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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 21 février 1865

(Annales parlementaires de Belgique, Chambre des représentants, session 1864-1865)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 533) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre d'adopter l'amendement qui tend à distraire des attributions des commissaires d’arrondissement les communes d'une population de 5,000 âmes. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner l'amendement.


« Des raffineurs de sucre à Anvers présentent des observations contre le projet de loi approuvant la convention internationale relative au régime des sucres. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Des habitants de Bruges présentent des observations contre la loi sur la milice. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur la milice.


« Des artistes présentent des observations contre le projet de loi concernant le droit de propriété des modèles et dessins de fabrique. »

« Mêmes observations de la part d'ouvriers. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Couvreur, ancien sergent, réclame l'intervention de la Chambre pour faire réviser sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vandenplas, blessé de la révolution, demande une pension sur le fonds spécial des blessés de septembre. »

- Même renvoi.


« La députation permanente du conseil provincial d'Auvers prie la Chambre de s'occuper de la pétition de ce conseil, tendante à faire régler par une loi l'emploi des langues en Belgique. »

- Même renvoi.


« Le sieur Zémès, ancien préposé des douanes, demande une pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Crimmers réclame l'intervention de la Chambre pour que son fils mineur Jean, qui s'est engagé comme volontaire dans la légion mexicaine, sans avoir obtenu son consentement, soit renvoyé en Belgique et réintégré au régiment dont il faisait partie. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vanderhulst présente des observations sur le projet de loi concernant la milice. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« La chambre de commerce et des fabriques d Anvers demande que les articles 93 et 95 du Code de commerce soient mis en harmonie avec la loi sur les warrants et prie la Chambre de les détacher du projet de loi dont elle est saisie, si le vote de ce projet devait se faire attendre. »

M. Jacobsµ. Je demanderai le renvoi de cette pétition à la commission chargée d'examiner le projet de loi portant révision du Code de commerce et j'attirerai son attention toute spéciale sur cette pétition, dont l'importance ne lui échappera pas.

- La proposition de M. Jacobs est adoptée.


« M. David, retenu par une indisposition grave de sa femme, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Warocqué, retenu par une indisposition, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Ansiau, retenu par une indisposition, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Van Overloop, obligé de s'absenter pour affaires administratives, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Léon Orban, obligé de s'absenter pour affaires de famille, demande un congé de quelques jours. »

- Accordé.


« M. Van Nieuwenhuyse demande un congé. »

- Accordé.


« L'administration communale de Thielt adresse à la Chambre trois exemplaires du rapport sur la situation des affaires de cette ville pour 1863-1864. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère des finances

Rapport de la section centrale

M. de Macarµ dépose le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi ayant pour objet d'allouer au département des finances des crédits supplémentaires jusqu'à concurrence de 20,531 fr. 42 cent.

Projet de loi réunissant le hameau de Brou à la commune de Bassenge

Rapport de la commission

M. de Woelmontµ dépose le rapport de la commission chargée d'examiner le projet de loi, ayant pour objet la réunion du hameau de Brou à la commune de Bassenge.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.

Motion d’ordre

M. Dumortier. - Je prendrai la confiance d'adresser à M. le ministre de l'intérieur une interpellation. J'ai vu dans les journaux d'hier une nouvelle qui m'a singulièrement ému. Le conseil communal de Bruxelles, dans sa séance de samedi dernier, a pris une résolution qui me paraît très étrange. Il a pris une résolution tendante à percer trois rues, dont deux dans le domaine public. L'une de ces rues en prendrait une partie du ministère des travaux publics ; l'autre irait beaucoup plus loin, elle aurait pour résultat de jeter à bas toute l'ancienne cour, toute la bibliothèque, tout le ministère de la justice, tout le manège, en un mot toutes les propriétés de l'Etat.

On supprime et le musée d'histoire naturelle, et le musée des tableaux et le musée des mécaniques et la bibliothèque des manuscrits et la bibliothèque de l'Etat ; tout cela serait abattu ; il n'en resterait rien, sauf à reconstruire sur un terrain voisin.

Quand j'ai vu, messieurs, une telle résolution de la part du conseil communal, j'ai dû d'abord me demander s'il y avait un accord préalable entre la commune et le gouvernement.

Il s'agit, en effet, de supprimer de vastes et immenses propriétés de l'Etat : l'ancien palais, la bibliothèque, toutes les collections que l'Etat possède, et j'ai vu que l'on comptait comme un fait certain sur l'assentiment de l'Etat au principe de cette création, plus sur des subsides de l'Etat pour aider à faire les démolitions et les constructions.

Comme il importe que l'administration de la capitale ne se trompe pas, je désire obtenir de M. le ministre de l'intérieur quelques explications à ce sujet.

Ce qui fait surtout que cette explication est nécessaire, c'est une déclaration faite par un des échevins de la ville. Un membre du conseil communal ayant demandé la remise de la délibération jusqu'à entente avec le gouvernement, il lui a été répondu :

« Toute crainte de non-approbation de la part du gouvernement est chimérique. »

Ainsi on semble parler comme si le gouvernement avait d'avance approuvé toutes ces choses. Mais le domaine public est ici intéressé, et il ne peut appartenir au conseil communal quel qu'il soit, fût-il même celui de la capitale, de décider l'expropriation et la démolition du domaine public.

Je ne pense pas même qu'une approbation pourrait être donnée en pareil cas sans un vote préalable de la législature.

Ce n'est pas tout. Si cette déclaration avait lieu, nous serions entraînés dans une énorme dépense pour reconstruire le palais dans lequel se trouvent tous les objets d'art et les collections qui devraient nécessairement être logés ailleurs.

(page 534) Dans l’entre-temps que ferait-on de toutes les collections ? Et puis la Chambre serait-elle disposée à voter 3, 4, 5 on 6 millions pour refaire ce qui existe aujourd'hui ?

Voilà la question, messieurs. Je désire donc savoir de M. le ministre de l'intérieur ce qu'il connaît de cette affaire et si des engagements ont été pris par le gouvernement sur ce point. Je l'engage surtout à se bien prémunir contre de pareilles résolutions, attendu que le domaine public est inaliénable. Il ne peut appartenu à une commune, quelque grande, quelque importante qu'elle soit, de décider l'expropriation du domaine public et l'expropriation des monuments appartenant à l'Etat.

M. Orts. - Je crois bon de rectifier d'abord quelque peu les faits sur lesquels l'honorable M. Dumortier a appelé l'attention de la Chambre.

Le conseil communal de Bruxelles a décidé en principe l'ouverture de trois rues. C'est parfaitement son droit, c'est parfaitement son devoir quand il croit que l'utilité publique et, comme dans le cas dont il s'agit, la salubrité publique même exige la création de rues nouvelles.

M. Coomans. - Oh !

M. Orts. - Vous ne savez pas de quoi il s'agit ; sans cela vous ne crieriez pas « oh ! » (Interruption.)

Je demanderai à l'honorable M. Coomans s'il connaît le trou de Saint-Roch ! Non : donc le « oh ! » est arrivé trop tôt.

Le conseil communal de Bruxelles a cru, je le répète, qu'il était d'utilité publique et en même temps dans les exigences de la salubrité publique de créer trois nouvelles rues dans le quartier de la Montagne de la Cour.

La salubrité publique commande l'ouverture de la rue qui est destinée à relier le bas de la Montagne de la Cour et la rue de la Madeleine avec le Parc. L'utilité publique, l'embellissement du quartier et le complément de l'œuvre artistique de Guimard exigent la création de deux autres rues.

L'ouverture de ces voies nouvelles ou plutôt d'une seule d'entre elles peut amener le gouvernement à modifier quelque peu la situation du Palais, si on peut l'appeler ainsi, dans lequel se trouvent logés nos musées et nos bibliothèques, soit ; mais je me hâte de dire à l'honorable M. Dumortier qu'il se trompe de la manière la plus complète et qu'il n'a pas vu les plans.....

M. Dumortier. - Je les ai vus et je les ai étudiés.

M. Orts. - Alors vous les avez mal vus et mal étudiés. Je vais vous le prouver.

La rue qui passe devant le Musée sert à prolonger la rue du Musée actuelle vers le haut et à l'élargir vers le bas, mais elle n'entame nécessairement aucun des bâtiments du Musée dans lesquels se trouvent les collections, ni la bibliothèque, ni un Musée quelconque.

Il y a au bas de la rue du Musée, à l'endroit où se trouve l'entrée de l'ancienne cour et sans même qu'on soit obligé d'atteindre la rotonde intérieure où débouche l'escalier (je cite ces détails parce que M. Dumortier connaît les localités), il y a là une saillie de 1.50 m. à 2.50 mètres sur la voie publique nouvelle, le conseil communal est tout disposé à la tolérer aussi longtemps qu'il plaira au gouvernement de conserver le Musée.

Si le gouvernement veut faire disparaître ces 2 mètres de saillie, il modifiera l'entrée de son Musée, et ne sacrifiera, dans cette hypothèse, aucune des salles ou serait logée la moindre collection, si ce n'est la collection de nos académiciens, car, si je ne me trompe, la salie des séances de l'Académie touche quelque peu à la partie à laquelle il faudrait apporter des modifications.

Mais, je le répète, aussi longtemps qu'il plaira au gouvernement de conserver le musée, les collections, les bibliothèques dans l'emplacement qu'ils occupent aujourd'hui, le gouvernement sera libre de le faire tout en autorisant l'élargissement et le prolongement de la rue actuelle.

Maintenant, je le reconnais, l'ouverture de la rue dont il s'agit atteindra une propriété privée du gouvernement, qu'on appelle le manège. Cette même rue prolongée passera contre le ministère de la justice actuel. Elle entamera certainement une parcelle, mais très peu importante, de cette propriété qui appartient à l'Etat comme ma maison m'appartient à moi, sans aucune destination d'utilité publique.

Je ferai remarquer d'ailleurs que le ministère de la justice doit, d'après les prévisions, quitter bientôt l'emplacement qu'il occupe aujourd'hui pour venir occuper celui qui lui est destiné dans le voisinage du Palais de la Nation, rue Ducale.

Si la rue s'ouvre dans ces conditions et entame quelque peu le ministère de la justice et même le musée, l'Etat trouvera, comme propriétaire, une plus-value considérable dans la situation nouvelle que la ville de Bruxelles ferait au surplus de sa propriété.

Voilà la vérité. Mais, dit l'honorable M. Dumortier, le domaine public est inaliénable. Messieurs, lorsqu'il s'agit d'ouvrages d'utilité publique, d'ouverture de voies nouvelles, soit à l'intérieur des villes, soit au dehors et qu'on touche, pour cette exécution, à une parcelle quelconque d'une propriété de l'Etat, l'Etat se trouve dans la situation de tout propriétaire, il n'est pas inviolable et il est indemnisé. C'est ce qui arrive tous les jours.

Sans doute, si un monument public devait être entamé, s'il s'agissait de faire passer une rue à travers l'un de nos plus anciens édifices, à mérite historique ou artistique, appartenant à l'Etat ou ne lui appartenant même pas, il y aurait alors à intervenir au nom de l'intérêt public. Mais ce n'est pas le cas ici. Je crois donc pouvoir dire que les craintes de M. Dumortier sont exagérées. Dans tous les cas, la décision du conseil communal est soumise à l'approbation du gouvernement. Le gouvernement a le droit de refuser son approbation. On ne peut ouvrir de rues nouvelles sans un arrêté royal. Si le gouvernement refuse ici, la non-exécution d'un projet qui a pour la ville de Bruxelles un caractère d'utilité, de nécessité au plus haut degré, s'ensuivra ; la non-exécution d'un travail qui sera le complément artistique du plus beau quartier de la capitale. Mais alors la responsabilité de cet avortement retombera tout entière sur le gouvernement et sur ceux qui le lui auront conseillé.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'examinerai pas le mérite des différents projets et plans qui ont été soumis ou adoptés par la ville de Bruxelles ; cela me serait fort difficile, du reste, car je ne les connais que par la voix publique et par les comptes rendus des journaux. C'est assez dire à la Chambre que je ne puis lui donner des explications complètes.

