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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 26 avril 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 803) M. Thienpont, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Van Humbeeck, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont présente l'analyse suivante des pièces adressées la Chambre.

« Des propriétaires et habitants de Molenbeek-Saint-Jean et de Koekelberg demandent que la ligne de raccordement de la station du Nord à celle du Midi soit établie au-delà de l'agglomération de la commune de Koekelberg, ou du moins par des passages en dessous des voies de communication de cette partie des faubourgs et notamment du boulevard d'Anvers. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Les sieurs Noyard et Metkens réclament contre la décision en vertu de laquelle leurs fils et le sieur J.-B. Baise ont été désignés pour le service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des industriels et commerçants du bassin du Centre prient la Chambre de comprendre dans la répartition de l'emprunt de 60 millions la somme nécessaire à l'élargissement du canal de Charleroi à Bruxelles ou du moins au rachat de ses embranchements. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.

M. J. Jouret. - La pétition qu'on vient d'analyser a une importance telle que, dans des circonstances ordinaires, j'aurais demandé qu'elle fût renvoyée à la commission permanente de l'industrie et j'aurais exprimé le désir que cette commission fût invitée à nous présenter un prompt rapport. Après la résolution que la Chambre a prise hier sur la proposition de l'honorable M. de Theux, je crois, messieurs, qu'il y a quelque chose de plus utile à faire dans l'intérêt des pétitionnaires, c'est de se rallier aux conclusions du bureau qui consistent dans le renvoi de la pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.

Qu'il me soit permis cependant de dire un seul mot pour appeler l’attention de la Chambre sur cette pétition qui a une importance extrême ; et, pour le faire, je me bornerai à lui indiquer les noms des signataires de la pétition ou du moins des intérêts que ces signataires représentent. Il y a au bas de cette pétition les noms : du directeur des charbonnages du Bois-du-Luc, du directeur du charbonnage de la Louvière ; de nombreux maîtres de forges et de verreries ; du directeur de la compagnie des laminoirs du Centre ; d'un grand nombre de bourgmestres, de directeurs de compagnies d'ateliers de construction ; de directeurs d'autres compagnies industrielles et constructeurs de bateaux ; enfin du propriétaire de la belle faïencerie de Kéramis.

Je n'ai appelé sur ces signataires l'attention de la Chambre qu'afin qu'elle veuille bien ne pas perdre de vue leur pétition lors de la discussion de la grande loi de travaux publics. L'objet de la pétition est de la plus haute importance.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, la demande en obtention de la naturalisation ordinaire du sieur Godimus, demeurant à Anvers. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Motion d’ordre

M. H. de Brouckereµ. - J'ai demandé la parole, messieurs, pour vous soumettre la proposition dont je vais avoir l'honneur de vous donner lecture et qui est signée par plusieurs de nos collègues et par moi.

« Il est de notoriété publique que, dans la matinée du 8 de ce mois en duel a eu lieu entre un ministre et un membre de la Chambre.

« Le duel, quelles qu'en aient été les suites, et n'eût-il même eu aucun résultat, est puni par la loi du 8 janvier 1841.

« Mais aux termes des articles 90 et 134 de la Constitution, dispositions sur le sens et la portée desquelles au surplus les opinions les plus diverses se sont fait jour, à la Chambre des représentants seule semble appartenir le droit d'accuser un ministre, à la cour de cassation celui de le juger, tandis que l'article 45 de la Constitution règle ce qui concerne la poursuite d'un membre de la Chambre, en matière de répression pendant la durée de la session.

« Il importe que les questions graves que soulèvent les faits qui viennent d'être rappelés, mis en rapport avec les articles précités de la Constitution, fassent l'objet d'un mûr examen, afin que la Chambre puisse, après cet examen, prendre la décision qu'au cas appartiendra.

« En conséquence les soussignés ont l'honneur de proposer à la Chambre la nomination d'une commission composée du président et de six membres à désigner par le bureau, à l'effet d'examiner ces questions et de soumettre un rapport à la Chambre sur tout ce qui les concerne. »

« Bruxelles, 26 avril 1865.

« (Signé) de Brouckere, de Theux, Dolez, Kervyn de Lettenhove, Bara, Delcour. »

MpVµ. - Vous avez entendu, messieurs, la proposition qui vient d'être faite au nom de six membres de cette Chambre. Quelqu'un demande-t-il la parole ?

M. Dumortier. - Il est une chose qui me frappe dans la manière de procéder qui nous est proposée ; c'est qu'elle tend ou tout au moins qu'elle aurait pour effet de faire retomber sur la Chambre une responsabilité qui ne lui incombe pas en pareille matière.

La Chambre a devant elle un ministère responsable qui est là pour faire exécuter les lois. En second lieu, il y a une autorité judiciaire qui est instituée pour faire respecter les lois. Nous faisons les lois, ce n'est pas à nous de les appliquer.

J'avoue que je ne pensais pas que l'affaire dont on vient d'entretenir la Chambre pût être introduite de cette manière, et il me semble qu'on veut nous faire jouer ici un rôle qui n'est pas le nôtre. Je me borne donc à cette simple observation ; j'attendrai la réponse qu'on me fera pour entrer plus avant dans le débat. Selon moi, c'était au gouvernement qu'il appartenait de prendre l'initiative d'une proposition en cette circonstance.

C'est au gouvernement, agent du pouvoir exécutif, à faire exécuter cette loi. Ce n'est pas à nous, qui sommes députés, à l'exécuter.

Quand on aura nommé une commission, quelle en sera la conséquence ? Vous allez traiter la question de droit. Mais quand vous aurez traité une question de droit, qu'est-ce que vous aurez fait ? Oit voulez-vous aller avec cette question de droit ? C'est au gouvernement à nous éclairer sur la manière dont il entend se conduire en cette affaire.

M. de Brouckere. - Je prie la Chambre de remarquer que je ne lui propose de trancher aucune question. Un fait s'est passé qui intéresse la Chambre. Ce fait a vivement préoccupé l'opinion publique. Je demande à la Chambre qu'elle nomme une commission à l'effet d'examiner toutes les questions qui se rattachent à ce fait et s'il y a lieu pour elle d'intervenir.

La commission, après examen, vous présentera son rapport, et si la majorité de la commission est de l'avis de l'honorable préopinant, elle conclura à ce que la Chambre s'abstienne.

M. Dumortier. - Je ne vous ai pas dit que la Chambre devait s'abstenir. J'ai dit que c'était intervertir les rôles que de prendre l'initiative en pareil cas.

M. de Brouckere. - Je ne propose pas à la Chambre de prendre l'initiative.

Je désire uniquement que la Chambre, par l'intermédiaire de son bureau, nomme une commission qui examinera toutes les questions se rattachant au fait et qui commencera par examiner la question de savoir s'il y a lieu pour elle d'intervenir ou de ne pas intervenir.

