(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 681) M. Thienpont procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Van Humbeeck donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Anvers demandent la révision de l'article 47 de la Constitution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Des habitants de Saint-Gilles demandent des modifications à l'article 19 de la loi électorale, à l'article 2 de la loi du 12 mars 1848 et le vote à la commune. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des articles 47 et 53 de la Constitution. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Bouvigny prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »
« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de St-Martin-Balâtre. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Tongres prie la Chambre d'accorder au sieur Pousset la concession de chemins de fer provinciaux limbourgeois. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal d'Ursel prie la Chambre d'accorder au sieur Hoyois la concession d'un chemin de fer de Roulers à Selzaete. »
« Même demande du conseil communal d'Aeltre et de l'administration communale de Bassevelde qui réclame une modification au tracé de cette ligne. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.
« Le sieur Agniez dit Agnesi transmet des pièces à l'appui de sa demande de naturalisation, »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Ruysbroeck prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »
« Même demande d'habitants d'Ixelles et de Drogenbosch. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale et les habitants de Tervueren prient la Chambre d'accorder aux sieurs Dessigny et de la Hault la concession d'un chemin de fer direct de Bruxelles à Huy. »
- Même renvoi.
« MM. Helle et cie font hommage à la Chambre de cinq exemplaires d'un projet de travaux publics concernant l'assainissement et l'embellissement de Bruxelles, et le raccordement direct des stations de l’Etat par un chemin de fer souterrain à travers Bruxelles, avec débarcadère central. »
-Dépôt à la bibliothèque.
M. le ministre des travaux publics (M. Vander Stichelen. - Messieurs, d'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi portant abaissement de la taxe pour le transport des échantillons par la poste à l'intérieur du pays.
M. de Renesse. - Je propose de renvoyer ce projet de loi à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.
- Ce renvoi est décidé.
M. Delcourµ. - Je me propose d'adresser une demande à M. le ministre des travaux publics.
Par ordre du gouvernement, des travaux de rectification ont été faits au cours de la Dyle. Ces travaux effectués en amont des communes de Boort-Meerbeek, d'Hever, de Rymenam et de quelques autres commune», ont multplié les dangers très sérieux des inondations auxquelles ces communes sont exposées.
Le conseil provincial du Brabant, dans sa dernière session a appelé l'attention du gouvernement sur ce point. Il a chargé la députation permanente de prier M. le ministre de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser ces dangers, et l'engager à ce que les travaux commencés soient poursuivis avec activité.
J'appuie le vœu exprimé par la députation permanente du conseil provincial, et j'espère que M. le ministre voudra bien tenir compte d'une demande qui me paraît très légitime.
J'ai pris quelques informations auprès des personnes les plus compétentes ; il paraît que les travaux à exécuter n'entraîneront pas une dépense considérable pour l'Etat. On parle d'une somme même assez minime relativement aux avantages qui en résulteraient pour les propriétaires riverains.
C'est la seule observation que j'avais à présenter, et je prie M. le ministre de vouloir bien en prendre note.
M. David. - Messieurs, depuis quelques années les transports par chemin de fer ont pris une extension vraiment remarquable. L'exploitation des lignes ferrées depuis assez longtemps déjà donne de beaux produits à leurs entrepreneurs et à leurs actionnaires. Aussi attire-t-elle l'attention des capitalistes qui versent maintenant très volontiers leur argent dans ces sortes d'entreprises. La position des chemins de fer est assez favorable pour qu'aujourd'hui on ne nous demande plus aucune garantie de minimum d'intérêt ni aucune combinaison financière qui dans un avenir plus ou moins éloigné pourrait compromettre les finances de l'Etat.
Les demandes qui nous sont faites, messieurs, sont des demandes en concession pure et simple aux risques et périls des entrepreneurs. J'ai donc entendu avec une peine véritable l'honorable ministre des travaux publics nous dire que, et cela précisément dans le moment ou ces sortes d'entreprises prenaient un grand essor, il allait renoncer à accorder des concessions nouvelles.
Prendre une pareille décision, c'est ralentir l'esprit d'entreprise, c'est éloigner les capitaux qui seraient destinés à la construction de chemins de fer en Belgique ; c'est de plus commettre une injustice à l'égard de certaines contrées qui jusqu'à présent n'ont pas encore profité des bienfaits de ces voies rapides et économiques de transport.
Notre devoir, messieurs, est de favoriser par tous les moyens l'établissement de nouvelles voies de communication ; nous avons encore beaucoup de contrées en Belgique qui attendent des constructions de chemins de fer et j'espère que d'autres honorables membres de cette Chambre se joindront à moi pour demander au gouvernement qu'au moins lorsqu'on ne nous réclame aucune espèce de sacrifice, on accorde des concessions qui ont un véritable intérêt général.
C'est ainsi que pour un chemin de Bruxelles à Saint-Vith et devant aboutir à Mayence, qui traversera une partie de mon arrondissement, il y a des demandeurs en concession qui paraissent sérieux.
Ces messieurs, à ce qu'on m'assure, ont fait faire des études minutieuses sur le terrain. Ce n'est pas un projet de chemin de fer en l'air, et j'espère que M. le ministre dts travaux publics voudra bien examiner au moins cette demande de concession avec sollicitude.
Ce chemin de fer serait d'une grande utilité au point de vue international. Il desservirait le centre de la Belgique et serait la voie la plus courte pour se rendre au centre de l'Allemagne et dans une partie du midi de ce pays.
Il traverserait la partie ardennaise et l'arrondissement de Verviers, c'est-à-dire le canton de Stavelot de l'Ouest à l'Est contrée qui jusqu'à présent a été à peu près privée de routes. C'est en effet depuis très peu d'années que nous avons dans cette partie quelques routes empierrées. Il est très nécessaire au développement de l'industrie et de la richesse de cette partie du pays, qu'on pense à lui donner des chemins de fer ; elle a contribué à l'exécution de ceux qui sillonnent le reste du pays depuis longtemps déjà.
J'appellerai donc tout spécialement l'attention de M. le ministre des travaux publics sur ce chemin de fer dont la concession paraît sollicitée, je le répète, par des capitalistes sérieux qui ne réclament aucune espèce d'intervention du trésor public.
Il faut prendre garde de laisser échapper une bonne occasion. Nous (page 682) sommes dans des temps où l'on place volontiers son argent dans les chemins de fer, mais il pourrait arriver des moments de crise où ces sortes d'entreprises seraient abandonnées ; Dieu sait quand alors des chemins de fer comme celuî dont je parle pourraient être repris et demandés de nouveau en concession !
Ne plus vouloir admettre aucune demande en concession est chose très dangereuse, c'est peut-être priver à tout jamais une contrée d'un chemin de fer de la plus haute utilité, qu'elle pourrait obtenir en ce moment.
Je crois cette considération assez importante pour que M. le ministre des travanx publics examine avec bienveillance la demande en concession dont il s'agit.
M. Van Leempoel. - Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si l'on peut espérer une solution relativement au chemin de fer de Beaumont vers Frameries et de Beaumont vers Thuin. Les habitants du canton le plus intéressé, qui est privé de canaux et qui n'a que des routes presque impraticables, m'ont invité à prendre des renseignements quant à cette affaire qui est depuis très longtemps en souffrance.
M. Hymans. - Messieurs, le gouvernement a pris une excellente mesure en abaissant les tarifs des transports sur les chemins de fer ; c'est un grand service rendu aux consommateurs et ce n'est pas moi qui m'en plaindrai.
Mais il est difficile de servir des intérêts sans en froisser d'autres ; et c'est ce qui est arrivé dans la circonstance. La réduction du prix des transports sur le chemin de fer a porté un coup très rude aux transports par les voies navigables. La concurrence est devenue aujourd'hui très difficile, sinon impossible. Nous avons reçu de nombreuses pétitions de bateliers de différentes parties du pays ; nous en avons reçu de Liège ; nous en avons reçu des bateliers du canal de Charleroi. Nous avons renvoyé ces pétitions à l'examen de la commission permanente de l'industrie en demandant un prompt rapport qui ne nous a pas encore été présenté. Le gouvernement, de son côté, a nommé une commission pour examiner les mesures d'ensemble relatives à la révision des tarifs des voies navigables. Il serait utile que la question fût résolue le plus tôt possible. De nombreux intérêts sont en souffrance et notamment l'intérêt des bateliers, population éminemment respectable à laquelle la Chambre a déjà donné en maintes circonstances des preuves de sa sollicitude.
Déjà les conséquences de la nouvelle situation se font sentir. Ainsi la circulation sur le canal de Charleroi était en moyenne de 90 bateaux par jour en cette saison. Elle n'est déjà plus que de 70 à 73.
La concurrence est difficile aujourd'hui, et si la situation est maintenue, elle deviendra tout à fait impossible en hiver, alors que les voyages sont plus longs, les heures consacrées à la navigation étant moins nombreuses.
Outre l'intérêt des bateliers, il y en a un autre, c'est celui du halage. Les entrepreneurs du halage ont fait avec le gouvernement des contrats très onéreux ; ces entreprises se trouvent aujourd’hui presque ruinées, par suite de l'incertitude qui règne dans cette affaire ; elles ne peuvent pas diminuer le nombre de leurs chevaux ni leurs frais généraux ; ainsi pour ne citer qu'un exemple, l'entrepreneur du halage du canal de Charleroi est obligé de posséder 27 écuries sur les bords du canal entre Charleroi et Bruxelles.
Il est certain, messieurs, qu'un grand trouble a été jeté dans une industrie importante. J'insiste par conséquent pour que la question soit résolue le plus tôt possible.
En dehors des considérations que j'ai présentées, il me semble que la logique exige que la question soit résolue au plus tôt, car l'Etat ne cause pas seulement un préjudice à des tiers, il perd lui-même la plus grande partie des recettes qu'il devrait faire sur les voies navigables.
M. Guillery. - Messieurs, dans la discussion qui nous occupe, un honorable membre a cru devoir faire une excursion sur le terrain du budget de la justice pour critiquer l'intervention du gouvernement dans la construction du palais de Bruxelles.
Il a critiqué aussi l'intervention du gouvernement dans la construction de l'avenue du bois de la Cambre.
Je reconnais, messieurs, très volontiers la compétence de l'honorable membre et je constate que ses observations sont le fruit de longues et consciencieuses études ; mais il m'est impossible de laisser sans réponse les attaques dirigées à la fois et contre le gouvernement et contre l'administration communale de Bruxelles.
D'après l'honorable membre, l'intervention du gouvernement dans la construction du palais de justice serait tout à fait anomale et aurait eu pour conséquence de faire faire au gouvernement, dans la construction de ce monument la plut colossale absurdité des temps anciens et modernes. Comme on le voit, l'honorable membre ne ménage pas ses expressions ; il exprime très nettement sa manière de voir :
« On est arrivé à les obliger à un plan que je n'hésite pas à qualifier la plus colossale absurdité des temps anciens et modernes, absurdité telle que si l'on est parvenu à expliquer plus ou moins scientifiquement l'utilité des pyramides d'Egypte, jamais l'on n'expliquera celle de la dépense que l'on veut faire pour le palais de justice, et vous allez en juger à l'instant même.
« Vous connaissez tous, messieurs, le monolithe, qu'on appelle le palais Ducal. Mettez-en huit à côté les uns des autres ; ce sont seulement les fondations du palais projeté ; il n'y a pas encore une brique qui sert à loger la justice. Ce sont les simples fondations.
« Quand vous aurez construit cet immense bloc, vous aurez à y établir le palais de justice et il n'est pas même certain que ces fondations suffiront pour soutenir le palais. Et pourquoi ? Parce qu'elles seront établies sur un terrain déclive plein de sources et qu'il n'est pas certain que ces sources ne mineront pas les fondations. »
Je sais, messieurs, que l'honorable membre obéit à de sincères et anciennes convictions, mais il faut reconnaître que si ses convictions sont sincères elles sont toujours restées isolées.
M. Coomans. - Non, non ! Il n'est pas seul.
M. Guillery. - Je parle du passé, et je suis convaincu que lorsque l'honorable M. Coomans connaîtra la question, il ne persistera pas dans son assertion.
C'est une protestation solitaire et ancienne de l'honorable membre contre tout ce qui s'est fait tant à l'égard du palais de justice, qu'à l'égard de l'avenue du bois de la Cambre.
La discussion a porté, au sein du conseil provincial du Brabant, sur l'emplacement du palais de justice ; la proposition faite par l'honorable membre a été rejetée à une très grande majorité, par 41 voix contre 6 et 7 abstentions. Or, dans ces 41 voix se trouvaient des représentants de toute la province qui certainement étaient aussi impartiaux dans une question semblable que peuvent l'être les représentants de tout le pays ; la ville de Bruxelles était représentée au conseil provincial par 14 députés dont un faisait de l'opposition à l'emplacement projeté et dont 13 seulement lui étaient favorables.
Depuis 25 ans on a discuté l'emplacement du palais de justice de Bruxelles ; depuis 25 ans, toutes les autorités consultées ont été unanimes pour déclarer que le palais de justice de Bruxelles ne pouvait pas être maintenu à la place qu'il occupe aujourd'hui.
En 1840, un projet a échoué, et cet échec a amené un ajournement indéfini de toute espèce de construction d'un palais de justice, bien que tout le monde reconnût l'urgence d'une pareille dépense.
Depuis, de nouveaux projets ont été faits, de nouvelles études ont été poursuivies avec la plus grande persévérance ; et dans chaque session du conseil provincial on protestait contre les dépenses inutiles qu'entraînait l'entretien d'un palais qui tombe en ruines et que tout le monde reconnaissait devoir être remplacé bientôt.
Une lettre de M. Liedts, qui a laissé des souvenirs si honorables de son intelligente administration de la province de Brabant, constatait en 1852 ces plaintes permanentes du conseil provincial, et suppliait le gouvernement d'en finir avec ce projet qui était réclamé de tout le monde avec les plus vives instances.
Qu'a-t-on fait ? De l'avis de tous les hommes compétents consultés, de l'avis de toutes les commissions nommées, de commissions de magistrats et d'architectes, de l'avis de l'autorité provinciale, de l'autorité communale et du gouvernement, on a choisi l'emplacement actuel, qui est le plus heureux qu'on pût trouver ; non seulement il se prête parfaitement à l'érection d'un monument aussi grandiose que doit l'être le palais de justice, destiné à loger ce qu'on appelle en Belgique le pouvoir judiciaire ; mais il est encore pour la ville de Bruxelles un moyen de relier un quartier déshérité au haut de la ville et d'assainir de malheureuses rues qui aujourd'hui sont complètement abandonnées.
Il s'agit donc à la fois de la construction d'un monument indispensable, et d'une grande amélioration à réaliser dans un des quartiers les plus déshérités de la capitale.
L'autorité communale a appuyé le projet ; le conseil provincial de Brabant par 41 voix contre 6 et 1 abstention a partagé cette opinion, et enfin le gouvernement s'est rangé au même avis.
Le gouvernement devait-il intervenir dans la dépense ?
Le gouvernement intervient souvent dans des travaux d'utilité publique qui sont à la charge des communes. Ici toutefois ce n'est pas le cas ; ainsi que l'a dit l'honorable M. Orts, le gouvernement n'est pas intervenu sous forme de subsides ; mais il est intervenu dans la dépense, parce qu'il doit la supporter. Voici dans quelle proportion, telle qu'elle est formulée dans une lettre de M. le ministre de la justice lui-même : le gouvernement doit fournir dans le palais de justice 99 salles, la province 108 et la ville 24.
(page 683) Voilà, messieurs, en quoi la ville de Bruxelles doit intervenir dans la dépense : pour 24 salles sur 221. Et néanmoins la ville de Bruxelles assume un sixième de la dépense ; et, en outre, elle assume la charge d'acquérir les terrains nécessaires pour qu'une grande place entoure le palais de justice et de payer la dépense à résulter de l'ouverture des rues qui doivent y aboutir.