Je me bornerai à déclarer qu'il n'existe ni traité ni convention entre le gouvernement et la ville de Bruxelles pour l'exécution de ces plans.

Lorsque les projets dont vient de parler l'honorable M. Dumortier seront transmis au département de l'intérieur, on les examinera avec le plus grand soin, et les intérêts de l'Etat, ceux de la commune comme l'intérêt général enfin ne seront pas perdus de vue.

M. Dumortier. - Je remercie M. le ministre de l'intérieur de la réponse qu'il vient de me donner et je suis d'autant plus heureux d'avoir soulevé cet incident qu'il a fourni à l'honorable M. Orts l'occasion de développer une théorie dont les conséquences pourraient être extrêmes. Une fois, dit-il, que l'utilité publique d'un ouvrage a été déclarée, le domaine de l'Etat est assimilé au domaine particulier et par conséquent la ville peut l'exproprier à son gré.

Eh bien, c'est là une théorie que je n'admets nullement et contre laquelle je proteste.

Le domaine de l'Etat n'est point le domaine particulier, le domaine de l'Etat est inaltérable.

Or, quelle serait la conséquence de cette théorie ? C'est que, tandis que le gouvernement ne peut pas aliéner directement la moindre parcelle du domaine de l'Etat, il pourrait l'aliéner indirectement en proclamant l'utilité publique d'un ouvrage. Cela est contraire à tous les principes, car nul ne peut faire indirectement ce qu'il ne peut faire directement.

Maintenant j'aurai l'honneur de répondre à l'honorable M. Orts que j'ai vu les plans, que je les ai étudiés pendant plusieurs heures et je doute fort que l'honorable membre en ait fait autant. Eh bien, j'affirme que sur les plans que j'ai vus, plans qui étaient la photographie de ceux qui ont été remis à la ville de Bruxelles, il ne reste exactement rien de l'ancienne cour ni de toutes les collections du Musée.

M. Orts. - C'est la plus grande erreur qu'il soit possible de commettre.

M. Dumortier. - C'est une photographie des plans sur lesquels l'administration communale a été appelée à statuer. (Interruption.)

Du reste, messieurs, je vais vous prouver que l'assertion de l'honorable M. Orts est complètement inadmissible. Veuillez vous figurer les localités et vous reconnaîtrez qu'il est impossible d'emprunter une partie de l'ancienne cour et une partie du manège en tirant une ligne droite, sans détruire complètement la bibliothèque de l'Etat.

Vous anéantiriez non seulement les bibliothèques, mais encore toute la salle de l'Académie et une partie du musée. (Interruption.) En tout cas, le domaine public est toujours exproprié.

Quoi qu'il en soit de ce détail, en présence des principes que l'honorable M. Orts a exposés tout à 1 heure, j'adjure M. le ministre de l'intérieur d'être d'autant plus sévère dans son examen de cette affaire qu'on pourrait tirer, plus tard, de l'approbation donnée aux plans par le gouvernement, la conséquence qu'on a le droit de démolir un immeuble de l'Etat, sauf à s'adresser ensuite à la législature pour obtenir les fonds nécessaires pour le restaurer.

(page 535) M. Funckµ. - Messieurs, je ne veux pas suivre l'honorable M. Dumortier sur le terrain où il s'est placé et continuer une discussion qui pourrait nous mener fort loin ; mais il est incontestable que le domaine public, comme toutes les propriétés, peut être aliéné en vertu d'une loi.

M. Dumortier. - Oui, mais pas autrement.

M. Funckµ. - Donc cette discussion n'a aucun but, du moins quant à présent.

Quant au fond, je ne puis que confirmer tous les renseignements que vous a donnés l'honorable M. Orts, et qui sont de la plus complète exactitude.

Je ne sais quel redressement de la Montagne de la Cour l'honorable M. Dumortier a pu voir ; mais évidemment on a abusé de sa candeur : ; c'est un plan fantastique ; ce n'est pas le plan sur lequel le conseil communal de Bruxelles a délibéré ; ce n'est pas non plus le plan qu'il a exposé en public pendant trois semaines environ.

Ce plan, sur lequel le conseil communal a délibéré, n'entame, comme l'a dit l'honorable M. Orts, en aucune manière aucun des bâtiments du Musée où se trouvent les collections ; il ne comprend tout au plus qu'un angle de 2 mètres 50 centimètres qui peut encore subsister pendant très longtemps après la création de la rue. Voilà les faits ! et je les affirme !

Quant à la question de savoir s'il était utile de créer les rues nouvelles et de donner suite au plan de M. Beyaert, je ferai observer à l'honorable M. Dumortier, que cela ne concerne pas la Chambre ; je me permettrai seulement de dire en passant, que ceux qui contestent la nécessité de supprimer le trou Saint-Roch à Bruxelles, n'y ont jamais mis les pieds : sans cela, ils auraient reconnu qu'il était urgent et indispensable de faire cesser un état de choses déplorable au point de vue de la salubrité publique, contre lequel les habitants de Bruxelles réclament depuis plus de 25 ans.

M. Coomans. - Messieurs, je n'entrerai pas dans le détail des faits dont on vient d'entretenir la Chambre ; je ne les connais qu'imparfaitement, de même que M. le ministre. Je n'ai que deux mots à dire sur l'ensemble de cette affaire. J'y suis provoqué par cette déclaration de l'honorable M. Orts, que le conseil communal de Bruxelles a été guidé par des motifs de salubrité publique, en décrétant le bouleversement du quartier de la Montagne de la Cour.

C'est là un paradoxe par trop audacieux. Je suis Bruxellois depuis 51 ans, comme l'honorable M. Orts ; je connais aussi bien que lui la ville de Bruxelles en entier, sauf peut-être le trou de Saint-Roch. (Interruption.) Nous parlerons immédiatement du trou de St-Roch, si vous l'exigez.

Je dis que si vous voulez supprimer ce trou de Saint-Roch, il ne devra pas vous en coûter 4 à 8 millions.

Le trou de Saint-Roch ne vient dans cette affaire que comme un prétexte, pour que vous puissiez réaliser des projets plus importants.

Eh bien, puisque vous vous préoccupez de salubrité publique, en quoi je vous approuve, commencez par le nécessaire avant de faire du luxe ; commencez par supprimer l'affreux égout qui passe à travers la ville de Bruxelles sous le nom de Senne, égout dont tant de Bruxellois se plaignent depuis si longtemps ,tandis que je n'ai jamais vu de plaintes au sujet du trou de Saint-Roch que nous ne connaissons guère.

- Un membre à gauche. - Cela ne regarde pas la Chambre.

M. Coomans. - Un membre de la Chambre a parfaitement le droit de s'occuper de cette affaire, non seulement parce qu'il s'agit du domaine public, mais encore pour une autre raison qui me touche infiniment plus ; c'est que l'expérience nous apprend que nous sommes responsables des sottises que font certaines grandes communes ; quand vient à sonner le quart d'heure de Rabelais, on n'a garde de nous dire que cela ne nous concerne pas ; on vient nous demander des rentes de 300,000 francs pour réparer les prodigalités faites.

C'est le devoir du gouvernement d'empêcher les actes de prodigalité, il le doit, et c'est principalement pour cela que l'intervention gouvernementale est créée ; sinon, je ne la concevrais pas. (Interruption.)

Comment ! vous voudriez me dénier le droit de m'occuper d'intérêts communaux et de donner des conseils aux communes alors que nous avons le droit de donner des conseils au gouvernement à ce sujet ?

Je suis très préoccupé de voir la ville de Bruxelles s'engager dans une dépense de pur luxe, le trou de Saint-Roch à part, alors qu'elle est forcée de prélever des impôts nouveaux.

M. Goblet. - Faites-vous nommer conseiller communal.

M. Coomans. - Je ne dispose pas des électeurs comme vous le faites. Je suis en plein dans mon droit, et vous devriez m'écouter.

Je donne au gouvernement le conseil de refuser formellement l'autorisation demandée par la majorité des mandataires de Bruxelles, parce que la commune de Bruxelles, en cette affaire, cela a été reconnu par d'honorables conseillers communaux, s'est laissé guider par des intérêts autres que ceux allégués, autres que ceux de la salubrité publique.

- Un membre. - Confisquez la liberté des communes.

M, Coomansµ. - Je prévois encore le moment où de folie en folie, de dette en dette, on parviendra à faire des saignées au budget de l'Etat. Et direz-vous que le budget de l'Etat ne nous concerne pas ?

Ce sera une grande faute de la part de la ville d'exécuter ce projet, et de la part du gouvernement de l'approuver. Il y a un projet de grande utilité publique, réclamé par la presque unanimité de la population, c'est l'assainissement de la Senne. Voilà un intérêt bruxellois, provincial et national à la fois. Eh bien, au lieu de vous en préoccuper sérieusement avec le véritable désir d'aboutir, vous abandonnez, au moins provisoirement, le bas de la ville...

M. Guillery. - Pas du tout ; c'est le contraire.

M. Coomans. - Et vous allez assainir le plus beau quartier de la ville de Bruxelles.

M. Guillery. - C'est complètement inexact. On s'occupe de la Senne autant qu'il est possible de s'en occuper.

M. Coomans. - Oui, et l'on commence par le luxe avant de pourvoir au nécessaire. Ce sont là des actes de mauvaise administration.

On a demandé l'autre jour (c'est, je crois, l'honorable M. Funck), la suppression de l'interdit financier qui pèse sur la ville de Bruxelles par suite de la loi de 1842. L'honorable membre n'ignore sans doute pas que je suis grand partisan de toutes les simplifications de ce genre.

Je ne tiens pas du tout à ce que la ville de Bruxelles reste dans un état exceptionnel à cet égard. Quand on viendra nous présenter un projet en ce sens, il est probable que j'y adhérerai.

M. Funckµ. - C'est la section centrale qui fait une proposition à cet égard.

M. Coomans. - Peu importe. Mais quand on demande à sortir de tutelle, quand on demande à rentrer dans le droit commun et dans la liberté, il faut montrer que l'on est sage ; et, encore une fois, je réduis mes observations à une seule : Il faut préférer l'urgent au facultatif, et le nécessaire au luxe. Il le faut surtout quand on n'a pas de superflu.

(page 543) M. Orts. - Messieurs, un mot de réponse d'abord à l'honorable M. Dumortier. Je vais lui indiquer la source de l'erreur dans laquelle il est tombé.

L'honorable M. Dumortier conteste l'exactitude des renseignements que j'ai donnés tout à l'heure sur la conservation des musées et des collections dans l'établissement où ils se trouvent aujourd'hui, malgré leur confirmation par l'honorable M. Funck.

