(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1865-1866)
(Présidence de (M. E. Vandenpeereboom.)
(page 109) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal a 2 heures et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., donne lecture du procès-verbal de la séance précédente."
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le conseil communal d'Aineffe prie la Chambre de s'occuper du projet de loi qui modifie l'article 23 de la loi du 10 avril 1841 sur les chemins vicinaux. »
M. Lelièvreµ. - Cette pétition a un caractère d'urgence ; il importe de régler immédiatement l'objet qu'elle concerne. Je demande le renvoi de la requête à la commission des pétitions, qui sera priée de faire un prompt rapport.
MpVµ. - Le bureau avait l'intention de proposer le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.
M. Lelièvreµ. - Je me rallie à la proposition de M. le président.
- Le renvoi à la section centrale est ordonné.
« La cour des comptes transmet à la Chambre le cahier d'observations relatif au compte définitif de l'exercice 1862 et à la situation provisoire de l'exercice 1863. »
- Impression et distribution aux membres de la Chambre.
« M. d'Hane, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Ce congé est accordé.
Il est procédé au tirage au sort des sections de décembre.
M. Van Overloopµ. - Messieurs, l'année dernière, lors de l'examen en section centrale du budget de la guerre, l'honorable général Chazal a promis de soumettre à la Chambre un rapport spécial, accompagné de tous les documents nécessaires pour permettre de se former une opinion raisonnée sur l'organisation de notre armée.
La section centrale a pris acte de cette promesse de l'honorable général Chazal et a manifesté le désir que ce rapport accompagnât le projet de budget pour l'année 1866.
Dans la séance du 28 avril de cette année, l'honorable M. Vleminckx a constaté que le rapport n'avait pas encore été remis à la Chambre, et celle-ci, sur la proposition de l'honorable membre, a implicitement, pour ne pas dire formellement, décidé qu'elle n'examinerait le budget de la guerre qu'après le dépôt du rapport.
Jusqu'ici, messieurs, la Chambre n'est pas encore saisie de ce rapport. Nous voici au 1er décembre. Je crois, dans l'intérêt véritable de l'armée, devoir insister pour que le rapport nous soit remis sans de plus grands retards.
Voici, messieurs, mes motifs.
La loi sur le contingent de l'armée doit être nécessairement votée avant la fin de l'année. Il se pourrait que cette loi donnât lieu à une discussion peut-être assez vive, par cette considération que j'ai, pour ma part, entendu émettre par plusieurs membres : Je ne vote pas la loi sur le contingent de l'armée avant le dépôt du rapport, parce qu'en votant le contingent, je m'engage pour ainsi dire à voter le budget, qui n'est que la conséquence ou une des conséquences de la loi sur le contingent.
Je regrette vivement qu'un accident fâcheux tienne l'honorable général Chazal éloigné de la Chambre. Si le rapport que je réclame, devait dépendre du travail personnel de l'honorable ministre, je ne voudrais pas l'obliger à se livrer à des occupations que l’état actuel de sa santé ne comporte pas. Mais je crois qu'il s'agit avant tout d'un travail de bureau et que par conséquent il suffira que ma demande soit connue pour qu'il y soit fait droit, dans l'intérêt même, je le répète, de notre état militaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom) (chargé par intérim du portefeuille de la guerre). - Messieurs, je ne suis pas en position de donner des renseignements catégoriques à l'honorable M. Van Overloop au sujet de la motion d'ordre qu'il vient de faire ; mais je puis déclarer que l'honorable ministre de la guerre effectif, M le baron Chazal, s'est occupé du rapport dont il s'agit avant son départ pour le midi la France, et qu'il y a emporté un grand nombre de documents pour continuer ce même travail. Je puis ajouter que dès qu'il a été rentré dans le pays, l'honorable général s'est mis immédiatement à l'œuvre afin de pouvoir fournir son rapport à la Chambre dans le plus bref délai possible.
Mais, comme vient de le reconnaître l'honorable M. Van Overloop, un accident des plus regrettables a mis l'honorable général Chazal dans l'impossibilité absolue de terminer le travail.
C'est, messieurs, une erreur de croire, comme on l'a dit, que la rédaction d'un pareil rapport puisse être l'œuvre exclusive des bureaux.
Lorsqu'il s'agit d'examiner s'il faut modifier l'organisation de l'armée, qui est une de nos grandes institutions nationales, il est évident que le ministre qui aurait la responsabilité de cet acte ne peut laisser à d'autres le soin d'examiner les mesures à prendre. Je crois donc que les bureaux, pas plus que le ministre intérimaire, ne pourraient prendre sur eux la responsabilité de semblables propositions. Du reste, la motion d'ordre sera connue de l'honorable général Chazal, et je suis convaincu qu'il y fera droit dans la mesure du possible. Je le désire, et le cabinet tout entier le désire comme moi.
M. Coomans. - Après les explications de l'honorable ministre, il reste bien entendu cependant que nous n'aborderons pas la discussion du budget de la guerre dans les sections, avant que nous ayons eu la faculté, pendant une huitaine de jours au moins, de lire et d'examiner le rapport de l'honorable ministre de la guerre.
C'est là le sens de la motion faite dans le temps par l'honorable M. Vleminckx et qui a été approuvée par la Chambre presque tout entière.
Non seulement nous ne pourrons pas aborder la discussion du budget de la guerre dans les sections avant d'avoir lu ce rapport, mais nous ne pourrons pas voter de crédit provisoire (interruption), car je crains fort que la maladie de l'honorable ministre ne se prolonge jusqu'à la fin de ce mois et qu'alors on ne vienne nous demander des crédits provisoires.
Or, le vote du crédit provisoire sera tout simplement un vote définitif pour le budget de 1866.
M. Bouvierµ. - A votre point de vue, oui.
M. Coomans. - Je connais l'histoire des crédits provisoires et même celle des crédits supplémentaires et je me défie beaucoup de tous ces crédits.
Il est donc bien entendu que nous aurons au moins huit jours francs avant d'aborder en sections l'examen du budget de la guerre. Ce point doit nous être accordé, à moins qu'on ne dise que l'examen en sections n'a aucune valeur ce qui serait une injure faite à la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable Aï. Coomans nous dit : Il est bien entendu que les sections ne s'occuperont pas des projets de loi du contingent, de crédits provisoires, avant d'avoir examiné le rapport et que ce rapport serait déposé avant le mois de janvier prochain.
Messieurs l'honorable M Coomans se trompe, il n'y a rien d'entendu ni de sous-entendu.
M. Coomans. - Cela a été entendu par la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La Chambre est et reste parfaitement libre de faire ce qui lui semble juste et utile.
C'est la Chambre donc qui décidera s'il y a lieu ou non de voter les crédits provisoires dans le cas où le budget, ce qui est très probable, ne pourrait pas être voté avant la fin du mois.
M. de Mérodeµ. - C'est certain.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La Chambre voudrait-elle décider que l'armée ne recevra plus de solde à partir du 1er janvier 1866 ? Je ne le pense pas.
(page 110) Rien donc n'a été sous-entendu ni préjugé quant aux crédits provisoires, ni quant à l'examen de la loi du contingent de l'armée. Pour que cette dernière loi puisse être exécutée, il faut d'ailleurs que dès les premiers jours de janvier on puisse, dans les communes, faire les opérations préalables au tirage au sort. Je le répète donc, rien n'est préjugé, rien ! La Chambre est toujours libre de prendre telle décision qu'elle jugera utile.
M. Rodenbach. - Si les crédits provisoires ne sont pas considérables, je les voterai et je crois que plusieurs de mes honorables amis les voteront aussi ; sans cela, au mois de janvier, l'armée ne pourrait pas être payée.
Cela ne préjuge rien ; mais avant de discuter le budget de la guerre en sections, je crois devoir déclarer que, pour le contingent de l'armée, il n'en est pas de même. Il y a là des économies à faire ; je pense que nous devons, avant d'examiner en sections, le contingent de l'armée, avoir une idée du rapport que M. le ministre de la guerre a promis de soumettre à la Chambre. C'est là la véritable question. Il faut qu'on fasse des réductions ; on a promis des économies, et j'espère qu'on en réalisera et qu'il ne sera plus question d'un contingent de 10,000 hommes.
M. Coomans. - A mon sens, il résulte de la déclaration faite par M. le ministre de la guerre civile (interruption), que nous aurons à voter des crédits provisoires avant le budget de la guerre. Eh bien, messieurs, cette prévision n'a jamais été dans l'esprit de la Chambre. Quand l'honorable ministre de la guerre nous a promis un rapport sur son budget et sur l'organisation de l'armée, il était bien entendu que ce rapport nous serait présenté en temps utile, c'est-à-dire avant la discussion du budget de 1866.
- Plusieurs membres. - Certainement.
M. Coomans. - M. Vleminckx et d'autres membres de la gauche me font un signe d'assentiment dont je les remercie et dont je les félicite. Notre intention était de ne pas admettre un provisoire de plus d'un an et d'en arriver, dans le courant de 1865, à quelque chose de définitif.
Or, le vote d'un crédit provisoire, que l'on se réserve de nous demander, c'est-à-dire dont nous sommes positivement menacés, ce vote est un ajournement d'un an encore une fois, c'est-à-dire le maintien pour 1866 d'un état militaire qui est condamné par la véritable majorité, non seulement du pays, mais de la Chambre.
Je m'étonne, du reste, que pour expliquer une situation aussi simple que celle du budget de la guerre, il faille, à en croire les honorables ministres, consacrer plus d'une année. Notre établissement militaire était passé, disaient-ils, à l’état d'axiome ; or je ne comprends pas qu'il faille une année pour démontrer un axiome : les plus simples mathématiciens admettront cela.
S'il est vrai que notre état militaire doive être maintenu avec ses ap- et dépendances et avec notre odieuse législation sur la milice, il ne faut pas un an pour le démontrer, surtout à une majorité très disposée à admettre les démonstrations plus ou moins mathématiques de l'honorable ministre de la guerre.
Je suis étonné, indigné, de ce que ce rapport si longtemps promis ne nous soit pas encore donné alors surtout qu'il a été demandé au gouvernement par d'honorables amis des ministres. Je suis étonné aussi que ce rapport n'ait pas été déposé en même temps que le budget de la guerre. (Interruption.) Il y a plus d'un an qu'il nous a été promis ; fallait-il donc un an pour le rédiger ? Le départ de l'honorable ministre de la guerre pour Pau est une circonstance aggravante. C'est à Pau qu'il pouvait s'occuper des principes plutôt que des détails.
L'honorable ministre de l'intérieur, chargé par intérim du département de la guerre, aurait pu s'occuper ici des détails, auxquels il s'entend déjà fort bien, dit-on, et M. le général Chazal s'occuper des questions principales qui se rattachent à son budget. Quant à moi, si on me demandait un rapport sur une question que j'ai étudiée, je déclare qu'il ne me faudrait pas un an, qu'il ne me faudrait pas plus de huit jours.
