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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 janvier 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 253) M. Thienpont, secrétaire., procède a l'appel nominal à 2 heures et un quart et donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente ensuite l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants du Luxembourg prient la Chambre de faire contraindre la grande compagnie du Luxembourg à construire l’embranchement de Bastogne. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Lambusart prie la Chambre d'accorder au sieur Dequanter la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Charleroi, avec embranchement vers Frameries, Mons, Gilly et Lambusart. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Wisembach demandent la construction d'une maison d'école dans cette partie de la commune de Fauvillers. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal d'Engelmanshoven demande la construction d'une route de Gelinden sur Tongres par Horpmael. »

« Même demande du conseil communal de Gelinden. »

M. Thonissenµ. - Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Poelcapelle demandent que le hameau de Langemarck soit érigé en commune distincte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent le suffrage universel pour les élections communales et provinciales. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi apportant une modification aux lois communale et provinciale.


« Des poissonniers, dans plusieurs villes, demandent la suppression du droit d'entrée sur le poisson frais, sec et salé, provenant de la Hollande. »

- Renvoi à la commission d'industrie.


« Par dépêche du 23 janvier, M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande de naturalisation ordinaire du sieur Brabant (Jean-Baptiste), bottier, à Menin. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Projet de loi interprétatif de la loi du 12 avril 1835 sur l’exploitation et la police des chemins de fer

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Bara), présente un projet de loi interprétant les articles 2 et 3 de la loi du 12 avril 1835 sur l'exploitation et la police des chemins de fer.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Mouton dépose plusieurs rapports sur des demandes en naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la pension du personnel des établissements d’instruction primaire

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom), présente un projet de loi ayant pour objet de modifier la législation actuelle sur les pensions en faveur du personnel attaché aux établissements d'instruction primaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Proposition de loi modifiant le code d’instruction criminelle et la loi sur la garde civique

Discussion générale

M. Thonissenµ. - Le projet de loi, modifié par les amendements de M. le ministre de la justice, aura pour résultat d'introduire un double changement dans le texte du Code d instruction criminelle. Il supprime en partie les articles 419 et 420 qui, en cas de pourvoi en cassation, exigent le dépôt préalable d'une somme de cent cinquante ou de soixante-quinze francs. II change ensuite le texte de l'article 421, en ce sens que désormais les condamnés, qui ne se trouveront pas en état de détention préventive, seront affranchis de l'obligation de se constituer prisonniers pour rendre leur pourvoi recevable.

Je voterai la suppression de l'amende, quoique, je l'avoue, je ne sois pas entièrement rassuré sur les conséquences de cette mesure radicale. L'histoire de la législation criminelle depuis la révolution du dernier siècle renferme, en effet, un épisode qui n'est pas de nature à dissiper toutes les craintes. L'article 12 de la loi du 2 juin 1791 portait : « Toute consignation d'amende en matière criminelle est défendue. » C'était identiquement le système qui nous est proposé par la commission. Or, on vit bientôt les pourvois en cassation se multiplier avec un tel excès, que le législateur fut forcé d'intervenir. Une multitude de condamnés réclamaient l'intervention de la cour suprême, dans le seul dessein d'entraver la marche de la justice.

La loi du 14 brumaire an V fut promulguée pour remédier à cet abus,, et son article premier portait : « L'article 7, titre IV, de la première partie du règlement de 1738, qui assujettit les demandeurs en cassation à consigner l'amende de cent cinquante livres ou de soixante-quinze livres, selon la nature des jugements, sera strictement observé tant en matière civile qu'en matière correctionnelle et municipale. »

Ainsi, en France, six ans après avoir supprimé l'amende, on fut forcé de la rétablir.

Je voterai cependant, je le répète, l'article premier du projet. D'un côté, notre cour suprême n'est pas surchargée d'affaires ; de l'autre, si l'expérience se prononce contre cette innovation, on pourra toujours la faire disparaître.

Mais ici j'ai une demande à faire ou, pour mieux dire, un objet à signaler à l'attention de l'honorable ministre de la justice. Puisqu'on supprime l'amende en cas de rejet du pourvoi, ne serait-il pas équitable de supprimer, en même temps, le droit d'enregistrement de 33 francs (avec les centimes additionnels), établi sur les déclarations de pourvoi en matière correctionnelle et de police, par l'article 68 de la loi du 22 frimaire an VII ? Il y a même ici un motif de plus ; car, il importe de le remarquer, ces 33 francs ne sont pas restitués alors même que le pourvoi est accueilli. Sous la forme d'un impôt, ce sont, au fond, de véritables frais de justice qui restent à la charge du prévenu acquitté. La raison, la logique et l'équité n'exigent-elles pas qu'on mette ici sur la même ligne la déclaration de pourvoi en cassation et la déclaration d'appel, laquelle, comme on sait, n'est soumise à aucun droit d'enregistrement ? Si cette réforme était admise, il en résulterait que les actes de pourvoi ne devraient plus même être dressés sur timbre. En effet, la loi du 13 brumaire an VII ne soumet au droit de timbre que les registres de l'autorité judiciaire où s'inscrivent des actes sujets à l'enregistrement. Il est vrai que, par suite de cette innovation, nous rendrions les pourvois encore plus faciles et que, par suite, l'abus qu'on a rencontré en France aurait d'autant plus de chances de se produire chez (page 254) nous ; mais, comme, pour me servir des termes mêmes employés par M. le rapporteur, les obstacles mis au pourvoi en cassation doivent disparaître eu Belgique, je crois qu'on ne peut pas s'arrêter à mi-chemin. Du reste, je ne fais pas de proposition formelle. Je me borne à soumettre ces réflexions à l'examen bienveillant du gouvernement.

Quant à l'amendement de M. le ministre de la justice, qui dispense de l'obligation de se constituer prisonnier tout condamné non détenu au moment du pourvoi, amendement que je me proposais de présenter moi-même, j'espère qu'il sera voté à l'unanimité. Dans l'état actuel de la législation, l'article 421 du Code d'instruction criminelle formait une véritable anomalie qui, depuis longtemps, aurait dû disparaître.

M. Dumont, rapporteurµ. - La déclaration que vient de faire l'honorable M. Thonissen rend ma tâche extrêmement facile, comme auteur de la proposition et comme rapporteur de la commission.

Nous ne rencontrons aucune opposition à notre projet de loi ; au contraire, le gouvernement va plus loin que nous, à deux points de vue ; au point de vue de l'amende et au point de vue de l'obligation du condamné de se mettre en état, au moment où il forme son pourvoi et jusqu'au moment où son pourvoi sera jugé.

Au point de vue de l'amende, l'honorable M. Lelièvre et moi nous n'avions pas cru devoir proposer l'abolition complète de cette peine, et cela précisément à cause de l'expérience qui a été faite en France et qui a amené cette loi du 14 frimaire an V, dont l'honorable M. Thonissen a entretenu la Chambre ; mais, à la suite des discussions qui ont eu lieu dans la commission d'organisation judiciaire, nous avons reconnu que la cour suprême n'était pas tellement surchargée d'affaires qu'elle ne pût pas s'occuper d'un grand nombre d'affaires de police correctionnelle, et sous ce rapport, il y a une grande différence entre notre pays et la France.

La cour de cassation doit juger, dans ce grand pays, des pourvois formés contre un très grand nombre de cours et de tribunaux, tandis que dans notre pays le nombre des pourvois sera toujours plus restreint à cause de son peu d'étendue.

Je me suis donc rallié de grand cœur au principe de l'abolition complète de l'amende.

Quant à l'obligation de la mise en état, nous l'avons maintenue, l'honorable M. Lelièvre et moi, dans notre proposition ; et la commission a suivi notre avis pour les condamnés à un emprisonnement de six mois au moins.

Nous avons craint que le magistrat instructeur ne fût plus sévère dans l'application de la loi sur la détention préventive lorsqu'il aurait à craindre les effets suspensifs d'un pourvoi en cassation formé par un condamné à l'emprisonnement laissé en liberté.

Pour éviter qu'il ne gagne la frontière, à la faveur de son pourvoi, les juges d'instruction ne laisseront-ils pas le prévenu fréquemment en prison ?

Mais, en présence de l'amendement proposé par l'honorable ministre de la justice, je reconnais que cette crainte est peut être chimérique et qu'elle ne doit pas nous arrêter. Au surplus, d'après la jurisprudence même de la cour de cassation, si l'individu qui se pourvoit n'obéit pas à la prescription du Code d'instruction criminelle et ne se met pas en état, son pourvoi est toujours suspensif parce qu'il ne dépend pas du procureur du roi de juger cette question, et que c'est à la cour à la décider. Nous nous rallions donc tous à l'amendement de l'honorable ministre de la justice et je répète en terminant ce que je disais dans mon rapport. Le projet de loi fera disparaître une disposition du Code d'instruction criminelle qui n'est plus du tout en rapport avec nos mœurs et dont l'abrogation était déjà réclamée par Carnot il y a bien longtemps.

L'honorable M. Guillery a attiré hier l’attention de la Chambre sur la nécessité d'apporter des modifications aux dispositions de nos lois qui établissent également une amende pour les pourvois en matière civile. L'honorable M. Guillery voudrait une assimilation complète entre le pourvoi en matière civile et le pourvoi en matière correctionnelle et en matière de police.

L'honorable ministre de la justice a répondu qu'il était de l'avis de l'honorable M. Guillery sur le fond de la question, qu'il y avait lieu de faire disparaître cette disposition en temps et lieu. Je partage complètement la manière de voir de l'honorable ministre de la justice. L'amende en matière civile devra être abolie le plus tôt possible.

Lorsque nous avons déposé notre proposition, l'honorable M. Lelièvre et moi, nous avons cru qu'il fallait courir au plus pressé : nous étions en présence de deux principes qu'il faut également respecter : le premier c'est qu'il ne faut pas introduire à la légère des modifications dans nos codes et dans nos lois organiques, et qu'ils ne doivent être modifiés que par des lois générales et complètes.