M. Orts. - Messieurs, la seule critique que vient de soumettre à l'appréciation de la Chambre l'honorable M. Dumortier, se réduit à ceci : D'après lui, la Chambre prend sur elle une responsabilité qui ne lui incombe pas. Il faudrait attendre l'initiative du gouvernement ou même l'initiative du ministère public.

L'observation de l'honorable M. Dumortier me paraîtrait fondée, s il ne s'agissait que d'attendre une demande d'autorisation de poursuites contre un membre de l'assemblée législative. Mais l'observation de l'honorable M. Dumortier ne me paraît pas pouvoir être accueillie, lorsqu'il (page 804) s’agit d'une initiative appartenant exclusivement à la Chambre ; telle est l'éventualité d'une mise en accusation d'un ministre.

Je sais que c'est une question délicate, une question contestée, une question douteuse même que celle de savoir s'il y a lieu de mettre en accusation un ministre, alors qu'il n'a qu'à répondre d'un délit étranger à l'exercice de ses fonctions.

Mais si cette question est douteuse, si elle est délicate, elle l'est non seulement pour la Chambre, mais pour le pouvoir judiciaire également, et si le pouvoir judiciaire dont nous ne pouvons connaître la manière de penser, la conviction intime, croit qu'à la Chambre seule il appartient de mettre un ministre en accusation pour des faits tombant sous le coup de lois répressives et qui n'ont pas été posés dans l'exercice de ses fonctions ministérielles, il est incontestable que l'autorité judiciaire ne nous saisira pas et que nous n'avons aucun moyen de l'obliger à nous saisir.

Maintenant, supposons l'autorité judiciaire dans la pensée que l'initiative appartient à la législature. L'abstention complète de la Chambre est-elle, dans la circonstance actuelle, une chose désirable ? Est-elle une chose digne ? C'est ce qu'il convient que la Chambre fasse examiner par une commission.

Cela, messieurs, est non seulement de notre intérêt comme corps ; cela est de l'intérêt de nos institutions ; cela est de l'intérêt même des personnes que ce débat touche spécialement. Il faut que le pays ne soupçonne pas un instant de plus, après l'heure actuelle, que les Belges ne seraient pas, aux yeux de la Chambre, égaux devant la loi. Il faut que l'on sache qu'alors même que la Chambre aurait le pouvoir d'arrêter l'action de la justice, elle n'a pas la volonté d'user de ce pouvoir, quand le salut de l'Etat ne l'exige pas.

Je demande donc un examen de la question. Si le droit d'accusation en cette matière appartient à la Chambre seule, la Chambre peut l'exercer.

Le gouvernement dont l'honorable M. Dumortier regrette l'inaction, n'a pas même le droit de nous mettre en demeure de nous prononcer sur l'exercice de ce pouvoir. Si le ministère ou l'un de ses agents nous avait saisis, j'aurais vu dans cet acte un manque de respect, un oubli de nos prérogatives souveraines.

Dans des circonstances analogues et dans d'autres pays, lorsque le pouvoir exécutif, lorsque le gouvernement a cru pouvoir saisir la législature qui avait le droit d'accusation ou la Chambre qui avait le droit de juger, comme la chambre des pairs en France, ces corps se sont saisis de l'affaire, mais avec protestation contre l'intervention du gouvernement. Les Chambres se sont toujours prétendues souveraines, et je crois qu'elles doivent l'être. Car, en réalité, la mission qu'elles exercent, lorsqu'elles mettent en accusation un ministre, comporte l'exercice à la fois d'une part de pouvoir judiciaire et d'une part de pouvoir législatif.

Si vous accusez les ministres, vous pouvez le faire pour un fait que nulle loi pénale ne qualifie délit ; c'est un droit que vous avez de par la Constitution, sauf à la cour de cassation de caractériser le délit et de modérer la peine comme elle l'entend, malgré les lois existantes. Evidemment, vous agissez à la fois comme juge et comme législateur.

Je demande donc que ces questions graves, ces questions qui intéressent la dignité de la Chambre et la dignité du pays soient examinées par une commission. Jamais commission parlementaire n'a été plus opportune et jamais examen n'aura été plus utile et en même temps plus conforme aux véritables intérêts de tous.

M. Dumortier. - Je n'entends pas plus que l'honorable préopinant prêcher ici l'impunité parlementaire. Mais ce qui me semble étrange, c'est de voir que l'initiative, en pareil cas, ne vienne pas de ceux qui sont appelés par la Constitution et les lois à prendre cette initiative.

MfFOµ. - Vous décidez la question par la question.

M. Pirmez. - Je demande la parole.

M. Dumortier. - Dès le premier abord, c'étai it à M. le procureur général à nous adresser une demande, s'il y avait lieu. Cette demande est-elle arrivée, oui ou non ? Elle n'est pas arrivée.

En second lieu, c'était au gouvernement à nous exposer quelle ligne de conduite il entendait tenir dans cette affaire.

D'où viennent tous les embarras, tous les difficultés de la situation ? Elles viennent de ce que, depuis trente-cinq ans, nous réclamons en vain une loi sur la responsabilité ministérielle et qu'on a trouvé plus commode d'être ministre irresponsable que d'être ministre responsable. Si cette loi était faite, toutes les règles seraient tracées et aujourd'hui elles ne le sont pas. On préfère faire des lois sur le clérical que de consolider le régime représentatif.

Je sais fort bien que le gouvernement n'a pas à prendre l'initiative de demander des poursuites contre des membres de cette Chambre. Je sais très bien que le gouvernement n'a pas à prendre l'initiative et ne voudrait probablement pas prendre l'initiative de la mise en accusation d'un de ses membres. La mise en accusation d'un membre du ministère nous appartient et nous appartient à nous seuls.

Les cas sont obscurs, précisément parce que la loi sur la responsabilité ministérielle n'est pas faite. Si cette loi existait, il n'y aurait pas ici de contestation ni de conflit. C'est pourquoi je demande au gouvernement de bien vouloir s'expliquer sur cette question, de vouloir bien nous dire s'il a reçu, oui ou non, une information ou une demande de pour suite des autorités judiciaires. Je demande que le gouvernement s'explique sur ce point.

M. Coomans. - Messieurs, nous sommes tous d'accord sur ce point qu'il n'y a pas lieu de consacrer l'impunité des membres de la Chambre.

M. Orts. - Il ne s'agit que des ministres.

M. Coomans - Je dis que nous sommes tous d'accord sur ce point que le premier devoir des membres de la Chambre est de respecter la loi, et j'espère que nous le sommes en second lieu sur ce point que ce devoir incombe encore plus aux ministres du Roi.

Ainsi, messieurs, dans les observations que je vais avoir l'honneur de présenter, il ne peut pas s'agir un instant du soupçon de vouloir entraver la marche de la justice.

