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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 1 août 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1579) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

Il donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

Il présente l'analyse servante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Grisa demande une augmentation de pension pour les blessés de septembre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Auguste Morel demande une enquête sur les paroles prononcées contre lui par M. le ministre de la justice, à la séance du 29 juillet. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Pamel demandent l'établissement, à Okegem, d'une station sur le chemin de fer de Dendre-et-Waes. »

- Même renvoi.


« Le sieur Jeurissen-Vandermissen prie la Chambre de s'occuper du projet de loi concernant la réforme douanière. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des sociétés industrielles prient la Chambre d'ordonner la mise en adjudication publique de la concession du chemin de fer de Saint-Ghislain à Frameries. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à cette concession.


« M. de Rongé demande un congé d'un jour. »

- Accordé.


M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le compte rendu des opérations du chemin de fer pour 1864.

MpVµ. - Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce document ; il sera imprimé et distribué.

Projet de loi relatif au payement effectif du cens électoral

Discussion des articles

Article premier

MpVµ. - La discussion s'ouvre sur le projet de la section centrale, d'après les renseignements fournis par M. le ministre des finances.

« Art. 1er. Le double des rôles des contributions directes, dont l'envoi aux autorités communales est prescrit par l'article 7 de la loi électorale, doit renseigner, outre les cotisations pour l'année courante, celles des deux années antérieures, et, en regard de chacune de ces deux dernières cotisations, pour autant qu'elles ne soient pas apurées, la somme réellement acquittée par le contribuable, ou la mention qu'il n'a rien payé. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Les receveurs des contributions directes sont tenus de joindre aux doubles des rôles un extrait de l'état des cotes irrecouvrables et un relevé des ordonnances de décharge. »

M. Mullerµ. - Il résulte des explications données par la section centrale qu'il n'y a pas lieu de confondre les ordonnances de restitution qui sont accordées pour inoccupation d'immeubles avec les ordonnancés de décharge proprement dites. Et il y a un motif plausible pour ne pas confondre les unes avec les autres, c'est que, lorsqu'on accorde une ordonnance de restitution, le contribuable n'en possède pas moins les bases de l'impôt. Je désire seulement, pour qu'il n'y ait aucun doute à cet égard, que le gouvernement confirme l'explication qui a été donnée à ce sujet au nom de la section centrale.

MfFOµ. - Il ne peut pas y avoir le moindre doute sur l'interprétation que l'honorable préopinant vient de donner à l'article 2 du projet. Cet article mentionne exclusivement les ordonnances de décharge et ne parle point d'ordonnances de restitution, qui ont un tout autre objet.

Dans l'esprit du projet de loi, il est bien certain que l'on n'a pas voulu atteindre les particuliers au profit desquels des ordonnances de restitution auraient été délivrées.

Dans les instructions qui seront données pour l'exécution de la loi, il sera d'ailleurs fait mention expresse de cette distinction.

- L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. Les dispositions des lois électorale, provinciale et communale, applicables aux doubles des rôles, le sont également aux indications additionnelles et aux documents mentionnés aux deux articles précédents. »

- Adopté.

Article 4

« Art. 4. Nul ne peut être inscrit ou maintenu sur les listes électorales s'il conste des indications contenues dans les doubles des rôles fournie en exécution de l'article premier, et des documents renseignés à l'article. 2, qu'il n'a pas payé le cens pour l'année ou les deux années antérieures à celle de l'élection, suivant les cas déterminés par les articles 3 de la loi électorale, 5 de la loi provinciale, et 10 de la loi communale.

MpVµ. - Deux légères modifications sont proposées à cet article. On propose de remplacer les mots « pour l'année ou les deux années antérieures à celle de l'élection » par ceux-ci : « pour l'année antérieure ou les deux années antérieures à celle de la révision. »

M. Vander Donckt, rapporteur. - Je propose, à l'article 4, de substituer les mots : « à celle de la révision, » à ceux-ci : « à celle de l'élection, » et d'ajouter le mot « antérieure » après les mots : « pour l'année. »

MpVµ. - Cela est entendu, M. Vander Donckt ; l'article dont j'ai donné lecture, était rédigé dans ce sens.

- L'article 4 ainsi rédigé est adopté.

Articles 5 et 6

« Art. 5. L'exclusion ou la radiation est notifiée à l'intéressé, par écrit et à domicile, par les soins de l'administration communale, au plus tard dans les quarante-huit heures à compter du jour où les listes auront été affichées. »

- Adopté.


« Art. 6. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées dans la forme prescrite par les lois électorale, provinciale et communale ; elles ne peuvent être admises, à moins d'être appuyées de quittances valables de payement d'impôts directs, délivrées par les receveurs de l'Etat. »

- Adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

Voici le résultat de cette opération.

59 membres sont présents.

56 répondent oui.

3 répondent non.

En conséquence le projet de loi est adopté. Il sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Nothomb, Orts, Pirmez, Reynaert, Rogier, Sabatier, Tack, Tesch, Thibaut, Thienpont, Thonissen, T'Serstevens, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Overloop, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Couvreur, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Brouckere, de Conninck, de Haerne, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Grosfils, Hayez, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret,| Lange, Laubry, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Muller et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Carlier, De Fré et Hymans.

Projet de loi relatif à la concession ferroviaire en faveur du Haut et du Bas-Flénu

Motion d’ordre et demande d’ajournement

MPVµ. - Je propose à la Chambre d'aborder la discussion du projet de loi relatif aux extensions de concession en faveur de la Société du chemin de fer du Haut et du Bas-Flénu et de celle du chemin de fer du Centre.

M. Laubry. - On avait fixé d'abord à l'ordre du jour quatre autres projets de loi, et cela sur l'insistance de MM. les ministres (page 1580) eux-mêmes. Je crois que, dans l'intérêt de la marche des affaires, il vaut mieux suivre l'ordre du jour tel qu'il a été fixé.

MfFOµ. - Ce projet est à l'ordre du jour.

M. Laubry. - Vous avez vous-même demandé la priorité pour certains projets de loi. Nous pouvons sans doute discuter le projet dont il s'agit ; je n'y fais pas opposition ; mais je crois qu'il vaudrait mieux suivre l'ordre du jour.

M. Orts. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Je propose à la Chambre d'ajourner la discussion de ce projet de loi à la session prochaine, et voici pourquoi.

Il est incontestable qu'aujourd'hui cette question vient saisir la Chambre à l'improviste. L'ordre du jour a été fixé samedi. On ne pouvait supposer raisonnablement que la discussion du projet de loi relatif au Flénu serait abordée aujourd'hui. A la demande du gouvernement, quatre projets de loi avaient obtenu la priorité sur le projet de loi relatif à l'extension des concessions au profit de la société du Haut et du Bas Flénu. Vous venez de constater que beaucoup de nos collègues n'assistent pas à la séance.

Ils avaient pu croire très raisonnablement que cet objet, s'il les intéressait, ne viendrait pas à l'ordre du jour d'aujourd'hui.

Demain, nous reprenons la loi sur les fraudes électorales. Il est de l'intention de la Chambre de terminer cette loi avant toute autre. Elle y a consacré un temps qu'elle n'a pas l'habitude de consacrer aux discussions parlementaires.

Elle est restée à son poste à une époque où beaucoup d'entre nous eussent désiré s'occuper quelque peu, après une longue session, de leurs propres affaires. La Chambre ne veut pas que ce sacrifice reste stérile et elle votera demain la loi sur les fraudes électorales.

La loi relative à la concession des chemins de fer du Flénu donnera lieu à des discussions, à des discussions sérieuses.

- Un membre. - Soit.

M. Orts. - J'entends dire : soit. C'est très bien ; mais je suis convaincu que cette discussion ne se terminera pas aujourd'hui et que par conséquent il faudra la reprendre après la discussion de la loi sur les fraudes électorales et nous avons ainsi la perspective de siéger une semaine de plus. (Interruption.)

Je parle ici avec le plus grand désintéressement ; j'habite Bruxelles ; ce n'est pas moi que cela gênera ; mais nos honorables collègues des provinces ont certainement le droit de terminer leurs travaux lorsque les besoins impérieux de la chose publique ne réclament plus leur présence à Bruxelles.

Il est incontestable, dis-je, que le projet de loi sur le Flénu donnera lieu à une discussion. Cette affaire a fait dans le pays un bruit énorme. Le projet qu'on nous demande de voter a été l'objet de critiques nombreuses de la part d'intéressés importants appartenant à la plus grande industrie de notre pays.

Le conseil provincial du Hainaut, à l'unanimité moins deux voix, a demandé le rejet de ce projet de loi. Le conseil communal de Mons, l'une de nos grandes villes, l'un de nos chefs-lieux de province, plus particulièrement intéressée qu'aucune autre localité, à la prospérité de l'industrie charbonnière, a demandé le rejet du projet de loi à la presque unanimité.

Les communes rurales du couchant de Mons ont émis le même vœu, qui est également appuyé par les sociétés charbonnières les plus importantes. Il est impossible de trancher une pareille question au galop.

Il n'y a, du reste, aucune espèce d'urgence. Il s'agit d'un chemin de fer destiné à desservir des localités qui demandent, par l'organe de leurs mandataires légaux, qu'on ne leur donne plutôt aucun chemin de fer que de leur donner le chemin de fer soumis à la Chambre.

Remettons donc, messieurs, cette affaire à une époque où nous pourrons l'examiner avec maturité, et je crois rendre service aux intérêts engagés dans la question et peut-être même au gouvernement, lorsque je demande l'ajournement que le gouvernement va combattre.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, il y a , pour la discussion immédiate de ce projet de loi, un motif décisif, dont l'honorable M. Orts n'a pas touché un mot. On a fait un très grand bruit, messieurs, autour de cette question, on a provoqué une agitation considérable. Eh bien, dans un intérêt gouvernemental que tout le monde dans cette Chambre appréciera, il faut que cette agitation cesse, il faut qu'une solution intervienne. Qu'on approuve le projet déposé par le gouvernement, qu'on le rejette, la Chambre en décidera sous sa responsabilité, mais il faut que la question soit décidée.

Il y a trois mois que ce projet est déposé ; chacun a pu s'en rendre compte, et il n'y pas une raison, pas un prétexte pour ajourner encore cette question. Il y a plusieurs semaines, la Chambre a décidé qu'elle viendrait à la suite des fraudes électorales. Eh bien, l'échéance est arrivée. J'ai été assez injurié, assez calomnié pour avoir le droit de dire enfin à la Chambre de quoi il s'agit.

