(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1345) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants de Malines prient la Chambre d'annuler la résolution du conseil communal portant qu'à l'avenir les inhumations dans le cimetière de cette ville auront lieu sans aucune distinction de culte. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« « Les sieurs Herlant et Gillé, président et secrétaire de la société de pharmacie de Bruxelles, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir le retrait des dispositions qui font délivrer par les pharmaciens militaires les médicaments à un grand nombre de personnes étrangères à l'armée. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lesaffre se plaint du préjudice causé au commerce par suite de la modification apportée au règlement de police et de navigation de la Lys par l'arrêté royal du 19 septembre 1864. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Saint-Vaast demandent la réduction des droits d'accise sur la bière indigène. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Des habitants de Saint-Ghislain prient la Chambre de donner la préférence au système qui consiste à remettre à chaque électeur, dans la salle du scrutin, un bulletin imprimé portant les noms des candidats déclarés, sur lequel il effacerait à la plume ceux qui ne lui conviendraient pas. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les fraudes électorales.
« Le Sénat informe la Chambre qu'il a passé à l'ordre du jour sur la demande de naturalisation du sieur Klein, ouvrier plafonneur à Louvain. »
- Pris pour notification.
« Le Sénat informe également la Chambre qu'il a adopté les projets de lois suivants :
« 1° Crédit de 300,000 fr. au département de la justice ;
« 2° Crédit de 80,000 fr. au département des travaux publics ;
« 3° Crédits spéciaux pour travaux d'utilité publique ;
« 4° Crédits supplémentaires de 886,044 fr. 45 c. au département des travaux publics ;
« 5° Crédit de 163,500 fr. au département de l'intérieur ;
« 6° Autorisation donnée au gouvernement de modifier les bases de la liquidation de la garantie d'intérêt accordée à la compagnie du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse.
« 7° Loi relative aux étrangers. »
- Pris pour notification.
« La chambre de commerce de Namur transmet cinq exemplaires de son dernier rapport concernant l'année 1864. »
- Dépôt à la bibliothèque.
« M. Mascart, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
« M. Le Hardy de Beaulieu, obligé de s'absenter, demande un congé de deux jours. »
- Accordé.
M. de Brouckere. - Au nom de la commission des naturalisations, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau 18 projets de loi se rapportent à autant de demandes de naturalisation ordinaire prises en considération par la Chambre et par le Sénat.
- Ces projets seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Hymans et M. Thienpont présentent divers rapports sur des demandes en obtention de la naturalisation ordinaire.
- Ces rapports seront imprimés et distribués, et leur objet mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant pour titre : Application générale du tarif conventionnel et extension de la réforme douanière.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et son objet mis à la suite de l'ordre du jour.
MjTµ. - Messieurs, dans la séance d'avant-hier, le gouvernement, par l'organe de mon honorable collègue des finances, a fait connaître que nous opposerions la question préalable aux différentes propositions dont ou avait déjà saisi la Chambre.
Si la mesure à laquelle s'est arrêté le gouvernement avait besoin d'une justification plus complète que celle qu'en a donnée mon honorable collègue, assurément nous la trouverions dans les discours et dans les propositions qui ont été faites et annoncées dans la séance d'hier.
Nous ne sommes plus, en effet, en présence de trois ou quatre propositions : nous sommes en présence de dix propositions différentes, de dix propositions faites ou annoncées, qui, toutes, soulèvent des questions importantes, des questions dont chacune exigerait de la part d'un homme laborieux et au courant de la matière, au moins deux à trois jours de réflexion.
A la proposition faite par l'honorable M. Orts d'exclure, dans l'avenir de la liste électorale, tous les électeurs qui n'y seraient pas inscrits dès maintenant et qui ne sauraient pas lire et écrire ; à la proposition de l'honorable M. Lelièvre de compter les centimes additionnels provinciaux et communaux pour la formation du cens ; à la proposition de l'honorable M. Delcour d'organiser toute une procédure pour juger les appels en matière électorale ; à la proposition du même honorable membre relative à la juridiction à laquelle seront déférés les crimes et délits prévus par la loi ; les honorables MM. de Theux et de Macar sont venus ajouter ou du moins ont annoncé des amendements nouveaux.
L'honorable comte de Theux nous a entretenus du ballottage et de la nécessité d'en remettre les opérations à un autre jour, ou même de le supprimer. A cette question du ballottage l'honorable M. de Theux a rattaché la question de l'indemnité qui devrait être payée dans deux ou trois cas différents.
L'honorable membre nous a parlé, en second lieu, de la nécessité d'une modification à la loi en ce qui concerne les listes électorales. Aujourd'hui ce sont les listes électorales qui seules sont affichées et portées à la connaissance du public. Cette publication, selon l’honorable M. de Theux, n'est pas suffisante ; ce ne sont pas les listes électorales seules qui doivent être soumises à l'examen du public ; les rôles des contributions devraient à l'avenir pouvoir être consultés par tout le monde.
L'impôt des patentes doit également subir des modifications ; une nouvelle procédure doit être organisée pour régler les réclamations des contribuables dont la patente est diminuée. Aujourd'hui, celui qui se trouve surtaxé a droit de réclamer ; mais celui dont l'impôt est allégé n'a aucun recours, dit l'honorable comte de Theux ; et ce peut être un moyen de faire disparaître un électeur de la liste électorale.
La composition du bureau principal doit également être réformée. Selon l'honorable M. de Theux, elle constitue un privilège en faveur du chef-lieu, parce que le bureau principal est composé des quatre plus jeunes conseillers et que ces quatre conseillers peuvent exercer sur tous les bulletins une espèce de contrôle qui nuit à la liberté électorale.
Enfin, l'honorable M. de Theux nous a entretenus des candidatures des magistrats, des abus auxquels ces candidatures peuvent donner lieu. Si j'ai bien compris, c'est un nouvel article à ajouter à la loi sur les incompatibilités.
L'honorable M. de Macar a ensuite entretenu la Chambre du vote par (page 1346) ordre alphabétique, de la nécessité de l'introduire dans notre législation.
De sorte, messieurs, que dès aujourd'hui, tout bien compté, nous nous trouvons en présence de dix propositions faites ou annoncées, soulevant des questions très graves et très sérieuses, qu'il s'agirait de discuter en même temps que la loi qui est soumise à la Chambre.
Je ne crois pas que cette discussion soit possible ; Je ne crois pas qu'elle soit opportune ; j'ajouterai que le règlement ne la permet pas.
Aucune de ces propositions ne se rattache en réalité à la loi que nous discutons ; elles se rattachent toutes d'une manière directe à d'autres lois que ces propositions tendent à modifier.
Reprenons-les une à une et il sera facile de s'en convaincre.
La proposition de l'honorable M. Orts tend à exclure, dans l'avenir, de la liste électorale les individus qui ne savent ni lire, ni écrire ; elle ne se rattache pas à la loi dont nous nous occupons ; c'est une modification à l'article premier de la loi électorale qui indique les conditions requises pour être électeur.
On y ajoute une nouvelle condition : savoir lire et écrire. La proposition de l'honorable M. Lelièvre n'est autre chose que la suppression du paragraphe 2 du n°3 du même article. Voici l'article premier :
« Pour être électeur, il faut :
« 1° Etre Belge de naissance ou avoir obtenu la grande naturalisation ;
« 2° Etre âgé de 25 ans accomplis ;
« 3° Verser au trésor de l'Etat la quotité de contributions directes, patentes comprises, déterminée dans le tableau annexé à la présente loi. »
A ce n°3 la loi du 1er avril 1843 a ajouté la disposition suivante :
« Les centimes additionnels perçus sur les contributions directes, au profit des provinces ou des communes, ne sont point comptés pour former le cens électoral.
Vous voyez, messieurs, que M. Orts veut ajouter une condition et que M. Lelièvre veut supprimer un paragraphe.
La proposition de l'honorable M. Delcour tend à modifier l'article 13 de la loi électorale, l'article 17 de la loi communale et, en outre, virtuellement, différents articles de la loi provinciale.
Il s'agit d'établir de nouvelles règles pour le jugement des appels en matière électorale, appels dont le projet de loi ne s'occupe pas.
Je n'entends pas me prononcer sur cette proposition, je ne préjuge rien. Il est possible qu'une réforme soit utile, mais cela ne se rapporte pas à la loi actuelle. Il s'agirait d'introduire une nouvelle organisation. Est-ce que dans cette organisation il y aura une fonction qui ait quelque analogie avec celle du ministère public ? Est-ce que le gouverneur continuera à présider ?
Vous voyez, messieurs, que c'est une question à examiner ; il n'est peut-être pas un seul membre, à l'exception de M. Delcour, qui s'est spécialement occupé de cette matière, qui soit prêt à la discuter en ce moment.
La proposition de M. Delcour relative à la juridiction qui connaîtra des crimes et délits prévus par la loi, se rattache au code d'instruction criminelle. C'est là qu'une semblable disposition doit trouver sa place, si elle est nécessaire, s'il ne suffit pas d'abandonner aux tribunaux l'application de l'article 98 de la Constitution.
Il y a à cet égard des précédents. Quand nous discutions le code pénal, j'en appelle à plusieurs de mes honorables collègues, on s'est demandé s'il ne fallait pas déterminer les délits politiques en indiquant la juridiction qui devait en connaître, et l'on a reconnu que ce point ne doit pas être décidé par le code pénal, mais bien par le code d'instruction criminelle.
Vous ne pouvez pas, dans chaque loi et pour chaque fait, déterminer la juridiction. Les juridictions sont organisées dans le Code d'instruction criminelle : le Code pénal définit le fait, le qualifie et en fixe la peine.
Nous devons observer ces distinctions si nous ne voulons pas détruire cette magnifique harmonie qui existe aujourd'hui dans notre législation.
En ce qui concerne le ballottage, il s'agit d'une modification à l'article 36 de la loi électorale.
Avec le changement que l'on veut apporter à la publicité des listes, on modifie l'article 8 de la loi électorale.
La question de l'impôt des patentes va toucher à nos lois sur les impôts : il faudra organiser une nouvelle procédure.
Quant à la composition du bureau principal, on veut abroger l'article 10 de la loi électorale.
Il faudrait enfin, pour la magistrature, ajouter un article à la loi sur les incompatibilités.
Si l'on veut faire cette proposition, elle sera examinée. Quant à moi je n'hésite pas à dire que je désire beaucoup que la magistrature n'intervienne pas activement dans les luttes électorales, et je dois dire que j'ai éprouvé un vif regret quand j'ai vu, pour la première fris, un magistrat se mettre sur les rangs à Ypres en concurrence, avec mon honorable collègue M. Vandenpeereboom. C'était un mauvais exemple et je m'attendais bien à le voir imité.
Nous examinerons, si l'on veut, s'il ne faut pas défendre aux magistrats de se mettre sur les rangs avant d'avoir donné leur démission. Nous verrons quels seraient les inconvénients et les avantages d'une pareille mesure. Pour moi, je déclare que la meilleure chose que je trouve dans la loi sur les incompatibilités, loi dont je ne suis pas fanatique, c'est qu'elle écarte la magistrature des luttes électorales. Je l'aï toujours dit et je le répète, je désirerais que le prêtre et le juge ne fussent point mêlés aux luttes politiques : qu'ils aient leurs opinions mais qu'ils ne se fassent pas courtiers électoraux. Ce rôle est incompatible avec les fonctions qu'ils exercent.
Quant à la proposition de l'honorable M. de Macar, elle modifierait l'article 19 de la loi électorale.
Ce qu'on propose donc, messieurs, ce sont des modifications à des lois qui ne vous sont pas soumises, et ces modifications portent presque toutes sur des points étrangers à la matière des fraudes électorales.
Il n'est pas possible d'interpréter votre règlement en ce sens qu'on puisse modifier par des amendements des lois qui ne sont pas en discussion.
On nous a dit, messieurs, que nous portions atteinte au droit d'initiative de la Chambre, que nous voulions ramener la Chambre au temps du royaume des Pays-Bas.
C'est une erreur. Ou n'apprécie pas exactement les moyens par lesquels votre initiative s'exerce.
Vous pouvez, messieurs, exercer votre initiative de deux manières : par voie de propositions et par voie d'amendements.
Quant aux propositions, votre droit est illimité ; il s'étend sans exception à tout ce qui est du ressort du pouvoir législatif : votre règlement détermine les formalités à observer pour l'exercice de ce droit, afin qu'il s'exerce d'une manière utile.