J'ai demandé la parole pour faire toutes mes réserves au sujet de la quasi doctrine que je viens d'entendre professer par l'honorable M. Orts, savoir qu'un ministre ne peut être poursuivi, pour des faits qui ont eu lieu en dehors de son administration, que par la Chambre. Il s'agirait, si cette doctrine était vraie, de consacrer à tout jamais l'impunité des membres du cabinet, attendu qu'il pourrait dépendre d'une majorité de consacrer cette impunité. La mise en accusation d'un ministre est une démonstration exclusivement politique ; quant aux délits commis eu dehors de l'exercice des fonctions ministérielles, la justice peut agir d'office, c'est son droit, c'est son devoir.

Je voulais, messieurs, vous soumettre aussi l'observation que vient de présenter l'honorable M. Dumortier, à savoir que les embarras réels de cette situation proviennent du très fâcheux, je dirai presque du scandaleux ajournement d'une prescription formelle de la Constitution. La Constitution a déclaré qu'il était urgent, en 1831, de rédiger une loi réglant les cas de responsabilité ministérielle. Cette loi n'est pas faite, et c'est parce qu'elle n'est pas faite qu'on nous convie à agir assez irrégulièrement aujourd'hui.

J'espère qu'il n'entrera pas dans les intentions des honorables signataires de la motion d'ordre d'entraver la marche de la justice ; si la justice croit pouvoir agir, il est bien entendu qu'elle n'aurait pas à attendre la décision de la Chambre ni même à s'y conformer.

- Plusieurs membres. - Elle est indépendante.

M. Coomans. - La justice est complètement indépendante, et s'il lui plaît d'agir demain avant les conclusions de la commission et même contrairement aux conclusions de la commission, adoptées éventuellement par la Chambre.

- Un membre. - Il n'y a pas de doute.

M. Coomans. - S'il n'y a pas de doute, je suis assez porté à croire que nous eussions bien fait d'attendre la décision du pouvoir judiciaire.

Messieurs, ma conclusion est celle-ci : Nommez la commission, soit ; nommez-la dans des conditions d'impartialité rigoureuses et engagez-la à nous présenter un projet de loi complet sur la responsabilité ministérielle.

M. Pirmez. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier a dit que si la loi sur la responsabilité ministérielle était faite, nous trouverions toutes résolues les questions que nous avons à examiner aujourd'hui. C'est parfaitement exact, mais je crois que l'honorable M. Dumortier a tort de faire de ce chef un reproche à ses adversaires politiques ; ce reproche atteint en effet, s'il est fondé, la Chambre tout entière.

La responsabilité incombe à chacun de ses membres à raison du temps plus ou moins long qu'il a passé dans cette enceinte et puisque l'honorable membre est un des plus anciens de la Chambre, il est un des plus coupables.

M. Dumortier. - J'ai réclamé vingt fois la loi sur la responsabilité ministérielle.

M. Coomans. - Et moi aussi je l'ai réclamée plusieurs fois.

M. Pirmez. - L'honorable membre, à l'occasion, a su user du droit d'initiative. Pourquoi n'en a-t-il pas usé en cette matière ?

Au surplus, je désire autant que les honorables membres que cette loi (page 805) soit présentée, discutée et votée, mais ce n'est pas ce que vous avez à décider maintenant.

Les objections que l'on fait à la proposition qui est déposée viennent de ce que l'on ne tient pas compte d'une circonstance fondamentale.

Lorsque plusieurs personnes soumises à raison de leur qualité à des juridictions différentes, ont commis des délits connexes, c'est devant la juridiction la plus élevée que toutes ces personnes doivent être traduites. Ainsi les personnes qui ont participé au duel dont il s'agit doivent suivre la juridiction qui est déterminée par la Constitution pour le ministre de la guerre et par conséquent si la cour de cassation connaît de la prévention dirigée contre le ministre, toutes les personnes qui ont participé au duel doivent être traduites devant la cour de cassation.

Or, comme il paraît, pour ma part je considère cela comme incontestable, que jusqu'à ce qu'une loi spéciale y ait dérogé, en vertu de l'article 90 de la Constitution, les Chambres ont seules le droit de saisir la cour de cassation, il s'ensuit que les autorités judiciaires sont désarmées.

M. Coomans. - Cette situation est énorme. Elle est détestable. Faites-la cesser aujourd'hui même.

M. Pirmez. - L'honorable M. Coomans trouve que la situation est énorme, exceptionnelle, exorbitante.

Je l'admets avec lui, mais c'est précisément parce que nous sommes dans une matière exceptionnelle que l'on demande d'examiner comment il faut procéder.

Ou nous dit que le gouvernement devait prendre l'initiative, mais je crois qu'en matière d'accusation des ministres il serait assez maladroit d'ériger en thèse que l'initiative doit venir du gouvernement, car on rencontrera assez rarement des gens disposés à demander des poursuites contre eux-mêmes.

M. Bouvierµ. - C'est cela qui serait énorme.

M. Coomans. - Mais on ne dit pas cela. C'est vous qui êtes énorme.

M. Pirmez. - Je crois que la véritable voie à suivre c’est de faire examiner la question soulevée par la Chambre pour arriver à une solution.

Je puis, pour ma part, donner à l'honorable membre l'assurance que je n'ai pas l'intention de retarder cette solution, et je l'ai si peu que j'avais rédigé un projet de mise en accusation du ministre, que j'aurais déposé à la Chambré aujourd'hui même, si la proposition qui vous est faite n'avait été présentée et si elle n'était de nature à préparer d'une manière plus simple et plus complète la solution des difficultés que présente la question.

M. de Theuxµ. - Je suis, comme l'honorable membre, de l'opinion qu'un seul tribunal doit être saisi, et que dans cette circonstance c'est le tribunal le plus élevé.

C'est une question évidemment indivisible d'après tous les principes, d'après toutes les règles de justice.

M. Orts. - Et d'après tous les précédents.

M. de Theuxµ. - Maintenant il se présente deux questions.

La cour de cassation est-elle compétente dans ce cas-ci ou les tribunaux ordinaires le sont-ils ?

La motion ne préjuge en aucune manière aucune de ces deux questions ; elles sont à examiner. Mais si la Chambre se décide pour la mise en accusation du ministre de la guerre et la saisine de la cour de cassation de toutes les questions, celle-ci aura à examiner de la manière la plus indépendante la question de compétence. Si elle juge qu'elle n'est pas compétente, elle désignera le tribunal...

MfFOµ. - Non.

M. de Theuxµ. - ... Il résultera tout au moins de l'arrêt de la cour de cassation quel est le tribunal qui devra connaître de l'affaire. Alors le ministère public sera libre dans son action et la Chambre n'aurait plus à intervenir.