M. Sabatier. - Je ne m'oppose en aucune façon à ce que la discussion sur l'extension à donner au chemin de fer soit ajournée à la prochaine session.

M. le ministre des travaux publics semble cependant tenir à ce que la discussion ait lieu avant que la session soit close, et aujourd'hui même, si possible. Il a donné, à ce sujet, diverses raisons que chacun appréciera, mais une chose que ni M. Orts, ni M. le ministre des travaux publics n'a dite, c'est que le projet de loi ne concerne pas seulement le Flénu ; il comporte aussi une extension de concession en faveur de la compagnie du Centre, extension au sujet de laquelle j'ai prié la Chambre, il y a trois semaines, de vouloir bien se prononcer. J'avais parfaitement raison, à cette époque, de prédire que la discussion de la loi sur les fraudes électorales durerait au moins trois semaines, elle en a duré quatre.

Il est clair que l'intérêt engagé dans la question du Centre est un intérêt très pressant, bien autrement pressant que l'intérêt qu'on invoque dans la question du Flénu. Les intéressés dans la question du Flénu peuvent parfaitement attendre et il y en a qui aiment mieux attendre que de voir adopter la solution proposée par le gouvernement. Il n'en est pas de même pour le Centre ; nous sommes d'accord pour demander que la proposition du gouvernement soit adoptée.

Je réclamé donc encore une fois la disjonction et je demande que le gouvernement veuille bien l'admettre.

M. Bouvierµ. - Messieurs, je viens appuyer la motion d'ordre de l'honorable M. Orts. Une foule de documents nous sont arrivés depuis quelques jours. Tous les jours nous recevons des pièces nouvelles quant à la question du Haut et du Bas-Flénu. Il m'a été impossible, quant à moi, d'étudier toutes ces pièces. Nous avons été occupés pendant quatre semaines d'une loi qui a absorbé tout notre temps. Vous avez vu, messieurs, qu'aujourd'hui la Chambre a eu beaucoup de peine à être en nombre. Qu'arrivera-t-il ? C'est qu'après-demain lorsque le second vote sur les fraudes électorales devra avoir lieu, nous ne serons plus en nombre.

Le départ de beaucoup de nos collègues est décidé. (Interruption.) Je demande donc que la proposition de l'honorable M. Orts soit adoptée.

Quant à ce que vient de dire l'honorable ministre qu'il y a eu beaucoup de calomnies lancées dans cette affaire, nous savons tous que M. le ministre est au-dessus de ces calomnies et qu'il remplit parfaitement ses fonctions, de manière que dans 3 mois nous serons réunis de nouveau ; l'un des premiers objets qui sera a l'ordre du jour ce sera cette question et nous pourrons alors émettre un vote en pleine connaissance de cause.

M. Laubry. - Messieurs, j'appuie la proposition d'ajournement de l'honorable M. Orts, et subsidiairement je me joins à l'honorable M. Sabatier pour demander la disjonction.

La disjonction, messieurs, est d'autant plus nécessaire que le projet de loi contient deux dispositions différentes qui n'ont aucun rapport l'un avec l'autre.

II s'agit d'une extension de concession au profit de la société anonyme du Centre, concession qui n'est pas contestée, tandis que de l'autre côté il s'agit d une concession très contestée et autour de laquelle, comme vous le disait tout à l'heure M. le ministre, il y a eu beaucoup de bruit. Oui, il y a eu beaucoup de bruit, messieurs, et ce n'est pas étonnant. Cette question est majeure ; de grands intérêts sont en cause qui seraient lésés si la proposition de M. le ministre passait.

Messieurs, beaucoup de membres de cette Chambre, et je suis de ce nombre, sont favorables à la concession au profit du Centre, tandis qu'ils ne veulent pas voter celle accordée au Flénu.

Si l'on n'adopte pas la disjonction, comme moi, ils voteront contre le projet de loi.

Le travail d'utilité publique que l'on accorde au Centre est réclamé avec instance par les intéressés de ce bassin, tandis que le chemin de Saint-Ghislain à Frameries n'est favorable au couchant de Mons que si la concession en est donnée aux conditions proposées par la compagnie de Hainaut et Flandres ; dans le cas contraire, elle serait préjudiciable aux intérêts du Borinage, c'est pourquoi je ne puis l'admettre. Voilà aussi pourquoi arrivent les protestations contre la concession en faveur du Flénu et pourquoi le sentiment public s'est ému.

(page 1583) Messieurs, il nous importe à tous que les transports se fassei.t dans les meilleures conditions en faveur du commerce et de l'industrie et spécialement de l'industrie houillère du couchant de Mons qui n'est pas heureuse aujourd'hui et qui a besoin, pour se soutenir, d'obtenir la réduction dans les frais de transport, réduction qu'on lui offre et que le gouvernement suppose à lui voir accorder, alors que M. le ministre, dans la mesure du possible, réduit les péages sur ses lignes et canaux, ce dont je le félicite. Enfin pour finir et pour mettre tout le monde à son aise dans l'expression de son vote, je prie la Chambre de vouloir prononcer la disjonction réclamée par l'honorable M. Sabatier.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Il est donc constaté que c'est le gouvernement qui demande à donner des explications, à élucider l'affaire et que ce sont les opposants au projet de loi qui reculent. Je n'ai pas plus que l'honorable M. Orts le désir de prolonger la session, mais à mon sens ni le projet sur les fraudes électorales qui doit être soumis demain à un second vote, ni le projet dont nous nous occupons en ce moment ne sont de nature à donner lieu à de longues discussions. Si le second vote du projet sur les fraudes électorales ne devait pas donner lieu à une nouvelle discussion, ce qui est probable, si, d'autre part, le projet relatif au Flénu ne devait prendre que deux séances par exemple, celle de demain comprise, ne serait-il pas fâcheux d'en avoir ajourné l'examen ? Eh bien, je propose à la Chambre de commencer aujourd'hui la discussion de ce projet, et si, après les explications que j'aurai l'honneur de fournir, la Chambre croit encore que cette affaire pourrait provoquer un débat trop étendu, je déclare que je ne m'opposerai pas à l'ajournement.

- Des voix. - Très bien !

MpVµ. - Insiste-t-on pour l'ajournement de la discussion !

- Voix nombreuses. - Non, non.

MpVµ. - En ce cas, la discussion est ouverte sur le projet de loi relatif à la concession en faveur du Haut et du Bas-Flénu.

Discussion générale

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je demande la parole.

MpVµ. - La parole est à M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, comme je le disais tout à l'heure, on a fait de grands efforts, et avec un certain succès, pour soulever une sorte d'émotion publique au sujet de la question que nous avons à discuter. De prime abord on a lancé des écrits, des protestations de toute nature dans le public, mais ces écrits et ces protestations sont principalement venus d'un côté. Le projet de loi a été beaucoup attaqué et peu défendu ; cette disproportion entre l'attaque et la défense est mon fait.

J'ai usé de toute l'influence dont je pouvais disposer pour obtenir du Flénu et de ceux qui plaidaient ses intérêts, de ne pas entamer une polémique qui ne pouvait pas aboutir. L'affaire devait être solennellement approfondie devant une autorité intelligente et impartiale, la Chambre, et j'ai pensé que cela suffirait pour sauvegarder la solution commandée par le droit et par l'équité. J'ai cru très inutile que le public fût ardemment sollicité de part et d'autre, et j'ai cru aussi que le meilleur moyen de ne pas attiser le feu, c'était de laisser la parole à un seul.

C'est ce qui est arrivé.

S'il y a une chose qui a dû frapper la Chambre, c'est que, dans cette situation, attaquée vivement d'un côté et mollement défendue de l'autre, l'allaire du Flénu a reçu, en premier degré, une solution conforme aux propositions du gouvernement. La section centrale, en effet, qui avait une connaissance parfaite de toutes les attaques dirigées contre le projet, sur la seule production de la correspondance échangée entre le gouvernement et la compagnie de Hainaut-Flandres, s'est décidée à l'unanimité en faveur du projet de loi.

M. Sabatier. - Un incident est survenu depuis.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Lequel ?

M. Sabatier. - Si vous le désirez, je vous le dirai immédiatement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Volontiers.

M. Sabatier. - Voici : Effectivement la section centrale à l'unanimité a adopté le projet du gouvernement et le jour où ce vote a été émis, nous avons reçu avis qu'une entente avait eu lieu entre les concessionnaires et les intéressés, c'est-à-dire les intéressés représentés par des consommateurs et par des extracteurs, Depuis, un démenti a été donné à cette assertion ; depuis, nous avons reçu de nombreux écrits dans lesquels on a eu soin d'indiquer que cette entente dont on nous avait parlé n'existait pas. Quant à moi, je me crois dégagé de mon vote en section centrale.

M. Vander Donckt. - Et moi aussi.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Après les explications que l'honorable M. Sabatier vient de fournir, je dois dire à la Chambre que je comprends un peu moins qu'avant. L'honorable M. Sabatier dit qu'au jour où est intervenu le vote en section centrale, on avait annoncé à celle-ci une entente entre les divers intérêts en conflit. Je déclare que je n'ai entendu parler de cette entente sous forme de convention passée entre la société du Flénu et le président de la société Hainaut et Flandres, que la semaine dernière.

M. Sabatier. - Ce n'est pas de cela que je parlais. Nous blâmons cette dernière entente.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Il semble donc, messieurs, que la décision qui paraissait avoir été prise à l'unanimité en section centrale, n'avait pas la portée que je lui avais d'abord assignée. Je renonce alors, je ne dirai pas à me servir de cet argument, car ce n'en est pas un, mais à faire valoir cette considération.

On a fait au projet de loi des objections de diverse nature. On l'a critiqué quant à la légalité de la forme et quant à sa valeur au fond.

On a commencé par dire que tout d'abord la convention passée avec le Flénu n'avait pas été passée régulièrement, qu'elle était viciée par un défaut de forme radical, que les lois sur la matière, notamment la loi du 10 mai 1862, obligeaient le gouvernement, puisqu'il y avait des demandeurs concurrents, à mettre la concession nouvelle en adjudication après enquête.

C'est l'argument qui a été produit dès le premier jour et repris ensuite imperturbablement par tous ceux qui se sont occupés de la question.

