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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 18 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 565) M. Thienpont procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Thienpont communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode demandent la révision de l'article 47 de la Constitution. »

« Même demande d habitants d'Ixelles et de Molenbeek-Saint-Jean. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Bruxelles demandent la révision des articles 47 et 53 de la Constitution. »

- Même renvoi.


« Le sieur Pollet demande la réduction du cens électoral pour les élections communales au taux uniforme de dix francs. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration communale de Samson prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

« Même demande d'habitants de Sart-Dames-Avelines. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Lillois-Witterzée demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande d'habitants de Boussu et des membres du conseil communal de Halmael. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants de Grimberghen prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.

Projet de loi accordant un crédit de 1,200,000 fr. au budget du ministère des travaux publics, pour régler le régime des prises d’eau de la Meuse avec les Pays-Bas

Dépôt

MfFOµ présente :

1° Un projet de loi ouvrant au département des travaux publics un crédit de 1,200,000 fr. à affecter à l'accomplissement des engagements et à l'exécution des travaux compris dans le traité conclu entre la Belgique et les Pays-Bas pour régler le régime des prises d'eau à faire à Ja Meuse.

Projet de loi accordant des crédits de 2,835,000 francs au budget du ministère des travaux publics pour l’exécution de travaux d’utilité publique

Dépôt

2° Un projet de loi ouvrant au département des travaux publics divers crédits jusqu'à concurrence de. 2,835,000 fr. pour l'exécution de divers travaux d'utilité publique.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces projets et les renvoie à l'examen des sections.

Discussion générale sur la crise ministérielle

M. Vermeireµ. - Je comprends, messieurs, l'impatience de la Chambre de terminer ce débat déjà fort long.

Je n'aurais pas pris la parole, si je n'avais cru qu'il était de mon devoir de venir protester contre les accusations injustes, contre les reproches immérités et contre les insinuations malveillantes dont nous avons été l'objet de la part d'adversaires politiques.

D'une part, on nous dit que nous devons forcément être parjures et infidèles au serment que nous avons prêté à la Constitution.

Et, d'autre part, lorsque la droite porte à la Chambre un programme qui n'est que la consécration de tous les principes constitutionnels de notre pacte fondamental, on nous dit, tout à la fois, que ce programme est l'antithèse de tout ce que nous avons soutenu devant cette Chambre, en même temps qu'il porte, dans les plis cachés de son manteau, les germes de toutes les lois réactionnaires, contre lesquelles le pays a protesté d'une manière aussi énergique que persistante.

Hier encore, l'orateur qui a parlé le dernier, après avoir fait comparaître, devant les assises de l'opinion publique, et les évêques, et les jésuites, et les 1,200 couvents et les 50 établissements d'instruction dirigés par les prêtres, et le Bien public et le congrès de Malines, et bien d'autres choses encore, affirmait que la droite n'était plus elle-même ; que, sous le prétexte de réformer notre système politique, financier et économique, dans le sens de la liberté, elle ne poursuivait qu'un seul but, celui de reconstituer la mainmorte, avec son cortège de conséquences déplorables et onéreuses pour la fortune des particuliers, d'accaparer, entre les mains des corporations religieuses, l'enseignement public, enseignement qui n'avait d'autre but que de maintenir les populations dans l'obscurantisme et l'ignorance ; que c'était dans ce but qu'on se proposait de changer les dispositions du code civil et du code de commerce qui sont relatives à l'association.

Ainsi, tandis que les uns trouvent le programme de l'honorable M. Dechamps, comme favorisant, dans une mesure imprudente, les réformes politiques, les autres, au contraire, n'y découvrent qu'un masque cachant le but principal : celui de faire renaître tous les abus d'un autre âge, comme on le disait naguère.

Concilie qui pourra les contradictions flagrantes qui sont accumulées dans le discours auquel je viens de faire allusion.

D'honorables orateurs qui siègent sur nos bancs ont fait justice de ces prétentions exorbitantes, dans des discours aussi éloquents que logiques. Ils ont démontré que la doctrine religieuse que nous professons n'est point contraire à la doctrine constitutionnelle qui est consignée dans la loi fondamentale ; et, partant, que toutes ces déclamations, au moyen desquelles on veut nous frapper d'ostracisme, n'ont point de base solide et doivent disparaître devant le plus simple raisonnement qu'on y oppose.

Ils ont, de plus, prouvé que le catholicisme, loin d'être hostile au progrès, a, depuis des siècles, propagé la civilisation dans le monde ; et que, sans l'adoption de ses principes et de ses croyances, nous serions encore plongés dans les ténèbres du paganisme, ténèbres qui enveloppent les pays où les rayons de la foi n'ont pas pénétré.