Quant à moi, en présence de l'article 90 de la Constitution, il me paraît difficile de ne pas reconnaître la cour de cassation comme compétente ; les deux dispositions de cet article me semblent déterminer cette compétence. Si cependant il vient à être démontré que je suis dans l'erreur, je n'hésiterai pas à le reconnaître.

MjTµ. - Je commence par déclarer que le gouvernement adhère à la proposition faite par d’honorables membres de cette Chambre.

Quant aux questions que soulève l'article 90, combiné avec l'article 134 de la Constitution, elles sont sérieuses, difficiles, et je ne crois pas que ce soit le moment de les discuter. On s'est demandé dans le débat qui vient d'être soulevé, si la cour de cassation est compétente, si ce ne sont pas, au contraire, les tribunaux ordinaires qui doivent être saisis de l'affaire.

Mais il y a une troisième question et à l'appui de laquelle des arguments très sérieux peuvent être invoqués, celle de savoir si en ce moment la poursuite contre un ministre est possible.

Des esprits très impartiaux l'ont examinée et l'ont résolue négativement. Ce sera à la commission à examiner ces différents points et ce ne sera qu'après son rapport qu'une discussion approfondie pourra s'engager.

J'ai quelques mots à répondre à M. Dumortier. Cet honorable membre a commencé par nous dire qu'il trouvait singulier que le gouvernement ne prît pas l'initiative, que le pouvoir judiciaire n'ait pas demandé l'autorisation de poursuivre.

On a déjà répondu que ce n'était pas au gouvernement à proposer la mise en accusation d'un de ses membres. Quant à l'initiative du pouvoir judiciaire, du moment qu'un ministre se trouvait engagé dans le débat et que l'autorité judiciaire reconnaissait ou admettait que le ministre pour pouvoir être traduit devait être à l'avance mis en accusation par la Chambre, elle se trouvait complètement désarmée. J'ajoute qu'en vertu de ce principe qu'on indiquait tout à l'heure que lorsqu'il s'agit d'un fait connexe commis par un ministre et d'autres personnes, tous ceux qui ont concouru au fait devaient être poursuivis devant la juridiction supérieure, l'autorité judiciaire était dans l'impossibilité absolue d'agir.

M. Dumortier m'a demandé s'il y avait un rapport du procureur général. Je ne pense pas que cet honorable magistrat ait adressé un rapport à la Chambre ; mais il en a adressé un au ministre de la justice et dans ce rapport M. le procureur général a émis l'opinion que c'était par la cour de cassation que les ministres devaient être jugés et qu'ils ne pouvaient y être appelés qu'à la suite d'un renvoi par la Chambre elle-même.

Il a conclu, par conséquent, en déclarant qu'il n'avait aucune espèce d'action à exercer dans la circonstance qui se présentait ; et a demandé au ministre de lui donner des instructions, s'il ne partageait pas cette opinion.

J'ai examiné, à mon tour, la question et j'ai partagé la manière de voir de M. le procureur général. Je pense aussi qu'un ministre ne peut être traduit que devant la cour de cassation et ensuite d'un renvoi décrété par la Chambre. L'opinion du ministre est donc en harmonie parfaite avec celle de M. le procureur général ; et, dès lors, il était impossible et au pouvoir judiciaire et au gouvernement d'agir autrement qu'ils l'on fait, c'est-à-dire de s'abstenir, laissant la Chambre remplir la mission que lui confie la Constitution. (Aux voix ! aux voix !)

M. Coomans. - Il paraît que la grande majorité de la Chambre désire la nomination d'une commission. Je ne m'y oppose pas ; mais je répéterai que je ne vois pas trop l'utilité pratique et les conséquences utiles de cette manière de procéder ; car les décisions de la Chambre, fussent-elles prises à l'unanimité, n'auront jamais en pareille matière que la valeur d'un simple avis qui n'obligera personne.

MjTµ. - C'est la question.

M. Coomans. - Elles n'obligeront pas le pouvoir judiciaire, elles n'obligeront pas le Sénat ; elles n'obligeront personne. (Interruption.)

M. Orts. - Je demande la parole.

M. Coomans. - Vous ne pourrez faire chose utile qu'au moyen d'une loi et cette loi ne peut être autre qu'une loi qui règle la responsabilité ministérielle. M. le ministre de la justice vient de le reconnaître. L'embarras provient de ce qu'il y a un ministre impliqué dans l'affaire du 8 avril ; car s'il n'en avait pas été ainsi, rien n'eût empêché M. le procureur général de poursuivre ou de demander l'autorisation de poursuivre des membres de cette assemblée. Toute la difficulté résulte donc de ce qu'un ministre est engagé dans cette affaire.

Cette difficulté, vous ne pouvez la lever pour l'avenir que par une loi sur la responsabilité ministérielle. (Interruption.)

En exprimant cette opinion, ce n'est pas du cas présent que je m'occupe, vous devinez bien pourquoi ; je me préoccupe exclusivement de l'avenir.

Voilà ce qu'il y a d'utile à faire, c'est ce que j'engage la Chambre à faire et je convie instamment la commission et la Chambre à ne point négliger ce soin.

J'espère que ce résultat sera produit par la discussion qui a eu lieu aujourd'hui, et je déclare que si une loi sur la responsabilité ministérielle doit s'ensuivre, je n'aurai, toutes autres réserves faites, qu'à me féliciter des résultats de la journée du 8 avril.

M. Bouvierµ. - Il n'y a pas de quoi.

M. Coomans. - J'ai dit sous toutes réserves.

M. Orts. - Je ne veux pas prolonger ce débat ; mais je ne puis laisser passer sans protestation, dans l'intérêt des droits et des prérogatives (page 806) de la Chambre, les quelques réflexions que l’honorable M. Coomans a présentées tout à l'heure. D'après l'honorable M. Coomans, quand la Chambre accuse un ministre et le défère à la cour de cassation, cet acte n'aurait que la valeur d'un simple avis, d'une simple opinion, il n'y aurait pas là quelque chose qui devrait peser sur le pouvoir judiciaire au moins autant qu'un article de loi.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela : j'ai parlé de la compétence et de la procédure.

M. Orts. - L'honorable membre se trompe : vous aurez beau mettre dans une loi tout ce que vous voudrez, vous n'y mettrez jamais rien de plus que ce qu'il y a dans la Constitution, la loi des lois, le point de départ de toutes nos lois. Or, la Constitution dit que la Chambre met les ministres en accusation et que la cour de cassation les juge.

La cour de cassation est juge de sa compétence et peut se déclarer incompétente ? Admettons-le. Qu'arrivera-t-il ? Un conflit entre la Chambre et le pouvoir judiciaire dans son expression la plus élevée.