L'honorable M. Dumortier invoque un plan photographié qu'il a vu et qui entraîne, dit-il, la démolition complète du musée, de la bibliothèque et d'autres locaux destinés aux diverses collections de l'Etat. L'honorable M. Dumortier peut avoir raison jusqu'à un certain point. Voici ce qui lui est arrivé. Il a vu un plan photographié où se trouve indiqué un palais des beaux-arts reconstruit sur l'emplacement des locaux dont il s'agit. Or, c'est là un projet dont il n'est pas question dans la résolution du conseil communal, que ce projet ne concerne pas.

Le conseil communal n'a voté qu'un seul plan, c'est le plan de la rue et cette rue n'entraîne la démolition d'aucune partie du Musée. Au contraire, il faudra que la grille actuelle avance de plusieurs mètres si elle a la prétention de se mettre sur l'alignement de la rue nouvelle, ce à quoi nous ne voulons nullement la contraindre.

Voilà donc l'affaire expliquée. Que l'honorable M. Dumortier soit rassuré : les musées resteront à leur place aussi longtemps qu'il plaira au gouvernement de les y conserver.

J'ai maintenant un mot à répondre à l'honorable M. Coomans. L'honorable M. Coomans prétend critiquer ici une décision qui est exclusivement de la compétence du conseil communal de Bruxelles et je m'étonne particulièrement d'entendre ces paroles d'empiétement sur les prérogatives communales sortir de la bouche qui nous parle toujours de la liberté communale, de la décentralisation ! Il paraît que, pour M. Coomans et ceux qui l'applaudissent, la liberté communale, l'indépendance communale, c'est très bien, à la condition qu'il ne s'agisse pas de la capitale ; s'agit-il de Bruxelles, il faut avoir la main haute sur elle, il faut que fa capitale reste la seule commune du pays en tutelle quand toutes les autres seront émancipées.

M. Coomans. - C'est la seule qui nous prend notre argent.

M. Orts. - C'est la seule qui vous prend votre argent, dites-vous ? Voyons. La ville de Bruxelles vous a demandé une fois, en trente-cinq années, un sacrifice pécuniaire, et cette fois elle l'a obtenu avec l'appui de vos amis politiques, que j'en remercie. Elle l'a obtenu, grâce surtout à l'influence légitime exercée sur votre parti par le talent et l'énergie de l'honorable M. Nothomb, auquel vos amis n'osaient rien refuser alors.

Mais cet hommage rendu, voici ce que je réponds à l'honorable M. Coomans. Lorsque la ville de Bruxelles s'est trouvée dans une situation financière qui l'obligeait de recourir, au prix de très grands sacrifices, à l'aide, à l'assistance de l'Etat, étaient-ce de folles dépenses, étaient-ce des dépenses de luxe qui avaient troublé sa situation financière ? Non, Bruxelles avait, à cette époque, exécuté peu de grands travaux publics.

Aucuns d'entre eux n'avaient compromis ses finances dans le passé, aucuns ne les engageaient dans l'avenir, Bruxelles avait supporté seule les conséquences pécuniaires de nos troubles politiques. Elle était condamnée à payer des indemnités énormes aux victimes des pillages. Etait-ce la faute de la commune de Bruxelles, était-ce la faute de son administration financière surtout, si les populations se sont livrées en 1830, en 1831 et en 1834 aux excès dont la ville de Bruxelles a dû subir les conséquences ? Voilà la source des embarras auxquels l'Etat est venu en aide par la convention de 1842.

Je dirai enfin à l'honorable M. Coomans qu'il est peu au courant des affaires communales de Bruxelles et qu'il est injuste pour son administration lorsqu'il lui reproche de faire ce qu'il appelle des travaux de luxe et d'oublier le nécessaire, de ne point songer à l'assainissement d'une portion importante de la capitale. L'honorable M. Coomans ne sait pas ce qui se fasse au conseil communal de Bruxelles, et voici ce qui va le prouver.

Il n'est pas d'affaire dont le conseil communal se soit occupé depuis plus longtemps que de la suppression ou de l'amélioration du cours d'eau qui traverse la ville. Mais l'honorable M. Coomans oublie que cette grave question ne peut pas être résolue par la ville de Bruxelles seule ; elle intéresse les communes qui se trouvent en aval et en amont de Bruxelles, elle intéresse la province tout entière, elle intéresse de nombreuses usines hors de Bruxelles, elle intéresse même l'Etat. La ville de Bruxelles qu'a-t-elle fait devant cette situation complexe ? Elle s'est sagement mise d'accord, autant qu'il était en elle, avec le gouvernement. Avant de proposer des mesures au conseil communal, l'administration a prié M. le ministre des travaux publics de vouloir bien faire examiner la question par ses ingénieurs à lui, par les autorités compétentes, par les autorités scientifiques et dire quel était, parmi les nombreux projets présentés, celui qui pouvait le mieux concilier les intérêts de l'Etat et les intérêts de la ville et permettre par conséquent au gouvernement de concourir avec la ville et avec les autres communes intéressées à l'exécution de ce grand travail.

La commission que M. le ministre des travaux publics a bien voulu instituer a demandé jusqu'au mois de mars prochain pour répondre, et je puis assurer à M. Coomans que, le lendemain du jour où le rapport de cette commission sera terminé, le conseil communal s'en saisira immédiatement. Cette affaire occupe depuis beaucoup plus longtemps l'administration communale que l'affaire de la Montagne de la Cour qui vient d'être terminée par le vote de samedi, vote émis, on l'oublie, à l'unanimité moins 2 voix.

M. Coomans. - Y compris le bourgmestre.

M. Orts. - L'honorable M. Coomans ne sait pas même qui est bourgmestre à Bruxelles et il vient parler des affaires de la ville !

M. Dumortier. -Lisez l’Echo du Parlement.

M. Orts. - Je lis, moi, le compte rendu de la séance avec les noms des votants, et je ne vois pas que le bourgmestre ait voté contre le projet. Cela est d'ailleurs tellement notoire que, y eût-il une faute d'impression dans le compte rendu d'un journal, celui qui connaît le premier mot des affaires de Bruxelles, doit savoir parfaitement que le bourgmestre n'a pas voté contre le projet, puisque c'est lui qui en a été le plus ardent promoteur.

Je le répète, le conseil communal, dans son vote de samedi, a été mû non seulement par un désir d'embellissement, mais par des considérations d'utilité publique et de salubrité publique.

M. Dumortier. - Oh ! oh !

M. Orts. - I1 est très facile de contester l'évidence en criant : Oh ! Mais le quartier qui se trouve à gauche de la Montagne de la Cour, depuis la Cantersteen jusqu'au Parc, n'en est pas moins un des plus insalubres de la ville de Bruxelles. (Interruption.) M. Dumortier croit qu'il n'y a, en définitive, que le trou de Saint-Roch, mais aux abords de ce cloaque s'enchevêtrent une foule de ruelles dans lesquelles l'honorable M. Dumortier n'oserait peut-être pas mettre le pied, où il n'a certainement jamais mis le pied...

M. Dumortier. - J'y passe tous les jours. (Interruption.)

M. Orts. - ... et qui doivent disparaître dans l'intérêt de la salubrité publique.

Du reste, je le répète, la ville de Bruxelles fait et fera, au point de vue de l'utilité, tout ce qu'elle peut faire, et si elle se permet aussi des dépenses d'embellissement, c'est qu'elle croit que, comme capitale, elle doit, pour rester digne du rang qu'elle occupe en vertu de la Constitution, ne pas pouvoir reculer devant quelques dépenses d'embellissement ; elle le doit pour son honneur et pour l'honneur du pays, qui aurait mauvaise grâce à le lui reprocher.

En définitive, toute cette discussion occupe la Chambre depuis trop longtemps ; j'oublie que je ne suis ici que le représentant de Bruxelles et je songe un peu trop, je l'avoue en ce moment, à ma qualité de conseiller communal.

(page 535) - Plusieurs membres. - La clôture !

- L'incident est clos.

Projet de loi relatif à l'exercice du droit d'enquête en fait de vérification des pouvoirs des membres de la représentation nationale

Discussion des articles

Article 4

M. Nothomb. - Messieurs, dans une de nos dernières séances, j'ai présenté une observation à propos de l'article 4. Je me permets de la reproduire en ce moment. Il s'agit du droit de délégation que cet article consacre au profit de la commission.

L'article est ainsi conçu :

« La Chambre ou la commission est investie de tous les pouvoirs attribués aux juges d'instruction par le Code d'instruction criminelle.

« Elle ne peut les déléguer qu'à des magistrats inamovibles de l'ordre judiciaire et que dans le cas de nécessité, sans préjudice du droit réservé à chacun des membres de la Chambre d'assister à leurs opérations. »

Le texte proposé par la section centrale n'est qu'une modification des termes. Il est ainsi conçu :

« Art. 4. Les pouvoirs attribués aux juges d'instruction, par le Code d'instruction criminelle, appartiennent à la Chambre ou à la commission d'enquête, ainsi qu'à leur président.

« Ils peuvent être délégués en cas de nécessité à des magistrats inamovibles, sans préjudice du droit réservé à chacun des membres de la Chambre d'assister à l'enquête. »

Dans la séance de vendredi j'ai demandé à M. le ministre de la justice quelle portée il donnait à cette disposition finale ?

Selon moi, le droit de délégation dont il est question à l'article 4 doit être renfermé dans sa stricte application, c'est-à-dire qu'elle sera personnelle au magistrat désigné, dans ce sens que le magistrat délégué ne pourra pas sous-déléguer.

Je demande à cet égard quelle est l'interprétation que M. le ministre donne à la loi ; il est inutile que je fasse ressortir devant la Chambre les inconvénients et les abus qui pourraient résulter de la faculté de sous-délégation laissée au magistrat délégué.

MjTµ. - Messieurs, j'interprète l'article 4 en ce sens que le magistrat délégué ne pourra pas (page 536) sous-déléguer. Ainsi, par exemple, je suppose que la commission de la Chambre, délègue un juge d'instruction pour entendre un témoin. Dans mon opinion, ce juge d'instruction ne pourra pas déléguer, lui, un juge de paix pour faire cette instruction. Il devra la faire lui-même.

Mais si le juge d'instruction ou le juge de paix auquel une délégation a été adressée est empêché, la mission doit être remplie par celui qui, légalement, le remplacé. Le juge de paix, malade, par exemple, sera remplacé par son premier suppléant.

Tel est, messieurs, le sens que j'attribue à cet article et je pense que, sur ce point, je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Nothomb.

Dans l'article 4 on a supprimé les mots ; « de l'ordre judiciaire. » On ne les a probablement supprimés que parce qu'on a supposé qu'ils étaient superflus et l'on a sans doute entendu par ces mots les magistrats inamovibles nommés à vie et irrévocables, car le mot « inamovible » n'implique pas les trois choses.

Dans le sens propre, il se dit seulement de celui qui ne peut être déplacé sans son consentement.

- Une voix. - Il faudrait dire : « de l'ordre judiciaire. »

MjTµ. - Je crois que ce qu'il y aurait de mieux à faire ce serait de dire : « Les magistrats nommés à vie, irrévocables et inamovibles, » sans préjudice, etc., ou bien « nommés dans les conditions de l'article 100 de la Constitution. »

Notez bien qu'il y a des magistrats de l'ordre administratif qui sont inamovibles. D'autre part, les juges consulaires sont inamovibles, mais ils ne sont pas nommés à vie.

Je dois appeler l'attention de la Chambre sur un autre amendement qui a été introduit à l'article 4.

Le projet du gouvernement n'accorde pas au président de la commission les pouvoirs qui sont attribués au juge d'instruction par le Code d'instruction criminelle.

