(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1551) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
« M. Mouton, forcé de s'absenter, demande un congé de quelques jours. »
- Ce congé est accordé.
M. Dumortier. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'avais présenté un amendement à l'article qui a été voté.
Cet amendement, j'ai consenti à se retirer parce que je croyais que l'honorable M. Sabatier avait proposé absolument la même disposition. L'honorable M. Sabatier avait demandé le remplacement, dans l'article du gouvernement, des mots : « dans le but d'influencer les électeurs » par ceux-ci « dans un intérêt électoral ; i ce qui est bien différent.
Je voudrais savoir dans quel sens l'article a été voté, car le procès-verbal ne porte pas de texte. Il se borne à dire que l'article a été adopté.
Quel est cet article ?
MpVµ. - L'article du projet du gouvernement.
M. Dumortier. - Je désirerais savoir lequel des articles avait été adopté, si c'était l'article amendé ou l'article du projet de loi.
MpVµ. - Voici les faits.
M. le ministre de la justice ayant déclaré que les termes du projet étaient entendus par lui comme équivalents de ceux de l'amendement de l'honorable M. Sabatier, celui-ci n'a pas insisté sur son amendement. Je n'avais plus celui de l'honorable M. Dumortier, qui est venu le reprendre au bureau, et dès lors je n'avais plus qu'à mettre aux voix l'article du gouvernement, qui a été adopté. Mais le gouvernement avait déclaré que, pour lui, le mot était équivalent.
M. de Theuxµ. - La conséquence est que l'article sera à apprécier par les tribunaux.
MjTµ. - Cela est évident.
MpVµ. - Nous sommes arrivés à l'article 11.
A cet article se rattachent deux amendements ; ils sont tous deux de M. Jacobs.
M. Jacobsµ. - J'ai proposé deux amendements à cet article. Je modifie la rédaction du second de la manière suivante :
« Sera puni d'une amende de 50 fr. à 500 fr. et de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, quiconque, dans le but d'influencer les électeurs, aura donné, offert ou promis un avantage quelconque à la circonscription électorale ou à une partie de la circonscription qui doit procéder à l'élection. »
L'article 11 du projet a pour but de punir le délit de corruption ; mais il ne punit que la corruption s'adressant individuellement à l'électeur.
Les deux amendements que j'ai proposés ont pour but, le premier, de punir la corruption s'adressant à une personne qui n'est pas électeur, dans le but de lui faire exercer son influence sur un ou plusieurs électeurs ; le second, de réprimer la corruption collective.
Le premier amendement a pour but, comme je le disais, d'empêcher une personne influente de l'arrondissement de se laisser corrompre et de vendre en quelque sorte l'influence qu'elle possède.
Tandis que l'article du gouvernement ne frappe que la corruption de l'électeur même, je punis tout avantage promis soit à son père, soit à son fils, soit à sa femme, pour obtenir, par son intermédiaire et son influence, le vote de l'électeur, soit au propriétaire habitant un autre arrondissement, pour s'assurer les suffrages de ses fermiers dans l'arrondissement où l'élection a lieu ; soit au commissaire d'arrondissement, pour qu'il pèse sur le bourgmestre ; soit au bourgmestre, pour le faire agir sur ses administrés ; soit au gouverneur, pour agir sur le commissaire de l'arrondissement.
Remarquer qu'il s'agit toujours d'influence corruptrice, d'influence exercée en vue d'un avantage quelconque promis ou donné. Nous avons inauguré hier en quelque sorte l'ère du désintéressement ; nous avons prohibé les dépenses électorales principales, les banquets ; l'électeur peut dîner, mais à ses frais ; le partisan du candidat pourra travailler en sa faveur, mais à condition que ce soit gratis, que son travail ne soit pas rémunéré.
J'admets donc que le commissaire d'arrondissement influence les bourgmestres et celui-ci ses administrés, mais à condition qu'ils n'y soient déterminés ni par promesse ni par menace ; mais menacer le bourgmestre de ne pas le renommer s'il ne contribue à l'élection des candidats du gouvernement ; menacer le commissaire d'arrondissement de le destituer ou lui promettre de l'avancement, selon qu'il patronnera ou ne patronnera pas les candidats ministériels, c'est là une corruption au même degré que la vente directe d'un suffrage.
Mon amendement fera disparaître les agents électoraux salariés. Chacun est libre d'exercer son influence, mais il ne faut pas que ce soit moyennant salaire.
Toute influence, toute démarche intéressée sera prohibée.
Le deuxième amendement frappé la corruption collective. C'est un reproche qu'on a généralement adressé au projet de loi de prévoir les petites fraudes et de ne pas s'occuper des grandes ; j'ai cherché à combler une de ses lacunes.
Ma première rédaction ne comprenait que les promesses collectives, la deuxième embrasse aussi les avantages immédiats donnés avant l'élection.
Vous aurez vu, messieurs, dans le rapport de la section centrale qu'une proposition plus restreinte y a été faite pour prohiber la corruption collective gouvernementale seule et non celle provenant dés particuliers isolés ou associés.
La discussion en section centrale est relatée dans plusieurs pages du rapport. J'y trouve une confusion constante entre les efforts et le concours que peut promettre un candidat et les promesses formelles qu'il peut faire, les avantages qu'il peut accorder. Lorsqu'un candidat s'engage par suite de sa conviction personnelle à servir telle cause, à défendre telle idée, certes c'est là un fait légitime ; mais quand, au contraire, il fait une promesse formelle ou donne un avantage positif, individuel ou collectif dans le but de faciliter son élection, il commet un fait que je crois punissable.
Remarquez, messieurs, que cette corruption collective est beaucoup plus dangereuse que la corruption individuelle. Celle-ci, dont M. le ministre de la justice contestait hier l'efficacité d'une manière absolue, celle-ci ne peut s'exercer qu'à l'égard d'électeurs de bas étage, si je puis ainsi parler, d'électeurs occupant une position sociale inférieure ; la corruption collective, au contraire, produit des effets sur les électeurs des plus hautes régions sociales ; la promesse d'un chemin de fer, d'un canal ou d'une route, de nature à faciliter l’accès d'un charbonnage, d'une ferme, d'un bois, d'une habitation sont d'autres appâts qu'un dîner.
Le rapport de la section centrale cite, à l'appui de la thèse contraire, d'abord Stuart Mill, mais on oublie qu'il n'excuse que les libéralités faites de bonne foi par les candidats avant l'élection.
J'exige aussi que ce soit dans un intérêt électoral que ces faits de corruption se produisent. Il y a là, je le reconnais, un certain arbitraire, mais c'est le même arbitraire que vous avez consacré pour les repas électoraux. Il s'agira, dans l'un et l'autre cas, d'apprécier s'il y a eu bonne foi ou tentative réelle de corruption.
On cite aussi M. Ed. Laboulaye sans s'apercevoir qu'il admet le dîner électoral, comme libéralité, avant l'élection.
« Si, écrit-il, on déclare ces dépenses suspectes ou coupables, on arrête du même coup cette libéralité dont les anciens faisaient la vertu des républiques, ce dévouement à la communauté qui est l'honneur des pays libres ; si, au contraire, on déclare ces dépenses innocentes, quelle que soit l'intention du donateur (et je pencherai de ce côté par respect de la liberté et par amour du bien public), on donne à la richesse un privilège électoral dont elle saura profiter. De façon indirecte, ce sera le rétablissement d'un cens d'éligibilité. »
Le principal motif donné par M. le ministre de la justice pour (page 1552) empêcher les dîners électoraux, c'était précisément celui d'empêcher le rétablissement d'un cens d'éligibilité ; de mettre les sièges parlementaires à la portée des grands talents accompagnée de petites fortunes.
Le rejet de mon amendement, l'autorisation donnée aux candidats de faire des libéralités avant l'élection, sera une consécration nouvelle de la prépondérance de l'argent ; vous aurez, comme le dit M. Ed. Laboulaye, rétabli le cens d'éligibilité.
Pour être conséquent avec ce que vous avez décidé hier, il faut prohiber toutes les libéralités, toutes les promesses.
Le rapport allègue enfin que jusqu'à présent ces moyens ont été mis bien peu en œuvre. De la part de simples particuliers, ces faits-là sont, en effet, très rares ; mais il n'en est pas de même en ce qui concerne le gouvernement. Je ne citerai qu'un fait, entre mille, pour le prouver : il s'agit de la concession d'un chemin de fer que nous avons récemment voté, le chemin de fer du Roeulx.
Vous vous rappelez toutes les instances faites depuis longtemps en vue d'obtenir ce chemin de fer et l'opposition qu'y faisait le gouvernement depuis bon nombre d'années.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je nie formellement d'y avoir jamais fait opposition ; le chemin de fer était promis depuis 3 ans.
M. Bouvierµ. - Donc, ce n'est pas dans un but électoral.
M. Jacobsµ. - J'en appelle aux souvenirs de la Chambre. Depuis un grand nombre d'années, des instances périodiques étaient faites pour obtenir la concession de ce chemin de fer ; ces instances n'avaient pas abouti.
Comment se fait-il qu'une concession, promise depuis trois ans, n'avait pas encore été accordée ? Au surplus, je vais constater des faits récents qui sont présents à la mémoire de nous tous.
Le 28 juin 1864, à propos de la discussion du budget des travaux publics, l'honorable M. Joseph Jouret réclamait une fois de plus le chemin de fer promis depuis si longtemps et qui n'arrivait jamais ; que répondait M. le ministre des travaux publics ? Il répondait que le gouvernement croyait plus prudent d'ajourner toute concession nouvelle sans distinction ; il yen avait assez sur le marché pour les capitaux disponibles, et aller au delà, c'était compromettre en même temps les concessions déjà accordées et les concessions nouvelles demandées.
« Je dis, concluait-il, qu'il est plus prudent, pour le moment, de ne pas accumuler les concessions, de s'en tenir à celles qui sont octroyées, d'attendre, pour donner des concessions nouvelles, que les anciennes se soient développées davantage. »
L'honorable M. Jouret, le lendemain, trouvant ces paroles peu rassurantes, ce sont ses expressions, demandait au ministre de s'expliquer davantage, mais la brusque fin de la session ne lui a pas permis de le faire.
M. J. Jouret. - Précisément.
M. Jacobsµ. - On déclarait donc qu'on n'accorderait plus de concessions nouvelles avant que les anciennes se fussent développées.
Ces faits se passaient dans les derniers jours du mois de juin. Un mois après, le 27 juillet, la Gazette de Mons publiait l'article suivant ;
« Nous apprenons qu'à la suite de démarches actives et souvent renouvelées de MM. Joseph Jouret et Ansiaux, représentants libéraux pour le district de Soignies, on a la certitude que la concession d'un chemin de fer de Houdeng-Goegnies à Jurbise par le Rœulx sera bientôt accordée.
« On sait que cette nouvelle voie ferrée est sollicitée depuis plusieurs années par les exploitants et industriels du bassin du Centre, ainsi que par les habitants de la ville du Rœulx et des autres communes populeuses que ce chemin de fer desservira. Grâce aux démarches dont nous venons de parler, toutes ces localités verront enfin disparaître l'inégalité de conditions dont elles sont victimes depuis trop longtemps. »
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'ai dit la même chose d'un chemin de fer réclamé par des députés catholiques de Namur.
M. Jacobsµ. - Je parle de ce que je connais ; si M. le ministre a dit la même chose aux députés catholiques de Namur, ils s'expliqueront en un autre moment, mais je ne laisserai pas détourner l'attention du fait dont j'occupe la Chambre. J'y reviens.
Cette annonce de journal se faisait quelques jours avant les élections dernières. Une députation des localités intéressées fut reçue par M. le ministre des travaux publics qui lui confirma la bonne nouvelle de la concession imminente du chemin de fer du Rœulx. (Interruption.)
J'ai sous les yeux les chiffres des élections de Soignies de 1861 et de 1864 ; je ne les citerai pas tous, ce serait trop long ; je pourrais les mettre aux Annales parlementaires. En voici le résumé :
En 1861 (et remarquez que les candidats étaient les mêmes, sauf que M. De Laroche a été remplacé par M. Hervy), en 1861 donc, les candidats libéraux ont l'avantage dans les cantons de Soignies et de Lessines, le canton d'Enghien donne à peu près parité ; et le canton de Rœulx se prononce en grande majorité en faveur des candidats conservateurs.
En 1864, au contraire, les deux cantons qui ont le moins d'intérêt à obtenir le chemin de fer donnent un gain relativement assez considérable aux candidats conservateurs ; la citadelle libérale est emportée, mais par contre, la citadelle catholique, le canton de Rœulx, l'est également ; tandis que les candidats conservateurs gagnent un assez grand nombre de voix dans les cantons de Soignies et de Lessines, et que les libéraux en perdent autant, ceux-ci regagnent avec usure cet avantage dans le canton du Roeulx.
- Une voix. - Et à Enghien ?
M. Jacobsµ. - A Enghien, les résultats restent les mêmes. M. Faignart gagne 2 voix, M. Herdies 1, M. Vanden Broek 3, M. Ansiau 6, M. Jouret 19 et M. Devroede 10.
Mais dans le canton de Rœulx, M. Faignart perd 43 voix, M. Hervy 64, tandis que M. Ansiau en gagne 184, M. Jouret 157 et M. Devroede 171.
C'est un déplacement de 200 voix.
J'ai mis les effets en regard de la cause.
Les concessions, les promesses faites à la veille des élections sont, en toute hypothèse, des faits regrettables ; il est à désirer que les élections na soient pas plus influencées par des promesses ou des faveurs que par des dîners, et si le premier fait est un cas de corruption, l'autre l'est bien plus encore ; on ne peut punir les petits coupables et les petites fraudes, sans punir aussi les grandes fraudes et les grands coupables.
Mes deux amendements ont pour but de généraliser le délit de corruption, ils frappent la corruption par ricochet et la corruption collective, tandis que le projet du gouvernement ne punit que la corruption directe et individuelle.
Hier, je le répète, vous avez inauguré l'ère du désintéressement en prohibant en principe les dépenses électorales ; je vous convie, messieurs, à vous maintenir dans cette voie et à rester conséquents avec vos votes de la veille.
- Les amendements sont appuyés.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne discuterai pas le dernier fait cité par l'honorable M. Jacobs, relatif à l'élection de Soignies, car il est entendu que le gouvernement est corrupteur en gros et en détail, qu'il corrompt tout le monde, grands et petits. Tout ce que je pourrais dire, d'ailleurs, à l'honorable membre, n'aurait pas pour effet de le faire revenir de son opinion.
Je ferai cependant remarquer que, depuis, cette concession n'a pas été accordée seule ; il y en a eu d'autres, et, comme l'a dit, en interrompant, M. le ministre des travaux publics, une de ces concessions a été accordée dans un arrondissement où les candidats conservateurs s'en sont prévalus pour faire valoir leur candidature.
(page 1553) M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Et elle a été accordée à 1'iutervention même du député catholique de l’arrondissement.
M. Jacobsµ. - Et un peu ami de M. Lelièvre.
- Un membre. Il n'était pas ici.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Du reste, si nous voulions entrer dans des détails sur ce point, je pourrais citer des faits, et des faits si nombreux que vous ne tarderiez pas à dire : « Assez ! assez ! »
Abandonnons donc ce terrain ; le moment n'est pas opportun pour nous y engager, et revenons-en à l'amendement de l'honorable M. Jacobs.
Comme l'honorable membre vous l'a dit, le principe de son amendement a été examiné en section centrale, et la section centrale, après une longue discussion, l'a rejeté à une très grande majorité. Je crois aussi que la Chambre ne peut pas l'admettre ; et, en effet, messieurs, de quoi s'agit-il ? Ce que l'honorable membre veut prévenir, c'est la corruption en grand : l'achat des votes en masse au lieu de l'achat en détail.
Eh bien, s'il s'agit de l'achat de votes en masse, je crois qu'on n'a guère à prévoir que ce moyen soit mis en œuvre par des particuliers ; l'honorable auteur de l'amendement a reconnu lui-même que sera là un cas fort rare.
Je ne pense pas que jusqu'à présent un particulier ait offert par exemple d'établir un chemin de fer à ses frais dans une localité ; je ne pense pas non plus que des particuliers soient très disposés à faire exécuter à leurs frais des travaux d'utilité publique qui incombent au gouvernement ou à la commune. Ce cas donc sera extrêmement rare et je ne crois pas qu'il convienne de faire des lois pour des cas qui ne se présentent, on peut le dire, jamais.
