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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 25 avril 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 791) M. Van Humbeeck, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart. Il donne lecture du procès-verbal de la séance du 7 avril.

- La rédaction en est approuvée.

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Mahieu, milicien de la levée de 1864, ajourné pour défaut de taille, réclame contre la décision de la députation permanente du Hainaut qui l'a désigné pour le service. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Dehouwer demande que son fils mineur Louis-Joseph qui a été incorporé dans la légion mexicaine, sans le consentement paternel, lui soit rendu. »

- Même renvoi.


« Des industriels se plaignent que les fontes étrangères ne peuvent entrer en franchise temporaire des droits si elles sont destinées à être réexportées à l'état de fers, tôles ou fils de fer. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Les sieurs Peemans, Carleer et autres membres de l'Association libérale de Louvain proposent des mesures pour étendre le droit électoral et assurer la sincérité des élections. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les fraudes électorales.


« Des directeurs de sociétés industrielles demandent le rachat, par l'Etat, des canaux d'embranchement du canal de Charleroi. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Le sieur Vaidezande, secrétaire communal à Meysse, demande une loi fixant le minimum de traitement des secrétaires communaux. »

« Même demande des secrétaires communaux de Hersselt, Caprycke, Oombergen, Aertselaer, Orp-le-Grand, Dilbeek, Itterbeek, Puers, Heyd, Gits, Lichtervelde, Aygem, Heldergem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Haut-Ittre prie la Chambre d'accorder aux sieurs Lemmens et Moucheron la concession d'un chemin direct de Bruxelles à Mariemont par Arquennes, et à Charleroi par Nivelles et Haut-Ittre. »

« Même demande des conseils communaux d'Ittre, Feluy, Wauthier-Braine et d'habitants d'Ittre. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Châtelet demandent l'abrogation de la contrainte par corps pour dettes. »

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition qui sollicite une mesure équitable dont l'urgence est évidente. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions qui sera priée de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le conseil communal de Pulderbosch demande des modifications au chemin de fer direct d'Anvers à Turnhout, projeté par les sieurs Pavoux et Lambert. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Diest demandent une traduction flamande des Annales parlementaires. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Jamoigne demande que le chemin de grande communication de Marbehan à Florenville par les Bulles et Jamoigne soit repris par l'Etat et déclaré route royale. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette requête à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Le sieur Colson appelle l'attention de la Chambre sur des mesures destinées à diminuer les accidents des chemins de fer. »

- Même renvoi.


« La direction de la caisse des veuves et orphelins des officiers de l'armée réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la réparation d'un dommage qui lui a été causé par les décrets du gouvernement provisoire en date des 13 novembre et 22 décembre 1830. »

- Même renvoi.


« Les époux Melis demandent que l'administration des pauvres d'Anvers ne soit pas autorisée à accepter le legs fait à cet établissement par le sieur Degrooff, leur parent. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Tongres demande que le projet de loi de travaux publies comprenne la construction d'une route de Tongres à Hoperlingen, d'un chemin de fer de Tirlemont à Visé et le prolongement du canal destiné à relier l'Escaut à la Meuse. »

M. de Woelmontµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.

M. de Theuxµ. - Je crois qu'il est dans les usages de la Chambre, lorsqu'une section centrale est saisie de l'examen d'un projet de loi, de lui renvoyer toutes les pétitions relatives à ce projet. Je demande qu'il en soit ainsi de cette pétition et de toutes les autres relatives aux travaux publics, entre autres une pétition de la députation permanente du conseil provincial du Limbourg.

MpVµ. - C'est ce que j'allais proposer à la Chambre. M. de Woelmont, insistez-vous ?

M. de Woelmontµ. - Non M. le président.

- La pétition est renvoyée à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Le conseil communal d'Aerschot demande que le projet de loi de travaux publics comprenne la jonction du canal de la Campine au canal de Louvain par la vallée du Demer. »

« Même demande des conseils communaux de Beggynendyck, Lummen, Becquevoort, Sichem. »

M. Schollaert. - Je demande le renvoi de ces pétitions à la commission des pétitions avec prière défaire un prompt rapport.

MpVµ. - Il vient d'être pris une décision contraire. Lorsqu'une section centrale est chargée de l'examen d'un projet de loi, les pétitions relatives à ce projet lui sont renvoyées. Les pétitions qui viennent d'être analysées devraient donc être renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi des travaux publics.

M. Schollaert. - Je n'insiste pas.

- Les pétitions sont renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.


« Le conseil communal de Kessel demande l'exécution de travaux pour assurer la navigation de la Grande-Nèthe. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Visé et celles de Haccourt, Hermalle, etc., demandent la construction d'un pont sur la Meuse à Visé. »

- Même renvoi.


« L'administration communale et des habitants de Veerle demandent que le projet de loi de travaux publics comprenne l'achèvement des travaux d'amélioration à la Grande-Nèthe. »

« Même demande de l'administration communale et d'habitants de West-Meerbeek, Berlaer, Varendonck, Boisschot. »

M. de Mérode. - Je demande le renvoi de ces pétitions et de toutes celles qui concernent les travaux à exécuter à la Grande-Nèthe à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics avec prière d'un examen tout spécial.

- Cette proposition est adoptée.


« La députation permanente du Limbourg appelle l'attention de la Chambre sur la nécessité de faire exécuter, dans cette province, des voies de communication. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Virton demande que le projet de loi de travaux publics assure un minimum d'intérêt pour la construction d'un chemin de fer d'Arlon à la frontière française, passant par Virton. »

M. Bouvierµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de travaux publics.

- Adopté.


« Les membres du conseil communal de Namur demandent la construction par l'Etat d'une route de Hody à Barvaux par Fairon, Hamoir et Verlaine. »

M. de Macarµ. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

Malgré l'observation que vient de faire l’honorable comte de Theux, je crois que comme le subside qui pourrait être accordé pour cette route (page 792) est compris dans un chiffre global relatif aux rotes. Il n’y a aucun inconvénient à ce que le renvoi que je demande ait lieu.

Je voudrais que M. le ministre des travaux publics pût se prononcer sur la suite de cette route avant la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics.

- Le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d’un prompt rapport, est adopté.


« L’administration communale de Coekerberg demande que le chemin de fer de raccordement des stations du Nord et du Midi soit reculé au-delà de l’agglomération de cette communale. »

-

Même renvoi.


« Les sieurs Goret et Giroul, président et secrétaire de l'association charbonnière du bassin de Charleroi, demandent que les lignes industrielles projetées par le sieur Hans soient comprises dans la disposition accordant la concession d'un chemin de fer direct de Châtelineau à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Le sieur Michel Joseph Bollard, maréchal des logis au 3ème régiment d'artillerie, demande de recouvrer la qualité de Belge qu'il a perdue en prenant du service militaire à l'étranger. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les membres du conseil communal de Froidmont et de la commission des hospices civils de cette commune prient la Chambre de fixer un délai pendant lequel l'autorité supérieure doit statuer sur les demandes eu autorisation d'ester en justice et de décider que cette autorisation sera demandée à une autorité judiciaire si l'action doit être dirigée contre les provinces, l'Etat ou des administrations nommées par eux. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui apporte des modifications à la loi communale.


« Le sieur Sousart demande que la loi donne aux tribunaux ou à l'autorité provinciale les moyens d'obliger les communes à remplir leurs obligations envers les autorités supérieures et les particuliers. »

- Même décision.


« Le sieur Elbode, préposé des douanes à Moerbeke, demande une récompense du gouvernement. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, les demandes en naturalisation des sieurs J.-H. Goffin et J. Wynands, tous deux domiciliés à Mechelen, et du sieur J. Eiselein, fabricant à Saint-Josse-ten-Noode. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« les sieurs Lemmens et Moucheron font hommage à la Chambre de 120 exemplaires d'une brochure à l'appui de leur demande de concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Mariemont et Charleroi. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.


« Par messages des 20 et 24 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a rejeté la demande de grande naturalisation du sieur J.-A.-J. Lacroix et P.-J. Erneste. »

- Pris pour notification.


« Par message du 21 avril, le Sénat informe la Chambre que le sieur R. Pfeiffer a retiré sa demande de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par messages des 19, 22 et 24 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a adopté :

« l° Le projet de loi concernant la liberté du prêt à intérêt.

« 2° Le projet de loi qui abroge la loi du 20 mai 1857 et qui modifie les articles 726 et 912 du Code civil.

« 3° Le projet de loi qui autorise le gouvernement à contracter un emprunt de 60 millions.

« 4° Le projet de loi qui ouvre un crédit supplémentaire de 25,845 fr. 71 c. au budget de la Chambre des représentants.

« 5° Le projet de loi sur les sucres.

« 6° Le projet de loi qui apporte des modifications aux lois sur les pensions civiles. »

- Pris pour notification.


« Par message du 20 avril, le Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération la demande de grande naturalisation du sieur Jules Hubert Van Aken. »

- Pris pour notification.


« M. d’Ursel, retenu à Paris, par la maladie d'un membre de sa famille demande un congé. »

- Ce congé est autorisé.

Projet de loi modifiant la loi du 30 mars 1836 sur l’organisation communale

Discussion des articles

Article 2

MpVµ. - Conformément à ce qui a été décidé, la discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.

La discussion continue sur l'article 2.

M. de Smedt. - Messieurs, deux motifs m'ont engagé à prendre part au débat que soulève dans cette Chambre les modifications que le gouvernement nous propose d'introduire aux articles 75, 76, 77 de la loi communale.

En premier lieu, je désire combattre par quelques considérations générales notre centralisation administrative que je crois mauvaise, excessive, dangereuse même pour l'avenir de nos institutions.

En second lieu, je me propose d'appuyer de quelques considérations spéciales l'amendement de MM. de Naeyer et Jacobs.

Cet amendement élargit le cercle, si restreint aujourd'hui, des attributions des conseils communaux et substitue dans le domaine des intérêts locaux, la tutelle de la députation permanente à cele de l'Etat. C'est donc un acheminement vers l'affranchissement des communes et un pas important dans la voie d'une sérieuse mais prudente décentralisation administrative.

La décentralisation est à l'ordre du jour de la plupart des gouvernements de l'Europe, c'est un des articles les plus importants de tous les programmes politiques et administratifs et ce fait incontestable est le meilleur indice de la réaction qui se fait partout dans les esprits contre l'omnipotence toujours envahissante de l'Etat. Mais si l'on est généralement d'accord sur le but, il s'en faut de beaucoup que l'on s'entende sur les moyens de le réaliser. Pour les uns, en effet, décentraliser c'est localiser la centralisation ; pour les autres, et je suis de ce nombre, décentraliser c'est confier à des corps électifs, et par conséquent essentiellement responsables, l'administration des intérêts purement locaux.

Pour mieux préciser il importe, je crois, de bien définir ce que nous entendons par système de centralisation ou plutôt de concentration administrative et par système de décentralisation,

Le premier de ces systèmes consiste dans une force absolue qui s'impose à priori et qui absorbe dans son mouvement propre tous les mouvements subordonnés. C'est l'Etat providence faisant tout, contrôlant tout, s'immisçant à tout. En d'autres termes, c'est la substitution de la volonté générale aux volontés particulières, légitimes ou non légitimes, abusives ou non abusives. Sous ce régime plus nulle part d'action libre et purement locale pour des intérêts purement locaux. C'est la substitution d'un despotisme central et universel à l'ancien despotisme disséminé des corps de métiers et des ordres. C'est le système français aujourd'hui en vigueur et importé en Belgique à la suite de la grande révolution française. Ce système est en opposition flagrante avec nos plus glorieuses traditions nationales qu'il serait dangereux de méconnaître et d'étouffer ; car il importe au plus haut point pour le maintien de notre nationalité de creuser un abîme de plus en plus profond entre les institutions dé notre pays et celles de notre voisin le plus dangereux.

Le système de décentralisation tient compte au contraire de la vie propre et autonome dont vivent l'individu et les groupes d'individus. II respecte la liberté individuelle qui est le plus inaliénable des droits de l'homme. Ce principe, il ne suffit pas de le proclamer pompeusement, il faut en faire un fait. La décentralisation c'est l'application dans l'ordre administratif et politique du fécondant principe de la division du travail.

Donner aux individus et aux groupes d'individus la plus large part possible de responsabilité en leur donnant toute la liberté compatible avec l'ordre public sera une œuvre non seulement libérale dans le vrai sens du mot, mais aussi éminemment conservatrice. Si un vaste système de décentralisation dans cet ordre d'idées était jamais mis en pratique en Belgique, j'ai la conviction intime que nous aurions fait un pas immense dans la voie du progrès, et nos divisions intestines n'auraient plus de raison d'être.

