(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1964-1865)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 1066) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Les sieurs Coutenier, de Keyser, Sas, Thonus, T'Scharner et Peuteman, sergents au 4ème régiment de ligne, réclament l'intervention de la Chambre pour obtenir leur congé par anticipation afin de pouvoir contracter un engagement de six ans dans le corps expéditionnaire belge-mexicain. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sociétés charbonnières du Couchant de Mons demandent l'établissement d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Ath et subsidiairement aussi de Jemmapes à Ath. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.
« Le sieur Coone, tambour du 4ème de ligne, demande un congé pour aller s'enrôler dans le régiment Impératrice Charlotte. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Fannique demande que les noms des officiers, sous-officiers et soldats de la légion belge-mexicaine, décédés au Mexique, soient insérés au Moniteur. »
M. Lelièvre. - J'appuie cette pétition et j'en demanda le renvoi à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Jean Singre, ancien soldat à Liège, né en Suisse, demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« MM. de Kerchove, Kervyn de Lettenhove, Le Hardy de Beaulieu font part à la Chambre de l'impossibilité oh ils se trouvent d'assister à la séance. »
- Pris pour information.
« Il est fait hommage à la Chambre :
« 1° De 120 exemplaires d'une brochure intitulée : La province de Limbourg au point de vue des travaux d'utilité publique exécutés en Belgique » par M. le baron H. de Cecil ;
« 2° Par M. Lambert, de 10 exemplaires de son travail relatif à l'assainissement de la Senne et à la création d'une grande voie de communication. »
- Dépôt à la bibliothèque et distribution.
Il est procédé au tirage des sections du mois de juin.
M. Sabatier. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur le projet de révision des péages sur les voies navigables administrées par l'Etat.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et son objet mis à la suite de l'ordre du jour.
MpVµ. - La parole est continuée à M. Vleminckx.
M. Vleminckxµ. - Je vous exposais hier, messieurs, les causes de cet redoutables maladies qui assaillent annuellement des milliers de nos concitoyens tant civils que militaires, et je vous indiquais les travaux qu'il convenait d'exécuter pour en empêcher le retour. Il me semblait que ce sujet là méritait bien de fixer un instant l'attention de la Chambre dans une discussion de travaux publics. Je serais bien malheureux si je m'étais trompé. Oh ! oui, c'est une belle chose sans doute, une chose utile à tous égards, que tous ces chemins de fer, toutes ces voies de communication qu'on nous propose de créer, c'est une belle chose d'augmenter par tous les moyens possibles la richesse publique ; mais il faut songer aussi, ne fût-ce que de temps en temps, à ceux qui souffrent, et il n'est pas mauvais que, de temps à autre aussi, une voix vienne rappeler les devoirs que le pays et la Chambre ont à remplir envers ces malheureux.
Je vous disais donc qu'il fallait détruire les causes qui énervent et détruisent une grande partie de notre population ; que cela n'était pas impossible ; que l'expérience avait parlé et que des faits multipliés avaient démontré de la manière la plus évidente qu'on n'y parviendrait qu'en creusant des canaux, en ouvrant aux eaux stagnantes de ces localités de vastes débouchés. Je vous disais que ces faits avaient permis d'ériger en axiome désormais indiscutable la proposition suivante : « Saigner complétement les terrains palustres, c'est anéantir radicalement la source des fièvres intermittentes dites paludéennes. »
Je venais de vous citer quelques-uns de ces faits plus particulièrement empruntés à la Sologne, lorsque la séance a été levée.
Je tiens, messieurs, à compléter cet exposé ; j'y tiens, parce que j'attache une grande importance à l'œuvre que je recommande, parce que je suis convaincu autant que je désirerais que vous le fussiez vous-mêmes, qu'en exécutant les travaux que je sollicite, nous rendrions à la Belgique un des plus grands services qui puissent lui être rendus.
Du reste, je serai très court, car je sais que vous désirez voir clore la discussion générale.
Voici donc ce que je lis encore dans le travail que je vous ai cité hier :
« Malheureusement, l'assainissement du sol par le drainage n'a pas été effectué sur une assez grande échelle, ni en France, ni eu Belgique, ni en Allemagne, pour qu'on puisse observer un effet si remarquable ; et si l'assainissement général d'un pays au sous-sol argileux et imperméable venait à s'effectuer tout d'un coup, nul doute que la santé publique ne s'en trouvât presque instantanément et efficacement modifiée.
« En Angleterre, oh l'application du drainage a pris, depuis quelques années, une extension plus grande, où des contrés entières ont été presque complètement drainées, on a fait des observations qui commencent à avoir une grande valeur et viennent donner à nos assertions une autorisation plus significative.
« M. Cuthbert Johnson, qui a parcouru l'Angleterre en tous sens pendant quarante ans, a constaté que les opérations de dessèchement par le drainage ont changé, pour ainsi dire, le climat de cette contrée ; que, dans le district marécageux du Lincolnshire, les brouillards ont diminué de neuf dixièmes en intensité, et que la santé des habitants s'en trouve beaucoup fortifiée.
« M. Barré de Saint-Venant rapporte aussi que dans le district de Kelso, en Ecosse, depuis l'exécution des travaux d'égouttage, la fièvre et l’hydropisie, qui formaient la moitié des épidémies, ont presque entièrement disparu.
« Enfin nous citerons le relevé que donnera M. Pearson, suivant le nombre des cas de lièvre et de dysenterie, observés à une année de distance, dans une partie du district de Wolton, où des opérations de drainage ont été exécutées sur une grande étendue de terrains.
(Ce tableau n’est pas repris dans la présente version numérisée. Il indique que les cas de fièvre et de dysenterie sont passé de 102 en 1847 à 16 en 1848).
« Le drainage, dans ses effets directs et indirects, est donc appelé à produire des résultats immenses et que nous osons dire merveilleux ; c'est là, nous pouvons l'affirmer, une grande mesure hygiénique, agricole et humanitaire. C'est le drainage appliqué aux pays palustres surtout dans ces conditions, pour ainsi dire, spéciales, qui non seulement assainit directement le sol, mais qui assainit aussi indirectement l'atmosphère ; (page 1067) par son action, il modifie, détruit tors les phénomènes météorologiques ci-dessus et qui sont non pas la cause, ma i l'élément fébrigène lui-même. »
Et à l'occasion de la discussion de cet important travail de M. le docteur Burdel, pas une voix discordante ne s'est fait entendre au congrès, tout ce qu'il y eut là d'hommes importants, accourus de tous les coins de l'Europe, confirmèrent au contraire les assertions du médecin de Vierzon, et n'hésitèrent pas à proclamer bien haut que la disparition des fièvres palustres est au prix du drainage de terrain qui lui donnent naissance et par conséquent du creusement des canaux que l'état des lieux peut rendre nécessaire pour servir de débouché aux eaux que les drains doivent amener.
Voici entre autres comment s'exprima un des orateurs :
« A l'appui des bons résultats qu'on obtiendrait, je citerai ce que j'ai vu dans un des départements du centre de la France, le département de l'Allier. Il y a une trentaine d'années, de nombreux marais existaient dans les cantons situés entre les rivières l'Allier et la Loire. Ces cantons étaient le siège de fièvres intermittentes presque universellement répandues. Alors le drainage était à peu près inconnu. Des agriculteurs intelligents et habiles entreprirent et exécutèrent le dessèchement d'un grand nombre de marais et dès que ces opérations étaient accomplies on voyait disparaître les fièvres et leur triste cortège. »
J'appelle donc, j'appelle de toutes mes forces l'attention du gouvernement sur le creusement des canaux que cette grande opération de l'assainissement du littoral nécessitera.
Il ne s'agit pas ici de donner plus ou moins de satisfaction à tel ou tel arrondissement, ce qui m'importe assez peu ; c'est la santé, c'est la vie d'un grand nombre de nos concitoyens que je viens vous demander de sauvegarder. Je ne saurais assez insister là-dessus. Les désastres de la fièvre paludéenne sont effrayants et incalculables. A cet égard le doute n'est plus même possible. Il faut les avoir vus soi-même pour pouvoir s'en rendre compte.
J'ai donc l'espoir, puisque le mal peut être anéanti, j'ai la confiance que notre honorable ministre des travaux publics ne tardera pas à faire étudier cette importante question.
De tous les travaux qu'un pays puisse entreprendre, les plus utiles et les plus productifs sont incontestablement les travaux hygiéniques, puisqu'ils ont pour résultat infaillible de tripler, de quadrupler la force productrice, et d'augmenter par conséquent dans une proportion considérable le bien-être et la prospérité des populations. Dans notre Belgique, messieurs, ces travaux ne sont pas seulement une nécessité, mais l'accomplissement d'un grand devoir. Un million de dépense pour l'assainissement de notre littoral, produirait des effets cent fois plus utiles que l'ouverture de quelques routes dans certains arrondissements qui, rigoureusement parlant, n'en ont peut-être pas besoin.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, quoiqu'il y ait encore un grand nombre d'orateurs inscrits, ou plutôt à cause du grand nombre d'orateurs qui sont encore inscrits, je ne crois pas devoir tarder plus longtemps d'entrer moi-même dans le débat.
Vous avez vu, messieurs, défiler devant vous une foule d'observations et de récriminations. C'est le sort ordinaire des projets d'ensemble de travaux publics ; et le projet de loi actuel, quelque ample qu'il soit, n'avait pas la prétention, n'avait pas l'ambition d'échapper aux reproches qu'il a soulevés. Tous les projets de travaux publics sont attaqués et point défendus ; cependant ils finissent en général par passer. C'est, messieurs, que les intérêts satisfaits ne disent rien, et que les intérêts non satisfaits élèvent la voix avec plus ou moins d'acrimonie.
Sans doute, parmi les observations qui ont été soumises à la Chambre dans le cours de la discussion, eu tant qu'il s'agisse de s'enquérir si les travaux demandés présentent une véritable utilité, il y eu a plusieurs qui sont fondées. Mais j'ajoute que cette circonstance ne suffit pas pour vicier le projet da loi. Il faudrait prouver de plus que ce projet peut être amendé en ce sens qu'il y aurait lieu d'affecter à des objets nouveaux une partie des crédits proposés par le gouvernement pour d'autres objets ; ou bien qu'il y a possibilité d'augmenter la dépense totale proposée par le gouvernement.
Messieurs, je constate avec satisfaction qu'aucun amendement n'a été présenté dans le premier sens. Un seul orateur, l'honorable M. Kervyn, en a parlé par voie d'insinuation ; mais personne n'a demandé positivement d'affecter à des travaux nouveaux, une partie des crédits proposés par le gouvernement pour d'autres travaux.
Respecter ainsi dans leur intégralité les propositions du gouvernement, c'est rendre un hommage, précieux pour le gouvernement, à la loyauté, à la conscience et à l'équité avec lesquelles il a élaboré le projet de loi.
La seule question est donc de savoir si le gouvernement n'a pas péché par en ces de timidité, en restreignant à 60 millions la somme qu'il propose d'affecter à des travaux publics.
Voici, messieurs, la marche que le gouvernement a suivie dans la préparation du projet de loi. Cette marche lui a semblé commandée par la prudence et par la logique.
Le gouvernement ne s'est pas demandé quels étaient les travaux à faire et par conséquent quelle était la somme totale à pétitionner de la législature ; il a renversé et il devait renverser les termes de la question : il s'est demandé quelle était la somme dont le trésor pouvait disposer. Cette somme fixée, il y a encadré le plus possible des travaux publics qui sont à l'ordre du jour.
Je dis que cette marche était commandée au gouvernement par le bon sens et la prudence.
Si en effet le gouvernement avait dû pourvoir à tous les travaux d'utilité publique qui sont à entreprendre, il serait arrivé tout de suite à une somme inabordable ; il devrait donc se restreindre, mais devant se restreindre, ne s'est-il pas tenu dans des bornes trop étroites ?
D'abord le chiffre de 60 millions est un chiffre assez respectable, mais le chiffre de 60 millions ne représente pas le montant réel de la dépense totale proposée ; il faut y ajouter le coût de l'établissement du chemin de fer direct de Bruxelles à Châtelineau ; car ce chemin de fer est établi en réalité par l'Etat ; suivant un mode spécial d'emprunt, on contracte ici un emprunt indirect qui ne diffère des emprunts ordinaires qu'en ceci, que le prêteur est associé aux chances de l'entreprise.
Dès lors, la dépense de construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et à Châtelineau, vient augmenter l'import des crédits proposés dans le projet de loi.