Nous ne sommes ni renégats ni infidèles à notre foi politique, pas plus qu'à notre foi religieuse, l'une et l'autre se conciliant parfaitement.

Ce débat, messieurs, nous fournit un singulier spectacle. Les rôles y sont intervertis : ainsi, tandis que l'on pourrait demander avec raison pourquoi le ministère continue à gouverner, après avoir constaté devant le Parlement et devant le pays son impuissance à le faire d'une manière fructueuse, c'est le gouvernement lui-même qui demande à l'opposition compte de son programme, d'un programme qui, n'ayant pas été accueilli, doit être considéré à l'état de lettre-morte.

Je ne fais point cette observation, messieurs, parce que, comme l'a dit hier un orateur de la gauche, nous voulons fuir le débat ; au contraire, je suis heureux que celui-ci se soit produit au grand jour, parce qu'il prouvera une fois de plus que le parti conservateur est au moins aussi fidèlement attaché aux libertés publiques que le parti qui veut monopoliser entre ses mains le titre de parti libéral.

Ce n'est pas nous qui, même dans des éventualités graves dans lesquelles la patrie pourrait se trouver un jour, n'aurions pas le courage de continuer la lutte, et qui voudrions abandonner à une dictature le gouvernement du pays.

M. Guillery. - Et nous donc ? Il n'est personne ici qui voudrait y consentir.

M. Vermeireµ. - Mais, messieurs, nos adversaires ne s'aperçoivent pas qu'au moment de lancer contre nous la plus grave des accusations, celle de ne pas être être fidèle à notre Constitution, c'est à eux qu'on pourrait adresser ce reproche.

En effet, la base de la Constitution repose sur cet axiome que : « Tout pouvoir émane de la nation. »

Je crois inutile d'expliquer le sens constitutionnel dans lequel le mot « nation » doit être entendu.

Si donc le pouvoir émane de la nation, c'est à la nation de constituer le gouvernement selon les formes prescrites et qui se renferment, principalement dans l'élection.

Si le gouvernement, en intervenant directement dans les élections, en opposant ses candidats à lui, aux candidats des électeurs ou d'un certain nombre d'entre eux, ne peut-il être assimilé à celui qui, dans une action civile, voudrait circonvenir son juge pour gagner plus facilement son procès ? Il n'y aurait que cette différence que la corruption, exercée par l'un, serait d'autant plus coupable que les intérêts engagés dans la solution da la question sont plus considérables.

(page 566) On nous a encore reproché notre hostilité à la liberté commerciale.

Ce reproche atteint vos amis autant que les nôtres, car les prohibitionnistes se trouvent en plus grand nombre sur vos bancs que sur les nôtres, à commencer par l’honorable M. Van Iseghem qui trouve qu'il faut accorder non seulement une protection, mais une prime à la pêche nationale, jusqu'au membre qui veut équilibrer la vente des produits naturels entre les divers producteurs du pays.

Et puis, les dernières élections de Gand n'ont-elles pas été faites au nom du prohibitionnisme en faveur de M. le ministre des travaux publics et de ses collègues, contre M. Debaets, conservateur, accusé de haute trahison au coton, selon l'expression du ministre des finances. Or, sur quel banc se trouve le libre échangiste gantois, et où siègent les prohibitionnistes de la même ville ?

Et enfin, messieurs, ce n'est pas notre tête, ni celle des honorables collègues, de Naeyer, Julliot, Royer de Behr et tant d'autres, dont les aspirations vers la liberté sont suffisamment connues et appréciées, qu'on coiffera de l'éteignoir du protectionnisme.

Pour notre part, nous réclamons depuis longtemps, l'avènement de l'ère de la liberté. Nous nous disons : la liberté est un bien ou un mal ; si elle est un bien, nous ne saurions l'obtenir trop tôt ; si elle est un mal, on devrait à jamais l'écarter. Mais comme la liberté ne saurait être que le bien, nous désirons qu'elle nous arrive le plus promptement possible.

Et quand nous demandons l'application immédiate de la liberté de commerce, par exemple, que nous répond le ministère par l'un ou l'autre de ses organes ?

Le libre échange ne peut être appliqué que lentement, avec beaucoup de précautions ; on ne peut pas brusquer, il faut avoir égard aux perturbations qui pourraient en être la conséquence pour l'industrie, etc.

Et ceux qui nous opposent ces arguments sont précisément ceux qui nous accusent d'être des rétrogrades et des opposants à tout progrès.