Appliquée seulement à notre organisation communale, la décentralisation administrative peut se définir l'administration locale des intérêts locaux, ou la gestion des intérêts communaux par la commune, c'est la division du travail appliquée au gouvernement du pays. Or la division du travail dans les différentes branches de l'activité humaine a produit de magnifiques et d'étonnants résultats, comment n'en serait-il pas de même alors que ce principe serait applique à l'ordre administratif ! Je suis bien (page 793) convaincu qu'ici comme ailleurs la division du travail plus elle sera étendue, plus elle sera complète, plus aussi le résultat sera rapide pour atteindre le but de chacun des branches de l'administration publique.

Je crois en outre que la décentralisation administrative peut avoir les conséquence les plus heureuses pour maintenir et pour réveiller au besoin dans l'esprit public le sentiment d'indépendance et de liberté individuelle.

Aussi, messieurs, si je me trouvais en présence d'une révision complète de la loi communale, il ne me serait pas difficile de prouver que bon nombre de ses dispositions, même les plus importantes, ne sont ni conformes à nos traditions nationales, ni en harmonie avec les principes de notre Constitution qui consacrent dans leurs applications les plus essentielles les droits individuels.

Tout en rendant hommage à la pensée intelligente et généreuse qui a inspiré à l'honorable ministre de l'intérieur les modifications qu'il nous propose d'adopter, je regrette qu'il n'ait pas cru opportun de donner aux communes un peu plus de liberté et à la députation permanente des pouvoirs plus étendus.

Je suis d'ailleurs persuadé que l'honorable M. Vandenpeereboom voudrait marcher plus résolument dans la voie de la décentralisation administrative s'il était simple membre de cette Chambre. Mais il est ministre, il fait partie du gouvernement et il est de l'essence de tout pouvoir de chercher à se consolider et à s'étendre s'il le peut ; rarement ou plutôt jamais, à moins qu'il n'y soit forcé, le gouvernement ne consentira à se dessaisir de ce qu'il prétend être ses droits et qu'abusivement ensuite il appellera ses devoirs.

L'opposition de l’honorable ministre de l'intérieur est donc traditionnelle, elle n'est pas personnelle. Le gouvernement défendra et continuera à défendre ses prérogatives et nous avons, je le crains, fort peu d'espoir de lui voir faire une concession.

Heureusement pour la cause de la liberté que nous défendons, la question de l'extension des attributions des conseils communaux et des députations permanentes n'a, par sa nature, aucun caractère politique. Ce n'est pas là du moins une question cléricale ou libérale proprement dite.

Cette réforme peut s'obtenir malgré et contre le pouvoir par une coalition entre tous les sincères amis de la liberté. Certains ministres catholiques, s'ils étaient au pouvoir, résisteraient peut-être autant que les ministres actuels, précisément parce qu'ils seraient au pouvoir. Au reste la question de la décentralisation administrative a rencontré de tout temps et indistinctement sur tous les bancs de cette Chambre ses partisans et ses détracteurs.

Ce sont des catholiques qui ont élaboré, voté et contresigné cette loi que nous sommes appelés à modifier. Je dirai de plus que la centralisation dans son application abusive a été pratiquée tour à tour par tous les pouvoirs, et les libéraux régnants, à mon avis, n'ont fait que développer les germes de cette centralisation déposés dans nos lois provinciales et communales. Ce qu'il y a de certain, messieurs, c'est que la concentration des pouvoirs est un instrument redoutable entre les mains des gouvernements de partis. Je sais que l'on a dit que le pouvoir ne saurait jamais être trop fortifié ni trop étendu quand il est exercé par le peuple et par ses représentants. Mais c'est là, a dit M. Odilon-Barrot, une idée fausse et bien dangereuse, empruntée d'ailleurs aux républiques de l'antiquité et aux doctrines de J.-J. Rousseau. Un pareil système, dit Odilon-Barrot, fait peser sur les hommes un despotisme d'autant plus insupportable qu'il est collectif et irresponsable.

Tous les gouvernements, quelles que soient leurs formes extérieures et les noms pompeux dont ils s'affublent, peuvent être libéraux ou despotes, car la vraie liberté ce n'est pas le. respect du nombre quel qu'il soit, ni la consécration du temps quel qu'il fût, mais le respect du droit d'un chacun, le respect du droit individuel.

Or, messieurs, c'est au nom du droit des individus que je viens me joindre à mes honorables collègues pour vous demander l'extension des attributions des conseils communaux et de la compétence des députations permanentes.

Qu'est-ce, en effet, que la commune, si ce n'est un groupe d'individus ou de familles qui s'est formé et qui se maintint dans un intérêt collectif et auquel la loi a accordé la personnification civile ? C'est un petit Etat, un petit gouvernement qui a des intérêts et des besoins propres, plus ou moins importants suivant son étendue territoriale et le nombre de ses habitants.

Ceux-ci toutefois restent rattachés à la nation par des intérêts et des besoins d'un ordre général. En un mot la commune, ce n'est qu'une subdivision de la nation comme l'individu est une subdivision de la famille. Ce sont là autant d'anneaux distincts d'une même chaîne, mais rivés ensemble par les grandes lois de la sociabilité, c'est-à-dire par les droits et les devoirs.

Or le droit de l'individu n'est-il pas de gérer souverainement et sous sa responsabilité ses intérêts exclusivement personnels, et le droit de la commune, groupe d'individus, n'est-il pas d'administrer elle-même, toujours sous sa responsabilité, ses affaires intérieures et qui la concernent exclusivement ? Le premier devoir d'un gouvernement vraiment libéral n'cst-il pas de garantir et de protéger les droits individuels et collectifs ? Sa plus grande faute ne sera-t-elle pas de les absorber ?

Or, dans notre système administratif, l'Etat n'est pas protecteur, mais gérant et tuteur : toutes les communes belges, sans exception, sont déclarées mineures de par la loi, et cela à perpétuité.

Qu'est-ce donc que ce système, si ce n'est l'abdication des droits de la commune et leur absorption au profit du pouvoir central ? C'est le gouvernement qui se réserve la nomination des chefs de l'administration communale, c'est encore lui qui nomme la plupart de ses agents, et non content de cette haute prérogative, il pousse la défiance jusqu'à vouloir que presque tous les actes de cette administration reçoivent directement ou indirectement son approbation préalable.

N'est-ce pas là un vaste système préventif, humiliant et tracassier tout à la fois, qui absorbe et annihile les droits et les libertés communales ? Dans ce système, la commune n'est pas une fraction de la nation, c'est une fraction du pouvoir, une fraction de l'Etat.

Messieurs, les idées que je défends ont été longuement développées, dans une circonstance récente, par un homme éminent, sincèrement libéral et dont l'autorité ne vous sera pas suspecte. Voici ce que je trouve dans le discours sur la liberté moderne de M. Altmeyer, recteur de l'université libre de Bruxelles.

«L e gouvernement constitutionnel, dit-il, ne réside pas exclusivement dans l'organisme parlementaire qui, sans le contre-poids des communes et des provinces, pourrait dégénérer en un despotisme d'autant plus effrayant qu'il serait multiple, irresponsable et pour ainsi dire infaillible. »Vous le voyez, messieurs, c'est la même idée, exprimée déjà par M. Odilon-Barrot, que j'ai cité tout à l'heure.

« Le gouvernement constitutionnel, dit encore M. Altmeyer, c'est le self-government, c'est-à-dire celui où l'homme veut vivre par lui-même, garantissant partout un ordre de libertés individuelles, communales et provinciales, sans lesquelles ce qu'on nomme l'esprit de liberté n'est qu'une chimère.

« Le self-government ou le gouvernement de chacun par soi-même, du pays par le pays, est l'antithèse de ce qu'on appelle la centralisation administrative, dans laquelle l'action du gouvernement tend à se substituer constamment à l'activité individuelle. »

Et après avoir fait l'éloge des institutions anglaises, il ajoute : « Néanmoins, malgré l'évidence de la supériorité de ces institutions sur les nôtres, il se trouve beaucoup d'hommes, même à idées avancées, qui, pour les réaliser, mettraient tout aux mains du pouvoir, parce qu'ils voient, dans une forte centralisation administrative, un incomparable élément de progrès. Eh bien, dit M. Altmeyer, je ne crains pas de le dire, c'est là un libéralisme arriéré et dangereux ; car il sacrifierait ce qui est le principe vital, la liberté, et ouvrirait au despotisme les portes, et les chemins. »

Plus loin, il ajoute encore : « C'est surtout à l'élément communal que l'Etat doit laisser le plus de latitude possible, dont l'Etat doit le plus protéger l'indépendance, car la commune est comme l'individu et comme la famille, une unité naturelle, ayant des droits d'une catégorie spéciale et qui par cela même ne peuvent pas être absorbés par l'Etat, unité nationale. La commune antérieure à l'Etat en est la base, et par conséquent ne peut être confondue, mêlée avec lui. Il faut fortifier la base.

« Un pays sans communes libres ne peut aboutir qu'à l'absolutisme, et à quelque chose de pis encore, à l'extinction du patriotisme qui, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, commence toujours par l'attachement au lieu de la naissance et de l'habitation.

« Les centralisateurs modernes semblent ne pas comprendre qu'il faut qu'elles servent de garanties solides à la liberté, et à cet effet il faut de toute nécessité qu'elles soient des individualités vivant de leur vie propre et non pas de simples agences sujettes à toutes les fluctuations du pouvoir, tour à tour libéral ou despote, progressif ou rétrograde, suivant les opinions de ceux qui sont appelés à les diriger. »

Messieurs, dans l'ordre des intérêts matériels et économiques, la Belgique, depuis quelques années surtout, est entrée dans la voie du progrès par une large et féconde application du système de liberté. Dans cet ordre de faits, nous substituons partout la sanction de la responsabilité à la sanction pénale de la loi. Là du moins l'intervention directe du gouvernement a été reconnue inefficace et dangereuse. L'expérience (page 794) vient chaque jour augmenter votre foi en la liberté et nous dit avec une autorité invincible que nous avons bien fait. Dans l'ordre politique, une pratique de plus de trente années nous attache de plus en plus à nos libres institutions et en découvre, aux yeux les plus prévenus, les heureux résultats. Mais ici, je le demande, messieurs, pourquoi la liberté utile et féconde dans son application aux intérêts matériels et politiques d'une nation, pourquoi cette liberté est-elle proscrite et déclarée nuisible, dangereuse même, dans le domaine de l'ordre administratif ? Pourquoi la liberté bonne pour les individus et pour la nation est-elle mauvaise pour des groupes d'individus, pour la commune qui en fait n'est qu'un gouvernement restreint ?

Que l'on m'explique, si l'on peut, cette anomalie, cette confusion dans l'application d'un principe que l'on dit bon en lui-même ? Pour moi, je l'avoue, je ne la comprends pas. De deux choses l'une, ou la liberté est mauvaise et produit des conséquences détestables, et alors il faut la proscrire partout ; ou elle est bonne, utile, féconde dans ses résultats, et alors il faut l'appliquer partout, à la société, à l'individu et aux groupes d'individus, à la commune. Le gouvernement n'a d'autre mission que de faire respecter ce droit à la liberté de tous et d'un chacun. C'est à la fois son droit et son devoir.

Sans doute, on peut nier ces principes ; mais je conteste à celui qui les combattra le droit de s'appeler libéral. Quant à moi, j'ai foi et confiance dans la liberté, et je la veux dans le gouvernement de la nation, dans notre organisation communale et provinciale, tout autant que dans l'ordre des intérêts matériels. En conséquence, je veux en Belgique la commune libre et affranchie de la tutelle de l'Etat. Je la veux responsable de sa bonne et mauvaise gestion, et je repousse toute immixtion du pouvoir dans l'administration intérieure de la commune pour toute affaire qui n'a qu'un intérêt local. Et s'il faut à cette liberté absolue une garantie contre les actes arbitraires et les abus de pouvoir, cette garantie, je voudrais la placer tout entière dans la députation permanente, tutrice naturelle de la commune ; et comme corollaire obligé de cette plus grande liberté locale, je demanderais une garantie qui nous fait défaut aujourd'hui, je demanderais la publicité des séances de la députation permanente.

Voilà, me semble-t-il, l'idéal du système, et c'est vers ce but que doivent tendre tous les efforts de ceux qui veulent une liberté vraie et une nation forte. Ce but doit-il être atteint tout d'un coup ? Non, sans doute, et je dirais même, cela fût-il possible, il serait téméraire de vouloir le réaliser sans transitions.