Quant aux promesses qui peuvent être faites par le gouvernement ou par ses agents, ou par les candidats qui se mettent sur les rangs, c'est tout autre chose.
Ces promesses peuvent être de deux espèces : ou elles sont sérieuses, ou elles sont dérisoires. Si elles sont dérisoires, si l'on promet, comme on l'a fait quelquefois, à la veille des élections, des choses vraiment absurdes, ridicules, le corps électoral n'y ajoutera pas foi ; mais si les promesses sont d'une autre nature, si elles ont quelque chose de légitime, je ne sais en vérité pas pourquoi un candidat ne pourrait pas dire à ses électeurs : « Vos intérêts ont été négligés, vous n'avez rien pu obtenir jusqu'ici. Je vous promets de faire tous mes efforts pour obtenir le redressement de vos griefs, je vous le promets et j'espère réussir. »
S'il n'était pas permis de faire de pareilles promesses, de prendre de semblables engagements, on ne pourrait plus faire un programme électoral, on ne pourrait plus dire aux électeurs : « Je vous ferai le bien que d'autres ont été impuissants à réaliser. »
Exemple : un arrondissement se plaindra d'avoir été négligé, de n'avoir pas obtenu les routes dont il a besoin ; un citoyen se présentant comme candidat aux élections, dira : « Je vous promets que vous aurez ces routes ; j'emploierai toute mon influence à vous les faire obtenir. » (Interruption.)
Ainsi qu'on le dit à mes côtés, le candidat est dans son droit en faisant cette déclaration. (Nouvelle interruption.)
Il ne s'agit pas seulement du gouvernement dans l'amendement ; l'honorable M. Jacobs frappe tout le monde, mêmes les candidats.
Autre exemple ; si, la veille des élections d'Anvers, l'amendement de l'honorable M. Jacobs avait été adopté et si l'honorable membre ou ses amis avaient dit, comme ils l'ont dit en effet aux électeurs :
« Nommez-nous, nommez les représentants du meeting, et les citadelles d'Anvers vont tomber. »
M. Jacobsµ. - Nous n'avons pas dit cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous avez dit et on a imprimé que si le ministère libéral était renversé, en d'autres termes, si vos candidatures prévalaient, l'honorable M. Dechamps viendrait aux affaires avec son programme, et que dans ce programme figurerait nécessairement la démolition des citadelles et la construction de nouveaux forts sur la rive gauche de l'Escaut.
Voilà une promesse formelle, et, je le répète, si l'amendement avait été adopté, M. Jacobs aurait été privé des droits de vote et d'éligibilité, ce qui nous aurait privés, à notre tour, du plaisir de le voir siéger aujourd'hui dans cette enceinte.
J'ai encore une observation à faire.
Il ne dépend ni du gouvernement, mi des agents du gouvernement, ni surtout des candidats de réaliser certaines promesses qu'ils feraient. Ainsi, pourrait-on promettre un chemin de fera un arrondissement ? La décision n'appartient-elle pas à la Chambre ? Si le chemin de fer dont on a parlé tout à l'heure est un chemin de fer corrupteur, je m'étonne que la droite n'ait pas fait d'observations, à l'époque oh la demande de concession a été présentée à la Chambre.
Je ferai remarquer encore qu'un article de la loi inflige une peine double aux fonctionnaires qui se rendent coupables des faits prévus par la loi.
En résumé, je crois que ce serait une disposition mauvaise que celle qui consisterait à défendre aux candidats, sous peine de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité, de faire la promesse de soigner les intérêts de l'arrondissement où ils se présentent.
Cet amendement ne me paraît donc pas susceptible d'être accueilli.
Le second amendement de l'honorable M. Jacobs est relatif aux menaces ; c'est le corollaire de l'amendement que je viens de combattre.
Les menaces sont, ce me semble, à peu près dans le même cas que les promesses ; aussi je ne pense pas que le second amendement soit plus admissible que l'autre. Certaines menaces ne font plus peur à personne. A Anvers, lors des élections, on a placardé sur les murs de cette ville de grandes affiches représentant Anvers en feu !! C'était horrible à voir ! Dans le cas où les candidats du meeting n'auraient pas été élus, cette image devait être, disait-on, une réalité. Pareilles menaces collectives sont sans doute blâmables, mais doit-on priver les auteurs de ces menaces de tout droit de vote et d'éligibilité ? Je ne le pense pas.
Ce sont des manœuvres électorales, cela peut avoir certain inconvénient. Mais en résumé, je crois qu'il ne faut pas s'arrêter à d'aussi petites choses et qu'il faut permettre aux candidats d'exprimer franchement leur opinion aux électeurs avant les élections.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, je tiens à donner à la Chambre deux mots d'explications concernant la concession du chemin de fer d'Houdeng à Jurbise.
Je disais il y a un instant, par interruption, que la promesse de ce chemin de fer remontait à deux ou trois ans ; je me trompais, cette promesse remonte à quatre et peut-être à cinq ans, et la preuve qu'elle remonte à quatre ou cinq ans est fournie par les pièces mêmes du dossier de l'administration.
Voici, messieurs, dans quelles circonstances.
Lors d'une des premières lois d'ensemble de concessions que j'ai présentées, il est venu, probablement entre autres, sous le patronage de l'honorable M. Faignart qui était alors membre de la Chambre, une députation nombreuse du Centre, pour solliciter ce chemin de fer. C'est à cette époque que j'ai répondu que l'introduction de cette concession dans le projet qui était déjà déposé aurait été tardive ; mais que celle-ci figurerait dans une des plus prochaines lois d'ensemble de concessions qui seraient soumises à la Chambre.
Cette promesse, messieurs, ne s'étant pas réalisée dans les termes précis où elle avait été faite, je ne sais pour quel motif, probablement parce que je ne trouvais pas un concessionnaire à mon gré, les mêmes délégués qui s'étaient présentés une première fois chez moi m'ont écrit et à plus d'une reprise, je pense, pour me rappeler cette promesse formelle faite dans les circonstances que je viens d'indiquer.
J'avais donc raison de dire que le fait de la promesse remontant à quatre et même à cinq ans, est prouvé officiellement, est prouvé par écrit.
Voici une autre preuve que cette concession est étrangère à tout esprit de parti, à tout désir d'influencer les élections.
La Chambre a été dissoute l'année dernière à la suite de la retraite de la droite. Cette retraite était un incident que nul de nous ne pouvait prévoir. Nous étions en pleine discussion du budget des travaux publics. Dans la dernière séance utile que nous avons eue, l'honorable M. Jouret ayant demandé des explications catégoriques quant à la concession dont il s'agit, je lui ai annoncé que dans la séance du lendemain, dans cette séance du samedi qui n'a pu avoir lieu par suite de la désertion de la droite, je lui réitérerais formellement la promesse antérieurement faite, que je lui répondrais qu'il allait être passé outre à la concession du chemin de fer d'Houdeng à Jurbise. J'en appelle à la mémoire de l'honorable membre.
M. J. Jouret. - C'est parfaitement exact.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Le fait du reste s'est passé à l'intervention de mon honorable collègue M. le ministre des finances.
Je le demande donc à la Chambre, la promesse originaire, la promette primitive a-t-elle été faite en vue des élections de l'année dernière ? Et cette parole donnée en 1864 à l'honorable M. Jouret, dans cette séance (page 1554) où la dissolution ne pouvait pas même être prévue, est-ce encore un fait dont on peut arguer comme ayant été posé en vue d'influencer ces élections ?
Voilà donc comment la concession du chemin de fer d'Houdeng à Jurbise a été octroyée.
Mais j' ajoute que je savais depuis longtemps, de science certaine, que cette même affaire avait été, de la part de nos adversaires politiques, l'objet des plus constantes et des plus vives récriminations contre le gouvernement. Voici ce qu'on disait aux électeurs : « Votez pour les Catholiques ; le lendemain de leur avènement au pouvoir, vous aurez votre chemin de fer, et vous n'aurez jamais rien du gouvernement actuel. »
De quel côté se pratiquaient les manœuvres ?
M. Jacobsµ. - Messieurs, cette exception faite pour le chemin de fer du Rœulx à côté d'un refus général d'accorder des concessions nouvelles...
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'en ai apporté 7 ou 8. Il y en a encore 2 à l'ordre du jour.
M. Jacobsµ. - Pas avant les élections.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je vous demande pardon, l'affaire de l'arrondissement de Namur a été également régularisée avant les élections et depuis la dissolution.
M. Jacobsµ. - On observe à côté de moi que c'était peut être en vue de l'honorable M. Lelièvre. (Interruption.)
M. Lelièvre. - Je demande la parole.
M. Jacobsµ. - Je réponds à M. le ministre des travaux publics qu'il est complètement inexact de prétendre qu'à l'époque oh il a fait cette déclaration à l'honorable M. Jouret, la dissolution ne pouvait être prévue. Au contraire, elle était prévue par tout le monde ; on savait que ce n'était qu'une question de temps. Vous le niez, M. le ministre des finances. (Interruption.)
Mais dans ce moment la proposition de l'honorable M. Orts était déposée et vous aviez déclaré hautement le lendemain que cette proposition était subordonnée à la dissolution, qu'elle en était une conséquence.
La dissolution était donc prévue à cette époque comme inévitable.
M. Dumortier. - Vous n'aviez qu'une voix de majorité ; vous ne pouviez gouverner.
M. Jacobsµ. - J'en viens à la réponse que m'a faite M. le ministre de l'intérieur.
Son discours a été une confusion perpétuelle des véritables promesses et des promesses de concours. À tout instant, ces deux mots se pressaient simultanément dans sa bouche, et c'est précisément la distinction qu'il faut faire.
Lorsque le candidat promet de mettre son concours au service d'une idée, de consacrer ses efforts à sa réalisation, il est dans son droit. Mais lorsqu'il fait une promesse formelle ou lorsqu'il procure un avantage immédiat, c'est un véritable cas de corruption, l'avantage ou la promesse fût-elle collective.
C'est la distinction qu'il y a lieu de faire et de maintenir.
M. le ministre a parlé des élections ; vous-mêmes, m'a-t-il dit, vous avez prodigué les promesses et les menaces.
Nous n'avons fait ni promesses, ni menacés, et nous n'avions besoin ni des unes ni des autres.
Nous avons si peu fait des promesses que M. le ministre de l'intérieur en a été réduit à transformer en promesse ce fait : nous aurions déclaré que si l'honorable M. Dechamps arrivait àu pouvoir, il réaliserait son programme.
L'honorable M. Dechamps ne l'a pas rédigé pour autre chose, j'imagine, et l'article relatif à la question d'Anvers n'était pas plus qu'aucun autre un mystère pour personne.
Il n'a pas tenu la lumière sous le boisseau, son programme se trouvait dans tous les journaux, chacun a pu le lire et l'apprécier ainsi que les développements que l'honorable M. Dechamps a donnés dans cette enceinte et nous n'avions pas à l'interpréter, nous le prenions tel qu'il était.
Nos amis ont affiché sur les murs un caricature dans laquelle la ville d'Anvers apparaissait bombardée et dévastée par l'incendie.
Nous ne menacions à coup sûr pas la ville d'Anvers de l'incendier si elle ne nous accordait pas son suffrage ; et si la caricature supposait que l'élection de nos adversaires pouvait augmenter les risques que lui ferait courir une guerre, il n'y a rien de commun entre mon amendement et une prévision de ce genre.
Il sera toujours permis aux partis de dépeindre sous des couleurs sombres la réussite des partis opposés. J'insiste une fois de plus sur la distinction qu'il faut faire entre une promesse de concours et une promené d'obtention, ou une libéralité actuelle et certaine.
M. Bouvierµ. - Messieurs, nous assistons, à l'occasion du projet de loi que nous discutons, à un étrange spectacle.
Voilà que nous voyageons du Rœulx à Namur et que nous avons encore une petite discussion sur la question d'Anvers, que l'on croyait définitivement enterrée.
Oh allons-nous ? Quand terminerons-nous enfin cette loi ?
J'en arrive aux amendements de l'honorable membre. Je suis étonné que la droite, qui gémit tous les jours de ce que le projet contient une foule de pénalités, un véritable système d'intimidation qui doit éloigner de l'urne électorale les électeurs de la campagne, je m'étonne, dis-je, que l'honorable membre vienne encore ajouter à ce luxe de pénalités, dont on se plaint si amèrement. Si nous continuons ce système, je ne sais pas où nous arriverons et quand nous aboutirons.
Je pense donc, messieurs, qu'il faut en finir le plus tôt possible et adopter les articles 11 et 12 du gouvernement qui ont également reçu l'approbation de la section centrale.
M. Lelièvre. - Il me semble qu'on pourrait rendre purement facultative la peine de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité.
Si ce changement était adopté dans les divers articles du projet, il ne serait plus nécessaire de modifier les dispositions du projet en ce qui concerne l'interdiction, dans le cas de circonstances atténuantes.
La peine de l'interdiction est une pénalité grave. Je pense qu'il conviendrait de la rendre simplement facultative, même lorsque le juge appliquerait le minimum de la peine.
Ne perdons pas de vue qu'il est extrêmement rigoureux de devoir prononcer l'interdiction, lorsqu'on applique 50 fr. d'amende. Il me semble qu'il est préférable de réserver cette pénalité, réellement infamante, pour des cas ayant un caractère prononcé de gravité qu'il appartiendra au juge d'apprécier.
D'après cette observation, je dois dire quelques mots de l'amendement de l'honorable M. Jacobs.
Les manœuvres électorales auxquelles fait allusion l'honorable membre ont été employées par les différents partis et notamment par le parti conservateur. C'est ainsi qu'en 1864, dans notre arrondissement, on affichait à Gembloux, la veille de l'élection, des placards imprimés dans lesquels on disait : « Si vous voulez conserver le haras, votez pour les candidats conservateurs, car les libéraux voteront la suppression du haras. »
Or ce qu'il y a de remarquable, c'est que précisément parmi les candidats conservateurs figuraient ceux qui s'étaient déclarés adversaires de toute intervention de l'Etat dans des entreprises de la nature de celle dont il s'agit.
Eh bien, cet expédient n'a pas peu contribué à nous enlever un grand nombre de voix dans un centre où nous avions toujours obtenu la majorité.
Quant à moi, messieurs, je ne pense pas que la loi doive s'occuper de pareilles manœuvres, dont il faut laisser à l'opinion publique le soin de faire justice.
Mais l'amendement de M. Jacobs tend à incriminer des actes qui ne sont pas même répréhensibles. En effet, comment ne serait-il pas permis aux candidats de dire : Je m'engage à remplir mon mandat avec plus de zèle et plus d'avantage pour mes commettants que mes adversaires politiques ; je ne négligerai rien pour faire doter la province ou l'arrondissement de telles améliorations auxquelles ils ont droit ?
C'est là une lutte loyale au point de vue des avantages que doit procurer à un arrondissement le choix de tel ou tel candidat. Il me paraît donc impossible d'incriminer des actes qui n'ont aucun caractère criminel, ni, par suite, de les faire tomber sous l'application des lois répressives.
M. Dumortier. - Messieurs, dès l'origine de ce débat, j'ai eu l'honneur de vous dire comment j'envisageais le projet de loi. Le projet de loi est, à mes yeux, un moyen d'empêcher les influences légitimes de s'exercer, en les déclarant criminelles, et, en même temps, un moyen d'étendre l'intervention du gouvernement, en la déclarant légitime. C'est, comme je le disais, la sanctification des actes du gouvernement.
Que nous a révélé l'enquête de Louvain ? Elle nous a révélé l'intervention du gouvernement pour corrompre les élections. C'est M. Goupy de Quabeck, qui écrit aux électeurs de Betecom qu'il a obtenu, pour une route à faire dans cette commune, un subside de 8,000 à 10,000 fr. et la promesse d'un second subside du même genre.
Voici, messieurs, la lettre écrite dans cette circonstance par M. Goupy (page 1555) de Quabeck. C'est un document de l'enquête et dont nous avons eu l'original sous les yeux :
« Monsieur le bourgmestre,
« J'ai l'honneur de vous faire connaître que, par un arrêté, le gouvernement accorde à la commune de Betecom un subside de huit mille francs ; de son côté, la province a également accordé un subside de deux mille cinq cent soixante-quinze francs ; ensemble, 10,575 francs pour subvenir aux frais de construction des ponts et chaussées que la commune se propose de construire (sic).