Non, messieurs, quoi que vous fassiez, vous ne réussirez pas dans vos dessins. Quelles que soient les intentions que vous nous prêtez, nous vous crierons toujours en avant lorsque vous voudrez faire un pas, fût-il des plus timides, dans la voie de la liberté.

Nous sommes convaincus que la liberté porte dans ses flancs le développement constant de toutes les forces qui constituent la civilisation, la grandeur et la prospérité des nations.

M. Jacquemyns. - Messieurs, on a dit que le programme de l'honorable M. Dechamps est un masque. Je ne désire pas toutefois entrer dans le fond de la discussion, je désire borner mes observations à ce qui concerne le programme, qu'il soit masque ou qu'il ne le soit pas. Je crains que ce masque, si c'en est un, ne cache beaucoup trop de choses pour que je puisse les traiter dans cette discussion. Je n'ai pas d'ailleurs l'habitude de prendre part aux discussions politiques, et je crains que l'examen détaillé du programme de l'honorable M. Dechamps et de ce qu'il pourrait cacher, ne m'entraîne trop loin. Je renfermerai donc mes, observations strictement dans ce qui concerne le texte même du programme de l'honorable M. Dechamps.

La droite nous a demandé à diverses reprises : Comment se fait-il que le cabinet actuel, après s'être retiré, après que les ministres eurent donné leur démission, se trouve de nouveau au pouvoir ? Comment se fait-il que la gauche, après avoir engagé la droite à prendre le pouvoir et après lui avoir dit solennellement : « C'est vous qui avez créé la position, vous devez en assumer la responsabilité », comment se fait-il que la gauche de cette Chambre soit encore représentée au pouvoir ? Messieurs, la réponse à cette question est très simple.

Lorsque la gauche engagea la droite à prendre le pouvoir, elle l'engagea, et particulièrement l'honorable M. Dechamps, à accepter le pouvoir dans les conditions normales, dans les conditions dans lesquelles il est permis d'aspirer au pouvoir ; mais avec le programme de l'honorable M. Dechamps, les conditions deviennent tout à fait différentes.

L'honorable M. Dechamps a cherché à composer un ministère modéré, disait-il ; il a cherché dans la gauche à composer un ministère modéré, mais il a trouvé toute la gauche complice de ce qu'il appelle les exagérations du parti libéral.

Il n'a pas cherché dans la droite ; lorsqu'il a vu qu'un ministère de gauche était impossible, qu'un ministère extra-parlementaire était impossible, il a considéré un ministère modéré de la droite comme également impossible, et il a présenté son programme.

Le programme de l'honorable membre a été repoussé par la Couronne, et j'admets volontiers que le ministère libéral doit porter la responsabilité de cet acte.

Pour moi, je n'ai aucune responsabilité à cet égard, mais je ne reculerais en aucune manière devant la nécessité d'en accepter ma part.

Que propose l'honorable M. Dechamps ? Il ne se borne pas à une seule condition, comme le ministère libéral ; la seule condition que le ministère libéral ait cru devoir proposer, c'est la dissolution éventuelle de la Chambre.

Mais l'honorable M. Dechamps, qui nous avait dit et prouvé que la dissolution était une mesure révolutionnaire, réactionnaire et qu'il fallait l'éviter à tout prix, s'est néanmoins décidé à la demander.

Si l'honorable membre avait borné là sa demande, aucun membre de la Chambre n'eût trouvé qu'il eût tort.

Mais lorsque, après longues hésitations, l'honorable M. Dechamps triompha de son horreur pour la dissolution de la Chambre, il s'est mis tout à coup en verve de dissolutions, et il demande non pas une, mais six dissolutions. Permettez-moi, messieurs, d'intervertir un peu l'ordre des articles de son programme.

Je dirai que la première condition de ce programme, c'était la destitution des fonctionnaires.

On a reproché à la gauche d'avoir provoqué des destitutions. La droite en a provoqué tout autant. Mais lorsque l'honorable M. Dechamps vient mettre en termes formels dans son programme le droit de destituer les fonctionnaires, il n'est pas un fonctionnaire public en Belgique qui ne soit persuadé que le futur président du conseil des ministres était bien décider à provoquer beaucoup plus de destitutions qu'on ne l'avait fait pendant longtemps.

Déplacement, destitution des fonctionnaires publics, par conséquent dissolution, en quelque sorte, du corps des fonctionnaires de l'Etat, c'était la première condition.

La seconde condition, c'était la dissolution de la Chambre des représentants. Je passe : les deux partis la demandent. Dissolution du Sénat, c'était la troisième condition. Mais comme quatrième et cinquième conditions, l'honorable membre demandait l'abaissement du cens électoral pour la province et la commune.

