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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 29 avril 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 835) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Vleminckx, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

-La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Celestin.-Zéphir Grard, tonnelier et professeur de musique, à Rance, né dans cette commune, demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Des habitants d’Enghien demandent une modification dans le mode de liquidation des droits d'enregistrement et de succession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Wommelghem, appuyant la demande en concession d'un chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout, proposent un tracé pour la ligne entre Anvers et Zoersel. »

- Même renvoi.


« L'administration communale da Morlroux demande la construction d'un pont sur la Meuse à Visé. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Le conseil communal d'Arlon appuie la demande relative à la construction d'un chemin de fer destiné à relier les lignes du Grand-Luxembourg à celles des Ardennes françaises par Arlon, Virton et Montmedy. »

- Même renvoi.


« M. Aug. Bury adresse à la Chambre 120 exemplaires de la brochure n°5, publiée par l'Association belge contre la peine de mort. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« M. Van Overloop, obligé de s'absenter pour affaires administratives, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.

Projet de loi prorogeant la loi sur les tarifs des télégraphes

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen dépose un projet de loi ayant pour objet de proroger la loi sur les tarifs des télégraphes.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi modifiant la loi du 30 mars 1836 sur l’organisation communale

Discussion des articles

Article 3

M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, vous avez renvoyé hier à votre section centrale chargée de l'examen de la loi modifiant l'organisation communale, une proposition qui nous avait été présentée par M. le ministre de l'intérieur et qui se rapportait à l'article 3. La section centrale s'est réunie, nous avons entendu M. le ministre de l'intérieur et les conclusions que je vais vous présenter sont prises à l'unanimité de la section centrale, d'accord avec M. le ministre.

La disposition portait sur deux points : le changement du mode de jouissance d’abord des terrains incultes et ensuite des immeubles affectés à un service public. Quant à ce dernier point, on a reconnu que cela pouvait donner lieu, dans l'application, à des grandes difficultés et, d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, nous proposons la suppression de cette partie de la mesure.

La députation permanente est là pour les cas où il y a urgence, M. le ministre pourra donner des instructions, mais il eût été difficile de formuler une rédaction ne prêtant pas à de grandes difficultés dans l'exécution.

Reste maintenant la partie de la disposition qui est relative aux terrains incultes. Là, messieurs, des difficultés sérieuses se présentent : vous savez, messieurs, que la loi de 1847 a autorisé la vente des terrains incultes des communes et des administrations dépendantes des communes ; mais ces terrains incultes ne peuvent se vendre que dans un grand intérêt national, celui de leur mise en culture.

Or dans bien des cas, les ventes se font sans que la mise en culture soit ordonnée, et alors elles n'ont d'autre résultat que de prêter à la spéculation de certains particuliers, contrairement à l'intérêt général. Aussi le gouvernement a-t-il toujours ordonné que les ventes se fissent avec la condition de la mise en culture dans un délai déterminé.

Il y a eu sous ce rapport un grand nombre de difficultés sur ... cas le gouvernement a dû intervenir 176 fois.

Dans un pareil état de choses il importe de maintenir ce qui existe aujourd'hui d'une manière administrative, cela est dans l'intérêt général, car encore une fois, il n'est pas de l'intérêt général d'autoriser la vente des bruyères communales dans un but de pure spéculation, l'intérêt général exige que le défrichement ait lieu. Déjà une grande quantité de bruyères ont été défrichées en vertu de la loi de 1847, et c'est pour qu'il continue à en être ainsi que M. le ministre de l'intérieur a déposé sa proposition.

Cet amendement se rapportait au paragraphe premier de l'article 3, et évidemment il pouvait s'y rapporter et nous pourrions, en adoptant l'amendement, satisfaire complètement au vœu émis par le gouvernement, et que votre section centrale reconnaît complétaient fondé ; mais l'examen du projet de loi nous a convaincu qu'il y a dans notre premier travail un vice de rédaction que nous proposons de modifier, pour donner à la loi toute la perfection possible.

Le 6° de l'article précédent portait que l'approbation du Roi était requise pour les changements de mode de jouissance de tout ou partie des biens communaux.

Comme cette disposition s'étendait à tous les biens communaux, nous avions proposé ce retranchement mais d'un autre côté, à l'article suivant on avait laissé : le changement de mode de jouissance des forêts. Il en résultait que l'article 76 de la loi communale ne comprend plus tout ce qui exige l'approbation royale. Nous croyons qu'il serait à désirer que l'on reprît le paragraphe 6° en le modifiant pour y ajouter les terres incultes.

De cette façon le mode de jouissance de toutes les autres propriétés communales ne serait plus soumis à l'approbation royale ; l'approbation ne serait maintenue que pour les bois soumis au régime forestier et pour les terres vendues à charge de défrichement, les bruyères, les terres incultes.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Rien ne serait changé.

M. Dumortier, rapporteur. - Non ; c'est le maintien de ce qui existe aujourd'hui. Nous pourrions rapporter l'amendement à l'article qui reste à voter, mais pour la régularité il serait préférable de reprendre le paragraphe 6° en le modifiant en ces termes : « Le changement du mode de jouissance des terrains incultes et des bois soumis au régime forestier. » Lorsqu'il s'agirait du mode de jouissance soit des terrains incultes qu'une commune est autorisée à vendre, soit des bois soumis au régime forestier, il y aurait approbation royale.

Cette approbation est indispensable pour les bois soumis au régime forestier, car vous savez tous que le pays a un intérêt sérieux à ne pas voir disparaître les forêts qui sont des objets de première nécessité pour les populations ; l'approbation est également indispensable pour que la loi de 1847 reçoive son exécution. Si on a permis aux communes d'aliéner les bruyères, c'est pour les rendre à la culture et non pour en faire des objets de spéculation.

Voilà donc la proposition que nous avons l'honneur de vous faire ; dans cet état de choses, on pourrait ajouter au dernier paragraphe les ,°3 et 4 et dire à l'article 5, après les mots : « à l'exception », de ceux qui sont mentionnés au n°6° de l'article précédent.

Cette modification ne changerait rien à ce qui existe aujourd'hui, la section centrale l'a fait remarquer, seulement elle place dans l'article précédent tout ce qui est soumis à l'approbation royale, au lieu de laisser un objet soumis à cette approbation, dans une disposition où il n'est pas à sa place.

Voilà, messieurs, les propositions que la section centrale vous fait par mon organe, et qui, je le répète, ont été admises par le ministre et par l'unanimité de la section centrale.

MpVµ. - Messieurs, je ne pense pas qu'il y ait lieu (page 836) de suspendre nos délibérations. Les modification» proposées par la section centrale peuvent se résumer comme suit :

Revenir sur l'article 2 déjà voté et y porter un 6° ainsi conçu :

« Le changement du mode de jouissance des terrains incultes et des bois soumis au régime forestier. »

Puis au 7° du même article, au lieu de « celles des n°3 et 4, » dire : « celles des n°3, 4 et 6. »

Enfin à l'article 3 on dirait : « à l'exception de ceux mentionnés au n°6 de l'article précèdent. »

Si la Chambra le permet, nous allons procéder de cette manière. Le gouvernement et la section centrale sont d'accord.

M. Coomans. - Messieurs, je ne voudrais contrarier ni la Chambre ni M. le président, mais il me semble qu'il y aurait encore quelques observations à présenter sur des points qui dans la pratique peuvent offrir une certaine importance.

Qu'entend M. le ministre par terrains incultes ? En apparence il semble facile de dire qu'un terrain inculte est celui qui n'est pas cultivé.

J« dois cependant faire remarquer que depuis un certain nombre d'années, en Campine notamment, on a transformé des terres incultes en sapinières en défonçant très légèrement le sol et en y semant du sapin.

Je demande si les terres semées de sapins quoique bruyères sont encore considérées comme terrains incultes. (Interruption.)

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Coomans. - Il est bon que cela soit entendu, car il est très facile à très peu de frais de transformer les terres soi-disant incultes en sapinières. Il suffit souvent d'une centaine de francs par hectare. Si la portée de l'expression est telle qu'on l'affirme, j'y adhère.

M. Bouvierµ. - Une terre n'est plus incultes du moment qu'elle est semée.

M. Coomans. - Si la Chambre est décidée à passer outre sans autre débat, je renonce volontiers à la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il ne peut y avoir de doute sur la question de savoir ce qu'on entend par terrains incultes. La loi de 1847 l'indique.

Il n'y a d'autres terrains incultes, au point de vue de la loi, que ceux qui tombent sous l'application de cette loi.

M. Dumortier, rapporteur . - Une terre transformée de bruyère en sapinière est une terre livrée à la culture.

M. Bouvierµ. - Cela est clair comme le jour.

M. Dumortier. - Sous ce rapport, mon honorable ami peut avoir toute espèce d'apaisement.

Il est à désirer que beaucoup de communes de la Belgique se livrent à ce genre d'opérations qui peut devenir une grande source de richesse.

Nous n'avons entendu par terrains incultes que les terres qui ne sont pas cultivées. La culture peut s'étendre aux semis de forêts comme aux terres de toute autre espèce.

M. Mullerµ. - Je n'ajouterai qu'un mol pour donner tous ses apaisements à l'honorable. M. Coomans, c'est que dans la discussion de la loi de 1847 il a été formellement entendu que le boisement était une culture comme tout autre genre d'exploitation de la terre.

- La discussion est close.

Article 2

Le premier changement consistant à introduire à l'article 2 déjà voté un paragraphe 6 est mis aux voix et adopté.

Le changement proposé au n°1' de l'article 2 est mis aux voix et adopté.

Article 3

MpVµ. - Nous passons à l'article 3, qui serait ainsi conçu :

« Le n°1° de l'article 77 de la loi précitée est remplacé par la disposition suivante :

« Le changement du mode de jouissance de tout ou parti» de biens communaux, à l'exception de ceux qui sont mentionnés au n°6° de l'article précédent. »

- Cette rédaction est mise aux voix et adoptée.

Article 4

« Art. 4. Le dernier alinéa de l'article 81 de la loi précitée est modifié comme suit :

« Il en sera de même dans les autres communes, lorsque ces actes auront pour objet une valeur de plus de 20,000 franc», ou que les locations seront faites pour plus de neuf ans. »

- Adopté.

Article 5

« Art. 5 du projet de la section centrale. Les paragraphes 5 et 6 de la loi du 4 décembre 1842, qui autorisent le gouvernement à conclure une convention avec la ville de Bruxelles, sont abrogés. »

MpVµ. - M. le ministre se rallie-t-il à cet amendement ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, M. le président.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article additionnel

MpVµ. - Vient à présent l'article additionnel proposé par MM. Guillery et de Naeyer.

Le gouvernement se rallie-t-il à cet amendement ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, je pourrais demander la question préalable sur cette proposition, car en réalité ce n'est pas un amendement au projet de loi qui est en discussion. Ce projet a pour objet de modifier quelques attributions des conseils communaux, puis les approbations à donner, soit par le Roi, soit par les députations permanentes. Or, l'article additionnel dont il s'agit est une proposition entièrement nouvelle qui n'a rien de commun avec la loi proposée, puisqu'il s'agit de modifier l'article 132 de la loi provinciale. Je serais donc tout à fait fondé à demander un rappel au règlement.

Mais je reconnais qu'il est utile d'examiner cette question ; et pour ce motif, si personne dans la Chambre ne demande la question préalable, je ne la demanderai pas non plus, mais je fais les réserves les plus formelles pour l'avenir.

Si, chaque fois qu'on discute un projet de loi sur une matière quelconque, on pouvait modifier par voie d'amendement toutes les dispositions de nos lois organiques, je crois que cela nous mènerait fort loin.

Il y a quelque temps, la Chambre a été appelée à s'occuper d'une modification à la loi sur la voirie vicinale ; elle aura encore à examiner dans la présente session, un projet de loi ayant pour objet de fixer la subvention à payer par ceux qui détériorent les chemins vicinaux. Si, à l'occasion de cette loi, on voulait réviser toute la législation sur la voirie vicinale, on sortirait évidemment du règlement. Aussi, dois-je faire une réserve à cet égard.

Je fais les mêmes réserves pour le cas où le gouvernement aurait à présenter un projet de loi sur la comptabilité des écoles.

Il s'agit d'une modification à la loi du 23 septembre 1842. Si le principe qu'on veut faire prévaloir aujourd’hui était admis, on pourrait, à l'occasion de ce projet de loi d'une nature purement administrative, venir proposer des modifications radicales aux principes de la loi de 1842.

Je le répète, je fais les réserves les plus formelles à cet égard. Je ne demande donc pas un rappel au règlement. Que la proposition des honorables M. de Naeyer et Guillery soit examinée ; je m'expliquerai, quant aux intentions du gouvernement, après que les honorables auteurs de la proposition l'auront développée.

(page 843) M. de Naeyer. - Messieurs, je remercie M. le ministre de l'intérieur de ne pas élever ici une fin de non-recevoir ; d'autant plus que la question qu'il s'agit de résoudre se rattache intimement aux attributions des autorités communales.

Messieurs, l'amendement que j'ai eu l'honneur de signer avec l'honorable M. Guillery est ainsi conçu :

« Les attributions des commissaires d'arrondissement s'étendent sur les communes dont la population est inférieure à 5,000 âmes, à mo ns qu'elles ne soient chefs-lieux d'arrondissement. »

Voici toute la portée de cette proposition : nous voulons, en ce qui concerne les attributions des commissaires d'arrondissement, placer les communes rurales dans la même position que les communes qui ont le rang de ville ou qui s'appellent villes.

Aujourd'hui une population de 5,000 âmes est une présomption de capacité administrative suffisante pour faire cesser l'intervention du commissaire d'arrondissement ; mais cette présomption n'existe qu'en faveur des communes ayant rang de ville ; cette présomption n'est plus admise quand il s'agit de communes rurales ; aux termes de la loi provinciale, quelle que soit la population de ces dernières communes, toujours elles sont soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement par cela seul qu'elles sont communes rurales.

