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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 mars 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 594) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Hess, ancien premier régent et professeur à l'école moyenne et au collège de Thuin, demande que le projet de loi qui apporte des modifications à la législation sur les pensions civiles soit rendu applicable aux anciens professeurs pensionnés depuis 1850. »

« Même demande du sieur Bastien Carlier. »

M. de Baillet-Latour. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi auquel cette pétition se rapporte

M. Bouvierµ. - J'appuie la proposition de l'honorable M. de Baillet.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Coutelier, blessé de la révolution et décoré de la croix de Fer, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruges demandent que le Moniteur et les Annales parlementaires soient publiés en flamand comme en français. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Puers demandent que les Annales parlementaires soient publiées en flamand comme en français. »

- Même renvoi.


« Des fabricants de sucre de betterave proposent des modifications au projet de loi destiné à régler le régime du droit d'accise sur le sucre. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« La députation permanente du conseil provincial d'Anvers demande que la taxe de 20 centimes par lettre simple parcourant une distance de 30 kilomètres soit réduite à 10 centimes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Venlentin, échevin, et Guillaume, conseiller communal de Berzée, demandent qu'il soit pris des mesures pour faire cesser l'anarchie administrative qui règne dans cette commune. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Sneyers et Stielen, professeurs au collège patronné de Saint-Trond, demandent que le projet de loi qui apporte des modifications à la législation sur les pensions civiles soit rendu applicable aux professeurs des collèges communaux et patronnés. »

M. Thonissenµ. - Je propose le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

M. le président. - Le bureau a proposé le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

M. Thonissenµ. - Je me rallie à cette proposition.

- La proposition du bureau est adoptée.


« Des négociants brasseurs à Pâturages, La Bouverie, Frameries et Engies, prient la Chambre d'accorder aux sieurs Hoyois et Condroz, la concession d'un chemin de fer de Frameries à Condé. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur une pétition relative au même objet.


« Des habitants de Bruges présentent des observations contre la loi sur la milice. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les sieurs de Ryck, Van Assche et autres membres d'une association libérale non dénommée, proposent des mesures pour assurer la sincérité des élections, et demandent l'adjonction des capacités pour les élections provinciales et communales. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif aux fraudes électorales.


« Les sieurs Van Cutsem, Négrié et autres membres du comité libéral de la ville d'Enghien proposent des mesures pour assurer la sincérité des élections. »

- Même renvoi.


« Le sieur Stackerman prie la Chambre de s'occuper le plus tôt possible du projet de loi sur la milice. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les membres du conseil communal, des industriels et des commerçants de Jemmapes prient la Chambre d'accorder au sieur Diercx la concession d'un chemin de fer de Jemmapes et de St-Ghislain sur Ath. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Jumet prie la Chambre d'accorder aux sieurs Haus la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et Châtelineau. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Il est fait hommage à la Chambre :

« 1° Par M. le gouverneur de la Banque Nationale, de 120 exemplaires du compte rendu des opérations de cette banque pendant l'année 1864 ;

« 2° Par M. Mareschal, d'un exemplaire de ses Lettres sur l'intérêt légal ;

« 3° Par M. Ed. Dartevelle, de 120 exemplaires du compte rendu de la séance tenue à l’Union commerciale le 21 février, à propos du nouveau système de tarification des marchandises transportées par chemin de fer. »

- Distribution aux membres de l'assemblée et dépôt à la bibliothèque.


« MM. Royer de Behr et Van Wambeke demandent un congé pour cause d'indisposition. »

- Accordé.


« M. d'Hane Steenhuyse, retenu par des affaires urgentes, demande un congé. »

- Accordé.


M. le président. - M. le ministre de la guerre a adressé à la Chambre :

1° Les deux circulaires qui ont été adressées par le département de la guerre aux chefs de corps, relativement aux enrôlements pour le Mexique.

2° Les trois arrêtés royaux qui ont accordé aux militaires, qui en ont témoigné le désir, l'autorisation de servir au Mexique, sans perdre la qualité de Belge.

M. Coomans. - Messieurs, j'ai eu ces pièces entre les mains il y a quelques minutes. Elles ne sont pas longues. Je crois que la Chambre ne verra aucun inconvénient à en ordonner l'impression.

M. le ministre de la guerre qui nous les transmet croit pouvoir affirmer qu'un grand nombre de militaires à qui l'autorisation de prendre du service au Mexique a été accordée, n'ont pas profité de cette autorisation.

Il importe donc que mainte famille belge sache la vérité, et la publication des listes au Moniteur pourrait atteindre le but que j'ai en vue.

- La Chambre décide que les pièces seront imprimées au Moniteur.

Projet de loi portant les budgets pour l’exercice 1866 et projet de loi portant le contingent de l’armée pour l’année 1866

Dépôt

MfFOµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre, les budgets pour l'exercice 1866, ainsi que le projet de loi fixant le contingent de l'armée pour l'année 1866.

Projet de loi autorisant le gouvernement à changer par voie administrative les tarifs des voyageurs sur les chemins de fer

Dépôt

MtpVµ. - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi tendant à autoriser le gouvernement à modifier les tarifs des voyageurs sur les chemins de fer, par simple voie administrative, comme il est autorisé à le faire aujourd'hui pour les marchandises.

- Il est donné acte à MM. les ministres du dépôt de ces projets de lois qui seront imprimés, distribués et renvoyés à l'examen des sections.

Projet de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du département de la justice

Dépôt

M. Warocquéµ. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la section initiale qui a examiné la demande de crédits supplémentaires au département de la justice, pour 1864 et 1865.

- Impression et distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.

Motion d’ordre

M. Jacobsµ (pour une motion d’ordre). - Nous venons de recevoir le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif au régime des sucres. Comme ce projet sera discuté dans un prochain délai, je demanderai à M. le ministre des finances s'il verrait un obstacle à déposer sur le bureau le projet soumis aux Chambres hollandaises, ainsi que l'exposé des motifs du projet ; ces documents pourraient nous servir dans la discussion.

MfFOµ. - Je ne suis pas certain de posséder ces documents ; si je les possède, je les déposerai sur le bureau.

M. Dumortier. - Si M. le ministre des finances ne possédait pas ces documents, je l'engagerais à les faire venir de Hollande ; ils ont été imprimés par ordre des états généraux.

MfFOµ. - Je ne saurais affirmer que j'ai tous les documents que demande M. Jacobs ; si je ne les ai pas, je les demanderai et je les déposerai sur le bureau.

M. Coomans. - Il y a beaucoup de Belges qui ont ces documents.


- Il est procédé au tirage au sort des sections.

Projet de loi relatif au prêt à intérêt

Discussion générale

M. Jamar. - Les deux derniers orateurs qui ont pris la parole dans cette discussion se sont seuls occupés du principe nouveau que le projet de loi consacre.

Le premier, l'honorable M. Dumortier, combat de toutes ses forces cette loi qu'il trouve détestable et que l'opinion publique flétrira, suivant lui, du nom de loi de l'usure. Le second, l'honorable M. Notelteirs, sans repousser le droit, que l'article premier de la loi reconnaît à tous les citoyens, de déterminer librement les conditions et le taux du loyer du capital, redoute les conséquences de cette liberté et s'efforce de les atténuer par des restrictions qu'il formule dans un amendement.

Je ne m'étonne pas de l'attitude que prend M. Dumortier dans ce débat. C'est lui en effet, qui, dans cette enceinte a poussé le dernier cri de détresse des partisans du système, prétendument protecteur du travail national et je ne m'étonne pas de lui voir défendre une législation qui a pour les emprunteurs des résultats aussi bienfaisants que celle que la protection douanière avait pour les consommateurs. Ceux-ci étaient livrés à toutes les exigences de quelques privilégiés, dont la loi protégeait les pratiques routinières au grand détriment de l'esprit de progrès, surexcité ailleurs par la concurrence.

La loi de 1807 a des effets analogues pour l'emprunteur, qu'elle livre, dans quelques cas, à certaines catégories de prêteurs, qui, ne craignant pas d'éluder les prescriptions de la loi, font nécessairement payer les risques qu'ils ont à courir et la honte qu'ils ont à braver.

La loi de 1807 restreint le marché des capitaux comme les droits protecteurs restreignaient le marché des autres marchandises.

En débarrassant les transactions commerciales et civiles des entraves de la loi de 1807, ce sont les intérêts des emprunteurs que nous servons, car nous appelons à réaliser certains emprunts des capitaux dont la loi de 1807 écarte l'utile concurrence.

Mais cette question a d'autres aspects que M. Dumortier n'a pas entrevus, car ils devraient valoir au projet de loi son plus chaleureux appui.

Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, en effet, pas un seul mois ne s'est écoulé sans que l'honorable membre soit venu pousser dans cette assemblée un long cri de désolation que lui arrachait quelque violation de la loi ou de la Constitution.

C'est presque une spécialité qu'il s'est créée dans cette assemblée.

Heureusement pour le pays, nous avons toujours pu constater que ces alarmes si chaudes n'avaient aucune raison d'être ; mais en vérité, je suis désolé de voir aujourd'hui l'honorable M. Dumortier venir nous engager à maintenir un régime où la violation de la loi est le fait normal.

Tout est pour le mieux sous le régime actuel, dit l'honorable M. Dumortier, personne ne réclame contre la loi et rien ne doit nous engager à l'abroger.

Mais que l'honorable M. Dumortier me permette de le lui dire : cette législation, dont il nous vante les bienfaits, est tombée depuis longtemps en désuétude.

Il n'est point douteux que si les tribunaux l'avaient appliquée dans toute sa rigueur, elle eût été abrogée depuis longtemps, en présence des réclamations énergiques de tant d'intérêts légitimes qu'elle eût blessés.

Que voyons-nous, messieurs, à tous les degrés de l'échelle sociale ? La loi violée et méconnue.

Violée, comme le disait parfaitement l'honorable M. Vermeire dans le discours qu'il a prononcé, par l'Etat, par les provinces, par les communes qui ont emprunté ouvertement à des taux supérieurs à l'intérêt légal.

Violée par de grandes administrations financières qui émettent des actions et des obligations à des conditions qui éludent les prescriptions de la loi.

Violée par les banquiers qui, grâce à la jurisprudence sur le change, l'escompte, le droit de commission, peuvent prélever un intérêt de 7, 8, 9 et jusqu'à 10 p. c. suivant la situation du marché monétaire.

Violée enfin par ces prêteurs à la petite semaine, qui se ruinent plus souvent qu'ils ne s'enrichissent, en prêtant même à 500 p. c. par an, et que la justice ne poursuit pas, parce qu'elle sait que très souvent ces prêts ont arraché des malheureux à une détresse affreuse, en leur fournissant le moyen de subsister.

La conséquence, messieurs, de cet état de choses, est l'abaissement du respect dû à la loi, et quand cette situation se produit, elle appelle l'attention la plus vigilante du législateur.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Notelteirs, le principe qu'il tend à faire prévaloir a été l'objet d'un examen attentif en section centrale ; diverses considérations l'ont fait repousser.

La section centrale, a pensé que la faculté accordée à un emprunteur de rembourser au bout de cinq ans un capital emprunté pour un terme de dix ou quinze années, - que cette faculté détruisait toute l'économie du système qu'il s'agit aujourd'hui de substituer à la législation de 1807.

Se plaçant uniquement au point de vue de l'emprunteur, elle n'a point tardé à reconnaître que cette disposition nouvelle aurait pour l'emprunteur les résultats fâcheux de toutes les restrictions dont l'expérience du passé révèle le danger ou l'inanité.

L'époque du remboursement, en effet, est un des éléments importants qui déterminent le taux de l'intérêt. Si, par la loi, vous autorisez un emprunteur, au mépris de ses engagements, à rembourser après cinq ans un capital emprunté pour un terme plus long, le préteur ne manquera pas d'augmenter le taux de l'intérêt d'une prime d'assurance pour se mettre à l'abri des mauvaises chances que ce remboursement possible peut lui occasionner, et cette prime d'assurance frappera à l'avenir tous les emprunts pour un terme qui excédera le délai déterminé par la loi.

