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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 6 mai 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 891) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Henri Michiels, cultivateur à Calloo, né à Nederveert (partie cédée du Limbourg), demande la grande naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le sieur Delsy, secrétaire communal à Seneffe, demande une loi qui fixe le minimum du traitement des secrétaires communaux. »

« Même demande des secrétaires communaux de Roux, Vitrival, Zwyndrecht, Cuerne, Pipaix, Braffe, Morlanwelz, Aertseele, Cruyshautem, Nazareth. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Beverst réclament l'intervention de la Chambre pour que les convois sur les chemins de fer de Hasselt à Liège par To-gres s'arrêtent à Beverst deux fois, matin et soir. »

« Même demande du comte de Preslon, du sieur Volkhem et du conseil communal de Beverst. »

M. Julliot. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le conseil communal de Rossignol demande que le chemin de la station de Morbihan à Florenville soit déclaré route de l'Etat. »

M. de Moorµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.

Projet de loi relatif à la mendicité, au vagabondage et aux dépôts de mendicité

Discussion des articles

Article 2

MpVµ. - Nous sommes arrivés à l'article 2. M. le ministre, se rallie-t-il à la proposition de la section centrale ?

MjTµ. - Messieurs, je me rallie aux dispositions proposées par la section centrale, sous la réserve suivante.

Je demanderai que le dernier paragraphe de l'article 2 fasse un article séparé et que le mot « acquitter » qui se trouve dans ce paragraphe soit remplacé par le mot « renvoyer. »

Voici les raisons de ce changement. Il s'agit ici de mendiants ou vagabonds invalides ou âgés de moins de 14 ans.

Le juge de paix, dans ce cas, se borne à constater le fait de vagabondage ou de mendicité et à mettre les inculpés à la disposition du gouvernement.

Il n'y a pas d'acquittement à proprement parler, mais plutôt un renvoi. C'est pourquoi je propose de remplacer le mot « acquitter » par le mot « renvoyer. »

Au paragraphe 2 de l'article 2 je proposerai une modification à la rédaction du gouvernement et de la section centrale. Ce paragraphe porte : « Si ce fait est constaté hors de la commune du domicile de secours du mendiant ou du vagabond, le bourgmestre lui enjoindra au préalable d'y retourner, etc. »

Je propose de remplacer les mots : « au préalable » par ceux-ci : «en cas de première contravention. »

Cette rédaction me semble rendre plus claire l'idée que le projet de loi a pour but d'exprimer.

Il est évident que le bourgmestre ne doit pas dans tous les cas, et aussi souvent que les individus se présentent, leur enjoindre au préalable de retourner chez eux, parce qu'alors il n'y aurait jamais d'arrestation.

Je suppose qu'un individu soit trouvé mendiant le lundi et que le (page 891) bourgmestre lui enjoigne de retourner chez lui ; s'il revenait le mardi, Il faudrait lui enjoindre encore de retourner.

Cela peut donner lieu à des abus et c'est pour ce motif que je propose un changement de rédaction qui fixera plus clairement le sens de la loi.

Lorsqu'un individu se présentera la première fois, le bourgmestre lui enjoindra de retourner chez lui. S'il se présente une seconde fois, le lendemain ou dans un certain délai, le bourgmestre aura le droit de le faire arrêter et poursuivre conformément à la loi.

MpVµ. - Je mets en discussion l'article 2 du projet de la section centrale, avec les modifications que M. le ministre de la justice vient d'indiquer.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Ne conviendrait-il pas de conserver dans le paragraphe 2 de l'article 2 les mots : « au préalable » tout en y ajoutant « en cas de première contravention, » pour indiquer que le bourgmestre doit commencer par ordonner au mendiant de retourner dans sa commune. On dirait donc : « Si le fait est constaté hors de la commune du domicile de secours du mendiant ou du vagabond, le bourgmestre, en cas de première contravention, lui enjoindra, au préalable, d'y retourner, sauf l'application, etc. »

Je crois qu'ainsi la rédaction serait plus claire.

MjTµ. - Cette rédaction n'ajoute rien à la clarté. Quelle est l'idée ? Que lorsqu'un individu sera arrêté pour la première fois et amené devant le bourgmestre, celui-ci lui enjoindra de retourner dans sa commune. Il me paraît inutile de dire : en cas de première contravention, il enjoindra « au préalable. »

Du reste, je n'attache pas d'importance à cette modification. La Chambre appréciera.

M. Dewandre, rapporteurµ. - A mon avis, le paragraphe 2 de l'article 2, qui ordonne au bourgmestre d'enjoindre au mendiant de retourner dans sa commune, permet, en outre, à ce magistrat de laisser suivre sur le procès-verbal.

Mais si dans l'intention de M. le ministre de la justice, lorsque le bourgmestre enjoint au mendiant de retourner dans sa commune, il s'ensuit que le procès-verbal ne peut plus être visé, les mots « au préalable » doivent être supprimés.

Je demande donc à M. le ministre de la justice s'il entend que lorsque le bourgmestre ordonne au mendiant de retourner dans sa commune, il ne peut pas encore permettre de donner suite au procès-verbal.

MjTµ. - Le bourgmestre lui enjoindra de retourner dans sa commune, mais il est libre de viser ou de ne pas viser le procès-verbal.

M. Dewandre, rapporteurµ. - C'est pour cela que je crois qu'il faut maintenir les mots « au préalable » pour indiquer que le bourgmestre doit commencer par enjoindre de retourner dans la commune du domicile de secours.

MjTµ. - Je le répète, je n'attache pas d'importance à la modification que j'ai proposée, et si l'honorable rapporteur a quelque scrupule, je consens à laisser subsister les mots : « au préalable. »

MpVµ. - Le paragraphe serait ainsi conçu : « S'il est arrêté hors de la commune de son domicile de secours, le bourgmestre en cas de contravention lui enjoindra au préalable d'y retourner, sauf l'application, s'il y a lieu, des articles 12 et 17 de la loi du 18 février 1845. »

- Le paragraphe ainsi modifié est mis aux voix et adopté.

Article 3 (nouveau)

MpVµ. - Nous avons maintenant à voter sur le dernier paragraphe de l'article 2, qui devient l'article 3 nouveau.

- Le paragraphe est mis aux voix et adopté avec la substitution du mot « renvoyer » au mot « acquitter. »

Article 3 (devenu article 4)

MpVµ. - Nous passons à l'article 3 de la section centrale, lequel devient l'article 4 ; il est ainsi conçu :

« Art. 4. Par dérogation à l'article 3 delà loi du 1er mai 1849, le ministère public devant lequel le prévenu sera amené, de même que le juge de paix, si le jugement n'est pas prononcé immédiatement, pourront ordonner que le prévenu soit mis provisoirement en liberté.

M. le ministre se rallie-t-il à cette rédaction ?

MjTµ. - Oui, M. le président.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 4 (devenu article 5)

« Art. 5 du projet de la section centrale (4 ancien). Le père ou, en cas de décès ou d'absence du père, la mère, qui tolérera habituellement la mendicité ou le vagabondage de son enfant âgé de moins de 14 ans accomplis, sera puni d'un emprisonnement de 1 à 7 jours. »

MpVµ. - M. le ministre s'y rallie-t-il ?

(page 892) MjTµ. - J'ai à présenter sur cet article quelques observations qui sont également applicables à l'article suivant.

J'ai d'abord une observation à faire sur le texte de cet article : Dans l'état actuel de la législation, les juges de paix ne prononcent d'emprisonnement que dans la limite d'un à cinq jours, sauf dans les cas formellement exceptés par la loi. Il me semble donc que cet article, qui permettrait de comminer un emprisonnement de 1 à 7 jouis, doit indiquer le juge qui sera appelé à statuer.

Si le nouveau code pénal, qui donne aux juges de paix le droit de prononcer sept jours d'emprisonnement, était en vigueur, la mention que j'indique serait inutile ; mais, en attendant, il est indispensable de dire « sera puni, par le tribunal de police, d'un emprisonnement d'un a sept jours. »

Maintenant une observation analogue s'applique et avec beaucoup plus de raison à l'article 5.

D'après cet article « quiconque fera mendier un enfant n'ayant pas quatorze ans accomplis, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois, et, en cas de récidive, la peine pourra être portée au double ; » c'est-à-dire à quatre mois.

Il s'agit de savoir si c'est le tribunal de police qui sera compétent ou le tribunal correctionnel.

Quant à moi, je crois qu'il faut établir la compétence du tribunal correctionnel. D'abord le fait est assez grave, et il convient qu'un fait de cette nature soit puni avec une certaine solennité ; d'un autre côté, il me semble que donner aux juges de paix compétence jusqu'à concurrence de quatre mois de prison, ce serait apporter aux règles générales une dérogation excessive.

Il ne faut pas bouleverser trop légèrement les règles de la compétence ; aujourd'hui, messieurs, la compétence des juges de paix n'excède pas cinq jours. Il est donc nécessaire, je pense, d'attribuer au tribunal correctionnel la connaissance du fait prévu par l'article 5 et de dire dans cet article que ce fait sera puni par le tribunal correctionnel d'un emprisonnement de 8 jours à 2 mois.

J'ai, messieurs, à présenter une autre observation relativement aux articles 4 et 5.

Je prie la Chambre de remarquer que l'article 4 prévoit le cas où le père ou, en cas de décès ou d'absence du père, la mère, tolérera habituellement la mendicité ou le vagabondage de son enfant âgé de moins de 14 ans accomplis, et il prononce une peine d'un à sept jours d'emprisonnement. Ainsi la simple tolérance est punie dans tous les cas, alors même que la commune tolérerait la mendicité sur son territoire.

Or, je me demande s'il ne serait pas anomal de laisser la commune tolérer la mendicité du père et de la mère, et de punir, d'un autre côté, le père et la mère qui, dans le même cas, toléreraient la mendicité de leurs enfants.

L'article 8 prévoit le cas où l'on fait mendier un enfant ; et le dernier paragraphe de cet article déclare que si l'individu poursuivi est indigent et n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès-verbal est visé par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté.

Ainsi, il y a une réserve dans le cas où l'on fait mendier, et il n'y en a pas dans le cas où l'on tolère la mendicité. Il me semble que c'est pour ce dernier fait qui est moins grave, qu'il devrait y avoir bien plus tôt une réserve.

Il y aurait donc lieu de rédiger les article 4 et 5 de la manière suivante :

« Art. 4 (devenu l'art. 5). Le père ou, en cas de décès ou d'absence du père, la mère, qui tolérera habituellement la mendicité ou le vagabondage de son enfant âgé de moins de quatorze ans accomplis, sera puni d'un emprisonnement d'un à sept jours par le tribunal de police.

« Art. 5 (devenu l'art. .6). Quiconque fera mendier un enfant n'ayant pas quatorze ans accomplis sera puni par le tribunal correctionnel d'un emprisonnement de huit jours à deux mois. » (Je proposerai même de mettre : huit jours à un mois ; la peine de deux mois me paraît un peu forte.),

« En cas de récidive, la peine pourra être portée au double. »

Maintenant on ferait du troisième paragraphe un article à part qui serait ainsi conçu :

« Si l'individu, poursuivi dans les cas prévus par les deux articles précédents, est indigent et n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès-verbal est visé par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté. »

On appliquerait ainsi la réserve de l'article 5 à un cas qui est beaucoup moins grave, savoir à la tolérance de la mendicité et l'on ferait disparaître l'anomalie qui consisterait à punir le père et la mère, même dans le cas où la commune tolère la mendicité.

