(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 555) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 1/4 heures.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont,. présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal de Coyghem prie la Chambre d'accorder au sieur Cambier la concession d'un chemin de fer vicinal entre Audenarde et Tournai. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Bruxelles demandent que le droit de suffrage pour les élections communales et provinciales soit étendu à tous ceux qui savent lire et écrire. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi portant modification aux lois communale et provinciale.
« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Mariembourg demandent le suffrage universel pour toutes les élections. »
- Même renvoi.
« Le sieur Louis Moysard, chef de musique pensionné, demande la révision de sa pension. »
M. Royer de Behr. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Des sous-officiers, caporaux, tambours et soldats pensionnés réclament l'intervention de la Chambre pour que leur position soit améliorée, en même temps que celle des officiers pensionnés. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par divers messages le Sénat fait connaître à la Chambre :
« A. Qu'il a adopté les projets de loi suivants ;
« 1° Budget de la guerre pour l'exercice 1866.
« 2° Abolition de l'amende en matière civile en cas de rejet de pourvoi ou d'appel ;
« 3° Crédit de 104,500 fr. au budget de la dette publique pour l'exercice 1866 ;
« 4° Crédit de 75,000 fr. au département des finances ;
« 5° Erection de la commune de Loxbergen (Limbourg).
« B. Qu'il a pris en considération neuf demandes de naturalisation ordinaire et une demande de grande naturalisation ;
« C. Qu'il a rejeté les demandes de naturalisation ordinaire du sieur J.-J. Collomb et de la demoiselle A.-C. Greffin,
- Pris pour notification.
M. Dewandreµ. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission chargée d'examiner le projet d'érection de la commune de Godarville ; et le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant un crédit spécial de 605,000 fr. au département des travaux publics pour l'extension des lignes et des appareils télégraphiques,
- Ces rapports seront imprimés et distribués et les projets qu'ils concernent mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Rodenbach (pour une motion d’ordre). - Messieurs, à l'occasion des fêtes de Pâques, la Chambre a l'habitude de se donner tous les ans une quinzaine de jours de vacances. Je propose à la Chambre de décider qu'après avoir épuisé son ordre du jour, - ce qui sera fait demain je suppose, - elle s'ajournera jusqu'au mardi 10 avril.
- Cette proposition est adoptée.
M. Coomans. - Je viens prier la Chambre de vouloir bien engager la section centrale nommée pour l'examen de différents projets de réforme électorale à hâter ses travaux de manière qu'elle puisse nous présenter son rapport à notre rentrée, afin que cette grande question, dont la Belgique entière se préoccupe à juste titre, soit encore vidée pendant la session actuelle.
M. Moreauµ. - Je ferai remarquer à la Chambre que la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la réforme électorale s'est réunie hier et aujourd'hui matin pendant deux heures et que ses travaux sont assez avancés déjà. L'honorable M. Hymans a été nommé rapporteur ; demain la section centrale tâchera d'achever l'examen de ce projet de loi ; et elle fera en sorte que son rapport puisse être présenté après les vacances de Pâques.
M. Coomans. - C'est parfait.
M. Hymans. - Messieurs, je crois qu'on pourrait faire encore plus que ne demande l'honorable M. Coomans. S'il est possible à la section centrale de terminer ses travaux avant la séparation de la Chambre, on pourrait envoyer le rapport à domicile aux membres de l'assemblée, en sorte que la discussion commencerait à la rentrée.
M. Coomans. - C'est cela.
M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, parmi les orateurs qui ont pris la parole dans la séance d'hier, j'ai trouvé deux principaux contradicteurs, M. le ministre de l'intérieur et l'honorable M. Pirmez.
M. le ministre de l'intérieur, en combattant mon amendement, s'est déclaré partisan de tout ce qui peut développer notre système communal, en même temps que de la décentralisation, pourvu qu'elle ne fût qu'administrative. Je ne puis, toutefois, oublier que, même sur le terrain de nos libertés communales, j'ai rencontré la même opposition chez M. le ministre de l'intérieur, lorsque j'ai exprimé le vœu de voir étendre les dispositions des articles 76 et 77 de la loi communale ; et en ce qui touche la décentralisation, M. le ministre de l’intérieur me permettra de lui faire remarquer que, dans le système représentatif, le droit, pour toutes les parties du pays, de concourir également et efficacement à la gestion des affaires publiques, porte un autre nom que la décentralisation : (erratum, page 576) c'est la liberté politique.
Il y a un reproche qui m'a été adressé à diverses reprises et que je veux rencontrer tout d'abord. C'est une tâche imprudente, ont répété plusieurs orateurs, que de vouloir introduire une modification aussi considérable que celle que je propose, dans un état de choses qui remonte à 35 années. C'est une chose grave, a-t-on dit, que de toucher à la répartition des collèges, à la forme dans laquelle s'exerce le droit électoral. Mais au moment même où je parle, ce n'est plus la forme seulement qu'il s'agit de modifier, c'est jusqu'au fond des choses, (erratum, page 576) c'est jusqu'aux bases mêmes du système électoral que vont la proposition de l'honorable. M. Guillery, et le projet de loi du gouvernement, et la discussion des sections ; et je ne comprendrais pas qu'on vînt en ce moment me reprocher de toucher à une question de forme, si j'ai la profonde conviction qu'elle ne se concilie plus avec le droit des électeurs, avec la légitime expression du sentiment du pays, avec la vérité du régime parlementaires, Lorsque j'ai eu l'honneur de déposer mon amendement, je n'ai pas hésité à déclarer à la Chambre que j'étais guidé par la persuasion que la situation des choses s'est complètement modifiée de 1831 à 1866, et n'est plus la même que lorsque la loi électorale est sortie des délibérations du Congrès.
(page 556) Il est évident, messieurs, que la proportion qui existait entre les grands et les petits collèges ne se retrouve plus.
Des arrondissements qui en 1831 nommaient un seul représentant, il n'en est pas un seul qui soit parvenu, jusqu'à ce jour, à avoir un représentant de plus ; et tandis qu'en Belgique l'accroissement général de la population pendant 35 années n'a pas dépassé un cinquième, on a vu un seul arrondissement, celui que représente l'honorable M. Pirmez, voir sa population s'accroître de 95,000 à 217,000 habitants.
A Bruxelles, à Charleroi, c'est-à-dire dans deux localités seulement, en supposant la proposition de l'honorable M. Orts adoptée, le nombre des représentants qui était de 9 en 1831, serait porté à 18 en 1866,c'est-à-dire qu'il serait doublé : 18 représentants pour deux collèges ! tandis que les 20 arrondissements qui envoient un ou deux représentants dans cette enceinte n'en obtiendront que deux de plus, selon la proposition de l'honorable M. Orts.
Même en dehors de ces grands collèges où l'accroissement de population est si exceptionnel, que d'anomalies ! que de contradictions !
Tandis que l'arrondissement de Courtrai, qui compte près de 146,000 habitants, n'élit que trois représentants, tout à côté, un arrondissement qui est parfaitement connu de l'honorable ministre de l'intérieur, l'arrondissement d'Ypres en désigne également trois avec une population qui n'est que de 108,000 habitants ; mais il y a des anomalies bien plus graves encore, et je citerai parmi les arrondissements qui n'envoient qu'un représentant à la Chambre, ceux d'Eecloo, de Waremme, de Neufchâteau qui possèdent (erratum, page 576) 55,000, 34,000, 53,000 habitants et qui toutefois n'ont qu'un seul représentant, absolument comme le district électoral d'Arlon qui ne compte que 29,000 habitants.
Et ce système inégal, et par conséquent injuste, n'appellerait pas une révision ?
L'honorable M. Orts, invoquant le droit des électeurs d'être représentés dans la législature, a proposé d'augmenter la représentation nationale dans sept arrondissements. Mais il ne reste pas moins un chiffre de 224,000 habitants non représentés, et l'honorable M. Orts a laissé complètement en dehors de sa proposition 21 arrondissements offrant un total de 200,000 habitants qui n'ont pas moins de titres à jouir de cette répartition nouvelle (Note du webmaster : une note de bas de page en donne le détail. Elle n’est pas reprise dans la présente version numérisée).
Et cet état de choses, nous le jugerions équitable ? Est-il conforme à la justice, est-il conforme à la raison d'attribuer aux grands collèges ce calcul d'augmentation de population qui évidemment leur profitera exclusivement par ce motif même qu'un accroissement proportionnel est toujours plus considérable lorsqu'il s'applique aux plus gros chiffres ?
Ne faudrait-il pas voir, par exemple, dans l'arrondissement de Bruxelles, onze groupes d'habitants et d'électeurs, onze collèges réunis en un seul bureau ? Et s'il en est ainsi, chacun de ces groupes, chacun de ces collèges n'offre plus qu'une quotité de 47,000 à 48,000 habitants que l'on favorise au détriment des collèges qui en possèdent plus de 50,000 ?
Ces chiffres, messieurs, conduisent à cette conclusion que, depuis 1831, cet accroissement de certains arrondissements, si rapide, et relativement plus considérable encore par le système qu'on veut lui appliquer, tend à faire absorber les forces légales du pays par les grands centres de population.
Et ici je dois rencontrer l'observation de l'honorable M. Pirmez qui m'a accusé de vouloir constituer un privilège de qualité.
Ce que je demande, au contraire, c'est qu'en s'attachant d'une manière normale et régulière aux chiffres égaux des populations dans des arrondissements distincts, l’on ne constitue de privilège pour personne, que l'on ne constitue pas de privilèges pour les grands centres de population eu leur attribuant un avantage exclusif, un avantage qui ne peut exister que pour eux et qui, je persiste à le croire, n'est pas justifié par ce déplacement d'individus qui s'y pressent guidés par l'espoir d'un salaire plus élevé, et il faut bien le dire aussi, par l'appât d'une vie de hasard qui associe la débauche à l'oisiveté.
Rien n'était, certes, plus étranger à ma pensée que de prononcer ici des paroles qui pussent blesser l'honorable député de Charleroi dont j'estime plus que personne, il en sera bien persuadé, et le caractère et le talent. Mais je ne puis admettre que nos populations flamandes, mises au ban de la politique par l'honorable M. Orts, soient aussi mises au ban de la morale par l'honorable M. Pirmez, et qu'on vienne les dépeindra ici comme livrées à la mendicité.
Je m'en réfère volontiers aux statistiques du département de la justice sur la criminalité respective des arrondissements d'Eecloo et de Charleroi, et pour justifier ce que j'ai eu l'honneur de dire sur cette population flottante, sans lumières, sans garanties, et sur lesquelles l'honorable M. Pirmez s'appuiera sans doute tout à l'heure dans la contestation qui s'élèvera entre l'arrondissement de Thuin et l'arrondissement de Charleroi, je demande à la Chambre la permission de lui mettre sous les yeux quelques lignes que je trouve dans un document qui vient de nous être distribué par le Sénat.
Voici en quels termes la commission de la justice s'exprime à propos de l'augmentation du personnel du tribunal de Charleroi :
« En augmentant le nombre des juges à Charleroi, le gouvernement donne satisfaction aux besoins du service. Situé à la frontière, l'arrondissement judiciaire contient une très forte population ouvrière composée d'étrangers et de Belges appartenant les uns aux provinces wallonnes, les autres aux provinces flamandes. Cette population, en quelque sorte flottante, rend souvent difficile l'action de la justice. »
Vous le voyez, messieurs, la commission de la justice au Sénat se sert exactement des expressions que j'ai employées moi-même et qui ont été l'objet d'une protestation assez vive de la part de l'honorable député de Charleroi.
Ainsi, inégalité complète dans l'exercice du droit des électeurs ; droit égal attribué aux 29,000 habitants de l'arrondissement d'Arlon comme aux 55,647 habitants de l'arrondissement d'Eecloo que j'ai l'honneur de représenter dans cette assemblée.
Ostracisme complet prononcé contre certains arrondissements, et d'autre part extension considérable, permanente, indéfinie des grands collèges où affluent, comme l'a reconnu l'honorable M. Pirmez, les émigrants de toutes les provinces quel que soit le motif qui les guide, quelle que soit leur valeur morale.
Et je n'aurais pas le droit d'appeler cela un danger ! Je ne pourrais pas légitimement chercher un remède à un pareil état de choses !
Mais, me répond M. le ministre de l'intérieur, le système que vous préconisez a des inconvénients bien plus graves.
M. le ministre de l'intérieur s'est plu à tracer le tableau le plus sombre, le plus sinistre des arrondissements qui ne nomment qu'un seul représentant. Il les a dépeints comme étant composés de deux ou trois cents électeurs soumis à toutes les influences mauvaises ; mais M. le ministre n'a pas hésité à ajouter qu'en tenant ce langage, il ne s'occupait que de pays étrangers. En effet, en Belgique des arrondissements semblables à ceux dont parlait M. le ministre de l'intérieur n'existent point.
En Belgique nous n'avons aucun collège électoral qui compte moins de 600 électeurs et il en est plusieurs, n'élisant qu'un seul représentant, qui en comptent plus de mille.
D'ailleurs le projet de loi présenté par le gouvernement sur la réforme électorale renferme, à l'article premier et à l'article 2, les éléments de l'augmentation du nombre des électeurs. Les craintes de M. le ministre de l'intérieur ne sont donc point justifiées.
M. le ministre de l'intérieur est allé bien plus loin. D'après lui, le candidat préféré par une circonscription électorale n'élisant qu'un seul député, sera nécessairement un docile instrument, presque un esclave, de même que, la veille, il aura trouvé sous sa main, comme le moyen le plus assuré, le plus aisé de succès, la corruption.
M. le ministre de l'intérieur, cette fois encore, a en soin de déclarer qu'il ne s'agissait pas de la Belgique. Et. en effet, si cette imputation s'appliquait à notre pays, elle créerait une position inacceptable pour plusieurs honorables membres de cette Chambre, notamment pour l'honorable député d'Arlon qui a eu l'honneur de siéger au banc ministériel, pour l'honorable député de Virton qui, même en dehors du règlement, saisit toutes les occasions d'exprimer son adhésion à la politique du ministère (interruption) et enfin pour l'auteur de l'amendement lui-même qui prétend n'être ni corrupteur, ni servile.
(page 557) Il s'agit donc des pays étrangers, comme l'a déclaré M. le ministre de l'intérieur. Des pays étrangers ! Est-ce de la France ?
S'agit-il de la France, où ce système existe encore aujourd'hui et ne soulève d'autres réclamations que celles qui contestent au gouvernement le droit de fixer les circonscriptions électorales ? Mais en France, qu'a-t-il manqué à ce système qui, défendu à 30 ans d'intervalle par M. Benjamin Constant et par M. de Lasteyrie, eut pour interprète à la chambre des députés l'un des membres les plus éminents de l'Institut de France, l'un de ses membres les plus autorisés dans le domaine des sciences, sciences morales et politiques, l'honorable M. Bérenger de la Drôme ?
Mais ce n'est pas seulement en France que ce système est appliqué. II est un autre pays dont nous nous sommes séparés, parce qu'il ne paraissait pas nous offrir assez de liberté et qui, à l'heure présente, il faut le reconnaître, marche devant nous plus sagement, avec plus de bon sens, avec plus de persévérance dans la pratique de toutes les libertés.
Eh bien, messieurs, conformément à l'article 77 de la nouvelle loi fondamentale, un système de circonscriptions électorales qui répond à celui que j'ai l'honneur de proposer, existe aujourd'hui dans le royaume des Pays-Bas.
Ainsi, messieurs, lorsque M. le ministre de l'intérieur vient me reprocher de soutenir ici un système impossible, irréalisable, nous lui répondons mieux que par des théories, nous lui répondons par des exemples, par l'exemple d'un pays également dévoué au droit constitutionnel, ayant à peu près la même population et les mêmes mœurs, où ce système fonctionne et où l'on s'en félicite hautement.
Soyons-en bien convaincus, messieurs, le péril de la corruption, il ne faut pas le chercher dans le nombre des électeurs, il est ailleurs ; il est, et j'espère que le gouvernement partagera mon opinion, s-fans l'inscription sur les listes électorales d'individus qui font métier de ce qui avilit et dégrade nos populations, et qui, le jour de l'élection, sont à la fois les instruments, les agents et, si je puis m'exprimer ainsi, les bénéficiaires de la corruption.
On ne comprend pas, en dehors de nos frontières, que, dans un pays honnête comme le nôtre, les débitants de boissons alcooliques constituent une catégorie assez nombreuse d'électeurs pour déplacer la majorité dans cette Chambre.
Ce n'est pas là, messieurs, une question de circonscription électorale, c'est une question de base du droit électoral, et lorsque vous aurez fait disparaître cette base fausse et, j'ose le dire, honteuse, la circonscription électorale offrira certainement le caractère d'une réunion de citoyens pénétrés de l'importance de leur mandat, étrangers aux rumeurs et aux passions qui s'agitent dans les grands centres et dans les grandes assemblées d'hommes, s'interrogeant eux-mêmes dans le calme sur leurs devoirs et sur leurs intérêts ; vous aurez ainsi fait un grand pas vers la sincérité, la vérité et la dignité du système représentatif.
Messieurs, j'ai à repousser une autre objection qui au premier abord a pu paraître sérieuse ; je veux parler de l'instabilité du système des circonscriptions électorales. Cette objection est toutefois réfutée par le système même que je défends. Vous êtes frappés de certaines augmentations qui sont considérables dans les grands arrondissements. Divisez ces grands arrondissements ; l'objection disparaît aussitôt. La statistique vous éclairera complètement à cet égard. L'augmentation annuelle de la population du royaume est en moyenne au-dessous d'un centième. Supposons-la d'un centième ; il faudra donc en moyenne un siècle pour établir un nouveau groupe de population formé de 40,000 habitants.
Mais prenons des cas particuliers et spéciaux ; l'augmentation de la population de Bruxelles est de (erratum, page 576) un et un tiers p. c. par an. Supposons-la d'un et demi ; il faudrait 75 ans pour doubler, à Bruxelles, les groupes de population ; si elle était de 2 p. c. il faudrait encore 50 ans.
L'honorable M. Orts m'interrompait avant-hier, en me faisant remarquer que l'arrondissement de Bruxelles voit sa population s'accroître de 40,000 habitants tous les 4 ans. Eh bien, messieurs, formons de l'arrondissement de Bruxelles 13 districts électoraux et le terme de 4 ans sera porté à 52 ans.
Les honorables représentants de Charleroi affirment que la population de cet arrondissement s'accroît de 5,000 habitants tous les ans : formons de l'arrondissement de Charleroi trois districts électoraux ; 1,000 habitants ajoutés ainsi tous les ans à chaque district électoral formeront un groupe de 40,000 habitants tous les 40 ans.
Il suffirait donc d'inscrire dans la loi que, toutes les fois que la population d'un arrondissement aura atteint le chiffre de 65,000 habitants (environ deux tiers du nombre constitutionnel non représenté), il y aura lieu de le subdiviser, On pourrait également déclarer que lorsque dix arrondissements auront dépassé de moitié le chiffre constitutionnel, on procédera à un remaniement complet des circonscriptions électorales. Mais, ce qui peut rassurer complètement l'assemblée, c'est que ni l'une ni l'autre de ces éventualités ne pourrait se présenter au XIXème siècle.
Au-dessus de ces questions de détail, il y a une grande question de principe sur laquelle j'appelle, messieurs, toute votre attention : c'est que rien ne contribue davantage à fortifier le sentiment de la nationalité et rattachement aux libertés publiques que la part que toutes les fractions légales du pays, telles que les détermine l'article 49 de la Constitution, peuvent être appelées à prendre (erratum, page 576) sincèrement, efficacement, à la défense de cette nationalité, au développement de ces libertés.
M. Vleminckxµ. - L'honorable comte de Theux vous disait dans la séance d'avant-hier qu'une partie de l'arrondissement de Bruxelles n'était pas représentée dans cette Chambre, et donnant, à la fin de son discours, une formule de fractionnement pour le collège électoral de cet arrondissement, il nous a clairement fait entendre que la partie non représentée était la partie rurale, entièrement dominée, dit-il, par les électeurs de la capitale et des faubourgs.
La députation de Bruxelles proteste contre cette allégation ; elle a la prétention de croire qu'elle représente l'arrondissement tout entier comme il doit l'être, qu'il n'est pas une seule de ses portions, un seul de ses intérêts matériels qu'elle ne prenne à cœur et dont elle ait jamais négligé la défense. Sans doute cette députation ne défend pas ici les opinions politiques de la minorité rurale de l'arrondissement, mais l'honorable comte de Theux n'est-il pas dans la même situation vis-à-vis de celui de Hasselt ? L'honorable membre est-il bien sur de représenter la ville de Hasselt et les libéraux extrêmement nombreux de cet arrondissement, tellement nombreux, messieurs, qu'ils sont parvenus naguère à envoyer dans cette Chambre un des leurs ? En vérité la prétention serait un peu trop forte.
L'honorable membre veut-il que je fasse ici le compte d'autres arrondissements catholiques, comme il a cru devoir faire celui de l'arrondissement libéral de Bruxelles ? Mais est-ce que la députation de Louvain par exemple, n'est pas repoussée, entre autres, par la ville de Louvain elle-même, qui lui accorde à peine un tiers de ses voix ? Est-ce que Malines, Lierre, Audenarde, Termonde, Diest, que sais-je ? ne sont pas complètement absorbés, pour parler le langage de l'honorable comte de Theux dominés, par l'élément rural ?
M. Coomans. - Voilà le vice.
M. Vleminckxµ. - Soit, mais alors qu'on ne vienne pas nous dire que l’arrondissement de Bruxelles est autrement représenté que l'arrondissement de Hasselt et bien d'autres.
Pourquoi donc ce reproche inconcevable à l'endroit de la députation de Bruxelles ? Est-ce que cet arrondissement, seul parmi tous, devrait être fractionné au préjudice de l'opinion libérale, alors qu'un fractionnement semblable ne devrait pas être opéré ailleurs, au préjudice de l'opinion cléricale.
Savez-vous, messieurs, où nous mènerait le système du vénérable chef de la droite généralisé dans tous nos arrondissements électoraux ? A rien moins qu'au rétablissement des ordres proscrits par la Constitution, à la réorganisation tout au moins d'un ordre des villes et d'un ordre des campagnes. Cela est incontestable.
Notre système électoral est le corollaire de la destruction des ordres : le modifier, même partiellement, d'après la théorie de l'honorable député de Hasselt, c'est, en dernière analyse, travailler à leur reconstruction.