« J'espère encore recevoir un subside de dix mille francs cette année-ci. Il faudra faire une pétition, et je me charge du reste. Nous en parlerons mardi à Louvain.
« Agréez, etc.
« (Signé) Goupy de Quabeck.
« Malines, le 12 juin 1859. »
Voilà un fait de corruption électorale. (Interruption.) Je suis étonné d'entendre les membres de la gauche se récrier sur ce mot de corruption électorale.
Ainsi vous condamnerez à la perte des droits civiques le citoyen qui aura fait une promesse, qui aura promis, comme vient de le dire l'honorable M. Lelièvre, un avantage quelconque, et vous trouvez légitime que le gouvernement puise dans le trésor public pour corrompre les électeurs afin d'amener un membre de plus sur vos bancs ! Voilà votre logique, voilà votre morale !
Eh bien, je dis que c'est une logique et une morale contraires à tout sentiment de justice et d'équité, et vous n'avez plus le droit de parler de fraudes électorales quand vous tolérez de pareils abus.
Ce n'est pas tout, messieurs ; d'autres promesses auraient encore été faites et le journal du parti libéral à Louvain disait : « Voilà des sommes à ajouter à l'avoir de M. de Luesemans. » Si ce ne sont pas là des moyens de corruption, il n'y a plus de corruption.
Et les articles des journaux de la gauche, dont vient de parler l'honorable M. Jacobs, ne sont-ce pas aussi des moyens de corruption ? Comment, lorsqu'il était évident que la dissolution devait avoir lieu, vous accordez un chemin de fer, vous déplacez ainsi 200 voix au profit de vos candidats, et vous viendrez soutenir que ce n'est pas là une fraude électorale ?
Dans l'enquête de Louvain qu'avons-nous vu encore ? Avez-vous oublié que dans la ville de Diest on trafiquait de l'argent des pauvres pour assurer le triomphe des candidats libéraux ? Avez-vous oublié qu'un homme des plus honorables a donné sa démission de membre du conseil des hospices pour ne pas s'associer à de pareils actes ? Avez-vous oublié les déclarations qui se trouvent dans l'enquête et dont j'ai donné lecture dans la discussion générale ? Eh bien, tous ces faits commis par l'autorité, vous les tolérez, vous les consacrez ; mais si un particulier a le malheur de promettre le moindre avantage, celui-là est puni de la perte des droits civiques. (Interruption.)
M. Mullerµ. - Lisez la fin de l'article.
M. Dumortier. - Est-ce que, par hasard, vous ne savez pas que quand le gouvernement accorde des avantages, c'est à la condition d'obtenir des voix pour M. de Quabeck, pour M. Devroede pour M. Ansiau ? Qu'est-ce qu'il faudra pour déterminer la corruption ?
M. Mullerµ. - Demandez-le à M. Jacobs.
M. Dumortier. - Je parle de l'article du projet de loi et je dis qu'il est conçu en termes vagues, que l'honorable M. Lelièvre a condamnés avec beaucoup de raison. L'article pousse les choses à l'extrême quant à l'influence légitimé des citoyens et quand il s'agit du gouvernement, c'est-à-dire de la corruption en grand, vous ne voulez prendre aucune mesure ! Vous prohibez la corruption des petits et vous vous félicitez de la corruption en grand parce qu'elle se fait à votre profit.
Et bien, voilà ce qui m'indique la pire de toutes les corruptions, c'est la corruption par le pouvoir, parce que dans les élections c'est le pouvoir qui est jugé par le corps électoral et que lorsque le pouvoir corrompt le corps électoral il corrompt ses juges.
Je dis, messieurs, qu'il est impossible d'admettre de pareilles dispositions contre les citoyens sans admettre aussi une disposition formelle contre le gouvernement. Et, veuillez-le remarquer, avec la loi que vous avez appelée loi de responsabilité ministérielle et que j'appelle, moi, loi d'irresponsabilité ministérielle, vous n'avez plus aucune garantie. Autrefois on pouvait encore attraire en justice, en vertu de la loi pénale, un ministre qui aura prévariqué ; aujourd'hui on ne pourra plus le faire, il faudra l'autorisation de la Chambre, l'autorisation de la majorité et vous croyez que la majorité, qui aura profité des actes de corruption du pouvoir, vous accordera l'autorisation de mettre en accusation !
Je dis donc que votre système est extrême, qu'il y a dans votre projet une disposition que dans aucun cas, vous ne pouvez admettre et donc je demande formellement le rejet. (Interruption.)
Je demande formellement la suppression des mots : « un avantage quelconque ». Vous ne pouvez pas dans des lois pareilles et surtout dans des lois qui prononcent l'interdiction civique, laisser à l'appréciation du juge la plus grande de toutes les peines pour un citoyen, la peine de la mort politique.
Je voterai l'amendement de l'honorable M. Jacobs, mais je demande formellement le retranchement des mots : « un avantage quelconque », parce que lorsqu'il s'agit de la peine la plus grave qui puisse frapper un citoyen on ne peut se rapporter à l'appréciation des juges.
M. Bara. - Je m'étonne véritablement de la campagne que la droite entreprend. Si un article devait être proposé, c'est plutôt pour protéger les candidats qui défendent la politique du gouvernement contre les manœuvres électorales de leurs adversaires que pour protéger les candidats de l'opposition et il ne faudra pas de longs développements pour démontrer qu'il n'y a aucune comparaison à faire entre la position des premiers et celle des seconds.
M. Jacobsµ. - Je protège tout le monde et je punis tout le monde.
M. Bara. - Vous ne protégez que les candidats de l'opposition ; je vais vous le prouver. Votre article punit quiconque promet d'accorder ou de faire obtenir, en cas d'élection ou d'échec d'un candidat, un avantage quelconque.
Accorder un avantage quelconque, ce n'est pas un candidat de l'opposition qui peut le faire. (Interruption.) La promesse d'accorder dans votre pensée est donc évidemment la promesse d'accorder avec la faculté d'accorder et jamais en justice on ne considérera comme une promesse d'accorder le fait d'un candidat qui étant sur les rangs pour arriver à la Chambre et pour devenir ministre dirait : Je ferai telle chose. Ce qu'on doit entendre par votre promesse, c'est celle faite par la personne qui a la disposition de la chose qu'il promet. Donc tous les candidats de l'opposition pourront promettre sans avoir aucune crainte.
Mais poursuivons le raisonnement que j'ai commencé. Je prétends que le candidat du gouvernement, puisque vous les appelez ainsi, se trouvent vis-à-vis des candidats de l'opposition dans une position défavorable ; et en effet, que peut promettre un candidat qui appuie la politique au pouvoir ? Bien peu de chose, car lorsqu'il s'agit de réaliser, il se trouverait dans une position plus difficile que ses adversaires. Quand des demandes nous sont faites, nous sommes le plus souvent obligés d'éconduire les solliciteurs. Au contraire, quand des solliciteurs séparés entrent chez vous, vous leur dites à tous : Si j'étais au pouvoir, vous auriez la chose. (Interruption.) Vous le dites à tous indistinctement.
M. Dumortier. - Les solliciteurs savent bien qu'ils ne doivent pas venir chez nous.
M. Bara. - Soit ; ils ne viennent pas chez vous, mais M. Dumortier va chez eux et leur dit : « Mon cher, si j'avais été au pouvoir, vous l'auriez eu. » (Longue interruption.)
Je connais un arrondissement, c'est le mien, où le tribunal est composé d'un vieux président, de plusieurs vieux juges, où à la justice de paix il y a également un vieux juge et un vieux greffier ; dans ce même arrondissement se trouve un commissaire d'arrondissement qui déplaît ; eh bien, à la veille des dernières élections, on a fait circuler dans la ville la liste des personnes qui allaient succéder à ces honorables magistrats ; c'était notoire ; on disait, M. le président un tel donne sa démission, un tel est désigné pour lui succéder.
M. le juge de paix donne sa démission, un tel doit lui succéder. Quant à M. le commissaire d'arrondissement, le programme Dechamps est là, il sera destitué. Sept, huit, dix familles se trouvaient pourvues ainsi de places et vous comprenez l'influence que cette circonstance pouvait exercer. Voilà donc encore le candidat de l'opposition dans une situation bien meilleure que la nôtre. Nous, nous n'avions qu'à dire les magistrats de l'ordre judiciaire sont inamovibles et le commissaire d'arrondissement fait son devoir. Donc pas de places à promettre. Mais maintenant, les honorables membres de la droite qui présentent l'amendement se font-ils faute d'user de l'influence gouvernementale ? Au contraire, ils promettent énormément.
Je me souviens qu'à Namur M. Dechamps, chef de la droite, auteur du programme, écrivait à M. Royer de Behr :
« Ce n'est pas un député qu'il s'agit de nommer, c'est un ministre. » (Interruption.)
Oui, messieurs, ce sont ses propres paroles ; vous n'aviez encore que l'ombre du pouvoir et vous en escomptiez déjà les faveurs pour arracher (page 1556) des votes dans les élections. Et si l'honorable M. Dechamps était ici, il désavouerait M. Jacobs, il lui dirait : Mais vous brisez dans vos mains une de nos armes les plus formidables. C'est nous, députés de l'opposition, qui travaillons les élections avec des promesses ; les députés libéraux ne peuvent rien faire. Nous, députés catholiques, nous pouvons promettre à Dieu, à ses saints, à tout le monde. (Interruption.)
Mais, c'est ainsi, messieurs, je le répète ; à Tournai, tout le tribunal disparaissait ; le personnel était renouvelé, et les nominations étaient notoires. Les nouveaux titulaires se saluaient déjà du nom de M. le juge.
Il y a plus, messieurs, si les candidats de l'opposition promettent des avantages collectifs, je demande à l'honorable membre si cela tombe sous l'application de son amendement.
Dans vos programmes, vous promettez la réduction de tous les impôts, la suppression des barrières, etc.
Vous promettez en un mot de faire de la Belgique le pays où l'on sera le moins imposé et où l'on dépensera le plus.
Est-ce que cela va tomber sous l'application de l'article ?
M. Jacobsµ. - Si c'est une promesse formelle, évidemment.
MfFOµ. - Et l'exploitation de la révision cadastrale ?
M. Bara. - Mais vous en faites la promesse formelle, et le programme de M. Dechamps le prouve. Et pourtant, si l'honorable M. Dechamps était parvenu au pouvoir et si vous aviez voulu réaliser ce programme, vous n'auriez pu le faire.
Je crois, moi, que c'était tout bonnement un appât électoral. (Interruption.)
Chacun a son opinion.
M. Thonissenµ. - Il faut nous supposer loyaux et honnêtes.
M. Bara. - Ah ! il faut vous supposer loyaux et honnêtes. Oui, quant aux intentions. Mais il y a beaucoup de choses que l'on croit possibles quand on est dans l'opposition et que l'on ne croit plus possibles quand on arrive au pouvoir.
On fait un code dans son cabinet, on arrange les choses à sa manière, et quand on se trouve devant la réalité, on ne peut plus accomplir ses promesses.
Le programme de M. Dechamps a été fait, selon moi, dans ces conditions.
Un beau jour, des membres de la droite se sont réunis ; ils ont écrit un programme et ils ont dit : Cela sera d'un très bon effet sur le corps électoral. Plus tard nous nous arrangerons comme nous pourrons, mais pour le moment promettons (Interruption.)
M. de Borchgraveµ. - En fait de loyauté il n'y a pas de distinction, pour nous, du moins.
M. Bara. - Ce n'est pas moi qui ai prononcé le mot de loyauté, c'est l'honorable M. Thonissen qui l'a jeté dans le débat. Pour moi, le programme de l'honorable M. Dechamps était un appât électoral. Il est évident que quand vous faisiez ce programme, vous aviez l'intention d'attirer à votre politique les électeurs.
Quand vous disiez que les fortifications d'Anvers allaient tomber, c'était évidemment pour avoir les électeurs d'Anvers.
Cependant vous ne pouviez réaliser cette promesse. Nous soutenons que vous n'auriez pu la réaliser, que jamais aucune Chambre n'aurait posé un pareil acte. Nous avions donc le droit de dire qu'en effet ce n'était qu'un appât électoral.
M. Jacobsµ. - On avait l'intention de la réaliser. (Interruption.)
M. Bara. - L'enfer lui-même est pavé de bonnes intentions. (Interruption.) Vous promettez non seulement une réduction d'impôts, mais vous faites naître encore des craintes d'augmentation d'impôt, et je vais citer un fait. Lorsque dernièrement l'honorable M. Dumortier a parlé du cadastre, y a-t-il un membre de la droite qui s'est levé pour protester contre le langage de l'honorable M. Dumortier ?
M. Jacobsµ. - Nous nous en garderions bien.
MfFOµ. - Tout le monde sait que c'est une manœuvre électorale, pas autre chose.
M. Dumortier. - Je maintiens ce que j'ai dit.
M. Bara. - Eh bien, c'est là une manœuvre électorale. Je suppose que nous ayons le plaisir, car j'estime beaucoup l'honorable M. de Naeyer, de voir venir cet honorable membre au département des finances. L'honorable M. de Naeyer a interrompu l'honorable M. Dumortier en disant : C'est un acte de justice que la révision cadastrale. Que fera l'honorable membre ? Il poursuivra la révision.
M. Dumortier. - Il n'y a pas d'acte de justice à faire de fausse évaluations.
M. Bara. - M. Dumortier ne me comprend pas. Je demande à l'honorable M. Jacobs s'il punit les manœuvres tendantes à faire naître la crainte d'augmentation d'impôts. Cela est plus dangereux même que des promesses. On dit : Si tel pouvoir est maintenu, si telle politique est conservée, vos impôts vont être augmentés. (Interruption.)
Mais, messieurs, je vous le prouve par ce qui se passe pour les opérations de la péréquation cadastrale. Dans le Hainaut notamment, la presse supposant que la péréquation cadastrale aura pour but une augmentation d'impôt, fait attaquer vivement le gouvernement. Il est probable que dans les journaux flamands on soutient le contraire. On a ainsi une politique de Janus regardant des deux côtés. Allez-vous frapper cela ? J'ai fait observer à cet égard que pas un membre de la droite ne s'est levé pour se joindre au gouvernement, pour protester contre le langage de l'honorable M. Dumortier et pour dire aux populations que quelle que soit la politique au pouvoir, libérale ou catholique, la péréquation cadastrale sera faite, la péréquation cadastrale doit être faite parce que c'est un acte de justice et que l'on ne peut pas empêcher les actes de justice, dût un parti en souffrir.
L'honorable M. de Naeyer arrivant au ministère des finances, que ferait l'honorable membre ? Abandonnerait-il la péréquation cadastrale ? Evidemment non, il la présenterait et la soutiendrait. Il n'admet pas, et il a raison, qu'alors que les propriétés ont augmenté de valeur dans certaines localités et qu'elles ont diminué de valeur dans d'autres, elles soient frappés de la même manière.
Il est des questions sur lesquelles tout le monde doit être du même avis.
Eh bien, avec l'amendement de M. Jacobs, qu'arrivera-t-il ?
Si vous, député de l'opposition, vous attaquez la péréquation cadastrale pour faire naître la crainte d'une augmentation d'impôt, dont vous ne serez pas frappé ; je dis que cela n'est pas juste et que cela devrait tomber sous l'application de la loi, du moment où vous nous frappez pour des promesses d'appui et d'influence.
Je maintiens - et c'est là le but de mon discours - qu'on ne devrait pas protéger le candidat de l'opposition contre le candidat de la politique au pouvoir, mais que c'est le contraire qui devrait être fait ; je prétends que ce sont les candidats de l'opposition qui abusent le plus des promesses gouvernementales et des promesses de tout genre. J'ai subi deux élections et j'ai rencontré deux fois sur mon chemin des candidats qui promettaient des places et qui en promettaient plus que moi.
M. Jacobsµ. - Appuyez mon amendement alors.
M. Bara. - Je ne puis pas appuyer votre amendement et je dirai pourquoi. Moi j'ai d'abord voulu protester contre cette insinuation que c'est à l'aide des faveurs gouvernementales que nous obtenons des voix et que nous vivons de la corruption, comme l'a dit M. Dumortier, paroles que la droite trouvera sans doute aimables et polies. (Interruption.)