En dernier lieu, il a été invoqué comme une raison d'un fondement indiscutable par le conseil provincial du Hainaut. C'est donc l'argument favori.

Et bien, cet argument n'a pas la moindre valeur.

Je divise en deux catégories ceux qui s'en sont servis : ceux qui l'ont inventé et ceux qui l'ont repris de confiance croyant qu'il valait quelque chose.

Ces derniers, messieurs, bien certainement n'ont pas lu la loi ; quant à ceux qui ont inventé l'argument, ils ont peut-être lu la loi, mais à coup sûr, quelque claire quelle soit, ils ne l'ont pas comprise.

Le gouvernement aurait donc dû, après enquête, mettre le nouveau chemin de fer en adjudication, parce qu'ainsi le voudrait la loi du 10 mai 1862.

Mais, messieurs, de quoi s'occupe cette loi ? Des concessions de péages directement accordées par le gouvernement. Ainsi, lorsqu'il s'agit, par exemple, de concessions de chemins de fer qui n'ont point dix kilomètres de longueur, lorsque le gouvernement concède sans soumettre son projet de concession à la législature (et il ne peut le faire que pour des chemins de fer de moins de dix kilomètres), dans ce cas il ouvre préalablement une enquête et met le chemin en adjudication ; mais il n'en est pas ainsi quand il s'agit de chemins de fer, n'importe leur longueur, que le gouvernement propose de concéder avec le concours de la législature ; alors il n'est besoin ni d'enquête, ni d'adjudication.

J'ai proposé à la Chambre la concession d'environ deux mille kilomètres de chemins de fer, et jamais, quelle que fût la longueur de la ligne concédée, il n'y a eu ni enquête ni adjudication. Comment discuter sérieusement le point de savoir si le gouvernement a pu faire, pour un chemin de fer de 3 1/2 kilomètres, ce qu'il a fait pour des lignes d'uns étendue considérable, pour de véritables réseaux ?

M. Laubry. - Y avait-il concurrence ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Oui, dans la plupart des cas.

M. Laubry. - Quand vous avez statué ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Oui.

M. Laubry. - Dans les conditions de la loi ?

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - La position était exactement ce qu'elle est aujourd'hui.

J'avais donc le droit de dire que ceux qui, les premiers, ont invoqué la loi du 10 mai 1862, l'ont peut-être lue, mais qu'à coup sûr ils ne l'ont pas comprise.

L'honorable M. Laubry me demande si, dans les circonstances que je rappelle il y avait concurrence.

(page 1582) Messieurs, je n'ai pas proposé à la Chambre une seule concession pour laquelle, je puis le dire d'une manière générale au moins, il n'y ait eu trois ou quatre demandeurs.

J'ai toujours exercé un choix discrétionnaire ; j'ai pris toujours, parmi les demandeurs en présence, celui qui me semblait préférable ; et il faut croire que j'ai procédé avec quelque discernement, puisque, dans cette position délicate, j'ai eu la bonne fortune de ne provoquer aucune réclamation qui soit venue jusqu'à vous. Vous pouvez d'ailleurs vérifier par vous-mêmes le fait de la pluralité des demandes ayant le même objet. Vous avez entre les mains un document qui vous permet de juger combien, pour chaque concession, il y a de concurrents. J'ai fait distribuer à la Chambre un tableau des diverses concessions sollicitées près du gouvernement depuis un certain temps ; parcourez ce tableau et vous verrez que je reste très modéré en n'évaluant qu'à trois ou quatre en moyenne le nombre des concurrents pour la plupart des concessions. Il y a presque toujours eu concurrence, pour les lignes les plus petites comme pour des réseaux entiers, et pourtant jamais le gouvernement n'a eu recours ni à l'enquête ni à l'adjudication.

Voilà donc une première raison pour laquelle la loi de mai 1862 n'avait exactement rien à faire ici.

Il y en a une autre, non moins décisive.

On dit : Avant d'accorder la concession demandée, il fallait ouvrir une enquête et il fallait adjuger. Mais, messieurs, la thèse que le gouvernement soutient, c'est précisément qu'il, n'y a pas lieu de concéder ; et, en effet, je n'ai pas concédé ce qui était demandé. La position que j'ai prise réside toute là dedans ; il n'y a pas eu de concession dans les termes où elle était poursuivie par Hainaut-Flandres. J'ai toujours dit à cette compagnie : Ce que vous demandez ne peut vous être accordé à vous ni à personne, car ce que vous demandez appartient à un tiers. Voilà donc un second argument, voilà une seconde raison pour laquelle la loi de 1862 doit être ici écartée.

Messieurs, je disais à la Chambre, il y a un instant, que la thèse du gouvernement consiste précisément à dire qu'il ne lui est pas facultatif de concéder. Quels sont les faits ?

Le bassin du Couchant de Mons, tous les charbonnages de ce bassin, du premier au dernier, sont raccordés à deux réseaux de chemins de fer industriels. Une partie de ces charbonnages sont desservis par le réseau qui appartient à la compagnie du Nord et qui s'appelle le chemin de fer de Frameries à Saint-Ghislain. Il a son origine à Frameries et aboutit à Saint-Ghislain, qui est en même temps la tête de ligne de Hainaut-Flandres, comme vous le savez. Les autres charbonnages du bassin sont desservis par le réseau du Flénu ; le réseau du Flénu prend également son origine à Frameries ; il aboutit au chemin dé fer de Mons à Quiévrain dans la station de Jemmapes ainsi qu'au canal de Mons à Condé, à proximité de cette station.

Il n'y a pas un des charbonnages du Couchant de Mons qui ne soit relié à l'un ou à l'autre de ces réseaux ; il n'y en a pas un non plus qui soit raccordé aux deux réseaux en même temps.

Le Chemin de fer du Flénu ou plutôt le réseau du Flénu n'aboutit pas directement à Saint-Ghislain ; pour faire passer des transports de charbon du réseau du Flénu sur la ligne Hainaut et Flandres, il faut, dans l'état actuel des choses, pour cette catégorie de transports, faire un parcours de 3 à 4 kilomètres sur le chemin de fer de l'Etat, il faut parcourir la section de Jemmapes à Saint-Ghislain.

Le réseau du Flénu a été octroyé aux concessionnaires actuels en vertu d'une adjudication publique qui a eu lieu en 1833. En 1861, la société de Flénu, quoique n'ayant pas un intérêt très appréciable dans cette affaire, a demandé à se raccorder directement à Saint-Ghislain, et le gouvernement a refusé.

Dans ces derniers temps, il est arrivé au gouvernement une demande-en concession nouvelle de Saint-Ghislain à Frameries, c'est-à-dire qu'entre les deux réseaux que vous connaissez, on est venu demander à pouvoir placer un troisième chemin de fer. Ce troisième chemin de fer, pour les charbonnages raccordés aujourd'hui au réseau dont la compagnie du Nord a la possession, partirait du même point et arriverait au même point, Saint-Ghislain d'un côté, Frameries de l'autre. Pour les charbonnages raccordés au réseau du Flénu, il créerait un aboutissant nouveau, Saint-Ghislain ; mais dans les autres directions : Frameries, Jemmapes-station, Jemmapes-canal, ce sont exactement les mêmes relations que ce troisième chemin desservirait, que les relations déjà desservies par le Flénu. Et quelle est l'importance des transports allant du réseau du Flénu vers Saint-Ghislain, dans 1a direction de Hainaut Flandres ? Cela ne monte pas à 30,000 tonnes.

Dans cet état de choses, la question que j'avais à résoudre a été de savoir si je pouvais concéder un chemin de fer nouveau, appelé, en termes généraux, à partir des mêmes points, à aboutir aux mêmes points, à desservir, du premier au dernier, tous les mêmes établissements industriels que desservent déjà les deux anciens réseaux ? Dans ma conviction et dans ma conscience, quel que fût le taux des péages, j'ai répondu non. Suivant moi, accorder une concession nouvelle dans ces conditions, c'est prendre dans la poche de l'un pour donner à un autre ; c'est rompre le contrat qui a été passé en 1833 avec le Flénu d'un côté, le contrat passé, plus tard, avec la compagnie de Mons à Haumont, de l'autre côté ; et j'ai trouvé, dans ma naïveté, qu'il n'appartenait pas plus au gouvernement qu'à un particulier de briser un contrat qu'il a librement fait.

J'ai pensé que je ne pouvais consacrer par une concession nouvelle ce qui constituerait purement et simplement une spoliation.

Voilà quelle a été l'opinion du gouvernement ; voilà pourquoi j'ai dit : « Il n'y a pas lieu d'accorder cette concession nouvelle ayant exactement le même but que les deux concessions anciennes, à tel point que si cette concession nouvelle était accordée, il n'y aurait qu'une chose raisonnable à faire, ce serait d'appliquer un nouveau rail sur la voie de l'une des deux sociétés qui sont actuellement en possession »

Je le demande à la Chambre : cela serait-il admissible ?

On dit : « Les compagnies de chemin de fer sont averties qu'elles sont dans le cas d'avoir à affronter la concurrence d'autres lignes. »

Sans doute ; mais la pratique dépend des circonstances.

Ainsi, qu'il y ait, entre deux points déterminés, une ligne plus courte et pouvant desservir de nouvelles populations, et qu'on demande la concession de cette ligne, évidemment le gouvernement donnera suite à cette demande, quoiqu'il puisse en résulter une concurrence vis-à-vis de la ligne la plus longue, supposée existante.

Mais ici la situation est bien différente ; il ne s'agit pas d'une ligne plus courte ; il ne s'agit pas de desservir des populations nouvelles.

Messieurs, je vais tâcher de vous faire sentir la chose de la manière la plus palpable.

Le réseau de l'Etat a de bonnes sections, il en a de médiocres, il en a de mauvaises. La meilleure, c'est celle de Bruxelles à Anvers ; elle rapporte de 100,000 à 130,000 fr. par kilomètre.

Je suppose qu'une compagnie se présente pour s'établir à côté du chemin de fer de l'Etat entre Bruxelles et Anvers, et que le gouvernement vienne déposer un projet de loi, ayant cette concession pour objet, que répondrait-on ? On dirait au gouvernement : « Si vos tarifs sont raisonnables, maintenez-les ; s'ils ne sont pas raisonnables, abaissez-les ; mais n'allez pas concéder ce qui vous appartient en définitive. » Je le demande : y aurait-il dans cette Chambre une seule voix pour concéder un chemin de fer de Bruxelles à Anvers dans ces conditions-là ?