Je demande donc la présentation immédiate de ce rapport ou tout au moins la déclaration formelle de la Chambre que les sections ne s'occuperont d'aucune espèce de crédit relatif à la guerre avant la présentation de ce rapport... (interruption), à moins qu'on ne veuille escamoter ce rapport. On me force à lâcher le mot que je retiens depuis un quart d'heure sur mes lèvres.
La loi du contingent est bien plus importante que le budget de la guerre ; c'est contre cette loi qu'est mon grief principal, et vous n'arriverez jamais à modifier le budget de la guerre si vous ne diminuez pas le contingent. et qu'on me permette de le dire, ce n'est pas à l'heure où toutes les puissances de l'Europe, contrairement aux prédictions itérativement faites par le ministère, donnent l'excellent exemple, l'exemple civilisateur et vraiment libéral du désarmement, ce n'est pas dans de pareilles circonstances qu'il sied à un petit pays neutre comme le nôtre, de maintenir un établissement militaire contre lequel proteste depuis si longtemps l'immense majorité du pays. C'est ici qu'il y a véritablement lieu d'invoquer la loi de la majorité, car si la majorité des Belges avait à se prononcer sur cette odieuse loi du contingent et sur votre budget de la guerre, sur votre impopulaire et écrasant budget de la guerre, cette loi et ce budget seraient balayés par l'immense majorité du pays et je voudrais bien savoir ce que l'honorable M. Bara répondrait à un vote de ce genre.
MpVµ. - Je dois relever une expression de M. Coomans qui vient de parler de véritable majorité. Il n'y a de véritable majorité que celle de cette Chambre, et c'est elle qui, pour ce qui la concerne, prononce sur chaque projet, soumis à sa décision. Voilà la vérité !
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Coomans. - Vous me permettrez, M. le président, de faire une observation rectificative ou non, en réponse à celle que vous venez de me présenter. Je sais parfaitement qu'il n'y a pas d'autre majorité légale que celle qui existe dans les Chambres. Mais j'ai parlé de la véritable majorité de la nation belge, ce qui est autre chose (interruption), et il m'est bien libre à moi de prétendre que la grande majorité des Belges est hostile à la loi sur le contingent de l'armée et au budget de la guerre, alors que vous avez vous-mêmes prétendu que la majorité légale de 1857 ne représentait pas la nation belge.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le gouvernement a promis de déposer un rapport relativement à l'organisation de l'année. Cette promesse, il la tiendra ; il n'a pas dépendu de lui qu'elle ne fût tenue plus tôt, on vous en a dit les motifs.
Je présume que ces motifs sont acceptés par la grande majorité de la Chambre.
M. Coomans. - Vous n'en savez rien, il n'y a pas eu de vote.
MfFOµ. - Et vous, pour riez-vous affirmer le contraire ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous parlez de la grande majorité du pays, qu'en savez-vous ?
M. Coomans. - Eh bien, votons là-dessus.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Maintenant, si, par une circonstance entièrement indépendante de la volonté de M. le ministre de la guerre, le rapport n'a pas encore été soumis à la Chambre, est-ce un motif pour ne pas voter le contingent de l'armée, est-ce un motif d'annoncer à l'avance qu'on ne votera pas même de crédits provisoires ?
M. Coomans. - Oui.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais qu'est-ce donc qu'une motion pareille ? Il y a 35 ans que j'ai l'honneur de siéger au sein du Parlement belge, et je dois dire que jamais je n'ai rien entendu d'aussi exorbitant.
La Chambre, je n'en doute pas, votera les crédits provisoires qui lui seront demandés si le budget ne peut pas être voté avant la fin de l'année. Or, je déclare, et ici je fais appel à la bonne foi de la Chambre, que si même le rapport de M. le ministre de la guerre, rapport qui est très développé, qui demandera plusieurs jours d'étude pour ceux qui voudront l'étudier profondément et sérieusement, si même, dis-je, ce rapport avait été déposé à l'ouverture de la session, le budget de la guerre n'aurait pas même été voté pour le premier janvier. Voilà mon sentiment.
Nécessairement de longues discussions vont avoir lieu ; pour peu que des orateurs du genre de l'honorable M. Coomans prennent la parole, évidemment la discussion sera très longue....
M. Coomans. - Je l'espère.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - ... et, dès lors, le budget n'aurait pas été voté pour le premier janvier ; dès lors vous auriez été dans la nécessité constitutionnelle de voter des crédits provisoires, ou de refuser tout budget. Mais quant à refuser à l'armée les crédits qui lui sont indispensables, il est impossible que la Chambre en vienne jamais à une pareille extrémité : alors même qu'on rejette un budget, on vote des crédits provisoires.
Quant au contingent de l'armée, le rapport n'est pas encore fait. Mais en quoi le contingent de l'armée préjugera-t-il la question du budget de la guerre. On demande de continuer à voter un contingent de 10,000 hommes, à répartir entre les neuf provinces. Le travail administratif exige que le vote ait lieu avant le 1er janvier.
(page 111) Je suppose qu'à la suite d'une discussion on déclare que la force numérique de l'armée doit être diminuée.
Qu'arrivera-t-i| ? C'est que le contingent de 1866 sera diminué dans la même proportion. Les hommes à fournir au contingent ne sont pas incorporés au 1er janvier ; ils le sont généralement vers le milieu de l'année.
Donc vous voyez qu'on n'a nulle raison de dire, qu'en vue d'une nouvelle organisation, on refusera de voter le contingent de l'armée....
M. Coomans. - On peut rejeter le contingent.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Quand le rapport sera fait, il sera libre à l'honorable M. Coomans de voter ou de rejeter le contingent, de proposer des amendements et de prononcer tels discours qu'il lui plaira sur le contingent. Mais préjuger dès à présent le vote de la Chambre, avant que le rapport lui soit présenté, c'est user d'un moyen tout à fait inconnu jusqu'ici dans nos annales parlementaires.
Quand la Chambre sera saisie du rapport, je ne doute pas qu'une grande majorité sur les deux bancs ne vote le contingent, sans rien préjuger sur la question de l'organisation de l'armée.
Messieurs, je m'abstiens de qualifier la manière dont l'honorable M. Coomans s'explique sur le compte de l'armée, et de quelle façon il traite dans cette enceinte les lois du pays ; il les qualifie d'abominables, d'exécrables, de misérables...
M. Delaetµ. - C'est son droit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il use très mal de son droit.
M. Delaetµ. - Il en use comme il l'entend.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne sais pas pourquoi l'honorable M. Delaet m'interrompt en ce moment ; je ne lui parle pas.
M. Delaetµ. - Je vous fais cet honneur et j'ai ce droit.
MpVµ. - Vous n'avez pas le droit d'interrompre.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je répète qu'on abuse de son droit lorsqu'on qualifie les lois du pays comme vient de le faire l'honorable M. Coomans.
M. Delaetµ. - Je répète que l'honorable M. Coomans use de son droit comme il l'entend. Nul n'a le droit de l'en blâmer.
MpVµ. - M. Delaet, je devrai vous rappeler à l'ordre si vous interrompez toujours ; vous ne pouvez pas interrompre : c'est défendu par le règlement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On n'est pas l'organe de la majorité des membres de cette Chambre pris sur les deux bancs, lorsqu'on vient traiter d'odieuse, d'abominable la loi constitutive de notre armée.
M. Coomans. - Vous avez fait de même.
MpVµ. - M. Coomans, pas d'interruption.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne m'explique pas dans de pareils termes.
M. Coomans. - Vous avez qualifié d'odieux notre système de recrutement.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je n'ai point parlé de loi abominable.
M. Coomans. - Je répète que vous avez qualifié d'odieux notre régime de recrutement.
MpVµ. - M. Coomans, vous ne pouvez pas interrompre comme vous le faites. Il n'y a plus de discussion possible dans ces conditions. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et à lui seul.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je fais un appel à la sagesse de la Chambre ; je ne doute pas que la Chambre ne vote d'abord le contingent ; et, en second lieu, les moyens d'entretenir l'armée à partir du 1er janvier. Comme dans aucun cas le budget de la guerre ne peut être voté avant le 1er janvier, il s'ensuit nécessairement que des crédits provisoires devront être votés et je ne doute pas que la grande majorité de la Chambre, pour ne pas dire la totalité, ne vote ces crédits provisoires, du moment qu'ils seront jugés nécessaires.
M. Vleminckxµ. - Je demande à la Chambre la permission de rétablir les faits dans leur plus exacte vérité.
Et tout d'abord, je dois lui faire connaître que c'est M. le ministre de la guerre lui-même qui a fait l'offre d'un rapport à cette Chambre.
A la fin de la dernière session, j'ai demandé à la Chambre qu'elle voulût bien ne s'occuper du budget de la guerre qu'après le dépôt du rapport de l'honorable ministre de la guerre.
Si je ne me trompe, la Chambre a accepté cette motion.
Je me vois aujourd'hui dans l'obligation et je suis dans le cas de pouvoir dire à la Chambre que l'honorable ministre de la guerre est tout à fait dans l'impossibilité physique, et je dirai presque morale, d'achever son rapport et de le déposer par conséquent sur le bureau du président.
M. Allard. - Messieurs, le contingent de l'année doit être voté avant le 1er janvier. S'il n'était pas voté, il n'y aurait plus d'armée ; tout les militaires pourraient retourner chez eux.
Je demande donc à la Chambre, par motion d'ordre, de mettre à l'ordre du jour des sections le projet de loi sur le contingent de l'armée.
M. Coomans. - C'est contraire à la décision de la Chambre.
MpVµ. - Laissez-moi établir la position de la question.
M. Allard propose de mettre à l'ordre du jour des sections le projet de loi sur le contingent de l'armée.
M. Coomans propose l'ajournement.
C'est la proposition d'ajournement qui doit être mise la première aux voix.
M. Coomans. - Permettez-moi une explication, M. le président ; vous interprétez mal ma pensée. Puisque vous avez la bonté de mettre ma proposition aux voix, sachons quelle elle est.
Je ne demande pas l'ajournement ; je demande le maintien de la décision prise par la Chambre, à savoir qu'elle ne s'occuperait ni du budget de la guerre, ni de la loi du contingent de l'armée... (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Pas de la loi du contingent.
M. Coomans. - ... avant la présentation du rapport de M. le ministre de la guerre.
M. le ministre de la guerre a déclaré lui-même que le contingent de l'armée et le budget de la guerre étaient dans des relations intimes, que l'un ne pouvait être discuté sans l'autre. Plusieurs honorables membres de cette assemblée l'ont fait observer également ; le contingent, c'est notre état militaire ; notre état militaire, c'est le contingent. Eh bien, faire voter le contingent, sans rapport aucun, c'est nous faire voter en aveugles. Si vous voulez jouer ce rôle, faites-le, puisque l'honorable M. Allard vous y convie. Quant à moi, je proteste.
MpVµ. - Ce que vient de dire M. Coomans prouve que je l'avais bien compris. Ce qu'il propose, c'est l'ajournement.
