vont à rien moins qu'à détruire l'édifice dont le Congrès de 1830 a jeté les fondements, à ruiner nos grandes institutions qui garantissent l'ordre en même temps que la liberté et qui sont, comme le proclamait naguère une bouche auguste, la base la plus solide du trône.

Le monde moral, comme le monde physique, obéit à des lois qu'on ne saurait enfreindre sans danger pour la société ; vouloir élever encore davantage cet édifice appartient au contingent futur, mais vouloir l'élever trop brusquement, c'est risquer de le voir s'écrouler jusque dans ses bases. Ce que nous voulons, appelez cela libéralisme ou doctrinarisme, les mots ne font rien à la chose ; c'est le progrès, mais le progrès dans une juste et sage mesure, le progrès toujours et sans cesse, le progrès, vrai, dont la civilisation, l'éducation politique, la richesse nationale amènent inévitablement le triomphe.

Ainsi, dans un avenir éloigné mais certain, j'entrevois une modification à notre Constitution qui abaissera le cens déjà réduit depuis 1848, mais avec le corollaire de la capacité assurée. Pour arriver à une situation semblable, il faut que l'éducation politique de notre pays fasse encore d'immenses progrès et que l'instruction pénètre davantage dans les couches sociales qui ne jouissent point encore du droit électoral. Mais quant au suffrage universel sans aucune espèce de garantie, je le combattrai partout et toujours, parce que je le considère comme devant aboutir au despotisme ou à l'anarchie, au naufrage universel de nos grandes libertés qui sont un besoin et une nécessité pour les sociétés modernes.

J'ajoute que je considère un pareil suffrage comme un acheminement vers la perte de tout ce que le Belge a de plus cher au cœur, la perte de notre indépendance et de notre nationalité.

Examinons donc ce que ce système a produit dans un pays voisin. Eh bien, je n'hésite pas à le proclamer, la perte de toutes ces grandes libertés dont je vous parlais tout à l'heure, car ne l'oubliez jamais, la liberté vraie est incompatible avec le suffrage universel.

Parlons d'abord de la liberté de la presse, la plus précieuse, la plus importante de toutes nos libertés.

Quelle est sa situation en France ?

Eh bien, en France cette situation est déplorable ; là le pouvoir exécutif a le droit de vie et de mort sur elle ; je dis le droit de vie, parce qu'elle ne peut se faire jour sans l'autorisation du gouvernement ; le droit de mort par le système des avertissements, des suspensions par voie d'autorité administrative sans que jamais ni le jury, ni le pouvoir judiciaire intervienne pour décider de si grands intérêts.

Le droit de timbre, dont se trouve affranchi le journalisme en Belgique, existe en France. Et l'on nous demande où nous allons !

Je réponds : Avec ce fatal système du suffrage universel, nous marchons à l'anéantissement, à la destruction de la plus grande liberté moderne, la liberté de la presse, la presse qui constitue la véritable garantie de toutes les autres libertés, la presse que Royer-Collard, dont on invoquait l'autorité il y a un moment, caractérisait si justement en disant qu'elle avait le double caractère d'une institution politique et d'une nécessité sociale. Je dis et je proclame bien haut que la liberté de la presse ne peut vivre ni coexister avec le suffrage universel. Je vais le prouver. J'ouvre le Moniteur universel du 20 mars 1866, et j'y trouvele discours de M. Boulier, ministre orateur du gouvernement français.

« Je me hâte, car je veux marcher vite ; qu'est-ce donc que le journalisme, ce monologue quotidien, cette tribune toujours ouverte, sans contradicteur, sans personne pour réfuter ses doctrines, allant trouver des lecteurs curieux ou indifférents, les pénétrant chaque jour profondément et à leur insu, leur servant chaque jour des passions toutes faites, des impressions toutes produites contre les hommes et contre les choses ? Est-ce que ce n'est pas là une puissance redoutable ? (Oui ! oui ! très bien !) Est-ce là une puissance qu'on puisse assimiler à cette faculté que l'écrivain a aujourd'hui, de produire son opinion sous sa responsabilité personnelle ? Je ne le crois pas. (Vous avez raison !) Et j'en ai la preuve dans ces efforts incessants faits par tous les gouvernements qui se sont succédé ; car c'est aujourd'hui un aphorisme politique que les moyens répressifs employés contre la presse par l'autorité judiciaire et le jury sont des moyens souverainement impuissants pour sauvegarder le principe du gouvernement, le principe de la dynastie et les institutions du pays. (C'est vrai ! très bien ! -Rumeurs sur quelques bancs.

« M. Eugène Pelletan. - Alors pourquoi nous envoyez-vous en police correctionnelle ?

« M. le ministre d'Etat. - Si cela est vrai, il faut choisir entre deux thèses : ou la liberté complète ou le pouvoir discrétionnaire placé entre les mains du pouvoir exécutif.

« Le pouvoir discrétionnaire entre les mains du pouvoir exécutif est-il donc un grand danger ?

« Vous nous dites que nous sommes juge et partie.

« Mais l'honorable M. Granier de Cassagnac a déjà répondu à cette objection. Un gouvernement n'est pas une individualité passionnée et ardente...

« M. Eugène Pellelan. - Quelquefois.

M. le ministre d'Etat - ... qui lutte avec telle ou telle feuille publique ; c'est, après tout, le représentant des intérêts généraux, l'organe des besoins d'une société, la représentation de sa vie, de son action, son administration ; le placer étroitement comme une partie intéressée et passionnée, c'est méconnaître et ravaler son rôle. (Très bien !)

« Est ce que d'ailleurs ce gouvernement n'est pas placé, dans l'exercice de ses pouvoirs, sous le contrôle de l'opinion publique ? Est-ce que ce gouvernement, car il faut aller plus loin, n'est pas placé sous votre contrôle ? Est-ce que vous n'avez pas le droit de nous dire : « Vous usez trop ardemment, trop sévèrement des pouvoirs que la législation vous confère. » Le pensez-vous, messieurs ? (Non ! non !)

« Croyez-vous que nous soyons trop sévères vis-à-vis des journaux ? (Non ! non !) Croyez-vous que la liberté de discussion n'existe pas, croyez-vous que tous les problèmes ne soient pas agités et résolus, croyez-vous que la presse, dans ce pays, soit asservie ? Mais dites-le. Il n'est pas besoin pour cela de changer les lois, de les bouleverser, de créer la liberté de la presse, dites-le, émettez franchement votre appréciation, votre jugement. Mais non, vous ne le pensez pas !... (Non ! non ! — Rumeurs sur quelques bancs.) »

En présence de ce langage éloquent et convaincu, vous voyez que l'heure de la liberté de la presse n'a pas encore sonné en France, tandis qu'en Belgique avec le suffrage restreint, cette liberté restera à jamais ancrée dans le cœur du Belge, parce qu'il ne saurait vivre sans la respirer à grands traits.

En France, la liberté de la presse ne luira jamais, parce que cette liberté est une résistance et qu'un gouvernement issu du suffrage universel ne souffre jamais la résistance ou la liberté, ce qui est synonyme, parce que la résistance serait sa mort.

J'ai fini avec la presse, j'entame un autre droit constitutionnel dont nous usons largement en Belgique et dont la France se trouve privée. Je veux parler de la liberté de réunion. Le droit avait été proclamé en France à la suite de la révolution sociale et démocratique de malheureuse mémoire de 1848. Déjà, en 1849, en pleine république, ce droit est suspendu par un ministre resté libéral ou doctrinaire, ad libitum, M. Dufaure, et ce qui est curieux, c'est que ce droit reste suspendu pendant toute cette période révolutionnaire pour mourir définitivement sous ce bienheureux régime du suffrage universel.

