Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 janvier 1866

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866

(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 187) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des habitants du Luxembourg réclament l'intervention de la Chambre pour contraindre la grande compagnie du Luxembourg à construire l'embranchement de Bastogne. »

M. Van Hoordeµ. - Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Van Hauwermeeren demande un congé illimité pour son fils Jean-Baptiste, milicien de la levée de 1862. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Hiraux, préposé des douanes pensionné et volontaire de 1830, demande qu'il lui soit tenu compte du bénéfice de la loi du 26 mai 1836 relative aux volontaires qui ont pris part aux combats de 1830. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Maeseyck demande la construction d'un chemin de fer direct de Maeseyck à Hasselt. »

« Même demande des administrations communales de Neeroeteren, Dilsen, Eelen, Opoeteren et Rothem. »

- Même renvoi.


« Le sieur Naegels, ancien militaire, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Evrard, commis négociant et milicien de 1862, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir l'autorisation de se faire remplacer. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vosté, ancien soldat blessé en 1830, demande une récompense. »

- Même renvoi.


«Lesietir Sablon, juge de paix du canton de Jodoigne, prie Ja Chambre de simplifier les mesures auxquelles sont soumises les demandes d'autorisation de bâtir le long d'une voie publique. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Vechmael déclare appuyer la pétition ayant pour objet la construction d'une route pavée qui mette la Hesbaye limbourgeoise en communication directe avec le marché de Tongres.

M. de Woelmontµ. - Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport. »

- Adopté.


« Le sieur Rottiers prie la Chambre d'annuler les délibérations du conseil communal de Caprycke des 12 janvier et 17 juin 1863, portant révocation de ses fonctions de secrétaire de cette commune, approbation de sa révocation en qualité de receveur du bureau de bienfaisance et nomination d'un nouveau secrétaire communal. »

« Même demande d'habitants de Caprycke. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal et des habitants de Givry demandent que le chemin de fer de Frameries à Chimai soit exécuté suivant le tracé qui fixe une station à Givry. »

- Même renvoi.


« Le sieur de Mat présente des observations sur la convention de poste additionnelle conclue avec la France le 25 décembre 1865 et demande que les épreuves et les copies manuscrites soient admises au même titre. »

- Même renvoi.


« Le sieur Paul de Sinçay fait connaître que la plainte contre la Société de la Vieille-Montagne comme détenant prétendument sans droit la concession de mines de calamine, a été signée par un grand nombre de personnes sans se rendre compte de son contenu. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lenaers fait hommage à la Chambre de 120 exemplaires de sa « Notice sur les warrants » ; il se plaint que la Banque Nationale refuse d'escompter le warrant et veut seulement l'admettre comme troisième signature d'effets de commerce créés pour une cause autre que celle qui a donné naissance au warrant. »

- Même renvoi,


« Le sieur de Valensart de Billehe propose de remplacer le droit sur le sel par un impôt sur les jeux de cartes. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Fontaine-l’Evêque prie la Chambre d'accorder au sieur Dequanter la concession d'un chemin de fer de St-Ghislain à Charleroi, avec embranchements vers Frameries, Mons, Gilly et Lambusart. »

« Même demande du conseil communal de Liernes. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Mol Meganck, boucher à Alost, se plaignant d'avoir reçu seulement les deux tiers de la valeur de ses bêtes abattues par mesuré préventive et de n'avoir obtenu aucune indemnité pour les herbages coupés des prairies où pâturaient ses bêtes suspectes, demande le complément de la valeur du bétail et une somme de 480 fr. pour herbages détruits. »

M. Van Wambekeµ. - Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« La députation permanente du conseil provincial de Namur demande qu'il soit apporté aux lois sur l'entretien des routes des modifications qui permettraient aux provinces d'affermer leurs barrières et d'adjuger l'entretien de leurs routes de la manière la plus conforme à leurs intérêts. »

M. Lelièvreµ. - Cette pétition ayant des rapports avec le projet de loi sur la suppression des barrières, suppression qui, selon moi, doit aussi concerner les routes provinciales, je demande que la requête soit renvoyée à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi présenté récemment.

- Adopté.


« Le sieur Henry, ouvrier mineur à Ransart, atteint d'une affection qui le met dans l'impossibilité de travailler, réclame l'intervention de la Chambre pour que la caisse des ouvriers mineurs établie à Charleroi lui continue le secours auquel il a droit. »

- Même renvoi.


(page 188) « Le sieur Destoop demande une diminution du droit de patente sur les moulins à vent. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie

M. de Kerchoveµ. - Je propose le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec demande d’un prompt rapport.

- Adopté.


« Les sieurs Hardy, Daubresse. et autres membres du comité de l'association houillère du couchant de Mons, appellent l'attention de la Chambre sur l'insuffisance du crédit demandé pour l'augmentation du matériel des chemins de fer. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant allocation d'un crédit de huit millions.


« Les sieurs Binard, Vermeulen, J. Peeters, candidats huissiers à Anvers, prient la Chambre d'augmenter le nombre des huissiers attachés au tribunal de cette ville. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l'organisation judiciaire.


« Le sieur P. C. Cholet, médecin vétérinaire à Molenbeek-Saint-Jean né à Deventer (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Adam-Adolphe Knops, rentier à Bruxelles, né à Aix-la Chapelle, demande la naturalisation ordinaire. »

- Même renvoi.


« La députation permanente du conseil provincial du Limbourg demande que le projet de loi sur l'organisation judiciaire porte institution de commissaire de police cantonaux chargés des fonctions de police judiciaire dans la circonscription de leurs cantons ; de la surveillance des gardes champêtres et des fonctions de ministère public près les tribunaux de simple police. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.


« Les sieurs Payns, Godaux et autres membres de l'Association libérale d'Enghien, prient la Chambre d'amender la proposition de loi relative à l'abaissement du cens électoral, de manière que les impôts provinciaux et communaux soient perçus en vertu d'une loi. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Par message du 21 décembre 1865, le Sénat informe la Chambre qu'il ne sera pas donné suite au projet de loi conférant la naturalisation ordinaire au sieur Charles-Adolphe Reuze, sergent au 2ème régiment de chasseurs à pied, attendu qu'en vertu de la loi du 21 juin 1865, cet individu a recouvré de plein droit sa qualité de Belge.

- Pris pour notification.


« Par 18 messages en date du 21 décembre 1865, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à autant de projets de loi de naturalisation ordinaire. »

- Pris pour notification.


« Par messages des 22 et 23 décembre 1865, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à plusieurs projets de loi. »

-|Pris pour notification.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, quatre demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Il est fait hommage à la Chambre par M. le ministre de l'intérieur :

« 1° De 120 exemplaires de l'Annuaire de l'observatoire royal de Bruxelles pour 1866.

« 2° D'un exemplaire du tome IV de l'inventaire des archives des chambres des comptes.

« 3° Par M., le recteur de l'Université de Liège, de 118 exemplaires du rapport fait à la séance de réouverture des cours.

« 4° Par MM. Keller et Cie, de 117 exemplaires d'une brochure renfermant des propositions adressées au conseil communal de Bruxelles pour des travaux relatifs à l'assainissement de la Senne.

« 5° Par M. Van Huffel, d'un exemplaire et de 125 feuilles volantes de son souvenir pieux.

« 6° Par M. Dubois Eugène, de son improvisation à l'occasion du Te Deum d'inauguration de S. M. Léopold II.

« 7° Par M Braun, d'un exemplaire de la revue pédagogique, intitulée l'Abeille.

- Dépôt à la bibliothèque, et distribution aux membres de la Chambre.


« M. Kervyn de Lettenhove fait hommage à la Chambre du tome premier de Cléomadès, poème d'Adenès II Roys, publié pour la commission de l'Académie, chargée de la mise an jour des anciens monuments de notre littérature nationale, par M. Van Hasselt, l'un de ses membres.

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Jamar, retenu par des devoirs de famille, demande un congé. »

- Accordé.


« M. le baron de Vrière, obligé de prolonger son séjour à Dresde, demande un congé. »

- Accordé.


« M. J. Jouret, retenu par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi allouant des crédits supplémentaires aux budgets de plusieurs ministères

Dépôt

MfFOµ présente :

1° Un projet de loi allouant au ministère de l'intérieur un crédit de 600,000 francs, pour frais de la participation des producteurs belges à l'Exposition universelle de Paris.

2° Un projet de loi allouant au ministère des finances : a. Un crédit de 6,000 francs pour le service de l'administration centrale ; b. un crédit de 14,000 francs pour remboursement d'une avance, faite à l'Etat.

3° Un projet de loi allouant an département des affaires étrangères un crédit de 665,000 francs pour construction d'un steamer, et pour travaux de réparation au steamer Belgique.

4° Un projet de loi allouant au ministère des finances, un crédit spécial de 75,000 francs, à litre d'avance, pour la caisse générale de retraite.

5° Un projet de loi allouant au département de la justice des crédits supplémentaires pour couvrir des dépenses se rapportant aux exercices 1865 et antérieurs.

6" Un projet de loi ayant pour objet de rendre disponible jusqu'à la fin de 1868 le crédit extraordinaire de 14 millions accordé par la loi de 1861 pour la transformation du matériel d'artillerie.

- Il est donné acte à M. le ministre des finances du dépôt de ces projets de loi.

Ils seront imprimés et distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi augmentant le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre :

I° Un projet de loi augmentant le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles ;

Projet de loi transférant la justice de paix du canton d’Ingelmunster

Dépôt

2° Un projet de loi transférant à Iseghem le canton de justice de paix d'Ingelmunster.

M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pour le premier projet, messieurs, je pense qu'il conviendrait de le renvoyer à la commission chargée de l'examen du projet de loi révisant l'organisation judiciaire.

- Il est donné acte à M. le minislre.de la justice du dépôt de ces projets de loi, et sa proposition quant au renvoi du premier est adoptée.

M. de Naeyerµ. - Je propose de renvoyer le second à une commission à nommer par le bureau.

- Cette proposition est adoptée.

Interpellation

M. Dumortier. - MM. les ministres viennent de déposer divers projets de loi. Je désire adresser une interpellation au gouvernement.

Un nouveau règne a commencé ; pourtant je n'ai point vu que MM. les ministres aient été soumis à réélection.

L'article 65 de la Constitution porte : « Le Roi nomme et révoque ses ministres. »

Ce ne. son, pas les ministres de la royauté, mais les ministres du Roi.

Nous avons vu que tous les ministres à l'étranger ont été pourvus de nouvelles lettres de créance, et je demande à MM. les ministres de vouloir nous exposer sur quelle théorie constitutionnelle on s'appuie pour prétendre que les ministres peuvent, dans des cas semblables, n'être pas soumis à réélection.

C'est une question constitutionnelle. J'espère qu'elle sera tranchée à la satisfaction de tout le monde par la réponse qui me sera faite.

MfFOµ. - La Chambre remarquera que l'honorable M. Dumortier s'est abstenu de. donner des développements à l'appui de la motion qu'il vient de faire. Il ne la justifie par aucune espèce d'argument. Je pense d'ailleurs qu'il lui eût été difficile de le faire. Si sa thèse était fondée, elle aurait assurément de bien autres conséquences que celles qu'il en a voulu déduire.

Je ne crois pas la Chambre disposée à ouvrir une discussion sur cet objet. Je me bornerai donc à dire qu'il est impossible d'interpréter le texte des dispositions constitutionnelles citées par l'honorable membre, dans le sens qu'il prétend leur attribuer. Les ministres sont les ministres de la royauté.