Or, si l'on calcule le nombre de kilomètres à construire, et si l'on s'en rapporte à la moyenne de ce qu'a coûté par kilomètre le chemin de fer de l'Etat en exploitation aujourd'hui, la nouvelle ligne à construire coûterait au minimum 20 millions.
J'ai donc le droit de dire que le projet de loi sur lequel vous êtes appelés à délibérer comporte 80 millions de francs.
Messieurs, c'est, et de beaucoup, le projet le plus considérable qui ait été présenté aux Chambres depuis 1830. Et ce projet d'une importance si réelle vient à la suite d'une série d'autres lois de même nature que vous avez votées dans un petit nombre d'années.
Permettez-moi, messieurs, de vous rappeler en deux mots ce qui a été fait depuis, par exemple, que j'ai l'honneur d'être à la tête du département des travaux publics.
Je ne parle que des crédits qui ont été affectés à mon département.
En 1859, la Chambre a alloué au département des travaux publics 28,850,000 fr.
En 1860, 780,000 fr.
En 1861, 5,900,000 fr.
En 1862, 15,500,000 fr.
Eu 1863, 4,070,000 fr.
En 1864, 6,500,000 fr.
Enfin le projet actuel monte, non compris le chemin de fer direct de Bruxelles sur Charleroi, à 48,600,000 fr.
Ainsi, messieurs, en sept années les Chambres auront voté plus de 110 millions pour le seul département des travaux publics.
Pendant le même laps da temps, elles ont voté, pour le matériel des chemins de fer, 11,600,000 fr.
Cela fait un total de 122 millions de fr., bien entendu outre les dépenses budgétaires. Je parle des crédits spéciaux.
Messieurs, si vous ajoutez à ce chiffre la somme de 20 millions que doit coûter le chemin de fer direct de Bruxelles sur Châtelineau, vous aurez donc, en supposant la loi actuelle acceptée par vous, alloué au département de travaux publics en 7 années, 142 millions.
Si l'on a égard à la population seulement, cela représenterait pour la France, par exemple, un milliard à un milliard et demi de francs.
Certainement cette comparaison est glorieuse, je puis le dire, pour la Belgique, et si je l'établis, c'est pour montrer combien la Belgique renferme de ressources en elle-même. C'est pour prouver aussi combien le gouvernement s'est évertué à mettre ces ressources en œuvre.
Je crois, messieurs, et divers orateurs de la droite elle-même s'en sont exprimés ainsi, que l'on rend généralement justice au cabinet des efforts constants qu'il a faits pour favoriser les intérêts matériels, et j arrive à cette conclusion que le gouvernement n'a pas été au delà de ce (page 1068) qu'il propose dans le projet de loi qui vous est soumis, c'est qu'il avait la conviction intime qu'aller au delà, serait s'exposer à compromettre la situation financière.
Messieurs, cette considération suffit d'une manière générale, et en attendant que j'entre dans plus de détails, peur justifier le gouvernement de l'opposition qu'il fait à tous les amendements qui ont été déposés, ayant pour objet de majorer les crédits inscrits au projet de loi ou d'en porter de nouveaux.
Dès aujourd'hui, ces amendements montent à un chiffre assez élevé.
Nous avons en effet l'amendement concernant la Meuse supérieure, consistant à majorer le crédit de 3,500,000 fr.
Nous avons l'amendement concernant la Nèthe, se montant à 1,300,000 fr.
Nous avons l'amendement pour les routes du Limbourg, 1 million.
Nous avons le rachat des embranchements du canal de Charleroi se montant à 2,800,000 francs.
Gela fait une somme de 8,600,000 fr. à ajouter aux 80 millions sollicités par le gouvernement.
Messieurs, quand le gouvernement a proposé de faire des dépenses aussi considérables, il a indiqué d'une manière précise les voies et moyens ; il faut donc aussi indiquer les voies et moyens pour les sommes que vous demandez en plus.
Que propose-t-on ? De prélever ces sommes sur les ressources ordinaires.
Mais est-on sûr qu'il y aura des excédants sur les ressources ordinaires ? Et s'il n'y en avait pas, comment obvierait-on aux embarras du trésor ?
L'honorable M. Moncheur a une recette toute prête : il y aura des excédants sur les ressources ordinaires, affirme-t-il.
Mais, messieurs, les évaluations que le gouvernement a fait connaître à la Chambre tendent plutôt à prouver le contraire. Puis, en admettant la thèse de l'honorable membre qu'il y aura des excédants dont il n'ait pas été tenu compte, ne se présentera-t-il pas aussi des besoins extraordinaires et imprévus ? La question n'est pas de savoir s'il y aura des besoins extraordinaires ; cela est certain ; la question est bien plutôt de savoir quelle sera l'importance de ces besoins.
Maintenant, messieurs, en tenant compte des besoins extraordinaires, il y aura des excédants ou il n'y en aura pas ; s'il n'y en avait pas, vous seriez bien au regret d'avoir compromis la situation financière, mais s'il en avait, que voulez-vous que le gouvernement en fasse ?
Il vous en proposera, cela va de soi, l'emploi, probablement suivant vos propres indications. Ainsi pour la Meuse, le gouvernement est d'avis que ce travail doit se faire le plus tôt possible ; si donc il y a des excédants de ressources ordinaires, le gouvernement viendra proposer d'achever les travaux de la Meuse.
Ainsi le résultat de la marche que nous préconisons vous donnera toute satisfaction dans l'hypothèse que vous croyez devoir se réaliser.
M. Moncheur. - Et s'il n'y a pas de ressources extraordinaires.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Mais alors comment voulez vous qu'on fasse les travaux ? Messieurs, je dois dire que je constate avec une grande surprise que la prétention de l'honorable M. Moncheur est de faire achever les travaux de la Meuse alors même qu'il n'y aurait pas d'argent dans le trésor.
M. Moncheur. - Encadrez ce travail dans votre projet.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je voudrais bien savoir de quel droit vous prétendriez être privilégiés ! Vous êtes déjà privilégiés considérablement, de quel chef le seriez-vous davantage encore ?
M. Moncheur. - La canalisation ne deviendra utile que lorsqu'elle sera achevée.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Mon raisonnement est fort simple : s'il y a des excédants de ressources, ils seront appliqués aux travaux en cours d'exécution ; s'il n'y en a pas, il ne faut pas prendre des engagements qui finiraient par mettre le trésor dans une situation inextricable.
Je parle, messieurs, d'amendements s'élevant à 8,600,000 fr., mais qu'un seul amendement passe, il ouvre la porte à vingt autres.
Le canal de Turnhout est commencé ; pourquoi les députés d'Anvers et les députés de Turnhout ne présenteraient-ils pas immédiatement un amendement pour augmenter de 2 millions le crédit, demandé pour ce travail ?
M. Delaetµ. - Il faut davantage.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Vous voyez, messieurs, d'après l'interruption de l'honorable M. Delaet, que je suis très modéré dans mes évaluations.
Il y a encore un barrage à construire à l'aval de Liège. Ce barrage a été solennellement promis. Pourquoi faites-vous passer la Meuse supérieure avant la Meuse inférieure où les travaux sont près d'être achevés ?
L'amélioration du port de Nieuport pour lequel nous portons un million en coûtera 5 ou 6 d'ici à certain temps. Pourquoi commencer par une somme aussi faible ?
Voilà une localité intéressante, le dernier de nos ports de mer pour lequel rien n'a été fait.
M. J. Jouret. - Est-ce que le gouvernement n'a pas l'habitude de commencer par les travaux les plus pressés ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Il y a l'achèvement du réseau du chemin de fer de l'Etat. Y a-t-il quelque chose de plus intéressant et de plus désiré par tout le monde ?
Nous avons évalué à 16 millions la dépense qui reste à faire pour le complet achèvement de ce réseau, nous demandons 8 millions. Pourquoi ne pas demander la somme entière ? Vous voyez donc que les 8,600,000 fr. proposés, s'ils avaient quelque chance d'être acceptés par la Chambre, ne seraient que les précurseurs d'une foule d'autres millions.
Voilà, messieurs, la raison générale que j'oppose aux amendements présentés. Mais il y a des raisons spéciales à chacun d'eux et dans le cours de la discussion je les ferai connaître. Je commence, messieurs, ma revue des réclamations qui ont surgi par celles qui se rapportent au Limbourg.
Le Limbourg, messieurs, se prétend négligé entre tous. On a fait peu dans le passé et l'on ne fait rien pour lui dans le présent.
Le Limbourg me permettra, puisqu'il a été si vif dais ses récriminations, d'établir en peu de mots son compte. Il prétend d'abord qu'il n'a rien dans le projet de loi actuel.
Comme l'honorable rapporteur de la section centrale le faisait remarquer hier, le Limbourg a tout au moins les 600,000 fr. demandés pour l'exécution du traité passé avec les Pays-Bas, ce travail ayant pour objet de permettre aux irrigateurs de continuer leurs opérations. Or, il me semble que les irrigateurs de la Campine ont particulièrement leur siège dans le Limbourg.
M. Julliot. - La province d'Anvers y est intéressée pour la moitié.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'ai dit particulièrement et je le maintiens. Voilà donc 600,000 francs, mais il faut rattacher cette somme aux 1,200,000 francs votés l'année dernière pour le même objet. Or l'année dernière quand on est venu demander isolément cette dernière somme, je n'ai pas entendu que les honorables représentants et sénateurs du Limbourg se soient levés pour dire : « Vous faites une loi pour nous seuls ; cela n'est pas juste ; il faut étendre les largesses du trésor aux autres provinces.3
Les honorables membres qui ont plaidé cette cause voudront bien me permettre de porter également au compte du Limbourg ces 1,200,000 francs votés par anticipation.
Mais n'y a-t-il que cela ?
Il me semble, messieurs, que je puis bien porter aussi à l'actif du Limbourg une partie de la somme demandée pour le raccordement de la station de Vivegnis avec la station de Guillemins.
Vous ne contesterez pas que cela ne tous soit utile et que cela ne complète votre ligne de Tongres à Bilsen.
M. Juilletµ. - Pour une petite part, oui.
M. Bouvierµ. - Il le reconnaît !
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Ce raccordement doit coûter 3,000,000 fr.
M. Julliot. - Un dixième.
- Une voix. - C'est encore trop.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - On veut bien reconnaître que le Limbourg a un intérêt dans ce raccordement ; mais on dit que cet intérêt est minime. Eh bien, je dis qu'il est grand, je prétends même qu'il est plus grand pour le Limbourg que pour la province de Liège, parce que le Limbourg a plus besoin de ce raccordement que la province de Liège, qui a beaucoup de ressources en elle-même.
Voilà pour le présent. Maintenant pour le passé, l'honorable M. Hymans vous l'a fait remarquer, vous êtes une des provinces les mieux dotées en toutes choses, vous avez des chemins de fer, des routes, des canaux, et vous avez tout en abondance.
M. Allard. - Les canaux ne rapportent rien.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Les canaux ne rapportent rien pour le trésor, mais ils rapportent beaucoup aux Limbourgeois.
(page 1069) Pour les canaux je puis bien, je pense, tout imputer une part dans le canal de Liège à Maastricht et dans le canal de jonction de la Meuse à l'Escaut qui, tous deux, traversent votre province.
Mais on a fait, pour vous, des dépenses spéciales du chef de canaux.
Les embranchements de Hasselt et de Beverloo ne profitent qu'à Hasselt et à Beverloo : ces embranchements ont coûté des millions.
Le Limbourg a des chemins de fer dans toutes les directions et, en ce moment, on en construit et l'on va en construire encore plusieurs, qui font de cette province une des provinces les mieux pourvues.
M. de Woelmontµ. - Elle n'en a que 27 lieues.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Mais la superficie territoriale du Limbourg ne comporte que 211,000 hectares, c'est-à-dire pas la moitié de la superficie d'autres provinces du pays.
Ce qui offusque surtout le Limbourg c'est, paraît-il, la comparaison avec le Luxembourg. Mais pour les chemins de fer, quelle est la situation quia été faite au Luxembourg ? On a donné à la compagnie du Grand-Luxembourg une garantie d'intérêt purement nominale ; cette compagnie a encaissé en tout de ce chef 388,000 fr. et déjà en ce moment elle restitue cette somme. Vous le voyez, la garantie d'intérêt a été purement nominale. La garante de minimum d'intérêt a été réaffectée aux chemins de fer de l'Ourthe et de Spa au Grand-Duché. Mais en ce qui concerne le chemin de fer de l'Ourthe la garantie sera encore purement nominale.
