(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session extraordinaire de 1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 69) M. de Florisone procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.
M. de Moor donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Florisone présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Stuyck prie la Chambre de statuer sur sa pétition ayant pour objet d'être entendu devant la cour militaire sur les faits qui ont provoqué sa mise en non-activité. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des décorés de la croix de Fer demandent que le parcours gratuit sur les chemins de fer jusqu'à Bruxelles leur soit accordé pendant les quatre journées de septembre. »
- Même renvoi.
« Des habitants de l'arrondissement de Waremme prient la Chambre de voter la proposition de loi relative à l'augmentation du nombre des membres de la représentation nationale. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Havré prient la Chambre d'accorder aux sieur Dessigny et Dela Hault la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Huy. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Genappe demandent que tous les citoyens possédant un titre quelconque d'instruction soient inscrits d'office sur les listes électorales. »
- Même renvoi.
« Le sieur Samyn propose des mesures pour empêcher les accidents sur les chemins de fer. »
- Même renvoi.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, je tiens à constater tout d'abord que le crédit que je sollicite aujourd'hui n'est pas une nouveauté ; ce n'est pas une demande inattendue que je vous fais ; c'est, au contraire une demande annoncée et prévue depuis longtemps. Je dirai même que le crédit dont il s'agit a été accepté à peu près par tout le monde puisqu'il est la conséquence naturelle du résultat de l'adjudication, des décisions des tribunaux en matière d'expropriation et des travaux complémentaires ou imprévus qu'il a fallu exécuter, moins dans l'intérêt du département de la guerre que dans un intérêt public ou dans l'intérêt de la ville d'Anvers.
En effet, messieurs, l'exposé des motifs qui est joint au projet de loi, soumis à vos délibérations, n'est que la reproduction presque textuelle des explications que j'ai données à la Chambre à plusieurs reprises et depuis longtemps.
Dès 1861, et je vous prie de remarquer cette date, car c'était à l'origine des travaux, dès 1861, la section centrale du budget de la guerre me posa cette question :
« Les crédits votés pour les fortifications d'Anvers et pour l'armement, seront-ils suffisants ? »
Je répondis dans une note écrite, que ces crédits ne seraient pas suffisants, qu'il y aurait à ajouter l'augmentation du prix des adjudications, celle du prix des expropriations et la dépense des travaux supplémentaires qui étaient réclamés déjà à cette époque. J'estimais cette dépense à trois millions cinq cent et quelques mille francs.
En 1862, lorsque nous vous proposâmes une dérogation à la loi de comptabilité, afin de pouvoir faire des avances de fonds à la société-entrepreneur, j'ai encore eu soin de faire connaître la situation des travaux et les crédits supplémentaires qu'il y aurait à voter.
Dans d'autres circonstances, tant à la Chambre qu'au Sénat, j'ai donné les mêmes explications. Je crois donc, messieurs, que le reproche que l'honorable M. Van Overloop adressait hier aux ministres de la guerre, d'avoir manqué de franchise en n'exposant pas la vérité, ne peut pas s'adresser au ministre de la guerre qui a fait connaître la situation réelle des travaux d'Anvers.
Personne n'a ignoré cette situation qui, depuis quatre ans, est parfaitement connue de la Chambre et acceptée par tout le monde.
Ce qui me fait croire qu'elle est acceptée par tout le monde, c'est que, comme on l'a rappelé hier, l'honorable M. Dechamps, dans le programme qu'il a publié, déclarait que la question d'Anvers serait résolue sans dépasser la limite des crédits votés et des crédits annoncés.
J'espère donc, messieurs, que vous me rendrez cette justice que je ne vous ai jamais caché la vérité, que je ne vous fais pas de surprise aujourd'hui en vous demandant un nouveau crédit et que s'il y a un sujet d'étonnement pour beaucoup d'entre vous, c'est que le crédit ne soit pas plus élevé.
M. Coomans. - Oh ! oh !
- Voix à gauche. - Oui, oui !
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Permettez, messieurs, une simple observation. Plusieurs d'entre vous ont cru, - ce qu'on leur a dit si souvent, - qu'il y aurait un supplément de dépense qui s'élèverait à une somme qu'on portait à 50, 60 et même à 100 millions de francs. Voilà ce qui a été dit, répété, publié et cru généralement dans le public.
M. Beeckman. - C'est encore mon opinion.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est encore l'opinion de l'honorable M. Beeckman ; donc il doit être surpris si nous n'avons que 5 1/2 millions de supplément à demander et si, au moyen de cette somme, la place d'Anvers est complètement achevée.
M, Coomansµ. - Alors, oui, nous serons surpris ; mais je parle au futur.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Soit, j'accepte la réserve. Mais si l'avenir justifie ce que j'avance, vous rendrez au ministre de la guerre la justice de reconnaître qu'il est sans exemple dans l'histoire des travaux publics tant civils que militaires, exécutés non seulement en Belgique, mais dans n'importe quel pays, qu'on ait obtenu un résultat pareil dans des conditions aussi économiques, qu'on ait mené à bonne fin une entreprise aussi colossale en aussi peu de temps, d'une manière aussi remarquable sous le rapport de l'exécution et en s'écartant aussi peu des devis primitifs.
M. Bouvierµ. - C'est très vrai.
M. Coomans. - M. Bouvier sait cela parfaitement ! (Interruption.)
M. Bouvierµ. - Oui, c'est très vrai, à moins de nier la lumière ou d'avoir, comme l'honorable M. Coomans, une opinion faite d'avance.
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
M. Bouvierµ. - C'est lui qui m'interrompt. (Interruption.)
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je vous prie, messieurs, de vouloir m'écouter avec calme ; on pourra me répondre et vérifier l'exactitude de toutes mes assertions. Je ne désire qu'une chose, c'est de jeter le plus de lumière possible sur tout ce qui a trait à la question d'Anvers.
Je proclame, messieurs, avec un certain orgueil, que la plus éclatante justice a été rendue aux travaux d'Anvers par tous les étrangers qui les ont visités et parmi eux je pourrais citer les autorités les plus compétentes et les plus illustres de l'Europe.
Tous ces ingénieurs ont exprimé hautement leur admiration, et la plupart ont consigné leur opinion dans les journaux militaires de leur pays.
Aussi, j'ai l'espoir fondé que, quand on aura vu les travaux d'Anvers terminés, le pays tout entier rendra justice, non pas à moi, - ma part est bien faible en ceci, - mais aux officiers du génie qui les ont construits.
Maintenant, messieurs, dois-je répondre à toutes les attaques, à toutes les critiques que vous avez entendues ?
J'avoue que le courage me manque un peu pour entrer dans cette discussion, car je vais être obligé de répéter ce que je vous ai dit si souvent depuis quatre ans.
La dernière fois que j'ai eu l'honneur de répondre à ces critiques et à ces attaques, je vous ai déclaré que je ne défendrais plus ni les fortifications d'Anvers, ni notre artillerie, parce que cette artillerie et ces fortifications n'avaient plus besoin d'être défendues, qu'elle se défendaient assez par elles-mêmes.
Du reste, messieurs, il suffit de les examiner attentivement pour trouver réponse à toutes les assertions de mes adversaires.
(page 70) Depuis les dernières explications que j'ai données à la Chambre, un fait considérable, un fait plein d'enseignement pour nous s'est passé ; je veux parler de la guerre du Danemark.
Cette guerre, messieurs, est la justification la plus éclatante de toutes les mesures que vous avez prises pour assurer la défense nationale.
Cette guerre prouve d'abord ce que j'ai eu l'honneur de soutenir souvent dans cette enceinte, même à l'époque de mon premier ministère, et ce que beaucoup d'autres ont soutenu avec moi, que les traités les plus solennels ne suffisent pas pour défendre un peuple, pour sauvegarder ses droits, son indépendance, son intégrité territoriale.
Messieurs, si quelque temps avant la guerre du Danemark, on vous avait dit que toutes les puissances qui ont signé le traité de 1852 laisseraient le Danemark abandonné à ses propres forces, livré à lui-même, personne ne l'aurait cru.
Cela vous prouve donc qu'il faut compter sur soi-même avant de compter sur les autres, et qu'une nation libre, indépendante, vraiment digne de l'être, et qui veut conserver son indépendance et sa nationalité, doit savoir les défendre elle-même. C'est le moyen de ne pas s'exposer à de terribles déceptions.
Messieurs, cette guerre prouve encore autre chose au point de vue militaire ; c'est que les longues lignes de défense ont bien peu de valeur aujourd'hui et que ces grands cordons militaires qui avaient autrefois une si grande célébrité ont fini leur temps.
Le Danemark avait une ligne de défense frontière ; c'était la célèbre ligne du Danewirke, qui avait une étendue de 20 lieues et qui s'appuyait à deux mers.
Un préjugé populaire attachait une valeur immense à cette antique ligne de défense, et malheureusement le gouvernement danois n'a pas osé affronter ce préjugé et faire ce que vous avez fait en adoptant un système de défense concentré.
Qu'est-il résulté de là ? C'est que cette ligne du Danewirke, avec sa grande célébrité n'a pu opposer la moindre résistance à l'armée austro-prussienne.
Eh bien, messieurs, si le Danemark, au lieu de disséminer ses forces et son matériel sur cette longue ligne de défense et sur quelques autres points de peu d'importance, avait fait comme vous, avait choisi une bonne base d'opération, solidement fortifiée, et soutenue par un camp retranché, si dans cette base d'opération il avait concentré ses moyens de défense, son armée et son matériel au lieu de les disséminer sur vingt points différents, il aurait tenu en échec tous ses ennemis, je dirai plus : Je crois qu'on ne l'aurait jamais attaqué, parce qu'il est aujourd'hui très difficile d'emporter une position de cette nature, et que, pour y parvenir, il faut faire des efforts au-dessus des ressources et des moyens d'action de la plupart des Etats, même les plus puissants.
Voyez ce qui s'est passé dans la petite position concentrique de Duppel. Mais avant de vous parler de cette position et de la résistance qu'elle a opposée, permettez-moi de revenir un instant au Danewirke pour vous démontrer le danger de ces longues lignes de défense.
Sans la résolution que prit le général de Meza d'abandonner lestement cette ligne aussitôt qu'il apprit qu'elle était forcée à une de ses extrémités, l'armée danoise était prise en flagrant délit, coupée de sa base de retraite, anéantie malgré son courage incontestable et elle n'aurait pas eu l'occasion de se couvrir de gloire à Duppel.
Sans cette habileté et cette fermeté du général de Meza qui ne craignit pas de sacrifier sa popularité et sa position personnelle au salut de son armée et à la gloire de son pays, la guerre se terminait sans que le Danemark eût affirmé sa nationalité par sa résistance.
Maintenant messieurs, quand j'examine ce qu'est la position de Duppel où l'armée danoise s'est si noblement conduite, une chose me frappe : c'est l'exiguïté de cette position, et la résistance qu'elle a faite.
Savez-vous ce qu'était Duppel ?
Duppel était un petit camp retranché, composé de 10 fortins en terrassements, sans autre abri pour la troupe que de petits blockhaus en charpente.
Eh bien, ce camp retranché a tenu en échec pendant assez longtemps, toutes les forces allemandes malgré la faiblesse de son armement.
Pour vous donner une idée de ses ouvrages, je vous dirai que les dix fortins réunis du camp retranché de Duppel auraient tenu à l'aise dans un seul des forts d'Anvers ; que le plus puissant de tous n’était armé que de 7 canons et que les 10 fortins ensemble n'avaient pas autant de canons que le plus petit de nos forts, lequel aura plus de cent bouches à feu.
Je répète que dans des fortifications comme les nôtres on est à l'abri de tout danger, quand on est résolu à les défendre.
Ce n'est pas le seul enseignement que nous ait fourni la guerre du Danemark. Cette guerre est encore venue nous prouver que les fortifications en terrassements sont les seules qui offrent une résistance efficace à l'artillerie et qu'on ne peut défendre avec succès des forts détachés que lorsqu'ils sont pourvus de logements à l'abri du feu, de grands espaces pour les mouvements de troupes et d'un armement en rapport avec l’importance de la position. Ce sont précisément là les qualités qui distinguent les fortifications d'Anvers.
Cette guerre a également démontré à l'évidence la supériorité écrasante du système d'artillerie que vous avez adopté.
Qui oserait encore aujourd'hui critiquer ce système ?
Lisez tous les rapports des officiers qui ont assisté à cette guerre. Je ne parlerai pas des rapports des officiels prussiens et des officiers autrichiens, vous pourriez les taxer de partialité ; mais je signalerai les rapports des officiers danois.
Voyez avec quelle amertume ils se plaignent de ce qu'on leur ait donné le système que certains opposants voulaient nous faire adopter, et comme ils reconnaissent la supériorité de celui qu'ils ont eu à combattre.
Lisez les rapports de la diplomatie, - mon honorable collègue des affaires étrangères a bien voulu m'en communiquer quelques-uns, - vous verrez que partout on constate la supériorité de l'artillerie prussienne.
Lisez les rapports des officiers des différentes puissances envoyés sur les lieux pour suivre les opérations. Lisez les lettres de la plupart des correspondants des journaux sérieux et parmi eux il y avait un homme des plus compétents, c'était le correspondant du journal le « Times », car il a suivi presque toutes les guerres qui ont eu lieu dans ce siècle, la guerre des Indes, la guerre de Chine, la guerre de Crimée, la guerre d'Italie et la guerre de Danemark. Vous verrez quel hommage ils rendent à cette artillerie.
Il n'y a personne qui ne reconnaisse aujourd'hui cette supériorité.
Messieurs, d'après ces faits, jugez de la valeur de l'opinion de mes contradicteurs, de l'opinion de ceux qui, il y a peu de temps encore, me reprochaient dans cette enceinte d'avoir adopté un système d'artillerie qu'ils avouaient n'avoir jamais vu.
Maintenant, messieurs, je vais, malgré la répugnance que j'éprouve, répondre aux différentes assertions que vous avez entendues hier. L’honorable M. Hayez vous a dit que les crédits demandés pour achever complètement les fortifications d'Anvers seraient insuffisants, pour plusieurs causes.
D'abord, vous a-t-il dit, vos terrassements ne sont qu'ébauchés et il vous en reste immensément à faire.
Jamais assertion plus extraordinaire n'a été produite par un homme habitant Anvers, et qui peut vérifier les faits sur les lieux.
Voici la situation exacte des choses.
Les terrassements du camp retranché et de l'enceinte s'élèvent à 13 millions de mètres cubes.
L'enceinte exige 8 millions de mètres cubes dont 7,730,000 sont exécutés. Il reste donc 250,000 mètres cubes à déblayer.
Pour le camp retranché il faut 5 millions de mètres cubes ; il y en a 4,850,000 exécutés. Il reste donc 150,000 mètres cubes à faire.
Ainsi, il ne reste plus en tout que 400,000 mètres cubes de terrassement à exécuter ; à 1 fr. par mètre cube, c'est une dépense de 400,000 fr.
M. Beeckman. - Y compris les remblais de la citadelle du Nord ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Pour achever tous les travaux portés au devis.
M. Beeckman. — Portés dans les devis.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si vous inventez des travaux, et des travaux absurdes, vous me permettrez de ne pas les exécuter.
Messieurs, je dois dire cependant que je m'explique l'erreur dans laquelle peut être tombé l'honorable M. Hayez s'il n'a fait que se promener à l'extérieur des fortifications. II y a, dans trois ou quatre points de l'enceinte, des trouées que nous n'avons pas bouchées. Mais nous avons réserve des amas de terre pour les fermer. On n'a pas bouché ces trouées par une raison fort simple, c'est qu'on ne peut modifier le tracé des anciennes routes aussi longtemps qu'on n'aura pas livré les nouvelles portes à la circulation publique.
Il existe en outre quelques dépôts de terre destinés à couvrir les dernières maçonneries qu'on achèvera. Quand une maçonnerie vient d'être achevée, on ne peut pas la charger immédiatement ; il faut lui donner le temps de sécher et de faire son tassement.
(page 71) Si l'on agissait autrement, ou s'exposerait à des accidents. Sans cette circonstance, qui a ralenti un instant le travail des terrassements, nous aurions pu les finir depuis longtemps. Mais au commencement de l'année prochaine, tout sera terminé.
L'honorable M. Hayez a dit aussi qu'il faudrait construire de nouveaux logements, de nouveaux arsenaux, de nouveaux magasins.
Si l'honorable M. Hayez avait visité les travaux en détail, et s'il s'en était rendu compte, il aurait vu qu'il n'existe pas de place au monde où il y ait autant de locaux qu'à Anvers et autant d'abris voûtés pour l'artillerie. Cette place a moins qu'aucune autre besoin d'arsenaux nouveaux, puisqu'une grande partie du matériel d'artillerie sera abritée dans les batteries et dans les magasins dépendants des ouvrages.
Quant aux casernes et aux autres locaux, il est facile de s'assurer qu'ils répondent à tous les besoins de la défense.
Un des grands reproches, messieurs, qui m'ont été adressés, c'est que j'ai modifié les plans primitifs. Eh bien, j'accepte avec orgueil ce reproche.
Permettez-moi de vous donner à ce sujet quelques explications.