M. Dumortier. - Du Roi.

M. de Brouckere. - De la personne morale du Roi.

(page 189) MfFOµ. - C'est évident.

La couronne, qui nous avait investis de sa confiance, nous a continué cette confiance, et nous n'avons pas cru un seul instant que nous pussions être, de ce chef, soumis à réélection.

Mais, dit l'honorable membre, nos agents diplomatiques à l'étranger ont remis de nouvelles lettres de créance aux souverains près desquels ils sont accrédités ; et de ce fait il conclut que, par analogie, les ministres devaient recevoir un nouveau mandat, et dès lors se représenter devant leurs électeurs.

Messieurs, l'exemple choisi par l'honorable membre n'a rien de concluant. La remise de nouvelles lettres de créance est une simple formalité, consacrée par l'usage de la diplomatie, et qui n'a rien de commun avec la question constitutionnelle soulevée par l'honorable M. Dumortier. (Interruption.)

Ces nouvelles lettres de créance sont présentées au nom du nouveau souverain. Il n'y a là qu'un acte de courtoisie et de convenance, qui ne prouve pas assurément que les ministres qui étaient investis de la confiance d'un souverain défunt sont soumis à réélection, lorsque le successeur de ce souverain juge à propos de les honorer également de sa confiance et de les maintenir dans leurs fonctions.

J'ajouterai que, pour obéir à un sentiment de délicatesse, nous avons offert nos démissions à Sa Majesté. Elles n'ont pas été acceptées.

Je présume, messieurs, que l'honorable membre n'insistera pas sur sa motion, et que les explications que je viens de donner sur cet objet paraîtront satisfaisantes à la Chambre.

M. Dumortier. - L'honorable ministre des finances donne à l'article 65 de la Constitution une portée que je ne puis pas admettre. Les ministres ne sont pas ministres de la royauté, mais de la personne du Roi ; et le jour où le Roi expire, ils cessent d'être ministres, si bien qu'ils deviennent alors une espèce de gouvernement provisoire.

Dans mon appréciation, il ne suffit pas que les ministres offrent leur démission ; leur démission est donnée de plein droit, comme la démission des ministres plénipotentiaires est également de plein droit par le fait de la mort du Roi.

J'ai tenu à faire cette observation pour montrer à la Chambre que je ne partage pas l'opinion de l'organe officieux du gouvernement, qui disait, il y a peu de jours, que le parti dont il était l'organe maintenait la Constitution et qu'il corrige dans la pratique ce qui ne lui convient pas.

Quand il s'agit de points constitutionnels, j'ai toujours cru qu'il était du devoir des vieux membres du parlement de demander si la Constitution est bien respectée. Nous sommes d'opinion différente M. le ministre des finances et moi ; l'honorable ministre conserve son opinion, il me permettra de garder la mienne.

M. de Brouckere. - Je crois qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la motion de l'honorable M. Dumortier. Il est d'usage, à l'avènement d'un nouveau roi, que les ministres offrent leur démission, parce que ce sont de tous les fonctionnaires ceux qui sont le plus en rapport direct avec la royauté, ceux qui ont le plus besoin d'être investis d'une confiance particulière. Mais ce n'est là qu'une affaire de convenance. Si le Roi n'accepte pas l'offre qui est faite par les ministres de leur démission, ceux-ci ne reçoivent pas de nomination nouvelle, ils conservent les fonctions dont ils avaient été investis par le Roi défunt, de manière qu'il n'y a pas lieu à réélection.

Si les ministres avaient besoin d'une nomination nouvelle parce qu'un nouveau roi est monté sur le trône, il devrait en être de même de tous les fonctionnaires nommés par le Roi ; tous devraient, au même titre, recevoir une nomination nouvelle. Or, il n'en est rien. Les fonctionnaires sont nommés par la royauté, ils conservent leurs fonctions, bien que le Roi qui a signé leur nomination ail cessé de vivre. Remarquez d'ailleurs messieurs, qu'il n'y a pas de serment nouveau à prêter et que tout se continue comme si le Roi défunt était encore sur le trône.

- L'incident est clos.

Motion d'ordre

M. Rodenbach. - L'importante soustraction de lettres contenant des valeurs, commise il y a quinze jours à Charleroi, m'engage à demander à M. le ministre des travaux publics, s'il n'a pas l'intention de soumettre à la Chambre un projet de loi pour modifier la législation actuelle. D'après cette législation, toute personne qui expédie par voie de la poste une missive renfermant des valeurs se trouve dans l'alternative de payer la prime importante de 1 p. c. si elle désire être assurée contre toute éventualité de perte, ou si elle ne veut pas payer 1 p, c., à être exposée à ce que sa lettre soit égarée ou soustraite. Dans ce cas une indemnité fixe de 50 fr. seulement lui est allouée quelle que soit l'importante des valeurs perdues. En modifiant la loi, on devrait mieux sauvegarder l'intérêt des particuliers et ne pas exiger la taxe exorbitante de 1 p. c. tandis que les messageries Van Gend et autres le font pour l par mille et supportent toute la responsabilité de l'envoi.

Souhaitons qu'une prompte solution intervienne ; les intérêts du public et ceux de l'administration y sont engagés.

MtpVSµ. - Je déplore vivement le fait que vient de rappeler l'honorable M. Rodenbach ; mais, je dois le dire, c'est la loi elle-même qui limite à cinquante francs la responsabilité de l'administration et il n'est, par conséquent, pas au pouvoir du gouvernement d'aller au delà.

M. Rodenbach. - C'est ce que j'ai déjà dit ; mais c'est précisément ce que je critique.

MtpVSµ. - L'honorable membre demande qu'on modifie cet état de choses et il invoque l'exemple de la maison Van Gend qui, dit-il, transporte les valeurs sous sa responsabilité au prix de un pour mille. Cela est vrai, messieurs, mais ce qui l'est également, c'est que le chemin de fer de l'Etal transporte les valeurs pour un quart de franc pour mille.

Je suis, messieurs, plus que contrarié du vol qui a été commis. A l'heure qu'il est on ne sait pas encore si ce vol a été commis par un agent de notre administration, ou par un agent de la Compagnie du Nord, ou par un individu étranger à l'une et à l'autre administration. Je puis dire seulement, en passant, qu'une arrestation vient d'être opérée. L'individu arrêté est-il le coupable ? C'est ce que la justice nous dira plus tard. Mais je ferai remarquer cependant que si les expéditeurs qui ont été dépouillés d'une façon si déplorable avaient voulu faire une dépense d'une douzaine de francs en s'adressant au chemin de fer, ils eussent opéré leur envoi de fonds avec une parfaite sécurité, sans courir aucun risque. Je le répète, moyennant la modique somme de vingt-cinq centimes, le chemin de fer accepte et transporte sous sa responsabilité d'un bout du pays à l'autre un sac de mille francs. Certainement, messieurs, ce n'est point là une taxe exorbitante.

Il y a une autre manière d'opérer le transport des valeurs : c'est le transport par la poste, et, sous ce rapport, notre législation laisse, en effet, à désirer.

M. Rodenbach. - C'est de la poste que j'ai parlé.

MtpVSµ. - Oui, mais il est cependant bon de faire remarquer qu'on n'est pas obligé de recourir à la poste et qu'on peut faire le transport de valeurs par une autre voie.

M. Moncheurµ. - Le chemin de fer ne va pas partout.

MtpVSµ. - C'est pour cela que je dis qu'à côté du mode de transport des valeurs par le chemin de fer il y a la faculté d'opérer ces envois par la poste. Mais, dans le cas présent, il s'agissait d'envois vers des localités desservies par le chemin de fer.

J'en reviens à la poste, et j'ai l'honneur de faire connaître à la Chambre que, dans le cours de la session, le gouvernement lui soumettra un projet de loi, introduisant en Belgique, avec certaines modifications, avec certaines améliorations, je l'espère, le régime français, en ce qui concerne le transport des valeurs déclarées.

C'est une mesure assez importante, et si elle n'a pas été soumise à la sanction des Chambres depuis longtemps, c'est par la raison que le principe de la loi me paraissait fort douteux ; nous parlerons de cela ultérieurement ; en théorie, on trouve que la mesure laisse place à beaucoup d'objections ; mais il est certain que les faits, loin de la condamner en France, ont prouvé qu'elle résistait aux critiques dont elle était susceptible.

En résumé, je pense qu'après l'expérience faite en France pendant une période de plusieurs années, nous pouvons désormais introduire ce système en Belgique, moyennant quelques améliorations. Je le répète, j'aurai l'honneur de faire, dans le courant de la session, une proposition à la Chambre dans ce sens.

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai pas cité le chemin de fer, j'ai parlé de la poste. J'étais dans le vrai quand j'ai dit que les transports de l'argent se payent sur le pied d'un pour mille au bureau de la compagnie Van Gend et d'un pour cent, quand ces transports sont effectués par le gouvernement. J'ai donc eu raison de faire ma motion d'ordre, et d'autant plus, que M. le ministre des travaux publics vient de déclarer lui-même qu'en France on a agi autrement qu'en Belgique, qu'on a introduit des modifications dans cette partie du service public. A mon (page 190) avis, nous ne devons pas rester en arrière, quand il s'agit d'un progrès a accomplir ; nous ne sommes certes pas en avant, en ce qui concerne les transports de correspondances. On nous promet une loi nouvelle. Je la voterai avec le plus grand empressement, si, comme je l'espère, elle est satisfaisante, si elle réalise dans le service de la poste les améliorations que j'ai réclamés depuis un grand nombre d'années.

- L'incident est clos.

Projet de loi ouvrant des crédits spéciaux et complémentaires au budget du ministère des travaux publics, pour l’amélioration du matériel ferroviaire

Discussion générale

MpVµ. - La discussion générale est ouverte.

M. Moncheurµ. - La pénurie du matériel du chemin de fer de l'Etat est un fait déplorable pour l'industrie et le commerce.

Je voterai donc avec empressement le crédit de 8,000,000 demandé pour l'augmentation de ce matériel ; mais je ferai plus, car je ne puis m'empêcher de reprocher au gouvernement de rester encore ainsi en dessous des besoins réels et bien constatés par lui-même de l'exploitation du railway national.

En effet, il est de la dernière évidence et avoué par le ministre des travaux publics lui-même, que la nécessité du service exigerait, quant au matériel, une dépense double de celle qu'il nous propose aujourd'hui. Donc, il reste à moitié chemin de la tâche qu'il devrait remplir, dans l'intérêt public comme dans l'intérêt du chemin de fer et du trésor.

Rien ne peut justifier, selon moi, une pareille attitude.

C'est en vain que le gouvernement croit couvrir sa responsabilité en proclamant lui-même bien haut, ainsi que l'a fait dernièrement M. le ministre des travaux publics dans une autre enceinte, que, pour satisfaire aux. besoins actuellement constatés, il faudrait le double de la somme qu'il demande, et que si le gouvernement ne propose pas un plus fort crédit à la législature, c'est, je me sers de ses expressions, c'est parce qu'il n'y a pas plus que cela en caisse et parce que le ministre des finances ne peut positivement fournir davantage ; ce sont là, dis-je, les termes dont s'est servi, au Sénat, M. le ministre des travaux publics, qui a déclaré faire cette remarque pour que l'administration ne fût pas accusée plus tard d'imprévoyance.