L'intervention du trésor en ce qui concerne le Luxembourg ne s'est donc jamais traduite en sacrifices réels. En est-il de même pour le Limbourg ? Le gouvernement a construit la section de Landen à St-Trond ; il l'a donné gratuitement en prime à la société qui a construit la section de Saint-Trond à Hasselt. Il y a deux ans il a affecté à la ligne de Tongres à Bilsen une garantie de 75,000 fr. et ici il ne s'agit pas d'une garantie nominale, je crains bien, au contraire, qu'elle ne soit payée pendant toute sa durée.
M. Julliot. - Non, non.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'en accepte l'augure mais vous me permettrez d'en douter.
Le gouvernement a accordé en outre à la section de Tongres à Ans, une garantie de minimum d'intérêt de 40,000 fr. ; je veux bien admettre que cette somme pourra un jour être remboursée, mais je ne me porte pas caution de ce résultat. Prochainement on va ouvrir un nouveau chemin de fer : celui de Diest à Hasselt reliant Hasselt à Anvers.
M. Thonissenµ. - Le gouvernement n'y est pour rien.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Le gouvernement n'y est pour rien, mais la population limbourgeoise ne s'en trouvera pas moins dans une condition meilleure, ce dont je la félicite. Il y a encore un chemin de fer concédé auquel on travaille, celui de Hasselt à Eindhoven.
J'ai concédé aussi le chemin de fer de Tirlemont à Diest dont on demande le prolongement jusqu'à Beverloo ; je fais exception en faveur de ce chemin à la règle que je me suis imposée d'ajourner toute nouvelle concession ; et si le demandeur dépose le cautionnement en temps opportun, je présenterai encore dans cette session un projet spécial pour cet objet. Il y a d'autres chemins de fer qui sont demandés ; toutes ces de-demandes seront examinées en temps utile (Interruption), probablement pour la session prochaine. Je déclare que je les examinerai avec une bienveillance particulière, parce que je désire que la Campine reçoive le plus de voies de communication possible.
Je désire seulement ne pas être obligé de les examiner avant le temps.
Je passe aux routes.
C'est au sujet des routes que le Limbourg a fait entendre les doléances les plus vives, et je m'en étonne, car la province de Limbourg a été positivement privilégiée ici entre toutes ; non seulement elle a reçu sa part équitable, mais elle a été favorisée.
Pour s'en convaincre, il suffit de consulter les deux principaux éléments de comparaison : la population de la province et sa superficie territoriale. Sous l'un et sous l'autre rapport, la province de Limbourg est au bas de l'échelle, elle vient après toutes les autres provinces du pays.
A l'époque du dernier recensement publié au 31 décembre 1863, sa population était de 199,000 habitants, c'est-à-dire de moitié approximativement de la population de l'agglomération de Bruxelles, d'un peu plus que la population de chacune des villes de Liège, de Gand et d'Anvers ; sa superficie territoriale est, je viens de l'indiquer, en tout de 241,000 hectares.
Donc, si, quant au nombre de routes construites dans diverses provinces, le Limbourg ne vient pas en toute dernière ligne, c'est qu'il a été privilégié, cela me paraît clair.
M. Thonissenµ. - Et le démembrement de 1839 ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Nous allons voir si vous avez reçu une compensation équitable. Il est reconnu que le Limbourg est au bas de l'échelle...
M. Thonissenµ. - Aussi pour les contributions ?
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Non, pour les contributions il ne vient qu'en huitième ligue.
Eh bien, en tenant compte de cette circonstance, voyons quelle est la situation qui a été faite au Limbourg quant au nombre de routes construites par l'Etat, non pendant une période décennale, base prise par l'honorable M. Hymans, mais pendant toute la période écoulée depuis 1830 jusqu'à 1863, ce qui vaut mieux.
Quant au nombre de routes construites par l'Etat, ce nombre monte à 62 pour la province de Limbourg, et place cette province au 4ème rang, tandis qu'elle ne devrait figurer qu'au 9ème rang, eu égard à la population ou à la superficie, qui sont les deux véritables éléments de comparaison. Mais, messieurs, voici un rapprochement beaucoup plus intéressant : en ce qui concerne la somme absolue qui a été dépensée, le Limbourg vient également en 4ème ligne ; et ici, messieurs, il ne s'agit plus de savoir si les travaux de voirie faits dans le Limbourg coûtent plus ou moins que dans d'autres provinces.
Je vous donne le chiffre total de la défense faite dans le Limbourg et je vous prouve que sous ce rapport encore le Limbourg figure à un rang que ne lui assigne nullement sou importance. Enfin, messieurs, quant au rapport entre le nombre de kilomètres de routes et la population de chaque province, le Limbourg arrive en troisième ligne. Par conséquent, à tous égards, et, permettez-moi de vous le dire, vous auriez tort de le contester, vous avez été privilégiés.
Maintenant, prétendez-vous que vous avez droit à ce privilège à raison du démembrement opéré en 1839 ? Soit ! Mais que signifie cet argument ? Que le gouvernement avait un devoir à remplir, que ce devoir il l'a rempli, et que, par conséquent, vous n'avez plus le droit de vous plaindre.
Nonobstant cela, la province de Limbourg demande un million spécial pour construction de routes sur son territoire. Eh bien, messieurs, en présence des renseignements statistiques que je viens de rappeler, je dis que le gouvernement ne pourrait pas, sans injustice pour les autres provinces, donner son assentiment à cet amendement. Je dis que cet amendement ne repose sur aucune base raisonnable et j'engage vivement les honorables députés du Limbourg, signataires de cet amendement, à le retirer. Je ne suis certainement pas mû par un sentiment de justice trop étroite à l'égard du Limbourg ; loin de là, si je puis lui être favorable dans la répartition du crédit total de 2 millions que je demande, je le ferai bien certainement ; et si les honorables membres consentent, comme je les y invite, à retirer leur amendement, je m'engage très volontiers, de mon côté, à régler la répartition du crédit d'une manière généreuse pour le Limbourg.
Messieurs, je ne veux pas quitter cette province sans dire un mot d'une réclamation qui a été produite par l'honorable comte Vilain XIIII. L'honorable député de Maeseyck a demandé l'intervention du gouvernement pour l'établissement d'un chemin de fer de Maeseyck à Hasselt. Je déclare sans hésiter que je suis très sympathique à la demande de l'honorable membre. Il y a, selon moi, deux villes qui se trouvent dans la même position au point de vue de l'utilité qu'il y aurait à les relier au réseau général des chemins de fer ; c'est Maeseyck et Virton.
M. Bouvierµ. - A la bonne heure ! (Interruption.)
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je crois donc, messieurs, que le gouvernement se conduira équitablement en cherchant à résoudre ces deux questions. Comment ? Je l'ignore ; mais ce que je puis promettre aux deux honorables membres pour les arrondissements qui les intéressent respectivement, c'est que le gouvernement s'occupera de la question avec bienveillance et avec le désir d'apporter une solution.
Pour en revenir au Limbourg, je dois dire un mot d'un objet spécial dont il s'est agi souvent dans le cours de cette discussion ; je veux parler d'un canal de Hasselt à Diest.
Cette demande, messieurs, a été amplifiée par les honorables députés de Louvain qui ont demandé et ce canal et le prolongement de ce canal de Willebreock vers le Rupel.
Eh bien, je dirai très franchement que je suis hostile à ces divers canaux.
(page 1070) Ces canaux, messieurs, ont été demandés depuis 10 à 15 ans ; à cette époque je comprenais une pareille demande ; je ne la comprends plus aujourd'hui, Je trouve que la situation a totalement changé et que ce qui pouvait être demandé avec fondement ou aves quelque apparence de fondement il y a quelques années, ne peut plus l'être aujourd'hui.
La situation a complètement changé parce que, à l'époque où cette demande s'est produite pour la première fois, il n'y avait pour Diest dans aucun sens, ni pour Hasselt dans la direction du Brabant, aucune voie de communication autre que des routes.
Depuis lors, Hasselt s'est trouvé relié au réseau général des chemins de fer par une ligne aujourd'hui en exploitation ; Diest se trouve relié du même coup avec l'Allemagne d'un côté, avec la province d'Anvers de l'autre ; il le sera bientôt avec Tirlemont et en même temps avec la Hollande par la concession dont je parlais tout à l'heure. C'est-à-dire que Diest va se trouver au centre de quatre voies ferrées.
Eh bien, est-ce au moment où Diest et Hasselt vont se trouver si largement dotés qu'on peut sérieusement réclamer des canaux, qu'on n'est pas même certain de pouvoir alimenter et qui seraient à établir parallèlement au chemin de fer ? Franchement, messieurs, cela n'est pas raisonnable, et j'engage vivement les honorables membres qui sollicitent ce travail à ne pas insister.
Puisque je parle de chemins de fer et que nous sommes dans le Limbourg et dans le Luxembourg, je dirai deux mots, en passant, en réponse à l'honorable M. de Moor qui m'a demandé où en étaient les études du chemin de fer appelé chemin de fer Forcade, et s'il était vrai que la société concessionnaire se disposât à s'écarter de son cahier des charges quant à la direction à donner à l'ensemble de ses lignes.
Je répondrai donc que des avant-projets ont déjà été déposés au département des travaux publics, mais qu'ils n'ont pas fait jusqu'ici l'objet d'un examen sérieux de l'administration, attendu que cet examen ne doit porter que sur des projets définitifs. Ils ont donc été renvoyés à la compagnie.
Mais quant à la question de savoir si la compagnie se disposerait à s'écarter de son cahier des charges quant à la direction de ses dernières lignes, il est évident que si cette prétention était secrètement nourrie par la compagnie, elle ne pourrait à aucun prix être accueillie par mon département. Une loi est une loi et une convention avec une société concessionnaire, ratifiée par une loi, fait partie de cette loi. Par conséquent, demander si la compagnie sera autorisée, par exemple, à s'écarter de la direction à donner à ses lignes, des points indiqués, comme obligés, dans le cahier des charges, c'est demander si le gouvernement méprisera la loi.
Messieurs, cette question n'en est pas une : le cahier des charges sera fidèlement, strictement observé.
J'en reviens, messieurs, à la question de la Meuse.
Les honorables MM. Moncheur et Lelièvre ont déposé des amendements tendant à augmenter de 3 millions et demi le crédit demandé pour la canalisation de la Meuse supérieure.
Vous avez entendu, messieurs, la théorie de l'honorable M. Moncheur : il faut faire passer les travaux urgents avant les travaux simplement utiles et les travaux en cours d'exécution avant les travaux nouveaux.
Eh bien, il n'est rien de moins gouvernemental que cette théorie, et si l'honorable membre faisait partie d'un cabinet, il se conduirait exactement comme nous, j'en suis bien convaincu, quand il s'agirait de dépenses pour travaux d'utilité publique.
Qu'est-ce qu'un travail urgent et qu'est-ce qu'un travail utile ? Je crois que l'honorable membre serait fort embarrassé de le dire.
En 1851, l'honorable membre faisait déjà, je crois, partie de cette Chambre ; eh bien, en 1851, le gouvernement est venu proposer un premier crédit de huit millions pour les travaux de la canalisation de la Meuse ; mais qu'est-il venu proposer, et je cite cet exemple, parce qu'il est spécial à l'arrondissement que je représente ici ; qu'est-il venu proposer pour les travaux du canal de dérivation des eaux de la Lys ?
Il a consenti à allouer 400,000 fr. pour un travail qui devait coûter une dizaine de millions et ces 10 millions ont été votés plus tard et successivement.
Cependant ces travaux de dérivation des eaux de la Lys étaient de la dernière urgence pour la ville de Gand ; nous étions inondés par suite de l'élargissement de l'écluse d'Antoing qu'on avait consenti à la France dans un intérêt national ; nous étions inondés, non par le fait de notre situation topographique, non en vertu d'un état de choses ancien, mais en vertu d'un état de choses récent, créé par le gouvernement dans l'intérêt général du pays, par mesure politique.
Or, je n'ai pas souvenance qu'à cette époque, l'honorable M. Moncheur se soit levé et ait dit au gouvernement : « Quoi ! vous propose» huit millions pour la canalisation de la Meuse, et vous ne demandez que 400,000 francs pour l'établissement du canal de dérivation de la Lys !.. Cela n'est pas juste : il faut faire passer les travaux urgents avant les travaux simplement utiles. »
Travaux utiles et travaux urgents... Je disais à l'honorable membre qu'il serait très embarrassé d'en donner la définition, de séparer les uns des autres. Voyons, puisque nous parlons des Flandres et de la Meuse, quel intérêt présente pour les Flandres la canalisation de la Meuse ? Sans doute c'est un travail utile, urgent même pour ceux qui sont appelés à en profiter ; mais pour les autres parties du pays, c'est une chose fort indifférente.