M. Coomans. - L'ajournement de quoi ?
MpVµ. - Vous demandez l'ajournement de l'examen du projet de loi relatif au contingent de l'armée, jusqu'au dépôt du rapport de M. le ministre de la guerre.
M. Coomans. — Oui, en ce sens, d'après la décision de la Chambre.
M. le présidentµ. - C'est donc une motion d'ajournement. Je la mets aux voix.
- L'ajournement n'est pas adopté.
- La proposition de M. Allard est mise au voix et adoptée.
MpVµ. - La discussion générale continue.
M. de Theuxµ. - Messieurs, nous disions, dans la séance d hier, que l'on ne trouvait ni sur les bancs de la droite, ni dans l'opinion qu'elle représente, des aspirations pour modifier la Constitution ; nous ajoutions que le pays est trop attaché à sa Constitution pour permettre qu'il y soit apporté des modifications, à moins que les lois électorales né facilitent et ne perpétuent l'avènement d’une représentation de parti.
Mettons donc de côté, messieurs, toutes ces allusions au désir de voir modifier la Constitution.
Nous disions aussi, quant à la loi sur le temporel des cultes, que nous n'en admettrions jamais le principe, parce qu’il renferme la transmission de la propriété du culte à la commune.
M. le ministre des finances a hier repris la discussion des fondations. Je remarque avec étonnement que toujours, dans ses discours, il y a confusion entre la mainmorte, c'est-à-dire la personnification civile des couvents, et les simples fondations. Or, ces deux ordres d'idées n'ont absolument rien de commun et je le prouverai en peu de mots.
Le couvent, messieurs, est une association de religieux et de religieuses complètement libre, aux termes de la Constitution, qui n'a besoin d'aucun concours de la législature ; les associations sont régies d'après leurs statuts, elles n'ont de compte à rendre à personne, elles constituent donc une position tout à fait à part de celle des fondations.
Les fondations ont un objet déterminé ; elles ne peuvent exister que par la loi ou en vertu de la loi. Elles sont soumises aux conditions que (page 112) la loi a imposées ou que le fondateur a imposées. Elle sont assujetties à un contrôle, et elles ont toujours pour but un objet déterminé.
Messieurs, dans tous les actes qui ont trait aux fondations dans ce pays, il n'a jamais été question que d'un objet de charité ou de charité mêlée à l'instruction primaire, soit entièrement gratuite, soit en partie payée pour subvenir aux frais de l'école, puisque ces sortes d'institutions ne jouissent d'aucune faveur du budget.
Messieurs, n'avons-nous pas le droit de nous étonner qu'un simple projet de loi intéressant des fondations de charité soit pure, soit mixte, car il n'a jamais été question, dans ce projet de loi, de fondations exclusivement destinées même à l'enseignement primaire, que ce projet ait causé tant d'émotion et qu'on en fasse encore aujourd'hui l'objet d'un grief permanent.
J'ai rappelé déjà qu'une commission composée de jurisconsultes notables avait été constituée par l'honorable M. de Haussy, ministre de la justice, et que son rapport concluait non seulement à donner au gouvernement la faculté d'autoriser des fondations de charité, mais encore des fondations d'enseignement primaire.
Cette commission, qui se composait de tous membres libéraux, allait plus loin en cette matière que le projet de loi du cabinet de 1855.
Elle a été plus loin que les arrêtés royaux contresignés par moi et par d'autres ministres, entre autres MM. Lebeau, Leclercq, Liedts, qui ont autorisé des fondations mixtes de charité et d'enseignement primaire.
Quel est, messieurs, le grand grief contre ces arrêtés ? Quelles fâcheuses conséquences pourrait-il en résulter pour le pays ?
N'était-il pas permis de croire que lorsque la Constitution avait proclamé si solennellement la liberté d'enseignement, il n'y avait pas de motif d'interdire à des associations charitables de femmes de donner également l'enseignement aux enfants de la commune ?
Cet objet était évidemment d'utilité publique. Personne ne pourra le contester.
Je sais qu'il y a eu des jugements qui ont décidé que l'enseignement ne pourrait pas être cumulé avec la charité. Mais ces jugements n'ont pas force de loi.
Combien de questions n'ont pas été agitées pendant de longues années devant les tribunaux, et combien de fois la jurisprudence primitive n'a-t-elle pas été changée par les arrêts postérieurs ! Mais il n'y a rien de plus certain en matière de loi que la jurisprudence variable.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Faites la même chose pour l'article 84.
M. de Theuxµ. - Alors pourquoi critiquez-vous ces arrêtés qui avaient un but éminemment utile et social et qui avaient pour eux le préjugé favorable de la liberté d'enseignement proclamée par notre Constitution ? L'honorable ministre des finances a critiqué la comparaison que nous avons faite, mes honorables amis et moi, avec les législations étrangères. Il n'a pas été heureux dans ses critiques.
Nous prendrons successivement l'exemple de la France, des Pays-Bas, de l'Angleterre et des Etats-Unis.
En France, le gouvernement est autorisé, de par une loi expresse, à accorder à des communautés de femmes la faculté de posséder, de recevoir par donations entre-vifs et testamentaires de biens et, dans une certaine limite pour les œuvres de charité et d'enseignement.
Il y a plus, les frères de la doctrine chrétienne jouissent des mêmes droits en France et ils sont associés à l'université impériale.
La législature et le gouvernement en France n'ont point trouvé justifiable ce préjugé contre l'intervention des communautés de femmes, contre l'intervention des frères de la doctrine chrétienne en matière d'enseignement.
Il y a plus : c'est que ces associations ont même leurs privilèges. C'est que les certificats de capacité délivrés par les supérieurs de ces communautés suffisent de titre pour être admis dans l’enseignement même communal.
En France, messieurs, combien les communes en général n'accordent-elles pas de sympathie au concours de ces établissements ! Le gouvernement lui-même use de son influence auprès des communes pour faciliter l'admission de ces instituteurs et de ces institutrices. Et n'avons-nous pas vu dans les derrières discussions des chambres en France que ces instituteurs et ces institutrices sont en si grand nombre qu'ils dépassent, soit dans l'enseignement communal, soit dans l'enseignement entièrement libre, le nombre des instituteurs et des institutrices laïques ?
Messieurs, dans le royaume des Pays-Bas, il existe une loi en matière de charité qui permet la création de fondations conformément à ces dispositions et sans le concours du gouvernement.
J'ai ici le texte de la loi. Je le ferai insérer au Moniteur comme annexe à mon discours.
Vous y verrez, messieurs, que les communautés religieuses même sont admises à jouir du droit accordé aux laïques et dans les mêmes proportions.
Voilà, messieurs, ce qui s'appelle une législation libérale, et certes il y a assez d'analogie entre les Pays-Bas et la Belgique pour que nous puissions invoquer cette législation, d'autant plus que la majorité de la nation hollandaise n'appartient pas même au culte catholique, et que le protestantisme n'a pas d'associations religieuses ; c'est une institution particulière à l'Eglise catholique.
En Angleterre, il y a un grand nombre d'institutions de même nature qui ont acquis l'existence de par la prescription. Il y en a d'autres qui sont autorisées expressément par le gouvernement, et la constitution anglaise n'y fait pas obstacle.
En Amérique dans la plupart des Etats il faut une loi pour donner à une corporation le droit de posséder et d'acquérir ; mais ces lois s'accordent. A Saint-Louis il existe un collège de jésuites qui a obtenu une loi en vertu de laquelle il possède des propriétés considérables.
En Amérique, lors de la séparation de l'Angleterre, l'on a maintenu les institutions créées sous l'empire de la loi anglaise, et quand postérieurement, dans la plupart des Etats, une loi a été exigée, on a maintenu les fondations existantes, soit en vertu de la prescription, soit en vertu d'une autorisation du gouvernement britannique et l'on n'a pas mis la main sur ces établissements sous prétexte que leur existence exigeait actuellement une loi.
L'honorable ministre des finances nous a signalé hier une décision de la sacrée congrégation de Rome et une lettre de Grégoire XVI aux évêques d'Amérique leur recommandant d'instituer par testament l'évêque, déjà désigné pour successeur ou bien un personnage sur lequel il pourrait compter et qui transmettrait lors de la nomination du nouvel évêque les biens qu'il possédait dans l'intérêt de l'église.
La même recommandation était faite aux chefs des ordres religieux. Il leur était recommandé de faire des testaments pour la transmission à. leurs successeurs des biens qu'ils possédaient.
Si ceci indique une situation différente de ce qui se produit dans les Etats européens, il est à remarquer que cette situation assure à l'Eglise catholique et à toutes ses institutions une grande sécurité. En Amérique il ne viendra à la pensée de personne de dire que l'évêque, dépositaire des biens destinés au culte, n'est pas véritablement propriétaire, qu'il ne peut transmettre à son successeur, qui, en qualité d'évêque, deviendrait en quelque sorte personne civile, ni qu'un supérieur de couvent ne pourrait transmettre ses biens à un autre supérieur. De telles prétentions seraient repoussées par tous les tribunaux. J'ai là une dissertation d'un jurisconsulte distingué d'Amérique, sur cette question. En Amérique, l'évêque, les religieux ne sont considérés vis-à-vis de la loi que comme de simples citoyens ; un supérieur de couvent peut y acquérir, y recevoir soit entre-vifs, soit par testament, et la famille n'a pas à intervenir dans cette disposition ; la famille n'a pas le droit de venir réclamer devant les tribunaux l'annulation d'une semblable disposition, sous prétexte que les religieux avaient fait vœu de pauvreté.
Eu Amérique il y a plus de franchise ; on n'y ouvre pas la porte aux appétits désordonnés, inavouables de parents qui voudraient s'emparer des biens destinés au culte, sous prétexte que la communauté ne pourrait pas recevoir. Admettre une telle conséquence des vœux de pauvreté ou des vœux de religion serait introduire dans notre pays la mort civile partielle ; car quand un religieux reçoit, on n'a le droit de s'enquérir ni de son culte ni de son serment ; il est individu, rien de plus. Et notre Constitution s'oppose à ce que la mort civile soit prononcée par la loi soit en tout, soit en partie. Le religieux est citoyen ni plus ni moins qu'un autre citoyen, il doit jouir des mêmes droits.
Notre Constitution ne contient pas de moyens termes ; elle est absolue ; la mort civile est abolie et aucun tribunal ne peut la rétablir s'il se conforme aux dispositions de notre Constitution, ni par voie détournée, ni par voie directe.
J'ai établi une comparaison succincte entre notre législation et celle des autres grands pays de l'Europe et il n'y a d'assimilation nulle part ; dans aucun pays on ne trouvera une législation aussi restrictive de la liberté que dans le nôtre. Ici on ne tolère rien, ni les fondations de charité, ni les fondations d'enseignement, pas même les fondations d'enseignement primaire, tandis que dans les autres pays il y a divers moyens de consolider la liberté.
Mais, nous a-t-on dit, le projet de 1855 assurait d'une manière indirecte des moyens d'existence aux corporations religieuses, quel profit y a-t-il à desservir tel établissement de charité ou tel établissement d'enseignement primaire ?
