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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 février 1865

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. Moreau, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 581) M. de Florisone, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des administrateurs, industriels et négociants à Châtelet présentent des observations relatives au chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et Châtelineau, dont la concession est demandée par les sieurs Hans. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le collège des bourgmestre et échevins de la ville d'Ypres transmet à la Chambre le sixième volume de l'inventaire analytique de ses archives. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« MM. E. Primez et Hayez demandent des congés d'un jour. »

- Accordés.


Projet de loi sur les sucres

Rapport de la section centrale

M. Valckenaereµ dépose le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les sucres.

Projet de loi portant des modifications à la loi communale

Rapport de la section centrale

M. Dumortier dépose le rapport sur les amendements présentés au projet de loi portant des modifications à la loi communale.

Rapport sur une pétition

M. Jacquemyns dépose le rapport de la commission permanente d'industrie sur le projet relatif à remploi de l'eau de mer pour l'usage des raffineries de sel.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Ordre des travaux de la Chambre

M. Rodenbach. - Tous les ans, à cette époque, la Chambre se donne un congé.

J'ai l'honneur de proposer que nos travaux parlementaires ne reprennent que mardi, 7 mars prochain.

- Adopté.

Motion d’ordre

M. Wasseige (pour une motion d’ordre). - J'aurai l'honneur de demander à M. le ministre des travaux publics s'il a connaissance de l'accident qui vient d'avoir lieu sur le chemin de fer du Luxembourg. Si mes renseignements sont exacts, trente-deux waggons chargés de marchandises se sont détachés du train vers la station de Naninne et ont rapidement descendu la rampe qui part de la station de Namur. Sans la présence d'esprit d'un garde-excentrique, les plus grands malheurs auraient été à redouter. Un homme a néanmoins perdu la vie, et les pertes matérielles sont considérables.

Les accidents sont d'ailleurs fréquents sur cette voie ; il y a peu de temps, un homme a encore péri à Natoye par suite de l'imprudence d'un garde-convoi. Un éboulement considérable a eu lieu à Poix, d'autres éboulements sont, dit-on, imminents et dans la tranchée de Rhisnes à Namur entre autres, des quartiers de roche surplombent la voie et exposent chaque jour la vie des voyageurs, surtout dans les moments de dégel. Enfin la voie est encombrée et le service est pour ainsi dire interrompu, au grand détriment des intérêts du commerce et de l'industrie.

Le gouvernement a cependant le droit, et il a par conséquent le devoir de faire inspecter toutes les ligues concédées au point de vue de la sécurité des voyageurs et de la bonne organisation du service. Je prie l'honorable ministre de nous faire connaître si les renseignements de ses agents sont conformes à ceux que j'ai reçus moi-même, et s'il en est ainsi, je l'engage de donner les ordres les plus rigoureux pour que les précautions le plus sévères soient prises afin d’éviter autan que possible les tristes accidents et les faits regrettables que je signale. Je suis convaincu que la sollicitude de l'honorable ministre s'étend à la ligne du Luxembourg comme à toutes les autres ; mais le public se plaint, il est inquiet, il paraît redouter l’influence de certain administrateur dans les conseils du gouvernement. (Interruption.)

M. Bouvierµ. - Ce sont des personnalités.

M. de Moorµ. - Ce sont des insinuations.

M. Wasseige. - Il peut craindre au moins que les nombreuses et importantes fonctions dont est chargé cet administrateur...

- Voix à gauche. - Allons donc !

M. Wasseige. - ... ne nuisent au temps et aux soins qu'il peut consacrer à chacune d'elles. C'est pour mettre l'honorable ministre des travaux publics à même de faire cesser ces inquiétudes que j'ai cru devoir lui adresser mon interpellation.

M. de Moorµ. - Je ne demanderai qu'un seul renseignement à M. le ministre des travaux publics. Je lui demanderai si, eu égard à la longueur de la ligne du Luxembourg, il y a sur cette ligue plus d'accidents que sur les autres.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je n'ai pas encore officiellement connaissance de l'accident qui vient de se produite sur la ligne du Luxembourg. Je crois, messieurs, d'après les informations officieuses que j'ai reçues jusqu'ici, - c'étaient les seules qu'il me fût possible de recueillir eu égard au peu de temps qui s'est écoulé depuis l'accident, - que les faits se sont passés comme vient de le dire l'honorable M. Wasseige. Un train de marchandises, fortement chargé, a descendu une pente rapide à la suite de la rupture d'une chaîne d'attache.

C'est là un accident qui peut arriver tous les jours et sur toutes les lignes.

S’il y avait sur la ligne du Luxembourg plus d'accidents que sur d'autres, c'est un fait qui pourrait s'expliquer par cette circonstance qu'il n'y a pas de ligne construite dans les mêmes conditions de pentes et de rampes ; eu égard à la configuration du sol, la ligne du Luxembourg présente, en effet, des pentes et des rampes qui ne se rencontrent nulle part ailleurs. On comprendrait donc qu'il pût s'y produire plus d'accidents que sur d'autres lignes.

Or, en fait, messieurs, je dois faire remarquer que c'est exactement le contraire qui est vrai : il y a sur la ligne du Luxembourg moins d'accidents qu'ailleurs. J'affirme le fait ; il est facile de le prouver : des statistiques sont tenues des accidents qui ont lieu sur toutes les lignes. Eh bien j'affirme, sans crainte d'être démenti, qu'il y a moins d'accidents sur la ligne du Luxembourg que sur les autres.

Je ne me souviens pas qu'un seul voyageur ait été tué ou blessé sur la ligne du Luxembourg.

Voilà le fait.

M. Wasseige. - Je viens d'en citer un.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je parle de voyageurs, et l'accident dont vous entretenez la Chambre est arrivé à un convoi de marchandises.

M. de Moorµ. - Cet accident est de ceux qui peuvent arriver tous les jours sur les lignes de l'Etat comme sur les autres.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Je répète que je ne me souviens pas qu'un seul voyageur ait été tué ou blessé sur la ligue du Luxembourg et qu'il n'est pas possible d’avoir moins d'accidents qu'on n'en a constaté jusqu'à ce jour.

Messieurs, l'honorable membre m'a demandé aussi si je faisais surveiller la ligne du Luxembourg comme les autres ; si je ne subissais pas l'influence d'un administrateur considérable et qui se trouve être, en même temps, membre du cabinet. (Interruption.) Messieurs, je tiens à m'expliquer.

M. Bouvierµ. - C'est le motif de la motion.

M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - C’est une raison de plus pour que je m'explique sur le soupçon que l'honorable membre vient de traduire à cette tribune.

Quand je suis entré dans le cabinet, je me suis dit que ce soupçon pouvait naître dans certains esprits.

J'ai donc voulu agir vis-à-vis de la compagnie du Luxembourg avec plus de sévérité que vis-à-vis des autres compagnies. J'ai voulu, de plus, qu'il en restât trace dans les documents administratifs.

Je mets tous les dossiers de mon administration à la disposition de l'honorable membre et de tous les membres de l'assemblée qui voudraient vérifier l'assertion que je viens de produire.

En ce qui concerne spécialement l'éboulement dans la tranchée de (page 582) Poix ; aussitôt que la nouvelle m'en est parvenue, j'ai immédiatement, et sans prévenir la compagnie du Luxembourg, envoyé sur les lieux une commission composée d'ingénieurs. Eh bien, cette commission a constaté que l'accident était dû à la nature du terrain, qu'il y avait certaines précautions à prendre pour l'avenir, et ont pu constater, et ici j'ai un rapport officiel, que les indications quaut aux mesures de précaution à arrêter étaient du reste superflues, puisque ces mesures avaient été prises spontanément par la compagnie.

Voilà comment se présente cette affaire, et je pense que les explications que je viens de donner paraîtront satisfaisantes à la Chambre.

M. Wasseige. - Je ferai tout d'abord remarquer à l'honorable ministre des travaux publics que je n'ai nullement voulu faire planer sur lui le soupçon de subir l'influence de son collègue le ministre administrateur ; j'ai dit tout le contraire, mais j'ai ajouté que le public pourrait le croire et que c'était pour le mettre à même de détromper le public et de calmer les inquiétudes, que je lui avais adressé mon interpellation. Quant aux accidents arrivés sur la ligne du Luxembourg, je ferai remarquer à l'honorable ministre qu'il se trompe, lorsqu'il affirme qu'aucun voyageur n'a perdu la vie sur la route du Luxembourg. Je pense bien que la victime de l'accident arrivé à Natoye était un voyageur. Si la configuration du sol du Luxembourg a nécessité des rampes plus fortes, des remblais plus droits, des déblais plus considérables, ce qui aurait pu être évité peut-être par plus de sévérité de la part du gouvernement, c'est du moins une raison décisive pour prendre sur cette ligne plus de précautions que sur toutes les autres, et c'est ce que j'engage l'honorable ministre à faire.

M. Bouvierµ. - Messieurs, je fais partie de ce public qui est si inquiet d'après le langage de l'honorable M. Wasseige, je suis souvent tenu de prendre le chemin de fer du Luxembourg pour retourner dans mes foyers ; je vous déclare que, quoique faisant partie du public, je ne suis nullement inquiet, et je dois proclamer dans cette enceinte que le service de ce chemin de fer se fait actuellement dans d'excellentes conditions de sécurité et de rapidité.

Voilà ce que j'ai l'honneur de déclarer à la Chambre dans l'intérêt de la vérité.

Si des accidents sont arrivés, M. le ministre des travaux publics vient de déclarer qu'il a immédiatement envoyé sur les lieux un ingénieur pour s'enquérir de l'état des choses ; mais l'honorable M. Wasseige a pris occasion de ces accidents pour faire une personnalité à l'adresse de l'honorable ministre de la justice, que je qualifie, pour ma part, de méchante.

M. Wasseige. - Le règlement et moi vous défendons de qualifier mes intentions ; et je demande que vous retiriez cette expression.

M. le président. - J'engage l'orateur à retirer l'expression : « méchante ».

M. Bouvierµ. - Je ne retire rien.

M. Wasseige. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Messieurs, quand, en acquit de ma conscience, je viens remplir un devoir envers les commettants qui m'ont transmis leurs plaintes et leurs griefs, je n'ai de conseil à demander à personne sur la manière de remplir mon mandat, et je n'autorise personne à dire que je me permets des insinuations et que j'ai des intentions méchantes, envers qui que ce soit. Quand j'ai à blâmer, je blâme, et je l'ai déjà fait ici. Dire que j'ai en cela des intentions méchantes, c'est là une imputation malveillante qui est condamnée par le règlement.

Je demande donc que l'honorable M. Bouvier retire son expression ou je réclame son rappel à l'ordre.

Je compte sur l'impartialité de M. le président pour faire respecter le règlement à l'égard d un membre de la minorité comme il le ferait à l'égard d'un membre de la majorité.

M. le président. - Le règlement défend l'imputation de toute intention mauvaise ; je crois, M. Bouvier, que l'expression dont vous vous êtes servi n'est pas parlementaire ; le règlement ne vous permet pas de qualifier de méchante l'intention qu'a eue M. Wasseige, en faisant son interpellation ; mirez-vous cette expression ?

M. Bouvierµ. - Puisque le règlement est tel, je m'y soumets, et je retire l'expression.

M. le président. - L'expression est retirée.

- L'incident est clos.