Quant aux amendements, votre droit est plus restreint : alors votre initiative est limitée aux propositions qui sont en discussion.
L'article 41 du règlement porte :
« La discussion des articles s'ouvre successivement sur chaque article, suivant son ordre et sur les amendements qui s'y rapportent. »
il faut donc que les amendements présentés se rapportent aux articles en discussion ; or, des amendements qui ont été proposés dans les séances d'hier et d'avant-hier, aucun pour ainsi dire ne se rattache à des articles de la loi dont la Chambre s'occupe eu ce moment. La présentation, de ces amendements est en opposition manifeste avec le règlement. Et, remarquez-le, votre règlement est parfaitement raisonnable, parfaitement logique.
Quand il s'agit de l'exercice du droit d'initiative par voie de proposition, le règlement prescrit certaines formalités qui sont des garanties que la proposition ne viendra en discussion qu'après avoir été sérieusement examinée.
Il faut d'abord que la Chambre prenne la proposition en considération ; après, la proposition est renvoyée aux sections ; les sections l'examinent, elles nomment des rapporteurs, la section centrale se forme ; elle examine à son tour la proposition et nomme un rapporteur ; le rapport est déposé sur le bureau, il est imprimé, distribué, et il y a nécessairement un intervalle entre la distribution du rapport et la discussion.
Pourquoi ces précautions ? Pour que les questions puissent être examinées sérieusement et qu'il ne puisse y avoir aucune surprise. Pourquoi, quand il s'agit d'amendements votre droit est-il restreint ? Parce qu'il n'y aurait plus d'examen sérieux si l'on pouvait, à propos de n'importe quel projet de loi, faire des propositions sur des points qui ne sont pas en discussion. Vous en avez aujourd'hui la preuve, car on nous soumet des propositions à la discussion desquelles personne ne s'attendait, que personne n'a eu le temps d'étudier.
Il n'en est pas de même lorsque les amendements se rapportent à l'objet en discussion ; par cela même que l'on a bien examiné la proposition principale, on a déjà très souvent prévu les objections qu'elle peut soulever, les modifications qu'on peut y introduire.
(page 1347) Le droit d'initiative de la Chambre n'est nullement entravé par là, il est simplement réglé afin qu'il puisse s'exercer d'une manière utile : ce que tous ne pouvez faire par voie d'amendement, vous pouvez le faire par voie de proposition principale. M. Delcour a, par voie d'amendement, proposé de modifier complètement la législation actuelle en ce qui concerne le jugement des appels en matière électorale ; son droit d'initiative reste intact ; il peut déposer demain sa proposition, la Chambre en sera saisie et elle ne se prononcera qu'après un examen sérieux.
J'en dirai autant de plusieurs autres amendements proposés par d'honorables membres. Leur initiative ne sera nullement entravée, ils pourront produire leurs propositions, et ces propositions, je le répète, seront examinées et arriveront à la discussion dans des conditions qui permettent de les apprécier à tous les points de vue ; ce qui ne serait pas possible aujourd'hui.
Je préviens donc la Chambre que j'opposerai la question préalable à toutes les propositions qui n'auront pas véritablement le caractère d'amendement au projet de loi, et je le ferai dans l'intérêt même de nos institutions constitutionnelles.
L'honorable comte de Theux a parlé du système qui a existé sous le royaume des Pays-Bas.
Eh bien, messieurs, pourquoi craint-on de donner aux Chambres le droit d'initiative ? C'est à cause de l'abus qu'elles peuvent en faire et jamais l'abus ne s'est révélé d'une manière plus apparente que dans la discussion actuelle. A propos d'un projet de loi qui concerne les fraudes électorales, on nous fait des propositions qui touchent à nos lois organiques les plus importantes, lois électorales, loi communale, loi provinciale, loi sur les incompatibilités.
Si l'on refuse dans beaucoup de pays le droit d'initiative aux Chambres, c'est que l'exercice exagéré de ce droit compromet la stabilité de la législation.
Il importe donc de ne pas abuser du droit d'amendement si l'on veut conserver au droit d'initiative tout son prestige ; il ne faut pas, sous prétexte d'amendement, jeter la perturbation dans notre législation. Ce ne serait pas un moyen d'accréditer à l'étranger le droit d'initiative dont nous sommes si fiers et à juste titre.
MpVµ. - Il y a une proposition de question préalable.
M. Orts. - C'est sur cette proposition que j'ai demandé la parole.
M. de Haerne. - J'avais également demandé la parole.
MpVµ. - Vous êtes inscrit dans la discussion générale.
M. de Haerne. - Mais j'avais l'intention de traiter d'abord la question préalable.
MpVµ. - Si M. Orts y consent, je vous accorderai la parole.
M. Orts. - Très volontiers.
M. de Haerne. - Comme je viens de le dire, messieurs, j'avais l'intention de traiter avant tout la question préalable puisqu'il est bien évident que cette question avait été posée virtuellement par M. le ministre des finances.
MjTµ. - Expressément et la Chambre en décidera lors du vote des articles.
M. de Haerne. - Il n'est donc pas étonnant que j'aie eu l'intention de commencer par l'examen de cette question.
Pour répondre aux observations faites par M. le ministre des finances et qui viennent d'être reproduites, avec de nouveaux détails, par M. le ministre de la justice, je crois devoir faire remarquer à la Chambre, que si elles peuvent être fondées en ce qui concerne la proposition elle-même, il reste à examiner si elles peuvent se rattacher directement ou indirectement à l'un ou à l'autre article de la loi.
Eh bien, je ne veux pas, pour le moment, trancher cette question qui est beaucoup trop compliquée ; elle s'étend à des objets de natures tellement différentes qu'il est évident qu'on ne peut pas la trancher d'une manière générale.
On ne peut pas dire à priori que toutes ces propositions se rattachent ou ne se rattachent pas à la loi, tellement elles sont nombreuses et compliquées. Il me semble donc, messieurs, qu'il faut nécessairement reproduire, s'il y a lieu, la question préalable à propos de chaque proposition ou amendement ; et qu'il est tout à. fait impossible de la trancher d'une manière générale.
Pour ce qui regarde la discussion de ces amendements, il me semble qu'elle est inévitable, car chaque fois que l'on a traité la question des fraudes électorales soit dans cette Chambre, soit dans la presse, soit ailleurs, on a constamment discuté toutes les questions qui s'y rattachent, preuve évidente qu'il est impossible de séparer ces questions de la discussion générale du projet relatif aux fraudes électorales.
En voulez-vous une autre preuve, messieurs ? C'est que la plupart de ces questions sont traitées avec étendue, avec connaissance et je dois dire avec talent dans le rapport de notre honorable collègue M. Crombez.
Ainsi, par exemple, pour ce qui regarde la proposition de l'honorable M. Orts, sur laquelle j'avais l'intention aussi de dire quelque mots, proposition que je ne désapprouve pas, mais que je voudrais modifier, - eh bien, l'honorable rapporteur y consacre 7 a 8 pages, - ce qui prouve qu'il a voulu appeler l'attention de la Chambre sur cette question comme sur d'autres, et qu'il est de toute impossibilité de les scinder, de les séparer, de les écarter de la discussion générale.
Je crois donc, messieurs, que la question préalable ne peut pas être admise dans les termes où elle a été formulée.
Quant au rapport qui peut exister entre les amendements proposés et les derniers articles de la loi, ce sont autant de questions sur lesquelles il y aura lieu de se prononcer séparément. Des explications devront être fournies par les auteurs des amendements quand nous serons arrivés aux articles et nous verrons alors s'ils ont ou s'ils n'ont pas directement trait à l'un ou l'autre article du projet.
Je ne puis donc pas accepter les questions préalables dans les termes généraux ou elle est formulée.
MfFOµ. - Les observations que vient de présenter l'honorable préopinant sont parfaitement justes : le gouvernement n'a pas, quant à présent, proposé la question préalable, puisqu'il n'y a pas de vote à émettre.
M. de Haerne. - Ah !
MfFOµ. - Mais c'est évident.
M. de Haerne. - Nous ne savions pas cela.
MfFOµ. - Il ne pouvait pas en être autrement, puisque nous sommes encore dans la discussion générale.
Mais pourquoi le gouvernement a-t-il annoncé cette motion dans la discussion générale ? C'est afin de convier les membres de la Chambre à ne pas se laisser entraîner dans une discussion interminable, et à aborder l'examen du projet de loi sur lequel nous avons à nous prononcer.
Evidemment, il y a deux questions qui se présentent : une question de principe, une question de fait.
La question de principe est celle qui a été traitée tout à l'heure et que, j'avais indiquée déjà : on ne peut pas confondre le droit d'initiative avec le droit d'amendement ; le droit d'amendement doit nécessairement être restreint dans les limites tracées par la Constitution ; cela est conforme aux principes établis par la Constitution elle-même.
Quant à la question de fait, il est certain qu'à propos de chaque amendement, il faudra examiner si cet amendement se rattache à un article du projet de loi ; dans la négative, on pourra y opposer la question préalable. Je reste convaincu que c'est la seule marche rationnelle, et qu'en la suivant nous abrégerons considérablement la discussion. On pourrait, par exemple, commencer immédiatement la discussion des articles, bien entendu si aucun membre n'avait plus d'idées à émettre dans la discussion générale.
Lorsque des amendements seront produits à l'occasion d'un article, on examinera donc si ce sont réellement des amendements au projet en discussion. Après avoir entendu les développements qui seront produits, la Chambre discutera ces propositions, ou les écartera par la question préalable, si elles n'ont pas véritablement le caractère d'amendements.
Si vous ne suivez pas cette voie, messieurs, il sera impossible d'aboutir à aucun résultat : la loi se compose déjà de 36 articles ; elle en aurait une centaine au moins si toutes les propositions faites ou annoncées y étaient introduites.
Dans le système que je combats, toutes ces propositions devraient faire l'objet d'un vote de la Chambre, sans qu'elle ait pu les examiner suffisamment, et sans que le gouvernement lui-même ait pu les apprécier, c'est-à-dire, sans aucune des garanties d'examen dont toute proposition de cette nature doit être entourée.
Je demande donc que la Chambre reste dans les termes du projet de loi qui lui est soumis ; c'est le seul moyen d'aboutir.
MpVµ. - D'après les explications qui viennent d'être données, on ne demande pas qu'on se prononce immédiatement et d'une manière générale sur la question préalable ; mais seulement qu'on examine à propos de chaque amendement s'il se rattache ou s'il ne se rattache pat à un article du projet de loi.
(page 1348) Si la Chambre voulait suivre cette voie-là, on abrégerait beaucoup la discussion.
La Chambre s'oppose-t-elle à ce qu'on aborde maintenant la discussion des articles ?
MfFOµ. - S'il n'y a plus d’observations générales à présenter.
MpVµ. - C'est indirectement une motion de clôture de la discussion générale. (Interruption.)
Je vais consulter la Chambre. (Nouvelle interruption.)
MfFOµ. - C'est une erreur ; il ne s'agit pas d'une motion de clôture de la discussion générale ; j'ai dit, au contraire, que si l'on avait des observations à présenter dans la discussion générale, on devrait naturellement le faire ; mais que, quant aux dispositions spéciales, on les discuterait lorsque l'on en serait arrivé aux articles auxquels on voudrait les rattacher ; qu'alors seulement on déciderait si, oui ou non, il y a lieu de prononcer la question préalable.
M. Kervyn de Lettenhove. - Je demande la parole.
MfFOµ. - Je demande donc que dans la discussion générale on se renferme dans la discussion générale ; je demande qu'on s'y occupe des fraudes électorales qui sont l'objet du projet de loi.
Peut-on, je le demande, à l'occasion de ce projet qui a uniquement pour but la répression des fraudes qu'on a eu l'occasion de constater en matière électorale, m'obliger à examiner les questions qui se rattachent à l'impôt des patentes, et cela parce que l'un ou l'autre membre aurait jugé à propos d'agiter ces questions dans la discussion générale ? Dois-je rechercher s'il faut réformer la loi communale, s'il faut ou non tenir compte, pour la formation du cens électoral, des centimes additionnels perçus au profit des provinces et des communes ? Peut-on, je le répète, m'astreindre à examiner toutes ces questions qui ne se rattachent en aucune manière au projet de loi. Evidemment cela n'est pas admissible. Maintenons-nous dans la discussion générale.
