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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 16 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 938) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Van Humbeeck présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Verheggen demande qu'il soit pris des mesures pour que les auteurs de calomnies confidentielles puissent être poursuivis en justice. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Cieters, secrétaire communal à Wichelen, demande que le prochain recensement décennal soit fixé au 30 juin 1866 au lieu du 31 décembre même année. »

- Même renvoi.


« Le sieur Liévin-Jean-Marie-Joseph-Alexis Moguez, maître d'études au pensionnat de l'athénée royal de Liège, né à Douai (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des habitants d'Everberg demandent le prompt achèvement du chemin de fer direct de Bruxelles à Louvain. »

« Même demande d'habitants de Cortenbergh. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« Des habitants de Molenbeek Saint-Jean et de Koekelberg demandent que la voie de raccordement de la station du Midi à celle du Nord, soit établie au-delà de Koekelberg ou du moins par des passages en dessous des voies de communication de ce faubourg et notamment du boulevard d'Anvers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« Les membres du conseil communal de Bertogne demandent que le projet de loi de travaux publies comprenne le prolongement de la route de Libramont à Herbeumont vers Houffalize et Gonoy. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants d'Attenrode-Wever protestent contre le règlement sur les inhumations qui a été arrêté par le conseil communal, et prient la Chambre de prendre des mesures pour garantir les droits et assurer la liberté du culte. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Froidmont et de la commission des hospices de cette commune prient la Chambre de fixer un délai pendant lequel l'autorité supérieure doit statuer sur les demandes en autorisation d'ester en justice, et de décider que cette autorisation sera demandée à une autorité judiciaire si l'action doit être dirigée contre les provinces, l'Etat ou des administrations nommées par eux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lambot demande l'annulation de la décision du conseil de milice du Hainaut, oui désigne son fils Dieudonné pour le service. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Meix-le-Tige déclare adhérer à la pétition du conseil communal de Virton ayant pour objet la création d'un chemin de fer d'Arlon à Montmedy par Virton. »

« Même adhésion des conseils communaux de Musson, Ethe. »

M. Bouvierµ. - Ce sont trois pétitions qui viennent de l'arrondissement de Virton et qui réclament la construction d'un chemin de fer dans cet arrondissement ; j'en demande le dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.

- Ce dépôt est ordonné.


« Des habitants de Wauthier-Braine prient la Chambre d'accorder aux sieurs Lemmens et Moucheron la concession d'un chemin de fer de Beaume-Mariemont à Bruxelles. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi de travaux publics.


« MM. L. Orban et Verwilghen, empêchés d'assister à la séance, demandent un congé. »

- Accordé.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Brouckere (pour une motion d’ordre). - Dans une des séances de la semaine dernière, M. le ministre des travaux publics nous a présenté un projet de loi par lequel le gouvernement demande l'autorisation de concéder deux chemins de fer qui intéressent principalement la province de Hainaut. Le projet de loi a été imprimé et il a été distribué hier : je crois qu'il serait convenable que le Chambre fût mise à même de s'occuper de ce projet en même temps que du projet de loi général de travaux publics et que le projet pût être voté immédiatement après la loi des travaux publics.

Je demande donc que les présidents de sections veuillent bien, dans un bref délai, saisir les sections du projet que je viens de rappeler.

MpVµ. - Les présidents de sections seront invités à saisir les sections de ce projet de loi.

Projet de loi relatif au payement effectif du cens électoral

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné l'amendement de l'honorable M. Muller au projet de loi sur le payement effectif du cens électoral.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi autorisant le gouvernement à concéder un chemin de fer de Jemeppe à la Meuse par Fooz

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi portant concession d'un chemin de fer de Jemeppe à la Meuse par Fooz.

- Ce projet de loi sera imprimé et distribué et renvoyé à l'examen des sections.

M. Moncheur. - Je demanderai à M. le ministre des travaux publics et à la Chambre s'il ne conviendrait pas de renvoyer ce projet de loi à l'examen de la section centrale qui a été chargée de l'examen du projet général de travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - J'ai présenté divers projets, il convient de les examiner les uns après les autres.

M. Moncheur. - Alors je demanderai que les sections soient également invitées à s'occuper de ce projet de loi afin que la discussion puisse en avoir lieu, en même temps ou du moins immédiatement après le vote du projet général de travaux publics.

MpVµ. - Les présidents de sections seront également invités à saisir le plus promptement possible les sections de ce projet de loi.

Motion d’ordre

M. Coomans. - Divers journaux nous ont appris l'autre semaine qu'un mauvais usage, que je croyais aboli depuis quelque temps, existe encore dans plusieurs localités du royaume et notamment dans les Flandres.

Je veux parler de la mise en adjudication publique des pauvres, pour être logés, nourris, entretenus par les moins offrants ou au rabais.

Je le répète, je croyais que cet usage était tombé en désuétude ; mais il paraît que j'étais dans l'erreur. Des journaux appartenant à différentes opinions ont affirmé que, dans un assez grand nombre de communes des Flandres, on adjuge encore périodiquement et publiquement les pauvres au moins offrant.

C'est là un fait dont je n'ai pas besoin de faire ressortir l'inconvenance je dirai même le scandale.

Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il croit que le gouvernement a le moyen d'empêcher la continuation de cette odieuse habitude (page 939) et, en cas de négative, s'il ne jugerait pas convenable de se joindre à moi, et, je n'en doute pas, à l'unanimité de la Chambre, pour rechercher les moyens d'y mettre un terme.

MjTµ. - Je dois avouer ma complète ignorance de l'usage dont vient de parler l'honorable M. Coomans et je dois dire que je ne sais pas même en quoi il consiste.

Il est possible qu'il existe duis certaines provinces ; mais ce n'est pas dans la province que j'ai habitée. Je ne puis par conséquent pas dire si j'ai ou non les moyens de le réprimer.

M. Vilain XIIII. - C'est le bureau de bienfaisance qui met l'entretien des pauvres en adjudication au moins offrant.

MjTµ. - Tout ce que je puis promettre, c'est de me faire rendre un compte exact des faits, de rechercher eu quoi consiste cette adjudication, quelle est l'autorité qui, le cas échéant, pourrait et devrait l'empêcher. S'il y a le moindre abus et qu'il soit en mon pouvoir de le faire cesser, je prendrai certainement toutes les mesures nécessaires pour arriver à ce résultat.

M. Rodenbach. - Effectivement, messieurs, l'usage dont vient de parler l'honorable M. Coomans a existé il y a un grand nombre d'années. Il consistait à demander à quel prix on voulait nourrir et entretenir les pauvres ; ceux-ci étaient ainsi admis dans quelques petites fermes appelées kortewoonste. Depuis très longtemps cet usage a été aboli dans la Flandre occidentale (interruption). Je ne sais ce qoi se passe dans d'autres provinces, mais j'affirme que dans la Flandre occidentale et particulièrement dans mon arrondissement, cet usage est totalement inconnu.

On s'enquiert encore des maisons dans lesquelles les enfants pauvres sont reçus au plus bas prix possible et dans des conditions déterminées très bonnes ; mais cette manière de procéder ne ressemble en rien à une adjudication publique ou à une traite de blancs.

Dans la Flandre occidentale il existe un grand nombre d'hospices de vieillards et d'orphelins dirigés par des sœurs de charité qui rendent d'immenses services à l'humanité souffrante. Ces institutions rurales peuvent servir de modèle, c'est la bienfaisance à bon marché que ces dignes sœurs de Saint-Vincent de Paul pratiquent.

M. Coomans. - Je remercie d'abord M. le ministre de la justice de la réponse qu'il m'a donnée et à laquelle je m'attendais, du reste. Beaucoup de membres de cette Chambre sont mieux instruits sous ce rapport que l'honorable M. Rodenbach. Je ne dis pas dans toutes les communes, mais dans beaucoup de communes qui n'ont pas les moyens d'entretenir directement leurs pauvres, on les a adjugés.

- Un membre. - L'entretien des pauvres.

M. Coomans. - Eh ! sans doute, je parle de l'entretien ; je n'ai pas voulu dire qu'on les vendait comme des nègres.

On exhibait publiquement les pauvres, parfois même on les faisait monter sur des tables, sur des tréteaux... (interruption), oui, comme des nègres pour les faire mieux voir aux amateurs... (Interruption.) Les valides pouvant travailler encore au profit des nourriciers, coûtaient naturellement moins au bureau ou à la commune. Il fallait donc constater leur état physique, de là la triste exhibition publique dont je me plains.

Je l'affirme ; beaucoup d'honorables collègues le savent ; on a séparé les membres des familles, car il y avait des nourriciers qui voulaient bien se charger, qui d'un enfant, qui d'une femme, qui d'un vieillard, et qui ne pouvaient pas prendre le père, la mère et l'enfant à la fois ; on séparait donc les malheureux, et on les adjugeait au plus offrant.

Il me peine d'insister là-dessus, c'est pour l'honneur de mon pays, pour l'honneur de la Flandre que j'ai cru devoir entrer dans ces détails.

Il m'aura suffi sans doute de les signaler à la Chambre, avec l'assentiment d'un grand nombre de membres qui peuvent attester la véracité de mes paroles, pour que le gouvernement avise au moyen de mettre un terme à ce grave et indigne abus.

MjTµ. - Messieurs, il est évident que si l'adjudication se fait dans les conditions dont parle l'honorable M. Coomans cela n'est pas tolérable. Je déclare, en outre, que le gouvernement, les députations permanentes et les communes sont suffisamment armés pour empêcher l'abus qu'on signale ; car il ne s'agirait plus de l'adjudication de l'entretien des pauvres ; mais il s'agirait d'engager la liberté de leur travail. Ce serait une autre espèce de traite.

J'avais d'abord compris qu'il ne s'agissait que de la mise en adjudication de l'entretien des pauvres. Je devais me demander si j'avais le droit de l'empêcher. Mais maintenant qu'il s'agit d'un abus qui ne tendrait à rien moins qu'à aliéner la liberté du travail des pauvres, cela blesse tous les principes qui assurent la liberté individuelle ; je déclare que cet abus peut être réprimé, et il suffit qu’il m'ait été signalé, pour que je m'empresse d'y chercher un remède efficace.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, d'après les paroles que l'honorable M. Coomans vient de prononcer, on pourrait croire que l'abus qu'il a à si juste titre flétri, est général dans les Flandres.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je tiens à faire remarquer que la plupart des représentants des Flandres envoyés dans cette enceinte ne connaissent ces faits que par les relations qui les leur retracent comme ayant existé autrefois dans des périodes exceptionnelles.

Toutes les fois qu'on a signalé un pareil abus, le blâme qu'on lui a infligé au plus juste titre, était tellement vif, tellement général qu'on s'explique parfaitement pourquoi il n'a pas tardé à disparaître, aussitôt qu'il a été connu.