Projet de loi relatif à l’exercice du droit u en fait de vérification des pouvoirs de membres de la représentation nationale

Second vote des articles

Articles 3 et 4

- Les amendements introduits dans les articles 3 et 4 sont successivement mis aux voix et définitivement adoptés.

Article 9

« Art. 9. Le coupable de faux témoignage, l'interprète et l'expert coupables de fausses déclarations, le coupable de subornation de témoins, d'experts ou d'interprètes seront punis d'un emprisonnement de deux mois à trois ans et privés de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.

« Lorsque le faux témoin, l'expert ou l'interprète aura reçu de l'argent, une récompense quelconque ou des promesses, il sera condamné de plus à une amende de 50 francs à 5,000 francs.

« La même peine sera appliquée au suborneur, sans préjudice des autres peines.

« Le faux témoignage est consommé dès l'instant où le témoin, ayant entendu la lecture de sa déposition, y persiste et signe ou déclare ne pas savoir signer. »

M. le président. - Je pense que nous devons procéder ici par division et statuer d’abord sur le premier amendement, celui qui a été introduit dans les paragraphes 2 et 3.

- Cet amendement est mis aux voix et définitivement adopté.

M. le président. - L'amendement suivant vient d'être déposé sur le bureau :

« Si le témoin est rappelé pour être réentendu, le délit ne sera consommé qu'après la dernière déposition.

« (Signé) Pirmez, Hymans et Dewandre. »

M. Hymans. - Messieurs, je n'aurai que très peu de mots à dire à l'appui de cet amendement. La Chambre adoptant une proposition de l'honorable M. Thonissen, conforme à l'opinion exprimée par l'unanimité de la section centrale, a décidé que le faux témoignage serait considéré comme consommé dès l'instant que le témoin, comme en matière civile, aurait persisté dans sa déposition et l'aurait signée.

Cet amendement, messieurs, me paraît et vous a paru de nature à assurer l'efficacité de l'enquête. Vous avez tous pensé que si le témoin, dans une matière spéciale, où il ne subit pas l'influence et le prestige d'une cour ou d'un tribunal, était admis à se rétracter encore après qu'il a signé sa déposition, alors qu'il est devenu complètement étranger à l'enquête, la découverte de la vérité serait compromise.

Toutefois, il peut se présenter des cas dans lesquels on peut se départir de cette rigueur, le cas de confrontation, par exemple.

Si vous décidez d'avance que le témoin ne peut échapper à des poursuites en se rétractant, qu'il ne peut plus réparer sa faute, il y aurait grand danger de le voir persister dans sa déposition.

Je crois donc qu'il serait utile de l'admettre à se rétracter s'il est rappelé devant la commission pour être entendu de nouveau. De la sorte, vous concilierez l'intérêt du témoin avec celui de l'enquête.

Je pense, messieurs, que ces quelques mots suffiront pour faire apprécier la portée de l'amendement.

- L'amendement est appuyé, il fera partie de la discussion.

M. Nothomb. - Messieurs, quand l'amendement de l'honorable M. Thonissen s'est produit dans cette enceinte, j'avoue que je ne me suis levé ni pour ni contre. Il a été introduit un peu à l’improviste, adopté sans discussion suffisante ; il m'avait laissé beaucoup de doute sur sa portée. Aujourd'hui, après y avoir réfléchi, je le combats.

Mon honorable ami, dans l'amendement qu'il a fait approuver, s'éloignant complètement des principes ordinaires du droit criminel, veut que le faux témoignage sera censé accompli du moment que la déposition aura été lue et signée et le procès-verbal clos.

Rien d'après moi ne justifie une dérogation aussi absolue aux règles du droit criminel qui dominent cependant toute la loi que nous faisons, car veuillez-le remarquer, la loi se réfère partout au code d'instruction criminelle, qui en est la base dans les dispositions essentielles.

En effet, il y est dit que la commission d'enquête ou la Chambre sont investies des pouvoirs attribués par le Code d'instruction aux juges d'instruction ; ce magistrat peut recevoir une délégation de la commission ; les témoins sont entendus comme en matière criminelle, leurs dépositions sont recueillies de la même manière ; en un mot, il est évident que sous ce rapport le projet n'est qu'une extension de la procédure criminelle ordinaire. J'ai donc bien le droit de me demander : Pourquoi, à propos de faux témoignage, s'écarter aussi complètement des règles de la matière ?

(page 583) Les deux systèmes, il faut le reconnaître, sont absolus. L'un qui consiste, comme le fait l'amendement, à considérer le faux témoignage comme accompli du moment que la déposition aura été signée, l'autre qui attend la clôture définitive de l'enquête pour admettre qu'il y a faux témoignage.

En présent de deux systèmes aussi exclusifs, je m'étais moi-même demandé s’il n'y avait pas à chercher une position intermédiaire, et si l'on ne pouvait pas, par exemple, laisser au témoin qui avait parlé, dont la déposition avait été signée, un délai de quelques jours, avant de prononcer la clôture définitive du procès-verbal qui relate sa déclaration, si on ne pouvait pas lui laisser un délai de grâce, trois on quatre jours de répit pour revenir à résipiscence ?

Ce système présentait cependant des inconvénients, en ce qu'il affaiblissait la certitude de l'enquête, en ce que les débats devraient être clos avant l'expiration du délai et qu'ainsi le témoin n'aurait pas pu jouir du bénéfice que je voulais lui donner, et surtout parce que les opérations de la commission étaient frappées par là d'un caractère trop provisoire.

L'amendement de l'honorable M. Hymans s'inspire de la même pensée et présente également des inconvénients : il faut que le témoin soit rappelé, confronté, on lui enlève ainsi le bénéfice de la spontanéité.

Pour rappeler un témoin, il faudra des motifs très graves, suspecter sa déposition ; et comment veut-on que la commission ou le magistrat délégué puissent toujours apprécier quand il y a lieu de faire ce réappel du témoin ?

Il faut en cette matière plus qu'en toute autre, laisser au témoin le bénéfice de la réflexion et du repentir. Puisqu'on le fait en matière criminelle ordinaire, il faut le faire à plus forte raison eu matière d'enquête électorale, où les passions politiques peuvent influencer le témoin, où les erreurs et les malentendus sont si faciles, où l'on peut être amené, sans intention méchante, à s'écarter de la vérité, ou à l'interpréter de travers.

Nous sommes placés en présence de deux systèmes : l'un qui ferme immédiatement la porte à la rétractation, c'est celui de l'amendement ; c'est un système trop sévère, presque inexorable et qui tournera contre le but qu'on veut atteindre, la découverte de la vérité. Si l'on ne permet pas au témoin de rectifier ce qu'il a dit, de se rétracter, il sera obligé, sous peine de se trahir lui-même, de maintenir quand même sa déposition et ainsi encore on restera sous l'erreur et la vérité échappera. L'autre système, qui laisse le caractère de la déposition indécis jusqu'à la fin de l'enquête, présente cet autre inconvénient que, jusqu'à la fin de l'enquête, une sorte d'incertitude pèsera sur elle. Les résultats peuvent en être modifiés jusqu'au dernier moment. Mais qu'importe, si c'est la vérité qui en ressort ? C'est le but qu'on poursuit.

Mais des deux systèmes également exclusifs, le premier me semble présenter le plus de danger, car c'est celui-là qui met le témoin dans l'impossibilité de revenir sur ses pas, de rectifier sa déclaration pour ne pas encourir la peine du faux témoignage ; ce système le condamne à perpétuer son mensonge. Voilà le danger.

Je ne puis, voir ici aucune bonne raison de déroger au droit criminel ordinaire qui, chose bien extraordinaire, est plus doux, plus favorable au témoin que la loi que nous discutons. Je sais bien qu'on a invoqué ce qui se passe en matière civile. Mais on y a attaché trop d'importance et même en matière civile, le faux témoignage n'est pas toujours consommé du moment que le procès-verbal est clos ; il y a à cet égard des opinions contradictoires.

On fait des distinctions, et, si je ne me trompe, il a été jugé que, même en matière civile, au moins pour certains cas, le faux témoignage n'est pas consommé tant que l'enquête n'est pas close.

Je vois l'honorable ministre de la justice faire un signe de dénégation ; je crois cependant être dans la vérité ; tant que l'enquête n'est pas définitivement close, il n'y a pas de faux témoignage. (Interruption.)

La jurisprudence, à cet égard, n'est pas concordante ; je crois avoir lu dans Dalloz au mot « Faux témoignage », que dans certains cas, aussi longtemps que l'enquête n'est pas terminée, le faux témoignage, même en matière civile, n'est pas consommé, et cela me paraît juste et raisonnable.

En définitive, je n'aperçois pas la nécessité d'innover ; nous faisons une loi qui a son point de départ dans le code d'instruction criminelle, et qui a pour but de constater des délits. Restons dès lors dans le droit commun ordinaire ; laissons aux tribunaux le soin d'en appliquer les règles. Ce sera le plus sûr. Ce sera aussi le plus humain, car le droit commun est ici le plus favorable et les meilleures lois sont toujours celles où l'humanité prévaut,

Je vote contre tout amendement et demande le maintien de la législation pénale ordinaire.

M. Van Humbeeck. - Je viens combattre l'amendement qu'a proposé l'honorable M. Thonissen et que la Chambre a adopté par un premier vote ; je ne me rallie pas non plus à l'amendement déposé par M. le rapporteur, bien que je convienne que cet amendement efface plusieurs des conséquences fâcheuses que pouvait avoir le premier.

J'apporte, à la défense de ma thèse, la ferveur d'un nouveau converti ; j'ai été de l'avis de M. Thonissen. La forme qui devra être suivie dans la plupart des enquêtes parlementaires me faisait croire que le système de l’honorable membre pouvait seul lever de grandes difficultés. Je ne suis plus de cet avis aujourd'hui ; la question est assez difficile pour que je puisse avouer un changement d'opinion ; elle est assez grave pour que je croie devoir soumettre à la Chambre les réflexions qu'elle m'a suggérées.

Remarquons d'abord que l'amendement présenté par M. Thonissen constitue une innovation des plus radicales. On veut déterminer, dans la loi, à quel moment sera consommé le faux témoignage dans une enquête parlementaire ; or, en matière civile et en matière criminelle, la loi n'a jamais cru devoir indiquer à quel moment le crime de faux témoignage serait consommé pas plus qu'elle n'a cru devoir indiquer avec quelque précision quels seraient les éléments constitutifs de ce crime.

C'est la doctrine, c'est la jurisprudence qui sont venues les déterminer en s'inspirant de cette circonstance que le faux témoignage n'est qu'une variété du faux et doit réunir les mêmes éléments constitutifs, c'est-à-dire l'altération de la vérité, l'intention frauduleuse et le préjudice causé ou possible. La seule différence résulte de cette condition spéciale que l'altération doit avoir lieu dans un témoignage. De ces divers éléments du crime, il n'en est qu'un que nous ayons à prendre en considération pour le débat actuel ; c'est le préjudice causé ou possible. C'est de la nécessité d'admettre dans le crime cet élément qu'on a conclu en général que le témoin ne peut pas être poursuivi en matière répressive, s'il rétracte son faux témoignage avant la clôture des débats.