Eh bien, messieurs, nous croyons que cette législation différentielle a fait son temps, qu'elle est en opposition avec l'esprit de nos institutions et qu'elle doit absolument disparaître ; car enfin voici ce qui en résulte : c'est qu'aux yeux de la loi, 5,000 habitants que vous appelez bourgeois ou citadins sont quelque chose de plus que 5,000 habitants que vous appelez paysans. Vous maintenez ainsi une distinction entre l’ordre des campagnes et l'ordre des villes, tandis que la Constitution proclame l'égalité des citoyens devant la loi et proscrit de la manière la plus formelle toute distinction d'ordre.

Messieurs, notre proposition n'est pas nouvelle, il y a plus de deux ans que j'ai eu l’honneur de la développer devant la Chambre ; c'était, si je ne me trompe, dans la séance du 11 février 1863. La proposition a été prise alors en considération et renvoyée aux sections. Eh bien, les sections l'ont accueillie de la manière la plus favorable, elles l'ont adoptée à l'unanimité ou au moins à une très grande majorité, et si la dissolution de la Chambre n'était pas intervenue, je suis persuadé que nous n'aurions plus à nous occuper de cet objet et que notre proposition serait déjà convertie en loi.

Messieurs, permettez-moi, avant tout, d'appeler un moment votre attention sur les conséquences pratiques de cette proposition. Nous avons en Belgique 2,541 communes, parmi ces 2,541 communes, il y en a 86 qui ont rang de villes, et parmi ces 86 villes il y en a 54 qui ont une population de 5,000 habitants et au-delà. Ces communes, qu'on appelle villes, ne sont pas soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement. En outre, ne sont pas soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement les villes ayant une population de moins de 5,000 âmes, mais qui sont chefs-lieux d'arrondissement. Ces villes sont au nombre de 9.

De manière qu'il y a aujourd'hui en tout 63 communes ayant rang de villes qui ne sont pas soumises aux commissaires d'arrondissement. Il en reste, par conséquent, 2,478 qui sont soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

De ces 2,478 communes, il y en a 2,455 que vous appelez communes rurales et 23 que vous appelez villes. Il y a donc en tout 2,455 communes rurales et 23 villes qui sont soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Eh bien, messieurs, quelles sont les conséquences de la mesure proposée ? C'est de soustraire à l'autorité des commissaires d'arrondissement 74 communes rurales ayant plus de 5,000 habitants. Cela fait moins de 3 p. c. des communes placées sous les attributions des commissaires d'arrondissement. Voilà toute notre proposition ; vous le voyez, il n'y a là aucune exagération ; nous restons dans des termes excessivement modérés.

Maintenant, messieurs, pour vous rassurer complètement, permettez-moi de jeter un coup d'œil rapide sur ces 74 communes dont nous demandons l'émancipation.

Dans la province d'Anvers il y a six communes qui ont plus de 5,000 habitants et qui, par conséquent, cesseraient d'être soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Ces six communes sont Berchem et Borgerhout, communes de la banlieue d'Anvers, Boom, Heyst-op-den-Berg, Gheel et Moll, ces trois dernières sont des chefs-lieux de canton.

Voilà les six communes qui, dans la province d'Anvers, seraient soustraites à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Y a-t-1 là quelque chose qui puisse jeter une perturbation quelconque dans l'administration ? Je ferai volontiers appel aux députés de cette province.

Pour le Brabant il y a 12 communes dites rurales ayant plus de 5,000 âmes, savoir : Anderlecht, Assche, lxelles, Laeken, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-Noode, Schaerbeek, Uccle, Vilvorde, Overyssche et Braine-l'Alleud, toutes communes très importantes et connues dec la plupart des membres de la Chambre.

Dans la Flandre occidentale, le nombre des communes que nous soustrayons à l’action des commissaires d'arrondissement, ce nombre est de 11, savoir : Mouscron, Waereghem, Ardoye, Ingelmunster, Lichtervelde, Moorslede, Humbeke, Meulebeke, Ruysselede, Wynghene et Langemarcq. Plusieurs de ces communes sont des chefs-lieux de canton, la plupart ont bien au-delà de 5,000 âmes. Langemarcq, la dernière commune que j'ai citée, est la seule qui appartienne à l'arrondissement de l'honorable ministre de l'intérieur. Il est plus heureux sous ce rapport que moi, car je n'ai dans mon arrondissement aucune commune rurale de plus de 5,000 habitants.

M. Bouvierµ. - Je ne vois pas de bonheur en cela.

M. de Naeyer. - C'est une question d'appréciation, et nous n'apprécions pas toujours les choses de la même manière.

Dans la Flandre orientale, la mesure proposée s'appliquerait à dix-huit communes qui sont toutes très importantes, et je ferai ici une observation générale, c'est que si les communes comprises dans cette proposition n'ont pas aujourd'hui le rang de villes, cela provient uniquement de ce qu'il n'est plus d'usage de conférer ce titre, car autrefois lorsque cet usage existait, on a donné le rang de ville à beaucoup de localités ayant moins d'importance.

Dans la Flandre orientale, nous avons donc dix-huit communes dites rurales et comptant plus de 5,000 habitants.

Cruyshautem, Maldeghem, Aeltre, Everghem, Ledeberg Nazareth, Oostacker, Somerghem, Waerschoot, Besele, Beveren, Stekene, Tamise, Calcken, Hamme, Waesmunster, Wetteren et Zele.

Voilà les 18 communes de la Flandre orientale auxquelles s'appliquerait notre proposition, et je crois que tous les représentants de cette province reconnaîtront qu'elles ont assez d'importance pour pouvoir s'administrer sans l'intervention des commissaires d'arrondissement.

Dans le Hainaut il y a 19 communes auxquelles s'appliquerait la mesure, mais vous allez voir qu'elles sont toutes extrêmement importantes

Vous avez d'abord Ellezelles et Seneffe, chef-lieu de canton, puis sept communes groupées autour de Charleroi, savoir : Courcelles, Dampremy, Roux, Gilly, Jumet, Montigny-sur-Sambre et Marchienne-au-Pont.

Ensuite d'autres commune, situées dans le Borinage, où il y a une population extrêmement dense ; ce sont : Boussu, Cuesmes, Dour, Frameries, Hornu, Jemmapes, Pâturages, Quaregnon et Wasmes, enfin la commune de Saint-Vaast, située dans le bassin du Centre. Ici encore, je ne crains pas d'être démenti par les représentants de cette province, en disant que toutes ces communes, qui ont une population considérable et qui sont le siège de grands intérêts industriels, sont parfaitement à même de se passer de l'intervention des commissaires d'arrondissement.

Dans la province de Liège, il n'y en a que huit comprises dans notre proposition, ce sont les communes de Ans-et-Glain, Grivegnée, Herstal, Ougrée et Seraing, situées pour ainsi dire dans la banlieue de la ville de Liège. Ensuite Dison et Spa dans l'arrondissement de Verviers, et enfin Saint-Georges dans l'arrondissement de Waremme ; en tout, pour le pays entier, 74 communes dont la grande importance est incontestable.

Je demanderai volontiers aux membres de cette Chambre...

M. Bouvierµ. - A M. Moreau.

M. de Naeyer. ... qui connaissent particulièrement ces communes s'ils ne sont pas d'accord avec nous sur ce point qu'elles sont parfaitement à même de s'administrer sans l'intervention du commissaire d'arrondissement, tout aussi bien que les villes qui ont la même population.

Dans les provinces de Namur et de Luxembourg, il n'y a aucune commune à laquelle s'applique cette mesure. En effet dans le Luxembourg, il n'y a qu'une seule localité où il y ait plus de 5,000 âmes, c'est la ville d'Arlon. Dans le Limbourg il n'y en a que deux : Tongres et Hasselt.

- Une voix. - Et St-Trond.

M. de Naeyer. - Je l'oubliais. Quant à Maeseyck, cette localité n'est pas soumise à l'autorité du commissaire d'arrondissement, non parce qu'elle a une population de plus de 5,000 âmes, mais parce que c'est un chef-lieu d'arrondissement.

(page 844) M. Bouvierµ. - Maeseyck n’a pas même de commissaire d’arrondissement.

M. de Naeyer. - Dans la province de Namur, il n'y a que Namur, Dinant et Andenne qui atteint plus de 5,000 âmes et ces communes ont le rang de. villes.

Messieurs, je le repère, notre proposition est extrêmement modérée. Il n'y a là rien qui ressemble à un bouleversement administratif, rien surtout qui ressemble a la suppression des commissaires d'arrondissement, puisque, comme je viens de vous le dire, la mesure ne s'applique qu'à moins de 5 p. c. des communes soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Cependant la section centrale a trouvé que nous allions trop loin. Elle veut restreindre notre proposition aux communes de 10,000 âmes au moins.

Messieurs, nous avons eu lieu d'en être étonnés puisque dans le premier rapport de la section centrale il était dit formellement que la section formait le vœu de voir affranchir de l'autorité des commissaires d'arrondissement toutes les communes de plus de 5,000 habitants.

Voici ce que je lis dans ce rapport :

« Nous avons vu que la première section a exprimé le vœu que les communes de plus de 5,000 âmes ne soient plus placées sous les attributions des commissaires d'arrondissement. Déjà à plusieurs reprises la tribune a retenti de ces réclamations, et l'an dernier, une proposition de loi, que la dissolution a emportée, avait été faite dans ce but. Il est en effet étrange que des communes importantes de dix, quinze et vingt mille habitants, restent placées dans les attributions des commissaires d'arrondissement, quand de petites villes qui n'ont que quelques milliers d'habitants sont placées en dehors dos attributions de ces fonctionnaires, parce qu'elles sont chefs lieux d'arrondissement. La section centrale émet donc le vœu, par quatre voix et une abstention, que les communes de plus de 5,000 âmes ne soient plus placées sous les attributions des commissaires d'arrondissement. »

Eh bien, messieurs, nous n'avons fait que traduire en amendement, l'honorable M. Guillery et moi, le vœu émis par la section centrale.

Dès lors je. vous avoue franchement que nous avons pensé que cette proposition devait nécessairement recevoir un accueil favorable de la part de la section centrale.

Cependant, à la majorité de trois voix contre deux, la section centrale a jugé convenable de restreindre notre proposition et de ne l'étendre qu'aux communes de 10,000 âmes au moins.

De cette manière, la proposition devient plus ou moins insignifiante, car elle ne s'appliquerait plus qu'à douze communes ; il n'y a, en effet, que douze communes rurales de plus de 10,000 âmes.

La section centrale a cru devoir en même temps proposer une autre rédaction qui est conçue comme suit :

« Les attributions du commissaire d'arrondissement s'étendent sur les communes dont le conseil communal, aux termes de l'article 4 de la loi du 30 mars 1836, est composé d'un nombre de conseillers inférieur à treize.

« Toutefois les communes de cette catégorie qui ne sont pas actuellement placées sous la surveillance du commissaire d'arrondissement continueront à ne pas y être soumises, »

Or cela signifie évidemment que la mesure ne s'appliquerait qu'aux communes ayant au moins dix mille âmes, puisque le nombre des conseillers est inférieur à treize dans les communes qui ont moins de 10,000 âmes.

Je crois qu'il serait plus simple de dire : « Sur les communes ayant moins de 10,000 âmes », puisque de cette manière la loi serait claire par elle-même. On n'aurait pas besoin de recourir à une autre loi pour savoir ce que celle-ci signifie, et il convient d'éviter autant que possible ce recours à d'autres lois.

Mais si je comprends bien cette rédaction, il en résulté que la section centrale, au lieu de restreindre les attributions des commissaires d'arrondissement, les étend à certains égards.

Aujourd’hui, les villes, du moment qu'elles ont une population de 5,000 âmes, cessent d'être soumises à l'autorité du commissaire d'arrondissement. Or, suivant cette rédaction, les villes elles-mêmes qui acquerraient une population de 5,000 habitants ne seraient plus soustraites à l’avenir à l'autorité des commissaires d'arrondissement. 5,000 habitants ne suffiraient plus, il en faudrait 10,000.

Je me souviens que la ville de Ninove, au moment où la loi provinciale a été mise en vigueur, a été soumise à l'autorité du commissaire d'arrondissement parce qu'elle n'avait pas 5,000 âmes.

Depuis cette époque sa population s'est élevée à plus de 5,000 habitants et elle a cessé d'être soumise à l'autorité du commissaire d'arrondissement.

D'après la rédaction proposée par la section centrale, cela n'aurait pas eu lieu.

Il y a d'autres villes qui touchent à ce chiffre de population. Quand elles l'auront atteint, d'après l'article 6 tel qu'il est proposé, par la section centrale, elles ne cesseront pas d'être soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Je dis donc que sous ce rapport, au lieu de restreindre cette autorité, on l'étend et ce n'est pas tout, on s'en rapporte au nombre des conseillers fixé pour les conseils communaux.

Mais remarquez que la classification qui détermine ce nombre ne change périodiquement que tous les 12 ans, aux termes de la loi communale.

Par conséquent quand même une commune aurait acquis la population qui vous exigez dans cet article, elle ne cesserait pas d'être soumise à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Il faudrait attendre la nouvelle classification, qui ne peut avoir lieu qu'en venu d'une loi.

Ji répète donc qu'il vaudrait mieux à cet égard dédire : Les villes de 5,000 âmes, ou si vous ne voulez pos, de 10,000 âmes, plutôt que de renvoyer à la loi communale.

Quoi qu'il en soit de ces observations de détail, la proposition de la section centrale me paraît tout à fait insuffisante et voici pourquoi : c'est qu'elle laisse subsister le principal grief de la loi actuelle, elle laisse subsister une distinction odieuse qui j'appellerai humiliante, révoltante et même inconstitutionnelle entre les communes rurales et les villes, et je dis qu'il est impossible de maintenir plus longtemps cette distinction alors qu'elle a été flétrie et condamnée dans les termes les plus éloquents et les plus énergiques dans cette enceinte par un organe du gouvernement, par l’honorable M. Rogier.

Lors de la discussion de la loi abolitive des octrois, dans la séance du 2 juin 1860, l'honorable M. Rogier s'exprimait à cet égard dans les termes suivants :

« Messieurs, il est un argument sur lequel je dois insister et qui a une grande importance : c'est la disparition, avec l'octroi, de cette distinction impolitique entre les communes rurales et les villes. »

Malheureusement, cette loi abolitive des octrois n'a pas suffi pour produire cette conséquence.