Mais, messieurs, je n'admets pas cette manière de raisonner de la part d'un gouvernement.

Proclamer qu'on voit clairement le bien qui devrait se faire et que l'on connaît le devoir qu'on a à remplir, mais qu'on ne peut pas faire ce bien et remplir ce devoir, parce qu'il n'y a plus rien dans la caisse, c'est là faire un aveu d'impuissance financière, que le pays ne peut accepter.

Messieurs, voici le langage du gouvernement réduit aux termes les plus simples : Je me suis constitué le plus grand voiturier et le plus grand messagiste du pays, mais il m'arrive deux malheurs, le premier, c'est que je n'ai pas à beaucoup près assez de voitures pour faire convenablement ce métier et pourvoir aux besoins de l'industrie et du commerce, et le second, c'est que je n'ai pas d'argent dans ma caisse pour en acheter davantage.

Or, je ne sais pas, messieurs, si la dignité et les intérêts matériels du pays s'accommoderont de cette attitude du gouvernement. La caisse de l'Etat est vide, dites-vous, mais son crédit n'est certes pas perdu, et un intérêt général très grave, très urgent, très évident, ne peut être laissé en souffrance pour quelques millions de francs, qu'un pays comme la Belgique peut se procurer quand elle veut et aux meilleures conditions.

La responsabilité du gouvernement est donc très engagée dans cette circonstance.

Elle est d'autant plus engagée qu'il voit plus clairement lui-même que les besoins du pays ne seront pas satisfaits au moyen du projet de loi qu'il propose.

Quoiqu'il en soit, nous devons nous placer dans l'hypothèse très fâcheuse, prévue et prédite par M. le ministre des travaux publics, à savoir que, l'an prochain encore, il y aura pénurie ou tout au moins insuffisance de waggons ; or, envisageant cette position malheureuse pour l'industrie et pour le public en général, je dis qu'il faut nécessairement que le gouvernement modifie le système qu'il applique actuellement pour la distribution et la répartition des waggons, en nombre insuffisant, dont il peut disposer.

Le système des abonnements, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, est injuste et favorise outre mesure les grands établissements, aux dépens du public et des établissements de moyenne importance.

Voici, en réalité, comment les choses se passent :

Pendant tous les mois d'été, il y a toujours assez de waggons et très souvent il y en a trop.

Alors les grands établissements cessent leur abonnement, soit entièrement, soit en grande partie.

Mais, lorsque vient l'hiver et avec lui la vente des charbons, les mêmes établissements s'emparent d'une énorme quantité de waggons au moyen des abonnements.

Il en résulte un quasi-monopole du matériel du chemin de fer en leur faveur.

Or, ce monopole temporaire amène des résultats très fâcheux et très injustes.

Il prive alors le petit commerce, la petite industrie et les particuliers de tout moyen de se servir du chemin de fer.

Le pays en fait la triste expérience, surtout depuis une couple de mois.

Je suppose, par exemple, deux établissements voisins : l'un qui, par sa production ou par sa consommation, peut alimenter tous les jours, pendant l'hiver, un jeu de 5, de 10, de 15 waggons ; l'autre, qui a besoin chaque jour d'un poids de 3,000 ou 4,000 kilogrammes de charbon ou de matières premières, mais pas davantage, c'est-à-dire pas assez pour pouvoir prendre un abonnement dont le minimum est d'un waggon par jour ; le premier s'emparera par l'abonnement de 5, de 10 ou de 15 waggons par jour, tandis que le second ne pourra pas même en obtenir un seul par semaine ; si ce dernier n'a pas eu la prudence de faire des approvisionnements, ou bien s'il ne possède pas le capital et l'emplacement nécessaire à cet effet, son industrie sera arrêtée, tandis que son grand concurrent, non seulement recevra des waggons à volonté, mais jouira même d'une prime de 23 centimes par tonne, sous forme de réduction de péage.

Ainsi, messieurs, alors qu'une foule de particuliers, d'industriels, d'agriculteurs, de petits marchands de charbon donneraient très volontiers 50 centimes de prime à l'Etat pour avoir à leur disposition quelques waggons, les autres en obtiennent à volonté par l'effet de l'abonnement et jouissent même en sus d'une prime.

Je soutiens que le système d'abonnement ne peut être juste qu'à deux conditions.

La première, c'est qu'en dehors des waggons donnés en abonnement, il en reste encore un nombre suffisant pour en faire une équitable répartition entre ceux qui, pour une foule de raisons, ne peuvent point s'abonner.

La seconde condition, c'est que l'abonnement embrasse une année entière, c'est-à-dire la morte saison comme la saison d'hiver.

La compagnie du Nord n'accepte que des abonnements annuels, et elle, a en cela parfaitement raison.

D'ailleurs, la force des choses amènera le commerce à équilibrer un peu mieux les transports entre la saison d'été et la saison d'hiver, ce qui rendra les abonnements annuels d'autant plus faciles.

La leçon de cette année aura été rude à cet égard et pourra servir à amener ce résultat. Toutefois, l'équilibre sera toujours loin d'être parfait entre les deux saisons.

J'engage donc le gouvernement à ne plus concéder des abonnements que pour un an au moins et non .point des abonnements mensuels.

Aujourd'hui il y a, d'après les règlements en vigueur, deux sortes d'abonnements, l'abonnement de six mois avec réduction de 25 centimes par tonne, et l'abonnement d'un mois à six mois sans réduction ; mais comme il suffît de prendre un abonnement d'un waggon pour six mois pour avoir ensuite la faculté de demander, pendant ce terme, et avant le 1er de chaque mois, des waggons supplémentaires, il en résulte qu'en fait tous les abonnements, même ceux avec réduction, sont à peu près mensuels, de sorte que les grands établissements absorbent le plus grand nombre de waggons, précisément pendant les mois où le besoin s'en fait le plus vivement sentir pour la généralité du pays,

Messieurs, je sais fort bien ce que dira M. le ministre des travaux publics pour justifier le système actuel d'abonnement ; il dira que la somme totale des transports est plus considérable par ce système que s'il n'existait pas ; en d'autres termes, que l'utilisation du matériel du chemin de fer est plus grande par l'abonnement que par l'absence d'abonnement, et cela à cause de la régularité et de la promptitude des transports.

Eh bien, j'admets, mais sous bénéfice d'inventaire toutefois, car dans le système pratiqué, tous les jeux de waggons reviennent à vide au lieu de départ, j'admets, dis-je, que la somme totale des transports soit plus grande au moyen des abonnements qu'elle ne serait sans abonnements, mais il faut bien remarquer une chose, c'est que cette somme plus grande de transports, cette utilisation plus complète du matériel s'effectue au profit des abonnés et à l'exclusion, c'est-à-dire au détriment de ceux qui ne peuvent pas être abonnés. Or, c'est précisément là ce qui constitue l'injustice que je signale.

(page 191) Cela est clair comme le jour.

L'honorable ministre des travaux publics a dit, dans une autre enceinte, que les plaintes les plus vives existent dans le Hainaut, là où pourtant les abonnements sont surtout accordés ; les plaintes les plus vives s'y produisent, a-t-il dit, parce que les abonnements sont loin de couvrir les besoins.

Eh bien, messieurs, qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve une fois de plus l'extrême insuffisance du matériel, car, si ceux-là mêmes qui, jouissant de la possibilité, sinon du privilège, de l'abonnement, absorbent ainsi la plus grande partie du matériel, se plaignent encore vivement de ce que leurs besoins ne sont pas satisfaits, que devient la généralité du pays qui ne peut s'abonner ?...

En somme donc, messieurs, je dis que si un bon système d'abonnement est utile et même nécessaire, comme je le pense, parce qu'il est plusieurs genres d'industries, comme les hauts fourneaux, les verreries, etc., qui doivent être assurés d'une alimentation régulière et exacte, d'un autre côté les deux conditions essentielles de l'abonnement ce sont : 1° d'être annuel et 2° de n'absorber qu'une portion relativement assez faible du total du matériel disponible.

Messieurs, avant de terminer, je dirai deux mots d'un autre point, c'est de la nécessité que le gouvernement s'assure, par une inspection efficace, de l'état des voies et du matériel des compagnies concessionnaires et qu'il en rende même compte à la législature.

Ainsi, pour ne parler que de la compagnie du Luxembourg, il est certain qu'elle laisse énormément à désirer sur ces points.

Là non seulement les waggons de transport manquent ainsi que le matériel de traction, mais l'entretien de la voie ne peut se faire convenablement, parce qu'elle est unique et parcourue sans cesse par des trains remplis d'objets très pondéreux.

Les choses en sont venues à ce point qu'on peut avoir des craintes sérieuses, paraît-il, sur la possibilité de continuer, sans une interruption plus ou moins longue, l'exploitation de cette ligne.

Plus de trois cents waggons chargés pour le Luxembourg ou la Moselle encombraient ces jours derniers la station de Namur et ne pouvaient être transportés vers leur destination à défaut de remorqueurs.

Je ferai remarquer en passant que la station de Namur, qui n'est qu'à peine achevée, est déjà trop petite pour les marchandises sans un pareil surcroît d'encombrement.

La plupart des remorqueurs du Luxembourg doivent être surmenés, car comme le feu ne cesse point d'être entretenu dans leurs flancs, il est impossible qu'ils résistent longtemps à un travail continu et forcé. Aussi les retards de plusieurs heures dans l'arrivée des trains forment-ils la règle générale, et l'exactitude est la très grande exception, ce qui jette la perturbation dans tous les services, notamment dans celui de la poste.

Les déraillements sont fréquentes sur cette voie, et comment ne le seraient-ils pas sur une voie unique, et qui, outre qu'elle a été mal construite dès le principe, est fatiguée à l'excès par des trains qui l'usent et l'ébranlent dans les deux sens ?

On a, en effet, remarqué qu'à égalité de tonnage transporté sur une voie quelconque, l'usure de celle-ci est beaucoup plus forte et plus rapide lorsqu'il y a un va-et-vient des trains, que lorsque les transports s'opèrent toujours dans le même sens, ce qui arrive nécessairement quand il existe deux voies.

Ajoutez à cela que la voie du chemin de fer du Luxembourg est, comme on l'a dit, une sorte d'escalier sans paliers, présentant une succession de pentes et de rampes si rapides que les machines les plus fortes doivent s'y éreinter bientôt ou n'y traîner qu'un nombre de waggons moindre que sur toute autre ligne, où les pentes ont été mieux ménagées.

Il y a beaucoup de choses irrémédiables dans ce chemin de fer, mais il y en a beaucoup aussi que l'on peut corriger et améliorer. Ainsi la double voie doit être construite dans le plus bref délai possible sur toute la ligue, et celle-ci doit être pourvue d'un matériel suffisant.

Il m'est avis et c'est sans doute aussi le vôtre, messieurs, que la compagnie du Luxembourg doit achever sa ligne et en rendre l'exploitation régulière avant de distribuer des dividendes à ses actionnaires. C'est d'ailleurs là son intérêt très évident.

Je me résume, messieurs, et je dis d'abord qu'outre le crédit que nous allons voter le gouvernement ne doit pas tarder à en demander un autre qui soit suffisant pour que le railway de l'Etat non seulement rapporte au trésor public tout ce qu'il peut rapporter, mais surtout satisfasse les besoins de l'industrie et du commerce ; ensuite que l'administration du chemin de fer doit modifier son système d'abonnement de manière à ne pas laisser absorber par les abonnés une portion trop forte du matériel ; enfin que le gouvernement doit organiser une inspection réelle et efficace des chemins de fer concédés, afin que le pays et la législature soient éclairés sur l'état de leurs voies, de leur matériel et des autres conditions de leur existence et de leur mode d'exploitation.