MpVµ. - Je ne suis saisi d'aucune proposition ; la discussion générale continue. J'engage les orateurs à se maintenir dans la discussion générale, sauf à examiner les amendements, lorsque la Chambre en sera aux articles que les amendements peuvent concerner.
La parole est à M. de Haerne dans la discussion générale.
M. de Haerne. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de vous dire tout à l'heure que j'avais l'intention de me placer à un point de vue général, en ce qui touche les fraudes en matière électorales. Cependant, en présence des observations qui sont énoncées dans le rapport de la section centrale, en présence des discours qui ont déjà été prononcés, il est impossible de ne pas rencontrer les questions qui ont été agitées précédemment.
Messieurs, il est un point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est que nous devons tâcher de supprimer, si c'est possible, toute espèce de fraudes en matières électorales.
Si je jette un coup d'œil sur ce qui s'est pissé et sur ce qui se passe encore dans la plupart des pays constitutionnels, je remarque que la question des fraudes électorales a été agitée partout ; qu'elle a fait presque partout l'objet de lois spéciales et que cependant nulle part on n'a atteint le but désiré. Après ces lois comme avant ces lois, on s'est plaint partout des fraudes électorales ; j'en conclus qu'il est imposable de les supprimer entièrement, bien que nos efforts doivent tendre à amener ce résultat autant que possible.
Cette observation, messieurs, je n'ai pas besoin d'insister sur ce point, cette observation n'a nullement pour but de discréditer les gouvernements parlementaires ; car dans les gouvernements qui ne le sont pas, on rencontre des fraudes d'une autre espèce, des abus d'un autre genre, des abus plus graves encore.
Concluons seulement de là qu'il n'y a rien de parfait en matière de gouvernements, mais qu'on doit tâcher d'atteindre à la perfection autant que possible.
Voilà le point de vue auquel il faut se placer lorsqu'il s'agit de lois répressives des fraudes électorales.
Il est bien certain que pour les lois électorales la nation confère d'une manière tacite ses pouvoirs au corps électoral, et aliène dans une certaine proportion sa souveraineté. Elle cède cette souveraineté presque entièrement dans les gouvernements absolus, et en partie dans les gouvernements représentatifs et constitutionnels.
En effet, le droit électoral est l'exercice de la souveraineté des peuples, dont l’aliénation, je le répète, est limitée depuis l'absolutisme jusqu'à la liberté la plus démocratique.
Ainsi, dans tel gouvernement populaire, comme dans l'ancienne république de Raguse, par exempte, qui ne fut supprimée qu'en 1806, par Napoléon, la souveraineté du peuple s'exerçait de telle manière que le chef de la république était révoqué chaque mois, et les fonctionnaires subalternes toutes les semaines ; quant au commandant militaire, il déposait chaque soir ses pouvoirs avec les clefs de la citadelle ; c'était de la démocratie très avancée, mais encore limitée, et cette démocratie marchait régulièrement.
On voit donc qu'il y a toutes sortes de démocraties et que le peuple, dans l'aliénation de sa souveraineté, peut stipuler des dispositions restrictives, suivant les circonstances locales, les temps, les mœurs, car il n'y a rien d'absolu en fait de gouvernements et tous peuvent être légitimes.
Messieurs, d'après l'idée générale que je viens d'émettre, on doit considérer les électeurs non seulement comme des mandants à l'égard des représentants qu'ils nomment, mais comme de véritables mandataires du peuple souverain.
Si les électeurs sont en réalité des mandataires, puisqu'ils n'ont de pouvoirs que par le consentement tacite de la nation tout entière, qui est la source de tout droit, surtout en Belgique où tous les pouvoirs émanent de la nation, s'il en est ainsi, on doit en conclure que ces mandataires doivent avoir une certaine instruction. Et ici j'aborde l'ordre d'idées que nous a présenté l'honorable M. Orts, qui a été discuté hier par l'honorable M. Vleminckx et qui fait l'objet de considérations très étendues dans le rapport de la section centrale.
J'ajoute, messieurs, qu'en présence de tout ce qui se passe dans la presse, dans le public, dans cette Chambre, il est impossible de discuter la question des fraudes électorales, sans aborder franchement la question du degré d’instruction que doivent avoir les électeurs.
Messieurs, quant à la capacité que l'on doit désirer chez les électeurs, et que l'on peut exiger jusqu'à un certain point, remarquons d'abord que le cens électoral, tel qu'il existe en Belgique, suppose une certaine instruction. Il crée une présomption en faveur de l'instruction des électeurs. Car il est bien évident que les gens qui possèdent quelque chose ont en général plus d'instruction que ceux qui ne possèdent rien. C'est à ce point de vue que s'est placé le Congrès lorsqu'il a admis le cens différentiel en matière électorale ; mais je ne m'étendrai pas sur ce point pour le moment.
La question qui se présente ici, messieurs, est celle de savoir si l'on peut aller au delà, si l'on peut exiger de la part des électeurs un certain degré d'instruction officiellement constaté. Je crois que oui, et j'abonde ici, à certains égards, dans la proposition qui nous a été faite par l'honorable M. Orts sous forme d'amendement. Je crois seulement devoir la modifier dans son application, en ce que je crois que cette application, telle qu'elle est proposée, est trop brusque, trop immédiate et qu'il faudrait remettre l'exécution de la mesure à trois ou quatre ans pour donner aux électeurs le temps de s'instruire. Ce délai me semble réclamé par l'équité qui doit présider à toute loi.
Dans ce sens, dans ces limites, j'accepte la proposition de notre honorable collègue.
Permettez-moi, messieurs, d'entrer dans quelques considérations, que je tâcherai d'abréger autant que possible, pour appuyer ces idées quant à la proposition en elle-même.
Pour ce qui regarde la restriction que je veux apporter dans l'exécution de la mesure, j'y reviendrai, si la suite des débats l'exige ; mais je veux abréger pour le moment.
D'abord, messieurs, je dois répondre à une objection qui a été faite presque chaque fois que cette question de l'instruction des électeurs a été agitée.
On a dit qu'il est impossible ou tout au moins très difficile de constater cette instruction. Comment allez-vous vous y prendre ? C'est la grave objection qu'on a faite.
Messieurs, je réponds par un fait. Je dis que cela existe, que cela se pratique d'une manière régulière dans un bon nombre d'Etats de l'Union américaine. Ainsi, dans le Massachusetts on exige que les électeurs sachent lire la constitution.
Aujourd'hui, messieurs, pour m'en tenir aux faits, car ils sont décisifs en cette matière, aujourd'hui cette question est très agitée, par rapport à une autre question qui a une haute gravité sociale : c'est tclle de savoir si l'on admettra les nègres, les esclaves affranchis au droit électoral.
Les anciens partisans de l'esclavage s'opposent, en général, à cette (page 1349) mesure ; la plupart des unionistes la demandent, et depuis quelque temps on transige, en disant qu’il est entré dans les mœurs des Américains de plusieurs Etats, d'exiger que les électeurs sachent lire. Quelques Etats exigeaient aussi l'écriture, il y a quelque temps ; mais la lecture seule est demandée dans la plupart de ces Etats.
Puisque cela est entré dans nos habitudes démocratiques, pourquoi ne pas appliquer, se dit-on, cette mesure aux nègres ? Il n'y a en cela ajoute-t-on, rien d'injuste, puisqu'on les met sur la ligne générale. De cette manière l'on transige, l'on entre dans une voie moyenne. Remarquez que les écoles de nègres ont été considérablement multipliées depuis le commencement de la guerre.
Vous voyez, messieurs, que cette question est agitée aujourd'hui en Amérique, que l'on on fait une question capitale pour le moment et que personne ne considère la mesure comme inexécutable.
Messieurs, vous me demanderez : Comment cela s'exécute-t-il. Il serait très difficile de le dire, parce qu'il y a autant de formes diverses que d'Etats différents, à raison de la grande décentralisation qui existe dans ce pays. Aussi, l’admission des nègres au scrutin est l'affaire de chaque Etat. Mais, si vous me le permettez, je vous dirai ce qui se fait dans certains Etats, comme dans le Massachussetts que je citais tout à l'heure, et où l'instruction est plus répandue que dans la plupart des autres Etats.
Ou forme les listes électorales à peu près comme ici. Les hommes qui sont universellement connus comme instruits sont portés sur ces listes.
Les listes sont publiées, et quand il n'y a pas de réclamation de la part des partis intéressés, après un certain délai, ceux qui sont portés sur les listes sont admis comme électeurs. S'il y a de nouveaux électeurs de l'instruction desquels on doute, on peut les mettre à l'épreuve devant une commission. On leur propose quelques lignes de la Constitution à lire et l'autorité décide.
Voilà ce qui se passe dans certains Etats et ce qui vous prouve que la chose est possible.
M. Thonissenµ. - Il n'en est pas de même pour l'écriture.
M. de Haerne. - Il n'en est pas de même pour l'écriture ! Cependant, puisque vous m'interrogez là-dessus, je dirai qu'on ne la repousse pas. J'ai en main un journal qui traite de la question, c'est le Daily national Republican de Washington.
Il cite, à propos des nègres, un grand nombre d'autorités, d'abord d'autres journaux, tels que le Herald, la Tribune, journal démocratique. Il cite aussi l'autorité du général Washburton. ; celle de Sherman, frère du vainqueur d'Atlanta, qui est membre du Sénat. Il cite l'autorité de Philips. Toutes ces autorités, tous ces hommes distingués d'Amérique abondent dans ce sens qu'il faut admettre les nègres au poll, sauf à demander qu'ils sachent lire et écrire. On ajoute l'écriture dans ce cas. Mais je dis que jusqu'ici l'on n'a pas exigé partout l'écriture.
M. Crombez, rapporteur. - Exige-t-on la même chose pour les blancs ?
M. de Haerne. - La lecture dans un certain nombre d'Etats, oui ; mais pas partout. J'ai commencé par dire que le régime diffère d'après les Etats en raison de la grande décentralisation. Il y a beaucoup d'Etats où l'on n'exige des électeurs la connaissance ni de la lecture ni de l'écriture. Mais dans d'autres ou exige une certaine instruction, et les électeurs douteux sont soumis à une épreuve.
Si vous voulez que je cite un auteur, voyez l’Almanach national de cette année, qui fait mention de la loi de 1864. Vous y trouverez le régime établi eu 1864 pour le Massachusetts.
M. Thonissenµ. - Il y a trois Etats qui ont admis cela.
M. de Haerne. - Mais il ne s'agit pas ici de discuter s'il y a un grand nombre d'Etats. Je pourrais enter dans de longues considérations à ce sujet, il s'agit de savoir si la chose est possible, si elle s'exécute et je dis que oui.
MfFOµ. - Mais on ne l'applique pas une fois en quatre ans.
M. Thonissenµ. - On applique cela aux noirs. Je réponds : C'est possible, puisque cela se fait.
M. de Haerne. - Messieurs, en acceptant la proposition de l'honorable M. Orts, ne croyez pas que je veuille faire ici acte de générosité.
Ne vous faites pas illusion sur ma manière de voir. Je suis assez franc pour vous déclarer que, dans ma manière de voir, la proposition de l'honorable M. Orts est favorable à l'opinion que j'ai l'honneur de représenter dans cette enceinte, surtout en ce qu'elle favorise les campagnes, dont les intérêts ont été froissés par l'abolition du cens différentiel.
M. Orts. - Cela ne m'effraye pas.
M. de Haerne. - J'admets votre proposition comme juste ; maïs, je le répète, je ne veux pas qu'on suppose que je me donne ici des airs de générosité. Je veux rester dans la justice et j’approuve la proposition, dans les limites dont j'ai parlé tout à l'heure. Je crois cette mesure favorable aux influences que je défends dans les limites du juste et du vrai. Elle est à l'avantage des campagnes ; c'est ce que j'ai à vous prouver.
Permettez-moi donc, messieurs, d'entrer dans quelques détails, pour faire voir qu'il y a aujourd'hui, d'après les rapports officiels qui nous ont été communiqués de la part du gouvernement, d'après les rapports triennaux sur l'instruction primaire, plus d'enfants qui savent lire et écrire dans les communes rurales que dans les villes.
Messieurs, il me suffira de vous citer les chiffres, et vous allez voir que la proportion en faveur des campagnes est assez forte.
MfFOµ. - C'est tout simple. La population des campagnes est plus forte.