L'honorable membre s'est étonné que cette proposition n'eût pas même été discutée ; je m'imagine que si elle avait été discutée, il aurait volontiers cédé beaucoup, quant au taux du cens électoral ; je m'imagine qu'au lieu de proposer un maximum de 35 francs, il aurait volontiers consenti à un maximum de 38 et même de 40 francs.

Mais quel était le but ? C'était d'arriver à une dissolution des conseils provinciaux, ainsi que de tous les conseils communaux.

Comme sixième condition, l’honorable membre demande l'extension des attributions des conseils provinciaux, afin de résoudre plus promptement toutes les questions.

A ces conditions, l'honorable membre se fait fort d'écarter des discussions de la Chambre tout ce qu'il peut y avoir d'irritant.

J'ai réfléchi beaucoup à cette sixième condition : extension des attributions des conseils provinciaux.

Mais, messieurs, je comprends parfaitement que lorsqu'on a organisé complètement les élections, soit par la destitution réelle des fonctionnaires, soit par cette menace incessante de destitution ; lorsqu'on a renouvelé la Chambre des représentants sous cette influence, influence de terreur, dirai-je ; lorsqu'on a renouvelé le Sénat ; lorsqu'on a renouvelé les conseils provinciaux et communaux ; lorsqu'on a ainsi dissous tous les corps électifs du royaume, je conçois parfaitement qu'il soit très facile d'écarter de la Chambre tonte discussion irritante. Il suffira de porter devant les conseils provinciaux toutes les questions de nature à provoquer des discussions de ce genre. De cette façon, messieurs, nous n'aurons plus ici de discussion sur la mainmorte, il suffira d'autoriser les conseils provinciaux a faire une législation appropriée aux opinions qui y dominent.

M. de Naeye0µ. - C'est impossible.

M. Jacquemyns. - Il y a telle province où la majorité du conseil sera favorable à la mainmorte ; telle autre qui n'en veut pas. Eh bien, chacune d'elles se donnera une législation conforme à ses opinions sur cette matière.

Dans ce système, telle province aura des fondations, elle en admettra peut-être en faveur de ses universités libres ; telle autre province aura une législation et des institutions diamétralement contraires.

Il suffira donc, pour écarter de nos débats toute discussion irritante, de déférer aux conseils provinciaux l'examen des questions qui peuvent les provoquer.

Il en serait de même en ce qui concerne la question des cimetières : chaque province aurait également sa législation spéciale, et de cette façon disparaîtraient de la Chambre ces débats irritants, que cette question fait naître.

(page 567) En ce qui concerne la langue flamande, la question est également très facile à régler au moyen du même procédé ; il suffira de s'en rapporter aux conseils provinciaux, pour la question de savoir quelle langue sera employée dans les diverses branches de l'administration publique.

La question de la milice présente peut-être un peu plus de difficultés.

La question de la milice, je l'avoue, me semble moins facile à résoudre.

Mais, après tout, si l'on veut enlever à la Chambre des représentants ses attributions actuelles pour étendre celles des conseils provinciaux, je ne vois pas trop pourquoi on ne déciderait pas quel serait le contingent que chaque province fournirait à l'armée, en laissant à chaque conseil provincial le soin de le répartir dans sa circonscription territoriale comme il le jugerait opportun.

Nous arriverions ainsi à un système qui ressemblerait beaucoup à celui des Etats-Unis ; nous arriverions à un système qui ressemblerait sous bien des rapports au système de la Suisse ; et, je dois le dire, ce qui m'inquiète franchement, c'est que la ressemblance serait peut-être un peu trop grande.

Je comprends que, dans ce système, chaque province pourrait avoir son prince évêque, son marquis ou son comte et même son ruward. Mais chaque province aurait aussi ses meetings et je pense même que beaucoup de membres libéraux de cette Chambre seraient très enchantés d'en avoir et de s'y rendre. Pour ma part, je suis tout aussi partisan des meetings que l'honorable M. Delaet et je ne manquerais pas de m'y rendre s'il s'en établissait dans de semblables circonstances.

Une difficulté, c'est la question d'Anvers ; mais je reviendrai tout à l'heure sur cette question.

Hier, l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse nous a montré combien il se croyait sûr d'obtenir ce programme ; il touchait à la réalisation du plus cher de ses vœux, lorsque tout à coup le ministère libéral intervint et accepta de continuer la gestion des affaires, à la seule condition de la dissolution éventuelle de la Chambre.