« Aux termes de la Constitution, il n'y a ni villages ni villes en Belgique ; il y a des communes, toutes égales devant la loi, investies des mêmes droits et procédant en vertu du même titre pour la formation de leur administration. Voilà la Constitution.

« En fait, il y a des communes privilégiées vis-à-vis d'autres communes. Il existe des inégalités de position entre les communes. Il est des communes qui ont le droit d'en soumettre d'autres à la taxe et à la visite.

« Il y a des bourgeois et des paysans. Eh bien, je voudrais qu'il n'y eût qu'une seule catégorie d'habitants en Belgique ; qu'il n'y eût que des citoyens belges ; que nous fissions disparaître cette mauvaise distinction entre les bourgeois et les paysans, entre les habitants des villes et les habitants des campagnes. Je voudrais que tout le monde fût Belge au même titre, qu'il y eût égalité de position, accord d'intérêts, entente sympathique entre tous les habitants de la Belgique, quelle que soit la portion de territoire qu'ils occupent.

« Cette distinction a des côtés que l'on peut dire ridicules. Il y a des localités qui se donnent des airs d’être quelque chose, qui s'appellent villes, et qui ne comptent pas 2,000, pas même 1,000 habitants, tandis que d'autres communes rurales comptent 10,000, 15,000 et près de 20,000 âmes. Ici ce sont des paysans ; et là, c'est-à-dire dans des localités dix fois moins importantes, ce sont des bourgeois.

Eh bien, nous repoussons cette distinction : nous voulons que tous les Belges portent le sceau de la même origine, qu'ils ne soient plus divisés en bourgeois et en paysans.

« Pourquoi cette distinction ? Supprimez l'octroi des villes, et dites alors où seront les causes des différences entre les villes et les villages. »

Ici M. Rogier commettait une légère erreur ; les octrois, quelque détestables qu'ils fussent, n'étaient pas la véritable cause de distinction entre les villes et les communes rurales, car sur nos 80 villes, il y en avait 26 qui n'avaient pas d'octrois et par contre, il y avait 18 communes rurales qui avaient des octrois.

Mais l'honorable M. Rogier n'a pas tardé à mettre la main sur la plaie. On lui disait : Vous vous trompez, il y a dans la loi électorale une distinction entre les villes et les campagnes ; et il répondit victorieusement : Il n'en est rien. Voici ses paroles :

« En aucune manière ; il n'y a qu'un seul article de loi qui par (page 845) inadvertance a consacré cette distinction répugnante entre les habitants d'un même pays. Il est dit quelque part dans la loi provinciale que le commissaire d’arrondissement administre les communes rurales. »

Eh bien, c'est cet article que nous voulons faire disparaître. L’article 132 de la loi provinciale parle de villes et de communes rurales, et nous demandons qu'il n'y ait plus qu'une mention, celle de commune, et c'est là toute notre proposition.

Nous aurons évidemment pour nous dans cette circonstance l'honorable M. Rogier, car il est impossible qu'il ne se rallie pas à une proposition aussi conforme à ses idées et aux principes qu'il a si éloquemment et si énergiquement exposés devant cette Chambre.

« Mais la Constitution ne reconnaît que des communes, et ne distingue pas entre les villes et les villages. Le jour où l'octroi aura disparu, il ne restera plus en fait de trace de cette distinction fâcheuse. »

Cela n'est pas exact ; la loi des octrois n'a pas eu pour conséquence d'abolir l'article 132 de la loi provinciale, et dès lors la distinction admise par inadvertance subsiste toujours.

Je continue cette citation remarquable :

« Messieurs, ceci importe beaucoup, selon moi, à l'avenir politique du pays. Il y a entre les habitants des villes et les habitants des campagnes une sorte d'antagonisme qui n'a pas de raison d'être, et que tous les hommes soucieux de l'avenir du pays devraient tendre à effacer de plus en plus. Pourquoi cette distinction ? Est-ce que l'habitant de la campagne n'est pas aussi bon Belge que l'habitant des villes ? N'apporte-t-il pas à la richesse publique son contingent ? Ne fournit-il pas son contingent de travail et de contributions ?

« M. de Mérode-Westerloo. - Et de soldats.

« M. le ministre de l’intérieur. - Et de soldats.

« Est-il moins intelligent que l'habitant des villes ?

« S'il est certaines questions sur lesquelles l'habitant des campagnes n'a pas, il faut bien le dire, la même aptitude que l'habitant des villes, combien de questions aussi, qui touchent aux campagnes et auxquelles l'habitant des villes n'est pas moins étranger ! Si l'habitant des campagnes ignore les choses des villes, l'habitant des villes est bien autrement ignorant des choses des campagnes. »

Or, pour bien administrer les campagnes, ce sont les choses des campagnes qu'il faut connaître.

« Je voudrais donc qu'il s'établît entre eux un échange d'idées et de lumières, une fusion d'intérêts, une communauté de sentiments ; il ne faut pas que les institutions entretiennent un préjugé qui consiste à faire croire que l'habitant d'une commune à octroi, par exemple (ou d'une commune appelée ville), est quelque chose de plus que l'habitant d'une commune sans octroi (ou d'une commune rurale). »

Messieurs, en ma qualité de campagnard par droit de naissance, je remercie l'honorable M. Rogier de ces belles paroles. Je voudrais qu'elles fussent inscrites au frontispice de toutes nos mahons communales, car elles proclament un grand principe, consacré par notre Constitution, mais qui, malheureusement rencontre des préjugés dans nos mœurs et qui a quelque peine à s'introduire d'une manière complète dans notre législation.

J'espère que les discussions actuelles n'en seront pas une nouvelle preuve.

MfFOµ. - C’est une question de mots.

M. de Naeyer. - Cette distinction est blessante.

MjTµ. - Je suis campagnard comme vous et je n'y vois rien de blessant.

M. de Naeyer. - Elle m'humilie, je prends au sérieux ma qualité da campagnard.

MfFOµ. - Le décret de 1831 fait la distinction entre les villes et les campagnes.

M. de Naeyer. - Je ne sais de quel décret vous parlez et dans tous les cas cela ne prouve rien ; il y a 8 ans que l'honorable M. Rogier reconnaissait que cette distinction était une inadvertance et aujourd'hui vous hésiteriez encore à la corriger ! Cela est-il possible, cela est-il raisonnable ? Il y a bientôt 30 ans que cette inadvertance existe, voudriez-vous par hasard qu'elle acquière un droit de prescription afin de devenir inviolable ?

Eh bien, nous ne le voulons pas et nous demandons que l'article 132 cesse de distinguer entre les villes et les communes rurales.

M. Bouvierµ. - Les campagnards n'en resteront pas moins campagnards.

M. de Naeyer. - Non, mais ils seront assimilés aux citadins sous le rapport des droits administratifs. La qualification de campagnard...

M. Bouvierµ. - Est honorable.

M. de Naeyer. - Elle est honorables et nous nous en faisons gloire, et voilà pourquoi nous ne pouvons admettre qu'on en fasse résulter une infériorité de droits.

M. Bouvierµ. - Je suis aussi campagnard et je m'en fais gloire.

M. de Naeyer. - Pour justifier jusqu'à un certain point en qui existe, on a cherché à établir une distinction entre les communes agglomérées et les communes non-agglomérées. Je vous avoue franchement que cette distinction est tout à fait neuve en ce qui concerne la compétence des commissaires d'arrondissement ; quand on a décrété l'article 132 de la loi provinciale, on n'a nullement distingué entre les villes ayant une population agglomérée et celles qui ont une population moins agglomérée, et cependant sous ce rapport, il y a des différences énormes même entre les villes.

Ainsi, par exemple, vous avez dans la même province, dans la province de Hainaut, une ville qu'on appelle Binche, dont la population est d'un habitant par moins de deux ares, tandis que dans la même province vous avez une autre ville ayant à peu près la même population, qu'on appelle Braine-le-Comte et où la densité de la population n'est que d'un habitant par 64 ares.

Je pourrais faire d'autres citations. Ainsi, par exemple, vous avez les villes de Grammont et de Hasselt, qui ont à peu près la même population ; eh bien, à Grammont la population est d'un habitant par moins de deux ares, tandis qu'à Hasselt elle n'est que d'un habitant par 40 ares.

Vous voyez donc qu'il y a d'énormes différences entre les villes au point de vue de l'agglomération des populations et, je le répète, le législateur n'en a jamais tenu compte quand il s'est agi de déterminer les attributions des commissaires d'arrondissement. Cette classification, sans doute, petit être prise en considération pour fixer la valeur des propriétés, pour déterminer l'assiette des impôts, pour régler les droits et les obligations de voisinage, pour les ordonnances de police et autres matières analogues. Il est évident que, les intérêts étant ici différents, il peut y avoir lieu de les soumettre à des dispositions différentes. Mais quand il s'agit d'établir des préemptions de capacité, je ne la comprends en aucune façon. Comment donc l'étendue de territoire aurait-elle jour effet de nuire au développement de l'intelligence des habitants ?

Mais tout ce qu'on pourrait conclure d'une étendue territoriale plus considérable, ce serait que la population se compose en plus grande partie de cultivateurs ou paysans. Or, je vous demanderai, avec l'honorable M. Rogier, si vous entendez soutenir cette opinion absurde que ces campagnards ou paysans sont quelque chose de moins que les citadins ou bourgeois ?

Cela n'est donc aucunement concluant, tant s'en faut, et cependant c'est la seule conséquence que vous pourriez déduire de l'agglomération plus ou moins forte de la population.

Dites, si vous voulez donner un sens tant soit peu raisonnable à cet argument, que la densité de la population est de nature à multiplier, à faciliter les rapports entre les habitants et, par conséquent, à favoriser le développement de la sociabilité et de la civilisation, et qu'à cet égard, il y a là un certain indice de capacité en faveur des habitants.

Mais si vous invoquiez cette considération, je vous prierais de remarquer que c'est une grave erreur de croire que la densité de la population soit un caractère distinctif des communes que vous appelez villes ; cela n'est exact en aucune façon et je vais vous le prouver par quelques exemples seulement, car je fatiguerais la Chambre si je les lui citais tous.

Ainsi, nous avons en Belgique beaucoup de villes qui n'ont pas même un habitant par hectare, je pourrais en citer au moins une dizaine.

La densité moyenne de la population pour tout le pays est d'un habitant par 60 ares ; dans l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter ici, la densité est même d'un habitant par 33 ares ; et si je me renferme seulement dans la catégorie des communes rurales de mon arrondissement, j'y trouve encore un habitant par 41 ares ; tandis que vous avez un assez grand nombre de communes ayant rang de ville et qui n'ont pas même un habitant par hectare de territoire, c'est-à-dire à peine la moitié de la densité moyenne de la population de tout le pays et le tiers de ce qui existe dans le pays d'Alost pour les villes et les communes rurales réunies, et quand je dis que la densité de la population n est pas un des caractères distinctifs des communes dites villes en général, cette considération ne s'applique pas seulement aux petites villes proprement dites, mais encore à des villes appartenant à la catégorie des localités affranchies de la tutelle des commissaires d'arrondissement à raison de leur population, de celles qui ont de 5,000 à 10,000 habitants.

(page 846) Ainsi la ville de Hasselt n'a qu'un habitant par 40 ares ; Eecloo par 32 ares, Nivelles par 38 ares, Thourout par 55 ares, Hal par 36 ares, Dinant par 25 ares, Wervicq par 2S ares, Soignies par 33 ares, Gosselies par 28 ares, Andenne par 42 ares, Braine-le-Comte seulement par 64 ares, Wavre par 35 ares.

Eh bien, voilà toutes villes de 5,000 à 10,000 habitants qui sont affranchies de la tutelle des commissaires d'arrondissement à raison de leur population, et si vous parcourez les communes rurales de plus de 5,000 âmes dont je vous ai donné la liste, vous trouverez que très rarement et très exceptionnellement ces proportions entre la population et l'étendue territoriale sont dépassés.

Le nombre des villes de la catégorie de 5,000 à 10,000 âmes qui ont une population réellement dense, forment une véritable exception ; j'en ai trouvé au plus sept. Arlon, par exemple, a un habitant par 10 ares, et il y a des communes rurales de 5,000 âmes qui se trouvent même sous ce rapport dans des conditions plus favorables.

Leuze a on habitant par 14 ares, Audenarde par moins de 4 ares, Binche par moins de 2 ares, Diest par moins de 5 ares, Termonde par 9 ares et Grammont par 2 ares ; voilà sept villes seulement de la catégorie de celles dont nous parlons, qui, en ce qui concerne l'agglomération de la population, se trouvent dans une position exceptionnellement favorable ; eh bien, direz-vous que ces villes sont supérieures en civilisation aux autres villes que je vous ai citées comme ayant une population moins dense et moins concentrée ? Vous voyez donc, messieurs, que même la densité de la population ne serait pas un argument de grande valeur ; et d'ailleurs il ne s'appliquerait pas exclusivement aux villes, car parmi les communes rurales ayant plus de 5,000 habitants, il y en a un bien plus grand nombre où la population est très dense.

Ainsi, à Boom il y a un habitant par 8 ares, à Borgerhout par 3 ares, à Laeken par 12 ares, à Saint-Gilles par moins de 4 ares, à Dampremy par 6 ares, à Marchienne par 10 ares, à Roux par 11 ares, à Ledeberg par 2 ares, à Dison par 5 ares, à Frameries par 11 ares, à Hornu et Quaregnon par 9 ares, à Wasmes par 7 ares, à Pâturages par 4 ares. Il est donc évident que la densité de population dont on semble vouloir argumenter pour établir une nouvelle classification, n'est pas du tout un caractère distinctif des communes que vous appelez villes.

Et sous ce rapport, messieurs, je pourrais faire quelques rapprochements qui sont assez curieux. Ainsi, par exemple, vous avez dans le Brabant la ville de Hal, qui a une population de 7,785 habitants et un territoire de 2,812 hectares ; la densité de population y est donc d'un habitant par 36 ares. Là, l'autorité d'un commissaire d'arrondissement ne s'exerce pas, parce que cette commune porte le nom de ville.