(page 113) Personne ne regardera la charité ou l’enseignement primaire comme un moyen de lucre ; c'est tout au plus si ceux qui s'y livrent y trouvent le pain quotidien. Quel instituteur s'est enrichi en donnant l'instruction primaire, quel religieux s'est enrichi en donnant des soins aux malades ? Il n'y en a pas. Il n'y avait donc là aucun moyen, pas même indirect, de faciliter ou de multiplier l'établissement de corporations religieuses. C'est une conséquence qu'on attribue au projet et que je déclare absolument absurde.
La charité officielle, l'enseignement officiel nécessitent des impôts ; la charité libre, l'enseignement libre n'en exigent pas. Ce sont des actes de dévouement payés par des particuliers à la décharge de la commune ou de l'Etat.
Y a-t-il là quelque chose de bien effrayant ? Qu'on eût demandé qu'il y eût des garanties de bonne administration, de bon enseignement, rien de plus simple. Mais personne ne s'est refusé à des garanties de cette nature. Je ne veux pas être exclusif, je veux rendre aux soins charitables des laïques, au zèle des instituteurs laïques pour l'enseignement, l'hommage qu'ils méritent ; mais j'ajoute que, dans l'opinion publique, celui qui embrasse l'obligation religieuse de soigner les malades et de donner l'enseignement gratuit ou à peu près, fait un acte de dévouement et qu'il ne doit pas rencontrer l'hostilité du pouvoir, mais bien plutôt ses sympathies et ses encouragements. Acceptons tous les dévouements, soit laïques et rémunérés, soit religieux et gratuits, et nous rendrons un véritable service au pays et cela vaudra cent fois mieux que la discussion stérile qui n'a d'autre résultat que d'exciter les mauvaises passions.
Pourquoi exciter ces passions ? Le peuple est-il hostile au religieux, au religieux qui le sert dans toutes ses nécessités ? Nous ne voyons pas cela ; si cela était, les corporations religieuses, charitables ou enseignantes n'auraient aucune raison d'exister. Ne provoquons donc pas, par nos discours, des sentiments hostiles envers des gens qui, après tout, méritent bien de leurs semblables. Et qu'on ne dise pas qu'on en viendra plus tard à la personnification civile des couvents, à la mainmorte des couvents, les couvents ne vous demandent rien, ne vous ont jamais rien demandé ; ils préfèrent rester dans leur complète liberté que de s'assujettir à des dispositions légales qui accompagneraient nécessairement leur reconnaissance comme personne civile. Quant à la mort civile, quant à constituer des incapables, vous n'en avez pas le pouvoir.
M. Delcourµ. - Ayant été mis plusieurs fois on cause dans le cours de ces débats, je demande la permission de répondre quelques mots aux objections qui m'ont été faites.
M. le ministre des finances a critiqué avec beaucoup d'amertume la politique catholique. Hier, revenant sur ce sujet, il nous a considérés comme pratiquant une politique de nature à compromettre les intérêts du pays et même nos libertés constitutionnelles. Votre opposition, a-t il dit, s'est manifestée déjà au sein du Congrès national ; depuis lors, vos prétentions ont grandi, et aujourd'hui, elles sont intolérables pour le pays. L'honorable ministre nous a parlé enfin d'une influence extérieure à laquelle nous ne pouvons résister.
Et, pour prouver son accusation, M. le ministre des finances vous a entretenus des associations religieuses. Selon l'honorable ministre, c'est nous qui, les premiers, aurions réclamé, au Congrès national, la personnification civile pour des associations religieuses.
Il est vrai que MM. de Sécus et de Neef ont fait une proposition dans ce sens, mais je me hâte d'ajouter que cette proposition n'était pas conçue dans le sens absolu que lui a donné M. le ministre des finances ; elle était restreinte dans de telles limites qu'aucun inconvénient ne pouvait en résulter.
Mais une autre proposition, messieurs, a été faite au congrès national que M. le ministre des finances a eu soin de ne pas rappeler ; c'est la proposition de supprimer l’article 20 de la Constitution, cette proposition, qui émanait de MM. Séron et Beyts, l'un et l'autre appartenant à l'opinion libérale du congrès, était la négation de la liberté d'association.
C'est donc de vos bancs et non pas des nôtres qu'est partie la première atteinte à nos libertés constitutionnelles.
Une autre question de liberté s'est encore présentée au Congrès national.
Le projet de Constitution renfermait une disposition qui garantissait la liberté des cultes ; pour que cette liberté fût complète, le projet avait interdit toute intervention du pouvoir civil dans les affaires du culte. La section centrale du Congrès s'était ralliée à cette disposition, et, je puis ajouter qu'elle était admise par la grande majorité des membres du Congrès national. Eli bien, messieurs ,c'est encore un député libéral qui a demandé de supprimer la disposition, afin d'assurer la suprématie de la loi civile sur la liberté religieuse.
Il est inutile que je m'étende davantage ; vous connaissez tous la proposition que fit au Congrès l'honorable M. Defacqz, et l'accueil qu'elle y reçut ; le Congrès l'a rejetée, par 111 voix contre 59.
Vous le voyez, messieurs, vous n'avez pas à rougir de la politique que nous avons pratiquée au Congrès national ; elle a été à son début et pendant les longues années que mes amis ont été au pouvoir, une politique essentiellement constitutionnelle et nationale ; nous sommes restés fidèles à l'union conclue avec vous en 1830 ; aujourd'hui pas plus qu'hier, nous ne nous écarterons de cette politique.
Je reviens aux associations religieuses.
L'honorable M. de Theux vient de traiter cette question dans son ensemble ; il vous a parlé des services que les associations religieuses ont rendus à la société, des services qu'elle rendent encore journellement aux pauvres dans les hôpitaux et dans les écoles. Moi, je désire me placer à un autre point de vue je reprendrai les principaux faits allégués par M. le ministre des finances.
L'honorable ministre reproche, en premier lieu, aux associations religieuses de travailler au rétablissement de la mainmorte par les actes de société qui les régissent.
Il reproche, en second lieu, à mes amis politiques d'avoir violé les lois existantes en reconnaissant comme personnes civiles, en vertu du décret du 18 février 1869, quelques communautés de femmes qui donnent l'enseignement gratuit aux pauvres.
Messieurs, il y aurait bien des choses à vous dire sur ce point ; je serai très court afin de ne pas abuser de l'attention de la Chambre.
En ce qui concerne les actes de société, je dis que les associations religieuses restent dans le droit commun en arrêtant les conditions de la société qui les régira. Nous n'avons pas à entrer dans ces détails. Si M. le ministre des finances pense, au point de vue fiscal et des droits dus à l'Etat, que ces actes sont nuls, qu'il en conteste la validité, c'est son droit. L'honorable ministre l’a fait, messieurs, et il n'a pas réussi.
MfFOµ. - Vous vous trompez.
M. Delcourµ. - Je vous demande pardon.
MfFOµ. - Dans certains cas.
M. Delcourµ. - Il a été jugé que vos prétentions n'étaient pas fondées.
MfFOµ - Dans certains cas. ; on a apprécié les actes.
M. Delcourµ. - Des décisions formelles ont été rendues contre vos prétentions par plusieurs tribunaux.
MfFOµ. - (erratum, page 130) Dans certains cas
M. Delcourµ. - Et pas seulement par des tribunaux inférieurs, mais par la cour de cassation.
MfFOµ. - (erratum, page 130) Dans certains cas.
M. Delcourµ. - Messieurs, je ne veux pas insister plus longtemps sur ce point ; tout le monde est pressé de voir clore la discussion générale du budget de la justice.
Toutefois je maintiens que dès le début de sa carrière ministérielle dès 1847, l'honorable ministre a donné des instructions à ses agents qui ont suscité des tracasseries aux associations religieuses, et que cette politique ne l'a pas toujours servi.
Voilà ce que j'ai soutenu.
MfFOµ. - Et c'est en quoi vous vous trompez.
M. Delcourµ. - Voulez-vous que nous discutions ce point spécial ?
- Voix diverses. - Oui ! oui ?
M. Delcourµ. - Je suis prêt ; mais, comme j'ai promis à l'honorable président de ne pas faire un long discours, je vous demande de ne pas me forcer de manquer à ma promesse.
M. Orts. - A quoi bon, du reste ? C'est l'affaire des tribunaux. Sans cela, nous en avons encore pour quinze jours.
M. Delcourµ. - C'est justement ce que je pense. Si M. le ministre est d'avis que ces actes ont lésé les droits de l'Etat, qu'il les attaque devant les tribunaux. Tout ce que je demande, c'est qu'on ne vienne pas se prévaloir d'actes de société purement civile, pour prétendre que nous poussons au rétablissement de la mainmorte et des corporations.
Je passe à la seconde question.
L/honorable ministre des finances, (page 114) continuant sa critique, a reproché, en outre, à mes amis, d'avoir violé le décret du 18 février 1809, en reconnaissant comme personnes civiles certaines associations religieuses de femmes qui se livrent à l'enseignement des pauvres. Ici, le ministère peut invoquer, en faveur de son opinion, un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles.
M. Orts. - Il y a trois arrêts.
M. Delcourµ. - Peu importe ! Je vous dirai cependant, au sujet de cette jurisprudence, que la doctrine sanctionnée par ces arrêts a été sérieusement combattue par M. l'avocat général Faider, dont, hier encore, vous rappeliez un des principaux actes de son ministère ; l'honorable M. Faider a soutenu la légalité des arrêtés royaux.
M. Orts. - Du tout ! du tout ! Il a contesté ce principe.
M. Delcourµ. - Je viens de consulter la Belgique judiciaire, et j'affirme que l’arrêt a été rendu contre les conclusions de M. Faider. Le savant magistrat a établi de la manière la plus formelle que les associations de femmes, vouées à l'enseignement primaire gratuit des enfants, se livrent à des œuvres de charité qui tombent sous l'application du décret du 18 février 1809.
L'opinion émise par l'organe du ministère public établit aux yeux de tous les hommes sensés que la question de droit était douteuse ; c'est tout ce qu'il me faut pour dire à l'honorable ministre des finances que la politique de mes amis n'était pas inconstitutionnelle, comme il l'a prétendu.
Avant d'en finir avec les associations religieuses, permettez-moi de vous donner lecture d'un passage du discours que M. Boudard a prononcé à la loge maçonnique de Bruxelles. C'est un échantillon des principes politiques constitutionnels de cet orateur, et peut-être même de la société où il prononçait ses discours.
Voici ce passage :
« Le pays se couvre d'établissements qu'on appelle religieux, et que moi, dit l'orateur, je qualifie de fainéants ; lorsque tant d'hommes, grands, forts, vigoureux veulent, sous nos yeux, manger le pain de nos pauvres, sans rien faire, celui de nos bons et honnêtes ouvriers, je dis moi que nous avons le droit et le devoir de nous occuper de la question religieuse des couvents, de l'attaquer de front ; et il faudra bien que le pays entier finisse par en faire justice, dût-il employer la force pour se guérir de cette lèpre. »
Je suis loin de dire que ces paroles expriment l'opinion des honorables ministres ; je les signale à l'attention publique parce qu'elles répondent certainement aux sentiments de quelques amis du ministère.