Eh bien, malgré cela Bruxelles intervient dans la dépense pour un sixième, tandis que la province, qui a 108 salles à fournir, n'intervient également que pour une somme fixe de 2 millions, qui ne peut être dépassée, d'après le vote émis, en 1863, au sein du conseil provincial.
Cette résolution, messieurs, ne doit donc pas, comme on vous l'a dit par une très grande erreur, entraîner la province dans des dépenses ruineuses, car le vote du conseil provincial limite à deux millions, comme maximum, l'intervention de la province.
Si maintenant, contre toute attente, le gouvernement excédait le devis, l'excédant de dépense serait à sa charge et non à la charge de la province.
Ainsi donc la ville de Bruxelles, qui ne devait intervenir dans la dépense que pour 24 salles sur 251, intervient pour un sixième; la province qui devait intervenir pour 108 salles, c'est-à-dire près de cinq fois plus que la ville de Bruxelles, n'intervient que pour une somme fixe et invariable ; enfin le gouvernement, qui devait 99 salles, intervient pour le reste de la dépense.
Le gouvernement, messieurs, intervient souvent dans la construction de monuments semblables, alors même qu'il n'a pas, comme c'est ici le cas, à intervenir directement. C'est ainsi que, dans la construction du palais de justice de Gand, l'Etat est intervenu pour une somme de 450,000 francs, et je ne crois pas qu'aucune dépense fût à sa charge.
Vous voyez donc que nous n'en sommes pas encore à la plus colossale absurdité des temps anciens et modernes.
La construction doit-elle coûter autant que le pense l'honorable membre, et les fondations doivent elles être représentées par huit monolithes de la dimension du palais Ducal ?
Il est permis d'en douter. Toutes les personnes qui ont été consultées, qui ont examiné les plans les ont complètement approuvés. L'architecte chargé de la construction est un des plus expérimentés, un des plus distingués que possède la Belgique, et j'ose dire que, dans tout autre pays, il serait un des architectes les plus distingués.
M. Hymans. - Et l'un des plus chers.
M. Guillery. - Le devis porte le prix des fondations à onze cent mille francs et nous n'avons aucune espèce de motif pour penser que ce devis sera dépassé.
Je sais qu'on a reproché au palais de justice futur de se trouver sur un terrain en pente. Mais, messieurs, il est assez difficile à Bruxelles de trouver un emplacement pour un monument aussi considérable sur un terrain parfaitement plat ; je ne sais pas si l'on pourrait trouver dans toute la ville un second emplacement aussi heureusement choisi que le grand espace libre qui longe la rue aux Laines.
L'honorable M. Le Hardy de Beaulieu aurait voulu que l'on construisît ce monument sur l'emplacement actuel. Or, s'il y a jamais eu un terrain offrant une différence de niveau considérable, c'est, à coup sûr, celui où se trouve le palais de justice actuel. Le local du tribunal de première instance est à la hauteur du premier étage de la cour de cassation.
Je termine ici, messieurs, ce que je voulais dire du projet de palais de justice. Vous voyez que l'intervention du gouvernement n'a nullement eu le caractère d'un subside accordé à la ville de Bruxelles; qu'au contraire, en considération de ce que ce monument devait servir à l'embellissement de la capitale, elle a contribué à la dépense pour une somme plus forte que la loi ne l'y obligeait.
Quant au monument lui-même, je le répète, on a consulté les personnes compétentes, et l'emplacement et les projets ont reçu l'assentiment de toutes les personnes qui ont été consultées ; au palais, dans la magistrature et le barreau, l'opinion publique est très favorable à ce qui est projeté; si jamais affaire a été instruite, c'est celle-là.
J'arrive à l'avenue qui conduit au bois de la Cambre. L'honorable membre a dit :
« Pour le bois de la Cambre, la ville de Bruxelles avait contracté pour une somme de 775,000 fr., et par suite de l’intervention de l'administration, elle a été conduite à faire une dépense de 2 millions. Or, non seulement les travaux ne sont pas achevés, mais si l'on examine les aqueducs et autres travaux d'art qui ont été exécutés, on les trouve déjà complètement en ruine et l'on sera obligé de les réparer à grands frais, avant même l'ouverture de l'avenue. »
S'ils sont complètement en ruine, il ne suffira pas de les réparer, il faudra les reconstruire. C'est encore là une erreur de fait; il n'y a aucun des travaux de l'avenue du bois de la Cambre qui soit en ruine.
II y a quatre aqueducs en travers de l'avenue, ce sont les seuls ouvrages qui aient été faits, ils sont dans un état excellent.
Le gouvernement est intervenu, c'est vrai.
Dans une lettre du 4 octobre 1858, il faisait connaître à la ville qu'il considérait l'avenue comme grande voirie, qu'il en demandait l'élargissement de 35 à 55 mètres.
Comme corollaire de cette exigence, il offrit d'intervenir pour une somme de 350 mille francs. Pour un travail aussi considérable, on conviendra que le subside n'a rien d'exagéré.
L'honorable membre attribue à cette intervention des hésitations qui ont empêché de faire marcher les travaux plus rapidement. Si les travaux n'ont pas marché plus rapidement, c'est que la ville n'était pas en possession de l'avenue ; depuis qu'elle l'est, qu'elle est convaincue qu'elle travaille pour elle et non pour autrui, les travaux sont poussés avec la plus grande activité.
L'honorable membre a considéré comme inutile l'élargissement de l'avenue. Je fais appel à tous ceux qui ont parcouru l'avenue, tout le monde n'a-t-il pas trouvé qu'elle était trop étroite?
- Plusieurs membres. - Elle l'est encore aujourd'hui.
M. Guillery. - Est-ce qu'encore aujourd'hui on ne la trouve pas trop étroite ? On dit que la ville a fait un ouvrage mesquin. Si on ne l'avait pas élargie, si on l'avait laissée à 35 mètres, les plaintes auraient été plus légitimes encore.
L'intervention du gouvernement a été intelligente, elle a amené une véritable amélioration dans la construction de la route. Par suite de cet élargissement de 35 à 55 mètres, il a fallu élargir les aqueducs, non des aqueducs écroulés, mais des aqueducs en bon état; on les a agrandis. Je tiens en main un document officiel qui prouve qu'ils sont en parfait état.
Ce qu'il y a eu et ce qui a pu donner lieu à l'erreur, c'est qu'un entrepreneur a fait, il y a deux ans, un aqueduc qui s'est écroulé et qu'il a fallu reconstruire. C'est ce qui arrive dans tous les pays. On peut exiger que l'entrepreneur qui a fait un mauvais ouvrage recommence à ses frais ; mais on ne peut pas toujours empêcher ni prévoir de tels accidents.
Dans l'état actuel des choses, j'ai pris des renseignements, je n'ai pas besoin de vous dire que je les ai pris à bonne source ; je les ai pris à la ville de Bruxelles. Les travaux d'art sont en parfait état de conservation, et il n'y a pas l'ombre d'une ruine. Je ne comprends pas, d'ailleurs, comment en quelques années il pourrait y avoir des ruines.
L'avenue se construit avec le plus grand soin, avec la plus grande activité.
Je me résume en disant que dans l'un et l'autre cas, l'intervention du gouvernement a été très légitime, très sage et que, loin d'amener la perturbation dans la conduite des travaux, elle a été au contraire très utile et n'a fait que consacrer et amener des améliorations.
M. de Rongé. - J'ai l’honneur de déposer sur le bureau de la Chambre le rapport de la commission permanente d'industrie sur la pétition des bateliers de Rongy qui demandent la réduction et l'unification du droit de patente.
- Le rapport sera imprimé, distribué et son objet mis à la suite de l'ordre du jour.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - L'honorable M. Guillery qui vient de prendre la parole a fait la même erreur, si je ne me trompe, que son prédécesseur M. Orts. Il m'a prêté des opinions que je n'ai pas. Je n'ai pas attaqué l'intervention pécuniaire du gouvernement, ni dans le palais de justice, ni dans la construction de l'avenue du bois de la Cambre. J'ai attaqué l'intervention de l'administration dans l'adoption des plans et du palais de justice et de l'avenue du bois de la Cambre, intervention persistante qui a forcé de guerre lasse les administrations responsables électives de changer les votes qu'elles avaient précédemment émis en diverses circonstances.
Voilà donc la seule intervention que j'ai attaquée et non pas l'intervention pécuniaire du gouvernement, comme on semble vouloir le faire croire. Pourquoi ai-je attaqué It question du palais de justice ? L'honorable M. Guillery vient de vous donner, à ce point de vue, la raison la plus péremptoire.
Je suis convaincu que le devis de 12 millions qui a été présenté pour le palais de justice sera dépassé non seulement de moitié, mais qu'il sera (page 684) doublé, et ici je me base sur l’étude des plans qui ont été fournis au conseil provincial il y a deux ans.
Or, le conseil provincial a voté 2 millions, soit un sixième. La ville de Bruxelles n'a pas limité son action, elle a également voté un sixième. Donc s'il y a un excédant de dépenses, c'est nous qui devrons le payer et c'est pour cela que je me suis cru en droit d’apporter préventivement cette question devant la Chambre, afin de la préparer pour le moment où l’on viendra lui demander les crédits nécessaires.
Pourquoi suis-je certain que les devis seront dépassés ? Par une raison que tout le monde comprendra très facilement.
Je prends pour point de comparaison l'église de Laeken, Voilà 14 ans que l'on y travaille. Cette église se trouve au pied d'un canal, au pied d'un chemin de fer. Les moyens de transport sont là des plus faciles pour faire arriver les matériaux à pied d'œuvre.
Le palais de justice que l'on se propose de construire se trouve dans le quartier le plus inabordable de la ville de Bruxelles. Tous les matériaux de cette colossale construction devront être conduits, par des pentes excessivement fortes, à pied-d'œuvre.
Or, pour tous ceux qui connaissent la construction, la question des frais de transport augmente dans une proportion excessivement considérable, non seulement les frais de construction, mais encore le temps nécessaire pour faire la construction.
Voilà une des raisons pour lesquelles je suis convaincu que la somme fixée au devis sera largement dépassée, et c'est pourquoi j'ai introduit cette question dans la présente discussion.
Une autre raison, celle que j'ai tâché de faire prévaloir devant le conseil provincial et que je tâcherai de faire prévaloir devant la Chambre, c'est que si nous sommes obligés, ville, province, Etat, de fournir les locaux les plus satisfaisants, les plus monumentaux même à la justice ; nous ne sommes pas obligés de fournir aux architectes des fondations aussi colossales, aussi dispendieuses, aussi inutiles que celles sur lesquelles devra s'établir le palais de justice.
On peut parfaitement avec une dépense de 4 millions, cela a été démontré de la façon la plus péremptoire par les hommes les plus compétents, construire le Palais de Justice le plus complet, le plus monumental, le plus convenable pour la justice.
Or, je dis que nous n'avons pas le droit, et c'est pourquoi je maintiens mon opposition et pourquoi je la maintiendrai jusqu'au bout, de dépenses, 8, 10, 12 millions de plus qu'il n'est strictement nécessaire, millions qui pou raient être employés à des usages plus utiles aux populations et plus utiles aux contribuables.
M. Coomans. - Cela est vrai.
M. Le Hardy de Beaulieuµ. - Maintenant quant à la question de l'avenue du bois del la Cambre, je vais en parler en deux mots parce qu'elle est basée sur le même principe.
L'intervention de l'administration qui s'est manifestée par un changement introduit dans les plans adoptés par la commission spéciale nommée à cet effet, après que ces plans avaient été approuvés par la ville de Bruxelles, a forcé celle-ci à dépenser au lieu de 775,000 fr. qui était le prix du contrat qui se trouve entre les mains de l'administration communales, une somme qui excédera probablement 2 millions.
Voila le fait que j'ai avancé et contre lequel j'ai protesté.
Maintenant quant à ce que j'ai dit de l'état où se trouvent les travaux d'art sur la voie nouvelle, je le maintiens complètement. J'ai vu moi-même les aqueducs défoncés. Je les ai vus abaissés de 50 ou 60 centimètres au centre de l'avenue. Je ne sache pas qu'ils aient été réparés.
On a dit que cette intervention du gouvernement avait amené l'élargissement de l'avenue du bois de la Cambre. C'est là une complète erreur. Les plans de l'avenue ont toujours été faits sur une largeur de 55 mètres ; cette largeur restera.
La seule différence qui existe entre le plan actuel et l'ancien plan, c’est qu'on a supprimé les jardins qui devaient se trouver devant les maisons pour les remplacer par des rues, de sorte qu'au lieu d'une avenue nous avons une rue ou plutôt deux ruelles ; au lieu d'avoir de l'air, de l'espace, de la lumière des deux côtés, il y aura d'un côté des maisons et de l’autre des arbres.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
La droite parlementaire a fait, dans cette reprise de nos travaux législatifs, preuve d'une extrême modération. Aptes avoir, dans la séance du 18 juin dernier, refusé sa confiance au cabinet avec une minorité d'une seule voix, elle aurait pu entraver la marche des affaires. Elle ne l'a pas fait et a consenti au vote des budgets sans opposition, montrant ainsi qu'elle ne cherchait pas à entraver les services publics. La droite était d'autant plus décidée à en agir ainsi pour le budget des travaux publics que le ministre qui tient ce portefeuille rencontre chez plusieurs de ses membres des sympathies personnelles. Mais un fait survenu à l'improviste la force à dessiner sa conduite.
Dans la séance d'hier, un honorable membre qui passe pour avoir de grands rapports avec le cabinet et qui déjà plus d'une fois a paru refléter ses inspirations, est venu, sans qu'on s'y attendît et au moment de notre séparation, présenter un projet de loi politique, destiné à modifier la situation du parlement. Et déjà ce projet a été, malgré les réclamations de la droite, malgré l'absence d'un grand nombre des nôtres, examiné par les sections, comme si l'on avait voulu emporter par surprise une loi de cette importance.
La droite ne redoute pas l'augmentation du nombre des députés, mais une telle loi doit se faire avec toute la maturité qu'exige un travail de ce genre ; elle doit, aux termes de l'article premier de la loi du 2 juin 1856, être précédée d'un recensement général et il convient qu'elle parte de l'initiative du pouvoir responsable.
Le projet de loi foule aux pieds cette disposition essentielle qui nous lie, puisqu'il se base non sur le recensement décennal, qui ne doit avoir lieu que dans deux ans, mais sur des tableaux du mouvement de la population qui n'offrent aucune garantie légale. Il établit une répartition de sénateurs et de représentants dans l'intérêt d'un parti qui veut se perpétuer et ne sait se résoudre à devenir minorité. Enfin, il viole la prescription formelle de l'article 51 de la Constitution en accordant à l'une des séries sortantes deux voix de plus qu'à l'autre, alors que la base essentielle de notre établissement parlementaire est le renouvellement des Chambres par deux séries égales en nombre.
Il est contraire à tous les précédents, à tous les principes sur la matière, dépourvu de bases certaines, contraire à l'article 51 de la Constitution, à l'article premier de la loi organique du 2 juin 1856, ainsi conçu : « Un recensement général de la population sera opéré tous les dix ans dans toutes les communes du royaume. Il servira de base à la répartition des Chambres législatives conformément aux articles 49 et 54 de la Constitution. » En un mot, c'est une œuvre de parti, suite et couronnement de tous les coups de majorité.
Dans une telle situation, je viens, au nom de mes amis, demander au ministère une explication franche et nette sur l'attitude qu'il entend tenir au sujet de ce projet de loi. Le gouvernement va-t-il s'y rallier, ou bien va-t-il le combattre ? La droite veut sur ce point une réponse catégorise, sans faux fuyant,, sans moyens dilatoires. Une réponse évasive sur un tel acte serait, à nos yeux, une adhésion à la proposition. Des explications du cabinet dépendra notre conduite ultérieure, même en ce qui concerne le budget en discussion. La droite a en mains le moyen de ne pas se laisser écraser sous un coup de parti à la veille de la dissolution, et elle ne reculera pas devant la position qui lui est faite.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je répondrai tout de suite à l'interpellation de l'honorable M. Dumortier. Oui, le cabinet entend appuyer la proposition de l'honorable M. Orts. Il ne voit pas dans cette proposition tous les dangers ou les inconstitutionnalités que signale l'honorable M. Dumortier.