- La discussion s'établit sur l'article 5 nouveau.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, vous comprenez aisément que la section centrale a été inspirée par une pensée qu'il fallait s'opposer par tous les moyens possibles à ce que l'habitude de la mendicité et du vagabondage se développât chez l'enfant ; elle a pensé que dans certaines circonstances il y avait lieu d'user de quelque tolérance à l'égard d'individus non valides, affaiblis par l'âge et par les infirmités.

Mais je crois que tous les membres de la section centrale comprenaient comme moi que la tolérance ne doit pas s'étendre à l'enfant, que, quelle que soit la position des parents, il ne doit jamais être permis de lui faire contracter l'habitude de la mendicité, qu'il y a lieu de songer à son avenir et de le mettre dans la voie de travail.

A ce point de vue, je serai peu disposé à voter le dernier paragraphe de l'article 5 dont M. le ministre de la justice propose de faire un article spécial. Lorsque cet article sera mis en discussion, je présenterai des observations dans ce sens.

Mais il est une autre considération que j'ai à soulever relativement à l'article 4, bien qu'elle ne présente pas le même intérêt.

La disposition de cet article a pour but d'atteindre celui qui n'use pas de son autorité pour empêcher l'enfant de se livrer à la funeste habitude du vagabondage et de la mendicité.

Mais à ce point de vue n'y a-t-il pas une lacune dans l'article 4 ? Ne conviendrait-il pas d'ajouter au père et à la mère l'ascendant et le tuteur ?

Il me semble qu'il y a le même motif pour les atteindre par la disposition que nous allons voter tout à l'heure.

Il me semble qu'il y a aussi une distinction à faire à l'article 5. L'expression : « quiconque fera mendier un enfant », est générale. Il me paraît que la loi doit être plus sévère, lorsque celui qui fait mendier l'enfant a une autorité sur lui, lorsque, par exemple, c'est le père ou la mère. Le père, ou la mère sont plus coupables qu'un étranger. Il me paraît qu'il faudrait rédiger le second paragraphe de l'article 5 comme suit : « La peine pourra être portée au double en cas de récidive ou lorsque celui qui fait mendier l'enfant est son père, sa mère, son ascendant ou son tuteur. »

MpVµ. - La parole est à M. Coomans.

M. Rodenbach. - Les pauvres n'ont pas de tuteurs. Cela coûte trop cher.

MjTµ. - Qu'est-ce que cela coûte ? Cette interruption n'est pas sérieuse. Les tuteurs sont nommés gratis. Il faut se rendre compte de la législation, avant de dire des choses pareilles dans une Chambre. Il ne faut pas faire la critique de la législation, quand on ne la connaît pas. (Interruption.)

M. Coomans. - Je ne comprends pas l'observation de M. le ministre de la justice.

MjTµ. - Je demande la parole. Je veux répondre à une interruption.

M. Coomans. - Je vous la cède, M. le ministre.

MjTµ. - Si vous avez la parole, je me rassieds.

M. Coomans. - Je prie M. le ministre de la justice de croire que je ne mets aucune mauvaise intention dans la politesse que je viens de lui faire. Je constate seulement que M. le président m'avait accordé la parole, et que je l'ai cédée pour maintenir mon droit de représentant.

MfFOµ. - Eh bien, gardez-la.

MpVµ. - C'est pour cela que je vous la maintiens, M. Coomans.

M. Coomans. - D'ailleurs je suis presque d'accord avec l'honorable ministre sur cette question.

Messieurs, il y aurait bien d'autres difficultés à signaler dans l'application de ce principe.

L'honorable M. Kervyn vous a fait remarquer que l'enfant peut se trouver sous l'autorité d'un ascendant ou d'un tuteur. Ces derniers, s'ils abusent de leur autorité, ne sont pas frappés par l'article. Je ne m'en plains pas, parce que l'article tout entier me déplaît. Je voudrais le voir supprimer.

Je consens à ce qu'on condamne l'excitation à la mendicité. Mais, je crois très grave de punir la simple tolérance ou l'abstention. Mais, disais-je, l'article soulève d'autres difficultés.

(page 893) L’enfant peut se trouver chez d'autres personnes que les parents, un ascendant ou un tuteur.

Il peut se trouver loin de la maison paternelle, chez un oncle ou chez une tante qui toléreront la mendicité et le vagabondage. Cet oncle et cette tante échapperont à la vindicte légale. Cela est-il bien logique ? Je ne le pense pas.

Si le fait que vous punissez est réellement punissable, il doit être puni dans la personne de quiconque le pose. Voulez-vous que la tolérance de la mendicité soit punie ? Il faut la punir chaque fois qu'elle se produit. Il faut la punir chez le nourricier et chez l'oncle comme chez le père ou la mère.

Mais la vérité est que je préférerais que l'on ne punît pas la simple abstention.

Messieurs, je prends la liberté de vous soumettre une observation générale. Nous poursuivons un but impossible à atteindre. Nous voulons supprimer la mendicité ; nous voulons la punir. Eh bien, cela est impraticable ; nous le savons tous, ceux surtout qui habitent la campagne le savent ; la répression de la mendicité est impossible, non seulement parce qu'il y a cent ou cent cinquante mille mendiants en Belgique, mais encore parce que tous les efforts, toutes les ressources de la charité officielle et privée ne suffisent pas dans certaines circonstances pour nous autoriser à punir la mendicité.

Qui de nous n'a vu, à certains jours de l'année, surtout aux mauvaises époques, cent et cent vingt mendiants se présenter à la porte du château ou de la ferme, qui donc a songé jamais à arrêter ces gens-là ?

Il faut donc que nous usions d'une certaine tolérance. Nous devons en user notamment dans le cas de l'article 4. Je ne crois pas qu'il soit prudent et logique de punir le père et la mère qui n'empêcheront pas leurs enfants de mendier.

Mais, messieurs, qu'y a-t-il de plus naturel que de voir un enfant sortir de la maison où le pain manque pour aller le demander chez les voisins ?

Puis, messieurs, il me paraît que le projetât rédigé un peu à la légère. L'honorable ministre de la justice vient d'en fournir les preuves encore ; il y a bien des cas non prévus et bien des choses illogiques dans le projet.

Je demande la suppression de l'article 4 et l'atténuation des peines comminées par l'article 3. Ici M. le ministre est de notre avis, il trouve que ces peines sont excessives. Quant à celles de l'article 4, elles n'ont pas de raison d'être, qu'il nous suffise de punir l'excitation au mal, à ce mal considéré comme mal social mais qui est très contestable, car un véritable ami de la liberté n'admettra jamais que la mendicité soit un délit. C'est un délit factice. Il y a bien d'autres choses immorales, regrettables, mais qui ne sont pas des délits. La société a à blâmer bien des choses qu'elle ne punit pas.

On ne parviendra pas, j'espère, à prouver que je suis partisan de la mendicité, moins encore du vagabondage, moi qui crois que l'honneur et le devoir de l'homme sont de travailler ; mais je crois qu'il est cruel de la part d'une société dont l'organisation laisse autant à désirer que la nôtre, de déclarer que la mendicité est, dans tous les cas, un délit qu'il importe de réprimer. Or, la répression est impossible, malheureusement impossible : sur dix cas de mendicité vous n'en punirez qu'un, tout au plus. Je suis persuadé que sur vingt cas on n'en a pas puni un jusqu'à présent. Or, messieurs, une loi qui est violée dix-neuf fois sur vingt est une loi d'une utilité très contestable.

En somme, messieurs, je conclus à la suppression de l'article 4 et à la diminution de moitié au moins des peines portées en l'article suivant.

M. Bouvierµ. - Faites-vous une proposition formelle ?

M. Coomans. - Très formelle.

MjTµ. - J'avais pris la parole tout à l'heure pour répondre à M. Rodenbach qui disait : « Les pauvres n'ont pas de tuteurs, parce que cela coûte trop cher. » Il n'est pas convenable, messieurs, d'imprimer ainsi à notre législation un caractère de fiscalité odieux. Il n'est pas de pauvre qui ne puisse avoir un tuteur, sans qu'il en coûte rien, et s'il est des pauvres qui n'en ont pas, c'est par suite de la négligence de la famille ou du magistrat qui est obligé de veiller à ce que tout mineur ait un tuteur. En pareil cas on accorde le pro Deo et il est tout à fait inexact de dire que le pauvre n'a pas de tuteur parce que cela coûte trop cher.

Je dois protester surtout quand c'est un membre de la Chambre qui adresse semblable reproche à notre législation.

MpVµ. - Je dois dire que ni le président ni les secrétaires n'ont entendu l'interruption de l'honorable M. Rodenbach qui interrompt souvent à demi-voix.

M. Delaetµ. - On refuse les indemnités pour les servitudes militaires parce qu'elles coûtent trop cher.

M. Bouvierµ. - Vous n'êtes pas des mendiants à Anvers, n'est-ce pas ?

M. Dewandre, rapporteurµ. - L'honorable M. Kervyn croit qu'il y a une lacune dans les articles 4 et 5 du projet de la section centrale qui deviendront les articles 5 et 6 du nouveau projet de loi. Il voudrait que la peine que l'on applique au père ou à la mère quand ils tolèrent la mendicité ou le vagabondage de leurs enfants ou quand ils les font mendier, fût applicable à tous les ascendants en général et au tuteur. L'honorable M. Coomans pense même qu'il faut étendre l'application de la peine à l'oncle et à la tante.

M. Coomans. - Au point de vue de la logique, mais pas au mien.

M. Dewandreµ. - Je crois pouvoir vous démontrer qu'il n'y a pas lieu d'assimiler les ascendants, le tuteur, l'oncle et la tante au père et à la mère.

Et en effet, aux termes des articles 371 et suivants du code civil, le père et la mère ont des droits que n'ont pas les autres ascendants et le tuteur.

Ainsi, le père et la mère peuvent seuls demander l'emprisonnement de l'enfant qui ne se conduit pas bien. Ce droit n'appartient ni aux autres ascendants, ni au tuteur, ni à l'oncle, ni à la tante.

Le père et la mère trouvent dans les articles 371 et suivants du code civil des moyens de coercition suffisants pour empêcher leurs enfants de mendier. Ils sont donc en faute lorsqu'ils tolèrent habituellement la mendicité de leurs enfants et c'est pour cela que la section centrale a proposé de punir dans ce cas le père et la mère.

L'honorable M. Coomans voudrait la suppression complète de ces articles 4 et 5 parce que, d'aptes lui, la mendicité ne pourra jamais être supprimée.

M. Coomans. - Je n'ai pas demandé la suppression de l'article 5 mais la diminution de la peine.

M. Dewandreµ. - Je me suis mal exprimé. L'honorable membre demande la réduction des peines comminées par l'article 5 et la suppression de l'article 4 parce que, dit-il, la répression est impossible 19 fois sur 20 ; et parce que sous le régime de la loi actuelle la répression est impossible 19 fois sur 20 il voudrait permettre la mendicité de la manière la plus complète au moins pour les enfants. Mais, en supposant qu'actuellement la mendicité ne puisse pas être réprimée une fois sur 20 et que nous parvenions, au moyen de la loi nouvelle, à la réprimer deux ou trois fois sur vingt, nous aurions déjà gagné beaucoup.