J'ai supprimé ces pouvoirs à raison de la discussion qui eut lieu dans la Chambre, sur le projet de loi relatif à l'enquête de Bastogne.

On avait fait observer qu'il pouvait en résulter des conflits, des difficultés, et pour les éviter j'ai réservé, par l'article 6, au président de la commission les pouvoirs attribués au président des cours et tribunaux, c'est-à-dire, la police de l'audience et le droit d'interroger, ce qui est indispensable.

La Chambre veut-elle maintenant attribuer les mêmes pouvoirs au président et à la commission, le gouvernement ne s'y oppose pas, mais je me demande s'il n'y a pas là une source de conflits.

Dans le rapport on nous dit qu'il peut se présenter des cas où il est indispensable que le président puisse agir avec une grande célérité.

Je n'ai pas l'expérience de ce qui s'est passé jusqu'à présent dans les commissions d'enquêtes. Je ne sais si ces cas se sont présentés : il ne me semble pas que jamais dans ces sortes d'affaires une visite domiciliaire, une saisie aient un tel caractère d'urgence.

Dans tous les cas je crois devoir rendre la Chambre attentive à cet égard ; elle verra ce qu'elle doit décider.

M. Lelièvre. - Je pense qu'il ne peut s'élever le moindre doute sur la justesse des observations présentées par M. le ministre de la justice en réponse à l'interpellation de l'honorable M. Nothomb.

L'article 4 ne déroge pas aux principes généraux du droit. Or, il est de règle incontestable que le juge délégué ne peut pas subdéléguer.

D'un autre côté la délégation est adressée non au titulaire de la fonction, mais bien à celui qui est appelé à exercer cette fonction. Dès lors c'est au magistrat qui la remplit légalement soit qu'il soit titulaire, soit simplement suppléant, qu'il appartient de s'acquitter du devoir résultant de la délégation. C'est là l'application pure et simple des principes élémentaires du droit que nous maintenons par cela seul que nous n'inscrivons aucune dérogation à cet égard dans le projet.

M. Dumortier. - La question soulevée par mon honorable ami M. Nothomb me paraît résolue. Mais il y a une observation présentée par M. le ministre de la justice qui me paraît sérieuse et que je viens appuyer. Il me semble que l'article 5, tel qu'il avait été précédemment rédigé par le gouvernement, en y introduisant toutefois l'addition proposée par M. le ministre de la justice quant aux magistrats, est beaucoup préférable.

Comme il l'a fait remarquer avec raison, il peut très bien se faire que le président d'une commission d'enquête veuille, par précipitation, poser un acte que la commission n'approuverait pas. Or, c'est à la commission que la commission que la Chambre délègue le droit d'enquête et non au président.

Je pense donc que la rédaction du gouvernement doit être adoptée de préférence à celle de la section centrale. Je fais cette rédaction mienne et je la reproduirai en cas de besoin avec la modification proposée par M. le ministre de la justice.

Si elle est adoptée, les attributions ne seront plus confondues ; le président aura les siennes, la commission les siennes et tous les conflits seront ainsi évités.

J'ajouterai que les deux enquêtes parlementaires qui ont été faites sous l'empire de cette disposition n'ayant donné lieu à aucun inconvénient, c'est une raison de plus de la maintenir.

MpVµ. - M. le ministre de la justice a fait parvenir au bureau un amendement ainsi conçu :

« Ils peuvent être délégués, en cas de nécessité, à des magistrats nommés à vie, irrévocables et inamovibles, sans préjudice du droit réservé à chacun des membres de la Chambre d'assister à leurs délibérations. »

MjTµ. - Je demanderai également qu'on substitue aux mots « à l'enquête » les mots « à leurs opérations. »

M. Dumortier. - Je demanderai la suppression des mots : « ainsi qu'à leur président. »

M. Hymans. - M. Dumortier propose de supprimer de l'article 4 les mots : « Ainsi qu'à leur président. »

Je viens en demander le maintien.

M. Dumortier vous a dit tout à l'heure que l'expérience des deux enquêtes successives avait prouvé l'utilité de la disposition contenue dans le projet du gouvernement : il a prétendu que les enquêtes ont parfaitement fonctionné avec le droit donné à la commission seule et non pas au président.

Cela est parfaitement contestable. Dans la loi de 1859, relative à l'enquête de Louvain, le président jouissait des mêmes droits que la commission, et nous avons constaté, dans l'enquête de Bastogne, que la Chambre avait commis une erreur en enlevant le droit au président pour le laisser à la commission seule.

L'expérience nous a prouvé que le président qui, d'ailleurs, est toujours sous le contrôle de la commission, étant dépouillé de ce droit, la commission délibère sur toutes les délégations à faire et que très souvent par ce moyen on arrivait à ne pas connaître la vérité, alors qu'on aurait pu arriver à la connaître par l'action immédiate du président.

Dans l'enquête de Louvain, le président citait des témoins de son autorité privée, c'est vrai, mais ses actes étaient ratifiés ; dans l'enquête de Bastogne, nous étions obligés de délibérer pendant une ou deux séances sur l'utilité de citer tel ou tel témoin ; or qu'arrivait-il ? C'est que dans l'intervalle on circonvenait les témoins et que ceux-ci savaient vingt-quatre heures à l'avance qu'ils allaient être appelés devant la commission.

C'est pour cela qu'à l'unanimité moins une abstention, je crois, la section centrale a proposé de rendre au président le droit que lui donnait la loi de 1859.

Dans la section centrale qui a examiné le projet, deux membres...

- Une voix. - Trois.

M. Hymans. - Permettez ; deux membres de la commission d'enquête dans l'affaire de Bastogne, M. Thonissen et moi (M. Mouton n'avait siégé que comme membre suppléant), donc deux membres dé la commission, M. Thonissen et moi, quoique n'appartenant pas à la même opinion, nous avons été d'accord sur la nécessité de rétablir cette disposition dans la loi. C'est précisément l'expérience que M. Dumortier invoque contre cette disposition qui a déterminé la section centrale à la maintenir.

Dans l'intérêt des enquêtes, j'engage M. le ministre de la justice à se rallier à l'amendement de la section centrale.

M. Mullerµ. - C'est précisément ce qui s'est passé lors des deux enquêtes qui me détermine à admettre pour le président le même droit que pour la commission. Lors de l'enquête de Louvain, le président avait le droit de citer, il n'en est résulté aucun inconvénient ; lors de l'enquête de Bastogne, le président était dépouillé de ce droit, et qu'en est-il résulté ? Des lenteurs. A mon avis, il est donc préférable de maintenir le droit que la loi donnait au président de la commission d'enquête pour les élections de Louvain que de le supprimer.

M. Nothomb. - M. Lelièvre a semblé croire que l'échange d'observations entre M. le ministre de la justice et moi, à propos du droit de délégation, était inutile.

Je ne puis pas être de cet avis.

M. Lelièvre nous dit que la question était résolue par les principes généraux du droit ; mais c'est parce qu'au contraire il y a divergence d'opinions quant à l'étendue des droits du juge d'instruction en matière de sous-délégation, que j'ai cru utile de bien préciser à cet égard, ce que la loi nouvelle entend. En effet d'après certains jurisconsultes, le juge (page 537) d'instruction a le droit de sous-déléguer, en d'autres termes les expressions du Code d'instruction criminelle ne sont qu'indicatives, et, d'après une autre opinion, que je partage, le droit du juge d'instruction est renfermé dans les limites étroites et les expressions du code d'instruction criminelle sont limitatives, c'est-à-dire que le juge d'instruction ne peut déléguer ses pouvoirs que dans les cas formellement indiqués par le Code.

C'est à cause de cette divergence d'opinions que je crois nécessaire que la loi soit parfaitement explicite sur ce p oint.

- La discussion est close.

MpVµ. - Nous avons à voter d'abord sur l'amendement de M. Dumortier qui consiste dans la suppression des mots : « ainsi qu'à leur président. »

M. Dumortier. - Je le retire.

MpVµ. - Reste l'amendement de M. le ministre de la justice qui tend à rédiger comme suit le second paragraphe :

« Ils peuvent être délégués, en cas de nécessité, à des magistrats nommés à vie, irrévocables et inamovibles, sans préjudice du droit réservé a chacun des membres de la Chambre d'assister à leurs opérations. »

- Cet amendement est mis aux voix et adopté.

L'article ainsi amendé est mis aux voix et adopté.

Article 5

« Art. 5. Les citations sont faites, selon le cas, à la requête du président de la Chambre, du président de la commission ou du magistrat délégué. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Le président de la Chambre ou le président de la commission a la police de la séance.

« Il l'exerce dans les limites des pouvoirs attribués aux présidents des cours et tribunaux. »

M. Dumortier. - Messieurs, je ne vois nulle part dans le projet une disposition qui cependant me paraît tout à fait nécessaire. Jusqu'à présent, c'est un huissier de la Chambre qui a fait les assignations aux témoins.

M. Thonissenµ. - En partie.

M. Dumortier. - En grande partie. Eh bien, je demande : Est-ce qu'un témoin, assigné par un huissier de la Chambre, ne pourrait pas venir contester la validité de cette assignation si elle ne résulte pas clairement de la loi ?

Je soumets cette question aux jurisconsultes de cette assemblée. N'y aurait-il pas lieu de dire dans la loi que la commission d'enquête pourra déléguer un huissier de la Chambre pour faire les assignations ? Je crois que sans cela les assignations pourraient être entachées de nullité. Du reste, c'est une question que je soulève ; je prie seulement la Chambre de l'examiner dans sa sagesse.

MjTµ. - Je dois dire que je suis un peu pris à l'improviste sur cette question, car j*ignorais complètement que des assignations eussent été faites par un huissier de là Chambre.

M. Thonissenµ. - En partie.

MjTµ. - Soit ; mais dans mon opinion les témoins pourraient ne pas répondre à des assignations faites dans ces conditions, et dans ce cas il faudrait qu'ils fussent régulièrement assignés par un officier ministériel à ce commis.

Si le témoin assigné ou mandé par un huissier de la Chambre se rend à cet appel, il n'y a pas de difficulté ; mais s'il ne s'y rendait pas il faudrait le faire assigner par un huissier ordinaire.

Je ne pense pas qu'il y ait lieu d'introduire dans la loi une disposition qui donnerait aux huissiers de la Chambre...

M. Dumortier. - A l'huissier de la commission.

MjTµ. - Peu importe : Je ne puis admettre qu'une commission pourrait investir un huissier de la Chambre ou un autre individu du caractère de fonctionnaire public. Je crois qu'il vaut mieux continuer à procéder comme on l'a fait jusqu'à présent, sauf à faire assigner par un huissier ordinaire les témoins qui ne se rendraient pas à l'appel qui leur aurait été adressé.

- L'article 6 est mis aux voix et adopté.

Article 8

« Art. 7. Les outrages et les violences envers les membres de la Chambre qui procèdent à l'enquête sont punis des mêmes peines que les outrages et les violences envers les magistrats de l'ordre judiciaire et suivant les mêmes distinctions. »

M. Coomans. - La rédaction de cet article est vicieuse par la forme.

« Les outrages et les violences... seront punis des mêmes peines que les outrages et les violences... » Cela n'est pas correct. Je propose de dire : « Les outrages et les violences envers les membres de la Chambre qui procèdent à l'enquête sont punis comme les outrages et les violences envers les magistrats de l'ordre judiciaire... »

M. Pirmez. - C'est la même chose.

M. Coomans. - Oui, mais la rédaction sera plus exacte et n'enlèvera rien à la clarté et à la précision nécessaires à la loi.