Eh bien, ce que l'Etat ne ferait pas lui-même, en ce qui le concerne, il devrait l'accorder à d'autres ! L'Etat qui agit avec l'argent du trésor, l'Etat dirait : « Non, cela ne mérite pas le moindre examen quand il s'agit de moi ; » mais quand c'est une petite société qui a entre ses points extrêmes 7 kilomètres de distance, l'Etat devrait dire : « Vous êtes soumise aux règles de la concurrence ; vous êtes en possession depuis 1833, c'est vrai, mais quelqu'un se présente, qui veut transporter à meilleur marché, vous êtes obligée de le suivre dans ses réductions de taxe, sinon je lui permets de s'établir à vos côtés, de vous prendre votre trafic des mêmes points de départ vers les mêmes points d'arrivée. »

Non seulement je trouve cela déraisonnable, absurde, mais je le trouve odieux.

Messieurs, l'exemple que je viens d'invoquer d'une ligne concurrente au réseau de l'Etat n'est pas imaginaire. On a demandé au gouvernement la concession d'un chemin de fer vicinal entre Anvers et Braine-le-Comte. J'ai répondu que je ne consentais à examiner la demande que si, au préalable, on prenait l'engagement de donner à la nouvelle ligne une étendue plus grande que celle de la ligne de l'Etat, entre les mêmes points, et de ne jamais abaisser les tarifs au-dessous de ceux de l'Etat, si ce n'est du consentement de l'administration.

Cette prétention du gouvernement a paru tellement raisonnable aux demandeurs en concession, qu'ils ont pris immédiatement cet engagement.

Encore une fois, ces précautions que l'Etat prend dans l'intérêt de son propre réseau, on ne voudrait pas qu'il les prît dans l'intérêt de la plus petite société du pays ! Messieurs, il y a des principes et des règles d'équité ; ces règles et ces principes ne varient point, selon qu'il s'agit des petits ou des grands.

(page 1583) Pour en finir sur ce point, je dis que la question qu'il s'agit de résoudre est celle-ci :

En ce qui concerne les nouveaux demandeurs en concession, peut-on loyalement, honnêtement, exproprier à leur profit, sans indemnité, ceux qui se trouvent en possession depuis tant d'années ?

En ce qui concerne les industriels, peut-on forcer une société à abaisser ses tarifs, sous la menace d'une pareille expropriation ?

A l'une et à l'autre question il n'y a qu'une réponse à faire : c'est une réponse négative.

Si, messieurs, l'on demandait, par exemple, à Hainaut-Flandres s'il lui paraîtrait honnête et loyal de concéder une ligne placée côte à côte avec celle qu'il exploite aujourd'hui, je voudrais bien savoir quelle serait sa réponse. Eh si l'on demandait aux maîtres de charbonnages ce qu'ils penseraient de la combinaison qui consisterait à accorder une concession nouvelle sur le même terrain que celui qui leur a été concédé, au profit de celui qui s'obligerait à vendre la houille à quelques centimes meilleur marché par tonne, je voudrais bien savoir encore quelle serait leur réponse.

Je reviens sur mes pas, pour dire que ce que demandait Hainaut-Flandres, c'était de prolonger sa ligne à travers le Couchant de Mons, parallèlement aux deux ligues déjà existantes, bien entendu à la condition d'être autorisé à transporter sur sa nouvelle ligne toute nature de produits, les grosses et les petites marchandises et aussi les voyageurs.

Ne nous occupons spécialement que du Flénu, la question étant déjà assez compliquée ainsi.

Le Flénu n'est autorisé à transporter aujourd'hui que les grosses marchandises, que les marchandises pondéreuses. Que disait donc le gouvernement à Hainaut-Flandres : Le seul lot important dans le trafic du Couchant de Mons, c'est le trafic des charbons, et c'est un lot dont le gouvernement ne dispose plus. Je ne puis vous le donner ; il n'est plus à la disposition du gouvernement pour faire l'objet d'une concession nouvelle. Mais en refusant la concession à Hainaut-Flandre, en maintenant le Flénu dans sa possession, les populations que traverse le chemin de fer du Flénu n'avaient pas le service des voyageurs ni des petites marchandises. J'ai dit : A ceux qui possèdent déjà le principal, donnons aussi l'accessoire. Permettons au Flénu de transporter en même temps les petites marchandises et les voyageurs, et c'est ce qui fait l'objet de l'extension de concession qui est sollicitée aujourd'hui de la législature en faveur de cette compagnie.

On a fait une autre objection, et c'est ici que nous continuons à discuter au vif, au cœur de la question. On a dit : Puisque vous donniez des avantages nouveaux à la société du Flénu, pourquoi n'avez-vous pas profité de l'occasion pour solliciter de cette compagnie des réductions de prix ? Pourquoi n'avez-vous pas saisi cette occasion pour obtenir des concessions à votre tour ? La voie vous était indiquée, une société se présentait, offrant de transporter dans des conditions notablement meilleures que celles dans lesquelles transporte aujourd'hui la société du Flénu.

Messieurs, cette objection suppose trois choses : la première, c'est que l'on accorde en réalité des avantages sérieux au Flénu ; la seconde, c'est que le Flénu n'aurait consenti à aucune réduction de taxe ; et enfin, la troisième, c'est que les taxes du Flénu seraient exorbitantes.

Ces trois propositions sont fausses.

Je vais, messieurs, examiner non pas ces trois points, car le premier ne mérite pas un examen bien approfondi, mais les deux derniers points et surtout le dernier. Quelles sont les taxes du Flénu, proportionnellement aux autres taxes en vigueur aujourd'hui dans les divers bassins houillers du pays ? Voilà le point fondamental.

M. Orts. - Comparez avec les taxes offertes par la société de Hainaut-Flandres, cela vaudra mieux.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Ce n'est pas là la question.

M. Laubry. - Oui, c'est la question.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Ce serait la question, si vous étiez en droit d'exproprier sans indemnité.

M. Laubry. - C'est la question, au point de vue de l'intérêt public.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Est-il de l'intérêt public de dépouiller quelqu'un au profit de son voisin ?

M. Laubry. - Je ne dépouille personne.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Il faut s'entendre. J'appelle dépouiller, prendre ce qui appartient à l'un pour le donner à l'autre. Sommes-nous d'accord sur la définition ?

M. Laubry. - La concurrence dépouille toujours.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Plus ou moins ; ne discutons pas sur la quantité. Mais qu'est-ce qu'un chemin de fer entre les mains d'une compagnie comme entre les mains de l'Etat ? N'ayons pas peur des mots : c'est un monopole ; et non seulement c'est un monopole, mais si ce n'était pas un monopole, je vous affirme que dès demain vous n'auriez plus un demandeur en concession.

Croyez-vous par hasard qu'il existe quelque part un capital qui n'a pas de fin, qui n'appartient à personne, et où l'on peut aller puiser pour construire des chemins de fer qui ne rapporteraient rien ? Moi, je ne m'imagine pas cela. Je m'imagine que l'entreprise des chemins de fer est tout simplement une industrie comme toutes les industries quelconques, et que si vous n'avez pas l'espoir au moins de bien placer vos fonds, et même cela ne suffit pas, si vous n'avez pas l'espoir de réaliser un bénéfice industriel, vous ne mettrez pas votre argent dans les chemins de fer ; il ne se fera plus de chemins de fer.

Faites passer dans la pratique qu'on peut ruiner un chemin de fer, que les conventions que le gouvernement a passées avec des concessionnaires, avec des capitalistes, pour mieux dire, pour l'établissement d'un chemin de fer, il peut les rompre ; qu'il peut après avoir consenti à un tarif, amener par la contrainte une compagnie à abaisser ce tarif, je le répète, vous n'aurez plus un chemin de fer nouveau. Et vous appelez cela agir en faveur de l'industrie ? J'appelle cela poser l'acte le plus préjudiciable à l'industrie qu'on puisse imaginer, outre que, dans ma conscience, c'est un acte odieux.

M. Bouvierµ. - C'est un acte de despotisme.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, j'examine donc d'abord la question de savoir si l'extension de concession dont je viens vous saisir constitue pour la société du Flénu un avantage bien réel qui aurait fourni au gouvernement l'occasion d'exiger de la compagnie des réductions de tarif.

Eh bien, cet avantage est tellement minime, la société du Flénu a pensé que le transport des petites marchandises et des voyageurs de Saint-Ghislain à Frameries lui était si peu avantageux, que dès que la société Hainaut-Flandres est venue à elle dans ces derniers jours pour obtenir de la compagnie du Flénu d'être substituée à elle dans le transport des petites marchandises et des voyageurs, en un mot pour obtenir un droit de parcours, le Flénu n'a rien eu de plus pressé que de conclure une convention sur ce pied.

Je déclare, en passant, que je suis resté complètement étranger à cette convention, parce que je ne veux pas même être soupçonné d'avoir poussé à un acte quelconque tendant à enlever quoique ce soit à la compagnie existante.

J'ai cherché, messieurs, à obtenir du Flénu les concessions les plus larges en faveur de l'industrie et je vais vous faire voir dans quelle mesure j'ai réussi, mais toujours par voie de conseil, jamais par voie de menace l

Maintenant, messieurs, quelles sont les taxes actuelles perçues par le Flénu ? Quelles sont les taxes qui lui ont été attribuées par l'adjudication de 1823 ? Ces taxes étaient de 56 à 66 centimes par tonne, suivant que la distance à parcourir restait en deçà ou excédait 4,800 mètres, si je ne me trompe.

Lorsqu'il s'agit de transports à effectuer en service mixte, par exemple avec l'Etat, les charbonnages payent de plus la location des waggons ; l'Etat perçoit de ce chef 10 centimes par tonne. Lorsqu'il s'agit de transports dirigés sur le canal, ce sont les industriels eux-mêmes qui fournissent le matériel. Les 56 ou 66 centimes de taxe doivent donc être majorés, dans ce dernier cas, de la somme nécessaire pour couvrir les intérêts et l'amortissement du capital affecté à ce matériel.

Cela étant, messieurs, voici les concessions que le Flénu a faites.