Nous serons en droit de nous étonner de l'attitude que semble vouloir prendre la droite. Dans ces derniers temps, la droite s'est montrée très confiante dans l'opinion du pays. La droite soutient que le pays marche avec elle. Et voilà qu'au moment où un membre de cette Chambre usant de son initiative veut faire un appel encore plus large à l'opinion publique, veut procurer à l'opinion publique le moyen de se produire dans cette chambre d'une manière plus complète, on parle de coups d'Etat, de coups de majorité ; voilà qu'on recule devant cette perspective de voir les électeurs du pays exercer leur prérogative sur une plus grande échelle.
Je ne comprends pas cette attitude de la droite. Est-ce que la droite se défie des électeurs ?
M. Coomans. - De certains électeurs. Vous les choisissez.
M. Bouvierµ. - C'est l'arithmétique qui les choisit.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - L'opinion libérale n'en peut pas, si elle domine dans les arrondissements où la prospérité publique, où le commerce et l'industrie se développent, c'est l'honneur et la force de l'opinion libérale. Elle ne peut pas s'en plaindre. Ce n'est pas sa faute, si la population s'accroît, si la richesse se développe, là où règne l'opinion libérale.
On a invoqué ce qu'on appelle le principe déposé dans la loi de 1846 qui faisait coïncider l'augmentation du nombre des représentants avec le recensement décennal. Messieurs, en 1859, nous avons eu à nous expliquer sur ce point.
(page 685) Nous avons déclaré que, pour nous, nous ne pensions pas que, chaque fois qu'ure augmentation de 40,000 âmes se produit dans le pays, il y eût lieu de procéder à la nomination d'un nouveau représentant, que ce genre d’opération devait se faire à certains intervalles, que pour nous, nous ne pensions pas qu'il y eût lieu pour le gouvernement, si ce n'est après un certain nombre d'années, de faire des propositions quant à l'augmentation du nombre des représentants et des sénateurs ; mais que nous comprenons que des représentants appartenant à des arrondissements où la population se développe en même temps que la richesse publique, vinssent demander, comme c'est leur droit, si pas leur devoir constitutionnel, pour ces arrondissements les accroissements parlementaires que leur assure l'augmentation de leur population. C'est ce qui a eu lieu pour l'arrondissement de Bruxelles. Depuis 1859, la population de l'arrondissement de Bruxelles s'est accrue de 80,000 habitants. Il a donc droit à deux députés de plus.
Cela est clair comme le jour ; cela est incontestable ; et l'honorable M. Orts a eu parfaitement raison, au point de vue de l'arrondissement de Bruxelles, de venir demander que cet arrondissement entre en possession des avantages que lui garantit la Constitution.
Maintenant si, parce que l'honorable M. Orts a fait cette proposition, la droite refuse le budget des travaux publics, elle en est parfaitement libre. Mais nous ne voyons pas le moindre rapport entre la proposition de l'honorable M. Orts et le budget des travaux publics.
Donc nous n'hésitons pas à dire que quant à la proposition de l'honorable M. Orts, nous nous réservons de l'appuyer et de la voter.
M. Orts. - Messieurs, je n'ai pas l'intention de défendre ma proposition contre les critiques anticipées de l'honorable M. Dumortier et je ne répondrai pas au reproche d'inconstitutionnalité que, prématurément, il lui a adressé. La question n'a pas encore le droit d'être traitée dans cette Chambre. La section centrale est saisie de l'examen du projet et après son rapport seulement nous pourrons nous expliquer en séance publique sur son mérite. Je me fais fort d'avance de tranquilliser tous les scrupules constitutionnels et de montrer que la Constitution, comme l'équité et la justice, commandent la mesure que je propose à la Chambre d'appliquer.
Je ne veux répondre qu'un mot à ce qu'a dit l'honorable M. Dumortier dans un autre ordre d'idées.
L'honorable M. Dumortier croit que j'ai, en présentant cette proposition à la Chambre, suivi des inspirations qui m’auraient été soufflées par le ministère, par le gouvernement, je réponds à l'honorable M. Dumortier que cela est parfaitement inexact. Jamais il n'y a eu proposition partant plus essentiellement, plus exclusivement de l'initiative privée d'un membre de cette Chambre que celle que je fais. Je n'ai averti MM. les ministres de la proposition que je voulais faire qu'alors que mon dessein était arrêté, quelle que fût la réponse du cabinet, d'en saisir la Chambre. Et voici pourquoi ma décision était, sons ce rapport, arrêtée et immuable.
Je ne le conteste pas, j'ai fait cette proposition en vue de donner à l'opinion libérale dans le pays la juste part d'influence qu'elle a le droit de posséder. J'ai voulu faire l'affaire de cette opinion, au besoin malgré les ministres, parce que je place les intérêts de mon parti au-dessus de toute considération semblable et je crois que c'est ainsi que doit agir tout homme politique digne de ce nom. Lors même que le ministère aurait cru avoir une raison quelconque de désapprouver l'usage que je faisais de ma prérogative, j'aurais sacrifié le concours du gouvernement à ce que je considère comme I accomplissement d'un devoir et la revendication d'un droit pour tous ceux qui sont en communion politique avec moi.
M. B. Dumortier. - Je remercie M. le ministre des affaires étrangères de la netteté avec laquelle il a répondu à l'interpellation que j'ai eu l'honneur d'adresser au gouvernement, tant au nom de mes amis qu'au mien. Nous savons maintenant à quoi nous en tenir ; nous savons que le ministère va appuyer la proposition de l'honorable M. Orts, proposition que l'honorable M. Orts avoue avoir faite dans l'intérêt de son parti, parce qu'il considère cet intérêt comme étant au-dessus de tous les autres, ce qui veut dire même au-dessus de l'intérêt général.
L'honorable M. Orts dit qu'il a fait cette proposition sans consulter le ministère, et cependant l'honorable membre invoque des documents que personne de nous ne connaît et qui ne peuvent lui avoir été communiqués que par le gouvernement.
M. Orts. - Je les ai demandés en vertu de mon droit.
M. B. Dumortier. - Du reste, cela est peu important.
Mais, dit M. le ministre, la droite se défie du pays. Eh bien, la droite prouvera non seulement qu'elle ne se défie pas du pays mais elle prouvera, par la disposition qu'elle provoquera, qu'elle sait ce qu'elle doit à son parti et ce qu'elle doit au pays.
Comment ! on arrive au dernier jour de la session....
MfFOµ. - Ce n'est pas le dernier jour de la session ; rien n'oblige la Chambre à se séparer.
M. B. Dumortier. - Depuis plusieurs semaines on annonce que demain la session sera terminée, et l'on vient présenter une loi dont il n'a pas été dit un mot dans le discours du trône ni dans l'adresse, adresse que l'honorable M. Orts lui-même a présentée ! On vient proposer cette loi lorsque tous nos amis sont absents et lorsque personne ne pouvait la soupçonner ! Eh bien, la droite n'accepte pas une pareille situation, elle ne consentira pas à être victime de cette surprise, elle n'y consentira pas et remarquez bien que vous ne pouvez rien sans elle. (Interruption.)
Il y a deux espèces de révoltes. Nous avons pour nous tous les précédents. Depuis 34 ans que la Chambre existe, deux fois seulement on a augmenté le nombre des membres de la Chambre et deux fois on l'a fait à la suite d'un recensement général ; de plus une loi a été portée qui prescrit, dans les termes les plus formels, qu'un recensement général doit avoir lieu tous les dix ans, afin de faire une nouvelle répartition.
Eh bien, dans deux ans ce recensement général sera fait, et vous ne savez pas attendre ces deux ans, parce que vous ne savez pas devenir minorité. C'est dans un intérêt de parti, je le répète, que vous venez proposer cette loi au dernier jour de la session, alors que tous nos amis sont absents. Eh bien, la droite n'acceptera pas cette position. Vous délibérerez, mais vous délibérerez seuls, vous constituerez la Chambre à vous seuls.
La droite, après avoir entendu les explications du gouvernement saura maintenir la résolution éventuelle qu’elle avait prise ; elle va se retirer de cette assemblée.
Elle ne veut point être dupe, elle ne veut point être victime. Elle n'a point voulu entraver les services publics. elle a voté cinq budgets et nous sommes prêts, immédiatement prêts à voter un crédit provisoire pour le ministère des travaux publics. Ce crédit nous vous l'offrons, nous sommes prêts à le voter pour le nombre de mois que vous jugerez nécessaire, mais quant au budget nous ne le voterons pas. Et si vous refusez le crédit provisoire nous ferons retomber sur vos têtes la responsabilité de la situation que vous avez créée. Vous avez créé cette situation en venant présenter une loi de parti, une loi qui a pour but d’écraser la droite, le pays vous jugera.
MfFOµ. - Messieurs, les paroles si passionnées que vient de prononcer l'honorable M. Dumortier, et la résolution étrange, incroyable, qu'il annonce au nom de son parti, m'étonnent profondément. Il semblerait, à l'entendre, que la droite a des droits, mais que le pays n'en a pas. (Interruption.) Le pays ne doit pas être représenté dans la mesure prévue par notre pacte fondamental, parce que cela ne convient pas à la droite ! La Constitution dit : « Il y aura un représentant par 40,000 habitants du royaume, » mais la droite déclare que cela ne lui convient pas ! (Interruption.) En conséquence le pays sera condamné a ne point être complétement représenté dans les Chambres, et cela pour le plus grand intérêt de la droite ! (Interruption.) Vous mettez l'intérêt de votre parti au-dessus de l'intérêt du pays !
- Un membre. - C'est M. Orts qui met l'intérêt de la gauche au-dessus de l'intérêt du pays.
M. Coomans. - Vous ne pouvez pas choisir les arrondissements.
MpVµ. - N'interrompez pas, vous pouvez vous faire inscrire. La parole est à M. le ministre des finances.
MfFOµ. - Messieurs, les honorables membres de la droite se soulèvent avec passion, avec violence contre le projet de loi dont l'honorable M. Orts a pris l'initiative. Ils refusent même de le laisser régulièrement discuter par la Chambre. Eh bien, je les avertis que l'attitude qu'ils prennent leur fera le plus grand tort dans le pays.
Je les engage à réfléchir à la position difficile, dangereuse, dans laquelle ils vont se placer. En effet, de deux choses l'une : ou bien il est vrai qu'il y a un accroissement de la population donnant droit à une augmentation proportionnelle du nombre des représentants et des sénateurs, ou bien cela est faux. Si cela est faux, ta discussion l'établira et tout sera dit. Mais si cela est vrai, s'il est démontré qu'il y a en Belgique 250,000 habitants de plus qu'à l'époque où l'on a fait la dernière répartition, de quel droit prétendez-vous empêcher ces 250.000 habitants d'être représentés dans les Chambres ?
M. Coomans. - Nous parlons du projet de loi.
MfFOµ. - Eh bien, je parle, moi, du principe du projet de loi, et je vous demande en vertu de quel droit vous voulez déclarer que 250,000 habitants ne seront pas représentés ? Ce sera de votre part une violation expresse de la Constitution, qui exige qu'il y ait un représentant par 40,000 âmes.
(page 686) M. B. Dumortier. - Ce n'est qu'une limite.
MfFOµ. - Soit ! La Constitution indique, si vous voulez, qu'il y aura un représentant par 40,000 âmes. (Interruption.) Voici le texte de l'article 49 de la Constitution :
« La loi électorale fixe le nombre des députés d'après la population ; ce nombre ne peut excéder la proportion d'un députe sur 40,000 habitants. Elle détermine également les conditions requises pour être électeur et la marche des opérations électorales. »
- Un membre. - Vous voyez bien qu'il est dit : « Ne peut excéder. »
MfFOµ. - Sans doute. Mais, maintenant, que vous avez cessé d'être des conservateurs, maintenant que vous êtes devenus des démocrates, que vous voulez étendre le droit de suffrage ; maintenant que vous demandez les réformes, selon vous, les plus libérales, allez-vous donc vous efforcer de restreindre autant que possible le nombre des représentants ?
- A droite. - Non ! non !
M. Bouvierµ. - Ce n'est pas logique.
M. B. Dumortier. - Augmentation par coup d'Etat !
MfFOµ. - Mais, messieurs, vous n'avez évidemment pas réfléchi à ce qu'avait d'étrange, de vraiment exorbitant cette prétention annoncée par la droite de s'opposer, même par des moyens coupables, par des moyens anticonstitutionnels, sans précédents dans nos annales parlementaires, à ce qu'une partie du pays ait ici ses mandataires.
Songez-y donc, messieurs, une pareille prétention est tout à fait inconciliable avec le langage tenu par la droite dans notre dernière discussion politique. Elle est en contradiction formelle avec toutes les déclarations qui ont été faites à cette occasion, de même qu'avec tous les principes libéraux et démocratiques étalés dans votre nouveau programme !
Vous dites dans ce programme : « Nous voulons étendre le droit de suffrage, nous voulons appeler un plus grand nombre de citoyens autour de l'urne électorale » et aujourd'hui, vous prétendez restreindre le droit des citoyens d'être représentés ! Je vous le demande, messieurs, une pareille prétention est-elle justifiable, après les belles théories que vous développiez si complaisamment ici même il y a quelques jours ?
Il y a une loi, dit-on, qui a déclaré que l'on ne pourrait procéder qu'après un délai de dix ans à une nouvelle répartition des membres de la législature. (Interruption.)
Eh bien, l'honorable M. B. Dumortier a inventé cette loi ! Une pareille loi n'existe pas.
M. B. Dumortier. - Ne connaissez-vous donc pas les lois ? Celle que j'ai invoquée est du 2 juin 1856. Lisez le texte de l'article premier.
MfFOµ. - Voici cet article premier :
« Un recensement général de la population est opéré, tous les dix ans dans toutes les communes du royaume.
« Il servira de base à la répartition des membres des Chambres législatives, conformément aux articles 49 et 54 de la Constitution. » (Interruption.)
Oui sans doute, c'est le recensement décennal qui doit servir de base à la nouvelle répartition, et c'est précisément ce qui a lieu quant au projet de loi de l'honorable M. Orts. (Interruption.) Mais évidemment ! C'est le recensement de 1856 qui est le point de départ, sauf à tenir compte des accroissements de population constatés depuis lors. (Interruption.)
Vous m'étonnez vraiment ! Toutes vos dénégations prouvent peu en faveur de vos souvenirs. Mais vous avez voté ce principe ! (Interruption.) Vous l'avez appliqué ! C'est conformément à ce principe que l'on a procédé en 1859 ; c'est dans ce sens que l'on a interprété alors la loi de 1856 que l'honorable M. Dumortier invoque aujourd'hui pour combattre la proposition de M. Orts. Avez-vous donc oublié qu'il y a eu, en 1859, c'est-à-dire trois ans après le recensement de 1856, une augmentation des membres de la représentation nationale ?
Ainsi, l'objection tirée de la loi de 1856 n'a absolument aucune valeur ; il y a une loi sanctionnée par vous à une grande majorité, en 1859, qui a opéré une nouvelle répartition des représentants et des sénateurs, et la loi de 1856, au nom de laquelle vous réclamez aujourd'hui, n'a pas empêché la Chambre et le Sénat d'approuver la mesure.
M. de Naeyer. - Oui, en se basant sur le recensement.
MfFOµ. - A l'époque où ce vote a été émis, mon honorable collègue M. le ministre des affaires étrangères, alors ministre de l'intérieur, a prévu qu'un membre de la Chambre pourrait user de son initiative pour provoquer une nouvelle répartition avant le recensement décennal,
Mais, s'écrie la droite, la proposition de M, Orts constitue un véritable coup d'Etat ! On vient subrepticement, aux derniers jours de la session, surprendre la Chambre avec une loi presque révolutionnaire !