Messieurs, cette conclusion n'indique nullement qu'on crée un droit en faveur du faux témoin ; elle signifie tout simplement que si une occasion se présente pour le témoin de se rétracter et, cette occasion se présentant, s'il en profite, le crime après avoir été consommé disparaîtra.

L'occasion se présentera si l'accusation, si la défense ou si enfin le juge trouve que l'intérêt de la découverte de la vérité exige que le témoin soit de nouveau entendu. Dans ce cas-là on trouve plus d'avantage à voir disparaître du débat un doute qui s'y était introduit qu'à infliger une peine à celui qui avait amené ce doute.

A certains points de vue, on comprendrait une peine contre le faux témoin même quand celui-ci se rétracte. A certains points de vue, ou pourrait dire que par un faux témoignage, même rétracté postérieurement, un intérêt social a été compromis, qu'il y a une alarme jetée dans la société, alarme qui résulte de ce qu'une erreur judiciaire a failli être commise. Mais cet intérêt social disparaît devant un intérêt beaucoup plus élevé, devant l'intérêt d'assurer, au cas spécial, la justice dans la répression. Cet intérêt-là est supérieur à tout autre ; en faveur de cet intérêt il faut admettre 1a rétractation du faux témoin. Mais toutes ces conséquences que j'indique ne se produisent, je le répète, que si l'accusation, la défense ou le juge trouve qu'une nouvelle audition du témoin est indispensable.

Je suppose maintenant le cas contraire : ni l'accusation, ni la défense, ni le juge ne croient convenable d'amener un nouvelle audition ; alors le témoin ne peut, dans son intérêt personnel, - et cela est incontestable, - demander à être entendu de nouveau. Il ne le peut, je le dis encore, parce que c'est sur un intérêt social qu'on est appelé à statuer, parce que le devoir du témoin est de donner à la société tous les renseignements de nature à la mettre en possession de la vérité. Il a manqué à un devoir ; il ne peut pas faire naître un droit de cette faute.

Ce droit n'existe pas en faveur du témoin considéré personnellement. Ce témoin peut profiter d'une chance heureuse pour lui si elle se présente, mais il ne peut pas se prévaloir d’un prétendu droit de rétractation pour demander à être entendu de nouveau. Tout cela paraît un peu être de la théorie pure ; mais en droit criminel, la théorie la plus abstraite en apparence a des conséquences pratiques ; quelques exemples brièvement indiqués en donneront la preuve immédiate.

Je suppose qu'un témoin fasse une fausse déposition devant une cour d'assises ; on le met en état d'arrestation.

La cour, après en avoir délibéré, ordonne le renvoi de l'affaire principale à une autre session ; dans l'intervalle des deux sessions, le témoin mis en état d'arrestation comparaît devant les juges appelés à statuer sur le faux témoignage. Croyez-vous que le témoin puisse venir dire au (page 584) tribunal répressif devant lequel il comparait : Le débat n'est pas clos, l’affaire a été renvoyée à une autre session, j'irai devait une autre cour d'assise dire la vérité après avoir d'abord menti. Evidemment pas un tribunal ne trouvera là un motif d'absoudre le faux témoin ou même d’en différer le jugement.

Voilà une première conséquence de cette théorie.

Dans d’autres circonstances, il sera bien plus évident encore qu'il n'y a pas pour le témoin de droit de rétractation. Je suppose qu'un faux témoignage se soit produit dans une affaire correctionnelle ; on arrête ce témoin ; l'affaire principale est remise à une antre audience. Dans l’intervalle des deux audiences l'instruction s'est faite sur le faux témoignage, le faux témoin comparaît devant le tribunal appelé à statuer sur son sort.

Là il ne pourra pas plus que dans le premier cas que je citais tout à l'heure, demander que son jugement soit différé jusqu'à ce qu'il ait été entendu dans l'affaire principale.

Pas plus dans ce cas que dans le premier il n'y a de droit pour le témoin à se rétracter ; il y a plus, le président d'une cour d'assises pourrait même refuser d'entendre un témoin qui demanderait à se rétracter, s'il jugeait que la fausse déposition n'a jeté aucun doute dans le débat, parce qu'il a le droit d'élaguer tout ce qui ne peut pas contribuer à la découverte de la vérité.

Messieurs, une confusion entre un prétendu droit du témoin et la faculté pour lui de profiter d'une chance heureuse me paraît être précisément la cause de l'erreur de l'honorable auteur de l'amendement et de ceux qui l'ont appuyé.

L’honorable M. Coomans, si j'ai bon souvenir, paraissait croire que la faculté de rétractation admise dans certains cas partait d'un sentiment de bienveillance pour les faux témoins et qu'il ne fallait pas que ce sentiment fût pris en considération par nous dans la rédaction de la loi nouvelle.

L'.honorable M. de Theux disait, je pense : Il ne faut pas qu'un témoin entendu dans une enquête parlementaire puisse commencer par mentir ; il ne faut pas qu'il ait une retraite assurée dans le cas où son mensonge viendrait à être découvert et pourrait le compromettre.

Pour ceux qui tiennent compte, comme il le faut, de cette distinction entre un droit et la simple faculté de profiter d'une bonne chance, il est évident que le témoin ne peut se présenter dans une enquête croyant qu'il a le droit de mentir ; ce serait une erreur de sa part, une appréciation erronée de la loi, dont nous ne devons pas nous préoccuper.

Encore une fois, il n'y a point là de droit ; il y a, en matière criminelle, une faculté tout à fait éventuelle de rétractation, fondée sur ce qu'il y a deux intérêts sociaux en présence et sur ce que la rétractation permet de sauvegarder le plus précieux en sacrifiant le moindre.

En matière civile, la situation change du tout au tout. En matière civile, la preuve testimoniale est une exception ; elle est une exception parce qu’elle constitue un danger ; et parce qu'elle est une exception, un danger, on cherche à la restreindre ; on lui ouvre une porte, que l'on fait aussi étroite que possible.

On dit quand elle pourra pénétrer dans la procédure par cette porte qu'on lui ouvre et on dit aussi quand elle aura à en sortir ; elle doit commencer dans un certain délai et finir dans un autre ; les souvenirs du témoin doivent être rafraîchis avant l'audition par une signification des faits qui lui est adressée ; mais ce qui différencie surtout la situation au point de vue général, dont nous devons ici nous préoccuper, c'est que là, en présence de l'intérêt social qui veut qu'un témoin appelé devant la justice dise la vérité et soit punissable s'il ne la dit pas, on ne trouve plus, comme en mature criminelle, un autre intérêt social, mais seulement un intérêt purement privé.

Dans ces conditions tout à fait autres que celles qui existent en matière criminelle, on a voulu la consignation des dépositions par écrit, on a voulu que ces dépositions fussent toujours irrévocables, et on n'a pas admis l’éventualité, la possibilité d'une rétractation.

Ce qui différencie donc la situation en dernière analyse, c'est que, dans un cas, deux intérêts sociaux sont en présence, dont en certaines circonstances, on sauvegarde le plus précieux pour sacrifier le moindre ; c'est que dans l'autre cas, nous trouvons en présence un intérêt social et un intérêt privé, et que l'intérêt social prime alors l'intérêt privé.

Cette situation ainsi définie, nous avons à nous demander quel est des deux cas celui qui présente le plus d'analogie avec le témoignage en matière d'enquête parlementaire.

Messieurs, il est évitent que c'est dans le faux témoignage en matière criminelle, que nous rencontrons le plus d'analogie avec le faux témoignage tel qu'il apparaît dans les enquêtes parlementaires. Dans l'enquête parlementaire, comme dans une instruction criminelle, le but est de sauvegarder un intérêt social. Le but de l'enquête parlementaire est de sauvegarder la sincérité du scrutin. Le faux témoignage compromet le but que l'enquête parlementaire veut atteindre. Il y a donc un intérêt social à punir le coupable de faux témoignage. Mais il y a, comme dans l'enquête en matière criminelle, un intérêt social beaucoup plus grand d'assurer la découverte de la vérité et par suite la sincérité du scrutin.

Ainsi, comme en matière criminelle, nous voyons dans les enquêtes parlementaires, deux intérêts sociaux en présence, et encore une fois de ces deux intérêts nous devons sauvegarder le plus élevé, le plus précieux.

Donc, comme en matière criminelle, nous devons admettre la rétractation et sacrifier l'intérêt moindre à l'intérêt plus grand. Donc aussi, comme en matière criminelle, nous devons admettre la rétractation, non comme un droit pour le témoin, mais comme une éventualité dont il pourra profiter si les nécessités de l'enquête exigent qu'il soit entendu de nouveau.

Or, l'amendement de M. Thonissen exclut la rétractation, et à ce premier point de vue il a déjà des conséquences trop fâcheuses pour que je puisse m'y rallier.

J'ai dit, messieurs, que ce qui pouvait avoir égaré les partisans de l'amendement, c'est qu'ils s'étaient préoccupés trop exclusivement de la forme dans laquelle l'enquête parlementaire se fera, non pas toujours, mais dans la plupart des cas. La forme qui sera adoptée le plus souvent sera la forme écrite ; le plus souvent, en effet, l'enquête se fera devant une commission, ou l'enquête se faisant même devant la Chambre entière, elle se prolongera pendant assez longtemps pour qu'on ait intérêt à revoir, à tête reposée, les renseignements recueillis,

Mais ce cas ne sera pas toujours celui qui se présentera. On peut faire une enquête pour un objet excessivement restreint, il peut se faire que le sort d'une vérification de pouvoir dépende d'un seul fait qui peut être élucidé à l'aide de peu de témoignages et pour lequel les témoignages devront avoir peu d'étendue.

Or, dans ce cas, qu'est-ce qui empêcherait qu'un certain nombre de témoins comparussent devant la Chambre assemblée, et que ces témoins ayant été entendus sans qu'il fût tenu note de leur déposition, la Chambre se prononçât séance tenante sur le résultat de cette enquête ? Rien ne l'empêche, puisque nous avons eu soin, et c'est le point de départ du projet, de nous réserver tout ce qui est de notre pouvoir réglementaire ; nous n'introduisons en effet dans le projet que des sanctions pénales, qui aux termes de la Constitution doivent être établies par une loi.

Evidemment, dans ce cas, l'instruction écrite est inutile, et cependant le faux témoignage qui se produirait dans de pareilles conditions aurait la même importance que dans l'enquête consignée par écrit.

Or, qu'arriverait-il ? C'est que, d'après la rédaction de l'amendement de l'honorable M. Thonissen, le faux témoignage dans ce cas jouirait d'une impunité parfaite ; l'amendement en effet part de ce point que la signature donnée au bas d'une déposition écrite, est un élément indispensable de culpabilité.

Si diverses conséquences de l'amendement de l'honorable M. Thonissen sont effacées par l'amendement des honorables MM. Hymans, Dewandre et Pirmez, celle-ci subsiste avec l'un comme avec l'autre. Ace point de vue, je ne puis admettre l'amendement nouveau qui, quoique modifiant celui de l'honorable M. Thonissen quant à quelques-unes de ses conséquences fâcheuses, suppose cependant aussi la nécessité, pour tous les cas, d'une procédure écrite.

L'amendement de l'honorable M. Thonissen a bien d'autres inconvénients que celui qui lui est commun avec l'amendement des honorables MM, Hymans, Dewandre et Pirmez ; l'amendement de M. Thonissen crée dans la loi même une contradiction. Alors que, d'après l'article 4 de cette loi, nous nous attribuons tous les pouvoirs qui sont dévolus aux juges d'instruction, nous venons nous enlever la plus grande partie de ces pouvoirs par l'article 9, tel qu'il a été amendé par l'honorable M. Thonissen.