Eh bien, dans la même province, vous avez la commune de Vilvorde qui a à peu près la même population et une étendue territoriale moindre ; à Vilvorde, la densité de la population est d'un habitant par 24 ares, donc d'une moitié plus forte qu'à Hal et cependant Vilvorde étant une commune rurale est soumise comme telle au commissaire d'arrondissement. La même observation s'appliquerait à Saint-Gilles, à Laeken, à Anderlecht, etc. Quelle autre raison pouvez-vous donner de cette différence si ce n'est que les habitants de Hal sont des bourgeois et que les habitants de Vilvorde sont des paysans ?

Je défie d'en donner une autre raison, et je demanderai à l'honorable M. Rogier si cette raison-là a le sens commun. Evidemment il me répondra non.

Il en est de même dans d'autres provinces : ainsi, dans le Hainaut, vous avez Brain- le-Comte qui a rang de ville et qui n'est pas soumise à l'autorité du commissaire d'arrondissement. Braine-le-Comte a une population de 6,221 habitants, avec un territoire de 4,000 hectares, elle n'a qu'un habitant par 64 ares.

Pourquoi la ville n'est-elle pas soumise à l'autorité du commissaire d'arrondissement ? « Parce que, dites-vous, il y a là une population agglomérée. »

Or, dans la même province, vous avez un nombre de communes qui ont la même population ou à peu près et qui sont soumises à la juridiction des commissaires d'arrondissement. Ainsi, Courcelles a 7,214 habitants ; sa densité de population est d'un habitant par 20 ares, tandis qu'à Braine-le-Comte, il n'est que d'un habitant par 64 ares. Vous dites : « Courcelles est une commune rurale, elle doit être soumise au commissaire d'arrondissement. » Cependant sa population est plus dense et plus agglomérée.

Je pourrais faire une masse de rapprochements de ce genre. Dans tous ces cas vous ne pouvez donner qu'une seule raison ; c'est de dire : les habitants de Braine-le-Comte sont des bourgeois et les habitants de Courcelles sont des paysans.

Encore une fois, cette raison n'est-elle pas une mauvaise plaisanterie, un véritable anachronisme et même de mauvais aloi ?

Messieurs, quel inconvénient peut avoir l’adoption de cette proposition ? Aucun ; est-il possible de soutenir sérieusement le contraire ? Alors que depuis plus de 30 ans, les villes ayant une population de plus de 5 mille âmes, peuvent s'administrer elles-mêmes, sans l'intervention du commissaire d'arrondissement, peut-on admettre qu'aujourd'hui les communes rurales, ayant la même importance sous le rapport de la population, ayant souvent plus d'importance sous le rapport des intérêts et des richesses dont elles sont le siège, ne puissent pas être reconnues également habiles à s'administrer elles-mêmes, sans l'intervention des commissaires d'arrondissement ? On ne pourrait le soutenir, qu'en disant : « Aujourd'hui même 5,000 paysans ne valent pas encore ce que valaient déjà, il y a 30 ans, 5,000 citadins. »

Un pareil argument est-il présentable ? Et cependant en réalité il n'y en a pas d'autre à présenter.

Messieurs, quand nous faisons nos lois, nous avons trop souvent le tort de tourner les regards exclusivement vers le Midi et cependant nous pourrions très souvent et très utilement consulter ce qui se passe au Nord. Le vent qui vient de là est plus froid, mais il serait plus efficace pour fortifier notre organisme social.

Or, il y a là un pays dont nous nous sommes séparés il y aura bientôt 35 ans, pour avoir plus de liberté que lui. Eh bien, ce pays marche dans la voie de la décentralisation et de la liberté pratique, d'un pas plus hardi et plus ferme que nous ; nous devons avec regret le reconnaître.

Hier, messieurs, on nous disait que les rouages de notre administration seraient détraqués et bouleversés si l'on autorisait nos communes à aliéner ou à acquérir des immeubles ou à faire des emprunts sans l'approbation du gouvernement. et cependant c'est là ce qui se pratique en Hollande depuis douze à quinze ans. Dans ce pays, les délibérations des conseils communaux, ayant pour objet des aliénations d'immeubles, des acquisitions d'immeubles même à titre de donations ou de legs, des emprunts quelconques sans limitation de la somme ; tous ces actes-là ne doivent être soumis qu'à l'approbation des états députés.

Autre chose. Il y a dix à douze ans, on a supprimé en Hollande les commissaires d arrondissement, et cependant l'administration communale n'y est pas en désarroi. Je ne vous demande pas d'aller aussi loin.

Mais si en Hollande l'administration peut fonctionner régulièrement alors même que les plus petites communes ne sont pas soumises à l'autorité du commissaire d'arrondissement, osera-t-on soutenir sérieusement qu'en Belgique, les communes de 5,000 âmes, qui ont l'importance de la plupart des villes de Hollande, sont incapables de s'administrer convenablement sans être placées sous la tutelle du commissaire d'arrondissement ?

L'opinion que nous défendons a rencontré d'ailleurs en Belgique l'appui d'autorités irrécusables, car la question, je le répète, est loin d'être neuve. La section centrale qui a examiné le budget de 1863, si je ne me trompe, s'en est occupée ; et à l'unanimité, elle s'est montrée favorable à la réforme dont il s'agit, si toutefois on peut donner le nom de réforme à ce qui n'est que la rectification d'une inadvertance échappée au législateur de 1836.

Le conseil provincial du Brabant, dans deux sessions différentes, a émis le vœu que les communes de plus de 5,000 âmes fussent soustraites à l'autorité des commissaires d'arrondissement.

Permettez-moi de citer deux autres autorités des plus imposantes. C'est d'abord celle d'un de nos hommes d’Etat les plus éminents, de l'honorable M. Liedts, aussi connu par la modération et la sagesse de ses idées que par le talent incontestable qu'il a déployé dans l'administration.

Or, l'honorable M. Liedts a émis à différentes reprises l'avis très formel qu'il y a lieu d'affranchir les communes ayant 5,000 habitants de la tutelle des commissaires d'arrondissement.

Et cependant il l'a déclaré de la manière la plus formelle - personne n'est plus partisan que lui de l'utilité des commissaires d'arrondissement, en ce qui concerne les petites communes.

Un autre fonctionnaire éminent, et si je ne me trompe, le plus ancien de nos gouverneurs actuels, l'honorable M. Troye, gouverneur du Hainaut. qui a rempli pendant plusieurs années les fonctions de commissaire d'arrondissement, avant d'être appelé à la tête de l'administration provinciale ; l'honorable M. Troye va beaucoup plus loin ; il demande qu'on applique la mesure aux communes qui ont 5,000 habitants.

Messieurs, il est très rare que des fonctionnaires administratifs se déclarent partisans de réformes de ce genre ; ils sont assez naturellement disposés à maintenir ce qui existe ; et quand des opinions aussi (page 847) formelles sont exprimées par des administrateurs éminents et qui ont vieilli dans l'exercice de leurs fonctions, on peut être complètement rassuré sur les conséquences des modifications proposées. J'espère donc que la Chambre adoptera la proposition qui a déjà été développée par l'honorable M. Guillery et que j'ai eu l'honneur de vous présenter avec lui.

(page 836) M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, l'honorable M. de Naeyer vient de vois citer des chiffres qui indiquent la portée qui aurait son amendement. Ces chiffres sont à peu près conformes à ceux que j'ai recueillis moi-même. Je ne reviendrai donc pas sur cet objet.

Messieurs, on se trompe grandement lorsqu'on s'occupe des questions relatives aux commissaires et aux commissariats d'arrondissement ; on croit en général qu'en soustrayant un certain nombre de communes à la juridiction des commissaires d'arrondissement, on affranchit ces communes, qu'on leur octroie la liberté et l'indépendance, comme autrefois nos comtes accordaient le droit de cité aux villes, en leur concédant des chartes, des privilèges.

Mais, messieurs, c'est là une exagération, comme le dit très bien à côté de moi, l'honorable M. de Woelmont.

M. Moncheur. - Dans un autre sens.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - ... Dans le vrai sens. Du reste, que demandez-vous ?

M. Coomans. - L'égalité des citoyens belges.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Très bien. Mais il y a égalité parfaite entre tous les citoyens belges et entre toutes les communes belges, urbaines et rurales.

Je dis donc qu'on croit réaliser un progrès immense, donner une liberté nouvelle et considérable aux communes, parce qu'on les soustrait à la juridiction des commissaires d'arrondissement. Eh bien, messieurs, il n'en est rien.

La loi communale n'est-elle pas la même pour toutes les villes et communes du pays ? Les instructions émanant de gouvernement et des autorités provinciales sont-elles différentes pour les villes et pour les communes ? Non certes, il n'existe plus, comme autrefois, des communes privilégiées et des communes qui ne le sont pas.

(page 837) Les mêmes lois communales, les mêmes prérogatives, les mêmes franchisée existent pour toutes les communes du pays ; et la petite commune du Zoetenaye qui a 27 habitants est tout aussi libre, tout aussi indépendante, elle est même, plus libre, plus indépendante que la capitale du royaume, que lav\ille d Bruxelles qui en a 200,000, car une loi spéciale a été fuite pour la ville de Bruxelles et c'est aujourd'hui seulement que nous mettons la capitale sur la même ligne que la petite commune de 27 habitants de la Flandre occidentale.

Ainsi donc, messieurs, c'est une étrange erreur de croire et de dire que les communes qui n'auront plus à correspondre par l'intermédiaire dis commissaires d'arrondissement, seront des communes privilégiées, des communes parfaitement libres, taudis qu'aujourd'hui elles sont parfaitement esclaves. (Interruption.)

M. Moncheur. - On n'a pas dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cela vous dérange un peu.

- Des membres. - Du tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Alors laissez-moi parler.

M. Moncheur. - Je fais seulement remarquer que l’honorable M. de Naeyer n'a pas dit un mot de cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je rappelle ce qu'on dit en général, lorsqu'on parle d'affranchir les communes, je ne dirai pas même de la tutelle, mais de la tyrannie des commissaires d'arrondissement !

Du reste, messieurs, l'on se fait une très fausse idée de ce que c'est qu'un commissaire d'arrondissement.

En général, on est convaincu ou l'on cherche à faire croire qu'un commissaire d'arrondissement est en quelque sorte l'ancien bailli de nos paroisses féodales, que c'est lui qui tient la verge du seigneur, qui a droit de haute et basse justice ; ce commissaire, c'est une espèce de tyran ; quand un commissaire d'arrondissement fait son entrée dans un village, toute la commune tremble !

M. de Naeyer. - Je n'ai rien dit décela.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je sais fort bien que ce n'est pas là ce qu'on croit dans cette enceinte. Je vous dirai tout à l'heure pourquoi vous faites la guerre à ces fonctionnaires. Mais en dehors de cette enceinte on propage de fausses idées et le commissaire est représenté comme un despote. Eh bien, le commissaire d'arrondissement est tout autre chose. Ce fonctionnaire a été institué, non contre les communes, mais dans l'intérêt dis communes. C'est l'ami, c'est le conseiller de la commune.

M. de Naeyer. - Adoptez-le pour les villes alors.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Permettez ; je ne puis pas dire un mot, sans que vous m'interrompiez. Je ne vous dis cependant rien de désagréable.

Le commissaire d'arrondissement, d'après moi, est donc l'ami de la commune ; c'est le conseiller, l'avocat, le protecteur de la commune. C'est au commissaire d'arrondissement qu'on s'adresse, lorsqu'on a besoin de se tirer d'un mauvais pas.

M. Bouvierµ. - C'est vrai.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous voyez donc que le commissaire d'arrondissement, au lieu d'ère placé en opposition avec la commune, est au contraire créé dans son intérêt.

Messieurs, qu'est-ce que le commissaire d'arrondissement ? a-t-il des droits ? exerce-t-il une autorité ? peut-il faire quelque chose ? Evidemment non. il instruit les affaires ; il donne des conseils.

En d'autres termes, le bureau du commissaire d'arrondissement est purement et simplement un bureau du gouvernement provincial rapproché des administrés ; c'est un bureau du gouvernement provincial où l'on instruit pour ainsi dire sur place les affaires, et dernièrement un honorable membre grand décentralisateur, l'honorable M. Kervyn ou l'honorable M. Julliot, nous disait que si on gouverne bien de loin, on n'administre bien que de près.

Eh bien, c'est pour favoriser l'administration qu'on a placé les bureaux des commissaires d'arrondissement auprès des administrations communales.

M. Bouvierµ. - C'est pourquoi vous nous rendrez le nôtre.

MpVµ. - M Bouvier, veuillez ne pas interrompre.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ainsi, croyez-moi, en soustrayant un certain nombre de communes à la juridiction du commissaire d'arrondissement, au lieu de décentraliser, de simplifier, vous compliquerez les écritures et vous centraliserez davantage. (Interruption.)

M. de Mérode. - Oh ! oh !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oh ! oh !dit l(honorable comte de Mérode. Ce n'est pas là un argument. N'est-il pas évident que si la commune doit s'adresser au gouvernement pour faire instruire une affaire, au lieu de s'adresser au commissaire d’arrondissement, elle aura affaire à une administration plus centrale ? Vous compliquerez donc ainsi l'administration. Il existe en fait une foule d'affaire pour ainsi dire mixtes. Par exemple, les affaires si nombreuses de domicile de secours, les affaires de roules communales qui parcourent le territoire de plusieurs communes. Quand des affaires de ce genre doivent être instruites, le commissaire d'arrondissement intervient ; il se met en rapport direct avec les bourgmestres ; il les reçoit dans son cabinet, et très souvent, après quelques instants de conférence, une affaire qui exigerait uni correspondance fort longue se trouve terminée.

Enfin, messieurs, plus vous augmenterez le nombre des communes qui correspondent directement avec l'autorité provinciale, plus vous augmenterez le travail des gouvernements provinciaux. Cela est hors de doute ; il faudra donc y créer de nouveaux bureaux et augmenter le nombre des employés.

Aujourd'hui les gouverneurs de province correspondent avec trois, quatre ou cinq commissaires d'arrondissement et avec trois ou quatre villes de leur province. A l'avenir, leur correspondance sera plus multipliée, ils doivent étudier séparément les affaires d un plus grand nombre de communes, et vous leur donnerez ainsi beaucoup plus de besogne.

