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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 963) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Vanheers demande l'abolition du droit sur les successions en ligne directe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sociétés pour l'exploitation des mines de houille du Couchant de Mons prient la Chambre de rejeter le projet de loi tendant à concéder à la société des chemins de fer du Haut et du Bas-Flénu la ligne de Saint-Ghislain à Frameries, et de décider que l'exécution de cette voie sera faite par voie de concession de péages après instruction de toutes les demandes et adjudication publique. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi.


« L'administration communale de Bombaye demande la construction d'un pont sur la Meuse à Visé. »

- Dépôt sur lebureau pendant la discussion du projet de loi des travaux publics.


« L'administration communale de Ransart demande que le chemin de fer projeté de Châtelineau à Luttre passe par Ransart. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi des travaux publics.


« Le sieur Graindorge, secrétaire communal des Awirs et de Gleixhe, demande une loi qui fixe le minimum de traitement des secrétaires communaux. »

« Même demande des secrétaires communaux d'Ere et de Senzeilles. »

M. de Baillet-Latour. - Plusieurs pétitions semblables sont déjà parvenues à la Chambre ; je demande le renvoi à la commission des pétitions.

- Adopté.


« Le sieur Creuse, éditeur du dictionnaire complet français-flamand et flamand-français par Sleeckx et Vandevelde, demande une réparation pour le préjudice que lui a causé la mise en vigueur immédiate de l'arrêté royal du 21 novembre 1864, qui change l'orthographe de la langue flamande. »

- Même renvoi.


« M. Giroul, obligé de s'absenter pour affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé,

Projet de loi autorisant le gouvernement à régler les péages sur les voies navigables administrées par l'Etat

Dépôt

MfFO dépose un projet de loi autorisant le gouvernement à régler les péages sur les voies navigables administrées par l'Etat.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Rapport sur une demande en naturalisation

M. Mouton dépose un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif aux délits commis par les ministres hors de l’exercice de leurs fonctions

Discussion générale

(page 971) M. Delcour, rapporteurµ. - Le projet de loi, messieurs, que la commission vous a présenté, a été jugé hier d'une manière bien sévère. On l'a accusé d'avoir accepté une base erronée ; on est allé jusqu'à dire qu’il consacre une hérésie constitutionnelle. Je vous avoue, messieurs que je ne crains pas de passer pour un hérétique dans cette question-ci, j’espère vous démontrer, d'une manière concluante, que le projet soumis à votre examen est, en tous points, conforme à la Constitution.

Veuillez remarquer, messieurs, que la commission compte dans son sein deux anciens membres du Congrès national, M. de Brouckere et M. le comte de Theux ; je me suis demandé s'il était possible qu'avec le concours de ces deux membres qui ont pris une part très active aux travaux du Congrès sur la Constitution, s'il était possible, dis-je, que la commission vous présentât un projet de loi contraire à la Constitution. Je me suis demandé surtout après avoir entendu l’honorable M. Vab Overloop citer l'opinion de l'honorable comte de Theux sur l'article 24 de la Constitution ; car M, le comte de Theux avait présenté un amendement qui se rattache, jusqu'à certain point, à la question qui fait l'objet du débat actuel.

Eh bien, peut-on admettre que ces honorables membres eussent consenti à vous présenter un projet de loi en opposition avec les principes constitutionnels ? Je sais, messieurs, que ce n'est là qu'un argument de fait, mais il n'est pas sans importance.

L honorable M. Van Overloop a exprimé le regret que la commission ne se soit pas occupée d'une loi générale sur la responsabilité ministérielle ; il aurait voulu que la commission vous proposât au moins une disposition sur l'exercice de l'action civile appartenant à tout citoyen lésé par un fait ministériel.

Le rapport de la commission s'est expliqué sur ce point. Ni les circonstances, ni la mission que vous nous avez confiée ne nous permettaient d'aborder un sujet si délicat et si difficile. Une loi sur la responsabilité ministérielle ne s'improvise pas ; c'est une loi des plus difficiles à faire. Il aurait fallu à votre commission un temps considérable. Or la Chambre et l'opinion publique désirent que le cours de la justice ne soit pas plus longtemps suspendu.

Du reste, comme mon honorable ami, M. Van Overloop, j'exprime le vœu que le gouvernement présente lui-même une loi complète, efficace et conforme à la Constitution.

J'arrive maintenant, messieurs, à la discussion de la question constitutionnelle que soulève le projet.

Deux systèmes sont en présence. Le système qui a été défendu hier par mes honorables contradicteurs : il consiste à renvoyer devant la juridiction ordinaire le ministre qui s'est rendu coupable d'un crime ou d'un délit de droit commun. Vient ensuite le système que nous vous proposons, et qui accorde au ministre une juridiction non pas exceptionnelle ; car, selon nous, la juridiction que nous vous proposons de. décréter se trouve établie par la Constitution, mais une juridiction spéciale.

La première question que je dois examiner est celle-ci : Le projet soumis à votre examen est-il constitutionnel ou ne l'est-il pas ?

Vous avez entendu, messieurs, dans la séance d'hier trois orateurs qui ont contesté sa constitutionnalité.

Cependant plus j'étudie la question, plus je demeure convaincu que nous sommes restés dans les limites du droit que nous confère la Constitution. Ce n'est pas pour moi, messieurs, une conviction d'hier, il y a bien des années que j'ai dû m'occuper par état de l'étude de la Constitution.

Dès le début de ma carrière dans l'enseignement public, j'ai pensé que l’article 90 de la Constitution devait être entendu dans le sens que j'ai eu l’honneur d'exposer dans le rapport de la commission.

C'est donc une conviction profonde que je viens défendre ici ; et cette conviction, j'espère, messieurs, vous la faire partager.

Messieurs, l’honorable M Van Overloop a déjà atténué le reproche d'inconstitutionnalité que l'honorable M. Lelièvre avait dirigé contre le projet.

Il vous a dit que nous avions fait une chose permise, mais que dans sa pensée, elle n'était pas convenable. C'est l'aveu implicite que le projet de loi est conforme à la Constitution.

Sans doute, on peut ne pas être d'accord sur l'opportunité du projet, sur le principe qu'il consacre ; mais sa constitutionnalité est à l'abri de toute discussion sérieuse.

On a cité hier, messieurs, des autorités d'un grand poids pour combattre le projet de loi. Permettez-moi de citer aussi une grande autorité, une autorité nationale, un nom connu dans cette Chambre, le nom de mon honorable ami, M. Haus. L'ayant consulté pour savoir si le projet que nous avons soumis à votre approbation rentre dans les attributions de la législature, M. Haus m'a répondu en ces termes :

« Dans tous les cas, tout le monde reconnaît que la loi peut régler ce point. La Constitution l'abandonne complètement à la législature qui déterminera la juridiction chargée des délits commis par un ministre hors de ses fonctions, et modifiera, s'i1 y a lieu, les formes préliminaires de l'instruction. »

Eh bien, messieurs, nous n'avons rien fait d'autre ; le projet tend à faire renvoyer devant la cour de cassation, chambres réunies, le ministre poursuivi pour un délit de droit commun. Il déroge à la juridiction ordinaire des tribunaux, établit les formes préliminaires de l'instruction et les pouvoirs confiés au procureur général près la cour de cassation, ainsi qu'aux commissaires délégués par la Chambre.

Messieurs, il suffit de lire l'article 90 de la Constitution, de l'étudier dans sa lettre, de le rapprocher des discussions du Congrès, pour se convaincre que l'interprétation que votre commission lui a donnée est entièrement conforme à la pensée du Congrès.

Veuillez relire l'article 90. Que dit-il ? Il proclame d'abord un principe général : la Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger, chambres réunies.

A ce principe général la Constitution permet deux exceptions : 1° relativement à l'exercice de l'action civile, 2° pour les crimes et délits commis par les ministres hors de 1 exercice de leurs fonctions. Revenant ensuite sur le principe générale de la responsabilité politique des ministres, la Constitution a chargé la législature de faire une loi d'organisation qui déterminera les cas de responsabilité, la procédure à suivre tant pour l'exercice de l'action criminelle que pour l'exercice de l'action civile.

Dans ce système le grand principe qui domine, c'est le droit de la Chambre d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation ; mais à ce principe des exceptions sont permises, l’une pour l'exercice de l'action civile, l'autre relativement à la poursuite des crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions.

Il y a donc un principe et une exception ; mais l'exception ne porte que sur l'avenir. En d'autres termes la Constitution dit à la législature : Vous pouvez déroger au principe général consacré par l'article 90, vous pouvez permettre par une loi spéciale qu'un ministre soit traduit devant une juridiction ordinaire ou qu'il sort traduit devant la juridiction exceptionnelle de la cour de cassation. Mais là s'arrête la Constitution.

Aussi, messieurs, lorsque nous vous proposons de déclarer dans la loi qu'un ministre ne pourra être poursuivi qu'avec l'autorisation de la Chambre des représentants, qu'il sera jugé par la cour de cassation, nous vous proposons de consacrer un principe écrit dans la Constitution même.

Je reviens aux discussions qu'a soulevées l'article 90 de la Constitution. Avant, je me permettrai de vous rappeler le point de départ. Sous le gouvernement précédent, la question mise en discussion était celle relative à la responsabilité ministérielle politique ; jamais on n'a douté qu'un ministre coupable d'un délit de droit commun ne dût être poursuivi. La loi fondamentale de 1815 renvoyait à la haute cour la connaissance des délits commis par les ministres pendant la durée de leurs fonctions.

Je répète que le seul point contesté était la responsabilité politique. C'est à quoi le Congrès a dû pourvoir. Le projet de Constitution renfermait l'article suivant, article qui n'était que la reproduction de l'article de la charte française :

« La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres, et de les traduire devant la cour de cassation qui, seule, a le droit de les juger. »

M. Raikem, rapporteur de la section centrale, est entré dans de très longs développements pour justifier ce principe de la responsabilité ministérielle ; le rapport ne parle que de la responsabilité politique, parce que seule elle avait été niée.

Voyons maintenant ce qu'est devenue la disposition du projet de Constitution. Les discussions, telles qu'elles ont été recueillies dans les différents journaux de l'époque, ne sont pas aussi complètes qu'où pourrait le désirer.

Cependant, en suivant l'ordre des amendements présentés au Congrès, on parvient à se rendre compte de la discussion.

(page 972) Vous avez vu, messieurs, que le texte primitif était général, qu'il laissait des doutes. Il ne parlait ni des crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, ni de l'action civile à exercer contre les ministres pour faits relatifs à leurs fonctions ; il ne parlait pas non plus des cas de responsabilités. Ces divers points devaient être réglés.

Tel fut l'objet de l'amendement présenté par M. François. Que portait cet amendement ? Il s'occupait, en premier lieu, des crimes et délits du droit commun commis par un ministre hors de l'exercice de ses fonctions, et proposait d'en renvoyer la connaissance au juge ordinaire. Puis, en admettant la responsabilité ministérielle qui était dans la pensée de tout le monde, l'amendement de M. François proposait de limiter le principe de l'article 90 de la Constitution, même en ce qui concerne la responsabilité politique des ministres.

Il distinguait entre les diverses espèces de délits : s'agit-il d'un délit, d'un acte se rattachant à l’intérêt général, tel que, par exemple, la violation d'une loi, le droit d'accuser le ministre appartenait exclusivement à la Chambre ; mais si le délit commis par les ministres, dans l'exercice de leurs fonctions, ne touche qu'à des intérêts privés, M. François proposait de laisser à la partie lésée le droit de porter l'action devant le juge de répression, avec l'autorisation d'une des chambres de la cour de cassation.

L'amendement de M. François traitait encore de l'action civile et décidait qu'aucune autorisation n'était nécessaire à la partie lésée pour exercer l'action en réparation du dommage dans tous les cas où le ministre ne serait pas traduit devant la cour de cassation.