Messieurs, l'amendement n'est pas admissible et voici pourquoi. Que veut l'honorable membre ? Deux catégories de personnes peuvent promettre des faveurs, des subsides : le gouvernement et les députés. Le gouvernement peut promettre des subsides dans les limites de ses attributions, mais lorsqu'il lui faut le concours du pouvoir législatif, sa promesse ne suffit pas. Il ne peut la réaliser que s'il est appuyé par la majorité et alors c'est la volonté du pays. Quant aux actes que le gouvernement peut poser seul, pourquoi les lui interdire aux approches de l'élection ?
Vous allez donc mettre en quarantaine les actes du pouvoir avant l'élection. Pendant 4 ou 5 mois avant l'élection, le gouvernement ne pourra plus rien faire ; il devra se croiser les bras pour respecter les chances électorales de messieurs de l'opposition. (Interruption.)
Voici une commune qui a besoin de routes. La justice exige qu'on lui on donne. Halte-là, on n'accordera pas de subside actuellement. Cela pourrait faire tort à l'opposition qui accuse chaque jour le gouvernement de ne pas avoir accordé le subside dont il s'agit. C'est là ce que vous voulez.
Si l'acte est bon de quoi avez-vous à vous plaindre ? En quoi, par exemple, avez-vous à vous plaindre de la concession du chemin du Rœulx ? Mais les candidats de l'opposition le demandaient de la même manière que leurs adversaires politiques.
L'honorable M. Faignart était député en même temps que M. Jouret et l'un et l'autre faisaient partie de la députation qui allait chez M. le ministre des travaux publics pour obtenir cette concession.
Voilà donc un intérêt bien évident pour le canton du Rœulx. Eh bien, qu'arrive-t-il ?
(page 1557) C'est que vous ne voulez pas qu'il soit donné satisfaction à cet intérêt purement matériel, parce que votre intérêt politique s'y oppose.
Vous voulez retarder h solution d'une question d'intérêt public, parce que vous avez une question de parti qui est en cause. Est-ce sérieux ? Evidemment non ; vous ne pouvez pas défendre cela. Il faudrait pouvoir reprocher au gouvernement d'avoir fait un acte injuste, un acte mauvais, blâmable pour influencer une élection. Alors, c'est la responsabilité ministérielle qui est en jeu ; il est évident que si le gouvernement dilapidait le trésor public, donnait des subsides d'une manière injuste, il serait responsable, et la majorité n'appuierait pas un gouvernement qui se conduirait de la sorte. Or, ce n'est pas ce que vous avez fait. Vous n'avez pas attaqué l'acte en lui-même ; vous l'avez reconnu bon ; mais vous l'avez incriminé à raison du moment où il a été posé.
Eh bien, je dirai avec l'honorable M. Jacobs, il ne doit pas y avoir de justice tardive ; ce qui est juste doit être fait le plus tôt possible ; et quant à moi, j'aurais accordé la concession du chemin de fer du Roeulx 24 heures avant l'élection, cet acte eût-il dû avoir pour conséquence d'amener l'élimination de M. Faignart et de tous les catholiques du canton de Rœulx ; ce qui serait deux biens au lieu d'un. (Interruption.)
Voilà donc pour le premier cas.
Le second, c'est la promesse de faire obtenir, en cas d'élection du candidat, un avantage quelconque. Promesse de faire obtenir ! mais il n'y a pas de mal à cela.
Je vous promets de vous faire obtenir un chemin de fer si je suis nommé représentant ; est-ce vous accorder le chemin de fer ? Mais non, je n'en ai pas le pouvoir ; une promesse n'a de valeur que pour autant que le gouvernement d'abord et les Chambres ensuite consentent à la ratifier. Vos termes sont au moins incompréhensibles, avouez-les : promesse de faire obtenir, cela est tout à fait indéfinissable. Il est évident que c'est le droit, et je dirai le devoir de tout représentant, de promettre de procurer à son arrondissement le plus d'avantages possible. Quand je me présente devant un corps électoral libéral, n'est-il pas naturel que je lui promette de faire ce qui dépendra de moi pour obtenir la réalisation du programme du congrès libéral de 1846 ? Et je le fais pour obtenir ses votes.
- Une voix à droite. - Cela dépend de vous !
M. Bara. - Comment, cela dépend de moi ! mais pas du tout, cela dépend de la majorité parlementaire. Je réussirai si l'élection envoie à la Chambre une majorité libérale. De même, quand je dis : Je vous promets de vous faire obtenir un subside, encore une fois c'est une promesse dont la réalisation ne dépend pas de moi, mais du gouvernement. Est-ce que le gouvernement intervient dans cette promesse ? Mais non, en aucune manière.
Or, d'après l'amendement de l'honorable M. Jacobs, il suffira de dire à un électeur : Je vous promets un subside, pour que je tombe sous l'application de la loi, bien que je n'aie pas la puissance de réaliser ma promesse sans le concours du gouvernement. L'amendement de l'honorable M. Jacobs punit la simple promesse de faire obtenir, sans savoir si on pourra tenir cette promesse.
Eh bien, je dis que cela n'est pas soutenable. Ainsi, je ne pourrais pas promettre de voter la loi sur le temporel du culte si je suis nommé !
Mais l'honorable M. Dechamps a promis une foule de choses dans son programme ; vous l'auriez donc puni ? (Interruption.)
Il est donc évident que le texte de cet amendement ne résiste pas à la discussion. En tous cas je termine par où j'ai commencé, en déclarant que s'il y a quelqu'un à protéger, c'est nous bien plus que vous et que s'il n'y a des victimes de ces manœuvres, c'est bien plus que vous. Il en serait encore et surtout ainsi avec l'amendement de l'honorable M. Jacobs.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J’avais demandé la parole avant l'honorable M. Bara, mais M. le président ne l'aura pas entendu.
Ce n'est pas, messieurs, que je veuille répondre à l'honorable M. Jacobs ; je ne veux pas abuser du temps de la Chambre et je pense qu'une réponse serait inutile après le discours de l'honorable M. Bara qui a réfuté complètement, me semble-t-il, les arguments de l'honorable député d'Anvers.
Mais je crois devoir répondre un mot à l'honorable M. Dumortier sur un fait particulier, sur la grande affaire de Betecom.
Messieurs, on a expliqué déjà trois ou quatre fois cette affaire devant la Chambre. Quoi qu'il en soit, je vais l'expliquer une fois encore pour bien vous convaincre de toute la gravité du fait. J'espère que cette explication sera la dernière.
Que s'est-il passé ? La commune de Betecom, qui, depuis de longues années, réclamait pour obtenir la construction de roules, obtient la promesse que l'Etat interviendra pour une somme considérable et, de son côté, la commune s'engage à voter les crédits nécessaires pour la construction de cette voie de communication.
La part à payer par le gouvernement fut clairement déterminée, en 1858, un an avant les élections.
En 1859, un an après que l'affaire était réglée en principe, l'honorable M. Goupy de Quabeck écrivit au bourgmestre de Betecom que le gouvernement venait d'allouer, par arrêté royal, un subside de 10,000 fr., je pense, sur la somme promise l'année précédente.
Il ajoutait que l'année suivante un nouveau subside serait accordé, et disait en terminant : Nous en parlerons mardi à Louvain.
Ce mardi, c'était le jour des élections. Voilà tout le crime !
Je dois vous faire remarquer que M. Goupy de Quabeck était échevin de la commune de Betecom et qu'il écrivait à un bourgmestre. Que voyez-vous de coupable dans tout cela ? Un échevin vient à Bruxelles, peut-être y venait-il pour affaires électorales ; il apprend, par un employé du gouvernement probablement (je n'en sais rien, puisque je n'étais pas ministre en 1859), qu'un arrêté royal accordant un subside à sa commune était signé, peut-être était-ce le ministre lui-même qui le lui avait annoncé, peut-être le ministre, par un sentiment de délicatesse, n'avait-il point voulu faire paraître l'arrêté de peur d'être accusé d'avoir voulu influencer les élections.
Il écrit donc, lui, échevin, à son bourgmestre, que la première partit du subside est accordée, et il ajoutait : que le reste viendra plus tard. Je vous donnerai des explications à Louvain.
M. Delcourµ. - Et la publicité a lieu précisément au moment de l'élection.
MfFOµ. - C'est un fais de corruption du gouvernement, cela.
M. Delcourµ. - Je ne dis pas cela.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On a publié la lettre, dit-on ; qu'est-ce que cela prouve ? Qui l'a publiée ? est-ce le gouvernement ? est-ce le candidat qui écrivit la lettre ? Je ne le pense pas, car il avait plutôt intérêt à ne point le faire, de peur d'être accusé de corruption électorale.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Les adversaires accusaient le gouvernement de retarder l'allocation du subside et promettaient de le faire accorder s'ils réussissaient.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et alors que l'affaire était conclue depuis longtemps.
M. Dumortier. - Huit jours avant l'élection.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Non, M. Dumortier, bien longtemps avant, un an avant, en 1859 Et, messieurs, ce qui prouve que nous n'usons pas de ces moyens, c'est que six semaines avant les dernières élections j'ai donné l'ordre de ne préparer aucun arrêté d'allocation de subsides. Et s'avez-vous ce qu'on a dit ? On a dit que c'était le moyen le plus adroit de tous de faire de la corruption électorale !
On a dit encore qu'on n'allouait pas les subsides avant les élections pour faire de la corruption ; que, s'ils étaient alloués avant les élections, ce serait un fait acquis ; qu'il n'y avait plus rien à espérer ; mais qu'on faisait miroiter les subsides aux yeux des électeurs, avant les élections pour se les rendre favorables, par l'appât de ces subsides éventuels !
Vous voyez donc qu'il n'est pas possible de faire au gré de tout le monde. A force de suspecter tout le monde, on se livre souvent à des soupçons puérils et injustes.
Un mot encore. Si, en fait de corruption électorale, on ne peut produire à cette tribune que des faits semblables à celui dont on vous a entretenus, il faut bien reconnaître que les griefs contre le gouvernement sont de bien peu de valeur.
On a déjà parlé quatre fois de l'affaire de Betecom, et au fond ce n'est absolument rien ; l'honorable M. Jacobs semble avoir toujours dans son tiroir la lettre de M. Goupy de Quabjck au bourgmestre de Betecom ; et quand il le juge à propos, il l'en tire comme d'une boîte à surprise, pour en faire donner une nouvelle lecture par M. Dumortier, comme une preuve de la corruption que le gouvernement pratiquerait dans les élections ; l'honorable membre ne tient jamais compte des explications données par le gouvernement et qui ont réduit ce prétendu grief à néant.
M. de Theuxµ. - Messieurs, je conviens que l'honorable ministre (page 1558) de l’intérieur est très habile à détourner l'attention de la Chambre, et surtout du public, moins habitué aux discutions sérieuses, du véritable état de la question. On a opposé des plaisanteries à des observations d'un caractère très sérieux. On a parlé de programme ministériel, de programme parlementaire, et tout cela à propos de corruption électorale Véritablement, c'est par trop plaisant. Cela ne mérite pas une réfutation.
Messieurs, on a parlé de l'influence des membres de l'opposition comparée à celle des membres ministériels. Cela n'est pas sérieux.
Un électeur reçoit la visite d'un candidat de l’opposition, et d'un candidat appuyé par le gouvernement : chacun d'eux lui promet une place A qui l'électeur prêtera-t-il l'oreille ? et à qui accordera-t-il sa voix ? Le bon sens indique la réponse.
Je pourrais encore ajouter ceci : que la conclusion à tirer par l'électeur des deux promesses opposées serait d'autant plus facile qu'il est de notoriété publique que le gouvernement agit dans un esprit systématique.
Je ne veux pas entrer dans une foule de détails ; j'aurais trop à dire.
Maintenant, je dois signaler un fait très grave qui s'est produit. Les agents de police, au moment d'une élection, visitent les cabarets. On dit aux cabaretiers : « Si le candidat du bourgmestre triomphe, les cabarets ne seront pas fermés ; mais si le candidat de l'opposition triomphe, oh ! alors les cabarets seront fermés. »
Ces faits sont constants, et je qualifie ces manœuvres de scandaleuses.
Puisque nous en sommes à réprimer les fraudes électorales, j'exprime le vœu qu'il y ait une loi qui interdise formellement d'accorder la veille, le jour et le lendemain des élections, des dispenses du règlement de police, en ce qui concerne la fermeture des cabarets ; ce serait une mesure plus loyale, beaucoup plus utile qu'une foule de dispositions du projet de loi que nous discutons.
Cette mesure aurait aussi pour objet de mieux assurer l'ordre public ; lorsque les cabarets restent plus longtemps ouverts, à l'occasion des élections où deux partis sont en présence, les citoyens paisibles ont lieu d'être inquiets.
- La discussion est close.
MpVµ. - Deux amendement se rattachent à l'article 11.
Le premier amendement présenté par M. Jacobs consiste à ajouter au paragraphe premier les mots : « ou le concours d'une personne pour influencer un ou plusieurs électeurs. »
- Cet amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.
Le second amendement de M. Jacobs, dont la rédaction a été modifiée, forme un article additionnel à l'article 11 ; il est ainsi conçu :
« Sera puni d'une amende de 50 à 500 francs et de l'interdiction du droit de vote et d'éligibilité pendant 5 ans au moins et 10 ans au plus, quiconque, dans le but d'influencer les électeurs, aura donné, offert ou promis un avantage quelconque à la circonscription électorale ou à une parte de la circonscription qui doit procéder à l'élection. »
- On demande l'appel nominal sur cet amendement.
Voici le résultat de cette opération.
71 membres répondent à l'appel.
28 membres répondent oui.
43 répondent non.
En conséquence la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui :
MM. Julliot, Magherman, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Schollaert, Tack, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, de Borchgrave, de Conninck, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, Dumortier, Hayez, Jacobs et Janssens.
Ont répondu non :
MM. J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Muller, Nélis, Orts, Pirmez, Rogier, Tesch, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Brouckere, De Fré, de Kerchove, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Elias, Frère-Orban, Giroul, Grosfils, Jacquemyns et E. Vandenpeereboom.
MpVµ. - Vient à présent l'article du projet.
Il est arrivé au bureau un amendement. L'honorable M. Dumortier propose de supprimer les mots « un avantage quelconque ».
M. Dumortier. - J'ai eu l'honneur de faire remarquer à la Chambre que lorsqu'il s'agit de peines aussi graves que la perte des droits civiques, ce qui équivaut à la mort politique, il faut que les faits sur lesquels cette peine sera établie soient clairement définis dans la loi.
On ne peut faire une loi pénale avec une telle élasticité et un tel vague. Je ne pense pas que M. le ministre de la justice tienne considérablement à ces mots. Sinon, je voudrais savoir quelle est la définition d'un avantage quelconque.
Vous pouvez ainsi punir toute espèce de promesses, même indirectes, et arriver à frapper de l'interdiction des droits politiques une foule de citoyens.
Je conçois parfaitement bien l'article pour les deux premiers cas, pour la promesse d'argent, pour la promesse de valeurs, je voudrais même y ajouter le mot « fonctions ». Au reste cela se trouve à l'article suivant.
Mais je ne conçois pas comment l'on peut comminer la peine de la perte des droits civiques, qui est la plus grave des peines pour un citoyen, sans stipuler dans quel cas elle sera appliquée. Cela ne me paraît pas possible.
MjTµ. - Messieurs, je comprendrais l'observation de l'honorable M. Dumortier, si la loi se bornait à comminer des peines contre celui qui promet des avantages quelconques. Mais il y a dans la loi un correctif qui a déjà été signalé tantôt par voie d'interruption à l'honorable M. Dumortier.
Il ne suffit pas d'avoir promis des avantages quelconques, il faut que ces avantages aient été promis sous la condition d'obtenir un suffrage ou l'abstention de voter.
Il est impossible de donner dans la loi la nomenclature de tout ce qu'on peut promettre et c'est pour ce motif qu'on ne punit pas les simples promesses, qu'on ajoute que les promesses doivent avoir été faites sous la condition d'obtenir un suffrage ou l'abstention de voter. Du moment qu'on promet un avantage dans ce but, il y a corruption et la corruption doit tomber sous l'application de la loi.
M. Dumortier. - C'est peut-être une corruption. Mais est-ce une corruption qui vaut la peine de l'interdiction des droits civiques ?
Ainsi, au village, il y a quelquefois des personnes qui font difficulté pour laisser passer quelqu'un dans une prairie, dans un jardin. Un homme dire : Si vous voulez voter pour M. un tel, je vous laisserai passer.
- Plusieurs membres. - C'est un mauvais acte.
