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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 21 juin 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1225) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des industriels et propriétaires à Basècles présentent des observations contre le projet de loi qui accorde à la société du Haut et du Bas-Flénu la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Frameries. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion nu projet de loi.


« Le sieur Pastin demande si un instituteur qui n'a pas fréquenté les cours normaux ne peut pas être instituteur. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Steckler, ancien préposé des douanes, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Pezin demande une décision dans des affaires judiciaires. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, trois demandes de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. Hayez, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Bricoult, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Demande de levée d’immunité parlementaire et d’autorisation de poursuivre un ministre devant la cour de cassation

MpVµ. - Messieurs, je reçois à l'instant la lettre suivante qui est adressée à la Chambre par M. le procureur général près la cour de cassation :

« A la Chambre des représentants.

« Messieurs,

« Nous remplissons le devoir que nous imposent la Constitution et la loi en vous demandant l'autorisation de traduire devant la cour de cassation MM. Delaet, membre de la Chambre et le lieutenant général baron Chazal, ministre de la guerre, sous la prévention, le premier d'avoir provoqué le second en duel et, tous deux, d'avoir, dans un duel, fait usage de leurs armes l'un contre l'autre, délits prévus par les articles premier et 14 de la loi du 9 janvier 1841.

« Nous ne comprenons pas dans notre demande d'autorisation les témoins de ce duel, membres de la Chambre, parce qu'il ne conste point qu’il en soit résulté des blessures, que nous n'avons aucune raison de le croire et que, dans ce cas seulement, la lot inflige une peine aux témoins.

« La Chambre des représentants jugera si son autorisation peut s'accorder avec l'intérêt du service public, en vue duquel elle est requise.

« Quant aux faits de la prévention, ils seront établis par l'instruction qui sera et ne peut qu'être la suite de l'autorisation.

c Bruxelles, le 21 juin 1865.

« Le procureur général près la cour de cassation,

« (Signé) Leclercq. »

Messieurs, je propose à la Chambre de renvoyer cette demande à une commission spéciale.

M. Dumortier. - J'en demande l’impression séparée.

MpVµ. - La pièce sera insérée aux Annales parlementaires. Je propose à la Chambre de renvoyer cette demande à une commission spéciale composée de 6 membres et d’un président qui seront désignés par e bureau.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi approuvant le traité de commerce contre avec la Prusse

Discussion générale

M. Tack. - Messieurs, j'ai voté tous les traités de commerce que le gouvernement a soumis à l'approbation de la législature depuis tantôt 4 ans. Je les ai votés sans la moindre hésitation, je dirai même avec empressement, parce que j'ai vu, dans chacun de ces actes internationaux, un acheminement vers un tarif douanier général, des jalons posés de distance en distance pour arriver à une réforme douanière de plus en plus complète.

C’est vous dire, messieurs, que je suis, en principe, sympathique au traité de commerce aves le Zollverein.

Mais, messieurs, j'ai toujours pensé qu'en cette matière, comme en beaucoup d'autres, il convient de procéder avec prudence et avec circonspection ; il importe de ne pas compromettre des droits en quelque sorte acquis et de ménager la transition d'un régime à l'autre en faveur d'industries établies sous la foi de la législation existante.

Sous ce dernier rapport, le traité de commerce conclu avec la Prusse et ses coassociés me semble laisser quelque chose à désirer. Je crains beaucoup qu'il ne porte un coup sensible à l'une des industries principales du pays.

Cette industrie, c'est celle de la fabrication des huiles. L'importance de cette fabrication n'est peut-être pas assez connue : permettez-moi de vous en dire deux mots. La production agricole des graines oléagineuses s'élève annuellement dans notre pays au chiffre d'environ 40 millions de kilogrammes. Ajoutez à cela une importation s'élevant en moyenne par année à 60 millions de kilogrammes, et vous arrivez à un total de 100 millions de kilogrammes de graines oléagineuses qui reçoivent la main-d'œuvre dans le pays, dont les produits sont presque intégralement livrés à la consommation du pays.

Eu citant les chiffres que je viens d'indiquer, je reste peut-être en dessous de la réalité. Veuillez remarquer que l'industrie belge est pour ainsi dire exclusivement en possession du marché intérieur.

La fabrication des huiles est au surplus une industrie essentiellement nationale ; je viens de le faire observer, elle consomme les produits du sol et en même temps, elle procure à l'agriculture le plus précieux des engrais connus : le tourteau qui sert en même temps de nourriture au bétail qu'on élève en Flandre dans les étables.

Eh bien, c'est au sein de cette industrie si intéressante et si considérable que le traité de commerce avec la Prusse vient de jeter l'alarme. Des pétitions vous ont été adressées par les intéressés, elles sont déposées sur le bureau, revêtues de nombreuses signatures.

Les chambres de commerce se sont adressées, à leur tour, à l’honorable ministre des affaires étrangères pour réclamer contre les dispositions du traité.

En quoi l'industrie mobilière est-elle lésée par le traité de commerce avec la Prusse ? L'article 7 de ce traité porte qu'à dater du 1er juillet 1865, les huiles de provenance allemande, ou si vous voulez, les huiles originaires de la Prusse et des autres Etats du Zollverein seront reçues en franchise de droits dans le pays, à partir du 1er juillet prochain, c'est-à-dire dans huit jours.

Le mal ne serait pas grand si cette clause n'opérait que vis-à-vis de la Prusse et des Etats du Zollverein, car la Prusse est pour nous un pays d'importation ; nous exportons vers la Prusse une assez grande quantité d'huile, 1.600,000 kilogr. environ par an. La Prusse est notre principal débouché ; de ce côté nous n'avons pas à redouter la concurrence : on s'en convaincra surtout si l'on observe qu'aujourd'hui les huiles à l'importation en Prusse sont grevées d'un droit de 10 fr. par 100 kilogr.

C'est tout au plus si les usines des provinces rhénanes pourront participer, à la suite du régime nouveau, à l'approvisionnement de nos provinces limitrophes, c'est-à-dire des provinces de Liège et de Limbourg.

Ce n'est pas, au reste, ce que redoutent nos industriels. Ce qu'ils appréhendent, ce sont les conséquences du traité, au point de vue de nos relations avec d’autres pays ; en effet, l’article 7 du traité aura pour résultat la libre entrée dans le pays, à partir du 1er juillet prochain, des huiles de provenance anglaise, française et hollandaise.

Sous l'empire des traités en vigueur, ces huiles sont grevées d'un droit de 6 fr. par 100 kilog. brut, soit 7 fr. 50 par 100 kilog. net, mais par l'effet de nos conventions antérieures, tous les pays qui ont traité avec nous auront désormais le droit d'importer librement leurs huiles en Belgique et cela par le motif que dans les conventions précédentes, nous avons admis au profit de nos cocontractants, le régime du pays le plus favorisé. Cependant, la réciprocité de leur part n’existe aps.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L’Angleterre !

(page 1226)M. Tack. - Oui, l'Angleterre seule exceptée ; mais vous savez que l'Angleterre n'a rien à craindre de la concurrence des industriels belges. Ainsi donc par l’effet du traité de commerce avec la Prusse, les huiles aujourd'hui grevées de droits à l'importation, quelle que soit leur provenance, entreront librement dans le pays.

Nous nous trouvons devant une concurrence vraiment redoutable. Elle nous viendra l'Angleterre, je vais le démontrer, mais avant, permettez-moi de vous signaler deux faits qui font traverser à l'industrie huilière une violente crise ; cette crise a commencé depuis que nos récents traités de commerce avec la France, avec l'Angleterre et avec la Hollande ont été conclus ; le premier de ces faits c'est la vulgarisation des huiles de pétrole.

Chacun le sait, chacun peut l'attester par lui-même, les huiles de pétrole sont entrées dans la consommation pour des quantités considérables ; on peut affirmer que les huiles de graines ont succombé presque complètement pour l'éclairage à la concurrence des huiles de pétrole.

Second fait, et celui-là est plus capital encore ; ce sont les développements que prend une industrie nouvelle : la fabrication des huiles extraites des graines de coton. Cette fabrication était très peu connue il y a trois ans ; aujourd’hui elle se fait sur une très grande échelle en Angleterre ; et, sous ce rapport, l’Angleterre a pris sur nous les devants et elle a sur nous d’immenses avantages.

Pour ce qui concerne les graines de coton, l'Angleterre a d'abord pour elle les importations directes qui nous font souvent défaut.

C'est donc à l'Angleterre que nous devons demander nos graines de coton, mais elles nous arrivent surchargées de frais que ne supportent pas les industriels anglais, frais qui peuvent être évalués au moins à 6 ou 7 p. c. de la valeur et consistent en droits de commission, réassurances, pertes de place.

Un second avantage que l'Angleterre possède sur nous , c'est que les industriels anglais ont le placement assuré de tous les produits de la graine de coton et notamment des tourteaux.

Or, en Belgique le tourteau de graine de coton n'est pas consommé, et cela est tellement vrai, que nos industriels sont obligés de réexporter cette espèce de tourteaux en Angleterre.

Un troisième avantage que l'Angleterre a sur nous, c'est qu'elle est convenablement outillée pour cette fabrication, tandis que nous ne le sommes pas.

M. Sabatier. - Outillez-vous.

M. Tack. - Nous le ferons, soyez-en convaincu, mais vous conviendrez que cela ne se fait pas en huit jours.

M. Sabatier. - Vous saviez à quoi vous en tenir depuis 1861.

M. Tack. - En 1861 on avait à peine l'idée de la fabrication des huiles extraites de graine de coton ; je vous l'ai déjà dit, c’est une fabrication toute nouvelle. Pour tout le reste, nous sommes au niveau de tous les progrès. Au surplus en 1861 on tenait un langage qui nous autorisait à croire que la mesure qu'on a introduite dans le traité avec la Prusse ne pouvait être proposée.

On nous disait que le tarif applicable à la France serait devenu d'application générale, aurait été la charte douanière du pays ; or, d'après ce traité, les huiles sont assujetties, à l'importation en Belgique, au droit de 6 fr. par 100 kil.

Nous pouvions donc croire que la protection dont nous jouissions ne nous aurait pas été retirée aussi brusquement.

Je ne puis assez le répéter, au point de vue de ses importations directes, au point de vue du placement de ses produits, et au point de vue de ses procédés de fabrication, l'Angleterre a sur nous des avantages qui rendent toute concurrence impossible.