Vous aurez donc aggravé la situation de l'emprunteur que vous voulez protéger.

Il semble en vérité qu'au moment où nous reconnaissons à tous les citoyens ce droit si simple et si naturel de discuter et de déterminer librement les conditions d'un emprunt, nous redoutions de ne point lui voir trouver dans sa prévoyance personnelle un appui plus sûr que dans les lisières dont un développement exagéré de la prévoyance sociale l'a affublé en 1807.

Je ne saurais partager cette défiance de la liberté. Quand donc a-t-elle trompé notre attente pour que nous hésitions à nous confier à elle.

Du reste, et c'est là une considération sur laquelle j'appelle l'attention de la Chambre, le projet de loi actuel ne modifie en aucune manière les principes généraux du code civil.

Si donc vous trouvez sage d'appliquer soit au prêt, soit à toute autre obligation de même nature, les principes que consacrent les articles 530 et 1911 du Code civil en matière de rente, ce n'est pas la loi actuelle que vous devez changer, ce sont les principes généraux du code civil que vous devez modifier.

Je ne saurais donc, quant à moi, me rallier à l'amendement de l'honorable M. Notelteirs.

J'ai combattu en section centrale l'amendement que cette section propose à l'article 3 du projet de loi ; et n'ayant pu faire prévaloir mon opinion au sein de la section centrale, j'avais même décliné l'honneur de continuer les fonctions de rapporteur qui m'avaient été confiées au commencement de la discussion générale.

En présence de la bienveillante insistance de mes honorables collègues, j'ai continué à remplir cette tâche, mais en me réservant de combattre, au sein de cette assemblée, l'amendement que j'avais combattu en section centrale et que mon honorable ami, M. Sabatier a défendu du reste, avec son talent ordinaire.

Parmi les considérations qu'on a présentées à l'appui de cet amendement, celles qui me touchent le plus et que je désire repousser tout d'abord, ce sont les reproches qu'on adresse à la disposition contenue dans l'article 3 du projet de loi, d'être non seulement en contradiction avec le principe que la loi nouvelle consacre, mais encore d'être peu équitables et de compromettre, dans une certaine mesure, les intérêts du commerce.

(page 595) S'il en était ainsi, je n'hésiterais pas à me joindre à ceux de mes honorables amis qui défendent cet amendement.

Mais je déclare qu'il m'est impossible de trouver dans le projet du gouvernement rien qui justifie cette accusation.

Que fait l'Etat ? Il maintient purement et simplement une transaction librement intervenue entre lui et la Banque.

Celle-ci a renoncé à donner à ses capitaux certains emplois dont une fâcheuse expérience avait démontré le danger pour une banque d'émission au point de vue du crédit public. En échange, l'Etat a accordé à la Banque des avantages qui lui créent une situation tout exceptionnelle. C'est sous l'empire de la loi de 1807 que les deux parties ont traité, et je cherche en vain quel principe juste ou utile doit nous déterminer à ajouter aux avantages, que la loi de 1850 accorde à la Banque Nationale des avantages nouveaux, sans tenir compte de sa situation privilégiée et sans compensation pour le commerce.

Je ne puis non plus m'associer, messieurs, à la crainte exprimée par mon honorable ami, M. Sabatier, de voir les administrateurs de la Banque Nationale maintenir un taux d'escompte moyen plus élevé, si le système du gouvernement était admis que si la Chambre adoptait l'amendement de la section centrale.

Il faudrait admettre, pour partager ses craintes, qu'il pût dépendre de la volonté des administrateurs de la Banque Nationale de maintenir sur le marché monétaire le loyer des capitaux à un taux presque invariable, tandis qu'au contraire la valeur de l'argent, qui seule détermine le taux normal de l'intérêt, est soumise à toutes les fluctuations auxquelles est assujettie la valeur des autres marchandises.

Il ne saurait donc y avoir rien d'arbitraire dons le taux de l'escompte, qui doit être constamment en rapport avec la valeur de l'argent sur le marché monétaire.

A cet égard, messieurs, je crois qu'il ne saurait y avoir de doute dans l'esprit de personne, et sur ce point la science est unanime.

Quel que soit le système qu'on préconise en matière de banque d'émission, soit qu'on pense avec Coquelin, Michel Chevalier, Courcelle Seneuil, qu'en cette matière, le régime de la liberté est celui qui produit les meilleurs résultats, ou qu'on soit d'avis, avec Hossi, Say, Wolowski et tant d'autres, que l'unité dans la circulation fiduciaire est l'idéal vers lequel il faut tendre, on doit reconnaître avec ces hommes éminents que la valeur de l'argent et le taux de l'intérêt sont soumis à des lois naturelles auxquelles nulle volonté ne saurait se substituer.

Mais en admettant, messieurs, ce qu'aucun fait antérieur, du reste, ne permet de supposer et ce que je repousse, pour ma part, qu'il pût venir à la pensée des administrateurs de la Banque Nationale de ne tenir aucun compte des lois naturelles qui doivent présider à la fixation du taux de l'escompte ; si l'on admettait en un mot que la Banque Nationale pût oublier tous les devoirs que son titre lui impose, je n'ai pas besoin de vous rappeler que cet établissement n'est pas en possession d'un privilège dont la jouissance exclusive lui soit définitivement assurée.

C'est à vous en effet, messieurs, que la loi a confié le soin d'apprécier en tout temps l'utilité et l'opportunité de créer une seconde et même plusieurs autres Banques d'émission. En consacrant ce droit par l'article 25 de la loi, l'honorable ministre des finances indiquait très nettement qu'en créant la Banque Nationale sa seule préoccupation était l'intérêt du commerce et qu'il entendait laisser au Parlement toute sa liberté d'action, si le nouvel établissement ne répondait pas aux espérances de ses fondateurs et n'avait pas un degré d'utilité en rapport avec la situation privilégiée que lui était faite.

Cet article 25 ne doit pas être une lettre morte, disait mon honorable ami M. Sabatier. Non certes ; je suis complètement d'accord avec lui ; cet article ne doit pas être une lettre morte, et je le considère au contraire comme une garantie sérieuse des intérêts du commerce.

Mais le moment est-il venu de faire usage de cette arme confiée à vos mains, et y a-t-il, comme le suppose l'honorable M. Sabatier, une grande majorité dans cette Chambre qui y soit disposée ?

A ne considérer que les faits, si l'on compare les résultats produits par le régime en vigueur en Belgique de 1830 à 1850, avec les résultats obtenus depuis la création de la Banque Nationale, soit sous le rapport de l'accroissement du montant des effets escomptés, du chiffre de la circulation, soit au point de vue du taux moyen de l'escompte, je dis au contraire qu'il y aurait dans cette enceinte une très grande hésitation à compromettre cette situation et à courir de nouveau tous les hasards du régime, qui aboutissait en 1848 au cours forcé et compromettait d'une manière si grave tous les intérêts importants engagés dans nos établissements financiers, pendant qu'à côté de nous, dans un pays voisin, la Banque néerlandaise traversait cette crise sans aucun trouble et sans cesser de prêter au commerce hollandais un appui très efficace.

Pourtant, je le déclare, messieurs, l'idée de liberté exerce sur moi une attraction presque invincible, et l'observation des grands faits économiques qui se sont produits sous nos yeux n'a fait que fortifier chez moi cet entraînement vers ce grand principe qui tend du reste à prévaloir partout dans l'ordre économique.

Aussi, tout en partageant la plupart des idées que l'honorable ministre des finances nous développait avec tant de talent sur la constitution des banques d'émission, sur la nature et l’importance de leur rôle, il m'est impossible d'adhérer à cette proscription si absolue qu'il formulait contre la liberté dans ce domaine.

Je ne saurais admettre que, dans cette matière, le dernier mot de la liberté soit, comme il l'a dit, impuissance ou désastre. Il pourra sans doute trouver dans l'histoire des Banques d'Amérique plus d'un exemple en faveur de sa thèse, mais les partisans de la liberté étayeront leurs aspirations vers ce régime de l'exemple des banques d'Ecosse.

Nul ne saurait méconnaître, en effet, la féconde influence que les banques libres d'Ecosse ont eue non seulement sur le prodigieux développement du commerce, de l'industrie et de l'agriculture, mais sur l'épanouissement d'une situation exceptionnelle, qui place l'Ecosse à la tête des nations civilisées.

Ces résultats, je m'empresse de le reconnaître, ont été obtenus grâce à un concours de circonstances spéciales, mais le milieu dans lequel se meuvent et prospèrent les banques écossaises, nul pays ne peut mieux le créer peut-être que la Belgique.

Je n'ai pas l'intention, au reste, de prolonger le débat sur cette question ; c'est là une discussion plus académique que parlementaire, puisque nous ne sommes en face d'aucune proposition qui puisse nous faire aboutir à un but précis, mais en entendant M. le ministre des finances proclamer, sur la liberté des banques d'émission, des théories plus radicales, plus absolues encore en 1865 qu'en 1850, j'ai éprouvé le désir de faire aujourd'hui les mêmes réserves que faisaient, à cette époque, MM. de Brouckere, Orts, Cans et tant d'autres dont le nom m'échappe.

L'honorable M. Sabatier a fait remarquer l'absence de réclamations de la Banque Nationale contre le projet du gouvernement, et il en tire des conséquences favorables au système de la section centrale.

Il m'est impossible d'admettre l'interprétation que l'honorable M. Sabatier a donnée au silence de la Banque.

Il est plus probable, messieurs, que si la Banque n'a pas réclamé, c'est qu'elle a compris la pensée qui a inspiré le projet du gouvernement et le profit qu'elle pourrait en tirer, non pas un profit matériel, mais le grand profit moral de faire cesser des accusations fâcheuses contre des mesures prises dans l'intérêt public et dont on éloigne, à l'avenir, la défiance et le soupçon.

Voilà, messieurs, plus probablement les motifs du silence de la Banque, ce sont ceux qui me font repousser l'amendement de la section centrale.

M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je me propose de justifier d'une façon aussi brève que possible le vote négatif que j'ai émis en section centrale sur l'article 3 de la loi proposée et d'appuyer l'amendement présenté par mon honorable collègue M. Sabatier et développé par lui avec une précision et une clarté qui ne laissent rien à désirer.

Mais avant d'aborder cette question spéciale, je crois devoir dire quelques mots sur le principe et les conséquences de la loi qui nous est soumise.

Et d'abord une remarque préliminaire.

La discussion actuelle ne témoigne-t-elle pas du progrès immense, inespéré, pourrais-je dire, de l'opinion vers les idées et les principes de l'économie politique réalisés depuis quelques années ?

C'est à peine, en effet, si une voix solitaire s'est fait entendre dans cette enceinte, non plus pour défendre toute la chaîne des actes interventionnistes et prohibitifs dont les lois sur l'usure étaient un des anneaux les plus résistants, mais pour jeter dans vos esprits quelques doutes sur la moralité et l'opportunité de la loi.

Il y a dix ans, on eût trouvé dans cette enceinte et dans le pays des voix éloquentes et convaincues pour prouver la nécessité de maintenir intactes les restrictions de 1807 à l'échange temporaire des capitaux moyennant intérêt ou escompte.

On eût soutenu que l'intervention de la loi et des tribunaux est nécessaire pour sauvegarder la fortune publique et particulière contre les entreprises des prêteurs à usure, livrés sans frein à leurs instincts rapaces.

Aujourd'hui, l'on se paye moins de mots et en examinant les choses dans leur réalité, on a découvert que les lois prétendument préventives et protectrices ne prévenaient, ne protégeaient rien, et qu'elles (page 596) servaient seulement de prétexte, pour grossir les exigences et les mémoires des prêteurs.

Le public comprend aussi beaucoup mieux aujourd'hui la véritable nature des transactions connues sous le nom de prêts ou d'emprunts.