Le second, c'est que lorsqu'il s'agit de la défense de leurs biens le plus précieux, leur honneur et leur liberté, il faut que les citoyens ne rencontrent aucun obstacle à vaincre.

En présence de ces deux principes, qui ici se heurtaient de front, nous avons préféré nous conformer au second. Mais quand il ne s'agit que d'intérêts pécuniaires, d'une somme insignifiante, comparée aux autres frais d'une instance civile en cassation, nous n'avons pas pensé qu'il fallût déroger à cet autre principe qui veut qu'on ne porte pas légèrement atteinte à nos lois organiques. J'ai dit.

M. Lelièvreµ. - La proposition soumise à la Chambre sera certainement accueillie comme réalisant un progrès. Je dois même féliciter l'honorable ministre de la justice de l’avoir rendue plus libérale au moyen de ses amendements. Je considère donc comme une amélioration notable la loi qui sera votée. Elle favorisera les recours des prévenus dans une matière qui intéresse leur honneur et leur liberté.

Quant à l'observation de l'honorable M. Thonissen, relative à la hauteur du droit d'enregistrement qu'on perçoit sur la déclaration de recours en matière correctionnelle et de simple police, j'estime que cette observation est d'une exactitude incontestable. Il est évident, en effet, qu'il est exorbitant d'exiger un droit excédant trente francs, à titre de l'enregistrement du pourvoi, et cela souvent pour des affaires peu importantes. Je crois devoir appeler sur ce point l'attention de MM. les ministres de la justice et des finances, parce que je ne pense pas que nous puissions en ce moment abroger la loi du 22 frimaire an VII.

Cette dernière disposition législative a un but purement fiscal, par conséquent elle tient à un ordre d'idées qui n'a rien de commun avec le Code d'instruction criminelle dont nous nous occupons actuellement. J'estime donc que le moment n'est pas venu de corriger sur ce point la législation existante ; mais, convaincu qu'elle doit être modifiée sous ce rapport, je ne puis que signaler cette amélioration au gouvernement et j'en attends la réalisation.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, comme on vous l'a dit, le projet de loi qui vous est soumis en ce moment touche à deux principes importants. La première disposition supprime l'amende pour les pourvois en cassation en matière pénale et disciplinaire. La deuxième disposition fait disparaître la mise en état.

Quant au premier point, il est évident qu'il pourra plus tard se présenter des abus par suite de l'accès rendu plus facile aux pourvois en cassation. Comme l'a fort bien dit M. Thonissen, déjà en France, en 1791, on avait tenté la réforme, mais quelques années après on a dû recourir à l'ancien état de choses et rétablir l'amende qui avait été supprimée.

Mais M. Dupont a déjà fait connaître les motifs spéciaux qui ont déterminé le rétablissement de l'amende en l'an V ; c'est que la cour de cassation de France avait une juridiction beaucoup plus étendue que celle de notre cour de cassation. La cour de cassation de Belgique pourrait parfaitement satisfaire aux besoins d'un pays comme le nôtre, tandis qu'il faudrait augmenter le nombre de ses membres si elle avait une juridiction aussi grande que celle de la cour de cassation de France.

D'un autre côté, messieurs, il faut reconnaître que cette amende n'était pas un obstacle au pourvoi pour beaucoup de personnes.

En effet, ou bien celui qui veut se pourvoir en cassation est dans une position aisée et dans ce cas il ne sera pas arrêté par une amende de150 francs, ou bien c'est un indigent et dès lors il peut se dispenser de la consignation de l'amende, en justifiant de son indigence au moyen d'un certificat, de telle sorte que l'article 419 du Code d'instruction criminelle ne produit souvent que ce résultat : c'est qu'il peut y avoir quelques jours de contrainte par corps de plus pour l'individu qui encourra l'amende de 150 fr. en cas de rejet de son pourvoi.

Il faut dans cette matière se placer à un point de vue plus élevé. Le pourvoi en cassation est-il établi uniquement dans l'intérêt de la loi ou bien aussi dans l'intérêt des citoyens ? Il est établi dans l'intérêt de la loi et dans l'intérêt des citoyens. Dès lors vous ne pouvez fermer l'accès de la cour de cassation aux individus qui croient devoir y recourir. Si une cour d'appel ou une cour d'assises a violé la loi à leur égard, vous ne pouvez les punir de ce qu'ils usent d'un droit en se pourvoyant devant la cour de cassation. Dût-il donc en résulter pour plus tard une augmentation de personnel de la cour de cassation, il faudrait encore voter la suppression complète de l'amende, parce qu'on ne peut infliger une peine à un individu qui ne fait qu'user d'un droit.

Il y a un système qui aurait peut-être pu être admis : c'est de permettre à la cour de cassation d'infliger une peine lorsque le pourvoi est (page 255) téméraire. Mais il y aurait là des distinctions difficiles à apprécier, et il vaut mieux, selon moi, entrer dans la voie large de la liberté et supprimer l'amende. Du reste, l'amende de 20 francs proposée par M. Lelièvre est véritablement insignifiante. 20 francs n'arrêteront pas une personne aisée et, en ce qui concerne les indigents, l'amende est également inutile.

L'article 2 du projet de loi fait disparaître une véritable iniquité. La mise en état pour un individu qui devait se pourvoir en cassation lorsqu'il avait été condamné du chef de contravention constituait une injustice. En effet cet individu était souvent condamné à des peines très légères et il devait se constituer prisonnier, de telle sorte que lorsque son pourvoi arrivait devant la cour, sa peine était subie.

D'un autre côté lorsqu'on avait laissé un individu prévenu d'un délit en liberté pendant toute l'instruction de l'affaire, c'était encore une iniquité que de le forcer à se constituer prisonnier avant de l'admettre à se pourvoir en cassation.

L'article 2 fera disparaître cet état de choses. MM. Lelièvre et Dupont avaient introduit une disposition qui ne rendait l'article 421 inapplicable que lorsque la condamnation ne dépassait pas six mois.

J'ai cru devoir proposer à la Chambre de supprimer la restriction qui avait été apportée par ces honorables membres et je pense que mon amendement rencontrera un accueil sympathique sur tous les bancs de la Chambre.

Il est inutile de faire cette restriction. Dans quel but a-t-on voulu l'introduire ? C'est, disent les honorables membres, parce qu'il est à craindre que les individus condamnés à une peine dépassant 6 mois se pourvoient en cassation dans l'unique but de prendre la fuite. D'abord cela se présentera difficilement. S'il s'agit d’un délit d'une certaine importance, la plupart du temps le prévenu sera en état de détention préventive. S'il n'est pas en état de détention préventive, c'est qu'on n'a pas jugé le délit suffisamment grave.

Eh bien, dans cette hypothèse il n'y a évidemment pas lieu d'obliger le condamné de se mettre en état, et il doit profiter jusqu'au bout de la liberté provisoire qu'on lui a laissée. Il n'a pas été arrêté pendant l'instruction ; il n'a été arrêté ni en première instance ni en appel ; il faut lui laisser la liberté jusqu'à ce que l'arrêt soit devenu complètement irrévocable.

En cas de détention préventive, il n'y a aucune difficulté, puisque l'individu restera en état de détention préventive jusqu'à l'arrêt de la cour de cassation.

Du reste, il y a deux moyens qui devront être employés, ce me semble, pour empêcher les recours téméraires, les recours en cassation qui n'ont d'autre cause, de la part de celui qui l'exerce, que l'espoir de se ménager, par là, le temps de prendre la fuite ; ces moyens, les voici.

Il faut d'abord, selon moi, étendre la loi de 1833 sur les extraditions. La loi de 1833 ne permet l'extradition que pour un trop petit nombre de cas : il est important, en dehors des matières politiques, que tous les pays fassent des traités d'extradition qui permettent de faire subir leur peine à toutes les personnes qui se sont rendues coupables de délits. Il est contraire à la morale universelle que des délits, reconnus tels par tout le monde, puissent échapper à la répression qui doit les atteindre.

Il faut donc voter une loi qui étende le nombre des cas d'extradition et j'aurai l'honneur de présenter, dans le cours de cette session, un projet de loi dans ce sens. Il faudra augmenter les cas d'extradition, et il est à espérer que les autres pays nous suivront dans cette voie.

La seconde mesure à prendre, c'est d'augmenter la durée de la prescription de certaines peines. D'après le Code d'instruction criminelle actuel, la prescription est de vingt ans pour les crimes, de cinq ans pour les délits et de deux ans pour les contraventions.

Or, messieurs, si j'admets que 20 années sont suffisantes pour les crimes, je suis d'avis que cinq années pour la prescription des délits ne suffisent plus, aujourd'hui, qu'un grand nombre de faits réputés crimes autrefois sont qualifiés délits par notre nouveau Code pénal.

La loi de 1849 a permis de correctionnaliser un grand nombre de crimes et d'y appliquer des peines qui peuvent, dans certains cas, s'élever à cinq années d'emprisonnement.

Or, un individu condamné à cinq années d'emprisonnement préférera évidemment s'expatrier pendant cinq années si l'on maintient ce laps de temps comme durée de prescription.

Je dis donc que le fait d'avoir donné la qualification de délits à des faits réputés crimes autrefois, doit avoir pour conséquence d'étendre la durée de la prescription ; il faut nécessairement que l'exil soit plus long que la peine de l'emprisonnement pour qu'il constitue une véritable peine.

J'aurai encore une observation à faire au sujet de l'article 2.

L'article 2, tel qu'il est modifié par le gouvernement, fait une exception, quant à l'inapplicabilité de l'article 421 du code d'instruction criminelle, pour les condamnés qui, lors du jugement ou de l'arrêt contre lequel le pourvoi est dirigé, sont en état de détention préventive.

D'abord il ne peut y avoir aucun doute sur ce point que la détention préventive n'est pas suspendue par l'arrêt contre lequel le pourvoi est dirigé : la détention préventive se prolonge et ce n'est qu'à partir du pourvoi que la détention préventive se change en mise en état, et dès ce moment se compte la durée de la peine.