En Belgique, non seulement ce droit indispensable pour étendre la vie et l'éducation politique, élément indispensable pour préparer les élections, non seulement existe, mais ce droit proclamé par notre Constitution est pratiqué sur la plus large échelle. Ainsi on voit surgir, sur tous les points du pays, des associations libérales, doctrinales, radicales et (page 677) cléricales ; des meetings, qui vont jusqu'à ouvrir la période de la terreur et demander 100,000 têtes de nos compatriotes, sans doute pour rendre le suffrage moins universel ; de vastes congrès où sont conviées les illustrations scientifiques, politiques, indigènes et étrangères qui deviennent célèbres sous le nom de congrès de Malines ou de Bruxelles.

Je vois dans mon arrondissement poindre à l'horizon et s'étendre jusque dans un grand nombre de villages, grâce à ce droit de réunions des sociétés de Saint-Vincent de Paul qui, s'abritant sous ce titre tout da charité évangélique, font principalement de la politique au lieu de bienfaisance, pour combattre le libéralisme, le doctrinarisme, voire même le solidarisme.

Voilà ce qui passe en Belgique avec le suffrage restreint, mais éclairé. Comparons cette situation avec celle de la France. Consultons M. Rouher, écoutons-le religieusement. Voici son langage :

« Voulez tous vous demander ce que deviendrait cette presse sans contrepoids ? Eh bien, les élections arriveront, le scrutin va s'ouvrir ; les partis que vainement on voudrait nier, que je connais, que je signale, qui, quoique sans m'effrayer, ne me laissent pas d'illusion et ne me trouvent pas indifférent, est-ce qu'au jour de l'ouverture de la lutte, ils n'exploiteront pas les ressources de la presse ? est-ce que dans chaque arrondissement, dans chaque canton, lorsque l'autorisation aura disparu, lorsque le droit d'avertissement aura été balayé, lorsque enfin la presse sera libre, lorsqu'elle ne relèvera que d'elle-même, est-ce que dans chaque ville, dans chaque canton, on ne soufflera pas une publicité ardente, passionnée, hostile, cherchant à bouleverser le pays,. dans un intérêt électoral ?

« Et que fera la justice, messieurs ? Elle arrivera d'un pas claudicant, après l'élection, pour obtenir la répression ; mais à ce moment les passions et les diffamations auront fait leurs ravages, la majorité aura été détruite, la minorité sera devenue triomphante, et cette presse, que vous voulez laisser entièrement libre, aura commis son troisième attentat contre les pouvoirs publics et contre les droits de la nation. (Très bien ! très bien ! — Sensation profonde.) »

Ces paroles caractérisent la situation que crée le suffrage universel en France.

Vous parlerai-je du droit d'initiative refusé à la législature, du droit d'amendement confisqué, du droit d'interpellation anéanti, droits que nous possédons et dont nous faisons tous les jours usage ? Vous dirai-je un mot de ces candidatures officielles qui enchaînent la volonté nationale et l'initiative politique du pays ?

Je ne veux pas poursuivre cette nomenclature de toutes ces libertés évanouies, dispersées, écrasées par ce terrible instrument qu'on appelle le suffrage universel.

Si jamais le suffrage universel pouvait s'introduire en Belgique, ce serait la suprématie du nombre, ce serait l'ignorance qui aurait l'influence prépondérante sur la masse éclairée de la nation. Que les partisans du suffrage universel n'oublient jamais que sur cent individus en Belgique, il en existe encore un bon tiers qui ne savent ni A ni B, et vous voudriez que ces ignorants fissent la loi et décidassent des destinées de la patrie !

Mais ceux qui invoquent le nom du peuple pour établir le suffrage universel ignorent donc que la classe ouvrière reste complètement indifférente et n'est aucunement soucieuse de se voir investie du droit électoral. Ce qu'elle veut, c'est l'instruction répandue à grands flots, parce que c'est elle qui le grandit et l'élève à ses propres yeux ; ce qu'il faut enseigner au peuple, ce sont les idées d'ordre et de prévoyance, ce qu'il faut lui inspirer, ce sont les sentiments religieux ; ce qu'il faut procurer aux ouvriers, ce sont des habitations saines où ils respirent le bien-être avec l'esprit de famille ; ce qu'il faut s'efforcer de faire, c'est de les rendre propriétaires de ces habitations, comme on le fait à Mulhouse ; ce qu'il ne faut jamais oublier, c'est de lui faire comprendre les avantages des sociétés mutuelles, coopératives, lui indiquer les caisses d'épargne, les caisses de prévoyance, les caisses de pensions de retraite, enfin lui ouvrir la voie pour qu'il soit un citoyen actif dans la société ; répandre la presse à bon marché afin qu'elle circule d'une extrémité du pays à l'autre et qu'il apprenne à comprendre, à connaître ses droits comme ses devoirs, c'est là un travail auquel il faut se livrer sans cesse ni relâche car il est nécessaire, disait Aristote.

Ce que vous voulez à droite, c'est exploiter entre vos mains le suffrage universel ; tous vous avez exploité et exploitez encore le suffrage restreint. Le suffrage universel est une machine de guerre, inventée par M. Dechamps, pour vous sauver du désastre toujours croissant qui vous atteint à chaque élection. Pour sauver votre politique, dont le pays intelligent ne veut plus, grâce à vos évêques et aux jésuites qui les inspirent, il vous reste, pour dernière ressource, pour unique planche de salut, le suffrage universel, parce que dans votre pensée, en substituant l’ignorance et les masses incultes à l'intelligence, au travail et à la moralité, votre triomphe vous paraît facile et certain, mais prenez-y garde. Mais cette arme fatale ne vous sauvera pas, car d'après l'Ecriture, celui qui brandit le glaive périra par le glaive.

Réfléchissez au langage tenu, dans la séance d'hier, par l'honorable M. Thonissen ; la classe bourgeoise se recrute, vous a-t-il dit, parmi la classe ouvrière, car la bourgeoisie n'est que la classe enrichie. Eh bien, si cette parole est vraie, et elle l'est, c'est la condamnation la plus énergique du suffrage universel. Elle prouve qu'avec le système électoral, ayant pour base le cens restreint et la capacité, la classe ouvrière peut arriver et arrive en Belgique au banquet politique en devenant un citoyen, moral, intelligent et éclairé.

M. Lelièvreµ. - Je déduirai, en peu de mots, les considérations qui justifieront le vote que j'émettrai sur les projets soumis aux délibérations de la Chambre.

Personne n'élève des doutes sur l'opportunité d'une modification à notre système électoral, mesure qui, loin de présenter des inconvénients sérieux, aura au contraire pour conséquence de développer la vie publique dans un pays qui s'est distingué par sa sagesse et sa modération.

II s'agit seulement de déterminer les bases d'après lesquelles nous réaliserons cette réforme importante, dont M. Guillery a eu l'honneur de prendre l'initiative.

En ce qui me concerne, j'adopte le principe de la proposition de mon honorable collègue, sauf qu'à la condition de savoir lire et écrire, j'estime qu'il faut substituer l'obligation de justifier que l'électeur a suivi avec fruit un cours d'enseignement primaire, pendant trois années, dans un établissement public ou privé.

Cette justification fait naître une présomption suffisante que la personne payant le cens électoral possède les notions de lecture et d'écriture, que l'on exige avec raison, et a pour avantage de prévenir les difficultés auxquelles cette partie de la proposition de M. Guillery, telle qu'elle est formulée, pourrait donner lieu.

J'estime toutefois que l'adjonction des capacités est indispensable, c'est-à-dire que ceux-là mêmes qui ne payent pas le cens voulu, mais qui exercent des fonctions et des emplois pour lesquels les lois exigent des certificats de capacité, doivent être investis du droit électoral.