Le moyen le plus efficace qui est mis à la disposition du juge d'instruction, c'est la confrontation ; dans l'amendement de l'honorable M. Thonissen, la confrontation devient impossible ; en effet, si le témoin a été entendu dans sa déposition, s'il a déclaré y persister et s'il l'a signée, le faux témoignage est consommé ; mais alors vous ne pouvez plus rappeler honnêtement ce témoin pour lui demander s'il n'a pas menti dans sa première déposition ; vous l'interrogeriez sur un fait personnel et délictueux ; or, de pareils interrogatoires ont été condamnés avec raison dans le cours de cette discussion et par M. le ministre de la justice et par l'honorable M. Thonissen lui-même.

(page 585) En définitive donc l'amendement de l'honorable M. Thonissen, en voulant être sévère pour les faux témoignages, n'aboutit qu'à entraver la Chambre dans l'usage de ses prérogatives.

Je le combats d'abord parce qu'à mes yeux la possibilité d'une rétractation est indispensable pour que nous puissions arriver à la découverte de la vérité et que c'est là un intérêt social supérieur même à la répression du faux témoignage, que l'amendement de l’honorable M. Thonissen a exclusivement pour objet d'assurer.

Je le combats encore comme portant une autre atteinte aux prérogatives parlementaires, parce qu'il assujettit la Chambre, à priori, dans toutes les éventualité», à une procédure que la loi n'impose que dans les matières où la preuve testimoniale est considérée comme une exception et comme un danger.

Je le combats enfin parce qu'il place la Chambre dans l'impossibilité de mettre honnêtement en présence deux témoins qui se sont contredits pour rechercher lequel des deux a dit la vérité.

A cet amendement, que je combats, faut-il essayer d'en substituer un autre ?

Je ne le crois pas ; et la tentative faite par les honorables MM. Hymans, Dewandre et Pirmez me confirme plus que jamais dans cette opinion. Il y a lieu ici, comme en matière criminelle et en matière civile, de laisser à la jurisprudence le soin de sa tâche. Les principes généraux du droit suffisent pour que toutes les difficultés qui se présenteront, puissent être résolues.

Si, on juge à propos de confronter des témoins, si on croit devoir rappeler, dans le cours de l'enquête, ceux qui ont déjà été entendus, leur rétractation peut vous faire seule peut-être découvrir enfin la vérité ; à cet avantage vous ne devez pas hésiter à sacrifier la répression d'un faux témoignage.

Les principes que j'ai exposés, je les crois incontestables ; ils n'ont pas donné lieu à de grands embarras en matière criminelle ni en matière civile ; ils suffisent pour résoudre toutes les hypothèses et nous n'avons pas besoin d'ajouter à leur force par un texte dangereux dans lequel nous ne sommes pas certains de prévoir toutes les hypothèses.

Nous sommes législateurs ; taisons-nous pour laisser dans le domaine de la jurisprudence les appréciations que la force des choses semble devoir lui réserver exclusivement.

C'est le cas de nous inspirer d'un proverbe arabe, dont on a fait un alexandrin français :

« La parole est d'argent, mais le silence est d'or. »

M. de Brouckere. - Messieurs, la question qui se débat en ce moment est véritablement importante, et elle ne manque pas de difficulté. Vous en avez, du reste, la preuve, en voyant des hommes aussi compétents que les honorables MM. Thonissen, Van Humbeeck, Nothomb et Hymans, être partagés d'avis comme ils le sont.

Je crois que, pour décider convenablement cette question, nous devons nous dégager un peu du souvenir de ce qui se pratique en d'autres matières, et chercher ce qu'il y a de mieux à faire pro subjecta materia.

Le système qui a été adopté au premier vote me paraît excessivement sévère, sévère jusqu'à l'injustice. De plus, je le crois peu favorable à la découverte de la vérité, puisque du moment qu'un témoin aurait fait une fausse déclaration, il n'y aurait plus pour lui aucun moyen de se rétracter sans s'exposer à être poursuivi.

D'un autre côté, décider par la loi qu'on donnera au témoin un délai quelconque pour se rétracter, soit jusqu'à la clôture de l'enquête, soit pendant un certain nombre de jours, c'est ôter à la première déclaration des témoins tout caractère sérieux.

En effet, tout témoin appelé à une enquête ouverte par la Chambre saura qu'il peut impunément, la première fois qu'il est entendu, faire une fausse déclaration.

Eh bien, l'amendement de l'honorable M. Hymans porte remède aux inconvénients des deux systèmes dont je viens de parler.

Je dois dire que l'honorable M. Van Humbeeck ne me paraît pas avoir combattu cet amendement. Dans tout ce qu'il a dit, il n'y a pas un seul argument contre le système préconisé par l'honorable M. Hymans.

Qu'arrivera-t-il si vous adoptez cet amendement ? Le témoin aura un grand intérêt à dire la vérité dans sa première déclaration ; car il ne sera jamais certain d'être rappelé pour être entendu une seconde fois.

D'un autre côté, si la commission d'enquête a des raisons de penser qu'un témoin, dans sa première déclaration, n'a pas dit l'exacte vérité, elle ne manquera pas de le rappeler, non pas seulement par égard pour le témoin qui se serait exposé à une peine, mais parce que la mission de la commission d'enquête est de chercher à découvrir la veillé ; l'intérêt de la commission elle-même sera de rappeler le témoin qu'elle soupçonnera de n'avoir pas dit toute la vérité.

Quel inconvénient trouvez-vous à ce système ? Je le répète, l'honorable M. Van Humbeeck, qui a traité la matière avec beaucoup de science, n'a pas donné une raison contre l'amendement de l'honorable M. Hymans, et, quant à moi, je trouve que le système qu'il établit pare d'une manière très convenable aux inconvénients des deux autres systèmes.

J'appuie donc l'amendement de l'honorable M. Hymans.

M. Thonissenµ. - Messieurs, comme mon amendement a été longuement développé et discuté, je me bornerai à quelques courtes réflexions en réponse à celles que viennent d'émettre mes honorables collègues, M. Nothomb et M. Van Humbeeck.

L'honorable M. Nothomb me demande pourquoi j'introduis, en matière d'enquête parlementaire, des principes qui s'écartent complètement de ceux qui sont ordinairement suivis dans les matières civiles et dans les matières criminelles.

La réponse est facile à fournir ; déjà même j'ai été au-devant de l'objection que m'a faite l'honorable membre. De quoi s'occupe-t-on aujourd'hui ? On s'occupe d'un objet tout à fait spécial et exceptionnel. Or, comme la matière est spéciale et exceptionnelle, il faut bien avoir recours à des règles spéciales et exceptionnelles. Devait une commission d'enquête, ce n'est pas un procès civil qui se débat, ce n'est pas davantage un procès criminel. Pourquoi donc irais-je dans une commission d'enquête, où il ne s'agit ni de contestation civile ni de procès criminel, appliquer la procédure suivie en matière criminelle ? Evidemment toute assimilation est ici impossible. La matière, je le répète, est spéciale, et dès lors il faut aussi des règles spéciales.

L'honorable M. Nothomb dit encore, et cette objection paraît avoir fait quelque impression sur l'assemblée : Vous êtes plus sévère qu'on ne l'est dans les matières criminelles. Vous ne tenez donc pas compte, ajoute-t-il, des excitations auxquelles les témoins sont en butte ; vous ne tenez compte ni de l'entraînement politique ni de la surexcitation des passions ?

Mais, messieurs, ce sont précisément ces motifs qui justifient ma sévérité. J'ai déjà dit qu'il fallait ici arriver à un résultat sérieux, empêcher le mensonge, prévenir l'entraînement, et que, par conséquent, pour aller au-devant des excitations, au-devant des haines et des passions, il fallait se montrer sévère. Le motif allégué par l’honorable M. Nothomb, loin de combattre mon système, vient le justifier complètement.

Quant à l’honorable M. Van Humbeeck, qui a longtemps partage mon opinion, il est venu exposer très savamment, je l'avoue, les principes qui règlent le faux témoignage dans les matières criminelles. Seulement, il, en a déduit des conséquences exagérées.

D'abord, a-t-il dit, un témoin en matière criminelle n'a pas droit au mensonge, au parjure. Cala est évident comme le jour, et je ne sache pas que cela ait jamais fait l'objet d'une controverse quelconque.

D'ailleurs, il y a, à cet égard, quelque chose de plus qu'un simple raisonnement à faire valoir ; il y a un texte formel que l'honorable membre n'a pas cité : c'est l'article 330 du code d'instruction criminelle. Cet article dit positivement que, si la cour d'assises découvre qu'un témoin se parjure dans le cours des débats, elle peut, avant leur clôture le faire mettre en état d'arrestation.

Il ne s'agit donc pas d'un droit au mensonge et moins encore d'un droit au parjure, et sous ce rapport l'honorable M. Van Humbeeck a mille fois raison.

Mais, dit l'honorable membre, si l'auteur d'un faux témoignage se rétracte spontanément et échappe ainsi à la peine, ce n'est qu'une chance heureuse qu'il n'a pas toujours à sa disposition. Il ne peut pas toujours se rétracter ; il faut qu'on le rappelle ; il faut qu'on lui fasse subir un nouvel interrogatoire. Si cette chance lui échappe, il reste punissable.

Messieurs, en théorie cela est vrai. Mais en pratique, comment les choses se passent-elles ? En pratique, quand un témoin se présente devant la cour d'assises et demande à être entendu pour donner de nouveaux renseignements, le repousse-t-on ? Jamais ; on n'a pas d'exemple d'un fait pareil.

Le président de la cour d'assises désire découvrir la vérité, et quand un témoin se présente et déclare qu'il a de nouvelles explications à donner, il est toujours entendu.

L'honorable M. Van Humbeeck ajoute à son tour : Pour quels motifs n'appliquez-vous pas les mêmes règles qu'en matière criminelle ? Et ici il indique une raison à laquelle n'avait pas songé l'honorable M. Nothomb. Il nous dit : Si les tribunaux admettent qu'un témoin qui se rétracte échappe à la peine, c'est uniquement dans le dessein d'arriver à (page 586) la découverte de la vérité. Pourquoi, en matière d'enquête parlementaire, ne voulez-vous pas chercher à découvrir aussi la vérité autant que possible ? Est-ce qu'ici encore l'intérêt social n'est pas en jeu ?

Sans doute, messieurs, if y a ici un in intérêt social en jeu. Il s'agit de réprimer les fraudes qui peuvent vicier une élection et corrompre les mœurs parlementaires. Cependant il faut convenir que la position n'est pas la même devant une commission d'enquête et devant une cour d'assises. Les intérêts qui se débutent devant l'une et devant l'autre ne sont pas non plus identiques.

L'honorable M. Van Humbeeck a oublié que parmi les motifs allégués par les arrêts qui admettent la rétractation du faux témoin figure surtout l'intérêt de l'accusé. Devant la cour d'assises, il y a un homme dont l’honneur, la liberté, la vie même peuvent se trouver en cause.

Il faut donc se montrer aussi large que possible, pour que la justice humaine n'éprouve pas cet immense malheur de condamner un innocent.