Parlons maintenant de la loi des bourses. Sur ce point, M. le ministre des finances n'a pas été heureux dans ses explications. Depuis que cette question des bourses est soulevée, l'université de Louvain a été toujours mise en cause quoiqu'elle soit constamment restée étrangère à l'administration et à la collation des bourses. Cependant l'honorable ministre vous a dit dans son premier discours qu'elle est parvenue à centraliser dans ses mains l'administration de toutes les bourses.
Et, lorsque je lui ai fait remarquer que le receveur des fondations n'avait pas été chargé de cette gestion par l'université, l'honorable ministre me répondit : « Il a été nommé par vos amis. »
Non, messieurs. Voici la vérité, telle qu'elle résulte des actes officiels.
M. Staes est le principal receveur des fondations de bourses à Louvain. Il a commencé à administrer les fondations de bourses en 1823 et en 1824. Sa première nomination remonte donc au gouvernement des Pays-Bas.
En 1834, il a été chargé par l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, de l'administration de quelques autres collèges.
En 1851, la mort de M. Nozet ayant rendu vacante l'administration de quelques autres fondations, cette gestion fut conférée de nouveau à M. Staes par M. Tesch, ministre de la justice.
Ce ne sont donc pas nos amis qui ont centralisé l'administration des fondations des bourses dans les mains de M. Staes, mais des membres du ministère.
En entrant dans ces détails, j'ai voulu établir, une fois pour toutes, que l'université catholique est restée étrangère aux collations de bourses ; j'ai voulu mettre un terme à des accusations trop souvent répétées. Je vous le demande, le ministre du roi des Pays-Bas, l'honorable M. Rogier, l'honorable M. Tesch, sont ils donc parmi les nôtres ? (Interruption.)
Parlez encore maintenant de cette vaste centralisation, organisée par l'université et à son profit exclusif !
Messieurs, un dernier mot. Je vous prie de remarquer que déjà en 1834, l'université de l'Etat à Louvain, s'était adressée au gouvernement pour qu'il affectât exclusivement aux élèves de l'université de Louvain le revenu des anciennes fondations,
Celte thèse, appuyée par la population de Louvain, fut développée dans une brochure non moins remarquable pour le fond que pour la forme ; on dit même qu'elle a été écrite par un professeur de l'université qui appartient actuellement à l'université de Bruxelles. Vous le voyez bien, messieurs, ce n'est pas l'université catholique qui a provoqué la question ; elle était posée lorsque personne encore ne pouvait s'attendre à la suppression de l'université de l'Etat.
Jusqu'en 1852, les bourses ne pouvaient être attribuées qu'aux élèves fréquentant les établissements de l'Etat ; à partir de cette date, l'honorable M. Rogier permit de les accorder aux élèves qui fréquentent les établissements libres ; cette décision, dictée par le principe constitutionnel de la liberté d'enseignement, fut accueillie avec satisfaction par toutes les familles.
Rien n'est donc moins fondé que le reproche adressé à l'université catholique par l'honorable ministre des finances : encore une fois, ce n'est pas elle qui a fait naître la question ; jamais elle n'a cherché à s'enrichir des dépouilles des autres.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Vous avez donné les bourses exclusivement aux étudiants de l'université de Louvain.
M. Delcourµ. - Non, cela n'est pas- exact. J'appelle, messieurs, toute votre attention sur le fait suivant :
Une bourse avait été fondée en faveur des parents du fondateur : c'est une famille considérable de Gand qui est appelée à jouir aujourd'hui de cette bourse. Sur la demande de l'ayant droit de pouvoir continuer ses études à Gand, le collateur ne voulut pas se prononcer et pria la famille de prendre l'avis d'un avocat. On s'adresse à M. Mascart, et cet honorable avocat répondit qu'en présence de l'acte de fondation et des arrêtés de 1818 et de 1823, les études devaient être faites à Louvain.
M. Landeloosµ. - M. Forgeur a dit la même chose.
M. Delcourµ. - Permettez-moi de revenir un instant sur l'article 84 de la loi communale.
M. le ministre des finances vous a dit hier : La loi de 1859, que nous avons proposée aux Chambres pour modifier la loi communale, est d'accord avec notre politique générale : pas de mainmorte.
Moi, je vous dis que la loi de 1859 est un anachronisme dans notre législation.
L'article 84 de la loi communale n'est pas une disposition nouvelle ; il a été emprunté aux règlements de 1823 et de 1824.
L'article 84, permettant d'établir des administrateurs spéciaux, ne décidait pas une question politique, mais une question de justice ; c'est vous qui en avez fait une question politique.
En jugeant la loi des bourses, j'ai dit, que, dans ma pensée, la loi était injuste, qu'elle portait atteinte à la propriété, qu'elle violait des droits civils légitimement acquis. Voilà, messieurs, ma pensée tout entière sur cette question.
Qu'est-ce qu'une fondation de bourse ?
La fondation de bourse, c'est un être moral, créé par la volonté d'une personne, volonté sanctionnée et reconnue par la loi.
Dans la création d'une fondation de bourse, on rencontre deux éléments : la volonté du fondateur ; la loi qui reconnaît l'efficacité de cette volonté.
En droit, on peut dire que le fondateur contracte en quelque sorte avec la société. Il dit à la société : Voilà la libéralité que je vous offre à telles conditions, l'acceptez-vous ?
Or, la loi sur les fondations est venue détruire ce contrat.
Entre particuliers, celui des contractants qui a violé la convention est traité de malhonnête homme. Moi, entrant dans une sphère plus élevée, je dis : La loi qui viole les principes de justice est un acte malhonnête.
Examinons maintenant quel est le caractère du droit de propriété dans une fondation de bourses.
Je rencontre trois personnes différentes dans une fondation de bourse : l'administrateur des biens qui forment la dotation de la fondation ; le collateur, qui est particulièrement chargé de conférer la bourse ; des jeunes gens appelés à profiter de la bourse.
Le droit d'administration : je n'entends parler que du droit d'administration établi par l'acte de fondation.
Il est clair qu'en l'absence de clauses spéciales dans l'acte, l'autorité publique pourra désigner et révoquer l'administrateur. Telle n'est pas mon hypothèse : je parle de l'administrateur désigné par l'acte de fondation. Or, quel est le droit de la personne ainsi désignée ? je dis que c'est un droit civil qui a sa source dans la volonté du fondateur ; que ce droit ne saurait être une fonction publique : fonction publique et droit civil sont deux choses essentiellement distinctes. Cela, est élémentaire en droit.
(page 115) J'arrive, messieurs, à la collation.
Dans la discussion de la loi des bourses, l'honorable M, Kervyn caractérisait le droit des collateurs par un mot qui m'a frappé ; invoquant Van Espen, il disait avec cet auteur, que le droit du collateur est un jus in re. Je n'ai pu vérifier la citation, je m'en rapporte à mon honorable ami, dans l'exactitude duquel j'ai la plus grande confiance. Eh bien, si le droit du collateur peut être considéré comme un jus in re, pouvez-vous douter un seul instant du caractère de ce droit ; un droit réel ne saurait être qu'un droit civil.
J'arrive maintenant aux ayants-droit, à ceux qui sont appelés à jouir de la bourse. Ici aucune contestation n'est possible ; il est clair que le droit de celui qui est appelé à jouir de la bourse, ne serait être qu'en droit civil.
Mais M. le ministre de la justice est allé plus loin. Il vous a dit que le seul propriétaire dans la fondation de bourse est le boursier ; c'est-à-dire celui qui est appelé à jouir des revenus de la fondation.
L'honorable ministre a confondu deux choses bien différentes, la propriété et le droit de jouissance. En entendant l'honorable ministre se prononcer ainsi, je me suis demandé si son erreur ne reposait pas sur la théorie que l'honorable membre a développée dans le rapport de la section centrale, théorie d'après laquelle le droit de propriété n'est qu'un droit viager.
Nous avons, mon honorable collègue M. Thonissen et moi, été fortement critiqués au sein du Parlement, au sujet des principes que nous avons exposés sur le refus que fait le clergé de concourir, à l'exécution de la loi des bourses.
Messieurs, quand j'ai défendu cette doctrine, j'étais pénétré d'un grand principe.
Bossuet a dit : Il n'y a pas de droit contre le droit ; et quand Bossuet exprimait cette grande pensée, il émettait une doctrine conforme à toutes les traditions juridiques.
Je ne veux pas rappeler devant la Chambre les textes du droit romain ; il y a, au digeste, plusieurs lois qui établissent que la justice domine la loi positive. C'est de la loi universelle et générale que Cicéron disait : Elle est la même à Rome et à Athènes ; elle est la même aujourd'hui que demain ; elle est la même partout, dans tous les temps et dans tous les lieux. Voilà, messieurs, la loi de la justice que nous revendiquons aujourd'hui.
M. Coomans. - Et ce n'était pas un clérical celui-là. (Interruption.)
M. Delcourµ. - Permettez-moi de vous citer un nom connu, celui de Benjamin Constant. Dans son Cours de politique constitutionnelle, Benjamin Constant s'exprime en ces termes ; « Tout un peuple ne peut rendre juste ce qui est injuste ; la puissance de la loi civile et positive doit être circonscrite dans la même limite que l'autorité dont elle émane. »
Ces mots suffiront, j'espère, pour vous convaincre, messieurs, que ma doctrine ne mérite pas les reproches qu'on lui a adressée ; elle est fondée sur la raison, sur les écrits d'éminents jurisconsultes et de nos meilleurs publicistes.
On m'accusait hier d'être venu polluer le sanctuaire de la loi, en soutenant une pareille doctrine. Je réponds à mon honorable adversaire, qu'en compagnie de Cicéron, de Bossuet, de Benjamin Constant, je n'ai rien à redouter de ses reproches : je consens volontiers à polluer l'enceinte législative en aussi bonne société.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - L'honorable M. Delcour est revenu sur diverses observations qui avaient été présentées au sujet des paroles qu'il avait prononcées dans cette enceinte.
Il a terminé son discours en nous disant qu'il ne redoutait pas de polluer l'enceinte législative avec Cicéron, Bossuet, Royer-Collard, et à l'appui de sa thèse il a avoué que Cicéron avait proclamé qu'il y avait une justice qui est au-dessus des lois, qu'il y avait un droit antérieur à la loi.
Mais, messieurs, cela est évident et personne ni au banc ministériel ni ailleurs dans cette Chambre n'a soutenu le contraire de la doctrine exprimée par Cicéron.
Il est évident qu'il y a des principes de morale universelle, des notions de droit qui sont les mêmes partout et que la loi a pour mission d'appliquer ; mais en proclamant ce droit général, est-ce que Cicéron soutenait qu'un citoyen déterminé ou un groupe de citoyens en minorité dans un pays avait le droit de se croire supérieur à la raison de la majorité, d'imposer sa pensée comme le droit antérieur à la loi, de prétendre qu'elle était la vérité absolue, de soutenir que tout ce que les autres font est absurde et injuste ?