Lorsqu'on a révisé le premier livre du code pénal, il a été voté une disposition par suite de laquelle la durée de la peine se comptera à partir du jour de l'arrêt. Or, ici la durée de la peine comptera à partir de la mise en état.

Voilà les motifs de la restriction que j'ai introduite dans l'article 2.

Quant à la question des frais d'enregistrement du pourvoi en cassation, il m'est impossible de répondre d'une manière péremptoire à l'honorable M. Thonissen.

Cela regarde, non seulement le département de la justice, mais encore celui des finances.

Mais je ferai remarquer à l'honorable membre que la question qu'il a soulevée touche à un ordre d'idées tout différent ; je comprends parfaitement qu'on n'exige pas un droit d'enregistrement de la part du condamné dont le pourvoi est accueilli ; mais je ne comprendrais pas qu'on ne l'exigeât pas de celui dont le pourvoi est rejeté. Si plus tard l'idée de l'honorable M. Thonissen devait être accueillie, il faudrait tout au moins faire une distinction entre les pourvois qui réussissent et les pourvois qui ne réussissent pas.

M. Thonissenµ. - C'est mon intention.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne sais pas, d'ailleurs, s'il n'y a pas d'autres considérations qui militent en faveur du maintien d'un droit qui me paraît cependant exagéré.

M. Dolezµ. - J'applaudis de tout cœur au projet de loi qui nous est soumis et aux considérations par .lesquelles l'honorable ministre de la justice vient de le justifier.

Je ne prends donc pas la parole pour combattre ce projet, mais je demanderai à M. le ministre de la justice, s'il a bien déduit de ces principes si vrais et si justes toutes les conséquences qu'ils doivent produire. Pourquoi maintenir l'amende en matière civile, lorsque le chef du département de la justice, se plaçant au point de vue du service de la cour de cassation, déclare qu'on n'a pas à craindre d'augmenter le nombre des travaux de celle cour ?

Quant au principe même, est-il logique de frapper d'une amende un citoyen qui use d'un recours légal qui lui est ouvert ?

J'avoue que j'ai toujours considéré le maintien des amendes pour les recours en cassation comme un débris d'idées différentes de celles qui règnent aujourd'hui. Autrefois, le recours contre une décision judiciaire était considéré comme un acte irrévérencieux. Aujourd'hui, dans notre organisation judiciaire à ses divers degrés, il est de principe qu'on ne fait pas offense au juge du premier degré en soumettant sa décision au juge du degré supérieur. Pourquoi, dès lors, je le répète, maintenir l'amende en matière civile ?

Il existe même une raison toute particulière qui devrait amener sa suppression immédiate. Les frais d'un recours en cassation sont extrêmement élevés.

Le demandeur en cassation est soumis à un droit d'enregistrement et à des droits de greffe très importants ; de plus, s'il succombe, il est condamné aux frais vis-à-vis de la partie adverse, à une indemnité de 150 francs au profit de celle-ci et à une amende de 150 francs au profit du trésor public.

Savez-vous ce qui en résulte, messieurs ? Permettez à celui qui depuis trente ans exerce la profession d'avocat près de la cour de cassation, de vous le faire connaître. Il arrive fréquemment que des décisions rendues en dernier ressort par des tribunaux de première instance paraissent de nature à pouvoir être déférés à la cour supérieure ; mais que, cependant, il existe un certain degré d'incertitude sur le sort réservé à ce recours.

Eh bien, l'avocat consulté par la partie qui a perdu un procès jugé en dernier ressort par le tribunal de première instance, tout en croyant que la décision a été mal rendue, n'ose pas engager la partie qui le consulte à recourir à la juridiction suprême de la cour de cassation, parce qu'il se dit : Si je me trompais, si le pourvoi venait à être rejeté, il y aurait là une accumulation de frais qui arrive presque toujours à égaler le principal du procès lui-même. Il en résulte cette conséquence qu'il y a (page 256) toute une partie de la jurisprudence des tribunaux de première instance qui échappe au contrôle de la cour de cassation.

Est-ce bon ? Quant à moi, je suis convaincu que c'est un mal, un mal très sérieux et auquel il est d'autant plus facile de porter remède qu'il est connu de M. le ministre de la justice que la chambre civile de notre cour de cassation ne juge guère par année que trente et quelques affaires.

Eh bien, si une vingtaine d'affaires de plus peut-être lui étaient soumises par le contrôle de la jurisprudence des tribunaux de première instance, sa marche ne serait pas entravée et l'intérêt de l'unité de la loi, l'intérêt du respect de la loi en même temps que l'intérêt des parties se trouveraient protégés. La jurisprudence des tribunaux de première instance, quand ils siègent en dernier ressort, doit être soumise au contrôle de la cour suprême comme la jurisprudence des cours d'appel, et pour cela il faut éviter que l'élévation des frais n'y apporte un obstacle.

Je demande donc à M. le ministre de la justice, s'il verrait des inconvénients à introduire dans le projet actuel le principe plus général, le principe absolu de l'abolition de toute amende pour les demandeurs en cassation qui succombent. Les raisons qu'il a fait valoir tout à l'heure justifient aussi bien cette proposition que celle qui se trouve dans le projet de loi. Je m'en rapporte, du reste, à sa prudence et à son appréciation sur ce point.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Déjà hier l'honorable M. Guillery avait soulevé la question dont vient de s'occuper l'honorable M. Dolez, et voici la réponse que le gouvernement y avait faite.

En principe, il est évident que l'amende de 150 fr. exigée en matière civile est une peine qui n'est plus en rapport avec l'état de nos institutions et qui doit être supprimée. Comme on l'a très bien dit, dès qu'on permet à un particulier d'user d'une voie de recours contre des décisions judiciaires, il ne faut pas le frapper d'une pénalité lorsqu'il s'est servi du droit qu'on lui a laissé. Mais autre chose est d'être d'accord en principe et autre chose est d'introduire cette modification dans le projet que nous discutons.

Le principe est sauvegardé ; il y a plus, il est engagé par le projet de loi que nous allons voter. L'amende est supprimée non seulement pour le condamné qui se pourvoit en cassation, mais aussi pour la partie civile elle-même.

Ainsi la partie civile qui a succombé devant une cour d'appel dans une instance correctionnelle, peut se pourvoir en cassation, et si son pourvoi est rejeté, elle ne sera pas frappée de l'amende de 150 fr.

Or, c'est là admettre le principe ; car l'action civile est complètement séparée de l'action publique et dès que vous faites disparaître l'amende pour la partie civile, vous avez proclamé le principe en matière de contestations civiles.

Seulement je crois qu'il ne faut pas introduire cette réforme dans le projet de loi actuel, et en voici les motifs.

Comme vous le disait très bien tout à l'heure l'honorable M. Dupont, il est très dangereux de toucher sans examen à des lois qui constituent l'ensemble des règles de la procédure. Déjà le projet de loi qui vous a été soumis par les honorables MM. Lelièvre et Dupont a nécessité l'examen d'un assez grand nombre de questions et j'ai dû introduire un amendement pour parer à un cas qui n'avait pas été prévu par les honorables auteurs de la proposition.

Si vous introduisez la règle posée par l'honorable M. Dolez, il peut arriver que cette disposition nécessitée la modification d'autres dispositions de loi ; voilà le premier motif. Le deuxième est celui-ci : On a fait une loi sur les expropriations, une loi est soumise à la Chambre sur l'organisation judiciaire, et à ce sujet je prierai les honorables membres de la commission qui est chargée d'examiner cette loi de vouloir bien activer leur travail. Le projet est depuis longtemps entre les mains de la commission et il est impossible de s'occuper d'autres points se rattachant à la procédure civile si l'on n'a pas le projet d'organisation judiciaire.

Quand la loi sur l'organisation judiciaire sera votée, on complétera la réforme du Code de procédure.

On aura à faire un travail d'ensemble et c'est là qu'il faudra examiner le système de M. Dolez ; je ne sais pas si l'on ne pourra pas admettre un autre système : je reconnais que l'amende de 150 fr. est une peine injuste ; mais il restera à examiner s'il ne faudra pas augmenter l'indemnité de 150 fr. en faveur de la partie qui gagne son procès. On a établi l'amende de 150 fr. en 1738 et il est évident que cette somme n'est plus en rapport avec les exigences de notre époque ; 150 fr. ne sont plus aujourd'hui ce qu'ils étaient en 1738. Quand une personne est traînée en première instance, en appel et en cassation, qu'elle a été pendant longtemps privée de ses droits, privée de sa propriété, n'y a-t-il pas lieu de lui accorder une indemnité ? Je crois donc qu'en examinant cette question, il faudra examiner en même temps si l'indemnité de 150 fr. ne devra pas être portée à 300 francs. Je ne me prononce pas, je ne fais qu'indiquer des questions.

Il y a, messieurs, bien d'autres injustices dans les lois de la procédure civile. Tout le Code de procédure civile grève les plaideurs en première instance d'une foule de frais, il renferme un grand nombre de dispositions qui sont bien plus obstatives à l'exercice des droits individuels que l'amende de 150 francs en cassation.

Il faut réserver ces questions pour le moment où l'on s'occupera d'une manière complète des lois de la procédure civile.

M. Lelièvreµ. - Il me semble que les observations de l'honorable M. Dolez, en ce qui concerne l'amende en matière civile, appellent l'attention sérieuse du gouvernement. Il est certain, en effet, que, dans l'état actuel de la législation, les recours en cassation contre les jugements rendus par les tribunaux de première instance en dernier ressort sont réellement impossibles.

Cet état de choses est d'autant plus regrettable que la législature a élargi la compétence des tribunaux de première instance et de commerce jusqu'à la somme de deux mille francs inclusivement. Or, il est réellement déplorable de voir les décisions émanées de ces tribunaux passer en force de chose jugée, parce que les parties ne peuvent exposer les frais considérables auxquels donne lieu le pourvoi. La somme de deux mille francs forme souvent une partie importante de la fortune des plaideurs, et il n'est pas juste de laisser ceux-ci désarmés vis-à-vis de décisions violant la loi et méconnaissant ses prescriptions les plus formelles.