Maintenant, je prendrai la liberté de soumettre à la Chambre une observation du même genre au sujet de plusieurs articles.

Dans les sept premiers articles du projet de loi, on emploie le présent ; on l'emploie encore dans l'article 8 ; puis dans les articles suivants, on emploie le futur. Je crois qu'il vaudrait mieux employer le même temps dans tous les articles. La clarté n'y perdra rien et la grammaire y gagnera quelque chose.

M. Lelièvre. - Je crois devoir faire observer qu'aux termes de l'article 228 du Code pénal, celui qui frappe un magistrat à l'audience d'une cour ou d'un tribunal, est puni de la peine du carcan.

C'est donc cette peine qui serait appliquée à l'individu qui frapperait l'un des membres de la Chambre procédant à l'enquête, en séance de la commission.

Or, la peine du carcan, prononcée soit comme peine principale, soit comme peine accessoire, n'est plus appliquée, au point que le gouvernement intervient d'office pour accorder le droit de grâce de ce chef.

Je pense donc qu'il serait nécessaire de proposer une disposition remplaçant la peine du carcan par un emprisonnement qui pourrait être porté à cinq ans.

J'appelle l'attention de M. le ministre de la justice sur la nécessité de proposer un projet de loi spécial concernant l'objet que je signale à son attention, en amendant la publication du nouveau Code pénal. Il est évident qu'en cas d'application de la peine du carcan, il pourrait y avoir de sérieux inconvénients, puisque le gouvernement serait forcé de substituer à cette peine une autre pénalité qui serait peut-être considérée par le condamné comme plus grave pour lui.

Je me borne à signaler cette observation à M. le ministre de la justice.

MpVµ. - M. Coomans propose de dire : « sont punis comme » au lieu de « sont punis des mêmes peines que. »

M. Mullerµ. - On pourrait dire « sont punis des peines comminées contre les outrages etc. »

MjTµ. - Soit ; mais je ne sais pas ce que nous gagnerions à changer la rédaction. Cette rédaction est claire ; elle ne peut pas donner lieu à la moindre difficulté et je ne découvre pas, je l'avoue, en quoi la rédaction proposée par l'honorable M. Coomans serait plus correcte que celle du projet.

MpVµ. - M. Coomans, insistez-vous ?

M. Coomans. - Messieurs, j'ai proposé une rédaction correcte (interruption), parfaitement correcte et tout aussi claire...

M. De Fré. - Elle n'est pas juridique.

M. Coomans. - Et tout aussi claire que celle du projet.

Dire que certains faits seront punis des mêmes peines que d'autres faits, évidemment, messieurs, je dois lâcher le mot, cela n'est pas français.

M. Guillery. - Mais certainement c'est français.

M. Coomans. - Oui du français du trou de St-Roch. (Interruption).

M. Bara. - Je crois qu'il y a lieu de s'en tenir au texte tel qu'il nous a été proposé par le gouvernement. Ce texte est parfaitement français.

M. Guillery. - Messieurs, je me demande, sans pouvoir me répondre, quelle faute de français il y a dans l'article 7. Aucune académie, y compris celle que préside l'honorable M. Coomans, n'a prescrit des règles qui nous interdisent cette locution-ci :

« Les outrages et les violences envers les membres de la Chambre qui président à l'enquête sont punis des mêmes peines que les outrages et les violences envers les magistrats de l'ordre judiciaire et suivant les mêmes distinctions. »

Tout est bon français dans ce texte ; il n'y a rien d'irrégulier dans le « que » que j'ai souligné ; tandis que le « comme », qui vous arrive de Turnhout en droite ligne, me paraît beaucoup plus flamand que français.

M. Coomans. - Messieurs, je regrette que l'honorable M. Guillery m'ait mis dans la nécessité de faire un aveu humiliant. Je ne suis membre d'aucune académie ; c'est pour cela sans doute qu'il récuse mon autorité.

Si la chose en valait la peine, nous pourrions faire chercher à la bibliothèque l'une ou l'autre grammaire ; j'aime à croire que nous en avons ; et moyennant maints textes, je prouverais que l'expression « Sont punis (page 538) des mêmes peines que les outrages, etc., » n'est ni française, ni exacte, ni correcte.

- Un membre. - C'est une ellipse.

M. Coomans. - Il y a de bonnes ellipses ; il y en a de mauvaises ; celle-ci est mauvaise.

Au contraire, l’expression « sont punis comme les outrages, etc.,» est claire, nette, et exacte. Après cela, vous en ferez exactement ce que vous voudrez. Je m'en rapporterai au témoignage de tous les maîtres d'école.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Coomans est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 7, tel qu'il est rédigé, est adopté.

Article 8

« Art. 8. Les témoins, les interprètes et les experts sont soumis, devant la Chambre, la commission ou le magistrat délégué, aux mêmes obligations que devant le juge d'instruction, et, en cas de refus du de négligence d'y satisfaire, ils sont passibles des mêmes peines.

« Le serment sera prêté d'après la formule usitée devant la cour d'assises. »

M. Crombez. - Dans la séance de vendredi dernier, l'honorable comte de Theux disait :

« En matière judiciaire ordinaire, le prévenu ne peut pas être interrogé sous serment, car il serait contraire au droit naturel d'obliger quelqu'un à venir déclarer lui-même sa culpabilité.

« ... Le témoin sera-t-il obligé de répondre sous serment à des questions qui le compromettraient, qui le mettraient en aveu devant la commission d'un fait donnant lieu à des poursuites devant la justice ? »

A cette demande, M. le ministre de la justice faisait la réponse suivante :

« Je n'hésite pas à déclarer que le témoin a le droit de ne pas répondre. Pour préciser la portée de l'observation, je suppose qu'on demande à un témoin : « Avez-vous reçu de l'argent pour voter ? » Ce témoin a le droit de dire : « Je ne réponds pas. » Et pour ce refus de répondre on ne peut lui appliquer aucune peine. »

J'ai cité textuellement, messieurs, afin de bien constater l'état de la question.

Dans certains cas, le témoin n'est donc pas obligé de répondre et on autorise en quelque sorte la conspiration du silence.

Qui ne voit de suite les inconvénients de ce système ? Quel est, en effet, le but des enquêtes parlementaires ? C'est évidemment de découvrir la vérité en interrogeant tous ceux qui ont été les témoins des faits qu'il s'agit d'établir.

Or, si ces personnes peuvent se taire, comment, je le demande, parviendrez-vous à connaître la vérité ?

Sans doute, messieurs, on ne peut forcer un témoin à parler, mais ce qu'on ne peut obtenir d'autorité, ne serait-il pas possible, dans une certaine mesure, de l'obtenir en montrant au témoin que son plus grand intérêt est de s'expliquer franchement ?

Je vais donner à la Chambre un renseignement qui indique un moyen de faire parler les témoins.

Vous savez tous, messieurs, qu'en Angleterre les lois renferment des dispositions pénales très sévères contre les fraudes électorales et notamment contre la corruption. L'honorable comte de Theux disait dernièrement que le projet de loi que nous examinons en ce moment en section centrale n'était pas avare de dispositions pénales. Mais que dirait l'honorable membre s'il voulait jeter un coup d'œil sur la législation anglaise ?

Eh bien, messieurs, malgré leur législation sévère ou plutôt à cause de cette législation, les Anglais se sont bien vite aperçus que leurs enquêtes n'aboutissaient pas, parce que les témoins redoutaient de dire la vérité et d'être poursuivis ensuite pour avoir avoué leur culpabilité. Dans les délits électoraux, les témoins qu'on interroge ne sont pas, à proprement parler, des témoins, mais presque toujours les coupables, car ces délits ne sont pas commis par un ou plusieurs individus, mais par des masses.

Voici donc, messieurs, le remède que les Anglais ont imaginé pour engager les témoins, pour les amener à faire les déclarations les plus franches et les plus complètes.

L'article 7 de la loi du 8 juin 1863 (statuts 20 et 27, Victoria, chap. 29) est ainsi conçu :

« Nulle personne appelée comme témoin devant un comité d'élection ou devant les commissaires désignés en exécution de l'acte de la session tenue la 16ème et 17ème année du règne de Sa Majesté actuelle, chapitre 57, ne sera excusée de répondre à toute question sur une pratique de corruption dans l'élection ou relativement à l'élection formant le sujet de l'enquête faite par le comité ou les commissaires, en se basant sur ce que la réponse l'incriminerait ou tendrait à l'incriminer.

« Il est déclaré aussi que lorsqu'un témoin répondra à toutes les questions relatives aux matières susdites, auxquelles il sera requis de répondre par le comité ou les commissaires selon le cas, si ces réponses peuvent l'incriminer ou tendre à l'incriminer, il aura droit à recevoir du comité, de la main du clerc, ou des commissaires, un certificat établissant que tel témoin a été dans son interrogatoire requis par ledit comité ou les commissaires de répondre à une ou plusieurs questions relatives aux matières susdites, lesquelles réponses l’incriminaient ou tendaient à l'incriminer, et qu'il aurait répondu à la question ou aux questions. Et si quelque information, accusation ou action est alors pendante à une cour contre ledit témoin pour un délit prévu par les actes préventifs ou s'il y avait eu poursuites ou procédure contre lui pour des actes antérieurs au temps où il a donné son témoignage, lesquels actes auraient été faits à l'élection ou pour l'élection relativement à laquelle le témoin a été examiné, la cour, sur la production et la preuve du certificat, arrêtera les procédures sur les informations, actions ou accusations susmentionnées, et pourra, à sa discrétion, accorder au témoin les frais que lui auraient occasionnés lesdites informations, accusations ou actions.

« Stipule aussi qu'aucune déposition faite par quelque personne que ce soit, en réponse à une question posée par ou devant le comité ou les commissaires, ne pourra, excepté le cas d'accusation pour parjure, être admise en témoignage dans aucune procédure civile ou criminelle. »

On le voit donc, ce système est en tout contraire à celui adopté en Belgique.

L'article dont je viens de donner lecture ordonne au témoin de parler et pour l'engager à parler, il admet que toutes poursuites seront arrêtées en cas d'aveu du fait punissable.

Les Anglais, esprits essentiellement pratiques, préfèrent laisser les délits électoraux impunis plutôt que de ne pas savoir ce qui s'est passé. L'aveu sincère couvre donc tout acte de corruption, empêche les poursuites, le coupable échappe ainsi aux peines prononcées par la loi. Les témoins, entendus dans les enquêtes n'étant pas arrêtés par la crainte du châtiment, sont disposés naturellement à dire la vérité. Il est même de leur intérêt de la dire. Les enquêtes y gagnent en franchise.

Messieurs, je ne sais si ce système serait applicable en Belgique ; je ne veux pas m'en faire juge ; je le soumets à la Chambre, sans faire aucune proposition et en appelant sur les dispositions de la loi anglaise l'attention du gouvernement.

Le système belge n'atteint pas le but des enquêtes ; il se préoccupe trop des pénalités. Or, en pareille matière, les pénalités ne sont que l'accessoire, l'essentiel c'est la découverte de la vérité. Le système anglais est peut être trop absolu. Mais entre les deux, il y a place pour une formule qui ne fermerait pas la bouche des témoins et qui n'empêcherait pas cependant la répression des délits.

M. Lelièvre. - Je dois soumettre une observation à M. le ministre de la justice. Lorsqu'un témoin ne comparaît pas devant le juge d'instruction, non seulement il est condamne à l'amende, mais il peut être contraint par corps à venir donner son témoignage.