L'amendement proposait un système complet ; mais, comme une législation aussi importante ne s'improvise pas, qu'elle exige une étude approfondie, le Congrès s'arrêta au seul parti possible à admettre, et ordonna le renvoi de l'amendement à la section centrale.

En ce moment même, la section centrale était saisie d'un projet de loi sur la responsabilité ministérielle, projet qui avait été présenté au Congrès par M. Ch. de Brouckere.

Il faut bien reconnaître que l'amendement de M. François reposait sur des principes trop absolus. Le Congrès ne pouvait les écrire dans la Constitution sans s'exposer aux plus graves difficultés.

C'est alors que M. Van Snick déposa l'amendement suivant :

« La loi règle le mode de poursuite des crimes et délits commis par les ministres hors de leurs fonctions, ainsi que l'exercicee des actions civiles résultant des faits relatifs à leurs fonctions. »

Cet amendement, moins radical que celui de M. François, fut également renvoyé à la section centrale, et est entré plus tard dans l'article 90 de la Constitution.

Un troisième amendement a été présenté. On a cherché hier à en ébranler la portée ; je le comprends, car cet amendement devait gêner mes honorables contradicteurs. Son importance dans le débat actuel ne saurait être contestée.

M. Beyts était l'auteur de cet amendement. Que voulait M. Beyts ? Rappelez vous, messieurs, l'état de la discussion.

La disposition du projet était générale ; l'amendement de M. François restreignait considérablement cette disposition ; M. Beyts, voulant cependant arriver à une solution, proposa de n'appliquer la disposition générale de l'article 90 de la Constitution qu'aux délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions. L'amendement fut rejeté.

Le rejet de l'amendement de M. Beyts a, selon moi, une grande portée ; il explique la pensée du Congrès. Il en résulte que la première partie de l'article 90 consacre un principe complet, absolu.

Plus tard, le Congrès ajouta à l'article 90 les mots : « Sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée, et aux crimes et aux délits que des ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. »

Messieurs, j'avais donc raison de dire que le Congrès a reconnu, en principe, le droit de la Chambre d'accuser les ministres, et le droit de la cour de cassation, de les juger ; mais qu'en même temps le Congrès a admis la possibilité d'une exception dans les termes que je viens de rappeler et en laissant à la loi le soin de la régler.

Je demande maintenant, messieurs, sous quel rapport le projet que votre commission spéciale vous a proposé, peut blesser la Constitution ?

Est-ce parce qu'il défère à la cour de cassation le jugement du ministre ?

Evidemment non.

Ce ne peut être non plus, parce qu’il exige l'intervention de la Chambre des représentants pour autoriser la poursuite, car toutes ces choses sont écrites dans la Constitution pour la mise en jugement des ministres ; vous n'avez pas oublié, messieurs, que la Constitution abandonne à la législature le soin de statuer sur ce qui est relatif aux crimes et aux délits commis par les ministres hors de leurs fonctions.

Je vous ai dit, messieurs, qu'on avait renvoyé les amendements de MM. François et Van Snick à la section centrale. Nulle part on ne trouve que la section centrale ait pris une décision. Nous savons cependant que le Congrès, lorsqu'il s'est occupé des dispositions transitoires, a ajouté à l'article 90 de la Constitution les mots : « sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée, et aux crimes et aux délits que des ministres aurait nt commis hors de l’exercice de leurs fonctions, » et qu'il vota ensuite la disposition transitoire :

« Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentante aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser les ministres, et la cour de cassation pour les juger. »

En présence de cete discussion, en présence de ces textes de la Constitution, n'avais-je pas le droit de dire, messieurs, que la question constitutionnelle a été complètement sauvegardée et que votre commission l'a tranchée dans le sens des vrais principes constitutionnels ?

Cette remarque, messieurs, m'amène à vous présenter une autre observation. Mon honorable ami, M. Van Wambeke, interprète l'article 90 de la Constitution dans le sens que les mots : « sauf ce qui sera statué par une loi » consacrent une exception. Non, messieurs, ces mots ne consacrent pas d'exception, mais ils permettent d'en établir.

La différence entre ces deux interprétations est grande. Selon M. Van Wambeke, la législature ne saurait renvoyer la connaissance des délits commis par un ministre en dehors de ses fonctions, à la cour de cassation, sans violer la Constitution ; selon nous, au contraire, la législature a ce pouvoir.

L'honorable M. Van Overloop, raisonnant dans le même ordre d'idées que l'honorable M. Van Wambeke, a invoqué la discussion qui s'est élevée au Congrès sur l'article 24 de la Constitution.

Franchement, messieurs, je me demande encore quel argument sérieux l'on peut tirer de cette discussion contre la thèse que nous défendons.

Que dit l'article 24 de la Constitution ? Il porte que nulle autorisation' n'est nécessaire pour mettre en jugement un agent du gouvernement. L'article 24 de la Constitution renverse le principe admis par la Constitution de l'an VIII, d'après lequel un agent du gouvernement ne pouvait être poursuivi qu'avec l'autorisation du conseil d'Etat. Mais l'article 24 n'établit pas un principe nouveau, car déjà le gouvernement des Pays-Bas avait, en 1814, décidé que la disposition de la loi française ne recevrait plus d'application.

L'article 24 de la Constitution renferme les mêmes principes.

Il s'agit des poursuites contre les fonctionnaires pour faits de leur administration, et le projet que nous vous avons présenté n'est relatif qu'aux délits commis par un ministre en dehors de l'exercice de ses fonctions.

Laissons donc encore de côté l'article 24, cette disposition ne s'applique pas à la question.

Mais l'article 24 a donné lieu à une discussion dont je dirai un mot.

Une difficulté s'est présentée. Mon honorable ami, M. le comte de Theux, a demandé la suppression des mots : « sauf ce qui est statué à l'égard des ministres ; » son motif était que le vote qui avait eu lieu sur l'article 90 de la Constitution ne devait s'appliquer qu'à la poursuite criminelle, et que la poursuite à fin civile devait rester libre.

Dans la pensée de l'honorable comte de Theux, la poursuite civile, et par conséquent, l'exercice de l'action civile de la partie lésée restait sous l'empire du droit commun.

Il fut répondu que le vote de l'article 90 de la Constitution devait être entendu dans un sens général, que cet article comprenait à la fois la poursuite criminelle et la poursuite civile, et que, pour maintenir l'harmonie dans la loi, il fallait nécessairement conserver dans l'article 24 de la Constitution les mots dont M. de Theux demandait la suppression.

Encore une fois, messieurs, ou argumente ici de choses étrangères pour affaiblir un principe incontestable.

L'honorable M. Lelièvre a attaqué le projet sous un autre rapport ; il est inconstitutionnel encore, a-t-il dit, parce qu'il renvoie à la cour de cassation la connaissance de la demande en dommages-intérêts formée par la partie lésée.

Je ne sais, messieurs, si l'honorable M. Lelièvre s'est bien rendu compte de l'économie du projet. Nous vous proposons de porter (page 973) l'action devant la cour de cassation et en même temp» que l'action publique. Nous conservons donc l'action civile dans toute son intégrité ; elle appartient à la partie lésée et passe à ses représentants comme dans les cas ordinaires .Nous nous bornons à en régler l'exercice et à le limiter par des motifs tout spéciaux.

Ce n’est pas la première fois, messieurs, que l’on parle de lier l’action civile à l’action publique. C’est même ce qui a été proposé par quelques publicistes pour les délits de la presse. Mais je ne veux pas m’arrêter à ces détails ; je préfère vous dire tout de suite quelles ont été les craintes de la commission.

Nous avons pensé, messieurs, que dès que la cour de cassation a prononcé, l'affaire ne doit plus, sous la forme d'une action civile, reparaître devant un juge inférieur. Par exemple, le ministre a été acquitté par la cour, et la partie lésée n'a formé aucune demande en dommages-intérêts ; nous disons qu'il n'est pas convenable de renouveler le débat devant le juge civil, lorsqu'il a été statué par la cour de cassation avec la plus grande solennité possible.

L'honorable M. Lelièvre a dit encore que l'action civile qui naît d'un crime ou délit est aussi légitime que l'action qui naît d'un contrat ou de tout fait juridique valable.

Cela est incontestable. Mais lorsqu'il s'agit de l'action civile résultant d'un délit commis par un ministre, il ne faut pas qu'on puisse prolonger indéfiniment une situation qui pourrait avoir des conséquences graves pour l'ordre public et la dignité du pouvoir.

Mais l'honorable M. Lelièvre a insisté surtout sur l'article 95 de la Constitution. La cour de cassation, a-t-il dit, ne peut connaître du fond des affaires ; lui attribuer le jugement de l'action civile, c'est méconnaître cette disposition et porter atteinte à un des principes fondamentaux de cette institution.

J'aurai, messieurs, une réponse bien simple à faire ; je dirai à l'honorable M. Lelièvre : Prenez la disposition constitutionnelle dans son entier, ne la scindez pas. Or, l'article 95, après avoir établi le principe général que la cour ne connaît pas du fond des affaires, ajoute : « sauf ce qui est statué à l'égard des ministres ; » or, le projet ne concerne que les crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions.

Étudions de plus près l'article 95 de la Constitution Cette étude servira de réponse à quelques inductions qui ont été tirées dans la séance d'hier des discussions du Congrès national.

Dans notre organisation judiciaire, la cour de cassation n'est pas un degré de juridiction, établi dans l'intérêt des parties ; elle existe dans l'intérêt de la loi. Le projet de Constitution énumérant les principales attributions de la cour, M. Forgeur demanda d'établir que la cour pût également casser un arrêt pour fausse application de la loi. L'honorable M. Raikem combattit la proposition et fit remarquer que si la cour de cassation pouvait connaître du fond des affaires, il n'y aurait plus de cour de cassation.

« Voudriez-vous, continue M. Raikem, que la cour de cassation pût juger des affaires ou seraient intéressés les princes, les hauts fonctionnaires ? Mais alors vous déduirez un des plus précieux principes de la liberté, celui de l'égalité devant la loi. Les tribunaux, messieurs, sont seuls appelés à juger des intérêts civils des citoyens en Belgique, depuis le chef de l'Etat, jusqu'au dernier de ses sujets. »

J'ai beau retourner ces paroles dans tous les sens je n'y trouve pas un mot qui soit en opposition avec nos principes. M. Raikem affirme d'abord l'exception relative au jugement des ministres. Pais il parle des droits civils, et déclare que tous, depuis le chef de l’Etat jusqu'au dernier des citoyens, sont justiciables des tribunaux.

La proposition, messieurs, de traduire devant la cour d'appel les ministres qui ont commis des délits étrangers à leurs fonctions, a fait l'objet d'un examen sérieux au sein de la commission. Nous aurions pu, constitutionnellement parlant, vous proposer cette juridiction, nous ne l'avons pas lait pour des motifs graves.

Mes honorables adversaires ne se sont pas toujours pénétrés du véritable caractère des fonctions ministérielles. Ils s'imaginent que c'est dans l'intérêt des ministres que nous vous proposons leur renvoi devant la cour de cassation. Non, messieurs, c'est un intérêt supérieur qui a dirigé votre commission. Nous avons pensé qu'eu renvoyant le jugement des ministres à la cour de cassation, nous donnions plus de garantie à la société.

Ce n'est donc pas la personne du ministre que nous avons eu vue ; mais l'intérêt public, l'intérêt social.

Il y a, messieurs, deux grands intérêts publics en présence.

L'intérêt de la justice. Personne, quelque haut placé qu'il soit, ne peut se soustraire à la loi. Si un ministre enfreint la loi, il sera puni de la même peine que le dernier du citoyens. Ce principe, nous l'avons maintenu. Le rapport de la commission en fait foi.