Messieurs, en fait de travaux d'utilité publique, ce que le gouvernement doit faire, ce n'est pas de concentrer sur un petit nombre de points du pays toutes les ressources dont il dispose à un moment donné, mais de les répartir, dans une certaine mesure, sur tout le pays.
Ce système peut offrir des inconvénients, mais il est impossible de gouverner autrement.
Cela étant, demandons-nous si la Meuse a été suffisamment dotée jusqu'ici. Je ne veux pas aller au delà de 1861. Eh bien, voici ce qui a été alloué pour la Meuse depuis cette époque et ce que nous proposons d'allouer encore :
En 1861, 5,000,000
En 1862, 2,000.000
En 1863, 1,400,000
En 1864, 2,000,000
En 1865, 2,000,000
De manière que depuis 1861, en cinq ans, on aura affecté à la canalisation de la Meuse une somme de 10,400,000 francs.
Je ne parle pas des 8 millions alloués avant 1861.
Je vous le demande, messieurs, la Meuse n'a-telle pas eu sa large part dans les crédits portés par la législature pour travaux d'utilité publique ?
Messieurs, je le dis avec conviction, aller au delà de ce que propose aujourd'hui le gouvernement, c'est desservir la Meuse ; c'est rendre mauvaise une cause bonne, c'est la dépopulariser ; et je crois que dans l'intérêt de la Meuse elle-même, l'honorable M. Moncheur eût beaucoup mieux fait de ne pas présenter son amendement.
A l'adoption de cet amendement j'oppose donc cette raisin générale, que la Meuse a reçu largement sa part dans les crédits qui ont été accordés successivement par la législature.
De plus, il y a des motifs spéciaux qui militent contre l'amendement de l'honorable M. Moncheur. D'abord, il s'agit d'appliquer un nouveau système de barrages ; il est donc nécessaire que nous expérimentions ce système avant de l'étendre à la canalisation sur toutes la partie supérieure de la Meuse. Un second motif spécial, c'est qu'à la différence de beaucoup d'autres travaux publics, à la différence, par exemple, des chemins de fer de raccordement et de ceinture que l'honorable membre a cités pour les critiquer, chaque barrage établi sur la Meuse produit une partie de son utilité même avant que la canalisation soit complète.
Messieurs, j'aborde une autre question. Celle-ci est plus importante. Je veux parler du rachat des embranchements du canal de Charleroi. J'ai déjà fait connaître à la Chambre les motifs qui m'engagent à ajourner la solution de cette question.
Un de ces motifs, c'est qu'il n'est pas moralement possible de prendre une décision isolée, quant aux embranchements ; nous avons, dans le pays, d'autres canaux qui ont des péages très élevés. Il s'agit donc de savoir si, comme le prétend l'honorable M. Jouret, avec ses honorables collègues de l'arrondissement de Soignies, il existe une raison décisive pour décréter aujourd'hui d'une manière exceptionnelle le rachat des embranchements du canal de Charleroi, en laissant à l'écart le canal de Bossuyt, le canal de l'Espierre, le canal de l'Ourthe et d'autres canaux encore.
La raison générale qu'on invoque en faveur du rachat immédiat des embranchements du canal de Charleroi, c'est l'exagération des péages et l'intérêt des consommateurs ; eh bien, l'intérêt des consommateurs consiste à acquitter partout le moins de péages possible.
Il faut donc autre chose pour justifier le rachat immédiat et isolé des embranchements du canal de Charleroi ? Y a-t-il autre chose ?
M. J. Jouret. - Cela n'est pas douteux.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Cela est très douteux pour moi.
L'honorable membre a commencé par dire, thèse étrange, comme vous allez voir, qu'il existait un premier motif exceptionnel du chef de l'abaissement des péages qui sera la conséquence de la loi dont la Chambre est saisie en ce moment.
(page 1071) Cette thèse, messieurs, est tellement étrange, que je sens le besoin de vous lire quatre lignes des Annales parlementaires, dans lesquelles l'honorable membre a nettement expliqué et résumé sa pensée.
Voici ce passage :
« Si le rachat ne s'opérait pas, la réduction prochaine des péages qui est une mesure générale qui sera favorable à tout le pays, à nous comme aux autres, serait bien loin, relativement au bassin de Charleroi, d'améliorer notre position ; c'est bien plutôt le contraire qui aurait lieu. »
Messieurs, je n'invente donc pas, je n'imagine rien en soutenant que l'honorable M. Jouret est d'avis que pour le bassin du Centre, il voudrait mieux ne pas appliquer la loi que vous voterez, je pense, prochainement.
M. J. Jouret. - Eu égard à Charleroi.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Eu égard à Charleroi. L'honorable M. Jouret prétend donc que la position relative du Centre vis-à-vis de Charleroi éprouvera un préjudice plus ou moins grave.
M. J. Jouret. - Certainement.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Nous allons voir. Puisque vous dites : « certainement », je vais avoir l'honneur de donner les chiffres. Vous me direz si ces chiffres sont exacts ou inexacts.
Voici quelle a été, depuis l'origine de la mise en exploitation des embranchements du canal de Charleroi, la position relative du Centre, faisant usage de ces embranchements, et du bassin de Charleroi.
Les embranchements ont été mis en exploitation en 1839. C'est également en 1839 que l'Etat a racheté le canal de Charleroi.
En 1839, voici quelle était, par rapport au Centre, le régime des péages.
Le Centre payait d'abord une taxe spéciale du chef de parcours effectué sur les embranchements ; puis du chef du parcours sur une partie du canal de Charleroi, il payait la taxe entière de ce dernier canal.
La position relative était donc celle-ci :
Quant au parcours sur le canal de Charleroi, les deux bassins étaient mis absolument sur la même ligne.
Il y avait donc surtaxe, au détriment du Centre de tout le montant de la taxe payée sur les embranchements.
Cette taxe était, dans la direction de l'ouest, de 1 fr. et dans la direction de l'est de 75 centimes.
Cet état de choses a duré jusqu'en 1849.
En 1849, le gouvernement a abaissé les péages sur le canal de Charleroi ; mais le Centre a continué à acquitter la taxe intégrale sur ce canal, quoique n'effectuant qu'un parcours partiel.
A cette même époque, le gouvernement a obtenu de la compagnie concessionnaire des embranchements qu'elle réduisît également sa taxe, et la taxe de 1 fr. avant 1849 est tombée à 65 centimes, celle de 75 cent, est tombée à 48 cent.
Ainsi première amélioration dans la position relative.
Les péages ont été maintenus à ce taux de 1849 à 1860.
En 1860, le gouvernement a de nouveau diminué les péages sur le canal de Charleroi et il a réduit d'une manière spéciale la surtaxe qui grevait le Centre du chef du parcours sur le canal de Charleroi, de la moitié de cette surtaxe.
Le Centre, qui ne parcourait réellement que 10 lieues, et payait pour 15 n'a payé à partir de 1860 que pour 12 1/2 lieues.
Sous ce régime, la surtaxe qui était de 65 c. dans la direction de l'ouest jusqu'en 1860, est tombée à 45 c, et la surtaxe qui était de 48 c. dans la direction de l'est est tombée à 28 c.
Donc, par suite de cette seconde modification, nouvelle amélioration dans la position relative du Centre vis-à-vis de Charleroi.
Enfin, messieurs, faisons anticipativement application de la loi autorisant le gouvernement à réduire les péages dans une certaine mesure, et voyons quelle sera la nouvelle position relative du Centre.
Le Centre, en vertu de l'application que le gouvernement compte faire de cette loi, n'aura plus à payer aucune surtaxe du chef du parcours à effectuer sur le canal de Charleroi. On lui réduira la surtaxe de deux lieues et demie qu'il payait jusqu'ici.
M. J. Jouret. - Ce sera justice évidemment.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Ce sera justice, mais enfin il se trouvera que le Centre ne payera plus comme surtaxe que 40 centimes, là où aujourd'hui il paye 45 centimes, et 23 là où aujourd'hui il paye 28. Le dégrèvement est très faible, mais enfin il y a dégrèvement et l'honorable M. Jouret n'est pas admis à dire que l'application de la loi qui vous est soumise tournera au détriment du Centre. Elle tournera au profit du Centre.
M. J. Jouret. - Je persiste à dire que notre situation s'empirera.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Comment pouvez-vous maintenir cette proposition, lorsque je vous prouve par francs et centimes que c'est le contraire qui est vrai ?
Je viens de vous indiquer les chiffres que vous ne contestez pas et prouvant que la surtaxe qui grevait le Centre a été constamment en diminuant et qu'elle ira encore en diminuant par l'application de la nouvelle réduction de péages.
Vous ne contestez pas les chiffres et vous contestez les conclusions. Vous me permettrez de vous dire que je ne vous comprends pas.
M. J. Jouret. - Je vous le ferai comprendre.
M. Bouvierµ. - Tout cela paraît excentrique.
MpVµ. - Vos interruptions, M. Bouvier, sont contraires au règlement.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je dis donc, contrairement au soutènement de l'honorable M. Jouret, qu'il n'y a pas de motif spécial de racheter les embranchements du chef de l'abaissement prochain des péages sur le canal de Charleroi.
Existe-t-il un pareil motif, comme on l'a prétendu en second lieu, du chef de la construction du chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et à Châtelineau ? Il paraît que cette ligne préoccupe beaucoup l'honorable membre.
Je tiens aussi beaucoup à m'expliquer avec lui à ce sujet.
Je lui soumettrai d'abord à cet égard deux considérations ; puis je m'occuperai d'un argument qu'il a fait valoir comme triomphant.
Je ferai donc observer en premier lieu que racheter aujourd'hui les embranchements en vue d'un chemin de fer qui ne sera livré à l'exploitation que dans quelques années, cela ne me paraît pas rationnel. Si, en effet, il fallait racheter les embranchements parce qu'on fait le chemin de fer direct sur Charleroi, j'aurais le droit de dire : Attendez au moins que ce chemin de fer soit exploité.
L'honorable M. Jouret me fait un signe d'assentiment.
Je suppose que nous sommes d'accord sur ce point. Je ferai observer en second lieu qu’il ne me semble pas raisonnable de comparer le régime d'un canal avec le régime d'un chemin de fer, et je rappelle que même après la construction de la ligne directe de Bruxelles à Charleroi, le Centre se trouvera plus près de Bruxelles par chemin de fer que Charleroi.
M. J. Jouret. - C'est sa position.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - C'est sa position, oui, mais vous ne voulez cependant pas, je pense, faire peser sur le bassin de Charleroi une surtaxe définitive du chef du détour par Braine, qu'il a plu à l'Etat d'imposer à Charleroi pour se rendre à Bruxelles ?
Maintenant voici l'argument favori de l'honorable M. Jouret.
Le gouvernement a promis l'élargissement du canal de Charleroi. Malgré cet engagement formel, il substitue à cet élargissement un chemin de fer direct, et il dit : Je donne aux intéressés mieux que ce que je leur avais promis. Puis l’honorable membre ajoute : Mais les intéressés, c'est également nous, et qu'est-ce que vous faites pour nous ?
Messieurs, j'ai la conviction que l'honorable M. Jouret a jugé que son argument était très embarrassant. Je crois, moi, qu'il est très facile d'y répondre et je vais soumettre ma réponse à son appréciation.
Je suppose, messieurs, que le gouvernement n'ait pas fait la substitution, je suppose que le gouvernement, remplissant la promesse qu'il a faite il y a quatre ans, soit venu demander à la Chambre les crédits nécessaires pour élargir le canal de Charleroi, c'est-à-dire la bagatelle de vingt millions. Eh bien, quelle eût été la position du Centre ? La position du Centre eût été désastreuse. Aujourd'hui, le Centre ne reçoit aucune amélioration par suite de l'établissement du chemin de fer, mais je pose en fait que l'exécution de la promesse faite par le gouvernement eût été extrêmement pénible pour le Centre. Pourquoi ?
Parce que vous vous mettez dans une hypothèse inadmissible, parce que vous supposez que le gouvernement, en élargissant le canal de Charleroi, aurait racheté et élargi, eu même temps, les embranchements. (Interruption.)