Si cette éventualité fatale surgissait, resterait pour la Chambre à se recueillir et à voir ce qu'il y aurait à faire pour concilier le maintien de l'ordre avec le respect de la Constitution. Mais je ne puis admettre qu'un décret d'accusation émanant de la Chambre n'ait que la valeur d'un simple avis.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

M. Orts. - Vous avez dit cela et vous avez voulu d'avance jeter une sorte de discrédit sur l'usage que ferait la Chambre du pouvoir le plus complet, le plus absolu, le plus auguste, dirai-je, que la Constitution ait mis entre ses mains.

M. Coomans. - Point du tout ; je demande la parole.

M. Orts. - C'est contre cette tendance que je proteste et je le fais pour sauvegarder des principes et pour maintenir intacts les droits non seulement de la Chambre actuelle, mais encore des législatures futures.

Deux mois maintenant, messieurs, aux honorables membres qui paraissent avoir quelques scrupules sur le droit que se croirait aujourd'hui la justice de faire ce que nous serons peut-être appelés à faire, d'après l'avis qu'émettra la commission dont on demande la nomination.

Pour moi, messieurs, il est évident et il doit l'être pour tout homme de bon sens et de bonne foi qui connaît les faits, il est évident que l'autorité judiciaire se croit impuissante à poursuivre le fait qui a provoqué la proposition soumise à la Chambre.

En effet, le ministère public près la cour d'appel de Bruxelles, M. le procureur général de Bavay, l'homme qui a l'action publique entre les mains, poursuit devant les tribunaux ordinaires un duel qui a eu lieu le lendemain de celui dont nous nous occupons.

Si le ministère public près la cour d'appel de Bruxelles s'était cru autorisé à poursuivre un autre duel qui a eu beaucoup plus de retentissement, il est évident qu'il se serait empressé à prendre les dispositions nécessaires pour assurer le respect dû au grand et salutaire principe de l'égalité des citoyens devant la loi.

M. Dumortier. - Je crois que l'honorable M. Orts a très mal interprété la pensée de l'honorable M. Coomans et qu’il lui a fait dire autre chose que ce qu'il a réellement dit.

Qu'a dit l'honorable M. Coomans ? Le rapport que fera la commission ne pourra lier en aucune manière le pouvoir judiciaire.

M. Coomans. - C'est cela !

M. Dumortier. - Eh bien, cela est-il vrai, oui ou non ? Là est toute la question.

Or, pour répondre à l'honorable M. Coomans, l'honorable M. Orts a dû se mettre à côté de la question et prêter à mon honorable ami une opinion qu'il n'a pas émise et contre laquelle je suis convaincu qu'il proteste.

Du reste, comme il s'agit ici d’une question de responsabilité ministérielle, je dois dire que ce qui m'a frappé lorsque l'honorable M. de Brouckere a fait sa proposition, c'a été de voir cette initiative prise en pareille matière par un membre de cette assemblée, alors que ni le pouvoir exécutif, ni te pouvoir judiciaire n'avaient agi en aucune façon. Il est certain pourtant que le procureur général pouvait très bien saisir la Chambre de la question.

MjTµ. - Du tout !

M. Dumortier. - Le procureur général près la cour de cassation... (Interruption.)

MfFOµ. - Mais non ; c'était impossible.

M. Dumortier. - Cela pourrait très bien se faire.

M. Coomans. - A l’égard de membres de la Chambre, certainement. (Interruption.)

M. Dumortier. - Un fait incontestable, c'est que nous n'avons été saisis d'aucune demande de poursuite et que nous jouons ici le rôle d'un autre.

Je ne veux pas m'opposer à la motion, mus j'en vois les difficultés et je les signale à la Chambre.

Maintenant, je dirai à mon tour que la motion dont nous nous occupons depuis le commencement de cette séance touche directement à la question ministérielle.

Le moment viendra certainement où nous devrons trancher cette question par une loi. Dans cette prévision, je demande formellement que la Chambre s'enquière des lois sur la responsabilité ministérielle qui existent dans les pays constitutionnels et qu'elle fasse imprimer ces documents pour que nous pussions nous en servir quand le moment sera venu.

MfFOµ. - Il n'y en a guère.

M. Dumortier. - Il y en a en Portugal, en Suède...

M. Van Overloopµ. - En Prusse !

- Des membres : En Hollande !

M. Dumortier. - Il importe que nous connaissions ces lois avant de rien décider pour la Belgique.

La loi en Suède ne prévoit pas seulement les cas de responsabilité politique, mais encore tous les autres cas de responsabilité ; elle prévoit tous les cas où un ministre peut nuire à des particuliers. Il importe que nous connaissions tous ces détails.

La demande que je fais peut ne pas aller aux ministres ; mais je pense que la Chambre ne peut lui refuser son assentiment. La Chambre peut faire traduire la loi prussienne, la loi suédoise, la loi américaine, la loi anglaise, la loi hollandaise, et alors nous aurons un canevas de loi sur la responsabilité ministérielle. On n'improvise pas une loi de ce genre. Il importe de savoir ce qui s'est fait dans les pays qui nous ont devancés en matière de responsabilité ministérielle.

M. de Theuxµ. - Messieurs, il me paraît de la dernière évidence que le droit de la Chambre de saisir la cour de cassation, est incontestable, est illimité dans l'état actuel des choses. La Constitution dit : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger, chambres réunies, sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors l'exercice de leurs fonctions. »

Mais en attendant que cette loi soit faite, il est évident que la Chambre est compétente.

Dès lors, je ne vois aucun motif de repousser la proposition qui vous est faite.

La cour de cassation aura à examiner, de son côté, et en toute liberté, sa compétence, nais je pense que l'article 90 de la Constitution trace une règle claire et précise.

Ainsi, quant à présent, je pense qu'il y a lieu de donner suite à la motion et de ne pas attendre une loi sur la responsabilité ministérielle ; car il peut se passer un temps très long avant que cette loi soit faite, et la nomination de la commission suppose qu'elle remplira son devoir dans un bref délai. La proposition n'est pas faite en vue d'enterrer la question. D'ailleurs, la Chambre pourra toujours demander un prompt rapport quand elle le jugera convenable. Mais je ne pense pas qu'il soit dans l'intérêt d'aucun des signataires de la proposition de retarder l'examen de cette question ni de retarder la solution à présenter à la Chambre.

M. Coomans. - Je déclare que je n'aurais pas demandé la parole si je ne me trouvais pas dans la nécessité de me justifier en face d'une accusation que je repousse de toutes mes forces.

Je n'ai aucunement mérité le reproche que m'adresse l'honorable M. Orts d'avoir voulu jeter le discrédit sur une de nos principales prérogatives parlementaires. Je n'ai pas dit et je n'ai pas pensé que la Chambre a non pas seulement le droit, mais souvent le devoir de mettre un ministre en accusation. Quel intérêt aurais-je à soutenir cette thèse ? J'ai dit tout simplement, ce qui me paraît évident, que toutes les décisions proposées par votre commission et adoptées par la Chambre, fût-ce à l'unanimité, ne lieront personne quant à la compétence et à la procédure.

