(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1864-1865)
(Présidence de M. Moreau.)
M. de Florisone, secrétaire, (page 544) procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier. La rédaction est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Anvers prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif aux étrangers. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« D'anciens directeurs d'écoles moyennes proposent une disposition additionnelle au projet de loi qui modifie la législation sur les pensions civiles. »
- Sur la proposition de M. de Kerchoveµ, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Des industriels à Verviers présentent des observations contre le projet de loi concernant le droit de propriété des modèles et dessins de fabrique. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.
« Le sieur Colinet demande l'abrogation des dispositions de la loi du 17 février 1849 qui ont porté à 1/65 la base delà liquidation des pensions et réduit leur maximum à 5,000 fr. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi qui modifie la législation sur les pensions civiles.
« Le sieur Vigneron propose une mesure pour assurer la sincérité des élections. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux fraudes électorales.
« Le sieur Widisch, combattant de la révolution, demande la pension dont jouissent les blessés de septembre. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des administrateurs, industriels, négociants et cultivateurs de Gilly présentent des observations relatives au chemin de fer direct de Bruxelles à Charleroi et Châtelineau, dont la concession est demandée par les sieurs Dans. »
M. Sabatier. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de faire un prompt rapport.
- Cette proposition est adoptée.
« La direction de la société générale pour favoriser l'industrie nationale fait hommage à la Chambre de 116 exemplaires du compte rendu des opérations de cette société pendant l'année 1864. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. Ernest Vandenpeereboom, obligé de s'absenter, demande un congé. »
- Ce congé est accordé.
M. Bara. - J'ai l'honneur de déposer un rapport sur une demande de naturalisation ordinaire.
- Ce rapport sera imprimé et distribué tt mis à la suite de l'ordre du jour.
M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?
MfFOµ. - Non, M. le président.
M. le président. - En conséquence, la discussion s'ouvre sur le projet du gouvernement.
(page 552) M. Sabatier. - Messieurs, le projet de loi en discussion comporte, vous le savez, deux choses essentielles.
Quant à la question de principe, il introduit dans notre législation une liberté de plus, la liberté du loyer de l'argent.
En second lieu, il attribue à l'Etat, par l'article 3, les bénéfices qui résulteraient pour la Banque Nationale de l'application même de la loi ; c'est-à-dire que l'escompte maximum étant aujourd'hui, de par la loi de 1807, de 6 p. c., si, par une circonstance quelconque, l'intérêt ou l'escompte, ce qui revient au même, s'élève à un taux supérieur, il en résultera un bénéfice qui devra entrer dans les caisses du trésor.
La section centrale, dans un rapport très remarquable dû à mon honorable ami M. Jamar, constate, de son côté, deux choses : l'unanimité qu'a rencontrée dans les sections et dans la section centrale le principe même du projet de loi, le principe qui consacre la liberté du prêt. A la vérité quelques observations ont été présentées en sections ; mais elles ont été repoussées par la section centrale. Ainsi on s'est demandé s'il ne conviendrait pas d'introduire dans le projet de loi la disposition du Code pénal nouveau relative aux abus des faiblesses et des passions en matière de prêts.
En deuxième lieu, une section a demandé que la section centrale voulût bien examiner la question de savoir si l'on ne pourrait pas, dans un délai à déterminer par la loi, autoriser l'emprunteur à rembourser sa dette.
La section centrale n'a pas cru pouvoir accueillir favorablement cette observation.
Le rapport de la section centrale constate en second lieu que des doutes se sont élevés dans deux sections, sur l'influence que pourrait avoir, au point de vue du commerce, l'article 3 qui nous est présenté, et qu'enfin des divergences d'opinion se sont produites au sujet de ce même article 3.
Ces divergences d'opinion ont amené trois membres de la section centrale à proposer une autre rédaction que celle du gouvernement. Au lieu de verser dans les caisses de l'Etat le bénéfice à résulter de l'application de la loi, ces trois membres ont proposé d'augmenter d'autant la réserve de la Banque.
MjTµ. - D'en faire cadeau à la Banque.
M. Sabatier. - J'espère démontrer que l'ensemble des mesures proposées par la section centrale ne constituera pas un cadeau pour la Banque Nationale, mais bien un avantage pour le commerce, et je ferai remarquer à ce sujet l'absence de réclamations de la part de la Banque Nationale contre la disposition qui la concerne, proposée par le gouvernement.
Messieurs, la proposition de la section centrale n'aurait point de sens, je me hâte de le dire, si le gouvernement ne tenait pas compte des observations consignées dans le rapport de l'honorable M. Jamar et qui doivent nécessairement amener la modification de la loi de 1850, constitutive de la Banque Nationale et des statuts de cette Banque. Je m'explique :
Il est évident que si la réserve reste appliquée en fonds publics, si elle reste immobilisée, si la Banque Nationale ne peut pas en faire usage, il ne servirait à rien, pour l'effet que nous voulons produire, d'augmenter cette réserve de la somme des bénéfices à résulter de l'escompte au-delà de 6 p. c.
Il est évident que pour que la mesure que nous proposons ait quelques raisons d'être, il est évident, dis-je, que la réserve de la Banque Nationale doit pouvoir être transformée en espèces ou bien doit pouvoir être ajoutée à l'encaisse pour former l'encaisse statutaire et légal.
MfFOµ. - Elle ne peut pas l'être quant à présent.
M. Sabatier. - Le rapport de l'honorable M. Jamar constate que la section centrale a demandé si l'on ne pourrait pas modifier la loi de 1850 et les statuts de la Banque. (Interruption.)
J'admets que la chose n'est pas facile, mais alors il faut modifier l'amendement de la section centrale et dire que le bénéfice à résulter de l'application de la loi sera ajouté au fonds social.
Messieurs, nous pensons que notre proposition est plus conforme à l'esprit de la loi et plus favorable aux intérêts que l'on invoque, aux (page 553) intérêts du commerce, que la proposition du gouvernement. Je pense aussi que, par son adoption, on augmenterait les ressources de la Banque d'une manière plus efficace que ne le fait l'Etat, et c'est pour développer cette idée, pour défendre l'amendement de la section centrale que j'ai demandé la parole.
Je rappellerai d'abord avec l'honorable rapporteur que la Chambre avait admis, en 1860, le principe du projet de loi lors de la discussion des articles révisés du Code pénal, relatifs à l'usure. La Chambre a parfaitement compris alors qu'on ne pouvait pas soustraire davantage les métaux précieux, l'or et l'argent à la loi commune de l'offre et de la demande.
Les esprits étaient donc parfaitement préparés à bien accueillir la loi, c'est ce qui a été fait. Cependant le gouvernement a hésité sur les conséquences que pourrait avoir la loi au point de vue du crédit en général ; le gouvernement s'est demandé si quelqu'un ne profiterait pas outre mesure des avantages que confère la loi, et la pensée de M. le ministre des finances s'est portée tout naturellement sur la Banque Nationale.
MfFOµ. - Ce n'est pas cette raison-là.
M. Sabatier. - Ce n'est pas cette raison-là, me dit l'honorable ministre des finances ; cependant je lui ferai observer que de l'exposé des motifs, on peut, me paraît-il, tirer les arguments suivants : En présence du monopole de la Banque, est-il permis d'accorder à cet établissement la liberté absolue ? Il est permis d'en douter. Le second argument en faveur du projet du gouvernement consiste à dire que la Banque ayant été instituée sous l'empire de la loi restrictive de l'intérêt de la loi de 1807, la Banque ne peut, ni en droit, ni en équité, revendiquer les bénéfices delà loi.
Le troisième argument que je crois trouver dans l'exposé des motifs est celui-ci : il importe qu'un établissement tel que la Banque Nationale, régulateur du crédit en Belgique, ne soit pas constamment soupçonné de vouloir élever son escompte et d'abuser des avantages que confère la loi, dans un désir immodéré de lucre ; qu'il faut à cet égard des garanties au public et qu'on trouve ces garanties dans le fait de l'absorption au profit du trésor des bénéfices qui seraient le résultat de l'élévation de l'escompte au-delà de 6 p. c.
Le quatrième argument comporte tous les autres ; s'ils sont concluants on peut dire avec raison que la mesure consacrée par l'article 3 est favorable au commerce. C'est là surtout ce qu'il s'agit de discuter.
Messieurs, ces arguments, je le reconnais en toute franchise, ont paru convaincre beaucoup de personnes, et je dois dire qu'au premier abord ils paraissent plaider en faveur de la proposition du gouvernement ; mais quand on y regarde de près, on reconnaît que l'article 3 de la loi est en contradiction avec le principe même de liberté que consacre la loi, et que, loin d'être favorable aux intérêts qu'on invoque, il lui est plutôt défavorable.
Pour le prouver, je vais reprendre un à un les arguments que j'ai tirés de l'exposé des motifs et que je viens d'indiquer.
Le premier argument consiste à dire que, la Banque Nationale ayant un privilège, il est permis de se demander jusqu'à quel point la liberté complète, absolue, doit lui être accordée. Il est de fait, messieurs, que les mots monopole, privilège et liberté jurent quelque peu de se trouver ensemble.
Le privilège de la Banque existe ; il existe en fait sinon en droit quant à l'émission des billets ; il existe parce que l'Etat reçoit des billets dans ses caisses ; on peut aussi considérer comme privilège les avantages considérables que la Banque retire du fait du service de caissier de l'Etat.
Le privilège est donc bien constaté. Mais je le demande au gouvernement : ne comprend-il pas qu'en invoquant ce privilège pour imposer quelque chose à la Banque, il le consacre, il le reconnaît ? Et c'est ce que je ne veux pas.
MjTµ. - Il existe.
M. Sabatier. - Oui actuellement ; mais il ne faut pas donner à la Banque le droit de vous dire : Vous m'avez imposé quelque chose au nom de mon privilège, vous n'y pouvez pas toucher.
MfFOµ. - Vous l'enlèverez.
M. Sabatier. - D'accord, on l'enlèvera. La section centrale l'a dit aussi ; elle a rappelé que le privilège n'était pas absolu ; mais pourquoi l'invoquez-vous, si ce n'est pour le maintenir et vous mettre en contradiction avec l'article 25 de la loi du 5 mai 1850, qui n'admet nullement la continuité d'un privilège en matière d'émission ; cet article, qui ne doit pas être une lettre morte, porte : « Qu'aucune banque de circulation ne peut être constituée si ce n'est sous la forme anonyme et que l'anonymat ne peut être conféré, dans l'espèce, que par le pouvoir législatif. »
Je vous le demanderai : si demain une association de capitaux se présentait et réclamait l'autorisation d'émettre des billets de banque, sous des conditions à déterminer, lui refuseriez-vous l'anonymat ?
MfFOµ. - Nous verrions.
M. Sabatier. - Nous verrions, dit M. le ministre des finances.
MfFOµ. - Nous le combattrions.
M. Sabatier. - Vous auriez beaucoup de peine à le combattre, car je ne crois pas être indiscret en disant que je sais que beaucoup de membres de cette Chambre seraient disposés, sinon à présenter, tout au moins à voter une loi qui décréterait la liberté d'émission sous la condition, bien entendu, de ne pas obliger l'Etat à admettre tout billet au porteur dans ses caisses.
Je dis donc qu'il ne faut pas que l'article 25 soit une lettre morte. Notre législation en matière de banque est du reste relativement libérale ; son application devrait être, le cas échéant, libérale également.
En définitive, messieurs, l'idée d'une concurrence éventuelle à faire à la Banque Nationale est au moins aussi utile au commerce que la mesure proposée par l'article 3.
J'arrive au second argument. Il consiste à dire que la Banque Nationale a été instituée sous l'empire de la loi restrictive du taux de l'intérêt et que, ni en droit ni en équité, elle ne peut conséquemment revendiquer le bénéfice de la loi nouvelle.
Il est vrai de dire, messieurs, que la loi contractuelle de 1807 ne stipule rien à cet égard. Mais est-ce que la loi actuelle ne nous est pas présentée comme une nécessité économique ? N'est-ce pas un progrès qu'on réalise ? Le gouvernement ne considère-t-il pas comme un devoir de consacrer désormais la liberté de l'intérêt ? Et au moment où l'on proclame cette liberté, il semble qu'on en veuille restreindre l'usage par l'article 3.
Mais, messieurs, en 1860, l'honorable M. Pirmez vous a très savamment démontré que la liberté en matière de prêt est bien plus profitable aux emprunteurs qu'aux prêteurs. En tout cas, la loi est faite pour tout le monde, et je dirai, avec l'exposé des motifs, que la Banque Nationale a un argument spécial à faire valoir, c'est que pour répondre à la nécessité de défendre son encaisse, elle doit pouvoir élever son escompte librement.