C'est un coup d'Etat, dit M. d'Hane, quand on a proposé des réformes aussi profondes, et je ne sais si je dois les appeler réactionnaires ou révolutionnaires, quand on a proposé un ensemble si grave de réformes, c'est, d'après M. d'Hane, un coup d'Etat de venir dire : Il n'est pas nécessaire de faire toutes ces réformes, nous acceptons le pouvoir à la seule condition de pouvoir dissoudre éventuellement la Chambre des représentants. M. Coomans a interrompu l'honorable membre en disant : « C’est un petit coup d'Etat. »

En effet, c'est un bien petit coup d'Etat que d'accepter le pouvoir à la condition de pouvoir éventuellement dissoudre la Chambre des représentants ; mais je crois que c'eût été un grand coup d'Etat d'arriver au pouvoir à la condition de destituer les fonctionnaires, dissoudre tous les corps électifs du pays, étendre les attributions des conseils provinciaux aux dépens de celles de la Chambre des représentants.

M. d'Hane-Steenhuyse ne nous a pas épargné les accusations. « L'hospitalité, dit-il, est une antique vertu nationale, et vous avez expulsé le colonel Charras, vous avez voulu expulser Raspail qui a trouvé un asile chez un de nos collègues, l'honorable comte Vilain XIIII. Qui a porté atteinte à la liberté individuelle ? Vous, dans la personne d'un de nos collègues ?

J'ai trouvé, messieurs, que l'honorable membre était malheureux dans ces citations. Vous avez, dit-il, expulsé le colonel Charras et Raspail. J'ai ici sous la main la discussion qui a eu lieu à la Chambre des représentants à l'occasion de l'expulsion du colonel Charras. Elle eut lieu sous le ministère Faider, et non sous le ministère actuel ; et ce sont des membres de la gauche, notamment M. Verhaegen, ancien président, qui ont pris parti pour le colonel Charras et la droite a gardé le silence le plus absolu. Dans une circonstance plus récente, quand il s'est agi de l'expulsion d'un colonel hongrois, le colonel Streler, ce sont deux de nos collèges de la gauche, MM. Goblet et Guillery, qui ont pris la parole ; pas un membre de la droite n'a prononcé un mot dans ces circonstances.

Comment ! vous venez nous reprochez des expulsions quand nous les avons combattues ; vous nous reprochez d'avoir expulsé des étrangers quand nous les avons pris sous notre protection ; vous reprochez à la gauche d'avoir voulu expulser M. Raspail et vous dites qu'il a trouvé un asile chez l'honorable comte Vilain XIIII !

Je ne sais messieurs, si vous avez bien le droit de réclamer l'honorable comte Vilain XIIII comme l'un des vôtres. Il me semble que vous l'avez traité assez rudement pour qu'il ne soit pas tout à fait des vôtres ou de moins pour qu’on mette certaines limites à son dévouement.

L'affaire de Raspail et celle du colonel Charras se sont passées sous le ministère de M. Faider. Mais je m’en rappelle d’une autre dont la mémoire m'a été rafraîchie récemment par le narré qui en a été fait dans les journaux francais. Il se pourrait que je me trompasse sur quelques détails, nuis la Chambre se rappellera que le fond en est complètement exact.

L'administrateur de la sûreté publique dit un jour au bourgmestre de Bruxelles :

Vous avez en votre ville un étranger, un réfugié politique, qui est dangereux ; on me demande son expulsion, je vous prie de rechercher son adresse.

Le bourgmestre promit de remettre dans le délai d'une heure l'adresse de l'exilé. Il prit une voiture, se rendit à la demeure de l'exilé, le conduisit chez lui et revint, à pied cette fois, au bureau de la sûreté publique. J'ai trouvé, dit-il, l'adresse de l'exilé, la voilà, mais prenez-y garde, vous n'arriverez pas à lui sans rencontrer une vigoureuse résistance.

L'administrateur de la sûreté publique prit l'adresse ; c'était celle de feu M. Ch. de Brouckere, rue des Douze-Apôtres, n°32.

L'honorable magistrat qui avait posé cet acte de courage était-il des vôtres ? Appartenait-il à la droite ? Prenait-il sa place où l'honorable M. d'Hane se trouve en ce moment ? Non, il siégeait derrière le banc des ministres, à la gauche de la Chambre.

Mais il est une autre accusation que je tiens à repousser.

Qui a porté atteinte à la liberté individuelle dans la personne de notre collègue ?

Mais non, messieurs, je ne repousse pas cette accusation. Je pense que l'honorable M. Hayez qui a demandé la parole et qui doit parler après moi prendra la défense de la gauche en cette circonstance.