- Plusieurs membresµ. - C'est la question.

M. Coomans. - J'ai dit que la cour de cassation ne serait nullement obligée de se conformer à votre décision. (Interruption.)

Il n'y a pas là de question ; c'est de toute évidence. La cour de cassation et tous les tribunaux et les cours de Belgique, comme tous les citoyens, ne sont tenus qu’à une chose, c'est à exécuter et a observer les lois. Or, la commission ne fait pas de loi, la Chambre à elle seule ne fait (page 807) pas de loi ; elles émettent des avis Chacun sera libre de faire de nos avis le cas qui lui semblera bon.

MjTµ. - Et la mise en accusation ?

M. Coomans. - Je me suis borné à déclarer qu'alors même que nous aurions déterminé la compétence a notre point de vue, nous n'aurions en réalité rien décidé ; que ce qu'il faut, c'est une loi réglant les cas de responsabilité ministérielle tant en matière politique que pour les délits de droit commun.

Et quoi qu'on en pense, je dois le dire, une grande responsabilité pèse de ce chef sur le gouvernement qui, depuis de longues années aurait dû nous soumettre une loi sur la responsabilité ministérielle. C'était à lui à prendre l'initiative ; ce n'était pas à lui à nous provoquer à la prendre.

Du reste, ces provocations s'adressent mal à l’honorable M. Dumortier, à moi et à d'autres, puisque nous sommes de ceux qui ont maintes fois demandé le dépôt d'un projet de loi sur la responsabilité ministérielle. Si cette loi existait, nous n'aurions pas à nous livrer à ces discussions. Tâchons que cette loi soit faite le plus tôt possible ; simplifions la situation ; déterminons les droits de tous et nous aurons fait une très bonne chose.

M. Kervyn de Lettenhove. - La Chambre est investie du droit constitutionnel de mettre les ministres en accusation. Ce droit existe-t-il, lorsqu'il s'agit de délits non politiques ? C'est la question qui est soulevée. (erratum, page 821) Il me semble incontestable qu'il appartient à la Chambre, interprétant le pouvoir que lui a attribué la Constitution, de résoudre cette question. Cela me paraît aussi bien de son droit que de sa dignité et c'est dans ce sens que j'ai signé la proposition de l'honorable M. de Brouckere.

M. Bara. - Je désire répondre quelques mots aux observations que vient de présenter l'honorable M. Coomans.

L'honorable membre reproche au gouvernement de ne pas avoir présenté une loi sur la responsabilité ministérielle. En cela ce sont les amis de l'honorable M. Coomans qui ont donné l'exemple ; car ils ont été les premiers au pouvoir et on n'a fait que les imiter.

Au surplus, il est à remarquer qu'une loi sur la responsabilité ministérielle doit bien plutôt émaner, si l'on veut qu'elle soit bonne, de l'initiative parlementaire que de ceux contre lesquels il s'agit de l'appliquer.

Je ne m'oppose nullement à ce que le gouvernement dépose une loi sur la responsabilité ministérielle. Mais les membres de la Chambre ne sont nullement entravés dans leur droit d'initiative, et c'est une excellente occasion d'en user. Du reste, un projet de loi a été déposé il y a un certain temps par d'honorables amis politiques de la gauche et un rapport a été fait.

Mais de quoi s'agit-il ? L'honorable M. Coomans, qui est un partisan de la légalité, qui veut toujours que force reste à la loi, vient proposer de voter un projet de loi sur la responsabilité ministérielle au moment où l'on veut faire exécuter la loi, où l’on veut faire respecter la légalité. Mais si vous désiriez réellement faire respecter la loi, ne venez pas entraver son cours.

Quel est le but de la proposition de l’honorable M. de Brouckere ? Vous vous occupez du sort qu'aura la décision de la Chambre, mais là n'est pas la question. Voici la véritable question : est-ce qu'il appartient à la Chambre, dans le cas actuel, d'accuser le ministre et de mouvoir l'action publique ? Il ne s'agit pas de savoir ce que feront les tribunaux, ce que fera la cour de cassation ou tout autre tribunal devant lequel l'action publique sera poursuivie. Il s'agit de savoir quelle est l'autorité qui, en vertu de la Constitution, a le droit de mouvoir cette action publique.

Or si, de par la Constitution, c'est la Chambre qui a ce droit, que diriez-vous de son inaction, si elle attendait qu'un pouvoir judiciaire, qui lui est relativement inférieur quant à son importance, vînt primer sa prérogative, si elle attendait la décision du procureur général.

Si, par exemple, un procureur du roi restait les bras croisés devant un délit prouvé, est-ce que M. le ministre de la justice ne le réprimanderait pas, ne le destituerait même pas ? Eh bien, si vous, membres de la Chambre, vous avez le devoir de mettre le ministre en accusation au sujet du fait dont nous nous occupons, ne devez-vous pas faire acte de pouvoir et prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour arriver à la poursuite et à la répression du délit, si réellement il y en a un ?

Or, que fait la proposition de l'honorable M. de Brouckere ? Des doutes existent sur la question de savoir qui doit mouvoir l'action publique. Une opinion respectable, la plus nombreuse, je crois, et en tout cas celle qui a pour elle les autorités qui ont examiné la question, croit que c'est à la Chambre qu'appartient le droit d'agir. Et nous devrions rester inactifs ? Et vous voudriez que nous attendissions l'initiative du parquet ou du gouvernement ? Et vous n'applaudissez pas des deux mains à la proposition qui vous est faite ? Je trouve que s'il y avait quelque chose d'étrange, c'est la conduite de l’honorable membre qui vient soulever une question destinée à retarder l'exercice d'un de nos devoirs constitutionnels. Quel est le but de la motion ? C'est d'arriver à la mise en accusation du ministre si cette solution est légale. C'est donc l'action de la justice qui commence. Nous usons d'un droit qui nous est conféré par la Constitution, et au lieu de nous blâmer d'exercer ce droit, vous devriez nous soutenir.

M. Van Overloopµ. - Il y a pour les ministres deux espèces de délits : les délits ministériels proprement dits ou les délits politiques, et les délits communs.

Quant aux délits ministériels proprement dits, la Constitution, article 134, détermine la conduite à suivre.

L'article 134 de la Constitution porte : « Jusqu'à ce qu'il y soit pourvu par une loi, la Chambre des représentants aura un pouvoir discrétionnaire pour accuser un ministre, et la cour de cassation pour le juger, en caractérisant le délit et en déterminant la peine.