Jamais Cicéron n'a rien dit de pareil. Cicéron a répondu par des faits au discours de l'honorable M. Delcour.
N'a-t-il pas attaqué et poursuivi de toute sa vigueur Catilina ? Catilina disait aussi que les lois d'alors étaient mauvaises et injustes, qu'il y avait un droit antérieur à la loi. Cicéron le poursuivait avec la plus grands énergie et s'en fit même un titre de gloire.
Messieurs, c'est une singulière prétention que celle des honorables MM. Delcour et Thonissen. Voilà 15 jours que nous discutons sur la résistance de l'épiscopat et des collateurs à l'exécution de la loi des bourses, et ces honorables membres, pour réfuter la théorie légale du respect dû à la loi que nous avons été obligés d'exposer dans cette enceinte, se bornent à des déclamations, et rien qu'à des déclamations, à de grands mots, à de grandes phrases. (Interruption.)
En définitive sauriez-vous répondre quelque chose à ce petit argument, ci ? Vous prétendez que la loi est absurde et injuste, mais nous soutenons le contraire ; pourquoi prétendez-vous que vous avez plutôt raison que nous ? (Interruption.)
Messieurs, vous êtes en minorité et vous avez été successivement condamnés par le pays.
Comme je vous l'ai dit une première fois, vous n'avez que votre infériorité numérique et vos défaites électorales pour établir que vous avez raison contre nous.
Vous avez beau crier : le droit est antérieur à la loi, nous prétendons que la loi des bourses représente ce droit, nous prétendons que cette loi est juste, qu'elle est faite pour réagir contre des abus évidents, incontestables.
Il ne suffit pas, messieurs, de venir alléguer que vous êtes seuls dans le juste et dans le droit ; il est facile de se décerner à soi-même des brevets de vertu et de probité.
Nous sommes des voleurs et des confiscateurs et vous vous dites des gens honorables. Doit-on pour cela vous croire sur parole ?
M. Bouvierµ. - C'est très commode.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je persiste à dire que la théorie professée ici par les honorables MM. Delcour et Thonissen est dangereuse, et hier l'honorable M. Thonissen le reconnaissait lui-même à la fin de son discours.
D'autres résistances à la loi peuvent se produire. Des citoyens mécontents d'autres lois peuvent user des mêmes moyens que les collateurs des bourses. Ils peuvent dire à la majorité : Que me fait vôtre majorité ? Il y a un droit antérieur à la loi ; nous prétendons que votre loi est injuste ; nous ne l'exécuterons pas. Que répondriez-vous ? Vous n'auriez rien à répondre. (Interruption.) Si vous sortez de la théorie légale, vous êtes des révolutionnaires. Oui, si vous croyez que vous ne pouvez par le jeu régulier de nos institutions, par l'appel au pays, par les moyens que la Constitution met en votre pouvoir, redresser les griefs que vous formulez contre la majorité, il faut vous révolter. (Interruption.)
M. Thonissenµ. - Est-ce que vous le feriez, vous, éventuellement ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Nous n'avons pas à nous révolter, nous.
M. de Mérodeµ. - Il demande si vous résisteriez à la révolte.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Evidemment nous résisterions à la révolte, et ferme encore.
Vous prétendez, messieurs, que vous n'êtes pas en état de révolte. Il n'y a cependant pas l'ombre d'un doute sur cette question. Vous faites tout ce qu'il vous est humainement possible de faire. On n'est pas seulement des révoltés quand on descend dans la rue, on est révolté quand on refuse un service obligatoire pour le citoyen. Celui qui ne payerait pas ses impôts, qui ferait saisir ses meubles et se ferait mettre en prison serait un révolté. Les réfractaires sont des révoltés ; ce sont des rebelles à la loi.
Les émigrés en France, ceux qui ne voulaient pas prendre part à l'exécution des lois de 1789, étaient appelés des rebelles. Ils étaient rebelles à la loi.
M. de Mérodeµ. - On leur a coupé le cou.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'apprécie pas leur conduite, je constate qu'ils étaient rebelles à la loi : l'honorable M. Thonissen dit : On peut aller devant les tribunaux et les tribunaux ont pour but de sauvegarder notre dignité. En quoi cela sauvegarderait-il votre dignité ?
Je comprends que votre dignité serait sauvegardée si vous n'exécutiez (page 116) les décisions des tribunaux que contraints et forcés, c'est-à-dire, s'il fallait les huissiers et les agents de la force publique pour s'emparer des papiers que vous détenez illégalement. Mais si vous venez remettre les pièces après la simple déclaration des tribunaux que la loi vous est applicable, je ne comprends pas en quoi votre dignité serait sauvegardée, car vous aurez cédé devant une simple déclaration de droit. Or, vous savez, dès maintenant, que la magistrature en décidera ainsi. Pour que votre dignité soit sauvegardée, si tant est qu'il y ait lieu de la sauvegarder et qu'elle puisse l'être ainsi, il faut que vous alliez jusqu'à l'acte révolutionnaire, jusqu'à vous laisser contraindre par la force.
J'espère que vous n'en ferez rien, car ce serait une véritable puérilité, et je crois qu'après quelques actes judiciaires, l'épiscopat abandonnera ce jeu qui tendrait à le rendre ridicule aux yeux du pays.
M. Orts. - Et puis cela coûte cher.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Et cela coûte cher, en effet.
M. Delcour a parlé des bourses d'étude et a dit : Je ne comprends véritablement pas comment M. Bara peut prétendre que les boursiers sont propriétaires des bourses. M. Delcour ne m'a pas compris ; je lui ai posé diverses questions, il nous disait : La loi des bourses est une atteinte à la propriété privée ; je lui ai répondu : Voyons, qui est propriétaire ? Est-ce le collateur, est-ce le boursier ? Il n'y a pas l'ombre d'un doute que c'est le boursier. (Interruption.)
Le boursier n'a que la jouissance, dit M. Delcour ; c'est vrai, mais la chose publique, l'être moral appelé fondateur de bourse d'étude est propriétaire pour les boursiers, absolument comme dans les bureaux de bienfaisance et les hospices, c'est le corps moral qui s'appelle hospice, bureau de bienfaisance, qui est propriétaire pour les pauvres. Mais d'après M. Delcour, c'est le collateur qui est propriétaire. (Interruption.) Il n'est pas propriétaire des biens... (Interruption de M. Delcour.) mais du droit de collation.
Le droit de collation est un droit civil d'après l'honorable membre ! je prierai M. Delcour de se mettre d'accord avec M. Nothomb. Lorsqu'il était au département de la justice, M. Nothomb a, dans un avis au sujet d'un fait relatif à l'administration des bourses, émis l'opinion que le droit de collation était un droit politique et non un droit civil. C'était, je pense, au sujet de la fondation de Hautport.
Un des administrateurs avait subi une condamnation et on demandait s'il perdait le droit d'être administrateur, et, si je ne me trompe, M. Nothomb a décidé à cette occasion que le droit de collation était un droit politique. Et, en effet, messieurs, comment ne serait-ce pas un droit politique ? Les collateurs sont investis du droit de conférer des bourses ou d'administrer des bourses, absolument comme la loi actuelle investit les membres des bureaux de bienfaisance et des hospices, du droit de distribuer des aumônes et des secours. Mais si le droit de collation est un droit civil, ce droit est transmissible aux héritiers.
Or que voyons-nous ? Dans la plupart des collations, les collateurs sont des fonctionnaires publics, des prêtres, des bourgmestres. Voilà donc des dignitaires ecclésiastiques et des fonctionnaires qui sont propriétaires du droit de collation. Je demande à M. Delcour si cela est sérieux, si l'on peut admettre qu'on soit propriétaire d'un droit civil non transmissible ? Le caractère du droit civil, c'est d'être transmissible et aliénable ; or je demande si le curé de telle ou telle église, collateur d'après un acte de fondation, peut disposer de son droit de collation. En réalité, ce serait l'évêque qui en serait propriétaire et non le curé, car il peut déplacer celui-ci et lui enlever ainsi tous ses droits de collateur. (Interruption.) Oseriez-vous nier cela ? Quand un évêque déplace un doyen de Louvain, par exemple, prétendrez-vous que le doyen qui lui succède ne devient pas collateur par sa seule nomination ?
Le droit du collateur n'est donc pas un droit civil, c'est un droit politique.
MfFOµ. - Le titre de collateur est un titre attaché à une fonction.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Tout simplement. Remontons à la source de la fondation, M. Delcour nous dit : La fondation est le résultat d'un contrat entre l'individu et la société ; or dès que la société a contracté, elle est liée comme le particulier.
Cette doctrine n'est pas soutenable, elle n'est pas admissible. Comment voulez-vous que l'Etat puisse aliéner son droit ? Qu'est-ce que la fondation ? C'est le décret d'utilité publique par l'Etat, par la société, d'une institution déterminée. Or, comment voulez-vous que la société puisse aliéner ce droit à toujours ? La société est toujours libre de décider à tout moment donné que l'utilité publique n'existe plus pour telle institution. Quand bien même un contrat existerait, la société qui suivrait serait maîtresse de ses droits.
La puissance publique est toujours entre les mains de la nation, qui a toujours le droit d'en disposer. (Interruption.) Avec votre régime, nous aurions encore actuellement les corporations des vestales romaines, s'il en a existé, nous aurions encore toutes les corporations de l'ancienne Rome. Il y avait là aussi des établissements publics. Pourquoi s'est-on emparé de toutes leurs richesses ? Pourquoi ne les a-t-on pas laissé subsister avec leur affectation ? Il se serait bien trouvé, j'en suis sûr, une vestale déterminée qui aurait dit ; Je veux conserver la propriété de tous ces biens. Quoi ! messieurs, quand tout un pays est devenu protestant, vous n'auriez pas le droit de prendre les fondations faites pour les catholiques ! Cela n'est pas sérieux.
Je suppose que l'on parvienne à implanter en Chine, d'une manière complète, la religion catholique, prétendrez-vous que parce qu'il y restera quelques rares partisans de Brama ou de Bouddha, on devrait réserver tous les établissements religieux quelconques qui couvrent actuellement la Chine ? Je le répète, cela n'est pas sérieux. (Interruption.) Et la doctrine que je défends, messieurs, est parfaitement orthodoxe, c'est la doctrine de l'archevêque de Malines. Le cardinal de Malines, dans une lettre fameuse bien connue, a déclaré que les fondations de bourses d'étude étaient des établissements publics ; eh bien, s'il en est ainsi, ils sont soumis à la puissance publique.
M. Coomans. - La Banque est aussi un établissement public et cependant vous ne pouvez pas lui prendre son argent.
- Voix à gauche. - Oh ! oh !
M. Orts. - Le pape a bien supprimé les Templiers et pris leurs biens. (Interruption.)
MfFOµ. - C'est une loi de l'église qu'elle a le droit de prendre les biens des hérétiques. (Interruption.)