Quand j'ai eu l'honneur de vous présenter en 1859, le projet de loi d'agrandissement d'Anvers, je vous ai soumis le plan d'ensemble et le système des travaux, mais il n'a jamais été question de vous soumettre des plans de détail ; vous ne pouvez pas l'ignorer puisque je vous ai dit que nous ferions une adjudication sur bordereau de prix, contrairement aux usages du génie, qui sont de faire des adjudications à forfait, et qu'en adoptant ce mode d'adjudication nous voulions nous réserver le droit de modifier les plans de détail pendant toute la durée de l'entreprise.
La raison en était fort simple ; nous étions arrivés à une époque de transformation complète, à une époque où les armes à feu et les moyens d'attaque venaient de subir une modification radicale qui augmentait énormément leur puissance.
Dans l'organisation militaire, messieurs, tout se tient, et lorsqu'on introduit une amélioration dans le fusil, par exemple, cette amélioration entraîne à des modifications importantes dans la tactique et même dans la fortification. En effet, les longueurs des principales ligues d'un front de fortification sont calculées sur la portée du fusil d'infanterie ; si donc vous donnez à ce fusil une portée double ou triple, il en résultera des modifications importantes dans l'art défensif. A plus forte raison, faudra-t-il apporter ub changement radical aux dispositifs de la fortification lorsque le canon, qui est l'arme principale de l'attaque et de la défense, acquiert une efficacité et des propriétés nouvelles. Eh bien, messieurs, au moment où nous présentions le projet de loi, on annonçait qu'une grande réforme venait de s'accomplir dans l'artillerie. Dès lors il était prudent de se réserver le droit de faire faire à la fortification tous les progrès nécessités par cette réforme.
Messieurs, les successeurs da Vauban ont modifié le système de fortification de cet ingénieur dès que l'artillerie eut adopté, d'une manière générale, l'emploi du tir à ricochet, et vous voudriez, quand on découvre un canon qui a quatre ou cinq fois la portée de l'ancien canon et une précision beaucoup plus grande, vous voudriez, dis-je, qu'on ne fît pas de modifications aux fortifications et qu'en présence d'un fait aussi important nous ne nous fussions pas réservé le droit de profiter de tous les progrès que l'on pourrait réaliser ?
Evidemment, messieurs, j'eusse été coupable si pour la vaine satisfaction de suivre de point en point le projet primitif, j'avais renoncé à ce grand avantage.
Heureusement pour le pays, les travaux d'Anvers ont été dirigés et exécutés dans un tout autre esprit. Voici comment nous avons procédé : Dès le début, quand on avait fait le plan général et exposé le système d'ouvrages à exécuter, nous avons dit aux officiers du génie chargés de la direction des différentes sections de l'enceinte et du camp retranché : Voilà les avant-projets de nos travaux ; ils ont été conçus en tenant compte autant que possible des résultats que produira l'ère nouvelle dans laquelle est entrée l'artillerie. C'est un système nouveau pour vous ; il faut que vous vous entouriez de lumières et que vous vous ingéniiez à améliorer le système ; vous avez le droit de critiquer, de nous faire connaître vos critiques, de proposer des modifications, et pour vous faciliter cette tâche j’enverrai quelques-uns d'entre vous dans les différents pays de l'Europe pour voir ce qui a été fait et vous mettre en relations avec les hommes les plus compétents, et de préférence ceux qui ont dirigé de grands travaux et pris part à d'importantes opérations de guerre.
J'ai envoyé des officiers en France, en Italie, en Prusse, en Autriche, en Angleterre, Je leur ai dit ; Allez voir les travaux qui ont été exécutés dans ces pays ; mettez-vous en relations avec ceux qui les ont faits et à votre retour nous discuterons tout ce que vous aurez rapporté de ce voyage. C'est ainsi que nous avons pu, sans bourse délier, profiter de l'expérience des autres et des écoles qui avaient été faites ailleurs. C'est encore ainsi que nous avons évité tous les mécomptes, que nous avons pu exécuter les travaux sans avoir ni remaniements ni démolitions à faire et que nous sommes restés dans des limites si étroites quant à la dépense.
Messieurs, pour arriver à un bon résultat j'ai employé encore d'autres moyens : par exemple, j'ai dit aux différents chefs de sections : Vous avez à exécuter des travaux analogues ; ainsi dans les huit forts qui, à l'exception d'un seul, sont identiquement les mêmes à quelques différences près, résultant de la diversité du site, les travaux d'art sont établis d'après le même type. Eh bien, l'un de vous commencera telle partie des travaux, un deuxième telle autre partie et ainsi de suite ; l'expérience que chacun de vous fera dans la partie dont il est chargé profitera à ses collègues de manière que nous n'ayons qu'une école à faire et que l'expérience acquise dans un fort profite à tous les autres.
Messieurs, cette manière d'opérer et cette latitude donnée aux officiers qui dirigent les travaux ont établi parmi eux une très grande émulation et leur ont fait faire des prodiges au point de vue de l'économie et de la bonne exécution. J'aime à leur rendre cette justice et je serai heureux, chaque fois que j'en aurai l'occasion, de leur exprimer ma gratitude à ce sujet.
Dans d'autres pays l'on a exécuté des fortifications à peu près à la même époque, mais l'on n'a pas employé les mêmes moyens ; qu'en est-il résulté ? Je pourrais vous citer plusieurs places dans de très grands pays, où l'on a été obligé de défaire ce que l'on avait à peine terminé, et, à l'honneur de nos travaux, je puis ajouter que les modifications qui ont été admises dans ces places sont empruntées en partie aux dispositifs appliqués à Anvers.
Parmi les places de premier ordre qui subissent en ce moment d'importantes modifications, je puis citer Cracovie, Portsmouth, Mayence, Königsberg et Vérone.
On m'a dit, messieurs : les modifications que vous avez faites ont produit des économies, or que sont devenues ces économies ? Vous deviez exécuter des revêtements en maçonnerie aux huit forts du camp retranché, et vous ne les avez appliqués qu'à un seul, le fort n°3, et vous avez substitué à des forts revêtus des forts en terrassements qui peuvent être enlevés d'un coup de main (c'est l'expression dont s'est servi l'honorable M. Hayez).
Eh bien, je ferai remarquer à cet honorable membre qu'aujourd’hui on supprime partout les revêtements en maçonnerie et que ce serait une hérésie militaire que d'en établir là où, grâce aux propriétés de l'artillerie nouvelle, ils peuvent être détruits de loin avec la plus grande facilité. La faute, dans ce cas, serait d'autant plus grave que les forts d'Anvers étant précédés de larges fossés pleins d'eau, flanqués par de puissantes batteries couvertes, ils sont d'une manière absolue à l'abri d'une attaque de vive force.
Je vous parlais tout à l'heure des forts de Duppel, et je vous disais que ces dix forts entreraient dans un seul des nôtres. En effet, la surface occupée par un des forts de Duppel est d'un hectare environ, tandis que celle d'un des forts d'Anvers est de 36 hectares. Les fossés des forts de Düupel n'avaient pas 8 mètres de largeur et étaient secs ; les nôtres ont 70 à 80 mètres de largeur et ils sont pleins d'eau et d'eau inépuisable. Et c'est en présence de pareils fossés qu'on vient me reprocher ici de n'avoir pas dépensé 5 millions pouf revêtir les forts !
Messieurs, je ne sais pas si vous vous rendez bien compte de ce que c'est que ce revêtement supprimé. C'est une question très importante.
Permettez-moi une comparaison. Supposez que ce banc où je suis soit le rempart exposé à l'ennemi et que cet ennemi soit du côté de la tribune de M. le président, supposition toute gratuite, je vous prie de le croire, car je ne saurais voir un ennemi de ce côté. (Interruption.) Les revêtements se composent généralement d'une série de voûtes tournées du côté de l'ennemi. C'est dans ces voûtes qu'on loge une partie de la garnison. Les revêtements du fort n°3, commencé en premier lieu, sont conformes à ce type.
Je me suis empressé de faire supprimer les revêtements dans les autres forts après que les expériences de Julliers eurent démontré l'inefficacité de toutes les maçonneries exposées aux batteries de l'attaque.
Mais en même temps il fallait remplacer les logements de ces escarpes qui pouvaient être détruits et qui n'étaient préservés par rien. Nous eûmes alors une idée bien simple, qui est aujourd'hui adoptée partout et que je considère comme une des plus heureuses qui aient été réalisées (page 72) dans l'art des fortifications : c'est qu'au lieu de mettre les terrassements derrière les revêtements, on les mette devant. C'est ainsi que nous avons construit à l'intérieur des forts d'immenses galeries où l'artillerie à cheval elle-même pourra s'abriter, sans dételer ses pièces, et attendre ainsi, dans une parfaite sécurité, le moment de déboucher soit dans les intervalles des forts soit sur tout autre point où sa présence sera nécessaire.
Ces abris, composés de logements spéciaux et de très larges galeries à l'épreuve de la bombe ont absorbé une grande partie des sommes économisées par la suppression du revêtement d'escarpe. La partie restante a été affectée à une autre modification dont on n'a pas parlé et qui cependant n'est pas sans importance. Pour augmenter les logements et en même temps l'énergie de la défense intérieure, nous avons agrandi les réduits des forts. La cour intérieure de ces réduits, qui n'avait primitivement que 0 mètres de largeur, a été portée à 12 mètres, et par suite de cette modification, la surface et conséquemment la dépense ont augmenté du quart environ. II en résulte que les réduits avec leurs dépendances pourront abriter maintenant, contre tous les feux, 2,000 hommes, c'est-à-dire presque le double de la garnison nécessaire aux forts ; grâce à cette modification, la réserve de la garde du camp retranché sera logée tout entière sous des abris, avantage précieux et qui n'est réalisé dans aucun des camps retranchés exécutés en Europe.
La section centrale m'avait posé la question suivante :
« Le gouvernement a-t-il renoncé à l'intention de créer de nouveaux établissements militaires (hôpitaux, casernes, etc.) à l'intérieur de la place ou d'augmenter l'importance des établissements existants ? »
J'ai répondu ce qui suit :
« Tant que le gouvernement conservera les bâtiments dont il dispose actuellement à l'intérieur de la place, il n'a pas l'intention d'en créer de nouveaux. »
L'honorable M. Hayez a vu dans cette phrase un danger immense ; il l'a trouvée grosse de millions dans l'avenir. Eh bien, messieurs, une simple explication va vous rassurer sur ces millions.
Nous possédons à l'intérieur de la place d'Anvers un grand arsenal de guerre qui a une valeur de plusieurs millions, un arsenal de construction qui a aussi une valeur considérable, un hôpital, plusieurs casernes, etc. Or, j'ai dit, messieurs, que tant que nous conserverons et ces établissements, nous n'aurons pas l'intention d'y rien changer, ou d'en créer d'autres. J'ai dit : tant que nous les conserverons, je vais vous expliquer pourquoi : c'est que plusieurs fois on est venu me dire : La ville d'Anvers, des industriels ou des sociétés désireraient beaucoup acquérir ces bâtiments ; ils sont admirablement situés pour les besoins du commerce et à cause de cela même ils ont une valeur considérable. Est-ce que l'Etat ne pourrait pas les céder à la ville ou à quelque société ?
Nous avons répondu que nous n'avions aucun intérêt à céder ces établissements ; mais que, s'il y avait un immense intérêt commercial pour Anvers à les obtenir et qu'on voulût en payer la valeur à l'Etat, de manière que nous pussions les remplacer, sans dépense pour le pays, par d'autres, établis sur les terrains militaires, nous n'y mettrions pas obstacles.
Je répéterai à ce propos ce que j'ai dit bien des fois, que s'il fallait demander un seul denier aux contribuables pour conclure l'arrangement dont il s'agit, je m'y opposerais formellement.
Voilà, messieurs, l'explication de cette phrase qui a paru si dangereuse à l'honorable M. Hayez.
M. Hayezµ. -M. le ministre de la guerre veut-il me permettre une observation ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Permettez-moi de continuer ; vous me répondrez.
L'honorable M. Hayez ne s'explique pas la réponse que j'ai faite à une des demandes de la section centrale.
« Le gouvernement (avait demandé la section centrale) a-t-il renoncé à l'exécution de trois ou quatre des six casernes défensives qui, d'après le cahier des charges, doivent être élevées à la gorge des six grandes caponnières de l'enceinte et dont deux ou trois seulement sont en voie d'exécution ? »
J'avais répondu :
« Les 6 casernes des fronts attaquables ont été remplacées par deux casernes plus grandes et par des bâtiments voûtés, plus vastes et plus nombreux, établis sur les deux côtés de douze portes de ville et sous les ailes des six grandes caponnières du corps de place. Ces divers abris voûtés remplacent avantageusement les quatre casernes supprimées. »
L'honorable M. Hayez ne s'explique pas comment deux casernes peuvent en remplacer six. C'est parce qu'il ne tient pas compte des abris voûtés établis sur les côtés des portes et dans les ailes des caponnières, abris très importants et sur lesquels je dois appeler un moment votre attention.
Nous avons cru- et c'est encore une heureuse modification introduite dans l'exécution des travaux - nous avons cru qu'il était utile de construire deux puissantes casernes sur ce qu'on appelle les fronts d'attaque, et de remplacer les casernes des autres fronts par des locaux voûtés, à l'abri de la bombe, établis à proximité des grandes communications et dans les endroits les plus avantageux pour les coups de main et les sorties. Ces locaux, qui forment 24 groupes de bâtiments, compensent largement les quatre casernes supprimées.
Messieurs, à propos des portes de ville, l'honorable M. Hayez vous a fait une théorie que je n'ai pas bien saisie ; je crois que si l'honorable M. Hayez avait été au courant de ce qui s'est passé lorsque nous avons commencé les travaux, il n'aurait pas soutenu cette opinion. Il a prétendu que les portes ne seront pas toutes utiles aux habitants de la ville, que plusieurs d'entre elles ne serviront qu'aux sorties de la garnison.
Messieurs, ces portes ont été demandées par une commission composée d'Anversois, et qui fut nommée à l'origine des travaux, pour examiner tout ce qu'il y avait à faire dans l'intérêt de la ville. Elles ont été réclamées avec instance par l'honorable M. Loos, qui défendait, comme vous le savez, avec autant d'intelligence que de fermeté les intérêts de la ville d'Anvers.
Messieurs, ces portes serviront et aux habitants et à la garnison. Mais il est vrai que nous avons cherché à concilier l'intérêt civil et l'intérêt militaire, c'est-à-dire que nous avons voulu construire les portes de manière qu'elles pussent faciliter les sorties contre l'ennemi. Ces sorties seront extrêmement efficaces, puisque, grâce à la largeur des passages, elles pourront se faire avec des masses de troupes et des troupes de toutes les armes. Si nous avions des passages étranglés, il faudrait un temps considérable pour faire les sorties et très souvent elles ne déboucheraient pas au moment opportun.
D'un autre côté, des passages étroits eussent été un sujet d'embarras et de gêne pour la population.
C'est pourquoi nous avons voulu, aussi bien dans l'intérêt du public que dans l'intérêt de la défense, que les grandes communications du corps de place eussent 8 mètres de largeur et qu'elles ne présentassent aucun de ces coudes et de ces détours qui rendent si difficile le passage par les portes de la plupart des forteresses anciennes.
L'honorable M. Hayez disait encore que les troupes qui seront logées dans les locaux établis à droite et à gauche des portes, se trouveront dans des conditions moins favorables pour faire des sorties que si elles étaient logées dans les casernes.
J'avoue que je n'ai pas compris cette observation.
L'honorable M. Hayez se trompe singulièrement s'il croit qu'on va prendre des troupes dans toutes les casernes pour faire une sortie.
Ce service dans les places assiégées appartient exclusivement aux troupes de garde et de piquet, qui à cet effet se tiennent sous des abris, à proximité des ouvrages attaqués et des grandes communications. On fait les sorties tantôt avec de la cavalerie, tantôt avec de l'infanterie, tantôt avec de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie ; c'est tantôt un détachement, tantôt une brigade, tantôt une division qu'on réunit à cet effet.
Qu'importe dès lors que les troupes soient logées dans des casernes ou dans des locaux à droite ou à gauche des portes de ville ?
L'essentiel est qu'on les ait sous la main et qu'elles se tiennent à proximité de grandes communications. Or, nulle part elles ne se trouveront sous ce rapport dans de meilleures conditions, que logées sur les côtés mêmes de ces passages, dans d'excellents abris voûtés.
L'honorable M. Hayez a parlé de nouveau de la citadelle du Nord. J'ai expliqué si souvent le rôle et l'utilité de cette citadelle que vraiment je ne sais ce que je pourrais ajouter à ce que j'ai dit sur ce sujet.
Je vous ai fait remarquer que la citadelle du Nord a un double but : celui de défendre le fleuve et la rade, et celui de rassurer les défenseurs de l'enceinte pendant la dernière période du siège.
Il importe que la garnison de l'enceinte sache qu'elle peut continuer la résistance sans être exposée à une destruction complète et qu'elle a un moyen de se soustraire à la poursuite de l'ennemi lorsqu'elle sera obligée d'abandonner le corps de place.
La citadelle du Nord, comme j'ai eu l'honneur de le dire, forme une île ; elle est entourée d'eau de toutes parts, tant à l'intérieur de la ville qu'à l'extérieur. Elle ne peut être attaquée que par un seul point, par le terre-plein du rempart de l'enceinte. Or cette étroite langue de terre, sur laquelle devraient être exécutés les travaux d'approche, est battue par les feux des fronts intérieurs de la citadelle.