« Néanmoins, la peine ne pourra excéder celle de la réclusion, sans préjudice des cas expressément prévus par les lois pénales. »

Cette disposition, selon moi, ne concerne que les délits qui donnent véritablement lieu à ce qu'on appelle la responsabilité ministérielle.

- Un membre. - C'est la question.

M. Van Overloopµ. - Viennent maintenant les délits communs. Eh bien, quant aux délits de droit commun, il faut recourir, je crois, à l'article 90 de la Constitution qui porte : « La Chambre des représentants a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la cour de cassation, qui seule a le droit de les juger, chambres réunies sauf ce qui sera statué par la loi, quant à l'exercice de l'action civile par la partie lésée et aux crimes et délits que des ministres auraient commis hors de l'exercice de leurs fonctions. »

Cette disposition de la Constitution me paraît indiquer clairement ce que nous avons à faire.

Un délit commun a été commis par un ministre et d'autres personnes. Ce délit ne peut pas rester impuni, car nous sommes tous égaux, en Belgique, devant le code pénal. En faisant la loi dont parle l'article 90, l'égalité devant le code pénal deviendra une réalité pour les ministres comme pour les autres citoyens.

Hâtons-nous donc, car l'événement du 8 avril l'exige, de faire cette loi.

Mais saisissons cette occasion pour nous occuper également d'une loi sur la responsabilité ministérielle proprement dite.

L'article 139 de la Constitution porte : «Le Congrès national déclare qu'il est nécessaire de pourvoir par des lois séparées, et dans le plus court délai possible, aux objets suivants :

6° La responsabilité des ministres et autres agents du pouvoir. »

Il est une quantité de lois qu'on nous soumet comme urgentes, quoiqu'elles ne soient pas proclamées telles par la Constitution.

Pourquoi donc, depuis trente-cinq ans, considère-t-on comme lettre morte la disposition de la Constitution qui ordonne de faire, dans le plus bref délai possible, une loi sur la responsabilité des ministres ?

J’appuie la demande faite par l'honorable M. Dumortier, de faire donner communication à la Chambre des dispositions relatives à la responsabilité ministérielle qui sont en vigueur dans les divers Etats libres.

Cette matière est très grave et nous ne saurions nous entourer de trop de renseignements.

II faut donc que sans plus de retard on fasse une loi qui règle l'exercice de l'action civile et de l'action publique contre le ministre coupable d un délit de droit commun ; mais il est également important, aux termes de la Constitution, qu'on fasse aussi, sans plus de retard, une loi sur la responsabilité ministérielle.

M. Guillery. - Messieurs, je crois que la question est assez grave pour appeler un moment votre attention et pour que chacun de nous cherche a y apporter quelque lumière.

Sans doute nous devons beaucoup attendre du rapport de la commission. Mais que la Chambre veuille bien me permettre de soumettre à cette commission une idée qu'elle aura à examiner.

N'est-il pas, comme l'ont dit plusieurs honorables membres, nécessaire de faire une loi sur la responsabilité ministérielle, afin de déterminer quelle sera la compétente dans la matière qui nous occupe ? Les lois (page 808) de compétence peuvent parfaitement régir le passé, et s'il est vrai qu'elles peuvent avoir un effet rétroactif, c'est évidemment dans le cas qui nous occupe, puisque l'article 90 de la Constitution s'en rapporte à une loi pour déterminer quel est le tribunal qui pourra juger les délits de droit commun commis par un ministre ou qui jugera un délit commis par un ministre en dehors de ses fonctions.

C'est, messieurs, une chose étrange que de voir avec quelle facilité, dans certaines circonstances, les questions les plus graves passent inaperçues et combien l'on s'endort facilement en présence de faits qui intéressent au plus haut degré nos institutions. La Chambre a été saisie d'un projet de loi sur la responsabilité ministérielle. Toutes les sections ont demandé que le gouvernement présentât, dans le plus bref délai, une loi ayant le même objet, parce que le projet émanant de l'initiative de deux de nos honorables collègues, MM. Goblet et de Gottal, n'était pas assez complet. Depuis lors, il n'en a plus été question. Aucune interpellation n'a été adressée au gouvernement. Aucune proposition n'a été faite à la Chambre.

- Un membre : La Chambre a été dissoute.

M. Guillery. - La Chambre a été dissoute, mais cela ne l'empêchait pas, le lendemain de sa reconstitution comme la veille de la dissolution, de rappeler cette question plus importante que les sept huitièmes de celles qui font l'objet de nos délibérations.

Evidemment, messieurs, il faut que nous sortions de la situation d'aujourd'hui, de celle qui est faite spécialement aux particuliers. Tant qu'une loi n'aura pas organisé la responsabilité ministérielle, tant qu'une loi n'aura pas déterminé quels sont les tribunaux qui ont à connaître des délits commis par les ministres dans leurs fonctions et en dehors de leurs fonctions, devant quels tribunaux doit s'exercer l'action civile dans l'un et l'autre cas, les particuliers lésés seront désarmés, ils n'auront pas d'action, ils ne pourront, quel que soit le délit commis par un ministre en dehors de ses fonctions, en demander la réparation sans le concours de la Chambre.

Est-il possible qu'un pareil état de choses dure dans un pays qui se glorifie d'être civilisé, qui se glorifie même de marcher en tête de la civilisation ? Et il a raison de penser ainsi !

C'est cependant ce qui résulte du rapport de la section centrale et de la décision de l'unanimité des sections, en d'autres termes de la majorité de la Chambre sur la question qui nous occupe. On a dit, à l'occasion d'un fait dont vous avez gardé la mémoire : Jusqu'à ce qu'une loi ait organisé la responsabilité ministérielle, les particuliers n'ont pas de tribunaux devant lesquels ils puissent introduire une action en répression du préjudice qui leur est causé. C'était, messieurs, constater l'urgence de pourvoir par une loi à un pareil état de choses. L'occasion est propice, et une pareille loi n'est pas si difficile ni si longue à élaborer.

Il ne s'agit, pour le cas qui nous occupe, que d'une loi de compétence, et comme il ne s'agit pas de déterminer le délit, comme il ne s'agit que d'un délit de droit commun, rien n'empêche que la Chambre ne rende applicable au fait dont il s'agit la loi qu'elle votera et qui sera admise par les autres branches du pouvoir législatif.

L'article 90 et l'article 134 de la Constitution laissent à la loi le soin de déterminer quels sont les délits politiques, quels sont les délits commis par les ministres dans l'exercice de leurs fonctions, et de ce chef il y a une loi pénale à créer.

Il y a une loi déterminant les délits et les crimes et désignant la peine qui leur sera appliquée ; mais quant aux délits commis par les ministres en dehors de leurs fonctions, il n'y a qu'une loi de compétence à faire, une loi très simple disant quels sont les tribunaux qui devront être saisis.