Mats à côté de cet intérêt public, il eu est un autre qui tient au gouvernement même.

Si nous voulons poser la question sur son véritable terrain, nous devons nous dégager de certaines préventions et ne considérer le ministre que dans ses rapports avec les pouvoirs publics, avec l'administration du pays. Dégageons-nous de certaines préoccupations personnelles, et ne voyons dans les ministres que le gouvernement du pays.

Le ministre n'est pas un simple agent du pouvoir, un magistrat ordinaire. Qu'on arrête un magistrat, qu'on le traduise devant un tribunal de répression, les affaires du pays n'en continueront pas moins leur marche régulière. Mais qu'on arrête un ministre, qu'on le mette en jugement pour un délit ou un crime étranger à ses fonctions, c'est l'administration générale du pays qui sera suspendue dans sa marche régulière. La poursuite d'un ministre soulève toujours une question de premier ordre, une question qui se lie au gouvernement même.

Il y a donc, au fond de ce débat, autre chose qu'un intérêt purement judiciaire ; il y a un grand intérêt national que le projet sauvegarde.

L'honorable M. Lelièvre ne s'est pas rendu un compte exact de l'économie des articles 3, 4 et 5 du projet. La poursuite d'un ministre ne peut être intentée qu'avec l'autorisation de la Chambre ; le procureur général près la cour de cassation est chargé de la poursuite, à moins que la Chambre des représentants ne désigne un ou plusieurs commissaires. Enfin la Chambre peut toujours d'office ordonner la poursuite.

Vous investissez, dit M. Lelièvre, la Chambre des représentants du droit d'accusation ; vous la faites intervenir dans un acte du pouvoir judiciaire ; votre projet conduit donc à la confusion du pouvoir parlementaire et du pouvoir judiciaire.

Si cette objection était fondée, l'article 45 de la Constitution conduirait également à la confusion des pouvoirs.

Cet article établit qu'aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivie ni arrêté en matière de répression, qu'avec l’autorisation de la Chambre dont il fait partie. L’honorable. M. Van Overloop vous propose de rendre cette disposition applicable au ministre qui ne fait pas partie de l'une ou de l'autre Chambre. Je suis heureux de constater que, sur ce point, je suis d'accord avec mon honorable ami.

Restons, messieurs, dans le cas prévu par le projet. Un ministre a commis un délit ; une double hypothèse peut se présenter.

Ou la Chambre des représentants sera saisie par l'autorité judiciaire qui l’informera du fait ; la Chambre examinera dans ce cas si elle autorisera on non la poursuite du ministre. Mais, avant cette autorisation, l'instruction ne pourra commencer.

Ou le procureur général reste dans l'inaction, lorsque cependant l'opinion publique, l'intérêt de la justice réclame la mise en jugement du ministre. Dans cette hypothèse, messieurs, qui se présentera rarement en présence de l'indépendance dont la magistrature belge a constamment donné des preuves, le projet réserve à la Chambre le droit d'ordonner d'office la poursuite du ministre, afin que la justice ait son cours et d'empêcher l'impunité du ministre.

On est donc l'inconstitutionalité ? Je dis moi que le droit que le projet réserve à la Chambre des représentants est une conséquence de l'article 90 de la Constitution, qu'il en est le complément indispensable.

Revenant à l'action civile dérivant du délit, l'honorable M. Lelièvre vous a dit encore : En portant cette action à la cour de cassation, vous dérogez à tous les précédents. Lors de la poursuite, en France, des ministres de Charles X, la cour des pairs a refusé aux parties lésées le droit d'intervenir au procès et s'est déclarée incompétente pour connaître de leur demande en dommages-intérêts.

Mais, messieurs, pouvons-nous assimiler la cour de cassation à la chambre des pairs ? La chambre des pairs était un corps éminemment politique ; la cour de cassation, au contraire, est un des éléments constitutionnels du pouvoir judiciaire. Placée au sommet de la hiérarchie, composée de magistrats éminents, entourée de la confiance générale, la cour de cassation ne sort pas de ses attributions lorsqu'elle statue sur les demandes en dommages-intérêts qui se lient à la poursuite du ministre qui lui a été déférée.

Laissons de tête, messieurs, ces analogies ou ces différences qui ne reposent sur aucune base sérieuse.

Il me reste à justifier un dernier point. La commission a-t-elle fait une chose utile, une chose convenable, une chose commandée par l'intérêt général, en vous proposant de déférer à la cour de cassation les crimes on délits commis par un ministre hors de l'exercice de ses fonctions ?

Votre commission l'a pensé. Comme j'ai eu l’honneur de le dire à la (page 974) Chambre, les ministres représentent le pouvoir exécutif ; placés au degré le plus élevé de la hiérarchie politique et administrative, dominant toutes les autorités qui concourent d'une minière quelconque à l'action gouvernementale, nous leur avons donné un juge en rapport avec leur haute mission.

Il faut surtout, pour juger un ministre, des magistrats qui soient dans une complète indépendance du pouvoir, Cette garantie, vous la rencontrez, messieurs, dans la cour de cassation. Au sommet de la hiérarchie, elle n'a pins rien à attendre du pouvoir. La haute position qu'elle occupe donne au pays l'assurance que la justice aura son cours régulier sans craindre ni trop de faiblesse, ni trop de sévérité de la part des juges.

(page 963) M. Jacobsµ. - Messieurs, après le savant discours que vous venez d'entendre, j'hésite à prendre la parole ; mais aucun orateur ne la demandant, je me vois forcé de répondre à l'honorable rapporteur.

La commission a élaboré un projet de loi, et elle a bien fait. C'est le seul moyen de ne pas nous trouver devant l'éventualité, sinon probable, au moins possible, d'un conflit entre la Chambre et la cour de cassation.

Le rapport constate, en effet, que, dans l'état actuel des choses, en l'absence d'une loi, c'est un point fortement controversé que celui de savoir quelle est la juridiction compétente pour statuer sur les délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions.

La Chambre aurait pu, soit prononcer la mise en accusation, soit déclarer qu'elle n'avait pas à intervenir. La cour de cassation aurait pu adopter un autre avis ; la conséquence eût été l'impunité.

Mais pour que cette éventualité regrettable ne se présente pas, il faut nécessairement qu'un effet rétroactif soit donné à la loi.

Je lis dans le rapport que la commission propose d'admettre la compétence de la cour de cassation pour éviter jusqu'au soupçon de rétroactivité.

Mais que va-t-il arriver, si vous ne donnez pas à la loi d'effet rétroactif, ce qui, en matière de juridiction et de procédure peut se faire ? Il arrivera que la cour de cassation devra se demander quelle était la juridiction compétente avant la loi au moment où a eu lieu le fait qui a occasionné la nomination de la commission, et si la cour suprême ne partage pas l'avis de la commission, si elle croit qu'aujourd'hui la juridiction ordinaire est seule compétente, elle se déclarera incompétente.

Si vous voulez être certains d'éviter un conflit, donnez un effet rétroactif au projet de loi, quelle que soit la compétence qu'il établisse.

La loi proposée est exceptionnelle, je dirai spéciale si on le préfère, elle l'est parce qu'elle crée une juridiction spéciale, parce qu'elle exige une autorisation préalable et parce qu'elle déroge au droit commun quant à l'action civile. Sous ce triple rapport, je ne puis partager l'opinion de la commission. Et d'abord, messieurs, le projet est-il constitutionnel ? Les trois orateurs que vous avez entendus hier l'ont contesté, l'honorable rapporteur s'est défendu très énergiquement de ce reproche. J'avoue qu'il ne m'a pas convaincu. Retraçant d'une manière très complète les discussions qui ont en lieu au sein du Congrès national, il en a conclu que la juridiction appelée à statuer sur les délits ordinaires commis par les ministres a été réservée.

Je suis en cela d'accord avec lui ; la question de juridiction a été réservée. Mais à côté de cette règle le Congrès a placé l'exception ; il a proscrit une seule juridiction, celle précisément que la commission a choisie, la cour de cassation.

J'en trouve la preuve dans le texte de la Constitution et dans les discussions du Congrès.

L'honorable rapporteur n'a pas répondu à un argument de l'honorable M. Van Wambeke. Il invoquait l'article 91 de la Constitution : « Le Roi ne peut faire grâce au ministre condamné par la cour de cassation que sur la demande de l'une des deux Chambres. »

Cet article est la contrepartie de l'article 89 qui déclare qu'en aucun cas l'ordre verbal ou écrit du Roi ne peut soustraire un ministre à la responsabilité.

On ne voulait pas que la responsabilité devînt dérisoire et qu'après avoir engagé un ministre à poser un acte inconstitutionnel, le Roi pût anéantir la condamnation qui en serait résultée en lui faisant grâce. L'article 91 ne s'applique qu'aux cas de responsabilité ministérielle. Ce n'est que dans ces cas que le droit de grâce se trouve enchaîné et subordonné à l'initiative de l'une des deux Chambres.

Eh bien, cet article s'étend à toute condamnation prononcée par la cour de cassation ; celle-ci n'a donc compétence que lorsque la responsabilité ministérielle proprement dite est engagée. Vous arriveriez à une conséquence inadmissible si vous lui donniez compétence pour délits privés, vous arriveriez à entraver l'exercice du droit de grâce.

L'article 95, qui déterrmine la compétence de la cour de cassation, n'est pas moins clair ; elle ne peut juger du fond des affaires si ce n'est quant au jugement des ministres.

Cette défense formelle ne vous permet d'étendre sa juridiction, ni à leurs complices, ni aux actions civiles ; elle peut juger les ministres, mais non trancher les contestations civiles entre des ministres et des particuliers.

(page 964) Le Congrès ne l'a pas voulu, comme le prouvent, sans contradiction possible, les discussions qui ont eu lieu à propos de l'article 95.

M. Delcour ne les a pas résumées d'une manière complètement exacte. Je me permettrai de vous donner lecture à mon tour d'un court passage qui vous prouvera que la juridiction d'exception accordée à la cour de cassation ne concerne que la responsabilité ministérielle.

M. Raikem disait :

« Hors le cas d'accusation des ministres, il ne faut pas que la cour de cassation puisse connaître du fond des affaires. »

Voilà ce que disait M. Raikem sans qu'une seule voix s'élevât pour protester.

« Elle n'est pas instituée dans l'intérêt des particuliers, mais dans l'intérêt seul de la loi. »

Lorsqu'il s'agit de responsabilité ministérielle, le pays tout entier est intéressé ; c'est une cause publique et politique qui explique une juridiction spéciale ; mais quand il s'agit de contestations pécuniaires entre des particuliers et des ministres, lorsqu'il s'agit d'intérêts privés, la cour de cassation n'a pas à statuer au fond.

Il est vrai qu'ensuite faisant allusion aux affaires civiles, M. Raikem ajoute :

« Voudriez-vous que la cour de cassation pût juger les affaires où seront intéressés les princes, les hauts fonctionnaires ? Mais alors vous détruisez un des plus précieux principes de la liberté, celui de l'égalité devant la loi. Les tribunaux ordinaires sont seuls appelés à juger des intérêts civils de tous les citoyens de la Belgique, depuis le chef de l'Etat jusqu'au dernier des citoyens. »

Le principe de l'égalité devant la loi n'est pas seulement un principe de droit civil, c'est avant tout un principe de droit criminel.

Aussi l'honorable M. Forgeur, en confirmant l'opinion soutenue par M. Raikem, disait-il qu'il n'avait consent à accorder le jugement d'une question de fond à la cour de cassation, que parce qu'il n'avait pas été possible de faire autrement.