L'honorable M. Hayez se rappellera qu'il a trouvé dans cette Chambre un défenseur ardent, un défenseur chaleureux, l'honorable M. de Gottal, député appartenant à la gauche, et quoiqu'il ait remplacé M. de Gottal dans cette enceinte, cet ancien membre de la Chambre a trop de droit à la reconnaissance de M. Hayez pour que l'honorable colonel ne tienne pas à pouvoir appeler toute sa vie M. de Gottal son ami. Je laisse donc la défense de la gauche sur ce fait à l'honorable M. Hayez.

Messieurs, j'ai dit tout à l'heure que dans le système de l'honorable M. Dechamps, je me trouvais fort embarrassé de la question d'Anvers. Et en effet, cette question, depuis très longtemps, a embarrassé le pays, et comme vous tous, je m'en suis fort préoccupé en diverses occasions. Je crois franchement que l'honorable M. d'Hane nous a donné une solution hier et il suffit d'une petite modification pour que la question soit résolue pour toujours. Je vais exposer la solution que j'entrevois.

Pourquoi le gouvernement ne nommerait-il pas une commission ? Je me déclare très franchement partisan de la nomination d'une commission ; je me joins sur ce point à l'honorable M. Dechamps.

Mais je me sépare de lui sur un point. Je voudrais rendre le travail de la commission efficace, utile ; je voudrais lui voir amener un résultat auquel tout le pays applaudirait.

Que la commission soit chargée d'examiner s'il n'y aurait pas moyen de vendre la citadelle du Sud à Anvers, l'arsenal, l'école de pyrotechnie, de plus les fortifications d'Ostende. J'ajouterai très volontiers les anciens terrains militaires de Charleroi, les fortifications de Mons...

- A gauche. - Et celles de Tournai.

M. Jacquemyns. - Et celles de Tournai...

- A gauche. - Et celles de Liège.

M. Jacquemyns. - Et celles de Liège. Je tiendrais à satisfaire tout le monde et particulièrement mes honorables amis de la gauche, mais je déclare que je tiens surtout à la vente des terrains de la citadelle de Gand.

Que la commission examine loyalement, qu'elle examine avec soin si la vente de tous ces terrains entraînerait quelque inconvénient. Si la vente peut se faire, qu'on la fasse le plus tôt possible ; qu'on la retarde tout au plus dans le but d'obtenir le plus d'argent possible.

Lorsque la vente sera décidée, que l'on consulte le pays pour savoir ce que l'on fera du produit.

Que l'on demande au pays : « Voulez-vous dépenser cet argent à étendre, à développer les fortifications d'Anvers, ou voulez-vous le dépenser à d'autres travaux d'utilité publique ? »

J'accepterai très volontiers la décision du pays et je pense que la députation d'Anvers voudra bien se joindre à moi pour l'accepter également.

MpVµ. - La parole est à M. Kervyn de Lettenhove.

M. Kervyn de Lettenhove. - J'ai demandé la parole à propos de la révision de la loi sur la milice pour répondre aux observations critiques ajoutées par M. le ministre de l'intérieur à celles que m'avait déjà adressées M. le ministre des finances. Il me semble que cette question, qui depuis fort longtemps préoccupe légitimement nos populations, (page 568) méritait plus qu'aucune autre, à cause de son urgence et de son utilité immédiate, d'être l'objet d'un sérieux examen.

J'aurais voulu expliquer pourquoi nous repoussons un projet de loi qui, selon nous, présente non pas l'allégement, mais l'aggravation d'une législation mauvaise.

J'aurais désiré faire connaître en même temps ce que nous voulions y substituer dans l'intérêt du pays et dans l'intérêt de l'armée, avec une rémunération généreuse pour de loyaux services, avec une exonération modérée et accessible à tous les degrés de l'aisance.

Je reconnais toutefois, messieurs, qu'en ce moment, au point où est arrivé le débat, il est impossible d'aborder cette question avec tous les développements qu'elle réclame ; et si la Chambre veut bien m'y autoriser, j'ajournerai ma réplique à la discussion du budget du département de l'intérieur.

MpVµ. - La parole est à M. Hayez.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Hayezµ. - Je cède mon tour de parole à M. de Theux.

M. de Theuxµ. - Messieurs, nous venons combattre une politique d'intolérance et d'intimidation. M. le ministre de l'intérieur a qualifié la politique du cabinet de modérée, et il a qualifié notre opposition d'injustifiable. L'examen des faits, messieurs, résoudra la question entre les deux contradicteurs.