Vis-à vis de la France, sommes-nous dans une position beaucoup meilleure ? Non. la France peut se trouver du jour au lendemain dans les mêmes conditions que l'Angleterre, et l'on peut prévoir qu'elle arrivera aussi à avoir ses importations directes. Déjà, dans le moment présent, elle nous prend des quantités de plus en plus fortes de graines oléagineuses ; elle importe en Belgique des tourteaux, elle nous ferme son propre marché pour les huiles ; figurez-vous deux industriels établis l'un en deçà, l'autre au delà de la frontière ; l'industriel belge travaille dans les mêmes conditions que l'industriel français ; mais le premier ne dispose que du marché belge ; tandis que l'autre dispose non seulement du marché belge, mais en même temps du marché français, dont nous sommes en quelque sorte exclus.

Ne voyez-vous pas par là quelle position anomale est faite à nos fabricants ?

Je résume la situation en quelques mots.

Par l'effet du traité de commerce avec la Prusse, les huiles de toutes provenances pourront entrer librement dans le pays. Le droit protecteur qui existait jusqu'à présent est aboli, tandis que nos voisins maintiennent leurs droits à l'importation, l'Angleterre seule exceptée.

De plus, cette mesure est prise au moment où l’industrie huilière traverse une crise intense, dans une année où la récolte du colza est complètement manquée, le jour où nous sommes obligés d'aller prendre à l'étranger 40 millions de kilos de graines oléagineuses que nous récoltons habituellement chez nous.

Je dois insister sur la manière inopinée dont le droit protecteur à l'importation est aboli. On le supprime sans mise à demeure, sans avertissement préalable.

C'est pour ainsi dire immédiatement après que le droit protecteur avait été garanti dans nos traités avec la France, l'Angleterre et la Hollande ; c'est le lendemain du jour où nous avons fait un arrangement commercial avec la Prusse ; car veuillez-le remarquer, messieurs, en 1863 vous avez voté un arrangement commercial avec la Prusse ; or, dans cet arrangement commercial, il a été formellement convenu que le droit à l'importation des huiles d'origine allemande serait maintenu ; cette protection nous est enlevée tout d'un coup, c'est une concession qu'on fait à la Prusse qui au fond n'en a nul besoin et qui, par contre, met notre industrie en péril en la mettant inutilement en présence de la concurrence anglaise.

Ah ! si du moins il y avait eu réciprocité de toute part, nos industriels se seraient tus, parce qu'ils savent que le temps de la protection est passé ; ils auraient vu dans l'extension du marché extérieur une compensation à la concurrence qui leur est suscitée, mais cette compensation n'existe pas.

Je sais qu'on va me dire que les craintes des industriels sont exagérées, que leurs alarmes au sujet du traité en discussion sont des alarmes vaines ; on nous dira : « Vous-mêmes vous exportez des huiles en Angleterre, comment se fait-il que vous redoutiez la lutte avec l'Angleterre ? »

D'abord quelle est la quantité d'huile que nous envoyons en Angleterre ? 400,000 kil. ; ce qui n'est pas la centième partie de notre production.

Nos exportations vers l'Angleterre sont donc insignifiantes.

D'ailleurs, ce sont des huiles de qualités toutes spéciales, dont l'Angleterre ne peut pas se dispenser quant à présent pour certains usages industriels ; mais le jour où l'Angleterre aura pu satisfaire à tous les besoins de son propre marché, nous n'expédierons peut-être plus un seul kilogramme d'huile en Angleterre, et l'Angleterre viendra nous faire concurrence sur notre marché intérieur. Telle est la perspective qui se présente à nos fabricants d'huile.

On nous dira peut-être aussi que puisque le droit d'importation a été aboli sur les graines oléagineuses, nous avons grand tort de nous plaindre qu’on abolisse le droit d’entrée sur les huiles.

Qu'était-ce donc que ce droit prélevé à l’ importation sur les graines oléagineuses ?

C'était un simple droit de balance.

MfFOµ ; - Qui procurait au trésor une recette de 100,000 fr.

M. Tack. - Je maintiens que c'était un simple droit de balance ; c'était moins d'un demi p. c à la valeur. Cela ne pouvait exercer aucune influence sur la fabrication.

- Un membre. - Et les tourteaux ?

M. Tack. - Les tourteaux nous arrivent de l'étranger en franchise de droit, et nos propres tourteaux ne sont plus grevés de droits de sortie ; de même ils sont admis en franchise chez nos voisins ; que l'on nous procure le même traitement pour les huiles et nous nous déclarerons satisfaits.

Il est pénible de l'avouer, l'industrie de la fabrication des huiles semble décliner. Cela tient notamment à cette crise dont je parlais tout à l'heure et à cette concurrence que suscitent à la fabrication des graines oléagineuses les huiles de pétrole et les huiles provenant des graines de coton. En effet, voici ce que disent nos chambres de commerce.

La chambre de commerce de Saint-Nicolas :

« L'industrie huilière déclina avec rapidité. L'année 1864 a été pour elle une nouvelle étape dans la voie de décadence. Dans l'intérieur du pays la culture de la graine de colza se trouve réduite de p'us de la moitié, et le commerce d'importation de cette denrée à Anvers est monopolisé dans un nombre de mains assez limita. Par suite de ces circonstances, le prix de la matière première a été hors de proportion avec celui des huiles. Cette position anomale a amoindri les bénéfices de nos industriels. «

La chambre de commerce d'Alost :

« L'année a été des plus mauvaises pour la fabrication d'huile. Cet (page 1227) article n'a pas laissé de bénéfice. Au début de la saison, les graines se vendaient à des prix élevés ; ces prix ont baissé successivement, mais non pas en proportion du prix des huiles, lesquels ont fléchi considérablement. Cette dépréciation est attribuée en grande partie à la consommation toujours croissante de l'huile de pétrole. »

La chambre de commerce de Nivelles :

« Le traité conclu avec la France a été aussi désavantageux pour les fabriques d'huiles que pour les tanneries. Les fabricants français viennent acheter les graines oléagineuses sur nos marchés, les expédient en France, et après en avoir extrait l'huile, nous renvoient les tourteaux sans payer ni droits d'entrée ni droits de sortie en France ni en Belgique. Nous ne pouvons, au contraire, exploiter le marché français qu'en supportant des droits assez élevés. Cette législation peut, jusqu'à un certain point, être favorable à l'agriculture ; mais elle place les fabricants belges dans une position d'infériorité qui nuit au développement et à la prospérité de leur industrie.

« Nous concluons de ce qui précède que les notions de liberté commerciale ont encore de grands progrès à faire, et avant qu'elles puissent recevoir une application plus générale, il nous semble que si les droits de douanes doivent être maintenus, il serait au moins équitable que les traités de commerce fussent basés sur une plus juste réciprocité. »

Il y a beaucoup de vrai dans ce que je viens de lire.

En effet, messieurs, quand je consulte les statistiques, je vois qu'en 1860 nous importions 70 millions de kilogrammes de graines oléagineuses et qu'en 1863 nos importations se sont réduites à 47 millions de kilogrammes. Différence 23 millions.

En 1860, par contre, nous exportions 1,006,229 kilogrammes de graines oléagineuses. En 1863, nous en avons exporté 2,774,166. Ce qui prouve que réellement l'industrie huilière est, je ne dirai pas à l'état de décadence prononcée, comme on l'affirme, mais dans un état de véritable souffrance, et que, partant, le moment est mal choisi pour abolir ainsi brusquement les droits à l'importation sans réciprocité aucune.

Maintenant que demandent les marchands d'huile ? veulent-ils des privilèges, veulent-ils des immunités, des faveurs ? Nullement. Ils acceptent la libre exportation des huiles, quelle que soit la provenance ; ils ne refusent pas la lutte, si difficile qu'elle soit, si désastreuse quelle puisse être, mais ils demandent qu'on leur donne un sursis, qu'il y ait un ajournement, que la disposition nouvelle ne soit applicable que dans un délai déterminé.

Ils demandent qu'on fasse pour eux ce qu'on a fait pour d'autres industries, ce qu'on a fait, par exemple, dans le traité pour l'industrie des houilles.

En effet, les houilles de provenance allemande étaient frappés d'un droit à l'importation en Belgique d'après l'arrangement commercial de 1863, par contre les houilles de provenance belge devaient supporter un droit à l'importation dans le Zollverein, droit s'élevant à 2 fr. 50 par 1,000 kil. Qu'a-t-on fait ? On a stipulé que du jour au lendemain les houilles de provenance belge pourront entrer librement dans le Zollverein à dater du 1er juillet prochain, et cependant on a maintenu un droit protecteur sur les houilles que pourrait nous envoyer le Zollverein ; et celles-ci ne seront libres qu'à partir du 1er juillet 1866.

Eh bien, nos fabricants d'huile demandent ce qu'ont obtenu les extracteurs de houille. Ils demandent moins, car ils se contenteraient d'un délai de six mois, et cela uniquement pour pouvoir mettre en œuvre les nouveaux perfectionnements introduits tout récemment dans d'autres pays.

Ils demandent, en deuxième lieu, que M. le ministre des affaires étrangères fasse tous les efforts possibles pour obtenir de la part de nos voisins la réciprocité.

On nous dira peut-être que la Prusse ne pourra nous accorder le délai sans l'assentiment des Etats qui font partie du Zollverein. Je ne puis m'imaginer que la Prusse n'ait pas les pouvoirs nécessaires pour traiter cette petite question de détail. Vous ne pouvez, il est vrai, donner aucune compensation, malheureusement vous avez tout donné dès le principe, mais la Prusse a obtenu la compensation d'avance puisque vous recevez ses produits sans droits tandis qu'elle continue à percevoir un droit de 3 fr. 75 par 100 kilogr.

D'ailleurs elle n'a aucun intérêt sérieux à ne pas faire droit à ce qu'on demande d'elle.

Quant aux Etats du Zollverein, ils n'ont pas l'ombre d'un intérêt à ce que le traité soit mis en vigueur dès à présent plutôt que dans six mois pour ce qui concerne les huiles.

Je voudrais donc que M. le ministre des affaires étrangères s'efforce d'obtenir une simple remise de six mois, qu'il retourne, au besoin, plusieurs fois à la charge.