En cette matière comme en beaucoup d'autres, il faut marcher prudemment dans la voie du progrès. L'important, c'est de marcher. Aussi est-ce une grande faute politique de regarder toujours en arrière et de s'attacher avec une aveugle obstination au passé. Sous un régime de sages libertés, les nations comme les individus s'instruisent, se perfectionnent, progressent, et nos institutions doivent être, je ne dirai pas en avant, mais au niveau du moins de nos mœurs et des conquêtes de la civilisation.

Quoi ! messieurs, après trente années d'une école administrative des plus rigoureuses et des plus minutieuses infligée indistinctement, par la loi du 30 mars 1836, à toutes nos communes de Belgique, depuis les plus humbles villages jusqu'à notre fière capitale, nous n'aurions rien appris dans l'art d'administrer avec intelligence nos intérêts les plus intimes et les plus chers !

Quoi ! en présence des progrès matériels et moraux de notre civilisation avancée, en présence de l'instruction répandue jusque dans les moindres communes, en présence surtout d'une presse locale toujours éveillée sur les abus réels ou possibles des administrations publiques, nous serions jugés toujours aussi incapables, aussi ineptes, qu'il y a trente ans, à gérer seuls, je ne dis pas toutes, mais quelques-unes du moins de nos affaires communales ? Cela, messieurs, ne vous paraît-il pas aussi humiliant pour nos communes que blessant pour l'honneur de la Belgique ? Et c'est cependant cette absurdité et cette iniquité que l'on maintient ! En effet, sauf quelques modifications de chiffres, modifications nécessitées, d'ailleurs, par la moins-value de la monnaie, depuis la confection de la loi communale, le projet de décentralisation qui nous est soumis n'innove rien, ne simplifie presque rien, en un mot ne remédie à aucun inconvénient du régime actuel.

Mais, me dira-t-on peut-être, le régime actuel est bon, il fonctionne depuis trente ans à la satisfaction générale, à quel inconvénient grave a-t-il donné lieu et pourquoi vouloir tout changer ?

Voici, messieurs, ce que je peux répondre d'avance à ceux qui me feront probablement cette objection : Les choses marchent bien, dit-on, pourquoi vouloir innover ? D'abord je n'innove rien, je cherche à rétablir dans la mesure du possible et sans nuire à l'unité nationale l'ancien ordre de choses qui a valu à nos communes leurs gloires et leur prospérité ; ensuite je nie formellement qu'aujourd'hui tout marche bien, et je dis au contraire que cette uniformité de décision pour la gestion des affaires des communes est souvent contraire à leur nature et à leurs intérêts et de plus occasionne toujours de la lenteur dans la marche administrative.

En effet, messieurs, comment peut-on prétendre que le pouvoir central peut juger en connaissance de cause les intérêts si distincts et si multiples de nos deux mille cinq cent trente et une communes de Belgique ?

Est-ce que chacune de ces communes n'a pas des intérêts et des besoins spéciaux ? L'une est industrielle, l'autre est commerçante, celle-là est simplement agricole ; celle-ci a des biens-fonds, celle-là n'en a pas, celle-ci a des dettes, celle-là des rentes ; dans telle commune les cotisations personnelles sont fort élevées, dans telle autre les centimes additionnels suffissent ; ici des administrateurs intelligents, des établissements de bienfaisance richement dotés, des habitants généralement dans une position de fortune aisée, là au contraire tout cela manque, et on soutiendra qu'il faut appliquer une loi uniforme à toutes ces communes alors qu'elles sont dans une position si essentiellement différente les unes des autres ! Ou bien dira-t-on que la décision de l'autorité centrale sera réglée d'après la nature, les besoins et les ressources de chaque commune ? Mais alors il vous faut une enquête chaque fois que vous aurez à intervenir, et les éléments de cette enquête où les trouverez-vous ? Il vous faudra nécessairement vous adresser aux autorités locales et provinciales, et vous aurez ainsi forcément décrit un cercle vicieux dont le moindre inconvénient sera d'avoir occasionné un retard quelquefois fort long et toujours fâcheux à l'expédition d'affaires d'une importance exclusivement locale.

On me fera peut-être une autre objection et l'on me dira : Vous voulez, décentraliser, mais c'est désorganiser que vous faites !

Oui, messieurs, c'est vrai, je veux désorganiser, mais seulement l'arbitraire dans l'administration et l'esprit de routine et cela au profit d'une plus grande liberté et d'une meilleure gestion des intérêts locaux. Je dis une meilleure gestion des intérêts locaux, parce que dans notre système ils seront traités par une autorité plus compétente pour les bien apprécier.

On me dira encore, peut-être, que sous prétexte de liberté, notre système conduit à établir dans l'Etat autant de petits Etats qu'il y a d'administrations locales ; ce système c'est l'anarchie.

Et pour remédier à quelques retards fâcheux, dans l'expédition des affaires communales, vous allez occasionner, si par malheur les communes devenaient indépendantes, un retard bien autrement sérieux dans la marche de la civilisation ; vous allez peut-être nous faire rétrograder jusqu'en plein milieu des abus des temps passés. S'il y a des administrations intelligentes, il faut convenir qu'il y en a d'autres et que pour celles-là du moins le gouvernement fait bien de se charger de leurs intérêts et de les tenir en tutelle. Sans l'action du pouvoir, tous les progrès matériels et moraux seraient retardés ! Et puis il faut tenir compte d'un fait incontestable, c'est que bien souvent dans les assemblées locales il y a de la petitesse de conduite et de conception, elles n'ont pas l'ampleur de vues, la généralité des connaissances que l'on trouve au faîte de l'Etat.

A toutes ces objections que l'on peut encore faire à ceux qui, comme moi, veulent l'affranchissement des communes, je puis répondre d'abord d'une manière générale qui cette question a, d'après moi, un caractère philosophique et politique qui prime de beaucoup les quelques avantages, contestables d'ailleurs, que l'on invoque en faveur du maintien de l'ordre de choses existant. L'exemple de l'Angleterre, des Etats-Unis, de la Prusse et de la Hollande surtout est là pour plaider en faveur d'une liberté plus grande des communes, dans la nomination de leurs magistrats et dans l'administration des affaires locales.

D'autres honorables membres de cette Chambre parleront des institutions locales de ces pays et je me contenterai de répéter avec de savants publicistes que chez ces peuples la libre administration des intérêts communaux a été la principale école de l'esprit public.

Les objections que l'on peut faire à ceux qui demandent l'extension des attributions communales sont les vieux arguments répétés et invoqués par tous les despotismes toutes les fois qu'on réclamait l'indépendance.

On craint les abus, et où n'y en a-t-il pas ? On n'a pas confiance dans le bon sens pratique de nos populations. Et par la plus singulière des inconséquences, ceux-là mêmes qui veulent l'extension du suffrage partagent quelquefois les mêmes préjugés contre la décentralisation. Le peuple, pour quelques-uns d'entre eux, lorsqu'il s'agit de droits politiques, est toujours supposé capable ; pour faire de bous choix, il est doué d'un tact admirable, il est infaillible ; mais ses mandataires, voyez la (page 795) contradiction, c'est tout autre chose, ceux-ci doivent comme les conseillers communaux par exemple, rentrer modestement dans la passivité, dans l'inertie, dans la tutelle ; l'Etat, cet être fictif et infaillible, prend possession de l'omnipotence. Et les ressorts de la responsabilité qui doivent fonctionner si bien quand il s'agit des chefs du gouvernement, sont impuissants à opérer leur effet quand ils sont appliqués aux administrateurs électifs de nos communes ou de nos provinces !

L'unité dans la variété, la force dans la liberté, tel doit être le double caractère des gouvernements constitutionnels. N'ayons donc pas peur de la variété dans certains détails des administrations locales, cette variété est la conséquence inévitable de la différence de leur nature, de leurs intérêts, de leurs besoins.

N'ayons pas une crainte exagérée de perdre l'unité, n'ayons surtout pas peur de la liberté.

Au lieu de rester en arrière des progrès obtenus chez nos voisins en ces matières, ayons plus de libertés qu'aucun d'entre eux, et nous aurons plus fait pour le maintien de l'unité nationale que ne pourraient réaliser dans ce but les systèmes de concentration gouvernementale les mieux conçus.

On a dit et avec mille fois raison, que la patrie est là où l'âme et l'intelligence des individualités vivent de leur vie propre et ne sont point absorbées. Là aussi se trouvent l'esprit d'entreprise et d'initiative, ainsi que l'habitude de la responsabilité qui peut seule produire l'indépendance et les qualités viriles du caractère.

Par le système de concentration gouvernementale appliqué à la commune, on tue, au contraire, l'esprit public à sa source la plus féconde. Le peu d'importance que l'on accorde aux fonctions municipales rend le citoyen belge souvent indifférent à la chose publique. Ces places deviennent alors la proie des ambitieux et des incapables, et plus tard on verra les partisans de la centralisation argumenter de cette incapacité qu'ils auront créée eux-mêmes et demander le maintien de leur détestable système. C'est là le cercle vicieux dans lequel sont condamnés à tourner toujours les apologistes du pouvoir fort.

Mais appelez au contraire le citoyen à la gestion des affaires de sa commune, donnez-lui dans cette administration une large part d'attributions, et bientôt vous élèverez son intelligence et ses mœurs, vous ferez son éducation politique, vous ennoblirez son esprit et ses habitudes en lui insérant l'idée de sa dignité, vous lui donnerez de la retenue en l'accoutumant à la responsabilité, vous le forcerez en quelque sorte à être bon patriote par le sentiment de ses intérêts et de son bien-être personnel.

C'est là, à mon avis, le côté moral et philosophique de la question de l'indépendance communale, et ce côté mérite, me semble-t-il, de fixer l'attention de tous ceux qui veulent fortifier nos institutions nationales.

Quant à savoir si les communes seront mieux ou moins bien administrées sous le régime de la liberté que sous le régime de la tutelle de l'Etat, c'est là. une question que j'examinerai en traitant plus spécialement de l'amendement de M. de Naeyer et Jacobs. Pour le moment, j'ai tenu à mettre en présence les avantages et les inconvénients de chacun des deux systèmes au point de vue de l'éducation politique de l'individu. Ces considérations générales, je les livre à l'appréciation loyale de mes honorables collègues de cette Chambre, et en vous les soumettant, messieurs, je n'ai eu d'autre prétention que celle de vous faire connaître les motifs qui ont déterminé mon opinion sur la question de la décentralisation administrative. J'espère de cette réforme, si elle se réalise un jour, d'excellents résultats pour l'avenir de mon pays, et je serais heureux si des voix plus autorisées que la mienne pouvaient réussir à faire passer dans vos esprits la conviction qui m'anime sur les heureux effets qu'on peut en attendre.

Permettez-moi, messieurs, d'ajouter maintenant quelques mots à l'appui du nouvel amendement de MM. de Naeyer et Jacobs. Cette nouvelle combinaison, tout en ne s'écartant guère du système du premier amendement, a l'avantage de rencontrer et de renverser toutes les critiques formulées dans le rapport de la section centrale contre la proposition de nos honorables collègues. Aussi, messieurs, mérite t-il, à tous égard, de fixer la sérieuse et bienveillante attention de la Chambre. J'espère même que dans cette question qui, comme je l'ai déjà dit, n'a aucun côté clérical, un bon nombre de nos honorables adversaires politiques se joindront à nous pour revendiquer les droits de la commune, aujourd'hui si injustement méconnus. La Chambre des représentants ne voudra pas donner ce triste spectacle d'un parti qui est réduit à défendre seul une des plus glorieuses libertés belges, la liberté communale.

Sur le terrain de la liberté pure, il n'y avait autrefois jamais de grandes batailles entre catholiques et libéraux ; à cette mémorable époque, les idées étaient larges et grandes, les cœurs étaient généreux. On voulait la liberté pour elle-même et non pas exclusivement pour les profits qu'on pouvait en tirer pour le succès de sa cause politique. Aujourd'hui ce n'est plus la liberté, mais c'est le pouvoir que trop souvent on vient défendre ici. Et nous votons à son profit l'abdication de notre libre arbitre, de notre intelligence, de notre bon sens même. Vous vous récriez peut-être, messieurs, mais qu'est-ce donc que ce vaste système préventif appliqué à toutes les communes de Belgique ? N'est ce pas leur abdication.