M. Dumortier. - C'est un mauvais acte, nous sommes d'accord ; mais l'interdiction des droits civiques est la plus forte de toutes les peines, et il ne faut pas la prodiguer et la rendre dans les mains du juge une arme dont il ne puisse se servir. Cet acte, dont je parle, n'est pas plus mauvais que bien d'autres que vous allez punir par des amendes.
L'honorable M. Lelièvre vous disait avec raison, tout à l'heure, qu'en pareille matière il fallait laisser de la latitude aux juges, et ce sont surtout les observations de l'honorable M. Lelièvre qui ont fixé mon attention sur la portée de cet article.
Cet article est impératif, il ordonne au juge de condamner, de punir un citoyen de la suspension des droits civiques pour un rien, pour une bagatelle.
Comment ! quelqu'un viendra dire : Si vous votez pour un tel, je vous payerai un pot de bière. Voilà un avantage quelconque ; vous allez condamner cette personne à la perte des droits civiques ! Cela n'a plus de raison ; la peine n'est pas du tout proportionnée à la criminalité, à la culpabilité ; alors commuiez la peine de la perte des droits civiques pour tous les articles qui suivent et qui sont beaucoup plus graves.
MjTµ. - Messieurs, je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. Dumortier, je ne puis admettre que les faits prévus par les autres articles soient plus graves que ceux qui sont prévus par l'article 11. L'article 11punit l'achat des suffrages : c'est certainement, de tous les faits, un de ceux qui est le plus grave, le plus odieux et le plus démoralisateur. Cela n'est pas contesté, Eh bien, c'est surtout ce fait qui doit être puni et qui doit être puni de la manière la plus sévère.
L'honorable M. Dumortier est malheureux dans l'exemple qu'il cite d'un individu qui dira : Si vous vous engagez à déposer ce bulletin, à voter pour cette personne, je vous laisserai passer dans telle propriété ; c'est-à-dire qui concédera une servitude, qui offrira une valeur de beaucoup supérieure à la pièce de 5 francs qu'un autre donnerait à un électeur. L'individu qui aura donné 5 francs sera puni conformément à l'article 11, et d'après l'honorable M. Dumortier, celui qui aura fait plus, mais qui n'aura pas donné d'argent, sera puni d'une peine bien inférieure.
Messieurs, cela n'est pas admissible.
(page 1559) Il suffit de montrer à quelles conséquences conduirait le système de l'honorable M. Dumortier pour que vous le repoussiez immédiatement.
On a parlé d'un pot de bière que l’on donnerait à un électeur. Eh bien, dans mon opinion, l'offre d'un pot de bière tomberait sous l'application de l'article 10 et non de l'article 11. Ce serait en définitive une boisson offerte pour influencer l'électeur, et la peine ne serait qu'une amende de 20 à 200 fr.
Mais si l'on donnait une pièce de vin pour obtenir un suffrage (car ce sont là des questions d'appréciation), on tomberait sous l'application de l’article 11, car il y aurait incontestablement achat d'un suffrage.
La loi punit de l'interdiction du droit de vote et d'éligibilité pendant un temps déterminé. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il y a dans la loi un article qui permet au juge d'admettre des circonstances atténuantes et d'appliquer des peines moins fortes, lorsque le fait ne paraît pas assez grave.
Je n'entends pas dire toutefois que je regarde comme un fait peu grave l'offre d'accorder une servitude.
M. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de servitude, mais de passage.
MjTµ. - De passage, mais qu'est ce que c'est donc ?
M. Dumortier. - C'est la permission de passer. (Interruption.)
MjTµ. - Il est évident que, lorsque des circonstances atténuantes se présenteront, les tribunaux appliqueront l'article qui leur permet de réduire la peine.
M. Lelièvre. - J'aurai l'honneur de faire observer à l'honorable M. Dumortier que j'ai déposé à l'article 34 un amendement d'après lequel il serait permis au juge, en cas de circonstances atténuantes, de ne pas prononcer la peine d'interdiction du droit de vote et d'éligibilité. Si cet amendement était adopté, il serait donné satisfaction aux observations de M. Dumortier, car bien évidemment la modicité des avantages promis pourrait donner lieu à l'application du bénéfice des circonstances atténuantes.
Je prie donc M. le ministre de vouloir nous faire connaître ses intentions sur mon amendement, parce que l'adhésion qu'il lui donnerait ferait cesser le débat soulevé par M. Dumortier. Il est évident du reste qu'en certains cas l'application de la peine de l'interdiction est absolument trop sévère ; il doit être permis au juge, comme dans l'hypothèse prévue par l'article 15 du décret du 20 juillet 1831, de ne pas la prononcer. D'ailleurs, il serait énorme que les tribunaux dussent prononcer l'interdiction, alors même qu'ils n'appliqueraient qu'une légère amende, a raison des circonstances spéciales que présenterait la cause en faveur du prévenu.
Telles sont les considérations qui justifient l'atténuation par moi proposée.
M. de Naeyer. - Messieurs, je comprends très bien, comme l'a expliqué M. le ministre de la justice, que ce n'est pas la promesse d'un avantage quelconque qui est criminelle, c'est la condition d'obtenir un vote ou une abstention de voter à laquelle cette promesse est subordonnée qui lui imprime un véritable caractère de criminalité ; mais il m'est impossible d'admettre que cette même condition n'est plus un élément de criminalité lorsqu'il s'agit de la promesse d'un avantage dépendant du gouvernement.
Lorsqu'on a discuté l'amendement de M. Jacobs, on a dit beaucoup de choses fort spirituelles et même amusantes, mais en définitive on n'a fait que tourner autour de la question au lieu de l’aborder franchement et tout cela n'a guère servi qu'à jeter de la confusion dans le débat.
Il n'est jamais entré dans les intentions de personne de défendre ni au gouvernement ni aux particuliers, de faire du bien, même à l'occasion des élections, quoi que celui qui a soin de sa dignité doive éviter, en pareille circonstance, de donner lieu même au simple soupçon de corruption. Ce qu'on veut défendre, c'est la corruption qui consiste dans le trafic du vote, et sous ce rapport on a voulu renforcer la législation actuelle surtout en punissant aussi la simple tentative de corruption, c'est-à-dire l'offre ou la promesse non agréée ; or si le trafic électoral consiste précisément dans la condition apposée à l'avantage offert ou promis, condition de voter pour un ou plusieurs candidats dénommés ou de s'abstenir de voter, c'est à raison de cette condition que l'avantage offert ou promis devient un instrument de corruption, c’est-à-dire un moyen employé pour détourner l'électeur du devoir que sa conscience lui impose, de voter suivant ses convictions ; c'est donc cette condition qui forme en réalité l'élément complémentaire de la criminalité de l'acte ; dès qu'elle est apposée à la promesse d'un avantage quelconque, la corruption ou tout au moins la tentative de corruption également punissable, existe : il est impossible de concevoir comment il en serait autrement parce que l'avantage promis dépend du gouvernement, il est évident que cette circonstance ne saurait légitimer le trafic électoral.
Aussi l'article suivant considère positivement comme un acte de corruption la promesse d'une place dépendant du gouvernement, lorsque cette promesse est faite sous la condition que nous venons de déterminer, et pourquoi n'en serait-il pas de même lorsqu'il s'agit de tout autre avantage quelconque ? Je citerai comme exemple la promesse d'accorder une garnison, qui est certainement de nature à exercer une influence corruptrice, notamment sur les cabaretiers. Cependant on a élevé des doutes sur le point de savoir si l'article en discussion est applicable quand il s'agit d'avantages collectifs ; pour moi ces doutes n'existent pas ; l'article n'établit aucune distinction, il doit donc s'appliquer aussi bien aux avantages collectifs qu'aux avantages individuels, du moment que ces avantages collectifs sont employés comme un moyen de trafic électoral, c'est-à-dire, du moment qu'ils sont subordonnés à la condition d'obtenir un vote ou d'obtenir une abstention de voter.
Car il y a évidemment corruption ou, tout au moins, tentative de corruption, chaque fois qu'on cherche à dominer les convictions d'un électeur par l'influence corruptrice d'un intérêt, peu importe la question de savoir à qui il appartient d'accorder satisfaction à cet intérêt, pourvu que les circonstances soient telles, qu'elles impliquent l'emploi d'une influence corruptrice.
Messieurs, je fais ici abstraction des intérêts des partis qui divisent le pays. Je me place en face de l'acte qu'il s'agit de réprimer, et je dis que, de quelque part qu'il vienne, le trafic des votes est un acte honteux qui doit être puni aussi bien quand il s'exerce à l'aide d'un avantage collectif que quand il s'exerce à l'aide d'un avantage individuel.
MfFOµ. - Messieurs, je ne comprends pas bien ce que veut dire l'honorable M. de Naeyer ; il paraît tomber dans la même confusion d'idées que l'honorable M. Dumortier.
Cet honorable membre répète à chaque instant que la loi s'applique à tout le monde, et ne s'applique pas au gouvernement.
M. de Naeyer. - Ce n'est pas là ce que je dis.
MfFOµ. - C'est l'opinion de l'honorable M. Dumortier ; or, l'honorable M. Dumortier ne voit pas que s'il s'agit des ministres, nous tombons dans le cas de la responsabilité ministérielle, et c'est aussi ce que l'honorable M. de Naeyer me paraît avoir perdu de vue dans les observations qu'il a présentées à propos de la proposition sur laquelle on délibère maintenant.
L'honorable membre a créé une hypothèse qui implique un fait commis par le gouvernement. (Interruption.)
Vous avez cité la promesse d'une garnison faite dans le but d'obtenir des électeurs d'une localité un vote ou une abstention.
M. de Naeyer. - Je ne m'inquiète pas de savoir qui fait la promesse...
MfFOµ. - Et vous comprenez le gouvernement... ?
M. de Naeyer. - Je comprends le gouvernement et les agents du gouvernement.
MfFOµ. - Je ne saisis pas.
Il est fort étrange assurément de supposer que le gouvernement annoncerait à une localité qu'elle aurait une garnison ou qu'elle n'en aurait pas, selon que l'on voterait dans tel on dans tel sens. Mais une pareille manœuvre qui pourrait vicier une élection, n'est point le fait prévu par la disposition que nous discutons, car elle a en vue le vote ou l'abstention d'un individu déterminé.
Quoiqu'il en soit, j'admets que l'on puisse reprocher à un gouvernement des actes corrupteurs en matière électorale ; mais vous ne pouvez avoir contre le gouvernement d'autre garantie que la responsabilité ministérielle... (Interruption.) Que voulez-vous de plus ? (Interruption.) C'est justement ce qui fait que je n'ai pas compris l'honorable M. Dumortier et que je ne comprends pas davantage l’honorable M. de Naeyer. (Interruption.) Mais I honorable M. Dumortier, qui m'interrompt, va violer la Constitution dont il se déclare toujours le défenseur ! (Interruption.)
Le fait auquel vous faites allusion peut devenir un cas de responsabilité ministérielle, mais ce n'est pas de cet objet que s'occupe l'article que nous discutons.
Vous pouvez avoir à poursuivre les ministres qui auraient commis un acte ayant 1« caractère de la corruption, nais ce ne saurait être que de (page 1560) la manière déterminée par la Constitution. Il ne faut donc pas confondre des positions différentes et, pour les ministres, vous aboutirez toujours à la Chambre, à la majorité, c'est-à-dire au seul pouvoir qui ait à apprécier le fait, le seul qui puisse permettre à l'action répressive de s'exercer.
Il m'est donc impossible de comprendre la portée des observations de M. de Naeyer.
M. de Naeyer. - Je dois croire que je me suis mal expliqué, puisque l'honorable ministre des finances n'a pas saisi du tout ma pensée. Je ne me suis pas occupé du point de savoir si le coupable était le gouvernement, un agent du gouvernement ou un simple particulier. Evidemment, à raison de la qualité des personnes inculpées, il peut y avoir des différences quant à la manière de poursuivre l'application de la loi. Si l'on se retranche derrière la responsabilité ministérielle, il est clair qu'il faudra se conformer aux dispositions relatives à cette matière.
Je ne me suis donc occupé en aucune manière de la qualité du coupable, je me suis occupé uniquement de la criminalité de l'acte. J'ai dit qu'on était d'accord pour reconnaître que l'article est aussi bien applicable aux promesses d'avantages individuels venant du gouvernement qu'aux promesses d'avantages individuels venant d'un particulier, pourvu que ces promesses fussent faites sous la condition d'obtenir un vote ou une abstention, condition indispensable pour constituer la criminalité de l'acte. Mais, j'ai ajouté qu'il y avait eu des doutes dans la section centrale sur le point de savoir si la disposition s'appliquait aux promesses d'avantages collectifs.
J'ai cité la promesse d'une garnison comme j'aurais pu citer la promesse d'un subside, la promesse d'une voie de communication ; or si on subordonne ces promesses à la condition formelle d'obtenir un vote ou une abstention de vote, j'ai demandé comment il serait possible de soutenir qu'il n'y a pas là trafic électoral, puisqu'il est évident qu'on rencontre tous les éléments constitutifs de la corruption ou tout au moins de la tentative de corruption que nous voulons rendre également punissable.
A la vérité, quand il s'agit d'avantages collectifs, on pourra dire que les promesses touchent de près aux promesses de dévouement, aux promesses de défendre avec zèle, avec ardeur, les intérêts de ses commettants, de ne rien négliger pour leur procurer de bonnes voies de communication et d'autres avantages analogues ; et certes de pareils engagements sont parfaitement légitimes. Mais il y a une différence essentielle qui établit une démarcation très réelle entre les deux ordres de faits qu'on cherche vainement de confondre, et cette différence essentielle, c'est la condition apposée à la promesse d'obtenir le vote d'un ou plusieurs individus.
Du moment que cette condition existe, il est impossible de nier qu'il y ait corruption et trafic électoral, car la promesse devient alors une marchandise en échange de laquelle on cherche à obtenir le sacrifice des convictions de l'électeur et des inspirations de sa conscience. Tel est le sens des observations que j'ai présentées, et il est évident que cela est complètement étranger à l'ordre d'idées dont s'est occupé l'honorable ministre des finances.
Il ne s'agit aucunement de savoir comment on pourrait agir à l'égard d'un ministre qui se rendrait coupable de corruption. C'est là une question toute spéciale et qui n'a rien à faire dans le cas actuel, car il faudrait dire alors qu'elle se rattache de la même manière à toutes les autres dispositions du projet de loi.
Je n'ai vu que la criminalité de l'acte en lui-même, n'importe par qui il est commis, que ce soit par un particulier ou par un ministre. Si la promesse est faite dans des conditions telles, qu'elle présente un caractère sérieux et qu'elle est de nature à exercer une influence corruptrice, il y a délit quelle que soit la qualité du délinquant. Si la promesse est ridicule, il n'y aura pas de poursuite, évidemment ; mais cela est vrai tout aussi bien lorsqu'il s'agit d'avantages individuels que lorsqu'il s'agit d'avantages collectifs. Ainsi, je pourrais promettre à un électeur de lui donner des millions sur une caisse particulière : évidemment à raison de ma position de fortune, il n'y aurait là autre chose qu'une mauvaise plaisanterie.
Il en sera de même pour les promesses d'avantages quelconques qui dépendent du gouvernement si la position de l'individu ne donne aucun caractère sérieux à la promesse ; mais si le contraire a lieu, si à raison de la position de celui qui promet, si à raison de ses rapports avec le pouvoir, la promesse est de nature à exercer une influence réelle et si d'ailleurs la condition corruptrice dont nous avons parlé existe également, il me paraît impossible de ne pas admettre qu'on rencontre dans un pareil fait tous les éléments constitutifs de la corruption électorale et je suis convaincu que les tribunaux n'hésiteraient pas à appliquer l'article soumis à notre vote.
M. Bara. - Messieurs, je crois que l'honorable membre n'a pas compris cet article. Il punit des cas qui ne sont pas du tout compris dans l'article 11.
II prend d'abord l'hypothèse d'un ministre promettant un avantage individuel ou collectif. Le ministre peut promettre une place, une garnison, des subsides, etc.
Quant à la place, il n'est pas possible qu'il tombe sous l'application de l'article 11.
M. de Naeyer. - Et la condition.
M. Bara. - Il dit : Je vous nommerai commissaire d'arrondissement ou bourgmestre. Je dis qu'il ne peut tomber sous l'application de l'article 11.
Il suffit pour s'en convaincre de lire la Constitution. Un ministre n'est pas le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif, c'est le Roi. Si le ministre a promis et si le Roi dit : Je ne veux pas, le ministre a promis ce qu'il ne pouvait donner. Il n'y a promesse sérieuse que lorsqu'il y a concours entre la volonté du ministre et celle du Roi.