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Lorsqu'on a discuté la loi sur les bourses d'étude il a été établi qu'on avait changé la destination d'un grand nombre de biens affectés à des services religieux. Or, faut-il rappeler où conduit un pareil système ?
Voici des biens qui ont été donnés pour la bienfaisance et il se fait qu'il n'y a plus de pauvres, que voulez-vous qu'on en fasse ? Voilà des biens donnés pour l'entretien d'un hôpital et il n'y a plus de malades. Voilà des biens affectés à la guérison de lépreux ; la lèpre a disparu, et vous conserveriez la léproserie ! Dans tous ces cas donc les biens devraient rester éternellement improductifs et ne recevoir aucune destination. Voilà votre théorie ; eh bien, je dis que cela est insoutenable.
Du reste toutes ces questions ont été traitées en long et en large et j'abuserais certainement de la patience de la Chambre si j'y insistais. Si j'en ai dit un mot, c'est uniquement parce que l'honorable M. Delcour ayant cru devoir y revenir, j'aurais craint que mon silence ne fût considéré comme une preuve d'impuissance de répondre à ses erreurs.
Je termine, messieurs, par une simple observation, j'ai déclaré en interrompant l'honorable M. Delcour, que c'étaient les abus des administrateurs collateurs qui avaient été la cause de la loi de 1864. L'honorable M. Delcour, pour me réfuter, nous a raconté une histoire de M. Mascart qui, dans un cas déterminé, aurait déclaré qu'il fallait donner une bourse à un jeune homme fréquentant l'université de Louvain, parce que l'acte de fondation le prescrivait ainsi. (Interruption.)
Le jeune homme devait faire des études religieuses catholiques et en outre il devait étudier à Louvain. Voila le cas.
Ainsi donc, ce n'est plus seulement le collateur qui a un droit civil ; c'est la ville de Louvain même qui a une sorte de droit de propriété sur la bourse. (Interruption.) Il ne peut s'agir de l'université, car vous ne prétendrez pas que l'université de Louvain actuelle a succédé à l'ancienne université de ce nom. Quel que fût l'établissement qui, sous le nom d'université, serait allé s'installer à Louvain, quels que fussent ses principes, les bourses lui eussent été acquises. Voilà en deux mots la thèse de nos adversaires.
Celte prétention a été franchement défendue par le voisin de l'honorable M. Delcour, par l'honorable M. Landeloos. Cet honorable membre ne s'est pas gêné, lui, pour déclarer très loyalement qu'on ne devait donner les bourses qu'aux jeunes gens qui allaient étudier à Louvain, lorsque l'université de Louvain était désignée dans l’acte...
M. Landeloosµ. - Voudriez-vous répéter les paroles que j'ai prononcées ?
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne les ai pas en ce moment sous les yeux, mais je puis juger de ce que vous avez dit par ce (page 117) que je vous ai répondu et, si ma mémoire est fidèle, l’honorable membre a fait un signe affirmatif en entendant ma réponse que voici :
« L'honorable M. Landeloos reconnaît sans difficulté qu'il en est ainsi, et il affirme que les collateurs ne peuvent faire autrement que d'envoyer les élèves à l'université de Louvain. »
M. de Mérodeµ. - Cela dépend des cas.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Pardon, l'honorable M. Landeloos parlait en thèse générale ; du reste, je retrouverai tout à l'heure le passage même de son discours que je mettrai au Moniteur.
Maintenant, j'ai dit que c'étaient les abus des collateurs-administrateurs qui avaient rendu la nouvelle loi indispensable, et à cet égard, je ne me suis pas contenté de citer un simple exemple. J'ai pris le tableau de la collation des bourses de la ville de Tournai ; je n'ai pas pu faire ce travail pour tout le pays, et voici ce que j'ai constaté :
« Tournai est une des villes où les fondations de bourses sont les plus nombreuses.
« Or, en 1861, messieurs, les collateurs des fondations de Tournai ont conféré 132 bourses, et savez-vous comment elles se répartissent ?
« 39 au séminaire de Tournai.
« 34 au séminaire de Bonne-Espérance.
« 1 au séminaire de Roulers.
« 22 au collège des jésuites à Tournai.
« 17 à des collèges de prêtres, à des couvents et autres.
« 7 à l'université de Louvain.
« 5 à l'université de Liège.
« 5 à l'athénée de Tournai.
« 2 à un pensionnat de jeunes filles.
« Voilà le système de vos collateurs. Les voilà pris en flagrant délit.
« Ainsi, messieurs, sur 132 bourses, l'enseignement par les prêtres en a 120, et l'enseignement laïque 10, deux sont données à un pensionnat de jeunes filles.
« Et sur ces dix bourses, je constate, et il y en a peut-être plus, que 2 appartiennent à des parents de fondateurs que les collateurs n'ont pu empêcher d'aller étudier à Liège. La part de l'enseignement laïque sur 132 bourses est donc de 5 bourses pour l'université de Liège et 5 bourses de 100 francs, je croîs, pour l'athénée de Tournai. »
M. Rodenbach. - Cela s'explique parfaitement s'il s'agissait de jeunes gens catholiques.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Du tout, c'étaient des bourses qui pouvaient être données à l'enseignement laïque. Ainsi, les bourses attribuées au collège de Bonne-Espérance auraient pu tout aussi bien être données à l'athénée de Tournai, il en est de même des 22 bourses données au collège des jésuites, qui est bien un établissement d'humanités comme l'athénée de Tournai.
Et j'ajoutais un autre fait, en ces termes :
« Un ancien bourgmestre d'une ville de mon arrondissement avait droit à une bourse de famille pour son fils. Il a été trouver les administrateurs de la fondation et il leur a dit : Mon fils veut aller étudier à l'université de Bruxelles. On lui a répondu : Allez à Liège, allez à Louvain, mais pour Bruxelles vous n'aurez pas de bourse. »
M. Bouvierµ. - Voilà qui est clair !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - J'avais donc raison de dire, et je puis répéter que la loi est née des abus que vous avez commis. C'est parce que vous avez accaparé toutes les bourses...
M. Dumortier. - Nous les avons prises parcs que les actes de fondation exigeaient que les jeunes gens allassent étudier dans une université catholique.
- Voix à gauche. - C'est cela !
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Dites donc que le patrimoine des boursiers appartenait entièrement à l'université de Louvain.
M. Dumortier. - Mais qui donc avait fondé les bourses ? C'étaient des curés, des catholiques et non pas vous !
M. Landeloosµ. - J'ai répondu à cette objection de M. le ministre. (Interruption.)
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je regrette beaucoup que l'honorable M. Landeloos s'irrite si fort de ce que je dis, puisque son ami, l'honorable M. Dumortier reprend sa thèse et déclare très franchement, très loyalement... (Interruption.)
MpVµ. -Pas d'interruption, M. Thonissen.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne sais pas ce que me dit l'honorable M. Thonissen.
M. Thonissenµ. - On me défend de le répéter.
M. Landeloosµ. - On nous interpelle et puis on nous défend de répondre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je ne vous ai pas interpellé le moins du monde et je ne comprends vraiment pas les emportements de l'honorable membre. Je dis que l'honorable M. Dumortier, reprenant la doctrine de l'honorable M. Landeloos, soutient qu'on ne doit envoyer les boursiers qu'à Louvain.
M. Thonissenµ. - Quand l'acte de fondation en décide ainsi.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Oui les actes de fondation ont désigné l'université de Louvain ; mais pourquoi ? Parce que c'était une université catholique ? Pas du tout : parce qu'il n'y avait que celle-là dans le pays. Il y avait alors de grandes luttes de religion. Beaucoup de membres du clergé étaient partisans de la religion selon Bossuet ; ils voulaient les libertés gallicanes, et il n'est pas dit que les mêmes personnes auraient fait des libéralités en faveur de l'université de Louvain, si à cette époque le régime actuel de cet établissement eût existé.
En tout cas, je dis que votre système tendait à concentrer les bourses d'étude exclusivement sur la tête des élèves de l'université de Louvain. C'est cet état de choses qui a nécessité la réforme des arrêtés du roi-Guillaume, ainsi que la loi de 1864.
MfFOµ. - Messieurs, je demande la parole pour présenter une seule observation ; il s'agit presque d'un fait personnel.
Dans une séance précédente, j'ai constaté, à propos de l'affaire des bourses d'étude, qu'en fait, ces bourses se trouvaient en très grande partie centralisées à Louvain, et que, par événement, la même personne. se trouvait être en même temps chargée des fonctions de receveur des fondations de bourses et de celles de trésorier de l'université catholique ; j'ai constaté que, par suite de ses doubles attributions, cette personne avait pu exercer une influence très réelle, très active, au profit de l'université catholique.
J'ai été interrompu par l'honorable M. Delcour qui m'a dit : « Ce sont vos amis qui ont nommé ce receveur ; il a été nommé en 1830.
M. Delcourµ. - Avant 1830.
- Voix à gauche. - Quels étaient nos amis avant 1830 ?
MfFOµ. - J'ai répondu à l'honorable membre qui énonçait ce fait : « Ce n'est pas nous qui avons nommé ce receveur. »
Messieurs, je ne faisais ainsi que répondre à l'objection de l'honorable M. Delcour. Je n'ai nullement eu l'intention, qu'il m'a très gratuitement prêtée, d'affirmer un fait que je ne connaissais pas ; j'ai répondu simplement à une interruption en indiquant l'influence qu'avait pu exercer en faveur de l'université de Louvain la personne à laquelle je faisais allusion. Et aujourd'hui, l'honorable membre, au lieu de s'occuper de la vraie question, de celle de savoir si, dans cette affaire, les prétentions du parti catholique n'étaient pas toujours allées en grandissant, l'honorable membre a consacré une notable partie de son discours à épiloguer sur une équivoque. Mais quant à combattre les faits que j'ai établis devant la Chambre, c'est ce dont il s'est le moins préoccupé.
Signalant les exigences qui se sont successivement révélées en cette matière, j'ai montré que d'abord on s'était borné à demander à mon honorable ami, M. Rogier, qu'il proclamât, malgré la loi, la liberté des études ; que non content d'avoir obtenu satisfaction sur ce point, le parti catholique en était arrivé jusqu'à déclarer que les bourses de fondation lui appartenaient exclusivement, comme on le soutient encore aujourd'hui, et que, pour en jouir, il fallait absolument étudier à l'université de Louvain. (Interruption.)
Mais au lieu de rencontrer ces graves objections qui font la partie essentielle de la question des bourses d'étude, l'honorable membre vient vous dire d'un air triomphant : « Je vais rectifier un fait erroné que vous avez avancé ; je vais vous apprendre que le receveur, nommé depuis 1823 ou 1824, a été confirmé, dans ses fonctions par l'honorable M. Rogier et ensuite par l'honorable M. Tesch. » Faciles triomphe, en vérité !
Avais-je affirmé le contraire ? Etait-ce là l'objet du débat ? Je ne pense pas que l'on puisse s'y tromper. L'honorable M. Delcour s'est commodément placé à côté de la question, n'osant pas l'aborder de front.