Le gouvernement n'a jamais pris un engagement de ce genre vts-à-vis des embranchements et il avait une très bonne raison pour ne pas en prendre : l'élargissement du canal de Charleroi devait coûter 20 millions, (page 1072) mais le rachat des embranchements devait coûter 3 millions et l'élargissement en aurait exigé, de son côté, des sommes considérables. Si le gouvernement n'a jamais parlé du rachat et de l’élargissement des embranchements, c’est que la dépense eût été énorme.
Eh bien, messieurs, quelle devait être la position du Centre, le canal de Charleroi étant élargi et les embranchements n'étant pas rachetés et n'étant pas élargis ? Charleroi eût expédié ses charbons avec des bateaux de 200 ou de 210 tonnes, et le Centre eût expédié les siens avec de petits bateaux. (Interruption.)
Vous voyez bien que quand vous présentez cette argumentation, c'est en vous plaçant dans une simple hypothèse, en vous plaçant à côté des faits.
Vous dites : « C'est un système de privilège. » Je comprendrais cette observation si le gouvernement avait créé l'état de choses dont je viens de parler, mais il n'en est pas ainsi, et par conséquent ce qui pouvait vous arriver de plus fâcheux, c'est que le gouvernement élargît le canal de Charleroi ; mais lorsqu'il remplace l'élargissement par un chemin de fer, il vous place dans la meilleure situation que vous puissiez désirer.
M. J. Jouret. - Le gouvernement ne pouvait pas élargir le canal de Charleroi sans racheter et élargir les embranchements ; le gouvernement doit être logique.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - C'est pace qu'il doit être logique qu'il résiste à votre prétention, qui consiste à exiger le rachat immédiat des embranchements. Voyez où cela nous mènerait : le district de Mons, par exemple, voterait votre amendement, mais le lendemain il exigerait le rachat du canal de Bossuyt et du canal d'Espierres. Les députés de Liége et du Luxembourg appuieraient votre amendement, mais ce serait pour réclamer le rachat du canal de I'Ourthe. Et ainsi du reste.
Le gouvernement est donc de votre avis ; il doit être logique et c'est pour cela qu'il ne se rallie pas à votre amendement.
Messieurs, j'établissais tout à l'heure que l'argument qui consiste à dire que le gouvernement n'a pas tenu sa promesse vis à-vis du Centre est un argument qui n'a pas de valeur, si ce n'est dans une hypothèse créée à plaisir par l'honorable M. Jouret. Supposez maintenant que le chemin de fer soit exécuté, est-ce que le fret par eau du Centre à Bruxelles ne sera pas toujours à meilleur marché que le transport direct par le chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi ?
Messieurs, j'arrive à la réclamation de l'honorable comte de Mérode relativement à l'amélioration du régime des Nèthes.
Je n'entrerai pas dans des détails à cet égard, je crois pouvoir m'en référer purement et simplement à la réponse que j'ai faite à la section centrale, c'est-à-dire aux explications fournies par l'ingénieur en chef d'Anvers. Il est dit dans son rapport qu'il faut attendre. Eh bien, je conseille à l’honorable membre d'attendre, il est impossible de décréter aujourd'hui une dépense qui sera probablement inutile et qui pourrait être éventuellement dangereuse. Du reste l'attente ne sera pas longue. L'ingénieur en chef d'Anvers a fixé, je pense, à un an, le terme de l'expérience à faire.
J'engage donc l'honorable comte de Mérode à ne pas insister sur son amendement, qui n'a en ce moment aucune raison d'être.
Quant à la Flandre orientale, la seule réclamation qui ait surgi, est celle qui a été faite par l'honorable M. Van Overloop et qui est relative aux travaux à faire aux polders du pays de Waes. Ma réponse est que ces travaux, s'ils sont utiles, ne regardent pas le département des travaux publics ; ou bien ils sont une dépendance des travaux faits par le département de la guerre, ou bien, puisqu'ils ont pour but d'atténuer la charge des servitudes militaires, ils doivent être exécutés par les propriétaires.
Pour la Flandre occidentale, et c'est la dernière province dont j'ai à m'occuper, l'honorable M. de Florisone a parlé de la nécessité d'améliorer l'Yser supérieur. Ce travail, messieurs, est en instruction ; si les éludes ne sont pas encore arrivées à terme, c'est qu'il n'y avait aucune utilité à les presser outre mesure ; les travaux dont il s'agit ne pourraient en aucun cas être entrepris que lorsque les travaux en aval seront terminés.
Messieurs, je crois pouvoir m'arrêter ici, en prévenant seulement la Chambre que j'ai omis à dessein de répondre à une série d'observations de détail concernant, par exemple, les routes et les stations à établir sur les lignes concédées ou sur le réseau de l'Etat, attendu qu'il est impossible d'apprécier, avant une instruction, le fondement des réclamations qui ont été faites à cet égard.
Il y a d'autres questions que je me réserve de traiter dans la discussion des articles et de ce nombre sont les observations de l'honorable M. Delcour concernant la Vesdre,
J'ai seulement à m'occuper encore de deux ou trois questions générales soulevées l'une par l'honorable M. Kervyn au sujet des chemins de fer dits vicinaux, l'autre par l'honorable M. Nélis au sujet de l'inutilité prétendue des canaux, et enfin les dernières par l'honorable M. Vleminckx au sujet de la nécessité d'assainir les polders.
En ce qui concerne les chemins de fer vicinaux, je puis être d'autant plus court que j'ai déjà traité cette question antérieurement. J'ai dit que, selon moi, les chemins de fer vicinaux étaient des chemins de fer ordinaires construits dans les conditions les plus économiques. J'ai dit alors et je répète aujourd'hui que je suis aussi sympathique que possible à ces chemins de fer et que j'en comprends toute l'utilité.
Je crois que le dernier mot est loin d'être dit en matière de chemins de fer.
Nous avons aujourd'hui une situation, comme ampleur de réseau, que nul n'avait osé entrevoir ni espérer il y a quelque 15 ou 20 ans.
Je ne vois pas pourquoi l'on s'arrêterait au point où nous sommes parvenus. Je crois qu'à mesure que l'on observe, on reconnaît de plus en plus, je ne dirai pas l'utilité mais l'indispensable nécessité des chemins de fer. Je suis sûr que nous serons dans quelques années aussi loin de la situation actuelle que nous le sommes aujourd'hui de la situation passée. J'estime qu'il est du devoir du gouvernement de faciliter autant que possible la construction de toute espèce de chemins de fer et des chemins de fer vicinaux en particulier, puisque, outre l'utilité propre de ces chemins de fer, ce seront d'importants affluents que l'on créera aux lignes existantes.
Eu théorie, tout le monde doit être d'accord, et il s'agit seulement de savoir quel est le meilleur mode d'application, comment on arrivera à faciliter en fait la construction de ces chemins de fer d'un ordre secondaire.
L'honorable M. Kervyn a demandé, si j'ai pris exactement note, si le gouvernement serait disposé à adopter le système français autorisant les départements et les municipalités à s'imposer pour la construction de pareilles lignes.
J'énonce ici une opinion personnelle, mais je n'hésite pas à dire que, pour ma part, je n'y verrais aucune espèce d'inconvénient.
Je trouve très juste qu'une communauté fasse certains sacrifices pour s'assurer certains avantages.
Voilà pour le principe, mais dans la pratique il est évident que des communes pourraient s'obérer et qu'il y a des précautions à prendre pour prévenir une telle situation. Il est certain aussi qu'elles pourraient être éventuellement dupes de spéculations hasardées de la part de certains entrepreneurs et qu'il y a encore ici des mesures à prendre pour qu'elles ne soient pas victimes de leur inexpérience.
Mais ceci ne touche pas au principe.
Je crois qu'une commune s'engageant dans la limite de ses ressources réelles, devrait être autorisée.
L'honorable membre, entrant dans les détails du système français, a préconisé aussi, m'a-t-il semblé, l'affectation des grandes routes à l'établissement de ces chemins de fer. Sur ce point, je suis en complet désaccord avec lui. Je crois que permettre d'établir des chemins de fer sur les routes, c'est supprimer en réalité ces routes. Je pense que les accidents seraient si nombreux et si graves, qu'on ne tarderait pas à se repentir de cette tolérance.
L'honorable M. Nélis estime que la navigation a fait son temps et que les canaux sont devenus superflus.
Je ne partage pas du tout l'opinion de l'honorable membre. Je la partage d'autant moins que les résultats de l'exploitation des canaux montrent que le mouvement de la navigation va croissant de jour en jour.
Mais, dit l'honorable membre, voyez comme les chemins de fer progressent. Certainement, les chemins de fer progressent, mais ils progressent à côté des canaux.
Qu'est-ce que cela prouve ?
Que notre population trouve de telles ressources en elle-même, dans son sol, dans sa position topographique et que l'amélioration de toutes les voies de communication est venue si puissamment en aide à ces ressources, que le développement industriel a été immense.
Je n'invoquerai pas seulement cette circonstance déjà si décisive par elle-même que le mouvement est en progrès constant sur les canaux, pour constater leur utilité, leur nécessité, mais je demanderai ce qui arriverait, si, par la pensée, on supprimait tous les canaux. Vous figurez-vous la perturbation que cela occasionnerait, et n'est-il pas vrai de dire que dans une pareille situation l'industrie sur la plupart des points du pays serait instantanément arrêtée ?
(page 1073) Pour les transports pondéreux, la navigation continue à faire au chemin de fer une concurrence victorieuse.
Le chemin de fer n'a qu'une part dans l'accroissement des transports généraux. Voilà la vérité.
Si le chemin de fer avait à se substituer à la navigation avec ses moyens actuels d'exploitation, il ne pourrait pas effectuer le quart des transports.
Je disais tout à l'heure que les chemins de fer n'ont pas dit leur dernier mot. J'en dis autant des canaux. La navigation non plus n'a pas dit son dernier mot ; elle a encore de grands progrès à faire. Elle les fera sous le stimulant de la concurrence comme les chemins de fer.
Elle a encore à faire l'application de la traction à vapeur. Nous avons beaucoup de chemins de halage à perfectionner. Sur plusieurs points du pays, les rivières et les canaux n'ont pas encore de halage par chevaux ; sur la Lys, par exemple, le halage des grands bateaux se fait encore par des hommes.
La navigation a beaucoup de progrès à faire et l'on ne peut pas même juger des services qu'elle rendra dans l'avenir par ceux qu'elle rend dans le présent.
Un tout dernier mot, messieurs, concernant l'assainissement des polders.
Je crois que les faits invoqués par l'honorable M. Vleminckx sont réels et j'estime que la question qu'il a soulevée est à la fois très intéressante et très grave. Je ferai seulement cette observation qu'en général ces travaux ne me paraissent pas incomber à l'Etat. Ils tombent plus spécialement à la charge des provinces, des communes et des propriétaires.
Sous cette réserve, je m'engage très volontiers à faire étudier la nature et l'importance des travaux qu'il y aurait lieu d'entreprendre dans le but si humain qu'il a indiqué.
M. Julliot. - Messieurs, je suis autorisé par mes honorables collègues du Limbourg à dire que nous prenons acte des déclarations de l'honorable ministre des travaux publics.
Nous avons foi dans les promesses qu'il fait au Limbourg, nous croyons à la loyauté de sa parole qu'il tient quand il la donne.
L'honorable comte de Theux, cosignataire de notre amendement, est absent, mais nous pensons pouvoir agir pour lui ; l'honorable membre est trop conciliant pour ne pas être de notre avis.
Nous retirons donc notre amendement au paragraphe 14 du projet de loi en discussion.
M. de Wandreµ. - Messieurs, d'après l'article 2 du projet de loi, le gouvernement est autorisé à concéder un chemin de fer direct de Châtelineau à Bruxelles, par Luttre.
Ce chemin de fer sera exploité par l'Etat.
La concession en sera accordée en vertu d'une adjudication publique portant sur la quotité du produit brut à attribuer à l'Etat et sur la durée de la concession.
Beaucoup de demandes ont déjà été faites au gouvernement pour obtenir la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Charleroi, soit par des entrepreneurs disposés à exploiter eux-mêmes, soit par des entrepreneurs proposant d'exécuter ce chemin de fer et de le laisser exploiter par l'Etat moyennant le partage des produits.
Tous ces demandeurs en concession offrent, non seulement de faire le chemin direct de Bruxelles à Charleroi, mais encore un assez grand nombre d'embranchements traversant les centres industriels des environs de Charleroi. En présence de ces propositions, la section centrale a demandé à M. le ministre des travaux publics s'il avait l'intention d'exécuter avec la ligne principale les embranchements proposés par les demandeurs en concession.