Je demande si le témoin défaillant pourra être contraint par corps à satisfaire à la citation et si la commission de la Chambre pourra délivrer le mandat d'amener. C'est sur ce point que je désire une explication de M. le ministre.

MjTµ. - Messieurs, je ne veux pas non plus discuter le système anglais que l'honorable M. Crombez vient de vous exposer si bien ; mais il ne me paraît pas très admissible ; il fournirait un moyen bien simple d'échapper à la peine qu'on aurait encourue pour des faits de corruption ; il suffirait que le coupable eût été interrogé et qu'il eût fait l'aveu de sa turpitude pour qu'il ne fût plus exposé à aucune peine ; celui, au contraire, qui n'aurait pas été interrogé pourrait être poursuivi et puni.

Cela ne me semble pas admissible. Ce système conduirait aux injustices les plus flagrantes...

M. Coomans. - Et si le témoin ment, et s'il affirme mensongèrement qu'il a reçu de l'argent, devant quels graves inconvénients nous nous trouvons !

MjTµ. - C'est autre chose ; il y aurait un faux témoignage ; dans ce cas je ne disconviens pas que le système que nous admettons donne lieu à certains inconvénients.

Mais ces inconvénients sont inséparables de toute espèce de poursuites. Je| ne puis pas admettre qu'on force un individu à déclarer des faits (page 539) qui peuvent l'exposer à une poursuite ; d'un autre côté, je ne puis non plus admettre qu'il suffit de déclarer qu'on a été corrompu pour échapper à toute peine. Sans doute il peut y avoir là des inconvénients, mais il est impossible de les éviter sans en rencontrer de plus graves.

L'honorable M. Lelièvre a demandé, je crois, si la commission avait le droit de faire comparaître devant elle un témoin qui s'y refuserait. Cela se trouve réglé par l'article 4, qui donne à la commission les pouvoirs que le Code d'instruction criminelle accorde aux juges d'instruction. La commission pourra donc contraindre les témoins à comparaître devant elle.

M. de Theuxµ. - Les observations faites par M. le ministre de la justice en réponse à celles de l'honorable M. Crombez, m'avaient également frappées. Je m'en réfère donc aux observations faites par M. le ministre de la justice.

Je n'ai qu'un mot à ajouter en ce qui concerne la multiplicité des peines qu'établit le nouveau projet. L'honorable M. Crombez dit que ces peines sont beaucoup plus nombreuses en Angleterre. Mais il faut faire attention qu'en Angleterre le vote est public, que conséquemment la corruption des électeurs doit être beaucoup plus fréquente avec ce vote public qu'avec le vote secret que notre loi consacre et que le nouveau projet tend à renforcer encore.

MjTµ. - J'ai encore une observation à faire relativement à l'article 8 et je crois qu'il est utile que je la fasse.

L'honorable M. Thonissen me demandait l'un de ces jours, en suite des explications échangées entre l'honorable comte de Theux et moi sur l’article 8, si les témoins étaient tenus de répondre sur des faits personnels. Nous avons été d'accord avec l'honorable comte de Theux qu'ils étaient tenus de répondre sur des faits personnels qui n'étaient pas délictueux. Cependant il y a un fait personnel non délictueux sur lequel je suis d'avis que le témoin peut ne pas répondre, et je crois qu'il est bon que cela soit dit dans la discussion. Il n'est pas obligé, s'il est électeur, de faire connaître pour qui il a voté.

M. de Theuxµ. - Evidemment.

MjTµ. - Je désire que cela soit bien entendu. Ainsi si l'on demande à un témoin pour qui il a voté, c'est un fait personnel, mais un fait personnel sur lequel il a le droit de ne pas répondre.

M. Thonissenµ. - On n'a jamais demandé cela.

MjTµ. - Je n'en doute pas.

M. de Theuxµ. - J'adhère complètement à la déclaration que vient de faire M. le ministre de la justice. J'avais déjà fait la même observation, lorsqu'on a discuté la première enquête, celle de Louvain. J'ai dit qu'il était imposable d'obliger un électeur, lorsque la loi lui permet de conserver son vote secret, à déclarer pour qui il a voté.

- L'article 8 est adopté.

Article 9

« Art. 9. Le coupable de faux témoignage, l’interprète et l'expert coupables de fausses déclarations, le coupable de subornation de témoins, d'experts ou d'interprètes seront punis d'un emprisonnement de deux mois à trois ans et privés de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité pendant cinq ans au moins et dix ans au plus.

« Lorsque le faux témoin, l'expert ou l'interprète aura accepté de l'argent, une récompense quelconque ou des promesses, il sera condamné de plus à une amende de 50 francs à 3,000 francs. »

MpVµ. - M. le ministre de la justice propose d'ajouter un dernier paragraphe ainsi conçu :

« La même peine sera appliquée au suborneur, sans préjudice des autres peines. »

MjTµ. - Messieurs, la commission propose, à l'article 9, de remplacer dans le second paragraphe ces mots : « lorsqu'ils auront » par ceux-ci : « lorsque le faux témoin, l'expert ou l'interprète. »

J'accepte cette modification. Mais on remplace le mot « reçu » par le mot « accepté. »

Je ne vois pas trop la raison de ce changement et je dois maintenir le mot « reçu » qui se trouvait dans le projet du gouvernement, parce que c'est l'expression du Code pénal ; je crois qu'il est bon de conserver les expressions qui se trouvent dans la loi générale.

Je propose un dernier paragraphe pour compléter l'article. Le premier paragraphe de l'article 9 prévoit le cas où la subornation n'a pas eu lieu au moyen d'argent, de récompense ou de promesses, et il punit le suborneur de la même peine que les individus qui se sont rendus coupables de faux témoignage.

Le second paragraphe prévoit le cas où la subornation a été accompagnée de remise d'argent, etc. Pour ce cas, il faut encore mettre le suborneur sur la même ligne que ceux qu'il a subornés et le punir des mêmes peines. C'est dans ce but que je propose un dernier paragraphe, qui déclare que le suborneur sera puni de la même peine que ceux qui ont été subornés, sans préjudice des autres peines.

M. Thonissenµ. - Messieurs, vous savez que, devant les tribunaux criminels, le faux témoin qui se rétracte avant la fin des débats, échappe à toute peine. La section centrale s'est demandé si le même système devait prévaloir devant une commission d'enquête ; en d'autres termes, si un témoin pouvait impunément mentir jusqu'à la fin de l'enquête. Nous avons tous été d'avis que cela ne pouvait être ; nous avons tous cru qu'avec un système où les témoins pourraient mentir impunément pendant huit ou dix jours, toute enquête sérieuse deviendrait complètement impossible. Cette opinion se trouve consignée dans le rapport de la section centrale ; mais je trouve utile de le faire constater par un texte spécial et j'ai, à cette fin, rédigé un amendement ainsi conçu :

« Le faux témoignage est consommé du moment où le témoin, ayant entendu la lecture de sa déposition, y persiste et signe ou déclare ne pas savoir signer. »

M. Guillery. - Je ne puis admettre l'amendement de 1 honorable M. Thonissen et voici pourquoi. Je crois qu'il est très dangereux de poser autant de questions dans la section centrale et de poser autant de questions devant la Chambre. Les principes de droit criminel qui s'appliquent devant les tribunaux doivent s'appliquer en cette matière. Il n'est pas possible de nous poser toutes les questions qui pourront se présenter, et bien moins encore de les résoudre. C'est une question d'interprétation qu'il faut laisser aux membres de la commission. Ils auront le droit d'examiner chaque question qui se présentera. Mais vouloir examiner toutes ces questions en séance de la Chambre, c'est impossible et c'est nous exposer à jeter beaucoup de trouble et de difficultés dans l'interprétation de nos lois.

Quant au principe en lui-même, quint à la question qui nous occupe, je crois que nous devons nous en référer à ce qui se pratique dans le droit commun et voici pourquoi. Ce n'est pas une question de droit, c'est une question d'humanité.

Un témoin se présente devant la cour d'assises ; il fait une déposition évidemment fausse. Le président, avec la sagacité qu'a un homme habitué à conduire des débats judiciaires, sent que cette déposition est fausse. Que fait-il ? S'empresse-t-il de constater la déposition du témoin pour le faire arrêter, pour instruire contre lui ?

Mais non, il l'avertit, il lui dit : Réfléchissez, consultez vos souvenirs il est possible que vous vous soyez trompé ; voyez si ce n'est pas ainsi que les choses se sont passées. Et, lorsque le témoin a persisté, le président après avoir fait acter sa déposition, le président l’engage de nouveau à réfléchir et à ne pas persister dans une déposition qui ne serait pas conforme à la vérité. Il arrive ainsi qu'au dernier moment, un témoin, frappé des conseils qui lui sont donnés paternellement par le président, se rétracte et déclare la vérité. Vous évitez ainsi de ux choses, vous évitez un accusé et une condamnation et vous évitez une fausse déposition qui pouvait concourir à vous empêcher d'arriver à la découverte de la vérité.

Je crois donc que l'amendement de l'honorable M. Thonissen, bien contre l'intention de son auteur, est beaucoup trop rigoureux.

Sans doute, si l'on pose la question en ces termes : « Est-il permis de mentir devant la commission d'enquête ? » tout le monde dira : Non. Mais ce n'est point ainsi qu'il faut la poser ; il faut dire : « Lorsqu'un témoin intimidé par des circonstances extérieures, suborné par les mille moyens que suggèrent les passions politiques, intimidé par les menaces, sera venu faire une fausse déposition, si ce témoin vient se rétracter, devra-t-il néanmoins être condamné ? » Je crois, messieurs, qu'il y aurait véritablement inhumanité à résoudre cette question par l'affirmative.

M. Thonissenµ. - Il est certain, messieurs, que nous ne devons pas nous poser trop de questions ; mais la question que j'ai soulevée découlait forcément du texte du projet et des discussions qui ont eu lieu au sein de la section centrale. Comme le projet parlait de faux témoignage, nous nous sommes tout naturellement demandé quand il y aura faux témoignage dans le sens de la loi. Peut-il y avoir une question plus simple, plus naturelle, plus inévitable ?

Maintenant, quant au fond, voici le problème à résoudre. Un témoin commence par déposer contrairement à la vérité ; on le soupçonne de proférer des mensonges ; on l'interroge ; on l'éclairé sur les conséquences de sa fausse déposition, comme le faisait si bien l'honorable M. Van Humbeeck dans la commission d'enquête de Bastogne. Evidemment, si, avant (page 540) de signer, ce témoin se rétracte, i| n'est pas punissable. Mais voici un autre cas, et c'est celui-là seul qui nous a préoccupés au sein de la section centrale. Un homme se présente devant la commission d'enquête ; il prête serment ; il fait une fausse déposition ; on lui fait une foule d'observations, et enfin on lui demande, avant qu'il ne signe, s'il entend persister ; il persiste, il signe.

Quatre ou cinq jours après, il se représente et vient dire qu'il a menti sous la foi du serment. Doit-il encore être admis à se prévaloir de sa rétractation pour échapper aux peines du faux témoignage ?

Devant la cour d'assises le débat peut durer pendant plusieurs jours. Le premier jour, un témoin ne dit pas la vérité ; le deuxième jour il ment de nouveau ; le troisième jour, il se rétracte, et dit la vérité. Suivant la jurisprudence actuelle, ce témoin n'est pas punissable. Voulez-vous suivre la même jurisprudence devant la commission d'enquête ? Eh bien, j'ai assez d'expérience des enquêtes parlementaires pour oser affirmer qu'avec un tel régime, il n'est pas possible de faire une enquête sérieuse. Des témoins viendront mentir dès le début ; ils dérouteront les investigations de la commission et l'empêcheront d'arriver à la connaissance de la vérité.