Or, ici, quelque opinion qu'on ait, on doit reconnaître qu'il est impossible d'accorder la juridiction à un autre corps judiciaire. Ce n'était donc pas pour les délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, que l'exception établie par l'article 93 a été consacrée par le Congrès.

Le texte de l'article 91 et les discussions de l'article 93 me paraissent démontrer clairement que la compétence de la cour de cassation ne se rapporte qu'aux faits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions ; et que, tout en réservant à la législature ordinaire le droit de régler la juridiction appelée à connaître des délits privés des ministres le Congrès lui a interdit de saisir du fond de ces poursuites la cour régulatrice.

À cet égard donc, le projet de la commission n'est pas en rapport avec le pacte fondamental. Il n'y a, me semble-t-il, qu'à choisir entre deux systèmes : celui développé hier qui consiste à donner juridiction pour les délits correctionnels à la première chambre de la cour d'appel et le droit commuta qui renverrait devant le tribunal correctionnel d'abord, devant la cour d'appel en seconde instance.

Le premier système a été soutenu par les honorables MM. Lelièvre et Van Overloop ; je soutiendrai le second, et je ferai une proposition dans ce sens après l'avoir développée.

Le premier système se base sur les articles 479 et suivants du Code d'instruction criminelle et sur l'article 10 de ta loi du 20 avril 1810. Une juridiction spéciale existe pour les juges de paix, les juges, les conseillers à la cour d'appel et à la cour de cassation, on croit qu'il serait inconséquent de ne pas l'étendre au ministre de la justice, chef de la magistrature et à ses collègues.

Tant que subsisteront ces dispositions, il y aurait, en effet, inconséquence et anomalie à ne pas mettre les ministres dans une position égale ; mais la proposition que je déposerai entraîne l'abrogation des articles du code d'instruction criminelle et de l'article 10 de la loi du 20 mars 1810 ; j'échappe donc au reproche.

Nous nous trouvons, messieurs, dans une situation tout à fait anomale. L'empire nous a légué quelques débris de sa législation exceptionnelle ; le reste n'est pas parvenu jusqu'à nous. Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII établissait une haute cour pour juger les membres de la famille royale. Aujourd'hui ils ont pour juges les tribunaux ordinaires, accorderez-vous aux ministres ce que vous refusez aux membres de la famille royale ?

La loi de 1810 établissait une juridiction spéciale pour les archevêques, pour les évêques, pour les présidents de consistoires, en un mot pour les hautes autorités des cultes reconnus. Ces dispositions sont évidemment abrogées par la Constitution.

Mais, puisqu'on ne recule pas devant l'idée de faire comparaître les membres de la famille royale, les archevêques et évêques devant les tribunaux correctionnels, pourquoi ferait-on des exceptions pour les ministres, pour les gouverneurs, les commandants de divisions militaires. Du reste, l'article 6 de la Constitution qui établit l’égalité devant la loi prohibe toute juridiction d'exception, il prohibe les exceptions personnelles aussi bien que les exceptions réelles ; les justiciables d'exception aussi bien que les tribunaux d'exception.

Quel est votre but ? Augmenter les garanties ? Les tribunaux ordinaires n'en offrent-ils pas assez ?

Ce qui suffit à tous les citoyens, doit suffire aux juges de paix, aux juges, aux conseillers des cours d'appel et de la cour de cassation, aux ministres eux-mêmes.

La juridiction correctionnelle ordinaire donne autant de garanties, la juridiction criminelle en offre plus.

Le jury établi en toutes matières criminelles par la Constitution est la plus haute de toutes les juridictions possibles ; le Congrès l'a rendu obligatoire parce qu'il a voulu que les crimes fussent soumis à des juges d'équité et non à des juges de droit.

Je veux bien que la cour de cassation qui, dans ce cas, sera exceptionnellement saisie du fond de l'affaire, se montre aussi équitable que toute autre juridiction ; mais le jury me paraît plus conforme à nos institutions et l'article 98 de la Constitution l'exige.

Entre les deux systèmes en présence, celui des honorables MM. Van Overloop et Lelièvre, d'une part et celui que je défends, il n'y a de différence que quant aux délits. En ce qui concerne les contraventions et les crimes, nous avons la même juridiction ; quant aux délits, il y a cette différence que, tandis que l'honorable M. Van Overloop n'admet qu'un degré de juridiction, la cour d'appel, j'en admets deux, le. tribunal correctionnel et la cour d'appel chambre correctionnelle. De part et d'autre nous conservons le jury.

Est-ce, messieurs, une objection admissible que celle qui consiste à dire que la dignité du gouvernement est intéressée à ce que les ministres soient traduits devant une juridiction spéciale, qu'il y a là un grand intérêt social engagé, qui demande que ces procès soient jugés avec le plus d'apparat possible.

Ce ne sont ni les exceptions ni les privilèges qui engendrent le respect : si la considération des ministres devait tenir à une juridiction exceptionnelle, elle tiendrait à bien peu de chose. Ce n'est pas le fait d'être prévenu devant tel ou tel tribunal qui entame la considération personnelle ; c'est la condamnation, quel que soit le tribunal qui condamne.

Une autre objection de l'honorable rapporteur repose sur l'indépendance qu'offrent les membres de la cour de cassation ; ils n'ont plus rien à attendre du pouvoir.

Messieurs, j'ai quelque répugnance à entrer dans cet ordre d'idées. On a toujours et on n'a jamais rien à attendre du pouvoir, selon qu'on a le caractère plus ou moins bien trempé.

Je suis profondément convaincu que le plus grand nombre de nos juges de première instance est inaccessible aux séductions que peut leur offrir le pouvoir.

J'ai, sous ce rapport, une confiance illimitée dans notre magistrature et je ne crois pas que la crainte de l'influence que les ministres pourraient exercer doive nous faire mettre en suspicion les tribunaux ordinaires.

D'ailleurs, je ferai remarquer que la commission elle-même a admis la juridiction ordinaire pour les contraventions. C'est manquer de logique et réfuter d'avance l'objection qu'on nous fait.

La doctrine que je défends, messieurs, est soutenue par le plus grand nombre des auteurs ; on en a cité trop déjà pour qu'il soit nécessaire que j'en accumule beaucoup d'autres.

Je me bornerai à signaler M. De Fooz ; et pour prouver que les idées que je défends ne sont ni si effrayantes, ni si radicales, ni si nouvelles, j'invoquerai Benjamin Constant qui, dans son ouvrage sur la responsabilité des ministres, déclare d'une manière très énergique que les ministres doivent être justiciables des tribunaux ordinaires pour les délits commis hors de l'exercice de leurs fonctions.

J'arrive à l'autorisation. Je n'en suis pas plus partisan que de la juridiction spéciale.

Un grand principe domine notre organisation politique ; c'est celui de la séparation des pouvoirs. La Chambre est un pouvoir essentiellement politique ; elle n'est pas un corps judiciaire. Je sais que, par son article 45, la Constitution a établi une exception à la règle et enchaîné le pouvoir judiciaire à l'appréciation de la Chambre quand il s'agit de la poursuite d'un de ses membres. C'est une exception qui s'explique parce qu'on n'a (page 965) pas voulu que, d'une façon ou d'une autre, on déplaçât la majorité politique contre le gré du pays. (Interruption.)

Mais, messieurs, cette même raison n'existe pas pour les ministres. Un ministre qui ne fait point partie de la Chambre peut être utile à l'administration du pays ; mais entre être utile et être indispensable il y a bien des nuances. Je ne crois pas aux hommes indispensables ; qu'un ministre, si important qu'il soit, se trouve sous le coup d'une contrainte par corps, tant bien que mal on parviendra à le remplacer. C'est, du reste, un cas tellement exceptionnel qu'il ne me paraît pas nécessaire d'en tenir compte.

Ce n'est pas un officier du ministère public, dépendant du ministre de la justice, pouvant être cassé d'un moment à l'autre, qui se hasardera à faire des réquisitions intempestives contre des ministres.

M. Bara. - Et le juge d'instruction ?

M. Jacobsµ. - Sans doute le juge d'instruction pourra lancer un mandat d'amener ; mais ce magistrat ne le fera pas sans les plus graves raisons, il n'ira pas compromettre sa réputation, briser son avenir, par une mesure vexatoire qui n'aurait qu'un effet d'un moment.

L'honorable M. Van Overloop a signalé une lacune du projet de le commission, il ne contient aucune mesure contre la contrainte par corps ; et dès lors il peut arriver que le roi soit privé d'un de ses conseillers par suite de cette contrainte par corps. Votre projet n'est donc pas complet ou les motifs que vous donnez à l'appui ne sont pas sérieux.

Messieurs, on citait tout à l'heure la loi fondamentale de 1815 qui, par son article 177, conférait à une haute cour qui n'a jamais été organisée le jugement des délits commis par les ministres comme par les membres des états généraux hors de l'exercice de leurs fonctions.

C'était une juridiction spéciale, mais aucune autorisation n'était requise pour intenter la poursuite.

Vous convient-il de faire plus que la loi fondamentale ? Les ministres ont des garanties suffisantes ; ne cherchons pas à leur en donner d'autres qui pourraient leur nuire au lieu de les servir.

Avant de consacrer une exception quelconque aux principes de h séparation des pouvoirs et de l'égalité des citoyens devant la loi, il faudrait attendre que des abus se fussent manifestés.

Attendons qu'il s'en produise au moins un ; il sera temps alors de prendre les mesures nécessaires pour y parer ; mais porter atteinte préventivement aux principes que je viens de rappeler sans aucune raison plausible, c'est, me semble-t-il, en faire trop bon marché.

Qu'il me soit permis, messieurs, de vous citer l'exemple d'un pays qui est notre aîné dans la pratique du gouvernement parlementaire. En Angleterre, lorsqu'un ministre a commis un délit en dehors de l'exercice de ses fonctions il est poursuivi devant les tribunaux ordinaires sans autorisation aucune.

Bien plus, pour certains faits commis dans l'exercice de leurs fonctions ils sont poursuivis devant la juridiction ordinaire et sans autorisation. Ce n'est que pour les crimes de haute trahison, les malversations, les concussions qu'ils sont mis en accusation par la chambre des communes et traduits devant la chambre des lords.

J'ai examiné les documents suisses qui ont été déposés hier sur le bureau, et, si je ne me trompe, car je n'ai pu les consulter qu'imparfaitement, la législation suisse est la même que celle de l'Angleterre.

Un mot, messieurs, pour finir. Je vous citais tout à l'heure Benjamin Constant. Ce qu'il dit de la juridiction, il le dit aussi de l'autorisation ; il ne comprend pas que, pour un délit privé, pour un délit commis, non par le ministre, mais par l'homme, on établisse une juridiction exceptionnelle, on exige l'autorisation d'un corps politique.

M. de Brouckere. - Je demande la parole.

M. Jacobsµ. - Voici ce que je lis au chapitre premier de l'ouvrage que je citais tantôt :

« Si tous les délits privés des ministres rendraient dans la sphère de la responsabilité, il faudrait une accusation intentée par les assemblées représentatives : l'homicide, le rapt ou tel autre crime, bien que ce crime n'eût aucun rapport avec les fonctions ministérielles. Cette hypothèse est trop absurde pour nous arrêter. »

Je ne lui emprunterai pas cette expression peu parlementaire ; je n'ai pas suivi son exemple en refusant de m'arrêter à cette hypothèse, je l'ai, au contraire, discutée assez longuement, mais je partage l'opinion qu'il exprime et je m'écarte en tous points de celle de la commission.

C'est, dans ce sens, messieurs, que je déposerai un amendement dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture.

« Art. 1er (amendement à l'article premier). Les crimes, délits et contraventions commis par un ministre hors de l'exercice de ses fonctions sont jugés par les tribunaux ordinaires.

« Art. II (amendement à l'article 2). Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre un ministre pour faits étrangers à son administration.