Mais je reviens à l'amendement de mes deux honorables collègues. Le système que cet amendement consacre est une décentralisation sérieuse et une simplification réelle dans les rouages administratifs et, il a de plus, quoi qu'on en dise, l'incontestable avantage de donner satisfaction à tous les intérêts légitimes, sans en compromettre aucun.

C'est, en outre, l'application d'un principe vrai et juste, savoir que la députation permanente est la tutrice naturelle de la commune et qu'en conséquence, c'est à elle que revient l'honneur de la protéger contre las abus du pouvoir et les exagérations des influences locales.

Dans ce système, le conseil communal conserve son droit d'initiative, il délibère et décide en première instance sur toutes les affaires d'intérêt communal. Tandis que dans la loi communale actuelle, les actes délibératifs dénommés à l'article 76 sont soumis à l'avis de la députation permanente et à l'autorisation royale.

L'amendement de mes honorables amis, MM. de Naeyer et Jacobs, supprime l'autorisation royale obligatoire et se contente de soumettre les délibérations des conseils communaux en ces matières à l'approbation de la députation permanente, sauf appel au Roi par les communes.

Le droit d'appel du gouverneur, que stipulait le premier amendement, a été remplacé dans la nouvelle formule par un droit d'annulation d'office. Le Roi pourra donc, d'après le nouvel amendement, annuler d'office les délibérations des conseils communaux portant sur tous les objets qui, d'après la loi actuelle, sont soumis à l'approbation royale, après avoir entendu la députation permanente.

Toutefois, d'après l'amendement à l'article 76 aujourd'hui en vigueur, ce droit du Roi d'annuler d'office les délibérations des conseils communaux, ne pourra s'étendre :

1° Aux actes compris sous le n°1 de. l'article 76, lorsque la valeur n'excède pas 5,000 fr. ou le dixième du budget des voies et moyens ordinaires, à moins que ce dixième ne dépasse 50,000 fr. ;

2° Aux donations et legs d'une valeur de moins de 5,000 fr.

3° Aux acquisitions d'immeubles ou de droits immobiliers, lorsque la valeur excède la somme de 5,000 fr. ou le dixième du budget des voies et moyens ordinaires, à moins que ce dixième ne dépasse 50,000 fr.

4° Aux centimes additionnels, au principal des contributions foncière et personnelle et du droit de patente, lorsque le total des centimes imposés ne dépasse pas 20.

L'arrêté royal portant annulation d'office ou sur appel sera signé dans le délai de quarante jours à partir de la décision de la députation permanente. Le gouverneur pourra, en attendant cette décision, suspendre l'exécution de la délibération. Il n'est rien innové au projet du gouvernement quant à l'article 77.

Ce simple énoncé fait voir d'un seul coup d'œil tout le mérite de cette nouvelle combinaison. La tutelle de l'Etat est remplacée par la tutelle de la députation permanente dont les décisions, si elles lèsent un intérêt communal, sont susceptibles d'appel au Roi. Quant aux droits de l'Etat, ils sont sauvegardés par le pouvoir que lui laisse l'amendement d'annuler d'office les délibérations des conseils communaux qui seraient de nature à compromettre un intérêt quelque peu général ou important.

D'ailleurs, messieurs, si l'on veut bien aller au fond des choses et examiner dans son application pratique les dispositions de l'article 76 de la loi communale actuelle, on se convaincra facilement que le système que nous présentons ne diffère pas essentiellement de l'ancien ; celui-ci présente seulement des garanties en moins et des lenteurs en plus.

Voyons d'abord, sous l'empire de la législation actuelle, comment les choses se passent ?

La commune délibère, la députation permanente donne son avis sur l'objet de cette délibération, le pouvoir central autorise ; mais cette autorisation, à de bien rares exceptions près, est toujours conforme à l'avis de la députation permanente. C'est donc en fait, dans le système actuel même, la députation qui autorise. Et il serait impossible qu'il en fût autrement vu le grand nombre d'affaires que le gouvernement a à examiner. Dès lors, pourquoi ne pas consacrer, par la loi, un (page 796) principe toujours suivi dans la pratique ? Cette pratique est-elle bonne, est-elle conforme à l’intérêt des communes et des administrés ? A mon avis, incontestablement.

En effet, messieurs, quelle administration pourrait être mieux placée que la députation permanente pour contrôler et juger en connaissance de cause toutes les affaires d'intérêt communal ? La députation permanente n'est-elle pas par sa nature un corps administratif essentiellement responsable, puisqu’il est électif, et n'est-il pas d'habitude composé d'hommes intègres et capables ? Ne trouve-t on pas là plus de garanties sérieuses contre l'arbitraire des décisions et l’esprit de routine, que dans les bureaux d'un département ministériel quelconque ? Qui ne préférerait s'adresser à une autorité responsable plutôt qu’à une qui ne l'est pas, qui est insaisissable et qui ne fonctionne jamais ? Qui mieux que la députation permanente peut apprécier sainement les mesures proposées par l'administration communale ? Qui mieux qu'elle peut connaître les intérêts et les ressources de la commune, puisque celle-ci est obligée en vertu de l'article 141 de la loi communale de lui soumettre ses budgets et ses comptes ?

Dira-t-on, par une conséquence fatale d'une prévention injuste et outrée, qu'il est nécessaire de mettre également la députation permanente en tutelle, et qu'il faut la guider dans l'interprétation et l'application de nos lois ? Mais s'il faut que tout le monde soit en suspicion, où allez vous avec un tel système ? Et pourquoi un fonctionnaire d'un département ministériel, et souvent un simple commis, pourquoi présumer cet homme capable de faire de la bonne administration, et pourquoi dénier cette qualité à la députation ? C'est ce que vous faites cependant, puisque vous ne voulez pas lui laisser la décision, sous réserve d'appel par la commune, et d'annulation d'office par le Roi ?

La prétention de vouloir soutenir que la députation permanente n'est pas apte à trancher aujourd'hui, sous réserve d'appel, toutes les affaires sur lesquelles depuis 30 années elle est appelée à émettre un avis (article 76 de la loi communale), cette prétention ne me paraît pas raisonnable. Est-ce qu'une pratique de plus de trente années n'a pas été suffisante pour fixer la jurisprudence administrative sur la plupart des questions sur lesquelles, en vertu de l'amendement, la députation permanente aura maintenant à statuer ?

Direz-vous, vous qui ne voulez pas de la compétence de la députation permanente pour la solution des affaires de la commune, que cette autorité ne vous inspire pas suffisamment de confiance, que c'est un corps essentiellement politique et par conséquent imbu de l'esprit de parti et qu'en outre il pourrait quelquefois se rencontrer tel cas où tel conseil communal dominerait la députation et lui arracherait par crainte ou par coalition une autorisation toujours conforme à sa délibération ? Mais à part, messieurs, que toutes ces suppositions sont blessantes et tout à fait imméritées, je dirais : Cela serait-il, cela pourrait-il être qu'il faudrait encore ne pas reculer devant les conséquences de l'amendement de MM. de Naeyer et Jacobs.

En effet, messieurs, nous ne devons pas perdre de vue que toute décision de la députation tant soit peu importante est toujours susceptible d'appel ou de cassation. Si donc une députation permanente était assez oublieuse de sa dignité et de sa responsabilité pour méconnaître dans l'exercice de ses droits, par esprit de parti ou par servilité, les intérêts soit de la commune, soit des particuliers, soit de l'Etat, nous avons le recours au Roi. Cela ne suffit-il pas et quelle garantie avez-vous en plus dans le système actuel ?

Du reste, messieurs, il me semble qu'il serait illogique de refuser à la députation permanente de statuer sur des affaires purement administratives et cela sous prétexte que ce corps peut être imbu de l'esprit de parti alors que la loi électorale n'a pas craint de lui confier une mission exclusivement politique en lui accordant le pouvoir de juger définitivement bon nombre de contestations électorales. S'il fallait se méfier de l'esprit de parti, c'était surtout en ces matières. D’ailleurs le pouvoir central n'est-il pas politique aussi et les employés d'un département ministériel quelconque ne peuvent-ils subir les influences politiques de leurs chefs et d'autres personnes qui trouvent un intérêt de parti à donner telle ou telle solution à telle ou telle délibération d'un conseil communal ?

Je dis de plus que le système actuel est inefficace pour les grandes villes et qu'il est illusoire pour les petites communes. Car les grandes villes sont représentées à la Chambre par des représentants nombreux et puissants et qui lorsqu’ils font partie de la majorité jouissent d'une grande influence près du ministère. Et dans l'état actuel des partis à la Chambre quel serait le ministre assez fort pour résister à une délibération d'un conseil communal d'une grande ville, alors que cette délibération serait défendue par ses représentants ? Il craindrait et non pas sans motifs qu'on ne lui fît directement ou indirectement une guerre qui pourrait être l'occasion de sa chute.

Un jour, un ministre qu'on n'accusera certes pas de faiblesse de volonté ou de caractère, l'honorable M. Frère essaya de résister à un emprunt que voulait contracter la ville de Bruxelles. L’honorable ministre de l'intérieur me dit que c'est M. Tesch. C'est indifférent ; l'honorable M. Tesch possède, je crois, sous ce rapport, les mêmes qualités que l'honorable M. Frère.

La lutte fut ardente et elle se termina au détriment des deux autorités ; le gouvernement subit une défaite morale, la ville eut un échec matériel puisque, d'une part, l'emprunt fut autorisé et que d'autre part le gouvernement, pour mettre à couvert l'humiliation de cette retraite, ordonna de changer le mode d'emprunt qui eut lieu dans des conditions plus onéreuses pour la ville que le premier mode proposé.

Le système actuel est de plus illusoire pour les petites communes, car le pouvoir central est tout à fait incapable d'examiner à fond les mille affaires qui, en vertu de l’article 76 actuel de la loi communale, sont soumises à son approbation.

Je dis donc que la députation permanente est d'abord mieux à l’abri que le gouvernement des influences locales aussi considérables qu'elles soient, et qu'ensuite elle est seule en état de juger en connaissance de cause les intérêts si nombreux et si distincts de nos 2,531 administrations communales.

Le gouvernement dispose d'ailleurs dans nos provinces de deux armes puissantes pour sauvegarder les droits de l'Etat. D'une par le ministre peut user de ses circulaires pour indiquer la marche à suivre ou indiquer des solutions ; de l'autre il dispose au sein de la province de deux agents importants, le gouverneur et les commissaires d'arrondissement. Ces hauts fonctionnaires peuvent toujours faire connaître leur avis sur toute les mesures administratives ; ils peuvent toujours faire parler la voix de l'intérêt public, de l'intérêt de l'Etat, et mettre en évidence les considérations d'un ordre élevé et général que parfois l'on pourrait craindre de voir s’effacer devant les idées et les vœux passionnés des localités. Je crois donc pouvoir affirmer que le système de MM. de Naeyer et Jacobs sauvegarde tous les intérêts sans en compromettre aucun.

Je résume ces quelques considérations et je dis qu'une solution identique, émanant de deux corps électifs, c'est-à-dire responsable de leur bonne ou mauvaise gestion et composés, d'une part, d'éléments pris sur les lieux qu'il s'agit de régir, et, de l'autre, de dignitaires placés assez près de la commune pour pouvoir décider de ses intérêts en connaissance de cause, et assez loin cependant pour être affranchis des exagérations des influences locales, il me semble, messieurs, qu'une telle solution peut être respectée, en général, par le pouvoir central, parce qu'elle sauvegarde tous les intérêts, et, à mon avis, donne même plus de garanties contre les abus d'autorité que le régime actuel.

De plus, l'amendement que nous défendons a, en outre, le mérite incontestable de nous faire faire un pas important dans la voie de la décentralisation administrative et de l'affranchissement de nos communes. Peu à peu nous rendrons les communes à elles-mêmes, nous réveillerons l'esprit public, nous travaillerons à former l'intelligence et le caractère du citoyen au berceau de la vie politique, nous lui donnerons l'esprit d'entreprise et d'initiative, qui lui fait souvent défaut. En lui donnant plus d'importance dans sa localité, nous lui inculquerons petit à petit, avec la conscience de sa dignité, l'amour du devoir et le sentiment de la responsabilité.

Nous consoliderons nos institutions nationales en élargissant la base et en soulageant le faîte de notre édifice social, et surtout en attachant le Belge de plus en plus à son pays puisque nulle part ailleurs il ne pourrait trouver une importance personnelle plus grande et une plus large liberté dans la sphère de son activité intellectuelle et matérielle.

Et en entrant dans cette voie, bien loin de rétrograder aux abus d'un autre âge, nous ferons revivre nos plus glorieuses traditions nationales que des siècles d'oppression et de tyrannie nous avaient fait forcément abandonner.