Devant une commission d'enquête parlementaire, il y a, je le répète, un intérêt social en jeu ; maïs cet intérêt se présente avec un caractère spécial, et c'est précisément pour le sauvegarder que j'ai présenté mon amendement.

Je veux que le témoin qui arrive devant la commission sache qu'il doit faire une déposition sérieuse ; je veux qu'il sache d'avance à quoi il s'expose en cas de faux témoignage ; je veux qu'il n'obéisse ni aux entraînements, ni aux promesses, ni aux excitations, et qu'il soit bien averti que, s'il ne dit pas la vérité dès le début, il s'expose à des conséquences très graves.

C'est de cette manière seulement qu'on peut arriver, dès le début, à des déclarations sérieuses, et l'honorable M. Van Humbeeck a trop d'expérience de la matière pour ne pas reconnaître que la commission d'enquête doit posséder des renseignements certains, au commencement même de ses travaux. Si l'on admet qu'un témoin puisse d'abord ne pas dire la vérité en se réservant la chance de se rétracter plus tard, il écoutera bien plus facilement les excitations et les promesses, et la commission d'enquête sera jetée hors de la voie où elle doit marcher pour découvrir la vérité aussi promptement que possible.

Mon amendement, je l'avoue, présentait un inconvénient auquel j'avais songé : c'était de rendre les confrontations difficiles, mais non pas impossibles, comme l'a dit l'honorable M. Van Humbeeck. En effet, à son avis, on ne pourrait honnêtement faire venir un témoin pour le confronter avec un autre, dans le cas où on le soupçonnerait d'avoir commis un parjure. C'est une erreur.

L'honorable M. Van Humbeeck arrive ici à une conséquence outrée. Mon amendement ne rend pas les confrontations impossibles ou malhonnêtes ; car lorsqu'on confronte deux témoins, ces témoins ne sont pas ordinairement tous deux parjures. L'un d'eux pourra l'être, l'autre ne le sera pas. Eh bien, dans cette hypothèse, ne peut-on pas leur poser des questions nouvelles sur les faits qu'il s'agit d'éclaircir ? On ne les interrogera plus sur leur déposition antérieure ; on no leur demandera pas notamment s'ils se reconnaissent coupables de parjure ; on leur demandera simplement de parler l'un devant l'autre des faits qui sont à leur connaissance.

Il y a plus, il se peut fort bien que deux témoins soient en opposition manifeste et que, cependant, aucun d'eux ne soit parjure. Le parjure suppose autre chose que l'erreur ; il suppose l'intention méchante de ne pas dire la vérité. Deux témoins peuvent être de bonne foi et cependant faire des dépositions inconciliables.

Mon amendement ne rendait donc pas les confrontations impossibles. Je reconnais cependant qu'à certains égards, il offrait, sous ce rapport, des inconvénients ; mais, aujourd'hui, à la suite de la proposition faite par l'honorable M. Hymans et des considérations sérieuses présentées à son appui par l'honorable M. de Brouckere, la confrontation est devenue parfaitement libre.

L'honorable M. Van Humbeeck m'objecte encore que mon amendement proscrit les enquêtes orales. Mais, messieurs, je voudrais bien savoir comment la Chambre pourrait se contenter d'un enquête orale ? Quand la commission d'enquête a délibéré et qu'elle a fait son rapport, la Chambre demande à voir les pièces du procès, et en quoi consisteront ces pièces si vous ne consignez pas par écrit les dépositions des témoins ?

MjTµ. - M. Van Humbeeck suppose l'hypothèse où la Chambre elle-même ferait une enquête orale.

M. Thonissenµ. - Alors évidemment l'enquête orale est possible ; mais, messieurs, ce cas sera excessivement rare, ou pour mieux, dire ne se présentera jamais. Figurez-vous la Chambre siégeant pendant six semaines, à raison de huit heures par jour, pour entendre 200 électeurs de Bastogne ou d'ailleurs ? Jamais la Chambre ne fera une pareille enquête ; elle n'y résisterait pas. L'enquête devant la Chambre est matériellement impossible.

N'oublions pas, messieurs, que la loi ne se rapporte qu'aux enquêtes parlementaires en matière d'élections.

Sans doute, messieurs, mon amendement est sévère, mais il n'est pas injuste. Il n'est pas injuste de frapper l'homme qui vient se parjurer ; il n'est pas injuste de punir le mauvais citoyen qui, dans une matière aussi grave, cherche à tromper les délégués de la Chambre des représentants.

Je l'ai déjà dit : il importe que le témoin sache à quoi il s'expose et qu'il puisse au besoin trouver dans cette conviction le moyen de triompher des suggestions auxquelles il sera en butte.

Je persiste donc, messieurs, dans mon amendement, tout en me ralliant au sous-amendement présenté par l'honorable M. Hymans.

M. Guillery. - Messieurs, je ne serais pas rentré dans cette discussion si les orateurs les plus compétents en cette matière n'en avaient tous constaté la haute importance.

Il faut bien l'avouer, les idées ont fait du progrès depuis le premier vote. Le nouvel amendement, auquel se rallie M. Thonissen, adoucit singulièrement la rigueur des principes que la Chambre avait admis, c'est déjà beaucoup que de constater que le délit disparaît lorsqu'il y a rétractation dans certains cas donnés.

Suivant moi comme suivant mon honorable ami M. Van Humbeeck, on n'a pas assez fait. Je vais tâcher de le démontrer en peu de mots.

L'honorable M. de Brouckere et l'honorable M. Thonissen se sont servis tous deux de la même expression : ils ont dit : « Nous voulons que la loi ait un caractère sérieux, et la loi n'a pas un caractère sérieux, s'il est permis de venir impunément faire une fausse déposition, sauf à se rétracter.

L'honorable M. Van Humbeeck avait répondu d'avance à cette argumentation et il a démontré clairement que l'amendement même que l'on soutient mériterait plus le reproche d'ôter à la loi tout caractère sérieux ; que le système présenté par le gouvernement ; en d'autres termes qu'en restant dans le droit commun, en ne disant rien, nous faisons une loi plus juridique, plus sérieuse, plus positive, plus pratique, qu'en adoptant l'amendement, et voici, messieurs, pourquoi, comme l'a très bien démontré mon honorable ami, personne ne propose de dire qu'il est permis de venir impunément mentir à la justice.

Cela ne doit être dit nulle part, cela n'est pas permis devant les tribunaux, cela n'est permis nulle part, cela ne peut pas se dire. L'amendement qu'on vient de proposer, en décidant que dans certains cas le délit sera efface, vient constater en quelque sorte le droit de rétractation dans certains cas. Or, M. Van Humbeeck a dit : Ne constatez pas ce droit de rétractation, je nie ce droit de rétractation, mais je dis que lorsque, dans la suite des débats le délit se trouvera effacé, vous serez bien obligés de le reconnaître. Je constaterai, ce qui est la vérité des faits, qu'il n'y a pas de délit ; c'est un point qu'il faut laissera la jurisprudence et à l'interprétation de la loi.

On a, messieurs, effrayé nos consciences par cet axiome : « Il est permis de mentir devant la justice. » Evidemment nos consciences se sont révoltées. Mais remarquez-le bien, personne ne défend ce système ; ce que je défends, c'est la vérité du principe en matière criminelle, qui veut qu'on ne punisse que le délit consommé ou la tentative de délit ayant les caractères que leur assigne lecode pénal, c'est-à-dire la tentative qui n'a échoué que par des causes indépendantes de la volonté de leur auteur.

Le Code pénal ne dit pas qu'on puisse mentir impunément devant le juge d'instruction. Mais pourquoi ne punit-on pas le faux témoignage devant le juge d'instruction ? C'est parce que la déposition devant le juge d'instruction n'est pas définitive.

Elle ne se rapporte qu'à une procédure provisoire et dès lors elle ne peut pas constituer un délit consommé et il ne peut pas y avoir de loi qui vienne punir ce qui n'est pas un délit consommé. Le témoin qui a déposé devant le juge d'instruction est ensuite assigné devant la cour d'assises et là il est encore entier dans son droit de faire une déposition, parce que c'est seulement devant la cour d'assises que la déposition est définitive. Mais si, immédiatement, comme le dit M. Van Humbeeck, si immédiatement après la déposition on la fait acter, on remet les débats à une autre session, on met le témoin en accusation, on le traduit devant la cour d'assises pour avoir à répondre de son crime, évidemment dans ce cas-là il n'y a plus de rétractation possible ; le délit est consommé, ce qui prouve qu'il n'a pas le droit de venir mentir (page 587) devant la justice, Si dans une enquête parlementaire, au moment où il a signé sa déposition, il est traduit devant les tribunaux, il est certain qu'il pourra être condamné. Voilà ce qui répond, comme l'a dit l'honorable M. Van Humbeeck, à l'argument qui avait déterminé l'honorable de Theux lors du premier vote, c'est qu'un témoin ne pourra se dire : Je vais déposer faussement, et si la fausseté de ma déposition est reconnue, il sera toujours temps pour moi de me rétracter. Un pareil calcul, messieurs, ne peut être permis par aucune loi, par aucune magistrature.

Il n'y a, messieurs, qu'une chose de vraie dans ce système que nous défendons, c'est qu'il faut s'en rapporter à la jurisprudence, à l’interprétation.

Nous n’avons, messieurs, qu'une chose à faire, c'est de caractériser les crimes et les délits. Le crime de faux témoignage est caractérisé par le Code pénal.

Il y a bientôt 60 ans que le Code pénal est appliqué et je n'ai jamais vu ni entendu dire nulle part qu'il fût impuissant à réprimer les crimes et les délits.

Pourquoi vouloir en sortir ? Quel est ce besoin de rigueurs nouvelles qui nous saisit ? Pourquoi à propos des enquêtes parlementaires, qui ne peuvent avoir l'importance des débats en cour d'assises, vouloir de pareilles rigueurs ? Nous ne pouvons comparer l'importance des dépositions en matière d'enquête parlementaire, à l'importance des dépositions en cour d'assises et nous ne nous contentons pas des rigueurs du Code pénal. Et cela pour introduire dans nos lois un principe anti-juridique, c'est-à-dire pour punir un délit alors qu'il est encore effaçable, si je puis m'exprimer ainsi.

Voilà, messieurs, ce que je ne comprends pas.

Si l'on punit un homme pour meurtre, c'est parce qu'il ne lui est pas possible de rendre la vie à celui qu'il a frappé. Mais dans le fait de faux témoignage, il n'y a crime que lorsque le témoignage, étant devenu définitif, a agi sur l'opinion du juge, lorsqu'il a servi à déterminer la condamnation ou l'acquittement.

Voilà le faux témoignage effectif, le faux témoignage réel, le faux témoignage punissable, le seul punissable.

Si vous inscrivez le contraire dans une loi, vous faites une loi anti-juridique, vous sortez des principes reconnus par tous les jurisconsultes depuis un demi-siècle, car si la jurisprudence, si les cours de cassation, si les cours d'assises ont décidé ce qui se pratique aujourd'hui, ce n'est pas qu'elles l'aient trouvé dans aucune loi, c'est qu'elles l'ont trouvé dans la nature des choses, c'est qu'elles ont trouvé que les principes fondamentaux du droit criminel leur commandaient de statuer comme elles l'ont fait, c'est-à dire qu'un délit non consommé n'était pas un délit.