M. de Haerne. - L'honorable M. Frère a raison de m'interrompre ; je n'ai pas été assez clair, j'aurais dû ajouter que c'était en proportion de la population.
Je vous remercie de l'interruption, M. le ministre.
Si je prends en main le rapport triennal de 1855 à 1857, je trouve que la population totale des villes était, au 31 décembre 1857, de 1,199,964 habitants. La population des campagnes était, à la même époque, de 3,337,272 habitants.
Je prends maintenant le tableau concernant les élèves primaires dans les villes et les é lves primaires dans les campagnes.
Je trouve pour les villes 111,890 élèves dans les écoles primaires.
Dans les communes rurales je trouve 394,197 élèves primaires.
J'arrive à la proportion.
Je prends la proportion des élèves des villes par rapport à la population totale des villes et je trouve qu'il y a 9.31 élèves par 100 habitants.
Je fais la même opération pour les campagnes et je trouve que les élèves des communes rurales, par rapport à la population de ces communes, sont dans la proportion de 11,67 par 100 habitants.
Par conséquent, il y a en faveur des campagnes 2.36 élèves de plus par 100 habitants, c'est-à-dire une différence de plus de 25 p. c, une différence de 25.34 p. c. en faveur des campagnes.
Vous pourriez croire, messieurs, que ces chiffres, qui se rapportent à 1857, ne se sont pas maintenus dans les mêmes proportions, depuis les nouveaux efforts qui ont été faits, efforts très louables, en général, auxquels nous ne pouvons trop applaudir, de la part des villes pour développer l'instruction primaire dans les communes urbaines.
Eh bien, messieurs, détrompez-vous, la proportion est restée largement la même, et si je consulte le rapport triennal sur la période de 1858 à 1860, en prenant encore une fois de part et d'autre la population totale et la population scolaire, j'arrive à une proportion qui est encore un peu plus forte en faveur des campagnes que celle que j'ai eu l'honneur de signaler pour la période triennale précédente.
Il est vrai que la différence n'est pas considérable, puisque pour la deuxième période je trouve 25.36 p. c. à l'avantage des campagnes tandis que pour la première j'ai trouvé 25.34. Vous direz que la différence est insignifiante ; mais je veux seulement constater que, malgré les efforts dont j'ai parlé et quoique la population générale des villes se soit accrue plus que celle des campagnes, la proportion s'est non seulement maintenue, mais qu'elle a une tendance à l'accroissement en faveur des campagnes.
Vous voyez donc, messieurs, que je n'ai aucun motif pour m'opposer à la proposition de l'honorable M. Orts, qui tend à rendre justice aux communes rurales.
Nous avons tons à nous féliciter, messieurs, des résultats obtenus par les mesures qui ont été prises en faveur de l'enseignement et des conséquences de la noble lutte, qui s'est établie et qui augmentera, je l'espère, entre les villes et les campagnes pour le développement de l'instruction primaire. Ce sera tout à l'avantage de l'enseignement et de l'exercice équitable du droit électoral ; c'est un double avantage que nous devons tous désirer.
J'ai eu l'honneur de dire tout à l'heure, messieurs, et je rentre ici dans la discussion générale, j'ai eu l'honneur de dire que dans ma manière de voir il y aura toujours des fraudes, des abus en matière électorale, comme en toute autre matière.
La raison en est toute simple : quoi qu'on fasse, il est dans la nature des choses qu'une pression morale ou matérielle s'exerce de la part des classes supérieures à l'égard des classes inférieures. Cela se voit en (page 1350) Angleterre, cela se voit aux Etats-Unis comme dans les pays les plus centralisés.
Nous n'en devons pas moins chercher tous les moyens pratiques de restreindre ces abus, d'arriver à une suppression aussi complète que possible de toute espèce de fraude ou de pression, soit matérielle soit morale, en matière d'élections. C'est un but que nous devons chercher à atteindre, mais que nous n'atteindrons jamais d'une manière pleine et entière.
L'honorable comte de Theux vous disait hier avec beaucoup de vérité : Il y a dans l'Europe entière une tendance générale à la tolérance en matière religieuse. C'est un progrès ; la tolérance religieuse est un grand principe constitutionnel que nous devons tacher de propager et d'inculquer à nos populations.
Si cette tolérance doit se manifester en matière religieuse, je ne crains pas de dire que nous devons tâcher de l'étendre à toutes les autres matières et notamment aux opérations électorales. J'ose dire que cette tolérance appliquée aux élections de la part des classes supérieures, serait une chose extrêmement avantageuse pour réprimer les fraudes. Il faut prêcher la tolérance aux classes supérieures pour que, pénétrées de cet esprit de loyauté, de justice et d'honneur, ces classes comprennent de plus en plus que la civilisation exige qu'on accorde à l'électeur la plus grande liberté possible.
Messieurs, tous les bons citoyens, selon moi, doivent s'attacher à faire entrer cette tolérance de plus en plus dans nos mœurs politiques. Ce sera, je le répète, la plus forte garantie contre les fraudes électorales. Pour atteindre ce but éminemment pratique, je voudrais voir les partis s'organiser de manière à pouvoir indemniser ceux de leurs membres qui seraient victimes d'une pression frauduleuse de la part d'un autre parti. Il y aurait là aussi une grande et noble émulation qui tendrait à restreindre les fraudes électorales, tant au point de vue matériel qu'au point de vue de la pression morale.
Mais, messieurs, n'exagérons pas les choses, et en nous appesantissant trop sur les fraudes électorales, ne décrions pas le régime constitutionnel ou, au moins, évitons autant que possible qu'on ne jette un blâme sur nos institutions à l'étranger.
Les fraudes, en général, quelles qu'elles soient, ne peuvent pas être considérées comme destructives de la souveraineté populaire. Pourquoi ? Parce que le peuple a dû les prévoir et les a prévues ; et que, malgré cette prévision, il a admis le système électoral le plus conforme aux besoins de la situation, il a voulu restreindre sa souveraineté dans ces limites.
C'est ainsi que nous pouvons dire que, malgré les inconvénients qui résultent de ce système, le peuple remet ses pouvoirs entre les mains d'électeurs, qui sont ses mandataires. Il leur confie ses pouvoirs par un consentement au moins tacite. C'est ce qui donne au régime basé sur les élections une haute sanction morale, un caractère d'inviolabilité.
Quelque éloigné que puisse nous paraître le triomphe des idées morales dans cette matière, et de cette tolérance que nous devons appeler de tous nos vœux, pour que la loyauté préside à l'exercice du droit électoral, ne l'oublions pas, messieurs, le scrutin, à côté du couloir imaginé pour obvier aux fraudes électorales, présente une garantie morale, qui est au-dessus de toutes les précautions matérielles, en ce sens que l'élection est, par sa nature une véritable sauvegarde contre les mouvements révolutionnaires.
Oui, messieurs, l'urne électorale est, à mes yeux, un instrument de salut politique pour notre société. C'est une soupape de sûreté à travers laquelle passent, avec la vapeur surabondante des passions politiques, les griefs vrais ou imaginaires du peuple, et c'est ainsi que l'on prévient, par les opérations électorales, surtout lorsqu'elles s'exécutent consciencieusement, ces explosions soudaines et fatales, auxquelles on serait exposé si l'on n'avait pas le moyen salutaire d« concilier l'ordre et la liberté. J'ai dit.
(page 1401) M. Van Doncktµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole d'abord pour rappeler à votre attention spéciale les observations judicieuses qu'a présentées dans un remarquable discours notre honorable collègue M. de Theux.
Je crois que si ses propositions étaient adoptées par la Chambre et mises en application, nous parviendrions à établir un système électoral qui préviendrait un grand nombre de fraudes qui se pratiquent aujourd'hui, et entre autres c'est sur la formation des bureaux que j'appelle particulièrement votre attention.
La formation des bureaux donne lieu aujourd'hui à des fraudes et ces fraudes ont été signalées d'une manière complète et exacte dans la section centrale de 1862 à laquelle j'avais l'honneur d'appartenir.
L'honorable rapporteur a de nouveau traité cette question qui mérite la plus sérieuse attention de notre part. Je regrette que la section centrale n'ait pas modifié la formation des bureaux.
Messieurs, j'aurais à dire quelques mots aussi sur le discours de l'honorable M. Lelièvre dont je partage en grande partie les opinions, sur plusieurs passages de son discours, d'abord au sujet de l’indemnité à accorder aux électeurs, comme cela se fait à l'égard des témoins et des jurés, et moi j'ajouterai : comme aux représentants et aux conseillers provinciaux ; en second lieu d'ajouter les centimes additionnels pour former le cens électoral, même ceux admis par les provinces et les communes à l'effet d'assurer le payement des dépenses obligatoires, et en troisième lieu au sujet de l'aggravation des pénalités de la législation en vigueur, et en cette matière la parole de notre honorable collègue, jurisconsulte distingué, a une grande autorité ; et en effet on suscite des nombreuses difficultés et on multiplie sans raison les causes de nullité en ce qui concerne la désignation des candidats, tandis qu'on devrait les restreindre dans la mesure du possible.
Le projet de loi du gouvernement supprime complètement les repas électoraux le jour même de l'élection.
La section centrale mieux avisée et ayant examiné à fond cette question n'a pas maintenu ce système et laisse les repas libres.
Je crois, messieurs, que c'est une bonne mesure et qu'il est indispensable que l'une ou l'autre des mesures soit adoptée : soit l'indemnité à l'électeur, soit le repas le jour des élections, soit le rapprochement de l'urne des électeurs.
Il est indispensable de ne pas priver les électeurs de toute indemnité et je vais le prouver.
Quant à rapprocher l'urne des électeurs, je crois que nos honorables adversaires ne veulent pas de ce système, et je respecte leur opinion, toutefois sans la partager.
Mais parlons du second point, celui des repas le jour des élections.
Après la session prochaine, nous serons dans le cas de procéder à de nouvelles élections, et je vais vous dire en peu de mots ce qui se passe.
Une tournée électorale est faite, soit par le candidat lui-même, soit par ses amis. Cette mesure est de rigueur. On se rend chez les électeurs et chez les principaux agents électoraux, dans les campagnes, chez les personnes qui ont de l'influence.
Eh bien, le premier mot que l'on adresse à la personne qui se présente est celui-ci : Que peut-on offrir à monsieur ?
C'est là un usage traditionnel qui est une conséquence de notre esprit d hospitalité, même envers l'étranger, que naguère encore on vantait si haut et dont on est si fier ; ce sont ces mœurs patriarcales et ces sentiments de généreuse cordialité qu'on voudrait étouffer et enfreindre par la loi qui ne peut être dictée que par un esprit étroit et mesquin de lésinerie indigne d'un législateur.
On s'adresse donc à l'électeur et on l'engage à venir voter, on reçoit chez lui le meilleur accueil, toute espèce de politesse et l'on voudrait que celui qui vient l'engager à se déranger le jour de l'élection ne pût pas, par réciprocité, l'engager à venir dîner en société avec lui au chef-lieu.
Dans le système du gouvernement on veut forcer le campagnard à un pèlerinage à jeun. Cela n'est pas admissible, mais vous ne pouvez exiger qu'il dépense de sa poche et vous devez le mettre sur un pied d'égalité avec les électeurs qui vont aux élections en pantoufles. Quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, on n'empêchera pas que le jour des élections ne soit un jour de fête et non un jour d'abstinence.
Voilà, messieurs, un point sur lequel j'insiste et sur lequel nous avons à émettre un vote, et je crois que la grande majorité de la Chambre sera d'accord soit pour l'un soit pour l'autre, soit pour accorder l'indemnité à l'électeur, soit pour permettre à l'élu de régaler ses électeurs.
Il me semble impossible de procéder autrement.
Du reste soyons-en bien persuadés, les électeurs tiendront compte de votre vote. Ils examineront de près si la Chambre aura été aussi généreuse qu'ils le sont eux-mêmes. Eu effet, que dira d'abord l'électeur ? n'ai-je pas appris que les dîners seront supprimés, mais est-ce que l'indemnité des représentants est supprimée aussi ? Oh non ! répondra-t-on, c'est la Constitution qui l'accorde.