La compagnie du Flénu a commencé par prendre l'engagement irrévocable d'adhérer au tarif mixte de l'Etat pour les transports à effectuer sir la ligne de l'Etat et de ses correspondants, comme Hainaut-Flandres, etc.

Mais, messieurs, cet engagement, il faut bien le comprendre ; il y a des circonstances ou le cahier des charges de 1833 donne à la compagnie un prix inférieur à celui du tarif mixte ; la compagnie ne pourra jamais percevoir que le prix le plus bas. Si l'on applique aux transports effectués (page 1584) en 1864 ce prix des relations mixtes, la société perd une somme d'une vingtaine de mille francs.

Elle prend, en deuxième lieu, à sa charge, la location des waggons pour les transports en service mixte avec l'Etat et ses correspondants ; les industriels ont payé l'année dernière, de ce chef, 30,000 francs, chiffre rond.

Eh troisième lieu, elle abaisse son prix de transport intérieur de 56 ou 66 cent, à 50 et 60 cent., ce qui lui fait, toujours sur les transports de Tannée dernière, 110,000 fr. de diminution.

En quatrième lieu, elle fait une très grosse dépense de premier établissement pour rejoindre directement la station de Saint-Ghislain, tête de ligne de la compagnie de Hainaut-Flandres, afin de permettre aux charbonnages de ne plus passer sur la section de l'Etat, de Jemmapes à Saint-Ghislain, section sur laquelle l'Etat reçoit aujourd'hui 70 centimes pour les transports en destination de Hainaut-Flandres. Cette dépense ne peut pas amener une tonne de charbon de plus à la compagnie du Flénu, puisqu'elle est aujourd'hui en possession de tous les transports. Par conséquent, il faut encore porter au compte des concessions qu'elle a faites, l'intérêt et l'amortissement de la somme qu'elle dépensera de ce chef.

Si vous faites le compte de tout cela, messieurs, vous trouvez que la compagnie du Flénu cède gratuitement au moins 200,000 fr. par an, dont profiteront les industriels du Couchant de Mons. On ne peut donc pas dire que je n'ai pas saisi cette occasion pour favoriser autant que possible ce bassin houiller. Et ce ne sont pas là des promesses vagues, ce sont des engagements pris par la compagnie du Flénu, engagements irrévocables.

En dernier lieu, messieurs, la compagnie du Flénu a renoncé à un procès important contre l'Etat, procès qu'elle a gagné en première, instance et en appel, et que la cour de cassation a renvoyé devant une autre cour d'appel.

Après avoir ainsi démontré à la Chambre quelles sont les concessions que la société du Flénu a faites, il y a, messieurs, un point capital à examiner, c'est le point de savoir quels seront désormais les péages du Flénu, comparés à ceux que perçoit l'Etat et à ceux que perçoivent les compagnies, soit du bassin du Centre, soit du bassin de Charleroi, soit du bassin de Liège. S'il est démontré que les péages du Flénu ne sont pas supérieurs aux péages de ces autres chemins de fer... (Interruption.)

Ah ! je le sais, on veut avoir le plus bas prix quand même ; on ne songe qu'aux charbonnages. Mais dans ce système, que deviendront les valeurs de ceux qui ont aujourd'hui placé leur argent dans les chemins de fer ? Car enfin, je trouve ceci trop fort. Voilà un père de famille qui a de l'argent à placer ; s'il veut placer plus ou moins à coup sûr, il achète des obligations de chemins de fer ; s'il veut spéculer un peu, il achète des actions ; et vous pourriez, sans violer les lois de l'équité, tarir les sources sur lesquelles a compté ce père de famille quand il a fait ce placement ? Ou bien je suis frappé de cécité morale, ou bien c'est là un intérêt éminemment respectable. Comment ! la protection devrait être accordée tout entière aux charbonnages et tout entière retirée à la compagnie du Flénu !

M. Bouvierµ. - Ce serait un vol dans un intérêt public.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Puisque le mot est prononcé, je dois déclarer que je ne puis pas considérer autrement l'acte qu'on voudrait arracher au gouvernement. J'en reviens à la question des péages.

La première comparaison à établir, c'est la comparaison avec le tarif de l'Etat. Voyons ce que l'Etat demanderait, s'il exploitait lui-même le réseau du Flénu. Car, vous conviendrez d'une chose : si l'Etat percevait autant que la compagnie, de quel droit dirait-il à celle-ci : Abaissez vos péages on je vous ruine ?

Eh bien, messieurs, le Flénu, s'il était exploité par l'Etat, aurait, comme aujourd'hui, deux espèces de relations, les relations mixtes et les relations vers les points extrêmes de ce petit réseau. Pour les relations mixtes, le Flénu s'est rallié au tarif de l'Etat, avec cette différence que chaque fois que le tarif de 1833 est au-dessous du tarif de l'Etat, c'est le tarif de 1833 qui sera appliqué. Mais pour les transports vers l'un des points extrêmes de la ligne et principalement pour les transports les plus considérables, ceux qui se font vers le canal, qu'est-ce que l'Etat percevrait ? Comme j'ai eu l'honneur de le dire, la société du Flénu a réduit aujourd'hui son tarif à 50 ou 60 centimes, à quoi il faut ajouter la somme qui représente l'usure du matériel fourni par les industriels, 5 ou 6 centimes, disons 10 centimes si vous le voulez. Le Flénu percevrait donc, matériel compris, 60 ou 70 centimes, selon les distances, dans la direction du canal spécialement.

Qu'est-ce quel Etat demanderait pour les mêmes transports ? Il demanderait fr. 1-20.

M. Laubry. - Pour les petites distances.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Pour les moindres distances.

M. Laubry. - Vous n'avez pas fait le droit fixe pour la distance d'une lieue.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je n'ai pas établi le droit fixe, je l'ai trouvé établi, et je l'ai maintenu pour toute espèce de transports, pour les transports aux plus petites distances comme aux plus grandes et, si le droit fixe est maintenu, c'est entre autres précisément en vue des transports à petite distance, lesquels sont onéreux. L'Etat demanderait donc fr. 1-20 là où le Flénu ne demandera que 60 ou 70 centimes.

M. Laubry. - Exceptionnellement.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Au contraire c'est la règle, c'est le tarif normal de l'Etat. Ainsi pour le bassin de Mons, à l'origine du canal de Mons à Condé, il y a une ligne importante de l'Etat qui dessert ce bassin ; c'est la ligne de Mons à Manage. Je prends le premier charbonnage situé sur cette ligne et qui a des rapports importants avec le bassin de Mons. Lorsqu'il veut transporter ses charbons par canal en France ou en Belgique (il y a une distance de 15 kilomètres) l'Etat lui demande fr. 1-60.

Ce prix est payé tous les jours et pour des quantités considérables ; il y a quelqu'un ici qui pourrait le certifier de très près. Ce n'est donc pas un prix théorique. C'est un prix normal qui est demandé et payé tous les jours sur une large échelle.

On dit au gouvernement : Vous devez contraindre la compagnie du Flénu à faire telle ou telle concession, sous prétexte que les péages seraient exorbitants alors que l'Etat, s'il exploitait le réseau du Flénu, demanderait le double. Cette position est-elle possible ? Un ministre peut-il réellement remplir une pareille mission ?

Comparons maintenant l'exploitation du Flénu, quant aux péages, à celle des autres compagnies. Nous avons le Centre qui est à côté. Nous n'irons pas très loin pour savoir ce qu'il demanderait. Prenons le projet de loi en discussion ; il comprend deux concessions, celle que nous demandons et celle de Piéton à Levai. C'est un tout petit chemin industriel qui n'a que 7 kilomètres de longueur, un peu moins que le réseau du Flénu et quels sont les péages applicables à cette section ? Ceux de ' l'Etat. Lisez les articles 35 et 36. Désormais le Centre est régi d'une manière absolue par les tarifs de l'Etat.

Ainsi pour un transport fait sur cette petite section, si le transport s'arrête au point extrême, la compagnie du Centre percevrait fr. 1,20 au minimum et en transport mixte, ce que percevrait le Flénu puisque le Flénu se rallie également aux tarifs généraux de l'Etat. Je passe au bassin de Charleroi. Voyons ce qu'on y perçoit. La comparaison est très intéressante, attendu que le bassin de Charleroi a également des transports très nombreux vers un canal, vers la Sambre. Il y a là une position identique à celle du Couchant de Mons.

Il y a là aussi un réseau industriel proprement dit. Voyons ce que le Grand-Central, qui exploite le réseau industriel dont il s'agit, a le droit de demander aux charbonnages qui expédient des charbons par la Sambre. Je prends cet exemple parce qu'il y a identité de situation. Les prix varient.

Je rappelle à la Chambre que dans la direction du canal de Mons à Condé les charbonnages du Flénu payeront - en supposant gratuitement que le matériel vaille 10 centimes - 60 ou 70 centimes. Eh bien, dans le bassin de Charleroi, les établissements les plus favorisés payent 58 centimes. Ceux qui suivent payent 0,66, 0,74, 0,82, 1-06 fr., c'est-à-dire en moyenne infiniment plus que les établissements desservis par le Flénu.

Je prends Liège, et, bien entendu, je me borne à parler des transports à petites distances. Je suppose un charbonnage sur la ligne de Liège à Namur, le charbonnage du Val-Benoît. Pour un transport s'arrêtant à la station des Guillemins, c'est-à-dire pour 2 kilomètres, on paye 65 centimes ; à 5 kilomètres, ce qui correspond à la moyenne des transports effectués sur le Flénu, on paye 90 centimes.

M. Eliasµ. - On n'en est guère satisfait.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je constate le fait.

M. Laubry. - On cherche le bon marché.

(page 1585) M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Si je pouvais faire en sorte que les transports se fissent gratis, croyez-vous que cela ne me serait pas très agréable ?

Sur la ligne de Liège à Maestricht, de Jupille à la station des Guillemins, soit 8 kilomètres, on paye 80 centimes.

Il est donc incontestable que dans tous les bassins houillers du pays on paye plus, notablement plus que sur le Flénu. Il y a en outre cette différence en faveur du Flénu, que le Flénu n'a que ses charbons, tandis que tous les autres réseaux dont je viens de faire connaître les prix, ont ces transports comme un des moindres éléments de leur trafic.

Ils ont un autre trafic important, des lignes étendues, des transports de toute nature, des voyageurs, de petites marchandises en dehors du trafic qui fait l'objet exclusif de la concession du Flénu.