M. Couvreurµ. - Messieurs, toutes les propositions que le gouvernement a soumises aux Chambres depuis deux ans pour augmenter le matériel du chemin de fer ont été votées avec grand empressement par la législature, quoique ces demandes se suivissent de très près.

Quatre millions ont été accordés au mois d'août 1864, et deux millions au mois de décembre de la même année, dont un million pour le renouvellement. Déjà alors on prévoyait l'insuffisance des nouveaux moyens de transport mis à la disposition de l'administration des chemins de fer. En effet, une année s'est à peine écoulée depuis ces votes, et nous sommes dans une pénurie telle, que des plaintes s'élèvent de toutes parts et que la section centrale elle-même, allant au-devant des besoins de l'industrie, déclare que les huit millions sur lesquels nous avons à décider ne sont pas suffisants : elle invite le gouvernement à faire de nouvelles propositions aussitôt que la nécessité en sera constatée.

Je crois, quant à moi, que ce moment est arrivé, et je regrette vivement que nous n'ayons pas doublé, il y a dix-huit mois, les sommes qui nous étaient demandées alors. Si cette mesure avait été prise, nous ne nous serions pas trouvés en présence de la pénurie très grande qui s'est révélée cet été. Nous aurions pu satisfaire aux exigences du travail national, d'une part ; d'autre part, ménager notre matériel qui se détériore trop rapidement par les services exceptionnels qu'on est obligé de lui demander.

Le département des travaux publics est entré depuis quelques années, et je l'en félicite, dans une voie d'abaissement de tarifs qui a produit les meilleurs fruits. Mais si l'on veut que ces réformes continuent à profiter et à nos recettes et aux diverses branches de l'activité du pays, si l'on veut, en continuer l'application, il faut, de toute nécessité, que le défaut de matériel ne nous fasse pas repousser les transports qu'amène la modération des tarifs combinée avec l'expansion normale de la prospérité publique. Cela est élémentaire. Si grande qu'ait été dans le passé l'augmentation de circulation sur nos chemins de fer, je crois que cette augmentation sera bien plus considérable encore par la suite.

Si vous mettez à côté des réductions de tarifs, l'accroissement constant de la fortune publique, l'augmentation de la population, la paix qui règne au dehors, vous arrivez nécessairement, forcément, à un accroissement très considérable de la circulation.

Si, pour faire face à cet accroissement de circulation, si facile à prévoir, vous ne pourvoyez pas, dans une juste mesure, à l'accroissement du matériel, il en résulte, d'abord, que vous rendez vos réformes stériles, que vous mettez le trésor en perte par ces réformes elles-mêmes, et cela, par la très bonne raison que l'abaissement du fret le constitue en perte, alors qu'il n'y a pas moyen de le dédommager par une augmentation de. circulation. Enfin, en dernier lieu, le commerce et l'industrie souffrent, parce qu'ils n'ont pas de moyens de transport suffisants.

Ils en cherchent d'autres, et s'ils n'en trouvent pas, les capitaux qui les fécondaient vont chercher, ailleurs, des sources de bénéfices moins lucratives et souvent moins morales.

Je le répète, le temps d'augmenter le matériel du chemin de fer plus que ne le comportent les propositions du gouvernement me paraît venu, quoi qu'en pense la section centrale. Avant que le matériel compris dans le crédit des 8 millions demandés aujourd'hui, soit construit, l'augmentation des voyageurs et des marchandises sera telle que la proportion entre le nouveau matériel et la circulation sera rompue de nouveau.

Quelques chiffres pris en partie dans les derniers comptes rendus des opérations du chemin de fer, en partie dans l'exposé des motifs présenté au mois d'août 1864, suffiront, j'espère, à prouver mon assertion que l'administration du chemin de fer du Nord a transporté, en 1863, 9,520,000 voyageurs, et 4,932,700 tonnes de marchandises.

Elle avait, pour faire face à cette circulation, un matériel de 12,881 waggons et 531 locomotives en bon état. Je prends ces données dans l'exposé des motifs de la loi du 14 septembre 1864.

A la même époque, les chemins de fer de l'Etat, en Belgique, avaient transporté 8,820,000 voyageurs, et 4,478,600 tonnes de marchandises, et l'administration ne disposait que de 7,422 waggons, plus 1,200 voitures, soit un total de 8,509 waggons de toute nature et 215 locomotives en bon état ; soit une différence, entre les chemins belges et le Nord, pour une circulation à peu près équivalente, de 4,300 waggons et de 316 locomotives.

(page 192) Cependant, la proportion des voyageurs et des marchandises transportés va toujours croissant.

En 1864, nous transportons 9,421,000 voyageurs et 4,478,000 tonnes ; 1865, 10,639,000 voyageurs et 5,256,000 tonnes. Nous transporterons probablement en 1866 : 11,284,000 voyageurs et 6,133,000 tonnes de marchandises.

J'ai calculé les chiffres de 1865 sur les résultats connus des neuf premiers mois de l'année, ceux de 1866 sur la moyenne d'augmentation des cinq dernières années ajoutée au total de 1865.

Dans ces calculs, je ne tiens aucun compte des abaissements de tarifs que le gouvernement pourrait préparer et faire voter par les Chambres dans les premiers mois de l'année courante.

Si je compare, maintenant, ces accroissements de voyageurs et de marchandises sur les chemins de fer belges et les waggons ou locomotives dont nous disposons avec les waggons et locomotives dont disposait en 1863 la compagnie du Nord, je trouve que nous avions, en 1863, 8,309 waggons ; en 1864, 8,800 ; nous en aurons en 1865, 10,413 et en 1866, avec les crédits maintenant sollicités, 12,013.

Or, en comparant ces données avec la circulation et le matériel du chemin de fer du Nord, on constate qu'au lieu de 8,800 waggons que nous avions en 1864, nous aurions dû en avoir 13,726 ; 14,872 en 1865 et 16,015 en 1866 ; c'est à-dire que l'écart qui existait déjà, en 1863, entre le matériel des deux exploitations et qui s'élevait alors à 4,000 waggons, est resté le même pendant les trois dernières années et qu'il sera encore tout aussi considérable en 1866, avec les crédits proposés.

Or, personne ne dira que la compagnie du Nord est mal administrée, qu'elle dépense son argent à acheter du matériel dont elle ne saurait que faire, pour l'unique plaisir de le garder sous clef dans ses hangars.

La même comparaison peut être faite pour les locomotives. La compagnie du Nord avait, en 1863, 531 locomotives ; nous en avions, nous, successivement, 215, 220, 245 et 285, pour les années 1863, 1864,1865 et 1866, sans décompter celles qui devront être démolies dans le cours de l'exercice courant. (Interruption.)

Vous avez, vous-même, dans l'exposé des motifs de 1864, établi cette comparaison, et je suis en droit, me semble-t-il, de prendre pour base de mes calculs l'exemple que vous avez choisi vous-même.

Je fais remarquer encore que, dans tous ces calculs, je n'ai pas tenu compte de l'accroissement du nombre des voyageurs et des marchandises qui pourrait résulter d'un nouvel abaissement des tarifs. Je n'ai pas, non plus, porté en compte l'accroissement de circulation qui pourrait résulter d'une situation politique et économique meilleure en Europe. Et cependant, cette situation s'est considérablement amendée : la guerre d'Amérique est terminée, et tout nous présage une nouvelle ère de paix et de prospérité.

Je le répète et ne saurais assez insister : malgré les augmentations qui ont été votées, l'Etat n'a jamais eu, durant ces dernières années, un matériel suffisant. Il a dû suppléer à son insuffisance en fatiguant outre mesure celui qu'il possède, ce qui est une cause de détérioration plus rapide et d'insécurité pour les transports ; enfin, l'augmentation que nous allons voter ne sera pas encore suffisante pour assimiler notre exploitation à celle d'un réseau voisin.

Il est à regretter que dans les deux années que nous venons de traverser, l'augmentation n'ait pas été déjà effectuée.

Pendant ce laps de temps, il y a eu stagnation dans les fabriques de matériels de chemins de fer ; nos industriels ne travaillaient presque plus pour l'étranger ; ils ont soumissionné à des prix très bas, quelques fabriques ont travaillé à perte, d'autres à prix coûtant, ou moyennant de très faibles bénéfices, uniquement en vue d'entretenir leurs ateliers.

Aujourd'hui, cette situation touche à sa fin. Les commandes de l'étranger se relèvent ; les prix aussi. Telle locomotive que l'Etat a payée, il y a un an, 50 mille francs, lui en coûtera 60 mille aujourd'hui.

Dans six mois, il payera plus cher encore.

Si vous aviez mis à profit les bas prix pour mettre votre matériel en rapport avec les besoins de votre circulation, vous auriez eu ce triple avantage de dépenser moins, d'assurer aux usines du travail, alors qu'elles en avaient besoin, et enfin de pouvoir tirer parti du matériel qui vous a fait défaut, à votre très grand bénéfice et au bénéfice plus grand encore du pays.

On me dira peut-être qu'en forçant aujourd'hui le chiffre de ses commandes, le gouvernement risque de provoquer une hausse. C'est possible ; mais il pourrait contrebalancer cette tendance, dans une certaine mesure, en stipulant un délai plus long pour la fourniture et en élargissant les conditions du cahier des charges. En outre, les travaux seraient exécutés avec plus de soin. Les constructeurs pourraient s'y mieux préparer, rechercher des bois secs, en faire sécher après le débitage aux dimensions requises. Ce sont des questions importantes en matière de fabrication.

A ce propos, je voudrais faire, en passant, une observation. Le matériel des chemins de fer de l'Etat me fait l'effet de se détériorer rapidement. Chaque année on est obligé d'abattre un nombre assez considérable de waggons.

MtpVSµ. - Ce sont des waggons qui datent d'il y a vingt ans.

M. Couvreurµ. - Soit, je veux bien admettre que vos waggons ont un âge respectable ; mais il y a d'autres causes de détérioration. Il n'est personne qui n'ait vu, dans nos stations, de très belles voilures exposées, en été, au soleil qui les grille et fait jouer les bois ; en hiver, à la pluie et à la neige qui les détrempe. Que diriez-vous d'un bourgeois qui, après avoir commandé une superbe calèche, la laisserait sans abri dans sa cour ?

Voilà, cependant, ce que fait l'administration avec ses voitures. Des crédits pour la construction de remises et de hangars seraient, ce me semble, une très utile dépense.

Je disais tantôt que si l'administration redoute une hausse des prix, elle pourrait atténuer, cet effet, en améliorant les cahiers des charges. Je trouve très légitime qu'elle soit sévère dans le maniement des fonds de l'Etat et dans la réception des fournitures ; mais il ne faut pas être plus rigoureux que ne le sont les compagnies privées. Ainsi, les compagnies privées, lorsqu'elles commandent des locomotives, payent, d'ordinaire, une partie au moment de l'ordre, une autre partie lorsque les pièces les plus importantes sont assemblées, et enfin, la dernière partie, après la réception. L'Etat, au contraire, ne paye qu'à la livraison, sans compter mille petites causes accidentelles de retard. De plus, il exige un cautionnement.