La liberté que nous revendiquons aujourd'hui, la liberté pour nos communes de faire elles-mêmes leurs affaires est aussi ancienne que notée histoire dont il est le fait le plus remarquable, et je suis fier de représenter deux villes, Furnes et Nieuport, qui en ont joui des premières en Belgique.

Nous lisons dans les annales de Fumes, que nous devons à l'intelligent et laborieux travail de M. Ronse, que la ville de Furnes reçut de la comtesse douairière Gertrude la plus ancienne Keure connue. Elle date de 1109. Il est donc bien naturel, messieurs, que je revendique, en 1865, un droit dont mes aïeux jouissaient déjà sans limites au commencement du XIIème siècle.

(page 197) Je voterai donc tous les amendements qui me paraîtront de nature à favoriser l’émancipation de nos communes de la tutelle humiliante du pouvoir central.

M. Lelièvre. - La Chambre sait qu'un amendement par moi présenté à l'article 2 du projet, tend à autoriser l'acceptation provisoire des libéralités faites aux communes et aux établissements publics.

La section centrale a adopté la partie de mon amendement qui concerne les donations entre-vifs, à la majorité de deux voix contre deux et deux abstentions ; elle n'a pas cru devoir se rallier à ma proposition, en ce qui concerne les dispositions testamentaires.

Il m'est impossible de partager cette opinion.

La loi doit assurer l'exécution des volontés des testateurs et ne peut négliger les moyens propres à les faire respecter.

Or, le testateur qui fait un legs à une commune ou à un établissement public, veut que ses légataires jouissent de l'objet du legs à dater de son décès.

Cette volonté ne peut être remplie qu'au moyen d'une disposition qui autorise les administrateurs de la commune ou des établissements publics à accepter provisoirement le legs ; sans cela, le legs fait partie provisoirement de la succession et les légataires sont privés de la jouissance que leur confère la disposition testamentaire.

Or, cet état de choses porte atteinte à la volonté qui a dicté la libéralité.

La loi doit dès lors décréter les mesures propres à placer les legs faits aux communes et aux établissements publics sur la même ligne que ceux faits aux particuliers, au point de vue de la jouissance des fruits et des intérêts.

Du reste, les héritiers légaux n'ont, aucun titre pour réclamer les fruits d'une jouissance que l'auteur de la disposition n'a pas voulu leur attribuer.

Il y a plus ; lorsque l'autorité compétente approuve le legs, il est rationnel que cette approbation ait ses effets dès le décès du testateur. En effet, le legs étant approuvé tel qu'il a été fait par l'auteur de la disposition, celle-ci doit recevoir sa pleine et entière exécution, telle qu'elle est déposée dans le testament et par conséquent avec jouissance des fruits du moment du décès.

A mon avis, l'attribution des fruits et intérêts à l'héritier légal, jusqu'au moment de l'approbation de l'autorité supérieure, est une atteinte portée à la volonté du testateur qui doit toujours être exécutée autant que faire se peut.

Aussi, messieurs, en France a-t-on adopté en 1837 une disposition analogue à celle que j'ai l'honneur de proposer à la Chambre.

Il m'est donc impossible de ne pas persister dans mon amendement, et je pense que son adoption réaliserait une véritable amélioration dont la nécessité est reconnue par tous ceux qui, par leurs fonctions, ont été mis à même de constater les inconvénients de la législation en vigueur.

Une pétition émanée d'un homme honorable, attaché à l'administration des hospices de Bruxelles, a appuyé ma proposition, sur laquelle je crois devoir provoquer le vote de la Chambré.

Il est évident, du reste, que l'approbation de l'autorité supérieure doit nécessairement se reporter au moment du décès. Elle juge, en effet, que le testateur a pu faire le legs. Il est dès lors tout naturel que celui-ci reçoive son exécution du jour du décès du testateur.

L'approbation n'est que la confirmation de la disposition. Il n'est pas juste d'enlever à celle-ci une partie de ses effets.

Je pense donc qu'en décrétant la disposition que déjà nos voisins ont inscrite dans leur législation nous sanctionnons un ordre de choses équitable qui tend à assurer aux communes et aux établissements publics des avantages que l'auteur de l'acte testamentaire a voulu leur conférer.

(Voir page 797.)

(page 799) M. Kervyn de Lettenhove. - La Chambre comprendra aisément qu'après une interruption prolongée pendant deux mois de la discussion qu'elle reprend aujourd'hui, je me trouve tenu de reproduire les principales considérations que j'ai déjà eu l'honneur de lui présenter.

Aujourd'hui comme au mois de février, j'appellerai toute son attention sur l'importance de la question qui nous est soumise et sur l'insuffisance de la solution qui nous est proposée.

L'insuffisance de la solution, je m'en occuperai tout à l'heure.

L'importance de la question, c'est ce que j'aurai d'abord à déterminer en quelques mots. Que la Chambre se rassure. Je n'ai pas l'intention de dérouler devant elle le vaste tableau du développement de nos institutions communales.

Il est des vérités qui sont incontestées et par cela même démontrées ; et depuis longtemps, depuis l'époque où Grotius, traçant au XVIIème siècle les règles du droit public européen, écrivait qu'en Belgique toutes les libertés sont issues des institutions communales, jusqu'à nos jours, c'est-à-dire, jusqu'à ces manuels, ces commentaires de la loi de 1836 qui portent pour épigraphe : « En Belgique, la commune est la base de l'édifice social, » nous pouvons considérer comme un axiome cette vérité que les institutions communales intimement liées aux progrès de nos mœurs, de notre civilisation, ont présidé à la formation de notre organisation politique et ont préparé, même sous les dominations étrangères, le réveil de notre nationalité dont nous avons été les témoins de nos jours.

Mais si la Belgique, berceau des communes, trouve là ses plus précieux titres de gloire, il ne faut pas oublier que ces titres obligent, et que par cela même que notre pays a marché longtemps le premier dans la carrière du développement des libertés communales, il nous appartient davantage aujourd'hui de maintenir le rang qu'il a occupé. Désavouer notre passé, ce serait abdiquer notre avenir.

Prenez garde, messieurs, disais-je au mois de février, il ne faut pas que la Belgique devenue indépendante, oublie ce qu'elle doit aux institutions communales et les place dans un état d'infériorité vis-à-vis des nations étrangères ! Et j’alléguais à ce sujet ce qui se passe chez la plupart des nations qui nous entourent.

J'invoquais, dans les Pays-Bas, la loi de 1851, en vertu de laquelle les communes administrent, empruntent, achètent librement, sauf les cas où les intérêts généraux étant lésés, l'autorité centrale intervient.

Je vous montrais, en Autriche, la loi de 1849 dont la première disposition est ainsi conçue : « La constitution de l'empire repose sur le système communal. »

Je rappelais l'existence, en Prusse, d'une loi nouvelle qui confirme la loi si mémorable de 1808, et donne aux communes des attributions non moins importantes.

Je m'appuyais de l'exemple de la Suisse et de l'Angleterre où les villes à franchise, jouissent également de la liberté la plus étendue.

Enfin je vous entretenais, messieurs, d'un autre pays qui a revendiqué trop longtemps le monopole de la centralisation. Je constatais qu'en France il se faisait un mouvement qui menaçait la Belgique de ne plus occuper que le deuxième rang, qu'un rang inférieur à la France dans la liberté administrative.

Depuis lors, messieurs, il s'est passé des faits sur lesquels je dois appeler l'attention de la Chambre.

La question s'est élargie, la question s'est élevée, et il me sera permis d'entrer, à ce sujet, dans quelques développements de plus.

Je ne vous rappellerai pas, messieurs, comme je l'ai déjà fait, la loi de 1789, la plus sage de cette époque, selon Henrion de Pansey ; je ne veux pas remonter si haut ; mais je constaterai que presque tous les gouvernements, éteignant la vie aux extrémités du corps social, pour me servir de l'expression d'un publiciste moderne, ont commis la grande faute de la faire refluer tout entière vers la tête, sans songer qu'il faudrait bien peu de chose pour qu'elle se courbât devant la surprise d'une révolution.

En 1837, une loi communale fut votée, qui développait et tendait davantage le réseau de la centralisation. Cependant, l'homme qui avait pris la plus grande part à cette loi, homme aussi éminent par sa vie parlementaire que par ses écrits, M. Vivien, ne tarda pas à reconnaître, après les événements de 1848, combien il était dangereux d'éloigner la vie du cœur d'une nation pour la reporter uniquement à la tête, et M. Vivien qui, en 1837, justifiait la centralisation française, ne tarda pas, après 1848, à publier un ouvrage dont voici la conclusion : « Donnons à la commune une constitution puissante : la commune deviendra une garantie de l'ordre et de la liberté. »

Vers la même époque, M. Vivien, appelé, dans une commission de l'assemblée législative à s'occuper d'un nouveau projet de loi d'organisation communale, proposait de borner l'annulation des décisions de l'autorité communale aux cas où elles violeraient une loi ou un règlement. C'était à peu près le même système de législation que celui qui existe aujourd'hui dans le royaume des Pays-Bas.

Les économistes admettaient la même doctrine. Je ne reproduirai pas le mot de M. de Tocqueville : que c'est dans la commune que réside la force des pays libres ; mais je tiens à citer un savant écrivain qui a publié sous ce titre : « Le Parti libéral », un programme auquel, pour ma part, je suis bien près de me rallier et dont je voudrais voir la plupart des dispositions adoptées par la majorité de cette Chambre.

M. Laboulaye, insistant sur l'extension des attributions communales et sur la décentralisation, s'exprime en ces termes :

« Initiative et responsabilité, voilà les deux conditions de la liberté.

« Se gouverner soi-même, c'est ce qui fait un homme, une commune, un peuple ; et se gouverner, c'est agir à ses risques et périls, sans avoir rien à espérer, ni à craindre de personne.

« Décentraliser, à prendre ce terme dans son sens naturel, c'est retirer au pouvoir central certaines attributions et les restituer à l'individu, à la commune, à l'ensemble des citoyens. »

Ces idées, messieurs, ont fait leur chemin. Elles se sont rapidement répandues ; elles ne sont pas restées dans les régions des théories, dans les écrits des économistes, elles ont passé bientôt dans le domaine des débats politiques. Vous vous rappelez, messieurs, combien elles se sont retrouvées dans la bouche des hommes les plus éminents dans la dernière session des conseils généraux de France.

M. Rouher, M. de Persigny, M. de la Guéronnière ont tous cru devoir insister sur ces idées dans les termes les plus formels, les plus explicites.

Voici notamment comment s'exprimait M. de la Guéronnière. Parlant d'une situation qu'il jugeait mauvaise et à laquelle il félicitait le gouvernement impérial des s'efforcer de porter remède, il disait :

« La commune, le département, rattachés au pouvoir central par des liens qui ne leur laissaient pas la liberté de se mouvoir, n'avaient pas le rôle qui doit leur appartenir dans l'équilibre de notre organisation constitutionnelle. Savez-vous, messieurs, quel est le danger d'une pareille situation, si elle pouvait se maintenir ? Ce danger serait celui-ci : nous verrions infailliblement s'altérer dans leur force virtuelle les impulsions spontanées, l'exercice légitime et les mouvements réguliers de la vie locale. L'Etat, en acceptant toutes les responsabilités, laisserai tsans initiative et sans élan les pouvoirs intermédiaires,

« A une société nouvelle comme la nôtre, aux intérêts si divers qui s'en dégagent, il faut des satisfactions plus larges. A mesure que la civilisation se perfectionne, les formes administratives se modifient et se simplifient. Le monopole est, dans l'ordre économique, ce qu'est le despotisme dans l'ordre politique. L'initiative individuelle, la liberté, doivent se substituer progressivement à ses tutelles. Telle est l'œuvre de la décentralisation. »

Et qu'on ne croie pas, messieurs, que ce soit seulement par les hommes les plus distingués qui représentent l'autorité en France, que ces (page 800) doctrines ont été accueillies ; il ne faut pas hésiter à le dire, elles ont trouvé une approbation, je puis dire unanime, car il n'y a que quelques jours encore, un membre du corps législatif qui jouit dans une partie de cette chambre d'une grande autorité et qui y trouve beaucoup de sympathie, M. Jules Simon, émettait les mêmes idées.