Messieurs, je m'arrête ici, je crois en avoir assez dit pour prouver que le gouvernement a agi consciencieusement et qu'il avait de bonnes raisons pour procéder comme il l'a fait.

Je ne veux pas messieurs, m'occuper de la question de préférence qui est invoquée par Hainaut et Flandres. Hainaut et Flandres en effet, sous la responsabilité de son président, qui a agi ou qui n'a pas agi, je n'en sais rien et je ne m'en inquiète pas, de concert avec son conseil d'administration, a passé ces derniers jours avec le Flénu une convention qui mettrait un terme aux difficultés entre ces deux compagnies.

Il est arrivé depuis une nouvelle requête ayant pour objet la même demande du concession faite par certains maîtres de charbonnages. Toutes les objections qui se sont élevées contre la concession demandée par Hainaut-Flandres, s'élèvent contre cette nouvelle demande. J'admets très bien qu'un groupe d'établissements industriels s'associe pour se procurer des moyens de transport, et ce serait certainement le meilleur système pour obtenir les transports au meilleur marché ; mais ce que je ne puis admettre, c'est que ce groupe d'établissements ait laissé à un autre le soin et le danger d'établir ces voies de communication, qu'après une longue expérience qui pouvait tourner contre ceux qui ont entrepris l'affaire, on vienne demander à être substitué de fait aux premiers concessionnaires.

J'ai parlé de risques et les risques étaient très sérieux ; en effet, à l'origine de la société du Flénu, les actions de 1,000 fr. ne trouvaient pas acheteurs à 500 fr. ni à 400 fr. pas même à 300 fr.

Or, je ne sache pas qu'à cette époque les industriels du Couchant de Mons, ceux qui protestent aujourd'hui, aient dit : On nous a fait une voie de communication vers le canal qui nous permet de transporter au tiers de l'ancien prix ; il paraît que cette entreprise ne marche pas bien, prêtons-lui secours. Puisqu'on suppute aujourd'hui ce que le Flénu gagne de trop, c'était le moment alors de supputer ce qu'il gagnait de trop peu.

Je dis donc que cette nouvelle demande de concession se présente dans les mêmes termes que sa devancière, celle de Hainaut et Flandres, avec un degré de gravité de plus cependant pour le Flénu. Si les maîtres de charbonnages construisaient eux-mêmes un nouveau réseau, il est bien certain en effet qu'ils ne livreraient plus un kilogramme de charbons à l'ancien réseau et que s'il pouvait y avoir pour prétexte à la concession nouvelle, la concurrence et l'intérêt à en résulter pour le consommateur, ce prétexte échappe ici, car vous n'auriez pas de concurrence ; il est évident en effet que les maîtres de charbonnages transportant eux-mêmes, se réserveront tous les transports, ayant une nouvelle entreprise à alimenter.

Si les maîtres de charbonnages avaient voulu se charger de leurs propres transports, ce n'est pas en 1865 qu'ils auraient dû demander une concession ; ils auraient dû se présenter à l'adjudication de 1833 ; leur tort est devenir 30 ans trop tard.

M. Laubry. - L'utilité publique d'un chemin de fer direct de Saint-Ghislain à Frameries n'est pas contestée. Elle a été reconnue.

En faisant ce chemin, on comble une lacune existante dans des localités où se trouvent de nombreuses populations qui sont aujourd'hui privées de communication ferrée pour le transport des voyageurs et de toutes marchandises autres que la houille, et il facilitera le transport de cette dernière marchandise par une voie plus économique que les voies existantes.

Deux demandeurs en ont sollicité la concession, la société Hainaut et Flandres et la société du Haut et du Bas-Flénu.

La Chambre pas plus que le gouvernement n'ont à s'occuper de l'intérêt privé de ces compagnies. Ce qu'il faut considérer, c'est l'intérêt public, et c'est à ce point de vue qu'il faut se placer.

Or il est de l'intérêt public d'obtenir les transports aux meilleures conditions, et bien certainement celles offertes par la société de Hainaut et Flandres sont plus favorables.

En effet, elle s'engage à faire les transports dans l'intérieur de la ligne de Saint-Ghislain à Frameries, et même sur la ligne principale jusqu'au canal de Mons à Condé (aux Herbières), à raison de 6 centimes par tonne et par kilomètre, avec un minimum de 35 cent, et un maximum de 50 c., matériel compris et offre d'appliquer le prix du service mixte au transport à provenir de la ligne qu'elle sollicite.

La société du Flénu offre, à son tour, d'adopter le service mixte pour les expéditions vers l'intérieur par voie ferrée. Mais elle maintient son ancien tarif de 1833 pour les transports vers le canal et vers Frameries dans la direction de la France.

Messieurs les exploitants livrent leurs produits au commerce dans trois directions, d'abord aux rivages de Mons à Condé, ensuite au chemin de fer de Mons à Haumont à Frameries, enfin au chemin de fer de l'Etat.

D'après un document officiel, le rapport de la chambre de commerce de Mons de 1863, il résulte que les transports effectués vers ces trois points par le chemin de fer du Flénu s'élèvent à 1,745,990 tonnes, réparties comme suit ;

Aux rivages de Mons à Condé, 1,097,504

Au chemin de fer de Mons à Haumont, 338,605

Au chemin de fer de l'Etat, 240,536

A destinations diverses, 69,255.

Comme la compagnie du Flénu continuera à appliquer son ancien tarif de 1833 pour les expéditions vers le canal de Mons à Condé et vers Frameries dans la direction de la France, l'avantage qu'elle offre ou plutôt qui résultera de sa mise en service mixte avec les voies ferrées de l'Etat et de Hainaut et Flandres ne s'appliquera qu'à environ le septième des expéditions. Enfin si, comme l'assure M. le ministre, il y a une légère réduction dans le prix de l'ancien tarif pour les expéditions vers les rivages de Mons à Condé, cette réduction de quelques centimes sera insignifiante à côté des avantages que présente la compagnie de Hainaut et Flandres qui, dans la plupart des cas, fera les transports vers le canal ou vers Frameries à 35 centimes tandis que le Flénu continuera à en demander 60 à 65 au moins.

Vous connaissez, messieurs, l'état précaire où se trouvent les charbonnages du Couchant ; la plupart ne font que peu ou pas de bénéfices, et précisément à cause des gros péages qu'on leur fait subir. La réduction qui est offerte dans les prix de transport par la compagnie de Hainaut et Flandres a une importance qui ne vous échappera pas, et si cette compagnie obtenait la concession, bien des charbonnages qui ne donnent rien, absolument rien à leurs actionnaires, pourraient leur donner quelque chose.

Depuis longtemps on se plaint de la hauteur des péages perçus par le Flénu ; en 1863, le comité houiller du Couchant de Mons, parlant au nom des charbonnages indépendants et de ceux patronnés par la Société générale, signalait à la Chambre ces gros péages comme une des causes de l'infériorité de notre bassin vis-à-vis de ceux du Centre et de Charleroi, dont les charbonnages sont presque tous reliés aux voies navigables par des chemins de fer particuliers, sur lesquels ils payaient de 20 à 25 centimes de moins que sur les chemins du Flénu. Il est vrai cependant, comme vous l'a dit M. le ministre, que, sur certains chemins de fer qu'il vous a indiqués, les péages sont aussi élevés, mais il ne vous a pas dit qu'il n'y a que deux ou trois charbonnages qui sont obligés de les subir, tandis qu'au Flénu tous le subissent.

Malgré les avantages offerts par la société de Hainaut et Flandres, M. le ministre a cru néanmoins devoir donner la préférence à la compagnie du Flénu, et a fait avec elle la convention qui est soumise à la sanction de la Chambre.

Les délégués de la majorité des charbonnages trouvent que si cette convention était agréée, leurs intérêts seraient lésés et ils ont supplié la Chambre de vouloir ordonner que cette concession fût mise en adjudication publique aux termes des lois des 19 juillet 1852 et 10 mai 1862 et de l'article 29 de l'arrêté réglementaire du 29 novembre 1836, d'où il ressort que quand il y a concurrence, on doit soumettre la concession en adjudication publique.

Les communes de Jemmapes, Quaregnon et d'autres du Borinage ont aussi appuyé la demande des délégués.

Enfin le conseil provincial du Hainaut, comprenant toute l'importance que peut avoir pour l'industrie houillère du Couchant de Mons la réduction des péages, a aussi émis le vœu que le chemin de Saint-Ghislain à Frameries soit mis en adjudication publique.

(page 1586) Enfin, Mons est intervenue pour demander aussi l'adjudication publique, et si, comme on l’a dit, elle n'a pas un intérêt direct dans la question, elle a au moins cet intérêt d'appuyer la société qui donnera les plus grands avantages au Borinage, car elle sait par expérience que le commerce de la ville de Mons prospère ou décline avec les chances de bonne ou de mauvaise fortune des charbonnages.

La question des transports à bon marché est vitale pour l'industrie en général et spécialement pour l'industrie charbonnière, si vous voulez qu'elle puisse concourir avec les autres bassins et à l'étranger. Le gouvernement l'a bien compris, aussi cherche-t-il, dans la mesure du possible, à diminuer les péages sur ses canaux et chemins de fer, ce dont je le félicite ; il continuera dans cette voie, parce qu'il sait que la question des transports doit tenir la première place dans les préoccupations d'un peuple qui aspire à un grand développement matériel.

M. le ministre a pu croire que la compagnie du Flénu, qui a été constituée pour les transports des charbons du centre des houillères vers les rivages du canal, avait un droit exclusif à maintenir les transports dans cette direction ; dans cet ordre d'idées sans doute il a pu dire qu'il ne serait pas équitable de lui enlever une partie de son trafic, ce qui aurait lieu, d'après lui, s'il devait donner la concession à la société dé Hainaut et Flandres ; c'est ce qui explique, sans doute, pourquoi il n'a pas cru devoir faire une application de la loi des 19 juillet 1852 et 10 mai 1862 qui l'obligent quand il s'agit d'une demande en concession de moins de dix kilomètres, et qu'il y a concurrence, d'ouvrir une enquête et de mettre la concession en adjudication publique.

Mais si telle était l'opinion de M. le ministre, il devait forcer au moins la compagnie du Flénu à accepter, sur la nouvelle ligne, les conditions de Hainaut et Flandres, avec d'autant plus de raison qu'il lui faisait un avantage et que la société du Flénu pouvait utiliser une grande partie de son réseau.