Voilà, messieurs, le système que nous devons suivre. La Chambre ne doit pas à propos d'une enquête parlementaire, d'une matière incidente, introduire un principe aussi dangereux dans les matières criminelles.

M. Hymans. - Messieurs, l'essence de l'amendement que nous avons proposé, c'est de laisser au témoin le moyen de se rétracter sans compromettre en rien la recherche de la vérité.

Or nous sommes tous d'accord sur cette double nécessité, et le discours de l'honorable M. Van Humbeeck, loin de combattre mon amendement, lui est au contraire favorable.

Cependant, l'honorable membre est d'avis avec d'autres orateurs de ne rien inscrire dans la loi et de s'en rapporter à la jurisprudence en matière criminelle, en un mot de laisser la chose dans le droit commun.

J'avoue que je ne comprends pas ces mots : « droit commun » dans une pareille matière. C'est une matière toute spéciale qui doit être régie par des règles toutes spéciales, et il ne me sera pas difficile de le prouver.

Comment pourriez-vous, en cette matière, appliquer les principes de la procédure criminelle ?

Une enquête se fait à Bruxelles sur une élection qui a eu lieu à Bastogne. Les témoins sont appelés de Houffalize, de Vielsalm. Ils viennent déposer dans l'enquête. Leurs dépositions signées, ils s'en vont. Le témoin n'est pas présent aux débats, il est mort pour l'enquête dès l'instant qu'il a fait sa déposition.

Pouvez-vous donc appliquer ici les règles du droit commun, vous en rapporter à la procédure ordinaire ?

Maintenant, je suppose un témoin interrogé par le magistrat délégué et je suppose en outre que vous ne mettiez rien dans la loi, que vous gardiez le silence d'or que vous recommande l’honorable M. Van Humbeeck.

En règle générale le magistrat délégué, c'est le juge d'instruction. Or comme le juge d'instruction ne fait, en général, que des instructions préparatoires dans lesquelles on peut mentir impunément, et qu'il fera ici une instruction définitive qui ne sera pas suivie d'une enquête orale, le silence de la loi donnera au témoin le droit de mentir devant le magistrat délégué. (Interruption.) Cela me paraît évident.

Il n'y a donc pas de règles de droit commun en cette matière. Du reste la nécessité d'inscrire dans la loi des dépositions spéciale, résulte tout d'abord de l'absence complète d'analogie entre une commission d'enquête et une cour d'assises.

J'ai eu l'honneur de faire partie d'une commission d'enquête que présidait l'honorable M. Van Humbeeck, et l'honorable membre était parfaitement d'accord avec moi sur ce point, que le témoin qui comparaît devant la commission d'enquête se trouve dans une position tout à fait différente de celui qui comparaît devant la cour d'assises.

Quel prestige exerce sur le témoin la commission d'enquête ? Au lieu d'arriver devant des magistrats revêtus de robes rouges, protégés par des gendarmes, ayant derrière eux l'image du Christ ; au lieu de contempler tout cet appareil qui impose, le témoin se trouve devant quatre messieurs en habit noir qui discutent devant lui la question qu'on lui pose et la réponse qu'il y fait.

J'ai entendu moi-même des témoins dans l'enquête de Bastogne se demander si c'étaient là des magistrats. De plus quand il arrive devant la commission, le témoin est dressé, on a fait son siège ; le plus grand nombre enfin ne voit aucun intérêt social engagé dans ce débat ; l'existence ou la liberté du prochain n'est pas compromise. De même qu'un préjugé très répandu fait dire que voler l'Etat, ce n'est pas voler ; de même pour beaucoup de témoins, mentir en matière politique, ce n'est pas mentir. La commission d'enquête est divisée en deux parties qui représentent deux opinions politiques hostiles. Il arrive que, sans le vouloir, on encourage en quelque sorte un témoin à parler dans un sens ou dans un autre. (Interruption.)

Mais certainement, on le fait malgré soi. Voulez-vous poser au témoin une question qui semble indiscrète à votre adversaire et dangereuse pour sa cause, aussitôt vous verrez les membres de la partie adverse s'y opposer, encourager le témoin à n'y pas répondre. Consultez les procès-verbaux de la dernière enquête, vous pourrez vous convaincre que des incidents de ce genre ne se sont produits que trop souvent. Vous voyez bien que la commission d'enquête n'est pas une cour d'assises et que vous devez dans la matière qui nous occupe vous montrer d'une sévérité particulière.

En matière politique, comme en matière de chasse, là où le vulgaire ne se rend pas un compte exact de l'importance du délit, vous aurez beaucoup plus de faux témoins qu'en matière ordinaire.

Il faut donc des mesures spéciales, et je crois que par l'amendement que vous proposez d'ajouter à celui que la Chambre a voté dans sa dernière séance, nous donnons au témoin une faculté suffisante pour la rétractation, sans compromettre en rien la découverte de la vérité.

Je reconnais cependant qu’il y a quelque chose de fondé dans les observations de M. Van Humbeeck en ce qui concerne la forme de l'amendement proposé. L'honorable M. Van Humbeeck reproche à notre amendement, et ce reproche s'adresse également à l'amendement déjà voté, de lier la Chambre à une procédure spéciale, à la procédure écrite, alors que nous pourrions faire une enquête orale. Je crois que sur ce point il y a un changement à introduire dans la rédaction de l'article et de l'amendement et je proposerai de rédiger le dernier paragraphe de l'article de la manière suivante :

« Le faux témoignage est consommé lorsque le témoin ayant fait sa déposition a déclaré y persister. Si le témoin est appelé pour être entendu de nouveau, le faux témoignage n'est consommé que par la dernière déclaration du témoin qu'il persiste dans sa déposition. »

L'article s'appliquera aussi bien aux enquêtes orales qu'aux enquêtes écrites et les observations de M. Van Humbeeck viendront aussi à disparaître.

- L'amendement est appuyé.

M. de Brouckere. - Je ne veux ajouter qu'un seul mot aux explications que j'ai données à la Chambre.

L'honorable M. Guillery, dans la dernière partie de son discours, a reproché à l'amendement de M. Hymans son caractère de sévérité, et cependant il avait débuté par faire à l'amendement un grief de ce que, selon lui, il donnait au témoin qui avait fait une fausse réclamation, le droit d'être rappelé.

M. Guillery. - Du tout.

M. de Brouckere. - J'ai tenu note de vos paroles.

M. Guillery. - Je me serais bien mal exprimé.

M. de Brouckere. - Je vous ai compris ainsi ; du reste, je n'insiste pas sur ce point.

(page 588) Mais toujours est-il que vous avez avancé comme un fait certain que l'amendement donnait au témoin qui avait fait une faussa déclaration le droit d'être rappelé.

M. Guillery. - Voulez-vous me permettre de préciser ma pensée ? Je ne faisais que reproduire un argument de l'honorable M. Van Humbeeck qui disait : Ne disons rien, ne consacrons pas, par un texte de la loi, le droit d'être réentendu. Mais laissons les closes dans le droit commun, c'est-à-dire que lorsque le témoin est entendu il peut se rétracter jusqu'à la fin des débats.

M., de Brouckereµ. - C’est en effet ce que l'honorable membre avait dit ; or, il en résulte qu'il interprète l'amendement dans ce sens qu'il donne au témoin le droit d'être rappelé. Eh bien, il n'en est rien. L'amendement donne à la commission d'enquête la faculté de rappeler le témoin, mais il ne donne pas au témoin le droit d'exiger qu'on l'entende. De cette manière, et c'est pour moi le bon côté de l'amendement, le témoin, en faisant sa première déclaration, ne sait pas s'il aura l'occasion de se rétracter et il aura tout intérêt à dire la vérité.

Voilà les seules observations que j'avais à présenter.

M. Van Humbeeck. - L'honorable M. Hymans a bien voulu reconnaître la justesse d'une partie de mes observations et il a supprimé de son amendement les termes qui liaient nécessairement la Chambre à la forme écrite des enquêtes. Je n'ai donc pas à revenir sur ce point. Mais je tiens à faire remarquer que lorsque M. Hymans a combattu le système que je préconise, il n'a trouvé contre ce système que des griefs qui s'appliquent également à son amendement. Ainsi M. Hymans disait : Il faut au moins, si l'on veut par le silence de la loi consacrer pour le témoin le droit de mentir, qu'on dise jusque quand il pourra mentir. Or, je me suis efforcé, dans mon premier discours, de démontrer qu'il n'y avait à aucun moment pour le témoin un droit de mentir, qu'il y avait dès l'origine pour lui un devoir impérieux et imposé par la loi de dire la vérité et que s'il a failli à ce devoir, il est punissable.

Il peut arriver que par une chance heureuse, il cesse d'être punissable, parce qu'il aura eu l'occasion de se rétracter.

Mais quant au droit de mentir et quant au moment jusqu'auquel on peut mentir, nous n'avons pas à les déterminer, nous ne voulons pas les déterminer, et c'est plutôt votre amendement qui semble les déterminer.

- Une voix. - Mais non !

M. Van Humbeeck. - Vous dites que, dans le silence de la loi, un témoin pourrait dire devant une cour d'assises : Je me retraiterai quand je reparaîtrai devant la commission d'enquête.

Dans mon premier discours, j'ai cité deux exemples : l'un de procédure criminelle, l'autre de procédure correctionnelle, par lesquels j'ai démontré que cette conséquence n'était pas même possible dans les manières répressives.

Mais, en supposant qu'elle soit possible, votre amendement alors la permettrait également puisqu'il admet le témoin rappelé à se rétracter. Le témoin, dans votre système, si votre raisonnement était vrai, pourrait aussi dire : Il se peut que je sois rappelé devant la commission d'enquête et alors j'aurai la chance d'effacer mon délit ; laissez-moi profiter de cette chance, qui est encore possible. Si l'inconvénient était réel dans le silence de la loi, il le serait également dans le système de l’amendement ; heureusement il n'est réel ni dans l'un ni dans l'autre cas.

J'avoue n'avoir pas compris comment l'honorable M. Hymans a fait la guerre aux termes de « droit commun » employés par l'honorable M. Nothomb ; en ce qui me concerne, je me suis servi seulement des termes « principes généraux du droit ».

Mais, tout en n'ayant pas bien compris l'argumentation, je crois y avoir découvert une confusion entre deux dispositions de la loi qui se rapportent à des objets entièrement distincts, entre l'article 8 qui précède celui que nous discutons et qui soumet le témoin aux mêmes obligations devant le magistrat délégué que devant la Chambre, et l'article 9 qui indique les peines des fausses déclarations et par lequel ou veut aussi faire déterminer le moment où ce faux témoignage est consommé.

Je ne comprends pas qu'on puisse tirer argument de l'une de ces dispositions quant à la manière dont l'autre doit être rédigée.

Enfin l'honorable M. Hymans a produit un dernier argument pour faire prévaloir son amendement sur le système de silence de la loi auquel je continue à m'attacher. Il a parlé des influences auxquelles les témoins se trouveraient soumis devant une commission d'enquête, influences qui sont tout autres, d'après lui, que devant les tribunaux répressifs.