Mais, messieurs, est-ce donc une mesure quasi-révolutionnaire que d'avoir plus de représentants dans cette Chambre ?
M. Coomans. - Non !
MfFOµ. - Ce n'est donc pas ce motif qui vous inspire cette grande indignation. Est-ce parce que la loi a été présentée trop tard, et que vous craignez de n'avoir pas le temps nécessaire pour l'examiner complètement ? Eh bien, nous ne sommes pas pressés. Quand voulez-vous discuter le projet de loi ?..
M. Coomans. - Après une enquête suffisante.
M. B. Dumortier. - Après le recensement. (Interruption.)
MfFOµ. - Nous nous engageons à vous fournir tous les documents, tous les renseignements que vous croirez devoir réclamer pour l'examen du projet de loi. Ce n'est donc pas parce que l'on vous ôterait les moyens de vous éclairer, que vous vous refusez même à discuter une proposition d'augmenter le nombre des représentants.
Eh bien, dans ces conditions, votre attitude m'autorise à dire que vous devez avoir un autre motif, devant l'aveu duquel vous reculez. (Interruption.) Oh, ne le niez pas ! Vous vous refusez à laisser discuter le projet de loi, parce que vous redoutez l'influence que la mesure pourrait avoir sur la composition des deux partis dans la Chambre. (Interruption.)
Et vous, minorité, vous venez dire à la face du pays : « Quoique minorité, nous voulons gouverner ! Nous repoussons une mesure juste, équitable, mais qui pourrait nous affaiblir ! Pour empêcher son adoption, nous nous retirerons ; nous tenterons de mettre la Chambre dans l'impossibilité d'exercer ses attributions ; nous arrêterons l'action des pouvoirs publics, et cela uniquement parce qu'il nous convient, à nous minorité, de gouverner le pays ! » (Interruption.)
M. Van Overloopµ. - Vous avez fait la même chose.
MfFOµ. - Pas du tout. Jamais il n'est parti du sein de l'opinion libérale une menace d'abstention comme celle que la droite a osé faire entendre.
Vous prétendez qu'il y a surprise, que vous ne vous attendiez pas à la présentation d'une semblable proposition, qu'on prétend la faire voter à la fin de la session, d'urgence, pour ainsi dire sans examen. Eh bien, aucune de ces allégations n'est fondée. Rien ne vous oblige de délibérer sur-le-champ ; la Chambre pourra examiner le projet à loisir, s'entourer de tous les documents qu’elle jugera nécessaire de se faire produire, et discuter le projet de loi d'une manière aussi complète, aussi approfondie qu'elle le trouvera convenable.
Vous voyez donc bien que, sous ce rapport, votre abstention ne pourrait se justifier en aucune manière.
Pourtant, messieurs, prenez-y garde ; vous ne sauriez empêcher, par exemple, qu'un membre du Sénat ne reprît cette proposition ; vous ne pouvez pas empêcher le Sénat de l'adopter ; la droite n'est pas au Sénat dans une telle position qu'elle puisse y rendre les délibérations impossibles. Ainsi, votre mesure révolutionnaire serait sans effet. Si le Sénat votait cette loi, elle serait renvoyée à la Chambre des représentants ; la droite conservatrice, catholique, libérale, démocratique et modérée, refusera-t-elle alors de délibérer sur un projet qui aurait reçu l'approbation de l'autre Chambre ? Donnera-t-elle au pays le navrant spectacle d'un pareil scandale parlementaire ? Je dis que cela est impossible ; vous ne vous chargerez pas d'une pareille responsabilité ; vous ne l'oseriez pas ! (Interruption.)
Vous irez donc jusque-là ?(Interruption.)Vous empêcherez une loi votée par le Sénat d'être discutée dans cette Chambre ? Soit ! Nous arriverons donc à faire une dissolution ; voilà ce que vous voulez ? Eh bien, nous la ferons, cette dissolution, lorsqu'il sera constaté, avoué, reconnu, par deux branches du pouvoir législatif, que la représentation nationale est incomplète...
M. Coomans. - Depuis hier au soir.
MfFOµ. - Quand ce ne serait que depuis une minute, qu'importe ? (Interruption.)
S'il était constaté annuellement qu'il y a 40,000 habitants de plus dans le pays, et que la représentation nationale fût en conséquence augmentée d'un membre chaque année, quel mal y aurait-il à cela ? En quoi les intérêts du pays pourraient-ils être lésés. parce qu'on lui accorderait un représentant de plus, alors que l'on aurait constaté dans la population un accroissement de 40,000 habitants ? Si l'on ne fait pas cette opération chaque année, c'est parce qu'une nouvelle répartition du nombre des représentants doit se concilier avec une autre disposition constitutionnelle, qui exige que le nombre des membres de la Chambre soit (page 687) double de celui des sénateurs. Mais cinq années déjà se sont écoulées depuis la dernière répartition de 1859. Après un pareil délai, on peut évidemment, sans aucune espèce d'inconvénient, réviser les bases de la représentation nationale.
Au surplus, je veux pousser ma supposition à sa limite extrême. J'admets donc que vous parveniez au but que vous espérez atteindre. Vous provoquez une dissolution qui se fait dans des conditions assurément fort injustes, et en méconnaissant le droit de 250,000 habitants du pays, vous parvenez à devenir majorité et à conquérir le pouvoir. Mais après ? Croyez-vous que, même étant majorité, vous parviendrez à écarter la proposition qui sera immédiatement reproduite de compléter la représentation du pays ? Evidemment non ! A moins que vous ne vous placiez dans une position qui serait plus violente encore que celle que vous voulez prendre aujourd'hui, et que vous n'alliez jusqu'à déclarer que les arrondissements libéraux qui ont le droit d'envoyer des représentants dans cette Chambre, seront mis hors la loi ! (Interruption.) Voilà ce que le pays appréciera.
M. Nothomb. - Je viens d'entendre avec regret M. le ministre des finances porter un défi à la droite. (Interruption). Il a eu tort.
MfFOµ. - Il n'y a pas eu de défi.
M. Nothomb. - Vous nous avez porté le défi d'exécuter notre projet.
MfFOµ. - Du tout !
M. Nothomb. - Comment ! Ne venez-vous pas de dire que nous n'oserions pas persister dans notre résolution de vous empêcher de compromettre davantage nos institutions représentatives ? (Interruption.) Vos paroles sont une faute ; dans de pareilles circonstances l'on ne jette pas ainsi le défi à une grande et puissante opinion.
Nous avons voulu vous laisser un dernier moment de réflexion ; et c'est pourquoi mon honorable ami vous a demandé quelle attitude vous comptiez prendre en présence de la proposition de l'honorable M. Orts. Au lieu de calmer nos trop justes inquiétudes, au lieu d'user de prudence et de ménagement, au lieu d'explications mûries, l'honorable M. Rogier a excité l'émotion et a incontinent répliqué : Cette proposition nous l'approuvons, elle a toutes nos sympathies. Une si prompte et si complète adhésion nous permet de supposer que la proposition a été, je ne dirai pas concertée, l'honorable M. Orts affirmant le contraire, mais tout au moins ratifiée au préalable entre l'honorable membre et le cabinet. C'est ce qui nous paraît singulièrement grave et indiquer peut-être des desseins qui doivent nous alarmer.
Mais nous sommes, dit-on, des révolutionnaires. Voilà le grand mot, le mot d'ordre usité depuis un mois.
Messieurs, il y a deux manières d'être révolutionnaire ; il y a celle qui consiste à accumuler depuis des années contre un grand parti, qui représente bien certainement la moitié du pays, toutes les violences, toutes les iniquités (interruption) et à soulever contre lui toutes les passions et tous les préjugés. Qu'avez-vous fait depuis sept années ? Vous n'avez manqué aucune occasion de susciter contre nous, contre nos opinions, contre nos croyances (interruption) les calomnies les plus inqualifiables. Depuis sept ans, vous nous tracassez, vous nous vexez, vous nous opprimez par tous les moyens, au mépris de tous les principes et de tout droit ; voilà où est la révolution et la mauvaise révolution.
Mais à côté de cela il y a une autre manière d'agir : nommez-la révolutionnaire, si vous voulez. Soit. Nous ne nous effrayons pas de mots. C'est de résister énergiquement à de pareils empiétements ; c'est de vous empêcher de courir à la perte de nos institutions ; vous êtes sur une pente fatale. Il faut vous y arrêter.
C'est pourquoi, usant de notre droit, et en bons citoyens pénétrés de nos devoirs, nous vous disons que votre seule présence au pouvoir est déjà un acte que je puis qualifier, à mon tour, d'anarchique et presque de révolutionnaire. (Interruption.) Eh quoi, messieurs, n'êtes-vous pas au pouvoir en dépit de l'opinion du pays ? (Interruption.) Vous n'avez plus la majorité réelle, ou vous ne l'avez que grâce à vos propres votes, vous ne l'avez qu'en votant pour vous-mêmes dans une question de confiance ministérielle.
M. de Moorµ. - Quand votre frère était au pouvoir, ne faisait-il pas la même chose ?
M. Nothomb. - Voilà comment vous violez l'esprit de nos institutions, vous en compromettez la dignité et affaiblissez la force ; c'est la voie ouverte à la perte même de notre régime. Et c'est nous qui sommes les révolutionnaires ! Nous livrons volontiers notre conduite et la vôtre à l'appréciation du pays.
Maintenant, que reprochons-nous à la proposition de l'honorable M. Orts ? De s'écarter de tous les précédents ; d'être en opposition avec tous les principes sur la matière, d'être présentée d'une manière tout à fait insolite, d'arriver sournoisement à l'improviste, d'être dépourvue de toute base certaine et surtout d'être formellement contraire à la loi du 2 juin 1856. Examinons cette loi.
On ne saurait trop y insister, le pays appréciera comment vous, qui prétendez être aujourd'hui les conservateurs par excellence, vous pratiquez le respect dû aux lois, alors au contraire que vous sautez à pieds joints sur toutes celles qui vous gênent. Le patriotisme commande plus de patience ; vous n'avez pas cette patience, et chaque fois qu'une loi vous gêne, vous l’, vous la faussez ou la brisez et ne reculez devant aucun obstacle pour assurer un libre cours à vos desseins ambitieux.
C'est votre méthode. Elle vous a longtemps réussi, mais l'excès l'a usée.
Lisons la loi de 1856 ; elle porte :
« Art. 1er. Un recensement général de la population est opéré tous les dix ans, dans toutes les communes du royaume ; il servira de base à la répartition des membres des Chambres législatives, conformément aux articles 49 et 51 de la Constitution.
« Le prochain recensement aura lieu le 31 décembre 1856. »
Tel est, messieurs, le principe qui a été consacré, principe sage que la section centrale reconnaissait et proclamait, car voici ce que je lis dans un rapport qui est l'œuvre de l'honorable M. Rogier lui-même :
« Cette disposition (c'est-à-dire le recensement servant de base à la répartition), cette disposition ne rencontre aucune objection au sein de la section centrale ; elle reconnaît qu'il est de convenance et de nécessité constitutionnelle que la représentation nationale soit mise dans sa composition numérique en rapport avec le chiffre de la population du pays. Toutefois, comme il y aurait des inconvénients à introduire dans la composition du parlement des modifications partielles trop fréquentes, la section centrale pense qu'un intervalle de 10 ans entre chaque répartition permettrait d'asseoir cette opération importante sur des données qui auraient acquis un degré suffisant de certitude el de permanence pour servir de base solide à une juste répartition. »
- Voix à droite. - Voilà !
M. Nothomb. - Oui, voilà le principe ; et pourquoi l'a-t-on introduit dans la législation ? Messieurs, vous le savez bien, c'est pour assurer la stabilité de la représentation nationale. Et que faites-vous aujourd'hui ? Vous détruisez cette stabilité, qui est la garantie la plus nécessaire ; du jour au lendemain vous jetez la confusion dans cette représentation, car il suffira ainsi d'une majorité quelconque pour introduire des éléments nouveaux dans la représentation nationale ; à l'aide d'un pareil expédient, toute majorité peut se perpétuer, c'est l'ère des longs parlements.
MfFOµ. - Le pays ne doit-il pas être complètement représenté ?
M. Nothomb. - Oui, c'est une fraction du pays choisie ad hoc, pour le besoin d'une cause désespérée, contrairement à l'esprit de la Constitution.
MfFOµ. - Peut-on, à volonté, déterminer des accroissements de population dans certains arrondissements ?
M. Nothomb. – Il s'agit ici d'une loi de principe, d'une loi organique de la plus haute importance. Dans tous les pays régis par des institutions représentatives, on a toujours considéré avec raison comme une des bases essentielles du système la stabilité de la représentation nationale ; vous ne pouvez le contester. Eh bien, aujourd'hui, dans un intérêt de parti, l'honorable M. Orts l'a loyalement reconnu, et ce sont ses expressions mêmes, dans l'intérêt de l'opinion qui est au pouvoir, vous violez ce principe salutaire de la permanence, affirmé avec tant d'autorité par M. Rogier, en 1856, vous le violez dans un intérêt de parti, dans un intérêt de domination, vous faussez, vous anéantissez d'une manière incidente, subreptice cette loi si sage, si tutélaire, que vous-même avez votée en 1856. Il eût été plus digne et plus loyal de commencer par en proposer la formelle abrogation.
Il y a plus, cette loi de 1856 a étendu la prévoyance jusqu'aux dernières limites ; elle a décrété qu'il y eût un arrêté organique réglant et déterminant le mode d'après lequel se ferait ce recensement. Cet arrêté porte la date du 14 juillet 1856 et tout recensement de la population devant servir de base à la répartition des membres des Chambres doit être fait en conformité de cet arrêté,
Des règles, des précautions, un contrôle spécial ont été prescrits ; en pareille matière, la minutie même ne serait pas de trop el ici, pour la proposition de M. Orts, at-on suivi ces règles ? Non. Les bases certaines font défaut ; les éléments sont dénués de preuves suffisantes ; on s'est borné et on ne pouvait faire que cela, à les puiser dans les rapports des députations permanentes...
(page 688) M. Orts. - Vous discutez la loi.
M. Nothomb. - ... rapports faits à un autre point de vue et qui ne peuvent être invoqués ici, car, et je cite ceci comme exemple, dans ces rapports, les étrangers figurent sans doute en grand nombre et je crois que ce n'est pas exagérer que de l'évaluer à 100,000 et au delà. Ces étrangers vont donc être comptés pour former la représentation nationale ? (Interruption.)
II y a encore cette particularité, dont mon honorable ami M. de Naeyer me fait à l'instant la remarque et qui mérite d'être signalée. En 1855, on demandait aussi l'augmentation de la représentation nationale ; on s'appuyait aussi sur des rapports des députations et des documents statistiques. Or, le recensement de 1856 a donné un démenti à ces évaluations et montré l'erreur des prévisions de 1855. Alors aussi, on indiquait, dans cette enceinte même, le chiffre de l'augmentation des représentants, et on désignait les arrondissements qui devaient en jouir.
Eh bien, le recensement a prouvé deux choses : c'est que la population n'avait pas atteint le chiffre annoncé, et que des arrondissements qui devaient avoir plus de représentants n'y avaient pas droit. Ainsi, le recensement sérieux, régulier, fait dans les conditions de contrôle exigées par la loi, a réduit le nombre général et changé la répartition, contrairement à toutes les prévisions.
Aussi nous vous demandons pourquoi l'on y met cette extrême précipitation ? Deux années à peine nous séparent du recensement qui doit avoir lieu en 1866. Pourquoi devancer l'époque légale ?
Est-ce que nous redouterions, nous, d'appeler un plus grand nombre de membres dans cette enceinte ? Non, mille fois non, et nous sommes conséquents avec nous-mêmes. Mais nous ne voulons pas que pour servir un intérêt de parti, vous l'avez dit, on abroge une loi organique qui doit rester fixe et sauver la stabilité de la représentation nationale. C'est ce grand principe que vous méconnaissez dans un intérêt de parti et la mesure que l'on propose n'est dès lors qu'une rouerie politique qui touche, selon nous, à l'anarchie légale.