Messieurs, vous aurez beau fractionner, mais fractionner constitutionnellement bien entendu, en mêlant entre eux l'élément des villes et l'élément des campagnes, vous aurez beau fractionner l'arrondissement de Bruxelles, il n'enverra désormais dans cette Chambre que des députés libéraux, des députés fermement et sincèrement dévoués à l'opinion libérale.
Vous tenteriez en vain d'essayer de rompre ce faisceau. N'essayez pas, car vous échoueriez dans votre imprudente entreprise. Et ici je dois quelques mots de réponse à l'honorable M. Pirmez.
L'honorable député de Charleroi, dans les plus louables intentions sans doute, a imaginé une situation qu'il importe de prévoir, a-t-il dit, pour ne pas se trouver un jour en présence d'embarras inextricables.
Qu'il advienne, par exemple, que la ville de Bruxelles se sente fortement blessée par le gouvernement dans un de ses intérêts matériels, est-ce que sa députation forte, nombreuse, ne pourrait pas se tourner tout entière contre lui, arrêter en quelque sorte sa marche, et n'est-ce pas là un grand danger ?
Que l'honorable député de Charleroi se rassure. La députation de (page 558) Bruxelles tout entière ne sera jamais du côté d'un ministère catholique, qu'il satisfasse ou non les intérêts matériels de l'arrondissement ; mais, jamais, quoi qu'il arrive, elle ne désertera non plus le drapeau libéral ; jamais dans un intérêt de localité, elle ne se jettera dans les bras de ses adversaires politiques pour se donner le facile plaisir de satisfaire des rancunes que j'appellerais volontiers personnelles.
Si telle n'était pas sa conduite, il n'est pas un libéral de l'arrondissement qui ne la répudiât immédiatement et ne l'obligeât à résigner le mandat qu'elle aurait aussi indignement accompli.
N'ayez donc pas une pareille crainte, messieurs ; plus, d'ailleurs, on vous l'a dit, plus une députation sera nombreuse, moins elle sera complètement homogène ; cela est dans la nature même des choses, et il est pour ainsi dire impossible qu'il en soit autrement, il y aura toujours des députés libéraux à Bruxelles, mais fractionnés ou non, on ne fera jamais qu'ils soient toujours complètement d'accord sur toutes les questions.
Et à ce propos, l'honorable M. Delaet, interrompant hier l'honorable M. Hymans, s'est avisé de lui faire cette singulière observation : « Nous verrons cela quand il s'agira des travaux de Bruxelles. »
Eh ! mon Dieu, oui, vous le verrez. Lorsqu'il s'agira de ces travaux, nous ferons, tous, tout ce que nous pourrons, pour qu'on nous aide à nous soustraire aux influences miasmatiques d'un égout infect. Ce que nous ferons pour Bruxelles, nous le ferions tous, au besoin, pour n'importe quels travaux d'assainissement. Que l'honorable M. Delaet essaye, qu'il nous mette à l'épreuve pour l'assainissement de notre littoral, par exemple, et Anvers y est quelque peu intéressé, je pense, et il verra si nous lui marchanderons notre concours et nos votes.
M. Delaetµ. - Par aventure.
M. Vleminckxµ. - Mais il me semble que la position que j'ai prise dans cette enceinte est bien de nature à vous prouver que, dans une pareille question, je ne vous marchanderais jamais mon appui.
M. Delaetµ. - Vous êtes un des onze.
M. Vleminckxµ. - Eh bien, je suis bien convaincu qu'aucun de mes collègues de la députation de Bruxelles ne me désavouera.
M. Delaetµ. - Et la question du cimetière de Borgerhout n'implique-t-elle pas un grand intérêt hygiénique ?
M. Vleminckxµ. - Mais que l'honorable M. Delaet en soit bien certain aussi : dans le cas même où le gouvernement, oubliant ses devoirs, ne ferait pas pour Bruxelles ce que Bruxelles a le droit d'attendre de lui, pour n'importe quelle situation, jamais il ne verra ses députés, trahissant la cause du libéralisme, aider leurs adversaires politiques à monter au pouvoir ; jamais ils ne permettront qu'à propos d'eux, on dise en Belgique et à l'étranger : « Il y a, à la Chambre des représentants belges, un parti catholique, un parti libéral et un parti de Bruxelles. »
M. Vermeireµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole dans la séance d'hier, lorsque j'ai entendu l'honorable M. Pirmez accuser la population ouvrière flamande de n'avoir eu ni assez d énergie ni assez de force pour lutter contre le malheur, et surtout quand je lui ai entendu dire que cette population aurait peut-être complètement disparu si les provinces méridionales du pays n'étaient venues à leur secours.
Messieurs, je ne partage en aucune façon la manière, de voir de l'honorable M. Pirmez sur les obligations que les populations flamandes devraient à celles chez lesquelles elles ont trouvé du travail dans un moment de détresse.
Mais avant d'examiner cette question, qu'il me soit permis de dire que les malheurs des populations flamandes en 1847 et en 1848 étaient dus à un fait entièrement indépendant de leur volonté.
Vous savez, en effet, messieurs, que la transformation de l'industrie linière qui faisait le bonheur et la gloire de la Flandre, a été la seule de la décadence des Flandres et que cette décadence a été d'autant plus grave qu'elle était compliquée d'une crise alimentaire.
Messieurs, je ne veux pas rappeler plus longuement des souvenirs aussi douloureux. Qu'il me soit cependant permis de dire que lorsqu'il s'est agit de venir en aide aux populations des Flandres, le premier secours n'est pas venu des provinces méridionales mais bien de la ville d'Anvers et des autres populations flamandes.
Maintenant, ainsi que je le disais tantôt, de ce qu'une partie des populations des Flandres sont allées travailler dans les provinces méridionales, elles n'étaient pas, pour cela, leurs obligées.
En effet, lorsque je vais dans un magasin, pour acheter n'importe quelle marchandise, je prends ma marchandise, je la paye et nous sommes quittes.
Si vous avez besoin de mon travail, je viens vous l'offrir ; nous convenons d'un prix, je donne mon travail ; vous me le payez et nous sommes encore quittes ; il n'y a aucune obligation réciproque.
Ce ne sont pas les provinces méridionales qui ont sauvé les Flandres, je crois que tout le monde s'est ému des grands maux qui ont frappé deux importantes provinces du pays, et c'est à ces effets combinés, joints à la transformation de l'industrie des Flandres, que ces deux provinces ont dû leur salut.
Maintenant un mot au sujet du projet de loi qui nous occupe. On a beaucoup discuté, dans la séance d'hier, le point de savoir quels arrondissements doivent avoir un député de plus ; on a débattu la question tantôt dans un sens, tantôt dans un autre ; je ne veux pas entrer dans de longues considérations à ce sujet ; mais il me paraît que notre honorable collègue, M. Lelièvre, a parfaitement expliqué la loi, lorsqu'il nous a dit dans son premier discours :
« Le système admis en 1859 est le plus simple et le plus conforme à la nature même des choses. On attribue d'abord aux arrondissements le nombre de représentants qui leur est acquis de plein droit, à raison d'un excédant de population supérieur à quarante mille âmes ; les autres représentants qui doivent être créés à l'excédant général de la population du royaume, sont ensuite répartis entre les provinces et les arrondissements qui, sans présenter un excédant de quarante mille habitants, approchent le plus de ce chiffre, »
Si ce système, le plus rationnel, à mon avis, était admis, et il devrait l'être, parce que le nombre des représentants est basé sur le chiffre de, la population ; si ce système était admis, il n'y aurait qu'un calcul à faire.
Je n'en dirai pas davantage sur ce point.
L'honorable M. Vleminckx, qui vient de se rasseoir, a dit que la population de la ville de Termonde n'était pas représentée, parce qu'elle était dominée par les populations rurales de l'arrondissement du même nom. Il est vrai que, dans la partie rurale de l'arrondissement de Termonde, la population est plus forte que dans le chef-lieu ; mais il n'en résulte pas moins que, dans la partie rurale de cet arrondissement, les diverses opinions ont leurs représentants.
Ainsi, quand une lutte s'établit, nous voyons constamment que les cantons ruraux sont l'objet de grandes flatteries avant l'élection ; on loue l'intelligence des campagnards, leur libéralisme ; on dit que ce sont ces populations-là qui apporteront le plus fort contingent à l'élection future ; qu'ils voteront pour les candidats présentés par l'opinion libérale. Mais, messieurs, lorsque les élections sont terminées et qu'on n'a pas obtenu le succès qu'on attendait, alors on tient un autre langage ; les populations rurales n'ont plus ni intelligence, ni indépendance, ni volonté ; ils deviennent des opprimés, des esclaves impropres à exercer leurs droits civils.
Maintenant, messieurs, quand la ville de Termonde vote avec une ou deux communes, dans un seul bureau, et quand on fait le recensement des bulletins de vote, quel résultat trouve-t-on ? C'est qu'il y a, dans la ville de Termonde même, plus de voix en faveur du parti conservateur qu'en faveur du parti contraire. Il ne peut en être autrement : tous les partis sont représentés au conseil communal ; tantôt l'un des partis a une majorité d'une ou de deux voix ; tantôt c'est l'autre parti qui a cette majorité.
Il ne serait pas étonnant qu'aux élections prochaines il y eût encore un changement dans la constitution de l'administration communale de Termonde.
Ainsi, laissons de côté ces récriminations ; au lieu de scinder le pays en catholiques et en libéraux, soyons tous animés de sentiments plus élevés ; ne voyons entre nous que des frères ; disons que nous sommes tous Belges et que nous voulons la prospérité du pays, dans les conditions qui sont déterminées par la Constitution et par les lois organiques.
Maintenant, je crois que nous appliquons mal les prescriptions constitutionnelles. Que porte, en effet, l'article 49 de la Constitution, sinon que la loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population ; que ce nombre ne peut excéder la proportion d'un député sur 40,000 habitants.
Or, si maintenant, par le système de compensation que nous allons admettre, nous faisons en sorte que le nombre des députés dépasse la proportion, nécessairement nous nous écartons des prescriptions de la Constitution. II est vrai qu'on transite un peu d'une province à une autre, d'un arrondissement à un autre, d'un canton à un autre. Mais enfin il faut que le nombre des représentants soit fixé à raison de la population des provinces. Or, les fractions, quelque grandes qu'elles soient, ne peuvent jamais, selon moi, compter pour un représentant. On applique (page 559) aujourd'hui un autre calcul, mais, je le répète, je croîs que ce calcul est contraire à la Constitution.
Messieurs, je voterai coutre le projet de loi, non qu'il me paraisse tout à fait inacceptable, mais par les raisons sur lesquelles on s'est appuyé pour le défendre. Ainsi quand on vient nous dire que ce projet nous est présenté dans un but politique, que c'est pour renforcer le parti libéral à la Chambre, enfin lorsque son auteur lui même a avoué que c'était dans ce but que le projet de loi était présenté, je dis que celui-ci n'a plus de raison d'être, parce qu'alors il est présenté dans un but d'oppression de la minorité. Par ce motif seul je lui refuserai mon assentiment.
M. de Smedt. - Messieurs, dans la séance d'hier, deux orateurs de la gauche ont essayé d'amoindrir la portée des considérations que j'ai présentées à la Chambre, pour prouver que le système électoral actuel est mauvais, puisqu'il permet à la minorité du pays de gouverner et d'imposer sa volonté, non seulement à la majorité du corps électoral, mais même à la majorité numérique des habitants.
Cette assertion, je la maintiens dans toute son intégrité. Elle est vraie, mathématiquement vraie, et je demande à la Chambre cinq minutes seulement pour l'établir avec une telle évidence, cette fois, que je défie d'avance toute contradiction.
Mon honorable collègue, M. Pirmez, avec une parfaite convenance, je le reconnais, a pris, comme on le dit vulgairement, la bête par les cornes et attaqué de front mon argumentation.
Aucun des discours de mes honorables adversaires n'ayant encore, paru au Moniteur et devant me fier à mes souvenirs personnels, je prierai mes honorables contradicteurs de me prêter un instant leur attention pour savoir si je présente bien leurs arguments, et pour relever les erreurs que je pourrais involontairement commettre.
Voici donc, si je l'ai bien compris, ce que M. Pirmez m'a objecté. M. de Smedt, a t-il dit, dans son ardeur de critique, a oublié de faire entrer dans ses calculs un élément indispensable qui, s'il en avait tenu compte, changerait complètement ses conclusions.
J'aurai l'honneur de démontrer à l'honorable membre que je n'ai rien négligé du tout dans mes opérations arithmétiques, par conséquent, que le fait que j'ai constaté reste d'une vérité indiscutable.
Et puisque l'on ne m'a pas compris la première fois, répétons l'argumentation d'une manière qui, cette fois, je l'espère, sera saisissante de vérité pour tout le monde.
J'ai dit qu'en compulsant les procès-verbaux des dernières élections générales, j'ai trouvé ce fait étrange que la grande majorité numérique de la Chambre actuelle est élue par une forte minorité du corps électoral, et j'ai ajouté qu'aussi longtemps que nous aurons le système électoral actuel, ce fait regrettable se présentera presque inévitablement à chaque élection.
Voici donc ce que les procès-verbaux des élections constatent.
Premier fait. La moitié du nombre total des arrondissements du pays envoie à elle seule dans cette Chambre les 3/4 de la représentation nationale, soit 88 membres. Ceci on ne le contestera pas, je pense.
Deuxième fait. Ces 88 représentants, qui forment bien, je crois, la majorité de la Chambre, ont été élus exclusivement par 41,814 électeurs, c'est-à-dire par moins de la moitié des citoyens au nombre de 83,947 qui ont pris part aux dernières élections générales. Sommes-nous d'accord jusqu'ici ? M. Pirmez me fait un signe affirmatif.
Dès lors, j'ai raison et c'est bien la minorité du corps électoral qui a envoyé dans cette Chambre 88 représentants sur 116, donc la majorité de la représentation nationale. Est-ce assez clair ?
Et à moins de vouloir soutenir que 2 et 2 ne font pas 4, je ne puis réellement concevoir qu'on tire de ces chiffres une autre conséquence. Mais, dit M. Pirmez, il fallait ajouter aux votes donnés aux 88 députés de la première série, les minorités de la seconde série d'arrondissements qui n'ont pas concouru à la nomination de ses 28 représentants.
Mais, entre parenthèse, je dirai que ce mode de calculer est vicieux. En effet, qui peut m'assurer que ces minorités non représentées dans la seconde série auraient voté nécessairement pour les élus de la première série, et ensuite, par contre, que les électeurs de la première série qui ne sont pas parvenus à faire nommer un seul de leurs candidats, auraient donné leur voix aux membres de cette Chambre élus par la deuxième série d'arrondissements.
Exemple : Furnes et Virton fout partie, tous les deux, dans mes calculs, de la seconde série, qui n'a que 28 mandataires dans cette Chambre. La minorité de Furnes est libérale, la minorité de Virton est catholique ; comment pourrait-on admettre que les libéraux de Furnes auraient voté pour le candidat catholique évincé aux élections de Virton ? On me ferait donc faire un calcul inadmissible.
Mais, supposons un instant que cette manière de calculer soit juste, et puisqu'il faut ajouter, me dit-on, à la majorité de la première série la minorité de la seconde série, d'autre part aussi, je pense, je dois ajouter à la majorité de la deuxième série la minorité de la première. C'est ce que veut l'honorable membre. Mais M. Pirmez concédera-t-il alors que, dans l'hypothèse d'un tel calcul, mes conclusions seront justes ?
En posant de cette manière les chiffres, vous aurez, dit-il, un tiers des électeurs qui nomment un tiers des membres de la Chambre et les deux autres tiers qui nomment les deux tiers restants pour compléter la représentation nationale. Cela sera parfaitement juste.
Oui, messieurs, si les choses se passaient ainsi, cela serait parfaitement juste. Mais cela n'est pas ; pas même en opérant de la manière que l'indique l'honorable membre. Voyons donc les chiffres : Je néglige les fractions.
Première série. 21 arrondissement nommant 87 députés par 41,000 vox.
Minorité des voix des 20 autres arrondissements que, d'après mon honorable ami, je dois ajouter à ce chiffre de 41,000, soit 4,000. Total 45,000 voix.
Deuxième série. 20 arrondissements nommant 29 députés, élus par 12,000 voix. A ce chiffre j'ajoute les minorités de la première série, 24,000. Total, 56,000.
Donc 45,000 électeurs ont 87 représentants et 36,000 électeurs ont 29 représentants.
Or 29 est le quart de 87, mais 36,000 est bien loin d'être le quart de 45,000, et vous avez d'un côté dans la première série un représentant pour 517 votants et dans la seconde série, un représentant pour 1,241 volants.
Déplacez dix représentants seulement pour les placer dans la seconde série, il vous restera encore dans la première 77 représentants, c'est-à-dire encore la majorité et cependant ils seront bien cette fois encore les élus de la minorité ; car il vous faudra en même temps retrancher 10 fois 517 ou 5,170 voix des électeurs de la première série pour les placer dans la seconde, et de cette manière, je conserve la majorité des représentants tout en donnant la majorité au chiffre des électeurs qui votent pour la seconde série qui, bien qu'augmentée de 10 membres, soit 39 au lieu de 29, reste cependant encore minorité très forte.
Vous voyez, messieurs, qu'en opérant comme l'indique M. Pirmez, vous pouvez encore, avec les chiffres de la dernière élection, prouver que la majorité de la Chambre actuelle est issue de la minorité du corps électoral du pays.
Que dirais-je, messieurs, du discours de l'honorable M. Hymans ? il a voulu faire de l'esprit quand même, a-t-il réussi ? C'est possible, mais que m'importe ? L'esprit est certes une chose fort agréable et même utile parfois ; mais cette faculté de l'intelligence devient désastreuse quand on s'en sert pour donner au faux l'apparence du vrai.
Je ne relèverai qu'une phrase de son discours qui m'a semblé faire quelque impression sur une partie de cette Chambre.
L'honorable membre m'interpellant directement me demanda : « Mais si nous ne sommes pas la majorité du pays, où est-elle donc, et si nous ne représentons rien, que représentera donc M. de Smedt ? » Cela est fort joli, mais que l'honorable membre me permette de le lui dire, cela n'est pas sérieux.
Et voici pourquoi cela n'est pas sérieux. Ai-je jamais dit que la majorité numérique de cette Chambre ne représentait rien ? Ce serait absurde. J'ai dit que la majorité numérique de la Chambre actuelle était issue de la minorité du corps électoral ; par conséquent, elle représente cette minorité, soit 88 membres, qui représentent ensemble plus de 41 mille électeurs. N'est-ce rien cela ?
M. Hymans. - Et la minorité, de quoi est-elle issue ?
M. de Smedt. - Si M. Hymans veut bien me laisser continuer, il aura la réponse qu’il désire.
Mais, ajoute en même temps l'honorable membre, que représente donc alors la minorité ? Je vais vous le dire, cela est parfaitement clair.
Si la majorité de cette Chambre représente la minorité du corps électoral, il va de soi que la minorité du parlement représente une fraction de la majorité des électeurs du pays.
(page 560) Mais que devient alors l'autre fraction de la majorité ? Messieurs, elle n'est pas représentée. En effet, n'oublions pas qu'il y a eu, comme je l’ai prouvé, près de 30,000 électeurs aux dernières élections générales qui ne sont pas parvenus, faute d'un déficit de quelques voix, à avoir dans cette Chambre un seul député pour les représenter. Et ces 30,000 voix non représentées, jointes aux 12,000 voix représentées par 28 députés, forment ensemble la majorité du corps électoral qui a pris part aux opérations du corps électoral de 1864. Est-ce assez clair ? (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Où allons-nous ?
M. de Smedt. - Je suis vraiment étonné de ces rires. Je ne demandé qu'une chose, c'est qu'un des honorables interrupteurs essaye de renverser mon argumentation. Il résulte des procès-verbaux des dernières élections, que 88 membres de cette Chambre sont les élus de 41,000 électeurs, qui forment bien la minorité du corps électoral de 1864. Quand on aura détruit ces chiffres, on pourra rire.
Eh bien, je voudrais, moi, que la majorité des électeurs fût représentée ici par la majorité des membres de cette assemblée. Voilà tout ce que je veux, rien de plus, rien de moins.
M. Braconier. - La Chambre a hâte de terminer cette discussion ; aussi je ne lui demande que cinq minutes.
Je n'ai que quelques observations à présenter relativement à l'amendement des honorables MM. Kervyn et de Naeyer.
Tous les amendements qui ont été présentés au projet de loi de la session centrale ont évidemment un but, c'est de faire attribuer à des collèges qui envoient dans cette enceinte des représentants catholiques, les nouveaux sièges qu'il s'agit de créer, au détriment de collèges qui envoient dans cette enceinte des représentants libéraux.
Dans l'amendement des honorables MM. Kervyn et de Naeyer, la province de Liège se trouve privée du représentant qui lui est assigné dans la répartition faite par la session centrale.
M. Kervyn de Lettenhove. - Cet amendement n'a pas été développé.
M. Bouvierµ. - Vous violez le règlement, M. Kervyn.
- Un membre. - Il suit votre exemple.
M. Braconier. - Voulez-vous que j'ajourne mes observations à plus tard ? Je suis prêt à le faire. Du reste, je n'ai que quelques mots à dire.
L'honorable M. de Naeyer, dans le discours qu'il a prononcé, a examiné la question de savoir comment la répartition devait avoir lieu. Il a reconnu en principe qu'il y avait des provinces qui avaient un droit absolu à obtenir un représentant en plus. De ce nombre se trouve la province de Brabant pour deux représentants, le Hainaut pour un représentant, et la province de Liège pour un représentant. et chose bizarre et extraordinaire, c'est que l'amendement signé par l'honorable M. de Naeyer enlève à la province de Liège le représentant auquel elle a un droit absolu, d'après lui-même.
M. de Naeyerµ. - Mais non.
M. Braconier. - Evidemment. Voici l'amendement : « Conformément à l'article 49 de la Constitution, les huit nouveaux représentants seront attribués : Anvers six représentants ; Bruxelles treize représentants ; Louvain cinq représentants ; Courtrai quatre représentants ; Alost quatre représentants, Charleroi cinq représentants, Philippeville deux représentants. »
M. de Naeyerµ. - Voulez-vous me permettre une observation ?
M. Braconier. - Volontiers.
M. de Naeyerµ. - Les observations que vient de présenter l'honorable M. Braconier sont parfaitement justes, quand on se base sur le système qui a été suivi jusqu'ici, celui d'une double répartition.
Or, c'est dans ce système que je me suis placé quand j'ai dit que la province de Liège avait un droit absolu à un nouveau représentant.