Messieurs, si ces influences étaient réelles et devaient être prises en considération, elles nous entraîneraient bien au-delà de l'amendement de l'honorable M. Hymans et bien au-delà du système que je défends ; elles rendraient le témoin plus excusable qu'en toute autre matière, d'avoir commis un mensonge, il serait juste alors de montrer moins de sévérité et de consacrer peut-être, en cette matière spéciale pour le témoin, le droit de se rétracter au lieu de ne lui en accorder que la chance dans certaines circonstances données. Or, c'est ce que personne ne veut ; aussi ce dernier argument ne me paraît pas avoir de valeur.

Et, je le répète, les autres griefs que l’honorable rapporteur a articulés contre le silence de la loi plaident au moins autant contre son amendement.

Je persiste donc, messieurs, dans le système que j'ai développé une première fois plus longuement ; je demande que la loi ne s'explique pas sur le moment où le faux témoignage sera consommé.

MjTµ. - Lorsque l’honorable M. Thonissen a présenté son amendement, j'y ai adhéré, mais en me réservant le droit d'examen jusqu'au second vote. Je puis dire, messieurs, que depuis deux jours, j'ai consacré tout mon temps à l'étude de cette disposition ; et je suis arrivé à cette conviction qu'il faut adopter l'amendement de l'honorable M. Thonissen, modifié par celui qu'ont présenté les honorables MM. Pirmez, Hymans et Dewandre.

Je vais chercher à faire partager cette conviction par la Chambre.

La question est celle-ci : Faut il, par la loi même, déclarer quand il y aura faux témoignage ; ou bien faut-il laisser ce point sous l'empire des principes généraux ; en d'autres termes faut-il rejeter l'amendement de l'honorable M. Thonissen et laisser à la jurisprudence le soin de décider quand, en matière d'enquête parlementaire, il y aura ou il n'y aura pas faux témoignage ? Telle est bien, je pense, la question que nous avons à résoudre.

Si l'application des principes généraux ne donnait lieu à aucune espèce de difficulté ; s'il n'y avait pas d'opinions divergentes ; si nous ne traitions pas une matière tout à fait spéciale quant aux formes mêmes des enquêtes, je comprendrais parfaitement l'opinion des membres qui soutiennent qu'il faut rester sous l'empire des principes généraux, et je n'hésiterais pas à m'y rallier.

Mais ces principes généraux qu'on invoque, et qu'on veut appliquer à la matière qui nous occupe, donnent lieu aux difficultés les plus sérieuses. Et les orateurs qui soutiennent qu'il faut rester sous l'empire de ces principes généraux pourraient fort bien, en vertu de ces mêmes principes, voir sanctionner un système tout autre que celui qu'ils défendent.

El en effet, messieurs, l'application des principes généraux se complique toujours des formes de l'enquête. Je vais le démontrer à la Chambre.

Les éléments constitutifs du faux témoignage ne s'apprécient pas de la même manière en matière civile et en matière criminelle. Qu'un tribunal, qu'une cour soit appelée à décider s'il faut, dans les enquêtes parlementaires, adopter l'interprétation admise en matière civile ou celle qui est admise en matière criminelle, êtes-vous certain de la solution que recevrait cette question ?

Mais, si j'étais juge, si j'étais appelé à statuer, j'appliquerais aux enquêtes parlementaires les règles qu'on suit en matière civile, plutôt que la jurisprudence qui a prévalu en matière criminelle. et pourquoi ? Mais parce que l'enquête parlementaire se rapproche bien plus, sous le rapport de la procédure, de l'enquête civile que de l'instruction criminelle.

Voilà où gît la difficulté, et c'est pourquoi il est indispensable de résoudre la question par la loi.

En matière civile même, les principes admettent encore des tempéraments ; on fait aussi des distinctions et c'est à ces distinctions que l'honorable M. Nothomb faisait allusion tout à l'heure ; on distingue en matière civile entre les enquêtes sommaires faites à l'audience et les enquêtes ordinaires devant un juge-commissaire.

L'enquête sommaire se fait en présence des témoins, qui peuvent assister aux débats.

Dans ce cas, - et cette opinion je la trouve exprimée dans une annotation de M. Nypels, professeur à l'université de Liège, sur le commentaire de MM. Chauveau et Hélie, - dans ce cas, dis-je, il semble que l'on doit admettre que les témoins pourront se rétracter jusqu'à la clôture des débats. Pourquoi ? Parce qu’il y a des débats, parce que l'enquête est orale, parce que les témoins peuvent ajouter quelque cause à leurs dépositions.

Mais en matière ordinaire, les témoins deviennent étrangers à l'enquête du moment qu'ils ont achevé leur déposition ; ils ne peuvent plus être entendus et le juge n'aurait pas même la faculté de les entendre de nouveau.

(page 589) En matière civile, comme en matière criminelle, il faut qu'il y ait préjudice causé ou possible pour que le faux témoignage soit punissable ; mais en matière civile, le préjudice existe du moment que le témoin a fait sa déposition, tandis qu'en matière criminelle on admet que la déposition n'est préjudiciable que lorsqu'une rétractation n'est plus possible.

Quels principes généraux appliquera-t-on aux témoignages apportés dans une enquête parlementaire, si la loi est muette ? Comme l'enquête parlementaire a beaucoup d'analogie avec l'enquête civile qui se fait par écrit, il faudrait adopter les principes admis en matière civile.

Il y a donc nécessité de déterminer dans la loi même les principes que la Chambre veut faire appliquer en cette matière. Cela est indispensable pour qu'il n'y ait aucune incertitude à cet égard. Nous ne pouvons prévoir quelle serait la jurisprudence des tribunaux ; il convient que l'on soit fixé dès à présent et d'une manière certaine sur le sort du témoin qui aura fait une déclaration mensongère.

Maintenant, oppose-t-on une objection sérieuse à la disposition proposée par l'honorable M. Thonissen et sous-amendée par les honorables MM. Hymans, Dewandre et Pirmez ? L'honorable M. Van Humbeeck n'a fait qu'une seule objection ; elle est relative à l'enquête orale ; eh bien, satisfaction lui est donnée par la disposition sous-amendée.

Je n'ai pas entendu dans tout ce qu'ont dit les honorables MM. Guillery et Van Humbeeck une objection sérieuse contre l'amendement ainsi modifié.

Le faux témoin peut venir à résipiscence, lorsqu'il y aura confrontation ; vous aurez donc le moyen de faire éclater la vérité. Le témoin n'est pas lié : il peut se rétracter ; la vérité peut se révéler, sans qu'il soit exposé à aucune peine. Le droit de mentir n'est pas inscrit dans la disposition ; le témoin n'a pas le droit de se faire entendre de nouveau ; c'est une chance qui lui reste.

Je demanderai à mes honorables contradicteurs quelles objections il est encore possible de faire à l'amendement ainsi modifié.

J'ai très longtemps réfléchi sur cette question : l'amendement de l'honorable M. Thonissen avait cet inconvénient qu'en cas de confrontation, la manifestation de la vérité devenait fort difficile parce que le témoin ne pouvait pas se rétracter utilement. Ce grave inconvénient disparaît par suite du sous-amendement.

Ainsi l'amendement modifié répond à toutes les objections ; il trace une règle certaine : il fixe la position du témoin qui aura déclaré un fait contraire à la vérité.

M. Nothomb. - M. le ministre de la justice vient de nous dire comment il interprète l'amendement de l'honorable M. Thonissen, sous-amendé par les honorables MM. Hymans, Dewandre et Pirmez. A l'objection que nous lui avons faite, qu'il n'y a pas lieu de sortir des règles du droit commun, l'honorable ministre répond qu'il faut les abandonner, parce qu'il s'agit d'une matière spéciale qui exige des dispositions spéciales.

La réponse n'est pas concluante. Sans doute, il s'agit d'une matière spéciale, mais quant au but seulement : la vérification des pouvoirs ; mais, en ce qui concerne les formes principales de l'enquête, nous suivons les prescriptions du Code d'instruction criminelle. Cela est écrit dans tous les articles du projet de loi. Il est dit à l'article 4 que la commission d'enquête est investie des pouvoirs attribués aux juges d'instruction. On renvoie donc au Code d'instruction criminelle. L'article 8 dispose que le serment sera prêté d'après la formule usitée devant la cour d'assises.

Enfin, en vertu de l'article 11, les indemnités dues aux témoins sont réglées conformément au tarif des frais en matière criminelle.

Donc, sous tous ces rapports, vous êtes, pour le mode de procéder, dans le droit criminel ordinaire ; pourquoi n'y restez-vous pas, en ce qui concerne le faux témoignage ? Le faux témoignage est, comme en toutes choses, l'altération méchante de la vérité. Ici comme ailleurs il faudra les caractères ordinaires que veut la loi pénale. C'est encore là un fait de droit commun ; vous le punissez à ce titre. C'est un délit comme tout autre de ce genre.

C'est pourquoi nous prétendons qu'il n'y a pas lieu d'établir pour un délit ordinaire des incriminations extraordinaires.

Tout à l'heure, l'honorable M. Hymans, défendant son amendement, disait : « Voyez comme les commissions d'enquête jouissent de peu de prestige ; considérez comme les témoins sont enclins à ne pas considérer comme sérieuse leur comparution devant la commission et à ne pas dire la vérité. »

Je crois que l'honorable membre charge le tableau ; je n'admets pas, quant à moi, que les témoins oublient à ce point leur serment et leur devoir ; mais si cela était, ce serait une raison de plus qui devrait nous engager à faciliter aux témoins les moyens de se repentir, de revenir à la vérité. Si le témoin est si enclin à déguiser la vérité, s'il cède si facilement à des suggestions blâmables, il faudrait, ce me semble, tenir compte des entraînements de la passion politique. Nous faisons des lois pour les hommes tels qu'ils sont hélas ! et non tels qu'ils devraient être.

Je demande si, d'après l'amendement, tel qu'il est maintenant soumis à la discussion, le témoin ne pourra pas volontairement venir se présenter devant la commission pour se rétracter et dire la vérité.

MjTµ. - Non.

M. Nothomb. - Vous dites non ; il devra donc être rappelé pour jouir du bénéfice de la rétractation. Voilà ce que je trouve dangereux.

Le témoin persistera dans le mensonge et empêchera ainsi que la commission ne découvre la vérité. Je voudrais que l'on permît ici ce qui est permis devant la cour d'assises. J'y ai vu bien des fois un témoin, plusieurs jours après sa déposition, demander à la rectifier. Ici, il ne pourra pas le faire ; et cependant votre amendement part de cette idée, qu'en matière de témoignage il importe de faciliter la rétractation. Vous avez admis comme raisonnable, juste et humain, le principe que le témoin peut modifier lui-même sa première déclaration, en d'autres termes, qu'il n'y a en cette matière de délit consommé que lorsque le témoin est mis dans l'impossibilité matérielle, absolue, de modifier sa déclaration première.

Vous reconnaissez donc implicitement que nous avons raison au fond, et voyez cependant à quelles conséquences passablement bizarres vous arrivez.

Le témoin qui céderait au meilleur des sentiments, au sentiment spontané du repentir, ne pourrait se rétracter. Il n'est pas devant la commission ; il faut, pour pouvoir se rétracter, qu'il y soit appelé, tandis que le témoin qui n'obéirait pas au mouvement spontané de sa conscience, mais qui, rappelé devant la commission d'enquête, verrait qu'on le soupçonne de faux témoignage et se rétracterait, échapperait à la punition. C'est une conséquence qua je n'admets pas. S'il est un témoin qui mérite l'indulgence, c'est celui qui vient spontanément reconnaître et avouer son erreur. Or, c'est celui-là que l'amendement repousse sans pitié ; il n'a d'indulgence que pour le témoin suspecté, sollicité de se rétracter. C'est le contraire qui serait plus juste.