Mais je crois que la loi nouvelle, à cause de la distinction qu'elle fait entre les mendiants valides et les non valides, à cause de la punition qu'elle inflige aux parents qui laissent mendier leurs enfants et à toutes les personnes qui font mendier des enfants, aura pour conséquence de réprimer beaucoup mieux la mendicité qu'on ne le fait actuellement.

Il y a donc lieu de maintenir ces articles.

Quant à ce qui me concerne personnellement, - je n'ai pu consulter les autres membres de la section centrale, - je me rallie aux modifications indiquées par M. le ministre de la justice aux articles 4 et 5 de la section centrale qui deviennent les articles 5 et 6. Ces modifications rentrent complètement dans ma pensée.

M. Bouvierµ. - Les ordres mendiants tomberont-ils sous l'application de la loi ?

M. Dewandre, rapporteurµ. - A mes yeux, évidemment oui.

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai jamais vu de conseil de famille pro Deo.

J'ai peut-être eu tort de dire : parce que cela coûte trop cher, mais un fait avéré, c'est qu'à l'exception des orphelins entretenus par les hospices et les bureaux de bienfaisance, il n'y a pas un orphelin pauvre sur cent, et peut-être sur mille, qui ait un tuteur. Cela ne se pratique pas.

MjTµ. - Dans votre arrondissement peut-être.

M. Rodenbach. - Ailleurs aussi. Il se peut qu'il y ait de la négligence. Ce serait alors l'occasion d'envoyer des circulaires aux bourgmestres est aux juges de paix pour les informer que les conseils de famille doivent se réunir pro Deo pour les indigents.

Il y a lieu de remarquer aussi que les gens peu aisés et presque pauvres reculent souvent devant les frais et les formalités, parce qu'il faut recourir aux avocats.

MjTµ. - C'est une erreur.

M. Rodenbach. - Je ne le crois pas. Il n'en est pas moins vrai (page 894) qu'il n'y a pas un indigent sur 100 et même sur 1,000 qui ait un conseil de famille pour le motif qu'ils ne possèdent rien ; qu'on me prouve le contraire,

MjTµ. - Je ne veux pas contredire l'honorable M. Rodenbach, en ce qui concerne son arrondissement. Je ne sais pas comment les choses s'y passent, mais je peux affirmer que, dans le reste du pays, les choses se passent d'une manière très régulière.

Il est inexact de dire que les orphelins indigents n'ont pas de tuteurs.

Il est également inexact de dire que la réunion du conseil de famille donne lieu à beaucoup de frais, qu'il faut l'intervention d'avocats et d'autres hommes de loi.

Le bourgmestre informe le juge de paix qui convoque le conseil de famille. Le conseil de famille présidé par le juge de paix nomme le tuteur.

Les formalités sont extrêmement simples et l’intervention d'avocats ou d'hommes d'affaires n'est nullement nécessaire.

C'est donc encore là une erreur.

Il est regrettable que les autorités ne remplissent pas mieux leurs devoirs. C'est à elles que s'adressent directement les critiques de l'honorable M. Rodenbach.

M. Mullerµ. - L'honorable M. Coomans demande la suppression de l'article 4 du projet de la section centrale.

Je pense, messieurs, que si la Chambre adoptait la suppression de l'article 4 qui punit le père et la mère tolérant habituellement la mendicité de leurs enfants, la lot serait complètement inefficace..

Ce que la section centrale a voulu, c'est précisément empêcher les enfants de contracter l'habitude de la mendicité ; c'est de faire en sorte qu'à l'avenir il n'y ait pas de mendiants de profession qui aient commencé leur apprentissage dès leur jeune âge.

Voilà pourquoi la section centrale a proposé de punir le père ou la mère qui tolèrent habituellement la mendicité de leurs enfants.

Si vous supprimez cette disposition. je n'hésite pas à dire que vous aurez rendu un très mauvais service à la société et à la famille, dont vous semblez vouloir vous faire ici les protecteurs, car ces enfants seront évidemment beaucoup plus aptes à vivre honorablement de leur travail lorsque vous aurez frappé d'une peine les parents qui auront habituellement toléré qu'ils mendient dans leur bas âge.

Voilà les considérations qui ont guidé la section centrale dans les dispositions qu'elle a soumises à la Chambre.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je voudrais me borner, messieurs, à justifier la proposition que j'ai faite d'ajouter les mots : « les ascendants et le tuteur », dans l'article 4.

L'honorable M. Dewandre me reprochait tout à l'heure de ne pas avoir tenu compte à cet égard de la législation.

J'ai à faire remarquer que je me suis inspiré des dispositions qui existent déjà dans la loi pénale. Ainsi dans l'article 334 du Code pénal lorsqu'il s'agit d'attentats aux mœurs, on remarque que la loi frappe de peines plus sévères les père, mère, tuteur ou autre personne chargée de la surveillance des enfants. La position est à peu près la même dans les deux cas : ce sont le père et la mère investis d'une autorité qui en font un déplorable usage et qui par cela même attirent sur leur tête la vindicte de la loi.

Il s'agit en effet dans l'article 334 de ceux qui excitent et de ceux qui facilitent ; eh bien, nous trouvons une disposition à peu près identique dans les article 4 et 5 ; dans l'article 4 on facilite la tolérance ; dans l'article 5 on excite à la mendicité. D'après le code civil, l'ascendant lorsqu'il n'y a pas de tuteur désigné par le père ou par la mère, est investi de la tutelle légale ; il possède donc tous les droits de père puisqu'il peut même demander la réclusion dans certains cas. Il me semble donc qu'en se plaçant au point de vue des considérations qui ont été développées par plusieurs orateurs et notamment par M. Muller, il y a le même motif pour frapper le tuteur que pour frapper le père et la mère.

M. Coomans. - On veut rendre le père et la mère seuls responsables des faits de vagabondage et de mendicité. Je sais que les parents ascendants ont seuls le droit d’empêcher ces faits, mais ils se trouvent parfois dans l'impossibilité de les empêcher. Je demanderai, par exemple, à M. Dewandre comment on pourrait reprocher à un père de tolérer la mendicité de son enfant lorsque celui-ci se trouve éloigné du domicile de ses parents. Le père peut ignorer le fait. (Interruption.)

Je n'ai pas besoin de préciser des cas ; ils se présentent naturellement à l'esprit, et il est évident que dans beaucoup de cas vous punirez les parents pour des faits qui ne leur sont pas réellement imputables.

Je demande pourquoi dans votre système vous ne puniriez pas le chef de famille sous la direction duquel se trouverait l'enfant mendiant.

Je ne fais cette proposition que pour montrer que la loi manque parfois son but ; je dois faire remarquer qu'on n’a pas répondu à une observation très sensée de l'honorable ministre. L'honorable ministre s'étonne lui-même qu'on reproche à un père un fait qui peut ne pas être reprochable.

L'honorable ministre nous a demandé pourquoi vous punissiez la tolérance du père quand vous n'empêchez pas la tolérance de l'autorité communale, souveraine à cet égard. La commune juge bon de permettre la mendicité et le père qui se sera conformé à cette loi locale serait puni.

MjTµ. - Non.

M. Coomans. - Dans votre pensée, non ; mais d'après le texte de l'article il serait puni.

MjTµ. - J'ai proposé un changement de rédaction.

M. Coomans. - C'est ce changement que j'appuie. Pourquoi ne distinguerait-on pas aussi entre les parents valides et les parents invalides ? Est-ce qu'un père invalide ne serait pas excusable s'il permettait à son enfant d'aller lui chercher du pain ?

MjTµ. - C'est mon amendement.

M. Coomans. - Oui, et c'est pour l'appuyer que je présente mon observation. D'après le texte de l'article, la punition doit être infligée dans tous les cas : pourquoi ne pas dire que le père ou la mère pourra être puni, au lieu de sera ? Vous dites qu'il sera puni, mais permettez au moins au juge d'apprécier les circonstances oh le père qui aura toléré la mendicité sera excusable. (Interruption.) Oh ! je sais bien que la définition du mot « tolérer » est difficile. Mais quand on entre dans le fond des choses, les difficultés s'accumulent toujours.

Vous savez combien les pauvres ont peu de temps pour surveiller leurs enfants ; ceux-ci sont élevés en quelque sorte à la grâce de Dieu ; ils auront mendié parce qu'ils y auront été forcés par le besoin, par la nature, et c'est le père qui sera responsable. Il y a tolérance, me paraît-il, chaque fois qu'on n'empêche pas une chose que l'on peut empêcher. Or, le père et la mère peuvent seuls empêcher ; s'ils n'empêchent pas ils sont punissables, ils devront être punis ; il y a ordre exprès de la loi. Eh bien, je demande que si l'on maintient l'article on admette au moins l'amendement de M. le ministre de la justice. (Interruption.)

J'ai confiance en M. Dewandre, mais je le demande à la Chambre tout entière. Je demande en outre qu'on admette aussi mon amendement, qui consiste dans la substitution du mot « pourra » au mot « sera », afin de permettre au juge de montrer de l'humanité qui très souvent n'est que de la justice.

Il me semble que l'assemblée est assez disposée à adhérer à ces observations, je m'y réfère.

M. Dewandre, rapporteurµ. - M. Coomans a commencé par demander s'il ne serait pas injuste de punir le père quand il n'aurait pu empêcher la mendicité. Mais quand il n'a pu empêcher, il n'a pas pu tolérer et alors il ne sera pas puni.

M. Coomans voudrait aussi changer la rédaction de l'article 4 (article 5 nouveau) et dire, au lieu de « sera puni », « pourra être puni ».

Nous faisons une loi pénale, nous indiquons les circonstances dans lesquelles nous voulons que cette loi soit appliquée, dès lors nous devons dire que quand les circonstances indiquées se rencontrent, le coupable doit être puni.

Le texte ne punit pas une personne qui ne mérite pas d'être punie ; la peine n'est applicable que quand il y a tolérance habituelle.

Lorsque la tolérance sera bien constatée de la part du père ou de la mère, nous ne voulons pas laisser la faculté de ne pas punir. Au surplus je crois que la Chambre tout entière est d'accord avec M. Coomans pour adopter les modifications proposées par M. le ministre de la justice aux articles 4 et 5 et M. Coomans lui-même me semble reconnaître que la suppression de l'article 4 n'a pas la moindre chance d'être accueillie.

M. de Theuxµ. - Je voterai la proposition de M. Coomans, en voici les motifs. C'est un délit nouveau que nous introduisons et je crois que quand il s'agit de créer un délit nouveau il est bon de laisser au juge la faculté d'apprécier les circonstances.

Nous ne pouvons pas, nous, les apprécier et nous devons avoir assez de confiance dans la magistrature pour croire que quand il y aura un fait réellement condamnable de la part des parents, elle n'hésitera pas à appliquer ta peine.

Des lois de cette nature doivent être empreintes d'un caractère de douceur et d'humanité pour être en harmonie avec le sentiment général de nos populations.

Je pense donc, messieurs, que, vu la nouveauté du délit que l'on crée, vu les circonstances diverses qui peuvent se présenter, il est (page 895) prudent de ne pas faire au juge une obligation stricte de condamner ; il faut lui laisser la faculté d'apprécier les circonstances et nous devons avoir assez de confiance dans la magistrature pour croire que dans l'exercice de ses fonctions, si délicates en cette matière, elle se conformera à la pensée de la législature, qui est de réprimer autant qu'il est en nous les abus de la part des parents et de n'imposer en aucune circonstance aux parents l'obligation par exemple de dénoncer eux-mêmes leurs propres parents sous peine d être eux-mêmes enfermés. C'est là une prescription excessivement dure et qui n'est pas dans les sentiments habituels de la Chambre.