Maintenant je suis étonné que l'honorable M. Braconier soit venu répéter encore aujourd'hui ce qui avait été dit hier et répété à satiété par l'honorable M. Pirmez, quant à l'amendement de l'honorable M. Kervyn, qu'on veut m'attribuer absolument parce que par ma signature j'en ai autorisé la prise en considération. Comment l'honorable membre ne s'est-il pas aperçu que cette matière avait été épuisée par l'honorable M. Pirmez, qui l'a traitée avec un bonheur infini, à tel point que je suis presque disposé à signer toujours des amendements afin de lui procurer des sujets de récréation au milieu de ses graves méditations financières !
En réalité, j’ai signé en sixième ordre l'amendement de l'honorable M. Kervyn parce qu'il me semblait mériter un sérieux examen, et quant au fond de cette proposition, j'ai voulu attendre les développements de l’honorable membre pour me prononcer. Voilà pourquoi je n'en ai pas dit un mot dans les observations que j'ai présentées et je me suis borné à discuter la question dans l'hypothèse adoptée par la section centrale, c'est à-dire en me plaçant dans le système d'une double répartition.
II n'y a pas là l'ombre d'une contradiction, quand on veut être sérieux.
M. Braconier. - Si, dans cette circonstance, j'invoque à l'appui de la thèse que je soutiens, c'est-à-dire du droit qu'a la province de Liège d'obtenir un représentant de plus, l'opinion de l'honorable M. de Naeyer, c'est que je sais que l'opinion de cet honorable membre a un grand poids, et que je ne pouvais mieux étayer ma thèse qu'en rappelant ses paroles. C'est ce que je me proposais de faire pour démontrer à l'évidence le droit de la province de Liège à avoir un représentant de plus.
M. de Naeyerµ. - Ne me mettez pas en contradiction avec moi-même.
M. Braconier. - Je ne puis pas ne pas vous mettre en contradiction avec vous-même, quand je vois, d'un côté, le discours que vous avez prononcé et, de l'autre, l'amendement que vous avez signé. Il ne fallait que cinq signatures pour appuyer cet amendement, et il y en a six.
M. de Naeyerµ. - Il en fallait six : celle de l'auteur et celle de cinq autres membres.
M. Braconier. - Je suis charmé de voir que l'honorable M. de Naeyer continue à soutenir que la province de Liège a un droit absolu à avoir un représentant de plus et qu'il est opposé à l'amendement qu'i] a signé.
M. de Naeyerµ. - Nullement ; cela dépend des développements qui seront donnés.
M. Orts, rapporteur. - Mon intention est d'accomplir ma tâche de rapporteur le plus rapidement possible, de manière à ne pas prolonger cette discussion outre mesurée.
On le faisait observer dans une interruption, il y a quelques jours : la question que nous avons à décider est en définitive une question d'arithmétique, c'est-à-dire une question que les chiffres tranchent, qu'aucun argument ne peut dénaturer.
Je n'insisterai donc guère, messieurs, sur les reproches qui m'ont été adressés. Ils ont un caractère un peu personnel ; toutefois, je ne me plains pas.
En définitive, auteur du projet que la section centrale appuie, je suis personnellement en cause, et je ne me plains pas, qu'on me reconnaisse la paternité du projet de loi. Je ne viens pas désavouer le projet de loi comme on désavoue les amendements.
M. de Naeyerµ. - Je n'ai rien désavoué.
M. Orts, rapporteur. - Je ne vous ai pas nommé, M. de Naeyer.
Je répondrai cependant un mot à l'honorable M. Vermeire, parce que j'estime beaucoup son caractère et j'apprécie la modération de ses opinions.
J'ai été sensible au reproche qu'il m'a fait de le condamner à voter contre mon projet de loi parce que je l'ai présenté comme une œuvre utile à mon parti. J'ai avoué cela, a-t-il dit. J'ai fait mieux, messieurs. Avouer, se dit de celui qui reconnaît un fait vrai, malgré lui et qui attribue à ce qu'il reconnaît un caractère désagréable. Je n'ai jamais dans ce sens, avoué qu'en présentant mon projet de loi j'ai fait une œuvre utile à mon parti et que j'ai voulu faire une pareille œuvre, je l'ai affirmé bien haut et je l'affirme encore. Mais j'ai ajouté que si j'ai agi ainsi, c'est parce que je croyais que la chose était juste.
Or, je le constate à regret : chaque fois qu'un membre de la droite a parlé depuis de ma proposition, il n'a jamais manqué de répéter : Vous avez avoué que votre projet est un acte de parti. Mais jamais on n'a ajouté, ce qu'il eût été loyal de faire, jamais on n'a ajouté que j'avais déclaré en même temps que cette œuvre était juste. Si elle n'avait pas été juste, jamais je ne l'eusse proposée, quelque utilité que mon parti dût en retirer.
Pourquoi ai je présenté ma proposition ? Parce que, au moment où le pays allait être consulté, j'avais constat'é que mon opinion n'avait pas dans le pays le nombre légal de représentants qu'elle devait avoir.
On allait donc demander au pays de juger la politique que j'avais défendue et que défendent les électeurs qui m'ont envoyé dans cette enceinte, et ces électeurs qui partageaient mon opinion, on les excluait du jugement à rendre, au profit de nos adversaires politiques ! Cette (page 561) situation était une criante injustice, il fallait la faire cesser. Voilà pourquoi j'ai usé de mon initiative, et chaque fois que des circonstances pareilles se reproduiront, chaque fois que mon opinion sera victime d'injustices flagrantes, si personne ne me devance, j'agirai de même.
M. Delaetµ. - Et l'opinion de vos adversaires ?
M. Orts. - Lorsque l'opinion de mes adversaires viendra réclamer une chose juste, quelque préjudice que mon parti doive en éprouver, je voterai avec mes adversaires.
M. Delaetµ. - Nous prenons acte de cette déclaration.
M. Orts. - Mon Dieu ! cette déclaration ne me coûte pas grand-chose. Si ceux qui m'interrompent voulaient consulter mon passé, s'ils avaient fait partie de la Chambre depuis l'époque où j'ai eu l'honneur d'y entrer, ils sauraient que je me suis souvent rangé hautement du côté de mes adversaires politiques quand je croyais que mes amis étaient injustes ou s'égaraient.
Maintenant, messieurs, je ne répondrai pas à ce reproche usé que j'avais eu tort et un tort grave, celui de venir porter le trouble dans une loi organique, dans la loi de 1856 sur le recensement, en devançant un peu l'époque décennale indiquée par cette loi. Deux votes de la Chambre l'un émis à l'unanimité, lorsque mon projet a été pris en considération, la première fois, l'autre pris à une grande majorité, m'ont, sous ce rapport, suffisamment vengé. Je me déclare complètement satisfait.
J'ai cependant, malgré ce double verdict favorable, une tentation à laquelle je ne puis m'empêcher de céder. Je veux ajouter à l'approbation que la Chambre m'a donnée deux fois, la première fois à l'unanimité, la seconde fois à une grande majorité, un témoignage que voici :
J'ai dit, et la majorité de la Chambre a pensé avec moi, que cette loi s'était bornée à indiquer une époque qui, dans la pensée de ses auteurs, devait être l'époque normale d'une répartition nouvelle des représentants et des sénateurs. J'ai ajouté qu'il ne pouvait être entré dans la pensée de personne de faire de la loi de 1856 une barrière, du reste, impuissante pour arrêter l'initiative d'un membre ou l'initiative du gouvernement voulant devancer l'époque décennale.
Eh bien, dans la discussion de la loi de 1856 au Sénat, la question a été soulevée. La plupart des membres du Sénat étaient tellement convaincus que la disposition introduite dans la loi par la Chambre, disposition qui prescrivait le recensement décennal, ne pouvait faire obstacle à aucune espèce d'initiative, qu'on a demandé la suppression de la disposition comme inutile et on l'a demandée dans les termes que voici :
« Cela empêchera-t-il le gouvernement ou un membre de la Chambre, usant de son droit d'initiative, de demander une augmentation de représentants si, avant l'expiration des dix années, il se produisait une augmentation notable de la population ? Evidemment non. Ainsi ce paragraphe n'est d'aucune utilité réelle ; il indique seulement l'intention actuelle de la législature mais il ne peut pas lier ceux qui viendront après nous. Encore une fois, messieurs, nous devons consulter les besoins du pays et examiner s'il y a nécessité d'augmenter la représentation nationale ; voilà le seul guide que nous ayons à suivre, »
Et qui disait cela ? M. le baron d'Anethan.
Voilà, messieurs, le dernier témoin à décharge que je compte introduire dans le débat.
M. Dumortier. - L'article a été voté.
M. Orts, rapporteur. - Oui, mais il avait été d'avance déclaré inutile.
M. Dumortier. - C'est une opinion individuelle.
M. Orts. - Soit, mais je suis très heureux de me rencontrer avec l'opinion individuelle d'un homme aussi considérable que M. le baron d'Anethan.
Messieurs, le projet que vous soumet la section centrale est l'application d'une prescription constitutionnel sur le sens de laquelle on peut varier et l'on varie. Les uns affirment que la Constitution exige un député par 40,000 habitants ; les autres disent que la Constitution se borne à prescrire qu'il ne peut pas y avoir de député pour une fraction inférieure à 40,000 âmes. Pour ces derniers, il est facultatif, quand surgit un excédant de 40,000 habitants, de donner ou de ne pas donner un représentant nouveau au pays. Je n'entrerai pas bien avant dans cette question.
Je demande simplement à tout homme non prévenu de vouloir bien dire et franchement, s'il n'est pas dans l'esprit de la Constitution, dans l'esprit de nos institutions politiques, s'il n'est pas de la sincérité du régime représentatif de donner aussi tôt que possible un représentant à tout groupe de 40,000 Belges qui n'est pas représenté ? C'est là une question de convenance sur laquelle il ne peut y avoir deux opinions. Aujourd'hui il ne s'agit pas seulement d'un seul groupe de 40,000 es n'ayant pas de représentant. Il s'agit de compléter la représentation nationale en nommant 8 représentants et 4 sénateurs nouveaux, c'est-à-dire une portion très importante de la représentation nationale entière.
Passons à l'application. Quand dans le royaume un excédant de population est constaté, comment faut-il le répartir ?
Nous avons pensé, messieurs, devoir nous conformer à ce que nous croyons la règle la plus juste, la moins sujette à fléchir devant des intérêts ou des convoitises de parti. Nous avons pensé qu'il fallait s'adresser à l'arithmétique pour résoudre le problème. Et nous l'avons pensé, messieurs, en suivant les précédents les plus usités des Chambres lorsqu'elles ont été appelées par quatre fois déjà à faire la même besogne.
L'honorable M. de Naeyer, que je nomme maintenant parce qu'il s'agit d'autre chose que de son amendement, a eu la loyauté de reconnaître spontanément que les précédents rappelés dans le rapport de la section centrale étaient conformes à cette manière de voir. Il a mis à cette déclaration une restriction juste, savoir : que certaines situations qui se produisent aujourd'hui ne se sont pas produites exactement dans les mêmes termes à d'autres époques.
J'ajouterai, pour ne rien dissimuler de ce qui peut m'être opposé dans la discussion, car le devoir de tout député loyal, à plus forte raison celui d'un rapporteur, et d'être franc et complet, que le système de compensation, que la section centrale a repoussé, a été appliqué dans une mesure assez large, cependant, en 1851 lors de la première répartit on des représentants et des sénateurs.
M. Thonissenµ. - En 1847 aussi.
M. Orts, rapporteur. - Cela n'est pas précisément aussi clair pour 1847. Il faudrait, pour le prouver, discuter des exemples individuels et je parle ici du système général.
Puisqu'on me fait l'objection, j'ajouterai que la différence entre le système de 1831 et celui que nous défendons, la section centrale et moi, c'est que la section centrale ne veut pas du système des compensations comme règle générale et absolue.
La section centrale ne nie pas que dans certaines circonstances exceptionnelles il ne puisse y avoir lieu à compensation. D'après elle, ces circonstances ne se sont pas révélées aujourd'hui.
Ainsi, par exemple, j'admettrais, et je l'avais admis dans ma première proposition, l'application d'un système de compensation entre deux arrondissements, quand il s'agira d'attribuer à une même province deux représentants de plus, qu'aucun arrondissement ne pourra faire valoir de droit strict, et que les deux excédants seront à peu près du même chiffre.
En 1831, dans son rapport, l'honorable M. de Theux, je le répète, a proposé le système absolu de compensation qu'il défend encore aujourd'hui. Mais pourquoi a-t-on admis alors un système qui n'a plus été la règle absolue après 1831 ? Pour de très bonnes raisons qui n'existent plus. On ne pouvait procéder en 1831 que par approximation faute de chiffres certains, faute d'un terrain solide, on craignait de commettre des injustices sur sa route.
M. Dumortier. - Il y a eu un recensement général en 1829.
M. Orts, rapporteur. - Permettez-moi de vous dire que ce recensement a été vertement critiqué comme inexact au Congrès et c'est en 1831 que la loi électorale a été faite, non pas en 1829.
Les documents constatant la population en 1830 et 1831 manquaient pour plusieurs de nos provinces. Une portion considérable du territoire et notamment les chefs-lieux de deux provinces étaient encore occupés par l'ennemi.
Que l'honorable M. Dumortier veuille bien relire les discussions du Congrès sur la loi électorale et il y verra exprimer les doutes les plus sérieux concernant même le chiffre global de la population du royaume. On n'osait se déterminer, sans de graves hésitations, sur le nombre des représentants et des sénateurs.
Les uns affirmaient que la population n'allait pas au delà de 4,080,000 âmes, d'autres disaient et cherchaient à prouver qu'elle devait être de plus de 4,100,000 âmes. Telle fut la discussion ; on peut en trouver la preuve dans le livre de M. Huyttens et parmi ceux qui prétendaient que la population belge devait être de 4,100,000 habitants figuraient les honorables MM. de Theux et Charles de Brouckere.
Voilà les précédents de 1831. Revenons à 1866. Qu'a fait la section centrale ? Nous nous sommes dit : Les sénateurs comme les représentants doivent, d'après l'esprit de la Constitution, être répartis d'abord par province.
Il faut donc attribuer les membres nouveaux aux provinces, puis aux arrondissements qui ont les plus gros excédants, Mais il se présente une (page 562) difficulté en sous-ordre. Des arrondissements, des provinces n'accusent pas une augmentation de population de 40,000â mes, ou de 80,000 âmes et cependant il y a des sénateurs et des représentants à répartir.
Faut-il suivre encore la règle pour ces excédants incomplets et leur donner la préférence d'après l'élévation relative de leur chiffre ? Nous le proposons.
L'opposition crie à l'injustice. On crie à la partialité, on réclame l'application d'un système de compensation. Messieurs, le système de compensation qu'on préconise et qu'on présente sous des formes assez variées, car tout le monde n'est pas d'accord sur la manière de compenser, ce système a été jugé par un mot échappé à l'honorable M. de Naeyer et ce mot le condamne de la manière la plus péremptoire. L'honorable M. de Naeyer a dit : Ce système est juste et équitable, mais il est arbitraire.
M. de Naeyerµ. - Il peut prêter à l'arbitraire, il faut certaines règles.
MfFOµ. - Qui n'existent pas.
M. Orts, rapporteur. - Un système qui peut donner ouverture à l'arbitraire est, aux yeux de la section centrale, un mauvais système. J'aime mieux la règle inflexible de l'arithmétique qui n'appartient à aucun parti que le bon sens de tout le monde suffit pour appliquer. Et la preuve que l'arbitraire existe, qu'il n'est pas une simple possibilité, je la tire des appréciations diverses que le système des compensations a dictées à ses partisans.
Il suffit, en effet, de lire les discours et les amendements de ceux qui ont préconisé le système de compensation pour être convaincu que ce système est arbitraire, qu'il repose sur des bases variables selon le point de vue de chacun, et cela même sans que les intérêts de parti s'en mêlent. Les applications si divergentes du système de compensation ont été présentées par des membres de cette Chambre appartenant à la même opinion. Prenons le système de répartition par voie de compensations, proposé au sein de la section centrale. Il résulte du tableau imprimé à la suite du rapport, à la demande de l'honorable M. de Theux, qui l'a défendu en section.
Ce tableau prend les représentants donnés par la majorité de la section centrale aux arrondissements de Louvain et de Thuin pour les attribuer aux arrondissements de Courtrai et de Gand. Voilà ce que dicte l'application des règles d'équité par le système des compensations aux honorables MM.de Theux et Jacobs. Il faut, au nom de l'équité, que le représentant de Louvain soit enlevé à Louvain, que le représentant donné à Liège soit enlevé à Liège pour être attribués, l'un à Gand, l'autre à Courtrai.
M. de Theuxµ. - Nous n'avons rien enlevé à Liège.
M. Orts. - ardon, je me trompe, c'est au Hainaut que vous l'enlevez. Maintenant prenons le discours prononcé par M. de Theux à la Chambre. J'y vois le système de compensation qu'il a défendu en section centrale mener, en séance publique, à d'autres conséquences, non prévues d'abord. M. de Theux abandonne le tableau qu'il avait fait imprimer et les deux représentants qu'il prenait à Louvain et au Hainaut pour les donner à Courtrai et à Gand, il les donne maintenant à Courtrai et à Alost.
La minorité de la section centrale après un jour de discussion se trouve amenée, sous prétexte d'équité invariable, à modifier ses conclusions. Les députés de Louvain et de Thuin seront enlevés, mais au leu de les attribuer à Courtrai et à Gand on les attribue cette fois à Courtrai et à Alost.
Maintenant si je prends l'amendement signé de... comment dirai-je ? de six personnes, j'y vois des représentants enlevés au nom de l'équité à Thuin et à Liège un représentant conservé à Louvain, et ceux que l'on enlève donnés à Courtrai et à Alost.
Nouvelle application du système des compensations et faite par des hommes qui certainement ne peuvent pas être soupçonnés d'avoir voulu faire autre chose que de l'équité.
Je laisse de côté la répartition des sénateurs ; car, à part un petit cadeau que l'honorable comte de Theux veut faire à Verviers au détriment de Liège, il n'y a pas grande différence entre le système de la section centrale et les autres propositions.
Je me borne à constater qu'après quelques jours de discussions, un partisan du système des compensations découvre une quatrième application, que personne n'avait aperçue. Elle consiste à prendre le sénateur que la section centrale attribue, d'accord avec tout le monde, sauf un membre de cette Chambre, à la province de Luxembourg, pour le reporter au Limbourg ! Compensation à laquelle M. de Theux, député du Limbourg et très soigneux des intérêts de la province qu'il représente, n'avait pas lui-même songé.
M. Dumortier. - Ce n'est pas au nom du système de compensation, mais en exécution des prescriptions constitutionnelles ; c'est tout autre chose.
M. Orts, rapporteur. - Pardon, je croyais avoir compris que c'était encore une fois l'application du système des compensations ; je prie M. Dumortier de m'excuser, si je n'ai pas bien saisi la portée de son amendement ; son discours n'a pas encore paru dans les Annales.
M. Dumortier. - Ce n'est pas ma faute.
M. Orts, rapporteur. - Je ne vous en fais pas de reproche : je m'excuse.
Messieurs, un système aussi variable dans ses applications, aussi essentiellement arbitraire, les conséquences le prouvent, est un système qui ne peut entrer comme base dans une loi politique. Je préfère les chiffres parce que les chiffres me donnent une direction inflexible.
Y a-t il, après tout, iniquité à donner les excédants qui doivent être attribués à la totalité du royaume, aux arrondissements et aux provinces qui, sans atteindre, le chiffre légal, s'en approchent le plus. Je dis qu'il y a au contraire pleine équité à le faire. On me répond : Mais du moment qu'un arrondissement obtient un représentant auquel il n'a pas un droit strict, ou lui fait une faveur. Non, messieurs, ce n'est pas une pure faveur.
Il n'existe pas de droit strict et absolu, je le veux bien, mais vous ne pouvez nier que celui qui possède les 3/4 d'un droit a plus de raison de l'obtenir que celui qui n'en possède que la moitié ou le quart. La règle est fort simple et l'argument facile à saisir. Une considération nouvelle justifie encore le système de la section centrale, la voici. En donnant ces représentants à répartir entre les arrondissements qui n'y ont pas un droit strict à l'arrondissement dont le chiffre est le plus rapproché du chiffre légal, vous faites une répartition qui n'est pas conforme au droit strict aujourd'hui, mais vous avez la certitude que dans très peu de temps le droit viendra se joindre au fait.
Les arrondissements dont le chiffre de population est le plus rapproché du chiffre légal atteindront plus rapidement ce chiffre qu'aucun autre, au moins en règle générale.
Or, quand le législateur procède par fiction, il doit toujours faire en sorte que la fiction se rapproche le plus possible de la réalité et devienne la réalité dans le plus bref délai. Après les observations auxquelles l'honorable M. Pirmez s'est livré, je crois le système des compensations parfaitement jugé et le système de la section centrale suffisamment défendu.
J'ai maintenant à répondre à un autre genre de critiques adressées au projet de la section centrale.
M. Dumortier, dans son discours d'hier, vous a dit : Le projet de la section centrale viole la Constitution ! Je m'y attendais. Voyons si le reproche, quoique attendu, est mérité.
Pourquoi le projet de loi viole-t-il la Constitution ? Parce que les séries déterminées par la loi pour le renouvellement de la Chambre et du Sénat par moitié ne seront plus égales entre elles. Je crois avoir saisi l'objection.
M. Dumortier. - Il y a deux représentants en plus et deux sénateurs en plus.
M. Orts, rapporteur. - C'est parfaitement exact.
Au moins on n'a pas reproché au projet de porter atteinte à la Constitution, à un second point de vue. J'avais cru le comprendre, mais si je me suis trompé, je prierai l'honorable M. Dumortier de vouloir bien me rectifier.
On a reconnu que, d'après notre projet, dans chaque série, le nombre des représentants formerait exactement le double du nombre des sénateurs de la même série, et que le total de la Chambre forme le double du total du Sénat.
M. Dumortier. - Je n'ai pas vérifié le fait ; mais je crois, en effet, qu'il en est ainsi.
M. Orts, rapporteur. - C'est parfaitement ainsi. Par conséquent, l'inconstitutionnalité consiste tout simplement à avoir classé un plus grand nombre de représentants et de sénateurs, dans une série que dans l'autre.
Messieurs, s'il en est ainsi, la Constitution violée prétendument par ma proposition s'est trouvée dans un bien déplorable état pendant longtemps : la Constitution a été violée depuis 1831 jusqu'en 1847 et l’honorable M. Dumortier, qui siège dans cette enceinte depuis 1831 ; qui siégeait par conséquent de 1831 à 1847, l'honorable M. Dumortier ne s'est pas aperçu que de 1831 à 1847 la Constitution avait été tous les jours violée.