« Art III (amendement à l'article 10). La présente loi sera obligatoire le lendemain de sa publication. Elle sera applicable à toutes les infractions commises avant cette date, mais dont les poursuites ne seraient pas encore commencées.

« Art. IV (additionnel). Les articles 479, 480, 481 et 482 du code d'instruction criminelle sont abrogés.

« L'article 10 de la loi du 20 avril 1810 est modifié de la manière suivante :

« Lorsque des généraux commandant une division ou une province, des membres de la cour de cassation, de la cour des comptes et des cours d'appel seront prévenus de délits de police correctionnelle commis dars l'exercice leurs fonctions, les cours d'appel en connaîtront de la manière prescrite par l’article 479 du Code d'instruction criminelle.

« L'article 18 de là même loi est abrogé. »

Je propose de modifier l'article 10 de la loi du 20 avril 1810, parce que cet article comprend les délits commis par les conseillers, les gouverneurs, etc., dans l'exercice de leurs fonctions, comme ceux qu'ils commettent en dehors de l'exercice de leurs fonctions. Je ne maintiens dans l'amendement que les premiers.

- L'amendement est appuyé. Il fera partie de la discussion.

M. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la commission me semblait avoir démontré d’une manière péremptoire et la constitutionnalité et la convenance du projet de loi qui vous est soumis ; il n'est cependant pas parvenu à convaincre l'honorable préopinant. Je n'ai pas l'espoir d'être plus heureux que lui ; toutefois, je demanderai à la Chambre la permission de lui dire deux mots encore sur un point de la discussion, celui de la constitutionnalité du projet.

La Constitution dit une chose positive et formelle : c'est que les ministres, pour tous les crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions, sont justiciables de la cour de cassation.

Voilà le principe qui est nettement établi dans la Constitution. Ce principe est donc hors de cause.

Quant aux crimes et délits commis par les minières en dehors de leurs fonctions, la Constitution ne se prononce pas sur la juridiction à laquelle appartiendra la connaissance de ces crimes et délits.

Et de ce que la Constitution ne se prononce pas, nos honorables adversaires tirent la conséquence que ce sont les tribunaux ordinaires qui doivent en connaître.

Eh bien, messieurs, selon moi, il résulte clairement et nettement, des termes de la Constitution, ainsi que des discussions qui ont eu lieu dans le Congrès, que la pensée de cette assemblée n'a jamais été que les tribunaux ordinaires fussent saisis de la connaissance des crimes et délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions.

D'abord, on vous l'a rappelé très naïvement, messieurs, une proposition formelle dans ce sens a été faite au Congrès. Quel accueil a-t-elle reçu ? A-t-elle été adoptée par la majorité ? A-t-elle même été simplement appuyée par un certain nombre de membres ? Nullement ; le membre qui a présenté cette déposition est resté à peu près isolé ; mais la question ayant une certaine gravité, la section centrale a été chargée de l'examiner ; et qu'est-ce que la section centrale a proposé au Congrès ? Qu'est-ce que le Congrès a décidé ?

La section centrale a tout simplement proposé au Congrès de laisser aux législatures futures le soin de déterminer la juridiction qui sera appelée à connaître des crimes et délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions. Or, il n'y a ni plus ni moins que cela dans la Constitution.

Par conséquent la Chambre est parfaitement dans son droit, et elle marche dans la voie qui lui est tracée par la Constitution, en examinant quelle est la juridiction à laquelle elle doit donner la préférence.

Mais je vais plus loin : je prétends qu'il résulte de la Constitution et des discussions qui ont eu lieu dans le Congrès, qu'il était dans l'intention de cette assemblée que ce fût une juridiction exceptionnelle qui fut désignée pour connaître des crimes et délits ordinaires commis par des ministres.

Et en effet, si l'opinion du Congrès avait été arrêtée dans un sens contraire, il lui suffirait d'accepter la proposition formulée par M. François. Mais il y avait encore une autre marche à suivre et qui était plus simple : c'était de garder le silence Si la Constitution s'était bornée à dire : « La cour de cassation seule connaîtra des crimes et délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions ; » et si elle avait gardé le silence sur les crimes et délits communs, il est certain que la juridiction (page 966) ordinaire aurait été seule compétente pour connaître de ces derniers crimes et délits ; mais la Constitution a parlé, elle a dit formellement :

« Les législatures futures auront à faire une loi qui déterminera s'il y aura une exception à la règle que nous avons tracée pour le jugement des ministres, s'il y aura une exception pour les cas où les crimes et délits commis par eux l'auraient été en dehors de leurs fonctions. »

Permettez-moi de vous le dire, messieurs, si vous décidiez aujourd'hui que les ministres seraient justiciables des tribunaux ordinaires pour les crimes et délits communs, ce serait en quelque sorte une exception à la règle générale.

La règle générale, c'est la cour de cassation, mais la question n'est pas tranchée d'une manière positive en ce qui concerne les crimes et délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions. Je le répète si vous tranchiez la question dans le sens des tribunaux ordinaires, ce serait une exception à la règle générale que vous admettriez.

Que nous dit-on ?

« Le principe que vous préconisez est contraire au premier et au plus grand de tous les principes consacrés par la Constitution, au principe de l’égalité des citoyens. Tous les citoyens doivent être jugés de même, doivent être juges par les mêmes juges, sauf une seule exception établie par la Constitution. »

Mais je demanderai à mes honorables contradicteurs comment il se fait qu'un juge d'un tribunal civil, par exemple, commettant un délit, n’est pas jugé par le tribunal du lieu dans lequel il a commis le délit, comme tous les autres citoyens ; comment il se fait qu'un conseiller de cour d'appel commettant un délit n'est pas justifiable des mêmes juges que ses concitoyens ?

Je pourrais de même chitr l'exemple des membres de la cour de cassation.

Mais est-ce que nos soldats, les militaires en général, ne sont pas des citoyens comme nous ? Pourquoi donc leur donner d'autres juges ? Pourquoi donc les citoyens qui appartiennent à l'armée sont-ils jugés autrement que les citoyens qui n'y appartiennent pas ?

Et pourquoi, dans l'armée, est-on jugé par des juges différents selon le grade que l'on occupe ? Pourquoi un citoyen soldat n'est-il pas jugé par les mêmes juges qu'un citoyen capitaine, et pourquoi un citoyen capitaine n'est-il pas jugé par les mêmes juges qu'un citoyen général ?

Je voudrais bien qu'on m'expliquât toutes ces différences et je voudrais bien qu'après cela, l’on me démontrât que nous allons faire, en donnant des juges spéciaux aux ministres, une chose exorbitante et qui n'a aucune application dans nos lois.

Messieurs, la règle générale, c'est que tous les citoyens sont jugés de même. Mais à cette règle il y a une foule d'exceptions, et l'exception que nous vous engageons à faire ici, nous vous engageons à la faire en nous appuyant sur la Constitution, sur son esprit comme sur son texte. C'est la Constitution qui nous a en quelque sorte indiqué quelle était la juridiction que nous devons choisir pour le jugement des ministres.

Messieurs, on raisonne sans cesse, malgré la démonstration si évidente selon moi, qu'a faite en sens contraire M. le rapporteur, comme si nous voulions donner aux ministres une juridiction pleine d'avantages, constituant un privilège injustifiable. Mais quand on ne raisonne pas juste, on arrive toujours à une inconséquence. Nous voulons donner une juridiction plus favorable aux ministres, et puis, l'on se plaint comme d'une injustice flagrante, que le ministre entraîne avec lui devant la cour de cassation les complices qu'il peut avoir.

Ainsi, quand il s'agit des ministres, la cour de cassation est une juridiction avantageuse, un privilège ; et quand il s'agit des particuliers qui peuvent être complices des ministres, c'est tout autre chose, la cour de cassation alors devient une juridiction désavantageuse, fatale, dangereuse ; nous portons atteinte aux droits des simples citoyens.

Bref, la cour de cassation devient alors une juridiction aussi mauvaise qu'elle est privilégiée quand il s'agit des ministres.

Vous voyez, messieurs, où conduit une idée fausse ; elle conduit à des inconséquences palpables.

Je ne veux pas prolonger la discussion. Je le répète, l'honorable M. Delcour a été péremptoire, je ne pourrais en quelque sorte que reproduire les arguments qu'il vous a présentés ; car sa démonstration a été complète.

Je maintiens donc que le projet que nous vous présentons est conforme et à la lettre et à l'esprit de la Constitution et qu'il rentre entièrement dans les idées qui ont prévalu lors des discussions qui ont eu lieu à l'occasion des divers articles de la Constitution ayant rapport à la responsabilité ministérielle.

Je maintiens qu'établir, pour juger les ministres, une autre juridiction que celle de ta cour de cassation, ce serait faire une chose peu convenable, non pas au point de vue personnel des ministres, mais, comme l'a dit l'honorable M. Delcour, au point de vue de l'intérêt public, au point de vue de l'intérêt social.

Je maintiens que cette juridiction, la seule convenable, n'a pas du tout été présentée par nous comme étant dans l'intérêt des ministres, comme étant une loi de faveur et de privilège, mais comme étant à nos yeux une véritable nécessité.

M. Dumortier. - Messieurs, j'avoue qu'une chose m'a surpris. Nous avons renvoyé la proposition qui avait été faite par l'honorable M. de Brouckere à une commission en vue d'un fait particulier. On avait créé cette commission pour examiner la juridiction en matière d'un fait et pour présenter à la Chambre un rapport sur ce qu'il y avait à faire.

La commission, au lieu de rester dans le mandat qui lui avait été donné par la Chambre, vient présenter une loi générale de responsabilité ministérielle dans tout ce qui n'est pas politique.

Or, d'abord, ce n'est pas le mandat qui lui avait été donné.

En second lieu, sommes-nous mûrs pour examiner fructueusement une pareille loi ? J'en doute. J'avais eu l'honneur de demander à la Chambre, et elle avait accueilli avec bienveillance ma motion, de faire traduire et imprimer toutes les lois de responsabilité ministérielle existant dans les divers pays, afin que nous pussions posséder la matière qui est relative à ce point si délicat de la responsabilité ministérielle, afin que nous pussions connaître ce qui se passe dans d'autres contrées et être au courant de la question.

Messieurs, tant que ces documents n'ont pas été imprimés, tant que nous ne les connaissons pas, je me pose cette question : Sommes-nous mûrs pour examiner avec fruit une loi de responsabilité ministérielle précisément dans sa partie la plus délicate ?

La responsabilité ministérielle peut se présenter sous deux points de vue : elle est ou bien une responsabilité politique, ou bien une responsabilité de droit commun.

Quant à la responsabilité d'ordre public, on l'a déjà dit, cette partie est la moins utile à traiter immédiatement, quoiqu'elle doive l'être, puisque, en vertu de la Constitution, la Chambre est investie d'un plein pouvoir, jusqu'à ce qu'une loi de responsabilité soit intervenue, pour mettre en accusation un ministre, et que la cour de cassation est également investie d'un plein pouvoir pour le juger.

Mais la partie la plus délicate, la plus sérieuse est celle de la responsabilité des ministres en matière de crimes et de délits de droit commun.

Eh bien, alors que la Chambra n'est pas mûre pour une pareille discussion, la commission chargée d'examiner ce qu'il y avait à faire pour un cas particulier, sortant de la mission que la Chambre lui avait donnée, nous présente un projet complet sur la responsabilité ministérielle en pareille matière.

Messieurs, je crains ces discussions précipitées, ces discussions avant qu'on ait pris une connaissance parfaite de la matière. On nous représente cette loi comme étant une loi provisoire, mais j'ai bien peur qu'il n'en soit de cette loi provisoire comme de la loi provisoire votée par le Congrès sur la liberté de la presse, loi qui devait être revue à la session suivante, et qui, de session en session, nous régit depuis 35 ans.