M. Delaetµ. - Je voudrais que l'article fût modifié par l'addition de l'adjectif » valide » aux mots « père et mère ». Il serait donc rédigé comme suit :

« Le père valide ou, en cas de décès ou d'absence du père, la mère valide qui tolérera, etc. »

M. Dewandre, rapporteurµ. - Je rappellerai que M. le ministre de la justice a proposé de faire du dernier paragraphe de l'article 5 un article nouveau qui viendrait après les articles 4 et 5 de la section centrale, et qui porterait : « Si l'individu poursuivi dans les cas prévus par les deux articles précédents est indigent et n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès-verbal est visé par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté. »

Donc, si le père n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès-verbal est visé par le bourgmestre du lieu.

M. Delaetµ. - C'est juste ; je retire mon observation.

- L'amendement de M. Coomans est appuyé.

Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Article 5 (devenu article 6)

MpVµ. - Il reste à statuer sur l'article 5 (ancien) de la section centrale tel qu'il a été modifié par M. le ministre de la justice. Cet article serait ainsi conçu :

« Quiconque fera mendier un enfant n'ayant pas 14 ans accomplis sera puni, par le tribunal correctionnel, d'un emprisonnement de 8 jours à un mois. En cas de récidive la peine pourra être portée au double. »

M. Vilain. XIIIIµ. - Les mots « par le tribunal correctionnel » sont superflus : la peine emporte la compétence.

MjTµ. - J'avais demandé l'addition des mots « par le tribunal correctionnel », parce que, dans la pensée de la section centrale, la peine devait être appliquée par le tribunal de police. Mais si nous sommes d'accord que les règles de la compétence seront observées quant à cette loi, il n'y a pas d'inconvénient de supprimer les mots « par le tribunal correctionnel. »

M. Dewandre, rapporteurµ. - Je crois qu'il est préférable de maintenir ces mots dans l'article : tous les faits relatifs à la mendicité et au vagabondage étant déférés au juge de paix, il pourrait y avoir du doute quant à la compétence quand il s'agit de peines qui dépassent celle de police Il est donc utile de maintenir les mots « par le tribunal correctionnel, afin qu'aucun doute ne puisse subsister.

M. J. Jouret. -S'il est vrai, comme vient de le dire l'honorable M. Vilain XIIII, que la peine emporte les compétence, il sera peut-être nécessaire que nous ne nous contentions pas de la déclaration qui a été faite par M. le ministre de la justice à l'honorable rapporteur de la section centrale au sujet du second paragraphe de l'article premier, car le principe que rappelait tout à l'heure l'honorable M. Vilain XIIII est vrai ; le deuxième paragraphe de l'article premier demanderait nécessairement une autre rédaction, et je crois qu'il sera utile d'y pourvoir.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Le texte du paragraphe premier de l'article premier ne laisse aucun doute ; il porte : « Tout individu valide âgé de 14 ans accomplis, trouvé en état de vagabondage, sera arrêté et sera traduit devant le tribunal de police. » Le paragraphe 2 de cet article indique, immédiatement après, la peine qui sera appliquée ; il n'est donc pas douteux que c'est le tribunal de police, devant lequel le fait est porté, qui appliquera toutes les peines comminées par cet article.

M. J. Jouret. - Je pense qu'il en est réellement ainsi ; mais en faisant mon observation, j'ai voulu simplement faire disparaître un doute qui pouvait naître des paroles de l'honorable M. Vilain XIIII.

MpVµ. - M. le ministre insiste-t il ?

MjTµ. - Non, M. !e président.

M. Kervyn de Lettenhove. - C'est ici, messieurs, qu'en tenant compte des devoirs spéciaux du père et de la mère et de l'abus qu'ils pourraient faire de la puissance dont ils sont investis, je voudrais modifier le second paragraphe de l'article 6 et dire : « La peine pourra être portée au double s'il y a récidive ou si celui qui a fait mendier l'enfant est le père, ou la mère en cas de décès ou d'absence du père. »

Il me semble incontestable que le pire et la mère sont plus coupables qu'un étranger qui ferait mendier un enfant.

- L'amendement est appuyé.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, il me paraît que l'article 5, en donnant au juge du tribunal correctionnel la faculté de prononcer un emprisonnement de huit jours au moins et d'un mois au plus pour la première condamnation, et une peine double en cas de récidive, donne au juge assez de latitude pour aggraver la peine, lorsque c'est le père ou la mère qui fait mendier l'enfant. Je ne puis donc pas me rallier à la proposition de l'honorable M, Kervyn.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, je comprends parfaitement que le juge a un droit d'appréciation et qu'il en fera le plus souvent un excellent usage ; (erratum, page 911) mais lorsque le législateur se préoccupe du devoir de prévenir la fainéantise et l'oisiveté chez l'enfant, il est conforme à votre désir et aux principes les plus sages, que le père ou la mère, usant de leur autorité, non pas seulement pour tolérer, mais aussi pour exciter la fainéantise et la mendicité chez l'enfant, soient réprimés plus sévèrement. La loi ne peut pas garder le silence à cet égard ; car on pourrait considérer ce silence de la loi comme une preuve qu'il n'y a aucune différence entre le fait d'excitation à la mendicité, dont se rend coupable un étranger et le même fait dont se rendent coupables le père et la mère de l'enfant, c'est-à-dire ceux que le devoir oblige de le détourner de ces funestes habitudes.

MjTµ. - Messieurs, il pourra se présenter certainement des cas où le père et la mère seront plus coupables que des étrangers ; mais il peut arriver aussi que leur faute sot moins grave et alors il n'y aurait pas lieu de comminer une peine plus forte. Il y a des individus qui débauchent des enfants pour les faire mendier. Croyez-vous que ceux-là ne soient pas plus coupables même que les pères et les mères ? On peut, selon moi, les maintenir sur la même ligne ; comme l'a dit l'honorable M. Dewandre, le juge appréciera les circonstances et il peut arbitrer une peine suffisante dans les limites de huit jours à un mois, et deux mois en cas de récidive.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, en présence des observations présentées par l'honorable rapporteur et des explications données par M. le ministre de l'intérieur, je retire mon amendement.

- La discussion est close sur l'article 6 nouveau.

MjTµ. - Messieurs, il y a peut-être une lacune dans ces articles, il faudrait, je crois, permettre au juge de réduire les peines lorsqu'il existera des circonstances atténuantes. Ce point sera examiné avant le second vote.

- L'article 6 nouveau est mis aux voix et adopté.

Article 7 nouveau (ancien troisième paragraphe du projet de la section centrale)

« Si l'individu poursuivi dans les cas prévus par les deux articles précédents est indigent et n'est pas valide, il ne pourra être condamné que si le procès-verbal est visé par le bourgmestre du lieu où le fait aura été constaté. »

L'article 7 nouveau est mis aux voix et adopté.

Article 8 nouveau (ancien article 3 du projet du gouvernement)

« Art. 8. L'autorisation requise par le paragraphe premier de l'article premier de la loi du 3 avril 1848 ne pourra être accordée que par le collège des bourgmestre et échevins de la commune du domicile de secours. »

M. Magherman. - Messieurs, il y a, me paraît-il, une erreur matérielle dans la rédaction de cet article. Ce n'est pas le paragraphe premier de la loi du 3 avril 1848 qui doit être visé, mais c'est le paragraphe 2.

Voici ce que porte le paragraphe premier :

« Les dépôts de mendicité continueront à recevoir, conformément aux lois en vigueur, les individus condamnés du chef de mendicité ou de vagabondage à l'expiration de leur peine. »

Voici maintenant le second paragraphe :

« Quant aux individus non condamnés qui se présenteraient volontairement aux dépôts, ils n'y seront admis à l'avenir que pour autant qu'ils soient munis de l'autorisation, soit du collège des bourgmestre et échevins du lieu de leur domicile de secours, soit du collège des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence. »

C'est évidemment le paragraphe 2 qu'il faut viser. Mais il vaudrait mieux insérer le sens de la disposition, visée elle-même dans la loi nouvelle et de la rendre claire sans obliger de recourir à une autre loi.

Ainsi, l'on pourrait dire : « L'autorisation requise pour admettre ceux qui se présentent volontairement aux dépôts de mendicité ne pourra être (page 896) accordée que par le collège des bourgmestre et échevins de la commune du domicile de secours.

Ce sera beaucoup plus clair. Cette loi doit être appliquée tous les jours par les bourgmestres, et on ne doit pas les obliger à aller consulter à tout moment le bulletin des lois dans une bibliothèque qu'ils n'ont pas constamment sous la main.

M. de Naeyer. - Messieurs, je ne pense pas que la rédaction proposée par l'honorable M. Magherman puisse être adoptée, parce que, suivant l'article qui a été cité par l'honorable membre, l'autorisation d'admettre un individu non condamné dans un dépôt de mendicité peut être accordée non seulement par les administrations communales, mais encore à défaut de ces administrations, et dans certains cas, par les gouverneurs, par les députations permanentes, et même par les commissaires d'arrondissement.

Or, avec la rédaction proposée, on enlèverait à toutes ces autorités le pouvoir d'autoriser l'admission d'individus non condamnés, puisque cette autorisation ne pourrait plus être accordée que par l'administration communale du domicile de secours. Toutefois, je pense qu'il y a lieu de faite droit à l'observation parfaitement juste présentée par l'honorable M. Magherman ; c'est-à-dire que quand on fait une loi, il importe que le texte soit assez complet, pour qu'on puisse la comprendre, sans recourir à d'autres lois.

Voici une rédaction que je proposerai dans ce but :

« L'administration d'une commune autre que celle du domicile de secours ne peut autoriser l'admission d'un individu non condamné dans un des établissements mentionnés à l'article premier de la loi. »

De cette manière, on laisserait intact le pouvoir qui est attribué par la loi du 3 avril 1848 aux gouverneurs, aux députations permanentes, et dans certains cas aux commissaires d'arrondissement.

On ne ferait cesser que celui qui est donné aujourd'hui aux administrations communales autres que celle du domicile de secours.

M. Magherman. - Il me semble que l'article en discussion a eu pour but d'exclure toute autre autorité que celle du collège échevinal du domicile de secours.

MjTµ. - Le projet de loi n'a pas la portée que lui donne l'honorable M. Magherman. Le projet de loi n'a voulu que modifier le paragraphe 2 de l'article premier de la loi du 3 avril 1848, qui est ainsi conçu :

« Quant aux individus non condamnés qui se présenteront volontairement aux dépôts, ils n'y seront admis à l'avenir que pour autant qu'ils soient munis de l'autorisation, soit du collège des bourgmestre et échevins du lieu de leur domicile de secours, soit du collège des bourgmestre et échevins de la localité où ils se trouvent ou dans laquelle ils ont leur résidence. »

Cet article a donné lieu à certains abus. Les administrations des communes où résident des indigents, dont le domicile de secours est dans d'autres communes, les envoient avec une grande facilité aux dépôts de mendicité parce qu'elles n'ont rien à payer ; c'est pour remédier à cet état de choses que le projet de loi propose de ne plus admettre l'alternative des autorités de la commune où le pauvre a son domicile de secours ou des autorités de la commune où le pauvre a sa résidence, et décide que l'autorisation ne pourra être donnée que par le collège des bourgmestre et échevins de la commune du domicile de secours, mais le projet n'abroge que le paragraphe 2 et non le paragraphe 3 qui dit : « En cas de relfs non fondé de l'administration communale, l'autorisation pourra être accordée par la députation permanente, et, s'il y a urgence, par le gouverneur de la province ou le commissaire d'arrondissement auquel ressortit le lieu du domicile de secours des indigents, celui de leur résidence ou la localité dans laquelle ils se trouvent. »

Ce paragraphe reste entier dans l'esprit du projet de loi et il doit rester, parce que, sans cela, il dépendrait de la commune, lieu du domicile de secours, d'empêcher toute espèce de répression.