MjTµ. - Messieurs, depuis que je suis aux affaires, je n'ai jamais vu qu'il ait été question d'un pareil abus ; cela explique pourquoi je n'ai pas connaissance des faits ; jamais une réclamation n'a été adressée au département de la justice.

M. Bouvierµ. - Messieurs, c'est pour la première fois que les faits que l’honorable M. Coomans vient de révéler, arrivent à la Chambre. Quant à moi, je déclare que si les faits, tels que l'honorable membre vient de les affirmer, sont exacts, je me rallie à sa protestation, et je pense qu'il suffi a d'avoir montré au gouvernement qu'un tel abus a existé ou peut exister, pour qu'à l'avenir des faits de ce genre ne se représentent pas dans le pays.

M. de Haerne. - Messieurs, il est très vrai, comme l'a dit l'honorable M. Kervyn, que cet abus a été signalé, il y a longtemps, dans les Flandres ; il en a même été question ici, à l'époque de la grande crise des Flandres. C'était là la cause de ces abus ; il était débordé par la misère, et, en pareil cas, on comprend cet abus jusqu'à un certain point.

Mais, comme l'a dit l'honorable membre, chaque fois que le fait a été révélé, soit par la presse, soit dans cette enceinte, soit ailleurs, il y a eu les protestations les plus vives de la part des hommes bienfaisants, de la part des hommes haut placés et en position de pouvoir agir efficacement pour la répression de cet abus.

Je dirai plus : l'on ne s'en est pas tenu au blâme et aux protestations ; mais on a employé tous les moyens possibles pour extirper cette lèpre, car c'en est une, et ces moyens n'ont pis été inefficaces.

Dans beaucoup d'endroits, cet abus a complètement disparu, grâce aux institutions de bienfaisance qui ont été fondées. Car c'est là le véritable remède à ce grand mal. C'est en encourageant ces institutions de toute espèce, les institutions fondées par l'autorité publique aussi bien que les institutions libres, c'est en les propageant, en les soutenant, qu'on peut trouver un moyen efficace de remédier à ce grand mal.

On a dit, messieurs, que c'était aliéner la liberté des pauvres. Il faut s'entendre ; d'une manière directe, non, ce n'est pas aliéner la liberté ; mais d'une manière indirecte, oui, et jusqu'à un certain point. Car voici ce qui s'est passé, et je n'ose pas dire que cela se passe encore. Je n'en ai pas de preuve ; mais il est certain qne cela s'est passé et que le mal a été commun autrefois,

On mettait donc les pauvres en adjudication au moins offrant comme on le dit, les personnes de toutes les conditions, les enfants même. Ils étaient acceptés par les petits fermiers, mais naturellement ceux-ci calculaient les bénéfices qu'ils pouvaient tirer du travail de ces personnes. Ils n'en résultait cependant pas que les pauvres fussent liés de manière à rester constamment attachés à cette espèce de glèbe ; telle n'était pas la condition de ces malheureux ; ils n'étaient pas plus attachés à tes petits fermiers qu'ils ne le sont à l'hospice ou à l'hôpital qui les a reçus.

Il y a ici un grave abus ; il y a une spéculation contre laquelle on ne saurait trop protester, contre laquelle il faut employer tous les moyens pour arriver à son extirpation. Mais de là à l'aliénation de la liberté il y a une grande distance, et je tiens que l'abus n'a jamais été porté à ce point. J'ai la conviction, je le répète, qu'il a considérablement diminué. J'ose même affirmer que déjà depuis plusieurs années, je n'en ai plus entendu parler.

M. Bouvierµ. - Tant mieux !

M. Dumortier. - La manière dont mon honorable ami a exposé le fait qu'il a signalé à cette Chambre, est telle, qu'on pourrait croire que nous vivons dans un pays de barbares, dans lequel on fait la traite des blancs comme on fait, dans d'autres lieux, la traite des noirs.

Or, ennemi de toutes ces mesures, je ne puis pas laisser le pays, je ne puis pas laisser la Flandre sous le coup d'une pareille accusation ; j'exposerai donc simplement à la Chambre comment les choses se sont passées ; et elles ne se sont pas passées ainsi seulement dans les Flandres, mais dans plusieurs autres provinces.

(page 940) Une administration communale, un bureau de bienfaisance communal n’a pas de ressources suffisantes pour soutenir les pauvres de la localité et cependant il lui incombe le devoir de subvenir à leurs besoins. Naturellement cette administration cherche à tirer parti du peu de ressources dont elle dispose pour faire le plus grand bien possible.

Dans les villes cela est bien facile ; vous avez des hôpitaux, des hospices de tout genre, des orphelinats, et il est facile d'y placer les malades, les vieillards, les enfants. Mais dans les villages, dans les petites communes, ce genre d'établissement n’existe pas. Que faut-il faire ? Faut-il abandonner les pauvres à leur misère ou bien leur venir en aide dans la limite des ressources que l’on possède ?

Voilà toute la question.

Eh bien, qu'a-t-on fait ? On a pensé que le moyen le plus économique pour venir en aide à la misère publique était de placer les pauvres chez les petits fermiers afin qu'ils puissent y trouver l'habit et la nourriture.

Mais pour arriver à l'obtenir au meilleur marché possible, on adjugeait non point le pauvre, mais l'entretien du pauvre. Jamais, en Belgique, on n'a fait la traite des pauvres ; dans aucune partie de la Belgique, pas plus dans les Flandres que partout ailleurs, on n'a jamais commis une pareille iniquité. Je le proclame bien haut pour qu'on ne s'imagine pas à l'étranger qu'on fait en Belgique la traite des blancs comme dans certains pays on fait ia traite des noirs. On a mis en adjudication l'entreprise de l'entretien des pauvres ; voilà ce qu'en a fait, et c'est tout différent.

Quand vous n'avez pas d'hospices, quand vous n'avez pas de moyens d'entretenir les pauvres, vaut-il mieux les laisser mourir de faim ? Eh bien, je dis que ce mode n'est pas aussi mauvais qu'on a semblé le croire. Il peut y avoir certains abus dans l'exécution, et ces abus, je les déplore, je les blâme, mais la chose au fond, c'est-à-dire l'adjudication de l'habillement et de la nourriture, je dis que c'est un moyen, dans beaucoup de cas, de ne pas laisser les pauvres mourir de misère. Maintenant il va de soi que si le pauvre a encore quelques moyens de travailler, il doit son travail à celui qui le nourrir, comme l'ouvrier, dans une manufacture, doit son travail à celui qui le paye.

Eh bien, messieurs, je le demande, y a-t-il là quelque chose qui soit de nature à faire dire que la Belgique ne marche pas à la tète de la civilisation ? Il n'y a là rien d'immoral.

Il y a, messieurs, trois choses possibles : laisser mourir les pauvres de faim, ou bien employer les moyens les plus économiques pour l'entretenir, ou bien établir la taxe des pauvres. Or, je ne pense pas que mon honorable ami veuille jamais établir la taxe des pauvres.

Il y a un quatrième moyen, c'est celui, malheureusement, qu'on a combattu ; c'est l'établissement de petites communautés religieuses qui se chargent de l'entretien des pauvres.

Voilà le moyen par lequel on a fait cesser, dans un grand nombre de communes, l'usage dont nous nous occupons. Il y a de ces communautés qui reçoivent les enfants, qui viennent en aide au pauvre adulte et qui, la vieillesse venue, finissent par être un hospice.

Il y a de ces établissements pour toutes les misères. Mais là encore l'ouvrier qui est secouru doit son travail à celui qui le nourrit. Ainsi voilà un vieux cordonnier qui ne sait plus travailler, mais il sait encore raccommoder des souliers ; voilà un ancien tailleur qui sait encore raccommoder des vêtements ; eh bien, ces gens-là, j'aime mieux qu'ils travaillent que de courir les rues et de se livrer à la mendicité.

J'ai fait ces observations, messieurs, parce que je tiens à ne pas laisser croire à l'étranger que nous sommes un pays où l’on fait la traite des blancs lorsque nous flétrissons la traite des nègres.

M. Coomans. - Messieurs, je regrette d'avoir à demander la parole pour une troisième fois, mais j'y suis forcé par la signification très exagérée qu'on donne à mon langage.

Le vrai, le bon patriotisme consiste non pas à masquer les abus, mais à les signaler afin de les supprimer.

J'ai signalé aujourd'hui un abus qui me semble blâmable et j’insiste. Je n'ai point dit qu'on adjugeait les pauvres, en ce sens qu'on les vendait et qu'on les forçait à travailler jusqu'à la mort.

M. Bouvierµ. - Vous avez dit qu’on les faisait monter sur une table.

M. Coomans. - Oui. J'ai dis qu’on adjugeait l'entretien, le logement et la nourriture des pauvres au moins offrant et que cette adjudication se faisait publiquement.

J'aurais pu ajouter qu'elle se renouvelait de temps en temps, ce qui était très fâcheux, car lorsque le pauvre était habitué à une famille il arrivait qu'on venait l'en arracher pour quelques francs de diminution et qu'on le faisait passer dans une autre famille. J’ai dit encore que l'on séparait les membres d'une même famille.

Tout cela est vrai. J'en appelle à mes honorables collègues des deux Flandres, qui peuvent autant et mieux que moi attester la véracité de tout ce que je viens de dire.

M. Bouvierµ. - Ils protestent.

M. Coomans. - Je suis bien sûr que l'honorable M. Dumortier ne proteste pas contre ce que je viens de dire.

M. Dumortier. - Il est possible qu'on se soit trouvé dans la nécessité de séparer l'homme de la femme. C'est un malheur, mais qu'y faire ?

M. Coomans. - Je demande si les faits que j'ai signalés sont exacts ? J'ai plutôt atténué qu'exagéré les faits.

Il est certain que cet abus ne se passe que dans les communes où il n'y a point d'hospice ni d'établissement officiel ou privé de bienfaisance.

Il est certain ainsi, comme l'a fait remarquer l’honorable M.de Haerne, que le vrai remède serait la création d'établissements officiels ou libres.

Il est encore vrai, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, que bien mieux vaut procéder à l'adjudication de l'entretien des pauvres, même par le détestable moyen qui nous occupe que de les abandonner à eux-mêmes ; mais là n'est pas la question. La question est de savoir si l'on ne peut pas maintenir ce mode de placement des pauvres chez les particuliers par des moyens plus honnêtes.

Ainsi je concevrais qu'une administration officielle déclarât que l'entretien à domicile d'un pauvre coûte autant, et qu'elle plaçât directement ce pauvre à prix convenu, à ce prix officiel, chez des personnes honnêtes.

Ce n'est pas contre ce moyen de remédier à la pauvreté que je m'élève, c'est contre la forme indécente, inconvenante, presque inhumaine qu'on y donne.

Ainsi il est bien entendu que là où il n'y a pas d'hospice officiel ou privé, ce qu'il y a de mieux à faire, c'est d'en provoquer la création et en attendant on peut, je le reconnais, placer le pauvre au sein de familles honnêtes ; mais je voudrais que l'on supprimât la mise à l'encan à l'adjudication au moins offrant, car il est arrivé, cela m'est affirmé, que les prix offerts étaient si bas qu'il était impossible que le pauvre fût humainement traité dans la famille où il était adjugé.