Il comprend que dans la masse de cas l'emprunt est utile à l'emprunteur autant et souvent plus même qu'au prêteur ; qu'il n'y a, par conséquent, rien d'exorbitant à ce que celui-ci demande une juste rémunération du service qu'il rend.

On comprend donc généralement que la multiplication des prêts et des emprunts, résultat de l'accroissement de la richesse publique et particulière, exige que l'on débarrasse ce genre de transaction des entraves légales qui n'ont d'autre résultat que de les rendre plus onéreux aux parties, sans profit pour la chose publique.

C'est ce qui explique le peu de résistance qu'a rencontrée le projet de loi dans le pays et dans cette chambre.

Depuis longtemps d'ailleurs la jurisprudence avait sanctionné divers moyens d'éluder les rigueurs d'une loi qui n'était plus en harmonie avec les besoins de notre époque.

Ce n'est donc pas une révolution qu'il s'agit d'opérer dans notre législation sur le prêt à intérêt, mais la consécration d'un ordre de choses existant, mais soumis encore à des restrictions onéreuses surtout pour les emprunteurs, car de tout temps le prêt a été libre pour le prêteur qui a toujours imposé ses conditions à celui qui ne lui offrait pas les garanties que supposait le prêt légal.

Ce n'est pas cependant que la loi en discussion doive ouvrir à deux battants les portes de l'emprunt aux dissipateurs et aux besogneux ; pour eux les exigences resteront toujours les mêmes, à leur grand profit comme à celui de la société ; mais elle débarrassera les emprunteurs honnêtes, ceux qui ne cherchent dans les capitaux d'autrui que le moyen de faire valoir leur industrie, d'entraves aussi onéreuses pour eux qu'inutiles aux capitalistes.

Ici nous verrons encore se vérifier dans l'application ce fait expérimenté dans d'autres occasions, que les prétendues protections du système préventif et prohibitionniste agissent précisément à l’encontre du but que se proposait le législateur.

C'est ainsi que la suppression des lois céréales, qui étaient censées protéger l'agriculture, en comprimaient l'essor ; que la liberté commerciale et le libre échange ont quadruplé les exportations au lieu d'étouffer, comme on le prétendait, l'industrie sous la concurrence étrangère ; que l'abolition des octrois a surtout favorisé les campagnes et que la suppression des passe-ports n'a amené aucun des dangers prédits par la police.

Il en sera de même avec la loi qui nous occupe. C'est surtout à ceux qui empruntent dans un but utile qu'elle profitera ; et, loin d'avoir à redouter la liberté du prêt à intérêt, elle leur ouvrira les portes de la concurrence presque fermées aujourd'hui.

J'insiste, messieurs, sur ces observations, afin de démontrer aux personnes, nombreuses encore, qui n'ont pas porté leur attention sur ces questions, que la liberté du prêt à intérêt ne changera pas notablement les positions actuelles des prêteurs et des emprunteurs, position qui sera seulement rendue légale dans les cas où l'intérêt dépassera 5 ou 6 p. c.

Le préteur ne pourra plus arguer des risques qu'il court pour exiger des conditions extraordinaires, et notamment pour réduire le capital effectif qu'il délivrera.

Une des conséquences favorables de l'adoption de la loi qui nous est soumise devra être l'égalité complète vis-à-vis de la loi entre le prêteur et l'emprunteur.

Aujourd'hui cette égalité n'existe pas ; l'emprunteur est toujours censé inférieur au préteur ; la loi et les mœurs font un grief de l'emprunt. Il semble que le payement de l'intérêt ne compense pas le service rendu par le prêteur. Cela pouvait se concevoir alors que la loi défendait à celui-ci de faire payer ce service tout ce qu'il vaut en réalité, mais cela n'a plus de raison d'être lorsqu'il n'y a plus d'entraves ni de limites à la fixation du prix de ce service.

De cette situation naît aussi la nécessité légale de l'abolition de la contrainte par corps.

A quel titre l'Etat interviendrait-il entre les prêteurs et les emprunteurs qui ont librement débattu leurs conditions pour prêter à ceux-là les geôles et ses geôliers, alors qu'il n'intervient plus dans la fixation du prix du service ?

A part même cette considération, n'y a-t-il pas quelque chose de révoltant dans la pensée que, dans notre pays de liberté, la servitude puisse encore être prononcée comme équivalent d'une somme d'argent.

Et quelles turpitudes ne cache pas bien souvent cette possibilité donnée au créancier d'incarcérer son débiteur ?

Ici surgit un autre ordre d'idées.

La liberté du prêt à intérêt pourra-t-elle aller jusqu'à l'abus, jusqu'à la licence ? Je ne le pense pas.

Plus la liberté est grande, plus les méfaits qui se parent de ce nom doivent être sévèrement punis.

La liberté a pour corollaire la responsabilité. Celui qui, sous prétexte de liberté du prêt, commet des actes de spoliation déguisée ou d'escroquerie honnête, doit trouver dans la loi la punition de ces actes immoraux.

Déjà l'honorable M. Notelteirs a signalé à cette Chambre certaines questions qui peuvent surgir à propos de cette liberté.

Je ne pense pas que ce soit le moment de les discuter en détail ; elles sont d'ailleurs plus particulièrement du ressort des légistes et des criminalistes ; je signalerai seulement à leur attention les fraudes qui se commettent parfois au moyen des ventes à réméré ; puis l'indication de sommes plus fortes que celles réellement prêtées ; la livraison de marchandises sans valeur, à des prix fictifs et frauduleux, etc.

Il faut, si nous voulons donner à la loi cette sanction morale qui est nécessaire pour la faire accepter de l'opinion des masses, que ce genre de méfaits soient non seulement déclarés immoraux, mais encore sévèrement punis lorsqu'ils seront prouvés.

Ne pourrait-on pas faire pour ces abus ce que la loi fait pour les dettes de jeu ou de marchés à terme à la bourse : ne pas les reconnaître et ôter toute action légale aux coupables ?

Je crois devoir borner ici ces réflexions que je soumets aux hommes compétents que renferme cette assemblée et j'aborde la question soulevée par l'article 3 du projet de loi.

Vous savez, messieurs, que cet article attribue à l'Etat tout le bénéfice que fera la Banque lorsque, à la suite d'une crise commerciale ou financière, elle élèvera son escompte à plus de 6 p. c.

Cette disposition a, au premier aspect, une apparence de moralité et d'équité qui a séduit beaucoup de personnes et contre laquelle je suis obligé de prémunir ceux de mes collègues qui auraient subi cette première impression.

Ne paraît-il pas équitable, en effet, de faire profiter l'Etat des bénéfices extraordinaires que donneraient à la Banque des intérêts qu'elle ne peut prélever aujourd'hui, que le taux maximum est fixé à 6 p. c ?

Beaucoup de bons esprits n'y ont vu aucune difficulté et ont trouvé qu'il ne fallait pas accroître, par de nouveaux avantages, ceux que la loi a déjà faits à la Banque Nationale.

Je comprends cette première impression que j'ai éprouvée moi-même ; mais elle ne résiste pas à un examen attentif du droit et des faits.

Il ne suffit pas, en effet, au pouvoir législatif d'un pays vivant sous l'empire des droits et des garanties d'une constitution, de déclarer qu'il croit juste ou équitable de s'emparer de tels produits ou de tels revenus, il faut encore qu'il y ait un titre formel, incontestable ; car plus que tout autre le pouvoir souverain doit craindre de s'abuser sur son droit, puisqu'il est le plus fort et que personne ne peut lui résister.

II faut donc, avant de décider une question de cette nature, et avant même d'examiner la question d'utilité qui a été traitée avec tant de clarté et de précision par notre honorable collègue, M. Sabatier, il faut, dis-je, examiner à quel titre l'Etat s'emparerait de ce produit.

Est-ce à titre d'impôt ? Est-ce comme partage de bénéfices, ou bien est-ce comme accroissement de fruits imprévus lors de la concession accordée à la Banque Nationale d'émettre seule des billets remboursables à vue.

En dehors de ces titres la Constitution et les lois ne laissent aucune voie à un prélèvement de la nature de celui stipulé dans l'article 3 en discussion.

Tout prélèvement ou rétribution exigé des citoyens doit l'être à titre d'impôt, sauf en ce qui concerne les polders et wateringues. (Constitution, article 113.) Le caractère de l'impôt, c'est de s'appliquera tous de la même manière, sans privilèges, exemptions, ni modérations. (Article 112.)

Les impôts sont votés annuellement et les lois qui les établissent n'ont de force que pour un an. (Article 111.) Voterons-nous chaque année qu'il y aura crise commerciale pour permettre à la Banque d'élever son escompte de manière à pouvoir acquitter l'impôt décrété par l'article 3 ?

Ce ne serait donc pas à titre d'impôt que ce prélèvement pourrait être exigé de la Banque.

Il est, je pense, inutile d'insister plus longuement sur ce point.

Ce ne sera sans doute pas davantage à titre d'associé que l'Etat pourrait réclamer ce produit.

L'Etat n'est pas l'associé de la Banque, la loi et les statuts organiques (page 597) en font foi ; d'ailleurs s il était l'associé de cet établissement, il aurait droit non seulement à l'excédant au-dessus de 6 p, c. maïs à une part dans tous les produits quelconques.

L'Etat est un des clients de la Banque et non son associé. Il est vrai que ce client a été en mesure d'imposer ses conditions et non de les recevoir. La Banque est son caissier et en compensation des avantages éventuels que peut lui procurer le maniement des capitaux considérables que reçoit constamment l'Etat et de cet autre avantage que celui-ci lui fait d'accepter ses billets à vue en payement dans ses caisses (article 14 de la loi du 5 mai 1850), il s'est réservé la sixième de l'excédant du bénéfice au-delà de 6 p. c. que recevraient les actionnaires. (Article 7.)

Notons en passant qu'ici le principe du prélèvement est tout autre que celui de l'article 5 ; c'est une taxe prélevée sur les bénéfices lorsqu'ils dépassent 6 p. c. et acceptée par les actionnaires de la Banque dans l'acte constitutif, tandis qu'il s'agit maintenant d'imposer, à titre d'autorité indiscutable, le prélèvement de tout le produit de l'excédant d'intérêts dépassant 6 p. c., sans examiner si ce prélèvement ne pourra pas, dans certains cas, constituer la Banque en perte, par exemple dans le cas où, pour reconstituer son encaisse, elle devrait elle-même payer le crédit au-dessus de 6 p. c.

L'Etat est si peu l'associé de la Banque que nulle part il n'est stipulé qu'en cas de perte de tout ou partie du capital il participera à cette perte.

Le prélèvement stipulé dans l'article 3 de la loi n'est donc ni un impôt, ni une part d'associé. Est-ce davantage un accroissement imprévu des produits ?

D'abord, la loi et les statuts organiques de la Banque n'ayant pas prévu ce cas, il reste soumis aux principes généraux du droit commun.

A qui appartiennent les produits imprévus ?

Au propriétaire du fonds, dans certains cas ; à l'exploitant, dans d'autres.

L'Etat est-il propriétaire du fonds de la Banque ? Nous avons vu que non. Est-il l'exploitant de ce fonds ? Pas davantage. Il est donc sans titre de ce côté, comme de ceux que nous avons examinés tantôt.

Ce n'est donc que comme autorité, comme pouvoir législatif et souverain, stipulant sans conteste qu'on nous engage à déclarer qu'il est juste et légitime que les produits des intérêts dépassant 6 p. c. exigés par la Banque en temps de crise appartiendront au trésor public.

Je déclare que je ne suis pas du tout préparé à sanctionner de mon vote un principe aussi exorbitant.

Je ne reconnais pas à l'Etat le droit de s'emparer, à un autre titre qu'à celui d'impôt frappant également tous les citoyens qui se trouvent dans les mêmes conditions, et voté annuellement, d'aucune part dans les produits du travail, de l'industrie et du commerce du pays.