Messieurs, le troisième argument que j'ai indiqué tout à l'heure fait dire au gouvernement qu'il importe à la considération dont la Banque Nationale doit être entourée de ne pas offrir à l'opposition que rencontrent toujours de grandes institutions de crédit, un prétexte de l'accuser de s'enrichir par une élévation contestée du taux de l'escompte, qu'il faut donner à cet égard une garantie au public et qu'on trouve cette garantie dans l'article 3.
Messieurs, je ne puis en aucune façon me rallier ici aux intentions du gouvernement.
Je trouve dangereuse cette immixtion de l'Etat dans les affaires d'escompte, dans les affaires de la Banque. Je croyais que la théorie gouvernementale consistait à se dégager le plus possible de toute responsabilité, et le gouvernement fait ici le contraire.
Il assume une responsabilité qui doit rester tout entière à la Banque Nationale, et s'il pouvait y avoir quelque doute à cet égard, il faudrait se demander si le gouvernement croit pouvoir présenter au public des garanties plus grandes que la Banque Nationale, dans les mesures relatives à l'escompte, alors que l'on pourra supposer que l'Etat n'agit pas d'une manière désintéressée.
Enfin, messieurs, vient l'argument essentiel, l'argument relatif à l'avantage que la mesure proposée par le gouvernement doit procurer au commerce.
Je dois dire que cet argument est essentiel. Le gouvernement croit l'article 3 favorable au commerce. Je suis d'un avis contraire. Disons d'abord ce que c'est que l'intérêt du commerce ?
(page 554) La chose mérite qu'on la définisse. L'intérêt du commerce est d'obtenir l'escompte à des taux modérés, et que des restrictions subites ne soient point apportées dans l'admission des bordereaux d'escompte.
Je ne défends pas, bien entendu, la thèse qui consiste à prétendre qu'on pourrait arriver à un intérêt fixe ou à peu près fixe. Je la considère comme une utopie, à mettre sur le même rang que la recherche de la pierre philosophale. Je ne défends pas non plus la thèse qui fait dire qu'une grande élévation de l'escompte est un bienfait, en ce sens qu'elle sert d'avertissement contre les entraînements des entreprises et d'un trop grand développement des affaires. Il y a en ceci, comme en toute chose, des termes moyens à prendre.
Je dis que l'intérêt du commerce est d'obtenir l'escompte à des taux moyens assez modérés, et de ne pas voir apporter, du jour au lendemain, des restrictions à l'admission des bordereaux d'escompte.
La question à résoudre est donc celle-ci : Est-ce dans le système de la liberté ou dans le système de la restriction que le problème peut être le mieux résolu ?
Je crois pouvoir prétendre que c'est dans le système de la liberté. Le gouvernement pense, lui, que c'est dans le système de la restriction.
MfFOµ. - Il n'y a pas de restriction.
M. Sabatier. - Nous allons voir.
MjTµ. - Mais non, il n'y en a pas.
M. Sabatier. - Attendez. Le principe fondamental de toute banque d'émission, c'est qu'il faut donner à tout porteur de billets de banque la sécurité désirable, suffisante, que ces billets étant présentés à la Banque seront échangés contre des espèces.
Or, qu'est-ce que la loi a fait pour arriver à donner cette sécurité au public ? La loi a prescrit une certaine proportion entre l'encaisse et les deux éléments qui représentent les billets de banque en circulation et les comptes courants. Lorsque, par une circonstance quelconque, l'encaisse vient à descendre au-dessous du niveau prescrit par les statuts, que fait la Banque ? Elle reconstitue son encaisse dans les proportions voulues et pour arriver à ce but elle a à sa disposition deux moyens : elle peut élever l'escompte ou apporter des restrictions à l'admission des bordereaux d'escompte.
Eh bien, messieurs, quel est celui de ces deux moyens que le commerce considère comme le moins fâcheux ? est-ce l'élévation du taux de l'escompte ou les restrictions à l'admission des bordereaux ?
Il est évident que le commerce préférera toujours l'élévation du taux de l'escompte ; et c'est précisément ce que la Banque ne fera pas, ou ne fera qu'à la dernière extrémité, par la raison fort simple que l'avantage qui résulterait de la mesure ne lui profitera pas. Le gouvernement, de son côté, prendra-t-il l'initiative de la mesure ; s'immiscera-t-il à ce point dans les affaires de la Banque ? Je ne le crois pas, par une raison également fort simple, c'est qu'il hésitera devant la responsabilité qu'il encourra aux yeux du public.
Je dis donc qu'on ne recourra qu'à la dernière extrémité à la hausse d'escompte pour défendre l'encaisse, ou hésitera du moins beaucoup à le faire, et la Banque restera en présence du second moyen qu'elle a à sa disposition, le moyen de restriction dans l'admission des bordereaux, - celui que redoute le commerce. J'ajoute que je crains fort que l'escompte moyen ne soit désormais plus élevé dans le système proposé que dans le système de la liberté, et voici pourquoi : A une élévation un peu rapide de l'escompte, correspond une réaction qui fait descendre l'escompte d'autant plus bas que l'élévation a été plus énergique. Il en résulte, au bout de l'année, une certaine moyenne.
Les circonstances ne se présentait plus, selon moi, de cette façon (cette opinion résulte de ce que j'ai dit précédemment), que fera vraisemblablement la Banque ? Puisqu'elle ne se décidera que difficilement à élever son escompte au-delà de 6 p. c., puisqu'elle sera plus à l'abri que précédemment de toute critique, en raison de la responsabilité que veut bien assumer le gouvernement, elle éprouvera, je le crains, la tentation de maintenir le taux moyen de son escompte à un chiffre assez élevé, plus élevé que celui résultant de l'application du système proposé par la section centrale.
Pour terminer la série de mes observations sur ce point principal, je ferai remarquer qu'en supposant juste, équitable la thèse du gouvernement, la généralité des citoyens profiterait d'un sacrifice imposé au commerce par le fait d'une élévation d'escompte et qu'il en résulterait une sorte d'impôt, qui ne me paraît pas justifié.
Le sacrifice momentané imposé au commerce doit rentrer au fonds social de la Banque, pour profiler ultérieurement à ce même commerce. Telle est ma pensée.
Messieurs, la proposition que trois membres de la section centrale vous ont soumise, n'est pas l'expression de la liberté complète ; maïs elle se rapproche beaucoup plus de cette liberté que la proposition du gouvernement.
Je dois dire que la section centrale a tenu compte, dans son amendement, de quelques observations qui avaient été présentées.
Ainsi, nous avons pris en considération, dans une certaine mesure, cette circonstance du privilège de la Banque, puis aussi de ce fait que la Banque avait été instituée sous l'empire de la loi restrictive du taux de l'intérêt.
En un mot, nous n'avons pas voulu lier les bras à la Banque, quant à l'élévation de l'escompte ; mais nous avons cru devoir apporter un certain tempérament à un système absolu de liberté.
Ce tempérament réside dans ce fait que la Banque ne peut appliquer immédiatement à ses actionnaires les bénéfices résultant de la loi ; elle doit les joindre à son fonds social.
Messieurs, j'ai essayé de démontrer que la proposition de la section centrale est plus conforme à l'esprit de la loi et plus favorable au commerce que celle du gouvernement.
J'ajoute une troisième considération, c'est que l'amendement que je défends se lie étroitement à un système d'augmentation des ressources de la Banque. J'attache de l'importance à ce système, et je tiens à le développer, comme complément de ma thèse.
Je ne sais si l'idée d'augmenter les ressources de la Banque est venue à l'esprit de M. le ministre des finances ; je ne sais même pas s'il trouve cette idée défendable ; mais quant à moi, je le répète, j'y attache assez d'importance pour ne pas me borner à une augmentation éventuelle de ressources provenant de l'élévation de l'escompte au-delà de 6 p. c. Je voudrais voir apporter des modifications à la loi du 5 mai 1850 et aux statuts de la Banque en vue d'accroître ses ressources par des moyens directs que je vais exposer.
La Chambre me permettra d'autant plus d'entrer à cet égard dans quelques considérations que l'augmentation des ressources de la Banque fait faire un pas vers la solution d'une question qui est partout à l'ordre du jour et qu'on appelle communément la question des banques.
Messieurs, qu'est-ce que la question des banques ?
La définition que j'ai donnée de ce qu'était l'intérêt du commerce, peut s'appliquer ici en tous points. La question des banques consiste à rechercher les moyens d'obtenir l'escompte à un taux modéré et de ne pas voir apporter des restrictions subites dans l'admission des bordereaux d'escompte. Si la définition, comme vous le voyez, messieurs, est simple, la solution du problème est loin d'être facile : non pas que les moyens manquent pour arriver à cette solution ; mais précisément parce qu'ils sont si nombreux et si contradictoires qu'on ne sait vraiment auquel entendre.
Il est à remarquer, messieurs, qu'il n'est pas de question qui, jusque dans ces derniers temps, ait été plus souvent abandonnée et plus souvent reprise que cette question des banques. L'un est la conséquence de l'autre, et la raison en est facile à saisir.
Lorsque naguère une crise financière ou monétaire sévissait, chacun à l'envi, publicistes et économistes, apportait un remède pour arrêter le cours de la crise et en prévenir désormais le retour.
La matière étant très abstraite, les moyens présentés pour conjurer le mal nécessitaient d'assez longues études et, pendant qu'on cherchait à se mettre d'accord sur ce qu'il y avait de mieux à faire, la crise venait à cesser et, en raison des difficultés que rencontrait une solution, bien vite on s'empressait de déposer la plume ou de fermer les livres, pour reprendre l'étude de la question, lorsqu'un nouveau trouble financier menaçait de se produire.
Celte question reparaissait donc de temps en temps, les crises n'étant pas nombreuses et étant de peu de durée ; mais depuis quelque temps, messieurs, les crises sont plus intenses, se manifestent à des époques plus rapprochées ; de sorte que les questions qui s'y rattachent restent forcément à l'ordre du jour. Aussi voyez-vous que dans presque tous les pays d'Europe on s'occupe de la question des banques ; de nombreux écrits paraissent ; les plus grands économistes donnent leurs avis ; les congrès eux-mêmes, les congrès scientifiques bien entendu, ne dédaignent pas de donner des conférences sur ce sujet, et vous avez pu lire les nombreux discours prononcés aux congrès de Dresde, Gand, Bruxelles, etc., etc.
Les gouvernements eux-mêmes n'ont pu se soustraire à l'entraînement, et le gouvernement français, en présence des plaintes qui lui ont été adressées par le commerce au sujet des hausses d'escompte, n'a pas hésité à soumettre la question des banques à une enquête et à adresser (page 555) en conséquence aux chambres de commerce, à tous les corps compétents, un questionnaire.
Il me semble que, dans cet état de choses, la Chambre belge peut aussi s'occuper de la question ; elle peut et doit même d'autant mieux le faire qu'il y a des attaches très directes entre cette question et celle soulevée par le projet de loi.
Je vais m'expliquer.
Messieurs, les moyens proposés depuis longtemps pour apporter un remède aux crises de banque, c'est-à-dire aux hausses d'escompte, sont sans aucun doute très nombreux, et ce qui est plus fâcheux, ils sont très contradictoires. Cependant on peut les classer, et je crois pouvoir dire que tout ce que l'on a dit et écrit sur la matière, tous les remèdes mis en avant et que l'on présente comme devant parer au mal, se résument en trois choses essentielles :
1° Appeler en aide la concurrence, c'est-à-dire faire cesser le privilège de l'émission ;
2° Créer ou augmenter les ressources des banques ;
3° Economiser la monnaie.
Tels sont les principes généraux qui découlent des innombrables propositions qui ont surgi sur la matière ; mais qui, je le répète, donnent lieu, chacun en qui le concerne, aux contradictions les plus incroyables.
Pour ne pas étendre trop le débat, je me dispenserai d'indiquer, en ce moment, les avantages ou les inconvénients qui résulteraient de la concurrence en matière d'émission. On pourrait discuter indéfiniment ce point, et je ne veux pas abuser des moments de la Chambre. Je me bornerai donc à rappeler ce que j'ai dit tout à l'heure, c'est que quelques honorables collègues seraient très disposés à voter un projet de loi qui permettrait l'émission des billets de banque, sous certaines conditions à déterminer.
Quant à l'idée de créer ou d'augmenter les ressources des banques, elle se défend d'elle-même.
La Banque est le réservoir dans lequel tout le monde puise. Il est donc naturel qu'on s'occupe des moyens d'en maintenir le niveau.
Il est également naturel qu'avant de recourir aux moyens de refaire l'encaisse, on cherche à ne pas le défaire. La question de la création des ressources des banques est en définitive celle qui a le plus préoccupé les économistes ; aussi les idées que l'on cherche à faire prévaloir à ce sujet, sont-elles très complexes et les moyens de les réaliser très variés.
Voici en quoi elles consistent : augmentation du capital ; création d'obligations ; billets de banque à intérêt ; établir des comptes courants à intérêt ; vendre de l'escompte, etc.