J'en ai assez dit, je pense, pour justifier mon assertion, et pour augmenter encore le désir que nous avons tous d'arriver au terme de ces abus.

M. Mullerµ. - Messieurs, j'ai appris avec étonnement des faits qui, s'ils étaient exacts, mériteraient une qualification très sévère, mais je dois faire remarquer cependant, puisqu'on parle de mise en adjudication, qu'une mise en adjudication faite par le bureau de bienfaisance doit être approuvée d'abord par le conseil communal et, lorsqu'il s’agit de communes rurales, par la députation permaueute.

C'est ce qui me ferait révoquer en doute que des faits aussi blâmables puissent se commettre.

Du reste, messieurs, les faits dont on vient de nous entretenir n'existent pas dans les provinces wallonnes ; on n'y a jamais entendu parler de mise en adjudication de l'entretien des pauvres.

M. Thonissenµ. - Dans le Limbourg non plus.

M. Mullerµ. - Il est donc bon qu'on s'explique au sein du Parlement, afin qu’il résulte bien de nos explications que de pareils fait sont violés.

La règle dans toutes les villes et dans la plupart des communes rurales est de mettre en pension chez des cultivateurs, dont on a reconnu l'honorabilité et la moralité, des vieillards et surtout des enfants et des aliénés. Ainsi les enfants avant l’âge de l'écolage, les orphelins abandonnés sont confiés à des familles dans des communes rurales. On ne met pas en adjudication l'entretien de ces enfants ; on traite avec des communes, des inspections sont organisées par le gouvernement, et les inspecteurs sont en général choisis parmi les conseillers provinciaux.

Je n'ai pris la parole que pour donner ces explications afin que l'on ne croie pas qu'en Belgique on fait la traite des pauvres ainsi qu'on s'en hasardé à le dire dans cette assemblée.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je dois insister une fois de plus sur ce que j ai eu l'honneur de dire à la Chambre, à savoir que ti lors delà crise des Flandres, dans des circonstances tout exceptionnelles dont vous vous souvenez, l'abus dont on vient de nous entretenir a pu se produire ; nous affirmons qu'à l'heure qu'il est, il n'existe plus, et qu'en Flandre aussi bien que dans toutes les autres provinces on entoure de respect la vieillesse, la vieillesse pauvre ; car elle représente souvent une carrière honorable et laborieuse. En Flandre comme ailleurs, nous voulons (page 941) qu’à ses derniers jours, le pauvre, épuisé par ses infirmités et ses souffrances, soit l'objet des mêmes soins qui tout autre citoyen du pays.

L'abus a pu exister, mais il a été rare, et nous espérons qu'il ne se reproduira plus ; nous comprenons parfaitement qu'il y ait un contrat entre le bureau da bienfaisance et des fermiers honnêtes qui s'engagent à entretenir convenablement au sein de leur famille ceux qui se trouvent dans une position misérable. Tel est notre désir à tous. Quant à l'abus, le blâme même dont il a été l'objet dans le parlement sera un avertissement pour les bureaux de bienfaisance et les autorités communales qui autrefois peut-être ont pu en avoir la pensée, mais qui certainement ne l'ont plus aujourd'hui.

- L'incident est clos.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Bouvierµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau des rapports sur des demandes de naturalisation.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi relatif à la mendicité, au vagabondage et aux dépôts de mendicité

Second vote des articles

Article premier

« Art. 1er. Tout individu valide âgé de 14 ans accomplis, trouvé en état de vagabondage, sera arrêté et traduit devant le tribunal de police.

« Tout individu valide, âgé de quatorze ans accomplis, trouvé mendiant, pourra également être arrêté et sen traduit devant le même tribunal.

« S'ils sont convaincus du fait, ils seront condamnés à un emprisonnement de un à sept jours, pour la première contravention, et de huit à quinze jours en cas de récidive ; ils seront, en outre, mis à la disposition du gouvernement, pendant le terme que le juge fixera, et qui sera de quinze jours au moins et de trois mois au plus, pour la première contravention, et de trois mois au moins et de six mois au plus, en cas de récidive.

« Les condamnés seront renfermés dans un dépôt de mendicité, dans une école de réforme ou dans une maison pénitentiaire à désigner par le gouvernement ; ils pourront être soumis au régime de la séparation.

« Si les circonstances sont atténuantes, le juge est autorisé à ne prononcer, en cas de première contravention, qu'une peine de police.

« Si le prévenu trouvé mendiant prouve qu'il n'a pas l'habitude de mendier et que, sans qu'il y ait aucune faute à lui imputer, il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité, il pourra, selon les circonstances, être renvoyé de la poursuite. »

M. Dewandre, rapporteurµ. - Avant le premier vote de cet article, M. Jouret a demandé s'il ne pourrait pas y avoir des doutes sur la compétence du juge de paix lorsque, en cas de récidive, la loi applique un emprisonnement de 8 à 15 jours. Je crois qu'il ne peut y avoir de doutes lorsque l'on rapproche les paragraphes 1 et 2 de cet article avec son paragraphe 3 ; il résulte de ce rapprochement que, même en cas de récidive, le juge de paix sera compétent pour appliquer la peine.

Cependant pour lever tout scrupule, je propose d'ajouter au paragraphe 3 après les mots « ils seront condamnés », les mots : « par le tribunal. »

C'est une simple modification de rédaction et qui aura pour effet d'empêcher que la question indiquée par M. Jouret puisse même être soulevée.

MjTµ. - Je ne fais pas d'opposition à la modification proposée par l'honorable rapporteur dt la section centrale. J'en proposerai une au paragraphe5 qui porte : « si les circonstances sont atténuantes, le juge est autorisé à ne prononcer, en cas de première contravention, qu'une peine de police. » Je pense qu'il vaudrait mieux de dire au lieu de « peine de police », « amende de police ». Quant au dernier paragraphe, je l'ai combattu lorsque l'amendement a été proposé par l'honorable M. Schollaert et je persiste à croire qu'il ne doit pas être admis parce qu'il détruirait le principe même de la loi et qu'il aurait pour résultat d'engendrer, sans utilité sérieuse, des procédures très coûteuses et d'imposer des preuves qu'il serait impossible de faire. Dans tous les cas, si cet amendement était maintenu, je proposerais un sous-amendement qui consisterait à dire : « Il pourra, selon les circonstances et en cas de première contravention seulement, être renvoyé de la poursuite. »

Sans cette addition, il résulterait de la disposition que l'individu qu' aurait été acquitté une première fois pourrait continuer à mendier en faisant la même preuve.

L'amendement proposé n'aurait pour résultat que d'énerver la loi ; il vaut mieux la laisser telle qu'elle est : si les circonstances que l'on a indiquées se présentent, le tempérament qui a été introduit dans le paragraphe précédent et qui permet de n'infliger qu'une amende de police, doit donner toute satisfaction aux membres qui ont proposé cette disposition.

M. J. Jouret. - Après les explications que je me félicite d'avoir provoqués de la part de l'honorable rapporteur, je crois qu'il n'y aura plus de doute possil'e sur le sens du paragraphe 2 de l'article premier. Je ne veux donc pas revenir sur les observations que j'ai présentées quant à cette disposition.

Toutefois, messieurs, avant de voter cet article, je désire faire une observation générale sur l'extension de compétence des juges de paix, compétence qui, comme vous l'avez remarqué, est portée au double.

Cette extension de compétence, je n'en suis, en général, pas partisan. Je ne l'ai votée, pour mon compte, que parce qu'il s'agit de punir le délit de mendicité et que je crois qu'il y avait pour ce délit d'excellentes raisons d'étendre la compétence du juge de paix : Le juge de paix, par la nature même de ses fonctions est l'homme le mieux placé pour apprécier ce délit, pour juger des circonstances qui peuvent l'accroître ou atténuer la gravité.

Mais, messieurs, dans peu de temps nous aurons à voter un projet général de compétence et peut-être, à propos de ce projet, s'agira-t-il de donner une nouvelle extension à la compétence criminelle des juges de paix. Avant donc de voter l'article premier du projet de loi qui nous occupe, je tiens à déclarer que ce n'est qu'en vue du délit de vagabondage que j'ai pu me décider à voter cette extension de compétence pour les modestes magistrats de la justice de paix.

Quelle que puisse être l'utilité qu'il peut y avoir, je le reconnais, à diminuer la besogne souvent accablante des tribunaux correctionnels, je crois qu'il est bien plus essentiel de ne pas modifier ; c'est, messieurs, c'est malheureusement ce qui est déjà fait aujourd'hui, et je dois donc dire de ne pas faire disparaître complètement le caractère de simplicité, de paternelle et incessante sollicitude pour les intérêts des justiciables, que l'on avait imprimé à la magistrature de la justice de paix dès les premiers temps de son institution.

Messieurs, dans toutes les lois récentes qui ont modifié la compétence des juges de paix, j'ai constaté avec un profond regret que l'on cherchait toujours à faire du juge de paix un véritable juge, ayant de nombreuses et importantes attributions, plutôt que d'en faire pour ses administrés de toutes les catégories, un conciliateur et un père, un avocat gratuit pour toutes les populations déshéritées qui n'ont pas le moyen de s'en procurer un autre.

C'est là le caractère socialement utile de l'institution, selon moi, et c'est ce qui explique qu'en votant la loi actuelle qui continue à la modifier et à la faire disparaître, j'ai éprouvé le besoin de dire que, dans toute autre circonstance, je m'opposerais à une nouvelle extension des attributions, surtout criminelles, du juge de paix, et m'efforcerais, autant qu'il est possible encore, de conserver à cette institution le caractère de paternelle simplicité que leur avait donné la constituante française et que l'un de ses membres caractérisait en disant : « Il suffira d'être honnête homme pour être juge de paix. » Je désirais faire cette réserve parce que dorénavant s'il s'agissait d'étendre encore la compétence du juge de paix, par les raisons que je viens d'exposer il me serait impossible d'y consentir.

J'ajouterai un mot. J'ai eu l'honneur d'être juge de paix moi-même pendant un grand nombre d'années, et certainement s'il m'a été possible de faire un peu de bien en cette qualité, c'est parce que j'ai toujours envisagé l'institution au point de vue que je viens d'indiquer.

Si le gouvernement et les Chambres ne partagent pas cet avis lorsqu'il sera question de la compétence judiciaire, et si l'on continue à augmenter les attributions des juges de paix, il sera peut-être indispensable de revenir aux idées qu'avait cherché à faire prévaloir l'honorable M. Lebeau dans un projet d'organisation judiciaire présenté en 1834, projet qui consistait à donner aux juges de paix une autre constitution, si je puis ainsi dire, à les entourer d'assesseurs et surtout à attacher aux justices de paix un officier ministériel, une sorte de substitut du procureur du roi et qui soit capable de surveiller ce qui se fait dans ces tribunaux et de leur imprimer une marche régulière.