Je ne fais pas d'opposition à la modification proposée par l'honorable M. de Naeyer, qui rend tout à fait mon idée et qui inscrit la disposition dans la loi, au lieu de renvoyer à la loi du 3 avril 1848.

M. Magherman. - Je me rallie à la rédaction proposée par l'honorable M. de Naiyer.

M. Delaetµ. - Messieurs, avant qu'on ne vote l'article en discussion, je désirerais introduire un article nouveau qui devrait précéder celui- ci parce qu'il appartient à l'ordre des pénalités indiquées par la loi.

Eu relisant le projet du gouvernement et le rapport de la section centrale, j'ai été étonné que ni l'un ni l'autre n'eût fait attention à un cas de mendicité des plus révoltants. Ce cas se produit surtout dans les grandes villes : la location d'enfants en bas âge à des mendiants de profession. Ces enfants sont horriblement torturés par des femmes qui leur sont étrangères et les louent à prix d'argent : elles leur enfoncent des épingles, elles les pincent, elles les rendent malades de toute façon. Ce cas n'est pas prévu par la loi qui nous est soumise. C'est un des moyens de mendicité les plus usuels dans les grandes villes, en même temps qu'un des plus barbares et, je le répète, des plus révoltants.

Je crois que, puisque nous faisons une loi pour réprimer la mendicité en tant qu'elle est illicite, nous devons surtout réprimer les actes d'inhumanité flagrante, les actes de révoltante barbarie qui se produisent à l'occasion de la mendicité.

Dans cette pensée, j'ai rédigé un article nouveau ainsi conçu :

« Quiconque sera convaincu d'avoir donné ou pris en location ou en prêt des enfants en bas âge pour les faire servir à la mendicité comme appâts à la commisération publique, sera puni d'un emprisonnement de six mois à un an et d'un à deux ans en cas de récidive. »

Je crois, messieurs, que je n'ai pas besoin de développer cet amendement devant la Chambre. Je n'ai qu'à faire appel aux sentiments d'humanité qui animent cette assemblée, qui animent tout le pays.

Ceux d'entre nous qui habitent les grandes villes ont souvent été révoltés des tortures que l'on fait subir à ces pauvres innocents.

Quant à moi, dans ma ville natale, à Anvers, je connais des rues entières où l'on fait ce commerce de chair humaine, de chair blanche.

L'Europe entière s'intéresse au sort des esclaves noirs. Empêchons donc autant que possible que dans notre pays, sous nos yeux, on ne crée des esclaves blancs en soumettant à des tortures continuelles des enfants qui sont nos compatriotes et à qui nous devons protection. Je ne crois pas devoir insister pour faire combler dans la loi cette grande lacune, il doit suffire de la signaler à cette assemblée.

MjTµ. - Messieurs, il m'est impossible de m'expliquer immédiatement sur l'amendement qui vient d'être proposé. J'en demande l'impression et le renvoi à la section centrale.

- La proposition de M. le ministre de la justice est adoptée.

MjTµ. - Il reste à voter sur l'article 8 amendé comme le propose l'honorable M. de Naeyer.

- L'article est adopté.

Article 4 (devenu article 9)

« Art. 4 ancien (9 nouveau). Les mendiants ou vagabonds invalides ou âgés de moins de quatorze ans, traduits devant le tribunal de simple police, seront, en cas de conviction, renvoyés à la disposition du gouvernement pendant un terme qui n'excédera pas six mois pour la première infraction, et deux ans en cas de récidive.

« Ils seront placés dans un dépôt de mendicité, dans un établissement de bienfaisance ou dans une école de réforme. »

MpVµ. - A cet article se rattache un amendement proposé par l'honorable M. Thonissen et consistant à ajouter à l'article la disposition suivante :

« Ils pourront aussi être placés dans un établissement communal ou particulier avec lequel le gouvernement aura contracté. »

Quelqu'un veut-il développer l'amendement en place de M. Thonissen qui est absent ?

M. de Theuxµ. - L'honorable M. Thonissen l'a développé suffisamment dans la discussion générale. M. le ministre de la justice a déclaré qu'en tant qu'il s'agissait d'une simple faculté, il était disposé à admettre cet amendement. Je demande s'il persévère dans cette intention.

MjTµ. - L'honorable M. Thonissen a, en effet, développé son amendement dans la discussion générale et j'ai déclaré qu'à première vue, je ne voyais pas de difficulté à l'adopter.

Cependant, messieurs, après y avoir réfléchi, je me demande s'il ne présenterait pas certains inconvénients. Il s'agit de donner au gouvernement l'autorisation de traiter de la main à la main avec des établissements communaux ou particuliers et de lier ainsi les communes qui devraient, elles, payer le prix convenu.

Vous savez, messieurs, que le gouvernement, avant de contracter doit en règle générale recourir à l'adjudication publique. C'est une garantie pour tout le monde, garantie pour l'Etat, garantie pour le ministre lui-même.

Ici ce mode de l'adjudication publique n'est pas possible, il s'agirait donc de traités faits de la main à la main, traités qui ne lieraient pas seulement le gouvernement, mais qui lieraient aussi des tiers, qui lieraient les communes qui auraient des indigents dans ces établissements.

(page 897) Je croîs que ce mode de procéder aurait des inconvénients. Quant à moi, c'est une faculté que je ne désire pas et dont je n'userai pas. Je crois qu'il faut se borner aux établissements où la journée d'entretien est fixée par le gouvernement sur l'avis de la députation permanente.

M. de Theuxµ. - Je crois que l'intention de M. Thonissen n'était pas du tout d'aggraver les charges des communes ; il voulait, au contraire, diminuer les charges de la commune.

Si j'ai bien compris M. le ministre de la justice, il a déclaré qu'il n'userait pas de la faculté que l'amendement donnerait au gouvernement. Seriez-vous satisfait, M. le ministre, si l'on ajoutait : « Sans pouvoir aggraver les charges de la commune ? »

MjTµ. - On ne peut pas admettre cela. « Sans aggraver les charges de la commune » ; mais où sera le point de comparaison ? Les journées d'entretien varient chaque année, elles ne sont pas les mêmes dans tous les établissements, elles diffèrent de province à province.

Du reste, lorsque les communes ont des indigents à faire entretenir, je ne crois pas qu'il y ait inconvénient à ce qu'elles s'en chargent elles-mêmes. Pourquoi l'intervention du gouvernement traitant pour les communes et liant les communes ? S'il y a des établissements publics où les communes placeront les pauvres à meilleur marché ; eh bien, elles pourront le faire. Le gouvernement ne l'empêchera pas. Aujourd'hui même, j'ai vu que la commune de Jambes a traité avec l'hospice de Namur pour y envoyer ses pauvres.

Elle a demandé l'autorisation au gouvernement ; j'ai répondu que cette autorisation n'est pas nécessaire.

M. de Theuxµ. - D'après les explications que vient de donner M. le ministre de la justice, je crois remplir les intentions de M. Thonissen en retirant l'amendement, ce qu'il m'a autorisé à faire.

M. Kervyn de Lettenhove. - Messieurs, vous avez voté hier un amendement de l'honorable M. Schollaert, qui tient compte des nécessités exceptionnelles qui peuvent porter quelquefois nu malheureux à mendier ; ce cas se présentera surtout et dans les circonstances les plus légitimes lorsqu'il s'agira d'individus non valides, mais alors il en résultera aussi que l'autorité communale n'a pas rempli son devoir, puisque la loi communale, dans ce cas-là, renferme une prescription formelle. N'y aurait-il pas avantage à ajouter à la fin de l'article une disposition conçue à peu près en ces termes : (addendum, page 911) :

« Toutes les fois qu'un jugement constatera que l'individu non valide, prévenu de vagabondage ou de mendicité, se trouve par son âge ou par ses infirmités hors d'état de subvenir à ses besoins, un extrait de ce jugement sera adressé pour information à la députation permanente de la province du domicile de secours, qui avisera conformément aux articles 131 et 133 de la loi communale.

« Cette disposition rappellerait aux autorités communales leurs devoirs, afin que ce fait si regrettable de la mendicité et du vagabondage d'individus affaiblis par l'âge ou les infirmités, se présente le plus rarement possible. »

Cette disposition rappellerait aux autorités communales leurs devoirs, afin que ce fait si regrettable de la mendicité et du vagabondage d'individus sans ressources, se présente le plus rarement possible.

MjTµ. - Ce qui produira beaucoup plus d'effet sur les communes que les lettres qu'on leur écrirait, c'est qu'elles devront payer.

M. Kervyn de Lettenhove. - Je n'insiste pas.

- L'article primitif est mis aux voix et adopté.

Article 5 (devenu article 10)

« Art. 10 (5 ancien). Par dérogation aux articles 1 et 9 ci-dessus, les mendiants et vagabonds, placés dans les écoles de réforme, pourront y être retenus jusqu'à l'époque où ils auront accompli leur vingtième année. »

M. Funckµ. - Messieurs, je proposerai d'ajouter à l'article 5 les mots suivants :

« ... à moins, toutefois, qu'ils ne soient réclamés par un membre de leur famille ou par l'administration communale du lieu de leur résidence. »

Voici, messieurs, les motifs qui m'ont déterminé à proposer cet amendement.

La disposition de l'article 5 est une disposition excessivement grave par les conséquences qu'elle peut avoir. Il peut en résulter qu'un enfant de 11 ans condamné à deux mois de détention, pour mendicité, soit retenu ensuite jusqu'à l'âge de 20 ans, c'est-à-dire pendant 9 ans, dans une école de réforme.

Je sais bien que le l'us souvent c'est dans le plus grand intérêt de l'enfant, qu'il reste à l'école de réforme ; cependant il ne faut pas oublier non plus les droits du père de famille ; or, quand un enfant pris en flagrant délit de mendicité ou de vagabondage a été condamné et a subi sa peine, il peut arriver que le père, qui à certaine époque a abandonné cet enfant, revienne à meilleure fortune ; il peut arriver aussi que l'administration communale ait le moyen de l'employer utilement ; il me semble qu'il y aurait barbarie à le retenir pendant 9 ans, dans de telles circonstances et malgré sa famille.

MpVµ. - L'amendement a été développé. Il est appuyé et il fait partie de la discussion.

Il formerait un article 10 nouveau.

MjTµ. - Je demanderai le renvoi à la section centrale, car à première vue, l'amendement de l'honorable M. Funck ne me paraît pas pouvoir être adopté.

Je ne sais pas ce que l'honorable M. Funck entend par la peine.

M. Funckµ. - La peine comminée par l'article 2.

MjTµ. - L'article 2 ne commine pas de peine.

Pour les invalides et les enfants de moins de quatorze ans, il y a constatation d'un fait et mise à la disposition du gouvernement. On n'a pas voulu, dans ce cas, qu'il y eût une peine. C'est, en quelque sorte, un acte d'humanité que le gouvernement accomplit à leur égard.