Oh ! non, c'est la Constitution qui l'accorde. C'est la Constitution qui l'accorde, mais qui défend d'accorder l'indemnité aux électeurs ? Réponse : C'est la loi. Ah ! C'est la loi. Mais qui est-ce qui fait la loi ? Ce sont messieurs les représentants. Comment ! ce sont messieurs les représentants qui de par la loi veulent nous priver d'une indemnité le jour des élections, alors que la Constitution leur donne et qu'ils perçoivent une indemnité pour siéger dans l'enceinte de la Chambre ! Cela ne peut être. A mon avis l'indemnité doit être accordée aux électeurs comme aux représentants et cette mesure ne souffrirait aucune difficulté.
Nous ne pouvons nous écarter de nos anciennes habitudes et la section centrale a si bien compris qu'il était impossible de prendre une mesure radicale dans le sens de la suppression de l'indemnité, qu'elle a maintenu la liberté de recevoir et régaler ses amis le jour des élections.
L'électeur campagnard a le sentiment de sa dignité et ce n'est pas un dîner qui le fera changer, qui le fera aller de droite à gauche ou de gauche à droite, mais il prétend être traité loyalement, cordialement comme il traite les autres, il prétend être traité sur un pied d'égalité comme les électeurs citadins. Il y a du reste à dîner dans les deux camps, qu'on prenne des mesures contre les excès et les orgies, je le veux bien, mais là doit se borner l'action du législateur.
Messieurs, j'ai déjà dit que les conditions du projet de loi sont telles qu'un grand nombre de bulletins sera annulé. Eh bien, je le demande, est-il logique, quand il faut tant d'efforts pour amener l'électeur au scrutin, de se montrer d'une rigidité que j'appellerai ridicule, d'inscrire dans le projet des pénalités que l'honorable comte de Theux et l'honorable M. Lelièvre ont signalées comme exorbitantes ? Il faut réduire ces pénalités....
M. Crombez, rapporteur. - Nous verrons cela à la discussion des articles.
M. Vander Donckt. - C'est pourquoi je les signale. Car dans l'état actuel des choses le résultat du projet sera d'écarter du scrutin les électeurs qui auraient la bonne volonté d'y venir ; votre projet est un système d'intimidation et les électeurs s'abstiendront d'user de leur droit dans la crainte de se voir poursuivis en justice.
Quelques mots maintenant de la proposition de M. Orts. Cet honorable membre nous propose une mesure dont la mise à exécution ma paraît devoir présenter des difficultés inextricables et qui serait d'ailleurs sans efficacité, par la raison qu'en général tous les électeurs savent lire et écrire. S'il y en a quelques-uns qui font exception, ce sont les électeurs nouveaux qui ont été formés par la loi qui admet l'impôt sur les boissons distillées dans la fixation du cens électoral.
M. Vleminckxµ. - Tant mieux pour vous.
M. Vander Donckt. - L'adoption de la. proposition de M. Orts serait, je le répète, peu importante, car il y a fort peu d'électeurs, même dans les campagnes, qui ne sachent pas lire et écrire. L'honorable M. Orts trouve que l'instruction est très peu répandue. Mais sur quoi base-t-il cette appréciation ? sur les constatations faites lors des opérations de milice ? Mais remarquez-le bien, on ne peut pas confondre sous ce rapport le milicien et l'électeur, car la milice atteint toutes les classes, jusqu'aux plus infimes, tandis que le droit électoral n'appartient pas à tout le monde ; pour être électeur il faut déjà posséder quelque chose, et c'est là une présomption que l'on sait lire et écrire.
La proposition de M. Orts ne produira pas, selon moi, de résultats sensibles ; mais puisqu'elle nous est présentée, je demanderai, afin que nous puissions l'examiner en connaissance de cause, que le gouvernement veuille bien faire une enquête et nous présenter dans un avenir peu éloigné la liste des électeurs qui ne savent pas lire et écrire. J'ai dit.
(page 1350) M. Eliasµ ; - Je tenais à présenter quelques observations sur les amendements de MM. Delcour, etc. ; mais en présence des considérations qui ont été présentées par M. le ministre des finances, je demande à ne présenter mes observations que lorsque ces amendements seront en discussion.
M. Giroulµ. - Dans la séance d'hier, M. le comte de Theux, en abordant la discussion de la loi sur les fraudes électorales, a cru devoir s'entourer des souvenirs du Congrès national et placer ses observations sous le patronage de cette grande assemblée. Je ne verrais aucune espèce d'inconvénient dans cette réminiscence des premiers jours de notre nationalité, puisque moi aussi je professe pour les principes consacrés par notre assemblée constituante le respect le plus profond, si, dans ses commentaires, l'honorable membre avait sainement apprécié les faits qui se sont passés au Congrès. Mais, dans les paroles qui ont servi d'exorde à son discours, M. de Theux s'est placé à un point de vue que nous ne pouvons ni ne devons admettre ; il a énoncé un principe qui, selon moi, serait le renversement complet de toutes les dispositions de nos lois, de tous les grands principes qui servent de base à notre droit public.
En effet, faisant une revue rétrospective qui n'était peut-être pas tout à fait de mise dans la discussion actuelle, l'honorable comte de Theux est revenu sur le cens différentiel et a été jusqu'à dire que le Congrès national, dans la première organisation qu'il avait faite, avait établi le cens de telle sorte que le nombre d'électeurs devait être le même dans les villes que dans les campagnes, c'est à-dire...
M. de Theuxµ. - Je n'ai pas dit cela.
M. Giroulµ. - J'ai noté textuellement les paroles de l'honorable M. de Theux.
M. de Theuxµ. - Quand vous lirez mon discours au Moniteur, vous verrez que vous êtes dans l'erreur.
M. Giroulµ. - L'honorable M. de Theux a dit ceci : il a dit que, dans la pensée du Congrès national et lors de la première organisation politique que cette assemblée a décrétée, elle avait basé toute cette organisation sur la population, et qu'elle avait fait en sorte que le nombre d'électeurs fût le même dans les districts ruraux que dans les villes, de manière à établir une balance complète entre les électeurs de ces deux catégories... (interruption) ou tout au moins une balance proportionnelle entre les villes et les campagnes.
Eh bien, je dis que cette distinction entre les électeurs ruraux et les électeurs urbains ne repose sur aucune de nos dispositions constitutionnelles. Je dis même qu'elle est contraire à tout l'esprit de notre droit public, et qu'elle n'a pu entrer dans la pensée du Congrès.
En effet, quels sont les principes qui servent de base à notre Constitution ? L'égalité de tous les citoyens devant la loi, l'absence de toute espèce de distinction, d'ordre, de caste. En un mot, on est citoyen belge ; toute autre espèce de distinction disparaît, soit quant à la capacité des droits civils, so.t quant à l'aptitude des droits politiques. Quelles sont les conséquences à tirer de ces principes incontestables ? C'est que, pour les villes comme pour les campagnes, les seules conditions à demander à l'électeur doivent être les mêmes et particulièrement le payement d'un cens uniforme.
Par conséquent, ces souvenirs de 1831 que l'honorable M. de Theux évoque avec un plaisir manifeste, ces regrets, très contenus, je le constate, qu'il a exprimés, sur la réforme parfaitement justifiée à mes yeux accomplie en 1848, par le ministère libéral en fixant le cens aux dernières limites et en le rendant uniforme entre les villes et les campagnes ; ces regrets et ces prédilections, dis-je, ne se justifient d'aucune manière. Faisons donc disparaître tous ces griefs rétrospectifs sur l'inégalité de position entre les campagnes et les villes. Disons la vérité, messieurs, disons que pendant 17 ans les villes se sont trouvées dans un état d'infériorité que rien ne justifiait.
Si ce Congrès, guidé par des idées de prudence que les événements expliquaient, a cru devoir admettre un cens différentiel dans sa première loi, les événements subséquents n'ont plus justifié cette différence, et bien avant 1847 on aurait dû la faire disparaître.
Ainsi que le disait tout à l'heure l'honorable M. de Haerne, le cens est une présomption de capacité, c'est aussi une présomption d'esprit d'ordre, une garantie de stabilité, une garantie pour la société dans le chef de celui qui prend part à la vie politique. Eh bien, c'est surtout dans les villes que le citoyen est le mieux à même d'apprécier les questions politiques ; il possède les moyens de les élucider dans des conférences, dans des associations politiques, dans la presse ; c'est par conséquent le citoyen des villes qui est le mieux à même de jouir d'un des droits les plus précieux consacrés par la Constitution.
Du reste, l'honorable M. de Theux me paraît s'être trompé encore à un autre point de vue. Il considère comme un principe sacré l'existence du payement d'une quotité d'impôt chez l’électeur ; il le considère comme un principe admis par le Congrès national.
Il est très vrai que, dans la Constitution, on a pris une limite assez élevée, eu égard à la situation actuelle, au delà de laquelle on ne pourrait pas appeler à l'exercice du droit de suffrage pour les chambres législatives ceux qui ne payeraient pas cette quotité d'impôt. Mais il est également vrai que le Congrès a proclamé d'une manière claire, précise et sans restriction aucune que tous les pouvoirs émanent de la nation ; il a consacré expressément le principe de la souveraineté nationale et il a (page 1351) ainsi implicitement reconnu et déclaré que tout les citoyens ont le droit, soit actif, soit réservé à un avenir meilleur, de prendre part aux délibérations delà nation et d'exercer la plénitude de leurs droits politiques.
On a fait une réserve pour l'élection des Chambres législatives, mais cette réserve n'a pas été faite pour les élections provinciales et communales, et c'est la preuve la plus palpable que le Congrès national n'a pas considéré le cens comme un principe, mais l'a simplement admis comme un moyen de constater une présomption de garantie d'ordre, et peut-être aussi une présomption d'intelligence.
Cela est tellement vrai que si le cens avait dû servir de base unique à toutes nos élections, on aurait fait de 1830 à 1836 une masse d'élections illégales ; car, vous ne l'ignorez pas, messieurs, ce n'est qu'à partir de 1836 qu'on a exigé, pour être électeur communal, le payement d'un certain cens.
Vous connaissez en effet cet arrêté du gouvernement provisoire dont l'article 2 porte que dans toute les communes les notables seront appelés à élire leurs bourgmestres, échevins et conseillers communaux ; les notables seront choisis parmi ceux qui, par leurs professions, donnent au législateur une garantie d'intelligence. Les avocats, les notaires, les médecins, les instituteurs, les vétérinaires, les arpenteurs jurés, etc., se trouvent par cet arrêté au nombre des notables admis à voter.
Ainsi, messieurs, de 1830 à 1836, les capacités entendues d'une manière très large ont pris part aux élections communales, ce qui prouve que le Congrès n'a pas proclamé que le cens était une condition indispensable pour être admis à l'électorat. Il a pensé, au contraire, que c'était une exception qu'il fallait admettre par excès de prudence peut-être, et pour un temps qu'il n'a pas déterminé ; mais il a laissé toute latitude aux législatures futures en ce qui concerne les élections provinciales et communales.
Ceci, messieurs, devrait m'amener à vous parler de l'extension du droit de suffrage au point de vue de ces deux catégories d'électeurs ; mais en présence des explications qui ont été échangées au commencement de la séance, en présence de la volonté bien caractérisée de la Chambre de se renfermer uniquement dans les limites du projet de loi, je n'en dirai qu'un mot.
Quant à moi, messieurs, après y avoir mûrement réfléchi, je persiste dans l'opinion que j'ai exprimée au conseil provincial de Liège l'année dernière, lorsque cette assemblée, après une longue discussion, a décidé qu'elle demanderait l'extension du suffrage non pas seulement par l'abaissement du cens, mais en modifiant les bases de la capacité électorale de manière à rechercher les garanties d'ordre et de moralité dans l'instruction. Je persiste dans cette manière de voir et je crois que dans un avenir prochain il y aura lieu de s'occuper de cette question d'extension du droit de suffrage, et de rechercher dans quelle mesure il faudra donner satisfaction à l'opinion publique sous ce rapport.
Ma conviction à cet égard est d'autant plus vive qu'il faut reconnaître que dans la situation actuelle il y a certainement des anomalies.
Ainsi, le cens différentiel existe dans toute sa force pour les élections communales. (Interruption.)
Je ne serai pas long ; je signale, en passant, cette question ; elle a été traitée dans le rapport de la section centrale ; la Chambre me permettra donc de dire deux mots.
Je dis que, dans un avenir plus ou moins éloigné, cette question devra être résolue et qu'il y aura lieu d'introduire des modifications.