De plus, j'aime à croire qu'il insistera pour avoir la réciprocité de la part des autres nations. Je sais bien qu'en théorie on peut soutenir qu'il ne faut pas se soucier de la réciprocité, mais c'est là le libre échange à sa plus haute puissance ; la théorie pure n'est appliquée par aucune nation. Celles qui font des traités de commerce, par cela même, ne l'acceptent pas d'une manière absolue ; celles qui adoptent un tarif général établi sur de larges bases se réservent le droit de réciprocité à l'égard des Etats qui ne les traiteraient pas sur le pied de la nation la plus favorisée.

J'ai confiance en M. le ministre des affaires étrangères, et j'espère qu'il fera tous ses efforts pour qu'il ne soit pas porté un trop grand préjudice à une industrie qui accepte avec tant d abnégation, si résolument et si généreusement la lutte à laquelle on la convie.

M. Van Wambekeµ. - Messieurs, mon intention n'est pas d'entrer dans de grands développements au sujet du traité de commerce conclu entre la Prusse et la Belgique. Je me permettrai seulement de faire quelques observations relativement à l'anomalie qui existe par rapport aux houblons.

Vous savez, messieurs, que le commerce des houblons a pris, depuis quelque temps, en Belgique, une extension très grande.

La ville d'Alost est, sous ce rapport, le marché régulateur de la Belgique.

Pour vous prouver que le commerce a pris de l'extension, il me suffira de vous dire que l'année dernière le marché d'Alost a vendu, dans l'espace de deux à trois mois, la quantité énorme de l,100,000 kilog. de houblon.

C'est donc avec inquiétude, messieurs, que les négociants d'Alost ont vu le traité conclu avec la Prusse.

En effet, messieurs, aux termes de ce traité les houblons allemands arrivent en Belgique en franchise de droit tandis que les houblons belges introduits en Prusse sont frappés d'un droit quasi prohibitif, soit 18 francs 75 centimes pour les 100 kilog., non compris les frais, soit 20 fr. les cent kilog.

Ainsi le houblon belge paye en Prusse une somme de 20 fr. par 100 kilogrammes. C'est vous dire que le commerce d'Alost s'est inquiété de cette position et a cru que le moment était venu d'exiger de la Prusse la réciprocité.

Ce droit est tout à fait prohibitif et se perçoit au grand détriment de notre agriculture.

Il est évident que le cultivateur belge ne peut soutenir la concurrence avec le houblon allemand, dans ce pays, par suite du droit d'entrée qu'il a à acquitter, tandis que le houblon allemand concourt avantageusement dans notre pays par suite de la libre entrée.

Si nous avions la réciprocité, notre houblon qui avait auparavant un fort débouché en Allemagne pourrait encore s'y exporter.

Nous demandons pourquoi cette anomalie existe. Nos négociants na se plaignent pas de l'introduction du houblon allemand en franchise en Belgique, mais ils se plaignent de ce qu'il n'y ait pas de réciprocité.

Pour vous prouver combien cet état de choses est préjudiciable au commerce, surtout aux houblons d'Alost, je vous ferai remarquer que, l'année dernière, il n'a été importé en Allemagne que 10,620 kilogrammes de houblons belges tandis que nous avons reçu 156,081 kilogrammes de houblons allemands, de sorte que l'on peut dire que notre importation en Allemagne est nulle, tandis que si nous consultons la statistique lorsque nous pouvons introduire nos houblons en franchise comme par exemple en Angleterre, nous voyons qu'en 6 mois les négociants d'Alost ont exporté vers ce pays 6,424 balles de houblon qui représentent 700,000 kilogrammes et une valeur de 2 millions de francs.

Vous voyez que si nous pouvions obtenir la réciprocité pour l'importation de nos houblons en Allemagne, le commerce en retirerait da grands avantages.

Nous avons donc pensé que le moment était venu de prier M. le ministre des affaires étrangères de voir s'il n'y aurait pas moyen de faire cesser cette anomalie.

Nous ne demandons pas quales houblons allemands soient frappés d'un droit, mais nous demandons la réciprocité.

Si nous obtenions cette réciprocité, les rapports déjà très intimes entre la Prusse et la Belgique ne feraient que se développer encore et notre commerce de houblon prendrait une extension beaucoup plus grande.

J’espère que M. le ministre des affaires étrangères voudra bien prendre ces observations en sérieuse considération et je me joins à la demande faite par la chambre de commerce d’Alost qui, lorsqu'elle a appris que le droit sur la sortie du houblon belge en Prusse continuait d'être si élevé, a réclamé auprès du gouvernement pour obtenir la réciprocité que nous accordons à la Prusse.

(page 1228) M. Van Renynghe. - Messieurs, j« viens appuyer de toutes mes forces les justes observations faites par d’honorables préopinants, relatives au traité soumis à vos délibérations. J’ajouterai que le gouvernement aurait dû avoir plus de souci du produit d’une des plantes les plus importantes de notre industrie agricole, et par conséquent, qu’il aurait dû employer tous les moyens dont il peut disposer pour faire disparaître le droit d’entrée exorbitant de 18 fr. 75 par 100 kil., qui pesé sur nos houblons dans le Zollverein.

Les houblons étaient libres en Belgique, pourquoi n'a-t-on pas adopté à cet égard le système de réciprocité ?

Il arrive souvent que les houblons d'Allemagne viennent faire sur nos marchés une rude concurrence aux nôtres en avilissant leurs prix, et nous nous trouvons dans l'impossibilité d'en importer dans ce pays à cause de l'élévation du droit qui nous enlève toute concurrence.

Je vous demande, messieurs, s'il n'est pas à regretter que le gouvernement ait négligé de provoquer le système de réciprocité à l'égard du produit de cette plante, qui demande tant de soin, dont la culture exige des dépenses considérables et qui, par conséquent, sous tous les rapports mérite d'être encouragée.

J'espère que le gouvernement tâchera de faire cesser, le plus tôt possible, cette inégalité que je ne puis m'expliquer, et, en attendant, je ne pourrai donner au traité un vote approbatif.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, quel que soit le désir du gouvernement lorsqu'il traite avec d'autres gouvernements en matière commerciale, d'obtenir, pour le pays qu'il représente, les conditions les plus avantageuses, il ne réussit pas dans toutes ses demandes.

Le traité soumis en ce moment à la Chambre doit être jugé dans son ensemble et ne pas être condamné pour quelques détails qui laisseraient quelque chose à désirer.

Je constate d'abord avec satisfaction, qu'à part les deux questions qui viennent d’être soulevées, le traité en lui-même ne paraît donner lieu à aucune objection.

Au contraire, il me semble qu'il rencontre au sein de la Chambre une espèce d'adhésion générale.

Je dirai quelques mots des observations des honorables députés d'Alost, de Courtrai et de Poperinghe.

En ce qui concerne le houblon, l'observation des honorables membres est exacte.

Nous n'avons pas obtenu de réduction dans les négociations avec le Zollverein. J'espère que, dans la suite, le Zollverein, qui est animé aussi d'intentions libérales sous le rapport de ses relations commerciales, sentira la nécessité de diminuer les droits sur cette matière première. On sait, messieurs, la grande consommation de bière qui se fait en Allemagne, et je ne doute pas que, dans un temps plus ou moins rapproché, le Zollverein n’en vienne à diminuer les droits sur le houblon.

Je ferai observer au surplus que le droit sur la bière a subi une forte diminution dans les derniers arrangements. La bière de toute espèce en futailles qui payait 2 thalers 10 silbergros ne payera plus que 20 silbergros.

C'est donc une diminution notable pour la bière elle-même, produit des houblons.

Les observations quant à l’huile paraissent plus sérieuses et je devrai m'y arrêter un peu plus longtemps.

Les honorables orateurs reprochent au traité d'avoir accordé subitement, inopinément, à la Prusse et par conséquent aux autres Etats qui sont appelés à jouir du nouvel arrangement, la libre entrée, sans obtenir la réciprocité.

Eh bien, messieurs, il y a eu dans le taux des réductions réciprocité.

le droit d'entrée en Belgique était de 6 fr. les 100 kilogrammes.

Le droit dans le Zollverein était de 10 francs.

Nous avons réduit notre tarif de 6 francs et nous sommes tombés à zéro.

La Prusse a réduit le sien de 6 fr. sur 10 fr. Le droit est ainsi descendu à 4 francs. Il a par conséquent été réduit de plus des deux tiers. N est-ce donc rien qu'une réduction pareille dans un pays qui est, pour les huiles, notre principal marché d'exportation ?

L'honorable représentant de Courtrai vient de vous le dire, c'est en Allemagne que nous exportons principalement nos huiles.

Le marché allemand figure en effet en 1863 pour près du tiers de nos exportations, soit pour 1,364,000 kilog., au droit de 10 francs par 100 kilogrammes.

Il est donc plus que vraisemblable qu'au droit de 4 francs nous exporterons encore davantage. Ceci paraît naïf à force d'être vrai.

M. Tack. - C'est une erreur, nous n’exporterons pas davantage.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais, dit-on, cette réduction de 6 francs est venue surprendre les industriels. Je ne pense pas que cela sot exact.

Cette suppression de droit en Belgique était annoncée depuis longtemps. Je ne l'ai pas inventée pour les besoins de la négociation. Cet article a été emprunté au projet de réforme qui était en quelque sorte sous presse et qui n'attenarit que la conclusion d'un arrangement avec l'Allemagne pour voir le jour.

Ainsi si vous n'avez pas la suppression de tous droits sur les huiles par le traité, vous l'aurez eu vertu du nouveau tarif.

Que vous la considériez comme matière première ou même comme denrée alimentaire, l'huile doit être traitée comme vous traitez tous les objets de la même catégorie.

Il y a longtemps que nous avons supprimé toute espèce de droit sur les matières premières et sur les denrées alimentaires ; l'huile était en quelque sorte le dernier objet qui avait joui d'une protection. Le moment était donc venu de faire disparaître cette protection. L'intention du gouvernement, déjà formulée dans un projet de loi, était de supprimer tout droit sur l'huile. L'on a donc fait au Zollverein un cadeau, si vous le vouiez, mais un cadeau qui ne nous a pas coûté bien cher, puisque nous étions, dans tous les cas, résolus à faire la réforme de nous-mêmes.