La disposition de l'article 5 est toute dans l'intérêt des enfants.

On ne peut admettre que le premier parent venu, ni même le père, pourra réclamer l'enfant lorsqu'il n'offre pas les garanties nécessaires.

Il faut qu'il y ait une autre autorité que celle des parents.

Tous les jours il arrive que des parents réclament leurs enfants. On fait une enquête, on s'adresse à l'autorité provinciale et à l'autorité communale et lorsque les parents présentent des garanties, lorsqu'on peut espérer qu'ils prendront plus de soin de leur enfant, qu'ils lui donneront une éducation plus convenable, l'administration accueille leur demande, mais lorsqu'on est sûr à l'avance que les mêmes faits qui ont amené l'enfant à l'école de réforme ou dans le dépôt de mendicité vont se reproduire, l'autorité, que la loi a chargée de remplacer les parents, ne peut leur rendre l'enfant envers lequel ils ont fait preuve de la plus coupable incurie.

Il est donc nécessaire de maintenir la faculté qu'a le gouvernement de retenir l'enfant jusqu'à ce qu'il soit réclamé par des personnes qui présentent toutes les garanties nécessaires.

M. Orts. - Messieurs, puisqu'on paraît disposé à soumettre à un examen ultérieur l’idée émise par l'honorable M. Funck, je me permettrai de déposer un sous- amendement pour le cas où l'amendement viendrait à être adopté par la Chambre.

Je crois que la faculté que l'honorable M. Funck veut, dans un but d'humanité, réserver à la famille ne peut être accordée sans que la société qui a, par mesure d'utilité publique, dépouillé le père pendant un certain temps de son autorité sur son enfant et cela dans l'intérêt de l'enfant, sans que la société, dis-je, prenne des garanties suffisantes.

Je demande donc qu'on ajoute, à l'amendement de l'honorable M. Funck, pour le cas où il serait adopté, ces mots :

« Cette autorisation ne sera jamais accordée si l'enfant ne sait lire et écrire et ne possède les éléments de calcul enseignés à l'école primaire. »

- Le sous-amendement est appuyé. Il fait partie de la discussion.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Je ne veux faire qu'une seule observation, c'est qu'une disposition analogue à celle qui permet de retenir jusqu'à l'âge de 20 ans, les mendiants et les vagabonds dans une école de réforme se trouve déjà dans le code pénal.

D'après l'article 66 de ce code :

« Lorsque l'accusé aura moins de 16 ans, s'il est décidé qu'il a agi sans discernement, il sera acquitté ; mais il sera, selon les circonstances remis à ses parents ou conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu pendant un tel nombre d'années que le jugement déterminera, et qui toutefois ne pourra excéder l'époque où il aura accompli sa vingtième année. »

Donc l'enfant de moins de 16 ans, qui aura agi sans discernement, peut être renvoyé non pas à l'école de réforme, mais dans une maison de correction et y être détenu jusqu'à sa 21ème année.

Eh bien, dans le cas actuel le fait qui donne lieu à la détention de l'enfant est plus grave qu'un crime ou un délit commis sans discernement, car le crime ou le délit commis sans discernement n'implique aucune culpabilité de la part de l'enfant ; l'enfant mendiant ou vagabond ne sera au contraire envoyé dans une école de réforme que quand il aura besoin d'être réformé, et il n'y sera maintenu que le temps nécessaire pour le réformer.

En présence de l'article 66 du Code pénal, il me paraît qu'on peut facilement admettre le maintien des dispositions actuellement en vigueur sur la mendicité et le vagabondage, quant aux personnes âgées de moins de vingt ans accomplis. Nous le pouvons d'autant mieux que nous, sommes tous d'accord pour reconnaître que les résultats obtenus jusqu'à présent par les écoles de réforme ont été excellents.

M, Funckµ. - Quant à la première observation faite par M. le ministre de la justice, elle est fort juste.

Au lieu du mot « peine, » je devrais dire : « la détention déterminée par l'article 4. » Je modifie donc mon amendement dans ce sens. Quant au second argument de M. le ministre de la justice, je ne puis l'admettre.

(page 898) M. le ministre dit : Nous ne pouvons autoriser le premier parent venu à réclamer l'enfant.

Je pense que lorsque vous avez déterminé dans la loi un mode de répression qui ressemble fort a une pénalité, et lorsque l'individu a subi cette pénalité, ce n'est rien de trop que de permettre à ses parents de le réclamer, et de le faire rentrer dans le droit commun.

Quant au sous-amendement de l'honorable M. Orts, je m'y rallie et je l'accepte très volontiers.

En ce qui concerne l'argument de l'honorable M. Dewandre et qui consiste à dire que, d'après une disposition analogue du Code pénal, l'enfant prévenu d'avoir commis un crime ou un délit peut être envoyé dans une maison de correction jusqu'à sa majorité, lorsqu'il est constaté qu'il a agi sans discernement, il est évident pour tout le monde que cet enfant se trouve dans une situation tout autre que celui qui a commis une contravention de simple police.

Cet enfant, quoique ayant agi sans discernement, n'en a pas moins commis un crime ou un délit qui, s'il eût agi avec discernement, l'eût exposé à une peine excessivement grave.

Il ne serait donc pas équitable de mettre sur la même ligne l'enfant qui aurait commis un meurtre, par exemple, sans discernement et celui qui aurait tendu la main par nécessité ou parce que ses parents l'y auraient poussé.

Je ne m'oppose nullement, du reste, à ce que ma proposition soit renvoyée à la section centrale.

M. Coomans. - J'adhère au principe de l'amendement de l'honorable M. Funck.

La législation moderne et particulièrement la nôtre a déjà beaucoup réduit les droits de la puissance paternelle. Il me semble que nous devons y regarder à deux fois avant de les diminuer encore.

L'absorption des droits paternels par l'Etat au nom de la société, et toujours sous le prétexte du bien-être de l'enfant, peut mener loin.

Il me paraît qu'on n'est pas toujours très conséquent en cette matière.

Je désire moi que la puissance paternelle soit aussi étendue que possible, et que la société n'intervienne jamais que dans les cas d'humanité et de justice. Je ne vois pas pourquoi on n'accepterait pas la réserve que vient de formuler l'honorable M. Funck.

Je ne saisis pas la portée du sous-amendement de l'honorable M. Orts. Si j'ai bien compris, la distinction serait au profit des enfants qui sauraient lire et écrire.

M. Orts. - Je ne veux pas qu'on accorde à un père de famille la faculté de reprendre son enfant quand il n'aura pas reçu à l'école une éducation suffisante.

M. Coomans. - Je croyais qu'il ne s'agissait que de l'enfant, mais il s'agit, paraît-il, du père ou de la mère, cela me paraît assez grave encore. Si M. Orts avait demandé que l'enfant sût lire et écrire...

M. Orts. - Mais c'est-cela que je demande.

M. Coomans. - J'avais mal compris votre explication. Vous demandez donc que l'enfant sache lire et écrire afin de pouvoir jouir du bénéfice de l'amendement.

Je n'y vois pas grand mal, mais il me paraît que pour être logique il faudrait aller beaucoup plus loin et exiger que le père et la mère sachent lire et écrire.

La lecture et l'écriture sont plus indispensables pour le maître que pour l'esclave, et à plus forte raison pour le père que pour l'enfant qui n'a que le droit d'obéir.

Les précautions que veut prendre M. Orts devraient être prises du côté des parents plutôt ou en même temps que du côté de l'enfant.

M. Orts. - Proposez qu'on mette le père en prison.

M. Coomans. - Ce n'est pas moi qui sortirai jamais des voies de la liberté. Mais je tiens à démontrer que certaines tendances dites libérales n'ont pas toujours ce caractère. Il semble libéral d'accorder des faveurs aux petits savants, aux petits savants qui connaissent l'a b c. mais en avançant dans cette voie nous créerions positivement une législation chinoise dans l'Europe occidentale.

Nous substituerions sons un prétexte littéraire une aristocratie de pédants a l'aristocratie des armes, à l'aristocratie bourgeoise, à toutes les aristocraties qui figurent dans l'histoire du monde. Je ne suis pas disposé du tout, quant à moi, à accorder des avantages quelconques aux enfants, aux parents, aux citoyens qui savent lire et écrire.

M. Vleminckxµ. - Vous préférez les accorder aux riches !

M. Coomans. - Je crois qu'on ne peut pas me reprocher d'avoir souvent accordé des avantages aux riches.

Savoir lire et écrire est déjà un assez grand avantage, ceux qui possèdent ces connaissances figurent déjà parmi les privilégiés de la société, de même que les riches, car être riche c'est déjà un avantage.

L'honorable M. Vleminckx me dit : Vous préféreriez peut-être avantager les riches que les gens instruits. Point. Je ne veux avantager ni l'un ni l'autre ; je ne veux pas avantager les savants ou ceux qui passeraient pour tels, parce que, de même que les riches, ils ont déjà assez d'avantages. La tendance que l'on manifeste sous ce rapport, et je ne suis pas fâché de pouvoir préventivement protester contre elle, c'est une très mauvaise tendance que de vouloir créer cette sorte de privilège nouveau qui serait basé sur l'instruction.

- Une voix à gauche. - C'est pour encourager l'instruction.

M. Coomans. - J'ai entendu dire qu'il était question dans les sphères gouvernementales d'accorder de grands avantages aux miliciens qui sauraient lire et écrire.

Ce serait s'appesantir encore sur le malheur, ce serait excommunier les malheureux de tous les avantages sociaux. C'est plutôt le contraire que nous devrions faire, mais le mieux serait de rester dans le droit commun pour tous. Ne créons pas des avantages en faveur des gens instruits, n'en créons pas en faveur des riches ; l'instruction et la richesse sont des puissances qui sont toujours assez avantagées par elles-mêmes-

M. Guillery. - Il me semble que l'honorable préopinant ne comprend pas le caractère de la proposition que vient de faire l'honorable M. Orts et en général des différentes propositions qui se sont produites dans cette Chambre et dans les sections au sujet de l'enseignement primaire et des encouragements à donnera l'enseignement primaire.

M. Coomans. - Pas de privilèges !

M. Guillery. - M. Coomans ne veut pas de privilèges ; les lettrés, dit-il, par cela seul qu'ils sont lettrés, jouissent déjà d'assez grands avantages sur les ignorants ; c'est déjà un assez grand avantage pour eux que d'avoir des connaissances qui les placent au-dessus des ignorants. Mais messieurs, tel n'est pas le sens de la proposition qui nous est faite. Quel est le but de cette proposition ? D'encourager le peuple à apprendre à lire et à écrire, de pousser au développement de l'enseignement primaire.

L'enseignement primaire est nécessaire au peuple, il faut le propager pour tirer le peuple de la misère et de l'ignorance, cette triste maladie morale ; ce sentiment a fait rechercher les moyens d'y parvenir. Les meilleurs esprits ont défendu l'enseignement obligatoire en sanctionnant même l'obligation par l'amende et la prison. Vous avez vu récemment dans un pays voisin une des plus brillantes discussions développer ce principe des esprits véritablement supérieurs, indiquer ce moyen comme le seul remède contre l'ignorance.

Ce moyen n'est pas le mien, je le déclare ; mais à côté de cette doctrine si absolue, il s'en est produit une autre. On a dit : Ne pouvons-nous pas répandre l'enseignement primaire en respectant davantage la liberté ; ne pouvons-nous pas le propager sans employer l'amende et la prison, mots terribles, moyens de contrainte qui répugnent ? Un moyen bien naturel se présente, c'est de montrer au peuple les bienfaits de l'instruction.