MjTµ. - J'ai une simple réservation à faire en réponse à ce que vient de dire l'honorable M. Jouret. Il remarquera que le paragraphe 3 ne donne compétence au juge de paix pour prononcer un emprisonnement de 8 à 13 jours qu'en cas de récidive et pour le fait de mendicité. Ce ne sont donc pas de nouveaux faits qui sont soumis à la compétence du juge de paix : c'est le même fait qui, en cas de récidive, donne lieu à une peine plus forte. Or, ce principe est admis déjà par le nouveau Code pénal voté par la Chambre. Le nouveau Code pénal, en effet, donne au juge de paix, lorsqu'il y a récidive, le droit d'élever la peine de 7 à 15 jours. Il fallait donc inscrire dans la loi spéciale que nous discutons cette règle qui deviendra générale par la promulgation du Code pénal révisé.

(page 942) M. Bara. - Je n'étais pas ici lors du vote de l'amendement proposé par l’honorable M. Schollaert, et, pour ma part, il m'est impossible de me rallier à cet amendement.

Mon opposition à cet amendement repose sur une raison bien simple qui détruit le principe sur lequel repose la loi et qui impose aux tribunaux chargés de constater ces infractions une procédure complètement impossible.

L'honorable M. Schollaert a été mû, je le reconnais, par un excellent sentiment, mais je crois qu'il n'a pas répondu à ce sentiment par la disposition qu'il a fait adopter par la Chambre.

En effet, l'amendement de l'honorable M. Schollaert n'avait qu'un but ; c'était de permettre à des personnes qui auraient été frappées par un grand malheur d'échapper à une condamnation quand elles se livreraient exceptionnellement à la mendicité.

Or, messieurs, et l'observation en a été faite déjà par l'honorable M. de Brouckere, il y a évidemment moyen d'empêcher ces personnes de mendier : elles n'ont qu'à s'adresser à l'autorité locale, au bureau de bienfaisance ; elles seront assistées, on leur procurera les moyens de ne pas se livrer à la mendicité.

Messieurs, il est à remarquer que la loi permet le fait de la mendicité indépendamment des causes qui l'ont provoqué. Ainsi la loi ne demande pas si le mendiant est mendiant parce qu'il a été victime d'un ma1heur ; mais elle dit : La mendicité doit être supprimée ; que celui qui s'y livre ait été malheureux ou victime d'un accident, peu importe, il faut que la mendicité soit punie et, pour moi, je dis que c'est un bien, que c'est un avantage ; je dis que, quand bien même il pourrait en résulter quelques petits inconvénients, on devrait les tolérer à raison des grands avantages qu'on retirera de la suppression de la mendicité.

Vous allez ouvrir la porte à tous les mendiants, à l'aide de cet amendement ; il n'est pas un seul mendiant qui ne se retranchera pas derrière l’impérieuse nécessité. Pour quelques cas exceptionnels auxquels vous pouvez parer par la législation actuelle, vous voulez rendre impossible l'application de la loi que nous discutons.

Il est donc certain que l'amendement de l'honorable M. Schollaert détruit le principe de la loi qui punit le mendiant, indépendamment des causes qui ont provoqué la mendicité.

Je dis que le législateur ne peut pas entrer dans l'examen de ces causes.

Si le législateur dit qu'il y a délit dans telle ou telle circonstance, et qu'il n'y a pas délit dans telle ou telle autre circonstance, vous faites une loi impossible à exécuter.

Je demanderai à l'honorable M. Schollaert ce que c'est que son impérieuse nécessité ? Est-ce que l'homme de lettres qui n'a pas un sou dans sa poche, qui n'a pas le moyen de vendre son manuscrit, n'est pas dans une impérieuse nécessité ? Est-ce que les mendiants en habit noir ne sont pas dans une impérieuse nécessité ?

L'honorable M. Schollaert dit : « Voyez les victimes de la catastrophe de Dour ; elles auraient dû mendier. »

Messieurs, nous sympathisons tous au malheur des victimes de Dour, mais ces victimes ne sont pas dans une autre position qu'une foule de gens ; qu'un enfant, par exemple, qui vient de perdre son père, qu'une femme qui vient de perdre son mari, qu'un homme qui vient de subir des pertes d'argent considérables, qu'un ouvrier qui ne peut se procurer du travail. Voilà tous cas de mendicité.

Allez-vous entrer dans l'examen de toutes ces causes ? On aura toujours à invoquer une nécessité quelconque pour mendier !

L'honorable M. Schollaert n'a donc pas défini l'impérieuse nécessité, et il ne saurait la définir, eu égard au grand nombre de cas auxquels elle peut s'appliquer.

Maintenant, l'honorable M Schollaert se contredit dans ses articles. Lisez son amendement.

Si le prévenu trouvé mendiant prouve qu'il n'a pas l’habitude de mendier et que, sans qu'il y ait aucune faute à lui imputer, il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité, il pourra, selon les circonstances, être renvoyé de la poursuite.

L'honorable M. Schollaert laisse arbitrairement au juge le soin de déclarer qu'il y a délit ou qu'il n'y en a pas. En effet, l'honorable membre stipule deux conditions pour que le prévenu puisse être renvoyé de la poursuite, d'abord, il doit prouver qu'il n'a pas l’habitude de mendier ; il doit prouver ensuite qu'il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité, sans qu'il y ait aucune faute à lui imputer ; mais quand l'honorable M. Schollaert ajoute plus loin les mots « selon les circonstances », il laisse le juge de paix libre de faire ou de ne pas faire un délit.

Je suppose qu'un mendiant traduit devant le juge de paix dise ceci : « Je demande à prouver que je n'ai pas l'habitude de mendier, que j'ai agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité, sans qu'il y ait aucune faute à m'imputer. » Si le juge de paix ne croit pas devoir, d'après les circonstances, l'admettre à faire cette preuve, voilà votre mendiant que vous voulez protéger et qui sera condamné par le juge de paix.

Il est donc certain que l'honorable M. Schollaert doit supprimer dans son amendement les mots : « selon les circonstances, » s'il veut donner à son amendement un sens raisonnable, une portée pratique.

Maintenant l’honorable M. Schollaert dit encore qu'il faut qu'on prouve qu'on n'a pas l'habitude de mendier. Est-ce parce qu'il n'existe qu'une première contravention à la charge du mendiant ? Mais alors il ne pourra pas se prévaloir de son malheur. La preuve se fera-t-elle par une enquête devant témoins ?

Je suppose un mendiant surpris dans une commune qui n'est pas la sienne ; on doit le traduire devant le tribunal de simple police ; il faut qu'on soit toujours expéditif ; eh bien, que va faire le mendiant ? Il va être nécessairement arrêté : ainsi l'amendement de l'honorable M. Schollaert aura servi à faire subir à ce mendiant une détention préventive qu'il n'aurait pas subie sans cela.

Maintenant la preuve qu'il n'y a aucune faute à imputer au prévenu, sera plus difficile à fournir. Au mendiant qui dira qu'il n'y a pas eu de sa faire, on répondra : « Si vous aviez travaillé, si vous aviez fait des économies, si vous aviez suivi les conseils de la prudence ordinaire, vous n'auriez pas eu besoin de mendier. »

L'amendement de M. Schollaert s'appliquerait donc uniquement aux cas où des personnes qui étaient dans l'aisance auraient été victimes d'un grand malheur.

Dans ce cas, la preuve de la faute n'existera pas ; dans ce cas, la victime qui, avant la catastrophe, aurait été dans l’aisance, n'irait pas tendre la main dans les rues ; ainsi les personnes en faveur desquelles l'honorable M. Schollaert a présenté son amendement ne tomberont jamais sous l'application de cette disposition.

Quand un grand désastre arrive dans le pays, la charité publique et la charité privée viendront toujours au soulagement des personnes que ce désastre aura frappées ; et si l'un de ces malheureux venait à tendre la main dans la rue en pareilles circonstances, l'autorité ne sévirait pas.

L'amendement de l'honorable M. Schollaert n'a donc qu'un but, c'est de rendre très difficile l'application de la loi, c'est de permettre aux mendiants expérimentés de mendier de tous côtés, et d'embrouiller les affaires à l'aide d'une procédure devant le juge.

Messieurs, je crois que dans l'intérêt de la loi que la Chambre discute, nous devons rejeter l'amendement de l'honorable M. Schollaert.

Cet amendement a été accepté, je crois, dans un élan de générosité, sans qu'on en ait mûrement pesé les conséquences ; tout le monde a applaudi aux belles paroles de l'honorable M. Schollaert ; on a cru qu'on venait en aide au malheur ; on n'a pas vu qu'on ne venait en aide qu'aux mendiants de profession, aux mendiants adroits.

M. Schollaert. - Messieurs, les observations de l'honorable M. Bara ne m'ont pas fait changer d'avis. Je persiste à penser que tout acte, pour pouvoir être justement érigé en délit, doit, et en cela je suis d'accord avec la théorie de Rossi, répondre à deux conditions :

L'acte doit d'abord être immoral ou mauvais de sa nature, puis il doit y avoir à le réprimer une utilité sociale, un intérêt social. En dehors de ces deux conditions essentielles, il n'y a pas de délit, dans le sens moral et théorique du terme. Ceci posé, je demande à l'honorable M. Bara si tendre la main, pour sauver sa vie, dans un cas de suprême nécessité, constitue un acte immoral ou un devoir naturel de l'homme ?

Peut-il voir un délit dans l'exercice de l'instinct conservateur qui pousse un malheureux à demander un morceau de pain ou un verre d'eau ?

A la campagne surtout ces cas d'extrême détresse sont infiniment moins rares que ne se l'imagine l'honorable préopinant.

Mais, dit-on, les malheureux dont vous parlez peuvent recourir à l'autorité. Ils peuvent, en vertu de l'arrêté de 1833, obtenir, tantôt de la commune, tantôt de la province, tantôt de l'Etat, l'autorisation de s'adresser à la commisération publique.

Soit ! l'administration viendra au secours des malheureux que j'ai signalés, quand elle en aura le temps. Mais la faim n'attend pas, la misère n'a pas toujours le moyen, l'occasion de s'adresser même aux autorités communales.

La frappera-t-on, parce que le temps lui aura manqué, parce que la contrainte, parce que l'irrésistible aiguillon du besoin auront été trop pressants et trop puissants pour admettre le moindre retard ?

C'est pour cela, messieurs, et c'est par respect du grand principe qui veut que dans le code pénal on s'inscrive que les véritables délits, que (page 943) les faits présentant par un côté quelconque un caractère immoral, que j'insiste sur mon amendement.