Je n'avais pas à établir la date de la nomination du receveur des bourses d'étude. Au point de vue de la thèse que je soutenais, cette question n'avait rien à faire dans le débat, où elle a été introduite par l'honorable M. Delcour lui-même.
(page 118) Je n'avais pu l'intention de prendre la parole dans cette discussion. Je n'avais sous les yeux, la Chambre le sait, aucune note, aucun document, et j'aurais commis une erreur, qu'elle serait fort excusable. Mais je n'ai fait, je le répète, que répliquer à une interruption de l'honorable membre, en acceptant même comme exact le fait qu'il avait indiqué.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Messieurs, j'ai cité tout à l'heure l'opinion de l'honorable M. Landeloos ; je suis heureux de pouvoir mettre immédiatement sous les yeux les paroles de l'honorable membre.
L'honorable M. Landeloos avait produit comme argument l'opinion de M. Mascart, ainsi que l'a fait aujourd'hui l'honorable M. Delcour ; et il adoptait complètement l'opinion de M. Mascart en ces termes ; « Ceci est tellement vrai, que lorsqu'il s'agit de la collation d'une bourse d'étude, à laquelle prétendait avoir droit un étudiant de la ville de Gand, on lui a fait connaître que d'après l'acte de fondation, d'après une transaction qui était intervenue entre la ville de Louvain et l'héritier du fondateur, il fallait que l'étudiant suivit les cours donnés à l'université de Louvain. »
Ainsi chaque fois que les mots « université de Louvain » se trouvaient dans un acte de fondation, il fallait étudier à Louvain. Voilà ce que soutenait l'honorable membre et voilà la seule opinion que je lui ai attribuée.
M. Landeloosµ. - J'ai dit que la volonté des fondateurs devait toujours être maintenue.
M. Guillery. - Je demande à la Chambre la permission de lui parler sur le budget de la justice ; je considère la discussion politique comme terminée ; il n'y a plus d'orateurs inscrits.
MpVµ. - Pardon ; M. Landeloos est encore inscrit ; s’il vous ne vous y opposez pas, M. Guillery, je donnerai la parole à M. Landeloos.
M. Guillery. - Volontiers. M. le président.
MpVµ. - La parole est à M. Landeloos.
(page 133) M. Landeloosµ. - Messieurs, je n'avais aucune intention d'intervenir dans la discussion qui a été soulevée à l'occasion de la nomination de l'honorable M. Bara. Je ne veux pas suivre sur le terrain politique tous les orateurs qui ont pris part à cette discussion.
L'honorable M. Bara a cru qu'il était convenable de m'attribuer des paroles que je n'avais pas prononcées, des intentions que je n'avais pas manifestées. En répondant à mon honorable ami M. Delcour, il a voulu le mettre en contradiction avec ce que j'avais dit lors de la discussion de la loi sur les bourses d'étude ; il a prétendu que j'avais soutenu et reconnu que certaines bourses d'étude avaient été conférées à des étudiants, par cette seule considération qu'ils suivaient les cours de l'Université de Louvain.
Je me rappelle fort bien, messieurs, que lorsqu'il s'est agi de la discussion du projet de loi sur les bourses d'étude, j'ai invoqué ce principe d'éternelle justice, qu'on ne peut jamais porter atteinte aux droits acquis.
Je me souviens que, m'appuyant sur le principe, inscrit dans l'article 2 du Code civil, que la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a pas d'effet rétroactif, j'adjurais la majorité de repousser le projet du gouvernement, qui était injuste et contraire à toutes les notions de droit admises par les peuples civilisés. Malheureusement ma voix ne fut pas assez éloquente, assez persuasive pour faire admettre par la majorité ma manière de voir.
Messieurs, on m'attaque ; on prétend que j'ai reconnu que, dans certaines collations de bourses, on n'a pas tenu compte des dispositions de la loi, des dispositions des testaments ou des dispositions des donations, et qu'on a, contrairement aux volontés des fondateurs, repoussé des boursiers par cette seule considération que ces bourses auraient dû profiter à des étudiants qui fréquentaient l'Université de Gand.
En répondant à l'honorable ministre de la justice, je pourrais me servir des termes qui ont été déjà employés dans cette enceinte, mais les envisageant comme peu parlementaires, je dirai simplement que l'honorable ministre, en me prêtant ce langage, est dans l'erreur. Jamais je ne me suis permis de reconnaître un tel fait. Au contraire, lorsque l'honorable ministre qui, à cette époque, se trouvait sur les bancs de la majorité, comme simple député, avait soutenu dans son rapport, qu'un certain M. Ectors, si je ne me trompe, avait écrit que pour obtenir une bourse...
M. le ministre de la justice (M. Bara). - Je n'ai pas parlé de M. Ectors.
M. Landeloosµ. - ... je crois que l'honorable ministre, dans le rapport qu'il a fait sur le projet de loi relatif aux fondations de bourses, a relevé ce fait, fait qu'il vient de nouveau de rappeler il n'y a que cinq minutes et qui consiste à dire que certain collateur aurait écrit à un père d'un étudiant que probablement on ne lui accorderait pas la bourse, s'il ne consentait à ce que son fils suivît les cours de l'université de Louvain.
Qu'ai-je répondu à cet égard ? Ai-je dit que M. Ectors avait tenu un tel langage contrairement aux volontés du fondateur ? Ai-je reconnu à M. Ectors le caractère de collateur de bourse ? Ai-je reconnu que, d'après le projet même présenté par le gouvernement, M. Ectors rentrait dans la catégorie de ceux à qui l'on voulait enlever l'administration et la collation des bourses ? Non, je n'ai pas fait cette reconnaissance. C'est le contraire que j'ai soutenu. Ce que M. le ministre de la justice me prête est donc complètement erroné. Je vais d'ailleurs vous le démontrer.
Voici ce que j'ai dit :
« L'honorable rapporteur continue encore :
« Et les faits, n'en a-t-on pas à citer ? N'a-t-on pas dit à la tribune parlementaire, sans être contredit, qu'un jeune homme ayant demandé une bourse établie dans le Hainaut et ayant manifesté l'intention d'étudier à l'université de Bruxelles, il lui a été répondu : Pour Bruxelles, non !
« C'est donc l'unique preuve que l'on est parvenu à découvrir pour étayer son système. Oh ! cette preuve est accablante, il est évident qu'en présence d'une telle lettre, lettre qui émanait, si je ne me trompe, de M. Ectors et dont l'honorable ministre des finances a donné lecture à la tribune en 1857, il est évident que nous devons passer condamnation. Mais, messieurs, si réellement le fait qui est invoqué n'a pas rapport à la catégorie des bourses dont vous vous occupez, de quel droit invoquerez-vous cette pièce ? D'après le projet de loi, on n'enlève le droit de collation qu'aux collateurs étrangers à la famille ; quand les collateurs sont parents des fondateurs, on leur reconnaît le droit de collation ; on ne le leur enlève pas ; on dit qu’il est nécessaire de faire une exception en faveur de ces collateurs et qu’on ne vient en rien modifier le régime qui existe à leur égard.
« Si cette lettre émanait réellement d'une personne qui aurait écrit au nom d'un collateur parent du fondateur, vous ne seriez pas autorisés à prétendre que cette lettre suffit pour démontrer que l'on exerce une pression illégitime pour forcer les étudiants a suivre les cours de l'université de Louvain plutôt que ceux d'une autre université.
« Eh bien, messieurs, la supposition que je viens de faire existe en réalité ; la lettre qu'on invoque émane d'une personne qui répond au nom d’un parent qui avait le droit de collation ; dès lors, toute votre argumentation tombe à faux ; vous n'êtes plus en droit de dire qu'il existe une preuve quelconque pour appuyer votre système.
« Mais, messieurs, fût-il même vrai que cette lettre eût été écrite au nom d'un collateur étranger au fondateur, qui vous dit qu'en tenant ce langage on n'a pas suivi les intentions du fondateur ?
« Qui vous dit que les actes de fondation ne contiennent pas une clause formelle portant que le gratifié doit suivre les cours de l'université de Louvain ? et si cette clause s'y trouvait, si l'on y rencontrait les mêmes stipulations que celles qui ont fait l'objet de la consultation des honorables MM. Mascart et Forgeur, ne devriez-vous pas dire que le collateur n'a fait que remplir un devoir de conscience en exigeant l'accomplissement de cette condition ? »
Voilà, messieurs, ce que je disais en 1863.
Ce que j'ai soutenu à cette époque, je le soutiens encore aujourd'hui. Je dis que si une fondation contient la clause formelle que le gratifié doit faire ses études dans une université établie dans la ville de Louvain, vous gouvernement, vous collateurs, vous n'êtes pas en droit d'en gratifier une autre.
M. le ministre de la justice (M. Bara). - C'est ce que j'ai dit.
M. Landeloosµ.- Ce principe, je le soutiens, parce que dès que l'autorité compétente a reconnu l'existence d'une fondation, il est de son devoir d'exiger que toutes les conditions sous lesquelles elle a été créée soient fidèlement remplies, et que je ne puis admettre qu'une autorité subséquente ait le droit d'y apporter des modifications et de refaire la volonté du fondateur. Lorsque cette autorité s'arroge un tel droit, je nt crains point de le dire, elle porte atteinte à un droit acquis.
Messieurs, je ne pense pas que l'honorable ministre, par les paroles qu'il a prononcées en réponse à celles de mon savant ami M. Delcour, soit parvenu à énerver en quoi que ce soit les arguments que ce dernier a fait valoir ; je puis donc me dispenser de les étayer de nouvelles considérations. Le seul motif qui m'a engagé à prendre la parole étant celui de protester contre la pensée que M. le ministre m'a attribuée, je crois l'avoir suffisamment fait et je crois dès lors inutile d'entrer dans d'autres développements.
(page 118) - La discussion générale est close.
MpVµ. - Il est parvenu au bureau un amendement à un article du budget ; il est ainsi conçu :
« Les soussignés proposent de majorer de 2.100 francs le chiffre du n°8 du chapitre II, et de 23,300 francs le chiffre du n°10 du même chapitre, afin de fournir à M. le ministre de la justice le moyen d'accorder aux secrétaires des parquets des cours d'appel et des tribunaux de première instance, les mêmes traitements qu'aux commis greffiers.
« Thonissen, X. Lelièvre, P. Tack, Bouvier-Evenepoel, Emile Dupont. »
- Cet amendement sera imprimé et distribué
M. J. Jouret, rapporteurµ. - M. le ministre de la justice a présenté un autre amendement à l'article 2. Cet amendement consiste à augmenter l'article 2 d'une somme de 12,000 fr.
La section centrale l'a examiné et l'a adopté à l'unanimité des membres présents.
Si la Chambre le désire, cet amendement pourrait être imprimé et distribué en même temps que celui dont il vient d'être donné lecture.
MpVµ. - Cet amendement sera aussi imprimé et distribué.
- La séance est levée à 5 heures.