Cela augmente nécessairement les frais qui incombent au constructeur. S'il n'a pas de capitaux à lui, il doit payer de gros intérêts pour augmenter son fonds de roulement. Les petits fabricants, alors, perdent sur les prix, se retirent des adjudications et laissent le champ libre à la coalition des grandes maisons. En modifiant les termes de payement, en les échelonnant pendant que le travail s'achève, on ramènerait les constructeurs et on raviverait la concurrence. De plus grandes facilités abaisseraient les prix. C'est un point que je recommande spécialement à l'examen de M. le ministre.

Si le gouvernement croit que je me trompe, s'il ne juge pas utile une augmentation immédiate du matériel du chemin de fer, ou s'il ne croit pas pouvoir demander à la législature les crédits nécessaires pour répondre à de pressants besoins, alors il faut qu'il accepte la seconde partie des conclusions du rapport de la section centrale ; il faut qu'il laisse aux particuliers le droit de construire et de louer les locomotives, les waggons, les voitures que la circulation sur les chemins ferrés pourrait réclamer.

Ce système, auquel je donnerais, quant à moi, la préférence, parce qu'il est plus conforme aux lois de l'économie politique, ce système fonctionne très bien sur quelques lignes d'Allemagne, entre autres, sur le chemin de fer de Cologne à Minden. Je pourrais citer telle grande exploitation de charbonnages qui possède 200 ou 300 waggons, lesquels courent soit à son compte, soit au compte d'autrui, et qui lui rapportent de très beaux intérêts pour les capitaux engagés, en même temps qu'ils assurent au chemin de fer des recettes considérables.

On est entré dans ce système, en Westphalie, parce que, très souvent, les transports de charbon sur le Rhin et la Ruhr étaient entravés ou par les gelées ou par le manque d'eau.

La production s'accroissant dans de plus fortes proportions que les moyens de transport, la compagnie de Cologne à Minden, au lieu de construire elle-même, a loué des waggons à des particuliers. Le système fonctionne très bien. Il a facilité des abaissements de tarifs jusqu'à concurrence d'un pfennig par mille allemand, et c'est grâce à lui qu'aujourd'hui les charbons de la Westphalie ont pu chasser les charbons anglais des marchés de la Hollande et de l'Allemagne septentrionale : Brème, Hambourg et Berlin.

Ce qui s'est fait en Allemagne doit pouvoir se faire en Belgique.

Je termine par une dernière considération.

Si les chemins de fer belges étaient une entreprise privée, sans contrôle aucun, même sans celui de l'Etat, cette entreprise pourrait, à la rigueur, méconnaître ses véritables intérêts : elle pourrait laisser en détresse l'industrie et le commerce, elle pourrait favoriser momentanément (page 193) ses actionnaires, en leur payant de beaux dividendes, au lieu d'accroître ses instruments de production, sauf à tuer la poule aux œufs d'or ; mais le chemin de fer de l'Etat ne peut agir ainsi. Les chemins de fer de l'Etat ne sont pas une entreprise privée ; ils ne sont pas une exploitation commerciale : c'est un service public.

Cela résulte de la loi qui les a créés, cela résulte d'un arrêt de la cour de cassation rendu sur les conclusions conformes de M. le procureur général Leclercq ; cela résulte enfin d'une loi votée dans cette enceinte, sur un rapport très explicite à cet égard de l'honorable M. Orts, et qui a déféré aux tribunaux de commerce la compétence des actions qui peuvent être intentées au chemin de fer de l'Etal par des particuliers.

Le chemin de fer est un service public, et dès lors il n'a pas le droit de laisser en souffrance un intérêt commercial ou industriel quelconque, ni durant une heure, ni pour un waggon.

Les dividendes qu'il verse au trésor, son actionnaire, cinq millions en 18653 six millions en 1864, tout cela lui appartient de plein droit. Si ces fonds ne sont pas suffisants pour lui permettre de pourvoir à tous les besoins pour lesquels il a été créé, de nouvelles ressources doivent être demandées au crédit, voire même à l'impôt. C'est la conséquence logique du système qui régit les chemins de fer de l'Etat. Le privilège dont vous êtes investi vous impose des obligations auxquelles vous ne pouvez vous soustraire sous aucun prétexte. Cependant, vous n'avez pas été en mesure de les remplir l'année dernière et je doute que vous le soyez davantage cette année.

M. Lelièvreµ. - Il est un objet sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre des travaux publics, c'est sur la nécessité d'appliquer aux chemins de fer concédés, les lois et règlements de police concernant les chemins de fer de l'Etat. La jurisprudence a admis que les dispositions réglementaires relatives aux voies ferrées de l'Etat, ne sont pas applicables aux chemins de fer concédés. Or, c'est là une lacune regrettable au point de vue d'intérêts importants. L'ordre public exige qu'elle soit comblée dans le plus bref délai. Il y a quelques années, un projet avait été présenté, mais il est venu à tomber par suite de la dissolution de la Chambre, prononcée en 1857. Il conviendrait donc de présenter un nouveau projet énonçant des prescriptions sur cette matière qui touche à des intérêts d'ordre supérieur.

Quant au projet en discussion, je dois appuyer les observations de la cinquième section, qui insiste sur la nécessité d'agrandir et de compléter certaines stations appartenant à l'Etat et sur les dangers qu'offrent quelques-unes au point de vue de la sécurité des voyageurs.

Cette observation est surtout d'une justesse incontestable en ce qui concerne certaines stations de l'Etat, établies dans l'arrondissement de Namur. J'appelle donc sur ce point toute la sollicitude du gouvernement.

M. Maghermanµ. - Les plaintes dont l'honorable M. Moncheur s'est constitué l'organe dans cette enceinte sont générales.

Le commerce et l'industrie se plaignent du défaut de matériel du chemin de fer pour le transport des matières pondéreuses. L'honorable membre a signalé un remède à cet état de choses : c'est d'abord l'augmentation du matériel (celui-là est incontestablement radical) ; c'est ensuite de ne plus continuer le système d'abonnements qui existe aujourd'hui ou du moins d'obliger ceux qui veulent s'abonner à prendre un abonnement pour l'année entière. Mais n'y aurait-il pas un autre moyen ? N'y aurait-il pas moyen d'opérer pendant la saison d'été, que l'honorable M. Moncheur a appelée la morte saison, une partie des transports de la saison d'hiver et de rendre ainsi une plus grande partie du matériel disponible en hiver ? Je le pense. La plus grande partie des particuliers pourraient indistinctement faire leurs approvisionnements aussi bien en été qu'en hiver.

MtpVSµ. - Tout le matériel a été utilisé en été.

M. Maghermanµ. - Ce moyen serait d'établir un tarif différentiel accordant de légères faveurs à ceux qui opèrent leurs transports pendant l'été.

Tous ceux qui pourraient le faire indifféremment s'empresseraient de prendre leurs approvisionnements pendant la saison d'été et rendraient ainsi une grande partie du matériel disponible pendant l'hiver.

Je livre ces réflexions à l'examen de l'honorable ministre des travaux publics et je crois qu'il peut en tirer quelque parti.

MtpVSµ. - Messieurs, les honorables préopinants conçoivent pour le réseau de l'Etat une situation où tout serait pour le mieux, où tout serait parfait. Les tarifs seraient aussi bas que possible, plus bas que sur aucune autre ligne ; il n'y aurait pénurie de matériel dans aucune saison de l'année à l'inverse de ce que l'on remarque partout ailleurs ; les installations seraient magnifiques et moyennant ce, les honorables préopinants me paraissent devoir se déclarer satisfaits.

Messieurs, je suis de leur avis ; il serait éminemment souhaitable que nous en arrivions là et il est fâcheux que nous n'y soyons pas, mais je me demande si, en attendant que nous arrivions là, on peut dire que le gouvernement ne fait pas assez parce qu'il ne fait pas tout. Messieurs, à mon sens tout cela est très peu pratique. On ne doit pas demander au gouvernement de faire tout ; il faut se borner à faire ce que l'on peut ; il faut faire le plus que l'on peut raisonnablement, mais ne pas aller au delà. lI y a des limites à notre puissance et lorsqu'il s'agit, par exemple du chemin de fer, d'installations nouvelles, de complément de matériel, la limite principale, celle que l'on rencontre inévitablement, c'est la limite même des ressources du trésor.

Le trésor public, messieurs, n'est pas plus sorcier que les particuliers ; il dispose d'un certain fonds qu'il peut attribuer à une administration pour en faire un emploi déterminé, mais il ne peut pas, plus qu'un particulier, donner ce qu'il n'a pas.

L'honorable M. Moncheur n'est pas de cet avis. Il trouve que le trésor peut donner ce qu'il n'a pas et il recommande les emprunts.

Messieurs, nous avons fait des emprunts, nous en avons fait deux depuis que j'ai l'honneur d'être au département des travaux publics.

L'un de 45 millions, l'autre, qui n'est pas de vieille date, de 60 millions, ensemble 105 millions.

Le chemin de fer a eu sa large part dans ces emprunts. Pourquoi l'honorable M. Moncheur ne dit-il pas d'un particulier ce qu'il dit du trésor ? Pense-t-il qu'il suffirait à un particulier s'il avait en vue une bonne opération, et il y en a toujours pour un homme intelligent dans un pays industriel et prospère comme la Belgique, pense-t-il qu'il suffirait à un particulier de recourir toujours au crédit ? Mais il faut calculer encore les ressources dont on pourra disposer pour couvrir la dette que l'on contracte. Il ne suffit pas d'avoir du crédit, il faut aussi se demander avec quoi on payera les intérêts et l'amortissement. C'est pour cela que la loi de comptabilité dispose très sagement qu'à côté de chaque proposition de dépense le gouvernement indiquera les voies et moyens pour couvrir cette dépense. Si l'on procédait autrement, on irait droit à l'abîme et rapidement.

M. Moncheurµ. - Employez les excédants.

MtpVSµ. - M. Moncheur nous dit ; Employez les excédants de vos chemins de fer.

MfFOµ. - Ils sont employés.

MtpVSµ. - Depuis des années il y a plusieurs millions d'excédants, mais je serais très au regret si le ministre des finances et les Chambres n'avaient mis à ma disposition que ces excédants. La vérité est, messieurs, que vous m'avez accordé bien au delà. Je vous ai donné d'une main quelques millions d'excédants et vous me les avez rendus peut-être au double. Je vous ai donné une cinquantaine de millions, mais vous avez voté beaucoup plus pour les besoins du chemin de fer. J'ai donc remployé mes excédants avec usure.

M. Moncheurµ. - Mais avec l'excédant vous pouvez servir vingt fois l'intérêt.

MfFOµ. - Cela ne suffit pas.

MtpVSµ. - Si on ne comptait pas remployer les excédants futurs comme on a remployé les excédants passés et comme on remploie les excédants présents, vous auriez peut-être raison, mais je pense bien que l'administration continuera pendant de longues années à faire rentrer ses excédants par une autre voie et à les affecter à des améliorations aux chemins de fer. C'est donc là une ressource qui nous manque, puisque les excédants sont absorbés et au delà. Voilà la vérité.

L'honorable M. Couvreur faisait tout à l'heure le compte de ce qu'on avait demandé pour l'augmentation de matériel dans ces dernières années.