On craint ce qu'on appellera l’invasion des huiles anglaises en Belgique, mais pourquoi les huiles anglaises n’y viennent-elles pas aujourd'hui au droit de 6 fr. ? Il y a plus, nous importons en Angleterre beaucoup plus d'huile que l'Angleterre ne nous en importe.

M. Vermeireµ. - De quelle espèce ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'huile de colza et l’huile de lin. Ainsi, en 1864, nous avons reçu d'Angleterre 123,895 kilogrammes d'huile et nous y avons importe 420,771 kilogrammes.

M. Coomans. - Ce ne sont pas les mêmes huiles.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Le savez-vous ? Voila donc la balance de la Belgique et de l’Angleterre en ce qui concerne, les importations et les exportations des huiles. Ou a dit aussi que l'Angleterre est notre principal marché de graines, que nous sommes tributaires de ce pays pour ces matières premières.

M. Tack. - Des graines de coton.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pour les graines de coton, c’est autre chose. Mais on a dit que l'Angleterre était notre principal marché pour les graines en général. Eh bien, il n'en est rien. Nous avons reçu de l'Angleterre 5,700,000 kilogrammes de graines, mais nous avons reçu des autres pays des quantités beaucoup plus considérables. Ainsi nos importations de graines de colza et de lin se sont élevées à 61 millions.

L honorable représentant de Courtrai a fixé la production des graines en Belgique à 40 millions ; ce chiffre est de beaucoup inférieur au mien ; le mien est de 67 millions.

M. Tack. - Je l'ai pris dans la statistique de 1856.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Dans l'importation de 61 millions, l’Angleterre entre seulement pour 5 millions 700 mille.

Quant aux graines de coton, pourquoi ne pourraient-elles pas nous arriver directement des pays de production ? Elles y arrivent et elles continueront à y arriver.

D'après le dernier rapport qui nous est arrivé d'un de nos consuls du Levant, on a importé directement en Belgique 4 millions de kilogrammes de graines de coton. De quoi l'industrie huilière peut-elle se plaindre ? On lui a accordé tout ce qu'elle demandait ; elle a demandé la suppression des droits sur l'introduction des graines ; on la lui a accordée contre le gré de l'agriculture et au détriment du trésor ; elle a demandé la libre sortie des tourteaux et elle avait raison de la demander. Eh bien, on la lui a accordée aussi contre le gré de l'agriculture.

Maintenant on vient dire que la Belgique fournit les tourteaux à l'Angleterre et que l'Angleterre trouve dans le pays même un débouché pour les tourteaux provenant des huiles de coton, alors qu'en Belgique, ceux qui fabriquent l'huile avec la graine de coton ne trouvent pas de débouchés pour leurs tourteaux. Pourquoi les habitants du pays n’usent-ils pas des tourteaux de graines de coton ? Il s'agit de répandre cette coutume parmi nos agriculteurs. Vous ne pouvez pas rendre le tarif responsable du peu de goût des agriculteurs belges pour les tourteaux de graine de coton. Mais (page 1229) si je ne mue trompe il y a des agriculteurs éclairés qui déjà ont introduit l'usage des tourteaux de graine de coton.

On m’a demandé de faire auprès du gouvernement prussien une démarche afin d’obtenir quant aux huiles l’ajournement de la disposition qui fixe au 1er juillet prochain l’époque de la mise a exécution du traité. J’avais devancé le désir des honorables membres, qui ont fait cette demande ; je me suis adressé au gouvernement prussien qui m’a fait la réponse à laquelle je m'attendais. Il m'a répondu : Pour un seul article nous ne pouvons ajourner l'exécution du traite. Chaque article nouveau devrait être approuvé par la totalité des Etats du Zollverein.

La loi vient d'être votée par les chambres prussiennes, il n'y a plus à y revenir.

D'ailleurs si nous avions dû y revenir, nous aurions dû offrir quelque chose en compensation de ce que nous demandons. Un traité est un marché. Je crois donc que les honorables membres voudront bien reconnaître ma bonne volonté et qu'ils travailleront avec nous à rassurer les fabricants d’huile. J'ai la conviction que les appréhensions qu'ils montrent aujourd'hui ne reposent sur aucune base sérieuse et que ce commerce continuera à fleurir comme par le passé.

Ou a cité l'opinion de chambres de commerce, je pourrais citer l'opinion contraire d'autres chambres de commerce qui se prononcent en faveur de la liberté la plus large possible.

La liberté a été proclamée par la chambre de commerce d'Alost. La chambre de commerce de Louvain, tout récemment encore, a demandé la liberté d'entrée pour les huiles de graines comme complément de la libre entrée de l’huile de pétrole.

Voilà ce qu'elle dit dans son rapport de l'année 1864 :

« Nous ne voulons nullement demander des entraves aux importations de l'huile de pétrole, mais il nous semble qu’il y aurait équité a dégrever l'importation de l'huile de graines et a obtenir en même, temps une diminution semblable sur les droits d'entrée chez nos voisins du Midi et de l'Est. »

Nous avons obtenu une diminution semblable en Allemagne.

En Angleterre l'entrée est libre. Quant à nos voisins du midi, j'ai entamé des négociations pour tâcher de ramener leurs tarifs à un taux plus modéré, si pas à la suppression de toute espèce de droit.

Je ne mets pas en doute que ce produit, dans un temps limité, n'aura plus aucun droit à supporter dans les pays voisins. Je l'espère fermement, et je désire concourir à la réalisation de cet espoir.

Messieurs, comme je l'ai dit déjà, un traité ne se compose pas d'un seul article ; et l'acte dont nous venons vous demander la ratification aujourd'hui mérite, me semble-t-il, d'être apprécié dans son ensemble et par ses résultats généraux.

Je ne voudrais pas abuser des moments de la Chambre ; cependant qu'il me soit permis de faire un court exposé de la situation. Je crois d'autant plus pouvoir m'y arrêter un moment, que nous devons considérer le traité avec la Prusse comme le couronnement en quelque sorte de notre édifice économique en ce qui concerne nos relations avec l'étranger.

Je ne prévois pas que dorénavant nous ayons à conclure d'autres traités commerciaux avec d'autres Etats.

C'est la fin de la série des traités internationaux ; c'en est si bien la fin, que, par un projet de loi déposé par mon honorable collègue, M. le ministre des finances, nous allons consacrer, d'une manière définitive et générale, les diverses modifications, les diverses réductions qui ont été introduites dans le tarif de la Belgique par tous les traités qu'elle a successivement conclus.

C'est là le but du projet de tarif nouveau qui vient d'être déposé sur le bureau de la Chambre et qui est soumis à vos délibérations. Ce projet ne fait que consacrer toutes les modifications que nous avons eu à introduire par nos traités avec les autres Etats. Il y ajoute encore d'autres modifications, d'autres réductions qui profiteront aux Etats avec lesquels nous avons traité.

Messieurs, je crois que le gouvernement a agi avec prudence en ne déposant pas immédiatement son projet de réforme. Maintenant que tout est fini avec tout le monde, il est permis peut-être de constater que nous avons en quelque sorte escompté une réforme qui était arrêtée en principe dans les résolutions du gouvernement. Toutes ces réductions que nous étions décidés à introduire, quand même, dans notre tarif, les unes après les autres, nous les avons offertes comme autant de concessions aux gouvernement s étrangers, afin d’obtenir d'eux les conditions les plus favorables à la Belgique.

Tel a été, messieurs, le procédé, on peut bien l'avouer, dont nous avons usé dans nos rapports internationaux pour la conclusion de nouveaux traités de commerce. Ayant arrêté en principe la réforme de nos tarifs, nous avons résolu, avant de l’appliquer, de tâcher d’en tirer parti près les divers gouvernements étrangers, et, je puis le dire, nous n’avons pas trop mal réussi. Nous avons successivement traité avec la France, avec la Suède avec l’Italie, avec la Suisse, avec le Zollverein, et dans nous négociations avec ces pays nous avons obtenu des réductions favorables à l'industrie belge.

Chaque fois cependant, nous avons entendu exprimer des craintes sur les conséquences des réductions introduites dans notre tarif. Eh bien, ces craintes ne se sont jamais réalisées ; et je dois le dire, c'est une justice que j'aime à rendre à l'industrie belge, dans ces derniers temps elle a cessé d'être un obstacle au gouvernement dans les négociations que nous avons poursuivies avec les puissances étrangères.

L'industrie belge a supporté avec courage comme avec succès toutes les réductions de tarifs, comme elle supportera avec le même succès celles que nous avons introduites en dernier lieu.

Pour arriver à ce résultat, il a fallu du temps, il a fallu traverser des époques difficiles, il a fallu lutter conte des opinions diamétralement opposées aux principes économiques qui règnent aujourd’hui.

Dans la première période, à partir de la révolution de 1830, nous sommes tombés, par une espèce de réaction contre le régime hollandais, nous sommes tombés dans le régime prohibitif. En 1833 et 1834, nous avons vu surgir au sein de la Chambre une proposition tendante à relever les droits sur les céréales.

L'opposition a été très forte ; moi qui vous parle, j'étais ministre alors et nous nous sommes trouvés 7 ou 8 pour combattre la fameuse proposition de MM. Eloy et consorts, tendante à établir l'échelle mobile comme moyen de protéger l'industrie agricole. MM. Zoude et l'abbé de Foere proposeraient ensuite une augmentation considérable de droits sur les fils et les toiles de lin.

Eh bien, nous subîmes coup sur coup deux échecs si rudes que le cabinet en fut fortement atteint et que ces circonstances déterminèrent en grande partie sa retraite en 1834.

Plus tard on a essayé un autre système. On a vu que la protection générale ne suffisait plus ; on a voulu des protections différentielles ; on a cherché à obtenir de certains pays des droits de faveur à titre de réciprocité. Eh bien, ce procédé n'a pas mieux réussi que l'autre. Qu'arrivait-il en effet ? Quand nous avions accordé certains avantages à un pays, tous les autres s'empressaient de les réclamer aussi et si on les leur refusait, ils nous frappaient à leur tour de droits différentiels.

C'est ainsi que nos rapports commerciaux ont été assez longtemps troubles avec l'Allemagne à cause du régime différentiel que nous avions stipulé avec la France.

Or, ces troubles commerciaux ne valent rien, pour la Belgique surtout. Le rôle de la Belgique est d'être neutre, son intérêt est d'entretenir de bonnes relations économiques politiques avec tous les pays qui l'environnent.