M. le ministre des travaux publics a répondu que les études n'étaient pas encore assez avancées pour qu'il pût dire s'il y aurait nécessité ou utilité d'exécuter ces embranchements, qu'il ne peut donc pas le promettre, mais que si l'étude complète du projet de loi démontrait l'utilité de ces embranchements, il se regardait comme suffisamment autorisé par le projet, tel qu'il est formulé, à faire exécuter les embranchements avec la ligne principale.
Je suis certain, quant à moi, que lorsque ces études seront faites, le gouvernement se décidera à faire exécuter des embranchements avec la ligne principale, non pas de petits embranchements allant à chacun des établissements industriels de l'arrondissement de Charleroi, mais des embranchements importants traversant les groupes industriels principaux ou y aboutissant ; les industriels, les charbonnages auraient ensuite à établir des raccordements de quelques centaines de mètres pour se relier aux embranchements établis par le gouvernement.
Messieurs, il suffit de se rendre compte de l'importance de l'arrondissement de Charleroi pour être persuadé que le gouvernement dans son propre intérêt sera mené à exécuter ces embranchements. L'arrondissement de Charleroi est maintenant le cinquième en importance par le chiffre de sa population ; il possède plus de 200,000 habitants, il vient immédiatement après Bruxelles, Gand, Liège, Anvers. Si on l'envisage au point de vue industriel, on trouve que c'est l'arrondissement qui crée le plus de produits pondéreux de toute la Belgique et pour s'en assurer, il suffit de constater le nombre d'ouvriers et le nombre de chevaux-vapeur qui y sont employés.
J'ai cité un relevé fait par la députation permanente du Hainaut en 1835 : il en résulte que trois industries seulement, celle de la houille, celle du fer et celle du verre occupaient à elles seules 39,197 ouvriers. Il y avait en 1863 dans toute la Belgique 115,000 à 120,000 chevaux-vapeur employés (je ne parle pas des locomotives) ; sur ce nombre, 51,000 étaient en activité dans l'arrondissement de Charleroi. Les trois industries que je viens de citer créaient en 1863 des produits pour une valeur de près de 92 millions et pesant près de 5 millions de tonnes.
En présence d'une semblable activité industrielle, en présence surtout de la production d'un tonnage aussi considérable, il n'est pas douteux que le gouvernement sera amené à exécuter les embranchements sans lesquels le chemin de fer ne pourrait pas rendre de services sérieux. Lorsqu'il s'agit de matières pondéreuses telles que la houille, par exemple, le moindre accroissement de parcours, de tarif ou de manipulation augmente tellement le prix de revient que la marchandise n'est plus vendable.
Lorsqu'il s'agit de matières ayant une grande valeur par elles-mêmes telles que la soie, la laine, le coton manufacturés, une surtaxe de 50 centimes, d'un franc même par mille kilogrammes est absolument insignifiante sur le transport de marchandises dont la tonne a une valeur de mille, deux mille et parfois même de dix mille francs.
Un franc sur 10,000 francs ne fait qu'un centième de centime pour cent francs ; c'est donc tout à fait insignifiant. Mais quand il s'agit de matières pondéreuses comme le charbon, par exemple, dont la valeur intrinsèque par tonne est en moyenne de 10 fr., une surtaxe de 50 centimes seulement exerce une influence considérable sur le prix de revient.
Aussi si l'Etat établissait ce chemin de fer de telle manière que les exploitants du pays de Charleroi dussent expédier par axe jusqu'à une station les charbons qu'ils extraient de leurs fosses, ou s'ils devaient se servir de deux chemins de fer différents de manière à être grevés d'un demi-droit fixe en plus, cela seul suffirait pour leur rendre impossible l'usage du chemin de fer que l'Etat voudrait construire.
Je répète donc que je suis persuadé que l'Etat en viendra à exécuter ces embranchements quand il aura bien étudié ces localités.
M. le ministre des travaux publics a déclaré à la section centrale qu'il se croyait suffisamment autorisé par le texte du projet de loi à exécuter ces embranchements.
Ce point ne me paraît cependant pas bien clair ; il ne me semble pas suffisamment établi que l'article 2 en disant : « Le gouvernement est autorité à concéder un chemin de fer direct de Châtelineau à Bruxelles par Luttre » donne par là au gouvernement le pouvoir d'exécuter les embranchements aboutissant à ce chemin de fer.
L'opinion de M. le ministre a certainement beaucoup de poids, mais cette opinion ne peut modifier le texte de la loi. J'espère que ce sera l'honorable ministre qui sera chargé d'exécuter la loi et qu'il le fera dans le sens que j'ai indiqué ; mais enfin les ministres ne sont pas immortels, ils ne sont pas même inamovibles ; il se peut donc que d'autres soient chargés de l'exécution de la loi et, dans ce cas, il pourrait se produire quelque doute sur la question de savoir si le gouvernement a le droits d'exécuter des embranchements éventuels.
Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publics s'il verrait quelque inconvénient à modifier le texte de l'article 2 de manière à rendre tout doute impossible sur la faculté pour le gouvernement d'exécuter des embranchements éventuels si l'étude des localités lui en fait reconnaître l'utilité et la possibilité ?
MpVµ. - Il est parvenu au bureau un amendement ainsi conçu :
« Je propose de rédiger comme suit le paragraphe 10 de l'article premier :
« Canalisation de la Meuse dans une partie comprise entre l'embouchure de la Sambre à Namur et la frontière de France ; complément de la canalisation (page 1074) en aval de cette ville : 5,500,000 francs ou tout autre chiffre que le gouvernement indiquera comme nécessaire pour achever ces travaux.
« (Signé) Lelièvre. »
Cet amendement sera imprimé et distribué.
M. Van Hoordeµ. - Messieurs, j'ai demandé la parole pour combattre à mon tour le projet de loi, parce qu'il ne donne qu'une satisfaction minime et fort incomplète aux intérêts qui me sont le plus chers, et parce qu'il ne répartit pas équitablement à leur égard les sommes dont nous avons voté l'emprunt.
Quoiqu'on aient dit, autrefois. l'honorable ministre des travaux publics, et après lui l'honorable M. Vander Donckt, la province de Luxembourg avait incontestablement droit à une réparation.
L'occasion de la lui offrir se présentait. Le gouvernement n'en a pas profité.
Loin de nous accorder les compensations que nous pouvions légitimement espérer, la loi actuelle n'est qu'un chapitre à ajouter à l'histoire déjà si longue de nos déceptions, une preuve nouvelle de l'oubli auquel nous sommes voués, en dehors d'une seule catégorie de travaux.
Puisque le fait est de nouveau contesté, je vais établir, une fois de plus, qu'une réparation était nécessaire.
Quand je le disais, l'année dernière, parlant au nom de l'arrondissement de Bastogne, j'étais seul sur la brèche. Aujourd'hui ma tâche est devenue plus facile. J'ai trouvé des auxiliaires inattendus.
L'année dernière, je n'étais soutenu ni par les corps constitués ni par la presse, ni même par mes honorables collègues de la province de Luxembourg. (Interruption.)
L'un d'eux n'avait rompu le silence que pour entonner un chant de reconnaissance. Me mettant directement en cause (il a souvent cette délicate attention), et prophétisant avec cet aplomb étonnant que rien n'a jamais ébranlé, l'honorable M. de Moor s'exprimait en ces termes ...
M. de Moorµ. - Vous en avez un bien plus grand.
M. Van Hoordeµ. - Si M. de Moor désire prononcer un discours, je lui céderai volontiers la parole, mais je le prie de renoncer à m'interrompre.
Il disait : « Soyez-en convaincus, dans l'appel qui va être fait au pays, le Luxembourg donnera une preuve nouvelle et plus décisive encore de son libéralisme, car il est reconnaissant de la prospérité que le pays doit à la politique libérale.» Et sa conviction alors était telle, qu'il allait jusqu'à battre des mains en entendant l'honorable ministre des travaux publics me jeter à la tète l'épithète de maladroit. Il s'exclamait : « Il aura la responsabilité de sa maladresse ! » Depuis lors les choses sont bien changées. Il faut croire que la maladresse est une infirmité contagieuse.
Quoi qu'il en soit, ma maladresse a fait du chemin. Ce n'était d'ailleurs que l'expression de l'exacte et pure vérité que l'honorable ministre désignait par ce mot peu aimable, et ce mot n'était qu'un mot. Aussi voilà aujourd'hui des membres du conseil provincial et de la députation permanente, voilà la chambre de commerce d'Arlon, voilà tous les journaux de la province, qui reproduisent mes observations sous une autre forme, qui les appuient, les développent, les complètent, et vont jusqu'à leur donner un caractère agressif, presque violent. Voilà déjà deux de mes honorables collègues qui reviennent sur leurs pas.
Le discours de M. de Moor en réponse à celui de M. Vander Donckt n'est plus précisément un chant de reconnaissance. Et l'honorable M. Bouvier, vous l'avez entendu vendredi, se plaint également d'être délaissé, il caractérise la manière d'agir du gouvernement à l'égard de la province de Luxembourg par les mots : « d'injustice distributive », et il s'écrie : « Très bien !» en s'entendant comparer au pauvre Lazare de l'Evangile.
M. Bouvierµ. - Vous m'aviez donné l'exemple.
M. Van Hoordeµ. - M. Bouvier, je ne vous demanderai pas de ne pas m'interrompre, ce serait peine perdue. Je ne prierai pas même notre honorable président de vous recommander de me laisser continuer sans m'arrêter à chaque instant. Il n'y parviendrait pas non plus.
Je vous préviens seulement que si votre intention est de provoquer des colloques entre vous et moi, votre attente sera trompée, car je suis décidé à ne plus répondre à vos interruptions, si ce n'est quand, par hasard, vous aurez fait la découverte de quelque observation sérieuse.
M. Hymans. - Il n'y avait rien de malveillant dans ce que vient de dire M. Bouvier.
M. Van Hoordeµ. - C'est possible, mais tous les goûts sont dans la nature, et si l'honorable M. Bouvier affectionne beaucoup ce genre de discussion, il ne me convient en aucune manière.
Il faut bien le reconnaître, cette manière de discuter à coups d'interruptions et à bâtons rompus, devrait être bannie de toute assemblée qui a souci de conserver quelque prestige (Interruption.)
Or, je ne veux pas qu'on puisse m'accuser jamais d'avoir contribué à la maintenir ici en encourageant, par mes réponses, l'honorable membre à persévérer dans la voie où le porte continuellement la tournure de son esprit. Vous avez dû remarquer qu'il m'est impossible de prononcer vingt paroles sans être immédiatement contredit, harcelé, interrompu, arrêté par lui, aussi suis-je certain qu'en conscience vous m'approuvez tous. (Interruption.)
D'ailleurs la déclaration que je viens de faire, c'est le soin de ma dignité qui me l'impose, et je suis seul juge de la question de savoir ce qu'elle exige de moi. (Interruption.)
MpVµ. - La parole est à M. Van Hoorde.
M. Van Hoordeµ. - Je disais donc que la question politique, ou plutôt la question électorale étant enfin heureusement écartée, nous sommes d'accord entre nous. Il est admis enfin que « la province de Luxembourg étant restée jusqu'aujourd'hui dans l'abandon, » ce sont le» expressions de la Chambre de commerce d'Arlon, il serait de toute justice de la dédommager, et que le gouvernement aggraverait ses torts en y persévérant. J'emprunte, de préférence, les expressions de la chambre de commerce, et j'y aurai souvent recours parce tous les documents qui en émanent sont des œuvres sérieuses et vraiment remarquables. Il est réellement déplorable que des appréciations passionnées viennent parfois les déparer. Et je dois, quoiqu'à regret, relever ici une de ces appréciations qui m'est personnelle et qui est consignée dans une pièce officielle : le rapport à M. le ministre des affaires étrangères pour l'année 1861.
MpVµ. - M. Van Hoorde, nous ne devons pas nous occuper de ce qui s'imprime ailleurs ; je vous prie de rester dans la discussion générale à laquelle la Chambre se livre en ce moment.
M. Van Hoordeµ. - C'est ce que je fais. Je m'occupe d'une contradiction manifeste dont on pourrait vouloir tirer parti contre les paroles que j'ai prononcées tout à l'heure. Faisant allusion aux remarques que j'avais présentées, l'année dernière, à l'honorable ministre des travaux publics, la chambre de commerce les qualifie « d'inopportunes, de malencontreuses, et même d'injustes » Je lui répondrai par une simple observation. Des deux choses l'une, ou bien la chambre de commerce est d'avis que ces remarques étaient justifiées par les faits, qu'elles étaient la vraie expression de tout ce que nous avons souffert, et alors quand elles les qualifie d'inopportunes, de malencontreuses et d'injustes, elle dit le contraire de ce qu'elle pense, elle dit une chose inexacte, je pourrais m'exprimer plus énergiquement en employant un mot parlementaire de création récente.