En ce qui touche les élections provinciales et communales, la Constitution n'a pas jugé indispensable le payement d'un cens quelconque ; elle s'est référée purement et simplement à ce qui serait statué ultérieurement à cet égard par la loi, établissant ainsi une différence marquée entre les électeurs concernant les Chambres législatives et celles relatives à la province et à la commune. Or le cens est admis comme présomption de capacité d'émission d'un vote intelligent, pourquoi n'admettrait-on pas la même présomption résultant de l'exercice de professions ou de fonctions qui sont une preuve plus décisive encore de la capacité voulue ? Dans ce dernier cas, d'ailleurs, le citoyen ne possède-t-il pas un véritable capital, qui doit le placer sur le même rang que l'individu acquittant le cens électoral ? Sous ce rapport, le projet du gouvernement est incomplet, et il me paraît évident qu'il existe des fonctions, autres que celles énoncées aux propositions ministérielles, qui doivent être considérées comme remplaçant le cens.

Il serait exorbitant, du reste, de dénier le droit de suffrage aux officiers pensionnés et à d'anciens fonctionnaires qui sont exclus des catégories énoncées au projet.

D'un autre côté, la condition imposée par l'article 3 à l'électeur d'avoir suivi un cours d'enseignement moyen de trois années au moins, rend la réforme illusoire et restreint outre mesure le nombre des individus qu'on admet à la vie publique. On a dit avec raison que, par ces exigences restrictives, l'on retire d'une main ce que l'on offre de l'autre.

La réforme doit être établie sur des bases plus larges et plus libérales. Il n'est pas nécessaire, pour émettre un vote avec discernement, qu'on ait suivi pendant trois ans les cours de l'enseignement moyen. C'est donc sans nécessité aucune qu'on exige une condition frappant d'incapacité électorale un grand nombre de citoyens dont l'admission au scrutin a pour appui le grand principe de l'égalité de tous devant la loi.

Je ne puis donc donner mon assentiment au projet du gouvernement, tel qu'il est formulé ; à mon avis, il doit subir des modifications. Toutefois, ce projet contient d'autres dispositions auxquelles je dois applaudir, Ainsi, déclarer qu'il suffit, pour être électeur aux Chambres, d'être âgé (page 678) de vingt et un ans, c'est proclamer un principe juste et fondé en raison ; il est impossible de ne pas admettre au vote celui qui peut disposer librement de sa fortune.

D'un autre côté, il est rationnel d'attribuer au mari les contributions de la femme, quel que soit le régime adopté par les époux.

La section centrale a eu tort, à mon avis, d'excepter, de cette règle, les contributions des biens paraphernaux, puisque, eux aussi, contribuent aux charges du ménage, aux termes de l'article 1475 du code civil. La mère devient ainsi intéressée à la chose publique, même à raison des contributions que la femme paye sur les biens dont il s'agit. D'un autre côté, si, sous le régime de la séparation des biens, les contributions payées par la femme profitent au mari, pourquoi en serait-il autrement, sous le régime dotal, à l'égard des biens paraphernaux ?

Je me bornerai, pour le moment, à proposer ces courtes observations, me réservant de les développer ultérieurement dans le cours de la discussion.

Projet de loi approuvant la convention artistique et littéraire conclue le 21 mars 1866 entre la Belgique et le Hanovre

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demanderai à la Chambre de vouloir bien un moment interrompre la discussion afin de procéder au vote des différents traités qui ont été déposés. M. le rapporteur de la commission est d'accord avec moi, et je suppose qu'il n'y aura pas de discussion.

- La proposition de M. le ministre des affaires étrangères est adopté.

Vote de l’article unique

« Article unique. La convention conclue, le. 21 mars 1866, entre la Belgique et le Hanovre, pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art et des marques de fabrique, sortira son plein et entier effet. »

Cet article est mis aux voix par appel nominal et adopté à l'unanimité des 93 membres présents.

Ce sont : MM. Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Le Bailly de Tilleghem, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tesch, Thibaut, Thienpont,^ Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Allard, Ansiau, Beeckman, Bouvier, Braconier, Bricoult, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, Debaets, de Baillet-Latour, de Bast, de Borchgrave, de Brouckere, de Conninck, de Decker, de Florisone, de Haerne, de Kerchove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, (erratum, page 700) d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery et E. Vandenpeereboom.

Projet de loi approuvant l’acte d’accession du duché de Saxe-Meiningen à la convention artistique et littéraire conclue le 11 mars 1866 entre la Belgique et le royaume de Saxe

Vote de l’article unique

« Article unique, L'acte d'accession du duché de Saxe-Meiningen à la convention conclue, le 11 mars 1866, entre la Belgique et le royaume de Saxe, pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art, des dessins et des marques de fabrique, sortira son plein et entier effet. »

Cet article est mis aux voix par appel nominal et adopté à l'unanimité des 91 membres présents.

Ce sont :

MM. Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Le Bailly de Tilleghem, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Vanden Branden de Reeth, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Waroequé, Wasseige, Allard, Ansiau, Beeckman, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Brîcoult, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, Dîbaets, de Bast, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Florisone, de Haerne, de Kerchove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, , (erratum, page 700) d'Hane-Steenhuyse, Dolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery et E. Vandenpeereboom.

Projet de loi approuvant la convention littéraire et artistique conclue le 27 avril 1866 entre la Belgique et le duché d’Anhalt

Vote de l’article unique

« Article unique. La convention conclue, le 27 avril 1866, entre la Belgique et le duché d'Anhalt, pour la garantie réciproque de la propriété des œuvres d'esprit et d'art, des dessins et des marques de fabrique, sortira son plein et entier effet.

Cet article est mis aux voix par appel nominal et adopté à l'unanimité des 89 membres présents.

Ce sont :

MM. Hayez, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Le Bailly de Tilleghem, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Reynaert, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Schollaert, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Vanden Branden de Reeth, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Allard, Ansiau, Beeckman, Bouvier, Braconier, Bricoult, Carlier, Coomans, Couvreur, Crombez, David, Debaets, de Bast, de Borchgrave, de Conninck, de Decker, de Florisone, de Haerne, de Kerchove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, , (erratum, page 700) d'Hane-SteenhuyseDolez, Dumortier, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery et E. Vandenpeereboom.

Proposition de loi

Dépôt

MpVµ. - Il est parvenu au bureau un projet de loi signé par plusieurs membres. Il sera immédiatement renvoyé aux sections pour examen et lecture.

Rapport sur des pétitions

M. Jacquemynsµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission permanente de l'industrie sur des pétitions relatives à la législation sur les bières.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant quelques dispositions des lois électorales

Discussion générale

MpVµ. - Nous reprenons la discussion générale sur le projet de loi portant des modifications aux lois électorales.

M. Mouton. - Messieurs, le projet de loi qui nous est soumis a une importance qu'on ne peut méconnaître.

Le système électoral étant la base des institutions représentatives, son organisation peut exercer une influence décisive sur la direction des affaires publiques et avoir les conséquences les plus graves pour notre existence politique.

Il importe qu'en pareille matière le législateur ne se lance pas dans les aventures et ne réalise que des progrès sages, conformes au degré d'avancement de l'instruction et de la diffusion des lumières.

A ce point de vue, s'il est un reproche que l'on serait en droit d'adresser au projet de réforme qui nous est présenté par le gouvernement, ce serait d'accuser une prudence peut-être excessive.

Le gouvernement est parti de cette idée, suivant lui fondamentale, que le législateur constituant a envisagé le cens comme une condition essentielle pour l'exercice du droit électoral.

La discussion qui eut lieu au Congrès sur ce point n'a pas été longue. Je veux bien reconnaître que telle a été la pensée du Congrès au moins pour les élections législatives, j'admets qu'il voulait un cens, qu'il le considérait comme une garantie d'ordre et un élément de conservation.

Mais faut-il, messieurs, généralisant cette pensée, en conclure que ce système, qui doit être invariablement suivi en ce qui concerne les (page 679) Chambres, la Constitution renfermant à cet égard une prescription formelle, il doit être également et à toujours pratiqué en matière provinciale ou communale ? Je ne le pense pas.

D'abord il n'en est pas dit un seul mot dans la discussion à laquelle je viens de faire allusion.