Enfin, messieurs, on a compris qu'il fallait débarrasser notre régime commercial de cet expédient de tarifs différentiels qui n'avait mené à rien de bon.

Il avait surtout pour but, ce régime, de protéger l'industrie des Flandres.

Eh bien, messieurs, rappelez-vous dans quelle situation malheureuse se sont trouvées les Flandres en 1846 et 1847 en dépit des tarifs différentiels. Elles traversèrent alors une crise industrielle compliquée d'une crise alimentaire.

Mais, comme il arrive souvent, le bien est né de l'excès du mal, c'est de cette crise industrielle et alimentaire qu'est sortie en 1847, drapeau déployé, la liberté commerciale.

On s'est dit : Ce n'est point par la prohibition, par le privilège, par les droits différentiels qu'on sauvera l'industrie ; c'est par le grand remède, par la liberté. Non pas la liberté appliquée du jour au lendemain, mais la liberté introduite successivement, avec les ménagements que réclamait l'industrie.

Le système qui prévalut alors fut d'abord d'affranchir le pays et particulièrement la classe ouvrière des droits de protection en ce qui concerne les denrées alimentaires. On proclama nettement et avec un certain courage pour l’époque où l'on était, la liberté du commerce des céréales.

Plus tard, messieurs, ce principe s'étendit à toutes les matières premières alimentaires ; à mesure qu’on abaissait notre tarif, à mesure qu’on rendait la concurrence des produits étrangers plus facile en Belgique, on s’attachait à procurer des compensations et des moyens de lutter à l’industrie belge.

C'est ainsi, je le répète, qu'on supprima les droits sur les denrées alimentaires dont le prix exerça une influence si grande sur les salaires ; (page 1230) qu'on supprima les droits sur les matières premières, les droits à la sortie, les droits de transit ; c'est ainsi surtout qu'on accorda une protection à l'industrie belge par la multiplicité des voies de communication, par la création des chemins de fer, par l'extension considérable donnée à la voirie vicinale, par le dégrèvement des tarifs sur le chemin de fer et par la réduction on la suppression des péages et des droits de tonnage sur les voies navigables.

Voilà les compensations et les facilités que le gouvernement a données à l'industrie belge, en même temps que, par ses traités ou par ses tarifs douaniers, il la forçait à supporter la concurrence des produits étrangers.

C’est de cette façon que l'industrie belge est parvenue à lutter avec avantage contre la concurrence étrangère ; c’est sous ce régime que la Belgique a pris un développement commercial et industriel sans exemple.

Il y a un fait qui doit frapper tous les yeux : l'industrie, après avoir, au début, jeté un cri de frayeur à chaque abaissement de tarif, a cependant repris courage, et a su conquérir une position qui est aujourd’hui inattaquable. Il y a, dans le pays, un mouvement industriel et commercial dont je tiens à vous donner un aperçu en quelques ligne.

Ainsi, de 1830 à 1848, le mouvement général du commerce (importation et exportation) a été de 300 à 400 millions. De 1840 à 1850, ce mouvement s'élève à 912 millions ; il a presque triplé. De 1850 à 1860, le mouvement s'élève à 1,747 millions.

Nous voici en 1863 ; je m'y arrête ; et j'espère que bientôt nous aurons des chiffres plus importants encore à fournir ; mais en 1863, le mouvement général représente une valeur de 2 milliards 60 millions.

Voilà, messieurs, comment nous avons progressé. Je ne veux pas dire que ce soit là le produit exclusif de la libéralité de notre régime économique ; ce résultat est dû avant tout à l'intelligence, à l’activité et à l’esprit d'ordre qui distinguent les producteurs et les commerçants belges...

M. Coomans. - Le même progrès se réalise dans toute l'Europe civilisée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne veux pas faire de chauvinisme commercial ; mais permettez-moi de vous étaler avec une certaine satisfaction ce tableau de la prospérité commerciale de la Belgique. Je ne prétends pas que la Belgique ait le monopole de cette prospérité, mais je constate le fait en ce qui la concerne.

Savez-vous que ce mouvement - je m'arrête à 1863 - savez-vous que ce mouvement est de 500 millions supérieur à celui d'Etats beaucoup plus grands ?

M. Bouvierµ. - Cela répond à l'interruption de M. Coomans.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Il est supérieur de 500 millions à tout le mouvement commercial de la Russie, supérieur de 500 millions à celui de l'Autriche.

Maintenant, si nous comparons ce mouvement commercial à la population, voici un autre résultat plus frappant encore :

Le mouvement commercial du Zollverein représente 100 millions de francs par million d'habitants ; en France, ce mouvement est de 180 raillions par million d'habitants ; en Angleterre, il est de 327 millions par million d'habitants ; en Belgique, il est de 457 millions par million d'habitants, si b in que, au point de vue du mouvement commercial, nous voilà, relativement à la population, à la tête des peuples de l'Europe.

Messieurs, si je proclame ce résultat, c'est uniquement pour rendre hommage à nos libres institutions, sous lesquelles de pareils développements peuvent se produire, pour rendre hommage, sinon au gouvernement du moins aux Chambres qui ont eu la sagesse de décréter d’abord la liberté commerciale à l’extérieur, puis la liberté des échanges à l’intérieur ; dans l’énumération que j’ai faite tout à l’heure, j’ai omis, car je la réserve comme dernier trait, j’ai omis la mesure de la suppression des octrois, mesure due à l’énergie et à la haute intelligence de mon honorable collègue et ami, M. le ministre des finances.

Eh bien, messieurs, en présence de ce spectacle, je trouve une réponse facile à faire à certains étrangers, qui nous écrivent, ou qui nous disent:

« Que faites-vous en Belgique ? Vous vous énervez en querelles stériles ; vous perdez votre temps en vaines disputes. »

Il est vrai qu'on se querelle eu Belgique ; on s'y dispute peut-être un peu trop ; mais avant tout et par dessus tout on y travaille.

M. Coomans. - Heureusement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - On y travaille, et après avoir travaille, on s'y amuse. Que ceux qui nous jugent de loin si mal, veuillent parcourir nos chemins de fer, les dimanches, par exemple, et ils verront tout ce peuple qu'on dit si divisé, chercher l'occasion d'aller s'amuser de compagnie, sans acception d'opinion. Voilà la situation. Il ne faut donc pas attacher d'importance à ces bruits du dehors qui représentent la Belgique comme prête à succomber sous le poids de ses luttes politiques.

Il y aura toujours des luttes politiques : c'est encore une marque de notre vigueur, de notre virilité nationale.

Je désire beaucoup que nos querelles viennent à se calmer. Ce sera un beau jour pour moi, que celui où je verrai l'apaisement des partis. Mais nous aurons probablement d'autres querelles politiques. II y aura toujours dans un pays constitutionnel, dans un pays de liberté, des partis, des divisions. Mais ce qui reste, ce qui restera, ce qui marquera d'une empreinte ineffaçable et bien plus profonde que nos querelles, cette belle période de 35 ans, c'est ce développement magnifique de la Belgique, sous le rapport matériel comme aussi sous le rapport moral.

Voilà ce que je me suis permis de constater en faisant rapidement l'histoire du commerce de la Belgique, et en vous annonçant la fin de la mission de la diplomatie en ce qui concerne les arrangements commerciaux avec les autres pays. Celte tâche est terminée.

Nos relations avec les autres pays sont établies sur des bases stables pour de longues années. Nous aurons encore quelques réformes partielles à faire. Te1 sera le résultat du projet de loi qui vous est soumis et que nous prenons la liberté de vous recommander comme urgent.

Nous espérons que d'ici à peu de jours, la Chambre voudra bien, après examen, voter ce projet de loi qui sera le couronnement de l'édifice.

M. Vermeireµ. - Je viens répondre en quelques mots au discours qu'a prononcé l'orateur qui vient de se rasseoir.

L'honorable ministre de» affaires étrangères a fait un tableau magnifique de la liberté commerciale. Il a dit combien la liberté commerciale a été profitable à la Belgique. Il a dit combien nos libres institutions ont augmenté le bien-être général de manière à nous mettre à la tête du progrès et de la prospérité de l'Europe.

Il a surtout puisé un argument très important dans la statistique commerciale, disant qu’au départ, immédiatement après notre révolution, notre commerce général, importations et exportations réunies, s'élevait à 300,000 millions et qu'en 1863, il était arrivé au chiffre énorme de 2,169,000.

Messieurs, je ne sais quel argument l'honorable ministre des affaires étrangères veut tirer de cet accroissement prodigieux, accroissement qui, je crois, a été à peu près le même dans les pays qui nous avoisinent, et je crois que si vous vouliez prendre la statistique commerciale de la France et de l'Angleterre surtout, vous trouveriez que cet accroissement y a été beaucoup plus considérable qu'en Belgique.

En effet, la comparaison ne me paraît pas très juste. D'abord, au commencement de la révolution, le pays n'était pas encore constitué ; le commerce et l'industrie n'y avaient pas pris encore un pied aussi solidement établi qu'aujourd'hui.

Ensuite, la prospérité nous est venue sous une législation tout à fait opposée à celle que nous avons aujourd'hui, et cet accroissement considérable du commerce et de l'industrie se porte principalement sur les objets de consommation dont les prix ont en quelque sorte doublé depuis 1830.

Mais cet accroissement de chiffres ne dénote pas précisément l'accroissement de prospérité.

Enfin, qu'est-ce que tout cela a de commun avec le traité que nous faisons avec la Prusse ? Si la liberté commerciale a fait faire à la Belgique des progrès si étonnants, pourquoi ces mêmes progrès ne se produiraient-ils pas dans d'autres pays, alors qu'ils exportent sur le même pied de liberté que nous ?

Il y a longtemps qu'on a fait justice des avantages que l'on attribuait, jadis, à la balance commerciale. On disait alors que le pays qui importait plus qu'il n'exportait devait se ruiner, comme si la marchandise importée ne valait pas autant que l'or avec lequel on devait la payer !

Dans la discussion proprement dite du traité de commerce, nous venons constater un fait. Mon honorable ami M. Tack vous a déjà dit quelle est l'importance de l'industrie des Flandres, et comment cette industrie pourrait être compromise par le traité que nous faisons avec la Prusse, non pas précisément parce que nous faisons ce traité avec la Prusse, mais parce que nous en étendons les avantages à d'autres pays. (Interruption.)