(page 73) On peut affirmer que la difficulté de creuser des cheminements dans de pareilles conditions serait invincible et que dès lors aucune attaque régulière de la citadelle ne pourrait aboutir. D'un autre côté, la grande largeur des fossés pleins d'eau met cet ouvrage à l'abri de toute attaque de vive force. La garnison de l'enceinte pourra donc, grâce à l'appui de la citadelle du Nord se mettre à l'abri des poursuivants et opérer sa retraite sans danger pour la ville et sans qu'elle ait à subir de nouvelles pertes.
La citadelle du Nord joue, par conséquent, le rôle d'une immense tête de pont, qui permettra à la garnison de se retirer sur un point où elle se croira en sûreté, soit sur la rive gauche, par un pont qui serait jeté en amont, soit vers la Hollande.
Voilà, messieurs, le rôle de la citadelle. Elle aurait, en outre, un double rôle à jouer dans le cas qui, je pense, ne se réalisera jamais, d'une grande attaque par le fleuve, combinée avec une grande attaque simultanée par terre.
Dans ce cas, messieurs, les défenseurs de la place, comme les défenseurs de l'Escaut, doivent être assurés qu'ils ne pourront être pris à revers et qu'ils seront protégés contre l'une et l'autre attaque. Quand on néglige cet élément moral dans une fortification, on n'a jamais une bonne défense.
Liiez, à cet égard, ce que disait Carnot quand on proposait de démolir les fronts intérieurs des citadelles. Il disait que si on les démolissait, il faudrait mettre tout le monde à l'œuvre pour les rétablir.
L'honorable M. Van Overloop comme l'honorable M. Hayez nous ont parlé de la rive gauche. Ils ont entendu dire par des militaires compétents que la rive gauche n'est pas défendue et qu'il y a de ce côté une immense trouée.
Il y a des gens qui voient des trouées et des fautes dans tout ce qu'ils n'ont pas fait eux-mêmes et qui voudraient y faire croire les autres.
Messieurs, avant que vous ayez décrété l'agrandissement général d'Anvers, quelle était la réputation de cette place ? Elle avait, on vous l'a dit hier une immense réputation en Europe ; elle passait pour une des plus grandes et des plus belles qui existent.
Sous l'empire français, sous le gouvernement des Pays-Bas, elle avait cette réputation.
Est-ce que dans aucun pays du monde on a jamais dit que la gorge d'Anvers n'était pas défendue ?
Cette gorge est défendue, non pas, comme on vous l'a dit, par une inondation de 3,000 mètres, mais par l'Escaut et par des inondations de 4,000 mètres.
Précédemment la gorge de la place d'Anvers était simplement défendue pai le fleuve, par l'inondation et par deux misérables petits fortins qui sont les forts de Burght et d'Austruweel.
Aujourd'hui que nous avons renforcé la défense de cette gorge par le fort de la Tête de Flandre et par la citadelle du Nord tout en conservant les forts de Burght et d'Austruweel, on vient nous dire : La gorge n’est pas défendue et il existe une immense trouée.
Et qu'est-ce que c'est qu'une trouée en présence d'une inondation devant laquelle ou ne peut établir des travaux d'attaque ?
En supposant même qu'on parvînt à exécuter ces travaux, on viendrait se heurter d'abord contre le fort de la Tête de Flandre, et il faudrait ensuite tenter le passage du fleuve sous le feu croisé de la citadelle du Nord et de la citadelle du Sud.
M. Coomans. - On bombarderait la ville.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Puisque vous parlez de bombardement, j'en parlerai aussi. Peut-on, messieurs, admettre qu'on bombarderait la ville en présence de notre artillerie ? Nous avons une des batteries de position les plus formidables, et à cette artillerie, l'ennemi ne pourrait opposer que des canons d'un calibre inférieur à cause de la nature du terrain et de la difficulté des transports ; il ne parviendrait donc pas à maintenir ses batteries de bombardement devant nos batteries qui les écraseraient par un feu supérieur en nombre et en puissance.
J'engage l'honorable M. Coomans à lire un article sur le bombardement, publié dans la Revue militaire et dû à un des élèves de l'illustre Jomini.
Ce que je trouverais de plus heureux pour la position d'Anvers, c'est qu'on vînt l'attaquer du côté où l'on prétend qu'elle est menacée, du côté de la Tête de Flandre ; l'assaillant se mettrait dans un péril extrême et je demande à la Chambre qu'elle prenne acte de ma déclaration.
M. Van Overloopµ. - Donc pas de travaux à faire à la Tête de Flandre.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je ne demande rien au-delà du crédit en discussion,
Voici, messieurs, ce qui s'est passé, car vraiment cette histoire des fortifications d'Anvers est quelque chose de curieux et d'instructif.
Après avoir applaudi à outrance à ces fortifications, après avoir félicité le gouvernement de les avoir faîtes, après s'en être réjoui pendant les premières années, tout d'un coup on s'est avisé de faire de l'opposition, et pourquoi ?
Parce que nous n'avons pas voulu venir vous demander de nouveaux crédits pour donner une indemnité du chef des servitudes alors que vous veniez de dégrever Anvers de servitudes bien plus onéreuses. Devant ce refus, on a réclamé une indemnité, rien que pour les servitudes intérieures de la citadelle du Nord.
Nous avons dû encore nous refuser à accorder cette demande par une raison bien simple, c'est que ces servitudes existaient depuis des siècles.
La servitude de la citadelle du Nord n'est que la servitude de l'ancien fort du Nord qui est très ancien. Puisque la citadelle du Nord est faite en remplacement du fort du Nord, il n'y a rien de changé. Je ne vois donc pas pourquoi il aurait fallu payer.
Devant ce refus, messieurs, on a prétendu que la citadelle du Nord était inconnue. J'ai fait justice de ces assertions ; il y a, du reste, des documents authentiques qui prouvent qu'on connaissait la citadelle du Nord à Anvers, puisque avant la discussion de la loi, quand on a débattu avec la ville d'Anvers la question du rachat des terrains des vieilles fortifications, la ville d'Anvers, qui a fait le projet de contrat qui va être exécuté avec le gouvernement, stipulait - c'était elle qui faisait le projet sur les plans qu'on lui avait remis - que l'enceinte d'Anvers s'étendrait jusqu'à la citadelle du Nord. C'est écrit en toutes lettres de la main de ceux-là mêmes qui ont déclaré plus tard qu'ils n'avaient jamais connu la citadelle du Nord.
Je considère donc la question comme jugée.
Quand on a vu qu'on n'obtiendrait pas gain de cause à ce sujet, on a parlé des dangers du bombardement et l'on a commencé par dire que ce seraient les soldats belges qui bombarderaient la ville.
M. Coomans. - Mais non.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - On a dit que la citadelle serait obligée de bombarder la ville pour se défendre, ou bien que des alliés viendraient s'y installer pour brûler les établissements du commerce.
M. Coomans. - Voilà.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Eh bien, voyez comme cette assertion est peu justifiée quand on examine les choses à fond. Je vous ai prouvé que l'artillerie des fronts intérieurs de la citadelle était uniquement tournée vers le terre-plein des remparts, parce que c'est le seul point par lequel ou puisse attaquer la citadelle.
Pour pouvoir y recevoir des alliés, il aurait fallu y établir des logements, faire toute espèce de travaux qu'on demande aujourd'hui ; et si on les avait faits, on aurait dit : Vous les avez construits pour y mettre des Anglais.
Messieurs, on a encore attaqué une des choses dont j'ai la faiblesse de me glorifier un peu : c'est l'emploi de nos soldats aux travaux publics.
C'est une des plus belles questions qui aient été résolues. Aujourd'hui en présence des perfectionnements qui ont été apportés aux différentes armes, on fera presque autant la guerre et surtout la guerre défensive, à coups de pioches et de bêches qu'à coups de fusils et de canons. Dans les dernières guerres, d'importants travaux de terrassements ont été exécutés jusque sous le feu de l'ennemi, par les Russes, les Danois et tant d'autres !
Aussi, dans toutes les armées, on exerce annuellement les soldats à des travaux de fortifications. Ces travaux s'exécutent en général sur les terrains de manœuvres et après chaque saison on est obligé de les démolir. Sous ce rapport les travaux d'Anvers ont été une école admirable pour nos soldats. Ils leur ont enseigné à faire des travaux de guerre réels ; ils ont appris non seulement à les faire et à les réparer, mais encore comment ils devaient être défendus. J'espère que les travaux d'Anvers finis, on n'emploiera jamais, pour les entretenir et les réparer, d'autres ouvriers que les soldats d'infanterie, et qu'on continuera cette instruction. Je recommande beaucoup qu'on y veille, parce que c'est un des enseignements les plus nécessaires pour l'infanterie moderne, comme c'était un des grands besoins de l'infanterie des anciens.
On m'a reproché aussi d'avoir employé de vieux matériaux provenant des places démolies, d'avoir tiré un avantage de ces matériaux. Messieurs, je crois que c'est une excellente opération que j'ai faite. Quand (page 74) on a démoli certaines de nos places, il s'est trouvé beaucoup d'objets qui eussent été sans aucune valeur, si on les avait laissés sur les lieux. Nous avons cru pouvoir faire venir à Anvers quelques-uns de ces matériaux susceptibles d'être utilisés en cas de siège ou d'être employés dans les travaux. Beaucoup de ces objets seront conservés dans nos magasins, afin qu'on ne soit pas obligé de les acheter à des prix très élevés quand on en aura un jour besoin. Si on les avait exposés en vente, on n'aurait pas trouvé d'acquéreurs ; et s'il fallait les acheter demain, on les payerait très cher.
On a parlé aussi des chevaux d'artillerie et de l'artillerie de la garnison d'Anvers continuellement employés.
Mais, messieurs, à quoi est employée cette artillerie ? A apprendre son métier. Est-ce que l'armement des places, est-ce que tous les mouvements de matériel ne doivent pas être faits par l'artillerie ? Et quand je suis obligé de transporter le matériel des places démolies dans la place d'Anvers, quand je suis obligé d'armer toutes les fortifications nouvellement construites, quand j'ai un immense travail à exécuter qui rentre dans la spécialité de l'artillerie, on trouverait mauvais que j'y emploie l'artillerie ! Il eût été absurde de ne pas le faire. Aussi je crois que jamais nos artilleurs ne se sont plaints ; ils font ces travaux avec empressement et je n'ai encore reçu aucune réclamation à ce sujet.
Enfin l'honorable M. Hayez a demandé hier que je voulusse bien faire une déclaration solennelle à la Chambre, que je voulusse bien déclarer que je considère tous les travaux d'Anvers comme bons, comme suffisants pour la défense.
Messieurs, bien que j'aie fait souvent cette déclaration, je remercie l'honorable M. Hayez de m'avoir fourni l'occasion de la faire encore une fois.
Je déclare donc, messieurs, et je le déclare sur mon honneur de soldat et sur ma réputation militaire que je tiens la place d'Anvers, quand elle sera terminée, pour une des premières places de l'Europe.
Je déclare que c'est une place invincible aussi longtemps que vous voudrez la défendre.
J'achèverai Anvers avec le crédit demandé, qui sera le dernier que je solliciterai de vous, et j'espère que d'autres ne vous demanderont plus rien pour cette place. Je déclare que telle qu'elle va être terminée, elle mettra l'indépendance et la nationalité belge à l'abri de tout danger.
Messieurs, en présence de tous les faits que je viens d'exposer, peut-on consciencieusement prendre au sérieux les réclamations, les critiques qui viennent d'Anvers ? Soyez-en bien persuadés, on abuse, on trompe Anvers. Je crois que la plupart de mes adversaires dans cette Chambre sont induits en erreur sur une foule de choses, mais je suis aussi persuadé que quelques concessions que vous fassiez, quelques mesures que vous adoptiez, vous ne parviendrez jamais à satisfaire, à calmer les agitateurs d'Anvers.
M. Coomans. - Qu'en savez-vous ?
M. Delaetµ. - Vous n'en savez rien ; vous n'avez rien fait pour cela.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Ecoutez-moi jusqu'au bout.
L'agitation d'Anvers, permettez-moi de vous le dire, n'est qu'un instrument d'opposition. Pour les uns, c'est une question d'argent. On voudrait obtenir une indemnité pour les servitudes, ou bien une diminution sur les dix millions qu'on doit payer au gouvernement. Ces dix millions, on prétendait que c'était un prix exagéré pour les anciennes fortifications, et lorsque nous avons trouvé une société qui propose un prix plus élevé, on s'empresse de les payer.
Pour les autres, cette agitation est un marchepied, un piédestal, un moyen de se produire.
Voilà pourquoi je dis que vous n'apaiserez pas cette agitation. Et, me sieurs, le père de l'agitation anversoise, comme il s'appelle lui-même, le héros de ces meetings d'Anvers, qu'on a beaucoup vanté ici, M. Van Ryswyck, dont l'honorable M. Coomans nous a fait un si pompeux panégyrique dans cette enceinte, vous a dit toute sa pensée au sujet de cette agitation.
II vous a dit ce qui l'avait produite ; il vous a dit qu'elle durerait toujours, parce que le parti démocrate, dont il se glorifie de faire partie, s'agiterait tant qu'il n'aurait pas obtenu la destruction complète des fortifications, de l'armée, de la noblesse et de bien d'autres choses encore. Je n'ai pas la prétention de savoir tout ce que veut supprimer M. Van Ryswyck, mais je dis que c'est ce qu'il a déclaré dans les meetings. Et comment a-t-il traité dans ces réunions la solution que proposait l'honorable M. Dechamps ? Il l'a appelée une immense mystification contre laquelle il ferait une opposition plus vive encore que celle à laquelle il s'était livré jusqu'à présent.
J'ai donc eu raison de dire qu'en présence de ces faits on n'apaiserait jamais l'agitation par des concessions. Ne vous laissez pas émouvoir par cette agitation sans écho dans le pays. Achevez de faire Anvers grand, magnifique, invulnérable, et ne vous inquiétez pas d'une opposition sans fondement.
Messieurs, on ne fait rien de grand, rien d'utile à son pays sans soulever de l'opposition, sans exciter certaines colères, sans être en butte à la calomnie et à des injures ; mais dans un pays comme la Belgique, avec une assemblée éclairée comme la vôtre, la vérité finit par se faire jour et son éclat perce toujours le voile dont cherchent à la couvrir ceux que la lumière offusque.
Messieurs, je vous demande de ne pas faire de la question d'Anvers, de cette grande question nationale, une question de parti. Les deux opinions qui divisent cette Chambre ont voté les fortifications d'Anvers : ce sera leur honneur et leur gloire ; et cette gloire elles la revendiqueront un jour.
Je vous demande, messieurs, d'achever en commun votre œuvre commune et de prouver par cet exemple, à ceux qui ont l'œil fixé sur nous, à ceux qui s'intéressent à notre sort, que lorsqu'il s'agit de l'honneur, de la sécurité et de l'indépendance nationales, nous nous unissons tous, quelles que soient nos opinions, dans un même sentiment de patriotisme et de dévouement à la chose publique.
Par cet exemple, nous accroîtrons l'estime et la considération dont nous jouissons dans le monde et nous augmenterons la confiance qu'inspirent notre caractère national et nos institutions.
Messieurs, j'ai une dernière demande à vous adresser, je dirai même une prière à vous faire : ne vous séparez pas sans avoir visité les travaux d'Anvers, sans avoir pu vous convaincre par vous-mêmes si ce que je vous dis est exact.
Assurez-vous si les travaux seront terminés à l'époque indiquée, c'est-à dire l'année prochaine ; si les crédits sont suffisants, si les travaux sont exécutés avec ordre, avec économie, avec méthode, avec bonne foi ; si l'armement et les approvisionnements existent. Vous ne regretterez pas le temps que vous aurez consacré à cette visite.
Lorsque vous aurez vu par vous-mêmes, lorsque j'aurai pu vous donner sur les lieux les renseignements qu'il est impossible de donner ici, parce qu'il est de ces questions qu'on ne peut discuter que dans le cabinet, les plans sous les yeux et le compas à la main, ou sur le terrain là où tout est plus facile à comprendre et les explications plus faciles à donner, eh bien, quand vous aurez reçu ces explications des officiers du génie qui ont créé cette grande œuvre et de moi, on ne pourra plus vous tromper, et personne de vous ne conservera de doute sur l'efficacité de notre système de défense nationale. Cette confiance, en retournant chez vous, vous la communiquerez à vos commettants et vous augmenterez ainsi la force morale du pays, comme j'assure que vous avez décuplé sa force ministérielle en votant les fortifications.
M. Hayezµ. - Messieurs, en présence de la déclaration si catégorique de M. le ministre de la guerre que la place d'Anvers, telle qu'elle est aujourd'hui, est une place de premier ordre, une place inattaquable, dans laquelle on pourra se défendre presque indéfiniment ; en présence de cette déclaration qui sera portée à son actif scientifique, je ne soumettrai pas à la Chambre toutes les observations de détail que je me proposais de lui présenter.
Je ferai observer à M. le ministre de la guerre que ce qu'il a pris pour des reproches ne sont que des demandes d'explications : j'ai voulu lui demander compte des économies qui ont dû être faites du chef des changements apportés à certains travaux désignés dans les devis, et je crois que la Chambre doit obtenir ces explications, pour être suffisamment éclairée.