Ensuite le Congrès, s'occupant spécialement des institutions provinciales et communales, s'est borné à indiquer les principes d'après lesquels elles devaient être organisées. Ces principes sont les suivants (article 108 de la Constitution) :

1° L'élection directe, sauf les exceptions que la loi peut établir à l'égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux ;

2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine ;

3° La publicité des séances des conseils provinciaux et communaux dans les limites établies par la loi ;

4° La publicité des budgets et des comptes ;

5° L'intervention du Roi ou du pouvoir législatif pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l'intérêt général.

II n'existe donc, comme vous le voyez, aucun empêchement constitutionnel à ce qu'on écarte le cens comme condition de l'exercice du droit électoral en cette matière.

Et cela est tellement vrai que jusqu'à la promulgation de la loi de 1836, sur l'organisation communale, on a vu fonctionner un arrêté du gouvernement provisoire appelant à concourir à l'élection, en qualité de notables, ceux qui exerçaient des professions dites libérales, telles que celles d'avocat, avoué, notaire, médecin, chirurgien, officier de santé, professeur en science, arts ou lettres, instituteur, etc.

Le moment n'est-il pas venu, puisque l'on s'occupe de réforme électorale, de consacrer, dans une certaine mesure, les droits et l'intelligence, de remplacer la fiction par la réalité, et de rendre ainsi hommage au principe salutaire et essentiellement civilisateur de l'instruction acquise, qui est une preuve évidente de la capacité électorale ? Je crois que, tout en restant fidèle à l'esprit de la Constitution, il n'y aurait pas d'inconvénient à admettre sur les listes d'électeurs provinciaux et communaux, sans condition de cens, tous ceux qui sont porteurs de diplôme ou qui figurent, parmi les jurés non censitaires aux termes de la loi du 15 mai 1838.

Et remarquez que des membres considérables de cette Chambre, dans une discussion récente, se montraient favorables à l'adoption de ce principe.

Voici comment s'exprimait l'honorable M. Bara dans la séance du 1er juin 1864 :

« iI est certain et incontestable que l'homme qui a le droit de voter et qui ne sait pas la valeur du vote qu'il émet est un homme nuisible à la société.

« L'homme ignorant est incapable de remplir les fonctions importantes de l'électeur. Qu'est-ce en effet qu'un tel électeur ? C'est l'instrument du fanatisme ou de la passion. Il est à celui qui le menace ou le paye ; et s'il est à lui-même, il ne connaît ni les besoins, ni les intérêts du pays et il vote aveuglément, au risque de tout compromettre.

« Eh bien, puisque la Constitution ne nous permet pas de faire pour les Chambres des électeurs qui ne payent pas 20 florins d'impôt, proclamez, si le pays veut une réforme électorale, ce dont je ne suis pas pour le moment convaincu, que les électeurs actuels et même, si vous le voulez, les électeurs à venir ne jouiront du droit de voter que s'ils donnent des preuves de leurs capacités intellectuelles, s'ils prouvent qu'ils savent tout au moins lire ou écrire.

« Proclamez que pour les élections provinciales et communales les conditions que je viens d'indiquer seront exigées de tous les citoyens ; proclamez que les capacités, c'est-à dire, les citoyens porteurs d'un diplôme auront le droit de voter à la commune et à la province. Dépensez des millions pour éclairer le peuple, pour dissiper les ténèbres du fanatisme, des préjugés et de l'ignorance, et vous pourrez alors marcher avec confiance, mais sûrement, à la conquête du suffrage universel... Oui, tous les citoyens sont égaux, tous, selon moi, ont le droit d'être électeurs. Mais je dis que l'ignorance n'a aucun droit dans un pays libre et raisonnable. Je dis qu'avant de faire des électeurs, il faut faire des hommes libres et raisonnables. Voilà ce que veut la vraie démocratie, celle qui fonde les œuvres durables. »

El l'honorable ministre des finances disait à son tour dans la séance du 3 juin 1864 :

« Notre cœur et notre raison nous disent que tous les hommes réunis en société doivent être appelés à participer à la gestion des affaires du pays ; c'est là l'idéal à poursuivre.

« Mais pour en arriver là, il faut avant tout instruire les hommes, il faut avoir des hommes suffisamment capables, je n'en demande pas davantage, de faire un choix avec discernement.

« Ce n'est pas un droit qui appartienne à tous les hommes que d'être appelé à la gestion des affaires politiques. Etre mêlé aux affaires politiques comme électeur, comme représentant, c'est remplir une fonction. Pour remplir cette fonction, il faut réunir certaines conditions indispensables. Sans doute pour le simple droit électoral, ces conditions peuvent être assez simples ; il suffit d'un certain degré d'intelligence et d'instruction pour pouvoir exercer utilement ce droit.

« A ce point de vue, quelle signification faut-il attacher au cens électoral ? Est-ce, comme vous l'a dit l'honorable M. Royer, qu'on a voulu avoir exclusivement dans les collèges électoraux les représentants de la propriété ? Evidemment non ; on a cherché dans le cens une présomption de capacité ; ce n'est qu'un moyen et c'est celui qui a paru le plus simple pour arriver à reconnaître quels sont les citoyens aptes à être électeurs ; on a pensé que ceux qui payent une certaine quotité d'impôt ont un degré suffisant d'intelligence, d'instruction et de moralité, pour exercer utilement, librement et consciencieusement le droit électoral ! L'instruction comme base du droit, c'est là, messieurs, le principe qui paraît définitivement prévaloir, surtout dans notre pays. »

Je citerai enfin les paroles que prononçait l'honorable M. Van Humbeeck dans la séance du 16 juin :

« Quant à moi, si je puis donner sur cette question (la réforme électorale) mon opinion personnelle, je déclare que je verrais, sans crainte aucune, admettre dans tout le pays comme électeurs à la commune les censitaires à 15 fr. qui ne jouissent aujourd'hui de ce droit que dans les petites localités. Il est évident que si, dans les petites localités, le cens à 15 fr. est une garantie de capacité, il doit, à plus forte raison, offrir le même caractère dans les grands centres où la vie intellectuelle est plus active et plus générale.

« J'ajouterais quelque chose encore à cette adoption d'un cens uniforme modéré, j'ajouterais l'admission au suffrage, sans condition de cens, de tout citoyen porteur d'un brevet de capacité ou rentrant dans les catégories ou se recrutent les listes des jurys. »

Ainsi, messieurs, l'extension du suffrage intelligent est, de l'aveu et de l'autorité de ces honorables membres, conforme aux saines doctrines en matière électorale. Ce sentiment était également partagé par plusieurs conseils provinciaux du pays, notamment ceux du Brabant et de Liège qui, dans leur session de 1864, ont adopté, à une grande majorité, la proposition d'accorder le droit de suffrage aux capacités.

C'est aussi dans ce sens que j'aurais désiré voir modifier le projet du gouvernement auquel, pour le surplus, je réserve mon assentiment sous le bénéfice des considérations que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter.

M. Van Humbeeck. - Je ne crois pas devoir attirer l'attention de la Chambre sur l'importance de la question qui lui est soumise.

Les élections constituent les assises de notre édifice constitutionnel et représentatif. De bonnes élections peuvent sauver le pays des situations les plus graves et en faire sortir, triomphante et glorieuse, son indépendance et sa liberté. De mauvaises élections peuvent, au grand détriment du pays, compromettre subitement les meilleures situations, porter à la nationalité des atteintes fatales et faire renaître, contre la liberté, des défiances toujours mortelles.

Constater l'influence des élections sur les destinées de son pays, c'est rappeler que le rôle de l'électeur n'est pas seulement de stipuler pour lui-même, mais qu'il stipule pour la communauté dont il fait partie ; c'est mentionner par conséquent l'intérêt de cette communauté à exclure de l'électoral ceux dont l'incapacité ou l'indignité pourrait nuire à son bien-être et à son existence.