Je ne suis pas préparé à voter en principe que l'Etat a un droit quelconque de prendre le produit de l'escompte des valeurs du commerce ou de l’industrie, lorsque, par le malheur des circonstances, il dépassera 6 p. c. Il le fait aujourd'hui pour la Banque Nationale ; pourquoi ne le ferait-il pas demain pour les autres sociétés anonymes faisant l'escompte ? pourquoi, poursuivant le même principe dans ses conséquences ultérieures, ne l'appliquerait-il pas plus tard aux concessions des mines ?

Le principe ne sera-t-il pas le même dans tous les cas ?

L'Etat concède les mines de charbon et autres comme il a concédé l'émission des billets remboursables à vue, pourquoi ne dirait-il pas un jour : Le prix moyen du charbon est de douze francs, avec ce prix vous réalisez des bénéfices considérables, je crois donc juste et utile à la généralité de m'approprier tout ce qui sera produit par la vente au-dessus de ce prix ?

Je le répète, je suis effrayé des conséquences du principe contenu dans l'article 3 du projet qui nous est soumis.

Mais, disent ses défenseurs, l'Etat ne s'est pas fait la part assez large quand il a organisé la Banque Nationale ; il n'a pas prévu les développements qu'elle prendrait, et surtout l'extension qu'aurait un jour l'émission des billets de banque, émission qui s'est élevée jusqu'à cent vingt millions de francs à certains moments. Or, comme le billet à vue est un capital que le public met gratuitement à la disposition de la Banque et que c'est avec ce capital qu'elle fait l'escompte, il est juste que la généralité profite des bénéfices de ce capital qui lui appartient et dont la Banque n'a que la jouissance.

C'est en vertu de cette théorie légèrement admise par beaucoup de monde, qne l'on croit pouvoir exiger d'autorité le prélèvement indiqué dans l’article 3 de la loi.

Cette théorie n'a qu'un défaut, c'est d'être sans fondement et radicalement fausse.

Le public ne prête rien à la Banque, il lui emprunte au contraire et c'est sur ces emprunts exclusivement que sont fondés les bénéfices de cet établissement.

Une courte démonstration suffira pour prouver l'exactitude de ce que j'avance. Remontons à l'origine de la Banque ; supposons un instant qu'elle soit organisée d'aujourd'hui.

Le capital est versé ; les actionnaires ont reçu, en échange, vingt-cinq mille actions de mille francs chacune, qu'ils ont versés en écus vu qu’il n'y a pas encore un seul billet de banque émis.

Tous les billets sont encore à la souche, reliés par séries ou par lettres.

Comment sortira le premier billet ?

Ou bien quelqu'un apportera des écus, cent ou mille francs et demandera un billet en échange. C'est donc le public qui certain de la convertibilité immédiate de ce morceau de papier en or ou en argent, préfère, pour un usage momentané, donner cette forme à son capital. Celui qui a un billet de mille francs dans sa bourse a donc la disposition de ce capital, à la divisibilité près, comme s'il possédait les écus mêmes.

De son côté la Banque reçoit la charge de garder dans la caisse ces écus jusqu'à ce qu'il plaise au public de lui rapporter le billet pour la monnaie d'or ou d'argent.

Ces opérations pourraient se répéter, ni le public ni la Banque n'y réaliseraient de bénéfices.

Mais voici un commerçant ou fabricant qui se présente et offre d'échanger une lettre de change ou traite à cent jours d'échéance au plus (article 8 de la loi et des statuts). Si cette promesse a la cause et les formes réglementaires, elle sera acceptée à l'escompte par la Banque, qui donnera en échange des billets ou de l'argent, ce qui est exactement la même chose, car si le commerçant préfère l'argent, il peut à l'instant même échanger ses billets. On ne doit jamais perdre de vue ce point essentiel quand on s'occupe de cette matière. Si donc il garde les billets, c'est qu'ils lui sont plus commodes ou avantageux pour la suite de ses affaires.

Or, quelle est l'opération qui vient de se faire ?

Sans l'escompte le marchand ou fabricant n'aurait pu disposer de la valeur de sa marchandise que dans trois ou quatre mois ; il peut maintenant en disposer immédiatement. Il peut, au sortir de la Banque, soit placer son argent à intérêts, soit payer ses fournisseurs ou ses ouvriers, soit, en un mot, faire tout ce qu'il aurait fait s'il avait été payé au comptant.

Qui est l'obligé et à qui le plus grand service a-t-il été rendu ?

Je suis tenté de penser que c'est au commerce et à l'industrie, car ils ne se plaignent guère que d'une chose, en temps de crise surtout, lorsque l'intérêt est élevé et l'escompte cher, c'est que la Banque restreigne ses facilités et limite ses escomptes.

Mais la Banque, grâce à l'émission des billets reçus comme monnaie par le public, parvient à escompter pour 113 millions 800 et des mille francs à la fois (dernière publication mensuelle) et à émettre pour 109 millions de billets, tandis que son capital n'est que de 25 millions.

Qui doit se plaindre de ce résultat ? Est-ce le commerce ou l'industrie, le public en un mot ?

Mais escompterait-il ses promesses, traites ou lettres de change, s'il n'y trouvait avantage et profit ?

Le capital fiduciaire de la Banque fait donc l'office d'un vaste fonds de roulement mis à la disposition de ceux qui déposent à la Banque leurs promesses ou leurs lettres de change, mais il n'appartient à aucun point de vue quelconque ni à l'Etat ni au public.

Les actionnaires de la Banque garantissent le remboursement intégral et instantané de ce capital fiduciaire et, pour cette assurance, ils perçoivent des primes plus ou moins élevées selon que les risques sont plus ou moins grands, et les capitaux immédiatement disponibles plus ou moins demandés.

Mais, me dira-t-on, votre raisonnement serait parfaitement juste si la liberté des banques existait, si l'émission des billets de Banque n'était pas un privilège exclusif créé au profit de la Banque nationale.

C'est cette objection qui a détourné toute cette discussion vers l'exposé des principes qui président à l'organisation des banques d'émission et qui nous a valu le beau discours de M. le ministre des finances.

Je ne m'égarerai pas dans la discussion de la liberté des banques d'émission ou de la diversité ou de l'unité de la monnaie de banque. Cela nous conduirait trop loin, sans résultat utile.

J'admets donc, en fait, sans me prononcer sur la théorie, que l'unité de l'émission en Belgique a été adoptée en vue de donner au public plus de sécurité dans l'acceptation en payement des billets à vue et, au moyen de cette sécurité, de lui faire profiter de l'avantage incontestable d'un vaste fonds de roulement fiduciaire mis à la disposition du commerce et de l’industrie.

(page 598) La véritable question pour le commerce et pour l'industrie est donc de savoir s'ils payeraient l'escompte à meilleur marché, d'abord s'il n'y avait pas de billets de banque, ensuite si plusieurs banques pouvaient en émettre à volonté.

Dans le premier cas, il n'est pas douteux que non seulement les escomptes ne s'élèveraient pas en Belgique au total de 836 millions de francs pour une année, représentant un mouvement de 2 millions 788,000 francs par jour. Il est donc évident que, sans l'intervention de la monnaie de banque, ces opérations seraient beaucoup plus restreintes et que, comme conséquence, l'escompte serait beaucoup plus cher qu'il ne l'est en moyenne aujourd'hui.

La pluralité des banques d'émission amènerait-elle l'abaissement de l'escompte ? C'est possible ; en temps ordinaire, je n'en disconviens pas, mais le public et le commerce jouiraient-ils de la même sécurité en tout temps ? C'est ce dont beaucoup d'économistes doutent, et dont ont certainement douté les Chambres et le gouvernement quand ils ont voté la loi du 5 mai 1850.

Quant à moi, tout en appréciant les bienfaits de la concurrence dans toutes les branches de l'activité humaine, y compris la banque, je crois que la formule économique qui permettra d'appliquer ce principe à l'émission de la monnaie fiduciaire n'est pas encore trouvée.

Or, je suis convaincu que la sécurité de la circulation fiduciaire est plus importante pour le public en général et, pour le commerce en particulier, même que le bon marché de l'escompte, car l'insécurité aurait pour conséquence immédiate la cessation de circulation des billets à vue et par conséquent la réduction des affaires.

Si ces déductions sont exactes, il s'ensuit que l'unité de l'émission accordée en fait, si non en droit, à la banque, l'a été, avant tout, dans l'intérêt du public.

Il est vrai que la banque en profite et que les actionnaires n'y ont pas perdu, car les produits de 1864, s'élèvent au chiffre respectable de 6,013,996 fr. soit 1,658,000 fr. de plus que l'année précédente.

Sans doute, cela est fort beau et fort tentant pour la concurrence, mais le public doit se demander ce qui serait avenu, si, dans une crise comme celle de l'année dernière, il y en avait eu seulement une seule parmi plusieurs banques d'émission, qui, pour avoir voulu gagner trop, aurait faibli et demandé grâce devant les demandes de remboursement. N'aurait-il pas perdu dans une panique beaucoup plus que la Banque Nationale n'a gagné en 1864 ?

Je m'adresse cette question, parce que j'ai vu l'application du système de la pluralité fonctionner aux Etats-Unis et que j'ai assisté, dans ce dernier pays, aux paniques que produit le plus simple soupçon sur la valeur de la monnaie fiduciaire.

J'ai vu en temps de crise les billets des banques les plus riches et les plus solides, escomptés à vingt et trente p. c. de perte, tandis que les autres perdaient toute valeur quelconque.

Il me semble que ces faits méritent qu'on en tienne compte, lorsqu'il s'agit de se prononcer sur un système.

D'autre part, j'ai vu eu Russie et en Autriche l'unité de l'émission arriver aux mêmes résultats, parce que les banques, étroitement liées à l'Etat, leur avaient rendu d'autres services que ceux pour lesquels elles sont instituées. Depuis plusieurs années, les banques d'Autriche et de Russie ne parviennent pas à reprendre leurs payements en espèces, tandis qu'aux Etats-Unis le cours des billets n'a été forcé, dans certaines circonstances calamiteuses, que par l'irrésistible puissance de la nécessité.

Il est bien évident que c'est au concours volontaire des nombreuses banques de tous les Etats que le gouvernement de l'Union américaine a dit de trouver, toujours à temps et relativement à bon marché, les ressources immenses dont il a en besoin pour soutenir et réprimer l'attaque formidable dont il a été l'objet. Une banque inique aurait été impuissant à lui continuer cet appui pendant quatre ans sans faillir et sans entraîner le pays dans sa perte, comme le cas s'est produit en Russie en 1854 et en Autriche en 1859.

Il ne faut donc pas se hâter de se prononcer dans la question de l'unité ou de la pluralité des banques d'émission. Mais en attendant que l'on ait trouvé la formule qui assure la sécurité complète du public quant à la circulation des billets de plusieurs banques, nous pouvons accepter comme fait acquis, que c'est pour assurer cette sécurité, et non en vue d'avantager ure société particulière que le gouvernement et les Chambres ont créé une banque unique et privilégiée.

Il serait donc injuste de prendre cette situation créée au point de vue de l'intérêt public, comme point de départ d'une disposition exceptionnelle pour punir en quelque sorte la Banque de la sécurité complète qu'elle a donnée à sa circulation.

Je le répète donc, je ne voudrais pas, dût cette disposition produire beaucoup au trésor, contribuer à introduire le principe de l'article 3 dans nos lois.

Je sais que l'on cherche à excuser, sinon à justifier ce procédé, sur les bénéfices considérables que réalise la Banque.

C'est céder à une tentation détestable, car elle nous conduit directement à justifier le droit pour l'Etat de s'emparer de toutes les branches d'industrie qui donnent des bénéfices exceptionnels basés sur un service public. Pourquoi ne prendrait-il pas aussi les assurances, les mines de charbon et les usines à gaz ?

L'adoption du principe déposé dans l'article 3 nous y conduirait fatalement, irrésistiblement.