M. le ministre de la guerre, en parlant des inondations, a oublié de dire que les inondations de la rive gauche ne s'étendent pas du côté de Burght, que toute cette partie est au-dessus du niveau des inondations et que c'est précisément là qu'on pouvait établir, de prime abord, les batteries dont j'ai parlé.
Je pourrais répondre longuement à l'apologie des avantages de l'exécution des travaux par la troupe, je n'en dirai qu'un mot.
J'ai rencontré, moi aussi, des officiers qui ont été employés, avec leurs troupes, aux travaux des fortifications de Paris ; ces travaux ont été exécutés d’une toute autre manière que les nôtres. Les troupes étaient régulièrement astreintes à leurs exercices militaires ; elles ne perdaient pas de vue leur drapeau ; elles avaient conservé leurs chefs.
A Anvers il n'en est pas de même ; les travailleurs sont détachés de (page 75) tous les régiments et forment un amas confus ne connaissant pas ses chefs, n'ayant peut-être jamais vu son drapeau, et placés en dehors de toutes les conditions indispensables pour se former à la discipline militaire.
On m'a dit également qu'aux travaux de Paris on s'était, pécuniairement parlant, assez mal trouvé de remploi des troupes. Avis aux partisans de la transformation de nos soldats en terrassiers.
Je bornerai là mes observations, mais je dirai un mot relativement à la visite des travaux d'Anvers.
M. le ministre nous convie à les aller visiter. Je n'ai pas attendu cette invitation et je croyais qu'en ma qualité de représentant je pouvais accomplir cette visite quand bon me semblait ; je croyais être assez connu dans la ville que j'habite, particulièrement de l'armée, pour que ma qualité de représentant ne pût être mise en doute. Je me suis donc rendu sur les travaux, muni de ma médaille de représentant, et l'entrée de la citadelle du Nord m'a été refusée. C'est un fait que je signale à la Chambre et je lui demande si un représentant n'a pas le droit de visiter tous les travaux exécutés par le gouvernement.
M. Coomans. - Des officiers étrangers avaient été reçus la veille ; c'est une infamie.
M. Beeckman. - Oui, c'est une infamie.
M. Hayezµ. - Je demande si un représentant doit avoir la permission du ministre pour visiter des travaux décrétés par la Chambre et exécutés au moyen des fonds qu'elle a votés ; je demande s'il n'a pas le droit de s'assurer par lui-même si les fonds qu'il a votés sont employés d'une manière convenable. Je crois qu'il y va de la dignité de la représentation nationale. M. le ministre nous engage à aller visiter les travaux ; serons-nous reçus ?
Voici, messieurs, ce qui s'est passé. Quelques jours après mon entrée dans cette Chambre, l'honorable M. Allard m'a remis ma médaille de représentant ; je lui ai demandé si cette médaille donnait accès aux travaux faits par le gouvernement ; l'honorable M. Allard m'a répondu, si ma mémoire est fidèle et, si elle m’a trompé, je prie l'honorable membre de vouloir bien rectifier ce que je vais dire, l'honorable M. Allard m'a répondu : « Je crois que vous pouvez visiter quand bon vous semble tous les travaux exécutés par le gouvernement sans en excepter ceux d'Anvers. Mais, pour être plus sûr de la chose, j'en parlerai à M. le ministre de la guerre. »
M. Allard. - Je demande la parole.
M. Hayezµ. - Je me suis tenu comme satisfait pour le moment, n'étant pas pressé de visiter les fortifications. Deux ou trois jours après, l'honorable M. Allard est venu me dire : J'ai parlé de votre question à M. le ministre de la guerre, qui m'a répondu ceci : « Sans doute, un représentant peut visiter les travaux, mais comme il y a maintenant beaucoup de travaux d'armement entrepris, je désire être prévenu lorsque M. Hayez aura l'intention d'y aller ».
M. Bouvierµ. - C'est très aimable cela. (Interruption.)
M. Hayezµ. - Je n'avais aucune espèce d'objection à faire à cette demande ; aussi quand mes collègues et moi nous avons eu le désir de visiter ces fortifications, j'ai eu l'honneur d'écrire à M. le ministre de la guerre et de l'informer que je me proposais de visiter les travaux tel jour que j'indiquais.
C'était, si j'ai bonne mémoire, un vendredi que je lui adressai ma lettre ; j'y annonçais que nous avions fixé notre visite au lundi suivant.
Je ne reçus pas de réponse, et je dois dire que, d'après ce qui s'était passé, une réponse ne me semblait pas nécessaire ; nous nous sommes présentés, au jour indiqué, à la citadelle du Nord, mais on nous en refusa l'entrée.
M. Thonissenµ. - Est-ce encore aimable cela ?
M. Bouvierµ. - Non, ce n'est pas aimable, mais il reste à savoir si cela est exact.
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
M. Hayezµ. - L'entrée nous a été refusée par un homme, un bourgeois, que je ne connais pas, mais qui nous a dit agir en exécution de sa consigne. Comme j'ai l’habitude de respecter toutes les consignes, comme d'ailleurs cette consigne devait lui venir de son supérieur, seul responsable, nous nous sommes retirés, après avoir demandé à notre interlocuteur si le capitaine commandant le fort était chez lui. Il nous a indiqué sa demeure, nous nous y sommes rendus ; nous avons demandé à cet officier s'il avait reçu des ordres formels pour empêcher la visite du fort ; et si, dans l'affirmative, cette prescription s'étendait même aux représentants. - Personne, nous fut-il répondu, ne peut pénétrer dans les forts sans une autorisation expresse de M, le ministre de la guerre.
En présence de cette réponse catégorique et connaissant la valeur d'une consigne, nous nous sommes retirés. Voilà, messieurs, comment on peut visiter les fortifications d'Anvers, voilà comment on peut s'assurer si les travaux sont bien exécutés, s'ils sont en bonne voie d'avancement.
Je le répète, messieurs, je demande à la Chambre si elle entend que ses membres soient dans l'obligation de solliciter de M. le ministre de la guerre une autorisation pour visiter des travaux d'utilité publique.
M. Coomans. - Travaux que des étrangers sont admis à visiter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Allons donc !
M. Coomans. - Oui, je l'affirme et M. le ministre de la guerre vient encore de nous le déclarer puisqu'il dit avoir reçu des compliments de toutes parts.
MfFOµ. - Sans doute, mais il les y conduit.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Si l'honorable M. Coomans veut bien m'écouter un instant, je suis convaincu qu'il se calmera immédiatement.
M. Coomans. - Moi ! Je ne suis pas irrité du tout ; je n'en ai pas l'habitude.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Permettez-moi, messieurs, de vous dire ce qui se passe, non seulement aux travaux d'Anvers, mais sur toute espèce de travaux.
Il y en a qui ne dépendent pas de nous, mais bien de l'entrepreneur, qui a ses intérêts engagés dans leur exécution. Ces travaux sont d'une nature délicate. On risque de les endommager, il est dès lors fort naturel que l'accès en soit interdit. Voilà une première cause. Maintenant il y en a une autre ; c'est qu'on fait incessamment des transports de poudres et de munition dans les nouveaux magasins. (Interruption.) Permettez, messieurs, je vais vous prouver que cela est parfaitement exact.
Quand on fait des transports de poudres et de munitions, il y a certaines précautions à prendre qui obligent à interdire l'accès du terrain à qui que ce soit. Lorsque l'honorable M. Hayez a voulu visiter les travaux d'Anvers, c'était, je pense, un samedi et non un vendredi. La demande a été envoyée le samedi, elle est arrivée le dimanche à Bruxelles ; immédiatement j'ai donné l'autorisation de permettre l'accès des travaux à l'honorable membre.
Malheureusement, M. Hayez est arrivé avant que l'officier eût reçu cet ordre ; et, en présence d'une consigne déjà ancienne cet officier n'a pas pu obtempérer à la demande de l'honorable représentant.
Maintenant, j'en appelle à tous les membres de la Chambre, à tous ceux qui ont voulu visiter les travaux ; je leur demande si chaque fois qu'ils m'ont informé de leur intention je ne me suis pas empressé de leur envoyer l'autorisation nécessaire.
Et pourquoi cette formalité, messieurs ? Ce n'est certes pas pour faire acte d'autorité, mais uniquement pour maintenir l'ordre dans les travaux pour empêcher les dégradations des tracés, et pour pouvoir faire accompagner les visiteurs dans leur propre intérêt en ne les exposant pas à se fourvoyer dans des endroits dangereux pour eux où pour ceux qui y travaillent.
Ce sont donc de simples précautions d'ordre public que nous prenons ; je vous demande, messieurs, si ce n'est pas toujours ainsi que les choses se sont passées.
Messieurs, je vous priais tout à l'heure de visiter les travaux d'Anvers. J'espérais que vous voudriez peut-être y aller en nombre ; et je me serais fait un devoir de vous y accompagner pour vous donner toutes les explications désirables. Ce désir, je vous l'exprime de nouveau, parce que je serais heureux que vous pussiez examiner et juger ces travaux par vous-mêmes, convaincu qu'une pareille visite produirait le meilleur effet sur vos esprits.
M. Allard. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. Hayez prononcer mon nom, en rappelant qu'il m'avait adressé la question de savoir si un représentant pouvait se présenter dans tous les établissements de l'Etat, ayant l'intention de visiter les fortifications d'Anvers. Lorsque l'honorable membre m'a adressé cette question, je lui ai dit qu'à mon avis il en était ainsi, mais que du reste j'en référerais à M. le ministre de la guerre. Je me rendis immédiatement au ministère, mais n'ayant pas trouvé l'honorable général, j'ai fait part à un de ses aides de camp du but de ma visite. Quelques instants après, cet aide de camp est venu me communiquer verbalement la réponse de M. le ministre de la guerre, et je me suis empressé de la transmettre à l'honorable (page 76) M. Hayez. Si, maintenant, 1'honorable membre a attendu son retour à Anvers pour écrire à M. la ministre de la guerre, il ne doit s'en prendre qu'à lui-même du retard qu'a éprouvé l'envoi de la réponse de M. le ministre de la guerre.
J'ai à rectifier un seul point de cette partie du discours de l'honorable M. Hayez. Je ne lui ai pas dit qu'il devait demander une autorisation à M. le ministre de la guerre ; je lui ai dit au contraire ceci : M. le ministre me fait dire que les représentants n'ont pas besoin d'autorisation, mais qu'ils doivent seulement l'informer du désir qu'ils ont d'aller visiter les travaux d'Anvers, pour qu'il puisse mettre un officier à leur disposition. Voilà ce que vient de répéter encore M. le ministre, et ce qui est l'exacte vérité. Par conséquent, il n'y a pas pour nous d'autorisation à demander à M. le ministre de la guerre ; il suffit de l'informer de l'intention que nous avons de visiter les travaux d'Anvers, afin que les dispositions nécessaires puissent être prises pour nous faire accompagner.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je crois, et j'en appelle au souvenir de l'honorable M. Hayez lui-même, lui avoir envoyé une autorisation pour lui et ses collègues en lui disant qu'un officier serait mis à sa disposition.
J'ai en même temps donné l'ordre au commandant du génie de tenir, pendant 15 jours, un officier toujours disponible pour accompagner ces messieurs dans la visite des fortifications. (Aux voix ! aux voix !)
M. Hayezµ. - Messieurs, encore un mot.
- Des membres. - Aux voix !
M. Hayezµ. - Vous faites bon marché de votre dignité de représentant.
J'ai dit tout à l'heure que M. le ministre de la guerre n'avait pas répondu à ma lettre, que nous n'avions pas été admis dans la citadelle du Nord. Cela est parfaitement vrai. Mais j'ai oublié un détail : Le soir du lundi, jour de notre visite, j'ai trouvé chez moi une dépêche de M. le ministre de la guerre. Dans cette dépêche, il était dit que l'autorisation de visiter les fortifications d'Anvers nous serait délivrée lorsque j'aurais fait connaître les noms des personnes qui désiraient m'accompagner. Là-dessus, j'ai répondu à M. le ministre de la guerre que je comptais visiter les fortifications avec mes quatre collègues d'Anvers ; mais que je ne lui reconnaissais pas le droit de me donner ou de me refuser une autorisation, inutile à tout représentant, qu'en lui faisant connaître les noms de mes honorables collègues, je faisais toutes mes réserves à cet égard.
M. Coomans. - Messieurs, il y va de la dignité parlementaire, et je serais très surpris qu'on n'écoutât pis avec attention les remarques que j'ai encore à faire sur ce grave sujet.
L'honorable ministre de la guerre a dit tout à l'heure que son intention n'a jamais été de refuser l'entrée de ces travaux à un membre de la Chambre. Voilà la déclaration qu'a faite M. le ministre de la guerre. Eh bien, je la tiens pour sincère ; mais alors je demande à quoi bon toutes les autorisations individuelles ? (Interruption.) Si tous les membres de la Chambre peuvent être admis à visiter les travaux d'Anvers, pourquoi faut-il des autorisations spéciales ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est pour désigner l'officier qui doit vous accompagner.
M. Coomans. - Je vais venir à ce prétexte.
Ne suffirait-il pas que M. le ministre de la guerre donnât une fois pour toutes l'ordre à ses subordonnés d'admettre à visiter les travaux d'Anvers tous les représentants et sénateurs qui en manifestent le désir ? Oui, certes, car je dénie absolument à un ministre quelconque le droit d'empêcher un représentant de la nation, fût-il son adversaire politique, d'inspecter les propriétés de l'Etat. Notre médaille doit nous ouvrir toutes les portes officielles.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'en appelle à la loyauté de l'honorable M. d'Hane. L'honorable membre m'a demandé récemment de visiter les travaux. Quelle a été ma réponse ? Prévenez-moi de votre jour, et un officier sera mis à votre disposition pour vous conduire partout et vous fournir tous les renseignements que vous pourrez désirer. Et aussitôt j'ai désigné le capitaine Cocheteux pour cette mission en le priant de se tenir à la disposition de l'honorable représentant d'Anvers.
C'est une précaution que je suis obligé de prendre. Sans cela, il n'y aurait pas d'ordre possible sur les travaux ; il y aurait même du danger. Voilà les mesures que j'ai prises à l'égard de tous ceux qui ont voulu visiter les fortifications ; je les ai prises dans l'intérêt de tous les visiteurs et des travailleurs comme dans l'intérêt de la bonne exécution des travaux.
M. Coomans. - Messieurs, je disais donc qu'il eût été extrêmement simple de prévenir une fois pour toutes les gardiens des travaux, qu'ils ont à admettre tous les représentants et tous les sénateurs, à leurs risques et périls bien-entendu.
Cela eût été respectueux envers les membres des deux Chambres ; ce qui n'est pas un détail ; en second lieu, cela était légal, selon moi ; car, je le répète, je n'admets pas que M. le ministre de la guerre ait le droit d'exclure du domaine de l'Etat un seul membre des deux Chambres. Voilà les observations essentielles que j'avais à faire.
Quant aux soins excessifs que l'honorable ministre de la guerre a eus pour la santé de nos honorables amis, MM. d'Hane et Hayez, nous l'en remercions avec une certaine surprise, car enfin s'il nous convenait de nous exposer aux hasards d'une visite plus ou moins périlleuse, M. le ministre n'avait qu'à nous laisser faire.... (Interruption.)
MpVµ. - N'interrompez pas ; nous allons vider l'incident.
M. Coomans. - Je le viderai, M. le président. Je dis que, quand nous nous livrons à des promenades plus ou moins périlleuses là ou notre envie nous porte, il n'y a pas de ministre de la guerre, pas de ministre civil qui soit là pour nous surveiller, et il fait parfaitement bien. Nous sommes assez grands garçons pour nous garder nous-mêmes.
Mais voici ce qui a dû nous froisser. Quand nous nous sommes présentés sur les travaux et que nous en avons été chassés, je savais que maintes fois des officiers étrangers y avaient été reçus, conduits et renseignés ; qu'on leur avait donné toutes les explications imaginables. Or, il n'est pas admissible qu'on ait moins de confiance dans les représentants de la nation que dans des officiers étrangers. (Interruption.)
Comment ! en 1858 et en 1859, on nous a refusé, à nous représentants, la communication de certains documents militaires et parlementaires, parce qu'il y avait des secrets d'Etat à sauvegarder : eh bien, ces prétendus secrets d'Etat, on les a déployés sous les yeux d'officiers étrangers, c'est-à-dire des seuls hommes à qui on aurait dû les cacher, si secrets d'Etat il y avait.
Remarquez bien, messieurs, que je ne me plains pas qu'on ait montré les fortifications d'Anvers à des étrangers. Cela m'est parfaitement indifférent, attendu que je suis très convaincu que ces messieurs en savent plus long que nous sur toutes ces fortifications d'Anvers ; mais je dis qu'il est tout à fait contraire à la dignité de représentant de la nation de l'obliger de se munir d'un laissez-passer, comme le dernier caporal français ou prussien, pour visiter les fortifications d'Anvers.
Messieurs, un dernier mot. Comme je ne suis pas militaire - vous ne l'ignorez pas - je n'ai pas cru devoir être aussi respectueux que l'honorable colonel Hayez à l'endroit de la consigne qui m'a été opposée. Je n'ai pas reconnu à M. le ministre de la guerre le droit de me délivrer une autorisation de me promener dans les bastilles ; la demandant, j'aurais cru abdiquer en quelque sorte mon titre de représentant du peuple. Je me suis présenté trois fois à la citadelle du Nord avec ma médaille, et trois fois on m'en a écarté au premier poste, mais trois fois je suis revenu à la charge en montrant ma médaille et en disant aux sous-officiers du poste : « Vous me refusez l'entrée, c'est votre consigne, je ne vous engage pas à y manquer, mais je vous déclare que je passerai outre, au risque d'être mis par vous au cachot. Voici ma médaille de représentant. Si vous doutez que je sois représentant, informez-vous-en, mais si je suis représentant, je prétends avoir le droit d'entrer ici, et j'entre. »
Eh bien, messieurs, ils ont trouvé cet argument raisonnable et parfaitement juste ; et ils m'ont laissé passer chaque fois.