L'honorable M. de Naeyer nous a cité deux gouverneurs, administrateurs d'un grand mérite sans doute, qui ont émis l'opinion que les communes de 5,000 âmes pouvaient être distraites de la juridiction des commissaires d'arrondissement.

Eu effet, l'honorable M. Liedts et l'honorable M. Troye ont été de cet avis ; mais dans l'enquête qui a eu lieu, ils ont été seuls de cet avis, et les autres gouverneurs n'ont pas partagé leur manière de voir.

M. de Naeyer. - La plupart se sont abstenus.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pardon ; les gouverneurs des Flandres, le gouverneur de Liège, ont été d'une autre opinion, et au moment même où la proposition de l'honorable M. de Naeyer a été déposée, j'ai reçu une dépêche de la députation permanente de Liège, qui prie le gouvernement d'insister très fort, et pour d'excellents motifs, afin que cet amendement ne soit pas adopté. La députation permanente de Liège dit entre autres choses que si la proposition de l'honorable M. de Naeyer était adoptée, elle donnerait lieu à de très grandes complications administratives et aurait de très sérieux inconvénients administratifs.

D'autres gouverneurs, ceux surtout de nos provinces flamandes, sont parfaitement d'avis que les communes de 5,000 âmes en général ne peuvent pas être privées encore des conseils des commissaires d'arrondissement.

Je crois donc que si d'un côté il y a deux opinions fort respectables, il y a aussi des avis contraires que nous devons également respecter.

Mais le grand grief qui existe est celui-ci. On dit : Il ne faut pas de distinction entre les villes et les communes, il ne faut pas de distinction d’ordre, la Constitution a aboli tout cela. Le régime différentiel pour le plat pays et pour les villes est supprimé.

Messieurs, qui le conteste ? Personne. Si l'on a maintenu cette distinction dans quelques-unes de nos lois, c'était par une espèce de tradition, par respect pour ce qui était. Le titre de ville ne confère aucun droit ; aujourd'hui encore, il est des villes qui portent ce nom depuis des siècles, et qui ne sont pas affranchies de la juridiction des commissaires d'arrondissement. C'est donc parce qu'on a tenu compte d'un état de choses ancien qu'on a maintenu le nom de villes et celui de communes.

Au reste, messieurs, veuillez-le remarquer, quoi que vous fassiez, il y aura toujours certaines distinctions entre les différentes localités du pays.

L'article 132 de la loi provinciale n'est pas la seule disposition législative qui parle de villes et de communes. Une foule d’autres dispositions dans nos lois maintiennent cette distinction ; j'en citerai quelques-unes.

Je ne vous parlerai pas de celle qui existait dans la loi électorale ; elle a disparu, mais l'article 76, que la Chambre a voté hier, ne consacre cette distinction.

La voirie dans les communes rurales est réglée par les députations permanentes ; la voirie dans les villes est réglée par arrêté royal.

(page 838) La loi du 10 avril 1841 sur la police de la voirie fait une distinction entre la police de la voirie dans les viles et la police de la voirie dans les communes rurales,

La loi du 1er février 1844 a réglé que la voirie urbaine n'est pas applicable à la voirie vicinale.

La loi du 1er juillet 1858 sur les expropriations pour cause de salubrité publique n'est applicable qu'aux villes. Il y a donc là encore une distinction entre les villes et les communes, et cependant dans les communes rurales il existe des agglomérations parfois très insalubres. Du reste, messieurs, si l'amendement des honorables MM.de Naeyer et Guillery était adopté, l'uniformité ne serait pas complète. Car il y aurait encore une distinction pour les villes qui ne seraient pas chefs-lieux D'autre part, l'amendement adopté, vous auriez encore une distinction et une distinction notable entre les communes belges. Les communes de 5,000 âme seraient soustraites à la servitude qui pèse sur elles ; mais les villes de 4,999 âmes resteront asservies. Et pourtant, il n'y a pas de différence notable entre ces localités ; leurs habitants sont tous des citoyens !

L'honorable M. de Naeyer nous dit : Les habitants des campagnes sont aussi capables que les habitants des villes. Je ne le conteste certainement pas. Mais il faut cependant reconnaître que dans les villes anciennes, par suite de la position qu'y occupent les habitants, et pour d'autres motifs encore, l'administration est plus facile que dans les communes rurales. Dans les villes, vous avez ordinairement des établissements d'instruction moyenne qui font défaut dans les campagnes. Dans les villes, vous avez plus de rentiers qu'à la campagne, c'est-à-dire plus de personnes qui peuvent consacrer exclusivement leur temps à l'administration publique.

Dans quelques-unes, les communes industrielles du Hainaut par exemple et qu'on nous a citées, la population, il est vrai, est nombreuse, et comme on l'a fait remarquer déjà, elle est presque exclusivement composée d'ouvriers, il est souvent difficile d'y trouver des personnes capables qui consentent à accepter les fonctions administratives.

Messieurs, c'est donc au point de vue de l'administration que je me suis placé jusqu'ici pour demander que les communes d'une certaine importance ne puissent pas, en règle générale, être soustraites à la juridiction des commissaires d'arrondissement. Maintenant, il y a d'autres considérations encore à faire valoir : le gouvernement est chargé de faire exécuter les mesures d'administration générale, de veiller dans tout le pays à l'exécution des lois ; eh bien, si vous voulez que les lois soient exécutées par le gouvernement, il fuit bien lui en laisser le moyen.

Quels sont les agents dont le gouvernement dispose ? Neuf gouverneurs et trente-deux commissaires d'arrondissement ; en dehors de ces fonctionnaires, le gouvernement n'a aucun agent responsable envers lui, aucun agent politique ; faut-il qu'une partie du pays échappe à leur surveillance, à l'action sage du gouvernement ?

M. Coomans. - C'est là le fond de la question.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, je le dirai franchement, c'est un côté important de la question ; le gouvernement qui n'a que 32 agents pour faire exécuter les lois, ne doit pas permettre qu'on soustraire à l’action de ces agents un certain nombre de localités du pays.

Il ne s'agit pas seulement, messieurs, de l'exécution des loi , il s'agit encore de faire comprendre à nos populations les vues du gouvernement ; quand je dis du gouvernement, je le dis en dehors de toute préoccupation politique, je parle du pouvoir central, du gouvernement qui doit avoir des agents pour expliquer partout les tendances, pour veiller à l'exécution des lois que vous faites, pour répondre surtout à ceux qui dénaturent constamment les intentions et les actes du gouvernement

Au point de vue national ou au point de vue général nous ne devons pas amoindrir l'action du peu d'agents dont l'administration centrale dispose dans les provinces.

Je le sais, messieurs, le pays est aujourd'hui fort calme, il est profondément attaché à ses institutions et à la dynastie ; mais il peut arriver des époques d'agitation, il peut se présenter des circonstances où le gouvernement peut très bien avoir besoin de quelques agents pour éclairer les populations.

En 1848, au moment de la révolution, ne nous le dissimulons pas, les idées françaises avaient quelque peu pénétrés dans nos provinces frontières. Nos commissaires d'arrondissement, profondément dévoués, ont alors rendu de véritables services ; ils encourageaient les faibles, ils fortifiaient l'esprit public. J'habite une province frontière et je sais parfaitement ce qui s’est passé à cette époque.

Messieurs, je ne veux suspecter les intentions de personne, mais je crois que plusieurs de ceux qui demandent la réduction des attributions des commissaires d’arrondissement, se placent à un point de vue restreint et se laissent entraîner par des préoccupations du moment ; autrefois, le commissaire d'arrondissement était un fonctionnaire parfait ; la majorité d'alors faisait constamment son éloge ; ce n'est que depuis 1847 qu'on a déclaré une guerre à outrance à ces fonctionnaires toujours utiles.

Messieurs, je vous en prie, ne vous laissez pas préoccuper par des circonstances passagères. Vous avez peut-être, dans ure lutte électorale, rencontré un commissaire d'arrondissement qui vous combattait, mais il ne faut pas envisager les choses par ce petit côté ; il ne faut voir ici que l'intérêt du pays, l'intérêt de l'administration et, comme je viens de le dire, l'intérêt du pays et l'intérêt de l'administration exigent que l'on maintienne aux commissaires d'arrondissement des attributions plus étendues que celles qui leur seraient laissées si l'amendement était adopté.

Cependant, messieurs, comme en toute circonstance j'aime à faire preuve de mon désir de conciliation, je veux bien reconnaître, d'accord avec mes collègues, qu'il y a quelque chose à faire pour les grandes communes.

Il peut sembler, je le veux bien, assez anomal de voir les communes suburbaines de Bruxelles, comptant jusqu'à 25,000 habitants, placées sous la juridiction du commissaire d'arrondissement, tandis que des villes peu populeuses correspondent directement avec les autorités provinciales.

Je me rallie donc à l'amendement proposé par la section centrale, et qui consiste à soustraire à la juridiction des commissaires d'arrondissement les communes ayant une population de 10,000 âmes, mais il me serait impossible d'aller plus loin, et je dois déclarer que l'amendement de M. de Naeyer ne peut nullement être admis par le gouvernement.

M. Guillery. - Messieurs, l'amendement qui vous est soumis consiste tout simplement à réparer, suivant une heureuse expression de l'honorable M. Rogier, une inadvertance de l'article 132 de la loi provinciale. Il ne s'agit pas d'autre chose. Pour le combattre, il a fallu imaginer un système qui n'a été développé dans cette enceinte par personne et que l’on a créé tout exprès pour se donner le plaisir de le renverser.

L'honorable ministre de l’intérieur, avec infiniment d'esprit, a supposé que les auteurs de l'amendement considéraient les commissaires d'arrondissement comme quelque chose de semblable aux anciens baillis ; il s'est égayé aux dépens de ceux qui soutenaient de pareilles thèses et il l'a fait avec beaucoup de succès d'hilarité.

Mais qu'il me soit permis de faire remarquer que ces thèses et ces adversaires n'existent que dans son imagination. Il les a créés, il les a fait naître pour avoir le plaisir de les terrasser, sûr d'avance du succès.

Voici en substance ce qu'on a dit, pour justifier l'amendement :

Les communes rurales de 5,000 âmes valent en 1865 ce que valaient en 1836 les villes de 5,000 âmes.

Et si c'est par une simple inadvertance qu'on a laissé, en 1836, les communes rurales de 5,000 habitants sous l'autorité des commissaires d'arrondissement, alors qu'on soustrayait à cette autorité les villes de même importance, peut-on maintenir une pareille disposition en 1865, après une discussion consciencieuse ?

M. le ministre de l'intérieur présente la justification et fait la glorification des commissaires d'arrondissement que personne n'attaque.

Ce sont les pères des communes, ils en sont les bienfaiteurs, ils en sont les guides, la lumière, que sais-je encore ?

Ils en sont les soutiens. Ils sont les seuls appuis du gouvernement, les seuls qui puissent l'aider à exécuter la loi, et enfin, en 1848 ils ont sauvé la Belgique... (Interruption.)

Ici, messieurs, je n'invente pas. Vous avez tous entendu l'éloge si flatteur qui a été fait...

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai dit qu'ils ont été utiles...

M. Rodenbach. - A Risquons-Tout.

M. Guillery. - Je croyais avoir entendu dire que si les commissaires d'arrondissement n'avaient pas existé, les choses ne se seraient pas aussi bien passées.

- Une voix. - Non, non.

M. Guillery. - J'ai donc mal entendu et j'accepte la rectification, mais j’avoue que je ne sais plus ce que venaient faire là les commissaires d'arrondissement rapprochés de la date de 1848, lorsqu'on parlait en mène temps de l'invasion des frontières...

- Une voix. - Dans les communes limitrophes ils ont été utiles.

M. Guillery. - Je crois que dans les communes limitrophes comme dans celles de l’intérieur, ce qui a sauvé la Belgique c'est tout simplement la nation belge, c'est tout bonnement l'attachement qu'ont tous les Belges pour leur nationalité. Aucun d'eux ne voulait être (page 859) Français, tout le monde était d'accord, il n'y a eu personne à combattre, et il n'y a pas eu besoin de sauveur.

En Hollande, il n'y avait pas, je pense, à cette époque du moins, de commissaires d'arrondissement et les choses se sont également fort bien passées.

Messieurs, la proposition est tellement simple qu'on n'éprouve qu'un embarras, c’est de la défendre.

Il faut, dit-on, des commissaires d'arrondissement pour éclairer les communes. Pour éclairer quelles communes ?

Evidemment celles avec lesquelles les gouverneurs se mettent difficilement en relation, avec lesquelles le gouverneur ne peut pas correspondre parce qu'elles sont trop nombreuses ou parce qu'elles ont trop peu d'importance.

Mais lorsqu'il s'agit des communes de 5,000 âmes dont l'honorable M. de Naeyer vous a donné l'énumération, n'est-il pas évident que les gouverneurs peuvent parfaitement se mettre en correspondance directe avec ces communes ?

Les commissaires d'arrondissement ne sont pas d'anciens baillis, et quant à moi je rends volontiers hommage au zèle de ces fonctionnaires, mais je dis que là où ils ne sont pas nécessaires ils sont nuisibles, attendu qu'ils sont une cause de retard dans l'expédition des affaires.

J'en ai causé avec des hommes très expérimentés, d'anciens ministres, d'anciens gouverneurs, des administrateurs consommés, tous m'ont dit que les commissaires d'arrondissement sont dans un grand nombre de circonstances un véritable obstacle à la prompte expédition des affaires.

Ils empêchent la communication directe entre l'administration communale et le chef de la province. Très souvent aussi ils pèsent de leur opinion personnelle là où il serait utile d'avoir directement l'avis du gouverneur.

Je crois que les commissaires d'arrondissement doivent continuer d'exister, mais je crois qu'ils auraient beaucoup à gagner à ce qu'on changeât leurs attributions si, au lieu de faire des commissaires d’arrondissement une espèce de sous-préfet, on en faisait tout simplement un inspecteur dans les mains du gouverneur chargés d'inspecter les registres de l'état civil et ceux des délibérations de la commune, de s'assurer partout si la loi est observée, d'entrer en relation avec les bourgmestres et de les éclairer sur les différents points de leur administration.

- Une voix. - C'est ce qu'ils font.