C'est ce qui arrive souvent pour des lois pareilles ; nous nous figurons que nous faisons une loi qui n'aura qu'une courte durée, que nous réviserons dans un bref délai, et au fond nous avons fait une loi définitive, bien que nous ne fussions pas mûrs pour résoudre la question.

Maintenant que se passe-t-il dans les autres pays en matière de responsabilité ministérielle quant aux crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions ? Il n'est point à ma connaissance que dans un seul pays constitutionnel les ministres jouissent en pareil cas d'une juridiction exceptionnelle.

Ce n'est pas à dire qu'il faille livrer les ministres à toutes les tracasseries que de petites rancunes pourraient leur susciter ; il y a là quelque chose à faire.

Dans ma conviction profonde je pense que les ministres doivent être renvoyés devant la juridiction ordinaire pour les faits étrangers à leurs fonctions, mais je pense aussi qu'il faut entourer leur mise en cause de certaines garanties, sans toutefois leur créer une juridiction exceptionnelle, sans surtout les mettre à couvert derrière une majorité disposée à les soutenir.

Cette loi, messieurs, savez-vous comment je la qualifie ? C'est une loi d'irresponsabilité ministérielle. Au moyen de cette loi, vous allez décréter l'irresponsabilité ministérielle.

Nous vivons à une époque où les luttes parlementaires sont devenues des luttes de partis ; qu'arrivera-t-il ? On viendra demander la mise (page 967) en accusation d'un ministre pour un fait quelconque de droit commun, Pensez-vous que la majorité... ?

M. Orts. - Vous le verrez dans quinte jours.

M. Dumortier. - Il y a des cas où l'opinion publique force les majorités à remplir leur devoir, mais ces cas sont bien rares et c'est peut-être le premier qui se présentera dans quinze jours : mais il peut y avoir bien des circonstances où un ministre doive être mis en accusation et où il n'y ait point cette pression de l'opinion publique, alors il est à craindre que la majorité qui soutient le ministère ne veuille pas s'exposer à une crise ministérielle et vous arriverez ainsi à ce résultat que votre loi sera une loi d'irresponsabilité ministérielle.

Je ne reviendrai pas, messieurs, sur les arguments présents par les honorables membres qui ont combattu avant moi le projet de loi, mais je dois insister sur ce point que vous traduisez devant la cour de cassation, non seulement les ministres, mais encore toutes les personnes qui ont concouru au fait poursuivi et que vous privez ainsi de leurs juges naturels, que vous privez, dans certaines circonstances, du jury. Or, croyez-vous que le Congrès puisse avoir eu jamais une pareille pensée ?

L'honorable M. de Brouckere a soutenu l'affirmative, mais je lui répondrai que si la pensée du Congrès avait été de traduire toujours les ministres devant la cour de cassation, il l'eût dit clairement et nettement ; si le Congrès avait voulu le contraire, iI l'eût dit également ; il ne s'en est pas expliquer et ce qu'on doit en conclure, c'est que le Congrès a voulu que les législatures ultérieures fussent juges de ce qu'il y aurait à faire.

- Un membre. - C'est pour cela qu'on fait la loi.

M. Guillery. - Comme l'a dit M. Delcour, la question est entière.

M. Dumortier. - Ce n'est pas à l'honorable M. Delcour que je réponds, c'est à l'honorable M. de Brouckere. 1Il a dit qu'il suffirait du silence de la Constitution pour nous permettre de trancher la question dans un sens ou dans l'autre ; mais il a ajouté que si nous décidions que les ministres seront justiciables des tribunaux ordinaires, ce serait une exception à la règle générale. Voilà comment l'honorable membre interprète la Constitution.

Eh bien, je dis moi, que lorsque vous déférez à la cour de cassation des questions qui ne lui sont pas déférées par la Constitution, vous créez une juridiction exceptionnelle.

M. Pirmez. - C'est la juridiction naturelle des ministres.

M. Dumortier. - Votre juridiction sera une juridiction exceptionnelle, ce sont là des subtilités, rien de plus.

Que porte l'article 94 ?

« Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu'en vertu d'une loi. Il ne peut être créé de commission ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit. »

- Un membre. - Cette juridiction existe.

M. Dumortier. - Elle existe pour les crimes et délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions, mais elle n'existe pas ailleurs, et quand vous la créez ailleurs vous créez une juridiction exceptionnelle.

Et c'est au moyen de ce système que nous allez soustraire des citoyens à la juridiction du jury, l'une des plus grandes garanties qui existent. Je désire que l'on réponde à cet argument du jury. J'ai beaucoup entendu parler à côté de la question, mais je n'ai pas encore entendu parler sur la question.

Le jury, messieurs, mais c'est une garantie pour les ministres comme pour les autres citoyens. Si le jury est le jugement du pays par le pays, pourquoi le refusez-vous aux ministres quand ils sont accusés d'un crime ou d'un délit ?

Je ne conçois pas pourquoi vous la retirez aux ministres. Je ne conçois pas d'ailleurs de quel droit vous allez soustraire à la juridiction du jury les personnes qui se trouvent comprises dans un délit commis par un ministre.

Je comprends parfaitement, comme je le disais tout à l'heure, que vous ne pouvez livrer les ministres à toutes les petites rancunes, à toutes les petites passions, et c'est précisément parce que le Congrès l'a compris qu'il a ajouté à l'article 90 de la Constitution la disposition qui s'y trouve.

Cette disposition veut que vous, législateur, tout en conservant le jugement des ministres aux tribunaux ordinaires, vous entouriez leur mise en cause de toutes les garanties convenables contre les petites vexations.

Voilà l'unique motif, l'unique explication de ce paragraphe 2.

Le Congrès n'a pas voulu trancher la question parce qu'il a compris qu'il y avait là des difficultés qui exigeaient un examen sérieux et approfondi et il a laissé à la législature le soin de trouver des garanties pour ne pas rendre les ministres attaquables en tout état de cause et d'un autre côté pour ne pas les traduire devant la cour de cassation.

Si le Congrès avait eu l'ombre d'intention de les traduire en tout état de cause devant la cour de cassation, il l'eût nécessairement dit dans cet article.

Je pense donc, messieurs, que la thèse n'est pas soutenante. Il est évident que cette loi est une confiscation de l'action civile relative aux ministres, et en confisquant l'action civile, en soumettant la poursuite pour les délits communs à l'autorité d'une Chambre dont la majorité cherchera toujours à soutenir son ministère parce que le ministère tombant elle sera exposée à tomber elle-même, vous avez créé en fait une loi d'irresponsabilité ministérielle, vous rendez les ministres aussi irresponsables que le Roi lui-même, vous supprimez de la Constitution la plus grande de toutes les garanties, la responsabilité des ministres.

Je pense, messieurs, qu'il eût mieux valu que la commission restât dans les limites de son mandat, et qu'elle présentât un projet de loi pour la circonstance qui avait fait naître la motion dont la Chambre avait été saisie, mais qu'il n'était ni dans son droit ni dans son devoir de présenter un projet de loi tranchant une question qui n'est pas mûre, qui arrive avant que nous soyons préparés à la traiter.

Je prie les membres de la Chambre, qui soutiendront le projet de loi, de vouloir bien nous dire quels sont les pays constitutionnels où les ministres, pour des faits de délits privés, jouissent d'une juridiction exceptionnelle.

M. Orts. - Les Pays-Bas sous la loi fondamentale de 1815 et aujourd'hui encore.

M. Dumortier. - Sous la loi de 1815, il n'y avait pas de responsabilité ministérielle.

MfFOµ. - Il ne s'agit pas de cela, il s'agit de la juridiction,

M. Dumortier. - Sous la loi de 1815, il n'y avait pas de responsabilité ministérielle. Dans cette même salle, sur ces bancs, M. Van Meenen s'écriait : Je ne suis pss responsable devant vous, je ne suis responsable que devant le roi.

M. Bouvierµ. - Aussi 1830 est venu.

M. Dumortier. - Aux termes de la loi de 1815 les ministres ne pouvaient être mis en accusation par vous, ils ne pouvaient l'être que par le roi.

Voilà la loi hollandaise, il n'y a là aucune espèce de similitude avec la situation actuelle.

Les ministres ne pouvaient, comme l'a dit l'honorable M. Jacobs, être mis en accusation que pour le cas de haute trahison.

On nous dit qu'une disposition de la loi de 1815 a réservé pour les délits ordinaires une juridiction exceptionnelle aux ministres du gouvernement hollandais.

M. Dolezµ. - Avez-vous lu la loi de 1827 sur l'organisation judiciaire ? Cette loi organise la juridiction de la haute cour pour les délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions.

M. Bouvier. - Voilà un tribunal exceptionnel.

M. Dumortier. - Je déclare à l'honorable M. Dolez que je n'ai pas lu la loi de 1827. Je crois d'ailleurs que cette loi n'a jamais été appliquée en Belgique.Vous ne pouvez dès lors la citer qu'à titre de renseignement.

Du reste si je n’ai pas lu cette loi, je crois que la plupart des membres de la Chambre sont dans le même cas que moi.

Je conçois que l'honorable M. Dolez, qui est un des jurisconsultes les plus savants de la Belgique, la connaisse. Je rends volontiers hommage à son talent et à ses connaissances, mais je le prie de ne pas trouver mauvais que des hommes minimes comme moi ne connaissent pas une loi qui n'a jamais été mise à exécution.

Je demande donc, messieurs, qu'on nous cite les pays constitutionnels où il existe une loi créant une juridiction exceptionnelle pour les ministres qui se sont rendus coupables d'un délit privé.

M. Orts. - Elle existe dans les Pays-Bas aujourd'hui.

M. Dumortier. - C'est possible, mais je voudrais bien qu'on me fît connaître la disposition.

On m'a cité tout à l'heure les Pays-Bas d'autrefois et j'ai répondu. Je pourrai peut-être répondre aussi pour les Pays-Bas d'aujourd'hui.

En Suisse et en France, comme l'a fait remarquer l'honorable M. Jacobs, cela n'existe pas.

On prétend donc dans, le pays le plus constitutionnel et le plus libre du continent, faire une loi qui serait un bill d'indemnité pour tous les délits commis par les ministres en dehors de l'exercice de leurs fonctions. Je ne saurais donner mon assentiment à une pareille loi.

Je ne veux pas rendre la position des ministres impossible. Loin de la, vous avez pu l'entendre par tout ce que j'ai dit, mais je ne veux pas non plus l'irresponsabilité ministérielle.

(page 968) Ce n'est pas parce qu'on est ministre que l'on doit être irresponsable de ses actes.

Il n'est pas admissible que l'on doive venir demander à une Chambre l'autorisation de poursuivre un ministre par tous les actes qui se rapportent à la vie privée. Ce serait jeter la perturbation dans le parlement.

Ce n'est pas tout. Dans certains cas, la Chambre qui seule aura le droit de mettre les ministres en accusation, soumettra sa décision à l'approbation du Sénat.

Voilà donc l'abrogation de votre prérogative.

Je voudrais bien savoir comment on entend marcher avec la Constitution qui ne donne au Sénat aucun droit sur le fait de mise en accusation du ministre lorsque le ministre est sénateur.

D'après le projet de loi c'est le contraire, C'est le Sénat qui doit décider dans ce cas.

Je veux bien admettre que ce sont des garanties que l'on donne au ministre qui est membre du Sénat, mais on n'a pas le droit de procéder ainsi d'après la Constitution.

Et bien, messieurs, vous ne pouvez ainsi abandonner votre prérogative. C'est tout ce qu'il y a de plus sacré pour un parlement, car le jour où un parlement laisse absorber sa prérogative par un autre pouvoir, ce jour-là le parlement se joue de lui-même et il est ensuite le joue de tous les pouvoirs possibles. Je prie donc mes collègues qui soutiennent le projet et surtout les membres de la commission, de résoudre les questions qui restent encore aujourd'hui à examiner.