M. Delcourµ. - C'est la promesse.
M. Bara. - Notez bien que vo.re promesse va jusqu'à la royauté elle-même. Vous accusez la royauté d'être corruptrice des élections.
M. Jacobsµ. - Le Roi n'est pas responsable.
M. Bara. - Il faut maintenir les institutions telles qu'elles sont.
Le ministre n’est pas, à lui seul, le pouvoir exécutif.
Je suppose que nous disions, nous candidats libéraux, à un individu : Vous vous posez comme candidat à la place de bourgmestre, je vous appuierai. Si nous l'appuyons, c'est évidemment parce qu'il vote pour les libéraux. D'après l'honorable M. de Naeyer, nous serons condamnés.
Mais, la place ne dépend pas de nous, à telle enseigne que, si notre parti succombe nous avons fait une promesse en l'air. Si nous réussissons même et si le ministre ne veut pas, si le Roi ne veut pas, nous aurons fait une promesse chimérique. (Interruption.)
Ce n'est pas la première fois qu'il y a conflit entre le Roi et le ministre.
Vous auriez donc renversé la responsabilité ministérielle, et toutes les bases de nos institutions si vous faites tomber le ministre sous le coup de l'article 11.
Prenons une seconde hypothèse, la promesse d'un avantage collectif, Mais le premier paragraphe de l'article 11 est intimement lié avec le second. Il faut en quelque sorte un contrat entre les deux parties et la possibilité d'exécuter ce contrat.
Or, je voudrais bien savoir comment vous puniriez dans le cas de promesse de garnison. Vous puniriez donc tous les électeurs qui profiteront de la garnison.
M. de Naeyer. - La tentative est punissable.
M. Bara. - Oui lorsqu'elle peut devenir un délit consommé ; mais, dans votre hypothèse, ce que vous appelez tentative c'est un délit consommé et ceux qui y auraient coopéré ce seraient tous les électeurs.
Or, ce point que les promesses qui doivent avoir une influence directe sur l'individu et qui doivent pouvoir être tenues, si l'on a pu savoir d'avance qu'il n'était pas dans la puissance de celui qui a fait la promesse de la réaliser, vous ne pouvez punir. Ainsi, je répète ce que j'ai déjà dit ; je dis à un citoyen ; Si je suis nommé j'appuierai votre candidature à la place de bourgmestre, prétendez vous qu'il y ail corruption ? (Interruption). Mais c'est évidemment pour le cas où il vote pour moi. Pourquoi voulez-vous que j'appuie un candidat clérical ?
M. Thonissenµ. - L'article 12 prévoit le cas.
M. Bara. - L'article 12 punit celui qui force un individu à changer d'opinion moyennant l'offre d'un emploi public qui est à sa disposition. Il est certain que si je viens dire à un électeur qui n'est pas de mon parti : Je vous donnerai tel emploi dont je dispose, si je suis nommé, je commets un fait punissable, mais il n'en est pas de même si je dis à un de nos amis politiques : J'appuierai votre candidature si vous votez pour moi.
Il faut distinguer. Je n'admets en aucune manière que la promesse d'un avantage collectif ou individuel, faite par le gouvernement ou par un député, tombe sous l'application des article 11 ou 12, s'il n'y a pas possibilité d'exécuter la promesse.
M. Dumortier. - Messieurs, vous venez de l'entendre, la promesse d'une place, d'une faveur, par un député ministériel, ne tombe pas sous (page 1561) l'application des articles 11 et 12, tandis que la plus petite chose, la simple autorisation de traverser un jardin, non pas à titre de servitude, mais à titre de tolérance, sera punie, de quoi ? de la suppression des droits civils, de la dégradation civique.
Mais le député libéral peut tout faire, il peut trafiquer, lui, des emplois parce que, dit M. Bara, ce n'est pas lui qui nomme et qu'il ne peut pas exécuter ses promesses.
Mais veuillez lire l'article ; il ne punit pas seulement pour avoir donné, mais pour avoir promis.
Eh bien, dans votre système le particulier qui promet sera frappé de dégradation civique et le député qui promet ne sera passible d'aucune peine. Voilà la logique de la loi, M. Bara vient de vous l'expliquer. C'est une loi qui a pour but d'empêcher la minorité actuelle de devenir majorité et d'empêcher la majorité actuelle de devenir minorité ; c'est, comme le disait avec raison M. de Theux, une loi de compression faite exclusivement dans l'intérêt d'un parti.
M. le ministre des finances vous a dit qu'il y a dans ce que j'ai dit une véritable confusion ; aussi j'ai été fort surpris quand j'ai entendu M. le ministre tomber précisément dans la même confusion. Qu'ai-je dit ? J'ai dit dès le commencement que la loi telle que vous la formuliez punissait un particulier et ne punissait pas le ministre à cause de la loi sur la responsabilité des ministres ou pour mieux dire sur l'irresponsabilité des ministres. Vous venez nous dire que le gouvernement n'est pas le pouvoir exécutif ; nous le savons parfaitement mais le roi ne peut pas poser un acte sans qu'il soit contresigné par le ministre.
La première de toutes les choses est que les ministres soient responsables ; or, la responsabilité manque ; les ministres devraient être responsables de tous les actes qu'ils posent, comme tous les citoyens ; or, par votre loi vous créez un ministère irresponsable comme la royauté et vous violez ainsi la Constitution.
Comment, un ministre pourra promettre une garnison dans le but de s'attirer des votes dans les élections !
Il pourra promettre des voies de communication, des subsides et il ne sera passible d'aucune pénalité, vous n'aurez contre lui que le cas de responsabilité ministérielle, qui, remarquez-le bien, n'entraînera jamais la dégradation civique.
MfFOµ. - La loi que vous avez faite n'a rien de commun avec cela.
M. Dumortier. - Si elle n'a rien de commun je l'accepte, mais je soutiens, comme l'a dit aussi M. de Naeyer, que l'article que nous allons voter doit s'appliquer aux ministres comme à tous les citoyens.
Si c'est un délit commun, les ministres doivent être responsables ; si ce n'est pas un délit commun, vous êtes en dehors de la loi pénale, vous devenez des maires du palais. A mon avis, c'est un délit commun et tous les agents du pouvoir doivent être passibles des mêmes peines que les particuliers et avec d'autant plus de raison qu'ils exercent la corruption contre leurs propres juges.
M. Mullerµ. - Je crois devoir faire connaître à la Chambre que le système que M. de Naeyer vient de soutenir a été écarté par la section centrale.
M. de Naeyer a demandé en section centrale qu'on mît sur la même ligne et les promesses faites à une communauté, à un être collectif et les promesses faites à des individus en particulier. La section centrale, et elle vous en donne les motifs dans son rapport, établit une différence complète entre ces faits par la raison très simple que lorsqu'on s'adresse à un être collectif, on ne peut voir là une tentative de corruption directe ; ce n'est pas sous la condition d'obtenir un suffrage ou l'abstention d'un vote qu'on fait des promesses, quelque blâmables qu'elles puissent être, tandis qu'il en est tout autrement lorsqu'on s'adresse à un individu, en lui offrant un avantage personnel, s'il livre son vote.
Quant à l'article 12, qui parle d'emplois publics ou privés, il ne doit, selon moi, recevoir d'application que pour autant qu'on ait la disposition sérieuse de l'emploi qu'on offrirait à l'électeur ; ainsi, j'admets qu'un gouverneur, qui dira à un électeur : « Je vous nomme demain employé dans mes bureaux si vous votez pour tel candidat, » tombe sous l'application de la loi, parce qu'il a la libre disposition de la place qu'il promet, parce qu'il peut la conférer. Mais un candidat qui dirait à un électeur : « J'appuierai votre nomination, si vous votez de telle façon, » n'est pas passible de l'article 12, puisqu'il ne peut pas lui-même conférer la place qu'on sollicite.
M. Dumortier. - C'est la promesse d'un avantage quelconque.
M. Mullerµ. - C'est-à-dire d'un avantage que l'électeur sait bien ne pas être à la collation du candidat ; ici encore, il y a, selon moi, une distinction à établir dans l'appréciation des faits et dans la nature des promesses.
- La discussion est close.
L'amendement de M. Dumortier tendant à la suppression des mots, : « ou avantage quelconque » est mis aux voix et n'est adopté.
« Art. 11. Sera puni d'une amende de 50 à 500 francs et de l'interdiction des droits de vote et d'éligibilité pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, quiconque aura donné, offert ou promis soit de l'argent, soit des valeurs ou avantages quelconques sous la condition d'obtenir un suffrage ou l'abstention de voter.
« Seront punis des mêmes peines ceux qui auront accepté les offres ou promesses. »
- Adopté.
« Art. 12. Seront punis des peines portées en l'article précédent, ceux qui, sous les conditions y énoncées, auront fait ou accepté l'offre ou la promesse d'emplois publics ou privés. »
MpVµ. - A cet article se rattache un amendement de M. Jacobs.
M. Jacobsµ. - Par suite de la non-adoption de mon amendement à l'article 11, celui-ci vient à tomber. Je n'insiste pas.
MpVµ. - L'article 12 est mis en discussion.
M. Jacobsµ. - D'après les explications qui viennent d'être données par les honorables MM. Bara et Muller, l'article sera éludé dans toutes les circonstances, car jamais les personnes qui disposent d'une manière absolue des emplois publics, gouverneurs, ministres ou Roi, n'auront promis les emplois elles-mêmes. Ce sont les candidats qui se prévalent de leur crédit auprès du ministre ou du gouverneur, pour distribuer des places ou promettre de l'avancement.
Jamais vous n'atteindrez le délit dont s'occupe l'article s'il ne s'applique à de tels faits.
Où est l'abus ? C'est le candidat ou ses amis se faisant fort d'obtenir du gouvernement telle nomination dont ils n'ont pas eux-mêmes le droit de disposer.
Si vous ne voulez atteindre que ceux qui font des promesses dont la réalisation est tout à fait en leur pouvoir, votre loi sera parfaitement inefficace, on ne l'appliquera jamais.
MjTµ. - J'attendais que l'article 12 fût mis en discussion pour m'expliquer sur l'interprétation qui a été donnée à cet article par l'honorable M. Bara. Je crois que sa théorie est, sous un rapport, trop absolue. J'admets parfaitement que la promesse de donner son appui à un candidat ne tombe pas sous l'application de la loi.
M. Bara. - C'est ce que j'ai dit.
MjTµ. - Le fait de prêter son appui, sans autre engagement, ne tombe pas sous l'application de la loi.
J'admets encore que quand on fera des promesses qui, par leur nature même, ne sont pas sérieuses, elles ne tomberont pas non plus sous l'application de la loi. Mais quand un individu aura formellement promis une place et que cette promesse sera la condition du suffrage ou de l'abstention de voter, je dis que le fait sera punissable, alors même que l'auteur de la promesse ne disposerait pas de l'emploi.
M. Orts et M. de Naeyer. - C'est évident.
MjTµ. - Si vous engagez quelqu'un qui peut ne pas savoir quel est votre pouvoir, si vous liez quelqu'un par votre promesse, vous tomberez sous l'application de la loi.
M. Bara. - Les observations de M. le ministre de la justice ne diffèrent pas des miennes. (Interruption.) M. le ministre de la justice dit ceci : si vous promettez d'user de votre influence au profit de quelqu'un, il n'y a pas de délit ; mais si vous promettez une place, il y a délit. Eh bien, je dis que c'est là une question de fait et de nuance très difficile à apprécier. Je suppose qu'on dise à un électeur : Je vous ferai nommer bourgmestre, si vous votez pour mon candidat. Qu'est-ce que cela signifie ? Que je désignerai ce citoyen au gouvernement pour le faire nommer bourgmestre ; je n'aurai donc promis que mon influence et je dis, que ce fait n'est pas punissable.
Quand j'ai parlé de promesse de place, il va de soi que je n'ai entendu parler que d'une promesse d'influence pour la faire obtenir. Mais si j'avais une place à ma disposition et si je la promettais en échange d'un suffrage, alors le fait serait punissable.
M. de Naeyer. - Je crois que toute la question est celle de savoir quelle est l'influence réellement corruptrice qu'une promesse peut exercer. Or, c'est là évidemment une question d'appréciation et dont la solution dépend de la position de l'individu qui promet la place. Il n'y a pas d'autre élément d'appréciation. Si, à raison de la position de celui qui a fait une promesse, celui qui l'a reçue a dû la considérer comme sérieuse, comme pouvant recevoir son exécution, en un mot si à raison des circonstances, elle doit être considérée comme un moyen d'influencer et de déterminer le vote de l'électeur contrairement à ses convictions, alors il y a là un délit prévu par la loi.
M. Bara. - Evidemment.
- Voix à droite. - Nous sommes donc d'accord.
M. de Naeyer. - Dès le début de cette discussion, j'ai dit et j'ai répété plusieurs fois que pour savoir si la promesse d'une place ou d'un avantage quelconque est punissable, il y a deux choses à rechercher, savoir : 1° si la promesse est de nature à influencer l'électeur, et 2° si elle a été subordonnée à la condition d'obtenir un vote ou une abstention de voter. Ce sont là les deux éléments constitutifs de la criminalité des actes qu'il s'agit de réprimer.
Si l'on se borne à promettre son appui, à faire des démarches pour obtenir telle ou telle chose sans y attacher les conditions d'un vote ou d'une abstention, il n'y a pas de délit ; mais quand cette condition se rencontre et que la promesse peut être considérée comme sérieuse, il y a délit, et il n'est pas nécessaire que l'emploi soit absolument à la disposition de celui qui le promet, il suffit qu'aux yeux de l'électeur il ait l'influence nécessaire pour lui faire obtenir cet emploi, il suffit même que les démarches qu'il s'engage à faire doivent être considérées comme des avantages d'une valeur réelle.
Il en est de même de la question de la promesse d'avantages collectifs dont nous parlions tout à l'heure. Ici encore il s'agit de savoir si ces avantages à raison des circonstances sont de nature à exercer une influence corruptrice.
Or, à cet égard, il n'est pas exact de dire que les avantages collectifs n'intéressent qu'une communauté qui n'a pas de vote à émettre et qu'ainsi ils ne pourraient servir à corrompre des individus qui seuls sont appelés à voter. Evidemment les intérêts collectifs ne sont pas des abstractions, des choses métaphysiques. Si je puis m'exprimer ainsi, ces intérêts s'incarnent dans des individus et on les appelle collectifs, parce qu'ils concernent plusieurs individus à la fois ; il est donc évident qu'ils sont susceptibles d'être employés comme des moyens d'influencer le vote des individus d'une manière corruptrice, c'est-à-dire en cherchant à vaincre les inspirations de leur conscience par la promesse d'avantages matériels. Il appartient évidemment aux tribunaux d'apprécier si dans les faits qui leur sont déférés on rencontre tous les éléments constitutifs des délits tels qu'ils sont définis par cet article et par l'article précédent, sans qu'il leur soit permis cependant de faire des distinctions que ces articles ne font pas.
- La discussion est close.
L'art. 12 est mis aux voix et adopté.
MpVµ. - Il vient de parvenir au bureau un article ainsi conçu, qui deviendrait l'article 13 :
« Sera puni des mêmes peines tout bourgmestre qui aura employé des agents de police dans un intérêt électoral.
« Dumortier. »
M. Dumortier. - La loi communale a confié au bourgmestre le soin de la police locale. Ce soin lui a été confié, non pas pour servir des intérêts particuliers, des intérêts électoraux, mais pour le bien-être de la chose publique.
Cependant, messieurs, on voit très fréquemment aujourd'hui des bourgmestres, à la veille des élections, employer la police dans un intérêt électoral.
Or, messieurs, c'est là une corruption et de la pire espèce, car c'est un véritable système d'intimidation mis au service d'un parti.
Et, en effet, messieurs, il n'est pas de cabaretier qui ne s'expose à quelque contravention. Or, s'il est permis à un bourgmestre d'employer la police pour travailler dans les élections, vous comprenez aisément quelle influence elle peut exercer sur des gens qui, chaque jour, sont exposés à être mis en contravention par cette même police.
Chacun doit être libre d'exercer une influence ; mais je n'admets pas qu'une police instituée pour protéger les citoyens devienne un instrument électoral aux mains de celui qui est investi des fonctions de bourgmestre.