J'ai tout vu, sans permis et sans guide, et il ne m'est arrivé aucun accident. Je recommande la recette à ceux de mes collègues qui tiennent à faire valoir leurs prérogatives de représentant du peuple. (Interruption.) Ceci démontre que la précaution prise par M. le ministre de la guerre, en faveur de mes honorables amis MM. Hayez et d'Hane, était parfaitement superflue, et je crois que si tous mes collègues avaient agi comme moi, ils auraient bien fait.
Ils auraient à la fois satisfait leur curiosité légitime et rempli un devoir envers eux-mêmes et envers leurs mandants. J'avertis MM. les ministres que je recommencerai, et je finis en félicitant les sous-officiers en question de s'être rendus à mon argumentation très constitutionnelle.
M. Delaetµ. - Messieurs, quand j'ai vu apparaître la demande de crédit de 5,575,000 francs, une circonstance m'a surtout frappé.
C'est, d'un côté, la similitude parfaite de l'exposé des motifs avec celui de la demande de crédit de 1862, de l'autre, l'immense écart des chiffres. A cette époque M. le ministre de la guerre demandait un crédit inférieur de 2 millions à celui qu'il demande aujourd'hui et pourtant ses explications n'ont pas changé, ses chiffres seuls se sont modifiés.
(page 77) Ce qui m'a frappé encore, c'est que M. le ministre de la guerre, dans sa bienveillance inépuisable pour cette insatiable ville d'Anvers, comme l'a dit hier un très agréable orateur, n'a pas ordonné une seule dépense qui ne fût faite pour nous obliger.
Je comptais discuter et les chiffres et le mobile qui a porté M. le ministre à être si bienveillant pour nous.
Mais, messieurs, le débat a été porté depuis lors sur un autre terrain. L'honorable M. Orts, avant-hier, est venu nous dire qu'il était fier d'avoir voté les fortifications d'Anvers, qu'il en serait fier toute sa vie et qu'il fallait les achever coûte que coûte.
Dès lors déjà le chiffre de 5 millions devenait un accessoire. Je ne parlerai pas de l'honorable M. Bouvier ; il aurait pu nous entretenir d'Anvers, il s'est occupé de toute autre chose ; mais l'honorable M. Jouret est venu de nouveau nous parler du système de défense d'Anvers dans des termes si lyriques, que j'aurais cru entendre M. de Lamartine lui-même, si je n'avais su que les fortifications de Paris ont été votées en 1840.
Aujourd'hui, messieurs, le gouvernement est venu vous parler de choses très peu en rapport avec la question en discussion. Chaque fois que M. le ministre de la guerre a à demander de l'argent à la Chambre, comme il est du moins aussi habile avocat que grand général, il nous raconte une histoire de guerre.
Tantôt c'est Magenta ou Solferino, tantôt c'est la Crimée, aujourd'hui c'est le Danemark.
Plaise à Dieu que nous n'ayons pas bientôt une autre question de guerre moins éloignée de nous !
Mais l'honorable ministre me permettra de le suivre sur le terrain qu'il a choisi.
M. le ministre de la guerre a dit que, dans un pays comme le nôtre, toujours la vérité se faisait jour malgré le voile dont cherchent à la couvrir ceux qu'elle offusque.
Eh bien, M. le ministre de la guerre, qu'est-ce que nous avons voulu, nous, Anversois ? Nous avons demandé la lumière sous toutes les formes, et sous toutes les formes elle nous a été refusée. C'est vous qui craignez la lumière, c'est vous qu'elle offusque.
Je dis que vous n'oseriez pas produire tous les rétroactes de la question des fortifications d'Anvers.
Ainsi je citerai le million et demi qui a été demandé pour les petits travaux ouverts à la gorge à établir autour d'Anvers. M. le ministre des finances promettait que cette somme ne serait jamais dépassée et que l'on parviendrait peut-être encore à faire des économies.
MfFOµ. - Vos renseignements sont très inexacts.
M. Coomans. - Pas du tout.
MfFOµ. - Je vous ai prouvé, M. Coomans, que vous affirmiez des choses très inexactes.
M. Delaetµ. - Eh bien, prenez 3 millions. C'est le chiffre que vous dites avoir demandé.
Que sont devenus les 3 millions ?
De combien de millions ont-ils été suivis ?
Que le pays réponde. Quant à la gauche, je sais bien qu'elle ne répondra pas.
M. Allard. - Le pays vous a répondu.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce sont les Anversois qui ont demandé la grande enceinte.
M. Delaetµ. - Je vous dirai comment on y a poussé certains Anversois.
Si les honorables MM. Orts et Jouret sont fiers d'avoir voté les fortifications d'Anvers, moi je suis fier aussi d'avoir toujours, dans le cercle de mon influence et de mon action, combattu la petite et la grande enceinte et vos forts et vos bastilles, attendu que je suis convaincu qu'au point de vue national Anvers doit être une ville ouverte.
Anvers vous dit ce qu'il veut et ne va pas au-delà. Mais quand Anvers aura reçu satisfaction, il restera à voir si le pays n'a pas intérêt à défaire ces grandes fortifications étrangères établies au point le plus éloigné de la Belgique, qui ne couvrent pas un pouce de votre sol, mais qui couvrent très bien, très utilement la Hollande par terre, et par mer l'Angleterre.
M. de Moorµ. - Le pays vous a répondu.
M. Delaetµ. - Il ne suffit pas de parler de patriotisme. M. le ministre de la guerre ne peut venir dire ; Je suis infaillible, ma parole doit faire loi.
Nous sommes ici pour examiner, pour étudier, pour voir clair.
M. le ministre de la guerre ne doit pas nous dire : Vous êtes incompétents et je viendrai vous raconter ce qui me plaît ; je varierai du jour au lendemain. Ce qui était vrai hier sera erreur aujourd'hui, et l'erreur d'hier sera la vérité du jour.
Je dis, moi, que vous tous comme corps, sinon chacun de nous comme membre et en particulier, nous avons de par la loi une compétence universelle.
Messieurs, M. le ministre de la guerre nous a dit qu'Anvers ne sera jamais satisfait, qu'Anvers veut de l'argent, qu'Anvers a pour guide et pour organe M. Van Ryswyck, et que M. Van Ryswyck a déclaré que le système Dechamps était beaucoup plus mauvais que le système Chazal, et l'honorable général en tire cette conséquence qu'il ne faut rien pour Anvers.
Messieurs, il est vrai que M. Van Ryswyck a tenu et tient encore ce langage. Seulement qu'est aujourd'hui M. Van Ryswyck à Anvers ? Allez le demander à Anvers ; allez le demander aux meetings. Voyez ce qu'était M. Van Ryswyck au dernier meeting, comme il y a été traité et comment l'ont traité les électeurs. J'ai eu pour ma part, après les attaques de ce M. Van Ryswyck, 48 voix de plus que l'an passé. Voilà la réponse d'Anvers à M. Van Ryswyck. Elle est bien éloquente ; elle est bien éclatante.
M. Bouvierµ. - Il y en aura d'autres que Van Ryswyck qui auront leur tour.
M. Delaetµ. - Et je ne suis pas fâché de le dire ici, puisque l'occasion s'en présente, j'ai toujours répudié le patronage de M. Van Ryswyck, non pas de cette année seulement. Si je ne l'ai pas désavoué ici, en 1863, c'est que je voulais faire acte de générosité envers un homme qui combattait dans la même armée que nous, quoique avec d'autres armes. Aujourd'hui qu'il est devenu votre auxiliaire, je n'ai plus de raison pour ne point vous dire en quelle espèce d'estime je le tiens.
On dit que nous avons voulu nous faire un marchepied, un piédestal du mouvement d'Anvers. Nous qui défendons la sécurité de notre ville natale, nous qui défendons la Belgique en défendant sa métropole commerciale, nous qui n'avons pas désiré qu'un changement politique quelconque eût lieu à Anvers, nous qui avons fait tout notre possible pour l'éviter, et notre honorable collègue, M. d'Hane, vous l'a prouvé, dans une session antérieure, nous ne nous sommes pas fait du mouvement un marchepied parce que nous ne voulons parvenir à rien. Nous ne nous en sommes pas fait un piédestal, parce que nous ne désirons d'autre grandeur que celle que donnent une conscience pure, un ardant amour du pays. Mais je suis étonné d'entendre des hommes qui, en 1829, se sont fait un marchepied, un piédestal du mécontentement d'un pays qui n'était pas le leur, nous accuser de nous en faire un du mécontentement d'une grande ville qui est la nôtre. Aussi, qu'il ne soit plus question de cette accusation. En tout cas, je le répète, je sens que notre conscience, que notre dévouement au pays nous rend assez grands pour ne pas avoir besoin de piédestal.
M. de Moorµ. - Et le nôtre aussi.
M. Delaetµ. - M. le ministre de la guerre vous a déclaré sur son honneur d'homme et de soldat qu'après ce crédit, il n'en demandera plus d'autres. C'est très bien ; je ne conteste pas cette promesse. Mais à cette promesse il a eu soin d'ajouter un amendement, un correctif qui l'a détruite ; il vous a dit : et j'espère que d'autres ne vous en demanderont pas. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - Cela s'applique à M. Dechamps.
M. de Moorµ. - Si M. Dechamps arrive au pouvoir, il nous demandera 25 millions.
M. Delaetµ. - Messieurs, respectez les droits de la minorité. Vous êtes la majorité ; c'est parfait, mais si vous voulez le maintien du régime parlementaire en Belgique, respectez les droits de la minorité. Il y a déjà bien assez de germes de mécontentement pour que vous ne les augmentiez pas.
Du resta, pourvu que les sténographes m'entendent, cela me suffit, je ne demande pas même que vous m'écoutiez ; je parle pour le pays, je parle pour mes compatriotes et la position que vous nous faites, me fait un devoir de parler ainsi. Ne m'écoutez pas, si cela vous convient, je le répète ; je sais que je ne vous convertirai pas ; mais permettez aux sténographes de m'entendre.
Je répète donc qu'a la promesse solennelle qu'a faite M. le ministre de la guerre et dont je prends acte, il y a un correctif, et ce correctif est celui-ci : J'espère que d'autres ne vous le demanderont pas. Qu'en résulte-t-il ? C'est que si jamais il y a d'autres crédits à demander, l'honorable général Chazal déposera sou portefeuille, et que la demande de crédit sera faite par un autre ministre de la guerre. Que prouve dès lors cette promesse devant le pays ? Elle prouve que l’honorable général Chazal aurait assez de patriotisme pour déposer son portefeuille si sa personne était un obstacle à l'achèvement de son système de défense nationale.
L'honorable M. Chazal a vanté outre mesure, je puis le dire, le travail qu'il considère comme le chef-d'œuvre de sa carrière militaire et ministérielle.
(page 78) Je crois que sa modestie a dû en souffrir quelque peu, mais qu'il a cédé aux dures nécessités de la défense, à la dure nécessité où il se trouvait de justifier son crédit.
Mais, comme je l'ai dit tout à l'heure, l'honorable M. Chazal après tout n'est pas un pontife militaire ; il n'est pas infaillible. Il y a même des officiers du génie et de l'état-major qui, tout en rendant justice à ses qualités de tacticien, ne lui reconnaissant pas de très hautes qualités de stratégiste, et regrettent que, pour qu'il les acquière un jour, il lui manque les études indispensables qui se font à l'école militaire.
Ils contestent donc en petit comité (car Nieuport, Arlon et Philippeville sont là) ils contestent sa compétence, et je dois même apprendre à l'honorable général Chazal que le dernier discours qu'il a prononcé à la Chambre au mois de décembre dernier, quoique largement modifié aux Annales parlementaires, n'a pas obtenu l'assentiment des officiers des armes spéciales.
Voilà ce que je puis dire.
Je ne puis citer ces officiers. Vous vous contenterez de ma parole d'honneur. Jamais personne ne l'a suspectée et je ne tolérerai jamais qu'on la suspecte.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je suis sûr que ce que vous dites est vrai.
M. Delaetµ. - M. le ministre de la guerre vient de nous dire que, vu toutes les merveilles exécutées autour d'Anvers, il y a lieu de s'étonner, non pas que les crédits aient été dépassés, mais que la somme demandée soit si faible ; et certainement, comme l'a fait observer tout à l'heure l'honorable M. Coomans, si les travaux d'Anvers pouvaient être achevés avec cette somme, il y aurait lieu d'en être surpris.
Je ne suis pas ingénieur ; mais malheureusement on nous a fait à Anvers, depuis 1860, une situation telle, que nous n'avons pu nous dispenser de nous occuper quelque peu des choses de la guerre et des fortifications. Or, il est un fait : c'est que la citadelle du Nord, d'après ce que vient de nous dire M. le ministre de la guerre, a un double rôle à remplir. D'abord elle doit balayer l'Escaut et la rade, si une flotte ennemie venait s'embosser devant Anvers ; en second lieu, elle doit servir de garantie aux défenseurs de l'enceinte qui, celle-ci prise, peuvent se réfugier dans ce réduit pour s'embarquer afin d'aller en Hollande ou de passer sur la rive gauche.
Ceci diffère un peu des assurances antérieures de l'honorable ministre de la guerre, où il nous disait que la citadelle du Nord devait servir de réduit aux défenseurs de l'enceinte, à la Famille royale, aux grands corps de l'Etat, et qu'il fallait pouvoir la défendre à outrance. Eh bien, messieurs, qui croire, de M. le ministre de la guerre s'expliquant il y a deux ans, ou de M. le ministre de la guerre s'expliquant aujourd'hui ?
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Voudriez-vous citer le passage des Annales parlementaires où j'ai dit cela !
M. Delaetµ. - Je n'ai pas sous la main les Annales parlementaires, mais vous avez dit que cette citadelle devait être défendue à outrance. Si vous contestez, nous ferons chercher les Annales parlementaires. Mais je crois que toute la Chambre l'a entendu. Si je ne cite pas textuellement, je rends le sens de vos paroles. Il est de fait que vous avez antérieurement assigné à la citadelle du Nord un rôle autre que celui que vous lui assignez aujourd'hui.
Or, maintenant je vous dis que s'il s'agit simplement de faire servir la citadelle de point d'embarquement, je comprends que vous ne fassiez pas un remblai de trois mètres pour élever le terrain au-dessus du niveau des hautes eaux, que vous ne fassiez pas de casernes blindées, que vous ne fassiez ni hôpitaux, ni magasins, ni étables, ni aucune des choses qui sont indispensables dans une place de guerre.
Mais alors pourquoi ces canons braqués sur la ville ? Vous pouviez avec un simple parados vous mettre à l'abri d'un coup de main et assurer votre embarquement.
M. le ministre a dit : « La citadelle entourée d'eau ne peut être attaquée que par un seul point » qui est aujourd'hui le fossé de la ville et qui sera la ville demain. (Interruption.) Du reste, si ces messieurs veulent se rendre à votre invitation de se rendre à Anvers, je m'offre aussi à leur expliquer la position. Ils ont des yeux et s'il n'y a pas sur ces yeux des lunettes ministérielles qui obscurcissent tout, ils y verront parfaitement clair.
L'honorable général Chazal m'a demandé tout à l'heure de citer les Annales parlementaires, mon honorable M. Jacobs me communique le passage dont il s'agit ; il est ainsi conçu :
« Lorsque nos troupes auront vaillamment défendu l'enceinte, elle ne seront plus obligées de se barricader dans la ville et de s'y défendre pied à pied, en exposant les habitants à toutes les horreurs de la guerre, elles pourront se réfugier dans les citadelles et, si elles sont trop affaiblies pour y résister à outrance, elles obtiendront au moins une capitulation honorable pour elles et pour la ville qu'elles auront préservée de toute hostilité à l'inférieur. »
« Si elles sont trop affaiblies pour résister à outrance » donc si elles ne sont pas trop affaiblies, elles résisteront à outrance.
M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Où voyez-vous là le gouvernement et la Famille royale ?
M. Delaetµ. - On a dit que les Chambres y siégeraient.
- Plusieurs membres. - Dans la ville.
M. Delaetµ. - Et après la prise de la ville ? L'honorable général Chazal a dit que la citadelle ne peut être attaquée que d'un seul côté ; or, ce côté, c'est le côté de la ville.
Eh bien, si la citadelle est attaquée par là, la défense est assurée, mais la ville, mais les immenses richesses commerciales du monde entier qui sont là, mais le port commercial qui seul fait que la Belgique n'est pas une misérable Savoie ! (Interruption.) Fermez l'Escaut et l'Angleterre, sur laquelle vous vous êtes habitués à tant compter, vous laissera prendre demain par la France comme elle a laissé prendre la Savoie. Vous n'existez politiquement, diplomatiquement que par l'Escaut. (Interruption.) Vous ne seriez pas un bon ministre des affaires étrangères, M. Frère, si vous ne savez pas cela ; c'est de principe dans toute la diplomatie européenne.