Qu'on nous dise les psys où les ministres sont traduits devant une juridiction exceptionnelle. Si on ne nous la dit pas, je répéterai ce que j'ai dit tout à l'heure que votre projet de loi crée, en faveur des ministres, un tribunal extraordinaire, une juridiction exceptionnelle, ce que l'article 94 de la Constitution vous interdit le droit de faire.

M. de Brouckere. - Je demande pardon à la Chambre si je réclame encore une fois la parole, mais elle comprendra que je ne puis laisser la commission qui a formulé le projet de loi dont elle s'occupe sous le reproche articulé par M. Dumortier d'avoir dépassé les bornes de son mandat.

Je suis un de ceux qui ont formulé la proposition à la suite de laquelle la Chambre a décidé que son bureau composerait une commission, qui aurait à s'occuper de toutes les questions se rattachant à l'incident du 8 avril ; ce sont les termes de la proposition. Quelle est la première question que 1a commission avait à examiner ? Celle de savoir si elle ferait une loi s'appliquant seulement à l'incident ou une loi générale.

M. Dumortier. - C'était sortir de l'incident du 8 avril.

M. de Brouckere. - Je vous demande pardon ; je crois avoir le droit d'interpréter une proposition que j'ai faite.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. de Brouckere. - Alors je vous demanderai de quel droit vous l'interprétez vous-même.

Je répète que la commission a été instituée par la Chambre pour examiner toutes les questions soulevées par l'incident du 8 avril et je maintiens que la première question à examiner était celle de savoir si la commission vous proposerait une loi spéciale ou une loi générale.

Elle s'est prononcée pour une loi générale, parce qu'une loi spéciale eût présenté des inconvénients tellement graves, que le choix ne pouvait être douteux pour elle. La commission est donc restée dans son mandat. Il se peut que la solution qu'elle a donnée à la première question ne plaise pas à un membre de la Chambre, mais il n'en résulte pas que la commission n'ait pas rempli exactement son mandat, il n'en résulte pas, surtout, que la commission soit le moins du monde sortie des bornes de son mandat.

M. Dumortier est revenu sur le sens de la Constitution ; d'après lui la Constitution interdit toute juridiction exceptionnelle.

M. Dumortier. - Excepté pour les cas de délits politiques.

M. de Brouckere. - D'accord ; M, Dumortier nous reproche donc de créer une juridiction exceptionnelle ; mais bien loin de créer une juridiction exceptionnelle, nous conservons la juridiction établie par le Congrès.

M. Dumortier. - Pas du tout.

M. de Brouckere. - Nous conservées la juridiction établie par le Congrès et dans cette occasion nous sommes les véritables conservateurs. Le Congrès a décidé qne pour les délits ou les crimes commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions la cour de cassation serait seule compétente, mais elle nous a dit : Vous choisirez, si vous le voulez, une autre juridiction pour les délits ordinaires. Eh bien, nous répondons au Congrès : Nous acceptons, pour les crimes et délits commis par les ministres hors de l'exercice de leurs fonctions, la même juridiction que vous avez établie pour les crimes et délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions.

Voilà la vérité ; nous ne créons rien, nous conservons au contraire et nous nous conformons à la lettre et à l'esprit de la Constitution, Maintenant M. Dumortier nous dit : Où avez-vous vu renvoyer devant une juridiction exceptionnelle les ministres pour faits posés en dehors de leurs fonctions ? On lui a répondu de tous côtés et il n'a pas accepté les réponses ; on lui a répondu : Dans la législation des Pays-Bas, antérieure à 1830. En effet, d'après la législation qui existait avant 1830, les ministres étaient justiciables de la haute cour de même que les gouverneurs et les membres des Chambres.

M. Dumortier. - Il ne s'agît pas de responsabilité.

M. de Brouckere. - M. Dumortier nous dit : Il ne s'agit pas de responsabilité ! Mais dans les cas dont nous nous occupons il ne s'agit pas non plus de responsabilité.

Le cas de responsabilité est réglé par la Constitution, mais c'est pour des cas en dehors de la responsabilité que la législation des Pays-Bis désignait la haute cour comme compétente.

Cela n'existe pas, dit-on, en France. Mais on ne peut pas poursuivre un ministre en France, sans une autorisation spéciale du gouvernement. (Interruption.)

Pour poursuivre un fonctionnaire en France, il faut l'autorisation du conseil d’Etat.

C'est là pour eux, je pense, une garantie suffisante. Il n'y a point de similitude entre la législation française et la nôtre pour ce qui regarde les délits commis par les ministres. Nous ne voulons pas une juridiction politique, une juridiction véritablement exceptionnelle ; nous ne voulons pas d'autre juridiction que celle établie en vertu de la Constitution.

Mais, dit encore M. Dumortier, savez-vous ce que vous faites : au lieu de faire une loi de responsabilité ministérielle, vous faites une loi d'irresponsabilité ministérielle. Et pourquoi ? Pour une raison fort simple. Après votre loi, nous dit-il, on ne pourra poursuivre un ministre qu'avec l'autorisation de la Chambre, ce qui signifie avec l'autorisation de la majorité. Or, comment voulez-vous que la majorité appuyant un ministère aille mettre ce ministère en accusation ? La majorité ne le fera pas. Mais, messieurs, remarquez bien que la majorité de la Chambre ne peut avoir d'intérêt à empêcher les poursuites contre un ministre qu'elle appuie, qu'en cas de délit ou de crime politique ; dans ce cas-là je reconnais que la majorité est bien jusqu'à un certain point liée à l'intérêt ministériel ; eh bien, c'est pour ce cas que la Constitution exige l'autorisation par la Chambre.

Si ce n'était que l'honorable M. Dumortier professe un respect absolu pour la Constitution, il pourrait appeler ce système un système d'irresponsabilité. Car, je le répète, en cas de délit ou de crime politique commis par les ministres, ce sera toujours avec un sentiment bien pénible que la majorité les renverra devant la justice. Eh bien, la Constitution, que l'honorable M. Dumortier respecte tant, veut cepeudant que le ministre qui a commis un crime ou un délit politique ne puisse pas être poursuivi sans l'autorisation de la majorité politique qui l'appuie,

Quant aux délits ordinaires, mais la majorité n'a aucun intérêt à faire cause commune avec les ministres ; et si vous voulez attendre quelques jours, vous pourrez juger si cette loi est une loi d'irresponsabilité. Attendez qu'on vienne vous demander l'autorisation de poursuivre un ministre qui aura commis un délit en dehors de ses fonctions, et vous verrez quelle sera l'altitude de la majorité qui appuie le gouvernement.

Attendez quelques jours encore et vous verrez si la majorité qui appuie le ministère est une majorité vraiment consciencieuse, agissant d'après les règles de la justice, obéissant à ses convictions ; ou bien, si c'est une majorité aveuglément dévouée aux intérêts des ministres et ne faisant jamais que ce qu'il leur plaît.

Je m'arrêterais ici, messieurs, si l'honorable M. Dumortier n'avait répété l'inconséquence dans laquelle ses devanciers sont tombé ?. Remarquez bien, je vous prie, l’expression dont s'est servi l'honorable M. Dumortier, je l'ai annotée et tous mes voisins l'ont entendue comme moi.

Il nous a reproché qu'en vertu de notre projet le ministre jouira (remarquez bien le mot) d'une juridiction exceptionnelle. C’est donc encore une fois une juridiction avantageuse et privilégiée.

Et quelques minutes après il reprend tous les reproches formulés contre le projet de loi parce qu'il traduit les complices des ministres devant cette juridiction si avantageuse, si privilégiée.

M. Dumortier. - Je n'ai pas dit que ce fût une juridiction avantageuse.

(page 969) M. de Brouckere. - Je vous demande pardon ; j'en appelle à tous mes voisins. (Interruption.) Cela est tellement vrai qu'au moment même où vous parliez, j'ai dit autour de moi : « Voilà encore une fois qu'on veut présenter comme une grande jouissance le renvoi devant la cour de cassation. »

M. Jacobsµ. - Comme on jouit d'une mauvaise santé.

M. de Brouckere. - Il n'y a que les gens qui ne savent pas le français qui disent « jouir d'une mauvaise santé ; » comme il n'y a que les gens qui ne savent pas le français qui disent qu'ils ont gagné la fièvre !

M. Bouvierµ. - C'est une jouissance négative.

M. de Brouckere. - Il est possible que, dans certaines villes du royaume on se serve de cette expression, mais en français on ne dit pas « jouir d'une mauvaise santé » ou « gagner une maladie. »

Par conséquent, je le répète, l'honorable M. Dumortier a représenté la juridiction de la cour de cassation comme un privilège, comme un avantage.

M. Dumortier. - Pas du tout, je n'ai pas dit que c'était un privilège, un avantage ou un désavantage, j'ai dit que c'était un tribunal d'exception.

M. de Brouckere. - Voici un aveu vraiment précieux : la juridiction de la cour de cassation n'est ni un avantage ni un désavantage ; mais, s'il en est ainsi, que nous reprochez-vous ? Vous voulez que les ministres soient traduits devant les tribunaux ordinaires parce que la cour de cassation constitue un avantage, un privilège et vous ne voulez pas que leurs complices soient traduits devant cette même cour parce que ce serait pour eux un désavantage, un préjudice. (Interruption.)

Comment donc se fait-il que, selon qu'il s'agit des ministres ou de leurs complices, la juridiction de la cour de cassation change ainsi de caractère ?

L'inconséquence est palpable ; je n'y insisterai pas. Je ne veux pas prolonger davantage cette discussion ; je crois avoir suffisamment répondu aux griefs qu'on a opposés au projet de loi.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis laisser sans réponse le discours que vous venez d'entendre. Je ne me suis nullement inquiété de la question de savoir si la juridiction de la cour de cassation est avantageuse ou désavantageuse ; tout ce que vient de dire l'honorable préopinant pour prouver ce qu'il a appelé mon inconséquence, n'est véritablement que du verbiage de sa part. Voilà comme je réponds à son reproche d'inconséquence.

Je me suis borné à dire qu'en constituant la cour de cassation juge des délits communs d'un ministre, vous attentez à la Constitution et que vous arrivez à créer par là précisément ce que la Constitution interdit, c'est-à-dire un tribunal d'exception, une juridiction exceptionnelle. Voilà ce que j'ai dit, sans rechercher en aucune façon si c'était là pour les ministres un avantage ou un désavantage. Je suis resté dans la question de droit constitutionnel, et il plaît à l'honorable M. de Brouckere d'en sortir pour discuter fort agréablement des lieux communs qu'il m'impute pour n'avoir pas à répondre à mes arguments.

Maintenant, messieurs, j'ai prié les membres de la commission de nous faire connaître les pays où il existe une législation qui rend les ministres justiciables de tribunaux d'exception pour les délits communs. Que me répond-on à cela ? On me répond par une loi nouvelle du royaume des Pays-Bas. Je ne connais pas cette loi, mais ce que nous connaissons tous, c'est que l'année dernière lord Palmerston, chef du cabinet anglais, a été traduit devant un simple tribunal du chef d'adultère.

M. Crombez. - Pas du tout ; cette affaire a été traitée comme affaire civile. (Interruption.)

M. Dumortier. - Soit ; la question de l'action civile est également mise en cause dans votre projet. Ne me répondez donc pas que c'est une affaire civile, puisque le projet la met également en cause.