Je crois donc que ce peu de mots suffiront pour justifier complètement l'amendement que j'ai présenté. Il y a là un abus, contre lequel on a réclamé à diverses reprises, dans des pétitions adressées à la Chambre.
Je suis étonné que dans la loi sur les fraudes électorales, cette fraude qui est une des plus grandes, des plus dangereuses, des plus contraires à tous les principes du droit, n'ait pas été comprise ; elle doit l'être ; j'espère que la Chambre n'enverra pas cet amendement-là où elle a envoyé tous les autres.
Je sais bien que tous les amendements que nous présentons ont un sort commun : ils passent tous au cimetière catholique.
Nous sommes tous dans le coin des réprouvés, car dans la loi le cimetière catholique est le coin des réprouvés.
Je crains bien que l'amendement que je propose en ce moment n'ait le même sort que tous les amendements précédents ; mais du moins il démontrera une fois de plus que lorsqu'on parle de fraudes électorales, on ne veut pas réprimer la fraude la plus odieuse : l'emploi de la police dans un intérêt électoral.
La police est confiée aux bourgmestres, non dans un intérêt électoral, mais dans l'intérêt de tous. C'est un abus scandaleux d'employer la police dans un intérêt électoral.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, la corruption électorale exercée par les agents de police est, aux yeux de l'honorable M. Dumortier la pire des corruptions. Je suis tout à fait de cet avis. Je pense, comme l'honorable membre, que les agents de la police locale doivent servir, non pas à faire des élections, mais à faire de la police. Je suis donc décidé à réprimer très énergiquement tous les abus de cette nature qui pourraient m'être signalés.
L'honorable membre a dit que des faits de ce genre ont été signalés à la Chambre et que des pétitions réclamant contre ces abus ont été à plusieurs reprises déposées sur le bureau.
Mais je dois faire remarquer que chaque fois que la Chambre s'est occupée de pareilles pétitions, il y a été répondu victorieusement.
De ce que des pétitions sont adressées à la Chambre, on ne peut pas conclure que les griefs qu'elles articulent sont nécessairement fondés. On se plaint ; mais il faut voir, lorsque l'affaire est instruite, si oui ou non les réclamations sont sérieuses. Il ne suffit pas, je le répète, qu'une pétition arrive à la Chambre, pour en inférer que l'abus qu'elle signale est réel.
Messieurs, je ne puis me rallier à l'amendement de l'honorable M. Dumortier, et je dois demander à la Chambre de vouloir bien, comme l'a dit M. Dumortier lui-même très spirituellement, de vouloir bien, dis-je, déposer cet amendement à côté de beaucoup d'autres, qui reposent en paix dans les cartons des amendements rejetés. Et voici pourquoi je ne puis pas me rallier à cet amendement. Le bourgmestre est chargé de la police ; c'est un fonctionnaire administratif ; il ne peut pas employer les agents de police pour faire des élections ; s'il le fait, il manque à son devoir, il doit être puni, réprimandé, et, au besoin, révoqué par l'autorité administrative.
Mais parce qu'un bourgmestre n'a pas rempli son devoir, vouloir qu'il soit traduit devant les tribunaux, c'est introduire dans la législation une confusion déplorable. (Interruption.)
Pour le fait auquel se rapporte l'amendement, un bourgmestre ne peut pas être traduit devant les tribunaux ; il doit être puni par ses chefs, et révoqué de ses fonctions.
Je crois qu'il y a une confusion d'idées dans l'amendement de l'honorable M. Dumortier : cet amendement n'est pas admissible.
M. Dumortier. - Messieurs, il n'y a pas du tout de confusion dans mon amendement. Quand un bourgmestre commet un acte condamné par les lois existantes, il peut être traduit devant les tribunaux ; mais jusqu'ici il n'y a pas de loi qui interdise l'acte que M. le ministre de l’intérieur lui-même reconnaît mauvais. L'honorable ministre déclare que l'acte n'est pas tolérable, dans ce cas, il faut le punir...
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Administrativement.
M. Dumortier. - Mais alors punissez administrativement tous ceux qui se rendent coupables des faits prévus par les autres articles de la loi.
Comment ! Il y aura eu une promesse de bail, et pour ce simple fait, vous traînerez un citoyen devant les tribunaux, et vous tolérerez que le bourgmestre use de la police dans un intérêt électoral ! et vous enverrez au cimetière commun un amendement dont vous reconnaissez la justesse, puisque vous déclarez vous-même que le fait est mauvais, répréhensible, blâmable !
Puisque vous voulez empêcher les fraudes électorales, réprimez donc (page 1563) la plus grande de ces fraudes, l'emploi de la police locale par le bourgmestre dans un intérêt électoral.
Depuis que l'impôt sur le débit des boissons distillées est considéré comme impôt direct, il est arrivé que dans presque toutes les villes nous avons 100, 200, 300, 400 et jusqu'à 500 cabaretiers qui sont devenus électeurs. Eh bien, la police tient tous ces électeurs entre les mains. (Interruption.)
La loi confie aux bourgmestres une police qui est une force et une puissance ; elle la lui confère dans l'intérêt de tous ; eh bien, cette force et cette puissance, données par la loi au bourgmestre dans l'intérêt public, peut-il les employer pour influencer les élections ? Peuvent-elles devenir dans ses mains un moyen de corruption électorale ? Voilà la question.
Cette question est d'autant plus grave que le nombre des cabaretiers débitants de boissons est devenu vraiment considérable ; comme je l'ai dit dans une séance précédente, avec une bouteille du genièvre, la vente de deux petits verres par jour, et une enseigne portant : « Débit de boissons distillées, » vous devenez électeur.
Et ces électeurs-là sont en définitive entre les mains du bourgmestre. Et, je le répète, vous puniriez le fait le plus insignifiant, comme celui dont j'ai parlé tout à l'heure, vous le puniriez, et vous laisseriez impuni un fait cent fois plus grave, l'acte d'un bourgmestre qui use et abuse, dans un intérêt purement électoral, de la police que la loi lui confie dans l'intérêt de tous !
Cela est-il admissible ?
Si vous ne punissez pas de pareils actes, alors ne nous parlez plus de fraude électorale ; dites que vous la voulez à votre profit.
- Des membres. - Aux voix !
MjTµ. - Messieurs, je ne dirai que deux mots. Nous nous occupons d'une loi sur les fraudes électorales. Or, quel est l'objet de l'amendement de l'honorable M. Dumortier ? M. Dumortier prévoit le cas où un bourgmestre emploie les agents de police dans un intérêt électoral.
M. Dumortier. - Ce sont les expressions de l'article 9.
MjTµ. - Pas du tout, ce ne sont pas les expressions de l’article 9. Il s'agit là de tout autre chose ; il s'agit là de donner, d'offrir, etc. Il ne s'agit pas d'employés.
Je dis que cet amendement ne prévoit pas du tout une fraude électorale. Il prévoit le cas ou un bourgmestre emploiera des agents de police dans un intérêt électoral. Eh bien, il peut ne pas y avoir de fraude dans ce fait et par conséquent il ne peut pas y avoir lieu à l'application d'une peine. Vous ne prévoyez pas un fait délictueux ; il peut y avoir un abus administratif qui devra être réprimé administrativement, cela dépend des cas. Mais vous ne pouvez aller au delà.
Mais, dit l'honorable M, Dumortier, réprimez administrativement tous les autres faits.
Il s'agit ici d'un fait spécial. Je ne puis réprimer administrativement ceux qui n'appartiennent pas à la hiérarchie administrative, qui n'ont pas posé un acte administratif mauvais, qui ont posé, en leur simple et privé nom, un acte mauvais qui est prévu par la loi.
Si des agents de police ou un bourgmestre, comme officiers de police, commettent un acte frauduleux, une fraude électorale, que les agents aient été employés ou n'aient pas été employés par le bourgmestre, ils tomberont sous l'application de la loi et seront même punis plus sévèrement que les simples particuliers, car il y a dans la loi un article qui aggrave la peine pour les fonctionnaires.
L'amendement de l'honorable M. Dumortier ne peut donc pas être admis : je le répète, il ne prévoit pas une fraude électorale, il prévoit un fait qui peut être parfaitement innocent, qui, dans certains cas, peut constituer un abus administratif, mais qui doit alors être réprimé administrativement.
M. de Naeyer. - Je n'ai qu'une seule observation à faire.
Je crois que M. le ministre de la justice n'a fait valoir qu'un argument pour écarter l'amendement de l'honorable M. Dumortier, c'est que le cas qu'il prévoit ne serait pas une fraude électorale.
Messieurs, une fraude électorale, cela dépend de la définition que l'on en donne.
Mais je ferai remarquer que l'article 9, que vous avez voté hier, ne prévoit pas non plus une véritable fraude électorale.
MjTµ. - Pardon.
M. de Naeyer. - M. le ministre a reconnu lui-même, à plusieurs reprises, que les repas dont il était question à l'article 9 ne corrompent en général personne. Mais comment cet acte a-t-il pu être puni par la majorité ? Comme offrant certains inconvénients peut-être, comme pouvant conduire à la corruption, quoiqu'il ne soit pas la corruption.
Mais, je le répète, M. le ministre a reconnu, à différentes reprises, que les dîners n'avaient pas le caractère de corruption, et je dirai que cette appréciation résulte évidemment de la jurisprudence même de la Chambre, car combien de fois la Chambre n'a-t-elle pas approuvé, sanctionné des élections dans lesquelles il était de notoriété publique que ces dîners électoraux avaient joué un très grand rôle ? Nous aurions donc ratifié sciemment des élections corrompues. Cela n'est pas admissible.
Donc, dans cet article 9, il ne s'agissait pas non plus d'un acte de fraude proprement dite ; il s'agissait tout au plus d'un acte dangereux. Je raisonne au point de vue auquel la majorité a pu se placer.
Eh bien, dans la disposition dont nous nous occupons, il s'agit de beaucoup plus que d'un acte dangereux ; il s'agit évidemment d'une influence illégitime, d'un abus de pouvoir, M. le ministre de l'intérieur lui-même l'a reconnu, et toute la question est de savoir si cet acte doit être puni administrativement ou judiciairement. Il n'y a de difficulté que sur ce point. Or, la punition administrative en fait d'élections est-elle une chose sérieuse ?
Je dis que non. Le gouvernement ne punit pas ceux qui ont employé à son profit un zèle excessif.
M. de Borchgraveµ. - Il leur donne un satisfecit.
M. de Naeyer. - Je ne dis pas qu'il leur donne un satisfecit ; l’honorable ministre de l'intérieur ne pourrait pas le faire, d'après ce qu'il vient de dire ; mais sa bonté naturelle l'empêcherait très probablement de punir.
Ainsi l'acte est mauvais, vous le reconnaissez, l'influence illégitime, il y a même un abus de pouvoir, et d'un autre côté vous devez reconnaître de bonne foi que votre punition administrative n'a rien de sérieux.
Que reste-t-il donc à faire, si vous voulez réellement rendre vos élections sincères et loyales ? Il n'y a qu'une chose à faire, c'est de comminer une peine.
J'appuie fortement l'amendement de l’honorable M. Dumortier.
MfFOµ. - Il n'y a pas de délit dans l'amendement.
M. de Naeyer. - C'est une erreur, il y a un abus de pouvoir, que nous pouvons parfaitement ériger en délit.
- La discussion est close.
MpVµ. - Je mets aux voix l'amendement de M. Dumortier.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal.
- L'amendement de M. Dumortier est mis aux voix par appel nominal.
70 membres prennent part au vote.
25 votent pour l'amendement.
45 votent contre.
En conséquence l'amendement n'est pas adopté.
On voté l'adoption :
MM. Magherman, Nothomb, Reynaert, Rodenbach, Schollaert, Tack, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, de Borchgrave, de Conninck, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, Dumortier, Hayez et Jacobs.
Ont voté le rejet :
MM. J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Muller, Nélis, Orts, Pirmez, Rogier, Tesch, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, De Fré, Kerchove, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils, Jacquemyns et E. Vandenpeereboom.
MpVµ. - Vient l'article 13 du projet du gouvernement.
« Art. 13. Sera puni d'une amende de 26 à 200 francs et d'un emprisonnement d'un à sept jours ou de l'une de ces peines seulement, quiconque, pour déterminer un électeur à s'abstenir de voter ou pour influencer son vote, aura usé à son égard de voies de fait, de violences ou de menaces, ou lui aura fait craindre de perdre son emploi ou d'exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune. »
MjTµ. - Je demanderai à remplacer les mots : « d'un emprisonnement d'un à sept jours » par ceux ci : « d'un emprisonnement de huit jours à un mois. »
La Chambre remarquera que la peine pécuniaire, c'est-à-dire l'amende (page 1564) de 26 à 200 fr., est de la compétence des tribunaux correctionnels, tandis que la peine corporelle serait de la compétence du juge de paix. L'erreur qui s'est glissée dans la rédaction de l'article doit être réparée : il faut que les deux peines soient mises en harmonie.
- L'article, modifié comme le propose M. le ministre, est adopté.
MPVµ. - Nous sommes à l'article 14. M. le ministre se rallie-t-il à la modification proposée par la section centrale ?
MjTµ. - Oui, M. le président.
MpVµ. - L'article de la section centrale est ainsi conçu :
« Seront punis comme auteurs des délits prévus par les articles 9,10, 11 et 12, ceux qui auront fournis des fonds, sachant la destination qu'ils devaient recevoir, ou qui auront donné mandat de faire, en leur nom, les offres, promesses ou menaces. »
- Adopté.
« Art. 15. Dans les cas prévus par les cinq articles précédents, si le coupable est fonctionnaire public, le maximum de la peine sera toujours prononcé, et la peine pourra être portée au double. »
M. Crombez, rapporteur. - Messieurs, il s'est glissé une erreur d'impression dans le projet de la section centrale. La section centrale a décidé à l'unanimité, conformément au vœu de la cinquième section, de supprimer le mot « toujours », et de dire : «... le maximum de la peine sera prononcé. » Cette modification n'a pas été mentionnée dans le rapport.
Je crois, messieurs, que le mot « toujours » peut être supprimé sans inconvénient.
M. Lelièvre. - Je dois demander une explication à M. le ministre de la justice. Notre article porte que la peine pourra être portée au double. Cela s'entend-il de l'interdiction du droit de vote et d'éligibilité ? S'il en était ainsi, l'interdiction pourrait être prononcée pour un terme de vingt années.
Or, je ferai observer que, d'après le code pénal, l'interdiction des droits civils n'est prononcée que pour dix années au plus. Je désire donc savoir si l'interdiction dont parle notre article sera restreinte à ce dernier terme.
MjTµ. - L'observation de l'honorable M. Lelièvre peut être juste. C'est une question à examiner.
- L'article 15 est mis aux voix et adopté.
« Art. 16. Les présidents des collèges et des sections sont chargés de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'ordre et la tranquillité aux abords des sections et de l'édifice où se fait l'élection. »
M. Dumortier. - Messieurs, je voudrais bien savoir ce que c'est que les abords des sections.
MjTµ. - L'expression est dans la loi de 1843.
M. Dumortier. - Je sais bien qu'il y a dans les citadelles un rayon militaire, mais je voudrais savoir quel est le rayon électoral ?
M. Orts. - Vous pouvez le dire mieux que personne ; vous avez voté la loi de 1843.
M. Dumortier. - En pareille matière, messieurs, il y a souvent de très grands abus, et je dois dire que j'aurais tout autant de confiance dans le président du bureau que dans l'autorité locale.
En Angleterre, le shérif a les pouvoirs les plus étendus et je trouve cela parfaitement juste. Ici on ne donne au président que les abords, et qu'est-ce que c'est que les abords ? On me répond : C'est la loi ancienne. Mais nous voulons corriger les abus de la loi ancienne.
Dans beaucoup de localités, on a trouvé que les abords, c'était un rayon de quelques pas autour du bureau électoral. Or, je voudrais que l'autorité qui préside les élections eût entre les mains le moyen d'empêcher les troubles qui sont malheureusement trop fréquents les jours d'élections.
M. Crombez, rapporteur. - Messieurs, les mots « les abords » ne sont pas nouveaux ; il y a plus de trente ans qu'on applique sans aucune difficulté la disposition où ils se trouvent. Mais ce n'est pas tout ; la loi du 1er avril 1843, que M. de Theux a présentée et que M. Dumortier a votée, contient exactement la disposition que nous proposons. Nous ne la proposons que par ce seul motif que la loi de 1843 ne s'applique qu'aux élections pour les Chambres, tandis que la loi que nous discutons s'applique également aux élections provinciales et aux élections communales. Cela se trouve en toutes lettres dans le rapport.