Cette mesure n'est, à nos yeux, qu'une œuvre de parti, suite et complément de tous les coups de majorité qui ont été faits contre nous, et n'eût-elle pas même ce caractère de partialité, avoué formellement par son auteur, que nous prétendons encore qu'elle serait trop grave, trop importante pour être votée par une majorité qui n'a plus d'autorité morale et qui reconnaît elle-même la nécessité d'un appel au pays.
Et cependant, messieurs, est-ce que nous n'avions pas donné, ainsi que l'a rappelé mon honorable ami, la preuve d'une modération si grande que je puis dire qu'elle a été poussée jusqu'à la longanimité ? (Interruption.)
Après le vote du 18 juin, qui a constitué le ministère en minorité (interruption), nous pouvions le forcer à résigner enfin sérieusement le pouvoir ou à fixer l'époque de la dissolution. Il nous eût suffi de voter contre les budgets.
Pourtant nous n'avons pas voulu prendre cette position, ni entraver la marche des services publics. Les budgets ont été votés sans même être discutés, et maintenant vous nous faites regretter notre modération. (Interruption.) Oui vous nous la faites regretter, si on pouvait regretter un acte de loyal civisme...
- Voix à gauche. - Elle est belle, votre modération !
M. Nothomb. - Et comment répondez-vous à notre modération. (Interruption.)
Vous vous récriez ! C'est à tort. Oubliez-vous donc que nous vous avons soutenus en mainte occasion, dans de très graves discussions ?
M. de Moorµ. - Dans la question des servitudes.
M. Nothomb. - Et dans bien d'autres ; si je pouvais en ce moment vous rappeler le passé, je vous montrerais que nous vous avons appuyés dans plus d'une difficulté. (Interruption.)
Vous voulez absolument trouver une excuse à votre chute dans notre opposition ; cette chute, vous l'avez préparée de vos propres mains ; vous tombez victimes de vos excès. (Interruption.)
Le pays a donné raison à notre opposition...
MfFOµ. - Consultez-le.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous craignez de le consulter.
M. Nothomb. - Nous ne cessons de vous le demander : hier comme aujourd'hui. C'est vous qui reculez. C'est l'aveu de votre impopularité.
Je répète que vous répondez à notre conduite modérée par une manœuvre tenue secrète, un projet prématuré, présenté en dehors des conditions ordinaires, illégal, partial, et vous prétendez être fidèles aux règles des gouvernements parlementaires ! (Interruption.)
Non pas. Vous compromettez ce gouvernement et comme je vous l'ai souvent dit dans nos orageuses discussions, vous en servez les détracteurs. Je n'accuse pas vos intentions ; je juge vos actes.
Pour nous, nous avons épuisé tous les moyens, conseils, discussions, exhortations, supplications même de vous arrêter dans votre marche violente et oppressive. Ç’a été en vain. Aujourd'hui vous comblez la mesure, et notre patience est à bout, nous ne voulons pas être mystifiés et encore moins sacrifiés ; ni dupes, ni victimes, comme l'a dit mon honorable ami. (Interruption.)
- Un membre à gauche. - Que voulez-vous faire ?
M. Nothomb. - Employer le seul moyen, si grave qu'il soit, qui nous reste. Faire ce que font les bons citoyens quand un pouvoir abuse de leur modération pour les opprimer : s'abstenir.
Devant le dernier coup de parti que vous préparez, nous vous refusons notre concours ; nous déclarons que nous cesserons de siéger dans cette enceinte jusqu'à ce que vous ayez régulièrement et loyalement consulté le corps électoral, notre arbitre à tous.
Nous ne consentons qu'à une chose : voter, quand et autant que vous le voudrez, des crédits provisoires au département des travaux publics.
M. Guillery. - La droite, qui affecte tant de confiance dans le jugement du pays, ne me paraît pas disposée à jouer son rôle jusqu'au bout. (Interruption.) Vous prétendez avoir pour vous l'opinion publique, et vous repoussez, avant tout examen en section centrale, avant qu'un rapport ait été fait, avant qu'il soit soumis aux délibérations de la Chambre, un projet de loi qui est destiné à amener l'expression sincère des vœux du pays.
- Un membre. - Oh ! oh !
M. Guillery. - Comment ? Quel est celui qui niera que le pays ne soit plus sincèrement représenté quand l'article 49 est exécuté dans toute sa sincérité, que lorsque 250,000 habitants sont privés du droit que leur donne la Constitution ?
J'avoue que j'ai été assez étonné de l'entendre. (Interruption.)
Je constate que non seulement vous refusez de remplir votre devoir en menaçant de vous retirer, mais que vous ne restez provisoirement que pour couvrir la voix de ceux qui, animés par des sentiments au-dessus de l'esprit de parti, se lèvent pour répondre à vos discours violents ; quand vous faites la déclaration la plus inouïe, la plus extraordinaire qui puisse être faite, vous ne permettez pas qu'on la discute. (Interruption.)
Voilà ce que vous appelez observer les règles parlementaires, respecter les vœux du pays.
Le pays saura votre conduite, il se demandera quel est votre mobile.
Il saura que nous étions occupés à discuter le budget des travaux publics, que d'autres objets urgents étaient à l'ordre du jour et que vous avez déserté votre poste. Jusqu'à ce que la loi ait été discutée, rien ne vous obligeait à vous retirer. Si, au dernier moment, vous aviez trouvé la loi telle que vous ne pussiez pas lui donner votre concours, il était encore temps de recourir à ce moyen extrême ; vous n'auriez pas du moins empêché le vote du budget ; du moins vous auriez déclaré la proposition de loi mauvaise, après examen.
De quel droit supposez-vous que la majorité votera une loi, avant qu'elle ait été discutée ? De quel droit supposez-vous qu'elle votera une loi injuste ? (Interruption.) Qui vous a donné le droit de nous adresser une pareille injure ?
Est-ce parce que la droite donne l'exemple d'une rare discipline ? Est-ce parce que chacun d'entre vous renonce au droit de raisonner son vote et d'écouter sa conscience, du moment que le mot d'ordre est donné ? Et ces députés d'Anvers qui ont, dans cette enceinte, vanté leur indépendance ; eux qui prétendent ne pas être inféodés à la droite et chez lesquels on aurait cru pouvoir trouver quelques souvenirs libéraux, ont-ils aussi le mot d'ordre ? Et ce mot d'ordre leur fait-il oublier leur arrondissement intéressé dans la proposition de M. Orts ?
Quant à nous, nous ne cesserons de protester contre un système qui prive des représentants de la nation du droit d'obéir à leur conscience. Nous examinerons loyalement le projet, et nous n'avons donné à personne le droit de nous supposer capables de suivre un aussi scandaleux exemple. Si la loi est injuste, nous ne l'imposerons pas au pays.
Que la droite discute, qu'elle fasse valoir ses griefs, ils seront appréciés par des hommes qui n'ont pas de parti pris, et qui vont d'ailleurs être jugés eux-mêmes par le pays.
Nous avons discuté loyalement dans les sections ; quand on a réclamé des explications et des renseignements, nous nous y sommes prêtés ; nous avons cherché à nous éclairer, nous avons voulu ce qui est juste.
(page 689) Le ministère, dit-on, ne peut pas rester aux affaires avec deux voix de majorité.
Est-ce que tout le monde ne le reconnaît pas ? Tout le monde ne sait-il pas que le pays va être consulté, que la dissolution va avoir lieu ?
Est-ce que cet appel au pays, nous ne le demandons pas comme vous ? La question est de savoir si elle se fera d'après une loi qui laisse la représentation incomplète, ou d'après une loi qui réforme les abus. Cette loi se discutera loyalement de part et d'autre. C'est là tout ce que nous demandons, la discussion seule peut éclairer le pays et nous éclairer nous-mêmes. C'est précisément parce que vous êtes une forte et puissante minorité que vous devez être dans la plus grande sécurité.
L'honorable M. Nothomb, qui croit devoir faire l'éloge de sa modération, du soin avec lequel il observe les règles parlementaires, a dit que le ministère manquait à ces règles, et il est convaincu qu'il les observe, lui, en se retirant avant la fin d'une session, avant le vote du budget.
- Plusieurs voix. - Et en se retirant pendant qu'on lui répond.
M. Guillery. – Il n'a pas même pu, dans son zèle, attendre la fin de la séance ; il ne peut écouter la réponse qu'appelle nécessairement le discours froidement violent et injurieux de parti pris qu'il vient de prononcer. Il n'a donc pas plus observé les règles parlementaires que celles de la bienséance.
Etrange conduite de la part d'un homme qui, au pouvoir, avait tellement abusé de l'autorité, et avait atteint un tel degré d'impopularité, que vis-à-vis de lui plus que de tout autre, on aurait pu comprendre la retraite de l'opposition pour ne pas voter son budget.
Et il parle d'impopularité, lui qui a soulevé l'indignation publique au point de compromettre le pouvoir et le pays lui-même ?
M. Coomans. - Ce n'est pas lui qui a soulevé le pays.
M. Guillery. - D'après M. Coomans, toujours si logique, c'est la gauche qui a eu le pouvoir de rendre le ministère impopulaire et d'amener la majorité qui est entrée dans cette Chambre en 1857.
Eh bien, j'engage l'honorable M. Coomans, puisqu'il connaît le secret et puisqu'il peut exercer son influence à la fois par la tribune et par la presse, de tâcher d'obtenir le même succès pour la droite dans les élections qui se préparent.
M. Coomans. - C'est le but.
M. Guillery. - Le ministère, messieurs, a deux voix de majorité.
M. Coomans. - Il n'y a pas de majorité.
M. Guillery. - En faisant le compte de part et d'autre, il y a deux voix de majorité.
Certainement, si le ministère prétendait gouverner le pays avec ces deux voix de majorité, vous auriez le droit de le blâmer, et je me joindrais à vous ; mais il vous dit : Je veux faire voter les budgets, je veux expédier les affaires et puis ensuite consulter le pays.
M. Delaetµ. - Il ne l'a pas dit à la Chambre.
M. Guillery. - Messieurs, je fais appel à la loyauté de nos adversaires, ils savent que la dissolution va avoir lieu.
Ce n'est un secret pour personne et c'est même en vue de la dissolution que la proposition de loi de M. Orts a été faite, comme c'est en vue de la dissolution qu'elle est combattue. Reconnaissez donc qu'il va y avoir dissolution.
M. Delaetµ. - Il n'y a plus lieu à dissolution une fois le projet de loi voté.
M. Guillery. - C'est une supposition toute gratuite, démentie par l'exposé même de la proposition de M. Orts.
Quant au reproche adressé au ministère de rester pour expédier les affaires et de voter dans sa propre cause, il est bien étrange. L'honorable M. Nothomb, qui n'est malheureusement pas resté à son banc pour écouter ce qu'on pourrait lui répondre, aurait dû se souvenir que lorsqu'il était au ministère sur une proposition, si je ne me trompe, de l'honorable M. Alp. Vandenpeereboom, impliquant un vote de non-confiance la majorité a été de 5 voix, y compris 4 voix de ministres représentants.
Il est évident que si l'honorable M. Nothomb avait été représentant, il aurait voté avec ses collègues dans sa propre cause, comme il a reproché aux ministres représentants de l'avoir fait, comme cela s'est toujours fait sous tous les ministères et dans tous les pays constitutionnels.
Je comprendrais messieurs, la menace de la droite et l'unanimité si extraordinaire qui existe parmi elle si une mesure violente était prise par le ministère. Je comprendrais qu'alors, pour se soustraire à un acte de tyrannie, on emploie les moyens violents ; mais en est-il de même ici ? On présente une loi qui n'est pas encore examinée en section centrale, vous en préjugez le vote et vous partez de là pour ne pas voter le budget des travaux publics.
Le pays jugera la conduite de la droite ; il dira par son vote s'il est permis â des représentante de déclarer qu'ils manquent à leur devoir. Lorsque la Chambre décide qu'il y aura séance, qu'il y aura discussion, le pays jugera s'il est permis à une fraction de la Chambre de dire : Nous nous retirons et il ne nous plaît pas de prendre part à vos travaux. Le pays jugera après la dissolution.
M. Coomans. - Il n'y a pas de Chambre, il n'y a pas de majorité.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - C'est absurde.
M. Guillery. - Prenez garde, vous posez un précédent dangereux. Je comprends que vous vouliez conquérir le pouvoir et devenir majorité. Si vous l'obtenez, vous prendrez le pouvoir, et si le ministère que vous constituerez alors a la confiance administrative de la Chambre, je suis convaincu qu'à gauche comme à droite on votera les budgets ; mais si vous entrez dans la voie révolutionnaire, ce n'est pas la majorité libérale que vous compromettrez, mais nos institutions elles-mêmes, et c'est là ce que le pays vous reprochera. Le pays vous reprochera d'avoir dans un moment d'irritation, dans un moment de mauvaise humeur, sacrifié son honorabilité à l'extérieur sans avoir égard aux conséquences de votre retraite.
Et quand vous serez au pouvoir, quand vous serez assis au banc des ministres, ne craignez-vous pas qu'une minorité considérable, car vous ne pouvez vous imaginer que vous arriverez ici avec une majorité catholique imposante, ne craignez-vous pas qu'une minorité libérale, suivant votre exemple au milieu de débats passionnés, ne vous suscite des entraves ?
Je vous demande ce que deviendront alors nos institutions.
Messieurs, je fais appel à tous les cœurs généreux. Nous nous combattons, mais nous nous estimons. Nous avons le droit de sortir de cette enceinte la main dans la main en disant que nous avons servi les intérêts du pays.
Il est une chose qu'il faut savoir placer au-dessus de l'esprit de part c'est l'intérêt de la Belgique. (Interruption.)
M. Delaetµ. - C'est ce que nous faisons. (Interruption.)
M. Guillery. - Ecoutez-moi et ne m'interrompez pas. Ne me faites pas croire que quand je m'adresse à votre loyauté, vous ne voulez pas m'entendre.
La liberté, messieurs, a assez d'ennemis en Europe, elle a assez de détracteurs ; il y a assez d'hommes au delà de nos frontières qui soutiennent que la liberté ne peut régner dans un pays sans engendrer l'anarchie et que la pratique de nos institutions est impossible.
Ne craignez-vous pas que l'on cherche à profiter de nos divisions et qu'un jour peut-être on nous réserve le sort des Romains du Bas-Empire qui n'étaient pas dignes de la liberté parce qu'ils n'avaient ni énergie, ni persévérance, ni abnégation ?
Nous portons en Europe le drapeau de la liberté ; son honneur est le nôtre ; soyons dignes de notre grande et noble mission. Vous avez parmi vous quelques-uns des principaux fondateurs de notre nationalité, des hommes de cœur que nous connaissons et que nous estimons. Vous, M. de Decker, et vous, M. de Naeyer et tant d'autres qui aimez la patrie et qui seriez prêts à mourir pour la sauver, je fais appel à votre patriotisme. Non, vous ne compromettrez pas nos institutions, vous ne déshonorerez pas la liberté, vous ne déshonorerez pas la Belgique ! (Interruption.)
M. Bara (pour une motion d’ordre). - Messieurs, après le patriotique discours de l'honorable M. Guillery, je crois qu'il est utile de donner à la droite le temps de réfléchir. La mesure que la droite veut prendre est trop importante pour qu'on la lui laisse prendre d'une manière définitive et ab irato.
J'ai remarqué qu'un grand nombre des membres les plus intelligents et les plus influents de la droite sont absents, et je doute qu'ils approuvent leurs collègues. Il faut du reste leur donner le moyen de se prononcer.
La décision de quitter les bancs et de laisser la gauche seule délibérer est une mesure que je qualifie de révolutionnaire. (Interruption.)
Oui, messieurs, vous abdiquez votre qualité de représentants belges. Vous refusez vos services au pays, c'est une mesure révolutionnaire.