Nous disons que la politique inaugurée en 1847 est la même que celle qui existe aujourd'hui ; elle a les mêmes chefs, et l'honorable minière de l'intérieur, j'en suis certain, ne désavouera aucun de ses collègues ni dans la politique de 1847, ni dans la politique actuelle.

Le premier acte que je rencontre et que je qualifie d'acte d'intimidation administrative qui équivaut à une attaque violente contre la liberté des opinions, c'est la destitution en grand et d'emplois importants opérée en 1847, fait d'autant plus grave qu'à cette époque beaucoup de fonctionnaires siégeaient dans les Chambres avec la confiance de leurs mandants, persuadés que leur mandat serait exercé en toute liberté.

Cependant, à cette époque nous demandâmes au ministère si les fonctionnaires représentants conservaient toute leur liberté d'opinion et de vote. Cette question, messieurs, resta sans réponse.

L'intimidation créée par cette grande mesure des destitutions devait s'étendre à tous les candidats aux emplois publics. J'ai donc le droit de qualifier cette mesure de véritable intimidation sans précédent dans notre Belgique.

M. le ministre de l'intérieur nous a dit qu'en 1857 aucun fonctionnaire, aucun employé n'avait été destitué. C'est vrai, mais il restait peu à faire. Cependant j'ai l'intime conviction qu'il y a eu quelque velléité de faire en 1857 une opération complète, mais ou a compris qu'il y aurait quelque danger à soulever par trop l'opinion publique contre une telle mesure.

Mais, nous dit-on, vos amis politiques ont inscrit dans leur programme la destitution de quelques fonctionnaires. Je répondrai, messieurs, que ce programme ne contenait point une mesure préventive à raison des opinions ; il prévoyait des actes ; en deuxième lieu, les termes étaient modérés et la principale garantie était dans le caractère modéré bien connu des membres du cabinet échoué. Une autre garantie, messieurs, consistait dans l'opposition violente que les destitutions non méritées auraient provoquée dans les rangs de la gauche.

En présence de ces garanties, messieurs, je l'avoue, je ne craignais aucun abus de la part de nos honorables amis, et je ne les aurais certainement pas conviés à en commettre.

Messieurs, l'enseignement nous fournit une deuxième matière d'appréciation de la politique modérée.

Voyons d'abord en 1847 pour l'enseignement supérieur. Le gouvernement nous proposa d'abdiquer en ses mains à perpétuité le droit de constituer le jury d'examen sans qu'il y eût dans le projet aucune garantie légale ; les garanties légales ont été introduites dans la Chambre.

Pour ce qui concerne l'enseignement moyen, l'exposé des motifs nous annonçait non point la nécessité de satisfaire à des lacunes ; dans cette limite, le projet n'aurait rencontre aucune opposition, puisque nous-mêmes antérieurement avions proposé la création de dix athénées ; mais on annonçait l'intention de faire concurrence à l'enseignement libre, de le déposséder dans une certaine mesure.

Dans ce projet, messieurs, il n'y avait aucune garantie pour la religion.

C'est l’honorable M. Lelièvre qui a introduit, dans la loi de 1850, la garantie, qui y existe. Il y avait dans ce projet encore une atteinte à la liberté en ce qu'il contenait pour certains emplois de l'Etat un privilège pour les élèves sortis de ses établissements. Enfin il y avait la création du grade d'élève universitaire, également sans garanties légales pour l'examen, la composition du jury restant encore une fois abandonnée aux soins du gouvernement.

L'enseignement primaire. Cet enseignement, tel qu'il était consacré dans la loi de 1842, était menacé dans l'une de ses bases essentielles. Ainsi, M. le ministre des finances aurait certainement donné la main au retrait de la disposition de la loi qui appelle le clergé à donner son concours. D'autre part, M. le ministre des affaires étrangères approuvait, au moins en principe, l'idée de créer de par la loi l'obligation de suivre les écoles primaires.

Or, messieurs, quelle eût été la conséquence de ces modifications ? C'eût été la destruction d'une des garanties sociales les plus importantes pour la classe la plus nombreuse de la société, et à l'âge le plus tendre où les impressions morales et religieuses sont des plus nécessaires.

D'autre part, l'enseignement obligatoire renfermait dans ses flancs des conséquences très graves. De quelles dispositions accessoires cette obligation eût-elle été entourée ? Nécessairement il fallait des examens et des études suffisants dans l'école primaire. Il ne suffit pas de mettre un principe dans la loi, il faut qu'il soit réalisé dans la pratique.