Cet intérêt engendre un droit ; la société, en effet, est l’état nécessaire de l'homme ; elle est pour chaque individu un moyen indispensable de secours et de développement ; dans ce droit de chacun se puise un droit de tous, un droit collectif qui doit être à l'abri de toute violation.

Mais si l'intérêt social fait naître le droit, le droit à son tour fait naître le devoir. S'il ne faut admettre au droit électoral que les citoyens capable de l'exercer, la justice exige qu'on y admette tous ceux chez qui existe cette aptitude.

(page 680) Le problème à résoudre est donc celui-ci : fermer la porte de l'électorat aux incapacités dangereuses ; l'ouvrir à deux battants au contraire devant tout esprit suffisamment préparé ; en d'autres termes, trouver une formule de l'aptitude politique qui ne soit ni trop large, ni trop étroite, qui puisse passer pour rigoureusement exacte dans les limites du possible, c'est-à-dire en tenant compte de ce que la justesse des appréciations humaines en cette matière est naturellement limitée.

Pour rechercher cette solution, je pars d'un point que je crois incontestable : c'est que les élections intelligentes sont véritablement les bonnes élections.

Que faut-il pour arriver à des élections intelligentes ? Il faut des électeurs intelligents, des électeurs qui puissent réellement élire, c'est-à-dire choisir, c'est-à-dire comparer soit des hommes, soit des idées, pour donner une préférence réfléchie à l'idée ou à l'homme qui leur paraît offrir le plus de garanties à l'intérêt public. Pareille intelligence ne peut se rencontrer qu'avec un certain degré d'instruction. C'est donc l'instruction qui doit former, avant tout, la base du droit électoral ; appelons au scrutin tous ceux dont l'instruction est prouvée et de crainte d'en exclure acceptons, dans certaines conditions, ceux dont l'instruction est extrêmement probable. Voilà la solution logique et réellement conservatrice, selon moi, du problème électoral. Aujourd'hui les termes de cette solution sont renversés : l'instruction probable, extrêmement probable si l'on veut, l'instruction que fait présumer le payement d'un cens, a seule des droits ; l'instruction prouvée n'en a point, pas même lorsqu'elle est démontrée par des brevets délivrés au nom de la puissance publique et qu'elle s'étend bien au delà des limites assez restreintes dans lesquelles elle devrait suffire à justifier l'admission aux droits électoraux.

Notre mission est de rendre plus exactes les présomptions de capacité électorale admises aujourd'hui. Elle est aussi de rechercher, en dehors de ces présomptions, ce que l'on pourrait considérer comme des preuves directes de cette capacité.

Il est superflu de le rappeler, pour travailler à cette œuvre, notre liberté n'est entière que sur le terrain des élections communales et provinciales ; lorsqu'il s'agit des élections législatives, nous sommes arrêtés par une barrière constitutionnelle, que peu de Belges, même parmi les plus aventureux, songent à franchir immédiatement.

J'arrive à l'examen des deux propositions soumises à nos délibérations.

Je prends d'abord la proposition de l'honorable M. Guillery ; elle se résume en trois mesures :

La première consiste à substituer pour les élections communales le cens uniforme au cens différentiel en abaissant le cens, dans toutes les communes de plus de 2,000 âmes, au même niveau que dans celles d'une population moindre ;

Une deuxième mesure donne le droit de suffrage pour la province à tous les électeurs communaux ;

La troisième mesure est de subordonner le droit de suffrage pour la commune et la province à la condition de savoir lire et écrire.

J'ai déjà eu l'occasion de me prononcer dans cette enceinte sur la première mesure. Je comptais vous rappeler, messieurs, ce que je disais à cet égard dans la séance du 16 juin 1864, mais l'honorable M. Mouton, dans le discours qu'il vient de prononcer, vous a déjà donné lecture de ce passage, et cette lecture est évidemment trop récente pour que je me permette de vous la faire de nouveau.

Je disais alors que si je considérais le cens comme étant une garantie de capacité, je considérais cette garantie comme mieux établie, avec un cens égal, dans les grands centres que dans les petits.

Je suis encore aujourd'hui de l'avis que j'émettais alors. De toutes les objections produites contre le cens uniforme, une seule me paraît mériter un moment d'attention. Les impôts, dit-on, varient selon l'importance des communes, et il est juste que le cens varie dans les mêmes proportions. Mais si les impôts varient selon l'importance des communes, c'est parce que les valeurs des matières imposables varient selon cette importance. cette diversité de l'impôt a pour but d'arriver à ce qu'une même charge frappe partout une même valeur ; ainsi, sauf les erreurs d'appréciation qui peuvent se trouver dans la loi, un même impôt représente partout un même avoir, une même garantie ; telle est la tendance du système.

Par conséquent, sous l'inégalité apparente qu'on invoque, se cache une égalité réelle, qui est un motif de plus d'adopter l'uniformité du cens.

Je me suis exprimé, à l'époque de 1861, en termes assez généraux pour faire comprendre que j'accepterais la réduction et l'unité du cens, sans qu'il fût besoin de subordonner le droit de vote à la condition de savoir lire et écrire.

J'ai cependant eu l'occasion, dans une autre circonstance, de prouver que je ne répudiais pas cette condition, par l'adoption de laquelle se complète le système de l'honorable M. Guillery ; j'ai voté la proposition faite par M. Orts, l'année dernière, de subordonner à cette condition le droit de suffrage à tous les degrés.

On a objecté alors et on répète aujourd'hui, que la condition proposée est vague, qu'elle offre un élément d'appréciation arbitraire et fragile, qu'elle est insuffisante en tout cas pour assurer la sagesse du corps électoral.

N'oublions pas qu'en ce moment il ne s'agit point pour nous de rechercher quelle dose d'instruction suffirait pour assurer, indépendamment de toute autre condition, l'admission au droit de suffrage. Il s'agit de compléter par un élément de preuve directe une présomption tirée du cens, présomption qui, à elle, seule a paru suffisante depuis trente ans pour légitimer la collation de l'électorat dans les 19/20èmes des communes du pays.

On entend combiner cet élément de preuve directe, élément nouveau, avec la présomption ancienne, toujours maintenue. Dans cette situation, l'appréciation de cet élément nouveau peut être large et indulgente et ainsi doivent disparaître les craintes d'appréciations arbitraires. Jusqu'ici la présomption a été qu'un certain avoir directement imposable exigeait la gestion de certains intérêts et pouvait faire supposer quelque intelligence.

Nous demandons en outre aujourd'hui la preuve que l'électeur n'est pas sans moyen de relations utile avec l'instrument dont on l'appelle à se servir, c'est-à-dire avec le bulletin qu'il devra déposer dans l'urne. Qu'il en sache assez pour lire et écrire un bulletin, même péniblement, cela peut suffire comme condition complémentaire ; cela ne suffirait pas, je le veux bien, comme condition unique, mais ceci est sans portée au débat ; pour apprécier loyalement la proposition de M. Guillery, il faut rester dans les termes de cette proposition et ne pas chercher en dehors d'elle des hypothèses qu'elle n'a point posées.

Et, si j'ai un reproche à faire à l'honorable M. Guillery, c'est précisément celui de n'avoir point posé ces hypothèses et de ne pas avoir fait à la capacité constatée la place à laquelle elle a droit. Je reproche sous ce rapport à la proposition d'être incomplète.

Le projet du gouvernement tend à restituer à la capacité constatée une partie de ses droits ; je ne marchanderai pas mon approbation à cette tendance, qui me paraît éclairée et salutaire. Mais la plupart des partisans de ce projet l'opposent à celui de M. Guillery et veulent l'y substituer, au lieu de compléter les deux projets l'un par l'autre ; mais comment ceux qui trouvent le projet de M. Guillery trop vague, n'ont-ils point remarqué combien est obscure, dans le projet du gouvernement, l'indication des conditions d'instruction dont il fait dépendre le droit de suffrage ? Il faut que ces conditions soient plus clairement déterminées, c'est la première amélioration à faire subir au projet. Il doit encore recevoir des améliorations sous deux autres rapports.