Je pense donc qu'il y a lieu de décréter sur ce point des dispositions nouvelles que réclament impérieusement les intérêts de la justice et des parties.

Du reste, je pense que si nous supprimons l'amende en ce qui concerne le recours en cassation, il faut prendre la même décision relativement à l'appel. En effet, si l'amende n'est pas encourue pour un recours extraordinaire, il est impossible de la comminer lorsqu'il s'agit de l'emploi d'un moyen ordinaire. J'estime donc qu'il faudrait faire disparaître les amendes en ce qui concerne l'appel et le pourvoi en cassation, et c'est là une amélioration sur laquelle j'appelle la sollicitude du gouvernement.

M. Dolezµ. - Messieurs, une seule remarque. Je reconnais la justesse des observations faites par M. le ministre de la justice ; c'est pour cela qu'au lieu de faire une proposition, je m'en rapporterai à ce que sa prudence lui conseillera. Je reconnais que d'autres dispositions peuvent être examinées en même temps. Cependant je ferai une remarque toute particulière à l'amende en cassation, c'est que non seulement, par son importance elle a un caractère tout spécial, mais qu'elle a surtout ce caractère par la nécessité de la consigner avant le pourvoi sous peine de déchéance.

Le pourvoi n'est pas recevable si l'on ne présente pas la quittance constatant que l'amende a été préalablement déposée. Il en résulte que le plaideur qui n'est pas tout à fait dans l'indigence et qui ne peut pas obtenir la dispense de consigner l'amende, ne pourra pas franchir le seuil de la cour de cassation.

Ce n'est pas là une simple hypothèse, c'est le résultat d'une très longue expérience.

J'ai vu bien des cas dans lesquels l'avocat consulté déclarait que la question était grave et de nature à appeler la censure de la cour de cassation, et où, cependant, il fallait renoncer au pourvoi à cause des frais. L'avocat peut quelquefois, par amour de l'art, consentir à plaider gratuitement, mais on ne peut pas exiger de son désintéressement qu'il fasse l'avance des 150 francs et de tous les autres frais de procédure.

Eh bien, le plaideur ne peut pas franchir le seuil de la cour de cassation parce qu'il y a un droit de passe de 150 francs. Cela n'existe pas pour l'appel ; c'est après l'arrêt que l'amende doit être payée et elle n'est que de 10 francs. Ce n'est donc pas une entrave, tandis que l'amende de 150 francs est un obstacle très sérieux.

J'appelle donc sur ce point toute l'attention de M. le ministre de la justice et j'espère qu'il n'attendra pas la révision du Code de procédure pour faire disparaître un inconvénient très réel.

Ce sera dans l'intérêt des plaideurs et dans l'intérêt de la cour de cassation elle-même, car si la cour de cassation, au lieu de 30 causes par an, en avait 60 ou 70 à juger, son importance n'y perdrait pas.

On me fait remarquer que l'amende n'est pas indiquée par le Code de procédure ; mais M. le ministre de la justice a parlé de la révision de ce Code, au point de vue de la simplification de toutes les formalités et par cela même de la réduction des frais.

Je l'engage à faire tous ses efforts pour obtenir ce résultat, mais toujours est-il que la question qui nous est soumise en ce moment est d'une nature toute particulière.

(page 257) M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne puis pas m'engager à présenter un projet de loi spéciale pour supprimer l'amende en matière civile. En voici la raison : Je crois que toutes les questions relatives au Code de procédure civile (car bien que l'amende ne soit pas dans le Code de procédure civile, elle devrait s'y trouver), je crois que toutes ces questions doivent faire l'objet d'un examen d'ensemble. Il est impossible d'en séparer, par exemple, les formalités de première instance, qui sont bien plus préjudiciables aux plaideurs que l'amende de 150 fr.

L'honorable M. Dolez n'a parlé de la question qui nous occupe que parce qu'il y a obligation de consigner l'amende. Mais voyons quelles sont les conséquences de cette observation.

Si vous supprimez l'obligation de consigner l'amende, vous permettrez à un homme de mauvaise foi qui aura succombé de ne pas payer. Dans l'hypothèse du système que je crois devoir signaler, celui d'une indemnité de 300 francs à la partie gagnante, qu'arrivera-t-il ? C'est que le plaideur qui se sera pourvu en cassation et qui succombera devra payer ces 300 francs.

Eh bien, la consignation, s'il s'agit d'un individu qui a quelque fortune, ne peut lui porter aucun préjudice. S'il s'agit d'un indigent, il peut aller en cassation sans rien payer. S'il s'agit, au contraire, d'un individu de mauvaise foi qui ne se pourvoit en cassation que pour traîner le procès en longueur, la consignation est une garantie. Il s'agirait même de savoir s'il n'y aurait pas lieu de consigner les frais pour la partie contre laquelle le pourvoi est dirigé. Il y a de mauvais plaideurs qui poursuivent des procès pendant de longues années et qui n'en payent jamais les frais.

M. Dolezµ. - Le pourvoi ne suspend pas l'exécution de l'arrêt.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est vrai, mais le pourvoi nécessite de nouveaux frais de la part de la personne qui a un arrêt en sa faveur.

Pourquoi l'amende existe-t-elle dans le système actuel ? C'est pour indemniser la partie du tort qu'on lui cause par un pourvoi téméraire. Il ne faut pas, messieurs, qu'on se pourvoie en cassation avec la certitude de n'avoir d'autre inconvénient que de ne pas payer son avocat qui, comme le disait tantôt l'honorable M. Dolez, plaidera pour l'art ; il importe que les plaideurs examinent avant de se pourvoir en cassation, si ces moyens de pourvoi le leur permettent. Ce sont là des questions qu'il ne faut pas résoudre à la légère.

L'honorable M. Dolez se trompe en disant que c'est l'amende de 150 francs qui empêche les pourvois en cassation. Cela peut arriver quelquefois ; mais je pense que la grande barrière des pourvois de cassation, ce sont les frais de justice et les honoraires d'avocat.

Maintenant il peut se présenter des cas intéressants dans lesquels on n'ira pas en cassation à cause de l'amende de 150 francs.

Du reste, je promets de faire de cette question l'objet de mes études, mais je ne m'engage pas à présenter un projet spécial avant la révision du Code de procédure. Il y a d'autres objets plus dignes d'intérêt ; ainsi les retards qui empêchent d'obtenir justice, la réforme de la procédure en matière de divorce, par exemple, ces objets sont plus importants pour les particuliers que l'amende de 130 fr. dont il s'agit.

M. Guillery. - Messieurs, je ne veux pas formuler un amendement. Il est plus sage de laisser à M. le ministre de la justice dans l'intelligence et l'activité duquel nous pouvons avoir une entière confiance, le soin de résoudre la question. Je désire cependant répondre quelques mots à divers arguments produits dans le débat.

Ce serait une question de savoir d'abord s'il est opportun d'énoncer, dans le Code de procédure civile, tout ce qui concerne la procédure en cassation ; mais l'amende et même l'indemnité envers la partie qui gagne son procès ne me paraissent pas faire question.

On punit un plaideur pour avoir eu tort ! Je comprendrais à la rigueur qu'une disposition légale donnât à la cour de cassation la faculté d'infliger une amende ou des dommages-intérêts au plaideur de mauvaise foi, de même que les tribunaux peuvent aujourd'hui, en cas de dol ou de fraude, appliquer la contrainte par corps ; mais cette amende à infliger dans tous les cas au plaideur qui succombe n'a aucun sens, pas plus que n'en aurait l'amende qui serait infligée au juge dont on réforme la décision. A-t-on jamais eu l'idée de condamner un tribunal de première instance parce que la cour d'appel avait réformé son jugement, ou une cour d'appel parce que la cour de cassation avait cassé son arrêt ? L'opinion du juge dont la décision est cassé est tout aussi respectable que celle du juge qui casse ; chaque magistrat a agi dans l'exercice de ses fonctions, il a obéi à sa conscience ; ses intentions ne peuvent être incriminées.

Je me pourvois en cassation sur une question controversée ; sur une question, par exemple, qui partage les cours de cassation de France et de Belgique. Je viens en Belgique soutenir l'opinion de la cour de cassation de France. La cour de cassation de Belgique ne partage pas cette opinion, et je suis condamné à l'amende de 150 francs pour avoir été de l'avis des Dupin, des Merlin et des Troplong.

La cour de cassation ne dit pas que je suis de mauvaise foi, elle dit qu'elle n'est pas de mon opinion ; elle rejette le pourvoi, et il faut, en outre, qu'elle sanctionne son opinion par une amende de 150 fr.

Plus tard la même question se présentera devant la même cour qui, composée d'autres magistrats, donnera une autre décision. La composition de la chambre civile peut être changée ; la science peut avoir fait des progrès, la cour changera sa jurisprudence, et l'on condamnera, cette fois, celui qui aura soutenu l'opinion de mon adversaire. Il est condamné pour ne pas avoir prévu que la cour changerait sa jurisprudence.

Ainsi il y a une question qui a divisé la cour de cassation elle-même, la question de savoir si les sociétés anonymes françaises avaient le droit d'ester en Belgique. La composition de la chambre civile ayant changé, la cour a rendu deux décisions différentes. Les deux opinions étaient également respectables. De quel droit condamne-t-on à l'amende les partisans de l'une ou de l'autre ?

C'est donc un reste d'une législation barbare et aveugle qu'il faut s'empresser de faire disparaître.

De plus, voici une espèce qui s'est présentée.

Un fonctionnaire public, ayant agi dans l'exercice de ses fonctions, se trouve assigné par un particulier en dommages intérêts. Il est condamné en première instance et en appel. Il se pourvoit en cassation.