En effet, deux conseils provinciaux importants, ceux du Brabant et de Liège, ont appelé l'attention de la Chambre sur ce point. D'étranges anomalies existent. Ainsi, d'après le cens différentiel qui est en vigueur, voici ce qui s'est passé à Huy, il y a trois ans ; la ville de Huy avait une population de 10,000 habitants, elle était placée dès lors dans une catégorie où elle payait un cens inférieur ; d'après le nouveau recensement, elle arrive à une population de 10,000 habitants et qu'en résulte-t-il ? Elle doit payer un cens supérieur, et elle perd 75 à 80 électeurs qui auparavant prenaient part aux opérations électorales pour la commune.
Evidemment un résultat semblable va à l’encontre du désir de nous tous ! Nous ne voulons pas restreindre le droit de suffrage, à mesure que la population augmente dans une ville ; nous voulons arriver à un résultat complètement opposé.
Vous voyez donc que, dans l'état actuel des choses, il y a des anomalies étranges et qu'il y aura lieu de les faire cesser.
Cela dit, je rentre dans l'examen direct du projet de loi en discussion.
L'honorable M. Orts a présenté un amendement ayant pour but de faire rayer de la liste électorale tous les électeurs qui ne sauraient lire ni écrire...
M. Orts. - Pas le moins du monde : je les maintiens.
M. Giroulµ. - Si l'honorable membre est conséquent, il doit aller plus loin.
Je partage sa manière de voir ; à mes yeux, c'est une garantie à exiger de la part des électeurs que celle de savoir lire et écrire ; mais, je le répète, si l’honorable membre est conséquent, il doit aller plus loin, il doit demander que tous les électeurs qui, aujourd'hui, ne savent ni lire ni écrire soient rayés de la liste électorale.
Quant à moi, je déclare à l'honorable membre que je le suivrai dans cette voie....
M. Orts. - Allez en avant. Moi, je ne vais pas jusque-là.
M. Giroulµ. - Si la proposition de l'honorable M. Orts n'est pas écartée par la question préalable, elle sera rattachée à l'article premier de la loi électorale qui règle les conditions requises pour être électeur ; alors j'appellerai l'attention de la Chambre sur une autre anomalie qui existe et je présenterai un amendement pour changer la condition d'âge dans l'article premier de la loi électorale... (Interruption.)
MpVµ. - M. Giroul, nous ne sommes pas dans la loi électorale.
M. Giroulµ. - Je discute l'amendement de l'honorable M. Orts ; l'honorable M. Vander Donckt vient de le discuter...
M. Bara. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
M. Giroulµ. - Du reste, je n'ai qu'une observation à faire ; ce ne sera pas long.
- Des membres. - Parlez !
M. Giroulµ. - La seconde condition exigée pour être électeur, d'après l'article premier de la loi électorale, c'est d'être âgé de 25 ans accomplis. Voici l'anomalie qui m'a frappé : pour être électeur communal, il ne faut être âgé que de 21 ans. De même, pour avoir la jouissance de ses droits civils, il ne faut être âgé que de 21 ans. Il y a plus : pour pouvoir exercer des fonctions judiciaires très importantes, celles de substitut de procureur du roi, il ne faut être âgé que de 21 ans.
Or, je me suis toujours demandé pourquoi il faut être âgé de 25 ans pour pouvoir être électeur en matière d'élections législatives et provinciales ; j'ai toujours cru et je crois encore qu'on peut très convenablement être électeur pour les Chambres à l'âge de 21 ans.
Comment ! ou est majeur à 21 ans, pour disposer de sa personne, de sa fortune, pour faire les actes les plus importants de la vie civile ; pourquoi ne serait-on pas électeur aux Chambres à l'âge de 21 ans ? (Interruption.)
L'honorable M. Dumortier qui m'interrompt est le père de la loi communale ; c'est lui qui a fait un rapport favorable sur cette disposition de la loi communale que je désire voir introduire dans la loi électorale ; il doit donc être de mon opinion. (Interruption.) Je puis me tromper, mais je crois qu'il faut une maturité d'esprit aussi grande pour apprécier les intérêts communaux, surtout dans les grandes villes, que pour juger des intérêts du pays.
Messieurs, l'honorable M. de Theux s'oppose à ce qu'on prohibe complètement les dépenses électorales ; il veut les conserver ; il trouve que ce serait poser un acte éminemment regrettable vis-à-vis des électeurs ruraux, si on ne leur accordait pas une indemnité et si on venait à supprimer les dîners électoraux.
Je ne puis partager la manière de voir l'honorable membre ; je pense, au contraire, que le gouvernement a été très heureusement inspiré en proscrivant l'indemnité et en prohibant les dîners électoraux dans son projet de loi.
Je suis parfaitement d'accord avec le gouvernement sur ces points. Et si un doute avait pu exister dans mon esprit à cet égard, l'argument qu'a fait valoir hier l’honorable M. de Theux m'aurait complètement déterminé.
En effet, l'honorable membre vous a dit que les campagnards sont déjà dans une situation défavorable ; qu'ils doivent se donner des peines pour exercer leurs droits d'électeurs, et qu'ils déserteront le scrutin si on supprime les dîners électoraux.
Je ne puis partager une semblable manière de voir. Je crois que l'honorable M. de Theux se méprend complètement sur les idées qui ont cours dans les campagnes.
En effet, que signifie en réalité le langage que nous avons entendu hier ? Que les campagnards n'ont aucune conscience de l'importance du droit qu'ils exercent ; qu'ils arrivent au scrutin, non pas avec la conviction qu'ils accomplissent un des actes les plus essentiels de la souveraineté nationale, qu'ils remplissent un grand devoir civique, mais seulement avec la perspective de profiter d'un bon dîner et d'avoir l'occasion de s'amuser.
Eh bien, je proteste, au nom des campagnards contre une pareille (page 1352) allégation, et il me sera facile de démontrer que cette interprétation est complètement inexacte, et le démontrer à l’aide de faits.
Quels sont, les collèges électoraux les plus importants ? Ce sont les collèges électoraux de Bruxelles et ceux de Liège. Là il n'y a pas de dîners électoraux, il n'y a pas de dépenses électorales. Les campagnards ne sont pas attirés par l'attrait des repas électoraux.
M. Delcourµ. - Il n'y a pas de lutte. (Interruption.)
M. Giroulµ. - Cependant qu'avons-nous vu ? Consultez les annales électorales ; prenez deux époques caractéristiques : 1857 et 1864. Voyez si, en 1864, les électeurs ruraux de l'arrondissement de Bruxelles ne sont pas venus au scrutin ; voyez s'ils ne sont pas venus exercer leurs droits politiques, parce qu'ils savaient que l'intérêt du pays exigeait leur intervention et qu'il s'agissait d'une question de prépondérance entre les deux partis qui le disputent le pouvoir dans notre pays.
Voyez si, en 1857, malgré la saison avancée, malgré les circonstances défavorables dans lesquelles ces élections ont été faites par suite des événements qui ont amené la dissolution de la Chambre, les campagnards ne sont pas venus au scrutin, s'ils n'ont pas fait cet acte civique, et cela en l'absence de tous dîners électoraux.
Et l'année dernière, à Liège, où, depuis 17 ans, il n'y avait plus de dîners électoraux, où cette habitude détestable avait disparu complètement, l'opinion contraire à celle qui m'a envoyé ici a cherché à les ressusciter. Elle a organisé les dîners électoraux ; elle a fait appel au dévouement des campagnards, à l'appui desquels l'honorable M. de Theux attache une si grande confiance. A Liège, les campagnards sont venus, ils ont voté pour la majorité libérale et ils ont dédaigné les dîners électoraux. Voilà des faits qui démontrent complément que les dîners électoraux ne sont pas des appâts.
Et seraient-ils des appâts, est-ce par des moyens semblables qu'on peut appeler les électeurs au scrutin ? Qu'est-ce donc que l'électeur ? C’est un citoyen investi par la loi de la plénitude de ses droits, droits qu'il peut exercer, droits auxquels il peut renoncer sous la responsabilité de sa conscience. L'obligation du vote n'est pas encore inscrite dans la loi, et j'espère que de longs jours s'écouleront avant que cette obligation fasse partie de notre législation.
Dès lors, est-ce à l'aide de moyens aussi peu moraux, aussi peu dignes d'un gouvernement représentatif que l'on veut appeler au scrutin des électeurs ruraux ? Evidemment non ; et, je le répète, c'est leur faire injure que de prétendre que pour l'appât d’un plaisir, d'une réjouissance bachique, ils viendront plutôt au scrutin que s'ils y venaient avec le sentiment d'un devoir à accomplir, avec le sentiment de la responsabilité morale qui pèse sur eux au point de vue des intérêts généraux du pays.
Et à cet égard, je regrette, je dois le dire, d'avoir entendu l’honorable comte de Theux prononcer des paroles excessivement graves, si elles devaient être suivies des conséquences qu'il a fait entrevoir.
Il nous a dit : Prenez-y garde ; si vous supprimez l'appât des dîners électoraux, si vous n'admettez pas le vote à la commune, si vous continuez à traiter en parias les électeurs ruraux, eh bien, souvenez-vous du gouvernement hollandais, souvenez-vous de ce qui lui est arrivé !
Franchement, messieurs, est-ce là un langage constitutionnel ? Est-ce là le langage d'un ancien ministre ? Est-ce là un langage digne du chef de la droite conservatrice ?
Venir nous dire que si nous renions, dans le calme de nos délibérations, après avoir examiné, au mieux des intérêts du pays, quelle est la loi électorale que nous devons faire, venir nous dire que si nous prenions telle résolution, cette résolution ne sera pas acceptée, cette résolution engendrera des résultats semblables à ceux par lesquels ont péri les gouvernements précédents, je dis que ce sont des paroles regrettables, je dis que ce sont des paroles imprudentes, qui pourraient avoir des conséquences funestes, si le peuple belge ne se distinguait pas entre tous par son excessive modération et son excessif bon sens.
On a été plus loin ; on nous a dit que cette loi que j'approuve, quant à moi, dans la généralité de ses dispositions, était une loi d'intimidation, et pour justifier cet argument de nature encore à faire effet au dehors et que l'on sait bien incapable de détourner une conviction parmi nous, l'on a dû descendre jusqu'à suspecter la justice du pays ; on a semblé croire que cette institution, éminemment nationale, honnête entre toutes, impartiale entre toutes qui se distingue par son indépendance parmi toutes les magistratures de l'Europe, se montrerait vénale ou complaisante pour satisfaire des intérêts de parti. On a dit que les agents de l'administration promettraient de l'avancement, promettraient la protection du gouvernement en vue de tel résultat.
On a dit plus encore ; s'appuyant sur un fait regrettable, s(il s’est passé tel que d'honorables membres l'ont dit dans cette enceinte, s'appuyant sur un abus qui peut se présenter avec les meilleure institutions, parce que tous les hommes peuvent faillir, on vous a dit que tous ceux qui défendent le pouvoir seraient exposés des peines prévues par la présente loi, qu'on chercherait à les soustraire aux poursuites qui pourraient résulter des peines que nous allons édicter, et que ceux de l'opinion contraire seraient soumis à toutes les rigueurs de la loi.
Eh bien, moi, qui suis appelé par ma profession à paraître très souvent devant l'autorité judiciaire, moi, qui ai pu apprécier parfaitement combien elle est impartiale, combien elle est indépendante, je dis que cette opinion de l'honorable comte de Theux est complètement erronée et que ce qu'il appelle une loi d'intimidation sera une loi impartiale pour tous, puisque c'est la magistrature belge qui devra l'appliquer.
J'arrive, messieurs, à l'examen d'une autre proposition qui a été faite, celle de l'honorable M. Delcour.
Elle est excessivement importante. Elle concerne une des matières les plus délicates de notre législation. Je veux parler de la compétence en ce qui concerne les délits créés par la loi en discussion.
L'honorable M. Delcour, s'appuyant sur le texte de la Constitution et appréciant les différents délits qui vont être créés, part de ce principe que tous ces délits sont des délits politiques, et que, par conséquent, ils doivent être soumis à la juridiction de la cour d'assises. Je reconnais que la question mérite un examen sérieux. Cependant que l'honorable membre me permette de lui soumettre à mon tour les impressions qui sont résultées pour moi de l'examen de la question qu'il est venu apporter dans cette enceinte.
Son amendement, du reste, me paraît se rattacher parfaitement an projet de loi ; il n'est pas soumis à l'éventualité de la question préalable. Il doit donc m'être permis de l'examiner.