Si les pauvres ouvriers connaissaient les avantages de l'instruction, ils courraient à l'enseignement comme ils courent à l'incendie quand leur maison est en feu ; ils viendraient supplier les instituteurs de recevoir leurs enfants, ils mettraient à faire aller leurs enfants à l'école le zèle qu'ils mettent à défendre leur petit patrimoine quand ils en ont. C'est ce moyen auquel on a eu recours en sections en ce qui concerne la milice. On a dit aux parents : si vous voulez que vos enfants jouissent de certaines faveurs, donnez-leur un enseignement primaire.

L'amendement de M. Orts est dans cet ordre d'idées. Afin d'utiliser le temps pendant lequel les enfants travaillent dans les écoles de réforme et sont privés de leur liberté, afin d'utiliser le temps pendant lequel les parents ont été pour ainsi dire expropriés de leur autorité sur leurs enfants, afin de stimuler leur zèle on dit : Ils ne pourront être rendus à leurs parents que lorsqu'ils sauront lire et écrire. Est-ce là consacrer un privilège au profit des lettrés ?

M. Coomans. - Oui ! oui !

M. Guillery. - Mais je ne vois pas à qui cela fera du tort. Vous ferez tout simplement que cet enfant, qui peut-être n'aurait pas travaillé, qui peut-être aurait mis de la mauvaise volonté à apprendre, y apportera au contraire un zèle soutenu quand il verra la récompense à côté du travail, quand il saura que, s'il sait lire et écrire, la liberté est là comme récompense de ses efforts.

Il ne s'agit donc nullement de faire tort à qui que ce soit mis de donner (page 899) un encouragement à l'instruction primaire et à coup sûr l'idée que cherche à réaliser l'honorable M. Orts est la plus généreuse, la plus large, la plus pratique, la plus charitable, la plus avantageuse pour le pauvre, la plus démocratique dans l'acception la plus large, la plus généreuse de ce mot.

M. Bara. - Je ne crois pas qu'il puisse s'agir d'aucune espèce d'encouragement à l'instruction primaire.

M. de Naeyer. - C'est une garantie.

M. Bara. - C'est une garantie et voilà tout. C'est pourquoi si l'amendement de l'honorable M. Orts était admis, il faudrait le modifier et voici comment.

Deux cas peuvent se présenter : ou l'enfant arrêté en état de mendicité ou de vagabondage sait lire et écrire ou il est complètement illettré. Evidemment il est infiniment plus coupable dans le premier cas que dans le second et le gouvernement aura certainement le droit et le devoir de le maintenir plus longtemps dans une école de réforme précisément à raison du caractère spécial du délit.

Il est certain que l'enfant savant, pour me servir d'un mot, il faut le dire un peu ambitieux dans l'espèce, employé par l'honorable M. Coomans ; il est certain, dis-je, que l'enfant ayant quelques connaissances, s'il est pris en état de vagabondage ou de mendicité, est plus coupable que l'ignorant, et dès lors pourquoi vouloir lui accorder la faveur de rentrer plus tôt qu'un autre dans sa famille ? Il faut au contraire que le gouvernement le tienne sous la main.

M. Orts. - Il fera ce qu'il voudra.

M. Bara. - Mais non, puisque, d'après votre article, le gouvernement sera forcé de restituer l'enfant à sa famille si celle-ci ou le conseil communal le demande.

M. Funckµ. - Après l'expiration de la détention à laquelle il a été condamné par le juge de paix.

M. Bara. - Il ne s'agit pas de cela. Voici ce qui va arriver, un enfant de 13 ou 14- ans, sachant lire, écrire et calculer, mendie ; c'est une nature mauvaise, dépravée, il faut que le gouvernement l'ait sous la main. (Interruption.) Je dis qu'accorder à celui-ci une faveur qu'on refuse à l'enfant illettré est tout à fait injuste.

Mais je comprends que l'amendement de l'honorable M. Orts soit admis dans l'hypothèse que voici : un enfant ne sachant ni lire ni écrire est pris en flagrant délit de mendicité et de vagabondage ; je comprends que vous disiez pour celui-là que la famille ou l'autorité communale ne pourra le réclamer avant qu'il ait recueilli dans l'école les éléments de la lecture et de l'écriture, parce que, dans de telles conditions, les connaissances qu'il aura acquises seront une garantie de bonne conduite pour l'avenir. On le relâchera non pas pour accorder un encouragement à l'instruction primaire, mais parce qu'il offrira une garantie que, rentré la société, il ne se livrera plus à la mendicité.

Je prierai donc la section centrale de vouloir bien examiner à ce point de vue l'amendement de l'honorable M. Orts, sur lequel, du reste, je m'abstiens de me prononcer en ce moment.

MjTµ. - Messieurs, ne cédons pas trop facilement à la manie de tout changer sans raisons sérieuses. La disposition de l'article 5 se trouve dans la législation actuelle.

De toutes les institutions créées pour la répression du vagabondage et de la mendicité, les écoles de réforme sont celles qui ont produit les meilleurs résultats. L'application qui a été faite de la loi et notamment des dispositions dont nous nous occupons en ce moment n'a jamais donné lieu à la moindre réclamation. Pourquoi donc vouloir la modifier ?

Avez vous un reproche quelconque à faire quant à l'application que la loi a reçue ? Quels sont vos griefs ? Vous n'en avez pas, et cependant vous venez demander des changements que rien ne justifie.

Quand un enfant est condamné pour vagabondage ou pour mendicité, c'est la preuve manifeste que ni ses parents ni l'autorité communale n'ont rempli envers lui les devoirs que la nature et la loi leur imposent ; ils ont prouvé par là qu'ils sont incapables de remplir ces devoirs. Eh bien, il faut, dans ce cas, faire passer en des mains plus fermes l'autorité qu'ils n'ont pas su exercer ; et quelle est cette autorité, messieurs ? C'est le gouvernement qui, par cela même, est tenu de soumettre cet enfant à une surveillance que ses parents et l'autorité locale n'ont pas su exercer.

Maitenant, n'y a-t-il pas de raison impérieuse qui exige que cette détention soit assez longue ? On a parlé de la question d'instruction ; mais il y a autre chose encore : il y a par exemple la question d'apprentissage qui a certainement son importance. Or, si vous donnez aux parents ou à la commune le droit de réclamer l'enfant, mais il est probable que celle-ci du moins ne manquera pas d'user de ce droit pour se soustraire à la dépense qui lui incombe ; et nous verrons alors rentrer dans la société une foule de petits vagabonds et de mendiants, aussi mauvais qu'à leur arrivée à l'école de réforme.

Il faut donc laisser au gouvernement, - qui, d'ailleurs, n'a jamais abusé de cette faculté, - la liberté de juger si un individu en sortant de l'école de réforme sera oui ou non un citoyen utile à la société, s'il pourra subvenir à tous ses besoins ou si, au contraire, on ne s'exposera pas, en le relâchant, à devoir lui faire subir bientôt une nouvelle détention.

Je demande donc, messieurs, qu'on maintienne purement et simplement l'article 5 qui, je le répète, existe dans notre législation et qui, loin de provoquer aucune réclamation, a, au contraire, produit les meilleurs résultats.

M. Coomans. - Les honorables MM. Tesch et Bara viennent d'abréger de beaucoup la réplique que j'avais à faire aux honorables MM. Orts et Guillery.

Je conçois que l'autorité supérieure abrège la durée de la détention d'après l'état de l'intelligence et de la moralité de l'enfant.

M. Van Overloopµ. - De la moralité surtout.

M. Coomans. - De la moralité surtout, comme on le fait remarquer avec beaucoup de raison à côté de moi.

Ainsi, je tiens compte de la pensée de l'amendement de l'honorable M. Orts. Cet amendement se trouve au fond de l'article en discussion. Mais ce à quoi je m'oppose et de toutes mes forces, c'est à ce précédent, à ce mauvais précédent d'assurer une sorte de privilège à l'instruction.

Je sais bien que, pour le cas présent, ce serait peu de chose : il paraît très simple d'accorder un petit encouragement à l'enfant qui désirerait sortir de la maison de réforme ; je comprends qu'on soit tenté de lui dire : Vous ne sortirez que quand vous saurez lire et écrire. Cela paraît tout simple ; mais au fond cela est très grave, car il y a là-dessous uu grand principe qu'on ne s'est déjà que trop appliqué à étendre.

Ainsi, on veut l'étendre par exemple aux miliciens ; on dira aux miliciens : Vous n'aurez pas de congé si vous n'êtes pas lettrés, si vous n'êtes instruits, d'après les formules gouvernementales. Eh bien, je dis, messieurs, que c'est le retour à l'esclavage sous une forme nouvelle. (Interruption.)

L'esclavage n'est que la cruelle application du privilège. Je suis très saisi d'une chose, messieurs, dans la lecture de l'histoire : c'est la tendance et la facilité qu'ont deux puissances de ce monde, - l'épée et la plume, - de prédominer, de se créer des privilèges et d'exister aux dépens des faibles et des sots.

M. Bouvierµ. - Et des ignorants !

M. Coomans. - Comme vous dites. L'histoire entière du monde prouve que quiconque manie la plume et l'épée est bien près de dominer et d'imposer sa volonté.

M. Guillery. - C'est pour cela qu'il faut faire la guerre à l'ignorance pour arriver à la supprimer. La plume et l'épée ne sont pas les seules armes qui triomphent de l'ignorance.

M. Coomans. - Combattre l'ignorance, c'est ce que je fais de mon mieux.

M. Guillery. - Cependant vous la défendez.

M. Coomans. - Je défends l'ignorance, moi ? Non, messieurs, je défends l'égalité, la justice et la liberté.

Au fait, l'amendement de l'honorable M. Orts n'est que la permission donnée aux lettrés de mendier. Vous savez lire et écrire ; courez dans les rues et mendiez ; quand on vous arrêtera, vous exhiberez un petit diplôme quelconque, et on vous relâchera.

Messieurs, ce qui est vrai, comme l'a dit l'honorable M. Bara, c'est que le lettré délinquant est plus coupable que l'ignorant, et j'aurais moins de confiance dans un gamin de 13 à 14 ans, fût-il premier de seconde, qui s'est fait arrêter pour vagabondage que dans un ignorant du même âge.

Messieurs, l'instruction est beaucoup, mais la moralité vaut davantage. Elles ne sont pas synonymes. Respectons surtout la justice. Les précédents sont dangereux. Principiis obsta ; opposons-nous aux mauvais principes ; instruisons tout le monde, mais par des moyens honnêtes, justes et libéraux, c'est-à-dire conformes à la liberté ; par conséquent, pas de coercition, pas d'obligation, sans nécessité absolue ; en d'autres termes, partout et toujours la liberté, l'égalité, la justice, l'équité...

M. Bouvierµ. - Et la fraternité.

M. Coomans. - La fraternité sera la conséquence forcée de l'application de tous ces principes ; vous n'obtiendrez jamais la véritable fraternité en dehors de la véritable liberté.

(page 900) M. Orts. - Messieurs, mon amendement a été considérablement exagéré dans la discussion à laquelle il a donné lieu. Cet amendement n'est qu'une précaution que je veux prendre pour le cas où la proposition de l'honorable M. Funck viendrait à être adoptée.