Ou bien, se faisant illusion, et ceci est plus grave encore, elle croit réellement que mes plaintes et mes griefs n'étaient pas fondés, et alors quand elle en reproduit une partie dans ce même rapport de 1861, quand elle s'y évertue à en démontrer la justesse ; en se moquant très agréablement de la façon de discuter de l'honorable ministre des travaux publics, quand elle les reproduit de nouveau en leur donnant une forme vraiment violente dans l'adresse qu'elle nous a envoyée à propos du projet de loi actuel, et qui est déposée sur le bureau, alors elle dit encore le contraire de ce qu'elle pense, elle dit encore une chose inexacte. Qu'elle, choisisse ! Quant à moi, je ne saurais m'inquiéter d'appréciations pareilles. Ce sont des appréciations qui ne peuvent être inspirées que par la haine politique, et la réalité des faits les renverse dans son implacable logique, en obligeant leurs auteurs à se donner à eux-mêmes un éclatant brevet d'inconséquence.
- Un membre. - C'est trop fort !
MpVµ. - M. Van Hoorde, je vous invite de nouveau à rentrer dans la discussion générale.
M. Van Hoordeµ. - Je devais bien signaler la contradiction que j'avais remarquée, sinon, l'on n'aurait pas manqué de m'opposer l'appréciation que j'ai citée. L'honorable M. de Moor...
M. de Moorµ. - Je ne vous dis rien.
M. Van Hoordeµ. - ... aurait très bien pu en argumenter pour vous dire que la manière de voir de la chambre de commerce diffère essentiellement de la mienne, ce qui n'est pas !
Voici, messieurs, les chiffres et les faits que nous invoquons. Ils sont éloquents et décisifs. Je prie l'honorable M, Vander Donckt de vouloir bien les écouter, et de me répondre s'il croit pouvoir le faire. Comme il l'a dit, la question se réduit à une question de chiffres. Je le regrette pour lui, car rien n'est plus brutal qu'un ensemble complet de chiffres.
« Depuis la conquête de son indépendance, la Belgique, nous dit le rapport de la section centrale, a consacré, en dehors des crédits budgétaires, et indépendamment des sommes affectées à la défense du territoire, plus de 400 millions à des travaux d'utilité publique. Le chemin de fer seul figure pour plus de la moitié dans cette dépense. »
Il y figure pour 220 millions. Or, le Luxembourg n'a occasionné ici que la faible dépense de 388,000 fr. et cette minime somme de 388,000 fr. ayant (page 1075) été payée du chef de la garantie d'intérêt ne manquera pas de rentrer dans les caisses de l'Etat, dans un temps probablement fort rapproché, car les recettes de la compagnie concessionnaire s'accroissent dans des proportions telles, qu'elles atteignent déjà les limites assignées pour le remboursement. Il est certain en outre que la garantie reportée aujourd’hui sur les lignes de Marche à Liège et de Spa à Diekirch sera aussi purement nominale.
Donc rien, ou presque rien, pour le Luxembourg, dans la plus grande moitié des crédits extraordinaires. Voyons maintenant la part qui lui a été accordée dans l'autre moitié.
Environ 100 millions ont été consacrés à l'amélioration des cours d'eau. Ici le bilan du Luxembourg ne se réduit pas seulement comme pour les chemins de fer à des quantités trop insignifiantes pour être relevées ; il se réduit à zéro !
Dans les 80 millions restants, nous voyons de temps en temps, à de longs intervalles, le nom de notre province. En s'attachant exclusivement aux sommes dépensées pour construction de routes on le trouve inscrit, il est vrai, en regard de chiffres relativement importants et même supérieurs, je le reconnais volontiers, aux dépenses faites ailleurs dans le même but.
Veuillez me permettre d'insister sur ce point, car c'est le thème favori de nos adversaires, leur éternelle réponse à nos plus légitimes réclamations. Ils s'emparent d'une somme de 2 millions qui nous a été accordée il y a quelque vingt ans, dans un élan de générosité, et au moment où nous allions être décimés, au moment où les affections et tous les intérêts vivaces de la province allaient être sacrifiés aux exigences de la politique. Ils réunissent cette somme de deux millions aux autres dépenses qu'a entraînées l'établissement des routes les plus indispensables. Ils font le calcul de la longueur des routes créées sur un territoire qui constitue, à lui seul, la sixième partie de la Belgique, ils l'opposent à celle des routes créées dans les autres provinces, et ils concluent : « Vous êtes des enfants gâtés, et ceux qui se plaignent sont des maladroits ! »
Naguère, l'honorable ministre des travaux publics ne dédaignait pas de m'opposer ce raisonnement. Samedi, l'honorable M. Vander Donckt l'a reproduit, et, en vérité, je m'en étonne ! J'ai fait ressortir tout ce qu'il a d'étrange, combien il est singulier et commode de s'attacher à une seule catégorie de dépenses, qui, quoique élevées prises en elles-mêmes, se réduisent à une somme relativement infime quand on les compare à l'ensemble de toutes les dépenses qui ont été faites.
J'ai fait ressortir aussi tout ce que la démonstration de l'honorable ministre avait d'incomplet, considérée en elle-même, attendu qu'elle négligeait le côté essentiel de la question spéciale des routes en laissant habilement dans l'ombre la proportion de leur étendue comparée à l'étendue des territoires.
Je ne répéterai pas toutes les considérations accessoires que j'ai fait valoir encore, à cette époque, et je n'éprouve pas le moindre embarras à reproduire immédiatement les renseignements fournis, sur ce point particulier, par le département des travaux publics. Il résulte de ces renseignements, qu'indépendamment des deux millions dont je parlais tantôt, l'Etat a dépensé jusqu'en 1864 inclusivement, dans la province de Luxembourg, une somme de 5,631,203 fr. 18 cent. Cette somme est supérieure aux dépenses faites par lui, au même titre, dans les autres provinces, au moins eu égard à la part d'intervention des provinces, des communes et des particuliers, car je vois dans ces mêmes documents officiels que la province de Liège figure à elle seule dans les dépenses de construction de routes faites par l'Etat pour un total de 6,309,955 fr. 25 c.
La part d'intervention de la province, des communes et des particuliers est nécessairement faible dans le Luxembourg. Cependant elle est moins faible qu'on ne le suppose quelquefois, et elle n'est pas du tout hors de proportion avec l'intervention de la province de Limbourg, par exemple. L'ensemble des routes de l'Etat, provinciales, concédées ou communales donne comme part d'intervention 1,254,394 francs 3 centimes pour le Luxembourg - et pour le Limbourg 1,559,972 fr. 65 cent. - Il n'y a donc qu'une différence de 300,000 francs depuis 1830 jusqu'à la fin de 1864. - Ceci soit dit en réponse à quelques paroles de la députation permanente du Limbourg qui pouvaient donner lieu à une interprétation inexacte.
Eh bien, messieurs, je vous le demande ? Cette somme totale est-elle tellement exorbitante qu'elle puisse servir de réponse à toutes nos réclamations passées, présentes et futures ? Etablit-elle que nous avons été favorisés, comme ou a osé le prétendre ? Qu'est-ce que 7 millions six cent mille francs, mis en regard de 400 millions ? Je devrais augmenter de beaucoup ce dernier chiffre, car je ne me suis pas occupé des subventions ordinaires de l'Etat pour la grande voirie. Mais, enfin, tel qu'il est, ce chiffre ne donne à la sixième partie du pays qu’environ la cinquantième partie de la dépense générale.
Et l'on dira que c'est trop ! Je sais bien que telle est l'opinion du gouvernement. Il l'a exprimée ici, et ce qui est plus triste, il l'a rigoureusement appliquée dans les six lois de travaux publics se montant à 122 millions qu'il a présentées aux Chambres depuis cette loi de 1859 qui comportait à elle seule une dépense d'une trentaine de millions, dans laquelle (ce sont encore les expressions de la chambre de commerce) le Luxembourg n'a pas eu la moindre part.
Qu'on ne nous objecte pas les budgets ordinaires. J'y ai vu figurer pendant quelque temps ce chétif crédit de 40,000 francs, pour distribution de chaux à prix réduit aux cultivateurs de la zone ardennaise, que vous avez, à tort, fait disparaître cette année. Mais qu'est-ce donc, dit la chambre de commerce, en présence des sept ou huit cent mille francs par an que coûte ailleurs le régime des eaux ? Et que revient-il au Luxembourg des quatre cent mille francs que coûtent la pêche nationale et la marine ? Est-ce dans notre province que se font les dépenses de l'enseignement agricole et de la médecine vétérinaire, de l'enseignement professionnel et universitaire qui figurent annuellement au budget de l'intérieur pour 1,500,000 fr. ? Qu'obtient-il des 1,100,000 fr. dont ce département dispose pour les lettres et les beaux-arts ? Et les 35,000,000 du budget de la guerre, où les dépense-t-on ? Est-ce dans le Luxembourg qui n'a jamais eu une garnison équivalente au contingent de milice que l'armée lui enlève chaque année ? La chambre de commerce aurait pu rappeler encore le crédit de 188,000 fr. qui est destiné aux écoles manufacturières et aux ateliers d'apprentissage, et le crédit de 48,000 francs alloué au budget des affaires étrangères pour encouragements au commerce, sans qu'il en revienne un centime au Luxembourg.
J'ignore si l'on m'opposera de nouveau que de toutes les provinces, la province de Luxembourg est celle qui rapporte le moins au trésor, en d'autres termes, que nous sommes les plus pauvres. Mais, messieurs, si nous sommes pauvres, est-ce notre faute ? N'est-ce pas celle du pouvoir qui n'a jamais été assez généreux à notre égard pour nous permettre de réparer le tort considérable que le morcellement de la province, consenti dans l'intérêt général, a causé à notre bien-être particulier, pour nous permettre de tirer profit des richesses de notre sol et de développer nos industries ?
Et s'il en est ainsi, c'est nous-mêmes qui pouvons nous prévaloir de cette pauvreté, dont d'autres que nous sont responsables, pour demander que l'on nous vienne aide d'une manière efficace. Remarquez, d'ailleurs, que tout étant relatif dans ce monde, nos contributions, telles qu'elles sont, pèsent sur nous beaucoup plus lourdement que partout ailleurs.
Enfin, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, plus nous sommes pauvres, plus nous avons de droits à la sollicitude du gouvernement.
Si vous ne partagez pas cette opinion, si vous voulez absolument que nous calculions par francs et centimes ce que nous pouvons attendre de l'Etat, que nous supputions sou par sou la protection qu'il nous doit, vous faites mentir les paroles mémorables que l'honorable M. Thonissen a rappelées au commencement de la discussion.
Mais alors donnez-nous, au moins, les chiffres qui établissent ce que nous avons reçu et ce que nous avons payé depuis 1830 ! M. le ministre des travaux publics possède peut-être tous les renseignements nécessaires pour faire ce travail que réclament la chambre de commerce et différents organes de la presse du Luxembourg. Si c'est possible, que l'on évalue ce que nous avons produit non seulement en impôt directs, mais encore et surtout en impôts indirects.
MfFOµ. - Prenez-y bien garde !
M. Van Hoordeµ. - Que voulez-vous, si nous en sommes réduits à cette dure extrémité !
M. Bouvierµ. - Vous ne faites pas notre affaire.
M. Van Hoordeµ. - J'ai l'intime conviction que si ce calcul de tout ce que nous avons perdu et produit depuis 1830 pouvait se faire, la balance se solderait en notre faveur ; c'est nous qui serions créanciers !
MfFOµ. - Vous l'aurez demain, si vous voulez.
M. Van Hoordeµ. - L'occasion de réparer tous ces oublis et de nous donner des compensations se présente. En profite-t-on ? Non. Nous accorde-t-on au moins une répartition proportionnelle, équitable ? Non encore !
Sauf une part quelconque dans leur deux millions accordes au pays entier pour frais du construction de routes, le Luxembourg ne reçoit rien (page 1076) des 48 millions alloués au département des travaux publics. Le chiffre de cette part reste indéterminé.