J'indique les moyens ; je ne les discuterai pas, sauf un seul qui me paraît mériter une mention toute spéciale ; c'est celui qui consiste à mettre la Banque Nationale dans le droit commun en lui permettant de vendre de l'escompte. Cette idée a été émise récemment par un honorable industriel du pays, M. Ernest Boucqueau. La presse s'en est occupée et je vais dire à mon tour ce que j'en pense.
M. Boucquéau voudrait que la Banque fût obligée de mettre en tout temps de l'escompte à la disposition du public et ce à 1 p. c. de moins que le taux d'escompte prélevé par elle ; elle se trouverait également obligée de reprendre le papier qu'on serait venu lui acheter, c'est-à-dire de l'escompter une seconde fois, il y a certainement du bon dans cette idée ; mais en pratique je rencontre certaines difficultés qu'il me paraît difficile d'éviter.
Ainsi, quand l'escompte est très bas, c'est que la Banque a suffisamment de ressources. Pourquoi dès lors la mettre dans le cas de voir augmenter inutilement ces ressources en dégarnissant son portefeuille ? Le moyen proposé devrait donc être facultatif.
C'est dans les moments de crise, alors que l'escompte est élevé, que la Banque mettrait utilement en œuvre ce moyen. Mais si la Banque s'obligeait à réescompter sa propre signature, les ressources qu'elle se serait procurées pourraient lui faire défaut au moment où elle en a le plus besoin. Je n'admets donc pas que cette obligation puisse être souscrite par la Banque ; je voudrais, au contraire, qu'il fût bien entendu que la Banque ne devrait pas escompter le papier portant son endos. Dans ces conditions, j'admets très volontiers l'idée de M. Boucquéau.
Je ne discuterai pas les autres moyens que je viens de rappeler et qui sont mis en avant pour augmenter les ressources des banques. Je repousse ces moyens et j'aborde ceux recommandés par la section centrale.
Je suis d'accord avec l'honorable rapporteur sur les avantages à retirer d'une modification à apporter dans l'article 13 des statuts de la Banque, comme moyen de reculer le moment où, pour défendre son encaisse, la Banque augmente son escompte et je demanderai au gouvernement s'il croit possible de tenir compte à cet égard des observations si bien présentées par l'honorable M. Jamar.
Messieurs, j'occupe la Chambre depuis assez longtemps. Je suis fatigué, je tâcherai d'abréger.
L'article 13, dont on s'est beaucoup occupé en dehors de cette enceinte, impose à la Banque l'obligation de maintenir une certaine proportion entre le chiffre d'émission des billets de banque augmentés des comptes courants et l'encaisse.
On a pensé que, pour donner toute sécurité aux porteurs de billets de la Banque, il fallait que cet encaisse fût du tiers de cette émission et de ces comptes courants. Le gouvernement, je crois, est autorisé à abaisser cette proportion au quart. Vous savez, messieurs, qu'il est assez difficile de fournir une explication satisfaisante des dispositions que comporte cet article 13.
L'honorable ministre des finances lui-même l'a reconnu dans l'exposé des motifs de la loi de 1850, et les écrivains qui se sont occupés de la question ne sont pas parvenus à dire la raison réelle de ces dispositions. Le rapport de la section centrale constate également la chose.
Il est de fait qu'une proportion constante de l'encaisse donne une sécurité inutile ; on n'en donne pas assez suivant que l'émission des billets de bisque et le chiffre des comptes courants est plus ou moins élevé. Je suis tenté de demander avec l'honorable M. Jamar : Recourons à la loi hollandaise et autorisons le gouvernement à fixer la proportion de l'encaisse suivant les circonstances.
Sans doute la sécurité des porteurs de billets de banque exige qu'à tout instant ces billets puissent être remboursés.
Mais il faut bien remarquer qu'un certain temps est nécessaire pour opérer ce remboursement et que dans le cas d'une émission considérable de billets, la Banque voit rentrer une partie de son portefeuille pour l'aider au remboursement.
Un encaisse trop considérable est donc inutile alors et l'on pourrait, ce me semble, en descendre la proportion au 1/5 suivant les circonstances. Il ne faut pas oublier que ce qui fait la sécurité des billets de banque, c'est la parfaite solidité des effets en portefeuille.
Sous ce rapport les opérations de la Banque et la prudence qu'elle apporte dans l'admission des bordereaux ne laissent rien à désirer.
L'article 13 peut donc être modifié, tout en laissant une entière sécurité au public, et si l'encaisse pouvait descendre au cinquième de la circulation et des comptes courants, elle trouverait dans ce fait une augmentation relative des ressources qui lui viendrait en aide pour ne pas devoir recourir à une élévation d'escompte lorsque le niveau de l'encaisse tendrait à descendre.
Je suppose, par exemple, que le chiffre des billets de banque en circulation s'élève à 120 millions et les comptes courants à 40 millions ; ensemble 100 millions.
Aujourd’hui la réserve métallique doit être d'un tiers, c'est-à-dire de 53 millions ; si on la réduisait au cinquième, elle ne serait plus que de 32 millions.
C'est donc une différence de 21 millions, qui permettrait à la Banque de parer aux éventualités de hausse d'escompte.
Il est bien évident, messieurs, que si la création de ressources, par la modification de l'article 13 des statuts devait amener la Banque à étendre ses opérations, le moyen proposé serait beaucoup plus nuisible qu'utile, puisqu'on se trouverait bientôt dans la situation que l'on veut éviter, celle d'avoir un encaisse s'approchant constamment de la limite statutaire avec un encaisse proportionnellement moindre qu'avant.
Il faut, au contraire, que la Banque restreigne ses opérations à celles que comporte l'esprit de son institution. Elle doit escompter le papier de commerce et pas autre chose. Elle doit avoir à cet égard des règles aussi invariables que faire peut. Je dois à cet égard déclarer qu'il est à ma connaissance que si ; il y a quelques années, elle acceptait du papier dont la qualité de statutaire pouvait être contestée, elle est entrée depuis quelque temps dans une voie plus rationnelle, et je ne puis que l'engager à maintenir les règles qu'elle s'est imposées sans rompre, bien entendu, trop brusquement avec ses précédents.
La tentation de faire le maximum d'affaires est grande, il faut y résister ; les ressources de la Banque s'en trouveront augmentées et tout viendra concourir à éloigner le moment où la mesure de l'élévation trop forte de l'escompte devra être prise. Ainsi se réalisera plus sûrement le but de l'institution. Si les bénéfices de la Banque s'en ressentent défavorablement, raison de plus pour adopter l'amendement de la section centrale.
Sur ce point, messieurs, je me résume en demandant que le gouvernement ait la faculté d'abaisser l'encaisse au cinquième, au lieu du tiers ou du quart, et que la Banque rentre de plus en plus dans des errements conformes à l'esprit de son institution ; je suis, en cette matière, (page 556) en parfaite conformité de vues avec l’honorable rapporteur de la section centrale.
J'aborde un dernier objet, celui relatif aux excellents conseils que donne l'honorable M. Jamar au commerce. Ils permettront de réaliser l'économie du numéraire, économie qui apporte aussi son contingent à la solution de la question des banques ; puisque l'emploi d'une trop grande quantité de numéraire dans les transactions diminue les ressources des banques.
L'honorable rapporteur recommande au commerce l'extension du système des chèques ; je me joins à lui et ne désire rien tant que de voir, comme complément de ce système, opérer entre participants, l'échange des chèques, de manière à arriver à l'institution des bureaux de liquidation ou clearing house. Les chèques appellent les comptes de dépôt, et l'échange des chèques amène l'économie du numéraire ; c'est évidemment là qu'il faut tendre.
Puisque je m'adresse au commerce, je me permettrai de lui rappeler une mesure très favorable à ses intérêts et que la Banque a prise depuis bien longtemps sans qu'elle ait obtenu, jusqu'à présent, tout le succès attendu.
Cette mesure consiste à offrir l'escompte à 1/2 p. c. de moins pour les traites acceptées que pour celles non acceptées. Pourquoi ne pas profiter de cet avantage ?
La demande d'acceptation paraît aux yeux de quelques-uns un acte de méfiance. Il me semble que si méfiance il doit y avoir, elle s'adresse bien plus à la personne qui crée un effet qu'à celle qui doit le payer. En tout cas, il serait temps de rompre avec la routine et de mettre en pratique un usage qui donne une valeur plus sérieuse au papier de commerce et en faveur duquel la Banque consent à offrir une réduction d'escompte.
Messieurs, je termine par où j'ai commencé, et je dis que si le gouvernement ne croit pas qu'il puisse modifier la loi de 1850 et les statuts de la Banque dans un bref délai, et dans le sens indiqué dans le rapport de la section centrale, au lieu de dire que le bénéfice à résulter de l'application de la loi sera ajouté à la réserve, il faudra dire que ce bénéfice sera ajouté au fonds social.
(page 544) M. Bouvierµ. - Un grand économiste a dit : « Le numéraire est essentiellement rebelle aux ordres de la loi ; il vient sans qu'on l'appelle, s'en va quoiqu'on l'arrête, sourd aux avances, insensible aux menaces ; attiré seulement par l'appât du profit. »
Le projet de loi soumis à vos délibérations n'est que l'application de cette rigoureuse formule. Il consacre le triomphe de la science économique sur d'anciens préjugés, préjugés qui méconnaissaient cette idée si simple que l'argent est une marchandise subissant les lois éternelles et inexorables de l'offre et de la demande.
Le principe du projet de loi est donc inattaqué, il confirme les principes d'égalité et surtout de moralité trop souvent méconnus sous les noms de commission, perte de place et autres petits accessoires que certaines catégories de personnes ou d'établissements de banque emploient pour éluder les prescriptions de la loi de 1807.
Le projet de loi constitue donc une véritable amélioration dans notre législation. Mon approbation tacite lui était acquise si l'amendement proposé par la section centrale ne m'imposait en quelque sorte le devoir de rompre le silence pour protester contre son adoption.
D'après le projet de loi, le bénéfice résultant pour la Banque Nationale de la différence entre l'intérêt légal 6 p. c. et le taux perçu par cette institution est attribué au trésor public.
L'amendement modifie cette disposition en ce sens que ce ne serait plus le trésor public qui profiterait de cet avantage, de ce cadeau comme viens de le dire M. le ministre de la justice dans une interruption à l'occasion du discours que vous venez d'entendre, mais le fonds de réserve de la Banque, en d'autres termes plus clairs, les actionnaires de cet établissement.
Je commence par dire que cet amendement a trouvé son origine dans la loi française de 1857, qui a décrété l'augmentation du capital de la Banque de France et qui renferme le principe consacré par cet amendement. Le gouvernement français, pour porter une atténuation aux découverts du trésor, avait jugé convenable d'emprunter à celui-ci une somme de cent millions, et en échange de ce bon procédé, il lui avait accordé une prolongation de privilége, plus une petite disposition qui porte que lorsque le taux de l'intérêt que cette banque exigera dépassera 6 p. c, la différence ne sen pas au profit du trésor, mais ira s'ajouter à la réserve, tout comme l'amendement formulé par la section centrale.
Vous êtes sans doute curieux de savoir le chiffre auquel s'est élevé cette usure pendant l'exercice de 1864 clôturant les écritures de la Banque au 1er janvier de l'année 1863.
Eh bien, je vais satisfaire à votre légitime curiosité. Ce chiffre s'est élevé à la somme énorme de 3,000,754 fr. Vous voyez que ce n'est pas une bagatelle !
M. Sabatier. - On fait en France pour huit milliards d'escompte.
M. Bouvierµ. - La Banque Nationale fait à peu près pour un milliard, c'est donc environ le huitième du chiffre que vous accusez. Eh bien, le huitième de trois millions de bénéfices au-delà de 6 p. c., ce n'est pas une bagatelle.
M. de Brouckere. - C'est 370,000 francs.
M. Bouvierµ. - C'est 370,000 francs, comme le fait remarquer l'honorable M. de Brouckere.
Qu'en est-il résulté ? Ce chiffre considérable a fait jeter les hauts cris au commerce français.
L'amendement de la section centrale est donc destiné à recevoir une application souvent renouvelée. Quelles seront les conséquences de son adoption ? C'est que les mêmes clameurs qui se sont produites chez nos voisins contre la Banque de France, et qui ont forcé le gouvernement français à ouvrir une enquête sur les causes de l'élévation de l'escompte et la périodicité des crises commerciales se feront entendre, à un jour donné, contre notre grand établissement de crédit public. Je veux lui éviter cette pénible situation en m'élevant contre la doctrine proclamée par l'amendement que je combats.
La Banque Nationale s'est acquis une trop belle position dans notre pays par les grands et signalés services qu'elle rend au commerce et à l'industrie belge, pour que nous allions de gaieté de cœur la gâter en quelque sorte. Elle se rattache trop intimement aux destinées financières du pays pour lui faire perdre cette brillante et puissance position, et l'échanger contre une situation pleine de périls. Son adoption nous ferait taxer de complaisance ; il fournirait l'occasion de créer un monopole, un privilège ; il éveillerait les mauvaises passions qui se hâteraient de proclamer que nous professons dans cette enceinte le culte des intérêts privés au lieu de nous consacrer à la défense des intérêts généraux du pays.