Remarquons-le bien, je ne veux pas du tout couvrir la véritable mendicité, ni lui fournir un moyen d'échapper à la juste vindicte des lois. Personne n'est plus ennemi que moi de la fainéantise. Dans une société où tout le monde vit par le travail, je n'ai aucune espèce d égard ni de pitié pour le triste frelon qui vit du bien et de la substance d'autrui.

Mais la mendicité que je condamne n'est pas un acte isolé, posé dans un cas d'extrême et de véritable détresse, c'est la profession, l'habitude de mendier. Celui qui n'a été qu'accidentellement obligé de demander des secours ne peut pas tomber sous la juste flétrissure que tous les bons esprits infligent à ceux qui font leur profession de la fainéantise et exploitent de cette manière, par une sorte d'escroquerie, la charité et la commisération publiques.

Que veux-je donner au juge ? Une simple faculté ; la faculté de ne pas frapper aveuglément dans les cas rares et éminemment intéressants où il n'a que des malheurs devant lui.

Je ne veux pas, en d'autres termes, que le juge soit placé entre le devoir d'appliquer la loi et celui de ne pas blesser l'humanité. Si l'on veut bien se pénétrer de l'économie de l'amendement que j'ai eu l’honneur de présenter, on verra que, par toutes les conditions que j'y ai accumulées, j'ai voulu tout simplement laisser au magistrat la faculté, dans des cas extraordinaires, de ne pas repousser ce cri de l'humanité que l'honorable M. Bara comprend aussi bien que moi, mais auquel il voudrait répondre d'une autre manière, que je ne puis admettre.

On dit que l'amendement n'aura aucune portée pratique, parce qu'il exige des preuves négatives. Mais comme j'ai déjà eu l'honneur de l'observer, ces preuves négatives, dans un très grand nombre de cas, se produiront d'elles-mêmes, se manifesteront naturellement. Il suffira de tenir compte des antécédents de l'individu conduit devant le juge de paix pour que celui-ci sache à quoi s'en tenir ; pour que, par exemple, le fait imprévu, la calamité inévitable et subite, la défaillance sur la route, etc. soient constatées, et pour que, par une notoriété très facile à acquérir, il soit constaté en outre que la personne, qui s'est trouvée sous le coup de cette nécessité imprévue, se livrait, avant de tomber en détresse, à une vie laborieuse, qu'elle avait l'habitude du travail, en un mot qu'elle n'avait pas failli au grand devoir social qui nous incombe à tous.

Mais chaque fois qu'un accusé paraît devant la cour d'assises, des preuves négatives de ce genre sont administrées. Que de fois, lorsque j'avais l'honneur de porter la robe, n'ai-je pas eu à prouver qu'un accusé devait être traité avec indulgence par le jury, parce qu'il avait de bons antécédents, des mœurs honnêtes, des habitudes laborieuses.

L'article 4 du projet de loi d'ailleurs entre dans cet ordre d'idées. Cet article autorise le juge de paix à mettre le mendiant provisoirement en liberté.

Eh bien, sur quoi le magistrat se basera-t-il pour faire usage de cette faculté qui est évidemment rationnelle et à laquelle j'applaudis de tout cœur ? Mais le juge de paix interrogera les antécédents du prévenu, et cela suffira pour qu'il sache s'il a affaire à un fainéant, à un misérable, ou s'il a devant lui un malheureux qui mérite bien plus d'inspirer de l'intérêt que de s'attirer les rigueurs de la justice.

La preuve négative, dans ces cas, devra être tout aussi bien administrée que dans les hypothèses que je suppose et pour lesquelles j'ai proposé mon amendement.

En un mot, elle ne sera pas plus difficile, dans l'un que dans l'autre cas ; ne dites pas non plus que tous les mendiants viendront se ranger derrière une nécessité impérieuse, que l'amendement ne définit même pas.

Mais les mendiants d'habitude ne seront pas même admis à présenter pareille défense et parmi eux figureront en première ligne les récidivistes.

Le juge même ne les écoutera pas, parce qu'il pourra, selon les circonstances, permettre ou ne pas permettre que les causes de justification soient produites ou plaidées. Quant au manque de précision que l'on reproche à mon amendement, je dirai que c'est à dessein que j'ai laissé les choses dans le vague. La cause de justification peut s'appliquer à des espèces infiniment variées, dans les circonstances les plus diverses. Personne d'ailleurs ne contestera qu'en ces matières il est toujours fort imprudent de trop précipiter et de trop définir.

Mais, me dit-on, qu'est-ce que l'irrésistible nécessité, dont vous voulez tenir corn,-te ? Messieurs, la réponse à cette question ne se trouve pas dans l'amendement, mais elle se trouve dans la théorie de tous les jurisconsultes qui ont faite des matières pénales. L'irrésistible nécessité n'est autre chose que cette contrainte physique ou morale qui a pour résultat d'ôter la liberté à l'agent qui se trouve sous son empire. Ainsi celui-là se trouverait sous l'empire d'une nécessité en quelque sorte irrésistible, qui, étant sur le point de mourir d'inanition, aurait, dans un mouvement plutôt instinctif que moral, pris un pain sur l'échoppe d'un boulanger. Je crois qu'un tel fait serait légitimement amnistié par le jury. D'austères et savants jurisconsultes l'ont pensé avant moi.

Or, messieurs, je vous le demande : s'il est permis d'aller jusque là en cas de vol, de quel droit infligerions-nous une peine quelconque à un malheureux qui, dans ces circonstances impérieuses, se serait simplement permis de tendre la main à la charité publique ?

M. Bara. - Messieurs, l'honorable M. Schollaert a grand tort, selon moi, de vouloir prendre la Chambre par le sentiment ; il ne s'en agit point du tout et l’honorable M. Schollaert ne peut pas établir de différence, au point de vue de la générosité, entre ceux qui repoussent l'amendement et ceux qui l'adoptent, l'honorable M. Schollaert croit servir les malheureux, eh bien, je crois, moi, qu'il se trompe et qu'il va directement contre le but qu'il se propose.

Voilà ce que je tenais à dire pour qu'on n'interprète pas d'une manière erronée l'attitude que je prends dans ce débat.

L'honorable M. Schollaert oublie deux principes essentiels en matière de répression de la mendicité ; le premier, c'est qu'il y a devoir pour des corps constitués de venir au secours de ceux qui sont pauvres ; le deuxième, c'est que la mendicité, quand bien même elle serait commise par un homme qui est dans le besoin, c'est que la mendicité est un fait mauvais, un fait nuisible à la société. Mais pour échapper à ce deuxième principe l’honorable M. Schollaert prend des exemples impossibles ; il suppose un homme qui tombe en défaillance sur une route ou un homme qui est frappé d'un malheur subit.

Eh bien, je vais prouver que ces exemples ne signifient absolument rien. On parle d'un malheur subit ; mais celui qui est frappé d'un malheur subit ne va pas, à l'instant même, se précipiter dans la rue pour mendier. Quand la catastrophe de Dour a éclaté, les malheureux qui en ont été victimes avaient devant eux les ressources créées par le travail des jours précédents ; ce n'est que quelques jours plus tard qu'ils auraient pu mendier ; eh bien, dans cet intervalle les autorités sont venues à leur secours. La mendicité aurait été très nuisible à ces enfants, c'était à leurs parents d'aller trouver les autorités ; c'est ce qu'ils ont fait et vous savez, messieurs, ce qui en est résulté ; mais si en pareil cas vous permettez à ces malheureux de mendier, je dis que vous travaillez contre eux, vous permettez qu'ils se démoralisent.

L'honorable M. Schollaert a parlé d'un homme qui tombe en défaillance et qui tend la main pour demander un secours. Mais est-ce la mendicité, cela ? C'est comme un homme qui tombe de maladie et demanderait un verre d'eau ou un morceau de pain. Ce n'est point là de la mendicité.

Je vous défie de citer un seul cas où vous puissiez appliquer votre amendement : l'impérieuse nécessité n'existe jamais immédiatement. c'est toujours après un temps moral.

Eh bien, je dis que celui qui se trouve dans cette position doit se mettre en mesure de ne pas mendier, et nous ne pouvons pas tolérer la mendicité, parce qu'elle nuit à l'individu comme elle nuit à la société.

L'honorable M. Schollaert dit : « Un individu se trouve sous le coup d'une impérieuse nécessité ; il vole un pain, la loi l'excusera ; il sera acquitté par le jury. » Ne confondons pas la loi pénale et la décision du jury ; nous savons parfaitement qu'on peut arracher un malheureux à une condamnation en faisant appel aux sentiments de compassion du jury. Mais autre chose est de déclarer par la loi que le vol d'un pain n'est pas un acte coupable.

Il n'y a pas seulement dans ce fait l'individu qui vole ; il y a l’intérêt d'un autre individu qui est lésé, et cet intérêt se trouve sous la sauvegarde de la loi. Eh bien, si vous pouvez par l'éloquence obtenir l'acquittement de l'individu qui a volé un pain, il n'en est pas moins vrai que le fait qu'il a posé est mauvais en lui-même, et que ce fait est condamnable.

Je dis donc que l'amendement, tel qu'il est présenté par M. Schollaert, n'a pas de portée pratique et l'honorable membre le prouve lui-même, car, réduit dans ses derniers retranchements il vient prétendre que sa (page 944) proposition ne peut s'appliquer qu'à un soldat qui revient de Russie on à un homme qui est frappé par un malheur subit ; eh bien, ces faits ne rentrent pas dans les cas prévues par le projet de loi puisque, comme je l’ai dit, quand un individu est frappé d'un malheur subit, il a toujours le temps de s'adresser à l'autorité, d'en être secouru ou d'avoir l'autorisation de mendier.

Du reste, messieurs, vous ne pouvez pas, dans un projet de loi de cette importance, alors qu'il s'agit de détruire un fléau social, rendre l'application de la loi impossible en vue de cas excessivement rares, de cas tout à fait exceptionnels.

Il suffit que l'on démontre que, si même l'amendement avait une portée, il fournirait aux mendiants le moyen de se soustraire à l'application de la loi, cela suffit pour faire abandonner l'amendement dans l'intérêt de l'exécution de la loi.

Il en est de même, messieurs, de toutes les lois pénale. Voilà, par exemple, la loi du duel, elle peut frapper des gens qui ont dû nécessairement se battre, des gens qui se sont trouvés dans l'impérieuse nécessité de se battre. Eh bien, prétendrez-vous que le duel n'est pas un fait mauvais en lui-même.

Je dis que la loi ne peut pas s'arrêter à ces considérations, la lui doit être générale et lorsque vous avez un cas tout à fait exceptionnel.

J'ai dit et j'engage vivement la Chambre à ne pas voter l'amendement.

M. Kervyn de Lettenhove. - Il semble, messieurs, à entendre l'honorable M. Bara, que nous cherchons à bouleverser la législation et que sous de vains prétextes d'humanité nous voulons porter le désordre dans la loi. Et cependant, messieurs, tous les criminalistes, jusqu'à l'heure qu'il est, ont reconnu qu'il ne faut pas confondre la profession et l'accident, la fainéantise et le malheur ; ils ont déclaré qu'il ne fallait frapper que le fait volontaire et prémédité. Ce sont les expressions dont ils se servent, tous les législateurs depuis l'édit de Louis XV jusqu'au rapport présenté à l'assemblée constituante, jusqu'à la législation impériale, ont reconnu la nécessité de cette distinction entre la fainéantise et le malheur.