N'est-il pas bien plus digne du législateur de faire une loi applicable à tous les cas que de faire mie loi spéciale à tel ou tel ministre ?

Je ne veux pas, messieurs, décider la question, mais je demande qu'elle soit soumise à l'examen de la commission, et j'espère que la commission voudra bien y porter toute son attention.

M. Debaets. - Je crois que la Chambre est désireuse d'na finir et je suis de l'avis de la Chambre ; seulement je pense que la discussion qui s'est engagée prouve qu'il faut renvoyer l'affaire à une commission. La Chambre n'est pas préparée à résoudre maintenant toutes les questions qui sont soulevées.

M. Bara. - Je pense qu'il est bien entendu que la commission ne va pas avoir à présenter un projet de loi à raison du fait particulier dont il s'agit. Ce sont les plus mauvaises lois qui sont faites dans de semblables conditions. Et puis, messieurs, vous ne pouvez pas entraver l'action de la justice, et une loi sur la responsabilité ministérielle est une loi très longue à faire.

D'ailleurs, il est tout au moins inexact de prétendre que nous nous trouvions désarmés par l'absence d'une loi sur la responsabilité ministérielle.

M. Guillery. - Je regrette, messieurs, que mon humble proposition soit rejetée, et qu'il paraisse décidé d'avance que la commission n'examinera pas même l'idée que je viens d'émettre. Il me semblait que, dans une question comme celle-là, tout le monde pouvait dire son opinion et que l'examen de la commission doit être le plus complet possible.

On dit que la loi serait mauvaise parce qu'elle serait faite à l'occasion d'un cas spécial ; mais quand il n'y avait pas de cas spéciaux, a-t-on agi ?

Si nous ne saisissons pas un cas spécial pour agir, quand donc agira-t on.

Evidemment, messieurs, une occasion se présente pour faire une loi ; on dit que cette loi ne serait pas applicable au cas dont nous nous occupons ; mis il s'agit seulement de dire quel est le tribunal qui connaîtra du délit ; or il est reconnu, par la doctrine comme par la jurisprudence, que les lois sur la compétence peuvent parfaitement s'appliquer au passé.

M. Bara dit que les particuliers ne sont pas désarmés ; je regrette bien que l'honorable membre ne l'ait pas dit plus tôt, car la Chambre a vécu depuis deux ans sous l'impression de cette idée qui a été émise au nom des sections et de la section centrale ; tout le monde a cru jusqu'à présent qu'il n'y avait pas moyen de saisir la justice d'un délit commis par un ministre eu dehors de l'exercice de ses fonctions...

- Un membre. - Le cas ne s'est pas présenté.

M. Guillery. - J'ai parlé de l'action civile qu'un particulier doit avoir le droit d'exercer contre un ministre du chef d'un délit commis dans l'exercice de ses fonctions.

- Un membre. - En dehors de l'exercice de ses fonctions.

M. Guillery. - Croyez-vous que j'ai voulu dire qu'on ne peut pas intenter une action à un ministre qui ne payerait pas son boulanger ? J'ai dit qu'on ne peut pas intenter une action civile à un ministre pour un acte posé dans l'exercice de ses fonctions. Chacun se rappelle à propos de quel fait la question s'est produite. Il s'agissait bien de l'exercice des fonctions de ministre. Pour les autres cas même, le particulier peut-il agir sans que la Chambre prenne l'initiative de la mise en accusation ? Eh bien, cette situation, est anomale ; il doit être permis à un particulier de demander satisfaction à un ministre qui lui a causé un préjudice.

MfFOµ. - Usez de notre initiative.

M. Guillery. - C'est facile à dire : vous enterrerez mon projet de loi comme on a enterré celui de M. de Gottal et bien d'autres. On a dit alors : Il faut s'en rapporter au gouvernement ; le projet de loi sera présenté par le gouvernement. Eh bien, ce projet de loi, nous l'attendons encore.

- La proportion de MM. de Brouckere et consorts est mise aux voix et adoptée.

M. de Brouckere. - Messieurs, au moment où j'entrais en séance, quelqu'un est venu me dire qu'un journal de création récente rappritait d'une manière peu agréable pour moi un incident qui me serait arrivé à la suite d'un discours que j'ai prononcé ici dans une de vos dernières séances. Je déclare que l'incident s'est borné à un entretien des plus courtois, par la raison toute simple que, dans ce discours, j'ai cité deux noms ; je les ai cités uniquement parce que je ne croyais pas pouvoir en choisir de plus honorables, ni portés par des hommes entourés à plus juste titre de l'estime générale.

M. Dumortier. - Messieurs, ce qu'a dit tout à l'heure mon honorable collègue M. Guillery, prouve à l'évidence qu'une loi sur la responsabilité ministérielle est urgente, et je crois fort bien que les ministres ne prendront pas volontiers l'initiative d'une loi faite nécessairement contre eux. Quant à nous, il nous est très difficile de prendre une pareille initiative, parce que nous ne connaissons pas les lois qui existent sur cette matière dans les différents pays. (Interruption.)

L'honorable M. Frère dit : oh ! Il est possible qu'il comprenne toutes les langues ; quant à moi je ne comprends que celle que je parle.

Je demande qu'on fasse imprimer dans les Documents parlementaires les diverses lois de responsabilité ministérielle qui existent.

Veuillez-le remarquer, messieurs, il y a, comme l'a très bien dit l'honorable M. Guillery, deux choses dans cette loi. Il y a la question relative aux délits politiques commis par les ministres et celle relative aux délits commis par eux contre les particuliers en dehors de l'exercice de leurs fonctions.

(page 809) Or, il y des pays où il existe depuis longtemps des lois sur la responsabilité ministérielle et où tous ces cas sont prévus. Il est impossible, si nous prenons l'initiative d'une loi sur la responsabilité ministérielle, que nous ne cherchions pas à connaître au préalable ce qui se fait dans d'autres pays constitutionnels.

Je demande donc que le bureau fasse traduire ces diverses lois de responsabilité ministérielle et qu’on les fasse imprimer aux frais de la Chambre.

MpVµ. - Voici la proposition que l'honorable M. Dumortier vient de faire parvenir au bureau :

« Je demande de faire traduire et imprimer les lois qui régissent la responsabilité ministérielle dans 1rs pays constitutionnels d'Europe et dans les Etats-Unis d'Amérique. »

- Cette proposition est adoptée.


MpVµ. - Le premier objet à l’ordre du jour est le projet de loi portant des modifications à la loi sur l'organisation communale.

- Plusieurs membres. - A demain !

MpVµ. - Nous sommes arrivés à l'article 2.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je prie la Chambre de vouloir remettre la discussion à demain. J'ai à répondre à un long discours et je désirerais ne pas devoir scinder ma réponse.

- La séance est levée à 4 heures.