On prétendait que la Banque de France n’élevait le taux de son (page 545) escompte que pour forcer le chiffre de la réserve et favoriser ses actionnaires par de gros dividendes.
J'ajoute immédiatement que ces plaintes n'étaient pas fondées, car il n'est pas au pouvoir des banques de circulation de déterminer le loyer du capital ; celles-ci subissent fatalement les influences du marché, de la pénurie ou de l'abondance du numéraire et surtout de cette loi de solidarité qui atteint, dans les sociétés modernes, le monde matériel comme le monde moral.
La circulation des capitaux s'étend sur l'univers entier, grâce au nouveau principe de la liberté des échanges brisant dans sa marche féconde les langes qui comprimaient autrefois l'essor industriel du génie humain. En présence de ce nouveau principe qui change la face du monde, faut-il s'étonner que le capital soit devenu plus rémunérateur ? Aussi, estimons-nous, pour notre part, que nous entrons dans une période où le taux de l'intérêt conservera un prix élevé.
En dehors de cette considération, j'en trouve d'autres, puisées dans le rapport de la section centrale, qui prétend que le principe de l'article 3 du projet de loi va à rencontre de celui proclamé dans l'article premier établissant la liberté du prêt.
Y a-t-il contradiction entre le principe nouveau et la restriction portée à l'exercice de ce droit en ce qui concerne comme la Banque Nationale. Je ne le pense pas ?
Lorsque la loi du 5 juin 1850, portant institution de la Banque, a été promulguée, cet établissement savait que le taux de l'escompte ne pouvait franchir, en présence de la loi de 1807, le chiffre de 6 p.c. Faire profiter, même indirectement, les actionnaires de cet excédant en le portant à la réserve, ce serait ajouter au privilège accordé par cette loi à la Banque, qui jouit déjà du droit d'émettre du papier faisant fonction de numéraire, papier reçu dans les coffres de l'Etat. Ce serait en quelque sorte donner à la loi en discussion un effet rétroactif.
Par l'adoption de l'amendement, vous augmenteriez à la vérité le capital disponible par l'escompte, mais il ne profiterait qu'à une classe de citoyens, les négociants, au détriment de la généralité des citoyens.
L'article 3 est avantageux au trésor public, il aura d'ailleurs une grande portée lors du renouvellement du privilège de la Banque.
C'est une erreur de croire, selon une opinion personnelle exprimée dans le rapport de la section centrale, que l'adoption de l'article 3 du projet de loi amènerait une élévation du taux de l'escompte, car si cette prétention était fondée, cela équivaudrait à dire que, pour éviter cet inconvénient, il serait utile d'augmenter le capital de la Banque, ce qui est inadmissible. Ce n'est pas le chiffre seul du capital d'une banque qui fait sa fortune, mais c'est le crédit dont elle jouit et qu'elle donne, c'est la confiance qu'elle inspire qui fonde sa solidité avec sa prospérité.
Plus son crédit s'élèvera, plus elle sera faite pour résister à la violence de crises si fatales au commerce et même les dompter. Elle vient d'en donner une preuve toute récente. La Belgique n'a subi qu'une commotion passagère de la crise commerciale qui a envahi la France et frappé surtout l'Angleterre. L'encaisse de la Banque n'a subi d'autres fluctuations que celles provenant de l'offre et de la demande qui seules ont déterminé le taux de son escompte.
C'est une erreur de croire que le gouvernement cherche par le projet de loi des ressources fiscales dans les opérations de la Banque. Ce projet ne change en rien la situation de cet établissement, qui demeure intacte. Avant comme après son adoption, la Banque fonctionnera comme elle a toujours fonctionné ; seulement le bénéfice qu'elle fera au-delà du taux de 6 p. c. profitera au trésor public, au lieu de s'ajouter à la réserve dont la part à revenir à l'Etat n'est que d'un sixième, d'après la loi de 1850. Il ne tend donc pas à frapper le commerce d'un impôt nouveau, comme l'insinue le rapport de la section centrale ; il a pour objet, au contraire, d'établir en principe une mesure utile puisqu'elle portera avec elle la preuve que ce grand établissement n'élève pas arbitrairement à son profit le taux de son escompte et de ses avances. C'est une mesure de haute moralité dont elle profitera avec usure, ainsi que les contribuables. Elle imposera en quelque sorte un frein aux clameurs que l'adoption de l'amendement soulèverait en temps de crise ou de pénurie de capitaux.
Mais une mesure que je voudrais voir adopter dans l'intérêt du commerce et de l'industrie et que je considère comme très efficace, ce serait de voir disparaître la disposition de la loi du 5 mai 1850 qui rend obligatoire l'emploi de la réserve en fonds publics, réserve dont le chiffre s'élève aujourd'hui à dix millions. Cette somme, immobilisée en quelque sorte, absorbe une partie notable du capital de la Banque ; pourquoi ne pas la rendre disponible pour augmenter les ressources de cet établissement, en ce qui concerne ses escomptes et ses avances ?
C'est une question que je soumets à la sollicitude éclairée du gouvernement. J'espère qu'il pourra nous soumettre, avant l'expiration du privilège de la Banque, un projet de loi dans ce sens, qui répondra aux exigences légitimes du commerce. Il permettra aussi à la Banque de seconder, avec plus d’efficacité encore, les efforts du commerce belge dans sa marche de progrès et de fécondité, qui aura pour couronnement l'augmentation de la richesse nationale.
M. Lelièvre. - Le principe fondamental du projet de loi n'est méconnu par personne.
Nous décrétons d'une manière générale et absolue la liberté du prêt à intérêt.
Les parties pourront stipuler librement le taux de l'intérêt, c'est-à-dire les conditions du loyer du capital comme elles règlent le montant du loyer d'une maison ou de tout autre immeuble.
Nous applaudissons à ce régime, qui est une conséquence de la liberté commerciale, dont le bienfait est généralement apprécié.
Une seule question doit être examinée.
Introduira-t-on certaines restrictions dans le cas où il y aurait abus de l'ignorance et des besoins de l'emprunteur ?
En 1860, la Chambre ne les a pas admises, alors qu'il s'agissait d'édicter, en pareille occurrence, des dispositions pénales. Nous pensons qu'on ne peut aujourd'hui les inscrire dans le projet.
En effet, on dit avec fondement qu'en cette matière les pénalités et les mesures prohibitives ne font qu'aggraver la position de l'emprunteur ; que, dans l'intérêt sainement entendu de celui-ci, il est préférable d'abandonner tout ce qui concerne le prêt à la concurrence et à la liberté ; que la convention dont il s'agit doit être mise sur la même ligne que le contrat de louage, et que rien ne justifie des distinctions à établir entre le prêt et les autres contrats dont les stipulations sont laissées à la libre appréciation des intéressés.
Il est incontestable qu'établir des restrictions qui permettent aux tribunaux de réduire dans certains cas le taux de l'intérêt, c'est précisément faire naître les contestations et donner lieu aux inconvénients que le projet de loi a pour but de faire cesser.
C'est créer pour le prêt un régime exceptionnel alors que les principes économiques exigent qu'il ne soit soumis qu'aux règles du droit commun.
Nous allons même plus loin. Nous ne pensons pas que l'on doive admettre des restrictions en cas d'abus des faiblesses et des passions de l'emprunteur, et en cela je ne partage pas le système consacré par le nouveau Code pénal.
D'abord, nous ne voyons pas qu'il y ait des motifs sérieux d'établir sur ce point une législation spéciale différente de celle qui régit les contrats en général.
En second lieu, il n'y a aucune nécessité de sauvegarder sous ce rapport des intérêts privés qui sont suffisamment protégés par les dispositions du droit civil.
Du moment que les majeurs ne se trouvent pas dans le cas d'être interdits ou placés sous conseil judiciaire, la loi ne doit intervenir que quand il s'agît de manœuvres frauduleuses portant atteinte à l'ordre public. C'est le cas prévu par le paragraphe 2 de l'article 4 de la loi du 5 septembre 1807.
Quant aux mineurs, ils sont suffisamment protégés non seulement par la tutelle, mais encore par les dispositions de l'article 406 du Code pénal.
Du reste, ce qui ne doit pas être perdu de vue, c'est que le projet, en décrétant la liberté des transactions, ne fait que consacrer les principes qui ont présidé à la rédaction du Code civil.
Le passage du discours préliminaire du projet de ce code, transcrit dans le rapport si remarquable de l'honorable M. Jamar, démontre qu'alors déjà on reconnaissait que le prix de l'argent ne pouvait être fixé par des règlements et qu'en cette matière force était de s'abandonner à la concurrence et à la liberté.
Or, ce principe une fois reconnu, il est impossible de vouloir protéger l'emprunteur au point de vue de sa passion ou de ses faiblesses, plutôt que dans le contrat de constitution de rente, la vente à réméré et autres contrats de quelque valeur qu'ils soient.
Ce système a également pour conséquence nécessaire de faire respecter les conventions intervenues entre les parties en ce qui concerne l'obligation pour le débiteur de ne pouvoir rembourser le capital qu'à une époque déterminé, quel que soit le taux de l’intérêt.
Du moment qu'on admet qu'il s'agit d'une matière dans laquelle les contractants sont libres de faire telles stipulations qu'ils jugent convenables, il y aurait inconséquence à porter la moindre atteinte aux conventions arrêtées. Celles-ci doivent nécessairement recevoir leur exécution, elles tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites (article 1134 du Code civil).
(page 546) Je ne puis donc que donner mon assentiment aux articles 1 et 2 du projet, sans modification aucune. L'ordre de choses proposé et que d'autres nations ont déjà établi, sera sous peu le droit commun du continent. C'est une des plus belles améliorations qui ont été réalisées depuis longtemps. En cela encore, la Belgique n'aura pas été la dernière à proclamer les principes de liberté qui sont sa rve et assurent sa prospérité.
M. Vermeireµ. - Messieurs, avant d'entrer dans quelques considérations sur l’objet du projet de loi en discussion, qu'il me soit permis de répondre deux mots à l'honorable M. Bouvier au sujet de l'excédant qu'avait produit à la Banque de France l'intérêt supérieur à 6 p. c.
L'honorable M. Bouvier a dit que, pour l'année 1864, cet excédant a été de 3,764,000 fr., et que, comparativement, cet excédant aurait dû être de 376,000 pour la Banque Nationale de Belgique, le rapport des affaires étant de 1 à 10.
Je rappellerai à l'honorable M. Bouvier que la Banque Nationale n'a pas toujours escompté au même taux que la Banque de France, et que son raisonnement, même en ce qui concerne la Banque de France, n'est appuyé sur aucun fait patent, car si l'escompte avait été plus bas très probablement les affaires auraient été plus considérables.
Ceci dit, messieurs, je demanderai à la Chambre la permission de faire mes observations en ce qui concerne la question des banques.
Il me semble qu'il est toujours bon que les principes soient rappelés afin que la liberté de l'intérêt puisse s'implanter d'autant mieux dans l'esprit du public que cette liberté est mieux comprise.
La question du prêt à intérêt a fait de tout temps l'objet de graves préoccupations, de profondes investigations, d'études sérieuses. Si cette grave question qui a tant occupé les esprits sérieux n'a pas encore reçu de solution satisfaisante, c'est que, habitués aux traditions, nous avons hésité de porter une main téméraire sur des lois et des institutions consacrées par le temps et auxquelles l'ordre social est étroitement lié.
Mais quelque vénéré, quelque respectable que soit ce sentiment, il importe cependant de le circonscrire dans de justes limites. Il importe surtout de tenir compte des faits, tels qu'ils se présentent dans nos sociétés modernes ; de tenir compte, dis-je, des progrès, de l'extension et du développement que prennent les relations d'affaires, ainsi que des besoins nouveaux qui en sont la conséquence nécessaire.
Si, d'une part, il faut se garder de toucher sans nécessité à des institutions anciennes, passées dans les habitudes ; d'autre part, cependant, ou ne doit point adopter aveuglément toutes les doctrines des générations passées.
Je n'ai pas besoin, messieurs, de rappeler ici que la question qui nous occupe a de profondes racines dans l'histoire. Le prêt à intérêt a été réglementé chez les peuples les plus anciens : chez les Hébreux, chez les Grecs et chez les Egyptiens.
A Rome, le taux de l'intérêt était fixé par la loi et il ne pouvait point être dépassé, parce que les questions des dettes et de l'usure y étaient une cause incessante de troubles et de sédition. Quand le citoyen romain, obligé d'aller combattre l'ennemi de la république, revenait à son foyer, il y trouva souvent sa famille dans la ruine et la désolation.