L'honorable M. Couvreur faisait erreur de plusieurs millions. J'ai demandé, pour ma part, de 11 à 13 millions, je ne me rappelle pas exactement le chiffre. Mettons le minimum 11 millions ; le gouvernement en sollicite encore huit, le tout en dehors des crédits budgétaires, donc au minimum 19 millions demandés aux Chambres en peu d'années. Est-ce donc que le gouvernement méconnaît la nécessité d'augmenter le matériel ? Mais, je le disais en commençant, on ne peut pas excéder ses forces pécuniaires ; j'accorde que dans la limite de ces forces il faut se montrer (page 194) aussi large que possible. Or, messieurs, pour vous donner une preuve nouvelle de la sollicitude qu'il apporte à l'examen de ces affaires, le gouvernement s'est demandé, depuis le dépôt du projet de loi, s'il ne pourrait pas augmenter le crédit qui vous est soumis, et j'ai la satisfaction de faire connaître à la Chambre que je présente un amendement qui porte ce crédit à 10 millions.

J'affirme que, depuis l'origine des chemins de fer en Belgique, il n'a pas été fait de demande aussi considérable.

M. Sabatierµ. - Les besoins n'ont jamais été aussi considérables.

MtpVSµ. - D'accord, et je ferai tout ce qui dépendra de moi pour les développer.

M. Sabatierµ. - Soit ; mais vous demandez trop peu.

MtpVSµ. - L'honorable M. Sabatier lui aussi voudrait donc que le gouvernement demandât tout à la fois ?

M. Sabatierµ. - Sans doute.

MtpVSµ. - Eh bien, je ne reconnais pas là l'esprit si éminemment pratique de l'honorable membre. Si nous demandions le double de ce que nous demandons aujourd'hui, qu'en ferions-nous ?

Je défie qu'on emploie tant de millions dans de bonnes conditions, je défie que les ateliers de construction qui existent dans le pays puissent aussi promptement qu'on paraît le croire, absorber ces millions. Mais je fais à l'honorable M. Sabatier la concession qu'on pourrait en quelques mois ou en quelques semaines, s'il veut, construire pour 20 millions de matériel ; j'ai l'honneur de déclarer à la Chambre que nous ne saurions qu'en faire, faute d'aménagements suffisants dans nos stations.

On se plaint de retards quelquefois assez considérables dans la marche des convois de marchandises ; en effet, il se présente parfois qu'un convoi de marchandises doit attendre un temps considérable pour traverser une station.

M. de Macarµ. - Il faut agrandir les stations.

MtpVSµ. - Certainement ; c'est ce que je voulais constater, et nous vous avons demandé au mois de juillet un grand nombre de millions dans ce but.

Mais encore faut-il le temps de les appliquer. J'ai donc raison de dire que vous voteriez vainement en ce moment des crédits plus considérables pour le matériel ; vous pourriez créer par là des embarras, mais vous ne porteriez pas un remède sérieux à la situation. J'ai donc l'honneur de demander à la Chambre de majorer à 10 millions le crédit que nous discutons.

Maintenant voyons quelle situation le crédit nous fera. Sans parler de l'augmentation du nombre des locomotives, de l'augmentation du matériel pour transport de voyageurs, de l'augmentation du matériel spécial à certains transports, nous pouvons confectionner, moyennant ces 10 millions, d'abord pour le transport des charbons, tout ce qui est indiqué à l'exposé des motifs, c'est-à-dire 400 waggons d'un côté, 500 waggons de l'autre, ensemble 900 waggons ; jusque dans ces derniers temps, on ne construisait que des waggons de cinq tonnes ; mais les 900 waggons dont je parle seront des waggons de dix tonnes représentant par conséquent 1,800 waggons de cinq tonnes. Nous en démolissons environ 300, reste 1,500 waggons.

Avec le crédit complémentaire de deux millions que nous proposons, nous pourrons encore construire un nombre de waggons de dix tonnes correspondant à 1,200 waggons de cinq tonnes ; cela fera ensemble 2,500 waggons ; et, en supposant que, dans le courant de 1866 on doive encore démolir, comme on l'a fait dans ces dernières années, cinq cents waggons de cinq tonnes, il resterait encore un excédant net de 2,000 waggons affectés uniquement au transport des charbons. Sans doute, messieurs, 2,000 waggons de 5 tonnes ou 1,000 waggons de 10 tonnes ne satisferont pas encore à tous les besoins ; mais ils satisferont du moins à des besoins considérables et je crois pouvoir dire que la situation sera sensiblement améliorée avant la fin de l'année. Tout ne sera pas fait, je le reconnais ; mais j'ajoute immédiatement que, si les ressources du trésor le permettent, nous soumettrons dans quelques mois une demande de complément de crédit ; et, en procédant de cette façon, au bout de deux ou trois ans nous arriverons à une situation parfaite.

Après ces explications, messieurs, je dois deux mots de réponse aux critiques que l'honorable M. Moncheur a faites au sujet du système des abonnements.

Ce système, aux yeux de l'honorable membre, joue un peu le rôle de l’âne de la fable : c'est lui qui est coupable de tout le mal. Eh bien, messieurs, il est utile d'éclairer sur ce point les intéressés.

Je dirai, d'abord, que le système des abonnements a été imaginé par l'administration elle-même, afin de pouvoir rendre, avec un matériel donné, la plus grande somme possible de services à l'industrie. Ce ne sont pas les industriels, messieurs, qui ont demandé le système des abonnements ; c'est l'administration qui l'a offert en prime aux industriels, aux transporteurs en général, pour les engager à recourir à ce système de transport. Et pourquoi ? Parce que, moyennant l'abonnement, on peut établir de grands courants de transports réguliers et utiliser, dans des proportions infiniment plus satisfaisantes, le matériel qui est nécessairement limité.

On dit : Vous favorisez les grandes industries ! Mais, cela serait, si cela est juste pourquoi ne le ferait-on pas ? Vous favorisez les grandes industries ! c'est-à-dire que si vous avez affaire, par exemple, à un fabricant, à un établissement métallurgique, à un marchand de charbons, qui prend 15, 20, 25 waggons tous les jours de l'année ou de la période qui est fixée comme devant être remplie par l'abonné, quelle qu'elle soit, nous avons tort de lui accorder un régime que n'obtient pas un client qui viendra par hasard, ou une fois en passant, réclamer un waggon unique poulie transport de quelques tonnes de charbons.

Mais je vous demande s'il serait équitable d'accorder le même traitement à ces deux expéditeurs ou destinataires ?

Je vous demande si c'est ainsi que l'on procède dans les transactions de particulier à particulier. Si vous êtes marchand et si vous avez un client de tous les jours, n'est il pas vrai que vous lui accorderez certaines faveurs sur le client accidentel ? Eh bien, messieurs, au point de vue où nous sommes placés, sommes-nous autre chose que des industriels, sommes-nous autre chose que des voituriers en grand ?

Pourquoi donc ce qui serait légitime dans un cas ne le serait-il pas dans un autre ?

Mais, messieurs, il ne s'agit pas de faire en réalité de faveurs à personne : il s'agit de s'assurer un bien à soi-même ; voilà le seul but qu'on s'est proposé en introduisant le système des abonnements. Il s'agit, en d'autres termes, pour l'administration, c'est-à-dire pour le trésor, de tirer d'un waggon deux plutôt qu'un.

Maintenant, est-ce que les faits ont répondu à la théorie et avec précision ? Mais parfaitement, messieurs. Il est constant, il est prouvé mathématiquement qu'un waggon abonné est utilisé un jour sur deux. Or, on est très heureux quand on peut utiliser un jour sur 4 un waggon non abonné.

Le raisonnement des honorables membres qui critiquent les abonnements est donc celui-ci : En faveur de l'industrie, en faveur du public en général il vaut mieux n'utiliser un waggon qu'un jour sur quatre qu'un jour sur deux. Je demande si cela est raisonnable.

Mais, dit l'honorable M. Moncheur, il faut porter de six mois à un an la durée des abonnements. Pourquoi un an ? Et puis, voyez l'étrange contradiction : l'honorable membre commence par nous dire que, par notre système d'abonnement, nous favorisons la grande industrie ; or, messieurs, n'est-il pas évident que le système de l'honorable membre conduirait au même résultat, ou plutôt renforcerait les prétendus vices du système ? N'est-il pas évident que, si grande industrie il y a, ce sera elle seule désormais qui prendrait des abonnements fixes à un an, à l'exclusion de l'industrie moins puissante, de l'industrie n'ayant qu'une moindre activité ?

Sous prétexte d'obvier au mal, si mal il y a, on le rendrait plus intense. On se plaint du privilège ; on le rendrait plus odieux. Inutile de dire que cela manque complètement de logique.

Mais, prétend encore l'honorable M. Moncheur, il faut au moins une mesure dans la pratique. Aujourd'hui les waggons sont abonnés pour la plupart ; il serait prudent de n'autoriser l'abonnement que dans une certaine proportion. Cette observation m'autorise à répondre que l'honorable membre ne connaît pas exactement les faits. Je vais donc les lui indiquer et lui dire quel est, à un waggon près, le nombre de ceux qui sont employés par abonnement.

Nous avons, comme matériel roulant pour le transport des marchandises, 8,644 véhicules de toute nature. De ce nombre il y en a 5,143 qui sont spécialement affectés au transport des charbons. Et savez-vous, messieurs, combien il y a de waggons en abonnement ? Il y en a ni plus ni moins que 1,475, ce qui n'est pas le tiers du nombre des waggons affectés au transport des charbons. Veuillez remarquer qu'il n'y a guère d'autres abonnements que pour le transport des charbons. (Interruption.) Les minerais qui nous viennent du Luxembourg sont transportés par le matériel du chemin de fer du Luxembourg.

(page 195) Je répète donc que sur 8,644 waggons servant au transport des marchandises en général, il n'y en a que 1,473 d'abonnés, ce qui ne fait que le sixième du nombre total et le tiers environ du nombre des waggons spécialement affectés au transport des charbons. Est-ce que cette proportion est déraisonnable ? Quant à moi, je suis convaincu qu'elle n'atteint pas à beaucoup près celle que l'honorable M. Moncheur supposait quand il disait que la plupart de nos waggons étaient abonnés. C'est donc le contraire qui est vrai et je le constate à regret, parce que si la supposition de l’honorable M. Moncheur était fondée, nous effectuerions infiniment plus de transports, au plus grand avantage de l'industrie et du public.

L'honorable M. Moncheur a parlé aussi de la nécessité de surveiller les compagnies et spécialement celle du Luxembourg. Je ne sais pourquoi l'honorable membre s'est particulièrement appesanti sur la compagnie du Luxembourg.

M. Moncheurµ. - Parce que c'est celle que je connais le mieux.

MtpVSµ. - Eh bien, sans vouloir vous dire rien de désobligeant, vous connaissez alors infiniment peu les autres sociétés...

M. Moncheurµ. - Je connais mieux la compagnie du Luxembourg : je la vois tous les jours à l'œuvre.

MtpVSµ. - Et moi je la connais aussi, je la connais mieux et plus que vous : je fais des comptes sévères avec elle ; et je dois à la vérité de déclarer que la compagnie du Luxembourg n'a pas eu de peine à me démontrer, sans que j'aie pu la réfuter, que dans les transports mixtes, celui qui ne fournissait pas sa part de waggons, c'était l'Etat belge, et que celle qui allait au delà de sa part c'était la compagnie...

M. Moncheurµ. - Je n'ai pas parlé de cela.

MtpVSµ. - Vous avez parlé de l'état de gêne dans lequel se trouvait la compagnie du Luxembourg au point de vue du matériel.