J'ai dit tout à l'heure que j'étais fier d'avoir constamment combattu toute fortification d'Anvers, d'avoir constamment dit qu'Anvers devait être une ville ouverte et voici pourquoi j'en suis fier, et dans 30 ans quand les enfants de M. Orts seront devenus des hommes et auront à leur tour des enfants, je voudrais bien voir si sa descendance ou la mienne aura lieu d'être fière de la perspicacité paternelle dans la question d'Anvers. Ce n'est pas le présent qu'il faut voir ici, c'est l'avenir ; ce ne sont pas les contemporains qui décident, c'est l'histoire.
MfFOµ. - Vous n'êtes pas l'histoire.
M. Delaetµ. - On a beaucoup cité l'empereur Napoléon pour faire passer les fortifications d'Anvers. J'aime assez à consulter La Fontaine en matière politique, et je vois dans ses fables cette pauvre petite grenouille belge voulant s'enfler à l'égal du fier taureau impérial qui de sa corne ardente a pendant quinze ans labouré et bouleversé le sol de l'Europe. C'était le chef d'un grand empire celui qui voulait faire d'Anvers la première forteresse de la France. Anvers n'est pas la clef de la Belgique, Anvers est la clef de l'empire français et cette clef on vous la laisse forger, mais ce n'est pas vous qui vous en servirez. Quel que soit le sort de l'Europe, la France désormais ne passera le Rhin qu'après s'être emparée d'Anvers. (Interruption.)
Oh ! je le sais bien vous comptez sur des alliés, mais votre territoire sera envahi et vos fortifications seront prises. Elles ne seront pas prises par l'ennemi peut-être ; mais elles seront prises par votre allié et votre allié c'est votre maître ; vous lui obéirez, vous le servirez ou il s'en ira.
Quant à moi, je ne veux suspecter la conscience de personne, mais je le dis en vrai patriote belge, en homme qui a combattu en 1830, et qui plus tard n'a pas cessé de défendre mon pays dans cette autre armée qu'on appelle la presse, qui n'ai jamais failli, qui, n'ai jamais rien demandé à mon pays que son amour et son estime, eh bien, je dis que je m'imputerais à crime de prêter les mains, à ce que vous considérez comme une œuvre patriotique.
On nous a dit à la tribune nationale : Voulez-vous passer sous les fourches Caudines de l'étranger ? Et sur ce mot on a fait voter les fortifications d'Auvers. Eh bien ! vous y passerez sous l s fourches Caudines ! Ou bien l'étranger viendra chez vous malgré vous, ou il y viendra parce que vous l'aurez appelé. Dans l'un et dans l'autre cas, si vous sauvez un honneur quelconque, ce sera celui du drapeau d'un régiment belge, mais vous ne sauverez pas l'honneur et l'indépendance de la Belgique.
Je ne comptais pas aborder ici la fin du discours de M. le ministre de la guerre, mais puisqu'il a cru convenable de monter au Capitole, il m'a bien fallu l'y suivre. (Interruption.)
Je ne veux point parler de la roche Tarpéenne, nous verrons plus tard !
Seulement comme vous êtes vainqueurs, vous pouvez, avec beaucoup plus de raison, vous appliquer, au lieu de nous le renvoyer, l'allusion à la position topographique de la roche Tarpéenne.
Maintenant, messieurs, j'ai à vous parler d'une question de chiffres.
J'ai eu l'honneur de vous dire qu'en 1862 M. le ministre de la guerre annonçait comme définitif le chiffre de 3,526,000 francs, si j'ai bonne mémoire, car je n'ai pas le document sous les yeux ; et dans le projet de (page 79) cette époque était prévu tout ce qui est indiqué dans l'exposé des motifs du projet de loi actuel.
Ainsi, l'augmentation sur le prix d'adjudication, le détournement du Schyn et de ses affluents, le détournement du canal d'Herenthals et les quatorze portes dont on veut doter la ville d'Anvers ; tout cela, à part l'augmentation du prix d'adjudication, a été fait pour être agréable à ces insatiables, à ces ingrats Anversois.
Malgré notre ingratitude, messieurs, M. le ministre de la guerre a pour nous des entrailles de père et il veut nous obliger malgré nous.
Mais il est à remarquer que le canal d'Herenthals est une propriété privée, une propriété construite il y a plus de deux siècles par Gilbert Van Schoonbeke pour compte des brasseurs d'Anvers dans le but d'amener à Anvers les eaux pures de la Campine et que nul, d'après le code civil, n'a le droit de détourner de sa destination. Ne serait-ce pas par hasard pour les beaux yeux du code civil plutôt que pour les beaux yeux d'Anvers que M. le ministre de la guerre aurait fait cette dépense ? E le devait, dans tous les cas, être prévue aussi bien que celle qui s'applique au Schyn.
J'arrive maintenant aux 14 portes. Messieurs, 8 portes étaient prévues et il n'y a aujourd'hui que 8 portes à Anvers ; seulement M. le ministre de la guerre a jugé bon de doubler 6 de ces portes de façon qu'en définitive nous avons 14 portes en tout.
Comme je viens de le dire, 6 de ces portes sont doublées, c'est-à-dire qu'il y a côte à côte une porte militaire et une porte civile. Celle-ci, messieurs, nous suffisait amplement, nous ne demandons rien de plus.
Quant aux ponts non étranglés, donnant passage à deux voitures, nous les avons depuis 20 ans. Deux voitures pouvaient passer de front par les portes nouvelles ; et comme cela suffit aux besoins de la circulation civile, quelle utilité y aurait-il pour nous à voir doubler ces portes ? S'il y avait quelque utilité à le faire, ce ne peut être qu'au point de vue militaire, et dès lors je n'admets pas qu'on fasse valoir ce travail comme un avantage pour la population d'Anvers. Je me demande comment l'exposé de motifs peut s'exprimer ainsi :
« D'après le projet primitif, ces six accès devaient être portés à huit, par la construction des portes nouvelles de Wilryck et d'Herenthals, et certes l'intérêt de la défense n'exigeait pas davantage. Cependant, le gouvernement a été amené successivement à ouvrir quatorze passages dans la nouvelle enceinte, non compris ceux des deux chemins de fer qui la traversent.
Par qui le gouvernement a-t-il été amené à ouvrir ces 14 portes ? Par Anvers ? Mais Anvers ne l'en a jamais sollicité. Il en est de ceci comme du péage de l'Escaut : nous payons et on dit que nous sommes payés ; le rachat du péage de l'Escaut, nous l'avons payé par la perte de notre transit au profit du trésor et on veut que cela soit inscrit à notre débit ! Vraiment, messieurs, Anvers est une bien bonne machine de guerre pour le gouvernement : il est destiné à défendre le pays en temps d'invasion, et, en attendant, il sert à masquer les dépenses militaires en temps de paix.
L'exposé des motifs ajoute :
« Ces dispositions, prises uniquement dans l'intérêt des habitants d'Anvers et des communes environnantes, etc. »
Eh bien, messieurs, admirez notre ingratitude : nous proposons à M. le ministre de la guerre de murer ces portes ; cela ne nous gênera en aucune façon. Mais ce qui nous gêne, c'est qu'on nous endosse de prétendus bienfaits que nous n'avons pas sollicités et dont nous ne voulons pas.
Du reste, messieurs, que ces portes soient construites dans l'intérêt militaire ou dans l'intérêt civil, il est de fait qu'en 1862 elles ne devaient coûter que 700,000 francs, et qu'aujourd'hui elles coûtent 1,200,000 francs. Je ne serais pas étonné d'entendre M. le ministre de la guerre nous dire que c'est parce qu'il a voulu donner à Anvers des portes digues de servir d'entrée à la métropole des arts.
Mais je demande si cela vaut 500,000 francs. Pour moi, j'en doute, et j'avoue que nous nous contentons parfaitement de nos musées et de notre cathédrale ; nous nous contentons surtout de nos hôtels de ville qui sont les premiers sanctuaires de la liberté belge, et qui, j'espère, le seront encore quand les fortifications d'Anvers ne seront plus debout.
L'honorable général Chazal n'a pas cru devoir justifier ce crédit ; il n'a pas cru devoir soumettre à la Chambre les pièces de comptabilité qui seules permettraient d'y voir clair. Et cependant c'est lui qui nous reproche de ne pas aimer la lumière !
On prétend que la lumière nous offusque et on nous refuse tout ce qui pourrait nous éclairer un peu dans ces épaisses ténèbres. Nous n'avons plus demandé d'enquête ; nous demandons simplement les procès-verbaux de la commission qui a fini ses séances en octobre 1861.
Ces procès-verbaux mêmes, on nous les refuse parce qu'on y verrait que des officiers très compétents, reconnus comme tels par M. le ministre de la guerre lui-même, ont insisté fortement sur la construction du fort de Merxem, attendu que l'enceinte, contrairement à l'opinion de l'honorable M. Chazal, n'exerce pas assez d'action sur la langue de terre qu'il s'agit de défendre. Aucun officier du génie ne contestera cela ; tous au contraire sont d'accord pour reconnaître la nécessité de ce fort.
Cette même commission de 1861 a dit que la rive gauche doit être fortifiée par des forts détachés. Avant l'invention de canons à longue portée, il pouvait suffire d'une inondation de 3,000 à 4000 mètres ; mais aujourd'hui quel obstacle voulez-vous qu'une pareille inondation oppose à une artillerie qui porte à 6,000 et même à 8000 mètres ?
Messieurs, j'abuse peut-être de votre indulgence en continuant de suivre M. le ministre de la guerre sur le terrain où il s'est placé.
Mais, pour moi, son discours est un ensemble de contradictions que certainement M. le ministre de la guerre aura soin de rétablir plus ou moins heureusement dans les Annales parlementaires.
Si on ne vous refusait pas l'accès aux cartons du ministère de la guerre contenant les rapports secrets d'officiers, comme on, vous refuse l'entrée des citadelles, vous pourriez vous assurer qu'on a fait, à Anvers, beaucoup d'essais, beaucoup d'écoles, et je n'en fais un crime ni à M. le ministre de la guerre, ni au génie militaire, ni à l’état-major. Il est impossible que de si grands travaux s'accomplissent sans que des écoles soient faites.
M. le ministre de la guerre a parlé du Danemark. C'est l'histoire de guerre la plus récente. L'honorable ministre vous a montré l'armée du général de Meza abandonnant la ligne de défense du Danewirke.
Je ne sais pas si les fortifications du Danewirke peuvent être comparées à une ligne stratégique défendue par un fleuve et couverte de places fortes.
Je me contenterai de poser la question ; je ne la résoudrai pas, d'abord parce que je ne pourrais pas entrer dans des détails suffisants. Cela rentre beaucoup dans les attributions de mon honorable amis M. Hayez. Ensuite, parce que mon intention est simplement de livrer la question à vos méditations.
Mais à propos du Danemark, il est un fait que M. le ministre de la guerre n'a pas rappelé.
Il nous a dit au mois de décembre dernier qu'on ne bombarderait plus parce que cela coûtait trop cher. (Interruption.)
M. le ministre, vous rappelez-vous votre affirmation ? En cas de négative, j'aurais recours aux Annales parlementaires.
Cela coûte donc trop cher. Or, à Duppel, à Sonderbourg, combien de bombes a-ton jetées en peu de jours ? Quand on dépense 60 à 80 millions à construire des citadelles, on peut bien dépenser un à deux millions pour les prendre.
Voilà un fait que le Danemark nous a révélé ; voilà un démenti éclatant donné aux prédictions de M. le ministre de la guerre ; l'honorable ministre ne l'a pas rappelé ; qu'il me permette de le faire en son lieu et place.
Le Danemark est à l'égard de l'Angleterre dans une position presque identique à celle de la Belgique. Or, l'Angleterre a dit au Danemark : « Résistez à la Prusse ; je suis un des signataires du traité de 1852 ; défendez-vous toujours. » Et le Danemark a résisté. Qu'en est-il résulté ? Non seulement il a perdu le Schleswig, mais il a encore perdu une autre grande partie de son territoire.
Voilà ce que le Danemark a gagné, à se fier aux promesses de l’Angleterre. Voilà encore une leçon que nous donne le Danemark, leçon que l'honorable général Chazal et 1 honorable ministre des affaires étrangères ont eu bien soin de ne pas vous rappeler.
Voilà des leçons que l'on peut apprécier sans être compétent en stratégie ; il suffit pour cela d'être compétent en matière de sens commun et d'ouvrir les yeux sur la politique anglaise.
L'Angleterre nous aidera, si l'intérêt anglais est en jeu et qu'elle ne soit pas menacée par la France ; mais l'Angleterre, qui n'est plus la fière Albion, son léopard n'a plus et griffes et dents que contre les peuples faibles, l'Angleterre a laissé assassiner le Danemark. Profitons de la leçon.
Maintenant, après ces considérations, dois-je entrer dans lés détails ? La discussion d'un crédit est devenue, et ce n'est pas par notre faute, une grande discussion de principes. Eh bien, je ne vous dis qu'une chose : Prenez garde ! l'honorable général Chazal vous a déclaré qu'il ne proposerait plus de crédits pour les fortifications d'Anvers ; mais il a ajouté qu'il espérait que ses successeurs n'en proposeraient pas d'autres non plus. Or, là est la menace, là est le danger ; si vous votez maintenant les 5,575,000 fr., qu'arrivera-t-il ? En présence des augmentations successives qu'a subies depuis 1849, le chiffre jugé alors nécessaire, un million et demi selon moi, trois millions selon l'honorable M. Frère, qu'on ne devait pas (page 80) dépasse, vous atteindrez peut-être un chiffre de 75 millions. Vous en serez responsables devant le pays. Pour moi, il me suffit d'avoir dégagé ma responsabilité en vous signalant le danger et en votant contre le projet de loi.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Messieurs, je crois devoir motiver, en quelques mots, le vote que j'émettrai sur la grave et importante question qui est soumise à nos délibérations.
J'ai toujours été l'adversaire décidé, convainvu, des fortifications d'Anvers, grandes ou petites, et tout ce que j'ai lu et entendu à ce sujet, toutes les discussions que j'ai soutenues avec des hommes de l'art et de divers pays, n'ont fait que me confirmer dans cette opinion.
Voici, en résumé, les raisons principales qui ont déterminé ma conviction :
D'abord, il est toujours dangereux pour une nation faible, et qui ne peut appuyer ses déterminations sur la force, de contrevenir, ne fût-ce qu’en apparence, aux traités qu'elle a conclus. Or, l'une des stipulations principales du traité des 24 articles, stipulations reproduites dans tous les protocoles et préliminaires de ce traité, c'est que le port d'Anvers ne sera jamais un port de guerre.
Or cette clause ne peut avoir été insérée dans ce traité sans but et sans signification. Pour moi elle exprime clairement qu'Anvers doit être exclusivement un port de commerce et non une place de guerre et que dans aucun cas il ne peut servir de base à des opérations militaires par mer comme par terre ; c'est le corollaire, la conséquence même de notre neutralité.
En second lieu, il m'a toujours paru dangereux au plus haut degré, d'accumuler sur un seul point tous les moyens défensifs de la nation.
Que l'on suppose un instant que par un de ces faits de guerre que l'on qualifie du nom de hasards, mais qui ne sont que la conséquence naturelle de ces jeux terribles, l'audace heureuse d'un caporal doublée de l'incurie d'un général, fasse tomber cet immense arsenal aux mains de l'ennemi ? Comment réparera-t-on ce malheur possible ? Comment reprendrez-vous avec une population désarmée une place que vous aurez faite si forte et si bien armée ?
En troisième lieu, après les dépenses si lourdes et qui pèseront si longtemps sur le travail et la production de la nation, n'aura-t-elle pas encore à supporter les frais du siège si jamais, ce qu'à Dieu ne plaise, ces fortifications doivent servir à défendre notre drapeau ?
Un exemple récent ne nous a-t-il pas appris à cet égard la jurisprudence des forts contre les faibles. Même en pays ami, dans les contrées qu'ils venaient, disaient-ils, délivrer, les Allemands ont imposé de lourdes contributions de guerre.
Et quel contrôle les populations peuvent-elles exercer sur ces exactions arbitraires, sans frein comme sans limites, imposée par des hommes qui ne se doutent seulement pas des labeurs et des vertus héroïques qui sont la source des économies du peuple !
Bruxelles, Louvain, Malines, Gand, Liège, Mons, Tournai sont-ils bien préparés à payer les contributions de guerre dont le siège d'Anvers serait le prétexte ? Et nos populations rurales n'ont-elles pas à craindre des réquisitions, des prestations de toute nature pour aider l'ennemi à vaincre la résistance héroïque de leurs propres enfants ?
En quatrième lieu, la force irrésistible de la logique veut qu'en raison même de son importance et de son étendue, le camp retranché d'Anvers et ses vastes fortifications exigent un accroissement progressif, continu du budget de la guerre, qui pèse déjà si lourdement sur nos finances et du régime de la conscription qui décime nos populations laborieuses.
Comment répondrions-nous, nous qui aurions sanctionné par notre vote l’établissement de cette immense forteresse, aux ministres qui nous diraient ; Trente ou quarante mille hommes sont constamment nécessaires dans cette place ; sans cela au lieu d'être une sauvegarde, elle peut devenir un danger !
L'existence du camp retranché d'Anvers est donc une menace permanente contre nos finances et il faudra d'énergiques efforts de la part des amis de l’économie des deniers publics pour s'en affranchir.