D'abord, il n'est pas admissible que les certificats de fréquentation d'un établissement d'enseignement constituent le seul mode de prouver qu'on possède l'instruction jugée suffisante pour jouir du droit électoral ; à côté de ces certificats, il faut admettre les preuves directes, qui sont toujours plus décisives. En dernier lieu, il faut débarrasser le système d'un élément qui vient l'abâtardir et le dépouiller de la grandeur qu'il pouvait avoir. On reconnaît les droits de l'intelligence, mais à peine les a-t-on reconnus, qu'on semble s'en effrayer et qu'on vient y mettre des restrictions ; honneur à la capacité constatée, paraît dire le gouvernement, mais seulement pourvu qu'à côté d'elle on rencontre soit un cens reduit, soit un cens fictif, un cens qu'il plaira au législateur d'imaginer.

Je n'admets pas cette restriction, je ne puis croire que faute d'un cens réduit ou parce que les caprices de l'imagination législative ne leur auront point été favorables, les capacités constatées doivent continuer à être exclues de nos comices.

Tels sont les trois points à propos desquels le projet du gouvernement me paraît avoir besoin d'être amendé. Je vais les reprendre successivement.

J'ai reproché d'abord au projet de ne pas assez clairement indiquer le degré d'instruction qu'il juge suffisant pour justifier l'admission au droit de suffrage. Si, malgré cette obscurité, j'ai réussi à le comprendre, si le sens que j'y i attaché, est aussi celui qu’y attache le gouvernement, (page 681) je pourrai me borner à une critique de forme sur ce premier point, je n'aurai pas à attaquer le fond des dispositions qui nous sont proposées.

Voici en effet ce que j'ai cru voir dans le projet du gouvernement. Une première disposition, celle de l'article 5, fait de l'instruction moyenne le critérium de l'aptitude électorale. A une première inspection, il paraît devoir entendre par là la connaissance des matières dont l'enseignement est réglé par la loi de 1850. Mais deux autres dispositions du projet viennent nous démontrer que les mots « instruction moyenne », « enseignement moyen » ont, dans le projet, une signification spéciale : l'article 26 considère comme établissement d'instruction moyenne les écoles primaires supérieures dont le programme est tracé par l'article 34 de la loi du 23 septembre 1842 ; l'article 5 considère comme tels les écoles qui, pour être utilement fréquentées, exigent la connaissance des matières faisant partie de l'enseignement primaire.

De ces articles combinés j'ai cru pouvoir déduire que l'instruction à exiger d'un électeur, dans l'esprit du gouvernement, doit comprendre au moins la connaissance d'une des trois langues qui se parlent dans le pays, l'arithmétique, les éléments de la géographie et de l'histoire, surtout de la géographie et de l'histoire nationales. Ces branches sont dans le programme des écoles primaires supérieures et ce sont les seules de ce programme qui exigent nécessairement la connaissance préalable des matières faisant l'objet de l'instruction primaire proprement dite. Si c'est là l'interprétation vraie du projet, j'accepte la base qu'il nous propose ; je demande seulement qu'elle soit plus clairement indiquée. L'instruction ainsi entendue est sérieuse, sans être inaccessible à personne. Elle peut donc fournir le point de départ d'une réforme large en même temps que dépourvue de dangers.

Mais cette instruction étant reconnue suffisante, dès qu'elle existe chez un citoyen, la loi doit conférer à celui-ci l'avantage qui y est attaché, quel que soit le moyen par lequel cette instruction a été acquise. L'instruction confère des droits par elle-même et non point parce qu'on est allé la puiser à certaines sources plutôt qu'à certaines autres. Le gouvernement n'admet en règle générale comme preuve que les certificats délivrés par les chefs d'établissement ; il exclut les certificats d'études privées, il craint que l'admission de ceux-ci ne donne lieu à des abus et à des complications. J'ai recherché consciencieusement s'il n'existait pas de moyen de parer à ces inconvénients ; je déclare franchement que je n'en ai point découvert. J'ai examiné ensuite si on ne pourrait pas admettre la preuve de l'instruction acquise indépendamment de toute fréquentation d'établissement par la production de certificats de notoriété d'une nature toute spéciale, entourés de formes, de conditions, de solennités qui constitueraient de sérieuses garanties. Sous ce rapport, je ne puis pas convaincu qu'un bon système ne puisse se formuler.

Mais l'idée est nouvelle, elle doit susciter des défiances peut-être exagérées, mais certainement respectables ; je n'ai pas voulu la compromettre en venant en proposer des applications imparfaites. Mais ces difficultés n'empêchent pas que la société politique serait injuste, si après avoir reçu au nombre des votants celui qui a fréquenté un établissement d'instruction, elle refusait le même honneur à celui qui vient le solliciter, en demandant à prouver qu'il possède réellement l'instruction qui doit l'en rendre digne.

Pour éviter cette injustice, je ne vois qu'un moyen acceptable : accorder à celui qui ne pourra prouver son état d'instruction par les certificats légalement admis le droit d'en justifier en se soumettant à un examen. Une commission d'examen par canton, ouvrant annuellement ses opérations quelque temps avant la confection des nouvelles listes électorales, suffirait pour que justice pût être rendue à tous.

Messieurs, cette lacune est regrettable et il est important qu'elle soit comblée. La partie de notre population ouvrière qui est arrivée à l'âge viril, n'a pas eu l'occasion de fréquenter des établissements d'enseignement moyen, si largement qu'on entende ce terme. Cependant dans les couches les plus éclairées de ces populations, vous rencontrerez un nombre considérable d'hommes à qui il serait facile de faire preuve d'une instruction aussi étendue que celle que peut faire supposer la fréquentation exigée par le projet. Cédant à l'invincible besoin d'instruction, qui s'est emparé de nos classes laborieuses à une époque où le travail absorbait déjà leurs journées entières, ils ont su prendre sur leurs heures de loisir et de repos le temps nécessaire pour compléter les données de l'enseignement primaire, le seul qu'ils avaient reçu, tantôt par leurs propres efforts seulement, tantôt en organisant spontanément entre eux une sorte d'enseignement mutuel d'une fécondité de résultats réellement surprenante. Refuserez-vous à ces hommes la juste récompense due a leur admirable conduite ? Vous ne voudriez à aucun prix être accusé d'une semblable iniquité ; vous ne souffrirez pas qu'elle s'accomplisse. En la prévenant, vous ne serez pas seulement justes, mais vous serez habiles. Vous enlèverez au projet ce caractère de défiance envers les classes ouvrières, caractère que l'intention de ses auteurs n'a pas été de lui attribuer, mais que lui donnent cependant des apparences qu'il est bon de faire disparaître.

Cette défiance apparente se retrouve encore dans la circonstance, que le projet n'admet pas dans certaines conditions une instruction sérieuse comme justifiant seule l'admission au droit électoral. On veut maintenir le cens à côté de l'instruction dans tous les cas. Ce défaut est commun, je m'empresse de le reconnaître, au projet du gouvernement et à celui de M. Guillery. En maintenant un cens, même un cens réduit, vous n'appellerez à l'exercice du droit de suffrage que les derniers rangs de la bourgeoisie, les artisans travaillant pour leur propre compte et les petits détaillants ; cette classe de citoyens est nombreuse et respectable, je le veux bien, mais une réforme qui s'adresse à cette classe seule, est, à mon avis, sans portée politique ; il est une autre classe de citoyens à laquelle il faut s'adresser, c'est cette élite des travailleurs, qu'un de mes honorables collègues de la députation de Bruxelles a bien mieux dépeinte que je ne pourrais le faire. Qu'il me soit permis de lui emprunter ses paroles. Voici ce que disait, dans la séance du 9 juin 1864, l'honorable M. Orts, répondant à l'honorable M. Dechamps :

« Il y a autour de cette bourgeoisie qui participe aujourd'hui au mouvement électoral pour la commune comme pour les Chambres une population ouvrière qui est la pépinière dans laquelle la bourgeoisie se recrute. Cette population grandit, elle se développe tous les jours matériellement et moralement surtout ; à cette grandeur et à ce développement j'applaudis, car ce progrès est un gage de force et de civilisation pour le pays.