Ce principe est admis dans la législation depuis plus d'un siècle ; et c'est au moment où l'on manifeste de toutes parts des sympathies pour les classes souffrantes, c'est au moment où nous compatissons plus vivement que jamais au malheur, que nous viendrions renverser cette législation ?

C'est dans une loi qui a pour but l'atténuation de la répression que nous viendrions placer en première ligne l’aggravation des principes, l'aggravation de la définition du délit.

Quelles sont les difficultés que prévoit M. Bara ? L'honorable membre assure que la loi ne sera pas exécutée, que nous affaiblirons en quelque sorte le principe même que nous voulons faire respecter. Remarquez, messieurs, que l'amendement de M. Schollaert ne présente aucun de ces inconvénients.

La preuve devra être fournie par l'inculpé : ce sera au juge d'en apprécier la valeur et nous avons toute confiance dans le juge.

Mais l'honorable M. Bara ajoute encore qu'il prévoit certaines lenteurs de procédure : l'inculpé devra produire des témoins et il ne pourra pas toujours le faire immédiatement.

C'est là une argumentation que je ne puis admettre. Par cela même que l'inculpé est malheureux, par cela même qu'il a à se justifier, faible et isolé devant la société qui l'accuse, il me paraît que la loi doit avoir plus d'égards envers lui et que la société elle-même doit désirer qu'il puisse produire des témoins qui innocenteront le fait dont on l'a cru coupable.

Mais, dit aussi l’honorable M. Bara, il arrivera dans certains cas que le juge reconnaîtra que le délit disparaît devant les circonstances. Eh bien, dans ce cas-là encore, n'y a-t-il pas un danger considérable à mettre en opposition la prescription de la loi et le sentiment du juge, de mettre en quelque sorte en contradiction les prescriptions légales et les sentiments de l'humanité ?

L'honorable M. Bara pense que presque toujours la charité publique viendra en aide au malheur ; mais, il ne faut pas l'oublier : quelques jours se passeront avant qui la charité publique intervienne ; et lorsque l'honorable M. Schollaert invoquait l'exemple de la catastrophe de Dour, qui de nous ne se souvenait que les souscriptions ont eu besoin de quelques jours pour s'organiser, qu'il a fallu ouvrir des listes dans les journaux, faire des appels à la commisération publique ; on n'aurait donc pas permis dans l'intervalle à ces infortunés, à ces hommes qui avaient travaillé toute leur vie, qui pouvaient invoquer un passé honorable, on ne leur aurait pas permis non pas de mendier, mais de solliciter ces secours momentanés auxquels leur donnait droit cette calamité aussi soudaine qu'imprévue !

N'oubliez pas, messieurs, qu'une loi ne porte ses fruits que si le sentiment public la ratifie. Il faut que l'humanité et la rigueur de la loi puissent toujours s'accorder, et j'espère qu'en adoptant l'amendement de l'honorable M. Schollaert, vous rendrez hommage au principe qui ordonne de ne pas confondre la fainéantise que nous devons flétrir et le malheur que nous devons respecter.

M. Schollaert. - Messieurs, je n'aurai pas, je pense, beaucoup de peine à convaincre la Chambre que ce n'est pas exclusivement un sentiment d'humanité qui m'a porté à présenter l'amendement qui est en ce moment le sujet de vos discussions. Je crois que l'amendement seul peut donner à la loi le complet caractère de justice qu'elle n'a pas, suivant moi, dans les termes actuels du projet ; je ne crois pas me méprendre non plus sur les deux grands principes que signalait pour prouver le contraire l'honorable préopinant.

J'accorde à l'honorable M. Bara que dans une société organisée comme la nôtre oh le travail est du devoir de tous, personne ne peut se faire une profession de la fainéantise.

La mendicité, socialement parlant, est une chose mauvaise en elle-même. C'est ma profonde conviction, mais il faut s'entendre sur les mots.

Lorsqu'on interroge les jurisconsultes, on trouve que, de l'avis de tous, la mendicité est autre chose que le délit prévu par le projet de loi. Que dit le projet de loi ?

Tout homme qui sera trouvé mendiant, c'est-à-dire tout individu qui sera trouvé sollicitant un secours en public sera puni.

Jamais les législateurs antérieurs, jamais surtout les interprètes du Code pénal n'ont trouvé que la mendicité se constituât de ce simple fait de demander un secours. On a toujours considéré la mendicité comme un délit d'habitude.

MjTµ. - Pas du tout.

M. Schollaert. - On a toujours trouvé que le caractère délictueux, punissable de la mendicité réside dans l'habitude, dans la profession de mendier ; jamais aucun théoricien ni aucune législation n'on considéré comme un délit le simple fait de demander un secours.

M. Bara. - Lisez le Code pénal.

M. Schollaert. - C'est précisément le Code pénal que j'allais invoquer. Le texte en est heureusement invariable, et je crois pouvoir prouver de la manière la plus positive par la simple lecture de ce texte, que jamais le législateur de 1810 n'a vu le fait délictueux de mendicité dans le simple acte de demander l'aumône.

L'article qui définit la mendicite contient deux paragraphes bien distincts, j'ai eu l'honneur de le faire remarquer déjà dans un discours antérieur. Lorsqu'un individu demande du secours dans un endroit où se trouvent des établissements qui peuvent le recueillir, ou lui venir en aide et qu'ainsi il emploie pour se faire secourir un autre mode que celui que l'autorité lui assigne, le Code pénal de 1810 se montre sévère, je l'accorde, mais ce code, qu'on n'accusera pas de sentimentalité, s'attendrit au contraire, et exige formellement la condition de l'habitude, quand l'individu se trouve dans un endroit isolé ou dans une localité où il n'existe pas d'établissement capable de parer à ses besoins les plus urgents.

Le législateur de 1810 a reconnu ce f at tout simple et tout évident d'ailleurs, que c'est un droit naturel, un droit qui dérive de l'instinct de conservation, que celui de demander du secours à son semblable lorsqu'un est dans une nécessité impérieuse ou sous l'influence d'une contrainte irrésistible.

Voilà ce qu'a établi le législateur de 1810 et je ne demande pas à beaucoup près autant. Je demande seulement que lorsqu'aucune faute n'a précédé l'acte de demander l'aumône, lorsque le prévenu prouve qu'il travaille habituellement, le juge ne soit pas placé dans la cruelle obligation d'appliquer la loi et de prononcer une peine.

L'honorable M. Bara a retourné très ingénieusement contre moi un exemple que j'avais cité pour montrer un malheureux agissant sous l'empire d'une contrainte morale.

Il dit que l’individu qui, pour vivre, prendrait sur le comptoir d'un boulanger un pain serait peut-être excusable, mais qu'il ne faudrait pas pour cela inscrire une pareille exception dans le Code pénal.

Je suis tout à fait de l'avis de l'honorable M. Bara ; il serait imprudent d'inscrire en principe dans le texte des lois de ces solutions extrêmes qui sont en quelque sorte les colonnes d'Hercule de la discussion et de la casuistique juridiques ; et cela est d'autant plus vrai qu'il n'y a aucune nécessité d'inscrire dans le Code une clause justificative spéciale en faveur de l'individu qui, égaré par le besoin, aurait, par une impulsion purement instinctive, dérobé un morceau de pain.

(page 945) Dans un tel cas, en effet, le jury serait non seulement interrogé sur le simple fait de savoir si un pain a été volé ; il aurait à résoudre en outre cette question morale : L'accusé est-il coupable ?

Or, cette nécessité de prononcer sur la culpabilité laisse à la conscience du juge toute la latitude désirable. Point de difficulté dans ce cas.

La culpabilité suppose l'intelligence qui éclaire, et la volonté qui agit librement.

Du moment que l'intelligence n'existe pas, ou que la volonté se trouve supprimée, l'homme peut bien encore faire des actes matériellement délictueux, mais il ne peut plus se rendre coupable.

Aussi, si le jury trouvait que l'accusé a été poussé par une irrésistible contrainte, il n'aurait rien à lui imputer et le déclarerait non coupable.

Le Code pénal a inscrit comme cause générale de justification la contrainte dont nous parlons. Il ne devait pas faire plus.

Mais, messieurs, en matière de mendicité, il est nécessaire d'inscrire le principe dans la loi, d'abord parce qu'il s'agit d'une contravention, parce qu'en général dans notre système légal on se contente pour punir les contraventions du fait matériel, sans rechercher l'intention de l'auteur.

D'autre part en lisant attentivement le texte du projet, on remarque que dans la pensée de son auteur, il ne s'agit pas de prouver que le mendiant a été coupable ; il suffit qu'il soit convaincu ; or, dans le langage juridique, être convaincu, c'est tout simplement se trouver sous la démonstration manifeste du fait matériel.

Eh bien, c'est contre cela que je crois devoir m'élever, non par sentimentalité, mais en vertu d'un principe de stricte justice ; je plaindrais le pays dont les magistrats se trouveraient dans la pénible alternative de violer la loi en respectant l'humanité, ou de manquer à l'humanité en appliquant la loi. Nous ne devons pas mettre les nôtres dans cette situation.

Et puisqu'il n'est point permis aux magistrats de distinguer là où la loi ne distingue pas, c'est à nous, messieurs, d'introduire, dans le projet qui nous est soumis, les tempéraments qui, loin d'en détruire le principe, le justifient et l'éclairent.

M. Coomans. - Deux mots encore à l'appui de l'amendement.

M. Bara suppose que le malheureux pourra toujours être secouru parce que la commune doit lui fournir des moyens d'existence.

M. Bara. - J'ai dit qu'il pourrait obtenir l'autorisation de mendier.

M. Coomans. - Mais le malheureux peut se trouver dans une autre commune que la sienne, et peut ne pas avoir le temps de réclamer légalement les moyens d'existence. Dans la commune étrangère où il se trouvera, on n'aura garde soit de lui donner la permission de mendier, soit de lui fournir le nécessaire. On lui dira : Allez chez vous ! Ainsi il faudra dans cette hypothèse que ce malheureux se laisse mourir de faim par respect pour la loi.

Comme l'a dit fort bien mon honorable ami, il est fâcheux que la loi soit en opposition avec l'humanité, avec la justice, j'ajoute avec h vérité et avec le bon sens.

Un autre cas peut se présenter : le cas des étrangers qui n'ont droit à rien en Belgique de la part de personne. N'avons-nous pas eu des émigrants à Anvers qui se trouvaient, par des circonstances indépendantes de leur volonté, dans l'absolue nécessité de mendier ou de mourir de faim ! Ce sont des individus à qui nous avons tendu la main, à qui vous la tendriez, M. Bara, en violant la loi et cela vous honorerait. Ces hommes mendiaient et ils faisaient bien.