Aussi, je le repousse de toutes mes forces.

Se justifie-t-il au moins au point de vue de l'utilité, de l'économie pour le commerce ? L'honorable M. Sabatier vous a démontré, messieurs, que ni le commerce ni l'industrie ne recevraient aucun soulagement en temps de crise de la mesure, et que l’Etat ne leur rendrait, sous aucune forme, les sommes qu'il percevrait de ce chef.

A-t-on réfuté ce discours. Je ne le pense pas. On a fait miroiter aux yeux de la Chambre et du public les avantages qu'en retirerait le trésor, mais on a négligé le côté industriel et commercial de la question.

Or, qu'a prouvé M. Sabatier ? C'est que la Banque, débarrassée désormais de la responsabilité morale de l'élévation du taux de l'escompte au-dessus de 6 p. c, n'hésitera plus à employer ce remède énergique dès que son encaisse sera menacé, sauf à être moins prompte à redescendre ensuite aux taux minima.

Le commerce ni l'industrie ne seraient donc pas avantagés par le système proposé par le gouvernement, et, en somme, ils payeraient un escompte moyen plus élevé, tandis qu'on leur enlèverait le droit de se plaindre de la cupidité de la Banque.

Pour ma part, je crois que le système que nous avons proposé est le plus juste et le plus avantageux à tous les intérêts. Il n'établit pas le principe dangereux du droit de l’Etat de participer, lorsqu'il le juge équitable, dans certains bénéfices des entreprises particulières.

D'un autre côté, comme c'est un bénéfice imprévu et inattendu, irrégulier de sa nature et incertain, nous avons cru que l'on pourrait, sans toucher aux principes d'égalité devant la loi et l'impôt qui sont la base de notre état social, imposer à la Banque l'obligation de former de ces bénéfices une réserve nouvelle qui serait mise à la disposition du public qui l'a fournie pour augmenter, en temps de crise, les facilités accordées au commerce.

Nous resterions ainsi dans les principes de justice qui veulent que tous profitent également d'une loi que nous faisons, non dans l'intérêt de la Banque seule, comme pourrait le faire croire l'article que je combats, mais dans l'intérêt de tous, sans exception.

Si, lorsque le contrat avec la Banque reviendra devant nous, nous trouvons que les avantages de la première convention sont trop grands, nous serons maîtres de les réduire, mais gardons-nous bien, messieurs, ete nous lier les mains d'avance en permettant à la Banque d'opposer les avantages faits à l'Etat à ceux que nous pourrions réclamer alors en faveur du public.

Je me résume.

J'adopte le principe du projet de loi parce que je le crois juste et dans l'intérêt bien entendu de la généralité.

Je désire que les lois qui sanctionnent les principes renversés ou amendés par la loi nouvelle soient révisées et mises en harmonie avec la nouvelle législation ; que la contrainte par corps, entre autres, disparaisse de nos codes et qu'une grande latitude soit laissée au juge pour apprécier les méthodes employées, sous prétexte de prêts ou d'autres transactions, pour s'emparer du bien d'autrui.

Enfin, je repousse l'article 3 du projet de loi présenté par le gouvernement, parce que je le crois contraire aux principes mêmes sur lesquels reposent les fondements de notre société et que, dans tous les cas, il n'apporterait au commerce aucun soulagement, aucun avantage, tandis qu'il ne procurerait à l'Etat que des ressources incertaines et précaires qu'on lui reprocherait bientôt de prélever sur la détresse publique.

Je recommande au contraire l'adoption de l'amendement développé par l'honorable M. Sabatier, parce qu'il laisse à la Banque toute sa responsabilité matérielle et morale, tandis qu'il procurera au commerce des facilités nouvelles en cas de crise ou de pénurie financière.

Je borne là, pour le moment, mes observations.

- Personne ne demandant plus la parole dans la discussion générale, cette discussion est close et l'assemblée passe à celle des articles.

<Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le taux de l'intérêt conventionnel est déterminé librement par les parties contractantes. »

M. Rodenbach. - (page 599) Messieurs, j'adopte le projet de loi en principe. La liberté a été, dans toute ma vie politique, mon guide constant ; je ne m'opposerai donc pas à ce qu'on applique ce principe au prêt. Cependant je veux vous soumettre une observation. Les campagnes méritent toute notre sollicitude ; je suis étonné que personne n'en parle. N'y aurait-il pas lieu de prendre quelques mesures contre les pièges que tendront à leur bonne foi les hommes d'affaires, ces avides manieurs d'argent qui trouveront moyen d'exploiter, à leur profit et pour la ruine des malheureux livrés sans défense à leur avidité, le régime que la loi nouvelle va leur offrir. Il y aurait lieu à mon avis de se préoccuper du perfectionnement et des moyens de multiplier nos institutions de crédit, de manière que l'effet s'en fît sentir jusque dans nos campagnes.

Sous ce rapport, le projet de loi me parait présenter une lacune. Le gouvernement devrait établir des banques rurales dans les campagnes.

Dans le temps, M. le ministre des finances nous a dit que les receveurs des contributions pourraient gérer les caisses d'épargne dans les campagnes ; je crois qu'ils pourraient de même gérer ces banques rurales où nos agriculteurs pourraient trouver des fonds à un taux raisonnable et déposer ceux dont ils ne pourraient momentanément disposer.

Au moment où nous discutons la loi si importante sur le prêt à intérêt, on fait en France une enquête générale sur les banques et sur le taux de l'argent. Je pense que ce serait agir sagement d'attendre le résultat de cette mesure prise par une nation de 37 millions d'habitants qui font annuellement pour des milliards d'affaires. La France fait avec la Belgique chaque année pour 250 millions, importations et exportations réunies.

Le capital de la Banque de France est de 92 millions ; en 1864, cette institution a réalisé un bénéfice de 43 millions ou au-delà de 25 p. c. Dans une année malheureuse pour le commerce de la France, la Banque donne 25 p. c. de dividende à ses actionnaires.

Le compte de profits et pertes en 1864 de notre Banque Nationale se solde par un bénéfice de 4,700,000 francs.

En présence d'un pareil résultat, la section centrale propose d'accroître encore le bénéfice des actionnaires de cette Banque en portant au fond de réserve la différence du taux légal de l'argent avec le taux éventuel de l'escompte de la Banque Nationale.

En 1864, le produit pour les actionnaires a été de 171 fr. par action. C'est à la Chambre d'examiner si un moyen existe, en proclamant la liberté de l'argent, de remédier au mal d'un escompte élevé qui enrichit la Banque et les banquiers, mais entrave et appauvrit le commerce. Car il ne faut pas le perdre de vue, ce n'est pas le petit commerce, ce n'est pas même le commerce moyen qui profite des facilités que procure la Banque ; ce sont les banquiers qui, avec leurs trois signatures, se procurent de l'argent à 5 ou 4 p. c. et exigent, de ceux qui doivent recourir à eux, 6 p. c. et, de plus, une commission.

Quoique je vote pour le principe de la loi, je désirerais que mes observations fissent surgir un amendement dans l'intérêt des habitants de la campagne.

M. Pirmez. - Messieurs, l'article 1154 du Code civil soulève, en présence du projet actuel, une question qu'il importe de résoudre. Cet article porte :

« Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. »

Or, d'après la disposition du projet de loi, le taux de l’intérêt conventionnel est librement discuté par les parties contractantes.

Je demande si après la promulgation de la loi on pourra stipuler que les intérêts porteront intérêt au bout de six mois par exemple.

Je crois que la Chambre qui se place dans le système de la liberté doit résoudre la question d'une manière affirmative, en sorte que les conventions soient libres quant au mode de règlement de l'intérêt comme elles le sont quant au taux de l'intérêt. C'est l'esprit du projet de loi, mais pour rendre la chose plus claire, il y aurait, paraît-il, un moyen bien simple : ce serait de dire « l'intérêt conventionnel est librement stipulé » au lieu de « le taux de l'intérêt est librement stipulé. » Le texte serait ainsi plus large et la liberté ne porterait pas seulement sur le taux de l'intérêt, mais sur tout ce qui concerne l'intérêt.

C'est un point assez sérieux ; il y a eu sur ce point des procès.

Je propose donc de dire : « l'intérêt conventionnel » au lieu de : « le taux de l'intérêt. »

- L'amendement est appuyé.

MfFOµ. - Messieurs, l'idée qui a été exprimée par l'honorable M. Pirmez ne me semble pas différer de celle que renferme le projet de loi. La question dont l'honorable membre s'est occupé m'a été posée par la section centrale ; et j'y ai répondu d'une manière formelle. J'ai dit que l'anatocisme étant autorisé pas l'article 1154 du code civil, et l'article premier du projet de loi n'ayant d'autre but que de proclamer la liberté du prêt à intérêt, les parties pourront désormais convenir d'un intérêt supérieur à l'intérêt légal, dans les cas prévus par les articles 1154 et 1155 du Code.

Donc, dans les termes généraux du projet de loi, les parties étant libres de fixer le taux de l'intérêt, je ne vois pas de difficulté à admettre le changement de rédaction proposé par l'honorable M. Pirmez.

M. Delcourµ. - Messieurs, la question soulevée par l'honorable M. Pirmez est une des questions les plus graves que présente la discussion du projet de loi.

Elle m'avait déjà frappé lorsque nous avons examiné le projet dans les sections ; j'avais appelé l'attention de l'honorable M. Sabatier, rapporteur à la section centrale, afin d'obtenir une décision formelle, précise sur ce point.

J'ai lu avec le plus grand soin le rapport de la section centrale, et je l'ai compris dans un sens absolument contraire à la proposition qui vous est faite.

Je l'ai compris dans ce sens que la loi que nous discutons a pour objet d'abolir la loi de 1807, mais sans toucher aux dispositions du Code civil.

Or, le Code civil a voulu, par l'article 1154, en exigeant certaines conditions pour la validité de l'anatocisme, a voulu, dis-je, protéger l'emprunteur.

Si j'ai bien compris les explications de M. le ministre des finances, il en résulterait qu'on pourrait faire aujourd'hui une convention par laquelle il serait stipulé que des intérêts échus pour quelque laps de temps que ce soit, produiront de nouveaux intérêts, qui seront ajoutés au capital ; et arriver ainsi à la ruine du débiteur. Or c'est la ruine du débiteur que l'article 1154 du Code civil a voulu empêcher.

J'approuve, messieurs, le principe de la liberté du prêt, mais nous ne pouvons proclamer ce principe qu'en respectant les bases du Code civil.

Eh bien, encore une fois, les conditions de l'anatocisme ont été établies dans un but de moralité ; la loi n'a pas voulu permettre l'exploitation des emprunteurs, ni leur ruine certaine par l'accumulation des intérêts des intérêts.

Messieurs, il s'est élevé à ce sujet des discussions juridiques très importantes. Voici ce qui est arrivé.

Dans des comptes de banque, on a cherché à faire produire des intérêts aux intérêts échus pour moins d'une année. Les tribunaux, saisis de la question, l'ont jugée en sens divers, mais la jurisprudence a fini par maintenir les usages commerciaux.

Si nous voulons faire, messieurs, quelque chose de sérieux, une loi utile, maintenons les principes du Code civil sur l'anatocisme.

Le Code civil exige encore, article 1907, que la stipulation relative aux intérêts soit rédigée par écrit.

Conservez-vous cette disposition ? J'ai posé la question dans ma section ; j'explique le rapport de l'honorable M. Jamar en ce sens que la section centrale n'entend pas modifier la disposition du Code civil.

MfFOµ. - Je l'ai dit.

M. Delcourµ. - Alors la pensée de l'honorable M. Pirmez est en opposition formelle avec ce que vous avez dit, et je ne puis assez insister sur la nécessité de rendre la loi claire et formelle sur un point qui deviendrait la source des abus les plus graves.