Ma pensée est celle-ci : Quand un enfant est envoyé dans une école de réforme, le gouvernement prend l'engagement à l'égard de la société, de donner de l'instruction et de l'éducation à cet enfant ; or, je ne veux pas que le gouvernement puisse restituer cet enfant avant d'avoir rempli l'obligation qu'il a contractée envers lui.

Maintenant, si l'amendement de l'honorable M. Funck n'était pas admis, et comme le gouvernement est toujours juge des conditions qu'il faut remplir pour pouvoir sortir de l'édile de réforme avant 20 ans, mon sou- amendement n'aurait plus de raison d'être. Peut-être serait-il utile de le maintenir, à titre de précaution contre la trop grande condescendance du gouvernement à restituer de petits vagabonds qu'il n'aurait pas suffisamment instruits.

Je demande que si on permet au gouvernement d'accorder une faveur aux élèves des écoles de réforme, il ne l'accorde qu'à ceux qui seront suffisamment instruits.

Il n'y a donc pas là de privilège, d'aristocratie de lettrés, de castes de lettrés, de mendiants lettrés. A toutes ces exagérations, je réponds que le meilleur moyen d'empêcher l'enfant de se livrer à la mendicité, c'est l'instruction, et que le mendiant lettré est une exception excessivement rare.

- Un membre. - Il n'y a pas de mendiants lettrés.

M. Hymans. - Les capucins.

M. Bouvierµ. - D'après la loi que nous discutons, ils ne pourront plus mendier.

M. Orts. - Ils auront à voir ce qu'ils ont à démêler avec l'application de la loi. Ce sera une question à débattre entre eux et le procureur du roi.

Mais je crois qu'en règle générale, le mendiant lettré est une exception rare...

M. Coomans. - J'en ai reçu deux ce matin.

M, Ortsµ. - Je demanderai à l'honorable M. Coomans si les deux mendiants lettrés qu'il a eu l'honneur de recevoir ce matin étaient des enfants de l'âge dont nous nous occupons en ce moment ; ce n'étaient pas de petits enfants, c'étaient sans doute certains mendiants adultes ; de ces mendiants, j'en connais beaucoup ; mais ce n'est pas à ces mendiants-là qu'il faut appliquer le régime de l'école de la réforme, mais il faut leur appliquer le Code pénal et les peines comminées pour le délit d'escroquerie.

Maintenant un mot à l'honorable M. Coomans sur ce qu'il a répété plusieurs fois avec une certaine affectation : Principiis obsta. D'après l'honorable membre, il y a quelque chose derrière mon amendement ; ce quelque chose l'effraye beaucoup plus que ce qu'il y a dans l'amendement ; il voit dans cet amendement une tendance à n'accorder les faveurs de l'Etat au nom de la société qu'à ceux qui auraient reçu de l'éducation.

Je dirai très franchement à l'honorable M. Coomans que, tout en n'ayant pas en vue de jeter un jalon dans cette voie, je suis d'avis qu'à l'avenir, chaque fois que, dans une loi, nous aurons l'occasion d'autoriser la distribution de certaines faveurs au nom de la société, nous décrétions que ces faveurs seront réservées à ceux qui auront mérité de les obtenir par leur instruction.

Le jour même où il sera question dans cette Chambre de la réforme électorale, je demanderai qu'à l'avenir on ne puisse plus être électeur, si on ne sait lire et écrire. L'honorable M. Coomans est averti.

M. Dewandre, rapporteurµ. - Messieurs, l'amendement de l'honorable M. Orts aurait des conséquences qu'il ne pourrait pas admettre lui-même. Lorsque le gouvernement prend à sa charge un jeune mendiant ou un jeune vagabond, l'Etat d'après l'honorable membre contracte l'engagement d'apprendre à lire, à écrire et à compter à ce jeune homme.

Or il y a des intelligences bornées à qui, avec la meilleure volonté du monde, on ne peut apprendre à lire, à écrire et à compter ; mais on peut leur apprendre un métier, et c'est aussi une des obligations que le gouvernement contracte. Je suppose qu'un jeune homme, arrivé à l'âge de 18 ou de 19 ans, ait appris un métier et soit en état de gagner honorablement sa vie à l'aide de ce métier, je suppose qu'il se conduise bien à l'école et que tout annonce qu'il se comportera de même dans le monde. Eh bien, si l'amendement de l'honorable M. Orts était adopté, on ne pourrait pas donner la liberté à cet individu, alors même que le gouvernement et le directeur de l'école de réforme seraient convaincus qu'en le conservant dans l'école jusqu'à l'âge de vingt ans, on ne saurait lui apprendre à lire, à écrire ou à calculer. Cela me paraît inadmissible.

M. Coomans. - L'honorable M. Orts vient de m'avertir pour la deuxième fois, sous une forme qu'il juge très menaçante, de son intention de demander que, dans la prochaine loi électorale, soit inscrit le privilège de l'instruction.

M. Vleminckxµ. - Et nous aussi.

M. Coomans. - Et vous aussi ! Et moi aussi. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Alors nous sommes d'accord.

MpVµ. - C'est une question d'avenir, nous sommes en ce moment aux dépôts de mendicité.

M. Coomans. - C'est une question d'avenir ; mais ce n'est pas moi qui l'ai soulevée et le mot que je viens de prononcer demande une explication.

Je suis contraire à toute espèce de privilège, même à celui de l'instruction. Par conséquent je n'admettrai jamais autrement que comme pis-aller le privilège de l'instruction en matière électorale.

Mais je l'admettrai en cette matière, parce que j'ai la conviction profonde que notre système électoral actuel est si mauvais, si injuste et j'ajouterai si immoral, que toute espèce de réforme me paraîtra utile, et j'ai déjà eu l'honneur de le déclarer à l’honorable M. Orts qui m'a fait le chagrin de l'oublier, je me joindrai à lui pour demander le suffrage universel avec la restriction susdite de l'instruction...

M. Orts. - Le suffrage universel, je n'en veux pas.

M. Coomans. - Pourvu que la Constitution soit modifiée en ce sens. (Interruption.)

M. Orts. - Je ne veux pas de cette modification.

M. Bouvierµ. - A la mendicité ! Voyons !

M. Coomans. - Je suis convaincu que la base de l'instruction sera tout aussi favorable à la droite de l'assemblée qu'à la gauche, et en ce point je finis par la citation d'un fait : c'est que, d'après les statistiques officielles, il y a moins d'ignorants dans l'arrondissement que je représente, que dans l'arrondissement représenté par l'honorable M. Orts. Il y a moins d'illettrés dans l'arrondissement de Turnhout que dans l'arrondissement de Bruxelles.

Voilà la vérité officielle.

M. Van Overloopµ. - Et dans l'arrondissement de Saint-Nicolas aussi.

M. Orts. - Est-ce parmi les électeurs ?

M. Coomans. - Si donc vous rayez des listes électorales les illettrés, il y aura plus de déchet sur les listes de l'honorable M. Orts que sur les miennes.

M. Orts. - Cela n'est pas exact.

MpVµ. - Nous sommes occupés de là discussion de la loi sur la mendicité et le vagabondage. Je vous rappelle à la question, M. Coomans.

M. Coomans. - L'exactitude du fait que j'avance est constatée par les statisticiens du gouvernement.

M. Orts. - Pas pour les électeurs.

M. Coomans. - Pour la masse des habitants.

M. Orts. - C'est autre chose.

MpVµ. - Je vous rappelle de nouveau à la question.

M. Coomans. - J'avoue qu'on m'en a un peu fait sortir.

MpVµ. - Vagabondage et mendicité, article 10. (Interruption.)

M. Coomans. - Eh bien, je bornerai là mes observations.

M. Guillery. - Je demande pardon à la Chambre de sortir un peu de la question, mais il me semble que les allusions qui ont été faites méritent bien quelques observations.

Sans doute, comme je l'ai dit, on peut considérer l'amendement de l'honorable M. Orts comme la première pierre de l'édifice, comme le premier pas fait dans une voie où nous sommes bien décidés à marcher, nous devons le dire très franchement, nous devons déployer notre drapeau de part et d'autre. Que ceux qui le veulent prennent le drapeau de l'ignorance.

M. de Naeyer. - Personne ne prend le drapeau de l'ignorance, il ne faut pas faire ces suppositions.

M. Guillery. - Personne ne prend le drapeau de l'ignorance ! je ne demande pas mieux. Mais j'ai entendu avec peine, je dois le dire, un orateur représentant, paraît-il, l'arrondissement le plus instruit de la Belgique, venir nous dire que donner des droits à la science, c'est constituer un privilège ; que reconnaître des droits à l'homme qui est capable, à celui qui peut, c'est constituer un privilège.

Ainsi, ne pas dire à l'ignorant : Vous aurez les mêmes droits dans la (page 901) société, vous aurez la même position, vous pourrez faire les mêmes choses que si vous étiez instruit, c'est constituer un privilège.

M. Bouvierµ. - C'est une boutade, cela.

M. Guillery. - Et l'on appelle cela rétablir l'esclavage.

Eh bien, il m'est impossible de ne pas protester coutre une pareille doctrine, il m'est impossible de ne pas dire que le seul esclavage à craindre dans nos sociétés modernes, c'est l'ignorance qui fait que l'homme ne connaît pas ses droits et ne peut en jouir ; qui fait que l'homme peut ne pas savoir ce qui est juste et ce qui est injuste, ce qui est défendu et ce qui est permis et qu'il est quelquefois puni pour ne pas avoir connu la loi qu'il a enfreinte.

Voilà le plus terrible fléau des sociétés modernes. Voilà l'esclavage que je regarde comme désastreux pour l'humanité, comme plus désastreux que l'esclavage qu'on vient de détruire de l'autre côté de l'Océan.

Vous dites que la puissance de l'instruction et de l'épée ont régné sur l'ignorance. Ce ne sont pas les seules. Je connais un autre pouvoir qui a conduit les hommes en régnant sur les ignorants, en spéculant sur l'ignorance, qui a dit qu'il fallait des mendiants pour exciter les bons cœurs à faire l'aumône.

Je connais ce pouvoir, c'est ce pouvoir que je combats et que je combattrai de toutes les forces de mon âme. Et je le combattrai en protégeant l'enseignement primaire avec vous ou contre vous, si vous ne voulez pas me suivre sur ce terrain, parce que je serai soutenu par la nation. Nous combattrons l'ignorance, sur laquelle s'appuie encore certaine puissance.

Ainsi, messieurs, émancipons la pensée et nous ferons plus de bien, nous rendrons le peuple plus heureux qu'en proclamant cette égalité de l'ignorance que vous demandez.

- La discussion est close.

La Chambre décide que l'article 10 et les amendements qui s'y rapportent seront renvoyés à la section centrale.

MjTµ. - La Chambre continuera-t-elle la discussion avant que la section centrale ait fait son rapport ?

MpVµ. - Il est possible que la section centrale fasse son rapport mardi. Mais on peut tenir l'article 10 en suspens et discuter les autres articles.

MjTµ. - On pourrait remettre la discussion jusqu'à ce que la section centrale ait fait son rapport.

M. Crombez. - Il est impossible que la section centrale fasse son rapport mardi. Les membres qui n'habitent pas Bruxelles n'arriveront qu'à deux heures et demie.

La section centrale ne peut donc se réunir avant la séance. Elle ne pourra que se réunir pendant la séance et faire son rapport mercredi.

MjTµ. - On remettrait alors la discussion à mercredi.

- La séance est levée à 4 1/4 heures.