Son avocat, voyant un fonctionnaire public agir dans l'intérêt de la loi et de l'Etat, croit qu'il n'y a pas lieu de consigner l'amende, et ce fonctionnaire agissant dans l'intérêt général, protestant contre une décision injuste, se voit repoussé et condamné à l'amende de 150 francs pour n'avoir pas consigné cette amende ; car il y a ceci de particulier que celui qui est déchu de son pourvoi pour n'avoir pas consigné l'amende est condamné à payer cette amende.

Pourquoi cette déchéance ?

Il n'y a pas que les tribunaux correctionnels, messieurs, qui décident les questions d'honneur. Je puis défendre devant la cour de cassation les intérêts les plus importants et les plus sacrés. Il peut y avoir procès en calomnie, une décision qui m'ôte mon nom, qui me déclare enfant illégitime.

Mon droit de protester contre une pareille décision n'est-il pas aussi respectable que celui de défendre un intérêt matériel ou ma liberté ?

L'urgence de reconnaître et de proclamer ce droit est-elle moins grande qu'en matière correctionnelle ?

On veut une amende de 150 fr., soit, mais faut-il ajouter à cette amende la peine de la déchéance ? L'intérêt des finances de l'Etat est-il si puissant qu'on ne puisse condamner simplement à l'amende sans prononcer la déchéance contre le plaideur, parce que son avocat aura oublié de faire la consignation des 150 fr. ?

La peine de la déchéance n'est pas en rapport avec l'intérêt que peut avoir l'Etat à cette malheureuse consignation, qui n'a d'autre raison que d'assurer le payement de l'amende.

On dit aux plaideurs : Vous n'aurez le droit de recours que si vous garantissez le payement de l'amende. Cet intérêt est tellement précieux que tous les autres intérêts doivent céder à celui-là. Aussi le fonctionnaire dont je parle a-t-il été déchu de son pourvoi. Heureusement que l'Etat était en cause et que la question a été décidée en son nom.

Je crois, messieurs, que, loin de vouloir augmenter les difficultés qui entourent l'administration de la justice, il faut les diminuer le plus possible, car elles ne seront jamais assez simplifiées. Sans doute il peut y avoir des plaideurs qui abusent des ressources que la procédure peut offrir à la mauvaise foi, mais ce n'est pas la règle. Ce qui, en général, arrêtera les plaideurs, c'est le prix de la procédure, ce sont les soucis de celui qui est obligé de poursuivre la reconnaissance de son droit devant la justice.

Si l'on veut protéger les citoyens contre des plaideurs téméraires, qu'une disposition de loi donne aux tribunaux le droit d'allouer des dommages-intérêts en cas de mauvaise foi ; je le comprendrais. C'est une idée qui pourrait du moins se justifier.

Ne perdez pas de vue qu'il est quelquefois important pour un particulier (page 258) de se pourvoir en cassation non seulement contre l'arrêt d'une cour d'appel, mais même contre le simple jugement d'un tribunal de première instance, dans des affaires où le principal n'est pas supérieur à 2,000 fr. Evidemment l'indemnité de 150 fr. et l'amende de 150 fr. qu'il s'expose à payer ne sont plus en rapport avec l'intérêt qu'il a à défendre.

Il faut faciliter l'accès de la cour suprême, de la cour protectrice de tous les citoyens, des plus humbles comme des plus considérables.

L'amende constitue quelquefois un déni de justice pour les justiciables peu favorisés de la fortune, tandis qu'elle est impuissante contre le riche. Elle constitue une peine aveugle dans ses effets et injustifiable dans son principe.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je me permettrai de faire remarquer que tous les orateurs qui ont pris la parole sont d'accord en principe qu'il faut faire disparaître l'amende de 150 francs. Maintenant, ce que le gouvernement demande, c'est qu'on ne s'occupe pas de cette question dans le projet actuel, et le discours de M. Guillery prouve qu'il faut la remettre. En effet, il vient de vous parler de déchéance en matière de pourvois. Mais n'y a-t-il de déchéance qu'en matière de pourvois ?

Quand vous faites une enquête, vous êtes forclos pour la moindre faute de votre avoué. Vous voulez aller en appel pour une affaire qui intéresse votre fortune, votre honneur, vous ignorez le délai d'appel, eh bien, vous êtes déchu de votre droit, et votre appel n'est plus recevable pour un jour de retard. Il y a une foule de questions qui ne peuvent être résolues hic et nunc, la question soulevée par M. Guillery est de ce nombre ; elle ne pourra être examinée avec maturité que lorsqu'on s'occupera de la réforme complète du Code de procédure civile.

-La discussion est close.

Discussion des articles

Article premier

“Art. 1er. Aucune amende ne pourra être prononcée à l'avenir en matière pénale ou disciplinaire contre le demandeur en cassation dont le pourvoi aura été rejeté.

« Sont abrogés toute loi, tout arrêté, contraires à la présente disposition. »

MpVµ. - Il y a à cet article un amendement de M. le ministre de la justice consistant dans la suppression des mots : « à l'avenir », au premier paragraphe et dans la suppression du deuxième paragraphe.

- L'article premier, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. Par dérogation à l’article 421 du Code d'instruction criminelle 1’obligation de se constituer n'est maintenue que pour ceux qui auront été condamnés à un emprisonnement de plus de six mois. »

MpVµ. - M. le ministre de la justice propose d'amender cet article de la manière suivante :

« Art. 2. L'art. 421 du code d'instruction criminelle est abrogé, sauf pour les condamnés qui, lors du jugement ou de l'arrêt contre lequel le pourvoi est dirigé, sont en état de détention préventive. »

- L'article, ainsi amendé, est adopté.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble.

71 membres y prennent part, tous répondent oui.

Ce sont :

MM. Dewandre, Dolez, Dumortier, Dupont, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils, Guillery, Hayez, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller, Nothomb, Orts, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Iseghem, Van Overloop, Vleminckx, Warocqué, Wasseige, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Couvreur, Crombez, David, C. de Bast, de Brouckere, de Conninck, de Haerne, de Kerchove, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq, de Theux et Ernest Vandenpeereboom.

En conséquence, la Chambre adopte ; le projet de loi sera transmis du Sénat.

Projet de loi allouant des crédits au budget du ministère de la justice

Rapport de la section centrale

M. Funckµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi allouant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la justice pour l'exercice 1865.

- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi modifiant la loi sur les chemins vicinaux

Discussion générale

M. Dewandreµ. - L'examen du projet qui vous est soumis et la lecture du rapport de la section centrale ont soulevé dans mon esprit un scrupule de constitutionnalité que je désire vous soumettre avant que vous entriez dans l'examen des détails du projet. Si vous êtes d'avis, comme moi, que cette question de constitutionnalité mérite un sérieux examen, vous devez renvoyer ce projet à la section centrale et demander qu'elle fasse au besoin de nouvelles propositions.

D'après le texte du projet, les communes auront le droit le plus absolu d'établir en suivant les formes indiquées, soit des subventions, soit des péages pour se faire indemniser des dommages extraordinaires que des particuliers feraient à leurs chemins vicinaux. Le projet ne dit pas si cette procédure administrative pourra être appliquée tant aux dommages passés qu'aux dommages à venir.

Mais il résulte du rapport, que dans l'esprit de la section centrale, cette procédure doit s'appliquer aussi bien aux uns qu'aux autres .Et, en effet, voici ce que porte le rapport :

« La subvention présente encore cet avantage, qu'elle peut s'étendre aux dommages causés antérieurement. Souvent les faits qui entraînent la dégradation d'une route sont accidentels et de courte durée, l'établissement d'un péage nécessite des délais, et lorsque le péage sera enfin régulièrement établi, les transports auront peut-être cessé. Dans tous les cas, l'industriel échappera complètement à la responsabilité du passé ; la subvention, au contraire, sera fixée eu égard à l'intégralité du dommage. »

Donc, d'après l'interprétation donnée par la section centrale, les autorités locales pourraient établir par voie administrative certaines subventions pour la réparation des dégâts causés antérieurement par un particulier à un chemin vicinal. Eh bien, je crois que cela n'est pas constitutionnel ; je crois que cette réparation d'un dommage causé constitue une contestation de droit civil : c'est la réparation d'un dommage résultant d'un quasi délit ; et je crois que les tribunaux seuls sont compétents pour juger de pareilles contestations en vertu de l'article 92 de la Constitution portant : « Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. »

Donc, le projet de loi, à mon avis, ne peut pas avoir la portée indiquée par la section centrale ; je ne crois pas que l'on puisse permettre de fixer par voie administrative le chiffre d'un dommage causé antérieurement.

Cependant, il serait facile, si ce scrupule constitutionnel que je soulève était partagé par la Chambre, de remédier à l'inconvénient qui en résulterait ; il suffirait de dire qu'en cas de contestation entre une commune et des particuliers sur ce point, cette contestation serait soumise aux tribunaux. Mais je crois qu'il convient de renvoyer cette question de constitutionnalité à la section centrale qui verra, en même temps, quels seraient les moyens d'obvier à l'inconvénient que je signale, si cet inconvénient était reconnu sérieux.

M. Lelièvreµ. - Si le projet était renvoyé à la section centrale, il est une observation que je recommanderais à l'examen de la commission. Le pénultième paragraphe du projet introduit le recours en cassation, je demande dans quelle forme la déclaration de recours devra être formulée ; est-ce par acte passé au greffe du conseil provincial, comme en matière électorale, ou bien est-ce dans toute autre forme ? Il me paraît indispensable que la loi s'explique à cet égard d'une manière précise. D'un autre côté, le pourvoi devra-t-il être notifié à l'autorité communale et celle-ci sera-t-elle partie dans l'instance en cassation ? En cas affirmatif, dans quel délai la signification du pourvoi devra-t-elle être faite à la commune ?

Voilà des questions sur lesquelles j'appelle l'attention de la Chambre. Il s'agit ici des difficultés d'exécution auxquelles donnera lieu la loi après son adoption, et il importe de les résoudre avant le vote.