Quand on fait des interruptions, je voudrais qu'on les fît d'une manière saisissable.

MpVµ. - Il serait beaucoup mieux de ne pas en faire du tout.

M. Vermeireµ. - Messieurs, la liberté commerciale, comme je l'ai dit, est bonne. Je crois que j'en ai toujours été le partisan.

(page 1231) Je dois donc constater que je considère comme une mauvaise base de négociations qu'on a prise pour le traité avec la Prusse, celle d'étendre à chaque pays le régime le plus favorisé. Ainsi, par exemple, nous négocions avec la Prusse et que faisons-nous en fait ?

Quoique le système de la balance commerciale ne soit guère bon, nous en faisons étalage, à tel point même que l'honorable rapporteur de la section centrale a cru devoir mettre une espèce de balance commerciale dans son rapport.

Nous traitons donc avec la Prusse. La Prusse ne nous accorde rien. L'honorable ministre des affaires étrangères nous a bien dit que pour les huiles, qui font surtout l'objet de nos réclamations, elle réduit les droits de deux tiers. C'est une erreur.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais non.

M. Vermeireµ. - Cette réduction à 15 silbergros par quintal a déjà été accordée par le traité du 15 avril 1863. Nous trouvons là que l'huile à l'entrée en Prusse paye 15 silbergros.

M. Van Iseghem, rapporteur. - Cette disposition n'est pas appliquée.

M. Vermeireµ. - Ainsi le traité fait en 1863 n'est pas exécuté en 1865.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, la réduction dont il s'agit avait été consentie par a Prusse en 1863, mais elle est restée à l'état de lettre morte jusqu'à présent. Elle se trouve dans le traité avec la France, mais cette stipulation n'est exécutoire qu'à partir du 1er juillet prochain, époque à laquelle nous en jouirons.

Je n'ai pas fait ressortir toutes les réductions qui résultent pour la Belgique du traité avec le Zollverein. Ces réductions sont nombreuses, elles sont énumérées dans le rapport de la section centrale.

La Belgique a obtenu de très grands avantages.

M. Vermeireµ. - Effectivement, je me serai trompé en un point dans l'argument que j'ai fait valoir tout à l'heure ; ce point, c'est que le protocole de 1863 n'est pas encore en vigueur aujourd'hui ; mais il n'est pas moins vrai que la réduction du droit d'entrée sur les huiles était acquise à la Belgique depuis 1863 et que, par conséquent, la Belgique, aujourd'hui, n'a rien obtenu de la Prusse,.

Messieurs, quand on fait un traité de commerce avec un pays, j'avais toujours cru que les pays qui traitaient ensemble s'accordaient des avantages réciproques ; mais, aujourd'hui les traités de commerce ne sont plus cela ; aujourd'hui vous pouvez faire un traité de commerce avec n'importé quel pays et lorsque vous y introduisez un article comme l'article 5, les avantages du traité sont accordés à d'autres pays, et il peut en résulter de très grandes perturbations pour l'industrie nationale.

Le traité actuel concerne nos relations avec la Prusse ; elle ne peut pas nous faire un grand tort ; mais, étendu à l’Angleterre il change complètement l’état de nos relations avec ce pays, quant au commerce des huiles. Ainsi, l’Angleterre ne traite pas avec nous et elle obtient tous les avantages du traité que nous faisons avec la Prusse.

L'honorable M. Tack a déjà démontré en quoi consistent ces avantages et l'honorable ministre des affaires étrangères, en lui répondant, a dit que ces avantages ne peuvent pas être aussi considérables puisque dans la totalité de nos exportations qui sont de 61,000,000 en 1864, l'Angleterre n'entre que pour 6,000,000, ce qui est une part très infime.

Il n'en résulte pas moins que, depuis quelque temps, l'industrie des huiles éprouve un préjudice sérieux. En effet, messieurs, l'industrie des huiles a, comme beaucoup d'autres industries, changé ses bases d'opérations ; nous avons vu introduire en Angleterre beaucoup d'huiles qui ne sont pas des huiles végétales, nous avons vu y introduire encore les huiles de coton qui forment aujourd'hui l'objet d'une fabrication très importante dans les deux Flandres ; eh bien, l'Angleterre pourra aujourd'hui les introduire chez nous avec un bénéfice que j'évalue à 7 ou 8 p. c. Ce bénéfice ne résulte pas de la perfection de l'outillage, car, dans un bref délai, nous aurons l'outillage aussi parfait que l'Angleterre ; mais ce bénéfice provient de la position topographique de la Grande-Bretagne.

Messieurs, dans un pareil état de choses, nous ne pouvons pas songer à continuer la fabrication de l'huile de coton. Comme l'a dit M. Tack, notre situation, pour cette industrie, est très singulière ; nous sommes obligés d'acheter les graines à la côte d'Angleterre et nous avons à payer des surtaxes qui, toutes réunies, s'élèvent à 4 ou 5 p. c ; ajoutez-y les frais de commission, de change et de transport et vous arrivez à un total de 6 ou 7 p. c.

Voilà l'avantage que l'Angleterre a sur nous.

Eh bien, messieurs, avec 6 ou 7 p. c. une industrie qui a un trafic aussi considérable peut arriver à un très grand bénéfice au bout de l'année.

Et, messieurs, ce n'est pas seulement pour la graine de coton, mais c'est encore pour beaucoup d'autres graines que nous sommes tributaires de l'Angleterre.

Nous importons encore, par cette voie, les graines de lin de Bombay, de Calcutta, de Madras, que nous achetons à Londres et à Liverpool. Celles de la mer Noire, il est vrai, s'importent, en partie, par quelques maisons d'Anvers, auxquelles nous sommes obligés de les acheter au prix de fr. 25 85 l'hectolitre, alors que, en Angleterre, ces mêmes graines ne valent que 24 76. Différence à notre détriment, 1 fr. 09. Différence qui est encore de 5 à 6 p. c. à notre détriment.

Vous voyez donc que pour presque toutes les graines le prix d’Anvers est plus élevé que celui d’Angleterre dans la proportion de 5 à 6 p. c., et que si nous voulons importer de l’Angleterre, nous devons dépenser ces 6 p. c. en frais de commission, de transport et de vente. La position n’est donc pas la même ; elle n’est, même, pas tenable.

Pour moi, j'aurais préféré qu'on n’eût pas fait de traités de commerce, parce que, comme je l'ai dit en commençant, ce sont, en quelque sorte, des traités de dupes.

Autrefois on disait traité de commerce et d'amitié. Maintenant l'amitié est laissée de côté, mais ce n'est pas l'amitié seule qui disparaît.

Je crois qu'il eût mieux valu avoir un droit commun très libéral, et, lorsqu'un pays n'aurait pas voulu nous accorder l'entrée aux mêmes conditions, user de représailles comme l'Angleterre s'en est réservé la faculté dans certains de ses traités.

M. Bouvierµ. - Ce serait joli !

MfFOµ. - C'est contraire à vos principes.

M. Vermeireµ. - Le traité que nous faisons aujourd'hui n'est pas un traité limité dans le temps. A moins qu’il ne soit dénoncé par l'une ou l'autre des parties contractantes, il est eu quelque sorte perpétuel. Il repose, d'après moi, comme je l'ai déjà fait remarquer, sur une fausse base qui consiste à donner à chaque pays le régime le plus favorable qui est accordé à d'autres pays.

Mais comme le régime diffère entre la Prusse et la Belgique, nous devons payer des droits d'entrée en Prusse et nous recevons les marchandises prussiennes en franchise de droits. Admirable réciprocité !

Deux articles sont spécialement frappas : les huiles et les houblons.

Pour ma part, messieurs, je n'ose assumer la responsabilité de la position que l'on fait à l'industrie huilière. Je ne crois pas qu'elle puisse soutenir la concurrence quand bien même elle ne serait pas, comme on le lui reproche, assez perfectionnée.

Quand je remarque qu'on a pu obtenir en Prusse la libre entrée pour plusieurs articles, je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas pu l'obtenir pour l'huile, alors qu'on a pu l'obtenir pour certains articles que les Flandres ne produisent point.

Je ne vois pas quels auraient pu être les obstacles qui auraient pu être élevés contre une demande aussi équitable. La pénible impression que l'industrie des Flandres a dû en ressentir me prescrit l'impérieux devoir de voter contre le traité.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Van Iseghem, rapporteur. - Messieurs, j'aurais aussi désiré que M. le ministre des affaires étrangères eût pu faire quelque chose pour l'industrie huilière. J'aurais voulu qu'il eût pu obtenir un ajournement pour la mise en vigueur de la mesure. J'ai la conviction qu'il a fait tout ce qui était en son pouvoir ; mais, messieurs, il est difficile, après la conclusion d'un traité, de changer une de ses clauses, c'est surtout difficile quand on a négocié avec une association douanière qui n'est pas toujours d'accord entre elle ; aussi quand on traite, on n'est pas seul maître de la situation. Il faut faire des concessions pour en obten.i.

En réalité, messieurs, il n'y a pas dans le traité qui nous occupe de réciprocité complète. Si vous prenez le traité avec le Zollverein et avec plusieurs autres puissances, vous verrez que pour plusieurs autres articles il y a des droits plus élevés en Prusse et dans d'autres pays qu'en Belgique, et que pour d'autres articles c'est l'inverse qui a lieu.

L'honorable ministre des affaires étrangères a déjà répondu à l'honorable M. Vermeire, qu'en 1863 le traité n'était pas en vigueur. En 1862, un traité a été conclu entre la France et la Prusse. En 1863, le gouvernement belge a négocié une convention sur les mêmes bases, mais (page 1232) avec la condition que tous les Etats du Zollverein approuvassent le traité et se missent d’accord sur les conditions et concessions que la Prusse faisait à la France.

Ce traité ne devait être mis en exécution, au plus tard, que le 1er janvier 1866, donc à peu près quatre ans après. Si les Etats du Zollverein n’étaient pas parvenus à se mettre d’accord, le traité franco-prussien n’aurait jamais été mis en vigueur et le traité avec la Belgique eût subi le même sort. En outre, il y a eu une convention nouvelle qui fixe maintenant au 1er juillet prochain l’exécution du traité de 1862 avec la France ; par cette convention, la France et le Zollverein se sont fait de nouvelles concessions ; nous obtenons dans les deux pays, de droit, les mêmes avantages ; il résulte, entre autres, de cette dernière convention supplémentaire, que l’industrie flamande obtient des avantages.