Enfin la raison qui a surtout déterminé ma conviction, raison que je place au-dessus de toutes les autres qui à mes yeux ne sont que secondaires, c'est qu'en créant cette vaste machine de guerre, nous avons annoncé aux peuples comme aux gouvernements, à nos amis comme à nos ennemis que nous nous en remettons aux décisions de la force pour régler notre sort.
Nous avons abandonné le terrain solide et ferme du droit pour nous hasarder sur les plaines fangeuses et mobiles de la force brutale.
Au lieu d'arborer hardiment, courageusement le drapeau de la paix fondée sur notre droit qui est celui de tous les peuples et de toutes les nations, au lieu d'appeler à notre aide la force irrésistible de l'opinion publique et des intérêts moraux et matériels de toutes les nations, nous avons préféré nous en remettre aux hasards des batailles et à la loi brutale du canon.
Je repousse ces conséquences, je ne les accepte à aucun prix.
Je veux que notre nationalité soit garantie, non par des forteresses que l'on pourrait un jour employer à nous maintenir sous la domination étrangère, rôle que les forts d'Anvers est déjà rempli pendant plus de deux siècles, mais par la volonté ferme et inébranlable de tous les Belges de rester ce que nous sommes, malgré nos misérables querelles intérieures, les citoyens dévoués et unis de la même patrie, de la grande famille belge.
J'aurais plus de confiance dans cette volonté fortement enracinée dans tous nos cœurs, que dans les armées les mieux organisées, les plus nombreuses.
On vainc la force, on ne peut dompter le patriotisme et le droit.
Mon vote sera donc négatif. Je le donne non contre des ministres qui n'ont fait, après tout, qu'exécuter la loi, mais contre le principe même dont les fortifications d'Anvers sont l'expression.
Je déclare, en outre, que si j'avais la certitude d'être suivi, ma conviction est si fermement arrêtée, que je n'hésiterais pas un seul instant à prendre la responsabilité de la démolition complète et radicale de toutes les fortifications qui ont transformé les bords pacifiques et paisibles de notre Escaut en un labyrinthe plus dangereux que celui de la Fable antique.
Je voterai donc contre le projet de loi.
M. Nélis. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole dans l'intention de faire un discours ; je désire seulement donner à la Chambre quelques mots d'explication sur le vote que j'émettrai sur le projet de loi en discussion.
Je n'ai pas voté les fortifications d'Anvers, les motifs qui ont décidé de mon vote alors n'ont pas changé, mais je pense que, dans un gouvernement parlementaire, la minorité doit se soumettre loyalement à la décision de la majorité et, en lui laissant toute la responsabilité de son œuvre, ne pas lui refuser les moyens de la conduire à bonne fin. Je voterai donc le crédit demandé, je le voterai parce que j'ai confiance dans la déclaration de M. le ministre de la guerre que la somme demandée suffira au complet achèvement de la place d'Anvers, et que les fonds votés pour l'armement de cette place suffiront également. S'il n'en était pas ainsi, si de nouvelles allocations étaient demandées à la législature pour les travaux d'Anvers je serais obligé de les repousser de mon vote.
M. Jacobsµ. - Messieurs, lorsqu'une demande de crédit paraît devoir rencontrer dans la Chambre une résistance sérieuse, c'est assez l'usage de la déguiser ; on transforme l'intérêt militaire en intérêt civil, l'intérêt général en intérêt local et ainsi de suite. De toutes les communes de la Belgique, Anvers est assurément celle qui s'est vu endosser le plus de ces effets douteux.
L'agrandissement au Nord de 1858, la grande enceinte de 1859, le crédit actue1, au moins en partie, tout cela a été comme fait dans l'intérêt d'Anvers. Pour couronner l'œuvre on pousse l'ironie jusqu'à lever les yeux au ciel en gémissant sur l'ingratitude des Anversois.
Grâce à Dieu, le pays commence à se fatiguer des dépenses militaires sans bornes et sans contrôle ; il commence à les apprécier à sa juste valeur et à s'en préoccuper. Il n'est peut-être plus un seul Belge assez ignorant de l'histoire contemporaine pour se figurer que les fortifications d'Anvers ont été construites, et la grande enceinte préférée à la petite, dans le but d'être agréable aux Anversois.
On sait que ce n'est là qu'un vote, qu'un moyen de couvrir les apparences et que le véritable but, c'est la défense du pays, bien ou mal entendue. On sait qu'Anvers n'a obtenu de deux maux le moindre que par une bonne fortune, par une coïncidence heureuse de l'intérêt militaire et de l'intérêt civil.
Il en est de même d'une partie des sommes qu'on vous demande aujourd'hui, notamment celles qui permettront de porter le nombre des portes de la ville à 14.
L'avantage civil n'est qu'une conséquence, le but est l'avantage militaire.
Je ne citerai qu'une preuve à l'appui de mon assertion. Le rapport fait le 17 mai 1856 par le général Goblet au nom de la section centrale de la Chambre dont faisait partie M. le ministre des affaires étrangères, réclamait, au point de vue de la défense nationale, l'agrandissement général exécuté aujourd'hui.
Cette section proposait le projet Keller, première forme de la grande enceinte. Le chef du département de la guerre, M. le général Greindl, critiqua les détails de ce projet, et l'une de ces principales critiques, c'était le nombre des portes que M. Keller ne mettait qu'au nombre de six, et que, dans l'intérêt de la défense, il fallait porter à 14.
(page 81) La nécessité stratégique des 14 portes était donc reconnue par le ministre de la guerre, et le général Goblet se ralliait à cette manière de voir.
Ce point éclairci, j'aborde la discussion générale.
Un argument qui séduit plusieurs membres de cette assemblée, et notamment l’honorable M. Nélis qui vient de me céder la parole, c'est qu'on déclare que ce sera le dernier crédit et qu'il ne sera suivi d'aucun autre.
L'expérience devrait cependant apprendre que c'est de ces termes qu'on se sert en toute circonstance, car, en général, on aurait peu de chance d'obtenir des crédits si l'on en annonçait d'autres dans l'avenir.
Le crédit de 48,925,000 fr., voté en 1859, devait suffire. L'honorable général Chazal, à plusieurs reprises, s'est fait fort de faire face à toutes les nécessités de la défense au moyen de ce chiffre.
Il était encore dans cette conviction en 1861, car il rappelait dans la séance de la Chambre du 19 février, « l'obligation qu'il s'était imposée de créer une place irréprochable en restant dans les limites des crédits alloués. » Ce sont ses propres paroles.
C'était donc le dernier crédit ; mais quelques mois plus tard, en décembre 1861, sur l’interpellation de la section centrale chargée d'examiner son budget, il annonce le premier excédant, celui dont il a parlé encore à propos du projet de dérogation à la loi de 1816 en faveur de la compagnie Pauwels.
A cette époque aussi c'était l'excédant définitif.
Je vais vous lire les paroles du ministre de la guerre dans la séance du 23 janvier 1862.
« Les devis du génie établissent que les fortifications d'Anvers ne coûteront positivement que ce qui est indiqué dans la note remise à la section centrale. Cette note renferme toutes les explications désirables. Il en résulte que le montant de l'estimation sera dépassé de trois millions 400 et quelques mille francs. »
Voilà donc, messieurs, ce qui était positivement vrai à cette époque, comme le chiffre de 5,575,000 francs est positivement vrai aujourd'hui.
On ajoutait, je dois le dire, une petite réserve aussi anodine que possible, c'est celle-ci :
« Jusqu'ici nous ne prévoyons pas d'autre augmentation. »
Ainsi tout en déclarant positivement que le chiffre ne serait pas dépassé, on faisait cette réserve nécessaire de la part de tout homme qui n'est pas infaillible : « Jusqu'ici nous ne prévoyons pas d'autre augmentation. » C'est ce qu'on fait encore aujourd'hui.
M. Coomans. - Mais nous prévoyons des augmentations.
M. Jacobsµ. - On avait donc en 1859 d'abord, en 1862 ensuite, les mêmes déclarations de M. le ministre de la guerre. La confiance qu'il paraît inspirer même aujourd'hui à un certain nombre de membres, il l'inspirait alors à un plus grand nombre, car quelques-uns sont devenus méfiants.
M. le ministre de la guerre doit maintenir sa réserve au sujet des éventualités imprévues et je vais lui citer quelques faits qui le mettront sur la voie de ce qu'il faut prévoir.
Vous avez appris, messieurs, que la compagnie entrepreneur des fortifications a intenté un procès au gouvernement et qu'elle lui réclame ni plus ni moins que 7 millions.
Dans ces sortes d'affaires, il arrive presque toujours que la réclamation n'est pas intégralement admise, mais il est rare aussi qu'elle ne soit admise en aucun point. Il y en a, si je ne me, trompe, 173, et je serais fort étonné que le jugement les abjugeât tous.
Il y a donc à tenir compte ici d'un excédant pour lequel on nous réclamera des fonds dans l'avenir.
Autre point ; la convention conclue entre le gouvernement et la compagnie Pauwels s'applique à un chiffre de travaux qui doit s'élever au maximum à 40 millions.
Les travaux que vous autorisez en votant le crédit exigeront donc un nouveau contrat.
La compagnie se contentera-t-elle des conditions qu'elle a acceptées pour les premiers travaux, c'est-à-dire une majoration de 4 p. c.
Aucun autre entrepreneur ne pourra faire concurrence à la compagnie Pauwels dont le matériel se trouve sur les lieux.
On devra passer par les conditions qu'elle fera, et ce ne sera plus une majoration de 4, mais peut-être de 14, 24, 34 p. c. qu'elle demandera. Je suis d'autant plus fondé à le croire qu'il est de notoriété publique, que si la compagnie perd son procès des 7 millions que le gouvernement paraît dédaigner, l'affaire d'Anvers aura été ruineuse pour elle. Elle ne peut donc admettre les prix faits en 1859 et il faut, dans son intérêt et dans celui de ses actionnaires, qu'elle exige des conditions plus avantageuses,
C'est là une seconde éventualité dont le gouvernement ne tient pas compte comme tout homme prévoyant doit le faire.
Il est, messieurs, une chose qui m'a frappé dans les divers motifs du crédit réclamé par le gouvernement : le moindre excédant, le moindre travail extraordinaire imprévu, donne lieu à une demande de fonds. Il n'est pas un pilotis enfoncé en dehors des prévisions dont on vous fasse grâce, mais on ne défalque aucune des économies qui ont été opérées.
A la lecture du projet, nous devions croire qu'aucune économie n'avait été faite. Ayant accordé une somme de 49 millions au gouvernement, il était cependant naturel qu'avant d'en obtenir cinq ou six autres, il nous donnât des détails sur l'emploi des premiers : il eût dû nous présenter d'une part le devis de 1859 et d'autre part les modifications faites à ce devis ; l'indication des dépenses imprévues et des économies, avec l'excédant des unes sur les autres ; j'aurais compris qu'alors il réclamât un crédit égal à cette différence.
Le gouvernement n'a rien fait de ce genre. Pour tous les ouvrages extraordinaires, il réclame des crédits ; mais il ne parle pas des dépenses supprimées ; il a fallu que quelques membres, bien moins au courant de l'affaire d'Anvers que MM. les ministres, indiquassent les principales économies réalisées : les deux forts, l'absence de revêtement des escarpes du camp retranché, la suppression de quatre casernes défensives.
Mis en demeure de se prononcer sur ces points, le gouvernement l'a fait ; mais de quelle manière ? Sans entrer dans aucun détail, en termes vagues et généraux.
Quant aux deux forts, on ne nous dit pas ce que sont devenus les fonds destinés à leur construction ; il est vrai que, dans l'une des réponses du ministre, je lis que l'un de ces forts n'était pas indiqué aux devis.
Je veux l'admettre quoique je n'aie pas vu les devis ; mais il est certain que la création de ce fort entrait dans les prévisions et dans le crédit.
L'exposé des motifs qui énumérait les différents ouvrages que l'on se proposait de construire les divisait en quatre points dont les deux derniers sont précisément les forts supprimés. Le crédit global devait suffire à tout. On demande au gouvernement ce qu'il a fait des fonds destinés à ces deux forts ; le gouvernement ne répond pas.
Je passe au revêtement des escarpes ; ici l'on répond, mais on se borne à dire : Nous avons employé les fonds à construire des abris et à augmenter les réduits. Mais sans nous apprendre si, de ce chef, on a réalisé une économie où s'il y a eu un excédant de dépenses. Il semblerait, d'après les explications du gouvernement, que ces abris voûtés ont coûté exactement, à un centime près, ce que devaient coûter les escarpes ; mais ne serait-il pas naturel de nous rendre, à cet égard, un compte détaillé et de nous dire : » Les escarpes ont été évaluées à 800,000 fr. par fort, soit une dépense globale de 5,600,000 fr. Chacun des réduits a coûté autant, chacun des abris autant. Il y a excédant ou déficit de tant. »
Il en est de même des casernes défensives. On se borne à nous apprendre qu'on a employé à construite deux casernes défensives plus grandes l'argent qui était destiné à la construction de six casernes moins grandes. Encore une fois aucune indication sur le coût de ces casernes.
Il est bien d'autres points sur lesquels des économies ont été réalisées par le département de la guerre. Ne nous a-t-on pas affirmé, à différentes reprises, que le travail exécuté par les militaires coûtait 4 ou 5 p. c. de moins que celui des ouvriers civils ? Comment ne tient-on pas compte de cette différence ?
Il en est de même pour les matériaux des places fortes démantelées. On a peut-être très bien fait de les employer à Anvers, mais si des valeurs appartenant au domaine sont affectées à ces travaux, il en doit être tenu compte ; il doit y avoir de ce chef une réduction de dépenses.
Je pourrais pousser cette énumération plus loin, je me bornerai à ces quelques points, ils vous permettront d'apprécier combien peu nous sommes éclairés sur la nécessité des fonds que le gouvernement nous demande.
Chose étrange, à mesure que les travaux diminuent et se simplifient, les dépenses augmentent. Il me semble impossible que la Chambre vote de confiance et uniquement parce que M. le ministre de la guerre les réclame, ces 5 à 6 millions. Ce serait abdiquer notre droit, notre devoir de contrôle, que de ne pas exiger un examen attentif, complet.
Deux sections ont trouvé utile de demander à M. le ministre de la guerre, d'une part en quelque sorte le devis des prévisions indiquées en 1859, et d'autre part les devis d'exécution, c'est-à-dire le relevé des travaux et des dépenses jusqu'à ce jour. On avait demandé que le devis de 1859 fût déposé sur le bureau pendant la discussion. M. le ministre de la guerre n'a pas daigné répondre à cette demande.
MfFOµ. - C'est une erreur ; il est sur le bureau.
MpVµ. - (page 82) Ce devis est déposé sur le bureau.
M. Jacobsµ. - On ne nous en a pas prévenus.
M. Orts. - Il fallait aller voir.
M. Jacobsµ. - Il me semble que c'était au rapporteur de la section centrale à indiquer si le ministre avait fait droit à la demande des sections. N'ayant été prévenu ni par le rapporteur ni par le bureau, je ne pouvais savoir que cette pièce était produite.
MfFOµ. - Il était très simple de demander si elle était déposée.
M. Jacobsµ.- Messieurs, à part ces considérations qui ont une portée générale et qui doivent frapper tous les membres de cette Chambre, il en est d'autres plus spéciales aux députés d'Anvers. Ce sont notamment celles-ci.
L'énumération des travaux décrétés par la loi du 8 septembre 1859 se trouve dans l'annexe n°1 de l'exposé des motifs de cette loi et est ainsi conçue :
« Le projet soumis à la législature comporte :
« 1° La construction d'une enceinte fortifiée partant de l'Escaut entre le fort du Nord et l'ancien fort Piémont et, passant entre le Dam et Merxem, et entre Borgerhout et Deurne, puis longeant la gorge des forts n°1, 3, 8 et 7, se reliant à la citadelle actuelle.
« 2° L'établissement d'un système de forts détachés dont le plus rapproché se trouve à 2,500 mètres environ de la nouvelle enceinte.
« 3° La construction d'un ouvrage destiné à servir de réduit à un fort en terre que l'on construira, en cas de siège, devant Merxem, pour empêcher le bombardement de la ville de ce côté.
« 4° La construction d'un fort en terrassements sur la rive gauche de l'Escaut, en regard d'Austruweel, fort destiné à compléter le système de défense du fleuve. »
Or d'une part, on supprime ces deux derniers forts qui, d'après les termes mêmes de cette annexe émanée du département de la guerre, devaient être élevés dans l'intérêt de la ville d'Anvers, l'un pour la mettre à l'abri d'un bombardement par terre, l'autre pour la protéger contre une attaque par eau ; et par contre, pour établir la compensation, on ajoute, comme vous l'a dit l'honorable colonel Hayez, la citadelle du Nord, dont il n'était pas fait mention en 1859, comme vous l'avez entendu.
L'honorable M. J. Jouret d'abord, M. le ministre de la guerre ensuite ont trouvé bon de revenir sur la légalité de cette citadelle et sur sa plus ou moins grande notoriété.
M. Dumortier. - Elle n'était pas connue.
M. Jacobsµ. - Elle n'était pas connue, me dit l'honorable M. Dumortier ; du reste, c'est un point accessoire : peu importe qu'elle fût connue de M. Jouret et qu'elle ne le fût pas de M. Dumortier, le tout est de savoir si elle est légale, c'est-à-dire officiellement connue de tous.