M. Dupont, rapporteurµ. - Toutes les fois qu'on soulève une question constitutionnelle dans cette enceinte, il est tout naturel que les membres de la Chambre s'intéressent vivement aux arguments pour et contre qu'une question de ce genre peut faire naître ; et toujours la Chambre les examine et les pèse avec le plus grand soin, la plus grande circonspection. Tous, en effet, nous respectons religieusement notre pacte fondamental et aucun de nous ne voudrait y porter la moindre atteinte.

Je ne m'oppose donc nullement au renvoi du projet de loi à la section centrale ; je m'y oppose d'autant moins qu'il est proposé par un membre de la section centrale et qui, à ce titre, a fait de la question un examen plus sérieux encore.

(page 259) Cependant, je dois, dès à présent, faire remarquer à la Chambre que si le scrupule constitutionnel qui vient d'être soulevé est fondé, l'article 35 de la loi de 1841, tel que le gouvernement propose de l'interpréter, devra en réalité disparaître, tout au moins en grande partie. En effet, la distinction faite par l'honorable M. Dewandre dans la pratique conduira à ce résultat.

Que voulons-nous, messieurs ? Nous voulons que la subvention dont l'exploitant doit être frappé soit une subvention fixée annuellement, et cela dans l'intérêt de l'exploitant. Nous voulons, d'un autre côté, que la subvention dont il s'agit soit proportionnelle à la dégradation qui a été constatée, et cela pour éviter toute espèce d'arbitraire. Il en résulte donc que ce ne sera généralement que pour le passé et très rarement pour l'avenir que la subvention sera établie, et, dans tous les cas, ce ne sera que pour un avenir très restreint, puisque la subvention sera fixée annuellement, c'est-à-dire que l'intervention de l'autorité administrative sera restreinte dans des limites telles qu'il n'y aura réellement pas lieu de la faire intervenir, et qu'il faudra laisser, d'une manière générale, au pouvoir judiciaire l'examen de ces questions.

Or, messieurs, s'il en est ainsi (je laisse de côté la question constitutionnelle), si c'est le pouvoir judiciaire qui doit apprécier les questions de ce genre, il est certain que très rarement les communes demanderont aux industriels ou exploitants qui auront dégradé leurs chemins la réparation de ces dommages. Et, en effet, elles devront pour cela intenter des procès coûteux et dont les frais seront le plus souvent hors de toute proportion avec l'importance du dégât ; et, en définitive, ayant à lutter, d'une part contre l'influence de l'exploitant, d'autre part contre la difficulté qu'elle aura à se faire rendre justice, la commune préférera s'abstenir de toute poursuite.

C'est pour cela qu'il serait essentiel, dans l'intérêt même des communes, que l'autorité administrative pût intervenir et résoudre la question dont il s'agit ici.

Je me réserve d'examiner la question constitutionnelle plus tard quand la section centrale aura été appelée à se prononcer sur cette question.

Je me borne à faire remarquer que si le scrupule de l'honorable M. Dewandre est fondé il en résultera que, dans la pratique, les communes seront presque entièrement privées de ce recours que nous voulons, au contraire, rendre plus efficace.

M. Van Overloopµ. - Je demande également le renvoi à la section centrale du projet de loi qui nous occupe en ce moment, d'abord à cause du scrupule constitutionnel qu'il fait naître, ensuite parce que je désire qu'il soit examiné de nouveau, en même temps que le projet de loi portant abolition des droits de barrière.

Si, messieurs, le principe que tend à consacrer le projet de loi qui nous est soumis en ce moment est juste, et je l'admets comme tel, ce principe doit être appliqué, non seulement aux chemins vicinaux, mais encore, aux routes pavées, c'est-à-dire aux routes de l'Etat comme à toutes les autres.

MfFOµ. - Cela n'a rien de commun.

M. Van Overloopµ. - Quel est le but du projet de loi dont on vient de demander le renvoi à la section centrale ?

Il tend à faire supporter, par ceux qui dégradent extraordinairement les chemins vicinaux, soit d'une manière accidentelle, soit habituellement, une subvention spéciale pour la réparation de ces dégradations.

Ce principe est juste ; car il serait souverainement inique de faire supporter par la généralité des habitants d'une commune une contribution supplémentaire pour réparer des dégradations qui sont le fait d'un seul.

Eh bien, ce même principe est applicable aux routes de l'Etat comme aux chemins vicinaux.

M. Teschµ. - Du tout !

M. Van Overloopµ. - Si le projet de loi, portant abolition des droits de barrière, est adopté, ce que j'espère, je persiste à soutenir, malgré les interruptions, qu'en vertu du principe consigné dans le projet de loi qui nous est en ce moment soumis, il y aura lieu d'imposer également une subvention aux industriels, aux grands exploitants qui dégraderont extraordinairement les routes de l'Etat.

Je ne veux pas en ce moment discuter cette question à fond, je me borne à vous soumettre quelques observations que m'a suggérées l'examen du projet de loi qui nous est soumis. Je vous le demande, qu'arriverait-il si vous ne partagions pas ma manière de voir ? Il arriverait que les dégradations extraordinaires causées par un industriel à une route de l'Etat devraient être réparées aux frais de la généralité de la nation belge, c'est-à-dire aux frais du trésor public ; tandis que ces mêmes dégradations causées à un chemin vicinal devraient être réparées aux frais de celui qui les aurait faites.

La suppression des droits de barrière devrait, ce me semble, avoir pour conséquence la généralisation du principe que tend à consacrer le projet de loi qui nous est soumis.

M. Bouvierµ. - A quoi bon alors décréter la suppression des droits de barrière ?

M. Van Overloopµ. - Messieurs, il y aurait, je pense, quelque chose de très équitable à faire. On évalue à 1,500,000 francs le sacrifice qui résultera pour l'Etat de la suppression des droits de barrière.

Eh bien, je suppose qu'au moyen de l'extension aux routes de l'Etat du principe de la subvention, ce sacrifice vienne à être réduit d'un tiers ou de moitié, et je demande s'il ne serait pas beaucoup plus équitable de diminuer dans la même proportion les centimes additionnels extraordinaires qu'on nous impose à tout moment et qui, par ce fait, deviennent très ordinaires.

Je suis partisan de l'abolition des droits de barrières.

M. Teschµ. - On ne s'en douterait pas.

M. Van Overloopµ. - Je suis partisan de cette abolition à cause des embarras auxquels la perception des droits donne lieu, mais je voudrais que cet impôt, au point de vue de l'équité, fût remplacé par un autre impôt, analogue à celui dont nous nous occupons en ce moment.

Supposons que l'impôt des barrières soit complètement aboli sans subvention aucune ; qui en profitera ?... (Interruption.) Messieurs, permettez-moi d'expliquer pourquoi je tiens, moi aussi, à ce que le projet de loi soit examiné de nouveau par la section centrale.

Supposons donc que l'impôt des barrières sur les routes de l'Etat soit supprimé. Quelles seront les parties du pays qui en profiteront ? Ce seront celles qui ont le plus de routes de l'Etat, ce seront, par exemple, les provinces de Hainaut et de Liège ? Quelles seront les provinces qui en pâtiront ? Ce seront la province d'Anvers, les deux Flandres et notamment le pays de Waes qui n'a qu'une seule route de l'Etat.

Je serais peut-être plus exact en disant que ce sont surtout quelques grands industriels, tels que les propriétaires de houillères, qui profiteront de l'abolition des droits de barrière.

Je n'entends pas, je le répète, trancher la question aujourd'hui. Je me borne à demander, pour le moment, que non seulement le projet de loi soit renvoyé à la section centrale, mais encore qu'il soit examiné concurremment avec celui qui porte abrogation du droit de barrière sur les routes de l’Etat.

Il ne faut pas qu'il y ait deux droits différents : un droit contre ceux qui dégradent les chemins vicinaux et un droit au profit de ceux qui dégradent les routes de l'Etat.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je ne comprends pas la compétence des tribunaux quand il s'agit de dégradations faites à un chemin vicinal par ceux qui avaient droit d'en user. En fait, le droit d'user d'un chemin vicinal est incontestable pour l'exploitation de propriétés rurales et pour le commerce. Un chemin vicinal a été employé par un industriel, pour l'exploitation de son usine ; par un propriétaire, pour l'exploitation d'une forêt ; quelle faute le propriétaire et cet industriel ont-ils commise, en usant de ce qui est pour eux un droit, alors même que le chemin vicinal a souffert, de leur fait, un dommage ?

Mais je comprends très bien la compétence de l'autorité administrative. Quand un chemin vicinal est dégradé, il s'agit de le réparer. Qui supportera les frais de réparation ? C'est un règlement à faire par la commune. Ce seront tous les habitants, au moyen d'une imposition ; et si un habitant de la commune, dans les cas prévus par la loi, a le plus contribué à la dégradation, celui-là devra aussi le plus contribuer dans les frais de réparation.

C'est donc une véritable imposition pour la réparation d'un chemin vicinal dégradé.

Or, cette mesure est essentiellement dans les attributions de l'autorité administrative, et elle ne peut jamais être dévolue à l'autorité judiciaire. La dégradation doit être constatée administrativement ; l'imposition pour la réparation doit être faite administrativement.

Le renvoi de pareilles causes devant les tribunaux aurait des conséquences extrêmement fâcheuses. D'abord, comme on l'a dit, les communes ne s'engageraient pas dans ces procès ; le propriétaire d'une usine ou d'une forêt aurait lui-même des frais à supporter, et les honoraires de son avocat seraient plus élevés peut-être que la cotisation qui lui serait imposée par la commune.

(page 260) C'est donc, à mon avis, une mesure détestable que le renvoi de ces questions aux tribunaux. Selon moi, l'autorité administrative est seule compétente : elle doit agir par voie de répartition d'impôts pour l'entretien et la réparation d'un chemin. Là est toute la question.

Je crois que cela ne peut pas faire naître le moindre doute, si l'on veut y réfléchir sérieusement.