Alors, ayant recours à l'emprunt, qu'il ne put obtenir qu'à des conditions fort onéreuses, ses embarras augmentèrent outre mesure et ses dettes s'accumulant, avec une rapidité effrayante, plongeaient le malheureux dans une misère profonde, souvent même dans un affreux désespoir. Pour combattre un mal aussi intense, le peuple demanda des lois contre l'usure ; de même que, dans des temps de disette, on demande la prohibition des grains à la sortie. L'expérience nous a prouvé que, ni dans l'un ni dans l'autre cas, ces mesures restrictives ne peuvent atteindre un but utile.
Les Pères de l'Eglise, en présence des cris de détresse que faisaient entendre les écrivains profanes, les poètes, les philosophes et les historiens, contre les exactions des prêteurs et attribuant à ceux-ci les malheurs, les ruines et les troubles, avaient cru devoir défendre le prêt usuraire, sous les peines les plus sévères.
M. Jules Liégeois, dans son Essai sur l'histoire et la législation de l'usure, trace de la situation économique de Rome un tableau sinistre : « Pour constater la triste position des emprunteurs, dit-il, les pères n'avaient qu'à jeter les yeux autour d'eux : au milieu de cette chute immense de l'empire romain par laquelle la Providence préparait l'avènement de la civilisation moderne, la désorganisation sociale, l'abandon du commerce et de l'industrie, l'insécurité des routes et des mers, l'inégalité de jour en jour plus choquante de la répartition des richesses, l'impuissance ou le mépris des lois, enfin la dégradation des mœurs, avaient contribué à étendre, sur la face de l'empire, la lèpre d'une misère incommensurable, d'un paupérisme toujours croissant. Il n'y avait pas, pour ainsi dire, de prêt ayant pour objet un emploi fructueux des capitaux : on ne faisait guère des emprunts que pour fournir au malheureux le pain du jour en lui arrachant celui du lendemain. Dans de semblables conditions économiques, l'usure devait prendre, et elle prit, en effet, des proportions qui attirèrent sur elle les anathêmes des Pères de l'Eglise. »
J'ai lieu de croire que ce tableau, tracé d'une main fidèle et assurée, fait apparaître les motifs pour lesquels l'Eglise avait anathématisé le prêt à intérêt : parce que, à part la décadence morale et matérielle du peuple romain, « le prêt n'avait point pour objet un emploi fructueux des capitaux. » Si cet emploi fructueux eût existé ; si, au lieu de déchoir, la société se fût enrichie par le travail, si, au lieu d'être abandonnés, le commerce et l'industrie eussent fleuri, l'Eglise n'aurait certes point flétri le prêt à intérêt, car, au lieu d'une cause de ruine, elle y aurait découvert une source de prospérité.
Encore un mot sur cet objet, à ceux qui croient que le Christ lui-même a condamné et flétri le prêt à intérêt. C'est une erreur. Si le Sauveur donne le conseil charitable d'aider le malheureux et de ne point compter sur la restitution du capital et de l'intérêt, il n'en flétrit pas moins dans la parabole du talent en l'appelant serviteur méchant et paresseux, celui qui, au lieu de faire valoir son talent et de le rapporter avec l'intérêt (cum usura, dit saint Luc), l'avait enfoui en terre ; tandis qu'il loue comme serviteur bon et fidèle, celui qui, ayant reçu cinq talents, les a fait profiter en doublant le capital de son maître.
Mais ce n'est pas seulement dans les premiers siècles du christianisme et au moyen âge que les mêmes erreurs économiques ont été converties en lois pénales.
L'article 1907 du Code civil détermine le caractère du prêt. La loi du 30 septembre 1807 règle le taux de l'intérêt et commine des peines sévères contre celui ou ceux qui auraient stipulé un intérêt supérieur à celui qui est autorisé par la loi.
Quels pouvaient être les motifs pour lesquels la loi sévissait avec tant de rigueur contre les usuriers ? Ceux-ci sont indiqués, par M. Jaubert, conseiller d'Etat, dans l'exposé des motifs de la loi de 1807.
« … Il est reconnu, disait M. Jaubert, que le taux excessif de l'argent attaque la propriété dans ses fondements ; qu'il mine l'agriculture ; qu'il empêche les propriétaires de faire des améliorations utiles ; qu'il corrompt les véritables sources de l'industrie ; que, par la pernicieuse facilité de se procurer des gains considérables, il détourne les citoyens des professions utiles et modestes ; enfin qu'il tend à ruiner des familles entières et à y porter le désespoir. »
Il suffit d'indiquer ces motifs pour en apprécier l'absurdité et pour reconnaître que, au lieu de mener à ces fatales conséquences, c'est à des fins entièrement opposées que l'on arrive ; que, au lieu de ruiner les familles et d'y porter la ruine et le trouble, l'emprunt, fécondé par le travail, produit cette prospérité universelle que nous constatons avec bonheur.
Nous croyons ne pas devoir nous occuper davantage à réfuter ces objections qui ne peuvent trouver leur raison d'être que dans des appréhensions non justifiées ; nous répéterons seulement que, si le bas taux de l'intérêt doit être considéré comme une source de prospérité, ce n'est point au moyen de restrictions que l'on pourra obtenir ce résultat avantageux.
En effet, l'histoire nous enseigne que, à Gênes, à Florence et à Venise, où le prêt était librement pratiqué, la prospérité était grande et rapide, et que ces villes s'étaient attiré tout le commerce et tout l'argent de l'Europe.
L'Angleterre et la Hollande, où le prêt était plus libre que dans d'autres pays, avaient atteint, également, un haut degré de prospérité.
L'histoire nous apprend encore que les pays où le taux de l'intérêt était renfermé dans des limites plus ou moins étroites, ont plus de difficultés de se procurer des ressources, que les pays où existence plus grande liberté.
Ainsi tandis que Louis XIV était obligé de contracter des emprunts à des taux ruineux, la Hollande, qui était appauvrie par ses guerres avec la France, empruntait à 4 p. c. On constate encore que, au XVIIIème siècle, le taux courant de l'intérêt était en Angleterre de 3 p. c.
(page 547) Non seulement le gouvernement français empruntait à des taux ruineux sous Louis XIV ; mais il en fut de même sous la restauration et sous Louis-Philippe. A ces époques, des centaines de millions ont été empruntes au taux de 7,3 et 9 p. c. (Suit un tableau plus détaillé, non repris dans la présente version numérisée).
Je crois avoir prouvé, par ces exemples, que, en ce qui concerne le loyer des capitaux, la liberté doit amener le bon marché ; et que toutes les mesures restrictives doivent donner un résultat opposé.
Un fait cependant nous frappe : celui de voir, en ces derniers temps, des fluctuations nombreuses et subites dans le taux de l'intérêt. A quels motifs sérieux doit-on attribuer cet état de choses ? L'on ne peut, certes, nier la solidarité qui engage les divers pays. Il en est des capitaux comme d'autres objets dont le prix se règle sur l'offre et la demande. Les capitaux sont-ils rares, ils s'obtiennent à des prix plus élevés que lorsqu'ils sont abondants. Cependant des hommes pratiques font observer qu'il ne faut pas s'exagérer l'influence qu'on attribue à cette solidarité, surtout en ce qui concerne l'emploi momentané des capitaux sous la forme de l'escompte. Et, à ce sujet, on fait observer que, de temps immémorial, l'escompte a été généralement plus élevé en France que sur les principales places de l'Allemagne et de la Hollande, sans que, cependant, les réserves métalliques soient passées dans le premier de ces pays. D'abord on ne déplace pas des sommes considérables pour la simple différence temporaire d'un léger bénéfice ; et, ensuite, ce déplacement s'opérant généralement par des particuliers, au moyen de l'intervention des banques, celles-ci sont toujours libres, si elles le désirent, de restreindre ces opérations.
La véritable raison, selon moi, consiste dans l'organisation vicieuse des deux grands établissements qui règlent le crédit en Europe : La Banque d'Angleterre et la Banque de France.
L'un et l'autre de ces établissements n'ont pas assez de ressources pour rendre au commerce et à l'industrie des services suffisants ; de plus, ils immobilisent une grande partie des capitaux en rentes sur l'Etat. Dans un livre qui a paru récemment (La Banque de France et l'organisation du crédit en France, par Perdre), l'auteur n'hésite pas à dire : « Que la Banque de France, en possession d'un monopole de fait, a perdu complètement de vue la mission de faire passer, aux meilleures conditions possibles, les capitaux des mains qui les possèdent dans celles qui les emploient, ; et qu'elle en est venue à considérer le capital qu'on lui a permis de prélever, gratuitement, sur la circulation, comme une propriété privée dont elle peut user et abuser ; qu'elle se procure, ainsi, des bénéfices énormes au détriment du commerce et de l'industrie.
« Que la Banque ne satisfait que très incomplètement aux besoins de l'industrie.
« Qu'il n'y a possibilité de mettre un terme aux crises ruineuses qui se reproduisent chaque année, et de répondre à tous les besoins du pays que par la concurrence de nouveaux capitaux ou par une réorganisation du Crédit, dans laquelle le privilège de la Banque de France sera réorganisé et mis en harmonie avec de nouvelles institutions. »
Je sais fort bien que le capital, au moyen duquel on institue les banques ne joue qu'un rôle relativement minime dans le chiffre d'affaires de ces institutions.
Toutefois, nous devons faire remarquer qu'une proportionnalité entre l'encaisse et l'émission devant être gardée, le crédit doit être restreint dans la mesure de l'écart qui existe entre ces deux éléments. Il importe donc à la banque qu'elle augmente son encaisse métallique dans les limites du possible, qu'elle convertisse en métaux les fonds publics qu'elle possède, afin que, son encaisse étant devenu plus considérable, son émission puisse augmenter dans la même proportion.
L'article 13 des statuts de la Banque Nationale porte : « La Banque est tenue d'avoir un encaisse métallique égal au tiers au moins du capital réuni des billets en circulation et des sommes dépassées.
« L'encaisse pourra, toutefois, descendre au quart avec l'autorisation du gouvernement. »
Comme on avait attribué à l’insuffisance de l’encaisse l'exiguïté de l'escompte, je me suis demandé si cette insuffisance existait en fait. Voici le résultat en ce qui concerne le mois de janvier : (détail non repris dans la présente version numérisée).
De manière que cette insuffisance de ressources n'existait point au 31 du mois passé.
Si nous considérons d'une part, que le service à rendre, par la Banque, au commerce et à l'industrie, doive être proportionnée au développement que prennent, d'année en année, ces éléments de la prospérité publique, nous devons constater, d'autre part, que l'accroissement des ressources de la Banque doit y être proportionné. Ainsi, par exemple :
Si, en 1853, avec un encaisse de 75,500,000 on a escompté 715,300,000, nos relations commerciales étant de 1,276,600,000 et qu'en 1863, avec un encaisse de 74,500,000 on a escompté pour 1,063,000,000, nos relations commerciales étant de 2,060,100,000 sans compter l'accroissement considérable des affaires à l'intérieur, l'encaisse métallique devrait être de 113,000,000 ; or, pour obtenir plus facilement ce résultat il faudrait, selon moi, que toutes les ressources de la Banque fussent converties en métaux et si celles-ci étaient encore insuffisantes, il faudrait, selon moi, y pourvoir ou par une augmentation du capital de la Banque permettant la constitution d'un encaisse plus fort, ou par la création d'autres banques, jouissant des mêmes droits d'émission et venant, ainsi, combler les lacunes laissées ouvertes par la Banque Nationale.
Je ne discuterai pas, pour le moment, la question de l'unification ou de la pluralité des banques : des controverses nombreuses et savantes se sont produites sur cette question, qui sera soulevée d'autant plus souvent que la banque unique restera en défaut de rendre les services sur lesquels comptent le commerce et l'industrie.
Déjà en 1850, des économistes et entre autres Joseph Garnier dans son livre : Eléments d'économie politique, a dit : « L'avenir des banques est dans la liberté pleine et entière de ces établissements, qui trouveront, dans la fécondité de ce régime, la stabilité qu'on cherche, en vain, à leur donner par des combinaisons administratives. »
Je me résume : La liberté du prêt à intérêt doit produire dans l'avenir, d'une manière générale, l'abaissement de l'intérêt même. - Et, cet abaissement sera d'autant plus profitable à tous, que les ressources dont pourra disposer la banque seront mieux à même de satisfaire les besoins du commerce et de l'industrie.
Je me serais réservé de reprendre la parole quand nous serons arrivés à l'article 3, mais l'honorable M. Sabatier ayant traité cette question, je crois pouvoir me dispenser d'entrer, pour le moment, dans d'autres considérations à cet égard.
M. Pirmez. - Messieurs, les honorables préopinants ont présenté à la Chambre des observations sur ce que l'on appelle la question des banques.
Leur exemple m'autorise à appeler aussi pendant quelques instants l'attention de l'assemblée sur cette matière.
Je crois, messieurs, que les discussions qui portent sur les intérêts matériels ont presque toujours, sinon pour la Chambre, du moins pour le pays, un résultat utile.