M. Guillery. - C'est ce qu'ils fout, et sous ce rapport je dis qu'ils sont irréprochables, mais ils deviennent une entrave lorsque le bourgmestre doit leur écrire, lorsque après avoir examiné la question ils doivent écrire à leur tour au gouverneur, attendre la réponse de ce fonctionnaire et la transmettre au bourgmestre.

Tous ceux qui ont l'expérience des affaires administratives savent que très souvent quand la solution d'une affaire se fait attendre et que l'on se rend au gouvernement provincial peur prendre des informations, on reçoit pour réponse que l'affaire est expédiée depuis longtemps et qu'elle se trouve chez le commissaire d'arrondissement.

Le conseil provincial du Brabant a été plus loin que la proposition qui vous est soumise en ce moment.

Dans sa séance du 8 juillet 1863, le conseil provincial émet le vœu que le gouvernement présente à la législature, dans le plus prochain délai, un projet de loi modifiant l'article 132 de la loi d'organisation provinciale en ce sens que les communes dont la population est supérieure à 4,000 âmes soient distraites des attributions des commissaires d'arrondissement.

L'honorable M. Liedts, dont on a déjà invoqué l'autorité, et certes, il serait difficile de trouver un homme plus distingué et plus expérimenté en matière administrative ; ce n'est pas à lui qu'on peut imputer d'imaginer que les commissaires d'arrondissement sont des tyrans, d'anciens baillis ; eh bien, l’honorable M. Liedts s'exprimait en ces termes dans son discours d'ouverture du conseil provincial du Brabant, en 1860, en parlant de la distinction entre les villes et les communes rurales.

« Cette dénomination n'a plus qu'une valeur historique ; elle serait contraire à l'esprit de notre Constitution, si elle servait de base à des distinctions législatives.

« Aussi nous appelons de tous nos vœux le moment où les pouvoirs publics effaceront de nos lois ces derniers vestiges de la division des communes en deux ordres, »

Voilà comment s'exprimait un ancien président de cette Chambre, ministre de l'intérieur et gouverneur pendant un grand nombre d'années et je crois, après cette citation, pouvoir supprimer tout ce que je me proposais de dire encore.

M. de Brouckere. - Messieurs, j’avais demandé la parole avec l'intention de répondre à l'honorable M. de Naeyer, M. le ministre l’ayant fait de la manière la plus complète, j'aurais pu garder le silence.

Je demande cependant la permission de répondre deux mots à l’honorable orateur qui vient de se rasseoir.

Tout en reconnaissant que les commissaires d'arrondissement ne sont pas des tyrans, des baillis, des agents dont l'autorité est redoutable, l'honorable M. Guillery n'a pas moins persisté à dire que, selon lui, les commissaires d'arrondissement étaient non pas un bienfait mais un obstacle pour les communes.

- Un membre. - Pour certaines communes.

M. Guillery. - Pour les communes assez considérables pour pouvoir correspondre directement avec le gouverneur.

M. de Brouckere. - L'honorable M. Guillery a parlé d'une manière générale. (Interruption.)

M. Guillery. - J'ai dit que là oh ils ne sont pas nécessaires ils sont nuisibles, mais j'ai demandé qu'ils fussent maintenus pour les autres communes.

M. de Brouckere. - Avec leurs attributions actuelles ?

M. Guillery. - J’ai indiqué une amélioration qui me paraît souhaitable.

M. de Brouckere. - Vous voyez donc que j'avais très lien compris. L'honorable M. Guillery a dit que les commissaires d'arrondissement, tels qu'ils existent en ce moment, étaient un obstacle pour les communes.

- Une voix. - Non !

M. de Brouckere. - Si vous ne voulez pas que je parle, dites-le, mais cessez de m'interrompre. Il a dit que c'étaient des obstacles à la prompte expédition des affaires et il a expliqué quelles étaient les attributions qu'on devait leur laisser et celles qu'on devait leur enlever.

Je ne me trompe certainement pas. Eh bien, je dis que si les commissaires d'arrondissement tels qu'ils sont institués aujourd'hui, sont un obstacle pour les communes, il faut les supprimer non pour les communes de 5,000 habitants, seulement mais pour toutes, et établir d'autres fonctionnaires avec les attributions qu'a indiquées Ml Guillery. Vous voyez bien que je suis dans le vrai. Eh bien, je voulais répondre à M. Guillery, que selon moi les commissaires d'arrondissement, loin d'être un obstacle, sont un véritable bienfait, que les commissaires d'arrondissement sont institués bien moins dans l'intérêt du gouvernement central et de l'autorité provinciale que dans l'intérêt des communes elles-mêmes.

Quant à moi, je ne voudrais leur enlever aucune de leurs attributions. Je ne vois pas, et j'ai quelque pratique de ce genre d'affaires dans différentes positions, je ne vois pas, dis-je, que les commissaires d'arrondissement soient en rien et jamais un obstacle pour les communes. Que sont les commissaires d'arrondissement ? Des intermédiaires bienveillants entre les communes et l'autorité supérieure. Les communes qui sont placées sous la juridiction des commissaires d'arrondissement correspondent avec eux, les commissaires d'arrondissement transmettent leurs rapports, leurs observations à l'autorité supérieure qui répond par leur intermédiaire.

Eh bien, je dis que cet intermédiaire est presque toujours utile. Les administrateurs des communes rurales ne sont pas toujours parfaitement au courant de notre législation ni des exigences du service administratif et leur correspondance laisse souvent beaucoup à désirer. Eh bien, que font les commissaires ? Ils renvoient les demandes, les rapports des communes avec des observations utiles, ils leur expliquent dans quelle forme elles doivent faite leur correspondance.

M. de Moorµ. - C'est là une vérité.

M. de Brouckere. - Je puis déclarer que je parle en homme pratique.

La correspondance des communes ne peut pas s'établir de la même manière avec l'autorité provinciale, la correspondance des autorités provinciales se fait par l'intermédiaire de chefs de division et de chefs de bureau, or, on ne peut attendre de la part de ces fonctionnaires encombrés de besogne, car il y a peu de fonctions aussi ardues que les leurs, on ne peut attendre de l'autorité provinciale, des procédés aussi bienveillants que ceux des commissaires d’arrondissement.

Et, permettez-moi de le dire, mes observations s'appliquent non seulement aux petites communes, mais aux communes rurales en général, eussent-elles même 5,000 habitants.

J'entends quelques-uns de nos honorables collègues, tant de la gauche que de la droite, demander qu'on se débarrasse à tout prix des commissaires d'arrondissement. On commence à en réclamer la suppression dans les communes de 5,000 habitants, mais si elle est un bienfait pour ( page 840) ces communes, elle en sera bientôt un pour les communes de moindre population.

Mais si la suppression des commissaires d'arrondissement devait être un bienfait, comment se fait-il que ceux de nos collègues qui représentent des arrondissements où les commissaires d'arrondissement ont été supprimés, viennent à chaque instant en réclamer le rétablissement ?

M. Bouvierµ. - Et vivement.

M. de Brouckere. - N'avons-nous pas entendu à diverses reprises l'honorable M. Kervyn insister pour qu'on rende un commissaire d'arrondissement à Eecloo, n'avons-nous pas entendu M. Bouvier insister avec vivacité pour le rétablissement d'un commissaire d'arrondissement à Virton.

M. le vicomte Vilain XIIII demande également qu'on rétablisse le commissaire d'arrondissement à Maeseyck.

- Une voix. - Et M. Van Iseghem.

M. de Brouckere. - Ah ! encore M. Van Iseghem voudrait bien aussi un petit commissaire pour son petit arrondissement d’Ostende.

M. Bouvierµ. - Et Dixmude.

- Une voix. - Du tout.

M. de Brouckere. - Je pourrais citer bien d'autres arrondissements encore. Et bien je me demande comment il se fait que, tandis que, d'un côté on réclame l’établissement de commissaires d'arrondissement comme un bienfait, de l'autre côté on ne sache quel moyen employer pour se débarrasser de ces fonctionnaires. Il y a là une contradiction évidente.

Je maintiens que les commissaires d'arrondissement sont des fonctionnaires éminemment utiles et utiles aux communes bien plus qu'à l'administration supérieure. Croyez-vous que dans le plus grand nombre de communes on rencontre beaucoup de gens qui s'entendent en comptabilité, à la tenue des registres de l'état civil, en statistique, en législation ? Evidemment non, et si vous supprimez aujourd'hui les commissaires d'arrondissement d'une manière générale, je n'hésite pas à dire que dans un an le trouble régnerait dans la comptabilité et que les registres de l'état civil seraient moins bien tenus qu'ils ne sont aujourd'hui. Car aujourd'hui ils laissent très peu à désirer.

On a beaucoup insisté sur la différence qui est faite entre les villes et les campagnes, entre les campagnards et les bourgeois. Mais on vous l'a déjà dit, et, je le répète, ce ne sont là que des mots.

Je suis convaincu que le campagnard est aussi fier d'être campagnard que le bourgeois d'être bourgeois, et qu'il ne ferait pas le plus léger sacrifice, pas même de 5 centimes de contributions par an pour s'appeler bourgeois.

M. de Naeyer. - C'est évident.

M. de Brouckere. - C'est évident, me dit-on ; eh bien, pourquoi alors établir ici une lutte entre le campagnard et le bourgeois ? Le campagnard vaut le bourgeois, le bourgeois vaut le campagnard. Mais ce qui est certain, c'est que dans quelques localités vous rencontre plus d'instruction et plus de gens capables que dans d'autres. Si vous voulez consulter la loi communale, vous verrez que dans plusieurs de ses dispositions elle fait une distinction entre les villes et les communes, entre les communes qui dépendent directement des administrations provinciales et celles qui sont placées sous la juridiction des commissaires d’arrondissement ; et pourquoi fait-elle cette distinction ? Parce qu'elle suppose qu'il y a plus de ressources administratives dans les premières que dans les autres.

Lisez par exemple les articles 79 et 81 de la loi communale, et vous verrez que des règles administratives toutes différentes y sont établies ... (Interruption.) Voulez vous que je vous les lise ? Les voici :

« Art. 79. Les budgets et les comptes des administrations des hospices, des bureaux de bienfaisance et des monts-de-piété de la commune sont soumis à l'approbation du conseil communal.

« En cas de réclamation il en statué sur ces objets par la députation permanente du conseil provincial.

« Néanmoins, pour les communes placées sous les attributions des commissaires d'arrondissement, les budgets et les comptes des bureaux de bienfaisance et des hospices devront dans tous les cas être soumis à l'approbation de la députation permanente du conseil provincial. »

« Art. 81. Le conseil arrête les conditions de location ou de fermage des biens et de tout autre usage des produits et revenus des propriétés et droits de la commune, ainsi que les conditions des adjudications et fournitures.

« Néanmoins, pour les communes placées sous les attributions des commissaires d’arrondissement, les actes de location et adjudications seront soumis, avec les cahiers des charges, à l’approbation de la députation permanente du conseil provincial.

« Il en sera de même pour les autres communes, pour les actes d’adjudication lorsqu’ils auront pour objet une valeur de plus de 10 mille francs.

J'ai cité ces deux articles seulement ; j'aurais pu en trouver d'autres, mais cette citation suffit, je pense, pour prouver que la loi elle-même établit une différence entre les communes qu'on appelle villes et les communes rurales.

Je suis convaincu que s'il s'agissait encore de faire la loi communale, beaucoup d'entre nous soutiendraient les dispositions dont je viens de donner lecture.

De tout cela, je conclus que les commissaires d'arrondissement sont utiles, qu'il faut les conserver, 1eur maintenir les attributions qu'ils ont aujourd'hui.

Maintenant, y a-t-il lieu, - je me servirai de l'expression qui semble être particulièrement agréable à quelques membres de la droite, - y a-t-il lieu d'émanciper un certain nombre de communes ? Ou appelle les émanciper, les soustraire à l'action bienveillante et bienfaisante des commissaires d'arrondissement.

Messieurs, je dis très franchement qu'il me semble que l'intermédiaire des commissaires d'arrondissement est inutile pour des communes de 20,000 ou de 25,000 habitants, surtout quand ces communes sout à proximité de chefs-lieux de province.

Ainsi, pour toutes les communes qui entourent la capitale, cela est évident, cela saute aux yeux.

Veut-on généraliser et dire qu'à l'avenir les communes de plus de 10,000 habitants ne passeront plus par l'intermédiaire des commissaires d'arrondissement ? Soit ! Je n'y vois pas grand mal, parce que cela ne s’applique qu'à un très petit nombre de communes. Mais je ne saurais me résoudre à voter l'amendement des honorables MM. de Naeyer et Guillery, qui aurait pour résultat d'enlever à l'action des commissaires d'arrondissement toutes les communes ayant une population d’au moins 5,000 habitants.

(page 849) M. Vermeireµ. - Contrairement à l'opinion émise par l'honorable M. de Brouckere, je viens déclarer que s'il était possible d'obtenir, immédiatement, la suppression totale des commissariats d'arrondissement, je voterais cette suppression avec la conviction de m'associer à une mesure éminemment utile. Puisque nous ne pouvons pas obtenir ce résultat en une seule fois, je me contenterai de voter l'amendement proposé par les honorables MM. Guillery et de Naeyer.

On s'est beaucoup occupé, dans cette discussion, de la nécessité dans laquelle se trouve l'administration, de maintenir les commissaires d'arrondissement afin de pouvoir gouverner convenablement et utilement.

Je crois, messieurs, que la distinction qu'on a faite entre les populations rurales et les populations urbaines n'a plus de raison d'être aujourd'hui. Et quand je considère nos administrations communales, surtout dans l'arrondissement de Termonde, je puis dire que les plus petites comme les plus grandes communes, et surtout leurs secrétaires sont parfaitement en état de correspondre directement avec l'autorité supérieure ; et que, dès lors, les commissaires d'arrondissement, d'après moi, ne sont plus que des intermédiaires inutiles, embarrassants et augmentant, sans nécessité aucune, les travaux de l'administration.

En effet, messieurs, qu'arrive-t-il le plus souvent dans la pratique ? C'est que lorsqu'une commune a quelque chose à demander, cette demande est soumise à de si nombreuses formalités qu'elle est souvent devenue sans objet lorsque enfin intervient une décision.