Je n'en dirai pas davantage sur la question du fond, puisqu'il s'agit de renvoyer le projet de loi à la section centrale.

Mais si d'autres membres avaient à présenter des observations qui fussent de nature à être examinées par la section centrale, je pense qu'ils feraient bien de s'en expliquer maintenant, avant que la Chambre ait prononcé le renvoi ; la section centrale apprécierait les diverses objections et nous soumettrait un travail d'ensemble.

M. Dupont, rapporteurµ. - Messieurs, je ne me suis pas prononcé tout à l'heure sur la question de constitutionnalité qui a été soulevée par l'honorable M. Dewandre ; mais je dois avouer que mon opinion, à première vue et sauf examen ultérieur dans une mesure aussi grave, était contraire à celle de l'honorable membre. Les observations si justes, si lucides que vient de présenter l'honorable M. de Theux, m'enhardissent à en produire, à mon tour, quelques-unes qui me viennent dans le moment à l'esprit, et qui tendent à démontrer que le pouvoir administratif est compétent pour apprécier les contestations de ce genre.

Je me suis placé tout à l'heure au point de vue de la pratique, et je crois avoir démontré que, si l'on renvoie l'appréciation des questions de l'espèce à l'autorité judiciaire, il en résultera la suppression de l'article 23 de la loi de 1841.

Maintenant, si nous examinons en théorie la nature de ces contestations, nous arriverons aussi à ce résultat que c'est l'autorité administrative qui doit l'apprécier.

En effet, quelles sont les considérations dont on tiendra compte pour fixer l'indemnité, la subvention ?

On se demandera quelle est la condition du dommage ; dans quelles proportions il a été causé ; si c'est réellement un dommage extraordinaire, ou si c'est simplement un dommage normal, régulier ; on devra rechercher dans quelles proportions celui qui a causé le dommage contribue dans les frais d'entretien de la route ; en un mot, on devra se préoccuper d'une foule de questions administratives, pour lesquelles l'autorité administrative est beaucoup plus compétente que l'autorité judiciaire.

Il s'agit, en définitive, de frapper d'un impôt une certaine classe de citoyens, à raison de certaines circonstances.

D'après la jurisprudence de la cour de cassation, l'article 112 de la Constitution ne s'oppose pas le moins du monde à ce qu'on frappe d'un impôt une certaine classe de citoyens. Eh bien, si des industriels dégradent un chemin vicinal d'une manière extraordinaire, y a-t-il des motifs pour leur imposer une taxe spéciale de ce chef ? Le législateur décide que cela est parfaitement juste et équitable et il pose dans une loi le principe de l'impôt en même temps qu'il en indique les bases. Quelle sera la quotité de ces impôts, eu égard aux circonstances spéciales, aux faits particuliers ? Elle sera déterminée par l'autorité administrative.

Voilà à quel point de vue la question doit être examinée et envisagée ; de cette manière elle ne peut être résolue qu'en faveur de la compétence de l'autorité administrative.

Messieurs, si mes souvenirs ne me trompent pas, une question analogue a été déjà agitée devant la cour de cassation et résolue dans le sens qui me paraît, à première vue, devoir être adopté et que je défends en ce moment.

On a examiné le point de savoir si, en matière de polders et de wateringues, la contribution qui est imposée par les administrateurs d'une wateringue avait le caractère d'un impôt ; je pense que la cour de cassation a résolu cette question affirmativement.

Or, dans les deux cas, il s'agit de subventions destinées à l'entretien d'un objet servant à l'usage de la communauté.

Messieurs, une dernière considération se présente à mon esprit : c'est que le litige qui a donné lieu au projet de loi a été apprécié successivement par le tribunal de Charleroi et par la cour de cassation. Devant le tribunal de Charleroi, personne n'a songé à soutenir que l'article 23 de la loi de 1841, tel qu'il était interprété par la commune, était contraire à la Constitution. On conçoit que lorsqu'on était en présence de deux interprétations, c'était un argument très puissant pour celui qui soutenait l'une des interprétations, de chercher à démontrer que l'interprétation de son adversaire était inconstitutionnelle ; cependant on n'a pas présenté ce moyen.

Plus tard, on est arrivé devant la cour de cassation, et la cour de cassation, appelée à se prononcer sur la valeur du jugement du tribunal de Charleroi, s'est déterminée par des motifs tirés des discussions préparatoires. On a examiné ces discussions préparatoires et l'on a cru y trouver la preuve que, dans l'esprit de ceux qui avaient volé la loi, la subvention ne devait pas être obligatoire. Voilà le motif pour lequel le jugement du tribunal de Charleroi a été cassé. Dans son réquisitoire, M. le procureur général Leclercq a fait allusion aux scrupules constitutionnels qui se sont également présentés à l'esprit éminemment judicieux de l'honorable M. Dewandre.

M. le procureur général Leclercq, en présentant ces scrupules, en les développant dans sa discussion, a déclaré qu'il ne les partageait pas, mais que cependant ils avaient influé sur la rédaction de la loi.

En présence de ces considérations, la Chambre se décidera peut-être à entamer immédiatement la discussion du projet, qui présente un grand caractère d'urgence. Toutefois, je le répète, je ne m'oppose pas au renvoi à la section centrale et je pense même qu'un examen approfondi de la question est nécessaire. L'étude attentive d'une difficulté peut quelquefois faire découvrir de nouveaux aperçus ou des arguments auxquels on n'avait pas songé tout d'abord et qui peuvent modifier les convictions.

M. Delcourµ. - J'avais cru d'abord que la Chambre était disposée à ordonner le renvoi du projet de loi à la section centrale. Dès qu'une question constitutionnelle de cette gravité est soulevée, je crois qu'il est du devoir de la Chambre de l'examiner avec maturité et de demander un rapport.

Cependant je dois avouer dès maintenant que les observations de l'honorable M. Dewandre ne m'ont point convaincu. Les difficultés dont l'honorable membre vous a entretenus ne soulèvent pas une question relative à un droit civil qui soit exclusivement du ressort des tribunaux.

Je ne veux cependant pas me prononcer sur ce point délicat. J'espère que la Chambre se décidera à renvoyer l'examen de la question à la section centrale qui nous présentera des conclusions.

Mais j'ai une autre observation à faire si le projet de loi est renvoyé à la section centrale ; je désirerais que celle-ci voulût examiner également le point spécial que voici :

Il s'agit, messieurs, de fixer la subvention à exiger du propriétaire de l'établissement industriel qui a dégradé le chemin vicinal. Le projet prévoit deux cas. Le premier est celui où le chemin vicinal n'est pas une voie de grande communication ; c'est l'autorité communale qui, dans cette hypothèse, détermine le taux de la subvention. Lorsque le chemin est un chemin vicinal de grande communication, la subvention est réglée par la députation permanente.

Voilà le système du projet de loi.

Eh bien, je me demande devant qui le propriétaire, qui se prétend surtaxé, peut exercer son recours en appel ?

Dans le premier cas, il portera sa réclamation devant la députation permanente ; dans le deuxième cas, c'est-à-dire lorsque la députation permanente a été appelée à fixer le taux de la subvention, il exercera son recours au Roi.

Tels sont les principes. Le projet les a-t-il appliqués ? Non : mais dans le cas où la subvention est réglée par le conseil communal, le projet établit un double recours ; d'abord, le recours à la députation permanente ; puis un recours au Roi. Je me demande si ce double recours se justifie.

Lorsque la députation a prononcé comme juge d'appel, je demande quel sera l'avantage d'un recours ultérieur auprès du gouvernement.

Je comprends ce recours, dans le cas où la députation permanente n'a jugé qu'en premier ressort. Mais lorsqu'elle a statué en dernier ressort, je répète qu'un recours ultérieur me paraît inutile.

Ce point me paraît d'autant plus important que si le principe du projet était admis, vous auriez consacré une règle différente de celle sur laquelle repose le système de nos lois administratives en matière contentieuse.

En matière électorale, en matière d'impôts, lorsque la députation a statué en degré d'appel, le pourvoi en cassation est ouvert, mais il n'y a plus de recours au gouvernement. Le projet établit un troisième degré de juridiction, contrairement au principe consacré par les lois organiques du pouvoir judiciaire, ainsi que par les lois qui ont organisé la juridiction administrative.

J'appelle l'attention de la section centrale sur ce point, je l'engage à maintenir l'unité qui se rencontre dans les loi» actuelles.

(page 261) M. Dewandreµ. - L'honorable rapporteur est dans l'erreur quant à l'opinion émise par l'honorable procureur général Leclercq lors du réquisitoire qu'il a fait à propos de l'interprétation de l'article 23 de la loi de 1841. C'est le souvenir de ce réquisitoire qui m'a précisément inspiré les scrupules que je crois devoir soumettre à la Chambre. C'est parce que M. le procureur général Leclercq indique l’inconstitutionnalité de la loi interprétée comme l’a fait le tribunal de Charleroi, c’est-à-dire l’inconstitutionnalité de la loi, si elle avait donné à l’autorité communale le pouvoir absolu d’établir des subventions et non simplement la faculté de les établir d’accord avec celui qi dégrafe extraordinairement la route, que j’ai des scrupules que j’ai cru devoir soumettre à la Chambre.

Je ferai remarquer à l'honorable M. de Theux qu'il ne s'agit pas ici de savoir ce que doit payer celui qui fait de la route un usage ordinaire, l'usage que tout le monde peut en faire. Il s'agit de savoir ce que doit payer celui qui fait de la route un usage extraordinaire, un usage au delà du droit commun qu'a l'habitant de la commune de se servir d'un chemin, et c'est la distinction qui est faite par le projet de loi qui vous est soumis.

Or, lorsqu'il s'agit d'un dommage passé, d'un dommage déjà accompli, la question à résoudre est celle de savoir de combien l'habitant a excédé «sn droit, c'est à-dire en quoi il a causé à la commune un dommage qu'il n'avait pas le droit d'occasionner, jusqu'où a été le quasi-délit qui a été commis et qui donne lieu à une réparation purement civile.