Vous n'avez pas le droit d'agir ainsi au point de vue de la saine pratique des institutions constitutionnelles, mais nous n'avons pas le moyen de vous en empêcher.
Eh bien, messieurs, je crois qu'il est important de ne pas laisser se prolonger ce débat. Je crois qu'il est important de décider que la Chambre se réunira mardi pour continuer la discussion du budget des travaux publics. J'en fais, messieurs, la motion.
(page 690) D'ici à mardi, la droite réfléchira, et je suis convaincu que mieux éclairée sur l'importance de la ligne de conduite qu'elle annonce devoir suivre, elle ne donnera pas au pays le spectacle scandaleux d'une désertion de ses devoirs les plus impérieux.
On a fait appel à son patriotisme, et c'est moi, un des plus jeunes membres de cette assemblée, moi que l'on accuse de ne pas être modéré, qui viens la supplier de ne pas se rendre coupable d'un acte sans précédent dans l'histoire. La droite ne voudra pas souiller son passé parlementaire.
Le projet de loi que l'on vous présente est-il mauvais ? Mais vous le discuterez. N'est-ce pas, du reste, le sort des minorités de subir des projets de lois qu'elles prétendent mauvais ?
Vous en appellerez, messieurs, au corps électoral et le corps électoral protestera contre l'acte que nous aurons posé, si réellement les attaques que vous dirigez à l'avance contre lui sont fondées.
Vous avez prêté votre concours pour des lois bien plus importantes.
Vous avez assisté à la discussion de la loi sur les bourses, qui décidait une question de principe, qui consacrait un vol législatif, disiez-vous. Vous n'avez pas refusé de prêter votre concours et vous le refuseriez pour un projet de loi qui tend à donner quelques représentants de plus au pays, qui tend à remplir une obligation constitutionnelle !
Vous dites que nous présentons ce projet de loi par esprit de parti. Mais on dira, que par esprit de parti, vous avez refusé votre concours à une mesure qui doit compléter la représentation nationale. On retournera contre vous l'argument que vous employez contre nous ; et cet argument sera d'autant plus fort que vous violez l'esprit de la Constitution, que vous entravez la marche des services publics, que vous suspendez l'action du pouvoir et que vous voulez de votre autorité fermer la Chambre des représentants. Faites-y bien attention ; ce n'est pas seulement un acte contre la législature que vous posez, c'est un acte contre la royauté elle-même.
M. Coomans. - Laissez la royauté de côté.
M. Bara. - Je parle de la royauté avec les ministres responsables ; je parle du pouvoir exécutif. C'est un acte contre le pouvoir exécutif. Le droit de dissoudre la Chambre appartient au pouvoir exécutif seul. En refusant votre concours, vous mettez le pouvoir exécutif dans l'obligation de dissoudre la Chambre.
M. Coomans. - Soit !
M. Bara. - Vous forcez donc la royauté à dissoudre immédiatement, vous empiétez sur ses prérogatives, surtout lorsque le pouvoir exécutif vous dit, par la bouche des ministres, qu'il dissoudra la Chambre avant novembre.
Vous manquez à tous vos devoirs ; vous posez un acte que l'histoire appellera un acte de mauvais citoyen. (Interruption.) Je demande formellement que la Chambre s'ajourne à mardi prochain.
M. Coomans. - Retirez-vous le projet de loi ?
- Plusieurs membres. - Laissez-le discuter au moins. Il n'est pas à l'ordre du jour.
M. Orts. - Je ne le retirerai dans aucune hypothèse.
MfFOµ. - Je viens d'entendre tout à l'heure une interrogation partie des bancs de la droite, qui me fait croire qu'il pourrait y avoir ici un malentendu, une équivoque, quant aux conséquences du projet de loi. On paraît craindre que cette loi ne soit mise à exécution en l'absence d'une dissolution, et l'on suppose peut-être qu'il ne serait fait appel qu'aux collèges électoraux sur lesquels porterait l'augmentation prévue par le projet de loi.
Or, je déclare, au nom du gouvernement, qu'un pareil acte ne sera point posé, et que jamais nous n'en avons eu la pensée. Je déclare que la mesure proposée est inséparable de la dissolution.
M. B. Dumortier. - Messieurs, quand j'ai entendu les paroles si chaleureuses prononcées en finissant par l'honorable M. Guillery, paroles dans lesquelles il faisait appel au patriotisme d'une partie de l'assemblée, j'avoue que j'ai cru et que je suis tenté de croire encore que c'est à l'honorable M. Orts et à ceux qui appuient sa proposition que ces paroles étaient adressées.
De quoi s'agit-il, en effet ? D'une proposition révolutionnaire qui arrive au dernier moment de la session, que l'on veut nous faire subir par notre présence dans cette enceinte. Et c'est nous qui serons les mauvais citoyens ; c'est nous qui manquerons de patriotisme ; c'est nous qui aurons commis toutes les fautes, alors que nous n'avons qu'une seule chose devant nous : c'est ce principe que la résistance à la tyrannie est le plus sacré de tous les devoirs. (Interruption.) Oui, votre projet est une tyrannie, et la tyrannie est évidente.
La loi exige que le changement du nombre des députés n'ait lieu qu'en vertu d'un recensement général. Eh bien, ce recensement général existe-t-il ? Il doit se faire dans deux ans. Et sur quoi vous basez-vous ? Sur une base complètement imaginaire ; sur une base fausse ; sur une base qui vous fait défaut et que vous avez combattue vous-même dans le rapport que vous venez de nous distribuer. Dans ce rapport qui nous a été distribué il y a quelques jours, vous dites à la page 161 :
« Malgré ces prescriptions, on a constaté, dans les registres de population, des irrégularités d'où il résulte un défaut de concordance entre les inscriptions et les radiations, par suite de changements de résidence. »
Ainsi, il y a quelques jours encore, vous veniez nous dire que ces états de population, qui ne sont rien autre chose que des mouvements de population, étaient remplis d'irrégularités, et c'est sur une base aussi remplie d'irrégularités que vous voulez faire reposer une nouvelle répartition du nombre des membres des deux Chambres.
Ce n'est pas la première fois que pareille chose se présente. En 1855, en se basant sur les exposés des députations permanentes et sur certains documents qu'il avait, l'honorable M. Rogier est venu demander dans cette enceinte une augmentation des députés. Il est venu nous dire quelle était la population totale du royaume et nous indiquer, district par district, quelle devait être l'augmentation des députés. Eh bien, le recensement qui a eu lieu ensuite est venu lui donner un démenti éclatant, et quant à la population générale et quant aux districts qu'il avait indiqués.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais non.
M. B. Dumortier. - Tel district qui, d'après l'état de choses qu'avait présenté l'honorable membre...
MfFOµ. - Vous êtes dans l'erreur.
M. B. Dumortier. - Je suis dans la vérité. Tel district qui, d'après l'honorable M. Rogier, aurait dû avoir un député de plus ne l'a pas obtenu en vertu du recensement général ; et tel autre district qui, d'après l'honorable membre, ne devait pas avoir de député de plus, en a obtenu en faveur du recensement général.
Il y a eu là quelque chose de sérieux qui est venu donner un démenti éclatant à la base sur laquelle vous voulez faire reposer une révision de la loi.
C'est en présence de ce fait, c'est en présence d'un acte que j'appelle révolutionnaire, parce qu'il ne repose pas sur les données sacramentelles qui doivent servir de base à une pareille mesure, que nous ne pouvons consentir à vous suivre et que nous sommes forcés de vous refuser définitivement notre concours.
Nous ne demandons pas mieux que de voir augmenter le nombre des députés, mais il faut que cette augmentation ait lieu d'une manière régulière, en se basant sur un contrôle sérieux, en se basant, comme pour toutes les lois du même genre, sur un recensement général.
Et qu'est-ce qu'une loi basée sur un recensement général ? C'est une loi faite en faveur des minorités contre l'oppression et la tyrannie des majorités. C'est une loi qui empêche de faire ce que vous voulez faire aujourd'hui ; et c'est parce que vous voulez ainsi violer cette loi, notre palladium à nous minorité, que vous nous forcez à prendre une de ces mesures décisives que nous n'aurions pas prise, si vous n'étiez pas venu apporter dans cette enceinte un projet de loi que vous avouez vous-mêmes être un projet de loi de parti, un projet destiné à faire triompher votre parti, et que vous déclarez ne vouloir retirer dans aucun cas.
En présence d'une pareille situation, en présence de la situation que vous nous faites, la décision de la droite est formellement arrêtée. Elle ne reculera pas. Elle remplira son devoir et elle s'en rapporte au jugement du pays. Le pays saura de quel côté est venue la mesure qui frappe aujourd'hui la droite ; il saura comment on force la droite, par une mesure qui n'est autre chose qu'un coup d'Etat, à prendre une mesure qu'elle n'aurait pas prise sans cela.
Mais encore une fois, la résolution de la droite étant formelle, étant arrêtée, étant définitive, je viens, en son nom, vous proposer des crédits provisoires. Nous ne voulons pas que les employés du chemin de fer et des autres services souffrent de retard dans le payement de leur salaire.
Nous vous proposons un crédit provisoire ; nous sommes prêts à le voter ; ne le refusez pas, car ce crédit provisoire peut seul empêcher la situation de devenir extrêmement difficile. Si donc vous le refusez, c'est sur vous qu'en pèsera la responsabilité, et le pays vous jugera.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande au restant de la droite de vouloir bien écouter encore quelques paroles.
Je ne sais pas si l'honorable M. Dumortier est autorisé à parler au nom (page 691) de toute la droit ; beaucoup de membres de la droite manquent aujourd'hui ; je crois qu'avant de prendre une pareille position, la droite fera bien de se recueillir un peu et de ne pas suivre sans réflexion l'impulsion qui lui est donnée par ceux de ses membres les plus passionnés.
M. Coomans. - Les évêques n'ont pas eu le temps de nous écrire.
M. Bouvierµ. - C'est encore une question.
M. Coomans. - Pour vous.
M. Bouvierµ. - Le télégraphe est là.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je dis qu'avant de prendre le parti extrême où la poussent les membres les plus passionnés de la fraction de la droite ici présente, elle fera bien de se recueillir et d'attendre que le calme lui revienne avec ceux de ses représentants qui sont plus modérés
Vous menacez la Chambre d'un acte sans exemple...
M. Coomans. - Il y a des précédents.
M. Dolezµ. - Il n'y a pas de précèdent d'une partie de la Chambre désirant après délibération qu'elle se retirera.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sans doute vous pouvez matériellement poser un pareil acte, mais politiquement, moralement, je le qualifie de coupable. Il ne vous est pas permis de suspendre l'action d'un pouvoir public, pas plus qu'il ne serait permis au pouvoir exécutif de refuser son concours à certains actes qui lui sont imposés.
Messieurs, je crois qu'après y avoir réfléchi vous n'exécuterez pas ce coup de tête parlementaire, conseillé par des hommes qui manquent en ce moment du calme nécessaire. J'espère qu'après y avoir réfléchi et après avoir consulté vos amis, vous rentrerez dans cette enceinte et prêterez votre concours à la marche du parlement.
M. Coomans. - Et vous vous moquerez de nous.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - En accordant un crédit provisoire, vous voulez forcer le gouvernement à dissoudre.
M. Coomans. - C'est cela.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Craignez-vous que le gouvernement use de la loi proposée par M. Orts pour faire nommer seulement les représentants et les sénateurs dont la représentation nationale serait augmentée et s'abstienne de dissoudre ? Il n'en sera pas ainsi. (Interruption.)
Je tiens à calmer la droite. Elle fera du reste ce qu'elle voudra et le pays la jugera.
Il n'est pas vrai que la loi votée en 1856 posait le principe absolu que la révision du nombre des représentants et des sénateurs ne devait avoir lieu que tous les dix ans à la suite du recensement général de la population, et cela n'a jamais eu lieu.
En 1856 il y avait lieu de procéder à une nouvelle répartition à la suite du recensement ; nos honorables adversaires, qui étaient alors au pouvoir, ne crurent pas devoir proposer une nouvelle répartition. Ce ne fut que le ministère nouveau qui put le faire en 1859, c'est-à-dire trois ans après le recensement décennal. (Interruption.)
La reparution fut proposée par le ministère libéral en 1859 ; elle était basée sur le recensement de 1856, mais de plus on tint compte des augmentations des trois années qui ont suivi 1856.
Ce n'est donc pas seulement le recensement de 1856 qui a servi de base à la répartition de 1859, mais ce sont encore les augmentations de la population constatées en 1857, 1858 et 1859.
Voilà ce qui a servi de base à la répartition de 1859 et alors on n'est pas venu invoquer les raisons que l'honorable M. B. Dumortier donnait tout à l'heure, l'absence de renseignements suffisants, les inexactitudes qui peuvent exister dans les registres de l'état civil. Le recensement se fait tous les ans avec beaucoup d'exactitude dans chaque commune, et le recensement décennal ne fait que confirmer, à peu de différence près les résultats des recensements annuels faits dans chaque commune.
On a reproché à l'auteur de la proposition de l'avoir présentée au dernier jour de la session ; mais où est-il dit, messieurs, que la Chambre va s'ajourner ? Il reste à voter d'importants projets de loi ; nous venons ces jours-ci d'en déposer encore plusieurs. La session a été assez stérile, tâchons au moins de mettre le temps à profit, tâchons de voter des lois utiles, le pays nous en saura gré. Il n'a été nullement décidé que la Chambre se séparera la semaine prochaine. Elle peut donc examiner mûrement la proposition de l'honorable M. Orts ; si ce projet rencontre des objections sérieuses, si les renseignements ne sont pas suffisants, nous pourrons recueillir les renseignements qui manqueraient. Rien ne force la Chambre à se séparer à bref délai.
Je ne finirai pas, messieurs, sans engager de nouveau ceux des membres de la droite qui restent encore sur leurs bancs à vouloir bien réfléchir à l'acte dont ils ont menacé la Chambre et le pays : je déclare que la responsabilité de cet acte retombera lourdement sur ceux qui l'auraient posé.
L'honorable M. Nothomb a dit que le ministère avait porté un défi à la droite ; le ministère n'a porté aucun défi à la droite. (Interruption.) C'est un conseil que l'on vous donne. En descendant dans vos consciences, en vous pénétrant du sentiment de yos devoirs, vous reconnaîtrez que vous ne pouvez pas faire ce que vous avez annoncé dans un moment d'irréflexion et de passion. (Interruption.)
Oui, si vous aviez été de sang-froid, vous n'auriez pas pris un pareil parti.
Du reste, ce n'est qu'une fraction de la minorité qui est ici représentée.
Soumettez donc à un nouvel examen votre résolution, réfléchissez-y, car la résolution que vous annoncez ne peut avoir pour vous que de très fâcheuses conséquences.
Voilà le conseil que je vous donne, sans colère, sans passion et sans défi.
MfFOµ ; - Pour qu'on ne s'égare pas en supposant que l'argument de l'honorable M. Dumortier est un argument tout nouveau, je ferai remarquer qu'il a été présenté textuellement à la Chambre dans la séance du 7 avril 1859. Voici, en effet, ce que disait dans cette séance M. le ministre de l'intérieur :
« On a dit qu'aux termes de la loi de 1856 le recensement qui a été ordonné par cette loi devait servir de base à la répartition future des représentants.
« Messieurs, cela est vrai ; la loi de 1856 dit qu'il y aura tous les dix ans un recensement qui servira de base pour la nouvelle répartition ; et il est un fait regrettable, c'est que cette loi n'ait pas été exécutée ; c'est que le recensement de 1856 n'ait pas servi de base à une nouvelle répartition en 1857. Voilà ce que voulait la loi. C'est ainsi que le recensement de 1846 a pu servir à la répartition qui a eu lieu en 1847. Mais le recensement de 1856 est resté sans application en 1857 et en 1858, de manière que nous sommes aujourd'hui en dehors de la loi de 1856, attendu que 12 années au lieu de 10 années se sont écoulées.