Voici quelle était la composition de la Chambre et du Sénat de 1831 à 1839 : 102 représentants et 51 sénateurs. Or, le fractionnement des 51 sénateurs en deux séries donnait une série de (page 563) 25 sénateurs et une autre de 26 sénateurs ; la Constitution était donc manifestement violée.
M. Dumortier. - Est-ce que par hasard on devrait découper un sénateur en deux ? (Interruption.)
C'est vraiment trop fort. Cela n'est pas sérieux.
M. Orts, rapporteur. - Je ne fais ni à l'honorable M. Dumortier, ni au régime en vigueur de 1831 à 1839 le reproche de s'être refusé à couper un sénateur en deux par amour de l'exactitude mathématique. Je n'ai certes pas le caractère aussi féroce, même à l'endroit d'adversaires politiques.
Mais je dis à l'honorable M. Dumorlier qu'il y avait un moyen bien simple de rétablir l'ordre numérique et d'empêcher que la Constitution ne fût violée. Il suffisait d'augmenter ou de diminuer le nombre des sénateurs et des représentants en 1831 de manière à avoir un nombre pair. Il fallait, si la Constitution l'exigeait, en un mot, faire ce que la section centrale vient de faire à propos du projet de loi actuel, en repoussant la proposition produite dans son sein d'ajouter un représentant à la composition de la Chambre qu'elle vous présente.
M. Dumortier. - Mais le chiffre impair est une impossibilité.
M. Orts, rapporteur. - Non ; il était très facile de rendre le chiffre pair soit en ajoutant, soit en retranchant.
M. Dumortier. - Mais le chiffre de la population exigeait ce nombre-là.
M. Orts. - Le chiffre de la population exige aujourd'hui un député de plus que ce que nous proposons ; et la proposition en a été faite en section centrale par l'honorable M. Jacobs qui a donné de très bonnes raisons à l'appui, entre autres l'argument que je tire maintenant de la composition de la Chambre de 1831 à 1847.
L'honorable membre oublie d'ailleurs que, d'après lui, la Constitution permet un député par 40,000 âmes et ne l'exige pas. On modifie l’état des choses en 1839. Le territoire belge est diminué par l'effet d'un traité, selon moi très regrettable, et très regretté par l'honorable M. Dumortier. Qu'arrive-t-il ?
Les Chambres sont reconstituées et l'on compte 95 représentants et 47 sénateurs. Double violation de la Constitution, au point de vue de l'honorable M. Dumortier, qui ne s'y est pas opposé.
Le nombre des sénateurs n'est plus la moitié exacte du nombre des représentants et chaque série de sénateurs et de représentants comportait un chiffre différent.
M. Dumortier. - Vous savez parfaitement que cette situation a été le résultat d'un événement de force majeure.
M. Orts, rapporteur. - Sans doute, mais vous n'ignorez pas non plus qu'on a modifié quelque peu aussi les circonscriptions dans la partie des deux provinces qui nous est restée, et l’inconstitutionnalité pouvait être évitée par ce moyen.
M. Dumortier. - Encore une fois, c'était le résultat d'un événement de force majeure.
M. Orts, rapporteur. - Soit ; mais il n'en reste pas moins vrai qu'on pouvait parfaitement faire cesser cet état de choses s(il avait constitué une si monstrueuse violation de la Constitution. Je tire de ces précédents une seule conclusion et je la crois légitime.
La Constitution, messieurs, doit être interprétée raisonnablement, dans les limites du possible et en tenant compte de la force majeure.
Veut-on cependant corriger la situation ? Un remède, du reste fort simple, permet de rétablir l'exécution franche et complète de la Constitution ; je déclare à l'honorable M. Dumortier que si le projet de loi passe, je. le proposerai moi-même.
Ce remède, le voici : pour rendre les séries parfaitement égales que faut-il faire ?
La Constitution, d'accord avec le bon sens et avec le désir de la nation, ne permet pas de donner au pays moins ou plus que ses huit représentants et ses quatre sénateurs.
Mais la Constitution permet de rétablir l'ordre et l'égalité dans les séries. Qui a créé les séries ? Qui a dit que le renouvellement se ferait par province plutôt que par district ou même par représentants ? Serait-ce la Constitution, par hasard ? La Constitution que personne ne veut réformer ? Pas le moins du monde ; c'est une loi de 1835 ; modifiez cette loi et vous arriverez immédiatement à rétablir une parfaite égalité entre les séries de la Chambre et celles du Sénat.
La loi de 1835 n'est pas immuable ; il n'est pas en dehors de notre pouvoir législatif de la modifier comme s'il s'agissait d'un article de la Constitution. Pour faire disparaître les séries inégales, il suffit de placer d'une série dans une autre un seul arrondissement élisant un sénateur et un représentant. A l'instant même l'ordre parfait, l'ordre constitutionnel existera. Et remarquez, messieurs, que cela ne gênera pas beaucoup l'arrondissement auquel je fais allusion, car nous donnerons au député qu'il nomme un mandat plus long au lieu de le lui raccourcir, ce qui pourrait lui être désagréable.
M. Dumortier. - Mais vous commencerez par lui enlever son mandat.
M. Coomans. - Ce que vous n'avez pas le droit de faire.
M. Orts, rapporteur. - Permettez-moi d'abord de vous faire remarquer que, dans cet ordre d'idées.il n'est pas du tout nécessaire de conserver même le système des séries inscrit dans la loi de 1835. Rien n'empêche de modifier cette loi, en vue de rétablir la proportion constitutionnelle entre deux séries de provinces. On peut créer d'autres séries à l'aide desquelles les Chambres se renouvelleraient toujours par moitié.
Rien n'empêchait le législateur de 1835, rien ne nous empêche de dire que les séries se composeraient de districts empruntés à toutes les provinces.
Ce système, messieurs, a été très énergiquement soutenu au sein de la Chambre, en 1835, par l'honorable M. Devaux.
On pourrait même aller plus loin et adopter un troisième système qui, pour moi, est beaucoup plus près de la vérité constitutionnelle encore, la sortie individuelle de députés dans un ordre que la loi tracera, de manière à permettre, non pas à la moitié du pays, mais au pays tout entier, de juger la politique de la majorité, à chaque renouvellement partiel des Chambres.
M. de Theuxµ. - La Constitution veut que les collèges électoraux nomment des députés tous les quatre ans, sauf le cas de dissolution.
M. Orts, rapporteur. - C'est une manière d'interpréter la Constitution et je ne veux pas la discuter aujourd'hui. Toutefois je rappellerai à l'honorable M. de Theux que le troisième système que j'indique a été également soutenu comme parfaitement constitutionnel en 1835.
Quoi qu'il eu soit, il reste certain au moins que nous avons en mains le moyen de rétablir la proportion légale ou constitutionnelle entre les deux séries, si nous le voulons.
L'objection tirée de l'inconstitutionnalité du projet de loi ne peut donc être admise.
Vous allez modifier des mandats, me dit-on ? En 1835, on s'est parfaitement attribué ce pouvoir et on l'a exercé. On ne pouvait s'en dispenser, puisqu'il fallait décider quelle serait la moitié du parlement, en fonctions alors, qui n'accomplirait qu'un demi-mandat. Cependant, l'intention des électeurs, qui deux années auparavant avaient choisi les mandataires de la nation, avait bien été celle de donner à tous les élus des droits d'égale durée.
Je dirai quelques mots de l'amendement de l'honorable M. Kervyn.
Cet amendement consiste à diviser le pays en collèges de 40,000 âmes. L'honorable M. Kervyn croit que la représentation nationale sortie d'un pareil système serait plus conforme au véritable esprit de nos institutions, aux véritables intérêts du pays. Je ne veux pas revenir sur les critiques adressées à ce système par M. le ministre de l'intérieur ; elles sont restées debout.
Mais, je ferai remarquer à l'honorable M. Kervyn que sa proposition est dangereuse au plus haut degré. Il ne s'aperçoit pas que cette proposition est un véritable ferment d'irritation jeté dans le pays. Cette proposition c'est la déclaration de guerre des campagnes aux villes ; l'honorable M. Kervyn ne le pense et ne le veut pas, j'en suis convaincu, je le dis à l'avance ; mais l'honorable M. Kervyn ne peut pas faire que sa proposition n'ait pas cette signification.
Je vais dire pourquoi : Sa proposition n'est pas née aujourd'hui ; l'honorable M. Kervyn ne l'a pas produite le premier dans cette enceinte. La proposition de diviser le pays en collèges électoraux de 40,000 âmes est plus vieille. Elle a été portée ici depuis longtemps comme une menace les campagnes aux villes. L'opinion à laquelle appartient l'honorable M. Kervyn, longtemps avant l'honorable membre, lui a assigné formellement ce caractère à plusieurs reprises, et par l'organe des hommes les plus importants de la droite.
La proposition de l'honorable M. Kervyn est entachée d'un péché originel que ses efforts ne feront pas disparaître, le pays a appris à la connaître.
La proposition date de 1858, et voici comment elle est née. Vous verrez si je l'ai appréciée sainement, en la qualifiant de menace des campagnes aux villes.
De 1836 à 1838, un mouvement considérable de réforme électorale se produit, dans le pays ; les villes se sont émues en présence de la situation (page 561) injuste que leur faisait une législation électorale tombée en 1848, sans que personne ait alors réclamé contre sa suppression. Les villes, écrasées par un cens différentiel de beaucoup supérieur à celui des campagnes, commencent en 1836 à se plaindre.
Elles veulent une réforme juste, équitable. Des pétitions nombreuses sont envoyées dans cette enceinte ; ces pétitions émanent non seulement de simples citoyens, mais encore et pour la première fois, des conseils communaux et des conseils provinciaux : tous demandent à la législature le redressement des griefs des villes.
Qu'a-t-on fait alors ? On a produit des pétitions contre la réforme électorale ; et parmi ces pétitions se trouvaient celles qui demandaient le système reproduit aujourd'hui par l'honorable M. Kervyn.
Et lorsque en 1838 l'honorable M. Dechamps fait un rapport à la Chambre sur les pétitions concernant la réforme électorale, il les classe, lui homme politique intelligent et distingué, il les classe en deux catégories : les pétitions des campagnes et les pétitions des villes.
Dans les pétitions des campagnes, il range sous le n°1° les pétitions demandant que les provinces soient divisées, à raison de leur population, en autant de districts qu'elles ont de députés à élire. C'était donc bien la prétention des campagnes ; l'honorable rapporteur, parlant au nom de la majorité d'alors, le proclamait hautement.
Il fait mieux encore. L'organe de la majorité d'alors, minorité aujourd'hui, ajoute que si la Chambre ne passe pas à l'ordre du jour sur les pétitions des villes, il appuiera celles des campagnes.
Ai-je tort d'appeler la proposition de M. Kervyn une menace, une déclaration de guerre des campagnes aux villes, pour le cas où les villes obtiendraient justice ?
Mais, messieurs, cette menace, je ne l'ai pas exhumée d'un passé éphémère et depuis longtemps oublié. La menace s'est reproduite plus tard, et le même caractère lui a été assigné encore une fois par les mêmes hommes.
En 1842, on veut appliquer le système de la division des collèges aux élections communales, toujours contre les villes. On propose la loi du fractionnement. L'opposition libérale tout entière proteste au sein de cette Chambre : « Le fractionnement des collèges pour les élections communales, c'est un acheminement au fractionnement des collèges pour les élections générales ! » s'écrient MM. Verhaegen, Devaux et bien d'autres.
Pour calmer les craintes de la gauche, l'honorable M. de Theux, qui avait introduit le projet de loi, ne s'explique pas d'une manière formelle pour l'avenir ; il se borne à garantir le présent, mais un autre membre de la majorité s'exprime dans les termes que voici :
« Je ne veux pas de modifications à la loi électorale qui est la base de notre édifice constitutionnel.
« Mais je ne vous le dissimule pas, si par hasard quelque jour l'opinion de ceux qui prétendent qu'il faut modifier la loi électorale venait à triompher dans ce sens qu'on voulut ôter aux campagnes le nombre déjà trop petit d'électeurs qu'elles ont eu égard à leur position comparée, à celle des villes, je le déclare, je serai le premier à demander la division des collèges électoraux pour les Chambres. »
C'était l'honorable M. Dumortier qui parlait ainsi.
M. Dumortier. - Parce que c'était une grande iniquité que de supprimer ce que votre collègue et ami, M. Defacqz, avait proposé au Congrès.
M. Orts, rapporteur. - Je suis l'ami de M. Defacqz, et j'en suis fier, mais je n'ai jamais eu l'honneur d'être son collègue.
Ainsi donc, en 1838, en 1842, la droite est venue dire : Si les villes obtiennent justice, c'est-à-dire l'uniformité du cens, au nom des campagnes, nous viendrons demander la révision des collèges électoraux ; ce sera notre vengeance.
Depuis 1848, les villes ont obtenu ce dont on parlait comme d'un danger en 1838 et en 1842, et vous réalisez, dira le pays, la menace que l'honorable M. Dechamps fit en 1838, la menace que l'honorable M. Dumortier répétait en 1842.
Voilà le caractère de la proposition de l'honorable M. Kervyn, caractère qu'il n'a pas voulu lui donner, mais caractère qui est incontestable devant le pays. Pour cette seule raison, la proposition de l'honorable M. Kervyn ne peut pas être accueillie. Nous n'avons pas besoin de déclaration de guerre entre les classes. Nous avons plutôt besoin de cette union, de cette concorde entre tous les citoyens dont parlait tout à l'heure l'honorable M. Vermeire.
D'ailleurs la proposition, prise en elle-même, est réellement une proposition mauvaise. Elle a des vices propres en dehors de cette division qu'elle jette dans les classes et qui doivent la faire écarter.
On a fait justement observer à l'honorable membre que la corruption de électeurss est beaucoup plus facile dans un petit collège que dans un grand. L'honorable M. Kervyn a rejeté cela bien loin et bien vivement.
La chose est pourtant tellement évidente, qu'elle n'a jamais été contestée par personne. La nature des choses indique que, si vous ne devez vous adresser, pour obtenir un mandat à la Chambre, qu'à 400 ou 500 personnes, il est beaucoup plus facile d'aller de porte en porte, de maison en maison, d'individu à individu, colporter vos promesses, vos menaces, vos offres.
Aussi est-ce pour cette raison que les amis les plus sincères des principes démocratiques en Belgique et en France, ont toujours repoussé les petits collèges pour demander les grands collèges à titre de garantie de la démocratie et de la liberté.
L'honorable M. Kervyn me fait un signe de dénégation. Un exemple pour la Belgique.
Le système a été discuté dans cette Chambre en 1847. L'honorable M. Dumortier était rapporteur de la proposition de réforme électorale à cette époque, il doit s'en souvenir. Eh bien, le système de l'honorable M. Kervyn a été condamné et flétri, au point de vue que j'indique, au point de vue de la corruption, dans un des plus magnifiques discours qui aient jamais été prononcés dans une Chambre belge, par l'honorable M Castiau.
L'honorable M. Castiau préconisait une réforme opérée en sens inverse de celle qu'indique l'honorable M. Kervyn, réforme que je crois plus utile à la liberté et à la sincérité du mandat. Elle consistait à réunir les arrondissements trop petits qui aujourd'hui n'ont qu'un député, de manière à faire correspondre les divisions électorales avec les arrondissements judiciaires.
Et cette condamnation des petits collèges électoraux, ce ne sont pas seulement les hommes appartenant à l'opinion libérale et à l'opinion démocratique la plus avancée, comme M. Castiau, qui l'ont prononcée. L'honorable M. Kervyn nous citait des autorités françaises, mais il oublie que deux hommes, l'un, sous la restauration, l'autre, sous le gouvernement de Louis-Philippe, que deux hommes dont les opinions ne seront pas suspectes à la droite, M. de Carné, sous le gouvernement de juillet, et M. de Donald, sous la restauration, condamnaient les petits collèges électoraux et demandaient le vote par arrondissement.
M. Crombez. - Et M. de Vatismenil aussi.
M. Orts, rapporteur. - L'honorable M. Castiau, dans cette Chambre, faisait toucher du doigt les vices du système en montrant comment il fonctionnait en France, en 1847, au moment où il parlait, aux dernières années du règne de Louis-Philippe. Il montrait la Chambre française, formée par de petits collèges nommant un seul député, obligée d'annuler successivement, et à plusieurs reprises, du chef de corruption, des élections de députés. et dans quelle partie de la France ces exemples de corruption électorale se produisaient-ils ?
Etait-ce dans les grandes villes, ces centres gangrenés et populeux, où l'on ne connaît que les idées démagogiques et les idées libérales, ce qui, pour beaucoup de gens, est tout un ? Pas du tout, c'était en Bretagne,. dans la province la plus catholique, la plus morale de France, au sein d'une population essentiellement rurale.
M. Coomans. - Avec une poignée d'électeurs.
M. Orts, rapporteur. - Croyez-vous que dans un collège limité à 40,000 âmes, il y ait beaucoup plus qu'une poignée d'électeurs ?
M. Coomans. - J'y voudrais plusieurs poignées d'électeurs.
M. Orts, rapporteur. - Si je comprends bien l'interruption, le correctif du défaut que je signale, c'est, aux yeux de l'honorable M. Coomans, le suffrage universel ?
M. Coomans. - Ou à peu près.
M. Orts, rapporteur. - Eh bien, le système du suffrage universel, dans les collèges où l'on ne nomme qu'un seul député, ne préserve pas de la corruption ; il la déplace. Je vais vous en apporter tout de suite un témoignage non suspect.
Aujourd'hui le système des petits collèges avec le suffrage universel fonctionne en France.
Que l'honorable M. Coomans veuille bien prendre en main la Revue contemporaine de l'année dernière. Je ne cite pas un recueil suspect d'hostilité au gouvernement qui fonctionne aujourd'hui en France ; il est rédigé par des amis du pouvoir. L'honorable membre trouvera dans ce recueil un article de M. Boinvilliers, qui n'est pas davantage un homme d'opposition exagérée. M. Boinvilliers s'explique sur les plaintes de corruption si nombreuses formulées au corps législatif lors des dernières vérifications de pouvoirs, et voici la conclusion que tire M. Boinvilliers, un ami ou gouvernement français.
Aujourd'hui, dit-il, sans doute, les petits collèges donnent facilement (page 565) ouverture à la corruption ; mais nous avons gagné quelque chose par le suffrage universel ; on ne peut plus corrompre, comme on le faisait autrefois, les électeurs pris individuellement, on peut encore les corrompre en masse ; et le gouvernement seul a ce pouvoir. En effet, le gouvernement peut seul promettre des faveurs à tout un collège et cela suffit pour faire voter tout le collège comme il le désire. (Interruption.)
M. Delaetµ. - Cela se fait aussi avec les grands collèges.
M. Orts, rapporteur. - Et voilà le progrès réalisé par le suffrage universel dans les petits collèges ! Si c'est là que M. Coomans veut en venir, je le remercie de l'offre, mais je n'accepte pas.
Il y a donc, messieurs, l'expérience le prouve, un danger considérable, dans les idées défendues par nos adversaires. Il y a de plus, dans la proposition de l'honorable M. Kervyn, le danger d'assujettir l'opinion des électeurs au pouvoir de quelques individualités importantes dans les petites circonscriptions.
Prenez pour exemple ce qui se passe dans la composition de nos conseils provinciaux, et voyez s'il n'arrive pas fréquemment que l'élection est déterminée par l'importance personnelle d'un candidat, alors même qu'il ne représente pas toujours l'opinion politique des électeurs.
Les fermiers des grands propriétaires votent pour le grand propriétaire sans s'inquiéter de savoir s'il est catholique ou libéral.
M. Coomans. - Alors il ne faut pas d'élections dans les communes, car la corruption y est bien plus facile.
M. Orts. - Ce que je combats, ce sont les petits collèges ne nommant qu'un seul représentant. Pour les élections communales, plusieurs candidats sont sur les rangs et très souvent les influences s'équilibrent. D'ailleurs le but n'est pas assez important pour déterminer les sacrifices que l'on fait en vue d'obtenir un mandat législatif.
Je ne suis donc pas favorable au système qui consiste à diviser le pays en circonscriptions de 40,000 ou même de 80,000 habitants, je crois que le régime représentatif ne peut gagner ni en force ni en dignité à voir endetter la représentation nationale.
Reste une question dont je dois dire un mot, quoique j'éprouve le plus vif désir de ne pas la voir se produire avec la conséquence d'un vote à émettre, je veux parler de l'idée émise par mon honorable ami M. Pirmez, et par l'honorable comte de Theux, de la question personnelle à l'arrondissement de Bruxelles. Je ne la discuterai pas : j'en dirai franchement mon avis.
Je crois, messieurs, que faire une loi contre un arrondissement, c'est quelque chose de tout aussi injuste que de faire une loi contre un individu.
Enlever à l'arrondissement de Bruxelles un droit que possèdent tous les autres arrondissements me paraît tout aussi inique que si nous faisions une loi pour enlever son mandat à l'un de nos collègues. Si maintenant cette idée, que je considère comme odieuse, devait jamais prévaloir dans cette enceinte, j'ajoute sans biaiser : Si mauvais que j'aie déclaré le système de M. Kervyn, le jour où l'arrondissement de Bruxelles serait mis hors la loi commune, je voterais avec l'honorable M. Kervyn. Si nous devons périr, mon arrondissement et moi, dans une lutte injuste et inégale, j'imiterai la conduite de ces marins qui se font sauter en faisant sauter leurs ennemis avec eux.
M. Jacobsµ. - Je n'avais pas l'intention, messieurs, de répondre aux inoffensives boutades de quelques députés de la capitale à l'égard de leurs collègues d'Anvers ; j'en suis d'autant plus dispensé que l'honorable M. Orts vient de nous avouer que les représentants de Bruxelles, qui planent de si haut au-dessus des questions d'intérêt locale préfèrent voir sauter toute la machine belge plutôt que de sauter seuls, ce qui prouve, soit dit en passant, que chacun des Bruxellois est assez bon envers soi. (Interruption.)
Nous assistons, messieurs, à un curieux spectacle ; tandis que ce parti qu'on dit marcher comme un seul homme au commandement venu de Malines se divise et présente des propositions divergentes ; en face de lui le parti du libre examen, le parti de la discussion s'avance muni d'un seul projet, d'un seul bélier.
M. Coomans. - Un seul discours.
M. Jacobsµ. - D'un seul discours.
Ceci tend à prouver qu'il y a une certaine liberté à droite et une certaine coercition à gauche.