- L'article est mis aux voix et adopté.
MpVµ - Nous passons à l'article 17. Le gouvernement se rallie-t-il à ia rédaction de la section centrale ?
MjTµ. - Oui, M. le président.
MpVµ. - A cet article se rattache un amendement de M. Jacobs, qui est ainsi conçu :
« Le bourgmestre ou celui qui le remplace, qui ne prendrait pas les mesures nécessaires pour protéger les électeurs, les agents de la police et de la force publique qui n'exécuteraient pas ces mesures, seront punis, le premier d'un emprisonnement de quinze jours à un mois et d'une amende de 26 à 500 francs, les seconds d'un emprisonnement de huit à quinze jours et d'une amende de 26 à 200 fr.
M. Jacobsµ. - Messieurs, l'une des principales fraudes électorales ou du moins le fait qui peut engendrer le plus grand nombre de fraudes, c'est l'absence de protection des électeurs, l'absence de sauvegarde dans l'exercice de leur droit.
Chacun se rappelle ce qui s'est passé, il y a quelques années, à Louvain : les candidats, ne se fiant pas à la police locale, avaient organisé une garde de sûreté.
M. Bouvierµ. - Les stockslagers.
M. Jacobsµ. - Je ne demande pas mieux que d'abolir l'institution des stockslagers, à la condition que le bourgmestre fera la police des élections d'une manière impartiale.
M. le ministre de l'intérieur a repoussé d'avance mon amendement, en répondant à celui de M. Dumortier ; la réponse qu'il lui a faite na m'a pas satisfait.
La responsabilité administrative, qui ne peut se traduire que par la réprimande ou la destitution de l'homme qui a abusé de son pouvoir dans l'intérêt de celui dont il le tient, est pour moi un leurre.
L'honorable M. de Naeyer, appréciant l'autre jour l'action du ministère public, vous disait que ces fonctionnaires, dont la nomination et la révocation appartiennent au gouvernement, ne donnent pas une garantie suffisante d'impartialité ; à plus forte raison, en doit-il être ainsi d'un fonctionnaire mêlé aux luttes, comme le bourgmestre, et qui parfois même est candidat. Le contrôle judiciaire, l'intervention d'un pouvoir indépendant me paraît seule efficace.
En Angleterre, tout honnête homme peut se faire recevoir policeman, dans les circonstances exceptionnelles.
En temps d'élection, il arrive que des membres des partis en présence se font recevoir policemen, prêtent le serment voulu et protègent leurs amis.
Cette faculté n'existant pas chez nous, il nous faut des garanties contre le mauvais vouloir des bourgmestres et de la police locale ; le gouvernement ne nous en donne aucune contre ces excès de zèle, nous n'en trouvons que dans l'intervention du pouvoir judiciaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comme vient de vous le dire l'honorable membre, j'ai combattu par anticipation son amendement.
Il y a quelque chose de fort singulier dans l'argumentation de l'honorable membre. Il veut prendre des mesures contre le bourgmestre et le faire condamner par les tribunaux, mais il a une confiance entière dans l'institution des stockslagers.
Les enquêtes de Louvain ont prouvé que la moitié des membres de cette honorable institution étaient des repris de justice, et il n'y a guère d'autres individus que des gens flétris par une condamnation qui consentent à accepter un pareil rôle.
Si vous aviez vu fonctionner ces gens, vous sauriez qu'ils provoquent bien plus de désordres qu'ils ne l'empêchent, que leur présence irrite la population.
M. de Borchgraveµ. - Ceux qui en ont peur.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ceux qui n'aiment pas les repris de justice. Les habitants sont vexés de voir que des étrangers viennent faire la police chez eux.
Comment est-il possible de soutenir qu'un bourgmestre choisi dans le sein du conseil ne présentera pas plus de garanties qu'un ramassis de vauriens qui disparaissent le lendemain et qui n'ont de responsabilité devant personne.
M. Bouvierµ. - Ce sont de beaux policemen !
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je crois donc qu'entre un fonctionnaire respectable et les stockslagers il n'y a pas à hésiter.
Comment pour une négligence, pour une mesure prise mal à propos peut être du bourgmestre, vous voudriez le faire condamner par les tribunaux ? Mais s'il y a négligence grave, l'autorité administrative décidera et sévira (interruption) et sévira au besoin, je le répète.
Dernièrement encore le gouvernement a suspendu un bourgmestre parce qu'il n'avait pas mis assez de soin dans la rédaction des listes électorales et c'était cependant, je pense, uniquement an bourgmestre peu (page 1565 clérical. Il avait été négligent, il a été suspendu. Je crois donc, messieurs, qu'il serait impossible de traduire un bourgmestre devant les tribunaux pour un fait de négligence qui doit être puni administrativement.
M. Dumortier. - Je ne puis admettre la qualification que vient de donner l'honorable ministre de l'intérieur à ce qu'il appelle des stockslagers. Nous avons vu, dit-il, dans l'enquête de Louvain que c'étaient des repris de justice.
M. De Fré. - Un grand nombre.
M. Dumortier. - Oui, il y avait parmi les stokslagers plusieurs personnes qui avaient été condamnées à de très petites peines correctionnelles, mais ce que vous négligez de dire, c'est que les stockslagers, étaient tous des veilleurs de nuit de la ville de Louvain, des hommes auxquels la ville de Louvain confiait la garde de ses habitants pendant les moments les plus dangereux, pendant la nuit.
M. De Fré. - C'est une erreur.
M. Dumortier. - Voilà quels étaient ces misérables auxquels on avait confié la conservation de l'ordre et si on l'avait fait, c'est que dans des élections précédentes, il y avait eu à Louvain, des scènes honteuses.
Un citoyen honorable, M..., avait été traîné la corde au cou sur tout le parcours d'une rue ; on avait voulu le pendre, et la police laissait faire.
Je dis que, dans de pareils cas, une police extraordinaire est nécessaire pour maintenir l'ordre, et si j'accepte l'amendement de la section centrale, c'est que j'y vois la possibilité d'organiser cette police, à la condition qu'elle ne trouble point l'ordre.
Si le bourgmestre est candidat, pouvez-vous vous fier complètement à lui ?
Vous direz que, s'il y a désordre, il sera puni plus tard d'une peine administrative.
Mais si l'honorable citoyen do,t je vous ai parlé avait été pendu, que devient votre peine administrative ?
En Angleterre, la loi confie à tous les députés le soin d'organiser la police auxiliaire en temps d'élections. Je demande que nous puissions avoir ici les mêmes garanties.
- La discussion est close.
Il est procédé à l'appel nominal sur l'amendement de M. Jacobs.
67 membres y prennent part.
24 membres répondent oui.
43 membres répondent non.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui :
MM. Julliot, Magherman, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Tack, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, de Borchgrave, de Conninck, Delcour, de Liedekerke, de Mérode, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Theux, Dumortier, Hayez et Jacobs.
Ont répondu non :
MM. J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Muller, Nélis, Orts, Pirmez, Rogier, Tesch, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Carlier, Crombez, David, de Baillet-Latour, de Bast, De Fré, de Kerchove, de Moor, de Rongé, Devroede, Dewandre, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Grosfils, Jacquemyns et E. Vandenpeereboom.
- L'art. 17 est mis aux voix et adopté.
« Art. 18. Lorsque par attroupement, menaces ou voies de fait, on aura empêché un ou plusieurs citoyens d'exercer leurs droits politiques, les coupables seront punis d'un emprisonnement de quinze jours à un an et d'une amende de 26 à 1,000 francs. »
-Adopté.
« Art. 19. Toute irruption dans un collège électoral, consommée ou tentée avec violence, en vue d'empêcher un choix, sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 200 à 2,000 francs.
« Si le scrutin a été violé, le maximum de ces peines sera prononcé et elles pourront être portées au double.
« Si les coupables étaient porteurs d'armes, ils seront condamnés, dans le premier cas, à un emprisonnement de un an à trois ans et à une amende de 500 à 3,000 francs et, dans le second cas, à la réclusion et à une amende de 3,000 à 5,000 francs. »
« Art. 18 (section centrale). Toute irruption dans un collège électoral, consommée ou tentée avec violence, en vue d'entraver les opérations électorales, sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 200 à 2,000 fr.
« Si le scrutin a été violé, le maximum de ces peines sera prononcé et elles pourront être portées au double.
« Si ces coupables étaient porteurs d’armes, ils seront condamnés, dans le premier cas, à un emprisonnement d'un an à trois ans et à une amende de 500 à 3,000 francs, et, dans le second cas, à la réclusion et à une amende de 3,000 à 5,000 fr. »
MpVµ. - Le gouvernement se rallie-t-il à la modification proposée par la section centrale ?
MjTµ. - Oui, M. le président.
- L'article est adopté.
« Art. 20. Si ces faits ont été commis par des bandes ou des groupes organisés comme il est dit en l'article 17, ceux qui auront engagé, réuni ou aposté les individus qui en auront fait partie, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de 100 à 1,000 fr. »
- Adopté.
« Art. 21. Seront punis comme auteurs, ceux qui auront directement provoqué à commettre les faits prévus par les articles 17 et 18, soit par, dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, soit par des discours tenus ou des cris proférés dans des réunions ou des lieux publics, soit par des placards affichés, soit par des écrits imprimés ou non, et vendus ou distribués.
« Si les provocations n'ont été suivies d'aucun effet, leurs auteurs seront punis d'un emprisonnement d'un mois à six mois et d'une amende de 50 à 500 fr. »
- Adopté.
« Art. 22. Les membres d'un collège électoral qui, pendant la réunion, se sont rendus coupables d'outrages ou de violences, soit envers le bureau, soit envers l'un de ses membres, ou qui, par voies de fait ou menaces, auront retardé ou empêché les opérations électorales, seront punis d'un emprisonnement de quinze jours à un an et d'une amende de 100 à 1,000 francs.
« Si le scrutin a été violé, le maximum de ces peines sera prononcé, et elles pourront être portées au double.
« Si les coupables étaient porteurs d'armes, ils seront condamnés, dans le premier cas, à un emprisonnement de trois mois à deux ans et à une amende de 300 à 2,000 francs, et dans le second cas, à la réclusion et à une amende de 3,000 à 5,000 francs. »
- Adopté.
« Art. 23. Dans les cas prévus par les articles 10, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21 et 22, l'interdiction du droit de vote et d'éligibilité, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus, sera prononcée contre les coupables qui auront été condamnés antérieurement pour l'un des faits repris dans ces articles ou dans les articles 11, 12, 24, 25 et 26. »
« Art. 22 (section centrale). Dans les cas prévus par les articles 9, 12, 13, 16, 17, 18, 19, 20 et 21, l'interdiction du droit de vote et d'éligibilité, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus, sera prononcée contre les coupables qui auront été condamnés antérieurement pour l'un des faits repris dans ces articles ou dans les articles 10 et 11. »
MpVµ. - Le gouvernement se rallie-t-il à cet amendement ?
MjTµ. - Non, M. le président. Je crois que la section centrale ne s'est pas bien rendu compte de l'idée qui a inspiré l'article 23. L'interdiction du droit de vote et d'éligibilité pendant deux ans au moins et cinq ans au plus sera prononcée lorsqu'il y aura récidive quant aux faits prévus par les articles 10, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21 et 22.
Elle sera également prononcée lorsqu'il y aura une infraction à ces articles après une condamnation encourue pour un des faits prévus par les articles 24, 25 et 26.
Il faut, dans tous les cas, qu'il y ait une condamnation antérieure, soit pour les faits prévus aux articles 10, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21 et 22, soit pour ceux prévus aux articles 11, 12, 24, 25 et 26.
M. Julliot. - Messieurs, en présence de cet article et de l'article précédent, je me demande s'il n'y a pas lieu à y joindre une disposition relative aux bureaux électoraux.
Je me demande ce qui arrivera si un bureau électoral violait la loi soit sciemment, soit à défaut de connaissance suffisante de la loi, et je reconnais qu'il est difficile d'exiger d'un bureau pareil, dont l'attention est constamment absorbée, d'avoir toujours toutes les dispositions de la loi électorale présentes à la mémoire.
Voici un fait dont j'ai été témoin.
(page 1568) Pendant le vote dans une élection, un électeur s'avança vers le bureau en présentant la réclamation suivante. Il dit ; J'ai par erreur déposé une quittance de contribution au lieu de mon vote ; je demande à retirer cette quittance et à la remplacer par un bulletin de vote.
Le bureau, composé en majorité de gens peu instruits, se préparait à délibérer sur ce qu'il restait à faire, et il est probable qu'il aurait consenti à cette opération qui annulait de fait l'élection, si uu tiers ne s'était approché du bureau pour lui rappeler qu'il n'avait pas le droit de délibérer sur un article de la loi qui déclarait nulle toute opération dans laquelle on aurait ouvert l'urne avant la tin du vote. Alors le bureau a reculé devant une délibération tout illégale qui entraînait inévitablement la nullité de l'érection.
Mais je répète qu'il était à prévoir que par complaisance on aurait pu consentir à cette violation patente, mais involontaire, de la loi.
Je pense donc qu'il serait utile d'insérer une pénalité contre des négligences pareilles afin d'exciter davantage l'attention de ceux qui sont préposés à constater officiellement ce grand acte politique.
MjTµ. - C'est un de ces faits qu'il est impossible de prévoir dans la loi. Il y a là ou une erreur, ou une ignorance que l'on ne peut ériger en délit, que l'on ne peut frapper d'une peine. Si l'on entrait dans cette voie, il faudrait comminer des peines contre tous les actes d'ignorance commis par des personnes appelées à remplir des fonctions publiques.
M. Lelièvre. - Je présume que la disposition dont nous nous occupons ne concerne que les délits prévus par les articles qui y sont indiqués.
En effet, si la peine de la réclusion est prononcée, en ce cas l'interdiction est pérpétuelle, parce que c'est là une peine criminelle dont les conséquences sont réglées par le Codé pénal. Je conçois l'interdiction temporaire dont parle notre article, lorsqu'il s’agit de simples délits.
M. de Theuxµ. - Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il ne trouverait pas à propos d'introduire un article répressif des abus qui peuvent être commis par le bureau, en vue d'annuler l'élection.
D'ici à demain, M. le ministre aura le temps de réfléchir et je crois que la question en vaut la peine.
M. Crombez. - J'ai eu le tort d'interrompre tout à l'heure M. Julliot, mais cependant je l'avais interrompu avec raison, car il ne s'agissait pas d'examiner l'article 23.
Nous sommes à l'article 22, qui prévoit le cas où la peine sera prononcée du chef de récidive. Il ne s'agit pas là de faits dont on vient d'entretenir la Chambre, il s'agit de savoir ce qu'on fera en cas de récidive ; c'est l'objet de l'article 22.
M. Dumortier. - J'engage beaucoup M. le ministre de la justice à examiner l'observation que vient de faire mon honorable ami M. le comte de Theux. Il peut se faire que dans une élection, et cela est arrivé déjà, des membres du bureau, des scrutateurs, prévoyant un résultat contraire à leur opinion, ne continuent pas leurs fonctions jusqu'au bout. C'est là un fait évidemment répréhensible et qu'il faut punir. Quand des personnes ont accepté les fonctions de scrutateurs, elles doivent les exercer jusqu'au bout, et il faut leur infliger une pénalité dans le cas où elles abandonneraient leur poste en vue de faire annuler l'élection.
Je signale ce fait à M. le ministre de la justice et je demeure convaincu qu'il trouvera l'observation fondée et le moyen d'y faire droit.
M. de Theuxµ. - J'appellerai encore l'attention de M. le ministre de la justice sur un autre fait qui n'est pas rare ; c'est la remise du ballottage à une heure de la journée plus reculée qu'il n'est nécessaire. C'est encore là un moyen évidemment frauduleux d'éloigner du scrutin un certain nombre d'électeurs. Il serait donc nécessaire que la loi prévît ce cas. Ainsi, par exemple, si le premier scrutin est complètement terminé vers une heure de l'après-midi et si l'on remet le ballottage à 5 ou 6 heures, il est évident qu'un grand nombre d'électeurs sont mis dans l'impossibilité d'y prendre part. C'est là évidemment une véritable fraude, et il y a lieu de rechercher le moyen de la réprimer.
- La discussion est close.
L'article du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.
- La séance est levée à 5 heures.