(page 548) Lorsqu'on examine le chemin que l'on a parcouru dans la connaissance des questions économiques depuis 30 ans, on est frappé du remarquable progrès qui a été accompli.
Il y a 30 ans, les systèmes restrictifs étaient en pleine faveur : les droits différentiels, la prohibition à l’entrée du pays, les droits protecteurs, les primes ; en un mot un système complet entravant la liberté du travail et du capital.
La discussion actuelle ou plutôt le projet de loi qui nous est soumis, car il ne paraît pas devoir soulever d'opposition, vient trancher les dernières controverses. Et dans une matière où les préjugés étaient les plus enracinés, on proclamera la liberté sans que peut-être elle ait un adversaire.
Si ces progrès se sont accomplis dans les idées, c'est surtout aux discussions des Chambres qu'ils sont dus.
Ces discussions se répandent dans le pays entier, et comme chacun sait que toutes les opinions peuvent s'y produire avec liberté, on y recherche la vérité avec une confiance que l'on n'accorde pas aux assemblées réunies pour le triomphe d'idées déterminées à l'avance.
Le moment est parfaitement propre pour parler des banques et du crédit.
Presque toujours les questions d'intérêt matériel s'examinent alors qu'il y a un certain état de gêne relativement à ces intérêts. Cette circonstance est une condition défavorable à la connaissance du vrai.
Quand le malaise existe, on en recherche bien la cause, mais c'est avec l'intention de ne la pas trouver dans un fait invincible. On recherche le remède et on le discute avant de savoir même si le mal est curable.
Les docteurs de la matière s'empressent de faire les recettes les plus variées pour guérir le mal, mais presque toujours si on examine ensuite les choses, froidement, on trouve que ces remèdes ne font que traiter un symptôme, en ne faisant qu'aggraver le mal même.
Aujourd'hui, il ne reste de la crise financière que nous venons de traverser, que des questions soulevées et non résolues, des critiques, des attaques contre ce qui est, l'indication de ce qui est à faire.
Les esprits sont préparés, la liberté d'appréciation leur est rendue par des circonstances plus faciles, je ne crains donc pas de venir mal à propos vous présenter quelques considérations sur cette matière.
Lorsque la crise financière était à son plus haut degré d'intensité, c'est vers la Banque Nationale que l'on se tournait, c'est à elle qu'on adressait les reproches, c'est elle que l'on rendait surtout responsable de la gêne que l'on subissait. C'est aux conditions d'existence de la Banque Nationale que l'on voulait apporter des changements par lesquels on pût empêcher à tout jamais le retour des crises financières, car ce n'est rien moins que ce résultat que les auteurs de projet veulent réaliser.
La Banque Nationale est donc le grand objet des études à faire.
Pour apprécier à leur juste valeur tous les systèmes éclos sous l'empire d'une gêne sérieuse, il faut d'abord nous rendre un compte exact de ce qu'est la Banque Nationale, de sa raison d'être, de ses conditions d'existence.
Les partisans de la liberté absolue en matière d'industrie ne manqueraient pas de s'écrier à première vue : Mais pourquoi y a-t-il une Banque Nationale ? pourquoi l'Etat intervient-il : pourquoi a-t-il créé plutôt un établissement de banque que des forges, des exploitations charbonnières, des filatures ?
La réponse est bien simple. L'Etat ne s'est pas fait banquier, il l'est naturellement et forcément ; il a tant de recettes à faire, tant de payements à effectuer, que ses recettes et ses payements suffisent seuls à alimenter une banque très considérable.
L'Etat doit donc avoir, sous une forme ou sous une autre, pour son service particulier, un établissement dont il soit sûr, dont la solidité soit à toute épreuve et qui lui permette de faire avantageusement les nombreuses opérations de banque exigées par les besoins de l'administration publique.
Cette raison gouvernementale est la cause d'être de la Banque Nationale.
Mais par cela seul que l'Etat fait nécessairement les opérations financières, il peut, par la Banque qui lui est nécessaire, rendre d'immenses services au commerce.
L'Etat a toujours un encaisse disponible ; il est évident qu'une nation serait dans une position des plus précaires si elle n'avait pas toujours à sa disposition une somme considérable pour parer aux besoins imprévus. L'Etat en Belgique a toujours 20 à 30 millions disponibles. Ce serait sans doute un acte de mauvaise administration de conserver cette somme improductive. Il est dès lors naturel que l'Etat dise aux commerçants : J'ai une somme considérable qui ne me sert pas, mais qui peut vous servir ; je la mets à votre disposition, mais à la double condition que les placements que je ferai puissent être retirés quand je voudrai et que mes fonds soient aussi sûrs que s'ils demeuraient dans mes caisses.
Ainsi donc, voilà une première valeur que l'Etat est appelé à employer dans l'intérêt public, une somme considérable qu'il peut mettre à la disposition des commerçants.
Mais ce n'est là qu'une petite partie des ressources que le gouvernement a à sa disposition et qu'il peut, à certaines conditions, confier avantageusement au commerce.
L'Etat jouit d'un crédit très considérable, presque illimité. En patronnant une institution, il lui communique un crédit presque égal à celui dont il jouit lui-même.
S'il reçoit dans ses caisses des billets émis par cet établissement, il fait entrer ces billets dans la circulation comme s'ils étaient de la monnaie métallique.
En usant de cette force de son crédit, l'Etat a créé pratiquement le billet de banque. Il n'est plus personne en Belgique qui fasse différence entre recevoir 100 francs en argent ou en or et recevoir 100 francs en billets. C'est le crédit de l'Etat qui donne le cours à ces billets et qui dispense ainsi d'employer une somme considérable de numéraire.
La Banque Nationale a approximativement 120 millions de billets en circulation ; comme ces billets nécessitent pour la garantie du payement immédiat un encaisse du tiers de leur valeur, soit 40 millions, il résulte qu'il y a toujours, grâce au crédit de l'Etat, pour 80 millions de billets en circulation qui remplacent de la monnaie métallique, qui sans cela serait nécessaire.
Ainsi donc de ces deux chefs l'Etat met à la disposition du public par l'intermédiaire de la Banque une somme de plus de 100 millions : 20 millions de son encaisse disponible, 80 millions de billets de banque.
Je n'indique, bien entendu, ce chiffre qu'approximativement pour donner une idée de l'importance de l'institution de là Banque Nationale.
Grâce à cet établissement, on trouve une ressource de plus de 100 millions.
Si cet établissement n'existait pas, nous aurions un encaisse ne servant à rien, nous n'aurions pas cette circulation énorme de billets de banque.
Par suite de la création de la Banque Nationale 100 millions sont donc rendus productifs, c'est déjà un bénéfice annuel de cinq à six millions.
M. Coomans. - Au profit des actionnaires en grande partie.
M. Dumortier. - Cette somme n'est pas à la disposition des commerçants, mais des banquiers.
M. Pirmez. - J'allais compléter ma pensée de manière à écarter l'objection.
L'intérêt tiré des sommes confiées à la Banque est le tout petit côté de la question ; le grand côté c'est que la valeur capitale que j'ai supposée est fournie à tous les commerçants qui en ont besoin.
Voyez de combien se sont accrues les opérations de banque depuis 1850, combien, grâce à leur mécanisme, les négociants peuvent avec un même capital, augmenter leurs opérations, combien les conditions d'escompte sont devenues en général moins onéreuses, et vous reconnaîtrez que si les valeurs dont, grâce à l'Etat, la Banque Nationale dispose, font la fortune de ses actionnaires, elles font plus encore le compte des négociants.
Ne le perdons pas de vue, ce qu'il y a surtout à voir dans l'institution de la Banque Nati maie, au point de vue commercial, c'est la création, j'insiste sur le mot, la création d'une valeur de nombreux millions jetés dans la circulation commerciale.
Ainsi, messieurs, la raison d'être de la Banque est double : Première raison d'être ; établissement pour l'Etat d'un système financier sûr, simple, économique ; seconde raison d'être : mise à la disposition du public des valeurs considérables qui sans cette institution n'existeraient pas ou demeureraient inertes.
Il est bien incontestable que le premier but a été complètement atteint ; le service financier, qui autrefois coûtait une somme considérable à l'Etat, ne coûte plus aujourd'hui un centime.
Le service de caissier de l'Etat se fait par la Banque Nationale dans les meilleures conditions ; il se fait absolument gratuitement et ce n'est pas la dernière limite des avantages à obtenir, car je ne désespère pas de (page 549) voir à l'expiration du privilège actuel de la Banque Nationale, si pas avant, ce service de caissier de l'Etat rapporte au trésor un revenu très considérable.
Mais, messieurs, c'est au second point de vue surtout qu'on s'est occupé de la Banque Nationale, et c'est ici principalement qu'on réclame des améliorations ; c'est ici qu'on présente toute sorte de panacées pour éviter le retour des crises commerciales. En quoi consistent ces remèdes ?
Ces remèdes, en définitive, se résument en un seul : Accroître les ressources de la Banque Nationale.
La même idée revêt plusieurs formes.
Pour les uns, en effet, il faut augmenter le capital de la Banque, le porter de 25 millions à 30, 40 ou 50 millions ; c'est le mode le plus simple, c'est en quelque sorte l'enfance de l'art.
Pour d'autres, il faut permettre à la Banque Nationale de recevoir des fonds en compte courant, attirer ces fonds dans ses caisses par le payement d'un intérêt plus ou moins élevé.
D'autres enfin veulent que chacun puisse aller dans le portefeuille d'effets de la Banque pour en retirer les effets à telle échéance qu'il leur plaira pour les réescompter ; ils veulent imposer à la Banque en d'autres termes, le réescompte de son portefeuille en faveur de tous ceux qui voudront de l'escompte. Ainsi, vous le voyez, messieurs, tous ces moyens aboutissent au même résultat, accroître les ressources de la Banque Nationale.
Eh bien, je dis que cet accroissement ne signifie rien, absolument rien ; et je m'explique.
J'insistais tout à l'heure sur cette considération que l'institution de la Banque Nationale avait eu pour effet excellent de créer, - et j'insiste encore sur le mot, - de créer des ressources, c'est-à-dire de faire que des valeurs qui n'existeraient pas ou qui seraient improductives sont jetées dans la circulation et souvent à faire des affaires considérables.
Si quelqu'un vient m'indiquer un moyen de créer des ressources, c'est-à-dire de faire exister des valeurs qui n'existaient pas auparavant, ou de faire que des valeurs qui ne servent absolument à rien soient jetées dans la circulation, oh ! je l'écouterai avec avidité, je lui dirai : Si vous pouvez ainsi créer des ressources, vous aurez rendu un service signalé au pays.
Mais ce n'est pas du tout ce qu'on propose : aucun des remèdes que je viens d'indiquer n'a pour effet de créer des ressources ; ils consistent simplement à prendre des ressources qui existent dans la circulation et à les transporter à la Banque nationale pour que celle-ci les rejette dans la circulation d'où on les a retirées. Ces moyens n'ont donc d'autre effet que de déplacer des valeurs, de les prendre où elles sont pour les faire passer par la Banque, mais ils ne créent pas des valeurs nouvelles.
Or s'il n'y a pas création de valeurs, mais transposition, où est le mérite du remède ?
Il importe toujours de bien distinguer ce qu'on voit, ce qui apparaît aux yeux du public, de ce qui existe réellement. Dans toute question économique, il y a toujours, comme l'a si bien expliqué Bastiat, ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas. Ceux qui imaginent les moyens que j'indique et qui croient que les ressources s'augmenteront si l'on augmente le capital de la Banque, si l'on y ouvre des comptes courants à intérêts, si l'on permet de réescompter ses effets en portefeuille, sont dans une erreur complète, parce qu'ils oublient que les valeurs qui seraient ainsi confiées à la Banque devraient nécessairement être retirées des opérations où elles sont engagées. Il faudrait nécessairement en prendre quelque part ; de sorte qu'on n'aurait obtenu aucun résultat réel. En apparence, on aurait un résultat grandiose ; en réalité, on n'aurait absolument rien.
Je crois, messieurs, que là est le véritable terrain sur lequel la question doit être placée. Il faut toujours, quand on entend quelque promoteur d'un système nouveau, lui demander : Est-ce que vous créez quelque chose ? Les fonds que vous apportez, que vous dites apporter au commerce, où les avez-vous pris ? Si vous n'avez que transposé, vous n'avez rien fait ; ce qu'il faut, c'est créer.
Messieurs, cette observation, qui est l'observation fondamentale du système, pourrait peut-être me dispenser d'entrer dans les détails. Cependant je demande à la Chambre la permission de présenter quelques courtes observations sur l'application de ce système à la crise que nous venons de traverser.
On considère généralement une crise comme un mal et l'on a raison, parce que la diminution d'un bien dont on jouit est toujours un mal.
Mais il faut bien se garder de considérer les crises comme un mal absolu, comme un mal qui ne suppose pas même un bien.