Je crois que M. le ministre est dans l'erreur quand il soutient que la société du Flénu a un droit acquis. Pour moi, messieurs, je pense qu'elle n'en a pas.

Voyons pourquoi le chemin de fer du Flénu a été concédé ? L'article premier du cahier des charges va vous le dire ; il est ainsi conçu :

« Les chemins à ornières en fer à construire ont pour objet de rattacher les rivages du canal de Mons à Condé au centre des houillères du Haut et du Bas-Flénu. »

Les articles 2 et 3 déterminent la direction des branches du Haut et du Bas Flénu et établissent qu'il ne s'agit de relier au centre des houillères que les rivages situés à Jemmapes et Quaregnon et pas d'autres.

Voilà donc sa concession, et il ne peut en réclamer d'autre.

On pourrait même soutenir que s'il y avait avantage à faire diriger d'autres lignes sur Jemmapes et sur Quaregnon à d'autres points que ceux où arrivent les branches du Flénu, et que la société du Flénu voulût s'y opposer, on pourrait lui répondre qu'elle a été constituée sous l'empire de la loi du 19 juillet 1832, qui dans son article 3 prescrivait comme la loi actuelle qu'on ne pourra interdire en faveur des concessionnaires l'établissement d'autres communications dans un rayon déterminé.

Mais dans l'occurrence, il ne s'agit pas même d'aller à Jemmapes ou à Quaregnon, points où on lui laisse toute sa concession, mais bien à Saint-Ghislain et à Boussu au lieu dit Herbières d'une part, et à Frameries d'autre part.

A Saint-Ghislain, sa prétention de s'y rendre de préférence serait exorbitante, puisqu'il n'y est jamais allé et que les conditions offertes par lui sont moins favorables que celles de son concurrent.

A Frameries, s'il est vrai qu'il a obtenu la faculté d'y aller, mais l'arrêté qui lui confère ce droit n'a pu confisquer à son profit le droit exclusif de s'y rendre.

Dans le cahier des charges de la concession du chemin de fer de Mons à la frontière de France vers Haumont, on ordonnait aux concessionnaires de construire leurs lignes de manière que les chemins de fer industriels du Flénu et de Saint-Ghislain pussent convenablement s'y raccorder vers la station de Frameries.

Cette clause donnait à ces chemins le droit de s'y raccorder, mais on ne disait pas à quelles conditions et à quels péages. On eût dû, ce me semble, remplir les formalités voulues par la loi pour appeler l'attention du public sur ce point, et particulièrement sur le taux du péage. Rien n'a été fait.

Les concessionnaires de Mons à Haumont se sont offerts à établir une ou deux branches ne dépassant pas 4 kilomètres pour relier le bassin houiller plus directement à cette voie ferrée.

Dans l'intérêt public, une seule branche suffisait, elle fût arrivée au cœur du Flénu un peu au-dessus du niveau de Belle et Bonne à l'endroit même où, d'après son projet actuel, Hainaut et Flandres vient faire sa station.

Là on eût pu faire une gare de formation où ledit chemin de St-Ghislain se fût raccordé, et avec de faibles embranchements tous les charbonnages du Flénu en auraient fait autant.

Et quelle en aurait été la conséquence ? C'est qu'on serait allé sur cette ligne à 6 centimes par tonne-kilomètre, comme sur la ligne principale de Mons à Haumont ; et qu'avec 40 ou 50 c. ou en y comprenant le transport sur les petits embranchements on serait allé à Frameries, tandis qu'aujourd’hui cela coûte 70 à 80 c.

Je pense que, soit vers Frameries ou Saint-Ghislain, la société n'a aucun droit acquis, ni aucun droit de préférence.

La compagnie du Flénu avait sollicité une clause dans son octroi conçue comme suit :

Il ne sera pendant 10 ans accordé de permission de construire aucun chemin de fer ni canal pour se lier au canal de Mons à Condé.

Celte clause a été refusée avec indignation et la concurrence en tout temps est restée ouverte.

Mais, dit-on, il serait odieux de ravir à la compagnie du Flénu une partie de son trafic, ce qui aurait lieu si l'on accordait la concession à Hainaut et Flandres. Je réponds qu'on laisse la société du Flénu entière avec sa concession qu'elle n'a et ne peut avoir le privilège des transports vers des points qui ne sont pas indiqués dans son cahier des charges ; qu'enfin elle était tellement convaincue qu'elle n'avait pas de droit exclusif vers le canal que diverses sociétés ont fait des contrats avec elle stipulant que si un chemin de fer était construit par lequel les charbons seraient transportés à un péage moindre que celui établi au profit de la société concessionnaire, il sera fait sur ce dernier péage, en faveur desdites sociétés, un rabais tel qu'il soit toujours d'un centime en dessous du péage accordé sur l'autre chemin.

Il n'y a donc rien d'odieux et d'inique à donner la concession au demandeur qui offre des conditions plus favorables. Ce qui serait inique, c'est d'empêcher que des voies nouvelles ne se fassent pour se soustraire à l'obligation que la société du Flénu a prise de transporter à un centime de moins si un autre chemin était accordé.

Messieurs, le chemin de fer dont il s'agit est destiné à desservir d'autres intérêts que ceux des charbonnages ; il sera d'une très grande utilité pour le commerce et l'industrie de ces contrées intéressantes où un grand trafic a déjà lieu et qui augmentera en raison des facilités et du bon marché des transports. Sans doute que certaines fosses qui n'ont aucun engagement avec le Flénu demanderont à s'y raccorder, et le gouvernement, s'il est juste, fera une large application de l'article 12 de la loi de 1837 sur les mines.

Il devrait en faire autant pour toutes les autres demandes qui pourraient se produire, ayant pour objet d'obtenir un chemin de fer, et s'il est établi qu'il y a économie un peu sensible par la nouvelle voie de communication sollicitée, on a toujours par cela même déclaré qu'il y avait utilité publique sans s'inquiéter si le chemin de fer existant recevrait une réduction dans son trafic.

Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de vous dire que la question qui nous occupe intéressait beaucoup les populations du Borinage dont l'industrie principale est dans un état précaire. La majorité des exploitants du Flénu vous a fait connaître ses doléances en vous exprimant le désir que le chemin de St-Ghislain à Frameries soit mis en adjudication publique, le rabais devant avoir lieu sur la hauteur des péages.

Un corps très respectable, le conseil provincial du Hainaut, presque à l'unanimité, au nom d'un grand intérêt public, vous fait la même demande, ainsi qu'un grand nombre de pétitionnaires des communes intéressés.

J'espère, messieurs, que vous accueillerez ces vœux avec faveur et qu'au nom de l'intérêt public vous admettrez l'amendement que mon honorable collègue M. Orts et moi nous avons eu l'honneur de déposer, et qui a pour objet d'autoriser le gouvernement à mettre en adjudication publique la ligne de Saint-Ghislain à Frameries.

Depuis l'incident qui s'est révélé vous avez non plus deux demandeurs en concession de la ligne qui nous occupe, mais trois ou quatre, et en présence d'une pareille concurrence le bassin de Mons peut espérer d'obtenir des conditions de transport peut-être plus favorables que celles offertes par la société de Hainaut et Flandre.

Je suis un peu fatigué, c'est pourquoi je termine ici mes quelques (page 1587) observations, je me réserve de prendre encore la parole dans le cours de la discussion.

M. Orts. - Messieurs, l'honorable ministre des travaux publics, en débutant, a reconnu l'exactitude de l'observation que je m'étais permise en insistant sur la renvoi de la discussion : le projet de loi produit une sérieuse agitation dans la partie du pays qu'il intéresse.

De cette agitation, M. le ministre des travaux publics ne tient pas grand compte, car, dit-il, j'ai empêché la société du Flénu de répondre ; je lui ai demandé de ne pas intervenir dans le débat, pour réfuter ses adversaires, certain que j'étais de détruire toute cette agitation par les paroles que je me réservais de prononcer devant la Chambre.

Messieurs, si la cause de la concession du Flénu a été beaucoup attaquée et peu défendue, ce n'est pas précisément à raison des sages conseils que M. le ministre des travaux publics a donnés aux intéressés ; je crois plutôt que si la cause a été peu défendue, c'est que ceux-là qui avaient intérêt à la faire triompher, je ne parle pas du gouvernement, ont jugé eux-mêmes qu'elle n'était guère défendable.

De quoi s'agit-il, en effet ? Il s'agit de savoir si, en présence du projet de créer une nouvelle voie de communication, offrant des débouchés à une des industries les plus importantes du pays, dans une localité où cette industrie est plus particulièrement concentrée et où elle constitue, pour ainsi dire, le patrimoine séculaire de toutes les populations ; si, en présence d'un pareil projet, il fallait s'en tenir à ce que M. le ministre des travaux publics a lui-même appelé l'ancien monopole de 1833, eu s'il fallait ouvrir la porte large à la concurrence.

M. le ministre des travaux publics se prononce pour le maintien du monopole ancien ; et cependant il ne disconvient pas que, même avec des concessions que nous discuterons de plus près lorsque nous arriverons aux détails du projet, le Flénu demande un tarif immensément plus élevé que le tarif offert par les concurrents. Ceux-ci ont renoncé à leur demande, soit ; mais ils ont été immédiatement remplacés par d'autres, pris précisément parmi les exploitants, ces travailleurs au profit desquels on veut créer la voie nouvelle.

Cette différence entre les prix de la concession du Flénu et les prix offerts par les concurrents est tellement grande, que dans le seul et unique mémoire que la société du Flénu a publié à l'appui de sa demande elle réfutait cette différence par ce seul argument : « Vous vous trompez dans vos calculs ; il est impossible de faire, dans ces conditions, ce que vous vous offrez à faire. Vous vous ruinerez. D'autres compagnies ont offert des conditions moins onéreuses que les vôtres, et elles ont essuyé des pertes. »

Cet argument est aujourd'hui complètement renversé par ce fait, que les calculs de la société Hainaut et Flandres sont repris aujourd'hui, sous la responsabilité de leur fortune personnelle, par les exploitants de tous les grands charbonnages que la voie doit desservir.