Je m'attacherai surtout au principe de la loi ; j'ai demandé la parole lorsque l'honorable M. Orts a invoqué les paroles du baron d'Anethan, pour se mettre à l'abri derrière elles.
Vous aurez, monsieur, le bénéfice du projet, mais en avoir le profit et l'honneur c'est un cumul que vous ne pratiquerez pas. Je crois au contraire qu'il ne vous fera pas beaucoup d'honneur et puisqu'on le conteste, c'est me forcer à revenir, en partie au moins, sur ce que j'ai dit, lors de la prise en considération, de l'engagement pris en 1856.
M. Orts nous disait tantôt, par rapport à la répartition, qu'il fallait une règle, une règle stricte, mathématique ; que sans cela on tombait dans l'arbitraire. C'est bien là ce qu'on s'était dit en 1856 ; alors aussi on avait arrêté un chiffre, le chiffre 10, on avait choisi la période décennale, en dehors de laquelle aucune modification ne pouvait être apportée à la répartition. Rappelez-vous ce que disaient l'honorable M. Rogier, rapporteur de la section centrale, et l'honorable M. de Decker, ministre de l'intérieur.
Suivant l'un il fallait donner un caractère de permanence, suivant l'autre, une fixité à la représentation nationale. Il est vrai qu'au Sénat il s'est rencontré des opposants, l'honorable baron d'Anethan entre autres, qui demandaient la suppression du paragraphe 2 de l'article premier de la loi de 1856 ; mais le ministre de l'intérieur s'opposait à cette suppression et lui répondait :
« Si l'on ne peut soutenir le principe de l'immobilité du chiffre de la représentation nationale, il importe de prévenir les dangers d'une extrême mobilité. C'est ce but qu'on s'est proposé en présentant et en votant le paragraphe 2, c'est pour ce motif aussi que le gouvernement s'y est rallié et que même de son propre mouvement, il avait songé à l'introduire dans le projet de loi. »
Et lorsqu'on nous dit que personne au monde n'a songé à lier la législature, on oublie qu'un homme dont on a l'habitude de tenir compte à gauche, M. Van Schoor, a prononcé les paroles suivantes :
« Le projet aboutit à lier la législature pour dix ans. »
Lorsque vous venez donc nous dire, en vous prévalant des paroles de l'honorable M. d'Anethan, qu'il n'y a pas eu d'engagement, vous n'êtes pas dans la vérité des faits, car c'est la majorité qui a voté le paragraphe second de l'article premier et ceux qui ne voulaient pas lier la législature n'ont pas réussi à le faire écarter.
Messieurs, je ne comptais pas entrer dans les détails de la répartition ; il est cependant une anomalie que je tiens à signaler à la Chambre et qui me paraît ne pas être admissible même dans le système adopté en 1869.
Je consens pour un moment à donner cette base à mes calculs. Je prends pour point de comparaison les provinces de la Flandre orientale, et du Brabant, qui présentent un excédant, l'une de 24,585 habitants, l'autre de 24,175.
Or, l'on propose d'accorder à l'un de ces groupes de 24,000 âmes un représentant et un demi sénateur ; à l'autre groupe rien. Pour une différence de 300 âmes entre ces deux provinces, vous accordez ce que l'honorable M. de Naeyer appelait un double privilège à l'une d'elles.
En 1859 le cas s'est présenté pour les arrondissements de Charleroi et de Mons ; qu'a-t-on dit alors ? En présence de deux excédants à peu près égaux on a accordé le représentant à l'une et le sénateur à l'autre.
Ma répartition est la seule peut-être de celles qui se sont produites qui se distingue par une évidente impartialité.
Le projet de M. Orts est une œuvre de parti, et le bénéfice résultant pour la droite de l'amendement de l'honorable M. Kervyn peut vous le faire suspecter également, mais faire droit à mon observation qui tourne au détriment d'un district représenté par d'honorables membres qui siègent près de moi. Il en résulterait qu'on retirerait un représentant à Louvain pour le donner à Alost. Ce serait prendre à la droite pour donner à la droite.
Je dis à Alost et non à Gand, parce qu'en 1859 on n'a admis la compensation que lorsque la différence des excédants pour les chambres était minime.
Deux mots, messieurs, sur la proposition de l'honorable M. Kervyn, la séparation du pays en arrondissements de 40,000 habitants. On vous en a raconté l'origine, messieurs, et à ce propos il est une assertion de l'honorable M. Orts que je dois rectifier. L'honorable membre, rappelant qu'en 1848 les villes réclamaient l'égalité du cens électoral et que les campagnes y répondaient par la menace de la division du pays en fractions de 40,000 habitants, l'uniformité du cens, a-t-il dit, a remplacé une législation qui n'a été regrettée par personne.
M. Orts, rapporteur. - J'ai dit qu'elle n'a été combattue par personne en 1848.
M. Jacobsµ. - Je crois avoir entendu regrettée. Quoi qu'il en soit, j'en tirerai l'occasion de citer un fait.
Lors de la discussion en sections de la proposition de M. Guillery, un honorable membre, siégeant sur les bancs du gouvernement, a fait cette déclaration que si, en 1847, on avait pu abaisser le cens autant que les (page 566) circonstances le demandaient tout en maintenant l'écart différentiel entre les villes et les campagnes, il l'aurait préféré.
La division en fractions de 40,000 âmes est, dit-on, une menace des campagnes contre les villes. Eh bien, si en réalité, la situation actuelle était une situation forcée, une situation injuste dans laquelle les campagnes fussent sacrifiées, leur réclamation serait un droit, elle ne serait, ni une menace, ni un acte de vengeance.
Ou bien, la mise à exécution de la proposition de l'honorable M. Kervyn aboutirait à un résultat différent de celui qui existe aujourd'hui, ou bien au même résultat. Dans le premier cas, vous ne pouvez voir une menace ni une vengeance ; le résultat prouve que dans l'état actuel la voix des campagnes est étouffée, et la modification n'est que juste.
Pour moi, messieurs, il est certain que si vous fractionnez le pays en autant de carrés d'échiquier qu'il peut en contenir, vous aurez la représentation la plus fidèle des intérêts locaux.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est contraire à la Constitution. Le député représente la nation.
M. Jacobsµ. - Alors que le pays vote pour les 124 députés ! Dans le système de M. Kervyn, il n'y aura plus de minorités considérables comme les campagnes de Bruxelles, comme les villes de Louvain et de Malines, qui se trouveront écrasées, soit par des villes, soit par des campagnes supérieures en nombre. Vous aurez des minorités de moins en moins fortes et tous les centres, toutes les agglomérations auront plus de facilité pour produire l'expression de leurs vœux.
Je le déclare, messieurs, je ne suis pas partisan de l'amendement de l'honorable M. Kervyn, parce que le remaniement arbitraire des circonscriptions électorales est une des choses qui m'effrayent le plus.
Ah ! si on s'engageait loyalement et sous réserve de se délier plus tard, à maintenir la fixité des circonscriptions pendant une période déterminée ! Mais le rapport de la section centrale nous l'apprend, il n'est aucun engagement qui puisse lier, même moralement, la législature.
En présence de l'intention avouée de la majorité de ne plus respecter d'engagement moral pris par des prédécesseurs, les inconvénients du système de l'honorable M. Kervyn restent entier, et sans correctifs, puisqu'on aura beau déclarer que le remaniement n'aura lieu que tous les dix ans, l'honorable M. Orts ou tout autre viendra le demander lorsqu'il le jugera convenable ; mais je vous le prédis, le jour où il serait démontré que la division en fractions de 40,000 âmes substituerait la prépondérance de l'élément campagnard, plus nombreux, à celle de l'élément citadin, moins nombreux, le jour où cette conviction serait entrée dans les esprits, ce jour-là vous n'y échapperez plus.
- Plusieurs membres : La clôture !
M. Nothomb (sur la clôture). - Messieurs, il est impossible de clore la discussion. J'ai signé l'amendement de mon honorable ami, M. Kervyn, qui a bien voulu m'associer à ses idées. Je l'ai signé, non par complaisance, mais par conviction. Il est donc juste qu'on me permette de défendre notre proposition. La Chambre ne peut me refuser la parole, à moins qu'on ne veuille me mettre sur la même sellette où l'on a mis l'honorable M. de Naeyer, pour avoir signé un amendement et ne pas l'avoir développé. Je demande donc à répondre aux considérations qui ont été présentées par l'honorable ministre de l'intérieur, les honorables MM. Orts et Pirmez, contre notre amendement.
- Plusieurs membres. - A demain !
- D'autres membres. - Non, non.
MpVµ. - Je consulte la Chambre.
- La séance est remise à demain.
- Des membres. - A ce soir.
M. Dumortier. - Je demande formellement une séance du soir.
MpVµ. - La séance a été remise, il y a décision.
- Des membres. - Du tout, il n'y a pas eu de décision.
MpVµ. - La séance a été remise et restera remise.
M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Je suis de ceux qui ne se sont levés ni pour ni contre, la proposition de remise de la séance, mais je crois que la plupart de ceux qui l'ont votée n'ont entendu décider qu'une chose, c'est que la séance était levée. Je demande donc qu'il y ait une séance du soir.
- Voix nombreuses. - Oui, oui, à ce soir !
M. Dumortier. - Si nous ne tenons pas séance ce soir, nous devrons fatalement avoir une séance du soir demain.
MpVµ. - Il y a une proposition de remettre la séance à demain à midi.
M. Hymans. - Il est impossible qu'il y ait séance demain à midi. La Chambre a décidé au début de la séance que la section centrale chargée l'examen du projet de réforme électorale serait priée de hâter ses travaux : il faut donc lui laisser le temps de se réunir. (Interruption.)
- Des voix. - A ce soir.
M. Hymans. - S'il y a deux propositions, la priorité doit appartenir, dans tous les cas, à celle qui tend à la remise à ce soir.
MpVµ. - Il y a deux propositions : la première de remettre la séance à demain. Je vais mettre cette proposition aux voix.
MfFOµ. - Il y a une autre proposition.
M. Pirmezµ. - Je demande la parole sur la position de la question.
MpVµ. - L'épreuve est commencée.
MfFOµ. - Messieurs, je crois qu'il importe de prendre une résolution qui soit réellement le vœu de l'assemblée. La question me paraît avoir été mal posée ; je pense que plusieurs des honorables membres qui ont voté la remise de la séance, ont entendu décider uniquement que la séance ne continuerait pas actuellement, mais qu'ils n'ont pas eu l'intention de se prononcer en même temps contre une séance du soir.
- Plusieurs voix. - C'est évident.
MfFOµ. - L'honorable M. Dumortier propose maintenant, de nous réunir ce soir pour continuer la discussion : c'est là une question sur laquelle on doit prendre une décision. L'assemblée aura ainsi l'occasion de manifester régulièrement ses intentions. (Interruption.) J'ajoute que l'on pourrait décider que, dans le cas, où il y aurait séance ce soir, il n'y aura pas de vote.
- Voix à droite. - Non, non.
MfFOµ. - On pourrait ainsi épuiser aujourd'hui la discussion générale, aborder demain la discussion des articles et voter sans surprise.
M. Delaetµ. - Beaucoup de membres de la droite comme de la gauche désirent une séance du soir, mais à la condition qu'elle soit sérieuse. Ce seront, selon toute probabilité, des membres de la droite qui parleront tantôt. Si nous ne tenons pas une séance sérieuse, ils parleront devant des bancs vides. (Interruption.) S'il devait en être ainsi, je m'opposerais à la remise de la séance à ce soir. (Interruption.)
M. Orts, rapporteur. - Je ne comprends pas l’espèce de protestation que soulèvent les paroles de M. Delaet ; elles sont parfaitement raisonnables. Si l'on veut siéger ce soir, il faut siéger sérieusement, car si la Chambre décide qu'elle siégera ce soir pour parler seulement, ceux qui auront l'envie ou le devoir de parler courent risque de se trouver seuls.
MfFOµ. - Oh !
M. Delaetµ. - C'est clair.
M. Orts. - Voulez-vous en faire l'expérience, faites-la, mais je ne crois pas m'aventurer en disant qu'elle donnera raison à M. Delaet.
MfFOµ. - Il y a contre l'opinion exprimée par M, Orts plus d'un précédent.
- Plusieurs membres. - C'est vrai ! c'est vrai !
MfFOµ. - Il est arrivé plus d'une fois que la Chambre a décidé de ne pas voter, sans que pour cela la séance ait manqué.
Il est incontestable que si nous tenons une séance du soir dans les conditions que j'ai proposées, un très grand nombre de membres voudront y assister. (Interruption.) Après cela, si l'on veut voter, je ne m'y oppose pas le moins du monde. Ce que j'en dis est pour satisfaire aux convenances de nos collègues qui pourraient être empêchés ce soir.
M. Delaetµ. - Si j'entends bien, M. le ministre des finances s'oppose à ce qu'il y ait un vote ce soir. (Interruption.) Mais il ne donne aucun motif à l'appui de cette motion. Je ne sais pas pourquoi, si l'on discute ce soir, on ne voterait pas, la discussion étant terminée.
MfFOµ. - Je vais vous le dire. (Interruption.)
MpVµ. - Si vous continuez comme cela, nous aurons tout naturellement une séance ce soir. (Longue interruption.)
La parole est à M. le ministre des finances.
MfFOµ. - Je n'ai qu'un mot à dire. J'ai fait mes propositions uniquement parce que, pendant la discussion qui vient d'avoir lieu, un certain nombre de membres ont (page 567) probablement quitté la salle, et ignorent, par conséquent, qu'une séance et un vote pourraient avoir lieu ce soir. Ma proposition ne m'a donc été dictée que par un sentiment de loyauté.
M. Delaetµ. - La Chambre n'est pas moins nombreuse maintenant que tout à l'heure.
- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !
M. Dumortier. - Je partage complètement l'avis de M. le ministre des finances.
Je crois que nous ne pouvons pas avoir de vote ce soir ; mais qu'une séance est nécessaire pour continuer et achever la discussion générale. Sans cela, cette discussion serait écourtée et nous ne pourrions pas donner à la discussion des articles tout le soin nécessaire, à moins d'avoir encore une séance demain soir, ce qui serait fort désagréable à bon nombre de nos collègues. (Interruption.)
Je prie mes honorables collègues de Bruxelles de songer un peu à leurs collègues de province et de comprendre qu'eux aussi éprouvent le désir de rentrer pendant quelque temps dans leurs familles.
Je propose donc qu'il y ait demain séance à midi.
On m'objecte que la section centrale doit se réunir à cette heure-là ; mais il me semble que les quelques membres qui la composent pourraient parfaitement se réunir plus tôt et ne pas empêcher la Chambre tout entière de siéger à l'heure qui lui convient le mieux.
MpVµ. - Je consulte la Chambre sur la question de savoir s'il y aura séance ce soir.
M. Delaetµ. - Je demande la parole, sur la position de la question. (Interruption.) Votera t-on ce soir, ou ne votera-t-on pas ?
MfFOµ. - On décidera cela après.
- La Chambre consultée décide qu'elle se réunira ce soir.
- Plusieurs membres. - A quelle heure ?
MpVµ. - A huit heures.
M. Teschµ. - Je demande la parole. Il faut cependant que l'on sache d 'une manière positive s'il y aura vote ou s'il n'y en aura pas.
- Voix diverses. - C'est évident.
MpVµ. - Voulez-vous que je mette cette question aux voix ?
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
M. Coomans. - Je demande la parole sur la position de la question. (Interruption.)
Je prétends que nous ne pouvons pas voter sur une pareille question. Il est contraire à la dignité de la Chambre qu'elle se lie d'avance. (Nouvelle interruption.) La Chambre ne peut pas décider qu'il n'y aura pas de vote dans une séance ultérieure. La Chambre est toujours souveraine, et si la majorité décide qu'il y a lieu de voter, rien ne pourra l'eu empêcher.
Je prétends que la motion est inconstitutionnelle Décider qu'on discutera mais qu'on ne votera pas, c'est dire que nous n'avons qu'une Chambre de parleurs. (Interruption.)
MpVµ. - La Chambre a parfaitement le droit de régler comme elle l'entend l'ordre de ses travaux.
M. Coomans. - Elle n'a pas le droit de limiter ses pouvoirs. (Interruption.)
MpVµ. - Elle peut régler l'ordre et le mode de ses délibérations comme elle le veut. Je mets aux voix la question de savoir s'il y aura vote ce soir.
- Cette question est résolue négativement.
La séance est levée à 5 heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 8 1/2 heures.
M. de Florisone, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.
La rédaction en est approuvée.
M. Nothomb. - Je me reproche quelque peu, messieurs, d'être la cause involontaire de la séance insolite de ce soir.
Mais, signataire de l'amendement de mon honorable ami, M. Kervyn de Lettenhove, partisan très convaincu de cet amendement qui, selon moi, est de nature à apporter des améliorations notables à notre système électoral, je crois de mon devoir de l'appuyer de quelques considérations qui seront en même temps l'explication de mon vote.
Je me console d'ailleurs d'avoir plus ou moins provoqué cette séance en pensant qu'elle avancera vos travaux et vous dispensera peut-être de vous réunir après la séance de demain.
Je rencontre comme contradicteurs trois hommes considérables de la majorité, M. le ministre de l'intérieur, et les honorables MM. Pirmez et Orts. Si je ne viens rien ajouter de bien nouveau à ce qu'a dit l'honorable M. Kervyn en faveur de notre proposition, je partagerai la fortune de ces trois honorables membres, car ils ont successivement reproduit les mêmes arguments.
En effet, M. le ministre de l'intérieur, en ouvrant la discussion, a résumé, à peu de chose près, toutes les objections qui plus tard ont été développées avec plus ou moins d'accent par les deux honorables collègues que je viens de nommer.
Cette circonstance me servira d'excuse, je l'espère, auprès de la Chambre, si moi-même je ne puis que reproduire les considérations qui vous ont été soumises par l'auteur principal de l'amendement.
D'abord, je constate que M. le ministre de l'intérieur qui a été, en grande partie, choisir à l'étranger ses objections contre notre proposition, dans le but de justifier l'espèce de fin de non-recevoir qu'il nous a opposée, n'a pas dit un seul mot des exemples qui se présentent également à l'étranger en faveur de notre système, exemples sur lesquels naturellement j'aurai le droit d'insister.
L'honorable ministre, invoquant l'exemple de la France, vous a dit qu'on y avait essayé du système de la répartition par districts électoraux, mais que finalement il y avait été condamné.
Messieurs, cela est vrai, mais non d'une manière absolue. En France on a varié entre différents systèmes ; tantôt on y a eu le vote par arrondissement, tantôt par département, et enfin par circonscriptions électorales nommant un seul député. Les trois modes ont été expérimentés.
M. le ministre nous dit que dans ce pays on a écarté le système des circonscriptions électorales, surtout par ces motifs qu'il provoquait à là corruption, qu'il facilitait l'emploi des moyens abusifs, et qu'il détruisait la liberté de l'électeur.
Cela n'a pu être vrai qu'à certains moments de l'histoire politique de la France ; aux époques où elle n'avait qu'un ombre très restreint d'électeurs, à 300 francs sous la restauration, à 200 fr. sous la monarchie de juillet.
Dès lors, on comprend aisément que l'élection se faisant dans une circonscription réduite à 100, à 150 électeurs, les moyens illicites, la pression, la corruption même pouvaient être mis en œuvre avec certain succès ; mais cela n'est pas à redouter chez nous, car dans le système que nous défendons, la moindre circonscription électorale, une circonscription de 40,000 âmes de population, aurait toujours 500, 600 ou 700 électeurs,
Mais la France n'a pas toujours pratiqué le même système, elle a varié, la question s'y est agitée en 1839 dans les termes les plus formels. On s'est précisément demandé s'il y avait lieu de créer des circonscriptions électorales, et voici ce qui s'est passé à cette époque ; je vais me permettre de faire une citation qui aura, au moins, le mérite de l'impartialité.
En 1848, à l'assemblée constituante, toutes les questions électorales ont été soulevées et voici ce que je lis dans le discours d'un orateur de cette époque :
« En 1839, l'opposition s'occupa très sérieusement d'une réforme électorale. Pour mettre un frein à cette corruption qui débordait déjà sur la France et qui menaçait particulièrement d'envahir les petits collèges, on avait généralement songé à transporter l'élection au chef-lieu et à faire voter les électeurs par scrutin de liste. Mais une commission fut nommée ; elle était composée des hommes les plus éminents. La question fut examinée, discutée avec le plus grand soin, un rapport fut rédigé, imprimé et distribué dans toute la France. On y déclarait que le vote par scrutin de liste était politiquement impossible. On se fondait particulièrement sur ce que les électeurs, ne connaissant pas la plus grande partie des candidats auxquels ils seraient obligés de donner leurs suffrages, ils (page 568) voteraient pour la plupart avec indifférence et admettraient des transactions dont le résultat inévitable serait de fausser la majorité parlementaire. »
Voilà quelle a été la décision prise en France, en 1839...
M. Crombez. - Ce n'est pas une décision.
M. Nothomb. - C'est au moins la résolution de la commission parlementaire concluant que le système de vote par scrutin de liste est politiquement impossible et ne permet pas à l'électeur de faire un choix raisonné. (Interruption.)
Je ne prétends pas que la Chambre ait voté sur ces conclusions, je dis simplement qu'en France on a hésité entre les différents systèmes. Je prouve mon assertion par la citation que je viens d'emprunter aux discussions de l'assemblée constituante de 1848.
M. Crombez. - Quel est l'orateur qui prenait la parole en 1848 ?
M. Nothomb. - M. Maurat-Ballange ; et puisque l'honorable M. Crombez s'intéresse à l'orateur français, je lui lirai alors plus tard un autre passage de son discours...
M. Orts, rapporteur. - C'est un honorable inconnu.
M. Nothomb. - Pour n'être pas d'une illustration, ces discours ont fait de l'impression dans la Chambre constituante où il y avait autre chose que d'illustres inconnus.
L'honorable M. Orts peut s'en convaincre en lisant ces discours, séance du 28 septembre 1848, Histoire Parlementaire, etc., par Wouters, t. 5, p. 406. (Interruption.)
Laissez-moi donc parler : vous m'obligez à répéter. J'ai seulement voulu montrer que M. le ministre de l'intérieur, en disant que le système dont nous demandons l'admission chez nous a été condamné d'une manière absolue eu France, a été trop loin ; j'établis que dans ce pays on a tantôt pratiqué un système, tantôt l'autre ; que notamment l'élection par arrondissement et par scrutin de liste, a rencontré dans une grande commission parlementaire composée des hommes les plus éminents, une opposition décidée comme incompatible avec des choix libres et raisonnes.