Ainsi nous pourrions importer en France, absolument comme la Prusse, des toiles d’emballage avec une réduction de droits, c'est-à-dire que nous payerions 5 fr. par 100 kilog. au lieu de 28 fr.

Dans tous les traités, les deux parties contractantes s'assurent réciproquement les avantages que l'autre partie accorde ou accordera à d'autres puissances.

Cela se voit dans le traité avec la France, dans le traité avec l'Angleterre et dans tous les autres traités.

Il est impossible d'’admettre comme le disait l'honorable M. Vermeire, une législation tout à fait à part ; nous resterions isolés en Europe.

M. Coomans. - C'est à peu près ce qui existe en Hollande.

M. Van Iseghem, rapporteur. - L'honorable M. Tack ne craint pas les importations de la Prusse parce que nous importons beaucoup plus dans ce pays.

Nous y importons non seulement les huiles de fabrication belge, mais aussi en plus forte quantité des huiles qui transitent par la Belgique.

Si aujourd'hui le droit d'entrée en Belgique est tout à fait supprimé, j'ai la conviction que la Prusse n'importera pas plus d'huile en Belgique qu'elle n'en importait sous le régime du droit.

Mais, nous dit l'honorable membre, les huiles belges introduites en France payent 6 fr. les 100 kilog. Il sait que nous importons aussi beaucoup plus d'huile m France que la France en Belgique, mais il voudrait une compensation pour la perte que nous ferions ailleurs, dans le but d'étendre nos exportations en France.

Il se plaint principalement de l'Angleterre ; mais là, il y a réciprocité. Les huiles belges sont tout à fait exemples de droits en Angleterre.

On dit que l'Angleterre se trouve dans une meilleure position pour attirer la matière première. Mais alors pourquoi les négociants ne font-ils pas venir des graines de coton directement, comme les Anglais ? C'est parce qu'ils trouvent en Angleterre un marché plus sûr.

Quand vous faites venir des graines de la mer Noire ou de l'Egypte, vous courez des chances, vous devez avancer des capitaux.

Les négociants belges préfèrent souvent acheter à Londres des chargements qui arrivent sur la côte par ordres, que de faire eux-mêmes des spéculations ; en le faisant, ils font des opérations plus sûres. Souvent les Anglais vendent sur la côte des cargaisons à perte, tout dépend de l'état du marché le jour de la vente ; il peut y avoir bénéfice, comme il peut y avoir perte pour les vendeurs.

L'honorable M. Tack vous a dit qu'on pourra craindre la concurrence de la part de l'Angleterre. (Interruption.) Vous avez dit que l'Angleterre pourrait nous envoyer plus tard des huiles de colza.

Si les Anglais nous envoyaient ces huiles, ils seraient bien en arrière avec nos fabricants, ils auraient à supporter des frais d'embarquement en Angleterre, un fret de mer pour le transport en Belgique, prime d'assurance, un coulage, etc., et tout cela réuni fait un chiffre assez rond.

On demande la réciprocité ; on voudrait que les huiles soient libres à l'entrée dans tous les pays. Mais personne ne m'a appuyé quand je me suis plaint que nous devions recevoir le poisson frais de France avec un droit de 4 fr., tandis que le nôtre devait payer dans ce dernier pays 10 fr. par 100 kil. pour la morue ; c'est beaucoup plus fort, nous recevons le poisson salé aussi à 4 fr., et nous devons payer en France 44 fr., en outre les décimes, cela est plus grave que pour les huiles. Bien que par suite du traité avec la France les intérêts de mes commettants aient été lésés, je n’ai tien dit, je ne me suis pas opposé au vote de ce traité, parce que je sais qu’une convention internationale ne peut pas satisfaire tous les intérêts, et qu’il y en a toujours qui sont lésés ; on doit considérer l’ensemble du traité.

Qu’arrivera-t-il si nous repoussons le traité ? C’est que l’industrie belge sera lésée ; elle aura dans le Zollverein un traitement beaucoup plus défavorable que l’industrie française ; comme pourra-t-elle alors concourir avec nos voisins ? Ce sera impossible.

Dans son ensemble le traité est avantageux.

Nous avons un mouvement commercial très considérable avec la Prusse, non seulement au point de vue de l'industrie, mais aussi au point de vue de la navigation, du commerce et de notre chemin de fer.

Les ports belges ne sont-ils pas en partie les ports d'importation et d'exportation des provinces rhénanes, et n'avons-nous pas intérêt à maintenir cette position avantageuse ?

En finissant, j'engage la Chambre à donner un vote approbatif au traité.

Aussi je recommande à l'honorable ministre des affaires étrangères de vouloir faire de nouveaux efforts pour obtenir de la France un dégrèvement sur les huiles, ainsi qu'une forte réduction de droit sur les poissons. (Aux voix ! aux voix !)

- Plusieurs membres. - La clôture !

MpVµ. - On demande la clôture.

M. Dumortier. - Je suis inscrit pour parler.

MpVµ. - Il y a encore quatre orateurs inscrits.

M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture.

Les intérêts en cause me semblent assez sérieux pour mériter d'être discutés. J'espère que la Chambre voudra bien me permettre de dire quelques mots pour défendre mes commettants. Je dois d'ailleurs défendre mes principes économiques. (Interruption.) Ce ne sont pas ceux de beaucoup d'autres et c'est précisément pourquoi je tiens à les défendre.

MpVµ. - Insiste-t-on pour la clôture ?

- Voix nombreuses. - Oui, oui.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion des articles

Article unique

MpVµ. - Je mets aux voix l'article unique, ainsi conçu :

« Le traité de commerce conclu, le 22 mai 1865, entre la Belgique et la Prusse, agissant tant en son nom qu'au nom des Etats composant l'Union des douanes allemandes, sortira son plein et entier effet. »

M. Dumortier. - Je demande la parole sur l'article.

MpVµ. - Le projet ne comporte qu'un article et c'est sur cet article que la clôture a été prononcée.

M. Dumortier. - On n'a pas ouvert la discussion sur l'article.

MpVµ. - J'ai ouvert la discussion sur l'article unique.

M. Dumortier. - Mais le règlement ?

MpVµ. - Je ne puis faire qu'on projet qui n'a qu'un article en au deux. J'ai ouvert la discussion sur l'article unique ; c'est sur cet article que la clôture a été prononcée et elle reste prononcée.

M. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Le règlement est formel ; il dit qu'il y a une discussion générale et une discussion des articles ; la discussion générale est terminée, je demande à parler sur l'article. (Interruption.) Je le répète, le règlement est formel.

- Voix nombreuses. - Non, non ! La clôture !

- Une voix. - Procédons au vote.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande à présenter une observation pratique. Il faudrait ajouter au projet une disposition portant que la présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication.

Article premier

MpVµ. - Dès lors il y a deux articles et M. Du mortier a le droit de parler.

M. Dumortier. - Je dois remercier les deux collègues qui ont bien voulu se lever pour me faire accorder la parole ; je l'obtiens maintenant de par le règlement, mais mon cœur n'en est pas moins reconnaissant.

Je ferai remarquer deux choses : la première, c'est qu'il y a dans les traités manque d'ensemble ; on fait un traité avec une puissance, un autre avec une autre puissance sans esprit de suite.

C'est ainsi qu'on nous présente aujourd'hui une disposition dont vraisemblablement on n'a pas saisi la portée, puisqu'on veut proclamer la liberté des huiles étrangères, qu'on a refusée à d'autres puissances par le traité conclu avec la France.

Il me semble que la première chose à faire dans des questions de ce genre c'est d'apporter de l'esprit de suite à leur solution. Or, cet esprit de suite fait complètement défaut ici.

Je passe à une autre observation, car je veux être aussi concis que possible.

Il et quelque chose qui me frappe dans tous les traités conclus avec l'étranger ; c'est qu'il y a toujours une branche de la richesse nationale qui est sacrifiée aux autres, et cette branche c'est l'agriculture. (Interruption.)

(page 1233) Mais, messieurs, qui sacrifiait-on dans le traité conclu récemment avec la France ? L'industrie de la betterave ; agriculture. Qui sacrifie-t-on aujourd’hui ? L'industrie des huiles: agriculture ; l'industrie des houblons : agriculture. De manière que tout en faisant les affaires des autres industries on sacrifie toujours l'industrie mère du pays, celle d'où dépendent toutes les autres, l'agriculture.

Eh bien, c'est là un système complètement vicieux et injuste, car l'agriculture est, de toutes les sources de nos richesses, celle qui mérite le plus d'être encouragée.

Car, messieurs, ne vous le dissimulez pas, ce qui produit le plus en Belgique et ce qui exporte le plus ses produits sans exporter de numéraire, c'est l'agriculture. Or, quand je vois dans un traité favoriser telle ou telle industrie manufacturière ou métallurgique et sacrifier l'agriculture, je dis que c'est faire de la mauvaise politique, de la politique qui ne saurait avoir mon assentiment.

Messieurs, l'industrie des huiles est une des industries capitales pour l'agriculture et surtout pour les Flandres.

La culture des graines oléagineuses dans les Flandres est tellement considérable qu'elle produit chaque année 50 millions de kilogrammes. Or, messieurs, vous reconnaîtrez qu'une industrie de cette importance a droit à certains égards.

Favoriser la libre entrée des huiles étrangères en Belgique, c'est, selon nous, faire du libre échange. Je dis, moi, que c'est consacrer une grande injustice. Car enfin l'agriculture paye tous les ans au trésor 16 millions d'impôt foncier ; et décréter la libre entrée des huiles étrangères, c'est accorder une véritable prime à l'industrie étrangère au détriment de l'industrie nationale. Supposons qu'un hectare de terre rapporte dix tonnes d’uile et si l'hectare paye dix francs d'impôt foncier, il en résulte que vous frappez d'un franc la tonne d'huile produite dans le pays, au profit des huiles étrangères qui entrent librement.

MfFOµ. - Est-ce que l'impôt foncier n'existe pas ailleurs qu'en Belgique ?

M. Dumortier. - Je ne connais pas tous les impôts qui existent dans les autres pays, mais M. le ministre des finances doit savoir qu'en Angleterre par exemple il n'existe pas d'impôt foncier.