Bien plus : ils sont repris par un particulier, par M. Hubert, vice-président de la société Hainaut-Flandres ; M. Hubert, homme considéré, ayant des intérêts sérieux engagés dans les charbonnages, président de ce même conseil provincial qui a protesté à l'unanimité contre la concession du Flénu ; M. Hubert nous dit : « S'il le faut, je reprends la concession de Hainaut-Flandres, parce qu'elle peut seule donner satisfaction aux légitimes intérêts de l'arrondissement de Mons. »

Mais, dit-on, il ne faut pas porter atteinte à une propriété qui date de 1833.

C'est là en définitive toute l'argumentation de M. le ministre des travaux publics. La concession que nous combattons, l'honorable ministre le reconnaît, n'est bonne pour personne, si ce n'est pour le Flénu. Faut-il donc, par respect pour la propriété du Flénu, pour un droit acquis quelconque, maintenir le tarif de 1833 qu'on entoure aujourd'hui de mesquines modifications, de modifications sans portée ?

Messieurs, on a essayé de vous apitoyer sur le sort qu'on allait faire à une petite société, à la pauvre société du Flénu, où d'humbles pères de famille ont placé depuis longtemps leurs économies ! Vous allez les ruiner, vous allez leur faire perdre le profit de ce placement sur la foi duquel ils vivent depuis 33 ans.

Petite société ou grande société, peu importe ; car pour moi, la justice est une, pour les grands comme pour les petits.

Mais, messieurs, puisqu'on veut apitoyer la Chambre sur la sort de la société du Flénu, permettez-moi de vous faire toucher du doigt sa situation vraie, et vous verrez après cela si ce sont des larmes que vous devez verser sur son sort.

Messieurs, la société qui exploite le chemin de fer du Flénu s'est constitué au capital de 4 millions de francs ; de ces 4 millions de francs, plus du quart appartient, non pas à des particuliers, mais à une des plus fortes et des plus prospères sociétés financières du pays, je veux parler de la Société générale pour favoriser l'industrie nationale. Dans son bilan de 1864, arrêté le 31 décembre dernier, figurent, comme sa propriété, 1,083 actions sur les 4,000 actions qui forment le fonds social du Flénu.

Maintenant voyons ce que valent aujourd'hui les actions constituées au capital nominal de 1,000 francs.

Les actions du chemin de fer du Flénu, constituées au capital nominal de 1,000 fr., sont aujourd'hui cotées en bourse de 1,660 à 1,680 fr. Elles sont au delà du pair depuis longtemps. Eh bien, quel intérêt privé ayant prospéré ainsi pendant un tiers de siècle, peut encore se croire lésé quand on lui demande des concessions au nom de l'intérêt public ?

Nous voulons prendre le bien d'autrui ! Peut-on reprendre ce qu'on a vendu à un tiers ? Mais, M. le ministre, ce n'est pas là ce que vous faites. Au nom de l'intérêt public, on vous demande, non pas même, comme vous le disiez tout à l'heure, de créer un chemin de fer à côté du chemin de fer existant du Flénu, on vous demande de créer une voie nouvelle qui coupe ce réseau de chemins de fer, qui n'exproprie rien, qui vient se placer au milieu de ce qui existe et qui opère la transformation que voici : Faire de tous les tronçons actuels du Flénu les affluents directs du chemin de fer à créer. On ne prend rien au Flénu ; on place au milieu de ce qu'il exploite une autre exploitation.

L'intérêt public ne vous permet-il pas ces sortes de choses ? N'avez-vous pas, vous et vos prédécesseurs, troublé cent fois les intérêts privés qui s'étaient créés et constitués, comme s'est créée et constituée la société du Flénu en 1833 ? Mais, lorsque, pour desservir les localités les plus importantes du pays, vous avez, vous et vos prédécesseurs, organisé un grand réseau de chemins de fer nationaux, n'avez-vous troublé aucune espèce d'intérêt préexistant ? n'avez-vous porté atteinte à aucune propriété constituée sur la foi de contrats antérieurs ? Mais vous avez, en établissant des chemins de fer parallèles, ruiné un grand nombre de routes concédées ! notamment la route de la Vesdre, en faisant le chemin de fer de Liège à la frontière d'Allemagne ; vous avez ruiné les fermiers liés par les contrats existants pour l'exploitation des barrières, vous avez tué l'industrie des maîtres de postes.

Et lorsqu'on a réclamé des indemnités à l'Etat, il a refusé à bon droit et les tribunaux ont déclaré que c'était juste et légal.

On vous a dit, messieurs, toujours sur ce terrain de l'équité : Les charbonniers qui offrent aujourd'hui de faire le chemin de fer au même taux que la concession demandée et abandonnée par Hainaut-Flandres, devaient se presser davantage.

C'était en 1833, qu'ils devaient faire des offres, lorsque le chemin de fer du Flénu fut exposé en adjudication publique.

Messieurs, l'on oublie une chose : en 1833, l'industrie charbonnière du Couchant de Mons n'était ce qu'elle est aujourd'hui. Elle n'avait pas cette constitution aristocratique de capitaux qui est aujourd'hui le partage des exploitations principales de ce bassin. L'exploitation, en 1833, était entre les mains de petites sociétés séparées, dont la division faisait la faiblesse. Depuis, non pas grâce au chemin de fer du Flénu, comme on sera peut-être tenté de le dire, mais grâce à l'immense développement financier, à l'immense prospérité que le pays doit à toute autre cause qu'à cette spéculation privée, les sociétés jadis divisées se sont réunies, elles ont appelé à elles, par cette concentration, les capitaux qui ne venaient pas ; elles sont aujourd'hui puissantes et capables de se faire concessionnaires, si elles le veulent, car elles le peuvent.

Ne reprochez donc rien à l'industrie charbonnière ; ne lui reprochez pas son silence ou plutôt sa faiblesse de 1833.

M. le ministre ajoute : Comment, au nom de l'intérêt public, viendrais-je demander à la société du Flénu des sacrifices sur les conditions de son ancienne exploitation, alors que si moi, Etat, j'exploitais le nouveau chemin de fer, je ne pourrais offrir des conditions plus favorables ? Il n'est pas juste que moi, qui ne puis exploiter à meilleur marché que la société du Flénu, je lui impose des sacrifices que je n'accepterais pas.

Messieurs, cet argument ne prouve rien, ou il prouve une seule chose, c'est qu'on a bien fait de demander parfois à l'initiative particulière, à des concessionnaires, ce que le gouvernement ne peut pas faire ou ne peut faire qu'à moins bon marché. Je l'avoue, quoique grand-partisan de l'exploitation des chemins de fer par l'Etat, en présence de l'argument du ministre, j'engage fortement les localités exploitées par des chemins de fer industriels à bien méditer le vote que leurs représentants émettront sur la proposition actuelle.

Avec l'argument de M. le ministre, dès aujourd'hui vous déclarez à (page 1588) l'avance que tout concessionnaire nouveau qui voudra faire la concurrence aux chemins de fer actuellement existants, en offrant de transporter à meilleur marché que ne le ferait l'Eut, verra à priori sa demande écartée.

On n'examinera pas, parce qu'il serait injuste de forcer d'anciens concessionnaires à des sacrifices que l'Etat ne ferait pas, s'il exploitait lui-même. Est-ce là une théorie et une politique de progrès ? Incontestablement non. Nous appelons les concessions, les concessionnaires, tout le monde pour obtenir non le maintien de l'état de choses, mais son amélioration ; pour que le progrès soit continu, incessant.

Maintenant, messieurs, allons-nous troubler la possession de quoi que ce soit, d'une simple espérance même ? Mais non, M. le ministre. Le Flénu a été averti dès 1833 que la concession était sous ce rapport dans la condition de toutes les concessions imaginables.

Lorsqu'on 1833, vous avez donné au Fléau la concession que vous voulez étendre aujourd'hui, vous lui avez dit positivement : Sachez bien, vous comme tous les autres, que si plus tard des voies nouvelles sont proposées, fussent-elles directement ou indirectement vos concurrentes, ces voies nouvelles, si elles sont réclamées par l'intérêt public et le progrès, se feront.

Vous l'avez écrit dans une loi antérieure à la concession du Flénu. Dans la loi de concession du 19 juillet 1832, en exécution de laquelle a eu lieu l'adjudication publique qui a rendu le Flénu propriétaire de la ligne actuelle, vous avez refusé toute garantie d'avenir. Vous avez fait plus ; cette garantie, le Flénu vous l'a demandée, et le gouvernement l'a refusée et il a bien fait de refuser.

Jamais, pour ma part, si une concession était demandée à la Chambre et que j'eusse à l'examiner, je ne consentirais à lier pour les 90 années de l'exploitation l'avenir de mon pays.

Que maintenant M. le ministre des travaux publics veuille bien me comprendre : je ne me fais en aucune façon, dans cette circonstance, l'avocat de la société Hainaut-Flandres, pas plus aujourd'hui qu'elle a abandonné elle-même sa cause, pas plus que je ne l'aurais été si elle avait maintenu sa réclamation à un droit de préférence. Je vois dans cette question l'intérêt du bassin houiller de Mons, l'intérêt de toute une population laborieuse, honnête et patriotique, l'intérêt d'une grande, d'une immense industrie, d'une industrie essentiellement nationale, qui demande à réaliser un progrès, à qui l'on offre de réaliser ce progrès pour elle.

La compagnie Hainaut-Flandres a abandonné sa cause ; c'est possible.

M. le ministre voit dans cette désertion l'aveu des torts de ceux qui combattent le Flénu.

Messieurs, quant à moi, je vois dans cet arrangement une chose très simple et toute naturelle. (Interruption.)

Deux compagnies se font concurrence pour un chemin de fer à construire, pour un canal à exécuter ; l'une demande beaucoup plus cher, l'autre offre des conditions plus avantageuses ; toutes deux ont un but, celui d'exploiter le public tout en le servant. La compagnie au taux le plus élevé dans cette situation s'entendra toujours et très facilement avec la compagnie au taux inférieur.

Elle lui dira, pour employer une comparaison un peu familière, c II y a ici une poule à plumer ; je pourrais m'opposer à ce que vous la plumiez seule ; vous de même ; partageons-nous la poule, et plumons à deux. » Mais, messieurs, pour ce bel accord, a-t-on demandé le consentement de la poule ? Précisément ce consentement manque. La poule ne veut pas être plumée et crie. C'est pourquoi je vote contre le projet.

- La séance est levée à 5 heures.