Je reconnais d'ailleurs que le scrutin par arrondissement a été maintenu en 1848. La constituante a discuté la question.
Il y a eu des amendements dans le sens que nous proposons aujourd'hui, ils n'ont pas été admis et le vote par arrondissement et par scrutin de liste a prévalu alors...
M. Crombez. - Par département.
M. Nothomb. - Pour un moment, oui, mais ceci fortifie notre thèse, car si le vote par arrondissement était déjà signalé en 1839 par la commission parlementaire comme conduisant à une impossibilité politique, il est évident que le vote par département devenait une véritable dérision ; si vous voulez être logiques dans cette voie-là, ne faites pas voter par département, mais par le pays tout entier. Alors au moins vous serez logiques jusqu'à l'absurde.
Enfin, on en est revenu actuellement en France au fractionnement des collèges électoraux composés de 35,000 électeurs, nommant chacun un député.
Ce système fonctionne aujourd'hui en France sans inconvénients, sous l'empire du suffrage universel, de ce suffrage qu'on nous oppose à tout instant comme une espèce d'épouvantail et par une tactique connue, chaque fois que nous demandons une extension, même la plus modeste, du droit de vote.
Mais, messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur s'est bien gardé de parler des pays où notre système reste en vigueur. Ces pays, vous les connaissez, on les a cités.
Nous trouvons d'abord celui avec lequel nous avons le plus d'affinités, sous le rapport des lois, des intérêts, de la proximité territoriale, des mœurs, c'est la Hollande. Là se pratique le vote par circonscription électorale nommant chacune un représentant, et ce système fonctionne à la satisfaction générale.
En Angleterre, ce système existe plus ou moins. Il y a aussi des divisions non pas établies d'une manière aussi uniforme que dans les Pays-Bas, sans doute ; mais enfin il y a des circonscriptions et il n'y a pas de ces collèges nommant par scrutin de liste ; chaque fraction électorale nomme en général un représentant, c'est le principe. (Interruption.)
M. Crombez. - C'est une erreur.
M. Nothomb. - J'entends l'honorable M. Crombez me dire que je suis dans l'erreur. Je ne demande pas mieux que de m'éclairer, mais jusque-là je constate qu'en Angleterre il y a des fractionnements pour les élections et qu'en général chacune de ces fractions nomme un député. Ce sont des divisions en collèges électoraux plus ou moins variables ; mais il est certain qu'il n'y a pas de scrutin de liste. Il y a des élections par comtés, par bourgs, par cités, par universités ; toutefois on n'y voit pas, comme chez nous, un arrondissement qui puisse nommer sept, huit, douze, quinze députés.
M. Goblet. - Où nomme-t-on quinze députés ?
M. Nothomb. - Vous y arriverez bientôt. Bruxelles va nommer treize députés, et sous peu, dans quelques années, on en voudra quinze. Vous verrez ce qu'on vous fera alors ; nous n'oublierons pas la déclaration qu'a faite tantôt l'honorable M. Orts.
J'attends donc que l'honorable M. Crombez veuille redresser mon erreur ; je suis tout disposé à me ranger aux lumières que je réclame de lui...
M. Crombez. - Je demande la parole.
M. Nothomb. - Le même régime existe ailleurs : en Espagne, et, je crois, en Italie. Car nous lisons tous les jours que tel collège a élu M. un tel, et je n'ai jamais lu qu'il soit sorti d'un seul collège sept, huit, dix députés.
J'affirme qu'en étudiant, sous ce rapport, la situation politique de l'Europe, on trouverait que le système des circonscriptions électorales plus ou moins restreintes est la règle qui domine à peu près partout.
Cela étant, qu'y a-t-il d'étonnant que nous cherchions à améliorer notre régime électoral ? On nous a fait un reproche de cet esprit de réforme, on a parlé, en les blâmant, de nos essais d'innovation ; on nous prétend animés d'un esprit d'inquiétude qui nous porterait sans cesse vers le bouleversement de notre régime électoral.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ce n'est pas moi qui ai dit cela.
M. Nothomb. - Non, c'est l'honorable M. Pirmez ; je reviendrai tantôt sur ce point.
Mais, messieurs, il n'y aurait à cela rien de surprenant. Le contraire le serait plutôt. Il serait étonnant qu'on n'essayât pas, chez nous, de corriger notre système électoral, de tous le moins raisonnable et le moins juste.
En effet, nous avons d'un côté le scrutin de liste qui certainement ne permet pas à l'électeur de choisir en connaissance de cause. Il est impossible qu'un électeur, même celui de la classe éclairée, puisse, sur six, huit, neuf, dix candidats, faire un choix suffisamment raisonné et libre. Ceci n'a pas besoin de démonstration. Ce n'est que trop évident.
D'autre part, existe-t-il, pour le grand nombre des électeurs, l'égalité dans l'exercice qui est cependant la première des conditions ? Que devient le droit électoral, quand l'égalité y manque ? On a beau proclamer dans la Constitution que tous les citoyens, dans telles conditions, sont électeurs. Ce n'est qu'un mot. Il faut encore autre chose. Il faut la faculté d'exercer le droit et suivant que cette pratique sera rendue facile ou difficile, l'on peut dire que le droit électoral existe ou n'existe pas dans sa plénitude.
Quand vous obligez l'électeur de la campagne à faire dix, douze ou quinze lieues, à se déplacer pendant un et deux jours, à abandonner ses affaires, sa famille, ses intérêts, à faire des dépenses, tandis que la minorité vote sans peine ni embarras, vote, comme on l'a dit ici un jour, et c'est l'honorable M. Orts, en pantoufles, je soutiens que c'est une véritable iniquité, que le droit est pour les uns et la privation du droit pour les autres.
Eh bien, je dis qu'un système qui conduit fatalement à de telles conséquences est vicieux, funeste et sans précédent dans l'organisation des sociétés politiques vraiment libres.
Une pareille situation ne saurait toujours durer, et c'est la pensée d'y remédier qui nous a dicté notre proposition.
Hier, on nous reprochait d'apporter ici une innovation, quelque chose d'insolite, un moyen que nous avions rêvé d'embarrasser le gouvernement et la majorité. C'est l'honorable M. Pirmez qui exprimait ce reproche.
Je m'étais mis en mesure de lui répondre en prouvant par des documents parlementaires que l'idée de modifier les circonscriptions électorales est ancienne déjà, qu'elle remonte à 1838 et précisément je voulais faire usage du rapport de mon honorable ami, M. Dechamps, que M. Orts a cité tantôt. L'honorable député de Charleroi trouve que nous apportons une nouveauté étrange et l'honorable M. Orts nous dit, au contraire, que c'est une vieillerie, une réminiscence d'un autre temps et il ajoute : Prenez garde, déliez-vous de cette réforme-là. C'est une menace contre les viles, c'est la suprématie des campagnes que l'on veut créer contre les villes.
M. Orts, rapporteur. - Non ! non ! J'ai dit que c'était la déclaration de guerre des campagnes contre les villes.
(page 569) M. Nothomb. - C'est bien la même chose, car je n'imagine qu'une déclaration de guerre n'a de sens que lorsqu'elle doit aboutir à une suprématie quelconque.
M. Orts, rapporteur. - On peut se tromper.
M. Nothomb. - On peut se tromper sans doute, mais dans ce cas il est prudent de ne pas commencer.
Or donc, puisque l'honorable M. Orts a rappelé le rapport de M. Dechamps, c'est le moment de dire ce qu'a été ce document et ce que son auteur a voulu. M. Orts vient de formuler nettement cette accusation :
« C'est une déclaration de guerre qu'en 1838 vos amis ont faite contre les villes. » Eh bien, messieurs, d'un mot je fais crouler cette virulente apostrophe de l'honorable membre : Ce sont nos amis à cette époque qui ont opposé à ces pétitions l'ordre du jour.
M. Orts - A la condition d'écarter les autres.
M. Nothomb. - Peu importe, ne changeons pas la position. Vous dites que nos amis en 1838 ont voulu faire un instrument de guerre et de domination du fractionnement des circonscriptions électorales.
Et moi je vous réponds que nos amis précisément en 1838 ont proposé l'ordre du jour sur les pétitions qui demandaient ce fractionnement. Singulière manière de déclarer la guerre et de vouloir s'assurer la suprématie !
Ce que j'avance, je vais le prouver en lisant la fin de ce rapport qui est resté un des documents les plus remarquables de nos annales parlementaires.
Il porte la date du 16 février 1838 :
« Jusqu'ici le rapport de votre commission n'a roulé que sur le mode de réforme électorale proposé par les pétitions des grandes villes ; il nous reste à vous exposer notre opinion touchant les pétitions qui nous ont été présentées au nom des campagnes. La plupart des pétitionnaires, tout en se plaignant de la position défavorable dans laquelle la loi a placé les communes rurales ; tout en constatant le fait que les villes ont un tiers d'électeurs de plus que les communes, eu égard à leur population, demandent le maintien de cette législation par des motifs d'ordre et de stabilité.
« Dans la supposition que la nécessité d'un changement à la loi électorale soit admise, voici quelles sont les améliorations que ces pétitionnaires désireraient de voir adopter. »
Ils sont bien modestes ces pétitionnaires ; ils demandent qu'on maintienne la législation existante, par des motifs d'ordre et de stabilité ; mais pour le cas où il y aurait des changements à faire, voici les modifications qu'ils désireraient voir adopter ; je continue la lecture :
« Tous s'accordent pour dénoncer le privilège si important dont jouissent les électeurs des chefs-lieux de district électoral, en ne devant pas se déplacer pour exercer leurs droits politiques, tandis que les électeurs des communes éloignées devant souvent faire 8 ou 10 lieues, perdant beaucoup de temps, et forcés à des dépenses considérables, pour aller déposer leur bulletin dans l'urne. »
Cela était vrai en 1838, et hélas ! cela est encore vrai aujourd'hui.
- Plusieurs membres. - Et les chemins de fer !
M. Nothomb. - Les chemins de fer transportent-ils pour l'amour de Dieu ?
« Ils font remarquer que les difficultés des communications et tous les frais et les désagréments qui résultent d'un déplacement à de telles distances, empêchent naturellement une grande partie des électeurs des campagnes d'user du droit précieux que la loi leur confère ; de sorte que la prépondérance marquée que possèdent déjà dans les opérations électorales les chefs-lieux de district, se convertira tôt ou tard dans un véritable monopole. »
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les chiffres des élections prouvent le contraire. Il y a plus d'électeurs des campagnes que d'électeurs des villes qui prennent part au vote.
M. Nothomb. - A-t-on la prétention de prouver que les électeurs des campagnes exercent leurs droits avec plus de facilité que les électeurs des villes ?
Donc on constatait en 1838 que cette disproportion énorme entre les uns et les autres se convertirait tôt ou tard en un véritable monopole, au profit des villes, et l'on continuait :
« La modification que plusieurs proposent d'adopter dans le cas où le principe d'une réforme serait admis, consiste à fixer les assemblées électorales par chefs-lieux de canton.
« Plusieurs pétitions, en s'appuyant toujours sur les mêmes données, présentent un plan de réforme plus complet et mieux dessiné.
« Elles demandent :
« 1° Que la province soit divisée, à raison de sa population, en autant de districts électoraux qu'elle a de députés à nommer ;
« 2° Que le cens dans les cantons judiciaires composant un district électoral, soit fixé de manière que les cantons soient représentés aux élections proportionnellement à leur population respective, sans cependant que ce cens puisse excéder 100 florins ni être moindre de 20 florins.
« Puis viennent les dispositions réglementaires.
« Messieurs, les raisons politiques que nous avons développées et qui nous ont déterminés à rejeter les demandes de réforme présentées par les villes, nous commandent de rejeter aussi celles dont nous venons de nous occuper.
« Cependant il est vrai de dire que ces dernières modifications ayant pour but non de changer les bases, les principes de notre système d'élection, mais d'en faire au contraire une application plus exacte, ne présentent pas le même danger que celui qu'entraînerait une réforme radicale de. principes.
« Il est bon de remarquer ici que le système de créer autant d'arrondissements électoraux qu'il y a de députés à élire, a été consacré en France par la loi de 1831, et qu'une disposition analogue, pour éviter le déplacement des électeurs, a été introduite dans l'acte de réforme, en Angleterre. Ces deux autorités donnent quelque poids à la demande des pétitionnaires.
« Aussi, messieurs, tout en vous proposant l'ordre du jour sur toutes les pétitions sur lesquelles nous avons été chargés de vous présenter un rapport, nous déclarons que si la Chambre n'accueillait pas cette motion d'ordre du jour, nous nous prononcerions dans le sens des dernières pétitions que nous venons d'analyser, parce que la réforme qu'elles demandent est partielle et prudente, reposant sur les principes de la loi en vigueur et se tenant dans les bornes préservatrices de la Constitution. »
Tel est, messieurs, le rapport dans lequel l'honorable M. Orts a vu une menace de guerre et l'annonce d'une véritable croisade que les campagnes dès 1838 s'apprêtaient à exercer contre les villes ! Il en résulte au contraire que par des raisons d'ordre et de stabilité le. rapporteur a lui-même proposé l'ordre du jour.
M. Bouvierµ. - Avec de petites restrictions.
M. Nothomb. - Messieurs, quand on se demande quelles doivent être les conditions d'un bon système électoral, il en est deux qui se présentent tout d'abord comme indispensables : c'est que le système puisse donner une représentation sincère et vraie et que tous les intérêts soient réellement représentés.
Or, ces deux résultats, vous ne les trouvez pas et vous ne pouvez pas les trouver dans un système où les élections se font au chef-lieu arrondissemental ou départemental par scrutin de liste.
Cela est impossible. J'en ai déjà parlé tantôt. Il arrivera fréquemment que les électeurs seront forcés de donner leurs votes à des candidats qu'ils ne connaissent pas et qu'il ne peuvent connaître, et ensuite que les habitants des chefs-lieux par leur prépondérance numérique, de fortune, de position et d'influence empêcheront souvent les électeurs ruraux et éloignés de faire valoir leurs droits.
Or, messieurs, nous croyons que le système que nous présentons permet seul d'avoir à la fois des élections sincères et vraies en ce sens que l'électeur aura pu apprécier le candidat à nommer, et d'un autre côté, garantit à tous les intérêts d'être réellement représentés.
C'est donc à ce double point de vue qu'il faut se placer si l'on veut arriver à un système électoral consciencieux, équitable et assurant à tous les droits et à tous les intérêts leur légitime satisfaction.
On nous fait, messieurs, des objections de diverses espèces que je vais examiner rapidement.
C'est ainsi que j'entendais hier l'honorable M. Pirmez et un peu avant lui l'honorable ministre de l'intérieur nous dire : Vous êtes de singulier conservateurs, vous essayez à chaque instant de bouleverser la législation, poussés par nous ne savons quel esprit d'inquiétude et d'innovation qui vous porte à agiter le pays par des demandes de réforme dans les questions les plus importantes.
M. Bouvierµ. - C'est M. Dechamps qui fait cela.
M. Nothomb. - Vous n'êtes plus des conservateurs, mais nous, ajoutait l'honorable M. Pirmez, nous sommes les vrais conservateurs.
Messieurs, il faut s'entendre sur ce que signifie le mot : conservateur. Il y a deux manières d'être conservateur : l'une consiste à se tenir en deçà des idées et des tendances de son temps en se mettant en travers de toutes les idées modernes ; l'autre, c'est d'être conservateur par le (page 570) progrès et avec le progrès. C'est dans cette dernière catégorie que nous nous rangeons ; le véritable esprit conservateur ne consiste pas à s'attacher toujours et quand même au passé ; c'est une façon particulière, d'être révolutionnaire
M. Orts. - Nous sommes tout à fait d'accord là-dessus.
M. Nothomb. - Le véritable esprit conservateur est celui qui embrasse les idées progressives et vraies de son temps et s'attache à les faire prévaloir en les conciliant avec celles du droit, de la justice et de la liberté. (Interruption.)
L'une conduit à la résistance aveugle et obstinée à tout progrès.
M. Bouvierµ. - C'est l'encyclique.
M. Nothomb. - L'autre, au contraire, est sympathique à tous les progrès compatibles avec nos institutions par l'ordre et la liberté. C'est celui-là qu'il faut suivre.
C'est celui que nous défendons ici, et c'est pourquoi nous vous demandons de faire une législation électorale égale pour tous, juste pour tous.
C'est en nous tenant aussi éloignés de l'esprit réactionnaire que de l'esprit révolutionnaire, de la résistance systématique à tout progrès que des impatiences illégitimes ou des témérités aventureuses que nous resterons, nous, les vrais conservateurs, cherchant à conjurer, dans la mesure de nos forces, ce double danger qui trouble la société moderne.
Et quand nous vous demandons certaines réformes basées sur le droit et la justice, comme l'est celle-ci, nous justifions le titre de conservateurs.
Vous avez protesté de votre respect pour les grandes lois organiques et traditionnelles.
En vérité il fallait d'abord nous faire perdre la mémoire ! O ! vous, si respectueux envers les grands principes par lesquels la société belge s'est longtemps développée, il fallait effacer votre passé.
Avons-nous donc oublié, la nation a-t-elle oublié que vous avez touché à toutes les grandes lois traditionnelles de ce pays ? N'avez-vous pas touché à la question de la charité ? (Interruption.)
Je veux vous ôter votre masque.
MfFOµ. - Le pays vous a arraché le vôtre.
M. Nothomb. - Avez-vous respecté les lois traditionnelles et séculaires sur les fondations de bourses ? (Interruption.)
Non, non, cessez de protester de votre respect pour les vieilles lois organiques. Assurément, il est beau de parler de ce respect, mais il est mieux encore de le pratiquer.
Savez-vous quelles sont les lois que vous respectez ? Ce sont celles qui vous servent.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous plaisantez.
M. Nothomb. - Je ne plaisante pas, et, pour employer votre mot, j'ai cru qu'on plaisantait, quand, sous les apparences de faux bons hommes, on venait dire qu'on respectait toutes les grandes et vieilles lois, lorsque, en même temps, l'on nous reprochait, à nous, de n'être plus des conservateurs et d'abdiquer tous les grands principes conservateurs qui font l'honneur de notre opinion... (Interruption.)
MIVDPBµ. - Je n'ai pas dit un mot de cela. (Interruption.) Je constate que cela est inexact.
- Un membre. - L'épithète ne peut-elle pas s'adresser à d'autres que vous ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous me prêtez des paroles pour avoir le plaisir de les réfuter, je ne vous permets pas cela.
M. Nothomb. - M. Pirmez a parlé du respect des lois traditionnelles...
MfFOµ. - Est-ce M. Pirmez qui est un faux bonhomme ?
M. Nothomb. - Vous nous avez objecté qu'il ne fallait pas changer une législation qui produit de si bons résultats.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'ai pas dit cela.
M. Pirmezµ. - C'est moi qui l'ai dit et je le maintiens.
M. Nothomb. - Je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur que je ne l'ai pas nommé, ni voulu nommer... Je dis et je répète que lorsque l'on prend le masque du respect des grandes lois traditionnelles, on prend un air de faux bonhomme.
M. Orts, rapporteur. - Je vous ferai remarquer, M. Nothomb, que votre mot de taux bonhomme appliqué à M. le ministre de l'intérieur se trouve dans le Journal de Bruxelles ce matin. (Interruption.)
M. Nothomb. - Je demande à M. Orts de s'expliquer. Je n'ai désigné personne et veut-il me prêter l'intention d'injurier par voie déguisée... (Interruption/) Qu'il s'explique...
J'ai parlé avec la plus entière franchise ; s'il entrait dans mes intentions de dire une personnalité injurieuse à quelqu'un, sachez-le bien, on ne s'y méprendrait pas. (Nouvelle interruption.) J'ai parlé en thèse général, je me suis emparé de vos arguments d'hier que j'ai relevés sur mes notes, car les discours d'aucun de vous n'ont encore paru. Eh bien, hier vous vous retranchiez derrière votre respect pour les lois fondamentales et traditionnelles.
Je réponds à cela : Non, vous n'avez plus le droit de vous abriter derrière un prétendu respect que je prouve n'avoir pas existé chez vous. Et quand vous invoquez ce respect, vous êtes de faux bons hommes. (Bruyante interruption.)
- Voix nombreuses à gauche. - A l'ordre !
MpVµ. - M. Nothomb, vous ne pouvez pas vous servir d'une pareille expression, elle est injurieuse ; expliquez-vous, ou retirez votre expression.
- Voix nombreuses. - A l'ordre !
M. Orts, rapporteur. - Je demande la parole.
MpVµ. - La parole est à M. Nothomb ; je l'invite à expliquer son expression ou à la retirer.
M. Hymans. - On n'explique pas une injure.
M. Orts, rapporteur. - Je demande à m'expliquer.
MpVµ. - Vous n'avez pas la parole. M. Nothomb a à s'expliquer.
M. Nothomb. - Volontiers et je le ferai avec calme. cette grande émotion m'étonne. Dans ma pensée, le mot de faux bonhomme ne s'appliquait à personne d'une manière déterminée.
M. Dolezµ. - C'est une injure collective.
M. Nothomb. - C'est une forme de langage...
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Malheureuse.
M. Nothomb. - C'est selon... C'est une forme de langage par laquelle j'entendais indiquer que ceux qui, après avoir violé des lois anciennes et fondamentales, viennent se réfugier, comme derrière une égide, dans un respect des lois qu'ils n'ont pas pratiqué, ont pour moi l'apparence de faux bons hommes. Je déclare que je ne retire rien de mon expression.
M. Orts, rapporteur. - Je demande la parole.
MpVµ. - La parole est continuée à M. Nothomb.
M. Hymans. - Est-ce que nous restons de faux bons hommes ?
M. Nothomb. - Après le reproche qu'on nous faisait d'être des innovateurs téméraires et aventureux, de bouleverser toute la législation pour créer une situation difficile au gouvernement, reproche auquel j'ai répondu en disant comment nous entendons être, comment nous sommes conservateurs, je passe à une autre objection que j'ai retrouvée dans la bouche des trois orateurs qui ont combattu l'amendement de M. Kervyn. Cette objection est celle-ci.
Dans les districts électoraux, la corruption est beaucoup plus facile ; il est extrêmement aisé de démoraliser, par des moyens illicites, par des influences mauvaises, un petit nombre d'électeurs. Dès lors, le résultat électoral serait entaché de corruption. Voilà l'objection.
Messieurs, je constate ici une singulière situation : chaque fois que nous venons, nous minorité, demander une réforme quelconque, une modification quelconque, un progrès dans le sens, soit de l'indépendance du citoyen, soit de l'égalité politique, savez-vous comment invariablement on nous répond ? Par ces mots : Vous favorisez la corruption, vous ouvrez la porte à la corruption !