Généralement on se figure qu'il est un moyen de faire disparaître toutes les crises et que ce moyen c'est de développer davantage le crédit, de créer des établissements de crédit, de créer de nouveaux moyens de crédit, en un mot d'augmenter considérablement les opérations fiduciaires.
C'est cependant une erreur profonde. Si, en effet, nous examinons ce qui se passe, nous voyons que les pays où le crédit est le plus développé sont précisément ceux qui ont le plus de crises. Ainsi l'Angleterre et l'Amérique viennent en première ligne dans l'histoire des crises. La Belgique, la France viennent ensuite.
M. Crombez. - Et le désert de Sahara vient en dernière ligne.
M. Pirmez. - Précisément, il est au bout de l'échelle. Les crises y sont de la plus complète impossibilité.
Mais il ne faut pas aller jusque-là, restons dans notre pays ; nous voyons que lorsqu'il y a crise elle sévit principalement à Gand, à Anvers, à Bruxelles, à Charleroi, tandis qu'on ne s'en apercevra pas dans les villages retirés des Ardennes.
M. Bouvierµ. - Parce qu'on n'y fait que très peu d'affaires.
M. Pirmez. - Sans doute, parce qu'on y opère sans crédit. Messieurs, je parais dire ici des vérités de La Palisse, je tiens cependant à les dire, quelque évidentes qu'elles soient, parce qu'on les méconnaît constamment.
Et remarquez-le, en matière économique ce sont toujours les vérités les plus simples, les plus évidentes par elles-mêmes qu'on méconnaît le plus. On néglige les choses de simple bon sens pour se jeter dans les plus étranges complications. Qu'est-ce que le libre échange en face des réglementations protectrices, sinon la simplicité de la liberté en face des complications les plus inextricables.
Je disais donc que plus le crédit est développé, plus on est sujet à des crises et que là où il n'y a pas de crédit il n'y a pas de crises.
Cette observation suffit pour faire voir que par le développement du crédit on n'empêche pas le développement des crises. On fait bien, à coup sûr, de développer le crédit, mais en le développant on s'expose aux crises, qui ne sont que les maladies du crédit.
Ce qu'il faudrait, pour empêcher les crises, ce serait d'avoir toujours uniformément, sans aucune altération d'intensité, le même crédit, d'avoir toujours le même capital disponible en face des mêmes demandes de capitaux. Tant qu'on n'arrivera pas à ce résultat d'inaltérable équilibre, il est évident qu'on aura des crises plus ou moins intenses.
Voyons maintenant ce qui s'est passé dans ces derniers temps.
Pour beaucoup de personnes, l'argent a émigré du pays ; on a vu l'encaisse de la Banque Nationale diminué, on en a conclu que l'argent s'en était allé ; et comme il fallait une explication à cette émigration de l'argent, on a l'expliquée par les achats de coton faits aux Indes. Les attestations n'ont pas manqué sur ce fait supposé.
Cependant on a constaté, pendant et après la crise, des faits qui démontrent que ce fait est complètement imaginaire.
Ainsi, la crise a été aussi forte en France qu'elle l’a été en Belgique, et cependant il est établi que, bien loin que les métaux précieux soient sortis de France pendant la crise, il en est entré plus qu'il n'en est sorti.
Or, si ce fait est vrai, et il est vrai, il a été officiellement constaté, il est impossible de soutenir que c'est la disparition du numéraire qui a amené la crise.
Il est un second fait tout aussi décisif ; l'argent qui est allé aux Indes il y a cinq ou six mois, n'est pas revenu aujourd'hui.
Car on n'indique pas quels produits les Indiens sont venus acheter en Belgique pour nous rapporter l'argent que nous leur aurions envoyé. Et cependant la crise est finie ; on peut dire que le crédit est abondant ; l'escompte a baissé et baissera encore.
Donc ce n'est pas la disparition du numéraire qui a produit la crise.
Cette crise doit donc être attribuée à une autre cause.
Et qu'il me soit permis d'ajouter une remarque générale. La rareté du numéraire ne peut pas produire une crise. On confond toujours en cette matière deux choses matériellement distinctes : la rareté du numéraire ou la valeur des métaux précieux, et l'abondance ou la rareté du crédit. Je suppose que l'or et l'argent deviennent infiniment rares ; que par une catastrophe que notre imagination ne permet pas de supposer, il en périsse une quantité énorme, il est évident que l'or et l'argent restant vont avoir beaucoup plus de valeur, et qu'il y aura une hausse considérable dans la valeur monétaire. Cela n'est pas contestable. Mais (page 550) l'intérêt de l'argent augmentera-t-il ? Pas le moins du monde. La raison en est bien simple : c'est que l'intérêt est toujours une quotité quelconque du capital.
Si l'or et l'argent augmentent de valeur, j'obtiendrai beaucoup plus de choses, plus de blé, de fer, de terre avec la même quantité d'or ou d'argent, mais le taux d'intérêt ou d'escompte restera le même, parce que l'intérêt payé au prêteur aura augmenté dans la même proportion. Si les cent pièces d'or ou d'argent du capital valent le double, les cinq pièces d'or ou d'argent de l'intérêt vaudront aussi le double.
L'intérêt de l'or est le même que celui du cuivre, on obtiendra cinq pour cent de cent pièces de vingt francs comme de cent pièces de nickel.
Ce n'est donc pas la valeur des métaux, ce n'est pas la rareté du numéraire qui produit les crises ; c'est, comme nous allons le voir, la rareté du crédit, ce qui est tout différent.
Voyons ce qui s'est passé dans la dernière crise : chacun de vous, en réfléchissant un peu aux faits qu'il connaît, pourra constater que mon appréciation est exacte.
Messieurs, depuis un temps plus ou moins long, les opérations financières et les opérations industrielles ont pris dans le pays une extension immense ; on a créé de nouveaux établissements de toute espèce : établissements de tissage, établissements de filature, hauts fourneaux, laminoirs ; on a surtout établi une quantité fort considérable de chemins de fer, non seulement dans le pays, mais encore à l'étranger ; ainsi, on a créé des chemins de fer sur une très grande étendue en Espagne et en Italie et les capitaux belges sont intervenus pour une part très large dans cette création.
Si nous supposons qu'un certain nombre de personnes se sont engagées dans ces affaires pour un capital qu'elles n'avaient pas, il est évident qu'elles ont dû emprunter pour effectuer les versements. Or, c'est ce qui a eu lieu. Beaucoup de personnes ayant espéré la hausse d'actions et d'obligations ont spéculé sur ces valeurs. On s'est dit : « J'ai 10,000 fr. ; je m'en vais souscrire pour 100,000 francs d'actions ou d'obligations ; je les revendrai après un versement partiel, je toucherai une prime. » Or, tant par suite de l'incertitude des affaires politiques, tant par l'extension trop grande qu'avaient prise les affaires financières, il est arrivé que les souscripteurs de ces valeurs n'ont pu réaliser ; ils se sont dès lors trouvés dans la nécessité de vendre leurs titres à perte ou d'emprunter ; or, comme personne n'aime à vendre à perte, on a dû demander du crédit, et les demandes plus nombreuses ont naturellement produit une hausse dans le prix de ce crédit.
Ce que je dis des grandes affaires est très vrai aussi des petites affaires. Beaucoup d'industriels ont produit plus qu'ils ne devaient produire pour avoir une vente facile ; en présence de valeurs qu'ils ne pouvaient pas immédiatement liquider, ils ont dû aussi demander plus de crédit, dont le prix s'est encore augmenté.
On me dira : Mais qu'est-ce que cela fait à la Banque Nationale ? Elle ne prend que des valeurs qui représentent des ventes déjà réalisées ; elle ne prête pas aux spéculateurs, ce sont donc des faits qui lui sont étrangers.
La circonstance que la Banque Nationale na fournit pas directement des valeurs à la spéculation ne signifie absolument rien.
Voici comment, en fait, les choses se passent. La Banque Nationale a le contre-coup de toutes ces demandes d'argent. Il n'est pas de banquier qui n'ait dans son portefeuille un certain nombre d'effets qu'il peut remettre à la Banque Nationale : quand un client se rend chez son banquier et lui demande à emprunter 20 mille francs, je suppose, le banquier ne lui refusera pas cette somme s'il est solvable ou s'il offre des garanties, parce que sa promesse ne sera pas escomptable à la Banque Nationale, il lui demandera seulement un intérêt plus fort ; mais le banquier enverra chercher les 20,000 francs à la Banque Nationale, au moyen d'effets qu'il avait en réserve dans son portefeuille. Plus il y aura d'emprunts, plus il y aura donc d'escomptes remis à la Banque Nationale, et celle-ci fournira indirectement l'argent à des opérations pour lesquelles elle n'est pas créée.
Vous le voyez donc, toutes les demandes de capitaux qui se font dans le pays réagissent sur la Banque Nationale.
Avançons maintenant et voyons ce qui se passe à la Banque nationale ?
Avec quoi peut-elle faire face a ces augmentations de demandes d'escompte qui lui sont faites ?
La Banque a trouvé ses ressources dans son capital dans l'émission des billets et dans les comptes courants.
On m'accordera de suite que le capital ne s'augmentant pas, elle n'y trouvera pas de ressources pour les demandes nouvelles.
Il en est, à plus forte raison, ainsi des comptes courants, qui dans les temps de pénurie de crédit tendent à diminuer.
Il faudrait donc, pour que de nouvelles ressources proportionnées aux demandes fussent à sa disposition, qu'elle pût augmenter son émission de billets de banque. Or, l'expérience a démontré que la circulation des billets ne se modifie pas en proportion des demandes d'escompte.
Certainement depuis quelques années la quantité des billets qui sont admis par le public, augmente ; mais cette augmentation suit une progression constante, en sorte que si le chiffre de la circulation est très différent à quelques années de distance, il varie peu dans le cours de la même année.
Ainsi, la Banque a employé le montant de son capital et des comptes courants ; l'escompte a absorbé le surplus da l'émission des billets sur l'encaisse métallique ; on lui présente de nouveaux bordereaux.
Où peut-elle prendre les fonds ?
Evidemment dans son encaisse.
Il faudrait, pour qu'il en fût autrement, qu'elle pût émettre plus de billets ; mais elle n'a pas cette faculté, parce que le public ne les prend pas, Lorsque le pays est saturé de billets de banque, lorsqu'il en a la dose dont il a besoin, il est impossible d'en émettre, ou si on peut en émettre encore, au bureau d'escompte, immédiatement les billets qui sont de trop viennent se faire rembourser à un autre guichet. Pourquoi en effet le public accepterait-il des billets dont il n'a pas besoin ? La Banque ne peut donc augmenter la quantité des billets de banque en circulation. Il ne lui reste dès lors plus pour escompter qu'à entamer son encaisse. En sorte que toute demande d'escompte réagit sur l'encaisse, non parce qu'on a besoin de plus d'argent, mais parce qu'on a besoin de plus de crédit.
Voilà ce qui s'est passé dans la crise actuelle et voilà pourquoi l'encaisse de la Banque a diminué lorsqu'on lui a demandé plus d'escompte, sans que l'argent soit sorti du pays.
Que faut-il en conclure ? Mais que le remède à la diminution de l'encaisse, et par suite à l'élévation de l'escompte ne peut être que dans la diminution des affaires qui se font à découvert.
Or, ce remède, est-ce par une mesure législative ou administrative qu'on l'appliquera ? Non sans doute ; il est dans le domaine des particuliers ; à chacun à ne pas s'engager imprudemment, à chacun à proportionner ses affaires à ses moyens.
Mais si l'imprudence a été commise, si des engagements considérables sont pris ; sans qu'il y ait d'autres moyens de les remplir que d'emprunter, il arrivera toujours ce qui est arrivé l'an dernier, les capitaux étant plus demandés se payeront plus chers.
Et nous dirons ici aux inventeurs de systèmes, ce qui est le complément de ce que nous leur disions tantôt.
Il faut, pour conjurer l'élévation de l'escompte, ou augmenter les capitaux, ou diminuer les besoins.
Vous ne pouvez pas créer des capitaux, vous pouvez moins encore diminuer les besoins. Comment voulez-vous donc que l'équilibre s'établisse ?
Messieurs, je crois vous avoir démontré à l'évidence que les remèdes que l'on a indiqués n'apporteraient aucun changement à ce qui existe. Qu'il me soit permis de dire un mot du dernier moyen qui a été indiqué, à savoir le réescompte des billets de la Banque Nationale. Il y a là non seulement une absence d'avantages, parce qu'on ne crée pas de valeurs ; mais je crois qu'il y a un danger certain pour la Banque.
En effet, en quoi consisterait le réescompte ? C'est que chacun pourrait aller demander à la Banque un certain nombre d'effets qu'elle endosserait, et avoir ainsi l'avantage de l'escompte sur ces billets.