Eh bien, je suppose que vous ayez en Belgique un lord Palmerston quelconque, qui aurait commis le délit vrai, ou non, qu'on lui a imputé. Il faudra donc venir devant cette Chambre pour demander la mise en accusation du ministre en pareil cas. Je le demande, est-ce sérieux ? Certainement non, et cependant voilà tout votre projet de loi.

Il me semble, messieurs, que le mieux serait de faire comme en Angleterre, de conserver l'action de la Chambre, l'action de la cour de cassation pour les actes politiques des ministres. Quant aux autres, comme celui que je viens de rappeler, il me semble qu'il n'y a aucune raison pour ne pas les déférer aux tribunaux ordinaires, et je crois que, sous ce rapport, les ministres sont entourés de garanties suffisantes pour n'être pas exposés aux caprices de la multitude.

M. Guillery (pour une motion d’ordre). - Je ne demande la parole aujourd'hui, messieurs, que pour soumettre à la Chambre une proposition dont elle reconnaîtra sans doute l'opportunité.

La Chambre a déjà décidé que les documents relatifs aux différentes lois sur la responsabilité ministérielle serai nt imprimés et distribués. Je ne sais pas si la décision est aussi générale que je le désirerais.

C'est pour cela que d'un commun accord avec deux honorables collègues, M. Le Hardy de Beaulieu et Dumortier, je fais la proposition suivante :

« Les soussignés ont l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner l'impression, dans le plus bref délai possible, des lois étrangères sur la responsabilité ministérielle et sur le jugement des ministres en matière de délits communs et de surseoir à toute discussion jusqu'à ce que ces documents aient été distribués aux membres de la Chambre. »

Messieurs, je ne dirai que deux mots pour justifier la proposition.

La question qui nous est soumise est de la plus hauts importance. Je rends parfaitement hommage au travail très consciencieux et très remarquable, ainsi qu'au discours de l'honorable rapporteur.

Certainement, vu le peu de temps dont lui et la commission ont pu disposer, il était impossible de faire un travail plus complet ; il a fallu l'honorable rapporteur tout son talent et toute son expérience pour s'acquitter de sa mission comme il l'a fait.

Mais, messieurs, ce travail est incomplet, car faute de temps il n'a pu renfermer les documents qui pouvaient nous éclairer. Nous avons à résoudre les plus graves questions de droit public et de droit criminel. Allons-nous à la légère, sans examen préalable, sans avoir étudié à fond les législations des pays étrangers, dans une matière qu'on a déclaré plus d'une fois, dans cette enceinte, devoir nécessiter les plus longues études ; allons-nous trancher toutes les questions que soulève le projet de loi qui est soumis à nos délibérations ?

Nous avons à décider quelle est la juridiction à laquelle seront soumis les ministres, en matière de délits communs ; nous avons à décider s'il faudra une autorisation préalable de la Chambre : question immense. Nous avons à décider quelles seront les formes de l'action civile ; s'il faudra une autorisation préalable ; si l'action civile pourra être poursuivie devant les tribunaux ordinaires, ou si elle ne pourra l'être que devant la cour de cassation, en même temps que l'action publique.

Ces questions sont de la plus haute importance.

Je ne dis pas que je rejetterai le projet de loi ; j'incline plutôt en sa faveur ; mais je ne suis pas préparé, je demande à m'éclairer sur la question que je viens d'indiquer.

Il est encore une autre question qui mérite toute l'attention de la Chambre et celle de la commission : c'est la question de savoir si les simples citoyens, complices d'un ministre, peuvent être renvoyés devant la cour de cassation, et soustraits, le cas échéant, à la juridiction du jury. Je n'examine pas le point de savoir si la cour de cassation est une juridiction qui offre plus ou moins de garanties que les tribunaux inférieurs : personne plus que moi ne rend hommage aux lumières des membres de cette cour que j'ai eu de nombreuses occasions d'apprécier. Maïs la Constitution nous permet-elle de priver un simple citoyen de la juridiction du jury en matière criminelle ? Le jury ne constitue-t-il pas une garantie ? N'est il pas une juridiction d'équité substituée, par la Constitution, à la juridiction de strict droit qui existait sous le gouvernement hollandais ?

Pour que toutes ces questions puissent être convenablement étudiées, il nous faut voir d'abord ce que d'autres pays ont fait en cette matière. Il me semble qu'ici l'expérience des autres est de nature à nous éclairer. Je ne dis pas que parce que dans d'autres pays constitutionnels on aurait adopté la juridiction des tribunaux ordinaires pour les crimes et les délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions, je ne dis pas que pour cela je veuille adopter le même système en Belgique ; peut-être existe-t-il des motifs spéciaux pour agir autrement dans notre pays. Mais je voudrais pouvoir peser mûrement tous les arguments qu'on peut présenter en faveur de l'un et de l'autre système.

Si la discussion générale devait encore durer huit jours, je me garderais bien de faire ma proposition ; les discours de mes honorables collègues m'éclaireraient suffisamment ; mais je vois qu'à chaque instant la discussion est sur le point d'être close. Il est clair cependant que la Chambre n'est pas plus éclairée que mii, et que nous ne sommes pas à même de nous prononcer sur une foule de questions dans l'état actuel de l'instruction de cette affaire ; c'est pourquoi je demande qu'il soit sursis à la discussion.

Dans un pays voisin, un semblable projet de loi serait renvoyé au conseil d'Etat et il exigerait un mois d'études au moins ; c'est alors seulement qu'il serait soumis à l'assemblée législative. Et nous, en Belgique, nous irions nous prononcer sur une matière aussi grave, pour ainsi dire sans discussion, à la suite d'un rapport improvisé, après deux ou trois séances de la commission qui n'a pu faire qu'un travail improvisé. Je crois qu'il serait peu prudent d'agir ainsi.

Je désire qu'on ne voie dans ma motion aucune intention d'opposition au projet de loi. Je déclare que je réserve mon opinion sur tous les points ; je me borne, quant à présent, à signaler au parlement la gravité des questions qui nous sont soumises.

(page 970) M. Bara. - Messieurs, l'honorable M. Guillery demande qu'il soit sursis à la discussion. Je ne puis me rallier à cette motion. Je suis le seul membre de la commission qui n'ait pas donné son adhésion au projet de loi, précisément pour la plupart des motifs qua vient de développer l'honorable M. Guillery. Mais si la commission avait dû approfondir toutes les questions auxquelles on a fait allusion, elle se serait trouvée en présence de difficultés extrêmement nombreuses, et elle aurait été dans l'impossibilité de présenter promptement des conclusions à la Chambre, comme celle-ci en avait témoigné le désir ; aussi la commission a-t-elle déclaré hautement qu'elle n'avait pas eu assez de temps pour mûrir son travail, qu'elle l'a formulé sous l'impression du désir manifesté par la Chambre, quand elle a renvoyé l'examen de la question à une commission.

On savait parfaitement bien qu'on avait à traiter une matière excessivement délicate ; mais d'un autre côté, on disait avec beaucoup de raison qu'il y avait un délit notoire, connu dans le pays : que l'opinion publique pouvait croire qu'il y avait impunité pour les ministres et pour les membres de la Chambre ; l'on disait que dans un pays comme le nôtre, il était de l'honneur de nos institutions que l'impunité ne fût pas de longue durée.

C'est sous l'impression de ce sentiment public que la commission vous a présentéuon travail dont elle a elle-même reconnu l'imperfection.

Mais précisément parce qu'elle prévoyait toutes les objections qui sont faites aujourd'hui, elle a inséré dans son projet un dernier article portant que la loi sera révisée dans trois ans.

Pour ma part, quelque imparfaite que soit cette œuvre, mais pas aussi imparfaite qu'on veut bien le dire, je prétends que l'opinion publique saura gré à la Chambre d'avoir paré aux difficultés du moment.

Et avec le système de l'honorable préopinant, on n'arriverait pas à faire une loi d'ici longtemps ; on suspendrait le cours de la justice presque indéfiniment. Quand l'honorable membre aura-t-il fini ses études sur la responsabilité ministérielle ? Pour moi, je ne m'engagerais pas, pour mon compte, à terminer en six mois l'examen de toutes ces questions excessivement difficiles. Quand vous en aurez fini de la loi sur la procédure, vous ne vous arrêterez pas là ; vous demanderez une loi sur la responsabilité ministérielle civile, sur les actes que les ministres auraient posés dans l'exercice de leurs fonctions. Vous vous trouveriez dans un dédale inextricable ; et vous n'arriveriez pas à la répression du fait dont se préoccupe l'opinion.

Donc quelle que soit la répugnance qu'on éprouve à voter cette loi, il faut bien se résoudre à la voter, alors surtout qu'on n'a rien à proposer de mieux. Cette loi est une loi d'expédient, je le reconnais ; la commission n'a pas eu le temps de faire autrement ; il fallait faire incontinent une loi qui rendît possible le cours de la justice.

Du reste, nous ne trouverions que fort peu de chose dans la législation étrangère, cela se comprend : il n'y a pas beaucoup de ministres qui commettent des délits ; c'est un fait heureusement exceptionnel.

M. Guillery. - Messieurs, je vois que l'honorable M. Bara est du même avis que moi, et je suis étonné qu'il arrive à une autre conclusion ; l'honorable membre a été tout à fait de mon opinion sur l'impossibilité d'improviser un pareil travail ; il dit qu'il aurait besoin de 6 mois pour s'éclairer sur toutes les questions qui se rattachent à cette affaire ; et il ne veut pas me donner huit jours pour m'éclairer. Il ajoute ; « Si vous n'approuvez pas le projet de loi, proposez-en un autre. »

Mais c'est tout simplement dire une chose impossible.

Si je présentais un projet de loi semblable, l'honorable membre se lèverait immédiatement pour dire que ce projet n'a pas été étudié, comme on l'a dit de MM. de Gottal et Goblet. On a dit : Ce projet n'est pas étudié, il faut très longtemps pour faire une loi de cette importance ; le gouvernement seul peut la présenter.

Aujourd'hui il s'agit de bien moins. Il ne s'agit pas, comme le suppose l'honorable M. Bara, je ne sais pourquoi, de faire un projet de loi complet sur la responsabilité ministérielle ; telle n'est pas mon opinion, parce que ce serait entraver le projet de loi actuel et que je désire qu'il puisse aboutir le plus tôt possible. Je ne veux donc étendre en rien le cercle que s'est tracé la commission. Mais je désire que, dans ce cercle qui renferme les questions constitutionnelles les plus importantes., nous n'agissions qu'en connaissance de cause, et s'il faut six mois à l'honorable membre pour étudier la question, il nous permettra bien de demander huit jours.

MpVµ. - Je mets aux voix la proposition d'ajournement.

Elle est ainsi conçue :

« Les soussignés ont l'honneur de proposer à la Chambre d'ordonner l'impression, dans le plus bref délai possible, des lois étrangères sur la responsabilité ministérielle et sur le jugement des ministres en matière de délits communs et de surseoir à toute discussion jusqu'à ce que ces documents aient été distribués aux membres de la Chambre.

« (Signé) Guillery, Le Hardy de Beaulieu, Dumortier. »

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- La proposition est mise aux voix par appel nominal.

61 membres prennent part au vote.

12 votent pour la proposition.

49 votent contre.

En conséquence, la proposition n'est pas adoptés.

Ont voté l'adoption :

MM. Guillery, Hayez, Janssens, Moncheur, Rodenbach, Tack, Vander Donckt, de Conninck, de Naeyer, de Woelmont, Dumortier et d'Ursel.

Ont voté le rejet :

MM. Grosfils, Hymans, Jacobs, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Kervyn de Lettenhove, Lange, Laubry, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Orts, Pirmez, Rogier, Tesch, T'Serstevens, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Renynghe, Van Wambeke, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, Delcour, de Moor, de Terbecq, Devroede, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban et E. Vandenpeereboom.

- La séance est levée à cinq heures.