« Je ne sens, disait-il, aucun besoin d'insister près de vous sur l'importance des communes bien constituées ; je crois que sur ce point nous sommes tous d'accord. Songez qu'il n'y a pas de liberté sans de bonnes et fortes communes ; c'est là la véritable école de la vie publique. »

Ces idées, messieurs, ont reçu une sanction beaucoup plus haute, et j'entre ici dans une partie de la discussion à laquelle j'ai déjà fait allusion en commençant mon discours. Je rappelai tout à l'heure que, depuis le mois de février, des faits importants s'étaient produits, et ces théories des économistes, ces appréciations des hommes politiques ont pris un nouveau caractère.

Le 15 février dernier, le même jour et à la même heure où j'avais l'honneur de parler dans cette assemblée, l'empereur Napoléon III, confirmant les promesses du président de la république et développant les décrets de décentralisation de 1852 et de 1861, s'exprimait en ces termes :

« Je m'efforce tous les ans de diminuer les entraves qui s'opposent depuis si longtemps en France à la libre expansion de l'initiative individuelle.

« Le conseil d'Etat a étudié avec soin une loi qui tend à donner aux conseils municipaux et généraux de plus grandes attributions. Les communes et les départements seront ainsi appelés à traiter eux-mêmes leurs affaires qui, décidées sur place, seront plus promptement résolues. Cette réforme complétera l'ensemble des dispositions prises pour simplifier ou supprimer des règlements minutieux qui compliqueraient inutilement les rouages de l'administration. »

Dès le lendemain, le corps législatif était saisi de dispositions importantes, d'un projet de loi destiné à modifier profondément l'organisation des conseils généraux et municipaux.

L'exposé des motifs de ce projet de loi contient quelques passages trop remarquables pour que je ne les signale pas à l'attention de la Chambre. Voici ce que porte notamment l'exposé des motifs :

« Le décret du 25 mars 1852 a proclamé ce principe vrai et fécond : « On peut gouverner de loin, mais ou n'administre bien que de près ; et autant il importe décentraliser l'action gouvernementale de l'Etat, autant il est nécessaire de décentraliser l'action administrative.

« Le moment est venu d'aller plus loin. Le décret de 1852, en remettant aux préfets certains pouvoirs des ministres, n'a conféré aucune attribution nouvelle aux conseils électifs ; il a fait une œuvre sage, utile et pratique de délégation, non une œuvre de véritable émancipation. Le gouvernement vous propose aujourd'hui d'étendre le cercle de l'action départementale et communale, et, sous les seules restrictions que l'intérêt général commande, d'affranchir le pays des excès de la centralisation administrative.

« La gestion des affaires locales, qui est la véritable école d'un pays libre, éclaire les citoyens sur les conditions et les nécessités du pouvoir, donne à chacun le sentiment des intérêts généraux, exerce les esprits, les met aux prises avec la réalité, les tient en garde contre les fausses doctrines, et les initie aux devoirs de l'administration en les associant à sa responsabilité. »

C'est de la France, messieurs, que nous viennent ces leçons. En France on comprendrait la centralisation. Liée à l'esprit de conquête, elle a eu ses jours de triomphe et de gloire, mais elle a eu aussi ses désastres et ses revers.

En Belgique, ce qu'il importe de répandre de toutes parts, c'est le sentiment du dévouement à la nationalité, et pour faire apprécier les bienfaits d'une existence indépendante, on ne saurait assez associer toutes les populations à la vie politique.

Je reviendrai tout à l'heure sur le projet de loi soumis au corps législatif ; je ferai remarquer combien plusieurs de ses dispositions spéciales sont plus larges que celles qui nous sont proposées par le gouvernement, et il faut reconnaître qu'à divers égards, la commune française se trouve dans une situation meilleure que la nôtre.

Certes, la Belgique doit s'honorer d'avoir, comme l'ordonnait la loi du 14 décembre 1789, placé les conseils communaux sous la tutelle de l'autorité élective, d'avoir donné les députations permanentes des conseils provinciaux comme de légitimes et naturelles tutrices aux conseils communaux.

C'est là un grand principe dont il faut faire honneur à la loi de 1836 ; mais en ce qui concerne l'action du pouvoir central, il est incontestable qu'après les décrets de décentralisation de 1852 et de 1861 l'action de l'autorité centrale en France est infiniment plus limitée qu'en Belgique. Ainsi, nous voyons dans la loi de 1861 qu'il n'y a pas d'intervention du pouvoir central dans les cas suivants : « Mode de jouissance de biens communaux, aliénations, acquisitions, échanges, partages de biens de toute nature quelles qu'en soit la valeur, dons et legs de toutes sortes...»

Budgets et comptes des communes lorsque ces budgets ne donnent pas lieu à des impositions extraordinaires ;

Mode de jouissance en nature des biens communaux, quelle que soit la nature de l'acte primitif qui ait approuvé le mode actuel ;

Aliénations, acquisitions, échanges, partages de biens de toute nature, quelle qu'en soit la valeur.

Dons et legs de toutes sortes de biens lorsqu'il n'y a pas de réclamations des familles ;

Transactions sur toutes sortes de biens quelle qu'en soit la valeur ;

Baux à donner ou à prendre, quelle qu'en soit la durée ;

Plan d'alignement des villes ;

Tarifs des droits de voirie dans les villes.

Il est donc bien établi que le décret de décentralisation de 1861, en ce qui concerne l'intervention du pouvoir central, est allé beaucoup plus loin que la loi belge.

Mais il est un autre point sur lequel j'ai aussi à appeler votre attention : c'est qu'en Belgique, le système des subsides gouvernementaux a pris une extension bien autrement grande qu'en France. Il y a là, messieurs, une position d'humiliation pour les communes, qui me paraît fâcheuse et à laquelle je voudrais porter remède ; il y a aussi, pour le gouvernement, une influence que je ne veux pas admettre, parce que je ne veux ni la condamner, ni la soupçonner.

Voici, messieurs, comment un ouvrage que nous avons tous sous les yeux, un manuel d'économie politique, fort répandu aujourd'hui, dépeint la situation de la commune française, et comme j'avais l'honneur de le dire, ceci se rapporte, avec la même vérité, à la commune belge :

« Dans l'état actuel des choses, dit M. Charles Coquelin, le conseil communal ne remplit plus que le rôle de suppliant, et son intervention dans ces sortes d'affaires dont l'administration supérieure s'est réservé la direction exclusive, ne fait qu'en constater l'abaissement... Le système français qui donne au gouvernement des attributions dont il n'a pas besoin, en ôtant aux communes celles qui leur appartiennent à tant de titres, est surtout détestable au point de vue économique en ce qu'il nuit au développement des ressources des localités, qu'il nécessite des lenteurs et des faux frais inutiles, qu'il entraîne un emploi moins rationnel et moins fructueux des fonds prélevés sur les contribuables, et surtout en ce qu'il étouffe partout l'esprit d'entreprise si nécessaire au point de civilisation où nous sommes parvenus. »

Voilà, messieurs, quelle est la situation. Comme moi, sans doute, vous la jugerez mauvaise. Comme moi, vous voudrez y porter remède.

L'amendement que j'ai eu l’honneur de déposer atteindra-t-il ce but ? Je ne le crois pas. Je désire qu'il plante un jalon dans une voie qu'il importe de suivre ; mais ce n'est qu'un jalon, et je souhaiterais, pour ma part, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire, qu'on fît plus pour les libertés communales.

Les théories sont quelque chose ; mais elles ne sont quelque chose qu'à la condition qu'elles soient suivies de toutes les applications possibles. Il ne suffit pas d'attribuer des droits, il faut donner des moyens ; il ne suffit pas de proclamer une autorité, il faut aussi concéder un pouvoir, et, pour ma part (j'insiste vivement sur ce point), je voudrais qu'on en revînt aux principes de la loi de 1821 qui, en établissant les centimes additionnels, a voulu qu'ils permissent aux communes de faire face à toutes leurs dépenses.

Je rappellerai encore aujourd'hui ce commentaire joint à la loi de 1821, qui porte que le gouvernement et le pouvoir législatif se sont mis d'accord sur ce point, qu'il importe que la commune soit placée dans une position qui lui assure la gestion complète de ses finances et qui maintienne l'ancien système communal si fécond en heureux résultats ; et lorsque la Chambre aura à examiner le budget des voies et moyens, je serai tout disposé à déposer un amendement qui porterait que les centimes additionnels perçus sur les trois bases principales de l'impôt (ils atteignent environ 3 millions) seront abandonnés pour une part aux provinces, pour une plus grande part aux communes...

MfFOµ. - Laissez-leur la liberté de s'imposer.

M. Kervyn de Lettenhove. - Mais à la condition qu'on fera disparaître les subsides du gouvernement, jusqu'à concurrence du même chiffre.

Certes, messieurs, les fonds qui seraient dévolus aux communes seraient gérés avec plus d'économie, ils portaient des fruits plus féconds, (page 801) ils développeraient davantage le bien-être distinct de chaque localité, et si nous voulons rendre à la commune son esprit d'initiative, il faut qu'elle puisse transformer en faits accomplis les vœux qu'elle forme aujourd'hui trop stérilement.

Je suis convaincu, messieurs, que. ce système étant adopté, vous obtiendriez des résultats importants et à différents points de vue. La voirie vicinale, liée à tant d'intérêts, ne verrait plus tant d'utiles améliorations sujettes à de longs retards. Sous l'influence de ce système, vous verriez, les établissements de bienfaisance réaliser plus promptement les bienfaits dont s'applaudiraient les classes indigentes et souffrantes.

Enfin, en ce qui touche les intérêts si recommandables de l'enseignement primaire, qui est, avant tout, d'intérêt communal, et qui, toutes les fois qu'il y a des lacunes, et, je n'hésite pas à le dire, d'obligation communale, nous obtiendrions des résultats beaucoup plus importants que ceux qu'aujourd'hui nous ne parvenons pas à atteindre, en votant sans cesse millions sur millions.

Je désire, messieurs, ne pas abuser de l'attention de la Chambre, et après m'être appesanti sur ces considérations générales, il me reste à développer, à justifier en quelques mots l'amendement que j'ai eu l’honneur de déposer sur son bureau.

La Chambre sait qu'elle se trouve aujourd'hui en présence de trois projets : le projet du gouvernement, qui a des promesses très pompeuses et qui tient très peu de chose ; l'amendement de mes honorables collègues, MM. Jacobs et de Naeyer, et celui que j'ai eu l'honneur de déposer.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et celui de la section centrale.

M. Kervyn de Lettenhove. - Et celui de la section centrale qui s'écarte fort peu, je pense, du projet du gouvernement.

Je ne reviendrai pas sur le projet du gouvernement. Vous savez, messieurs, que le gouvernement annonce, dans l'exposé des motifs, qu'après trente années de pratique de nos institutions communales, il est permis de faire quelque chose de plus, qu'il y a de vaines formalités dont il importe de s'affranchir, que le moment est venu d'entrer dans la voie de la décentralisation. Et après toutes ces promesses, que fait le gouvernement ? Sauf quelques questions de chiffres, il ne modifie la loi communale qu'en ce qui touche le mode de jouissance des biens communaux, et encore, comme s'il craignait d'avoir été trop téméraire, de s'être avancé trop loin, il ajoute des réserves en ce qui concerne les bois soumis au régime forestier.

L'amendement de mes honorables collègues et amis MM. Jacobs et de Naeyer a été profondément modifié depuis que la discussion sur les modifications à la loi communale a été interrompue ; et pour ma part, je n'hésite pas à le dire, je ne crois pas que ces modifications aient amélioré l'amendement.

Cet amendement présente, selon moi, deux graves inconvénients : il fait trop et il ne fait pas assez.

II fait trop en ce sens que si dans le délai de quarante jours le pouvoir central n'a pas annulé certaines délibérations de la députation permanente, elles deviennent définitives, et ceci me paraît devoir présenter de très graves inconvénients, quand il s'agit de ventes, d'emprunts ou de destruction de monuments anciens.

D'autre part, je trouve que cet amendement donne trop au pouvoir central, quand il lui permet d'annuler d'office, toutes les fois que le chiffre de 5,000 fr. est dépassé. J'admets l'annulation d'office, lorsque les intérêts généraux sont lésés ; mais hors de ce cas prévu par nos lois l'annulation d'office accordée au gouvernement me paraît devoir donner au pouvoir central un droit trop étendu.

En ce qui me concerne, j'ai voulu adopter une règle simple, précise, facile à déterminer. La commune m'a paru un mineur émancipé placé sous la tutelle de la députation permanente, et conformément à la règle suivie pour le mineur émancipé, j'ai voulu que la commune pût recevoir, acheter, s'enrichir, mais qu'elle ne pût pas contracter à titre onéreux. Telle est la base de l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer. J'espère que fondé sur ce principe, il méritera l'approbation de la Chambre.