« Il était donc parfaitement équitable, pratique et légal de s'écarter de la base du recensement de 1856. Ce qui était vrai, en 1856, ce qui était reconnu comme exact en 1856, l'est-il encore en 1858 ? La population n'a-t-elle subi aucun changement de 1856 à 1858 ; ne devons-nous pas tenir compte de l'accroissement ou de la diminution qu'elle peut avoir subie ? C'est, messieurs, ce que nous avons cru devoir faire. Nous aurions fait une répartition inconstitutionnelle en l'établissant sur la population de 1856, alors qu'il était constaté que la population avait subi de graves changements dans l'espace de ces deux années.
« C'est, messieurs, ce qui a eu lieu, et le rapport de la section centrale de la loi de 1856 a fait à cet égard des réserves formelles : elle n'a pas dit que jamais on ne sortirait du recensement pour de nouvelles répartitions ; au contraire, elle a expressément dit qu'il est encore d'autres éléments, d'autres bases à prendre pour établir la répartition dans l'avenir. Qu'avons-nous voulu en 1856 ? Voici ce que nous avons voulu : nous avons voulu que la loi déterminât, pour autant qu'elle pût le déterminer d'une manière définitive, les époques où se feraient les répartitions en raison des accroissements de la population ; on n'a pas voulu qu'à la fin de chaque année, si l'on constatait un accroissement suffisant de population dans tel ou tel district, on augmentât la représentation de ce district.
« Nous avons dit : Il faut laisser les faits s'établir d'une manière assez permanente pour qu'on puisse, en toute sûreté, faire une répartition conformément au chiffre de la population constaté pendant un assez grand nombre d'années. Voilà ce qu'on a voulu. On a assigné un terme de dix ans pour chaque répartition nouvelle, pour chaque recensement nouveau ; mais on n'a pas dit que le recensement était indispensable pour chaque répartition. La section centrale a fait des réserves expresses à cet égard. »
Et plus loin :
« Nous avons pris la base de la répartition (et ici nous sommes restés dans la loi) d'abord, la population telle qu'elle résultait du recensement au 31 décembre 1856 ; cette population de fait, constatée dans chaque commune, a été le point de départ, et on a complété ces indications d'après les registres de l'état civil et les registres de la population. »
Vous voyez donc qu'on a fait exactement, en 1859, ce qu'on propose de faire aujourd'hui.
M. Orts. - Messieurs, je voulais d'abord donner à l'honorable M. B. Dumortier la même réponse que vient de lui donner M. le ministre des finances, pour le rassurer sur l'exactitude des bases d'après lesquelles je demande à la Chambre de fixer la répartition du nouveau chiffre (page 692) des représentants et des sénateurs. Je lui aurais démontré par conséquent qu'il n'y a rien de révolutionnaire dans la base que j'ai choisie ; qu'elle se présente avec tous les caractères de la certitude et que certitude et révolutionnaire sont deux idées qui ne peuvent avoir aucune corrélation quelconque. Ceci est maintenant vidé.
Je propose en 1864 de faire exactement ce qui a été fait en 1859 ; et l'analogie sera prouvée d'une manière complète à l'honorable M. Dumortier s'il veut bien assister à la séance et me faire l'honneur de m'écouter. Aujourd'hui le recensement de 1856 me sert de base comme il a servi de base en 1859. Aux chiffres du recensement vous avez ajouté alors deux années de population d'après les registres annuels ; j'en ajoute aujourd'hui huit. Voilà toute la proposition, quant aux bases.
Maintenant je déclare une fois de plus que j'ai fait ma proposition parce que j'ai cru qu'elle était juste, équitable, et que consulter le pays dans d'autres conditions, constituait une iniquité flagrante.
Il a plu à des membres de la droite de résumer la situation ; je vais la résumer à mon tour, pour que le pays la comprenne bien : il y a en Belgique 250,000 habitants qui ont droit à des représentants dans la Chambre et au Sénat.
M. B. Dumortier. - C'est la question.
M. Orts. - Je vous dis que dans la discussion de la loi je prends l'engagement de vous prouver, comme on l'a prouvé en 1859,qu'il y a une incontestable augmentation de 250,000 habitants en Belgique au delà du chiffre de la population représentée, dans les conditions actuelles, à la Chambre et au Sénat.
Maintenant ces 250,000 habitants qui n'ont pas de représentants légaux ne pourraient-ils pas exprimer d'une manière efficace et vraie, leur opinion en cas de dissolution ? Voulez-vous que l'on consulte le pays en écartant du jugement que vous réclamez, 250,000 de vos concitoyens qui ont le droit d'être représentés à l'épreuve ? Votre conduite dira si vous le voulez.
Si vous vous retirez, si vous empêchez de voter la loi, le pays dira : « La droite a empêché 250,000 Belges d'être représentés au scrutin qui suivra la dissolution ; la droite a empêché 6 représentants nouveaux appartenant à 5 de nos provinces, de venir siéger dans cette enceinte ; et pourquoi la droite a-t-elle agi ainsi ? Parce qu'elle a vu, par le tableau qui lui a été produit, que des 250,000 Belges en plus, un sixième seulement appartenait à son opinion politique ; que les cinq autres sixièmes appartiennent à l'opinion libérale ; elle a voulu dans un intérêt de parti, frapper d'une injustice cinq sixièmes de Belges libéraux, en sacrifiant par-dessus le marché un sixième de Belges appartenant à l'opinion de la droite. »
Voilà votre justice établie au yeux du pays, par la conduite que vous voulez tenir, si encore cette conduite vous menait au résultat que vous attendez ; mais non. Elle ne vous réussira pas. Plusieurs d'entre vous se sont expliqués ; je m'expliquerai à mon tour, et je serai très franc.
Vous empêcherez peut-être le vote, quoique ce maigre résultat ne soit pas même certain pour vous. Nous avons encore une majorité ; elle est très petite, il est vrai, mais cette majorité nous permettra, au besoin, de délibérer sans vous... (Interruption.) Comment ! nous ne pourrions pas voter ? Nous sommes 59 ; nous pourrons voter, vous le savez comme moi, j'en suis parfaitement convaincu.
Si nous n'étions pas dans cette situation, la menace que vous produisez aujourd'hui dans cette Chambre serait exécutée par vous depuis longtemps. Vous savez que nous pouvons délibérer sans vous, et c'est pour cela que vous restez !
Je reprends, je veux être parfaitement franc avec vous, je vais vous faire part de mes précautions. Je me doutais, lorsque j'ai présenté ma proposition, du projet que la droite nous annonce aujourd'hui. (Interruption.)
Oui, c'est dans un intérêt de parti que j'ai fait ma proposition ; mais je l'ai faite parce qu'à mes yeux cet intérêt de parti était un intérêt de justice ; je n'ai jamais proposé, je ne proposerai jamais d'injustices dans un intérêt de parti ; mais lorsque le parti auquel j'appartiens a droit à une chose juste, je la demande, et je ne fais ainsi injustice à personne.
Je reviens à ce que je disais quand j'ai été une seconde fois interrompu. J'ai prévu votre manœuvre ; j'ai prévu que vous reculeriez devant la discussion de mon projet ; que vous chercheriez à entraver la discussion et le vote. Eh bien, je vous annonce que le résultat de votre tactique sera celui-ci :
Ce n'est plus avec la gauche de la Chambre que vous engagez une lutte dans des conditions essentiellement révolutionnaires et qui compromettent nos institutions ; ce n'est plus avec nous seuls que vous aurez à compter, vous aurez à compter, à lutter avec l'autre Chambre ; si vous empêchez que ma proposition soit discutée ici, j'en ai la certitude, et je vous l'annonce, elle sera reproduite au Sénat par voie d'initiative ; et si elle est votée au Sénat, refuserez-vous alors votre concours, non plus à des collègues, non plus à des adversaires, non plus à la gauche de la Chambre des représentants, mais à un pouvoir qui est votre égal, qui partage avec vous la puissance législative ? Si vous refusez votre concours, vous faites naître l'hostilité entre les deux Chambres ; si vous le donnez, vous faites aujourd'hui un enfantillage. Il faut que la minorité... (Interruption.)
Je ne vois pas en quoi je fais des victimes, M. Delaet, puisque je propose de donner un représentant de plus à l'arrondissement d'Anvers...
M. Delaetµ. - Anvers est tellement intéressé, qu'Anvers refuse votre cadeau !
M. Orts. - Je suis extrêmement charmé d'apprendre par un aveu sorti de la bouche de l'honorable M. Delaet, que les députés d'Anvers mettent l'intérêt de la droite au-dessus de l'intérêt anversois.
M. Coomans. - Du tout ! du tout !
- Voix à gauche. - C'est cela !
M. Delaetµ. - Anvers ne veut pas d'un ministère de violence.
MpVµ. - M. Delaet, je devrai vous rappeler à l'ordre si vous dites encore un seul mot. La parole est à M. Orts et à M. Orts seul.
M. Orts. - Mon Dieu ! que l'honorable M. Delaet se calme et se rassure, j'ai parlé dans des assemblées plus tumultueuses, même que les meetings d'Anvers et les interruptions ne m'ont jamais empêché d'y dire tout ce que je voulais dire. (Interruption.)
Seulement, pour répondre à M. Delaet, j'attendrai qu'il ait fini, la politesse l'exige entre gens bien élevés.
Je répète donc que je suis heureux de constater que l'arrondissement d'Anvers, auquel j'offre un député de plus, dans un moment où la ville d'Anvers a des intérêts spéciaux à défendre dans cette enceinte, met l'intérêt de la droite au-dessus de l'intérêt anversois. (Interruption.)
M. Delaetµ. - Je demande la parole.
M. Orts. - Ah ! si encore vous veniez nous dire franchement : J'appartiens à la droite et je préfère l'intérêt général de mon parti à l'intérêt spécial d'Anvers, je comprendrais votre attitude ; mais vous avez toujours dit le contraire et par conséquent il reste acquis qu'à un intérêt de parti que vous n'osez pas dire être le vôtre, vous sacrifiez l'intérêt d'Anvers.
Revenant au fond du débat, je vous le demande une fois de plus, voulez-vous vous engager dès aujourd'hui à refuser de venir voter ici sur un projet de loi que le Sénat vous renverrait pour y donner votre adhésion après qu'il y aurait donné la sienne ?
C'est là jusqu'où vous devez aller ; c'est là le point extrême de la voie dans laquelle vous vous engagez, voie révolutionnaire vis-à-vis de vos collègues de cette Chambre, voie révolutionnaire vis-à-vis des membres du Sénat, voie révolutionnaire vis-à-vis de vos commettants, car vous êtes ici non pas pour déserter, mais pour combattre jusqu'au jour où vous serez majorité, voie révolutionnaire enfin vis-à-vis du pays tout entier.
M. Dumortier. - C'est votre voie qui est révolutionnaire.
M. Orts. - Il n'y a rien de révolutionnaire à venir demander que 250,000 Belges, qui n'ont pas de représentants, en aient.
M. B. Dumortier. - C'est une question ; cela n'est nullement prouvé.
- Voix à gauche. - Soit ! Vous examinerez.
M. Orts. - Mais il est révolutionnaire de refuser violemment la discussion d'une pareille loi par l'unique motif que, parmi ces 250,000 Belges, il y a 5 libéraux sur un habitant appartenant à l'opinion de la droite. Il est révolutionnaire de sacrifier à votre intérêt de parti l'intérêt des cinq sixièmes des citoyens engagés dans la question. Et cela n'est pas seulement révolutionnaire ; cela est inique, cela est injuste ; cela n'est pas digne d'un parti qui aspire à gouverner son pays !
M. Coomans. - Vous venez, messieurs, de rire beaucoup à cette réflexion de l'honorable M. Orts que les députés d'Anvers sont opposés à un projet de loi qui leur accorde un collègue de plus. En vérité, vous avez tort. Voyez, dit l'honorable M. Orts, comme ces députés d'Anvers sont inconséquents, comme ils sont égoïstes au point de vue du parti catholique et comme ils sont traîtres envers la métropole commerciale ; ils refusent le don qu'on leur fait ! Oui, messieurs ; mais l'honorable M. Orts n'a pas ajouté que s'il donne aux Anversois une voix de plus qui sera probablement une voix amie, il a soin de la flanquer de cinq voix ennemies.
- Voix à gauche. - Qu'en savez-vous ?
(page 693) M. Coomans. – Il réserve à son parti cinq représentants sur six ! Même au point de vue purement anversois, toute préoccupation libérale ou cléricale à part, le projet de loi est détestable, attendu que pour une voix qu'on crée en faveur d'Anvers, on lui procure cinq nouveaux adversaires.
- Voix à gauche. - Vous n'en savez rien.
M. Orts. - M. Dechamps est bien élu à Charleroi.
M. de Moorµ. - Et le sénateur qu'on donne en plus à Louvain !
M. Coomans. - Je maintiens simplement ma remarque. Vous venez de nous dire que nous, huit ou dix qui sommes encore sur ces bancs, nous sommes les membres les moins intelligents de la droite. (Voix à gauche. - Oh ! oh !) C'est M. Guillery (interruption) ou M. Bara qui nous l'a dit, et je me hâte d'ajouter que je ne lui en veux nullement.
Non, je reconnais que cela est parfaitement vrai en ce qui me concerne, et je dois vous croire sincère dans votre impolitesse si j'en juge par les arguments que vous nous opposez ; vos arguments, en effet, ne sont pas de ceux qu'on présente à des hommes intelligents. (Interruption.) Permettez-moi de le dire, messieurs, sans vouloir blesser personne, ce sont des arguments pour des niais.
Quoi ! vous essayez de nous démontrer par de très belles phrases qu'il s'agit seulement de respecter les droits de 250,000 de nos compatriotes, droits qui restent aujourd’hui en souffrance, parce qu'ils ne sont pas représentés dans les deux Chambres. Vous allez même plus loin, vous insinuez, je crois même que vous avez dit formellement que nous voulons laisser sans représentation ces 250,000 Belges, malgré le vœu de la loi fondamentale ! Mais, messieurs, il n'en est rien. Nous voulons, nous, que tous les Belges soient représentés dans cette Chambre ; nous ne voulons pas seulement que la représentation nationale soit au grand complet, mais nous voudrions même que le corps électoral fût plus largement constitué.
Voilà ce qui est vrai, et quand vous essayez de nous faire accroire que c'est par respect pour l'article 49 de la Constitution que vous avez rédigé ce projet de loi, évidemment vous croyez ne pas parler à des hommes que vous jugez intelligents. D'ailleurs si nous, qui sommes restés provisoirement en place, nous sommes les moins intelligents, nous ferons sagement de suivre l'exemple des plus intelligents, lesquels sont partis. Nous suivrons ce bon exemple, n'en doutez pas. (Interruption.)
- Un membre. - La Constitution est violée par vous.
M. Coomans. - Quoi ! cette violation de la Constitution, cette violation flagrante de la Constitution que vous voulez nous endosser aujourd'hui, vous ne l'avez découverte qu'hier au soir ! Depuis 1859 vous ne vous êtes aperçus de rien, et dans tous vos arrangements, dans toutes vos plaidoiries, pendant le cours très long de la crise ministérielle, vous n'y avez fait aucune allusion. Vous n'avez jamais dit que la représentation nationale était incomplète.
Non, vous ne vous en êtes aperçus qu'hier, et pourquoi avez-vous recouru à ce dernier moyen, à cette dernière planche de salut ? Parce que c'est la plus détestable de toutes vos ressources. Vous l'employez faute d'autre et en désespoir de cause.
Mais enfin il est des situations où il faut épuiser tous les moyens. Vous aviez relégué celui-là au dernier plan ; mais enfin force vous est d'y recourir, faute d'autre, je le répète.
Du reste, l'honorable M. Orts l'a dit, c'est une loi de parti. (Interruption.) Vous ne le nierez pas, parce que vous ne pouvez pas supposer que notre intelligence soit descendue assez bas pour qu'elle ne nous fasse pas découvrir, à défaut de votre propre aveu, la véritable cause de la présentation de ce projet de loi.