Il me semble que c'est absolument la même question que celle qui se présenterait, si un particulier sans droit, abusait d'un édifice communal quelconque, s'il démolissait une maison communale, croyant qu'elle lui appartient. La commune qui aurait à demander la réparation de ce dommage ne pourrait le faire par voie administrative ; elle devrait s'adresser aux tribunaux. Eh bien, lorsqu'un particulier, au delà du droit qu'a chaque habitant de la commune de se servir d'un chemin, use et abuse de ce chemin, il doit de ce chef une réparation à la commune ; je crois que la question de l'évaluation du dommage, de la réparation, est plutôt de la compétence des tribunaux que de la compétence de l'autorité administrative.

M. de Theuxµ. - Je comprends que s'il y avait un règlement qui interdît le transport de certains objets par tel chemin et que ce transport eût lieu en contravention, les tribunaux seraient compétents pour condamner le contrevenant. Mais lorsqu'un chemin existe à l'état de chemin public, qu'il n'y a aucune réserve dans l'usage de ce chemin, celui qui en use ne commet certainement aucune espèce de contravention et dès lors ne peut être passible d'aucune condamnation judiciaire.

Cela me paraît clair comme le jour. Il n'y a d'autre moyen, pour réparer le dommage que l'exploitant a causé à un chemin, que la voie de la cotisation et de la fixation de la part pour laquelle chacun doit y contribuer.

C'est, à mon avis, une question essentiellement administrative et purement administrative.

M. Dupont, rapporteurµ. - Je réponds d'abord deux mots à l'observation de l'honorable M. Delcour.

Comme il l'a dit avec raison, le projet de loi, tel qu'il est rédigé par la section centrale, établit un double recours, lorsque c'est le conseil communal qui a établi la subvention, et si l'on a accordé ce double recours à l'exploitant, c'est qu'il ne s'agit pas, dans l'espèce que nous examinons en ce moment, d'un impôt ordinaire. Il s'agit, au contraire, d'une subvention extraordinaire et c'est précisément à cause de ce caractère de l'impôt, frappant une certaine classe de personnes, qu'on a voulu donner à ces personnes toute espèce de garantie, qu'on a voulu qu'après la décision du conseil communal et la décision de la députation permanente les industriels à qui l'on impose une subvention pussent encore s'adresser au Roi, à l'autorité gouvernementale. Je ne pense pas qu'il y ait à cela d'inconvénient sérieux ; je crois, au contraire, que la mesure peut produire de bons résultats.

En ce qui concerne les observations de M. Dewandre, j'ai sous les yeux le réquisitoire présenté par M. Leclercq. L'honorable M. Leclercq, après avoir indiqué les scrupules constitutionnels dont nous nous occupons, ajoute :

« Tels sont, messieurs, les scrupules qui ont retenu les auteurs de la loi et leur ont fait donner à ses dispositions la portée restreinte qu'elles présentent. Qu'on dise, si l'on veut, que ces scrupules ne sont point fondés, nous l'admettons, mais ils n'en ont pas moins existé, ils expliquent ce que ces dispositions paraissent avoir d'étrange, et, par cela même, ils en expliquent également le sens et confirment l'interprétation des termes dans lesquels elles sont conçues. »

M. Dewandreµ. - Il existe d'autres arguments à l'appui de la thèse que j'ai soutenue.

M. Dupontµ. - Lorsque le jugement du tribunal de Charleroi a été déféré à la censure de la cour suprême, il s'agissait de se demander quelle était la portée des deux derniers paragraphes de l'article 23 de la loi de 1841. Or, lorsqu'on examine le texte de cet article, on est bien forcé de conclure que le tribunal de Charleroi ne l'avait pas violé dans sa lettre. Il ne s'était mis en rien en contradiction avec le texte de l'article 23 de la loi de 1841. Ce texte dit, en effet :

« Les subventions, lorsqu'il y aura dissentiment, seront, après expertise contradictoire, réglées par les administrations communales sous l'approbation de la députation permanente du conseil provincial. »

Il semblait bien résulter de ce texte, d'une manière formelle, que le droit de régler ces subventions était attribué aux administrations communales avec pouvoir d'obliger les exploitants à les payer.

L'article 23 de la loi de 1841 se terminait par le paragraphe suivant :

« En cas d'opposition de la part desdits entrepreneurs ou propriétaires, les communes pourront, sur l'avis de la députation permanente « du conseil provincial, être autorisées par arrêté royal à établir des péages. »

Ce paragraphe donnait aux communes, en cas d'opposition de la part des industriels et des exploitants, la faculté d'établir, avec l'autorisation royale, des péages.

On pouvait donc parfaitement soutenir que le jugement du tribunal de Charleroi était en tout conforme au texte de la loi ; aussi l'honorable M. Leclercq, concluant pour la cassation, a-t-il été rechercher, dans la discussion, quelle avait été la pensée des rédacteurs de la loi ; il s'est trouvé en présence d'un dissentiment entre la commission de la Chambre et la commission du Sénat, entre les orateurs de la Chambre et d'autres orateurs de cette même assemblée. Si à la Chambre on avait dit que la subvention n'était pas obligatoire, l'honorable M. Lebeau, qui avait pris une part active à la discussion, s'était exprimé de façon à démontrer que dans sa pensée la subvention était obligatoire.

L'honorable M. Leclercq, cependant, se basant sur le texte du rapport de la section centrale et sur les déclarations formelles de M. le ministre de l'intérieur, pensait que la subvention n'était pas obligatoire et concluait à la cassation. Et pour montrer que telle était la pensée du rédacteur de la loi il recherchait quels étaient les motifs pour lesquels on n'avait pas admis le caractère obligatoire de la subvention. Or, le rapport de la section centrale contient le passage suivant :

« La section centrale, ainsi que l'avaient désiré plusieurs sections, propose une disposition qui aura pour but de faire contribuer ces établissements à l'entretien des chemins qu'ils dégradent au moyen d'une subvention qu'ils payeront à la commune. Le projet propose de donner au gouvernement la faculté d'autoriser la commune à établir des péages même sur un chemin non empierré.

« La section aurait désiré pouvoir donner plus de garantie aux communes en leur donnant un moyen plus assuré pour forcer les exploitants ou usiniers à contribuer ; mais elle en a été empêchée par notre législation politique qui ne laisse aucun moyen de coercition. »

En présence de ce passage qui n'est guère développé, l'honorable M. Leclercq s'est demandé quels pourraient être ces scrupules et après les avoir développés, il termine par le passage que j'ai cité tout à l'heure.

Il n'en est pas moins vrai, dit-il, que ces scrupules ont exercé de l'influence sur le rédacteur de la loi et comme les tribunaux doivent se conformer à l'esprit de la loi, la cour de cassation a le devoir de casser le jugement du tribunal de Charleroi.

Que la Chambre me permette encore d'ajouter une remarque après les observations si claires que vient de présenter l'honorable M. de Theux. Il est encore d'autres matières dans lesquelles la loi établit l'intervention des autorités administratives. Ainsi l'article 20 de la loi du 18 février 1843 sur le domicile de secours dit que ce sont les conseils communaux, les députations permanentes et le Roi qui sont les seuls compétents pour statuer sur les litiges entre divers établissements publics à raison des frais d'entretien des indigents. Cependant lorsqu'une commune a fait des frais pour l'entretien d'un indigent appartenant à une autre commune, elle a une véritable créance à la charge de cette dernière et pourtant on donne à l'autorité administrative le droit de porter des décisions sur l'existence et sur le montant de cette créance, pourquoi ? Parce que l'article 92 de la Constitution ne place dans le domaine des tribunaux, d'une (page 262) minière absolue, que ce qui est relatif aux droits civils ; or, il me paraît bien difficile, dans l'espèce actuelle, de soutenir qu'il s'agit de droits civils. Il s'agit en réalité d'une question d'impôt, sur laquelle les autorités administratives seules ont le droit de statuer.

M. Lelièvreµ. - Je pense que le système émis par l'honorable M. de Theux est incontestable et que dès lors le renvoi à la section centrale est sans utilité. De quoi s'agit-il ? D'un véritable impôt, dont sont frappés les industriels à raison de l'usage extraordinaire qu'ils ont fait d'un chemin vicinal. Il est question de la répartition des sommes nécessaires pour l'entretien d'un chemin vicinal entre les différents habitants, y compris les industriels.

Or, bien certainement c'est là une affaire administrative. Il s'agit de statuer, non pas seulement vis-à-vis des industriels mais de répartir l'impôt entre tous les habitants de la commune y compris les industriels. Du reste, par cela seul qu'il est question d'impôt, la compétence de l'autorité administrative résulte sans conteste de la législation en vigueur. Jamais on ne considère comme droit civil tout ce qui concerne l'établissement des impôts.

M. Dewandreµ. - Je désiré faire une simple observation pour faire remarquer à l'honorable M. Lelièvre qu'il ne s'agit pas de répartir entre tous les habitants une cotisation extraordinaire, mais d'imposer à quelques habitants déterminés ou même le plus souvent à un seul, la réparation d'un préjudice causé à la commune.

MpVµ. - Il y a une proposition qui consiste à renvoyer la question à la section centrale.

- Cette proposition est adoptée.

M T'Serstevensµ. - Je demanderai que la section centrale veuille bien faire le plus tôt possible son rapport sur les différentes questions qui viennent de lui être soumises. Ce projet de loi est déposé depuis plus d'un an, et les communes ont le plus grand intérêt à ne pas devoir supporter exclusivement tous les frais d'entretien de routes qui sont dégradées exceptionnellement par les industriels.

M. Lippensµ. - Je demande qu'à la section centrale soit aussi renvoyé un amendement consistant en ceci :

« Les 4 derniers paragraphes de l'article précédent sont applicables aux dégradations extraordinaires qui seraient occasionnées à un chemin appartenant à un polder ou à une wateringue. »

- La séance est levée à 4 1/2 heures.