Je ne me dissimule pas, toutefois, que sur chacun des points spéciaux que cet amendement embrasse, des contradictions s'élèveront, et tout en proclamant le principe du développement des attributions communales, on arrivera, eu attaquant spécialement chaque paragraphe, à faire disparaître l'amendement tout entier.

Les articles 76 et 77 de la loi communale étant soumis, dans le projet du gouvernement à une révision commune, ces articles étant également l'objet de modifications communes dans l'amendement des honorables MM. Jacobs et de Naeyer, il me semble impossible de ne pas les réunir dans cette discussion. Je justifierai ainsi, sans les séparer, les principales dispositions que j'ai eu l'honneur de mettre sous les yeux de la Chambre.

En ce qui se rapporte à l'article 76 de la loi communale, je crois que je suis à peu près d'accord avec le gouvernement et avec les honorables MM. Jacobs et de Naeyer.

C'est à l'article 77 que se produisent les dissentiments.

Dans mon amendement, plusieurs paragraphes sont placés pour la première fois à l'article 77. Ainsi je soumets uniquement à l'approbation, de la députation permanente du conseil provincial les délibérations des conseils communaux sur les objets suivants :

Aliénations, emprunts et constitutions d'hypothèques d'une valeur inférieure à celle qui est indiquée dans mon amendement au n°1 de l'article 76.

En France, d'après le projet de loi de 1865, les conseils municipaux peuvent, sans l'intervention ni du préfet ni de l'autorité centrale, contracter des emprunts dont l'amortissement se fait sur les ressources ordinaires en douze années.

Viennent ensuite dans mon amendement les transactions et les échanges comprenant des biens ou des droits immobiliers. Il importe que les transactions soient rendues aussi faciles que possible, puisqu'elles ont pour but de prévenir des contestations à naître. Si, parfois, sous forme de transactions, il y avait de véritables aliénations, le gouvernement aurait le droit d'annuler.

S'il s'agit d'un échange, on appréciera encore l'égalité des valeurs, et si elle n'existait cas, il y aurait également lieu à annulation, puisque ce serait une vente déguisée.

Je propose également de comprendre dans l'article 77 les péages et les droits de passage, et c'est un des points sur lesquels la section centrale s'est montrée le plus sévère. Je crois cependant que les inconvénients qu'elle a signalés n'existent pas, attendu qu'une disposition générale de la Constitution permet d'annuler tout ce qui serait contraire à l'intérêt général, et parce que, d'un autre côté, mon amendement renferme des réserves formelles en ce qui touche la grande voirie.

II y a quelque intérêt pour les communes à régler les péages et les droits de passage ; car il s'agit d'une dépense faite par la commune, et il lui importe de savoir quelle en sera la conséquence au point de vue financier, quel intérêt elle retirera des frais qu'elle s'est imposés.

Le quatrième paragraphe de mon amendement soulève une question beaucoup plus grave. Il s'agit des actes de donation et des legs faits aux communes.

Autrefois les communes et les établissements publics ne pouvaient pas posséder, et cette règle a été inscrite dans l'article 910 du Code civil. On trouvait à la possession par les hospices ou par les communes, deux obstacles : l'intérêt des familles et l'intérêt public. J'ai eu soin d'établir une exception pour le cas où il y aurait opposition de la part des familles. C'est la disposition de la loi française qui porte, paragraphe 9 de l'article 11 du projet de 1865 :

«L es conseils municipaux règlent l'acceptation ou le refus des dons ou legs faits à la commune, sans charges, conditions, ni affectation immobilière, lorsque ces dons et legs ne donnent pas lieu à réclamation. »

C'est là une disposition très importante que je voudrais voir introduire dans la législation belge.

En ce qui touche l'intérêt public, l'objection la plus grave qui se soit élevée est celle qui se rapporte aux biens de mainmorte. On craint de voir les propriétés immobilières s'accumuler dans le domaine communal et pour ma part, pour prévenir cette objection, comme j'ai déjà eu l'honneur de le dire à différentes reprises à la Chambre, je ne verrais aucun inconvénient, je verrais même une évidente utilité à ce que la loi déclarât que les communes ne peuvent conserver que les immeubles qui seront employés à un service d'utilité communale, et que dans tous les autres cas, les immeubles seront transformés, dans un délai plus ou moins rapproché, en valeurs mobilières.

C'est là une disposition qui plusieurs fois déjà a été signalée à la Chambre ; et si l'objection qu'on fait porte principalement sur la réunion dans le domaine communal de propriétés immobilières trop étendues, cette disposition fera disparaître complètement l'objection qui s'est produite.

La même disposition s'appliquerait au paragraphe suivant de mon amendement qui concerne les acquisitions d'immeubles. Je me borne à remarquer à ce sujet que le projet de loi français de 1865 autorise les communes, en dehors de toute tutelle, à consacrer chaque année le dixième de leurs revenus à des acquisitions d'immeubles.

(page 802) La section centrale a cru devoir élever aussi des objections sur ce que j'avas eu l'honneur de proposer relativement à l'établissement, au changement ou à la suppression des impositions communales. La Chambre voudra bien ne pas perdre de vue que j'ai ajouté à mon amendement une clause nouvelle portant que toutes les fois qu'il s'agirait de bases d'impôts, l'autorité centrale serait consultée. Je voulais ainsi prévenir le rétablissement indirect des taxes d'octroi que certaines localités auraient pu vouloir faire renaître.

A ce sujet, je vois, dans le travail de la section centrale, qu'un membre a fait remarquer que rien ne justifiait ce droit donné aux communes de percevoir et de régler les impôts communaux, que cela n'avait jamais existé ; que c'était en opposition avec nos traditions ; que toujours, en Belgique, il avait appartenu au prince de statuer sur ce qui se rapportait aux impôts.

Il me serait impossible, messieurs, d'adhérer à cette opinion. Qu'à certaines époques, sous les dominations étrangères, ii en ait été ainsi, je l'admets complètement ; mais que cela soit conforme aux véritables traditions nationales, c'est ce que je ne puis concéder. Et sur ce point je convie l'honorable ministre de l'intérieur à appuyer les observations que j'aurai l'honneur de présenter, pour démontrer combien, au point de vue de nos traditions nationales, l'observation qui a été présentée à la section centrale est difficile à justifier.

M. le ministre de l'intérieur a été longtemps placé à la tête de l'administration d'une de nos plus anciennes communes de Flandre ; il en connaît parfaitement l'histoire. Il me permettre de lui rappeler ici qu'au moment où les habitants d'Ypres se préparaient à prendre une part glorieuse à la journée de Courtrai, ils reçurent un privilège qui leur permettait de percevoir librement l'impôt, et ce droit leur fut maintenu pendant une longue suite de siècles. A ce droit se rattache un souvenir qu'il est de l'honneur de la Belgique de rappeler.

En 1697, au moment où la puissance de Louis XIV était à son apogée, on résolut, à la demande de Fénelon, de rechercher, pour l'éducation du duc de Bourgogne les faits divers qui caractérisaient les mœurs, les usages et les lois, non seulement dans les Etats de la monarchie française, mais aussi dans les pays qui avaient été réunis à la France par le traite de Nimègue.

De précieux éléments furent réunis, et dans ce travail on rappelait qu'à Ypres l'impôt n'avait jamais été consenti qu'après le vote préalable de la commune.

Je crois donc que l'argument de la section centrale, lorsqu'elle invoque nos anciens usages et nos traditions, repose sur une base inexacte.

En ce qui touche les plans généraux d'alignement des villes, je me contenterai de faire remarquer que, le 20 février 1836, M. Dubus prit la parole pour demander qu'on laissât aux villes le soin de régler les plans généraux d'alignement, et l'honorable M. Dumortier émit le même avis. Ce ne fut qu'après une épreuve douteuse que je paragraphe qui figure aujourd'hui dans la loi communale a été voté par la Chambre.

J'espère, messieurs, que j'aurai réussi à justifier mon amendement et que la Chambre accordera également son adhésion aux considérations que j'ai invoquées afin de développer chez nos communes plus d'initiative et pour leur assurer en même temps les moyens d'y donner suite. J'aime d'autant plus à croire que la Chambre voudra bien faire un favorable accueil aux idées que j'ai eu l'honneur de lui présenter, que je trouve, dans tous les discours prononcés dans cette discussion, les mêmes témoignages de sympathie pour le développement des attributions communales.

J'espère trouver également un précieux appui chez l'honorable rapporteur de la section centrale qui, en 1836, déclarait que la commune était la base de la société politique et qui a eu l'insigne honneur d'être, à un tiers de siècle de distance, le rapporteur de la loi communale si sage pour l’époque où elle fut rédigée, et de cette même loi communale mise en rapport, comme je le souhaiterais, avec le développement de nos mœurs politiques.

J'espère également que le gouvernement ne combattra pas les idées que j'ai eu l'honneur de développer aujourd'hui, car M. le ministre de l'intérieur a protesté à diverses reprises de la faveur qu'il portait à la décentralisation, et le 8 février 1862 il déclarait dans cette enceinte que dés son entrée dans le cabinet il avait entretenu ses collègues de certaines idées de décentralisation sur lesquelles il s'expliquerait plus lard.

J'espère que l'honorable ministre de l'intérieur trouvera que le moment est venu de s'expliquer à ce sujet.

Il importe que le gouvernement et la Chambre comprennent également combien il est conforme aux véritables intérêts du pays de rendre toute sa sincérité et toute la fécondité de son application au grand principe inscrit dans notre pacte constitutionnel « que c'est à la commune seule qu'il appartient de régler tout ce qui est d'intérêt communal. »

(page 797) M. Jacobsµ. - Messieurs, je commencerai par une déclaration identique à celle qu'ont faite les honorables MM. de Smedt et Kervyn de Lettenhove.

Si j'avais voulu conformer la loi communale à mes idées en pareille matière, je ne me serais pas borné à l'amendement qui j'ai proposé à la Chambre ; j'ai dû tenir compte et de la composition de l'assemblée et des dispositions du gouvernement ; pour ne pas rendre l'adoption d'un amendement impossible, je l'ai restreint dans les limites les plus étroites, beaucoup trop étroites.

Le but du projet de loi est moins la décentralisation que la simplification. Le gouvernement simplifie les écritures, accélère la marche des affaires et diminue l'influence de la bureaucratie, cette grande plaie des gouvernements modernes.

L'intention de M. de Naeyer et la mienne sont identiques, sans que nous prétendions au titre de décentralisateurs. Voici le projet en résumé :

Enlever à l'approbation du Roi pour soumettre à celle de la députation permanente les délibérations communales réglant le changement du mode de jouissance des biens communaux, les aliénations, acquisitions et donations de moins de 5000 fr., auparavant c'était de moins de 1,000, et enfin les centimes additionnels jusqu'à concurrence de 15.

C'est là tout le projet.

La première rédaction de notre amendement était inspirée par une réforme de M. le ministre de l'intérieur lui-même. Nous l'avons vu, par l'arrêté royal du 29 janvier 1863 sur les établissements insalubres, modifier celui du 12 novembre 1849 en ce sens que, même pour les plus dangereux, l'autorisation du Roi n'était plus requise et se trouvait remplacée, par un droit d'appel.

Il nous semblait qu'on pouvait en faire autant pour les délibérations communales, et que, pour celles que comprend l'article 76 il n'y avait pas inconvénient, mais au contraire avantage à remplacer l'approbation du Roi par un simple droit d'appel que nous accordions au gouverneur, à la commune et aux particuliers spécialement intéressés, pour que l'intérêt central, l'intérêt communal et l'intérêt individuel eussent chacun leur représentant et leur défenseur.

Cet amendement ayant été renvoyé à l'examen de la section centrale, différentes critiques s'y sont produites, et je dois reconnaître que plusieurs d'entre elles n'étaient pas sans fondement.

Notre première rédaction semblait exclure l'appel des communes en matière d'aliénations de moins de 5,000 fr., ce qui était une anomalie puisque ce droit existe même pour les objets moins importants que comprend l'article 77.

C'était une inadvertance de rédaction que nous avons fait disparaître en remaniant notre amendement.

La deuxième critique portait sur le droit d'appel lui-même. Le donner au gouverneur, n'était-ce pas mettre l'action du gouvernement dans la dépendance de ses subordonnés ? N'était ce pas aussi sacrifier l'unité administrative et s'exposer à voir s'établir neuf jurisprudences, autant que de provinces ?