M. Pirmez. - Messieurs, en présence du discours de l'honorable M. Delcour, je dois insister sur mon amendement.

L'honorable membre interprète la loi que nous faisons dans un sens contraire à celui de l'honorable ministre des finances et de la section centrale.

MfFOµ. - Non.

M. Delcourµ. - Je reste dans le Code civil.

MfFOµ. - Et nous aussi.

M. Pirmez. - L’honorable ministre des finances nous dit que la question de savoir si l'intérêt doit être stipulé par écrit est réglée par le Code civil, mais il entend bien qu'on pourra stipuler l'anatocisme pour 6 mois.

M. Delcourµ. - Ou par jour même.

M. Pirmez. - Je mets de côté la question de savoir si l'intérêt doit être stipulé par écrit, parce que ce n'est qu'une question de preuve, mais il s'agit de savoir si l'on peut stipuler que les intérêts se capitaliseront tous les six mois.

M. Delcourµ. - Ou tous les mois.

(page 600) M. Pirmez. - Je mets six mois, parce que c'est le terme ordinaire.

Je dis que, d'après le principe du projet de loi, il faut résoudre cette question affirmativement.

MfFOµ. - Pas nécessairement.

M. Pirmez. - Tout au moins il faut la résoudre d'une manière ou de l'autre. Il faut que l'on sache à quoi s'en tenir. C'est une question qui se présente tous les jours.

Pour adopter le système de la liberté d'une manière complète, il faut résoudre la question affirmativement.

Il ne s'agit pas seulement de l'appréciation d'un texte nouveau, isolé, il s'agit de savoir si le texte de la loi que nous discutons abroge un texte existant du Code civil. Je veux qu'il soit déclaré nettement que le texte du Code civil est abrogé. Comme le texte de la loi que nous examinons ne s'applique qu'au taux de l'intérêt sans disposer quant aux conditions de l'exigibilité des intérêts, il me paraît nécessaire de bien déterminer que l'on modifie le Code civil. La rédaction qu'on propose ne peut présenter aucune difficulté...

MfFOµ. - C'est la même chose.

M. Pirmez. - Du tout ; vous dites, dans votre texte, qu'on peut librement disposer sur le taux de l'intérêt, vous ne dites pas qu'on peut disposer sur la manière dont se régleront les intérêts. Or, affirmer ce point est le but de mon amendement, et comme la rédaction que je propose ne peut donner lieu à aucune difficulté, je demande à la Chambre de le voter.

MfFOµ. - Comme vous le savez, messieurs, les auteurs du Code civil avaient proclamé la liberté du prêt à intérêt ; mais, dans diverses dispositions de ce Code, et notamment dans les articles 1154 et 1155, ils avaient introduit certaines règles relatives à la production des intérêts par les intérêts mêmes de la somme principale. La loi de 1807 a eu pour effet de modifier le principe de liberté que consacrait le Code civil en matière de louage des capitaux, mais cette loi n'a altéré en rien les dispositions des articles 1154 et 1155.

Maintenant, quelle a été l'intention du gouvernement, en vous soumettant le projet de loi que nous discutons en ce moment ? Uniquement d'abroger la loi du 3 septembre 1807. Nous ne proposons nullement de modifier quelque principe que ce soit du Code civil. L'adoption du projet de loi aura, au contraire, pour effet unique de remettre la législation sur cette matière spéciale, en harmonie parfaite avec le Code même, et ce projet ne renferme aucune disposition qui puisse conduire à une modification quelconque des règles tracées par le Code. Il se peut cependant que l'utilité de semblables modifications soit reconnue ultérieurement ; mais, quant à présent, nous ne les proposons pas. Nous avons déclaré formellement notre intention à cet égard. Je n'avais pas bien compris tout à l'heure le but que se propose l'honorable M. Pirmez, en demandant un changement de rédaction à l'article premier. J'admets cependant sa proposition ; j'ai dit que j'y adhérais, et j'y adhère encore, mais, bien entendu, dans les sens des explications que je viens de donner, et sans rien changer au caractère du projet de loi.

Je rappelle à la Chambre que j'ai précisé la portée du projet, en ce qui concerne l'anatocisme, en répondant à une question qui m'avait été posée à cet égard par la section centrale. C'est ce qui est constaté dans le rapport présenté au nom de cette section centrale, par l'honorable M. Jamar.

« La première section, dit le rapport (et c'est, je pense, celle dont l'honorable M. Delcour faisait partie), avait appelé l'attention de la section centrale sur les modifications que le projet de loi pouvait apporter à certains articles du Code civil.

« La section centrale, d'accord avec le gouvernement, pense que, loin de modifier les articles 1907 et suivants du Code civil, le projet de loi actuel fera rentrer, au contraire, notre législation dans les idées et les principes de ce Code, en permettant de stipuler un intérêt conventionnel, excédant l'intérêt légal, qui reste fixé à 5 p.c. en matière civile, et à 6 p. c, en matière commerciale.

« Voici en effet ce que disait le discours préliminaire du projet de Code civil à l'article 1907 actuel du Code :

« Les rapports qui déterminent le prix de l'argent sont indépendants de l'autorité ; les gouvernements ne peuvent jamais espérer de le fixer par des lois impérieuses.

« Cependant on a toujours adopté un intérêt légal pour les contrats d’hypothèque et pour tous les actes publics...

« Mais indépendamment de l'intérêt légal qui régit l'ordre civil, il existe dans le commerce un intérêt courant qui ne peut devenir l'objet d'une loi précise et constante. Nous n'avons pas touché à la fixation de l'intérêt légal. Cette fixation ne peut appartenir qu'au gouvernement. L'intérêt légal ne peut être respecté qu'autant qu'il se trouve en harmonie avec le taux de l'argent dans le commerce. Dans le moment actuel, mille causes connues rompent cette harmonie.

« L'argent règle le prix de toutes les autres choses, tant mobilières i qu'immobilières. Ce prix est fondé sur la comparaison de l'abondance et de la rareté relative de l'argent, avec la rareté ou l'abondance relative des objets et des marchandises que l'on achète.

« Il ne peut être fixé par des règlements.

« Le grand principe sur ces matières est de s'abandonner à la concurrence et à la liberté.

« Le projet de loi qui remet en vigueur des principes admis par les auteurs du Code civil en matière d'intérêt, ne modifie aucune disposition de ce Code.

« L'anatocisme étant autorisé par l'article 1154, et l'article premier du projet de loi ne faisant autre chose que de proclamer la liberté du prêt à intérêt, il en résulte que, dans les cas déterminés par les articles 1154 et 1155, les parties pourront désormais convertir d'un intérêt supérieur à l'intérêt légal. »

Nous ne modifions donc aucune disposition du Code civil ; nous abrogeons simplement la loi du 3 septembre 1807, et je crois qu'il importe beaucoup de se maintenir sur ce terrain, et de ne pas introduire incidentellement des modifications à des principes dont l'importance exige un mûr examen et une discussion spéciale, tout à fait à part de la question de l'intérêt.

C'ost pour le même motif, messieurs, que je repousserai l'amendement de l'honorable M. Notelteirs. Cet amendement constitue une modification à un principe général du Code civil, et en supposant qu'il y ait lieu d'adopter une semblable modification, ce n'est pas, je pense, à l'occasion de l'abrogation de la loi du 3 septembre 1807, qu'il y a lieu de s'en occuper.

M. Dumortier. - Je dois reconnaître que M. Pirmez est extrêmement logique ; il vous dit : Vous voulez de la liberté du prêt, vous devez donc vouloir de toutes les conditions du prêt. Telle est son argumentation ; elle est très logique, mais elle est aussi très dangereuse, et elle prouve précisément le danger de voter les dispositions qui nous sont soumises ; elle prouve le danger qu'il y a de laisser l'emprunteur à la merci du prêteur. Quand j'examine l'article que nous discutons, je me demande ce qui en provoque la nécessité. Est-ce que, par hasard, l'argent manque en Belgique ? En aucune manière. Sont-ce les prêteurs qui demandent à pouvoir prêter plus cher ? Non. Sont-ce les emprunteurs qui demandent à être livrés à la merci du prêteur ? Évidemment non ! Mais la Banque Nationale désire, dans certains moments, pouvoir élever le taux de son escompte. Quant à moi, j'avoue que l'intérêt de la Banque me touche peu. M. Le Hardy vous disait tout à l'heure, qu'en 1864, année pendant laquelle l'escompte a été élevé à 6 p. c, la Banque avait fait un bénéfice de 6,013,996 fr. ; l'année précédente lorsque le taux de l'intérêt était normal, ce bénéfice n'avait été que de 4,355,996 fr. ; l'élévation du taux de l'escompte à 6 p. c. a donc produit à la Banque un bénéfice supplémentaire de 1,658,000 fr. Eh bien, si la Banque en prêtant à 6 p. c. réalise encore 1,600,000 fr. de bénéfice de plus que dans les années ordinaires, il me semble que sa position n'est pas tellement malheureuse qu'il faille exposer tous les emprunteurs du pays pour faire les affaires de la Banque qui donne 17 1/2 p. c. à ses actionnaires.

Mais, nous dit-on, et l'économie politique ?

Eh bien, c'est une belle chose que l'économie politique ! Et l'honorable M. Pirmez, qui en est grand partisan, vient de vous en développer très justement les conséquences. Si vous voulez la liberté du prêt d'argent, vous devez vouloir aussi la liberté des conditions du prêt. Cela est parfaitement logique. Si l'argent est une matière qui ne doit subir aucune espèce de réglementation, pourquoi voulez-vous réglementer l'anatocisme ? Pourquoi permettre la capitalisation des intérêts ?

M. Jamar. - Ce sera permis.... (Interruption.) Il ne s'agit pas de l'intérêt légal.

M. Dumortier. - Je n'ai point à répondre à une telle argumentation : nous parlons ici de l'article premier. Eh bien, je dis que cela n'est pas permis, et si l'honorable membre a écouté tantôt l'honorable M. Delcour et M. le ministre des finances, je m'étonne qu'il soutienne encore que cela est permis.

Pour moi, messieurs, l'argumentation parfaitement logique de l'honorable M. Pirmez est une preuve que nous devons mettre de côté les principes de l'économie politique pour ne nous préoccuper que de l'intérêt général. Avez-vous manqué de prêteurs sous la législation de 1807 ?

Mais, messieurs, à aucune époque, les affaires en Belgique n'ont été plus florissantes ; j'en trouve la preuve dans ce fait bien concluant que le commerce a pu, dans les circonstances les plus fâcheuses, trouver de (page 601) l'argent à 6 p. c. alors qu'il valait 8, 9 et jusqu'à 10 p. c. dans d'autres pays. Quel besoin y a-t-il donc, alors que personne ne réclame, de livrer les emprunteurs, pieds et poings liés, aux prêteurs ? Mais, messieurs, dans tous les temps et dans tous les pays, la question de l'usure a été une très grosse question pour quiconque veillait un peu à la condition faite aux emprunteurs ; cette question a toujours été considérée comme une des plus dignes de l'intérêt du législateur.

Vous trouverez toujours des personnes qui auront besoin d'argent ; où donc ces personnes pourront-elles se procurer encore de l'argent le jour où elles seront livrées à la rapacité des prêteurs ?

Je l'ai déjà dit, toute ma sollicitude est pour les petits et non pour les grands ; les grands savent toujours faire leurs affaires ; les petits, au contraire, ont besoin d'être défendus et protégés. Eh bien, je pense que la disposition que nous discutons en ce moment est une disposition fatale pour la Belgique.

Je me l'expliquerais si l'on venait demander que le gouvernement soit autorisé, dans certaines circonstances critiques, à élever l'intérêt, parce que ces circonstances tout exceptionnelles pourraient justifier la faculté exceptionnelle aussi dont il aurait fait usage ; mais admettre comme un état normal de la société que le taux de l'argent ne sera plus réglé, que l'usure sera permise, que le pauvre emprunteur sera livré à toute la rapacité du préteur, je dois dire que cela révolte tous mes sentiments d'honnête homme et qu'il m'est impossible de voter une pareille loi.