M. Moncheurµ. - Je n'ai pas comparé le nombre des waggons prêtés par l'Etat à la compagnie du Luxembourg, au nombre des waggons prêtés à l'Etat par la compagnie du Luxembourg.

MtpVSµ. - L'honorable M. Couvreur a demandé si on ne pourrait pas permettre la circulation, sur le réseau de l'Etat, du matériel appartenant à des particuliers.

Je réponds à l'honorable membre que l'Etat exploitant doit avoir un matériel suffisant pour tous les besoins, qu'il doit au moins finir par là. Ce serait d'après moi une opération très fâcheuse pour le trésor que celle qui consisterait à permettre la circulation dont parle l'honorable membre. L'intérêt évident du trésor est que l'administration arrive le plus promptement possible à avoir un matériel suffisant pour tous les transports.

Mais s'il était à prévoir que dans un nombre d'années assez court, l'administration ne pût pas en arriver là, alors il vaudrait mieux, selon moi, recourir à l'expédient qu'on indique que de laisser en souffrance les intérêts industriels. Mais, je le répète, dans ma conviction, il ne se passera pas trois ans, que l'administration du chemin de fer ne soit en possession d'un matériel suffisant à tous égards.

Projet de loi approuvant le traité conclu entre la Belgique et l’empire chinois

Dépôt

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, d’après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de soumettre à l'approbation de la Chambre, un traité conclu à Pékin, le 2 novembre 1865, entre la Belgique et l'Empire chinois.

Messieurs, le traité, selon l'usage, est rédigé dans les deux langues des pays contractants. Comme probablement il y aura quelque difficulté à reproduire l'un des deux textes, je présume que la Chambre se contentera du texte français : l'autre texte est d'ailleurs à l'inspection de tous les membres de la Chambre.

- Il est donné acte à M. le ministre des affaires étrangères du dépôt de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué.

La Chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi ouvrant des crédits spéciaux et complémentaires au budget du ministère des travaux publics, pour l’amélioration du matériel ferroviaire

Discussion générale

M. Sabatierµ. - Messieurs, l'honorable M. Moncheur a commencé son discours par la révélation d'un fait que j'ignorais. C'est que M. le ministre des travaux publics, dans une séance du Sénat, aurait déclare, au .sujet du projet de loi en discussion, qu'au lieu de 8 millions, il aurait voulu en demander 16 à la législature, mais qu'il n'avait pu donner suite à ses bonnes intentions de répondre aux vœux du commerce et de l'industrie, M. le ministre des finances ayant déclaré qu'il n'y avait pas assez d'argent en caisse en ce moment... J'avoue franchement que je croyais l'assertion de l'honorable M. Moncheur quelque peu hasardée ; mais l'honorable ministre en a reconnu l'exactitude, puisqu'il n'a rien répondu à cette partie du discours de l'honorable membre.

Comment ! M. le ministre nous dit qu'il n'y a pas d'argent en caisse alors qu'il s'agit de satisfaire aux besoins urgents du chemin de fer ! Mais, messieurs, il n'est pas un de nous qui ne soit chargé par ses commettants de venir apporter à la tribune les plaintes du commerce et de l'industrie ; la presse, chaque jour, nous apporte des réclamations fondées.

L'honorable ministre des travaux publics lui-même a reconnu que le matériel est insuffisant, et c'est en présence de pareils faits qu'il vient invoquer, avec l'appui de son collègue des finances, une question d'encaisse !

Messieurs, ainsi que l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Couvreur, le gouvernement a des devoirs impérieux à remplir en matière de chemin de fer : il a en quelque sorte le monopole des transports ; il a fait de grands efforts, ce dont nous l'avons félicité à diverses reprises, pour donner de l'extension au trafic sur le railway de l'Etat ; et quand vous êtes parvenu à réaliser ce progrès, quand de toute part le commerce et l'industrie veulent profiter de ce progrès et vous apportent leurs produits, vous viendrez dire : « Il n'y a pas d'argent en caisse ! » C'est-à-dire que vous croyez, que vous prétendez n'avoir pas les ressources nécessaires pour répondre à votre propre œuvre, pour donner satisfaction au public et, je me hâte de le dire, pour réaliser en même temps des bénéfices considérables.

Est-ce donc un signe de crise ou de pauvreté de n'avoir pas tout l'argent désirable en caisse ? Evidemment non. Il n'y a pas d'argent en caisse aujourd'hui ; il y en aura demain ; l'Etat jouit d'un crédit considérable, il s'agit en tout cas de semer pour recueillir ; c'est là l'essentiel, et je m'y arrête.

Le cas échéant, pourquoi n'aurait-on pas recours aux bons du trésor ? (Interruption.)

Nous n'en avons pas besoin, me dit M. le ministre des finances ; c'est fort bien ; mais alors, si pas n'est besoin de recourir aux bons du trésor, pour quoi invoquer une insuffisance momentanée d'encaisse ?

Les dépenses qu'il s'agit de faire doivent être essentiellement profitables : je le prouve.

D'après l'exposé des motifs du projet de loi un waggon de 10 tonnes coûte 2,500 francs. (Interruption.) 2,800 francs, me dit M. le ministre des travaux publics ; il y a donc eu hausse depuis la présentation du projet de loi. Du reste, la différence en plus ne saurait modifier sensiblement l'argument que je veux présenter.

Les waggons transportant les grosses marchandises font à peu près cent voyages par an ; le prix moyen de la tonne de marchandises ressort à 3 fr., donc au bout de l'année, la recette afférente à un waggon sera de 3,000 francs. En portant à 50 p. c. les frais d'exploitation, il se trouve que le bénéfice net réalisé pour chaque waggon est de 1,500 francs.

Ainsi, cette dépense que vous restreignez aujourd'hui et que votre intérêt et votre devoir vous obligeraient en quelque sorte à aborder franchement, se trouvera compensé en moins de deux années. Et c'est en présence d'une certitude pareille que l'honorable ministre des travaux publics viendra nous dire qu'il y a une différence entre ce que ferait, en pareille occurrence, un particulier, et ce que peut faire l'Etat ! Oui, il y a une différence, mais ce n'est pas celle qu'a en vue M. le ministre des travaux publics.

Il y a cette différence que le particulier spécule comme il l'entend, n'a pas de devoirs à remplir que l'on puisse invoquer dans l'espèce, n'a pas d'engagements à exécuter, tandis que l'Etat doit nécessairement satisfaire à des obligations impérieuses envers le public, puisque, je le répète, il a en quelque sorte le monopole des transports et que la richesse publique est ici en jeu.

Ainsi le devoir et l'intérêt auraient dû faire une loi au gouvernement d'augmenter la demande de crédit, non pas seulement de 2 millions, comme vient de le faire M. le ministre des travaux publics, mais de 8 millions, en portant ainsi le crédit à 16 millions. Je ne fais que corroborer l'opinion qu'il a, paraît-il, émise au Sénat.

M. le ministre des travaux publics nous dit : « Que voulez-vous que je fasse de ces 16 millions ? » Et, passant d'un extrême à l'autre, il suppose en premier lieu que les constructeurs de waggons ne pourront pas exécuter les commandes ; d'après lui, il ne servirait à rien de mettre la construction (page 196) d'une plus grande quantité de matériel en adjudication parce qu'il ne se présentera pas d'adjudicataire qui pourrait fournir avant long temps d'ici.

L'honorable ministre des travaux publics pourrait aisément se convaincre qu'il n'est pas dans le vrai. Il a pu s'assurer, par le bas prix des soumissions faites récemment à l'Etat, que les ateliers de construction ne sont en aucune façon gorgés de travail.

MtpVSµ. - Nous allons voir cela.

M. Sabatierµ. - Nous allons voir cela, dit M. le ministre des travaux publics. Sans doute, parce que demain il y a une adjudication de locomotives et de waggons. Quant à moi je faisais allusion à l'adjudication qui s'est faite il y a quinze jours environ, et M. le ministre ne se plaindra pas des soumissions ; elles ont été présentées à des prix très bas.

Puisque. M. le ministre des travaux publics veut bien invoquer ce qu'il appelle mon expérience, ma connaissance de certains faits industriels, je lui dirai au surplus qu'il ne manque pas d'établissements en Belgique qui ne demanderaient pas mieux, le cas échéant, que de développer leurs moyens de production et j'ajouterai qu'on arriverait plus sûrement à ce résultat en ne scindant pas les commandes, mais en montrant d'un coup à l'industrie ce qu'on attend d'elle.

Un instant après. M. le ministre fait la supposition contraire ; il dit : En admettant qu'en trois semaines tout le matériel que vous voulez que je demande en plus soit construit, nous n'aurions pas d'emplacement voulu pour l'abriter. Ainsi tout d'abord les établissements ne pourraient pas accepter les commandes ; un instant après, l'on ne pourrait faire construire ce matériel, parce qu'on ne pourrait pas le garer. Ce sont là des suppositions toutes gratuites. La vérité est que si vous demandiez 16 millions au lieu de 8, vous auriez votre matériel dans un délai convenable et que vous pourriez facilement faire construire d'ici là des voies de garage et des hangars. Il ne manque pas d'ouvriers en Belgique ; l'industrie privée en trouve, le gouvernement en trouvera s'il le veut bien. Il n'y a donc pas de motifs de dire que l'on ne peut pas tout faire à la fois, sous le prétexte qu'il y aurait quelques centaines de waggons et quelques hangars à construire en plus.

A la fin de cette année, dit M. le ministre, nous serons dans une meilleure position.

Mais il y a une chose qu'on n'a pas dite, c'est que nous nous trouverons alors au milieu de circonstances qui feront que le matériel manquera plus que jamais.

Nous aurons l'ouverture de lignes nouvelles que l'Etat devra desservir : déjà la ligne d'Ath à Hal est ouverte ; elle absorbera du matériel. La ligne de Braine-le-Comte à Gand est en construction ; vous devez l'exploiter bientôt.

- Un membre. - Le parcours sera moins considérable.

M. Sabatierµ. - Je ne comprends pas l'argument. Je constate que plus il y a de lignes dont l'Etat doit faire l'exploitation, plus il faut de matériel. L'Etat exploite aujourd'hui 748 kilomètres de chemins de fer ; demain vous en exploiterez 850. Je crois ne pas me tromper en disant qu'il faudra plus de matériel pour exploiter ces 850 kil. qu'il n'en fallait pour en exploiter 748.

Examinons et décomposons maintenant la demande de crédit que l'on nous fait.

Un million est affecté à la réparation de waggons hors de service. Ce million est tout simplement destiné à faire face à une dépense ordinaire, à une dépense qui se représente tous les ans et qui ne devrait plus figurer, selon moi, dans le crédit actuel ; il devrait être compris dans le budget. Quoi qu'il en soit, ce million n'apporte pas un waggon nouveau. Il n'y a donc que 7 millions affectés à l'augmentation du matériel. Ils sont destinés à la construction de locomotives et de waggons à voyageurs et à marchandises.

Mais il n'y a pas seulement des locomotives pour le service des transports directs ; le crédit comporte le coût de vingt locomotives destinées au service des stations, soit encore un million qui n'apportera pas un contingent important au transport des marchandises.

Vient ensuite le service des voyageurs qui absorbe deux millions et demi. La dépense, je le reconnais, est indispensable, d'autant plus que M. le ministre des travaux publics a bien voulu nous promettre une réforme dans le prix de transport des personnes. Cette réforme amènera une grande affluence de voyageurs ; et, sous peine de les laisser là comme on fait aujourd'hui des marchandises, il faudra bien augmenter le nombre des voitures.