« Cette population se compose particulièrement de travailleurs industriels dont le labeur a ce caractère que la main y est toujours rapprochée de l'intelligence.

« Cette classe, prolétaire encore parla racine, bourgeoise déjà par le sommet, est avide d'instruction. Elle va la chercher non pas uniquement dans les sources que vous recommandez, mois elle va puiser là où elle croit que l'instruction est bonne. Cette classe lit ; elle est préparée à la vie publique par la communauté établie dans les travaux de l'industrie entre l'ouvrier et le patron, communauté qui n'existe pas pour les travaux agricoles ; par ce contact permanent de l'atelier qui fait que l'ouvrier cause avec son voisin des choses publiques comme d'autres. Vous avez dans cette classe également une initiation à la vie politique déjà toute faite.

« Cette classe, elle lit ; je l'ai dit, elle lit, notamment les journaux, les nôtres comme les vôtres et peut-être un peu plus les nôtres que les vôtres ; elle se façonne à la vie publique en discutant jusque dans ces meetings dont on a souvent dit beaucoup trop de mal et qui ont cela de bon que lorsqu'on y prononce des paroles mal sonnantes, ce n'est jamais des lèvres de l'ouvrier qu'elles tombent, mais bien des lèvres de ceux qui vont au milieu des ouvriers, au milieu du peuple, le flatter, non pour le servir, mais pour l'exploiter.

« Ces mêmes hommes, messieurs, sont habitués déjà au mécanisme électoral par certaines fonctions qui leur ont été déférées et qu'ils remplissent, tout le monde doit le reconnaître, avec toute l'activité et toute l'intelligence désirables. Ceux là participent déjà par l'élection à la formation des conseils de prud'hommes.

« Par les sociétés de secours mutuels ces classes se sont encore initiées au mouvement des affaires ; elles ont appris de plus à nommer des mandataires en procédant par voie d'élection à la nomination des administrateurs. »

L'appel aux comices de cette classe de citoyens peut seul donner à votre réforme une signification importante ; or, en exigeant de cette classe un cens même réduit, vous continuez à l'exclure. Je le prouve !

Le cens se compose et doit en effet se composer exclusivement de contributions directes. Ces contributions comprennent :

La contribution foncière ; la contribution personnelle ; le droit de patente ; le droit de débit de boissons distillées ; le droit de débit de tabac et de cigares ; les redevances sur les mines.

L'ouvrier même appartenant à la couche la plus élevée des classes laborieuses ne paye ni contribution foncière, ni redevance sur les mines ; exceptionnellement, il peut arriver que la femme de l'ouvrier, en gardant le foyer domestique, trouve le temps de s'occuper d'un petit commerce. L'ouvrier peut, de ce chef, être tenu au droit de patente ordinaire ou bien aux droits de débit spéciaux aux boissons distillées et au (page 682) tabac. Mais ce sont là des faits purement accidentels et qui n'amèneront pas au scrutin d'une manière générale les ouvriers intelligents et instruits.

Reste la contribution personnelle : celle-là l'ouvrier la paye, mais on le considère comme ne la payant pas et ainsi, de ce côté encore, le scrutin devient inaccessible pour lui.

L'ouvrier, en effet, se trouve presque toujours dans les cas prévus par les articles 7 et 9 de la loi du 28 juin 1822.

Ces articles portent :

« Art. 7. L'individu occupant une maison, soit en propriété, soit autrement, qui en loue ou cède une partie des chambres ou appartements, devra la contribution pour la maison entière, sauf son recours contre les occupants, dans la proportion de la valeur locative imposable des parties de chambres ou appartements loués, à moins qu'il ne soit stipulé autrement par les baux. »

« Art. 9. Cependant, les habitations et bâtiments ou parties d'iceux, qui ne sont loués qu'au mois ou à la semaine, seront considérés comme étant à l'usage des propriétaires ou bailleurs, et ceux-ci, bien que non habitants, en devront la contribution, sauf recours contre les locataires ou preneurs, de la manière énoncée en l'article 7. »

Dans ces cas le propriétaire ou locataire principal fait au gouvernement une simple avance de l'impôt ; il récupère cette avance sur le locataire ouvrier. Celui-ci supporte l'impôt et n'est pas électeur ; l'autre se rembourse de l'impôt et se fait porter sur les listes électorales.

Sous ce rapport, l'exclusion dont le projet de réforme frappe les classes ouvrières pourrait être sensiblement mitigée. Il suffirait pour cela d'admettre au droit de suffrage tous ceux qui occuperaient depuis un temps à déterminer des habitations ou appartements dont la valeur locative donnerait lieu à la perception d'un impôt équivalant au cens réduit. Le fisc garderait les facilités de perception qu'il a cru devoir assurer, mais une injustice politique n'en serait plus la conséquence.

Ce n'est cependant que dans un ordre subsidiaire que je me contenterais de cette amélioration. J'en voudrais une plus grande. Je voudrais assurer à la capacité constatée, à l'instruction reconnue suffisante un droit indépendant de tout payement d'impôt. Ce droit lui appartient légitimement.

Le gouvernement lui-même n'a pu s'empêcher d'y rendre hommage dans certaines limites ; mais il a craint de se laisser entraîner par cet admirable principe ; il a voulu expliquer par d'autres raisons la consécration qu'il y donnait. C'est alors qu'on a trouvé le cens fictif, le cens qu'on pourrait exiger s'il n'était pas injuste de l'imposer ; l'invention n'est pas sans faire honneur à l'esprit ingénieux qui l'a découverte ; mais il m'est impossible d'y voir autre chose qu'une subtilité.

Votre exposé des motifs nous dit d'abord :

« Les dérogations que cette disposition apporte à la loi provinciale et à la loi communale puisent leur raison d'être dans le degré d'instruction des électeurs appelés à en recueillir le bénéfice. Il n'y a du reste rien à redouter de l'admission dans le corps électoral de citoyens dont l'instruction se compose non de quelques notions élémentaires à peine appréciables, mais de la somme des connaissances nécessaires pour juger sainement les questions qui se résolvent dans les élections. »

A ce principe j'applaudis de toutes mes forces.

Mais vous n'en restez pas là.

L'exposé des motifs nous prévient ensuite que, pour les employés privés jouissant d'un traitement moyen de 1,500 francs, le droit de patente équivaut en moyenne à la moitié du cens ordinaire et que cette moyenne sera comptée à tous. Là n'apparaît point encore la subtilité du cens fictif. Nous n'en sommes qu'à la transition. Voici maintenant comment le cens fictif entre en scène : « Il est une catégorie de citoyens qui occupent des emplois exigeant nécessairement des études et des connaissances spéciales et qui, soit à cause de leurs fonctions, soit dans un intérêt d'ordre public, ont été exemptés du payement de la patente par une disposition formelle de la loi. Tels sont les fonctionnaires publics, les ministres des cultes rétribués par l'Etat, etc. S'ils étaient soumis au droit de patente, leur traitement devrait être majoré d'autant ; l'Etat leur reprendrait d'une main ce qu'il leur donnerait de l'autre. En réalité, c'est comme s'ils payaient l'impôt de la patente, puisque dans la fixation de leur traitement il a été tenu compte de l'exception que la loi fait en leur faveur. On doit dès lors les considérer comme possédant les bases du cens et les admettre à l'exercice de l'électorat, s'ils réunissent les conditions de capacité requises. Il ne serait du reste pas juste de faire souffrir ces citoyens d'une exemption qui a été dictée par des considérations d'intérêt public. »

Cela ne veut dire qu'une chose, c'est que frapper ces classes de citoyens d'une patente serait trop injuste, tellement injuste qu'il faudrait s'empresser de leur rendre sous forme de traitement ce qu'on leur prendrait sous forme d'impôt ; mais, dit le gouvernement, quoiqu'il soit impossible d'exiger d'eux cet impôt, supposons qu'ils le payent, assimilons notre supposition à une réalité et nous aurons le droit d'appeler électeurs censitaires des électeurs qui ne payent point de cens.