Messieurs, je lisais tantôt, dans un journal qui s'est occupé de nos débats, une réflexion qui m'a beaucoup frappé. Voici ce que dit la « Publicité judiciaire » à propos de l'Algérie.

« Voyons du reste l'Algérie ; la liberté du taux y est proclamée : on peut y prêter à 20, 30, 40, et 50 p. c. Que sais-je ? Eh bien, qu'en résulte-t-il ? Tandis que des cuistres s'y engraissent, l'agriculture, l'industrie le travail y succombent.

« Que faire donc ? Conserver l'ancien principe et le régulariser, proportionner plus équitablement l'intérêt de l'argent aux dangers du prêt, établir des catégories selon que les garanties sont plus ou moins certaines, les rentrées plus ou moins éloignées, les éventualités plus du moins probables. Alors l'homme raisonnable n'hésitera point à prêter même, dans les circonstances les plus épineuses, puisqu'il trouvera une compensation dans l'intérêt, et l'usurier n'aura plus de raison d'être. Que s'il s'en trouvait encore un, le mépris public et la loi lui soient impitoyables. »

Eh bien, messieurs, voilà une situation dont je ne veux pas pour mon pays. Je veux le développement de toutes les forces vives de la société, et ces forces vives c'est, en fin de compte, dans les classes moyennes qu'elles résident. Je veux que les classes moyennes puissent emprunter à des conditions telles qu'elles puissent prospérer. Or, si vous laissez aux prêteurs la faculté de prêter au taux qui leur conviendra, si vous leur permettez de fixer les conditions de leurs prêts, vous aurez produit le résultat diamétralement opposé à celui que je désire, et cette considération est bien supérieure pour moi à tous les principes de l'économie politique.

Il y a quelque chose de plus fort que les théories ; ce sont les faits. Or, dans tous les pays on a fixé le taux de l'intérêt comme on a fixé la valeur de l'argent, et il ne me paraît pas possible, dans un pays comme le nôtre, de livrer les petits industriels, les petits agriculteurs à la rapacité des prêteurs. C'est ce que ferait l'article premier, et c'est pourquoi, si cet article est adopté, je voterai contre toute la loi.

M. Pirmez. - Je parle pour la troisième fois, messieurs, mais je dois insister pour que la question que j'ai soulevée reçoive une solution, et je crois qu'une explication de ma part est nécessaire pour bien faire comprendre mon amendement.

Je donne à mon amendement un sens extrêmement précis : je veux que l'on puisse convenir de toutes les conditions de l'intérêt comme on convient du taux même de l'intérêt. Voilà le sens de mon amendement ; il est bon ou il est mauvais ; c'est ce que la Chambre décidera ; mais je dis ce qu'il signifie, et si la Chambre l'adopte, cela voudra dire qu'elle sanctionne ma pensée. (Interruption.)

Mais, va me dire l'honorable M. Bara que j'entends faire une objection à côté de moi, votre amendement est inutile : autrefois il pouvait être nécessaire de parler de l'anatocisme, parce qu'il y avait une limite au taux de l'intérêt ; mais aujourd'hui cela n'est plus nécessaire. On pourra le remplacer par une stipulation d'intérêts plus élevés. Eh bien, l'honorable M. Bara oublie une chose ; c'est qu'il est extrêmement utile, en matière commerciale, de fixer a un terme le moins éloigné possible le règlement des comptes, afin de rendre plus facile la rectification des erreurs.

Ainsi, il convient très fréquemment à des négociants de fixer à six mois le règlement de leurs comptes ; allez-vous les empêcher de convenir que le solde sera productif d'intérêt ?

Voilà la question ; il faut donc nécessairement la résoudre.

M. Bara. - Vous pouvez parfaitement convenir, en vue d'une réglementation de compte de six en six mois, d'un intérêt variant d'après les résultats de cette liquidation.

- Un membre. - Cela ne serait pas pratique.

- M. Pirmez. - Evidemment cela n'est pas pratique. Ce que dit M. Bara est mathématiquement possible, mais il faudra recourir à la table des logarithmes pour établir le taux de l'intérêt à résulter de pareilles combinaisons et vous arriverez alors aux chiffres les plus compliqués.

Or, messieurs, il faut respecter les faits et les usages ; il faut les prendre tels qu'ils sont et les maintenir si vous les considérez comme réguliers.

Maintenant supposons qu'on puisse le faire, est-ce de la liberté de dire aux banquiers et aux négociants : « Je vous impose la manière de calculer l'intérêt ? » Evidemment non, si vous voulez la liberté, laissez toutes les conventions libres, laissez le mode de calculer libre ; lorsque nous avons la prétention de faire une loi libérale, n'allons pas tout d'abord laisser croire que cette liberté nous effraye, que nous avons peur de notre œuvre.

Maintenant, je me permettrai de répondre un mot à l'honorable M. Dumortier.

L'honorable membre a bien voulu reconnaître que j'étais logique ; je dois lui adresser le même compliment ; ainsi que l'a rappelé tout à l'heure l'honorable M. Jamar, l'attitude prise par l'honorable M. Dumortier dans la discussion actuelle est conforme à celle qu'il a constamment prise dans toutes les circonstances où il s'est agi de liberté des intérêts matériels ; l'honorable membre n'a cessé de combattre toutes les mesures qui ont été proposés à la législation dans cet ordre d'idées. (Interruption.)

Oui, l'honorable membre a toujours combattu la liberté commerciale, c'était un des fauteurs ardents du système protecteur ; et il est resté, si je ne me trompe, le seul partisan dans cette Chambre de ce système. Sa foi était robuste, il est demeuré fidèle à son système, malgré les coups terribles que ce système a eu à supporter.

Hostile à la liberté commerciale, l'honorable membre a jadis déposé ou annoncé un projet de loi contre la liberté du commerce des grains. Rien d'étonnant dès lors que, logique, conséquent avec ses principes, l'honorable membre vienne combattre aujourd'hui la liberté du commerce de l'argent.

L’honorable M. Dumortier rend l'économie politique responsable des échecs que son système a subis successivement dans cette enceinte, et il a raison.

Mais n'en parle-t-il pas avec un peu trop d'aigreur ?

Ne se souvient-il pas un peu trop des conquêtes qu'elle a faites autour de lui, en lui enlevant tous les soutiens de ses principes qui étaient jadis si nombreux ? Son mépris pour l'économie politique me paraît cacher quelques rancunes.

Comme argument concluant, l'honorable membre est venu nous citer un article de journal, la « Publicité judiciaire » que je n'avais pas l'honneur de connaître. Il paraîtrait, d'après ce journal, que les préteurs s'enrichissent en Algérie et que l'agriculture y décline.

Si l'honorable M. Dumortier connaissait exactement se qui se passe en Algérie, il y aurait trouvé la démonstration la plus évidente dé l'inconvénient que présente la fixation du maximum du taux de l'intérêt.

On avait d'abord laissé l'Algérie sous l'empire de la liberté ; en 1835 on fixa le taux maximum de 10 p. c. parce que l'on trouvait que les prêts se faisaient aussi dans des conditions trop onéreuses, mais qu'est-il arrivé ? C'est que le jour où l'on a établi le maximum, les prêts se sont faits beaucoup plus difficilement et à des conditions beaucoup plus onéreuses et l'on a été obligé de relever le maximum légal.

L'Algérie ne nous offre donc pas une leçon de restriction, mais une leçon de liberté.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je voterai contre l'amendement de l'honorable M. Pirmez, pour rester dans les principes généraux du droit. Je crois utile d'appeler l'attention de la Chambre sur la grande enquête qui se fait en France et qui porte non seulement sur la liberté du prêt, mais encore sur l'ensemble des moyens de crédit. En effet, ces deux questions se lient intimement.

Je crois que jamais enquête plus solennelle n'a été ouverte dans aucun autre pays : je suis porté à croire qu'il en sortira la liberté du prêt à (page 602) intérêt, mais qu'il en sortira aussi la solution des questions qui se rattachent à l'ensemble des moyens de crédit.

Quant à moi, je regrette que le projet de loi que nous discutons en ce moment n'ait pas été ajourné pour quelque temps : nous aurions connu le résultat de l'enquête française.

Certes, nous n'aurions pas perdu à attendre. Il est possible qu'il se fût présenté, soit quelques restrictions de nature à sauvegarder des intérêts très respectables, soit des moyens de crédits propres à prévenir les dangers que la liberté absolue de l'intérêt peut produire.

Messieurs, on a dit que la liberté du commerce, la liberté de la valeur des marchandises doit entraîner également la liberté du prêt à intérêts. La similitude n'est pas complète.

L’argent ne représente pas seulement des lingots d'or et d'argent, mais il représente un titre légal qui lui est conféré par la loi.

On a dit aussi que des prêts sont faits par des institutions de crédit, que des emprunts ont été faits par des conseils provinciaux, par des conseils communaux et même par le gouvernement à un taux plus élevé que le taux légal. Mais la loi ne s'applique pas à ces sortes de prêts, et la jurisprudence admet la pratique des banques.

Je suis persuadé que le pays respecte profondément la loi et qu'aucun homme qui lient un peu aux principes de l'honneur ne voudrait prêter à un taux supérieur à l'intérêt légal.

Je sais qu'il y a des prêts qui se font à la semaine, à des personnes tout à fait insolvables. Cette pratique peut être considérée comme contraire à la loi.

Cependant, de tout temps, lorsque les débiteurs présentaient si peu de solvabilité, la jurisprudence a admis hautement ces sortes de prêts ; ainsi, à Paris, les prêts à la semaine ne sont pas poursuivis.

Cela a existé en Suisse autrefois et même cela a été admis par les auteurs qui ont traité de la morale, parce qu'il y avait nécessité de la faire, mais c'étaient des circonstances exceptionnelles.

Nous sommes placés aujourd'hui, en fait d'affaires, vis-à-vis de la Hollande et de l'Angleterre, qui ont admis la liberté du prêt à intérêt. La France et l'Allemagne ne l'ont pas admise encore. La question y est étudiée.

En Allemagne, les institutions de crédit, surtout pour subvenir aux classes inférieures, sont beaucoup plus nombreuses qu'en Belgique et en France. On cherche à élargir ces institutions utiles. Si l'on votait simultanément quelques principes relativement aux institutions de crédit et l'abolition du taux de l'intérêt légal, je crois qu'on ferait une très bonne chose. Je pense qu'on y parviendra. Mais, quant à moi, il me semble que cette discussion est un peu prématurée, en ce sens que rien ne la nécessitait.

Nous sommes, à ce point de vue, placés plus heureusement que la plupart de nos voisins ; il n'y a pas eu chez nous de réclamations très vives relativement à la liberté de l'intérêt. Pourquoi tant de précipitation à voter cette loi ? Pourquoi ne pas discuter simultanément, comme on va le faire en France, la question des institutions de crédit et la question du taux de l'intérêt ? Il me semble que cela se lie intimement.

M. Crombez. - Faites-vous une proposition d'ajournement ?

M. de Theuxµ. - Non ; je me borne à présenter à la Chambre les réflexions que j'ai faites à part moi. Je ne suis pas obligé de faire une proposition d'ajournement ; mais cette pensée me préoccupe et certainement j'aurais désiré que le projet de loi ne fût pas discuté immédiatement, que nous eussions d'abord connu les résultats de l'enquête qui se fait en France et qui ne peut manquer d'apporter des lumières considérables dans ces questions soit quant à la liberté du prêt à intérêt, soit quant aux institutions de crédit.

On ne doit pas croire que le pays soit aujourd'hui unanimement d'avis que ce soit une bonne chose de décréter purement et simplement la liberté du prêt à intérêt. J'ai entendu des personnes très respectables dans le commerce et l'industrie qui doutent beaucoup des résultats de la loi.