Messieurs, on a fait, quant à l'intelligence des populations urbaines et des populations des campagnes, une distinction contre laquelle je dois protester.

Je suis habitant de la campagne, et je puis affirmer que l'instruction et la civilisation ne sont pas moins avancées dans nos campagnes que dans les villes. Je suis bien convaincu que si l'on ouvrait une enquête sur ce point, elle confirmerait complètement mon appréciation.

Maintenant, messieurs, on a dit que le commissaire d'arrondissement est l'ami de la commune, le conseiller de la commune, l'avocat de la commune, le protecteur de la commune.

Pour ma part, je crois que nos communes rurales aussi bien que les villes peuvent parfaitement se passer de l'amitié et du protectorat du commissaire d'arrondissement ; j'avoue que le commissaire d'arrondissement étant avant tout l'agent du gouvernement, je ne comprendrais pas qu'il pût se faire l'avocat des communes contre l'autorité supérieure. Il m'est impossible de me figurer une situation dans laquelle une commune étant en contestation avec le gouvernement trouverait dans le commissaire d'arrondissement l'avocat le plus apte à bien défendre ses intérêts.

Maintenant, messieurs, pourquoi tient-on tant à la conservation des commissaires d'arrondissement ? Eh bien, il faut bien le dire, c'est que les fonctionnaires représentent bien plutôt les intérêts du gouvernement que ceux des populations ; c'est qu'il sont surtout les agents du pouvoir central et que, en temps d'élection surtout, ils usent de leur influence sur les bourgmestres pour arriver à combattre ou à appuyer tels ou tels candidats selon qu'ils sont hostiles ou favorables au gouvernement.

Or, messieurs, dans un pays comme le nôtre où, comme on le disait hier, la nation se gouverne par elle-même, les influences doivent venir non du gouvernement, mais des populations elles-mêmes qui sont particulièrement à même de bien connaître leurs intérêts.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et les curés ? (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Vous oubliez les curés !

M. Vermeireµ. - Je regrette beaucoup que M. le ministre de l'intérieur m'ait fait cette mauvaise interruption. Est ce que les curés sont des fonctionnaires de l'Etat ?

M. Bouvierµ. - Il sont payés par l'Etat.

M. Vermeireµ. - C'est une autre question.

M. Bara. - Ils ont les avantages de la position sans les inconvénients.

M. Vermeireµ. - Les curés ne sont pas les conseillers, les avocats des populations comme le sont les commissaires d'arrondissement d'après vos propres déclarations.

Dans les élections, le commissaire d'arrondissement n'est que l'agent du gouvernement pour maintenir le gouvernement contre le vœu des populations.

On dit encore que les commissaires d'arrondissement sont nécessaires pour inspecter la voirie vicinale, pour s'assurer si les chemins vicinaux continuent à être bien entretenus, pour voir si les cours d'eau sont convenablement curés. Cela est possible. Cependant j'habite une commune assez importante, qui a une voirie vicinale assez considérable et qui renferme beaucoup de cours d'eau ; je ne crois pas que le commissaire d'arrondissement y vienne plus de deux ou trois fois par an pour inspecter les chemins vicinaux et les cours d'eau.

Donc ce n'est pas là un argument.

Quand on dit que les commissaires d'arrondissement sont nécessaires dans l'intérêt des commune, je réponds, et c'est par là que je termine, je réponds qu'on avance un fait qui n'a plus de raison d'être, parce qu'il n'y a plus de différence à établir entre l'intelligence des campagnes et l'intelligence urbaine.

(page 847) M. de Naeyer. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire en réponse au discours de l'honorable M. de Brouckere, qui s'est placé un peu à côté de la question.

L'honorable membre a présenté des observations qui peuvent être parfaitement justes, quant à l'utilité des commissaires d'arrondissement ; elles viendraient plus à propos si, dans l'amendement, il s'agissait de supprimer les commissaires d'arrondissement. Mais j'ai expliqué de la manière la plus claire que telle n'est pas du tout la portée de l'amendement.

Il y a aujourd'hui 2,478 communes qui sont soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement, il s'agit de soustraire à cette autorité 74 communes, c'est-à-dire moins de 3 p. c.

Il n'est donc pas question là de là suppression des commissaires d'arrondissement ; cela n'y ressemble ni de près ni de loin.

Donc l’honorable membre peut être convaincu que les commissaires d'arrondissement sont les vrais tuteurs des communes, sans être hostile pour cela à notre amendement.

C'est également la conviction de l'honorable M. Liedts qui n'en a pas moins jugé qu'il était utile et convenable de soustraire à cette tutelle les communes parvenues à un degré d'importance qui permette de les émanciper.

Ce mot d’émancipation n'a rien de blessant pour les commissaires d'arrondissement, comme il n'y a rien de blessant pour un père, quand il émancipe son fils, comme il n'y a rien de blessant pour un tuteur, quand le conseil de famille émancipe le pupille ; la tutelle est une chose éminemment respectable ; mais je pense que l'honorable M. de Brouckere n'en voudrait plus pour lui ; il est donc naturel aussi que pour certaines communes la suppression de la tutelle des commissaires d'arrondissement soit aussi une chose désirable sans qu'on veuille la suppression pour les communes moins importantes ; je pense que tout en vantant les bienfaits de l'institution des commissaires d'arrondissement, l'honorable membre pourrait, sans être en contradiction avec lui-même, admettre avec des administrateurs aussi compétents que lui, tels que MM. Liedts et Troye, admettre, dis-je, l'émancipation des communes, lorsqu'elles ont acquis un degré d importance déterminé.

L'honorable membre dit que, nonobstant notre amendement, il y aura toujours des communes qui seront soumises à la juridiction des commissaires d'arrondissement, et d'autres qui n'y seront pas soumises ; eh bien, ii y aura pour ces deux catégories de communes des règles différentes à suivre ; mais cela n'a rien de commun avec la question de savoir s'il y a lieu de maintenir une distinction répugnante, comme le disait l'honorable M. Rogier, entre les villes et les communes rurales.

J'admets parfaitement que des communes de 2,000 âmes peuvent être soumises à l'autorité des commissaires d'arrondissement, alors que celles de 5,000 y sont soustraites. Il n'y a rien de blessant pour les premières communes. Il est tout naturel d'admettre qu'une population de 5,000 habitants renferme plus de capacités qu'une population de 2,000 habitants. C'est en quelque sorte l'application de la maxime qui dit que tout le monde a plus d'esprit que le petit nombre, et cela n'a rien de blessant pour le petit nombre ; mais il n'en est plus de même quand vous octroyez à 5,000 citadins une capacité que vous refusez à 5,000 campagnards, par cela seul qu'ils sont campagnards.

Aujourd'hui, vous avez des communes qui ont une importance égale ; les unes s'appellent villes, les autres s'appellent communes rurales.

Celles-là, d'après vous, sont capables de s'administrer elles-mêmes, les autres ne le sont pas. Eh bien, nous demandons qu'elles soient toutes traitées de la même manière attendu qu'au point de vue de la population elles ont la même importance et présentent ainsi les mêmes garanties de capacité.

L'honorable membre dit que la distinction que je combats n'est qu'une distinction de mots, eh bien, soit ; mais si ce n'est qu'une distinction de mots, donnez alors aux mots la même signification, attribuez-leur les mêmes effets juridiques, dites que l'article 132 de la loi provinciale s'applique de la même manière aux communes rurales et aux villes et nous serons parfaitement d'accord, car enfin nous ne demandons pas autre chose.

On a donc exagéré singulièrement la portée de notre proposition pour avoir le plaisir de combattre ce que j'appelle un fantôme.

On nous représente comme faisant une guerre à mort aux commissaires d'arrondissement. Il n'en est rien. Nous ne contestons pas qu'ils peuvent être utiles dans les petites communes, et c'est précisément pour les y rendre plus utiles que nous voulons soustraire à leur juridiction les communes de plus de 5,000 âmes.

Remarquez, messieurs, que notre proposition s'applique surtout aux commissariats d'arrondissement, comprenant un si grand nombre de communes et des populations si considérables que les commissaires d'arrondissement sont réellement surchargés de besogne.

Les arrondissements de Bruxelles, de Gand, de Charleroi, de Mons et de Liége sont notamment dans ce cas. En cessant d'exercer leur action sur quelques-unes de ces communes, les commissaires d'arrondissement seront des tuteurs plus actifs, plus assidus pour les autres communes qui, à raison de l'insuffisance du personnel pour composer leur administration communale, peuvent avoir besoin de l'intervention de ces fonctionnaires. Vous voyez donc qu'au fond notre amendement ne contrarie aucunement les idées exposées par l’honorable M. de Brouckere.

(page 840) M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, deux questions sont soulevées par la proposition des honorables MM. de Naeyer et Guillery. La première est celle de savoir jusqu'à quel point il faut abaisser le chiffre de la population des communes soumises à l'administration des commissaires d'arrondissement, la seconde est celle de savoir s'il faut continuer à établir une distinction entre les villes et les campagnes.

La proposition qui est en discussion présente une singularité à mes yeux. C'est que 74 communes serait distraites des attributions des commissaires d'arrondissement ; taudis qu'un nombre assez considérable de communes qui aujourd'hui ne sont pas placées dans leurs attributions, tomberaient sous leur juridiction.

(page 847) M. de Naeyer. - C'est une erreur complète ; permettez-moi de donner un mot d'explication.

M. Dumortier. - Volontiers.

M. de Naeyer. - Nous ne changeons absolument rien à ce qui existe aujourd'hui pour les villes, nous l’étendons seulement aux communes rurales.

M. Dumortier. - Ce n'est pas votre intention, mais c'est votre texte.

M. de Naeyer. - D'après le paragraphe 2 de l'article 132 de la loi provinciale, les attributions du commissaire d'arrondissement s'étendent sur les communes rurales et, en outre, sur les villes dont la population est inférieure à 5,000 âmes, pour autant que ces villes ne soient pas chefs-lieux d'arrondissement.

Eh bien, nous disons que les attributions des commissaires d'arrondissement s'étendent sur les communes en général dont la population est inférieure à 5,000 âmes, à moins qu'elles ne soient chefs-lieux d'arrondissement.

Votre erreur est celle-ci : vous croyez que toutes les villes sont affranchies aujourd'hui de la tutelle des commissaires d'arrondissement. Il n'en est rien, ii n'y a que les villes de 5,000 âmes et les chefs-lieux d'arrondissement qui sont affranchis.

Nous maintenons cela ; seulement nous l’étendons aux communes rurales ayant la même importance. Vous voyez donc que tout ce qui est relatif aux villes est maintenu, et que nous nous bornons à appliquer la même disposition aux communes rurales se trouvant dans les mêmes conditions.

(page 840) M. Dumortier, rapporteur. - Alors je ne devine pas à quoi a servi cette longue discussion sur la distinction entre les villes et les communes. Cela a pris beaucoup de temps à la Chambre, et rien de plus.

Je voulais à cet égard rappeler quelques faits pour expliquer que, ce n'est pas par inadvertance que, dans la loi provinciale, nous avons fait une catégorie spéciale pour les villes.

Avant la révolution de 1830, les villes et les communes de la Belgique étaient régies par des règlements différents. Il y avait le règlement des villes et il y avait le règlement du plat pays.

Toutes les villes étaient soustraites à la juridiction du commissaire d'arrondissement ; le plat pays seul était dirigé par eux.

Dans le plat pays, le peuple n'avait pas la nomination de ses magistrats, pas même de ses conseillers communaux ; c'était la députation permanente qui nommait les conseillers communaux.

Ne croyez donc pas qu'on n'ait rien fait en 1830. Oaa fait beaucoup puisqu'on a émancipé toutes les communes du plat pays dont le nombre s'élève à plus de 2,400. Voilà le grand acte de la loi communale : c'est l'émancipation de toutes les communes du plat pays.

Mais en décrétant cette émancipation, l’on n'a pas voulu toucher aux souvenirs historiques. Certaines localités, sous le régime antérieur, ont été qualifiées du nom de ville. Nous n'avons pas voulu leur enlever ce titre. Parce que nous faisions du bien à 2,400 communes, ca n'était pas une raison pour faire tort aux autres. Messieurs, je serais paysan, que je ne serais nullement offensé, parce qu'on dit : la ville de Bruxelles.

M. de Naeyer. -Nous ne sommes pas offensés.

M. Dumortier. - Vous paraissez attacher une grande (page 841) importance à cette distinction, vous venez nous parler de paysan, de bourgeois, etc. Mais ce n'est plus là qu'un souvenir historique, et ce souvenir historique est respectable. Certaines distinctions entre les communes seront d'ailleurs toujours nécessaires dans nos lois, dans les lois sur la voirie et autres.

Les villes anciennes, qui étaient presque toutes entourées de fortifications, ont conservé des populations agglomérées ayant une existence propre, qu'on peut effacer du lexique législatif, mais qu'on n'effacera pas de la réalité et des faits.

Je le répète, messieurs, donnons la liberté et l'égalité à nos communes ; mais conservons les noms qui consacrent des souvenirs historiques et qui sont en quelque sorte un ornement de notre histoire.

Messieurs, l’autre question est celle des commissaires d'arrondissement.

Je ne croîs pas que l'opinion qu'a émise tout à l'heure l'honorable M. de Brouckere soit en conformité complète avec celle que j'ai entendu émettre ici plusieurs fois, par son frère, M. Ch. de Brouckere. Savez-vous comment M. Ch. de Brouckere considérait les commissaires d’arrondissement ? Comme des porteurs de lettres.

- Plusieurs membres. - Des boites à lettres.

M. Dumortier, rapporteur. - Je ne voulais pas me servir de l'expression, mais il l'a répétée plusieurs fois. Les commissaires d'arrondissement avaient une très grande utilité à l'époque où vous n'aviez pas la poste rurale. On avait alors des messagers ruraux qui soignaient la correspondance. Mais depuis que la poste rurale est établie et qu'il y a des boîtes aux lettres dans la plupart de nos villages, je dois déclarer que les boîtes à lettres de cette époque ont perdu a mes yeux beaucoup de leur importance.

Ces boîtes à lettres sont-elles nécessaires pour les communes importantes ? Est-il bien, oui ou non, d'émanciper les communes importantes ? J'examine le district que j'ai l'honneur de représenter.