Mais qu'arriverait-il si, après quelques jours ou après quelques semaines, le porteur de ces billets veut aller les escompter de nouveau à la Banque ? La Banque sera obligée de les prendre, puisque ces effets sont revêtus de sa signature. Elle aurait mauvaise grâce de refuser ces effets, on lui dirait :
Vous les avez déjà pris et vous avez d'autant moins de motifs maintenant de les refuser, qu'ils portent la meilleure des signatures, la vôtre.
Vous auriez ainsi créé une nouvelle catégorie de billets de banque portant intérêt, aussi exigibles que les autres billets, c'est-à-dire que l'on ferait réellement contracter par la Banque Nationale des emprunts remboursables à vue et portant intérêt. Est-il naturel que l'Etat fasse faire de pareils emprunts par une institution qui ne doit s'engager que dans les limites de ce qui est nécessaire pour faire jouir le public du crédit de l'Etat ?
Je ne puis abandonner mon sujet sans dire un mot de la liberté des banques.
(page 551) Je déclare très franchement que je suis partisan de la liberté des banque, mais je dois à la vérité de déclarer que j'en suis plus partisan par un amour général pour la liberté que par la conviction des grands résultats qu'elle produirait.
Expliquons-nous d'abord sur ce que c'est que la liberté des banques. Je conçois que l'on vienne me dire :
La liberté consiste également à pouvoir émettre et à pouvoir refuser un billet de banque.
J'admets que l'on dise : Liberté absolue, pas de privilège, que chacun émette des billets comme il l'entend, mais à la condition que l'on admette aussi la liberté absolue de ne pas prendre le billet ainsi librement émis. Il faut surtout que l'Etat soit libre de refuser ces billets, il faut même qu'il les refuse. Il est impossible, en effet, que pour faire plaisir à un établissement de banque, il coure la chance des opérations que cet établissement peut faire. L'Etat ne doit prendre que les billets de la Banque qu'il a créée dans les conditions de la plus absolue solidité.
J'ajouterai encore une condition, c'est que le billet libre soit tel que personne ne puisse le confondre avec les billets admis par l'Etat.
Il ne faut pas qu'en donnant certaine forme au billet de banque, c'est-à-dire en mettant à peu près le même dessin sur un morceau de papier, on puisse le faire circuler comme un effet que l'Etat reçoit dans ses caisses, et qu'il garantit moralement. Je crois donc que ce serait une mesure extrêmement sage d'obliger à inscrire en lettres très lisibles sur les billets dont l'émission serait autorisée :
« Ce billet n'est pas reçu dans les caisses de l'Etat. »
Ainsi tout le monde serait prévenu et personne ne pourrait se plaindre.
- Un membre. - Changez la couleur du billet.
M. Pirmez. - Changez la couleur du billet ; faites-le en long au lieu de le faire en large, ce sont d'excellentes mesures à ajouter, mais surtout qu'il soit tel que les gens peu éclairés en ces matières soient avertis que l'Etat ne le prend pas.
M. Dumortier. - C'est la liberté de marcher avec les jambes liées.
M. Pirmez. - L'honorable M. Dumortier, par son interruption, me ferait supposer, ce qui, je le dis bien haut, est évidemment contraire à ses sentiments, qu'il croit que, pour faire des affaires, il faut tromper son prochain.
Voici pourquoi. Je veux donner la liberté d'émission, mais en même temps que je donne la liberté, j'emploie un moyen pour que personne ne soit trompé ? Et on dirait que c'est là détruire la liberté donnée ! La vraie liberté d'émission consisterait donc à faire passer les billets par fraude pour des billets de la Banque Nationale ?
M. Dumortier. - Je ne suis pas obligé de prendre les billets de la Banque Nationale. Vous ne voulez pas de la liberté ; vous voulez empêcher la liberté.
M. Pirmez. - Permettez, les billets de la Banque Nationale sont reçus dans les caisses de l'Etat.
On ne pourrait pas y inscrire que l'Etat ne les reçoit pas, parce que ce serait dire le contraire de ïa vérité. Et j'ajoute même que par la force des choses et quoique l’Etat ne garantisse pas d'une manière formelle le remboursement des billets, il est impossible d'admettre qu'alors que l'Etat crée la Banque par une loi, alors qu'il nomme le gouverneur, qu'il surveille la marche de l'administration, qu'il lui confie le trésor public, il ne garantisse pas implicitement le remboursement des billets.
M. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Coomans. - Ce n'est que trop vrai.
M. Pirmez. - Je ne dis pas qu'il y ait obligation juridique, mais il y a obligation en fait. Je citerai seulement ce qui est arrivé en 1848 pour la Société générale et la Banque de Belgique.
M. Dumortier. - Il n'y a pas eu de garantie.
M. Pirmez. - Il y a eu beaucoup plus, on a donné cours forcé aux billets de banque, c'est-à-dire qu'on a forcé tout le monde à accepter les billets comme argent et je voudrais bien savoir, dans le cas où par une catastrophe quelconque la Société générale ou la Banque de Belgique aurait été dans l'impossibilité de rembourser ses billets, si l'Etat aurait dit aux particuliers :
« Je vous ai forcés d'accepter les billets de banque, vous les avez pris, tant pis pour vous, je m'en lave les mains. »
Je dis donc que si l'on veut la liberté des banques il faut la donner complète, mais avec des précautions qui, sans entraver en rien la liberté, informent chacun de la vérité des choses.
Supposons donc ce système établi, et c'est le système de la liberté la plus complète, la plus absolue, je suis convaincu qu'il ne produirait pas de grands résultats.
- Un membre. - Il marche en Allemagne.
M. Pirmez. - Je crois qu'il marcherait dans des limites extrêmement restreintes. Je n'ai pas peur de ce système, mais ce que je ne veux pas, c'est qu'on se fasse illusion sur les conséquences de cette émission de billets.
J'ai dit tantôt que le pays prend toujours les billets de banque dont il a besoin ; il en prend son compte et on ne saurait lui en faire prendre ni plus ni moins.
Pour s'en convaincre, il suffit d'assister, pendant une heure ou deux, aux payements d'un grand établissement de banque quelconque.
Si l'on présente de l'or ou de l'argent à des gens qui veulent des billets, vous les verrez parfois attendre longtemps qu'on ait été chercher des billets, si par hasaid la caisse n'en est pas pourvue. Si au contraire on présentait des billets de banque dont le public ne voulût pas, ces billets seraient tout simplement refusés.
Ce qui se passe dans un établissement donné se passe dans tous. Il faut qu'il y ait dans le pays un certain nombre de billets de banque, mais dès qu'il y en a plus on va à la Banque Nationale pour les changer.
La circulation contient ainsi toujours toute la quantité de billets de banque que le pays peut supporter et vous ne sauriez pas en émettre davantage.
Je suppose maintenant que l'on crée de nouveaux billets de banque ; croyez-vous qu'il y aura plus de billets en circulation ? Mais ces billets ne viendront pas s'ajouter aux billets de la Banque Nationale, ils en remplaceront une certaine partie. Voilà tout.
Vous n'aurez donc pas créé une plus grande circulation fiduciaire, mais vous aurez fait, en matière de billets, ce que je disais tantôt en matière de capitaux.
Vous pouvez remplacer des billets par d'autres billets, mais vous ne pouvez pas augmenter la circulation. (Interruption.)
Je demande à mes honorables amis qui m'interrompent, pourquoi la Banque Nationale n'émettrait pas plus de billets si le pays pouvait en recevoir davantage ? Comment lorsque la Banque Nationale émet trois de ses billets, elle en gagne deux, l'un étant représenté par l'encaisse.
M. Sabatier. - C'est par ce qu'elle apporte des restrictions à l'escompte.
M. Pirmez. - Je demanderai à mon honorable collègue s'il peut imaginer que la Banque Nationale escompte tout le papier qu'on lui présente.
M. Sabatier. - Quand elle élève son escompte, elle limite son portefeuille et alors la masse des billets diminue.
M. Pirmez. - J'admets parfaitement que la Banque Nationale ne satisfasse pas à toutes les demandes d'escompte. Il en sera toujours ainsi.
Lorsque le pays a tous les billets de banque qui lui sont nécessaires, et que l'encaisse n'est que suffisant, si l'on vient avec un bordereau demander de l'argent, où voulez-vous que la Banque aille le chercher ? Mais remarquez bien que si elle pouvait émettre des billets, son encaisse ne diminuerait pas.
L'escompte se ferait au moyen d'une émission de billets, et il n'y aurait jamais de cause pour que le taux d'escompte s'élève.
Mais la vérité est que cette émission surabondante est impossible. Si elle est impossible pour la Banque Nationale, elle l'est, elle le sera pour d'autres établissements.
Encore une fois donc, la liberté amènera le remplacement, mais non l'augmentation des billets en circulation.
Vous voyez, messieurs, que tout partisan que je suis de la liberté des banques, je n'en exagère pas les résultats ; on aurait d'autres billets, mais le crédit public n'y gagnerait pas.
Messieurs, je voulais dire deux mots sur l'amendement de la section centrale, mais...
- Plusieurs membres. - Parlez ! Parlez !
M. Pirmez. - La Banque Nationale a été créée sous l'empire d'une loi qui ne permettait pas d'escompter à un taux supérieur à 6 p. c. ; (page 552) nous voulons aujourd'hui qu'elle ait toute liberté à cet égard, mais puisqu'elle est obligée par la loi à ne pas dépasser ce taux, nous avons à décider si le bénéfice qu'elle retirera de la faculté que nous lui donnons sera versé dans la caisse de l'Etat, ou si nous l'abandonnerons à la Banque.
Voilà la question.
Le droit de conserver le bénéfice n'est pas contesté ; il me paraît dès lors incontestable que nous, mandataires de l'Etat, nous devons vouloir que ce bénéfice profite à l'Etat.
Maintenant, messieurs, la combinaison indiquée est-elle mauvaise ?
Avec ce bénéfice, nous dit-on, nous allons augmenter le capital de la Banque, elle pourra par conséquent escompter davantage.
Mais à ce compte-là, s'il suffit de prendre dans le trésor public pour donner à la Banque...
M. Sabatier. - Je n'ai pas dit qu'elle pourrait escompter davantage ; j'ai dit qu'on reculerait le moment où la Banque devra restreindre son escompte pour défendre son encaisse.
M. Pirmez. - C'est une autre forme ; eh bien, je vais répondre à mon honorable ami exactement dans les termes qu'il a employés.
Ainsi donc, si nous donnons cet argent à la Banque Nationale, elle pourra reculer le moment où elle devra augmenter son escompte.
M. Sabatier. - J'ai parlé de l'ensemble de ressources.
M. Pirmez. - Elle pourra augmenter l'ensemble des ressources nécessaires pour augmenter son encaisse et reculer le moment où elle devra augmenter son escompte.
M. Sabatier. - Voilà toute la proposition de la section centrale.
M. Pirmez. - Je suis donc exact. Eh bien, messieurs, comment augmenterons-nous les ressources de la Banque ? En prenant, dans le trésor de l'Etat, l'argent nécessaire pour que la Banque Nationale ait les moyens de défendre son encaisse.
Je ne vois pas pourquoi nous ne prendrions pas tout d'un coup, si cela est si bon, quelques millons dans les caisses de l'Etat pour les donner à la Banque Nationale !
Il est évident que l'Etat ne peut prendre l'argent appartenant à tout le monde pour le donner aux actionnaires de la Banque Nationale afin de leur donner plus de facilité pour l'escompte.
Mais voici ce qui me fait approuver pleinement le projet du gouvernement.
Il y a, messieurs, deux choses dans l'hypothèse prévue : la décision de l'augmentation de l'escompte et le bénéfice de l'augmentation de l'escompte. Il faut éviter qu'un établissement comme la Banque Nationale donne lieu même au soupçon. Si elle augmente son escompte au-delà de 6 p. c, on dira que c'est une hausse factice faite pour réaliser de gros bénéfices. Le projet résout parfaitement la difficulté. Il sépare la décision de l'augmentation de l'escompte de l'avantage qui résulte de cette augmentation.
L'Etat n'interviendra pas dans la décision. C'est la Banque Nationale qui prendra cette décision, mais cette décision ne pourra dès lors être soupçonnée, puisque la Banque sera désintéressée et que l'Etat aura le bénéfice.
Quant à l'Etat, il n'aura aucune responsabilité dans la décision, il se bornera à profiter de la décision prise par la Banque.
C'est pourquoi je trouve la combinaison très satisfaisante et je repousse l'amendement de la section centrale.
- Plusieurs voix. - A demain !
M. le président. - Demain en première ligne viendra le second vote sur les amendements au projet de loi relatif au droit d'enquête.
MfFOµ. - Vendredi il y aura un rapport de pétitions qui donnera lieu probablement à une discussion. Ne serait-il pas préférable de fixer à ce jour aussi le second vote du projet de loi relatif au droit d'enquête afin de ne pas interrompre la discussion qui nous occupe ?
- Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à 5 heures.