L'honorable M. Guillery dit : Agissez comme on agit devant les tribunaux. Mais devant les tribunaux on ne se trouve pas dans la même position. Les juges ont bien plus de moyens de découvrir la vérité. Quand une affaire arrive devant la cour d'assises, il y a eu un premier examen devant un juge d'instruction, puis une délibération dans la chambre du conseil, puis encore une autre délibération dans la chambre des mises en accusation. D'autre part, à l'audience, les témoins restent devant la cour d'assises depuis le commencement jusqu'à la fin ; ils ne peuvent point s'éloigner sans la permission du président. Au contraire, devant la commission d'enquête. les témoins partent immédiatement, sauf les cas très exceptionnels où on les fait rester pour opérer une confrontation.

Enfin, messieurs, dans les affaires de cour d'assises, vous ne rencontrez ni les mêmes passions, ni les mêmes suggestions que dans les enquêtes parlementaires. Je ne veux accuser personne ; mais je puis affirmer que lors de l'enquête sur les élections de Bastogne plusieurs témoins ont été travaillés de toutes les manières.

Dans les affaires criminelles, vous ne trouvez pas des centaines de personnes qui se passionnent pour le résultat et cherchent à agir sur les témoins.

Je reviens à la question. Devant les tribunaux, une affaire dure par exemple vingt jours ; le témoin peut mentir pendant dix-neuf jours, et s'il se rétracte le vingtième, il n'est pas punissable.

Voulez-vous qu'il en soit de même devant la commission d'enquête ?

Vous en avez le droit ; mais, de mon côté, je vous déclare qu'avec un tel système, ceux que vous chargerez d'une enquête parlementaire se trouveront presque toujours dans l'impossibilité d'arriver à la découverte de la vérité.

M. Pirmez. - Messieurs, je crois que le but que M. Thonissen veut atteindre le sera de plein droit par le texte proposé, même sans le modifier par son amendement.

Il est certain que le faux témoignage est consommé par la signature de la déposition par le faux témoin.

Si l'on a, en matière criminelle, admis la faculté pour le témoin de changer sa déposition, c'est par un motif tout spécial.

La peine dépend ou peut dépendre de la peine. Ainsi la peine de mort est encourue par le faux témoin qui a fait condamner un innocent à mort.

De là on a conclu que le délit pouvant se modifier dans sa gravité jusqu'au verdict du jury, il pouvait jusque-là n'être pas considéré comme consommé ; et qu'ainsi le retour à la vérité, alors qu'il n'y a pas de dommage causé, exemptait le témoin de toute peine.

Or, il est évident que cette raison ne s'appliquant pas à la loi actuelle qui prononce une peine fixe, l'amendement dès lors est inutile.

Je ne fais du reste pas d'objection à ce qu'il soit adopté.

M. Guillery. - Messieurs, je crois qu'il n'était pas nécessaire de poser la question que vient de poser l'honorable M. Thonissen.

Nous avons bien dû examiner la question du faux témoignage, dit l'honorable M. Thonissen. Non, vous ne deviez pas l'examiner, car si vous deviez examiner un côté de la question, vous deviez examiner aussi les autres. Si vous devez envisager un des caractères du faux témoignage il n'y a pas de raison pour que vous n'en abordiez pas vingt.

Quant au fond de la question, quel est l'intérêt qui doit dominer le législateur ?

Cet intérêt est double : l'intérêt de la vérité et l'intérêt de l’humanité.

L'intérêt de l'humanité, c'est qu'il y ait autant de douceur que possible dans l'application de la loi ; c'est évidemment ce que nous désirons tous.

L'intérêt de la vérité, c'est que le témoin qui s'est laissé entraîner à dire le contraire de la vérité puisse, jusqu'au dernier moment, se rétracter et venir concourir à la découverte de la vérité en disant ce qui est, au lieu de persister dans sa première déposition. Si en revenant sur ce qu'il a dit, il doit être puni, il persistera dans sa première déposition.

Il est évident, messieurs, que dans l'intérêt de la vérité, il doit pouvoir revenir sur sa première déclaration et concourir par la seconde à la découverte de ce qui s'est réellement passé.

Quel est maintenant l'intérêt de l'humanité ? C'est d'éviter autant que possible de 'trouver des coupables, de créer des crimes ou des délits.

L'honorable M. Pirmez, tout en défendant cette doctrine, nous a dit qu'il est inutile de l'introduire dans la loi, parce qu'il est de jurisprudence que lorsqu'un individu est prévenu de faux témoignage, on attend, pour prononcer sur son sort, que la cause principale soit jugée.

C'est le contraire qui a lieu.

M. Pirmez. - Pas toujours.

M. Guillery. - Je demande pardon, j'ai plaidé assez souvent devant la cour d'assises pour pouvoir citer de mémoire les affaires dans lesquelles on a attendu, pour continuer l'affaire principale, que l'on eût statué sur le sort du faux témoin.

M. Pirmez. - Cela dépend des cas.

M. Guillery. - Je me rappelle parfaitement l'arrêt de la cour de France qui a décidé la question et le réquisitoire du procureur général Dupin qui a amené cette jurisprudence. Je me rappelle qu'il s'écriait : « Je crois encore me trouver au banc de la défense ; où sont mes témoins ? Vous méjugez sans savoir si mes témoins ont dit la vérité ou s'ils ont trompé la justice. Comment voulez-vous juger la cause principale, avant d'avoir jugé les témoins eux-mêmes ? »

Que l'honorable membre me croie, sa mémoire le trompe. La jurisprudence est que l'on juge le faux témoignage avant la cause principale.

MjTµ. - Pas toujours.

M. Guillery. - Si donc la Chambre, dérogeant à ce qui se fait en matière criminelle ordinaire, veut que le témoin qui a signé sa déposition ne puisse plus se rétracter, qu'il n'y ait plus de miséricorde pour lui quel que soit son repentir, quel que soit le concours qu'il prête à la découverte de la vérité, elle doit voter l'amendement de M. Thonissen,

MjTµ. - Messieurs, je crois que les assertions de l'honorable M. Guillery sont beaucoup trop absolues.

Il est bien certain qu'en matière criminelle, lorsqu'une cour d'assises a devant elle un témoin, dont la déposition est incriminée, dont la déposition paraît fausse, elle a le droit de renvoyer l'affaire à une autre session. C'est ce que porte l'article 331 du code d'instruction criminelle.

Art. 331. Dans le cas de l'article précédent (c'est-à-dire, si, d'après les débats, la déposition d'un témoin paraît fausse), le procureur général, la partie civile ou l'accusé, pourront immédiatement requérir, et la cour ordonner, même d'office, le renvoi de l'affaire à la prochaine session.

Mais le plus souvent l'affaire est jugée avant même que l'instruction contre le faux témoin soit faite.

M. De Fré. - Cela dépend des circonstances.

MjTµ. - Sans doute, la cour a le droit, mais elle n'a pas l'obligation de surseoir.

Maintenant quant à l'amendement de l'honorable M. Thonissen, je l'accepte en principe, sauf à l'examiner d'ici au second vote, car je suis d'avis qu'il est dangereux d'admettre à la légère de nouvelles dispositions.

Il faut, messieurs, faire une grande différence entre l'instruction qui a lieu devant une cour d'assises et celle à laquelle procède une commission d'enquête parlementaire.

Ainsi que l'a dit l'honorable M. Thonissen, en cour d'assises, on continue l'examen sans désemparer ; les témoins savent jusqu'à quel moment ils peuvent encore se rétracter ; mais lorsqu'il s'agit d'une enquête qui se fait en dehors de la présence des témoins, qui peut être close d'un moment à l'autre, il n'en est pas de même et l'on ne peut admettre le même principe.

Il me semble qu'une fois que le témoin est devenu complètement étranger à l'enquête, tout doit être terminé pour lui, et qu'à ce moment le faux témoignage doit être considéré comme consommé.

(page 541) Je croîs donc qu'en présence de la divergence qui se manifeste dans les opinions il est utile de trancher la question dans le sens de l'amendement de l'honorable M. Thonissen, sauf à y réfléchir jusqu'au second vote.

M. Lelièvre. - L'amendement de l'honorable M. Thonissen me semble d'abord trop absolu.

En effet, d'après cet amendement, le faux témoignage serait consommé du moment que le témoin, après avoir eu lecture de sa déposition, aurait déclaré y persister ; mais il lui reste encore à signer sa déclaration, et tant que celle-ci n'est pas signée, la déposition n'est pas consommée. Il faut donc que la déposition soit un fait accompli, ce qui ne peut avoir lieu qu'au moyen de la signature ou de la déclaration de ne savoir écrire.

Au fond, il s'agit de savoir si nous maintiendrons les principes du droit commun qui permet au témoin de se rétracter jusqu'à la clôture des débats. Il est à remarquer que ce principe est fondé sur ce que le témoin qui rétracte eu temps utile sa fausse déposition a effacé le préjudice moral causé à la société. Sa rétractation faite, les choses étant encore entières, prévient tout tort moral définitif, de sorte que l'impunité en ce cas est parfaitement justifiée.

Quant à moi, messieurs, je panse qu'il faut appliquer la même doctrine aux enquêtes parlementaires.

En effet, l'intérêt de la vérité exige qu'on facilite aux témoins le moyen de réparer ce qu'ils ont faussement déclaré. Les frapper d'une peine dès que la déposition est consommée, c'est les engager à persister dans leur déclaration, c'est entraîner la Chambre à prononcer sur des dépositions erronées, c'est ainsi consacrer un système pouvant donner lieu à de graves inconvénients. Même en matière d'enquête parlementaire, le témoin qui se réfracte efface l'effet de sa déposition fausse et prévient le préjudice moral qui doit en résulter pour l'intérêt social.

Dès lors le fait qu'il a pu commettre reste sans résultat nuisible.

J'inclinerais donc à maintenir, même en cette occurrence, la possibilité d'une rétractation qui est propre à assurer la justice des décisions de la Chambre.

M. Coomans. — Messieurs, je désire ajouter quelques mots à l'appui de la thèse soutenue par les honorables MM. Thonissen et Tesch.

Si j'ai bien retenu les leçons de M. Rossi et d'autres, les égards exorbitants que l'on a pour les faux témoins ont été dictés principalement dans l'intérêt de l'accusé.

On a voulu provoquer jusqu'à la dernière heure la manifestation de la vérité de laquelle peut dépendre la vie d'un homme, car il a été dit et selon moi avec une grande apparence de raison, que ces égards exorbitants n'auraient pas été inscrits dans la loi, s'ils ne l'avaient été par une raison d'humanité.

Mais il n'y a pas de similitude entre les opérations de la cour d'assises et les nôtres. Il n'y aura jamais dans nos enquêtes de vie d'homme en jeu, nous pouvons donc être plus sévères en ers les témoins que la justice ordinaire ne l'est en cour d'assises.

Cette considération, outre celles qui se rattachent à la morale, me porte à voter l'amendement de M. Thonissen.

Un dernier mot, pour ne pas reprendre la parole. Quoique vous ne m'ayez pas encouragé à vous soumettre des observations grammaticales, je me permettrai de vous en présenter encore une au sujet da l'emploi du futur après l'emploi du présent. Je désirerais savoir quel intérêt peut avoir le rédacteur du projet à varier les temps.