Ainsi, quand nous demandons le vote à la commune, qui est la chose juste entre toutes et vraie en droit absolu, qui est la seule égalité politique conforme à la Constitution...
MfFOµ. - Il y a mieux que cela ; demandez qu'on aille recueillir les votes à domicile.
M. Nothomb. - Il ne s'agit pas de cela, mais il y a des pays où cela se fait... (interruption), et ils ne sont pas moins civilisés que le nôtre.
MfFOµ. - Non, mais quel esprit politique y a-t-il dans ces pays ?
M. Nothomb. - De quels pays parlez-vous ?
MfFOµ. - De la Hollande entre autres.
M. Nothomb. - Et vous prétendez qu'il n'y a pas d'esprit politique en Hollande ? Cela n'est pas sérieux, car je vois qu'on s'y livre, comme (page 571) ailleurs, à de vives discussions politiques ; je vois qu'on y renverse des ministères sur des questions politiques, j'y vois la liberté et le droit, et l'égalité et le progrès sincèrement pratiqués.
Mais, nous n'allons pas jusque-là ; nous nous bornons à demander le vote à la commune, qui est évidemment l'expression du droit absolu de tous les citoyens belges ; et quand nous conseillons cette réforme, on nous répond : C'est la corruption.
Quand nous demandons l'extension du suffrage, quand nous demandons qu'un plus grand nombre de Belges soient appelés à la vie publique, soient initiés aux choses du pays et soient préparés à la lutte politique, au rôle de citoyens, on nous répond : Corruption.
Enfin, partout où nous demandons une ombre de liberté et d'égalité pour les citoyens belges, on nous répond toujours et invariablement : Mais c'est la corruption que vous allez introduire ; vous allez démoraliser les populations, vicier, dégrader le sens moral et politique du peuple.
Mais, messieurs, si votre crainte était fondée, ce serait à désespérer de notre pays.
Le monde finirait par croire qu'il n'y a en Belgique que deux classes d'hommes : des corrupteurs et des corrompus.
M. Hymans. - Et de faux bons hommes.
M. Nothomb. - Quant à moi, je proteste contre un pareil langage. Non, il n'y a pas en Belgique de porte ouverte à la corruption. Les électeurs des campagnes, comme ceux des villes, sont des hommes droits et honnêtes, dont la corruption n'a pas si facilement raison.
Quand vous dites que la corruption nous envahit de toutes part, et que toute réforme va la faire grandir, je réponds que vous proclamez, sans raison aucune, la déchéance morale du pays ; et le dernier projet sur les fraudes électorales a été l'expression la plus fâcheuse de votre sentiment. Tous les articles de ce projet parlent de cette idée qu'il faut enchaîner le citoyen belge et l'empêcher de se livrer corps et âme à cette lèpre de la corruption que vous prétendez si puissante sur lui. Eh bien, encore une fois je proteste contre un pareille accusation et je regrette de vous voir ainsi amoindrir le citoyen belge quand vous le montrez si accessible à la corruption chaque fois que nous demandons, pour lui, émancipation ou égalité politique.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Les électeurs honnêtes n'ont rien à craindre des mesures prises contre la corruption.
M. Nothomb. - Mais enfin, si votre argument est fondé, est-ce que la corruption s'exercera plus facilement sur 40,000 âmes que sur la population d'un arrondissement ? Je ne vois vraiment pas pourquoi il en serait ainsi.
M. Orts. - Parce que cela coûte moins cher.
M. Nothomb. - Cela coûte moins cher, me dit-on ; je réponds de suite à mon honorable interrupteur.
Je soutiens, au contraire, que dans les circonscriptions électorales où l'on ne nomme qu'un député, la corruption, puisque vous insistez, puisque vous parlez de la cherté des élections et que vous me forcez à descendre à ces détails, je soutiens que la corruption s'exercera moins dans de petites circonscriptions électorales que dans de grandes. Il faut bien dire les choses comme elles sont et convenir que dans les collèges électoraux qui élisent 4, 5 ou 6 ou plus de représentants, il peut arriver que ceux-ci se cotisent et forment un fonds commun en y versant chacun une somme de 8,000, 9,000 et 10,000 francs, de manière à pourvoir collectivement à toutes les dépenses électorales. (Interruption.)
M. Vleminckxµ. - Ce n'est pas à Bruxelles que cela se passe.
M. Lebeau. - A Turnhout, cela n'est pas nécessaire, on ne vous y connaît pas.
M. Nothomb. - Prenez garde, vous tirez sur plusieurs de vos amis. Mais allez voir à Turnhout si on ne m'y connaît pas, et je défie l'honorable M. Lebeau de s'y présenter pour me supplanter.
M. Wasseige. - Très bien !
M. Lebeau. - Pourquoi ne vous présentez-vous pas chez vous, à Neufchâteau ?
M. Nothomb. - Je pourrais me dispenser de répondre à l'honorable M. Lebeau ; je lui dirai cependant que si je n'avais pas à y combattre une administration ouvertement hostile, je pourrais m'y présenter sans aucune crainte. Faites-y des élections avec une administration neutre et impartiale, et nous verrons.
Je reviens à la discussion réelle, dont vos interruptions continuelles m'ont de nouveau et bien malgré moi éloigné. Je ne me plains pas personnellement de ces interruptions, mais elles allongent outre mesure ce que je voulais dire.
Je répète que la corruption est moins facile dans une petite circonscription que dans une grande ; je répète que quand un collège électoral a à élire 5, 6, 7 représentants, ceux-ci peuvent se réunir pour couvrir en commun les dépenses de leur élection.
MfFOµ. - Les dépenses électorales dont vous parlez n'ont lieu que dans de petits collèges électoraux.
M. Nothomb. - Je ne veux pas entrer dans ces détails. (Interruption.)
MfFOµ. - Vous pouvez parfaitement y entrer.
M. Nothomb. - Tout le monde sait que les dépenses électorales sont considérables dans plusieurs grands arrondissements.
M. Vleminckxµ. - Elles sont complètement nulles à Bruxelles, par exemple, contrairement à votre thèse.
M. Dolezµ. - Depuis 30 ans, je représente l'arrondissement de Mons et j'affirme que je n'ai jamais dépensé un centime pour mon élection.
MfFOµ. - Il en est de même à Liège.
M. Wasseige - Demandez à M. Lebeau ce qu'il dépense à Charleroi.
M. Lebeau. - C'est M. Dechamps qui a introduit ce système-là.
M. Wasseige. - C'est le tribunal qui est appelé là à décider des dépenses électorales quand on ne les paye pas.
M. Lebeau. - Ce n'est pas à moi que cela s'adresse.
M. Nothomb. - J'ajoute que, dans notre système, la corruption sera d'autant moins à craindre que le candidat sera beaucoup mieux connu et apprécié. On votera pour lui, non parce que l'on est corrompu, mais parce que l'on est convaincu ; on votera pour lui parce qu'on l'aura jugé, parce qu'on l'estime et qu'on l'honore. Enfin le candidat reculerait lui-même d'autant plus devant l'emploi de moyens déloyaux ou coupables qu'il' est isolé, seul en vue, seul responsable et comptable envers l'opinion publique.
Après avoir parlé de la corruption que doit faciliter le système que nous défendons, on est arrivé à lui reprocher d'abaisser le niveau parlementaire, et de faire entrer dans les Chambres des intelligences médiocres, de ravaler les élections à ce que l'on appelle dédaigneusement des élections de clocher.
Je-réponds d'abord que les élections de clocher sont aussi respectables, sont au moins aussi dignes d'intérêt que les élections qui se font à l'aide des clubs, des associations et des coteries qu'on voit travailler et réussir ailleurs.
On allègue que le niveau parlementaire sera abaissé ; mais où sont les faits pour justifier cette assertion ? Dans les pays à petites circonscriptions électorales, on voit arriver aux Chambres les hommes les plus éminents. Je pourrais emprunter une quantité de noms illustres à l'Angleterre, à la France. Vous les nommerez pour moi.
En Hollande, les petits arrondissements envoient à la Chambre les sommités du pays.
Il y a à peine quelques jours que M. Thorbecke, tombé du ministère, a été nommé dans deux arrondissements.
Sur quelle autorité vous basez-vous donc pour affirmer que les petits arrondissements ne produisent que des médiocrités, des quasi-nullités ? Le contraire est plutôt vrai. Je ne veux pas faire de comparaison, ce serait malséant ; je n'en veux pas faire ici ; je ne veux pas même en faire à l'étranger. Mais il me serait facile de constater qu'en général, ce ne sont pas ce qu'on nomme les petits arrondissements qui font les choix les moins intelligents.
D'ailleurs, est-il absolument exact de prétendre qu'une Chambre législative doive nécessairement réunir la somme de toutes les intelligences dans le sens absolu, dans le sens le plus élevé ? Je ne le pense pas. Une Chambre n'est pas un congrès de savants, un aréopage, un conseil d'amphitryons ; une Chambre est et doit être la représentation de tous les intérêts, même des plus ordinaires, des plus vulgaires d'un pays. Une Chambre, c'est l'image d'une nation, avec ses besoins, ses intérêts, ses aspirations, voire même ses préjugés.
Si l'on avait une Chambre uniquement composée de sages, d'intelligences d'élite, planant dans les sphères les plus élevées de la science, de la philosophie et des lettres, je dis que l'on n'aurait pas une représentation exacte du pays ; ce serait, je le veux bien, une Académie brillante ; ce ne serait plus l'expression de l'opinion publique ; la vie manquerait à une pareille assemblée ; ou ce serait la vie, sans la chair et les os du pays, sans âme, sans souffle national, et une pareille assemblée ne peut être celle d'un pays démocratique.
(page 572) Je sais bien à quel moment on a touché à la représentation nationale, au point de vue de l'intelligence, au point de vue de ce niveau élevé.
C'est le jour où l'on a voté la loi sur les incompatibilités ; ce jour-là la Chambre, en tant que réunion d'intelligences élevées, a décliné ; mais je n'en conclus pas que la Chambre, comme telle, ne vaille pas autant ; elle est une représentation moins haute peut-être, mais plus vraie ; elle est l'image plus fidèle du pays.
L'argument qu'on nous oppose n'est donc pas sérieux. Si vous voulez une Chambre composée de ces sommités hors ligne, alors demandez-la à un autre mode qu'au suffrage populaire ; tant qu'il y aura un suffrage populaire avec ses passions, ses préjugés, ses idées, souvent étroites et parfois injustes, vous aurez une Chambre composée à l'image du peuple, avec ses faiblesses, mais aussi avec ses grandeurs, avec ses défaillances, mais aussi avec sa force.
M. Crombez. - Le discours de l'honorable M. Nothomb est une véritable encyclopédie politique.
M. Nothomb. - Je ne saisis pas la mérite de votre interruption, M. Crombez ; voilà une heure que vous m'interrompez, en parlant de toute espèce de choses.
Je me borne, moi, à suivre les arguments de mes honorables contradicteurs et je tâche de les réfuter de mon mieux ; je n'ai pris l'initiative de rien de désagréable pour personne. (Interruption.)
Certainement non ; je proteste que je n'ai voulu rien dire de désagréable à personne ; vingt fois interrompu, et presque toujours avec aigreur, certes, je me défends ; ce n'est pas de ma faute si les observations que je voulais présenter en vingt minutes me tiennent debout depuis près d'une heure et demie.
M. Dolezµ. - Jamais on n'a dit dans la Chambre une chose aussi désagréable pour des collègues que celle que vous avez dites tout à l'heure.
M. Delaetµ. - Et quand vous nous dites que nous sommes les hommes des évêques, que nous n'avons ni la liberté de notre conscience, ni celle de notre vote ?
M. Nothomb. - Enfin, messieurs, on nous a encore dit que notre système, et c'est la considération par laquelle l'honorable M. Orts l'a surtout attaqué, renforçant sous ce rapport l'argument de M. le ministre de l'intérieur, on nous dit que notre système est dangereux, qu'il va créer un antagonisme marqué entre les villes et les campagnes ; que nous aurons la caste des paysans et la caste des citadins ; l'honorable membre a presque fait apparaître le fléau de la guerre intestine. (Interruption.) L'honorable membre a été très sombre.
M. le ministre de l'intérieur, dans la séance d'hier, avait énoncé la même pensée, sans la charger aussi fortement, il avait dit, je crois, car je crains de m'aventurer....
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Si je l'ai dit, je le reconnaîtrai.
M. Nothomb. - L'honorable ministre a soutenu que notre système était contraire à l'unité nationale, qu'il devait nuire à la cohésion du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je l'ai dit.
M. Nothomb. - Je suis heureux que, cette fois, je ne m'expose pas à vous être désagréable.
C'est donc au fond la même pensée : nuire à la cohésion du pays, compromettre l'unité nationale ou créer le danger auquel l'honorable M. Orts a fait allusion, c'est tout un.
Je me permets de dire que l'objection, si grosse qu'on l'ait faite, n'a aucune valeur. Lorsque dans le système que nous défendons, chaque intérêt sérieux, respectable, aura sou représentant, je me demande en quoi ce fait peut constituer un antagonisme entre les villes et les campagnes ? Comment cela peut-il devenir plus dangereux dans notre système que cela ne l'est aujourd'hui où nous voyons les communes rurales coopérer à la même élection que les villes ?
Voit-on pour cela les haines s'introduire entre les citoyens d'une ville qui vote dans un sens et les électeurs des campagnes qui votent dans un autre sens ? Rien de pareil, Dieu merci, n'existe.
Je trouve au contraire, dans notre système, une garantie d'unité, parce que tous les intérêts, tous les droits seraient réellement représentés, et que c'est la représentation réelle de tous les intérêts qui constitue la véritable unité nationale ; les intérêts communs font la patrie commune.
Mais le danger que vous signalez existerait bien plus dans le système que nous avons constamment blâmé, que nous avons combattu surtout, à propos du projet de loi sur les fraudes électorales ; dans ce système d'inégalité que vous persistez à maintenir entre les villes et les campagnes, en permettant aux électeurs des villes de voter avec toutes les facilités et en refusant l'égalité et le droit électoral, dans son exercice pratique, aux électeurs des campagnes.
Le danger sera plus grand surtout, si le projet sur les fraudes électorales venait à être définitivement adopté, sans compensation et sans modifications sérieuses. Là, vous avez prononcé un véritable ostracisme contre les électeurs des campagnes, et c'est de là que viendrait le danger, le jour où les électeurs des campagnes se verront décidément sacrifiés aux électeurs des villes ; ce jour-là, le danger que vous signalez existera, l'antagonisme sera créé, et créé par vous. Ce que vous avez nommé la désagrégation du pays commencerait.
Un mot seulement de ce qu'on a dit relativement à la difficulté de mettre notre système en pratique.
Ici encore j'ai entendu d'honorables membres parler de la nécessité de conserver la stabilité dans nos lois, d'éviter l'arbitraire dans la formation des circonscriptions électorales. M. le ministre de l'intérieur a spécialement insisté sur cette considération. Eh bien, il y a un moyen facile de parer à tout cela. C'est de faire les circonscriptions électorales par la loi, mais à la condition, comme le disait mon honorable ami, M. Jacobs, à la condition que cette loi serait respectée et n'aurait pas le sort de la loi de 1856.
Je suppose que vous mettiez ce système en pratique. Vous statuerez, par exemple, dans la loi, que les circonscriptions électorales seront révisées tous les cinq ans, tous les huit ans ; la loi y pourvoira, mais à la condition que cette fois l'on respectera les prescriptions de la loi et que l'on ne viendra pas, au bout de deux ou trois ans, selon les besoins du moment, modifier ces circonscriptions. C'est donc la loi qui servirait de règle pour tout le monde, et la loi, respectée scrupuleusement, serait ainsi la garantie pour tous.
Nous estimons, messieurs, que notre proposition répond à deux nécessités réelles et considérables ; d'abord, d'assurer la sincérité dans l'élection, et puis d'accorder plus de facilité à l'électeur dans l'exercice de son droit.
Je sais bien qu'il y a deux choses que beaucoup d'entre vous ne veulent pas voir et surtout ne veulent pas faire : c'est une extension réelle et sérieuse du droit de vote ; c'est une modification à nos lois électorales en vue de faciliter à l'électeur de la campagne les moyens de pratiquer dignement et librement son droit électoral.
Vous répugnez à ces réformes ; elles viendront cependant l'une et l'autre. J'aimerais mieux qu'elles vinssent avec votre concours, par nos efforts communs que sans vous et malgré vous.
Si vous vous obstinez à refuser ces deux progrès politiques, l'extension du droit de suffrage et une plus grande facilité pour l'électeur de la campagne, on verra se produire l'une ou l'autre de ces éventualités : ou bien vous donnerez à l'opinion publique un motif d'agitation grave : la revendication de l'égalité politique, ou bien, si cela n'arrive pas, et l'égalité dans le droit continuant à être refusée à la majorité des électeurs, vous aboutirez à cette situation où l'indifférence et l'apathie remplaceront la vie politique. L'électeur de la campagne, obligé de se soumettre à mille difficultés pour exercer son droit de vote, menacé, enchaîné par votre loi sur les fraudes électorales, ne remplira plus son mandat. L'indifférentisme politique prévaudra, et le régime libre n'y survivra pas.
Messieurs, je voudrais encore dire un mot, et je ne sais comment sans m'exposer à vous blesser. Vous paraissez passablement susceptibles ce soir et je n'ai cependant aucune intention de vous froisser personnellement.
Je voudrais vous dire quelle est, suivant moi, la raison vraie pour laquelle vous vous refusez à l'examen de la proposition que nous soutenons ici. Je vais vous soumettre cette raison, et je la puiserai dans les discussions d'un pays étranger.
Au fond, la raison, vous l’avez énoncée vous-mêmes ; c'est que le régime actuel est bon. Il est bon pour vous ; partant il faut le maintenir. Je crois que M le ministre de l'intérieur l'a dit hier, et dans tous les cas, l'honorable M. Pirmez a parlé dans ce sens. Pourquoi, avez-vous dit, changer une législation qui a produit de si bons résultats ?
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'ai pas dit un mot de cela.
M. Nothomb. - Je ne l'affirme pas non plus, mais c'est certainement un de vos amis politiques.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oh ! si ce n'est toi c'est donc ton frère ou quelqu'un des tiens.
(page 573) M. Pirmezµ. - J'accepte pour moi la citation.
M. Nothomb. - Au moins, vous le pensez ainsi, M. le ministre, puisque vous combattez notre proposition, qui est une véritable réforme électorale, nous ne le cachons pas. Vous la combattez, donc vous dites par là même que le régime actuel est le seul qui vaille.
Vous avez glorifié le système actuel comme ayant fourni d'heureux résultats ; c'est là qu'il faut chercher la véritable raison de votre opposition à toute réforme électorale. Vous ressemblez à tous les hommes satisfaits ; vous trouvez la législation excellente et tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes politiques possibles.
Voici donc ce qui se disait à l'assemblée constituante en 1848.
La même question y était posée ; les uns défendaient le scrutin de liste, les autres proposaient le vote par petites circonscriptions, et un orateur de cette dernière opinion appuyait sa manière de voir par la considération suivante :
« Ce qui fait que les réformes électorales sont si difficiles à obtenir, c'est qu'elles doivent toujours être opérées par ceux mêmes qui sont le produit du régime qu'on veut détruire. Or, il est bien peu d'hommes qui en s'examinant eux-mêmes, et surtout en se comparant avec ceux qu'ils ont eus pour concurrent aux élections précédentes, ne soient disposés à se dire, de la meilleure foi du monde et dans toute la naïveté de leur conscience, qu'un régime qui a produit de pareils résultats est évidemment le meilleur de tous. (On rit.)
« Ainsi la question générale et politique se trouve tout à coup abaissée aux proportions de l'intérêt privé ; et les arguments les plus irrésistibles viennent bientôt se briser contre des cerveaux cuirassés par l'intérêt et par l'amour propre. »
- Plusieurs membres. - Quel est cet orateur ?
M. Nothomb. - C'est le même que j'ai déjà nommé... (Interruption.) C'est en tout cas d'un homme qui pense bien et qui dit bien.
Maintenant, messieurs, je voudrais terminer par quelques mots sur le principe même du projet de loi. Je m'en suis assez expliqué à sa première apparition.
J'ai combattu le principe même en prouvant qu'il n'était rien de plus pernicieux que de méconnaître la prescription d'une de nos lois essentielles, la loi de 1856, qui a eu pour but de consacrer la fixité parlementaire pendant une période de 10 ans.
Je me suis énergiquement opposé à la proposition de l'honorable M. Orts, il y a deux ans bientôt, et je m'y oppose avec bien plus de raison aujourd'hui, puisque nous ne sommes plus séparés que par huit mois de l'époque fixée par la loi de 1856.
La loi est dangereuse, parce qu'elle ouvre la porte à toutes les incertitudes de l'avenir ; elle provoque à tous les actes de parti comme à tous les expédients ; elle jette le trouble dans la composition des Chambres ; elle peut devenir un instrument d'oppression en permettant aux majorités de se perpétuer.
Le principe que j'invoque, messieurs, n'est pas seulement celui de la loi de 1856, il domine aussi l'organisation communale ; il est inscrit dans l'article 19 de la loi communale qui porte que la classification des communes se fera tous les 12 ans après un recensement de la population. La classification doit se faire par la loi. Mais il faut un espace de 12 ans. C'est donc le même principe pour la commune.
Eh bien, que dirait-on si, maintenant, on voulait avant les douze années changer la classification des communes ? On dirait avec raison que c'est introduire le désordre dans l'administration.
Enfin, messieurs, je vous prie de faire attention à ceci :
Vous allez voter cette loi qui est faite, qui est avouée faite dans l'intérêt de votre parti, de votre majorité, qui procède et qui s'inspire de l'esprit de parti. Or, veuillez y réfléchir ; les majorités sont changeantes, vous donnerez à d'autres le droit d'user de représailles.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, la discussion jusqu'ici avait été calme ; on pouvait croire que nous discutions à une époque de trêve, le débat était des plus courtois.
Le discours que vous venez d'entendre a donné à la discussion un autre ton.
Est-ce parce que nous assistons à une séance du soir ? Est-ce parce que l'honorable membre a pris la parole ? Je ne veux pas résoudre la question.
L'honorable M. Nothomb nous a parlé de toutes choses et de beaucoup d'autres encore.