Vous voyez donc que l'amendement trouve son application.

L'honorable M. Bara n'ignore pas que des milliers de mendiants, de vagabonds échapperont à la vindicte ! Il n’ignore pas que nous n'avons pas moins de 100,000 mendiants en Belgique et que certes on ne les arrêtera pas tous ; il permet donc que la loi soit violée et elle le sera tous les jours dans 100 communes au profit d'individus qui ne méritent pas notre intérêt ; mais il ne veut pas permettre que la loi soit violée au profit de véritables malheureux. Chose étrange.

Un mot encore. J'admets le principe de la loi ; je voudrais qu'on trouvât le moyen de diminuer beaucoup la mendicité même par la contrainte légale, car la mendicité qui dégénère en habitude mène au vagabondage et peut être considérée, je crois, comme un délit.

Mais la mendicité en elle-même n'est pas un délit. Dans beaucoup de cas, peut-être dans la plupart, il me répugnerait de la transformer en délit.

La loi me paraît trop rigoureuse, et je n'ai pris la parole que pour dire que je ne la voterai pas.

M. Pirmez. - M. Bara a combattu l'amendement avec beaucoup de logique. Il est parti d un principe qui est, d'après lui, le fondement du projet de loi, et, de ce principe, il tire la conséquence que l'amendement doit être rejeté.

L'honorable membre pose deux propositions : la première est qu'il y a obligation pour l'autorité de secourir les gens qui se trouvent dans une positon nécessiteuse ; la seconde qu'il est défendu de mendier.

Il est défendu de mendier, parce qu'en présence de l'obligation sociale d'assister h misère, les malheureux ont un moyen de sortir de leur position sans tendre la main à la charité privée.

Tel est le système de M. Bara.

M. Bara. - Et la faculté de mendier.

M. Pirmez. - Si le principe est vrai, je reconnais que la conséquence est juste, l'amendement doit être rejeté.

Mais je ne puis admettre ce principe qui impliquerait le droit à l'assistance, droit funeste, droit socialiste, véritable ferment de démoralisation.

M. Coomans. - J'aime mieux la mendicité.

M. de Naeyer. - Le droit au travail serait moins mauvais.

M. Pirmez. - Pour moi, messieurs, le principe de la loi, c'est l'obligation du travail ; partant de là vous devez frapper ceux qui, n'obéissant pas à cette loi, veulent trouver leur subsistance dans la fainéantise et la mendicité.

Si je pars de ce point j'arrive à une tout autre conséquence que l'honorable membre : dès l'instant qu'il m'est démontré qu'un individu ne peut trouver sa subsistance dans le travail, vous n'avez plus le droit de le punir.

Vous ne pouvez pas faire reposer votre loi sur un autre principe que celui de l'obligation de travailler ; parce que c'est le seul qui n'impose pas à la société une charge sans limite comme sans cause.

Quand un individu ne peut trouver dans le travail de quoi subvenir à son existence, il faut lui laisser l'une ou l'autre de ces alternatives : ou lui permettre d'implorer la bienfaisance des particuliers, ou lui donner le droit de recourir à l'autorité, à laquelle vous devez, dans ce cas, imposer l'obligation de l'assistance.

Si vous voulez défendre de mendier dans ces cas extrêmes, rejetez l'amendement. Mais rejetant l'amendement, vous devez entrer de plus eu plus dans le système des secours publics.

Je considère les secours publics comme la chose la plus déplorable, là plus fatale, la plus nuisible. Examinez les différents pays de l'Europe ; vous verrez que ceux dans lesquels de larges secours publics sont organisés, sont les pays où la misère a le plus de développements.

Le paupérisme est toujours en raison directe de l'organisation des institutions permanentes de bienfaisance. Sans sortir de notre pays, parcourez quelques-unes de nos principales villes et vous verrez que toujours le nombre des pauvres et des mendiants est en proportion de la richesse des bureaux de bienfaisance et des autres établissements analogues. Passez de Bruges, Nivelles et Tournai dans les villes où les établissements de ce genre sont peu dotés et vous y verrez le nombre des pauvres tellement inférieur que vous vous croiriez transporté dans un autre monde.

Voilà donc votre situation : si vous rejetez l'amendement, vous consacrez le principe qu'il faut que la charité publique vienne au secours de ceux qui ne peuvent pas pourvoir à leur subsistance. Quant à moi, je combattrai toujours l'extension de la charité légale, de la bienfaisance des pouvoirs constitués, de la taxe des pauvres, quelle que soit sa forme. Je veux que h législation tende toujours et de plus en plus à diminuer les fondations de toute espèce et conséquent avec ce principe, je dis même : Quant un individu se trouvera dans une nécessité absolue, il ne faut pas consacrer l'obligation de la charité officielle.

Mais comme il est impossible que cet individu soit privé des moyens d'obtenir ce qui est nécessaire à son existence, je l'autorise à recourir à la charité privée. Jamais vous ne pourrez prendre vis-à-vis d'un homme dans cette position de lui dire : Vous ne mendiez pas et vous n'aurez rien de la charité publique.

Il faut nécessairement choisir et adopter l'un ou l'autre des termes de l'alternative : Si vous voulez empêcher le malheureux de mendier, il faut lui accorder les secours dont il a besoin ; si, au contraire, vous ne voulez pas qu'il ait le droit à une taxe de pauvres, il faut ne pas punir celui qui n'est victime que du malheur.

Vous le voyez, messieurs, la question que soulève l'amendement eu une des plus graves de toutes celles que vous pouvez avoir à résoudre..

j'appelle toute votre attention sur les principes qui sont en jeu.

M. Bara. - L'honorable M. Pirmez a soulevé une question complètement étrangère au débat. Il est venu demander s'il s’agissait de pousser à la mendicité et aux fondations et a prétendu que cette question se trouvait expliquée dans l'amendement de l'honorable M. Schollaert. Pas le moins du monde, messieurs. L'honorable M. Schollaert a eu grand soin de dire que son amendement ne s'appliquerait qu'exceptionnellement, (page 946) mais je ne retrouve nullement dans les cas qu'il a cités li grande question que M. Pirmez a soulevée. (Interruption.) L'honorable M. Schollaert a dit qu'il s'agissait d'individus tombant sous le coup de malheurs imprévus, d'une catastrophe soudaine, d'une défaillance, etc., et non de la mendicité ordinaire, tandis qu'il résultera des paroles de M. Pirmez qu'il devrait s'appliquer à tous les cas de mendicité indistinctement. Je vais discuter avec l'honorable M. Pirmez et il verra que, s'il nous accuse de socialisme et prétend que nous prêchons le droit à l'assistance, je pourrai à mon tour l'accuser de socialisme et de prêcher le droit au travail, l'accuser de favoriser le paupérisme, en proclamant le droit à la mendicité. (Interruption.)

M. Pirmez. - Je demande la parole.

M. Barµ. - Nous sommes, messieurs, dans une société imparfaite, que vous êtes obligés de prendre telle qu'elle est, avec ses défauts comme avec ses qualités. Il y a dans cette société des mendiants de diverses espèces, des mendiants par leur faute, des mendiants par la faute de la société, des mendiants parce qu'ils ne trouvent pas de travail, des mendiants pour toutes sortes de causes.

Dans votre système vous dites : plus de secours aux mendiants ; soit, mais quelle en est la conséquence ? C'est pour les mendiants le droit au travail.

M. Pirmez. - Le devoir au travail !

M. Bara. - Je n'ai pas à m'occuper du devoir. C'est comme si vous disiez : Voilà un individu qui meurt de faim et il a la faculté de manger, mais il n'a rien. Qu'est-ce que le devoir de travailler quand le travail manque ? (Interruption.) Je ne prétends certes pas que le système actuel de la société soit irréprochable, bien loin de là ; j'ai raisonné dans l’hypothèse de la législation existante.

Je n'ai pas à discuter ces grands principes sociaux sur lesquels reposent les questions de la charité et de la mendicité, et si nous avions à discuter ces questions, je ne sais pas même encore comment je les résoudrais. Mais je dis ceci : Sans doute, vous ne pouvez pas obliger les bureaux de bienfaisance à donner des secours, mais enfin leur mission est de venir en aide aux indigents et ils la remplissent. Mais vous vous dites : J'aime mieux que le pauvre mendie dans la rue que de le voir demander des secours à l'autorité. Vous êtes obligé de reconnaître le droit au travail ou le droit de mendier.

Ces moyens je les repousse de toutes mes forces, parce qu'ils n'empêcheront pas l'action de la charité publique et qu'ils empêcheront la répression de la mendicité. Ainsi, messieurs, l'honorable M. Pirmez conseille en définitive de faire table rase de tout ce qui doit soulager la misère, de supprimer les bureaux de bienfaisance, les hospices, etc. Eh bien, je dis que l'honorable M. Pirmez n'oserait pas entreprendre une pareille réforme et que, dans tous les cas, il ne le ferait pas dans l'état actuel de la civilisation.

Dès lors, que reste-t-il de cette grande question que l'honorable M. Pirmez prétend se trouver impliquée dans l'amendement de l'honorable M. Schollaert ? Franchement, messieurs, l'honorable M. Pirmez me semble avoir fait de cet amendement la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Il ne s'y agit pas de la mendicité dans tous ses développements, mais de quelques cas rares, exceptionnels, qui n'intéressent nullement la grande question de la mendicité. Seulement si l'amendement est adopté, tous les mendiants pourront s'en prévaloir. S'il est interprété comme le fait l'honorable M. Pirmez, il suffira qu'un mendiant dise au juge : « Monsieur, je n'ai pas trouvé de travail » pour qu'il soit acquitté.

Est-ce ainsi que l'honorable M. Pirmez entend les mots « impérieuse nécessité » ? S'il en est ainsi, il n'est pas un délit qui ne soit excusable au même titre que la mendicité, et celui qui aura volé sous l'empire d'une impérieuse nécessité ne sera pas plus répréhensible que le mendiant ayant agi dans les mêmes circonstances. (Interruption.) Mais, messieurs, c'est évident, l'impérieuse nécessité, ce n'est pas l'absence de raisonnèrent ou de discernement : c'est l'individu qui a besoin de manger et qui n'ayant rien, vole pour se procurer du pain. Eh bien, je le répète, si le principe de l'amendement est vrai, il n'est plus de délit qui ne soit aussi excusable que la mendicité.

Je crois donc qu'il faut écarter du débat toutes ces grandes questions qui n'ont absolument rien à y voir. Nous faisons une loi qui déclare que tout individu trouvé mendiant est puni, au surplus que dans le cas prévu par l'honorable M. Schollaert et en vertu de l'amendement de M. le ministre de la justice, le juge est autorité à n'infliger qu'une simple amende de police.