On prouverait tout aussi facilement avec le même procédé que tous les Belges doivent être considérés comme éligibles au Sénat.

Mais si joli que soit le système, il ne s'applique pas aux avocats, médecins, chirurgiens et pharmaciens ; vous ne trouvez pas chez eux ce traitement calculé sur l'absence de patente et qui doit faire supposer une patente fictive. A ceux-là vous ne devriez rien rendre en appointements de ce que vous leur prendriez en impôts.

MfFOµ. - Vous supposez à torique tous les médecins et pharmaciens ne payent point patente. C'est une erreur. Il n'y a d'exemption que pour ceux qui sont attachés aux hôpitaux, aux hospices et à d'autre établissements charitables.

M. Van Humbeeck. - C'est une erreur dans l’exposé des motifs. Dans tous les cas, votre argument s'applique aux avocats, et par conséquent votre argument à vous tombe.

Cela me suffit pour dire que vous avez reconnu en principe qu'il y avait des catégories de personnes qui pouvaient être admises à l'électorat uniquement en vertu de votre première raison, c'est-à-dire de la capacité constatée.

Ainsi vous avez beau vous en défendre, vous avez dans certaine mesure admis que l'instruction seule peut justifier l'admission à l'électorat ; le principe est reconnu, il ne reste qu'à l'appliquer plus largement que vous ne l'avez fait. Complétez l'énumération de vos catégories et supprimez la condition du cens.

Dans ma conviction, l'application large de ce principe est pour l'avenir de notre pays la plus précieuse garantie que nous puissions désirer.

La réforme électorale fait naître chez les esprits modérés des préoccupations que je comprends et que je partage. Mais si je veux avec eux conjurer les dangers qu'ils redoutent, je ne partage pas toujours leur opinion sur le choix des moyens propres à les écarter.

Je veux moins que personne remettre le droit de suffrage à une foule, qui pourrait en faire le jouet de ses terribles caprices ; je ne désire pas l'avènement de ce suffrage, qu'on appelle universel, je ne sais pas pourquoi, car il a, comme les autres systèmes, ses exigences et certaines conditions de capacité, qui, pour être insuffisantes, n'en constituent pas moins un hommage involontaire au droit de la société d'exiger des garanties de l'électeur. Cependant, ce que je crains dans la foule, ce n'est pas le nombre qui fait la force, c'est l'ignorance qui peut rendre cette force insensée ; je n'ai pas peur de la force éclairée, j'ai peur de la force qui peut s'égarer, se porter à des écarts et à des excès, sous l'impression de cette ignorance appelée par Voltaire la plus terrible maladie du cœur humain.

Qu'une enceinte protectrice continue à s'élever autour de l'urne électorale, mais le moment est venu où cette enceinte doit s'agrandir. Parmi ceux qui demandent place dans l'enceinte agrandie, je distingue deux groupes : les intelligences sont d'un côté, invoquant avec dignité un droit dont elles ont raison d'être fières ; de l'autre côté sont les ignorances, niant le droit social, refusant de s'incliner devant l'instruction et tâchant de suppléer par la vanité à la dignité qui leur manque. Séparez l'un de l'autre ces deux groupes : appelez le premier à servir avec vous les intérêts de la société, qu'il est amplement capable de comprendre. Ne vous demandez pas si vous posez pour l'avenir le problème de la révision de notre pacte fondamental ; il y a dix-huit ans que cette question est posée, elle l'a été pour tout homme prévoyant dès le jour où en 1848 on a étendu le droit de vote pour les élections législatives à peu près aussi loin que le permettaient les prescriptions constitutionnelles ; sans doute cette révision ne viendra qu'à son jour et à son heure ; mais si la grande majorité de ceux qui demandent l'extension du suffrage en leur faveur dans les élections communales et provinciales s'abstiennent de solliciter une révision de la Constitution, ils montrent ainsi qu'ils comprennent l'importance d'une telle mesure, et cette conduite vous donne une garantie nouvelle de leur aptitude politique.

D'ailleurs rien n'est plus propre à consolider notre Constitution, que de rendre matériellement sensible au pays l'immensité des progrès que nous pouvons accomplir sans sortir du rayon tracé par notre loi des lois. Appelez donc à vous le groupe instruit ; isolez le groupe ignorant et du même coup vous le frapperez d'impuissance. Si vous ne le faites pas, l'agitation en faveur d'une extension du suffrage ne s'arrêtera point en (page 683) présence d'une réforme sans portée. Cette agitation est insignifiante aujourd'hui, je le proclame avec le gouvernement et je m'en réjouis ; mais elle peut devenir puissante demain, sa puissance peut nous amener des périls. cette éventualité serait à craindre sans doute, si un groupe nombreux d'intelligences suffisamment formées continuait à être exclu de nos scrutins.

Entre les intelligences froissées et les ignorances vaniteuses, toujours en éveil, il pourrait se former alors un alliance redoutable contre des restrictions décrétées au nom de l'intérêt social, mais qui cesseraient d'être respectées, du moment que la majorité du pays les jugerait excessives. Sous les coups de cette coalition, le système des restrictions s'écroulerait tôt ou tard en entier.

Les deux armées combinées s'installeraient à la fois dans la citadelle conquises par leurs efforts communs. Vous n'en pourriez plus déloger ni l'une, ni l'autre. Comme en France, à l'époque de 1848, nous verrions alors à une timidité trop grande succéder des témérités sans frein. Si ces tristes prévisions se réalisent jamais, la responsabilité n'en remontera pas à ceux qui auront défendu dans cette enceinte les droits de l'intelligence, mais à ceux-là seulement qui auront commis l'imprudence de laisser parmi les assiégeants un nombre considérable de citoyens que la place attaquée aurait pu compter aux premiers rangs de ses défenseurs les plus vaillants, les plus infatigables, et peut-être pas les moins éclairés.

Projets de loi allouant des crédits aux budgets des ministères des finances et de l’intérieur

Dépôt

Projet de loi ratifiant la convention conclue le 26 avril 1866 avec la société anonyme du canal de Bossuyt à Courtrai

Dépôt

MfFOµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

1° Un projet de loi ayant pour objet d'allouer au département des finances divers crédits supplémentaires à concurrente d'une somme de 96,278 fr. 70 c ;

2° Un projet de loi qui ratifie une convention conclue le 26 avril dernier entre le gouvernement belge et la société anonyme du canal de Bossuyt à Courtrai ;

3° Un projet de loi qui ouvre au département de l'intérieur un crédit spécial de 555,000 fr. pour couvrir les frais du recensement général à effectuer au 31 décembre 1866.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; ils seront imprimés et distribués.

La Chambre les renvoie à l'examen des sections.

Motion d'ordre

M. Funckµ. - Dans une de nos dernières séances, j'avais demandé au gouvernement de bien vouloir nous donner quelques renseignements sur les abus qui avaient été signalés par quelques organes de la presse dans l'administration de diverses fondations de bourses d'étude. On m'a répondu que, M. le ministre de la justice n'étant pas présent, il serait difficile de me donner des renseignements.

Je vois M. le ministre de la justice à son banc. Je profite de sa présence pour demander si la Chambre peut espérer obtenir ces renseignements.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Quand j'ai lu, au Moniteur, l'interpellation de l'honorable M. Funck, je me suis mis en mesure d'y répondre. Je suis à la disposition de la Chambre. Si elle le désire, dès demain je puis donner les explications demandées.

MpVµ. - S'il n'y a pas d'opposition, ces explications seront entendues demain au début de la séance.

- La séance est levée à 5 heures.