Je propose l'emploi du présent au lieu da futur, puisque le présent a déjà été employé.

M. de Theuxµ. - Il y aurait danger, à se montrer trop indulgent envers les faux témoins ; ce serait encourager les faux témoignages ; un témoin sachant qu'il peut toujours revenir sur sa première déclaration, s'il tient peu à la moralité, se réservera de dire la vérité au dernier moment et seulement lorsqu'il aura appris que sa première déclaration a été prouvée fausse.

Mais je crois aussi qu'il ne faut pas trop de rigueur, que l'on peut excuser un premier témoignage par le défaut de mémoire ou par d'autres circonstance qui ont troublé le témoin et que dans ce cas on doit ne pas ordonner une poursuite judiciaire.

MjTµ. - Non.

M. de Theuxµ. - S'il est établi qu'il y a eu chez le témoin une préoccupation telle en présence de la commission, qu'il a pu oublier certaines circonstances, il ne faut donc pas poursuivre, surtout si le témoin demande à être entendu pour déclarer ce que ses derniers souvenirs lui rappellent.

M. Guillery. - Je demande pardon à la Chambre d'insister, maïs la question me paraît d'une hante importance. M. de Theux entre autres arguments nous dit : Si nous nous montrons trop indulgent, le témoin spéculant sur notre indulgence commencera par porter un faux témoignage avec l'arrière-pensée de la rétracter. C'est évidemment un acte immoral qu'il ne faut pas encourager, mais je crois que c'est présenter les choses d'une manière un peu subtile. Il ne faut pas supposer tant de corruption, tant de perversité chez les personnes qui viendront déposer devant la commission d'enquête ; je ferai remarquer d'ailleurs qu'en admettant cette perversité les peines qu'on portera contre les faux témoignages ne remédieront pas un mal.

Occupons-nous de ce qui se présente ordinairement dans les dépositions, car il faut bien le reconnaître, les faux témoins ne sont pas en définitive tellement communs qu'on ne voie que cela, tous les hommes ne sont pas tellement corrompus qu'on puisse supposer fréquemment des calculs semblables.

Vous supposez un homme qui fait une déposition avec l'arrière-pensée de la rétracter selon les circonstances et selon son intérêt. C'est donc un homme qui fait abnégation complète de sa dignité et dans ce cas la commission d'enquête n'aura aucune confiance en sa déposition. Est-ce que de pareils calculs se produisent devant la justice ordinaire ? En matière criminelle, correctionnelle, les témoins recourent-ils à de pareils subterfuges ? Non ; lorsqu'un témoin a fait une déposition, il y persiste autant qu'il le peut, et s'il change c'est qu'il y est amené par sa conscience ou contraint par la crainte d'un châtiment. On ne joue pas un pareil jeu de gaieté de cœur.

Je crois donc que la disposition que je défends et qui est appliquée devant les tribunaux depuis plus de 50 ans sans aucune espèce d'inconvénient, que cette disposition, dictée par l'intérêt de la vérité et par celui des témoins, peut être maintenue. Les terreurs qu'on se fait sont imaginaires.

Voyons-nous que devant les cours d'assises les témoins fassent de fausses dépositions à cause de la faculté que leur laisse la jurisprudence de se rétracter ? Quant à moi, je n'en connais pas d'exemple. Verrons-nous cela dans les enquêtes parlementaires ? L'avons-nous vu dans les enquêtes antérieures ? Je ne le crois pas.

J'insiste sur cette question parce qu'elle est importante et parce que l'amendement de M. Thonissen tend à établir une sévérité que je regarde comme inutile et dangereuse ; j'insiste parce que je vois l'opposition vive que rencontre mon système.

M. Coomans m'a opposé une objection à laquelle je crois devoir répondre. C’est dans l'intérêt de l'accusé, dit-il, que le droit de rétractation a été admis : en cour d'assises il y a souvent vie d'homme en jeu ; il n'en est pas de même dans les enquêtes parlementaires. Mais quelle que soit l'importance des affaires, qu'il s'agisse d'une affaire de cour d'assises, de simple police ou d'une enquête parlementaire, c'est toujours l'intérêt de la vérité qui doit nous guider.

Permettez aux témoins d'être sincères et offrez-leur le moyen d'éviter d'être coupables ; attendez surtout avant de frapper que le délit soit consommé, que le préjudice soit causé.

On dit que le délit est consommé lorsque le témoin a signé sa déposition. Je le nie, parce que l'acte n'est pas irréparable, parce que le témoin, revenant, peut dire : Je me suis trompé, j'ai été induit en erreur, j'ai été victime de menaces que je viens dénoncer à la justice ; je viens rétracter ce que j'ai dit et contribuer maintenant à la manifestation de la vérité. Où est donc le crime consommé ? La déposition n'est plus alors qu'un chiffon de papier sans valeur.

- Des voix. - Oh ! oh !

M. Guillery. - Comment, oh ! oh ! Je n'affecte aucune espèce de mépris pour les dépositions signées, mais je dis que lors que le témoin qui a signé sa déposition se rétracte, sa déposition n'est plus qu'un chiffon de papier sans valeur.

MjTµ. - Mais en matière civile, comment les choses se passent-elle* ?

M. Guillery. - Nous sommes en matière criminelle.

MjTµ. - En matière spéciale.

M. Guillery. - Je répète que, lorsqu'un témoin vient rétracter sa déposition, cette déposition n'a plus de valeur. Pourquoi voulez-vous lui donner de l'importance pour en faire le texte d'une accusation ou d'une condamnation contre un malheureux qui se rétracte lorsqu'il n'y a aucune espèce de préjudice causé à la société ?

M. Mullerµ. - Je tiens à dire à la Chambre comment la section centrale a été amenée forcément à s'expliquer sur le point de savoir quand il y aurait faux serment.

Remarquez, d'une part, que le projet attribue à la Chambre ou à la (page 542) commission d'enquête parlementaire les pouvoirs des juges d'instruction.

Or, le serment prêté devant le juge d'instruction ne donne pas lieu à poursuites ; nous avions donc à examiner comment s'exerceraient les poursuites en matière de faux serment prêté devant la commission d'enquête.

En matière civile, le faux serment est consommé lorsque le témoin a persisté dans sa déposition et l'a signée. Nous nous sommes dit que ce qu'il y aurait de mieux à faire pour éviter tout doute, c'était de faire connaître l'opinion de la section centrale dans son rapport. Moi j'aurais préféré qu'il y eût une disposition expresse dans la loi, mais une partie des membres de la section centrale ont été d'avis qu'il suffisait que sa pensée fût exprimée dans le rapport.

Quelle que soit, messieurs, l'opinion qu'on se fait à cet égard, il est évident que pour que les tribunaux puissent exécuter la loi, ils sachent au moins dans quel sens elle a été conçue.

Quant à nous, section centrale, nous avons cru et nous pensons encore que le faux témoignage sera consommé lorsque, après avoir lu au témoin sa déposition, il aura déclaré y persister et qu'il l'aura signée, s'il sait signer.

On a invoqué ce qui se passe en cour d'assises ; mais, messieurs, remarquez que les choses s'y passent tout différemment. Ainsi, sauf la permission du président, les témoins doivent assister à toute l'instruction orale ; chaque témoin est toujours là pour répondre à l'interpellation du président ; il est là aussi pour s'expliquer contradictoirement avec d'autres témoins.

Mais, en matière d'enquêtes parlementaires, vous n'allez pas tenir en permanence tous les témoins, et si vous voulez punir le faux témoignage, je crois qu'il faut le frapper de la manière que nous avons proposée dans le rapport de la section centrale. Et, quant à moi, je me rallie à l'amendement proposé par l'honorable M. Thonissen, attendu que j'avais émis la même opinion au sein de la section centrale.

- La discussion est close.

MpVµ. - Le premier amendement, proposé par M. le ministre de la justice, consiste dans le remplacement du mot « accepté » par le mot « reçu. »

-Adopté.

MpVµ. - M. le ministre de la justice propose, en second lieu, d'ajouter un paragraphe ainsi conçu :

« La même peine sera appliquée au suborneur, sans préjudice des autres peines. »

- Adopté.

MpVµ. - Maintenant, vient un dernier paragraphe proposé par M. Thonissen et qui est ainsi conçu :

« Le faux témoignage est consommé dès l'instant où le témoin, ayant entendu la lecture de sa déposition, y persiste et signe ou déclare ne pas savoir signer. »

- Adopté.

MpVµ. - Enfin, M. Coomans propose de substituer le présent au futur.

MjTµ. - Je crois, messieurs, qu'il faut maintenir la rédaction telle qu'elle est ; c'est la rédaction du code pénal dans lequel le présent et le futur sont également employés tour à tour.

- L'amendement de M. Coomans est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'article 9, modifié conformément aux votes de la Chambre, est mis aux voix et adopté.

Article 10

« Art. 10. Les procès-verbaux constatant les délits seront renvoyés aux tribunaux, qui appliqueront les peines encourues, ou les modifieront, ou les réduiront, s'il existe des circonstances atténuantes, conformément à la loi pénale. »

M. Lelièvre. - Il me paraît résulter de cet article que les délits prévus par le projet sont considérés comme des délits du droit commun, et non pas comme des délits politiques, de la compétence du jury.

Je désire savoir si M. li ministre de la justice entend l'article dans le sens que je viens d'énoncer.

Du reste, le faux témoignage et les autres délits que prévoit le projet n'ont aucun caractère politique, ils sont une contravention aux lois de probité et de moralité qui sont la base des sociétés civilisées.

MjTµ. - Je ne comprends pas le faux témoignage en matière politique ; je comprends un délit commis à propos d'une affaire politique ; mais ce sont là des affaires à juger par les tribunaux ordinaires comme les simples délits ordinaires.

- L'article 10 est adopté.

Article 11

« Art. 11. Les indemnités dues aux personnes dont le concours a été requis dans l'enquête sont réglées comme en matière civile. »

MjTµ. - La section centrale propose de faire payer les indemnités conformément au tarif civil.

J'a i deux observations à faire à ce sujet.

Je pense d'abord qu'il est bien entendu que les membres des Chambres ne sont pas compris parmi les personnes dont s'occupe l'article 11. (Non ! non !)

Maintenant, je crois qu'il faut régler les indemnités conformément au tarif des frais en matière criminelle : il y aurait de graves inconvénients à maintenir la proposition de la section centrale.

Veuillez, messieurs, ne pas perdre de vue qu'en matière civile il y a des parties en cause : ce sont elles qui payent les indemnités ; tandis qu'ici les frais de l'enquête doivent être payés par le trésor comme ils le sont en matière criminelle.

En matière civile encore, la taxe est faite par le juge, les parties ont le droit d'y faire opposition ; cette procédure n'est pas possible pour les frais de l'enquête.

Il importe donc de dire que les indemnités seront réglées comme en matière criminelle. Si le taux en est insuffisant, on peut l'augmenter, et il vaut mieux augmenter le chiffre des indemnités d'une manière générale et non pas seulement pour le cas spécial qui nous occupe.

- La modification proposée par M. le ministre de la justice est adoptée.

L'article 11, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

Article 12

« Art. 12. Les dépenses résultant de l'enquête sont imputées sur le budget de la Chambre qui l'a ordonnée. »

- Adopté.


MpVµ. - Comme il y a des amendements, le projet de loi doit être son mis à un second vote ; je propose à la Chambre de le fixer à jeudi.

- Adopté.

La séance est levée à 4 3/4 heures.