Eh bien, je demande à l'honorable M. Schollaert s'il vaut la peine de dire que la civilisation, que l'humanité serait froissée, parce qu'un mendiant aurait été frappé d'une amende de simple police. Evidemment non.

Messieurs, dans l'intérêt de la sécurité publique, il faut empêcher la mendicité. Nous ne voulons pas de mendiants dans nos rues, nous repoussons la mendicité ; soyez persuadés que la charité publique et la charité privée suffiront pour soulager les infortunes réelles.

Le système des honorables MM. Schollaert et Pirmez n'aurait pour but que de multiplier le nombre des mendiants. L'honorable M. Coomans prétend qu'il y a en Belgique 100,000 mendiants ; c'est ce que j'ignore ; ce sont des chiffres sujets à contestation ; mais je dis que le système que je combats doit avoir inévitablement pour effet d'augmenter le nombre des mendiants dans le pays.

J'appelle encore une fois l'attention de la Chambre sur le texte de cet amendement. Il laisse au juge de paix la faculté de faire à sa mode, sans aucune règle, arbitrairement, d'un fait quelconque de mendicité un délit ou de ne pas en faire un délit. L'honorable M. Schollaert, après avoir indiqué les preuves que le mendiant doit fournir, ajoute : « selon les circonstances. »

A notre avis, il est impossible de voter un texte si obscur, si élastique ; c'est dire au juge de paix : « Vous allez légiférer à l'occasion de chaque cas de mendicité sur lequel vous serez appelé à prononcer. » Cela est impossible.

M. Pirmez. - Messieurs, l'honorable M. Bara, auquel j'ai reproché d'avoir demandé le droit à l'assistance, croit devoir m'imputer, à son tour, d'avoir demandé le droit au travail. Mais je crois que le reproche que me fait l'honorable membre tombe entièrement à faux, car j'ai dit exactement le contraire.

J'ai posé, en effet, pour principe, qu'il y a, en vertu d'une grande loi de l'humanité, obligation pour l'homme de travailler et qu'il faut punir ceux qui n'obéissent pas à cette loi. Voilà pour moi ce qui justifie la loi que nous discutons en ce moment.

Or, l'obligation du travail est précisément le contraire du droit au travail.

Je dis donc que vous n'avez pas droit au travail, comme vous n'avez pas droit à l'assistance ; le droit au travail et le droit à l'assistance sont une seule et même chose. Au fond il n'y a pas de différence entre le droit au travail et le droit à l'assistance. (Interruption.)

Demander à faire de travail improductif, ce n'est plus vouloir du travail véritable, puisque le travail véritable n'est que l'application des forces de l'homme à la création de la richesse ; c'est une demande d'assistance déguisée. Il n'y a donc pas plus de droit au travail qu'à l'assistance.

La société a le droit d'exiger que chacun cherche sa subsistance sans s'imposer à la communauté ; elle frappe ceux qui se révoltent contre cette nécessité de la nature ; voilà le principe de la loi. (Interruption.)

L'honorable M. Bara me demande : « Si quelqu'un n'a pas de travail, que fera-t-on ? »

Mais c'est précisément la même demande qui se pose devant l'honorable membre comme devant moi ; cette question soulève tout le problème de la misère en face de la société.

L'honorable membre me répond : « En ce cas, on s'adressera aux pouvoirs publics qui secourent. » Donc, dans le système de l'honorable M. Bara, les pouvoirs publics doivent intervenir pour assister celui qui, étant dans cette situation de misère, ne trouve pas le travail qui l'en ferait sortir.

Or, c'est bien là ce droit funeste à l'assistance, aussi funeste aux individus qu'aux sociétés et qui a toujours aggravé les maux qu'elle devait guérir.

Mon honorable contradicteur résout cette redoutable difficulté par l'intervention de la société ; je la résous par la faculté laissée à l'individu de solliciter la charité privée.

Et c'est là la question que soulève l'amendement.

Vous ue pouvez obliger celui qui ne trouve pas de travail à mourir de misère, sans même se plaindre, sans appeler du secours.

M. Bara lui indique la charité officielle en lui interdisant d'invoquer par la mendicité la charité privée ; avec l'amendement je veux lui permettre le recours à la bienfaisance privée.

Voilà la position,

L'honorable M. Bara m'objecte que si on admet l'amendement on décide du même coup que celui qui se trouve sous l'empire d'une impérieuse nécessité a le droit de voler.

Je ne sais pourquoi l'honorable membre ne pose pas l'hypothèse de marins qui, se trouvant après un naufrage dans une chaloupe au milieu de l'Océan, n'ont plus aucun aliment pour apaiser leur faim ; et ne pose pas la question de savoir s'il est permis de tuer un homme pour prolonger (page 947) la vie des autres. Il est des criminalités qui traitent ici deux questions en même temps.

Dans son assimilation, l'honorable M. Bara confond deux choses tout à fait contraires : un acte juste et un acte injuste. Le fait de demander quelque chose n'est pas un acte nécessairement mauvais ; tandis que le vol, qui porte atteinte à la propriété d'un tiers, est un acte essentiellement injuste.

Or, le besoin justifie très bien un acte qui n'attente pas au droit, jamais l'attentat au droit.

Il n'y a donc pas d'analogie entre les deux cas posés.

Mais, dit-on, vous allez détruire tout l'effet de la loi ; vous allez autoriser la mendicité d'une manière générale ; il n'y aura plus moyen de punir un seul mendiant.

Messieurs, ce sont là des craintes extrêmement exagérées.

Reprenons l'amendement de l'honorable M. Schollaert. Qu'exige-t-il ? D'abord, il doit être constaté que l'individu n'a pas l'habitude de mendier ; en second lieu, le prévenu doit prouver qu'il n'y a aucune faute à lui imputer, c'est-à-dire que la nécessité où se trouve le prévenu n'a pas sa cause, même éloignée, dans la paresse, la fainéantise, la dissipation, même antérieure au fait ; en troisième lieu, enfin, il doit établir qu'il a agi sous l'empire d'une impérieuse nécessité.

Soyez certains que, en fait, avec la loi sur la mendicité que nous faisons en ce moment, les commissaires de police et les bourgmestres ne feront pas poursuivre devant le juge de paix ceux qui n'auront pas l'habitude de mendier ; et qu'ils ne renverront devant le juge que les mendiants de profession, ceux que la paresse ou la fainéantise empêchent seules de travailler. (Interruption.)

Dans ce cas, me dit l'honorable M. Dolez, l'amendement est inutile.

Je crois que dans beaucoup de cas l'amendement sera inutile, et qu'on ne poursuivra pas dans les cas qu'il prévoit ; mais ce que je ne veux pas, c'est que la liberté d'un citoyen soit livrée à l'arbitraire d'un commissaire de police et c'est pourquoi je préfère avoir une garantie dans la loi que dans ce qu'il plaira au bourgmestre ou au commissaire de police de faire.

L'honorable M. Bara me reproche de faire de l'amendement de l'honorable M. Schollaert une grenouille qui veut être aussi grosse qu'un bœuf ; mais qu'il me permette de le dire, si la grenouille (puisque grenouille il y a) prend ces grandes proportions, c'est l'honorable membre qui l'a gonflée avec cette idée de l'obligation de l'assistante publique.

M. Mullerµ. - Bien que je ne sois pas partisan de l'amendement de l'honorable M. Schollaert, qu'il me soit permis de présenter une observation qui ne porte pas sur le fond de la question. Je crois que si le système de l'honorable M. Schollaert est admis, son amendement est mal placé.

Vous ne vous occupez dans l'article premier que des mendiants valides. On propose d'ajouter à l'article que si le prévenu trouvé mendiant prouve qu'il n'a pas l'habitude de mendier, il pourra être acquitté. Il en résultera que ce paragraphe ne sera applicable que dans le cas de l'article lui-même, c'est-à-dire aux hommes valides et que les mendiants invalides ne pourront en réclamer le bénéfice.

Si donc le système de l'honorable M. Schollaert était adopté, il conviendrait de faire de son amendement un article distinct et non un dernier paragraphe de l'article premier.

- La discussion est close.

Les amendements apportés aux premiers paragraphes de l'article sont définitivement adoptés.

MpVµ. - Il reste à voter sur l'amendement de M. Schollaert.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

M. Moncheur. - Je demande la parole sur la position de la question.

Je voudrais faire droit à l'observation de M. Muller.

M. de Brouckere. - Attendez le résultat du vote.

M. Moncheur. - Je veux bien attendre ; mais je me réserve le droit de proposer de faire de l'amendement une disposition spéciale.

MpVµ Nous allons d'abord le mettre aux voix, sauf à déterminer plus tard la place à lui donner.

MjTµ. - J'ai proposé d'ajouter, après les mots : « selon les circonstances », ceux-ci : « et en cas de première contravention. »

MpVµ. - Si l'amendement de M. Schollaert est définitivement adopté, je mettrai cette addition aux voix.

- L'amendement de M. Schollaert est mis aux voix par appel nominal.

72 membres prennent part au vote.

33 votent pour l'amendement.

39 votent contre.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption :

MM. Julliot, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Magherman, Mascart, Moncheur, Orts, Pirmez, Rodenbach, Schollaert, Thonissen, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Wambeke, Vilain XIIII, Warocqué, Beeckman, Coomans, David, de Borchgrave, de Conninck, de Haerne, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Smedt, de Terbecq, Dewandre, Dumortier, d'Ursel, Funck et Hayez.

Ont voté le rejet :

MM. Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Lesoinne, Lippens, Moreau, Mouton, Muller, Nothomb, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Vleminckx, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, C. de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Macar, de Rongé, Devroede, Dolez, Frère-Orban, Grosfils, Hymans et E. Vandenpeereboom.

Projet de loi modifiant les base de la liquidation de la garantie d’intérêt accordée à la compagnie ferroviaire d’Entre-Sambre-et-Meuse

Dépôt

MfFOµ. - D après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau :

1° Un projet de loi qui autorise le gouvernement à conclure avec la compagnie du chemin de fer Grand-Central belge, une convention qui modifie les bases de la liquidation de la garantie d'intérêt accordée par la loi du 20 décembre 1851, à la compagnie du chemin de fer d'Entre Sambre-et-Meuse.

Projet de loi portant règlement définitif du budget de l'exercice 1861

Dépôt

2° Un projet de loi portant règlement définitif du budget de l'exercice 1861.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires et des crédits extraordinaires au budget du ministère de l’intérieur

Dépôt

3° Un projet de loi allouant au département de l'intérieur des crédits supplémentaires s'élevant à la somme de fr. 44,441-25.

4° Un projet de loi allouant au ministère de l'intérieur un crédit de 200,000 fr. pour acquisition d'œuvre d'art anciennes, et un crédit de 100,000 fr. pour acquisitions en faveur de la galerie d'ethnologie nationale ;

5° Un projet de loi allouant au même département divers crédits extraordinaires s'élevant ensemble à la somme de 304,260 fr.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi.

La Chambre en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à l'examen des sections.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.