Il me paraît qu'il y a, au point de vue de la solution de la question soulevée par l'honorable M. Delcour, une distinction à faire.
Evidemment, l'honorable M. Delcour le reconnaîtra avec moi après examen, il y a, dans le projet qui nous est soumis, des délits de droit commun, des délits rentrant dans la catégorie des délits ordinaires et qui, comme tels, doivent rester soumis à la juridiction ordinaire. Je pense que la plupart des délits prévus tombent dans cette catégorie, mais je reconnais qu'il y a lieu d'examiner très sérieusement la question soulevée, relativement à la deuxième partie de l'article 20, c'est à-dire pour la complicité résultant de provocation à commettre le délit de l'article 19, lorsque cette provocation se fait par des écrits ou des imprimés.
Cette question mérite aussi examen relativement aux délits prévus par les articles 24 et 25 et par l'article premier. Je pense que pour ceux-ci il y aurait lieu de considérer les faits qu'ils prévoient et punissent, comme étant des délits politiques et d'établir à leur égard la juridiction prévue par la Constitution, c'est-à-dire la cour d'assises.
Messieurs, il faut reconnaître que la distinction complète entre ce qui est délit ordinaire et entre ce qui est délit politique, est excessivement difficile à faire.
- Des membres. - C'est l'affaire des tribunaux.
M. Giroulµ. - C'est aux tribunaux on bien au législateur à statuer sur la compétence ; lorsque vous créez un nouveau délit, vous avez à déterminer la juridiction qui devra connaître de ce délit.
Je pense avec vous que vous pouvez laisser aux tribunaux le soin de régler leur compétence, cependant si vous prévoyez des difficultés insurmontables dans l'application de la loi, il vous est bien permis, à vous législateurs, de prévenir ces difficultés.
Du reste, messieurs, je ne fais qu'indiquer les différentes considérations qui m'ont paru se rattacher à l'amendement de M. Delcour. Je reconnais que, dans la discussion générale, il n'y a pas lieu de traiter cette matière d'eue manière complète. On reviendra lorsque l'amendement sera soumis à une discussion spéciale.
M. Bara. - Je crois, messieurs, que l'expérience que nous venons de faire par la discussion est décisive et qu'elle prouve de la manière la plus évidente que nous nous engageons dans un dédale dont nous ne sortirons pas.
Le règlement nous donne le droit de discuter tous les projets d'une manière générale, mais la question est de savoir s'il y a possibilité de discuter d'une manière générale le projet de loi qui nous examinons. Ce n'est pas une loi de principe, ce sont des moyens divers d'empêcher des abus divers ; aussi, messieurs, quel est le phénomène qui sa produit ? Un (page 1353) orateur se lève et propose l'un ou l’autre système, immédiatement après un autre orateur se lève pour parler de toute autre chose.
Voilà comment depuis trois jours nous sommes ballottés. Ce n'est pas là une discussion générale.
Je ne suis pas de l'opinion de l'honorable ministre de la justice qu'il faille écarter par la question préalable toutes les propositions déposées. Voici ce que je demande. Je demande que nous réglions l'ordre de la discussion. L'honorable M. de Macar a fait une proposition relative à l'ordre alphabétique ; M. Delcour en a fait une pour la procédure à suivre devant la députation permanente. Ce sont là des articles nouveaux. (Interruption.)
Aucune de ces propositions ne se rattache à un article quelconque du projet. (Interruption.)
J'admets que l'on puisse dire que ce sont des amendements, mais ce sont toujours des articles nouveaux, puisqu'ils ne viennent pas modifier un article du projet de loi.
Eh bien, messieurs, je voudrais que l'on discutât spécialement, par exemple, la question de l'ordre alphabétique, que l'on discutât séparément la proposition de M. Delcour et ainsi de suite ; mais, quand il faut entendre parler de dix choses à la fois, il est impossible d'y rien comprendre.
Il me semble, messieurs, que la marche à suivre nous est naturellement indiquées.
Prenons le projet du gouvernement et commençons par l'article premier. Si l'auteur de l'un ou l'autre amendement trouve que son amendement se rattache à l'article premier, cet amendement sera discuté avec l'article premier. Il en sera ainsi de tous les articles et quant aux amendements qui ne se rattacheront à aucun article du projet, ce seront des articles nouveaux qui auront également leur tour pour être discutés. De cette manière nous arriverions à faire un travail utile, tandis que si nous voulons parler de tout à la fois nous ne ferions rien de bon. (Interruption.)
Vous n'aurez pas de discussion générale ; la loi ne le comporte pas. Il ne suffit pas, pour constituer une discussion générale, de parler de sept ou huit artic.es à la fois. (Interruption.)
Ainsi par exemple, pour la loi des bourses, vous avez eu une discussion générale ; pourquoi ? Parce que vous aviez là un grand principe qui dominait toute la loi. Mais ici vous n'avez que des dispositions spéciales ; il vous est impossible de trouver cette généralité qui peut servir de base à une discussion sur l'ensemble.
Je constate une chose ; c'est que la Chambre est complètement inattentive à tous les discours parce qu'il est impossible de suivre une discussion à bâtons rompus comme celle à laquelle nous assistons.
M. Nothomb. - Je conteste d'abord les dernières paroles de l'honorable préopinant d'après lesquelles la Chambre serait inattentive à la discussion. Elle a au contraire écouté avec une grande attention et un intérêt très mérité les discours des honorables MM. Giroul et de Haerne. Sous ce rapport l'erreur de l'honorable M. Bara est complète.
Je trouve ensuite que le système que l'honorable membre veut faire prévaloir supprime en réalité toute discussion générale.
Il faut cependant que nous puissions, à l'occasion des grands principes qui sont engagés, examiner toutes les questions qui s'y rattachent.
Je crois qu'il serait rationnel de ne pas persévérer dans une voie qui consiste à amoindrir toute grande discussion par des demandes de clôture et à écarter toutes les propositions gênant par la question préalable.
Nous sommes, messieurs, devant quoi ? Devant un projet qui a pour but la répression des fraudes électorales ; nous sommes tous d'accord sur le but, mais nous différons sur les moyens. Les uns d'entre nous pensent que les propositions du gouvernement ne sont pas celles qui conviennent et qu'il a eu tort de ne s'attacher qu'aux petits moyens pour parer aux petites fraudes, tandis que d'après d'autres membres il fallait, pour atteindre sérieusement les fraudes, recourir à d'autres moyens plus généraux, plus décisifs ; mais il est évident que les moyens proposés par ces honorables membres se rattachent incontestablement et très directement à la répression même des fraudes électorales.
Aussi, cela est si vrai que lorsque le projet du gouvernement a paru, beaucoup de membres de cette Chambre, et je suis de ce nombre, ont cru de très bonne foi qu'à propos de ce projet nous avions le droit de soulever et de discuter la réforme électorale dans les limites de la Constitution. Cette opinion s'est fait jour dans les sections et le rapport même de la section centrale, qui agite toutes ces questions, en est la consécration la plus éclatante.
Du moment qu'on élève la question des fraudes électorales, il faut être de bon compte, on n soulève toutes les questions électorales. Elles sont liées d'une manière tellement intime qu'on ne peut discuter les fraudes électorales sans que le mécanisme même du système électoral soit mis en discussion, sans qu'on touche, par la force même des choses, à la réforme électorale dans le cercle constitutionnel.
Qu'est-ce que la fraude électorale ? C'est l'abus dans l'exercice du droit électoral. C'est donc le droit électoral lui-même qui est soulevé. Aussi dans les sections différents moyens ont été proposés. On a trouvé que le projet du gouvernement était incomplet, inefficace, dangereux. Je l'ai signalé ainsi dans ma section et je ne cache pas que j'ai proposé nettement quelques moyens ; j'ai prétendu alors, connus je prétends encore aujourd'hui, que le gouvernement entrouvrant la porte à la réforme électorale, nous avions la droit de l'ouvrir tout entière.
J'ai demandé entre autres et je me rencontre sur ce point avec l'honorable M. Giroul, s'il n'y a pas lieu de réduire le cens pour les élections communales et provinciales.
J'ai dit et je dis encore que la plus grande fraude électorale, celle que j'appelle légale en quelque sorte, est celle qui consiste à créer cette inégalité flagrante, injustifiable, contraire à la Constitution quant au mode dont les électeurs exercent leurs droits en Belgique ; aux uns toutes les facilités, aux autres toutes les corvées.
C'est là une iniquité choquante, contraire au principe fondamental de nos institutions. Me plaçant au point de vue critique du projet du gouvernement, j'ai demandé si le vrai moyen contre certaines fraudes électorales et le seul efficace contre les orgies électorales n'était pas dans l'organisation du vote à la commune ? Et je l'ai soumis à ma section.
Vous voyez donc que tout cela se rattache intimement à la question. D'autres membres l'ont cru comme moi.
L'honorable M. Lelièvre a reproduit également avant-hier une proposition que j'avais faite également dans ma section et ayant pour but de faire compter les centimes additionnels pour parfaire le cens électoral.
J'ai pensé que plus on augmente le nombre des électeurs, plus on diminue les dangers de fraude. Il n'y a peut-être qu'un seul moyen de détruire certaines fraudes électorales, c'est de les noyer, si je puis parler ainsi, dans le grand nombre des électeurs. C'est donc toujours la question.
L'honorable M. Orts a proposé un autre moyen, car il faut compter avec ces fraudes électorales qui proviennent parfois de l'inintelligence de l'électeur.
Il a indiqué la condition de savoir lire et écrire. Je le déclare, je suis en principe sympathique à cette proposition. C'est un des moyens sérieux de parer à certains abus et j'en comprends la portée dans l'avenir. (Interruption.)
On me dit : Nous l'appliquerons tout de suite. Nous ne le redoutons pas. Mais discutons du moins la question comme toutes les autres et surtout ne nous perdons pas dans des moyens secondaires. Nous appelons une loi sérieuse, efficace, qui assure le droit, l'égalité et la justice à tout le monde.
Je m'oppose à la demande de l'honorable M. Bara.
M. Bara. - L'honorable M. Nothomb n'a pas compris le but de ma proposition et il n'y a absolument rien répondu.
Il a dit qu'il avait l'intention de proposer une foule de grands moyens pour empêcher les fraudes électorales.
Je n'ai pas dit qu'il n'aurait pas l'occasion de présenter ces grands moyens et de les faire discuter ; au contraire. Mais l'honorable M. Nothomb voudra bien admettre qu'on ne peut faire qu'une seule chose à la fois.
Ainsi je voudrais bien savoir quelle analogie il y a entre le suffrage universel et le vote à la commune. L'honorable M. Nothomb annonce qu'il veut faire discuter le vote à la commune et en même temps le suffrage universel ; j'aime tout autant qu'on parle d'abord du vote à la commune et qu'on s'occupe ensuite du suffrage universel.
Les uns ont parlé des députations permanentes, les autres de la condition de savoir lire et écrire. On va à droite à gauche et en définitive on ne saisit pas bien la discussion. Quand j'ai dit tout à l'heure qu'on a été inattentif, je n'ai pas entendu apprécier les discours des honorables collègues qui ont parlé, mais j'ai voulu dire qu'il était impossible de suivre avec fruit une discussion, quand à chaque instant il fallait s'occuper d'une question nouvelle.
Ma proposition est qu'on discute les articles du projet du gouvernement ou de la section centrale ; que l'on discute à chaque article les amendements que l'on croit devoir y adapter, qu'on examine ensuite (page 1354) les grands moyens de l’honorable M. Nothomb, et tous autres moyens qui seront proposés, sous réserve d'opposer, quand on le voudra, la question préalable.
- Un membre. - Vous voulez étouffer la discussion.
M. Bara. - Mais non, ce sont mes honorables adversaires qui veulent embrouiller la discussion. Nous tenons autant qu'eux à ce que l'on discute.
Nous ne voulons empêcher personne de faire des propositions, mais nous demandons qu'on les introduise avec ordre et méthode.
M. Dumortier. - Je viens de comprendre enfin le fin mot des paroles qu'a prononcées l'honorable M. Bara et dont je n'avais pas jusqu'ici bien saisi la portée.
Ce qu'il demande, c'est la clôture de la discussion générale.
Je m étonne vraiment de voir des personnes qui, il y a quatre jours, nous ont forcés à rester ici, par cette chaleur caniculaire, à examiner le projet de loi, vouloir nous empêcher en ce moment de discuter.