Dans ce district se trouvent quatre communes qui ont 8,000 à 9,000 habitants et je déclare qu'il y a dans ces communes autant d'intelligence, autant d'études, autant de capacités que dans un très grand nombre de nos villes.

Je pourrais en dire autant pour les communes qui environnent Bruxelles, Ixelles, etc.

Quel motif a-t on de multiplier la paperasserie, de multiplier les écritures, lorsque l'administration de es communes pourrait marcher beaucoup plus vite, si elles étaient en rapport direct avec le chef-lieu de la province ?

Je crois d'ailleurs que les commissaires d'arrondissement y gagneraient en ce qu'ils pourraient donner plus de soins aux communes qui leur resteraient.

Et que leur resterait-il ? il leur resterait 2,404 communes sur 2,478 qui composent le royaume. Les commissaires d'arrondissement ne seraient pas encore trop mal lotis.

Messieurs, j'émets ici une opinion personnelle. La section centrale propose de ne soustraire à la juridiction des commissaires d'arrondissement que les communes d'au moins 10,000 âmes, j’ai voté contre cette proposition et je conserve mon opinion. Je crois que le chiffre de 5,000 habitants est très suffisant, surtout lorsque je vois des hommes de la valeur de M. Liedts et de M. Troye, mes anciens collègues, dont l'un a été plusieurs fois ministre, dont l'autre connaît admirablement l'administration, prétendre qu'il faut réduire, comme vous l'a dit l'honorable M. Guillery, les attributions des commissaires d'arrondissement, non pas aux communes de moins de 5,000 âmes, mais aux communes de moins de 4,000 âmes.

Ainsi, l'on ne va même pas jusqu'au chiffre demandé par l'honorable M. Liedts.

Je crois, messieurs, que la mesure proposée facilitera beaucoup les rapports de ces importantes communes avec le gouvernement. Au lieu d'avoir des écritures et des écritures encore, et de faire de la paperasserie sans nombre, l'administration sera simplifiée. La mesure ne peut donc qu'être utile.

- La discussion est close.

MpVµ. - Nous avons deux propositions : celle de MM. de Naeyer et Guillery et celle de la section centrale. La proposition de MM.de Naeyer et Guillery doit être considérée comme principale être mise la première aux voix. (Interruption.)

M. de Brouckere. - Je crois que la seule marche à suivre est de mettre d'abord aux voix l'amendement des honorables MM. Guillery et de Naeyer. C'est évidemment celui qui s'éloigne le plus de l'état de choses actuel. Si cet amendement passe, il est évident que les communes de 5,000 âmes seront comprises dans la disposition. S'il est rejeté, on mettra aux voix l'amendement de la section centrale.

MpVµ - Je vais donc mettre aux voix l'amendement de MM. de Naeyer et Guillery.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de MM. de Naeyer et Guillery.

En voici le résultat :

72 membres sont présents.

39 adoptent.

33 rejettent.

En conséquence la proposition est adoptée.

Ont voté l'adoption :

MM. de Mérode, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, Dewandre, de Woelmont, Dumortier, Goblet, Grosfils, Guillery, Hayez, Hymans, Janssens, Jamar, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Le Hardy de Beaulieu, Magherman, Moncheur, Pirmez, Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Sabatier, Tack, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Humbeeck, Vermeire, Verwilghen, Vleminckx, Coomans, Couvreur, de Borchgrave, de Conninck, de Haerne et Delaet.

Ont voté le rejet :

MM. de Moor, de Vrière, Elias, Frère-Orban, Jacquemyns, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Lebeau, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Rogier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Allard, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, de Baillet-Latour, C. de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove et E. Vandenpeereboom.


MpVµ. - La Chambre entend-elle procéder immédiatement au vote définitif ?

- Des membres. - Oui ! Oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je demande l'exécution du règlement.

MpVµ. - C'est de droit.

Motion d’ordre

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, vous avez tous été frappés d'horreur en apprenant, il y a trois jours, l'assassinat du président des Etats-Unis. Vous avez tous senti que ce n'était pas seulement le chef d'une nation libre qui était frappé, mais en même temps la loin qui est la garantie de tous, et, on peut le dire, la civilisation elle-même ; car il n'y a plus de sécurité pour personne quand la passion politique substitue le fait brutal à l'action protectrice des lois.

J'ai cru, messieurs, que nous ne pouvions pas laisser passer cette circonstance douloureuse sans exprimer les sentiments que nous ressentons.

Je ne vous ferai pas l'histoire de l'homme éminent qui n'est plus ; sorti des rangs les plus humbles de la société, il s'est élevé lui-même par le travail et la nation américaine, avec cet instinct qui ne fait jamais défaut aux peuples dans les circonstances décisives, l'a choisi pour la guider dans la situation difficile où une insurrection formidable l'avait placée.

Vous savez, messieurs, quelles furent les difficultés que Lincoln a eu à vaincre.

Placé en face d'une partie de la nation insurgée contre les lois qu'elle avait faites elle-même, il n'a pas failli un seul instant à sa tâche. Dans les circonstances les plus périlleuses, en face de dangers de tout genre, extérieurs et intérieurs, il s'est toujours montré calme, et je dirai même bienveillant vis-à-vis de ses ennemis les plus passionnés. Après des efforts gigantesques, après une lutte de quatre années, Lincoln était enfin arrive au terme des luttes qui ont ensanglanté le sol américain, et les plus grandes difficultés de sa tâche. Déjà il avait exprimé dans ce dernier discours, qui sera son testament politique, les sentiments de conciliation qui l'animaient, lorsque la balle d’un assassin est venu le frapper lâchement par derrière.

Je ne sais, messieurs, quelles seront les conséquences de ce forfait que je ne puis flétrir par une expression assez énergique ; tout ce que je puis dire, c'est que le parlement d'une nation libre comme la Belgique manquerait à ses devoirs de confraternité internationale comme à ses sentiments s'il n'exprimait l'horreur et le regret que lui ont inspirés le crime qui a privé une grande et généreuse nation du chef qu’elle s'était donné.

En exprimant ces sentiments, nous affirmerons, messieurs, les vœux unanimes que nous formons pour que cette perte si regrettable n’ôte pas à la nation américaine le calme qui est nécessaire pour opérer la grande (page 842) œuvre de conciliation et de pacification que Lincoln avait si noblement commencée. J'ai dit.

(page 847) Je m'empresse de m'associer, messieurs, à la haute pensée qui vient d'être développée par notre honorable collègue et je suis persuadé qu'en exprimant avec lui le sentiment d'horreur que l'attentat d'Amérique a fait naître chez nous, comme chez tous les peuples civilisés, nous répondons à l'opinion de toute la Chambre et de tout le pays.

Oui, messieurs, nous devons exprimer la plus grande indignation au sujet de ce crime politique, qui a plongé un grand peuple dans le deuil le plus profond, mais qui, il faut l'espérer, ne l'a pas découragé ; car le grand président qui a été victime de cette barbare et lâche action, a donné des exemples que ses successeurs sauront suivre pour le bonheur de la nation qu'ils représentent, et pour l'instruction dis peuples libres.

La catastrophe qui vient de jeter l'Amérique dans la consternation et de stupéfier le monde renferme un grand enseignement pour les peuples, surtout quand on la rapproche des victoires qui avaient réjoui l'Union américaine quelques jours auparavant.

La nouvelle de la capitulation du général Lee avait été annoncée dans la plupart des villes des Etats-Unis, le dimanche des Rameaux, jour consacré au Prince de la paix, comme l'a dit un journal américain, et c'est le vendredi saint que MM. Lincoln et Seward ont été frappés par de sauvages assassins. Ce rapprochement rappelle une parole profonde de l'auguste et saint pontife Pie IX, qui a dit, à propos des grandes vicissitudes qu'il (page 848) a rencontrées dans son règne : « Le vendredi saint est bien près du dimanche des Rameaux. » Le peuple unioniste, qui s’identifiait avec son chef, surtout depuis la dernière élection présidentielle, a été moralement immolé avec lui, après avoir joui du triomphe national, dont M Lincoln relevait l'éclat par sa modération.

La nation a été ensevelie dans sa douleur ; mais il faut espérer qu'elle sortira dans peu de jours du tombeau, comme le Prince de la paix et de la gloire, et qu'après avoir donné aux peuples et à leurs gouvernants une grande et terrible leçon dans le malheur, elle leur donnera, dans ta résurrection, un enseignement non moins précieux, car l'esprit de conciliation, que son digne président lui a légué, comme un gage mystérieux de sa prospérité future, dont elle trouvera le secret dans celle de son glorieux passé.

S'il est une nation, messieurs, qui doit s'associer au deuil de l'Amérique, dans cette circonstance, c'est la nation belge.

- De toutes parts. - Très bien !

M. de Haerne. - Car c'est la seule nation qui en restant fidèle à l'esprit de ses franchises traditionnelles, ait suivi de si près l'Amérique dans la fondation de son établissement politique et de ses institutions libérales.

Oui, messieurs, au Congrès nous avions, d'un côté, les yeux fixés sur l'Angleterre pour marcher dans la voie du progrès, dans la voie des libertés vraies et pratiques ; mais nous savions aussi qu'il y avait dans les institutions de ce pays des coutumes qui ne pouvaient plus être admises par nous et nous avons jeté nos regards au-delà de l'Atlantique ; nous avons trouvé là un grand peuple à imiter. Ce sont les institutions de ce peuple que nous avons inscrites pour la plupart dans notre pacte fondamental.

Nous avons suivi son exemple dans tout ce qui regarde les grandes libertés publiques, la division des pouvoirs, la nomination de la Chambre des représentants et du Sénat électif, et la décentralisation. C'est pour cela que la Belgique doit, selon moi, plus qu'aucun autre pays s'associer aux sentiments d'horreur et d'indignation qui animent toutes les nations civilisées, pour protester contre l’acte barbare qui a souillé le sol de l’Amérique, en y imprimant comme une dernière et lugubre trace de l'esclavage expirant sous le souffle de la civilisation.

Les sentiments qui se manifestent, messieurs, en ce moment dans cette Chambre retentissent dans l'Europe entière. L'Angleterre a protesté par l'organe de son parlement, la France par la voix de son empereur, la Prusse par la chambre des représentants, dont tous les membres se sont levés pour déclarer que cette infamie excite la réprobation de tous les peuples civilisés.

Nous devons en même temps, messieurs, rendre hommage à l'homme qui a été victime de cet horrible attentat, à l’homme qui, comme l'a très bien dit l’honorable M. Le Hardy de Beaulieu, est sorti du peuple et qui a jeté un grand éclat sur sa nation, comme certains papes, sortis aussi des rangs inférieurs de la société, ont fait le plus grand honneur à l'Eglise.

Lincoln a été le fils de ses œuvres ; il s'est formé lui-même en s'inspirant aux sources de liberté, à ces foyers de lumière qu'on rencontre chez une nation sagement démocratique, et il s'est élevé ainsi aux plus hautes dignités de l'Etat.

Il a légué par là à son successeur un exemple que celui-ci saura suivre, en s'appuyant, comme celui qui vient de succomber, sur l'opinion publique qui a toujours été son guide et contre laquelle il n'a jamais agi.

C'est là, messieurs, son grand titre d'honneur, qui, joint à sa fermeté et à sa sage impartialité, le fera vivre dans l'histoire.

En nous associant au concert des nations civilisées pour protester de l'horreur que nous inspire ce forfait politique, nous faisons une bonne action ; par la part que nous prenons au sentiment d'indignation universelle, nous arrêtons, pour autant qu'il est en nous, la contagion de cet abominable exemple, qui pourrait atteindre d'autres têtes encore.

En mettant au ban de la civilisation les monstres qui commettent de pareils attentats, nous faisons reculer ceux qui seraient tentés de les imiter.

(page 842) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, le gouvernement, je n'ai pas besoin de le dire, partage les sentiments qui viennent d'être exprimés avec tant d'éloquence par deux honorables membres de cette assemblée appartenant à des opinions politiques différentes. Il les partage et il n'a pas tardé à en transmettre l'expression au gouvernement des Etats-Unis et à son honorable représentant à Bruxelles.

La motion qui vient d'être faite est nouvelle en Belgique. elle a eu ailleurs déjà d'autres organes et la gravité de l'événement la justifie. Je considère l'adhésion sympathique qu'ont reçue les discours de l'honorable M. Le Hardy de Beaulieu et de l'honorable chanoine de Haerne comme l'expression unanime de l'opinion de la Chambre.

- Voix nombreuses. - Oui ! oui !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - La Chambre se sera ainsi associée au gouvernement dans les regrets que nous avons éprouvés et que nous avons exprimés à l'occasion de cet horrible attentat, qui a jeté la stupéfaction en Belgique comme dans le monde entier.

Nous devons aussi, messieurs, exprimer nos vœux pour le rétablissement d'un homme d Etat éminent qui a été frappé en même temps que le vénérable président de la République.

A la conservation de son existence se lie la pacification définitive de ces contrées trop longtemps désolées par les calamités d'une guerre qui a affligé tous les amis de la liberté.

Puisse, messieurs, cet homme d'Etat, investi aujourd'hui d'un mandat bien difficile, persévérer dans les sentiments de modération dont il a toujours su faire preuve au milieu des excitations de la lutte et puissions-nous un jour célébrer, en même temps que le rétablissement de l'honorable M. Seward, le rétablissement de la paix entre les fractions d'un grand peuple que nous admirons, qui a toujours eu nos sympathies et qui, je l'espère, reprendra dans le monde le beau et grand rôle qui lui est assigné. (Marques unanimes d'adhésion.)

MpVµ. - Messieurs, aucune proposition n'étant faite, le bureau constate que la Chambre est unanime pour adhérer aux sentiments exprimés par les discours des honorables orateurs qui viennent d« parler.


M. Tack. - Messieurs, je propose de remettre à mercredi le second vote sur la loi que vous venez de discuter. Je pense que l'intention de M. le ministre de l'intérieur est de revenir sur la question ; or, il importe que tout le monde soit présent.

- Plusieurs membres. - A jeudi.

- La Chambre décide que le second vote aura lieu jeudi.

La séance est levée à 4 1/2 heures.