Il vous a expliqué le système électoral de la France avant la révolution de 1830 ; pendant la période de 1830 à 1839 et pour les périodes ultérieures ; l'honorable membre vous a dit aussi quel était le système électoral de la Hollande. Il a touché enfin à la question du suffrage universel, mais, craignant peut-être de s'y brûler, il s'est gardé de la traiter à fond, bien qu'il eût promis de le faire.
Je ne suivrai pas l'honorable M. Nothomb sur le terrain qu'il a choisi ; il me serait peu utile d'ailleurs de renouveler la discussion sur toutes ces questions ; la proposition de l'honorable M. Kervyn a été envisagée à tous ses points de vue, et je crois que tout ce qu'on peut dire pour et contre a été dit et répété.
La Chambre est donc suffisamment éclairée.
Je ne puis pourtant me dispenser de faire observer à l'honorable M. Nothomb que la citation qu'il a faite après l'avoir annoncée si pompeusement, est bien moins agressive que beaucoup de choses qu'il a tirées de sa propre imagination.
Cette citation peut parfaitement être retournée contre l'honorable membre et contre son parti. Vous voulez, dit M. Nothomb, conserver ce qui est parce que vous en profitez et que le système actuel vous porte au pouvoir. Je puis dire à mon tour au député de Turnhout ; Vous voulez changer ce qui est, afin de profiter de ce changement et d'arriver au pouvoir.
Si donc vous proposez une réforme, c'est que vous voyez que, dans le système actuel, le pays ne veut pas de vous. En d'autres termes, c'est appliquer le fameux proverbe : « Ote-toi de là, que je m'y mette.
Mais si j'ai demandé la parole, messieurs, c'est surtout pour répondre à une imputation lancée par M. Nothomb contre mes amis et contre moi.
Tantôt j'ai interrompu l'honorable membre, et je lui ai dit qu'il prenait cette position facile de me prêter des discours que je n'avais pas prononcés, des idées que je n'avais point émises et ce afin de pouvoir plus facilement me combattre.
Je comprends que pour un membre de l'opposition il est plus agréable d'attaquer un ministre qu'un membre de la Chambre. Cela fait un excellent effet.
Ce thème adopté par l'honorable a été développé dès hier dans un journal de cette ville. J'ignore si c'est le journal qui a inspiré l'honorable M. Nothomb ou si c'est l'honorable M. Nothomb qui a inspiré le journal. Ce que je constate, c'est que ce thème a été développé tout au long dans le Journal de Bruxelles et qu'on m'y attribue tout un discours dont je n'ai pas prononcé un seul mot.
Quant aux expressions que l'honorable membre a empruntées ou inspirées à ce journal, je m'en soucie, quant à moi, extrêmement peu.
D'après moi, les faux bons hommes, permettez-moi de vous le dire, ce sont ceux qui, après avoir pris rang dans différents partis, ont cherché à faire bonne figure à tous ces partis. Ce sont encore ceux qui avec des phrases mielleuses et tout en prenant mille précautions oratoires, cherchent à dire à leurs collègues les choses les plus désagréables qu'il leur soit possible d'imaginer.
M. de Theuxµ. - Après le discours de l'honorable M. Nothomb, si plein de faits et de raisons, il me reste peu de chose à dire sur la question principale qui nous occupe en ce moment. S'il est une vérité constante, messieurs, c'est que dans les pays à régime représentatif les questions électorales se présentent très fréquemment, et que ce qui a paru vrai hier pourrait être faux aujourd'hui.
Ainsi en France le suffrage universel était une abomination pour la monarchie ; aujourd'hui c'est une chose favorable, utile, grande, nationale, au-dessus de tout éloge.
Messieurs, les changements au système électoral sont toujours amenés par la marche du temps. Ici ce sont évidemment nos adversaires qui ont pris l'initiative des changements.
On a profité avec habileté des difficultés de la situation de 1848, lorsque l'Europe était pour ainsi dire tout entière en révolution, pour supprimer le cens différentiel et pour introduire comme électeurs les cabaretiers débitants de boissons distillées.
MfFOµ. - Cela n'a pas été fait en 1848.
M. de Theuxµ. - Peu importe, mais on a profité des événements de 1848 pour le faire, cela est incontestable.
Qu'a-t-on fait depuis ? Non content d'avoir changé, dans une si large proportion, la situation des campagnes à l'égard des villes, on est venu, l'année dernière, présenter à cette Chambre un projet de loi sous le titre de répression des fraudes électorales qui ne tend à rien de moins qu'à anéantir complètement la participation des campagnes à l'élection des membres des Chambres. Je l'ai démontré à satiété pendant la longue discussion qui a eu lieu à ce propos et si jamais une loi de parti a été votée par la Chambre, c'est celle-là. Aujourd'hui on considère (page 574) comme une mesure mauvaise la proposition de l'honorable M, Kervyn, bien que ce système soit en usage dans la plupart des pays représentatifs, Prenons d'abord l'exemple le plus rapproché et qui nous touche le plus directement.
Sous le gouvernement des Pays-Bas, les membres de la seconde chambre des états généraux étaient élus par les états provinciaux.
Le gouvernement provisoire a introduit les élections par arrondissement judiciaire et le Congrès national a confirmé ce système.
La Hollande, messieurs, a aboli le système d'élections par les états provinciaux, mais par quel système l'a-t-elle remplace ? Par le système qu'a préconisé l'honorable M. Kervyn, par les élections par arrondissements fractionnés. Notez bien que la Hollande est notre devancière dans le système représentatif.
L'ancien royaume des Pays-Bas en jouissait de temps immémorial. Qu'y a-t-il donc de si grave dans ce que l'honorable M. Kervyn a présenté aujourd'hui aux délibérations du parlement ?
En France, ce système existe. En Angleterre, il existe pour la plus grande partie du pays, et s'il y a quelques collèges qui élisent plusieurs députés, ce n'est point par liste que ces élections se font, c'est par individu et à haute voix, ou par main levée.
Donc, messieurs, il n'y a point de préjugé possible contre le système de l'honorable M. Kervyn.
Dans notre propre pays, nous avons plusieurs arrondissements qui n'élisent qu'un seul député.
Ces arrondissements ont-ils démérité du pays ?
N'ont-ils pas envoyé des hommes très distingués ? Pour ne citer que le Luxembourg, depuis les élections de 1831, plusieurs arrondissements n'y ont-ils pas fait des choix remarquables ? Je ne parlerai spécialement d'aucun district, niais il en est qui peuvent supporter la comparaison avec les plus grands districts. Les députés de ces arrondissements se sont-ils montrés moins dévoués à notre Constitution ? Pourquoi donc le système étendu à tout le pays amènerait-il les calamités qu'on nous a annoncées ? Quant à moi, dans ce système, la représentation nationale serait plus vraie, plus sincère ; il y aurait moins de coalition, et le gouvernement serait plus indépendant.
On a critiqué l'opinion que j'ai émise, qu'il conviendrait de fractionner l'arrondissement de Bruxelles, du moins pour l'avenir. Eh bien, je dis que tout gouvernement prévoyant devra s'occuper de cette question et qu'un jour elle recevra une solution ; il est impossible qu'il en soit autrement.
L'arrondissement de Bruxelles n'élisait que 7 députés en 1831 ; il va en élire 13 et vu la situation prospère de la capitale, les embellissements qui y sont apportés, la situation calme du pays, il n'est pas douteux que d'ici à 25 ans l'arrondissement de Bruxelles élira 30 députés, s'il n'arrive quelque calamité à la capitale. Est-ce là la situation qu'on veut préconiser ? Est-il un homme raisonnable qui puisse soutenir que dans un pays de si petites proportions que la Belgique une telle députation puisse exister ? L'Angleterre est un ancien pays représentatif, est-ce qu'en Angleterre on a admis un pareil système ? Est-ce que la ville de Londres, qui a 3 millions d'habitants, élit ses représentants par un seul scrutin ? Si un pareil fait s'y produisait, la révolution y éclaterait à l'instant ; Paris aussi est fractionné et il en est ainsi dans toutes les grandes villes.
En Angleterre, le gouvernement veut la stabilité, et c'est à raison de cette stabilité qu'il a élevé le pays à une si grande prospérité, à un si grand éclat. On n'a pas cherché dans ce pays à donner la prépondérance aux villes et cependant la population urbaine y est devenue plus considérable que la population rurale. Est-ce à ce résultat qu'on veut arriver en Belgique ? Ce serait d'une imprévoyance insigne. Il faut que tous les intérêts soient représentés et représentés avec une force égale. Or, niera-t-on qu'un collège, qui élit en un seul scrutin 20, 25, 30 députés, n'a pas une force de cohésion plus grande que celui qui n'en élit qu'un ? Cela n'est pas discutable. Aussi malgré l'opposition que je prévoyais, j'ai émis mon opinion à cet égard parce que je considérais comme de mon devoir de le faire.
Mais, dit M. Orts, ce serait une iniquité de diriger une réforme contre un seul district. Telle n'a jamais été ma pensée ; au contraire, ma pensée est que le maximum qui sera fixé pour Bruxelles doit être fixé pour tous les autres districts, pour Gand, pour Liège, pour Anvers, peu importe. M. Orts a cru devoir, en passant, parler de la loi sur le fractionnement que j'ai présentée. J'ai proposé ce système parce que je le croyais juste, et je le considère encore comme tel aujourd'hui ; il est pratiqué en Angleterre, en France et dans beaucoup d'autres pays. Mais parce que c'est moi, membre de la droite, qui l'ai présenté, la gauche l’a trouvé mauvais.
MfFOµ. - C'est le pays qui l'a trouvé mauvais.
M. de Theuxµ. - Croyez-vous, par exemple, que les habitants de Bruxelles qui, à chaque renouvellement du conseil communal, ont seize candidats à élire, connaissent le moins du monde leur candidats ? Nullement ; l'Association libérale présente des candidats aux électeurs, et en réalité, ce n'est pas le corps électoral, mais les directeurs de l'Association qui élisent les représentants de la commune.
Je n'en dirai pas davantage, parce que la discussion nous mènerait trop loin.
- Des voix. - La clôture !
MpVµ. - La parole est à M. Crombez.
M. Crombez. - Je ne ferai pas un long discours. De même que M. le ministre de l'intérieur, je n'ai pas l'intention de suivre M. Nothomb dans le charmant voyage dont il a décrit les détails. M. Nothomb a touché à toutes les questions. Son discours, comme je le lui ai dit eu l'interrompant tout à l'heure, est une véritable encyclopédie politique. M. Nothomb s'est attaqué à notre système électoral ; il le trouve mauvais, détestable, vicieux. Mais je lui demanderai qui a organisé ce système ? C'est le Congrès. Lorsque, dans cette Chambre, on fait l'éloge du Congrès, la droite ne manque jamais de prétendre que c'était son opinion qui était en majorité dans notre assemblée constituante.
Je dirai donc à la droite : Si nos lois électorales sont si mauvaises, pourquoi les avez-vous faites ? Vous n'avez donc pas le droit de vous plaindre du système électoral.
M. de Theuxµ. - Il n'existe plus.
M. Crombez. - Il n'y a été apporté qu'une seule modification réellement importante, celle qui résulte de la loi de 1848 qui a abaissé le cens électoral au minimum fixé par la Constitution et établi le cens uniforme.
Cette loi a été votée par la Chambre tout entière, à l'unanimité, aux applaudissements de la droite.
M. Dechamps, déployant à cette occasion toutes les ressources de son éloquence, déclarait, au nom de la droite, que le gouvernement, par cette mesure hardie, avait voulu désarmer toutes les oppositions et que c'était là une belle et noble. Aussi offrait-il au gouvernement sa confiance complète, sans réserve, afin de sauver le pays.
On est donc mal fondé à critiquer la loi de 1848 qui a abaissé le cens et à soutenir que le système organisé par le Congrès n'existe plus.
Maintenant je rentre dans l'examen de la proposition de M. Orts ou plutôt de l'amendement de M. Kervyn.
J'ai peut-être eu tort d'interrompre M. Nothomb ; à la vérité, nous avons la mauvaise habitude, dans cette Chambre, d'interrompre trop souvent les orateurs. Je dis que j'ai peut-être eu tort.
En effet lorsque l'honorable M. Nothomb disait qu'en Hollande et en Angleterre le scrutin de liste n'existe pas comme en Belgique, il avait raison jusqu'à un certain point ; mais en Hollande comme en Angleterre, les districts électoraux n'élisent pas seulement un représentant, et c'est en cela que l'honorable M. Nothomb s'est trompé. D'abord, en Angleterre, on a écarté toute idée de géométrie et d'arithmétique électorale ; il y a, comme base des circonscriptions électorales, le comté et le bourg ; quel que soit le nombre des électeurs, on n'y découpe pas le pays en une infinité de petits carrés de 40,000 âmes, comme le proposent MM. Kervyn et Nothomb. Ensuite les collèges électoraux n'élisent pas tous un seul représentant ; il y en a beaucoup qui en élisent deux, un certain nombre en élisent trois ; la Cité de Londres nomme jusqu'à quatre membres de la Chambre des communes.
M. Delaetµ. - C'est une erreur,
M. Crombez. - C'est parfaitement exact ; ces chiffres sont indiqués par tous les publicistes, et je les ai fait vérifier par notre honorable bibliothécaire sur les documents officiels. En Hollande, il y a 38 collèges électoraux ; 11 collèges élisent un député, 26 en élisent 2 et un en élit 3, c'est le collège d'Amsterdam. Ces renseignements, messieurs, sont puisés dans un document annexé au rapport sur le projet de loi. relatif aux fraudes électorales... (Interruption.) Je ne conçois pas une pareille interruption de la part des membres de la droite, car ce document émane d'un de vos amis, l'honorable M. de Naeyer ; j'en appelle à l'honorable membre lui-même.
M. de Naeyerµ. - Certainement.
M. Crombez. - J'avais donc quelque peu raison d'interrompre l'honorable M. Nothomb lorsqu'il affirmait tout à l'heure qu'en Angleterre et en Hollande on n'élisait qu'un député par collège électoral.
Mais quelle est la situation réelle en Belgique ?
(page 575) Il y a 41 collèges électoraux, et voici le nombre des députés par chaque collège d'après la loi de 1859 : 12 collèges ont un représentant, 8 en ont 2, 11 en ont 3 ; 5 en ont 4. Soit, sur 41 collèges, 38 petits ou moyens collèges ne dépassant pas les limites admises partout pour le scrutin de liste.
II me semble que cette situation n'est pas aussi détestable que l'honorable M. Nothomb veut bien le dire.
Il est vrai qu'il y a cinq collèges électoraux qui élisent de 5 à 7 représentants ; l’arrondissement de Bruxelles, qui nomme 11 membres de la Chambre est une exception dans notre système électoral.
Messieurs, on a dit, dans le cours de cette discussion, que la proposition de l'honorable M. Kervyn n'était pas neuve ; et, en effet, elle date de la Convention nationale. Voulant tirer toutes les conséquences possibles de quelques principes absolus, la Convention avait fait passer son niveau égalitaire sur toute la France ; et elle l'avait découpée en petits carrés de 39,000 à 41,000 âmes. C'est la constitution de 1793 de triste mémoire qui avait organisé cet admirable système électoral de la France préconisé aujourd'hui par MM. Kervyn et Nothomb.
M. Delcourµ. - Il n'a pas été mis en vigueur.
M. Crombez. - C'est précisément ce que j'allais dire. Ce système était tellement beau, ou plutôt tellement mauvais, qu'il n'a pas été mis en vigueur, et c'est, je crois, l'argument le plus fort que l'on puisse opposer à la proposition de l'honorable M. Kervyn.
Le régime électoral a varié sous la restauration. Après avoir adopté les grands collèges et le scrutin de liste, la législation de cette époque introduisit en 1820 un système bâtard, comprenant tout à la fois le scrutin de liste et le scrutin individuel.
Mais en 1831 on voulut encore revenir au système des petits compartiments, des petits carrés territoriaux, et voici comment s'exprimait M. Vatismenil, un homme que la droite ne répudiera certainement pas.
M. Vatismenil parlait en qualité de rapporteur de la commission qui avait été chargée de l'examen de la proposition.
« Il a paru à votre commission qu'il était impossible de faire une distribution exacte des députés à raison de la population, qui aurait en quelque sorte partagé la France en compartiments, en carrés qui n'auraient aucune espèce de rapport avec l'administration, c'est-à-dire avec les intérêts qui appartiennent à chaque portion de la France. »
L'honorable M. Nothomb, pour justifier le système des petits collèges électoraux, nous a dit : Mais les petits collèges sont une excellente chose ; ils nomment des hommes d'élite ; ils nomment aussi des hommes qui sont la plus pure, la plus complète expression du pays ; c'est la chair de la nation.
M. Bouvierµ. - Et les os. (Interruption.)
M. Crombez. - Oui, la chair et les os. Il paraît cependant que telle n'est point l'opinion de tous les amis de l'honorable M. Nothomb. Ce n'est pas la première fois que la question du fractionnement est agitée dans cette enceinte et que les membres de la droite ont l'occasion d'exprimer leur opinion à cet égard. Voici, par exemple, ce que l'un d'eux disait en 1858 :
« Je dirai bien franchement mon opinion sur le fractionnement des collèges électoraux ; si, dans notre pays, on admettait l'unité du collège électoral par 40,000 âmes, on créerait, au lieu d'influences politiques, des influences personnelles, et c'est là, pour moi, une raison décisive contre le fractionnement des collèges électoraux. On ne pourrait alors être élu autrement qu'à titre de propriétaire et non à titre de représentant d'une opinion. Ce système nous rapprocherait de celui qui a été pratiqué en Angleterre, où l'on était propriétaire d'une circonscription électorale. Je repousserai à tout prix un système qui fausserait à ce point nos institutions. »
Et savez-vous, messieurs, qui a tenu ce langage ? C'est l'honorable M. Malou. Direz-vous aussi de celui-là que c'est un faux bon homme ? Pour que vous puissiez vérifier la citation, vous là trouverez à la page 230 des Annales parlementaires de la session de 1857-1858, séance de février 1858.
Messieurs, un des grands reproches qu'on peut faire à la proposition de l'honorable M. Kervyn, c'est qu'elle a pour résultat de provoquer un bouleversement continuel des collèges électoraux, chaque fois que des changements se produiront dans la population, chaque fois qu'elle augmentera ou qu'elle diminuera. Il faudra former, à chaque renouvellement des Chambres, de nouvelles circonscriptions électorales ; mais qui les formera ? Sera-ce le gouvernement ?
Mais, messieurs, permettez-moi de vous renvoyer à la discussion qui a eu lieu, en 1864, au corps législatif de France, sur l’inconvénient de laisser au gouvernement le droit de modifier à son gré les circonscriptions électorales. C'est là un sujet perpétuel de plaintes et de récriminations. Direz-vous que ce sera la loi qui déterminera les circonscriptions électorales ? Mais la loi, par qui est-elle faite ? Par la majorité, c'est-à-dire par la fraction des Chambres dont le gouvernement est l'expression, de sort qu’en réalité c’est le gouvernement qui avant la majorité, c'est-à-dire avec l'opinion dominante dans les Chambres, qui réglera comme il l'entendra les circonscriptions électorales ; et comme nous avons déjà pas mal de questions de partis qui nous divisent, nous aurons de plus celle-là qui viendra périodiquement s'imposer et susciter d'ardentes discussions. Ne jetons donc pas ce nouveau brandon de discorde dans le pays.
Ce n'est pas tout encore : que la majorité change, qu'avec elle le gouvernement se modifie, et voilà qu'on voudra bouleverser ce qui aura été établi par l'ancienne majorité : la nouvelle majorité tâchera de former les circonscriptions électorales de manière à en tirer le plus grand profit, de sorte qu'en définitive nous tomberions dans un véritable gâchis ; je ne trouve pas d'autre expression pour caractériser une telle situation.
Il est une autre considération qui, je pense, a bien aussi sa valeur. Nous arrangerons tour à tour les circonscriptions électorales pour le plus grand avantage de nos intérêts respectifs. C'est très bien ; mais que deviendra l'électeur au milieu de ces tiraillements continuels ; quelle sera sa position ? L'électeur mérite bien qu'on s'occupe aussi un peu de lui. Prenons les électeurs d'une commune de l'arrondissement de Marche. Les électeurs de cette commune iront voter tantôt à Marche, tantôt à Neufchâteau, tantôt à Virton, tantôt à Arlon. Il en sera de même dans d'autres arrondissements.
Ballotté en tous sens, privés des relations qui s'établissent entre les membres de chaque collège, les électeurs deviendront indifférents aux luttes pacifiques des comices et ceux-ci seront bientôt désertés.
J'en conclus que les seules bases qui doivent servir, dans tous les cas, pour délimiter des circonscriptions électorales, ce sont les districts actuels qui reposent sur des principes constitutionnels.
Je termine ; la Chambre a hâte de clore la discussion générale ; je me borne à déclarer, en finissant, que les conséquences de l'amendement de l'honorable M. Kervyn seraient véritablement déplorables, et j'espère qu'une très grande majorité repoussera la proposition de l'honorable membre.
- Des membres. - Aux voix !
M. Dumortier. - Je comprends l'impatience de la Chambre. Je n'ai qu'un mot à dire. J'aurais voulu démontrer à la Chambre combien sont peu fondés les reproches adressés, dans la séance du jour, à nos bancs par l'honorable M. Orts sur la manière dont nous nous sommes conduits pendant vingt ans dans la division des villes et des campagnes ; j'aurais prouvé à l'honorable membre, à la dernière évidence, par la statistique officielle, que les campagnes ont été indignement sacrifiées ; mais la discussion a pris une tournure différente ; on s'est occupé de l'amendement de l'honorable M. Kervyn dans cette séance ; mes observations arriveraient un peu tard ; je croirais dès lors abuser de votre complaisance en vous les soumettant, mais j'ai dû dire ce peu de mots comme protestation contre les accusations dont nous avons été l'objet.
Je le répète, elles sont on ne peut plus mal fondées, attendu que la suppression du cens différentiel établi par le Congrès national sur la proposition de M. Defacqz a eu pour résultat de frapper les campagnes de la manière la plus forte, et de faire que les campagnes, qui formaient les trois quarts du corps électoral du pays, n'y figurent plus que pour la moitié.
MpVµ. - La parole est à M. Orts.
M. Orts, rapporteur. - J'y renonce, M. le président.
- De toutes parts. - Aux voix !
- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.
(page 576) MfFOµ. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui ouvre au département de l'intérieur des crédits supplémentaires destinés à payer des indemnités dues aux propriétaires de bestiaux abattus et des dépenses relatives au service vétérinaire et à la police sanitaire.
- Impression, distribution et renvoi à l'examen des sections.
La séance est levée à 10 3/4 heures.