M. Bara. - C'est tout le contraire. Je veux mettre de l'ordre où il y a du désordre.
M. Dumortier. - Il y a quatre jours, nous disions qu'à l'époque actuelle, après huit mois de session, nous avions bien mérité de rester dans nos foyers, de prendre un peu de repos, qu'il était mauvais de tenir ici les députés par les chaleurs caniculaires qui règnent cette année-ci.
L'honorable membre était un de ceux qui voulaient nous faire rester. On prétendait alors qu'il fallait avoir le courage de son opinion et de son devoir, qu'il fallait rester à son poste.
Eh bien, nous voilà à notre poste. Nous avons été vaincus, nous discutons et maintenant vous voulez nous fermer la bouche.
Si vos observations ne se rapportaient qu'aux matières complètement distinctes du projet de loi, je serais le premier à vous appuyer et à engager la Chambre à rester dans la question des fraudes électorales et de tout ce qui s'y rattache directement. Mais quand vous voulez empêcher la discussion générale sur un pareil projet, c'est dire que vous ne voulez pas nous permettre de présenter les objections générales sur le projet de loi.
Ce projet de loi vous va fort bien, mais il nous va fort mal, parce que nous le considérons comme destiné à empêcher, par toutes sortes de moyens doucereux, l'action de la droite dans les élections, à béatifier l'action des associations libérales et à canoniser l'action du gouvernement.
Voilà ce que nous ne voulons pas, ce que nous voulons examiner, ce que nous avons le droit d'examiner et ce n'est pas en clôturant la discussion générale que vous parviendrez à nous faire taire. (Interruption.) Vous nous avez forcés de rester ici, d'abandonner nos familles. (Oh ! oh !) J'entends des rires, mais de qui ? Des membres qui ont leur domicile à Bruxelles. Que ceux-là consentent à siéger, je le conçois. Mais croyez-vous qu'il soit fort agréable d'être retenus ici, à cette époque de l'année, quand, depuis huit mois, on est éloigné de sa famille ?
M. Mullerµ. - Nous sommes dans le même cas que vous, et nous restons.
M. Dumortier. - Les députés de Bruxelles nous forcent à rester, mais ces messieurs ne nous font pas l'honneur d'assister à toutes les séances.
M. Orts. - C'est inexact ; vérifiez les appels nominaux.
M. de Moorµ. - Vous venez vous même d'entrer.
M. Dumortier. - Je dis, messieurs, qu'il est impossible de prononcer la clôture de la discussion générale alors qu'elle vient à peine de commencer. Vous n'avez encore entendu que cinq ou six orateurs, vous ne pouvez donc empêcher les membres de l'opposition de se faire entendre alors que, comme M. de Theux, ils ne trouvent dans la loi aucune garantie qu'ils la considèrent comme consacrant la pire de toutes les corruptions, la corruption gouvernementale.
Je demande qu'on nous laisse au moins le droit de parler, puisqu'on nous a obligés à rester.
Je m'oppose à la clôture de la discussion générale.
M. Hymans. - Je n'ai demandé la parole que pour faire observer que la proposition de M. Bara est en tout point conforme au règlement. Le règlement dit qu'il y a sur tout projet de loi une discussion générale, qui porte sur le principe et l'ensemble de la loi et une discussion des articles qui s'ouvre successivement sur tous les articles suivant leur ordre, et sur les amendements qui s'y rapportent. Or, jusqu'à présent, nous n'avons pas entendu un seul discours sur le principe de la loi. Nous avons entendu le développement d'amendements dont les uns ne se rapportent à aucun article spécial de la loi, dont les autres ne sont pas présentés, mais rien de l'ensemble de la loi. Les idées dont l'honorable M. Nothomb vient de parler n'ont pas, jusqu'à présent, trouvé leur formule ; le principe et l'ensemble de la loi n'ont été jusqu'à présent examinés par personne.
Le principe de la loi, c'est la nécessité de réprimer les fraudes électorales, jusqu'à présent personne n'a contesté ce principe ; personne n'a rien proposé pour améliorer la loi.
Si parmi les amendements qui ont été déposés sur le bureau il y en a qui se rattachent à des articles spéciaux du projet, leurs auteurs feraient chose utile à eux-mêmes, à leur thèse, et à la Chambre entière en demandant que ces amendements soient discutés à l'occasion des articles auxquels ils se rattachent. Ainsi M. Delcour peut soutenir que ses amendements se rapportent, l'un à l'article premier, l'autre à l'article dernier de la loi. M. Orts pourrait prétendre que le sien se rattache à l'article 2.
M. Orts. - Il s'y rattache si bien, que je l'y mettrai malgré la question préalable.
M. Hymans. - Cet amendement serait alors examiné lors de la discussion de l'article 2 et nous arriverions ainsi à abréger la discussion.
M. Dumortier nous dit que ce sont les députés de Bruxelles qui forcent leurs collègues à siéger malgré la saison. Mais les députés de Bruxelles ne demanderaient pas mieux, et moi tout le premier, que de voir finir la session. Le reproche est injuste, et M. Dumortier, qui proteste contre l'obligation de siéger en ce moment, fait tout ce qu'il peut pour allonger le plus possible la discussion et rendre toute discussion impossible.
M. Dumortier. - Est-ce que nous n'aurions pas le droit de combattre le projet ?
M. Hymans. - Certainement, et nous n'entendons pas vous l'enlever. Discutez tout ce que vous voudrez. Mais ce que nous vous demandons, c'est de discuter avec ordre, de ne pas nous exposer à voir le combat cesser faute de combattants. Et en disant cela je n'entends pas me poser en apologiste de la loi, car j'ai l'intention de proposer des amendements ; je les ai déjà déposés, mais j'ai dit à M. le président en les lui remettant que je les développerais à l'occasion de la discussion des articles auxquels ils se rattachent, attendu que je ne voulais pas prolonger la discussion générale au détriment de tout le monde.
M. Orts. - Je crois qu'il n'y a, en définitive, dans ce débat, qu'une question bien simple : celle de savoir si nous discuterons deux fois les même question ou si nous ne la discuterons qu'une fois. Personne ne songe à étouffer la discussion ; mais tout le monde, je pense, est d'accord pour ne pas aborder des discussions qui nous feraient perdre du temps sans aboutir à aucune solution.
La situation nous est créée par un article du règlement, et j'ai moi-même été coupable, c'est possible, mais je dirai tout à l'heure pourquoi, et je crois qu'après cette confession, vous ne me refuserez pas l'absolution.
La difficulté naît de cette circonstance que le règlement autorise la discussion des amendements dans la discussion générale ; on ne devrait discuter les amendements qu'après la discussion générale, sinon on arrive à cet inconvénient qu'après avoir discuté l'amendement dans la discussion générale, on le discute encore une fois à l'article auquel il se rattache ; ce qui occasionne une perte de temps. Eh bien, messieurs, je demande que nous prenions l'engagement de ne plus parler des amendements dans la discussion générale. Que l'on parle de ce qu'on voudra (interruption), sauf, bien entendu, le droit du président de faire rentrer chacun dans la question.
Si, à propos du projet de loi sur les fraudes électorales, un membre venait parler de l'organisation judiciaire, il faudrait certainement le rappeler à la question.
Ainsi, ne proposons plus d'amendements dans la discussion générale. On me dira que j'en ai moi-même présenté un, contrairement à ce système.
Je l'avoue, mais si je suis coupable, j'ai cependant une excuse. Quand j'ai vu que la question préalable menaçait de frapper tous les amendements, je me suis dit : Avant d'être jugé, je veux être entendu.
Je suis de ceux qui désirent la discussion et je n'ai pas le moins du monde l'envie de restreindre le cadre du débat ; mais je demande qu'on ne vienne pas, à l'époque où nous sommes arrivés, discuter des questions purement théoriques. Si l'on veut élargir le cercle du débat qu'on prenne la responsabilité d'une proposition formelle. Si un membre (page 1355) veut parler du vote à la commune, qu’il formule le vote à la commune. Si un membre veut parler du suffrage universel ou de l’abaissement du cens. Qu’on attaque ou qu’on défende le projet. Mais ne faisons pas de la théorie pure. Dans ces conditions, je demande que la discussion générale continue ; si elle ne continuait pas, nous serions obligés d’arriver à des moyens extrêmes, car continuer la discussion, cela devient inutile.
M. Bara. - Je maintiens ma proposition de clôture de la discussion générale. (Interruption) Je dis que cette proposition est la plus favorable dans l'intérêt de la discussion et des amendements eux-mêmes.
Comment l'honorable M. Orts combat-il ma proposition ? En me disant : On ne pourra discuter les articles du projet de loi que dans leur principe.
Eh bien, cela est impossible. Pas un seul orateur n'a discuté d'une manière générale, parce que le projet en lui-même, réduit aux articles proposés, ne comporte pas cette discussion.
Vous ne pouvez donc pas discuter utilement ce projet d'une manière générale ; il faut nécessairement en discuter les articles un à un si l'on veut arriver promptement à un résultat ; et je pense que, sous la réserve du droit de chacun de présenter les amendements qu'il juge convenables, ce qu'il y a de mieux à faire maintenant, c'est de clore la discussion générale et d'aborder celle des articles.
Procédez autrement et vous verrez un combat homérique entre les orateurs et M. le président pour les rappeler sans cesse à la question.
M. de Theuxµ (sur la clôture). - Je ne puis en aucune manière adhérer à la proposition de l'honorable M. Bara et pour justifier l'opposition que j'y fais, je n'ai qu'à signaler à la Chambre le rapport même de la section centrale, rapport dans lequel l'honorable M. Crombez a touché à toutes les questions qui ont trait à la matière électorale ; tant il est vrai, messieurs, que tout cela forme un ensemble qu'il est impossible de scinder. Or, M. le rapporteur de la section centrale ayant eu pleine liberté de discuter ces question ?, serait-il juste de nous l'interdire et de ne pas nous admettre à combattre les idées du rapport que nous n'adoptons pas ? Ce serait là une façon de procéder sans précédent. Je prie la Chambre de ne pas consacrer un tel précédent, car on ne manquerait pas de l'invoquer dorénavant et les prérogatives de la discussion seraient étrangement limitées à l'avenir.
M. Crombez, rapporteur. - Puisque l'honorable M. de Theux a parlé du rapport de la section centrale et des développements qu'y a donnés le rapporteur, je rappellerai aussi de quelle façon la section centrale a procédé. Elle n'a pas discuté simultanément toutes les questions dont elle s'est occupée ; elle les a discutées successivement une à une ; c'est-à-dire qu'elle a mis dans son examen l'ordre et la régularité qu'on demande à la Chambre de mettre à son tour dans la discussion publique.
- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !
M. Dumortier (sur la clôture). - Vraiment, messieurs, ce qui se passe ici ne s'est jamais vu. Comment ! On nous force de rester ici à une époque aussi avancée de l'année, et quand nous sommes à notre poste pour discuter cette loi, on veut nous empêcher d'exprimer librement notre opinion !
Si vous vouliez agir ainsi, mieux valait nous laisser partir et ajourner la discussion de la loi jusqu'au mois de janvier prochain, ainsi que la proposition en a été faite. Mais nous forcer de rester ici et puis nous fermer la bouche, voilà, messieurs, un procédé qui ne s'est jamais vu dans cette Chambre.
MpVµ. - La clôture est demandée régulièrement, je vais la mettre aux voix.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à l'appel nominal.
54 membres y prennent part.
11 répondent oui.
38 répondent non.
5 s'abstiennent.
La Chambre n'est pas en nombre pour délibérer.
Ont répondu oui : MM. Warocqué, Bara, de Moor, Elias, Hymans, J. Jouret, M. Jouret, Lebeau, Mouton, Muller et Orban.
Ont répondu non : MM. Wasseige, Allard, de Bast, de Conninck, de Florisone, de Haerne, Delcour, de Liedekerke, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, Dumortier, Funck, Giroul, Grosfils, Jamar, Lange, Lesoinne, Lippens, Moreau, Nélis, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Tack, Thibaut, Thienpont, T'Serstevens, Valckenaere, Vander Donckt, Van Humbeeck, Van Nieuwenhuyse, Van Renynghe, Verwilghen et E. Vandenpeereboom.
Se sont abstenus :
MM. Crombez, Frère-Orban, Orts, Rogier et Vanderstichelen.
- La séance est levée à 5 heures.