MfFOµ. - Je sais précisément le contraire.

M. Dumortier.µ. - Je répète qu'il n'existe pas d'impôt foncier en Angleterre.

MfFOµ. - Et la taxe des pauvres, qu'est-ce que c'est ?

M. Dumortier. - La taxe des pauvres, nous ne l'avons pas ; mais vous y arriverez nécessairement quand, par des mesures comme celle-ci, vous aurez enlevé à une foule de gens leurs moyens de subsistance.

Je dis donc que, dans les conditions où nous sommes, proclamer la libre entrée des huiles étrangères, c'est, en réalité, leur accorder une prime sur les nôtres.

Je sais bien que l'argument touche peu MM. les libre-échangistes, mais ce que je constate, c'est qu'on ne traite nullement de cette façon les autres branches du travail national ; je constate que tous les produits de l'agriculture sont frappés et qu'en accordant la libre entrée des huiles étrangères, vous leur donnez une véritable prime sans aucune compensation pour notre agriculture. Que M. le ministre des finances commence par dégrever l'agriculture des 16 millions d'impôt foncier qu'elle paye et alors il y aura égalité ; mais tant que ce droit sera maintenu, il faut, pour être juste, maintenir aussi les droits sur les produits agricoles de l'étranger.

Je suis très heureux, messieurs, de cette discussion, et voici pourquoi. M. le ministre des finances nous disait dernièrement que j'étais seul dans cette Chambre à résister encore aux idées libre-échangistes. Cette fois, messieurs, je constate que je suis sorti de mon isolement, et si je ne suis pas complètement satisfait du résultat, je puis cependant le constater avec une certaine satisfaction d'amour-propre.

Je vois, en effet, que beaucoup d'économistes aiment le libre échange à la façon de l'honorable M. Van Iseghem, c'est-à-dire pour autant qu'il ne s'agisse pas de poisson (interruption), ou à la façon de l'honorable M. Vermeire, c'est-à-dire pour autant qu'on ne touche pas aux huiles.

M. Vermeireµ. - Je veux la liberté commerciale pour tout le monde.

M. Dumortier. - Je suis heureux, messieurs, de voir que l'on revient insensiblement à des idées plus raisonnables, plus justes, basées sur les véritables intérêts du pays et j'en félicite sincèrement mes honorables collègues.

- De toutes parts. - Aux voix ! aux voix !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Quelle que soit l'impatience de la Chambre de clore cette discussion, je ne puis cependant pas laisser sans réponse cette partie du discours de l'honorable M, Dumortier où il est venu prétendre que l'agriculture du pays avait été sacrifiée dans tous les traités que nous avons conclus.

Nous ne pouvons pas permettre que de telles erreurs se propagent dans les campagnes, et je demande à les relever en quelques mots. (Parlez ! parlez !)

D'abord, je constate qu'à aucune époque l'agriculture n'a été aussi florissante en Belgique que nous la voyons aujourd'hui, et je ne serai certainement démenti par personne. Qu'on ne vienne donc pas dire que nous avons sacrifié l'agriculture aux autres industries ; c'est une erreur manifeste et surtout inconcevable de la part d'un député qui a la prétention de représenter l'agriculture.

Il n'est pas vrai que dans le traité actuel on ait sacrifié certaines industries à certaines autres. Nous avons stipulé pour toutes ; il en est une ou deux qui peut-être n'ont pas lieu d'être complètement satisfaites, mais il faut juger le traité dans son ensemble.

Examinant le traité au point de vue agricole, voyons si l'agriculture a le droit de se plaindre.

Voici ce qui résulte du nouveau traité avec le Zollverein.

Les bœufs ne payeront plus que 2 1/2 thalers au lieu de 5 ;

Les vaches ne payeront plus qu'un thaler et demi au lieu de 3 ;

Les génisses, bouvillons, taurillons, 1 thaler au lieu de 2 ; les porcs (il faut bien les citer car tout cela appartient à l'agriculture), ne payeront plus que 20 silbergros au lieu d'un thaler ; sur les farines le droit a été entièrement aboli par notre dernier arrangement commercial.

Les bières de toute espèce en futaille ne payeront plus que 20 silbergros au lieu de 2 thalers 15. Les eaux-de-vie, 6 thalers au lieu de 8.

On n'a donc pas négligé l'agriculture.

On n'a pas non plus favorisé les industries de quelques provinces en négligeant les autres. J'ai lu et on a dit, je pense ici, qu'on avait sacrifié les industries des Flandres plus ou moins aux industries du pays wallon. La Chambre n'admettra pas sans doute une pareille assertion. Si l'on devait citer les industries des Flandres, on en trouverait un grand nombre dans l'énumération des produits dont l'importation dans les Etats du Zollverein subit une réduction notable de droits : de ce nombre sont les tissus de coton, les habillements confectionnés, les toiles blanchies, teintes, imprimées, etc. Nous obtenons également, par l'application qui nous est faite du tarif conventionnel avec la France, un dégrèvement notable sur les toiles d'emballage et les tissus communs de lin ou de chanvre écrus.

Messieurs, le gouvernement est animé des mêmes sentiments de sollicitude pour toutes les industries, pour tous les intérêts ; il est donc injuste de venir prétendre que le gouvernement a sacrifié une industrie à une autre industrie.

En ce qui concerne l'article spécial des huiles, je dis qu'on n'a pas négligé l'intérêt des huiliers, puisque, sur le marché principal oh nous vendons nos huiles, les droits d'entrée sont réduits des deux tiers ; que si nos huiles peuvent aller sur ce marché lorsque le droit est de 10 francs, à plus forte raison pourront-elles y aller lorsque le droit ne sera plus que de 3 francs 75 centimes.

On parle de réciprocité ; mais la réciprocité existe avec l'Angleterre, c'est-à-dire avec le pays que vous redoutez le plus.

On nous parle de l'invasion des huiles anglaises en Belgique ; mais les importations des huiles belges en Angleterre sont beaucoup plus considérables que les importations des huiles anglaises en Belgique...

M. Tack. - Je l'ai dit moi-même ; j'ai cité des chiffres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais alors que craignez-vous ? Vous allez avoir sur votre marché principal une réduction de tarif considérable ; elle est des deux tiers, et vous n'en tenez pas compte ?

Vous remplissez peut-être votre devoir, comme représentant de Courtrai, en tenant le langage que nous avons combattu ; mais j'aime à croire que, comme représentant de la nation, vous n'éprouvez pas les inquiétudes dont vous vous êtes fait ici l'organe ; dans tous les cas, je suis convaincu que les craintes que vous avez exprimées ne se réaliseront pas. (Aux voix !)

- La clôture est demandée.

M. Vermeireµ (contre la clôture). - Messieurs, je crois que M. le ministre des affaires étrangères, dans sa dernière réplique, a un peu exagéré les observations que nous avons présentées...

MpVµ. - Parlez sur la clôture.

M. Vermeireµ. - J'ai une petite réponse à faire à M. le ministre des affaires étrangères.

(page 1234) MpVµ. - On demande la clôture et je dois la mettre aux voix.

M. Tack (contre la clôture). - Je désirerais aussi dire deux mots.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

L'article premier est mis aux voix et adopté.

Article 2

L'article 2, proposé par M. le ministre des affaires étrangères, est ensuite mis aux voix et également adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé à l'appel nominal sur l'ensemble du projet de loi.

78 membres répondent à l'appel.

65 répondent oui.

10 répondent non.

3 s'abstiennent.

En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au Sénat.

Ont répondu oui :

MM. Nélis, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Couvreur, David, Debaets, de Baillet-Latour, de Bast, de Florisone, De Fré, de Kerchove, Delcour, de Liedekerke, de Macar, de Mérode, de Moor, de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, de Smedt, de Vrière, Dewandre, Dolez, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moncheur, Moreau, Mouton, Muller et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu non :

MM. Vander Donckt, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Coomans, de Borchgrave, de Decker, de Ruddere de te Lokeren, de Terbecq et Dumortier.

Se sont abstenus :

MM. Reynaert, Tack et de Haerne.

MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés de faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Reynaertµ. - Messieurs, je suis en principe partisan d'une liberté commerciale très étendue ; c'est assez dire que je n'ai pas pu voter contre le projet de loi. Je n'ai pas voulu voter pour le projet, parce que je n'ai pas pu consacrer par mon vote le détriment grave qui résulte du projet de loi pour une industrie très considérable de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter.

M. Tack. - Je n'ai pas voulu voter contre le traité avec la Prusse, parce que j'ai l'espoir que l'honorable ministre fera les diligences nécessaires pour obtenir des autres nations avec lesquelles nous sommes en relations d'affaires un traitement plus égal et plus juste.

Je n'ai pas pu voter pour, parce qu'il me semble que la mesure prise à l'égard de l'industrie huilière est trop brusque, trop inopinée ; quoi qu'en ait dit l'honorable ministre des affaires étrangères, nos industriels ne pouvaient s'y attendre. C'est, du reste, avec une pleine conviction que j'ai soutenu la thèse que j'ai défendue. Il m'a paru qu'il résultait du traité un préjudice, si pas définitif, au moins momentané et très sérieux pour l’industrie des huiles.

M. de Haerne. - J'aurais voulu présenter quelques observations sur le traité avec la Prusse. Mais, vu l'impatience de la Chambre, cela m'a été impossible. J'ai dû m'abstenir et voici les motifs de mon abstention.

Je n'ai pas voté contre le traité parce qu'il renferme des stipulations favorables aux intérêts du pays. Ensuite il a un côté politique qu'il faut aussi respecter.

Mais je trouve d'un autre côté que les conditions de réciprocité n'y sont pas suffisamment sauvegardées. J'ai demandé depuis longtemps la liberté commerciale et le libre échange, mais à condition de réciprocité. Je considère la liberté commerciale et le libre échange sans réciprocité comme une duperie, surtout de la part de jeunes nations.

MpVµ. - La section centrale propose le renvoi à M. le ministre des affaires étrangères des pétitions qui lui ont été adressées relativement au traité de commerce avec la Prusse.

- Cette proposition est adoptée.


MpVµ. - Le bureau a composé comme suit la commission spéciale chargée de faire rapport sur la demande de M. le procureur général près la cour de cassation : MM. Moreau, président ; Orts, de Naeyer, Carlier, de Decker, Guillery et Tack.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.