La récapitulation de ces chiffres ne laissera donc pas au delà de 5 1/2 millions, en y comprenant 2 millions, que vient de demander de nouveau le ministre, pour être affectés à la construction du matériel à marchandises.

J'exprime donc le regret, qui sera, je crois, partagé par toute la Chambre, de voir le gouvernement hésiter à augmenter dans une forte proportion le crédit de 8 millions qu'il nous avait demandé primitivement. Le chiffre est aujourd'hui de 10 millions ; tant mieux ; mais ce n'est pas assez, à beaucoup près.

J'exprime aussi un vœu, c'est de voir le gouvernement recourir bientôt à une nouvelle demande de crédit. Nous nous empresserons tous de le voter. Nous agirons, comme nous l'avons toujours fait, chaque fois que l'honorable ministre des travaux publics nous a fait des propositions tendantes à développer cet admirable instrument de la richesse publique, le railway national.

Messieurs, une question assez délicate a été traitée par M. le ministre des travaux publics, lorsqu'il a dit que, n'ayant pas d'argent, il ne pouvait pas augmenter le matériel au delà du chiffre que nous connaissons ; et voici cette question.

Nous avons à nous plaindre du service des compagnies concessionnaires, comme nous avons à nous plaindre de celui de l'Etat, si pas davantage. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics ce qu'il répondra aux compagnies qui viendront lui dire : Le matériel manque ; c'est vrai ; nous le savons. Mais nous avons fait déjà de grandes dépenses ; nous essayons de vous suivre dans la réforme des tarifs, les transports prennent un développement qui fait, sans doute, bien présager de l'avenir de nos lignes. Nous sommes tellement encombrés de transports que nous devons les refuser ; nous voudrions pouvoir porter remède à cette situation, mais nous n'avons pas d'argent en caisse. Que répondriez-vous ? Ne rappelleriez-vous pas ces compagnies aux obligations résultant pour elles de leurs cahiers des charges ? Resteriez-vous sourd aux plaintes du commerce et de l'industrie ?

Vous ne prêterez pas, vous ne pourrez pas prêter les mains à la résistance qu'apportent les compagnies à mettre le matériel en rapport avec les besoins du service. C'est une obligation consacrée dans tous les cahiers des charges. Le gouvernement doit la rappeler aux compagnies dont le service laisse à désirer ; il faut qu'elles se conforment aux prescriptions des actes de concession, et vous, M. le ministre, vous ne devez pas employer d'argument que les compagnies seraient tentées d'invoquer pour apporter de plus longs retards dans l'exécution de leurs engagements.

La question des abonnements a été touchée par l'honorable M. Moncheur et par l'honorable M. Couvreur. M. le ministre des travaux publics a répondu longuement sur ce point. L'importance de la matière n'aura pas échappé à la Chambre.

Je crois qu'il y a du vrai dans ce qu'ont dit les honorables membres, mais il y a du vrai aussi dans ce qu'a dit l'honorable ministre des travaux publics.

M. Crombez. - Tout le monde a raison.

M. Sabatierµ. - Votre expression rend ma pensée. Tout le monde a raison.

M. de Theuxµ. - Un peu.

M. Sabatierµ. - Ajoutez un peu si vous voulez ; donc tout le monde a un peu raison.

Exposons en quelques mots la situation des choses.

M. le ministre des travaux publics a très bien rappelé que les abonnements avaient été inventés par l'administration du chemin de fer. Mais dans quelle circonstance ? C'est lorsqu'il y avait beaucoup de matériel ; c'est lorsque le chemin de fer devait utiliser son matériel d'une manière plus complète et venait offrir une prime à l'industrie pour avoir des transports réguliers. L'industrie a répondu à cet appel. Elle s'est engagée à transporter des quantités déterminées dans un temps déterminé et elle a joui de la prime de 25 centimes par tonne.

Cet abonnement, fait pour 6 mois obligatoirement, n'est pas le seul que l'on puisse obtenir. Il existe, en effet, un abonnement au mois, mais sans prime cette fois. Enfin vient la faculté donnée à ceux qui ont un abonnement de six mois avec prime de 25 centimes, de changer la destination du waggon chaque mois.

Messieurs, dans ce système complexe, il y a un bon et un mauvais côté. Tout est pour le mieux, l'abonnement est profitable à l'Etat et aux particuliers, quand le matériel est en quantité suffisante. Dans le cas contraire, certains abonnements donnent lieu à de suprêmes injustices.

Je vais le prouver en me plaçant d'abord au point de vue du gouvernement.

(page 197) Si j'en crois les renseignements que j'ai obtenus à l'administration du chemin de fer, les waggons non abonnés ne feraient que cent voyages par an, tandis que les waggons abonnés feraient jusqu'à cent cinquante voyages.

MtpVSµ. - Ils en font deux cents.

M. Sabatierµ. - Bref, ils en font donc beaucoup plus que les waggons ordinaires. Il en résulte que la prime de 25 centimes offerte à l'expéditeur est un léger sacrifice en égard au produit total du waggon ; c'est de l'argent bien placé.

Si avantageux que paraisse le système au point de vue de l'Etat, doit-il être maintenu d'une manière générale ?

Je serais assez tenté de répondre négativement parce que, dans les moments où le matériel manque, tout abonnement crée un privilège ; c'est une faveur accordée à quelques-uns au détriment des autres. Mais d'un autre côté il faut se rappeler que de nombreux établissements industriels doivent nécessairement recevoir d'une manière régulière leurs matières premières. Le chemin de fer doit offrira ces établissements les mêmes facilités d'approvisionnement obtenues jadis par chariots ; certaines industries seraient ruinées si elles ne s'assuraient pas une grande régularité dans les transports. Envisagé d'une manière générale, l'abonnement ne peut donc pas être supprimé ; mais le devoir du gouvernement est de ne l'accorder que pour ceux qui, se trouvant dans la position que je viens d'indiquer, prennent l'engagement le plus long (six mois), et dirigent toujours les waggons vers la même destination. Je veux dire qu'il faut restreindre le droit d'abonnement, à défaut de pouvoir le supprimer alors que le manque de matériel est aussi complet.

L'injustice dont j'ai parlé se produit inévitablement lorsque l'on multiplie les cas d'abonnements. Quelle est la conséquence de ceci ? C'est qu'il faut interdire la faculté de changement de direction des waggons abonnés pendant la période de six mois et que l'on devrait supprimer aussi les abonnements au mois. Je prie l'honorable ministre des travaux publics de bien examiner la chose ; je suis convaincu qu'il y a justice à modifier dans le sens que j'ai indiqué le système des abonnements. L'honorable ministre nous a dit que le nombre de waggons abonnés n'était que de 1,475 sur 5,200 destinés au transport des charbons.

Je pense qu'il a fait erreur et qu'il n'a pas tenu compte de ce fait, que, pour qu'un waggon soit expédié ou reçu chaque jour, il faut en mettre au moins deux à la disposition de l'abonné. En me bornant au chiffre deux, nous arrivons non plus à 1,473 waggons, mais à près de 3,000. Il est visible dès lors qu'en dehors des waggons abonnés, il doit être difficile d'obtenir du matériel.

Le remède par excellence à cette situation réside dans l'augmentation du matériel, autrement dit dans une demande nouvelle de crédit.

Vous voyez, messieurs, que la question si importante des abonnements se lie étroitement au projet de loi qui nous est soumis. J'espère donc que le gouvernement ne tardera pas à arriver à une solution convenable, en recourant bientôt à la législature pour l'obtention de nouveaux crédits.

MtpVSµ. - Je ne veux pas abuser des moments de la Chambre, je demande seulement la permission de répondre deux mots à ce que vient de dire l'honorable M. Sabatier.

L'honorable M. Sabatier a renouvelé cette thèse : le gouvernement a des devoirs auxquels il ne peut pas se soustraire ; le premier de ces devoirs, c'est de construire un matériel complètement suffisant.

Ainsi que j'ai eu l'honneur de le faire observer à la 6h»mbre, nous absorbons et bien au delà les excédants que nous sommes censés verser au trésor ; eh bien, ces excédants étant absorbés, avec quelles ressources voulez-vous que nous fassions construire du matériel ? Avec le produit des impôts ordinaires ? C'est donc avec le produit de l'impôt foncier, de l'impôt personnel et d'autres impôts.

M. Sabatierµ. - Il s'agit d'un intérêt public.

MtpVSµ. - Oui, mais d'un intérêt public qui se résume cependant en réalité dans l'intérêt d'une classe de la société.

Je dis que quand on absorbe tout ce que le chemin de fer laisse de disponible et qu'on va même au delà, on a amplement rempli ses devoirs.

Mais, dit l'honorable M. Sabatier, vous faites un très mauvais calcul ; voyez ce que vous rapporte un waggon : un waggon rapporte en un an presque le montant de ce qu'il coûte ; un waggon est utilisé un jour sur trois, il donne chaque fois une recette d'une trentaine de francs, et par conséquent il est remboursé et au delà en deux ans. Cet argument, messieurs, pèche sous deux rapports : d'abord, il n'est pas exact qu'on utilise un waggon une fois en trois jours ; il n'est pas même exact, au point de vue de ce calcul, qu'on puisse l'utiliser une fois en quatre jours ni même une fois en cinq jours. Cela serait vrai si on pouvait l'employer toute l’année, mais les trois quarts de l'année le matériel est suffisant.

M. Sabatierµ. - Vous avez constaté dans votre rapport que même en été le matériel est insuffisant.

MtpVSµ. - J'ai constaté que nous avions eu, dans le courant de l'été dernier, un mouvement aussi fort qu'à aucune autre époque de l'année, mais le matériel a suffi, et je maintiens que pendant les trois quarts de l'année le matériel supplémentaire serait improductif, dans les proportions du mouvement actuel.

C'est également par erreur que l'honorable M. Sabatier prétend que les lignes nouvelles vont absorber le matériel nouveau. Cela est vrai en partie pour le matériel à voyageurs parce que là il faudra des trains nouveaux, il faudra pourvoir les lignes nouvelles ; mais quant aux transports de marchandises, l'ouverture des nouvelles lignes sera sans influence sensible.

Les transports qui se font aujourd'hui par une ligne se feront par une autre ligne et il n'y aura pas, de ce chef, de supplément de transports, ni par conséquent nécessité d'un supplément de matériel. Qu'importe par exemple qu'un waggon de chaux expédié de Tournai en destination pour Bruxelles, passe par Ath et Braine-le-Comte ou par Ath et Enghien ! il n'y a toujours qu'un seul waggon en service. Le trafic local seul viendra s'ajouter au trafic ancien ; mais le trafic local sera insignifiant quant à la masse. En d'autres termes, l'ancien trafic changera de direction sur certains points, mais cela ne peut affecter le matériel de transport.

Proposition de loi visant à mettre le nombre de représentants et de sénateurs en rapport avec la population

Motion d'ordre

M. Orts. - Je demanderai à la Chambre de vouloir bien fixer le jour où je pourrai développer la proposition que j'ai faite le 1er septembre 1864, et qui avait pour objet de mettre le nombre des représentants et des sénateurs en rapport avec la population actuelle.

- La Chambre décide qu'elle entendra les développements de M. Orts à la suite du vote du projet de loi en discussion.

La séance est levée à 4 heures 3/4.