Eh bien, l'honorable général Chazal, dans une discussion précédente, en a été réduit à cette extrémité de devoir puiser la légitimité de la citadelle du Nord dans celle de l'enceinte, et de dire qu'elle en faisait partie.
Ceci, messieurs, ne résiste pas à l'examen : d'abord, parce que la loi décrète la démolition de l'ancienne enceinte et que vous conservez cependant l'ancienne citadelle. (Interruption.) En outre, vous dites dans l'annexe que « l'enceinte se relie à l'ancienne citadelle », vous distinguez donc une enceinte d'une citadelle. Vous y parlez de travaux d'une importance bien moindre, du réduit d'un fort à construire à Merxem ; dans l'annexe n°1 à l'exposé des motifs du projet de 1858, vous mentionniez une batterie casematée sur le fleuve, à l'extrémité de l'enceinte ; vous auriez pris la peine d'indiquer de tels ouvrages et vous n'auriez dit mot de la citadelle du Nord, de ce réduit de 136 hectares ? Allons donc !
M. le ministre de la guerre a d'ailleurs lui-même formellement reconnu que la citadelle du Nord est une forteresse distincte, en exigeant un rayon de servitude à l'entour d'elle-même vers la ville.
Je dois à ce propos lui faire remarquer qu'à en juger par la manière dont il a toujours traité cette question, il est évident qu'il ne l'a jamais comprise.
Nous ne demandons pas des indemnités pour les propriétaires grevés par les servitudes intérieures et qui étaient grevés antérieurement par les servitudes extérieures de l'ancien fort du Nord, nous voulons qu'il n'y ait pas de servitudes à l'intérieur de la ville, parce qu'elles sont contraires à la loi.
Messieurs, je n'abuserai pas davantage des derniers moments de cette session. Je conclus que la Chambre ne peut voter le crédit à défaut d'explications suffisantes, car ce serait une véritable abdication de sa part que de le voter de confiance.
La majorité surtout ne peut le voter. Elle n'aura pas oublié l'ordre du jour proposé par MM. Dolez, Orts et de Brouckere le 24 décembre 1863, ni les paroles que prononçait l'honorable M. Dolez en le développait avec l'assentiment de sous ses amis :
« Si, avec conviction et bonheur, disait-il, j'ai voté les dépenses antérieurement réclamées dans l'intérêt de la défense du pays, et si le pays a accepté ces dépenses avec patriotisme, je protesterais et le pays protesterait contre la proposition de dépenses nouvelles en vue de travaux à faire à Anvers. »
L'honorable M. Dolez déclarait donc, non pas en son nom personnel, mais comme mandataire de la majorité, qu'à part les dépenses déjà votées... (Interruption.)
MfFOµ. - Mais nous avons voté l'ordre du jour nous-mêmes. (Interruption.)
M. Jacobsµ. - Je ne vous défends pas d'être inconséquents.
M. Bara. - Il ne faut pas faire de la plaisanterie.
M. Jacobsµ. - Je crois donc, messieurs, que la majorité de la Chambre et le ministère lui-même peut, moins encore que la minorité, voter ce crédit sans inconséquence.
Je dois ajouter un mot en réponse à une parole que l'honorable général Chazal a dite tout à l'heure, probablement sans y avoir assez réfléchi. Il a affirmé qu'Anvers ne serait pas satisfaite alors même qu'on lui accorderait ce qu'elle demande, et que les élus d'Anvers ont moins pour but de faire obtenir satisfaction à leurs commettants, que de s'asseoir sur ces bancs.
Je lui offre de le prendre au mot, et il peut en faire autant à mon égard.
Qu'il donne aujourd'hui satisfaction à Anvers et nous permettrons demain à nos électeurs de choisir entre les candidats du ministère qui leur aura tout accordé et leurs mandataires actuels.
Je repousse le crédit par les raisons que je viens de faire valoir, je le repousse parce que le gouvernement substitue à deux forts qui devaient défendre Anvers un autre fort qui doit le détruire.
Je ne sais si c’est ainsi que le cabinet espère pacifier Anvers, je ne sais s'il fait consister le patriotisme à augmenter la force de notre dernier refuge sans rien faire pour en apaiser la population ; je ne sais s'il restera inexorable après la victoire comme il l'a été avant le combat ; mais je puis lui affirmer qu'Anvers ne s'incline pas devant le succès. Nos réclamations ne cesseront que lorsque nous aurons obtenu l'examen et le redressement de nos griefs ; et dussions-nous attendre vingt ans, comme l'Irlande au commencement de ce siècle, nous attendrons plutôt les armes à la main, que de nous rendre et de passer sous le joug.
M. David. - Depuis mon entrée dans cette Chambre, il y a dix-sept années, j'ai constamment et toujours voté contre toutes les dépenses militaires ; je les trouvais et je les trouve encore exorbitantes et exagérées pour un petit pays neutre comme le nôtre. J'en ai approuvé une seule, celle qui était nécessaire à la transformation de notre artillerie, et je la voterais encore aujourd'hui si elle nous était proposée, parce que, conservant une armée quelconque, forte ou réduite, nous devons lui donner les moyens de se défendre et de défendre le pays.
Je continuerai, messieurs, à refuser mon approbation au budget de la guerre et aux dépenses qui en découlent, aussi longtemps qu'ils ne seront pas considérablement réduits, mais je ne crois néanmoins pas pouvoir rejeter le crédit réclamé aujourd'hui pour l'achèvement des fortifications d'Anvers.
En voici les raisons.
Le crédit demandé est la conséquence d'une loi votée, la dépense qu'il est destiné à couvrir et que l'on peut considérer comme une dette, devra être payée d'une façon ou d'autre. Si nous le rejetons, un procès sera intenté à l'Etat par les entrepreneurs ; l'Etat succombera devant les tribunaux, le jugement à intervenir stipulera des dommages-intérêts en faveur des constructeurs ; la Chambre et le pays ne pourront se soustraire à l'exécution d'un arrêt de condamnation et la somme de 5,575,000 fr. réclamée aujourd'hui devra être portée à un chiffre bien supérieur et grèvera davantage le trésor public.
Un second motif pour moi, c'est que le rejet de la loi donnerait lieu à des embarras politiques qui peuvent compromettre l'avenir de l'opinion libérale ; les crises politiques ont eu déjà une durée assez longue, et le pays, j'en suis certain, désire que l'on sorte de l'état précaire dans lequel nous ne sommes restés que trop longtemps. Et il devient urgent pour la législature de s'occuper des intérêts matériels du pays et des réformes qu'il attend.
Par ces raisons, et celles données par divers orateurs, je voterai donc le crédit sollicité. C'est mon second et ce sera mon dernier vote favorable à une dépense militaire, aussi longtemps que le budget de la guerre ne sera pas considérablement réduit.
M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai écouté avec attention le (page 83) discours de M. le ministre de la guerre. Cependant même en me plaçant au point de vue de l'exécution d'une loi qui est diversement appréciée, mais qui n'est plus en discussion, je ne puis accorder mon vote au crédit sollicité par le gouvernement. Je reste convaincu qu'il existait une autre solution, meilleure au point de vue financier et au point de vue politique, qui eût épargné de nouvelles charges aux contribuables, assuré aussi efficacement la défense d'Anvers et ramené le calme dans la première cité commerciale du pays, dont il importe d'associer le patriotisme au dévouement de notre armée. S'il en est ainsi, mon devoir législatif me défend d'appliquer, à des dépenses qui eussent pu être évitées, une somme de cinq millions, aujourd'hui livrée au mouvement fécond de la richesse nationale, et qui, s'il fallait l'en retirer, serait plus utilement employée en la consacrant aux intérêts de l'agriculture, de l'industrie et de l'instruction publique.
M. Dolezµ. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour un fait personnel. S'il ne s'était agi que de moi, soyez convaincus que j'aurais gardé le silence.
Je n'ai pas l'habitude parmi vous (appelé que j'y suis pour défendre les grands intérêts du pays) de tenir grand compte de ma personnalité.
Si donc il n'y avait, dans le discours que vous venez d'entendre, que la tentative de me mettre personnellement en contradiction avec moi-même, je n'aurais pas répondu ; mais il ne s'agit pas de moi, il s'agit de la majorité de cette Chambre, il s'agit du gouvernement et je ne puis pas permettre que sous prétexte de me mettre moi-même en contradiction l'on accuse d'inconséquence la majorité et le gouvernement lui-même.
Permettez-moi donc, messieurs, de donner en deux mots l'interprétation des paroles que j'ai prononcées et qui ont été si mal comprises par l'honorable orateur que vous venez d'entendre.
Il y a, messieurs, deux sortes de crédits : il y a des crédits qui décrètent le principe d'une dépense, il y a des crédits, au contraire, qui servent à couvrir une dépense déjà décrétée.
Le crédit dont nous nous occupons en ce moment a uniquement ce dernier caractère ; la Chambre n'est pas appelée par la proposition du gouvernement à voter le principe d'une dépense nouvelle ; elle est appelée à donner au gouvernement le moyen de parfaire l'exécution de travaux que la Chambre a décrétés par son vote sur les fortifications d'Anvers.
M. de Naeyer. - Cela n'est pas exact.
M. Dolezµ. - C'est, au contraire, l'exacte vérité.
Maintenant, à l'époque où j'ai prononcé les paroles que l'honorable M. Jacobs vous a rappelées, de quoi s'agissait-il ? De la prétention de fortifier la rive gauche de l'Escaut ; et c'est en répondant à cette prétention que j'ai affirmé, comme j'affirme encore, que, pour mon compte, j'étais déterminé, avec une résolution que rien ne pourrait ébranler en moi, à ne voter aucune dépense nouvelle pour les fortifications d'Anvers.
M. Coomans. - Et nous non plus.
M. Dolezµ. - Nous sommes donc d'accord sur ce point. Mais ne confondez pas, je vous prie, les dépenses auxquelles je faisais allusion alors avec celles dont il s'agit en ce moment. Encore une fois, on ne nous demande pas de décréter le principe d'une dépense nouvelle ; il s'agit de fournir au gouvernement le moyen de payer des dépenses que nous avons décrétées.
Je suis bien au regret, messieurs, de troubler ainsi le plaisir que manifestaient vos rires de tout à l’heure ; mais la vérité ne me permettait pas de vous laisser cette satisfaction jusqu'au bout.
- Voix nombreuses. - Aux voix ! aux voix !
M. Delaetµ. - Je demande à dire deux mots.
- Voix à gauche. - Non ! non ! La clôture !
M. Delaetµ. - Nous avons bien laissé parler l’honorable M. Dolez, sans demander la clôture. Quand un membre de la gauche veut parler, vous ne demandez pas la clôture ; mais quand c’est un de nous, c'est tout autre chose.
MpVµ. - Je ne puis pas mettre la clôture aux voix quand elle n'est pas demandée ; maintenant qu'elle est régulièrement demandée, je ne puis vous accorder la parole que contre la clôture.
M. Delaetµ (contre la clôture). - Je m'oppose à la clôture parce que je désirerais prouver qu'au moyen de la démolition de la citadelle du Sud on pourrait fortifier toute la rive gauche de l'Escaut sans demander de nouveaux crédits.
- Voix nombreuses. - Non ! non 1 la clôture !
- La clôture est mise aux voix et prononcée.
« Art. 1er. Il est accordé au ministère de la guerre m crédit supplémentaire de 5,575,000 fr., pour l'achèvement des travaux d'agrandissement de la ville d'Anvers et des travaux de défense. »
- Plusieurs membres. - L'appel nominal !
- D'autres membres. - Non ! non !
M. Guillery. - Je demande la parole.
MpVµ. - L'appel nominal est régulièrement demandé ; je dois y faire procéder.
M. Guillery. - Je demande à faire très régulièrement une observation sur la position de la question.
Je comprends très bien qu'on demande l'appel nominal ; mais comme nous devons voter sur l'ensemble de la loi ce serait voter deux fois.
- Voix diverses. - On n'insiste pas.
- L'article premier est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Ce crédit sera couvert par une émission de bons du trésor. »
- Adopté.
« Art. 3. Notre ministre des finances est autorisé à aliéner au profit du trésor, jusqu'à concurrence de 44 hectares, les parcelles de terrain dépendantes du domaine de la guerre à Anvers, qui tombent en dehors des limites du terrain des fortifications et de la route militaire. »
- Adopté.
« Art. 4. La présente loi sera obligatoire le lendemain du jour de sa promulgation. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal.
06 membres y prennent part,
54 répondent oui.
48 répondent non.
4 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre adopte. Le projet de loi sera envoyé au Sénat.
Ont voté l'adoption : MM. Pirmez, Rogier, Sabatier, Tesch, T'Serstevens, Valckenaere, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Iseghem, Van Nieuwenhuyse, Van Overloop, Vleminckx, Warocqué, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier-Evenepoel, Braconier, Bricoult, Carlier, David, de Bast, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Kerchove, de Macar, de Moor, de Rongé, de Vrière, Devroede, Dewandre, Dolez, Dupont, Elias, Frère-Orban, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Lippens, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts et E. Vandenpeereboom.
Ont voté le rejet : MM. Reynaert, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Tack, Thibaut, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Vau Hoorde, Van Renynghe, Van Wambeke, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, Debaets, François de Borchgrave, Guillaume de Borchgrave, de Conninck, de Haerne, Delaet, Delcour, de Liedekerke, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, Dubois d'Aische, Dumortier, Goblet, Grosfils, Guillery, Hayez, Jacobs, Janssens, Kervyn de Lettenhove, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Le Hardy de Beaulieu, Magherman, Moncheur, Notelteirs et Nothomb.
Se sont abstenus : MM. Couvreur, Funck, Giroul et Van Humbeeck.
MpVµ. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Couvreurµ. - Je n'avais pas l'honneur de faire partie de cette assemblée quand on y a voté la loi sur les fortifications d'Anvers. Opposé en principe à ces fortifications, je n'ai pas voulu donner à mes convictions économiques le démenti d'une sanction rétrospective. Je n'ai pas, d'un autre côté, voulu voter contre ce crédit, parce que, comme on nous a déclaré que c'est le dernier, j'ai trouvé bon et juste de laisser toute la responsabilité de cette œuvre à ceux qui en ont pris la détermination.
M. Funckµ. - J'ai toujours été l'adversaire des fortifications d'Anvers et je le suis encore. Si j'avais eu l'honneur de faire partie de la Chambre en 1859, j'aurais parlé et voté contre ce système de défense.
C'est pour ce motif que je n'ai pas voté pour.
Je n'ai pas voté contre, d'abord parce que les travaux sont trop avancés pour que l'on puisse sérieusement en demander la démolition ; ensuite parce que je n'ai pas voulu, par un vote négatif, entraver la marche d'un gouvernement dans lequel j'ai confiance et duquel j'attends beaucoup, dans la session prochaine, dans l'intérêt de l'opinion que je représente.
M. Giroulµ. - (page 84) Messieurs, en 1859, j'étais opposé au principe des fortifications d'Anvers, et si j'avais été à cette époque membre de la Chambre, mon vote eût été négatif sur le projet de loi. L'opinion que j'avais à cet égard en 1859, je l'ai encore aujourd'hui. Je pensais, et je pense encore que le système de défense adopté pour Anvers doit entraîner le pays, chaque année, dans de grandes dépenses militaires ; je pense que ce système a pour conséquence nécessaire l'obligation de voter à toujours un budget de la guerre semblable à celui qui pèse actuellement sur la Belgique.
Dès lors, adversaire du budget de la guerre, tel qu'il est établi actuellement, le considérant comme exagéré, comme hors de proportion avec nos ressources, comme contraire à la position qui convient, selon moi, à un Etat neutre comme la Belgique, à un Etat dont la neutralité est garantie par toutes les grandes puissances, je n'ai pu voter pour le projet de loi qui est soumis à vos délibérations.
Mais je n'ai pas voté contre, parce que nous étions placés en présence d'un crédit tendant à l'accomplissement d'un travail presque achevé, et que 49 millions sont déjà dépensés pour ces travaux ; et' comme l'a dit l'honorable rapporteur de la section centrale, émettre un vote négatif en pareille circonstance, ce serait frapper de stérilité les travaux déjà commencés. En conséquence, malgré mon opposition au principe des fortifications d'Anvers, je n'ai pas cru devoir donner un vote négatif.
C'est pour ces divers motifs que je me suis abstenu.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je suis, comme l'honorable préopinant, opposé au principe des fortifications d'Anvers. Depuis quatre ans, j'ai saisi toutes les occasions pour protester par mon vote contre un fait accompli que je ne pouvais approuver. Ma première pensée a été de présenter, cette fois encore, ma protestation sous la même forme et d'émettre un vote négatif sur le projet de loi en discussion. Mais, considérant que dans les circonstances actuelles la conséquence pratique du vote négatif d'un certain nombre de membres de la gauche serait de replonger le pays dans la crise dont il vient à peine de sortir, et ne voulant pas, pour ma part, accepter la responsabilité d'un vote qui aurait de pareilles conséquences, j'ai cru devoir cette fois présenter ma protestation sous une forme plus modérée. Voilà pourquoi je me suis abstenu.
MpVµ. - Rien n'est plus à l'ordre du jour.
La Chambre s'ajourne indéfiniment.
- La séance est levée à 4 1/2 heures.