Je persiste à croire que, pour sortir du droit commun, vous vous préparez des difficultés pratiques et créez des rigueurs inutiles.

MjTµ. - L'honorable M. Nothomb vient de me faire une objection qui réellement n'est pas sérieuse. Il me dit : vous n'êtes pas dans une matière spéciale, et la preuve, c'est qu'on donne à la commission les droits du juge d'instruction, c'est qu'on règle les indemnités conformément au tarif criminel, c'est qu'on fait prêter le même serment que devant la cour d'assises.

Mais si cet argument est rigoureux, il faut aller plus loin, il ne faut pas punir du tout le faux témoignage, car le faux témoignage devant le juge d'instruction n'est pas puni.

- Un membre. - On ne prête pas serment devant le juge d'instruction.

MjTµ. - Comment ! on ne prête pas serment devant le juge d'instruction. C'est la première fois que j'entends dire une chose semblable.

La différence entre l'enquête faite par le juge d'instruction et l'enquête faite par une commission parlementaire, c'est que l'une est une instruction purement préparatoire qui ne peut servir de base au jugement, et qui doit être suivie d'une instruction orale.

M. Nothomb. - C'est une délégation de la cour d'assises.

MjTµ. - Pas du tout. L'enquête devant le juge d'instruction est une enquête préparatoire, aucune condamnation ne peut être prononcée qu'à la suite d'une enquête orale, à laquelle les témoins assisteront, qui est faite en public, tandis que l'enquête dont nous nous occupons est une enquête définitive sur laquelle la Chambre est appelée à statuer. Voilà la différence capitale. Votre enquête est une enquête définitive sur laquelle vous prononcez votre jugement.

M. Nothomb. - C'est une erreur.

MjTµ. - J'attends que l'on me démontre que c'est une erreur.

M. Nothomb. - Je dis que les juges d'instruction reçoivent une (page 590) délégation, La commission d'enquête sera dans la position d'un juge d'instruction recevant une délégation pour entendre un témoin pendant le cours des débats dans un procès criminel.

MjTµ. - Vous prenez maintenant un fait tout exceptionnel, celui d'une délégation donnée à un juge d'instruction, vous prenez ce fait pour éviter mon objection et pour revenir sur votre assertion, qui n'était pas fondée. Il ne s'agit pas ici de délégation. Il s'agit de comparer la nature de deux enquêtes dont l'une se fait devant le juge d'instruction, l'autre devant une commission parlementaire.

Voilà ce dont il s'agit, et ce n'est qu'en comparant ces deux enquêtes que nous saurons si nous sommes dans une matière toute spéciale ou dans une matière de droit commun.

Eh bien, j'établis cette différence entre les deux enquêtes, que l'une n'est qu'une enquête préparatoire, qui doit être suivie, avant qu'une condamnation puisse intervenir, d'une instruction orale.

M. Nothomb. - L'enquête parlementaire aussi.

M. Thonissenµ. - Du tout, les témoins ne reviennent pas.

MjTµ. - C'est un jugement sans enquête nouvelle.

Vous avez dit que la matière dont nous nous occupons n'était pas une matière spéciale ; que c'était une matière semblable en tout aux matières pénales.

M. Nothomb. - Je n'ai pas dit cela.

M. le président. - Je prie de ne pas interrompre.

M. Nothomb. - On ne doit pas me faire dire ce que je n'ai pas dit.

MjTµ. - Je n'ai pas l'habitude de faire dire à un orateur ce qu'il n'a pas dit, je laisse à la Chambre le soin de décider entre l'honorable M. Nothomb et moi. L'honorable M. Nothomb a dit que nous n'étions pas dans une matière spéciale ; il nous a cité les différents articles de la loi pour prouver que l'enquête faite par une commission parlementaire était tout à fait identique à l'enquête faite en matière criminelle.

M. Nothomb. - Je n'ai pas dit identique.

MjTµ. - C'est tout votre argument. Je vous ai répondu que l'une était une enquête préparatoire qui devait être suivie d'une enquête orale pour qu'il pût intervenir un jugement ; tandis que l'enquête parlementaire était une enquête définitive, sur laquelle la Chambre doit prononcer. Cela est incontestable.

L'honorable M. Nothomb a présenté un autre argument ; il dit que, par la disposition que l'on veut inscrire dans la loi, on ferme complètement la porte au repentir, et invoquant, remarquez-le bien, les principes généraux du droit, il arrive à conclure, que la possibilité de la rétractation constitue un droit pour le témoin.

Messieurs, personne n'admet cela. L'honorable Van Humbeeck a parfaitement combattu cette théorie. Il a prouvé de la manière la plus évidente que personne n'a un droit à la rétractation ; c'est une chance heureuse qui s'offre au faux témoin, cela résulte de tous les arrêts, cela est enseigné par tous les auteurs. Supposons qu'un individu qui a fait un faux témoignage devant une cour d'assises ne puisse pas se représenter aux débats pour cause de maladie ; pourra-t-il écrire au président qu'il se rétracte ? Evidemment non.

C'est une chance heureuse, je le répète ; ce n'est pas un droit ; et le droit à la rétractation que vous inscririez dans la loi, ce serait le droit de mentir, ce serait le droit d'en imposer. Si vous disiez à un témoin : Vous avez jusqu'à la fin du débat le droit de vous rétracter, n'est-ce pas comme ii vous disiez qu'il a le droit de mentir jusqu'au moment où vous lui accordez le droit de se rétracter.

M. Nothomb. - Nous ne disons pas que c'est un droit.

MjTµ. - On a traité cela comme un droit. Eh bien, ce droit, nous n'en voulons pas, et si l'amendement le consacrait, je le repousserais de toutes mes forces.

Mais cet amendement est conforme aux vrais principes de la loi pénale. Il laisse, pour le cas de confrontation, un moyen d'obtenir la manifestation de la vérité, en permettant au témoin de revenir sur ses déclarations antérieures.

Messieurs, après de longues réflexions ; après avoir lu et relu tout ce qui a été écrit sur cette question, je suis arrïvé à cette conviction que le système consacré par les deux amendements combinés répond à tous les besoins et est parfaitement conforme aux principes du droit pénal.

M. Guillery. - L'honorable ministre de la justice nous disait en commençant son avant-dernier discours que s'il résultait de la loi que les principes généraux en matière criminelle dussent s'appliquer à la matière qui nous occupe, il serait de notre opinion. Le seul motif pour lequel il appuie l'amendement sous-amendé de l'honorable M. Thonissen, c'est qu'il soutient qu'on applique au cas qui nous occupe ce qui se pratique en matière civile.

Dès lors, il suffirait de placer dans la loi un mot quelconque qui fit entendre que les principes généraux en matière criminelle seront appliqués en matière d'enquête parlementaire.

MjTµ. - Vous ne le pouvez pas parce que vous avez une manière de procéder différente.

M. Guillery. - Que la déposition se fasse par écrit ou qu'elle soit orale...

MjTµ. - Est-ce que l'on pourra, jusqu'au dernier jour, écrire à la Chambre que l'on se rétracte ?

M. Guillery. - Non sans doute. La Chambre, ou la commission d'enquête sont juges du point de savoir s'il faut ou non procéder à une nouvelle audition. Il en est de même devant les tribunaux. En matière criminelle, en matière de cour d'assises, lorsqu'une déposition est incriminée, le témoin la signe ; c'est donc toujours d'une déposition signée qu'il s'agit.

Mais enfin, messieurs, j'ai pris la parole uniquement dans l'intérêt de la discussion, et parce que je crois qu'un renvoi à la commission... (Interruption.) Je ne crois pas que ce soit du temps perdu, si nous pouvons améliorer la loi. Remarquez, messieurs, qu'aujourd'hui, nous sommes plutôt en dissentiment sur des questions de forme que sur des questions de fond : c'est-à-dire que quant au principe, M. le ministre de la justice, après y avoir mûrement réfléchi, déclare que ce qu'il y aurait de mieux serait d'appliquer les principes généraux. Mais il craint, dit-il, que bien contrairement à l'avis de ceux qui combattent l'amendement de M. Thonissen, loin d'appliquer les principes de la procédure criminelle on n'applique les principes de la procédure civile. Eh bien, il suffirait de dire dans la loi que le principe de la procédure criminelle sera seul applicable et si, par un amendement que nous pourrions formuler et examiner en commission, nous arrivions à ce résultat, nous éviterions le danger que présente l'amendement de M. Thonissen même tel qu'il est sous-amendé, c'est-à-dire dans la loi ce qui ne doit résulter que de l'interprétation de la loi.

Nous sommes si près de nous entendre, que nous reconnaissons formellement qu'il ne peut pas y avoir de droit pour le témoin de se rétracter si la commission, si le tribunal, si la cour d'assises ne croit pas devoir l'entendre de nouveau.

Ainsi donc, d'après l'application des principes généraux, nous arrivons précisément au système qui, aujourd'hui, paraît réunir l'immense majorité des membres de cette Chambre, seulement, il s’agit de bien constater par un amendement que les principes de la procédure civile ne sont pas applicables.

Quant à moi, je crois que cet amendement est inutile, parce qu'il ne peut s'agir que des principes de la procédure criminelle, mais s'il y a doute, si quelques membres de cette Chambre et surtout si M. le ministre de la justice croit qu'il y a doute, alors il me semble qu'il serait bien simple de déclarer dans la loi que les enquêtes, bien qu'elles soient écrites, seront régies par les principes applicables aux enquêtes civiles.

MjTµ. - Il sera à tout jamais impossible d'admettre un amendement dans le sens indiqué par l'honorable M. Guillery. Vous ne pouvez pas admettre identiquement la même manière de procéder qu'en matière criminelle ; notre enquête est essentiellement différente des enquêtes criminelles, où le témoin est présent au débat, tandis qu'il en est tout autrement des enquêtes parlementaires.

Je crois, messieurs, que les amendements combinés tels qu'ils sont rédigés doivent lever tous les scrupules.

- L'amendement de M. Hymans est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté par 72 voix contre 7.

Ont voté l'adoption :

MM. Allard, Beeckman, Braconier, Bricoult, Carlier, Crombez, Debaets, de Baillet-Latour, de Bast, de Borchgrave, de Brouckere, (page 591) de Decker, de Florisone, De Fré, de Haerne, Delaet, Delcour, de Macar, de Moor, de Naeyer, de Rongé, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Theux, Devroede, Dewandre, de Woelmont, Dolez, Dumortier, Dupont, d’UrseI, Elias, Frère-Orban, Funck, Giroul, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Janssens, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Le Hardy de Beaulieu, Lippens, Magherman, Muller, Nélis, Notelteirs, Rodenbach, Rogier, Sabatier, Tesch, Thonissen, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Hoorde, Van Humbeeck, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Vleminckx, Warocqué et Moreau.

Ont voté le rejet :

MM. de Mérode, d'Hane-Steenhuyse, Nothomb, Reynaert, Schollaert, Van Wanbeke et Wasseige.

- La séance est levée à 4 heures.