MfFOµ. - Messieurs, je croyais que l'honorable membre qui vient de se rasseoir allait conclure en déposant une proposition d'ajournement. Mais, sur une interruption qui lui est adressée, il répond qu'il n'entend pas faire une telle proposition, et qu'il se borne à nous communiquer ses réflexions.

Je ferai remarquer que ces réflexions auraient pu venir beaucoup plus à propos pour la Chambre il y a déjà fort longtemps.

- Un membre. - Le premier jour de la discussion.

MfFOµ. - Non seulement le premier jour de la discussion de ce projet, mais beaucoup plus tôt. En effet, messieurs, la question de la liberté du prêt à intérêt est résolue en Belgique depuis plus de quatre ans et cette solution n'a soulevé jusqu'à présent aucune protestation.

En 1860, lorsque la Chambre a révisé le Code pénal, toute cette question du prêt à intérêt a été examinée et controversée, et alors la Chambre, se trouvant suffisamment éclairée, s'est formellement prononcée ; elle a supprimé toutes les peines applicables à l'usure. Il ne s'agit donc plus aujourd'hui que de sanctionner cette résolution, en proposant, comme nous l'avons fait, l'abrogation de la loi du 3 septembre 1807.

L'honorable M. de Theux nous dit aujourd'hui que nous eussions pu attendre les résultats de l'enquête ouverte en France, et qui pourra apporter des lumières sur cette question. Messieurs, je ne crois pas me tromper en disant d'avance que cette enquête n'apportera aucune lumière sur la question qui nous occupe. C'est, de toutes les questions qui peuvent se présenter en matière financière, celle qui a été le plus débattue et qui est le plus formellement résolue aujourd'hui dans l'opinion publique. Tous les hommes de science qui s'en sont occupés sont arrivés à cette conclusion que la loi prétendument répressive de l'usure n'était pas observée, et qu'elle ne saurait l'être ; qu'elle n'a qu'un tort : c'est de placer l'emprunteur dans une condition plus mauvaise que celle où il se trouverait si la liberté du prêt à intérêt existait.

Or, après que les hommes de théorie se furent prononcés ainsi sur la question, on a eu l'occasion de vérifier leurs assertions par la pratique, et l'on a constaté, dans les pays où la liberté du prêt à intérêt avait été proclamée, une situation plus favorable pour les emprunteurs, que dans les pays où l'intérêt était limité par la loi. Voilà, messieurs, la véritable enquête à consulter. Cette enquête a été faite en Angleterre. On en a ouvert plusieurs dans ce pays, et pendant de longues années on s'y est beaucoup occupé de cette question du prêt à intérêt. Après mûr examen, on a fait un premier pas vers la liberté, car on a cru devoir procéder par gradation. La liberté absolue n'a pas été immédiatement proclamée, tant on redoutait les mécomptes.

On a d'abord apporté à cette liberté deux restrictions qui semblent préconisées par d'honorables membres et qui sont en quelque sorte dans la pensée de l'honorable M. de Theux : une restriction quant aux prêts hypothécaires et une restriction quant aux prêts inférieurs à 250 liv. Eh bien ! qu'est-il arrivé en 1854 ? C'est qu'au nom même de ceux que l'on avait voulu protéger, on a dû venir demander l'abrogation de la prétendue protection que l'on avait cru indispensable de leur assurer. C'est qu'on avait constaté que les propriétaires, particulièrement en Ecosse et en Irlande, étaient les victimes de cette protection dont on les avait gratifiés.

C'est ce qui a été clairement établi par le chancelier de l'échiquier lors de la présentation du bill abrogeant les dispositions restrictives dont il s'agit, ainsi que par le marquis de Lansdown, dans le cours de la discussion de ce bill. Depuis lors, la liberté complète du prêt à intérêt a été proclamée, au grand bénéfice de tous, et jamais aucune plainte n'a été formulée contre l'usage de cette liberté.

La même chose existe en Hollande. Le prêt à intérêt y est libre.

M. Thonissenµ. - En Saxe aussi.

MfFOµ. - Oui, de même que dans plusieurs autres contrées de l'Allemagne. L'Allemagne en général n'a pas proclamé la liberté du prêt à intérêt, mais elle existe dans plusieurs Etats de la confédération.

Il est impossible, messieurs, de nier l'inutilité et l'inanité des dispositions restrictives en cette matière ; ces dispositions n'opèrent pas comme le pense l'honorable M. de Theux. Il est convaincu, dit-il, qu'elles ont un effet efficace, parce qu'un homme qui se respecte ne prêterait pas au-dessus du taux légal. Mais c'est à cause de ces restrictions, qu'une autre catégorie de personnes, qui se respectent peu, exploitent ceux qui ont besoin d'emprunter. Qu'arrive-t-il ? C'est que ceux-ci observent nominalement la loi qui prohibe le prêt à intérêt supérieur au taux légal, mais qu'en fait ils prêtent à un intérêt beaucoup plus élevé, et à coup sûr, bien supérieur à celui que les emprunteurs obtiendraient, si le marché était libre, si les propriétaires de capitaux pouvaient, sans se croire déshonorés, se présenter sur le marché pour offrir leurs capitaux à leur véritable prix.

Je pense donc que la Chambre ne doit pas s'arrêter aux observations présentées par l'honorable comte de Theux.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Pirmez, je persiste à croire qu'il vaut mieux nous en tenir à l'abrogation de la loi de 1807, sans introduire dans la loi qui vous est soumise une modification aux principes du Code civil. Il y en aurait peut-être beaucoup d'autres à introduire, mais ce n'est pas le moment ; cela n'est pas opportun. Tenons-nous-en à la disposition qui vous est soumise. La question est controversée, dit l'honorable M. Pirmez. Eh bien, elle continuera d'être controversée (page 603) jusqu'au jour ou l'on trouvera à propos de présenter des modifications au Code civil. Bornons-nous, quant à présent, à supprimer la loi de 1807.

M. Dumortier (pour un fait personnel). - Je regrette de devoir prendre la parole pour un fait personnel, mais je ne puis pas remettre à demain ma réponse à M. Pirmez.

Il y a des personnes dans cette assemblée qui ne savent jamais répondre à un collègue sans dire des choses piquantes. Je ne parlerai pas de M. Jamar ; quant à M. Pirmez, je lui avais fait un compliment, et il me répond par une incivilité.

Je n'admets pas cette manière de discuter ; dans un parlement on doit se conduire comme dans une bonne société.

M. de Moorµ. - Ce n'est pas à vous de donner des leçons de politesse ou de civilité.

M. Dumortier. - Ve n'est pas à vous de faire la police de l'assemblée.

L'honorable M. Pirmez me dit que j'ai toujours été opposé à la liberté, puis il ajoute qu'il parle de la liberté commerciale. Oui, messieurs, j'ai toujours été opposé et je suis encore opposé aux mesures qui ont pour résultat d'amoindrir la richesse nationale. Allez demander au port d'Anvers ce qu'il a gagné à votre système, allez demander à la ville de Stavelot ce que sont devenues ses fabriques d'aiguilles. Allez demander à Verviers ce qu'est devenu son commerce de draps de Dison. (Interruption.)

Prenez les rapports des chambres de commerce et vous verrez que presque toutes les chambres de commerce de la Belgique se sont élevées contre l'application de vos belles théories.

Du reste, il y a une différence très grande entre l'honorable membre et moi : la liberté que je veux, moi, c'est la liberté politique, mais ce sont précisément ceux qui combattent cette liberté qui viennent nous parler toujours de la liberté commerciale.

Votre liberté, c'est la liberté de mettre la main dans la poche du voisin ; eh bien, cette liberté-là je n'en veux pas. Quand on nous proposera de donner la liberté au peuple, de lui rendre la nomination des bourgmestres et des échevins, oh ! alors vous ne parlerez plus de liberté.

Vous repoussez la liberté politique, et c'est précisément celle-là que je veux.

M. Pirmez (pour un fait personnel). - L'honorable M. Dumortier attribue à mon observation une portée toute différente de celle qui doit y être donnée, une intention blessante que je le prie de ne pas y attacher. L'honorable membre m'a félicité d'être logique, j'ai fait de même à son égard. Il a dit que la loi que nous votons est une loi de spoliation des emprunteurs par les prêteurs dans l'intérêt de la Banque Nationale, qui gagne déjà énormément et il m'a indiqué comme allant jusqu'au bout dans cette voie.

Pour compléter la chose, il définit la liberté déplorable dont nous sommes partisans : c’est la liberté de mettre la main dans la poche de son voisin. Si cette manière de représenter les idées de ses adversaires rentre dans ce que l'honorable membre appelle le langage de la bonne société, le champ de ce langage est assez large pour que j'aie la conviction de n'en pas être sorti.

Je n'ai pas fait autre chose que de rappeler à M. Dumortier les lois qu'il a votées et celles qu'il aurait voulu faire voter par la Chambre ; je ne les ai pas même appréciées ; il me semble qu'il n'y a à cela rien de blessant.

L'honorable M. Dumortier continue à penser plus que jamais que la liberté commerciale est une chose funeste, déplorable, calamiteuse pour le pays ; je me bornerai à le renvoyer à une assemblée qui pense tout autrement, et à la conversion de laquelle il trouverait un noble sujet d'employer son énergie toujours croissante, c'est la chambre de commerce de Roulers, qui se fait entre toutes, remarquer par son libéralisme commercial.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'amendement de M. Pirmez.

MfFOµ. - Messieurs, il ne faut pas qu'il y ait d'équivoque. J'ai dit que je ne voyais pas de différence entre le texte proposé par le gouvernement et celui que propose l'honorable M. Pirmez.

- Un membre. - Maintenez votre texte.

MfFOµ. - Mais il y aurait certainement équivoque si l'on adoptait l'amendement à la suite de la déclaration que je viens de rappeler.

Si l'on veut avoir un vote sur la question soulevée par l'honorable M. Pirmez, que l'on mette son amendement aux voix en y attachant le sens qui résulte des motifs donnés par l'honorable membre en faveur de sa proposition.

Il veut, dit-il, modifier l'article 1154 du Code civil, il veut le modifier par son amendement, mais sans introduire dans le projet une disposition formelle dans ce but ; il veut que cette modification soit implicitement reconnue.

Eh bien ! je n'admets pas ce mode de faire des lois et de modifier les principes consacrés par nos Codes ; des modifications ayant de telles conséquences, ne peuvent être admises qu'après examen et discussion, et doivent nécessairement faire l'objet d'une disposition expresse et catégoriquement formulée.

Quant à moi, je maintiens le projet de loi tel qu'il a été proposé, c'est-à-dire l'abrogation pure et simple de la loi de 1807.

- Plusieurs membres. - A demain !

- D'autres membres. - Aux voix ! aux voix !

- La Chambre décide qu'elle votera immédiatement.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- La proposition de M. Pirmez est mise aux voix par appel nominal.

63 membres prennent part au vote.

14 adoptent.

49 rejettent.

En conséquence la proposition n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. de Muelenaere, de Naeyer, de Rongé, Devroede, Le Hardy de Beaulieu, Pirmez, Sabatier, Van Overloop, Beeckman, Coomans, Couvreur de Conninck, Delaet et de Macar.

Ont voté le rejet : MM. de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, Dewandre, de Woelmont, Dumortier, d'Ursel, Frère-Orban, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lesoinne, Lippens, Magherman, Mascart, Mouton, Muller, Orts, Reynaert, Rogier, Tesch, Thibaut, Thienpont, Valckenaere, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Renynghe, Warocqué, Wasseige, Bara, Carlier, Crombez, David, de Bast, de Borchgrave, de Florisone, De Fré, de Kerchove, Delcour, de Mérode, de Moor et Moreau.

- L'article du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. le président. - Messieurs, j'ai l'honneur de rappeler à la Chambre qu'elle a décidé de se réunir demain en sections pour examiner le projet de loi sur le temporel des cultes. Les présidents fixeront l'heure de la réunion.

Demain séance à 2 heures.

- La séance est levée à 5 1/4 heures.