M. Bouvierµ. - Et vous n'en voulez pas comme loi de parti ?
M. Coomans. - Non, nous ne voulons pas d'une loi de parti en pareille matière. Nous tenons à des élections loyales, à une grande épreuve nationale, non à une manœuvre de parti. (Interruption.)
Maintenant, à vous en croire, la Constitution exige qu'elle soit rectifiée, expliquée par la réforme que vous avez trouvée et publiée hier au soir.
On pourrait vous indiquer d'autres violations de la Constitution que de ce que prescrit l'article 49.
Mais il est des cas où vous ne déployez pas tant de hâte ; cette violation que vous êtes si impatients de faire cesser était restée inaperçue ; vous déposez un projet de loi hier, vous le faites examiner en sections aujourd'hui ; je le reconnais, vous écoutez nos observations, il serait difficile de faire autrement à moins de nous mettre à la porte des sections. Mais après les avoir écoutées, vous les rejetez unanimement. (Interruption.)
L'examen en section centrale aura lieu demain, et tout cela pour un grief imaginaire.
Mais il est telle prescription constitutionnelle dont on ne s'occupe pas autant ; il en est une qui exige comme urgente la révision de la loi du recrutement de l'armée ; cette loi de révision n'existe pas encore ; il y a 33 ans que cette prescription est en souffrance ; je me borne à citer cette prescription constitutionnelle concernant le recrutement de l'armée, quand vous répondiez aux vœux fondés de 75 mille pétitionnaires, au bout de 3 ans, par le dépôt d'un projet de loi, ce projet traîne dans les cartons. (Interruption.)
On n'a jamais fait mine de vouloir sérieusement le discuter, il est en section centrale, je crains qu'il n'y reste. Si 250,000 citoyens belges, dont l'existence ne nous est pas démontrée, peuvent désirer d'être représentés directement dans les deux Chambres, à coup sûr il y a bien plus de Belges et d'étrangers domiciliés en Belgique qui désirent une réforme de nos lois militaires. (Interruption.)
Voilà une réforme constitutionnelle et démocratique. Chaque fois que vous me parlerez d'intérêts démocratiques, je vous répondrai milice. Nos lois de milice sont aussi inconstitutionnelles qu'injustes.
Je passe à M. Orts. Je me bornerai à répondre à deux ou trois observations. (Interruption.)
J'ai a répondre à ce reproche direct qui nous est fait de repousser un projet qui tend à compléter les deux Chambres. Je répète que telle n'est pas notre intention ; nous voulons la représentation du pays au grand complet au sein des deux Chambres, mais d'une manière juste, impartiale, non improvisée.
Vous voulez faire une loi de parti, je puis vous le prouvez en deux mots : vous avez choisi les arrondissements.
- Plusieurs membres. - C'est le fond ! c'est le fond ! on ne peut pas discuter la loi qui est en section centrale.
MpVµ. - Il y a une motion d'ordre de M. Bara qui demande qu'on remette la discussion à mardi ; mais il y a une autre motion de M. Dumortier sur laquelle la discussion n'est pas close.
MfFOµ. - Nous n'avons à discuter en ce moment que la motion de M. Bara.
MpVµ. - On ne peut pas interrompre un orateur quand il a la parole.
MfFOµ. - On peut l'interrompre pour un rappel à la question.
MpVµ. - M. Coomans, permettez-vous qu'on mette la motion de M. Bara aux voix ?
M. Coomans. - Non.
M. Bara. -J'ai fait une motion, M. le président doit maintenir la discussion sur ma motion.
M. Coomans. - Je maintiens qu'ayant la parole, j'ai le droit de la conserver. (Interruption.)
Vous ne pourrez m'empêcher de dire ce que j'ai à dire.
Quant vous m'avez donné la parole... (Interruption.) Quoi ! vous nous imputez des intentions détestables, entre autres celle de vouloir priver 250 mille Belges du droit de suffrage, et vous ne nous permettez pas de prouver qu'il n'en est rien, que nos intentions sont tout autres que celles que vous nous prêtez très peu obligeamment !
Quand j'aurai prouvé que vous voulez compléter non pas la représentation nationale, mais vos rangs, quand j'aurai prouvé cela, votre argument sera renversé ; c'est la chose la plus facile.
Il me suffira de lire quelques chiffres. (Interruption.) Je crois que le projet de loi a été quelque peu improvisé.
- Un membre. - Mais nous ne discutons pas la loi communale.
M. Delaetµ. - Ils ont tellement peur, qu'ils ne veulent pas vous entendre.
M. Coomans. - Je réponds par des chiffres à un argument.
MpVµ. - Ne sortons pas de la motion de M. Bara.
M. Coomans. - Et celle de M. Dumortier ! Les précédents orateurs ont parlé d'une foule d'autres choses. Je me contente de répliquer.
M. Pirmez. - M. Bara a fait une motion, on ne peut pas discuter un objet différent ; la première règle est de s'occuper de la chose en discussion et pas d'autre chose. J'admets que M. Coomans discute le projet de loi présenté par M. Orts, mais quand on aura fixé le jour pour cela. Je ne comprends pas qu'il vienne le faire quand la Chambre ne l'a pas mis à l'ordre du jour. Il le discutera autant qu'il le voudra, mais pas aujourd'hui.
M. B. Dumortier. - Je ne comprends pas l'observation de l'honorable membre ; il aurait mieux fait de la produire quand M. Orts parlait, car c'est lui qui a donné l'exemple de sortir de la motion de M. Bara. Que fait mon honorable ami ?
L'honorable M. Orts accuse la droite d'une pensée mauvaise, d'un acte mauvais et l'on veut empêcher mon honorable ami de répondre précisément parce que l'on sent que sa réponse va être victorieuse.
(page 694) M. Coomans. - Je crois, messieurs, que vous devez vous rendre à cette observation de mon ami M. Dumortier, que l'opposition que l'on me fait aurait dû être faite aux orateurs qui m'ont précédé et qui ne se sont pas renfermés du tout dans la motion de l'honorable M. Bara.
Eh bien, messieurs, voici donc des chiffres qui vont démontrer clair comme le jour que l'honorable M. Orts a dit parfaitement vrai quand il a reconnu qu'il avait rédigé le projet de loi dans un intérêt de parti.
Je vois d'après les chiffres mêmes donnés par l'honorable membre que l'arrondissement de Waremme compte 54,800 habitants, par conséquent, dit l'honorable auteur, il y a un excédant de 14,000 habitants non représentés. C'est la différence du chiffre de 40,000 à 54,000.
Cela est vrai, en supposant que le chiffre soit exact, sur quoi je fais mes réserves ; mais l'honorable membre n'ajoute pas que cet arrondissement de Waremme a aussi un sénateur, lequel est censé élu par 80,000 habitants. Or, pour ce sénateur il y a un déficit de 20,000 âmes.
M. Bara. - Vous présenterez un amendement.
M. Coomans. - Quand on défalque le surplus pour le représentant, on trouve que l'arrondissement de Waremme est encore en déficit considérable, et pourtant quoique en déficit on lui accorde un représentant de plus ! Pourquoi ? Je pense que l'honorable M. Orts pourrait bien nous le dire. (Interruption.)
M. Bouvierµ. - C'est l'objet d'un amendement cela.
M. Coomans. - Vous n'admettriez pas d'amendement, nous le savons bien.
M. Orts. - Je vous dirai pourquoi.
M. Coomans. - Cet arrondissement de Waremme qui est en déficit, qui non seulement n'a pas droit à un représentant en plus, mais qui, à juger rigoureusement les choses, est déjà trop bien partagé, cet arrondissement obtient donc un représentant de plus quoique n'ayant pas un seul habitant en surplus alors que l'arrondissement d'Alost, qui a un surplus réel de 23,000 habitants ne reçoit rien, et que l'arrondissement de Courtrai, qui a un surplus de 24,000 habitants, ne reçoit rien non plus. (Interruption.) Je pourrais multiplier ces exemples de partialité fantaisiste. (Interruption.)
Je sais bien qu'on peut répondre à cela. On peut répondre à tout, de différentes manières. Je connais ces réponses d'avance, je me bornerai à dire qu'elles ne valent rien.
M. Orts. - Vous l'avez voté en 1859.
M. Coomans. - C'est à vérifier ; du reste la loi de 1859 n'a pas été contestée.
Quand nous faisons des sottises tous ensemble, nous nous les pardonnons mutuellement, mais quand la sottise est faite au nom d'un parti contre un autre parti, et en guise de coup de parti, elle devient infiniment plus grave. Voilà ma réponse à l'honorable M. Orts. (Interruption.) Oh ! j'en aurais bien d'autres si vous me laissiez dire.
Je crois, messieurs, que de pareilles lois doivent se faire à l'unanimité et vous obtiendrez cette unanimité (interruption), ou à peu près, quand vous aurez prouvé qu'il y a lieu à augmenter le personnel parlementaire.
Un dernier mot, messieurs ; je suis de ceux qui offrent au gouvernement un crédit provisoire.
M. Goblet. - A demain !
M. Bouvierµ. - A mardi !
M. Coomans. - Et je lui conseille de l'accepter. J'ai lieu de croire que la droite ne reviendra pas sur sa décision si vous ne revenez pas sur la vôtre. Elle ne saurait le faire honorablement. (Interruption.) Elle ne le fera pas, j'ose l'assurer en son nom. (Interruption.) Elle ne se suicidera pas.
C'est vous qui avez tiré les premiers. (Interruption.) C'est à vous de faire la première concession. Voilà mon dernier mot.
MfFOµ. - Messieurs, je ne puis laisser sans réponse la dernière observation de l'honorable M. Coomans. L'honorable membre vous a dit qu'à la simple lecture du projet de loi, il avait la preuve que c'était un acte violent, partial, et il a donné quelques indications qui prouvent qu'il ne connaît pas le premier mot de la question qu'il a traitée,
Voici comment l'on procède à la répartition des représentants. Le nombre en est d'abord établi pour le pays entier, à raison d'un député pour 40,000 habitants, puis divisé entre les provinces, à raison de leur population. Mais le chiffre de cette population n'étant pas ordinairement un multiple exact du nombre 40,000, il s'ensuit qu'il reste à répartir entre elles un certain nombre de représentants, qui sont attribués à celles qui ont les plus forts excédants de population non représentés. On opère ensuite une sous-répartition entre les arrondissements d'après le même principe.
M. Coomans. - Ce n'est pas la Constitution qui dit cela.
MfFOµ. - C'est le bon sens qui le dit, car il est impossible d'agir autrement. (Interruption.)
Si l'honorable M. Coomans avait voulu lire le tableau qu'il avait sous les yeux, il aurait constaté que la province de Liège dont il parle venait en troisième ordre pour la fraction la plus considérable, c'est-à-dire qu'à elle seule elle a 34,000 habitants non représentés et que, par conséquent, il fallait lui attribuer un représentant à raison de cet excédant de population. Il y avait ensuite à décider à quel arrondissement il fallait spécialement accorder ce représentant : était-ce à celui de Liège, à celui de Verviers ou de Huy, ou bien à celui de Waremme ? Et pourquoi l'arrondissement de Waremme est-il indiqué dans la proposition de l'honorable M. Orts ? Par la raison que, dans l'excédant total de 34,000 habitants constatés pour la province de Liège, c'est ce dernier arrondissement qui a la plus forte fraction non représentée.
M. Coomans. - Il n'y a pas d'excédant du tout.
MfFOµ. - La province a 34,000 habitants non représentés.
M. B. Dumortier. - La province n'est rien.
MfFOµ. - Je prie l'honorable M. Dumortier de relire le rapport qu'il a fait sur l'augmentation des représentants en 1847, et il verra qu'il a dit lui-même dans ce rapport exactement ce que j'ai l'honneur de dire en ce moment à la Chambre. (Longue interruption.)
Il résulte donc du tableau que l'honorable M. Coomans avait sous les yeux et qu'il aurait pu lire, que l'on a suivi scrupuleusement le système consacré par les précédents et par le simple bon sens. (Interruption.)
En 1831, en 1847 et en 1859, c'est ainsi que l'on a procédé, c'est ainsi que l'on doit procéder, et cela par la raison fort simple qu'il y a impossibilité absolue d'agir autrement. Il est vraiment incroyable qu'il faille s'évertuer à démontrer pareille chose !
Maintenant, que dit l'honorable M. Coomans ? L'arrondissement d'Alost a un excédant de 23,000 habitants, et on ne lui attribue pas de nouveau représentant ! Mais que l'honorable M. Coomans examine donc la situation de l'arrondissement voisin, de l'arrondissement d'Audenarde, et il verra qu'il a plus de représentants qu'il ne doit en avoir proportionnellement à sa population. Tout ce que l'on pourrait faire, ce serait de transférer le représentant d'Audenarde à celui d'Alost, parce que la province de la Flandre orientale est représentée complètement, sauf un excédant de 16,000 âmes, qui ne peut lui donner droit à prétendre à un représentant en plus.
Messieurs, en voilà assez sur ce point. J'ai seulement voulu vous faire juger du mérite de l'objection que l'on fait à une proposition que l'on ne veut pas discuter, et que l’on discute cependant anticipativement, par des arguments de la nature de celui dont je viens de vous montrer la valeur.
Quand au second point, parlant au nom de la droite qu'il a, jusqu'à un certain point, le droit de diriger maintenant, dont il a fait le programme, qu'il commande et dirige pour ainsi dire en maître absolu, l'honorable M. Coomans nous offre des crédits provisoires. Si vous n'en voulez pas, dit-il, tout est dit. Vous avez tiré les premiers ; nous agirons comme bon nous semblera ! Eh bien ! messieurs, agissez ! (Interruption.)
Quel système voulez-vous donc inaugurer ici ? Le système qui ferait régner la minorité ? C'est la minorité qui prétend imposer la loi, et qui dit, la menace à la bouche : Vous agirez de telle manière, ou bien nous nous retirerons et tous les pouvoirs publics seront paralysés !
Eh bien, messieurs, nous n'hésitons pas à déclarer que nous n'entendons pas subir cette loi. Nous n'entendons pas céder à de pareilles prétentions, à de telles exigences ! Le pays jugera entre nous !
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. Delaetµ. - J'ai demandé la parole ; j'aurais pu, tout à l'heure, la demander pour un fait personnel.
MpVµ. - Vous avez la parole, mais uniquement pour un fait personnel.
M. Delaetµ. - Je ne demande pas la parole pour un fait personnel seulement. Je suis inscrit, et comme nous ne reviendrons pas demain, je voudrais, après la réponse de M. le ministre des finances, pouvoir dire à la Chambre et au pays... (Interruption.)
MpVµ. - La clôture a été demandée par plus de dix membres. Je dois la mettre aux voix. (Interruption.)
- Plusieurs membres. - A mardi !
M. Bara. - Messieurs, j'ai demandé, il y a déjà bien longtemps, et ma proposition primait tout le débat, que nous nous ajournions à mardi prochain.
Je demande qu'on ajourne la discussion à mardi.
(page 695) M. Delaetµ. – Quelle discussion ?
MpVµ. - La discussion de la motion d'ordre et des autres objets à l'ordre du jour.
- L'ajournement à mardi est mis aux voix et prononcé.
MpVµ. - En conséquence, la discussion est remise à mardi.
M. Delaetµ. - Elle est finie pour nous. Nous ne reviendrons pas. Je constate que ta gauche m'a refusé mon tour de parole.
M. Bouvierµ. - C'est de l'anarchie.
M. Lesoinne. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission permanente d'industrie sur une pétition du comité des charbonnages liégeois, demandant la suppression des droits d'entrée qui frappent les perches de sapin employées comme bois de soutènement dans les galeries des mines, et la réduction des prix de transport sur les chemins de fer de l'Etat.
- Impression, distribution et mise à la suite de l'ordre du jour.
La séance est levée à cinq heures et un quart.