L'appel conféré aux particuliers spécialement intéressés présente deux inconvénients : D'abord tout le monde pourra se prétendre spécialement intéressé et il en résultera une foule d'appels qui nécessiteront au moins une décision interlocutoire déniant cette qualité. Au lieu de simplifier, n'est-ce pas compliquer ?

Puis aujourd'hui que l'approbation du Roi est nécessaire, tous les particuliers ont le droit de pétitionner et de saisir ainsi le gouvernement, tandis qu'en restreignit le droit d'appel aux particuliers spécialement intéressés, on enlèverait toute action à ceux qui n'auraient qu'un intérêt général.

Ces observations étaient fort justes et nous ont déterminés à accorder au Roi, au lieu d'une simple juridiction d'appel, un droit d'annulation d'office.

Le Roi l'exercerait averti soit par le gouverneur, soit par la commune, soit par des particuliers, ayant un intérêt soit spécial, soit général.

De cette manière s'établira une jurisprudence uniforme et il ne dépendra plus des gouverneurs de paralyser l'action du gouvernement.

Quant aux particuliers, il n'y aura plus à prendre de ces décisions interlocutoires qui embarrasseraient la marche des affaires ; tous, quel que soit leur intérêt, n'en eussent-ils même pas, pourront saisir le Roi par voie de pétition. En substituant cette seconde rédaction à la première, nous remédions à tous les défauts qu'elle présentait. Il est vrai que l'honorable M. Kervyn croit qu'elle en présente d'autres qui ne se trouvaient pas dans notre rédaction primitive. D'après lui, nous donnons à la fois trop et trop peu au gouvernement ; nous lui donnons trop peu en ne lui donnant que quarante jours pour annuler d'office ; nous lui donnons trop en lui accordant le droit d'annuler d'office d une manière illimitée et non simplement lorsque la loi a été violée ou que l'intérêt général est engagé.

Je ferai remarquer à l'honorable membre que le délai de quarante jours est celui qui est généralement donné au Roi pour annuler ; passé ce délai, partout où il possède aujourd'hui le droit d'annulation, il n'y a plus que le pouvoir législatif qui puisse annuler une délibération d'un conseil communal ; puisqu’il faut préciser, je crois donc que nous ferons bien de prendre ce laps de temps fixé par la loi communale elle-même.

Accordons-nous trop au Roi en admettant le droit d'annulation d'office illimité, au lieu du droit limité comme le veut en d'autres matières (page 798) l’article 81 de la loi communale ? Remarquez que nous substituons le droit d'annuler d'office à une approbation nécessaire d'après le projet du gouvernement ; nous donnons donc moins que le projet du gouvernement.

Il exige l'intervention du Roi pour approuver, nous la remplaçons par une simple faculté d'annuler.

Nous accordons donc moins et si nous accordons encore trop, il faut reconnaître qu'il y a au moins progrès. D'ailleurs, messieurs, nous ne voulons pas qu'on se fasse illusion sur l'importance de notre amendement ; il est plutôt un amendement de procédure qu'un amendement de fond. Nous ne transposons pas, comme M. Kervyn, quelques-unes des matières contenues dans l'article 76 à l'article 77, nous nous bornons à un simple changement de procédure.

D'après le projet du gouvernement, le Roi doit approuver toutes les délibérations indiquées dans l'article 76 de la loi communale ; d'après notre premier amendement, nous substituions le droit d'appel et la faculté de statuer sur cet appel à l'approbation nécessaire.

Nous y substituons aujourd'hui une faculté d'annuler, en d'autres termes tandis que le projet du gouvernement force le Roi à agir, toujours nos deux rédactions lui laissent la liberté de le faire ; la faculté remplace l'obligation et la règle devient exception.

C'est, je le répète, bien plus un amendement de simplification que de décentralisation que nous avons présenté. Le droit de suspension attribué au gouverneur est le corollaire nécessaire du droit d'annulation accordé à la couronne ; les délibérations annulées par le roi ne peuvent avoir même un effet provisoire. Toute la question se résout donc à savoir si dans les délibérations communales prévues par l'article 76, il vaut mieux que le Roi agisse toujours et nécessairement ou s'il est préférable qu'il agisse exceptionnellement, facultativement par voie d'annulation d’office.

M. Kervyn a donné connaissance, à la Chambre des législations étrangères et de quelques antécédents de la question. Il m'a permis d'être fort bref sous ce rapport. Je donnerai cependant lecture à la Chambre de quelques extraits de la discussion de la loi communale.

Le 19 novembre 1834, l'honorable M. Doignon proposait un système qui n'a pas été adopté. D'après lui, le pouvoir législatif aurait dû se réserver le droit d'annuler les actes communaux d'une importance majeure lorsque l'intérêt général est contraire à l'intérêt de la commune qui a posé l'acte ; pour tous les autres cas le droit d'annulation aurait été laissé à l'autorité provinciale.

Voici ce que disait cet honorable membre.

« On devrait restreindre autant que possible l'intervention du pouvoir central pour arriver à cette décentralisation tant désirée et reconnue nécessaire autant dans l'intérêt du gouvernement que dans celui des communes.

« Il est constant qu'en général les approbations de cette espèce par le gouvernement sont données pour la forme. Le Roi ou plutôt le ministre ne fait que donner sa sanction aux avis des autorités provinciales et locales qui ont seules instruit l'affaire, comme étant seules en état d'en juger. Le ministre se borne, pour ainsi dire, à faire examiner si les pièces sont en règle, sans pouvoir au fond apprécier les questions d'utilité ou de nécessité pour lesquelles il se réfère aux autorités inférieures. Lorsque la Constitution a prescrit l'approbation des actes du conseil dans quelques cas, il est certain qu'elle a entendu parler d'une approbation éclairée et prise avec la plus grande connaissance possible des intérêts de localité. Or, l'on ne peut douter qu'en général, après le conseil communal, c'est l'autorité provinciale qui, par sa position et ses rapports immédiats avec la commune et les fonctionnaires surveillants, est la plus apte à se prononcer sur ces sortes d'affaires. Soumettre de nouveau le dossier à une autorité supérieure, ce n'est plus guère qu'une démarche de pure formalité qui a pour but d'encombrer le cabinet du ministre sans un avantage réel pour la commune. Je n'ai pas vu un seul exemple où l'approbation aurait été refusée contre l'opinion des autorités provinciales et locales. »

Le 19 février 1836, lorsque la discussion de l'article 76 s'ouvrit, l'honorable M. Gendebien proposa de substituer à l'approbation par le Roi l'approbation par le gouverneur. Sur une observation de l'honorable comte de Theux qui se refusait à admettre une pareille modification, dans l'intérêt de l'unité des décisions administratives, le mot « gouvernement » fut substitué au mot « gouverneur » ; il fut entendu qu'en règle générale le gouvernement déléguerait au gouverneur la décision au sujet des délibérations communales dont parle l'article, mais qu’il se réserverait la décision en ce qui concerne les principales.

C'est sur ces observations que M. le ministre de l'intérieur d'alors, M. de Theux, se rallia à cette rédaction, qui passa au premier vote.

M. Dubus notamment prêta à M. Gendebien l'appui de sa parole, mais au second vote, le 8 mars, MM. Pirmez et Dumortier combattirent l'amendement de M. Gendebien. Voici ce que disait M. Dumortier, vous verrez sur quel point roulait le débat.

« J'ai toujours été opposé en principe à la centralisation, et si je pouvais soumettre à l'examen de la députation des états un grand nombre des objets mentionnés dans l'article, je le ferais sans hésiter ; mais ce que je ne puis admettre, c'est de ne confier à la décision de la députation permanente tout entière que des objets de peu d'importance, tandis que vous exigez l'approbation du gouverneur pour des objets peu importants ; cela est déraisonnable. »

C'est sur cette observation de M. Dumortier qu'on substitua au mot « gouvernement », qui avait été substitué lui-même au mot « gouverneur », le mot : « Roi », qui passa enfin dans la loi communale. C'était donc pour ne donner, en aucun cas, au gouverneur, un pouvoir supérieur à celui des députations, que l'article fut rédigé tel qu'il est aujourd'hui.

L'amendement que nous avons présenté M. de Naeyer et moi réalise le but utile que se proposaient MM. Gendebien et Dubus, sans encourir les critiques qu'émettait M. Dumortier ; s'il avait été présenté à cette époque, je dois augurer de la discussion qu'il aurait eu quelque chance de réussite.

Pour ce qui est des établissements de bienfaisance, le gouvernement, au lieu du décentraliser, centralise au contraire plus que la loi communale.

C'est ainsi que, tandis que les actes compris sous les n°3 et 4 se trouvent seuls assimilés aux actes de même nature posés par les administrations communales, le gouvernement y joint les actes compris sous le n°1, c'est-à-dire les aliénations, les transactions, etc.

Jusqu'aujourd'hui, ces actes étaient régis par l'arrêté pris le 1er juillet 1816 par le Roi Guillaume et d'après lequel la députation permanente du conseil provincial était omnipotente pour statuer en matière d'aliénation par vente publique aussi bien d'immeubles que de meubles.

Je demande au gouvernement comment dans un projet de décentralisation il introduit une mesure qui a pour but de centraliser plus que ne le fait la législation actuelle ?

Je l'interpellerai à ce propos sur un fait d'où je dois conclure que s'il est décentralisateur dans ses projets de lois, il ne l'est guère dans ses actes administratifs.

Le bureau de bienfaisance d'Anvers possède depuis un grand nombre d'années un terrain sur lequel il a résolu de construire des maisons d'ouvriers.

La députation permanente a approuvé cette résolution, mais le gouvernement par un arrêté royal du 15 janvier 1865, inséré au Moniteur du 18, a annulé la délibération de la députation permanente. Il l'a annulée notamment par ce motif.

Ces constructions constituent des acquisitions par voie d'accessions et rentrent donc dans les acquisitions que l'article 76 de la loi communale soumet à l'approbation du Roi, tandis que les constructions ne sont soumises qu'à l'approbation de la députation permanente.

De cette façon, messieurs, il n'y a plus de constructions, et l'article 77, paragraphe 7 de la loi communale qui les prévoit, se trouve complètement annihilé.

Un dernier mot d'une anomalie à laquelle M. le ministre de l'intérieur ferait bien de porter remède.

Aux termes du décret du 25 juin 1806, les résolutions des administrations charitables, lorsqu'il s'agit de rentes viagères de plus de 500 fr., doivent passer par la filière de quatre autorités ; le bureau de bienfaisance, le conseil communal, la députation permanente et le Roi ;

Lorsqu'une personne dans l'indigence possédant un capital dépassant 500 fr. consent à le remettre au bureau de bienfaisance à charge d'être entretenue pendant le reste de ses jours, il faut cette quadruple approbation !

Je cite ce fait parce qu'il se présente assez fréquemment. On recule devant ce luxe de formalités et il en résulte que le petit pécule de ces malheureux est gaspillé en peu d'années et qu'ils finissent par retomber à la charge du bureau de bienfaisance, sans compensation.

Je me bornerai à ces quelques considérations à l'appui de la nouvelle rédaction de notre amendement.

Je le répète, si nous n'avions considéré que les réformes que nous voudrions voir introduites dans la loi communale et même en les restreignant aux deux articles qui nous occupent, nous aurions été beaucoup plus loin, mais nous avons dû compter avec la force des choses, et le malheur des temps, c'est pour cela que nous nous sommes restreints dans des limites si étroites.

(page 799) M. Kervyn de Lettenhove. - L'honorable M. Jacobs n'a pas compris tout à l'heure la portée de mes observations.

Ce n'est pas le délai de 40 jours que j'ai critiqué, mais, dans ma pensée, toutes les fois qu'il s'agit de ventes ou d'emprunts, l'intervention de l'autorité centrale doit être considérée comme indispensable.

Il faut dans tous les cas, selon moi, que cette autorité reçoive les pièces, qu'elle soit appelée à donner son avis et que son approbation soit requise ; mais d'un autre côté, lorsqu'il s'agit de questions moins graves, d'intérêts moins sérieux, quand il ne s'agit pas d'engagements à titre onéreux, mais de l'exercice de droits attribués aux autorités communales, ou du développement de la prospérité communale, je demande au contraire que l'annulation d'office ne puisse pas être prononcée. Si cette annulation pouvait avoir lieu sans aucune justification, par un simple acte de l'autorité centrale et en dehors des règles établies par la Constitution, il arriverait nécessairement, quelque extension que l'on voulût donner aux droits de l'autorité communale, que cette extension serait complètement illusoire.

Sur ce point je voudrais me rapprocher davantage de la loi hollandaise, qui ne permet l'annulation par l'autorité centrale que lorsque les intérêts généraux sont lésés.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.