Je vois bien dans l'exposé des motifs quelques paroles d'espérance et de commisération adressées à notre province, et j'en remercie de tout cœur l’honorable ministre des travaux publics, mais rien ni dans le texte de la loi, ni dans les réponses du gouvernement aux questions de la section centrale ne nous assure ici un dédommagement.
Le Luxembourg pourra être réduit à la portion congrue si tel est le bon plaisir du gouvernement, et tandis que plusieurs organes de la province de Limbourg nous ont dit que le crédit est destiné en totalité à la province de Luxembourg, nous n'obtiendrons peut-être qu'une part proportionnelle. Le Luxembourg aurait ainsi la neuvième partie de deux millions, c'est-à-dire, deux cent et quelques mille francs, sur 48 millions !
En continuant la proportion on arriverait à ce résultat que l'arrondissement de Bastogne recueillerait une quarantaine de mille francs, et verrait l'arrondissement de Bruxelles recueillir 15 millions, l'arrondissement d'Ostende environ 2 millions, l'arrondissement de Verviers 3 1/2 millions, celui de Gand 4 millions, celui d'Anvers 5 millions, celui de Liège 5 1/2 millions, indépendamment de ce qui leur reviendrait du chef du même paragraphe 14.
M. Allard. - Et combien l'arrondissement de Tournai obtient-il ?
M. Van Hoordeµ. - Je l'ignore.
M. Allard. - Il n'obtient rien du tout,
M. Van Hoordeµ. - Sans doute, parce qu'il n'avait plus besoin de rien.
Observe-t-on à notre égard les règles de la justice distributive ?
Je le sais parfaitement, le projet de loi, dans la plupart de ses dispositions, donne satisfaction à des exigences légitimes, à des besoins respectables, mais les nôtres le sont aussi ! Pourquoi des préférences ? Si les travaux que vous projetez sont urgents, ceux que nous demandons le sont également, et pourquoi faut-il que ce soient toujours les mêmes qui obtiennent la priorité ?
Je ne m'appesantirai pas sur tous les travaux que réclame le Luxembourg, cela m'entraînerait trop loin, et je me hâte, car je vois que la Chambre est fatiguée. Je laisserai de côté tous ceux qui ressortissent au département de l'intérieur.
D'ailleurs, quant aux écoles, le crédit est assez important pour que le gouvernement répare bien des oublis, et donne satisfaction aux nécessités les plus pressantes. Quant aux travaux d'hygiène, il suffit que nos besoins soient constatés par les documents que vous avez sous les yeux. Dieu merci ! ils parlent assez haut. Ils vous apprennent que les travaux en projet pour l'assainissement dans la province de Luxembourg s'élèvent à eux seuls à la somme de 2,702,136 francs.
Quant aux chemins vicinaux, je ne pourrais que reproduire les excellentes observations de la pétition de M. Victor Vanden Broeck, et les considérations que vous ont présentées mes honorables amis MM. de Smedt et Kervyn de Lettenhove. Je me contenterai donc de regretter avec eux cette tendance du gouvernement qui, sans le vouloir, est toujours d'autant plus parcimonieux que les dépenses sont plus nécessaires.
Je parlerai seulement de nos grandes voies de communication.
Les Chambres ont voté il y a deux ans la concession d'un magnifique ensemble de voies ferrées dont l'exécution transformerait notre province. Le gouvernement appréciait jadis ses avantages. Le 25 avril 1861, dans une convention relative au même réseau, mais qui ne put être soumise en temps utile à la législature, et qui, pour ce motif, fut considérée comme non-avenue, il avait déclaré vouloir intervenir.il avait accordé une subvention à fonds perdus de 2 1/2 millions. Cependant quand il fut question de renouveler la convention, le gouvernement retira son concours, et c'est à cette circonstance qu'il faut attribuer le long retard qu'éprouve la réalisation du projet dont il s'agit.
L'entreprise du réseau Forcade est excellente, fort bien conçue, et destinée à devenir très lucrative, mais comme en l'absence d'intervention, il y a incertitude sur l'époque à laquelle elle deviendra productive, les capitaux, toujours prudents et craintifs, font défaut. Si le gouvernement avait maintenu son patronage, les choses se seraient passées autrement. L'intervention de l'Etat aurait enhardi les spéculateurs.
J'ignore pour quels motifs, et par suite de quelles circonstances, la subvention de 1861 n'a pas été reproduite en 1863.
Je constate seulement un fait : c'est que, par suite du retrait de cette subvention, les ressources particulières qui auraient afflué dans le Luxembourg, si elle avait été conservée, se sont portées ailleurs, et il devient chaque jour plus évident que nous attendrons de longues années avant de voir mettre la main à l'œuvre, si le gouvernement n'en revient pas à sa première idée, s'il repousse la demande que la chambre de commerce lui adresse catégoriquement dans la pétition qui est déposée sur le bureau, s'il ne nous rend pas le concours qu'il nous a enlevé après l'avoir promis et accordé.
Il me semble que le refus du gouvernement serait une véritable inconséquence en présence de sa manière de faire en 1861, qu'il serait, en outre, en contradiction flagrantc avec des déclarations qu'il a répétées plusieurs fois. Dans la séance du Sénat du 6 mai 1862, notamment, l'honorable ministre des travaux publics a dit qu'à son avis, le gouvernement « doit intervenir quand les entreprises viables en elles-mêmes ne peuvent cependant se soutenir à l'origine. »
Qu'il jette les yeux sur ce qui se passe de l'autre côté de la frontière.
Le gouvernement du Grand-Duché octroie à la compagnie de Guillaume-Luxembourg une subvention de cinq millions pour la section Grand-Ducale depuis Ettelbruck jusqu'à la frontière de Belgique.
Quand cc petit pays s'impose un pareil sacrifice, pourriez-vous, sans rougir, vous refuser à augmenter la dépense proposée, si toutefois une augmentation est nécessaire, ce que nous apprendra la discussion des articles, qui pourrait bien aboutir à des réductions notables sur certains points.
Du reste l'emprunt sera encore insuffisant à un autre point de vue, si toutes les dépenses proposées sont votées.
Je veux parler des deux millions accordés pour construction de routes dans tout le pays. Ces deux millions constituent un chiffre infiniment trop peu élevé, comparés aux autres dépenses. Dans la seule province de Luxembourg, le total des dépenses qu'exigent l'établissement des routes reconnues nécessaires, et la reprise des chemins de grande communication qui ne peuvent rester plus longtemps à charge des communes s'élève à environ trois millions. Evidemment la section dont j'avais l'honneur de faire partie a été très modérée en proposant de majorer le crédit d'un million. Dans notre province, les frais à faire s'élèvent à trois millions et elle demandait seulement de porter à ce chiffre la somme destinée à la Belgique entière.
Cependant la section centrale a rejeté cette proposition, tout en disant qu'elle ne demanderait pas mieux que de l'accueillir, « mais qu'il faudrait pour cela diminuer d'autant les crédits sollicités, ou augmenter le chiffre de l'emprunt. »
La section centrale n'avait sans doute pas songé au moyen qu'a développé l'honorable M. Moncheur et qu'il a formulé dans l'amendement signé par lui, et mes honorables amis MM. Wasseige et Thibaut, amendement portant que les crédits seront couverts jusqu'à concurrence de 60 millions de francs par l'emprunt, et pour le surplus par les ressources ordinaires de l'Etat.
La section centrale ne nous fait pas connaître son opinion sur cette combinaison.
Par contre, M. le ministre des travaux publics nous a déclaré ouvertement qu'il ne l'admet pas. Mais son raisonnement à cet égard est-il bien d'accord avec les assurances qu'on nous a si souvent renouvelées quant à l'état prospère du trésor ? On nous disait que l'avenir était assuré, et d'autre part, on nous promettait de ne plus employer aux travaux d'Anvers les excédants de recettes. Il y aura donc des ressources.
Toutefois le discours de l'honorable ministre m'a enlevé toute chance de réussite, et je ne ferai par conséquent aucune proposition. Contrairement à ce que j'avais pensé en votant l'emprunt, je dois maintenant considérer le projet de loi comme un arrêt irrévocable.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je dois faire une seule observation sur un passage du discours de l'honorable préopinant.
Les chambres de commerce sont en communication avec le département que j'ai l'honneur de diriger. L'honorable député de Bastogne a commencé par faire un éloge des travaux de la chambre de commerce d'Arlon ; il a dit qu'elle avait présenté des travaux sérieux, remarquables, dignes d'attention, puis ensuite il l'a présentée comme guidée par un esprit d'hostilité politique contre lui.
Je ne puis pas concilier ces deux assertions, je les considère comme contradictoires. Si j'accepte la première, je dois repousser la seconde. Je pense que la chambre de commerce d'Arlon ne cède pas à des animosités personnelles, ni à l'impulsion mauvaise d'un mesquin esprit de parti.
MpVµ. - Je dois faire remarquer que lorsque M. Van Hoorde a prononcé ces paroles, je l'ai prié de rentrer dans la question.
(page 1077) M. Van Hoordeµ. - Vous n'aviez pas besoin de me demander de rentrer dars la question, M. le président, car je ne m'en étais jamais écarté, et j'ai dit pourquoi je devais m'occuper ici du rapport de la chambre de commerce.
En réponse à l'observation de l'honorable ministre des affaires étrangères, je lui ferai remarquer que j'ai entre les mains la preuve matérielle de la contradiction que j'ai signalée tout en déplorant que des contradictions pareilles se rencontrent dans des œuvres remarquables à divers titres ; tellement remarquables que ces contradictions ne peuvent s'expliquer que par l'aveuglement des passions politiques.
Lisez, je vous prie, les pages 149 à 152 du rapport de 1864, lisez l'adresse qu'elle a envoyée à la Chambre le 1er avril...
- Un membre. - C'était le 1er avril.
M. Van Hoordeµ. - ... et dites-moi si vous reconnaissez dans ces récriminations acerbes les auteurs de l'appréciation que j'ai relevée.
Vous verrez dans le rapport les plaisanteries suivantes :
« On leur a bien prouvé que le Luxembourg a grand tort de se plaindre ; on leur a bien dit qu'ils ne sont jamais contents, mais toujours insatiables ; on leur a montré que leur province était favorisée au détriment des autres, que l'Etat avait fait pour elle les plus grands sacrifices, et qu'elle lui coûtait les yeux de la tête en comparaison de ce qu'elle lui rapporte, etc. »
Puis le rapport continue :
« Mais parlons plus sérieusement... Etes-vous bien sûr, monsieur le ministre, que le Luxembourg obtienne, en retour de ce qu'il paye, le 33ème du budget général ? etc., etc. »
Dans la pétition de la chambre de commerce, vous trouverez des passages qui vont beaucoup plus loin que tout ce que j'avais dit dans mes attaques « malencontreuses et injustes. »
J'en citerai quelques mots :
« Comme toujours, à part les deux millions qu'il pourra partager avec les autres provinces pour construction de routes, le Luxembourg n'obtient pas un centime... »
« Nous croyons qu'il est de notre devoir de venir, dès aujourd'hui, protester contre ce système d'exclusion pratiqué contre nous depuis trente-cinq ans, avec une persistance injustifiable, et qui a contribué plus que sa situation et la nature elles-mêmes à tenir notre province dans l'état d'infériorité dans lequel elle se trouve vis-à-vis des autres parties du pays... »
MpVµ. - Vous avez la parole pour un fait personnel. Veuillez-vous renfermer dans le fait personnel.
M. Van Hoordeµ. - Si vous ne me permettez pas d'achever mes citations, il faut, au moins, que vous m'autorisiez à les insérer au Moniteur. D'ailleurs j'abrège.
« Pourquoi nous faire réclamer pendant tant d'années quelques centaines de mille francs pour la construction de nos routes, lorsque l'Etat a consacré à ses chemins de fer, dans l'intérieur du pays, plus de 220,000,000 de francs !... »
« Les Luxembourgeois sont Belges comme les autres... »
« Rien ne vous sera plus facile que de nous dédommager de l'abandon dans lequel nous sommes restés jusqu'aujourd'hui... »
Eh bien, quand les hommes sérieux et respectables qui tiennent ce langage adressent le reproche d'injustice à un représentant de leur province dont la pensée n'a jamais été aussi loin, j'ai bien le droit d'attribuer ce reproche à la rancune politique. Si ce n'est pas de la passion politique, c'est de la démence !
M. Bouvierµ. - Je demande la parole pour un fait personnel.
MpVµ. - Il n'y a rien de personnel ; s'il y a un fait personnel, c'est entre la chambre de commerce d'Arlon et M. Van Hoorde.
- La séance est levée à 4 heures 3/4.