Autre conséquence. Les parents, inquiets sur les obligations que la loi leur imposait, n'avaient pas osé confier aux écoles primaires libres leurs enfants, de crainte d'encourir quelques pénalités légales. Il aurait fallu sans doute que les écoles libres offrissent des garanties : locaux, capacité des maîtres, choix des livres et d'autres mesures encore. En un mot, on aurait pu rétablir dans la loi la disposition que le Congrès national a formellement rejetée, lorsqu'il a décrété la liberté de l'enseignement, et qu'on voulait, mais en vain, apporter à cette liberté quelques garanties administratives.

Enfin, la loi des bourses, que nous considérons comme une spoliation, a été encore un acte extrêmement grave en ce qui concerne l'enseignement.

Messieurs, quel est le degré de confiance que nous devons avoir dans quelques personnes qui sont assises sur les bancs de nos honorables adversaires ?

Le libéralisme, au moins plusieurs de ses membres ne sont guère favorables à la liberté d'enseignement. C'est ancien. Ainsi, sous le gouvernement des Pays-Bas, on a abandonné entièrement cette matière si importante aux soins du gouvernement. Ce n'est que dans les dernières années, alors que de très grands griefs ont atteint l'opposition libérale, qu'elle s'est jointe à l'opposition catholique pour réclamer la liberté d'enseignement.

Au Congrès, ainsi que je viens de le rappeler, on avait proposé d'ajouter une disposition restrictive à la Constitution.

Depuis lors, un grand nombre de projets ont été proposés ; presque tous renfermaient l'idée du monopole ou d'une concurrence excessive.

Ainsi, messieurs, pour l'enseignement supérieur, on a voulu laisser exclusivement aux universités de l'Etat la collation des grades. Etait-ce là un système libéral ? Assurément non.

Mais, messieurs, les idées libérales, ou du moins les principes de quelques libéraux sont à peu près les mêmes partout. En France, bien que la charte de 1830 contînt à cet égard une disposition formelle, jamais les catholiques français n'ont pu obtenir la liberté d'enseignement.

Il a fallu même que la grande commotion de 1848 amenât une assemblée nouvelle qui la consacra définitivement en principe et en fait.

N'avions-nous pas de justes sujets de crainte et de défiance ? et peut-on nous reprocher le peu d'empressement que la droite a apporté à la confection des lois sur l'enseignement dans lesquelles elle craignait toujours l'introduction de quelques mesures restrictives de la liberté.

Cependant je dois répondre à une accusation injuste, émanée de l'honorable M. Orts : il a parlé de la désorganisation des universités de l'Etat. Or, c'est là le fait du gouvernement provisoire.

Ce n'est qu'en 1835 qu'on a pu voter la loi, et cela se conçoit. Il n'y a, sous ce rapport, de reproche à faire à personne.

Les embarras politiques, financiers et autres, dont le pays était préoccupé à un degré suprême dans les premières années, n'ont pas permis alors d'aborder immédiatement l'examen et la discussion des lois organiques. Mais, en attendant, qui souffrait de l'absence de la loi ? C'était évidemment la liberté, puisqu'il n'y avait aucun moyen d'obtenir les grades académiques avant la loi de 1835. Il fallait nécessairement passer par les universités de l'Etat.

Quelques mots seulement de l'article 84 de la loi communale. Le sens que le gouvernement avait donné à cet article pendant plusieurs années avait été confirmé par une cour d'appel et par la cour de cassation. Nonobstant on avait, par des mesures administratives, dénaturé le sens de l'article 84 dans l'application. Mais finalement on s'était décidé à proposer aux Chambres l'interprétation de l'article 84, en (page 569) dehors de tous les usages, car le moment de l'interprétation législative n'était pas arrivé, et je dirai même qu'on ne pouvait alors proposer cette mesure, sans manquer de respect à l'autorité judiciaire.

Cette interprétation a été donnée sous l'influence des préoccupations politiques, et l'interprétation que la Chambre avait primitivement acceptée a été rejetée à l'unanimité par le Sénat, qui y a introduit une disposition écartant l'effet rétroactif. Ce n'était donc plus une véritable loi d'interprétation, c'était en définitive une loi d'abolition de l'article 84.

Quant à la loi de 1842, bien qu'elle n'ait pas été changée dans ses dispositions, il n'en est pas moins certain que dans l'application l'esprit en a été altéré quelquefois, par exemple en ce qui concerne l'adoption des écoles à l'égard desquelles, aux termes de la loi de 1842, les communes devraient avoir plus de latitude.

Je passe à un troisième point, les élections : point très important dans un gouvernement représentatif.

Eh bien, M. le ministre de l'intérieur qui nous a fait l'exposé du système de modération, est, je pense, le membre de la Chambre qui a pris l'initiative pour inviter l'assemblée à décréter les votes par ordre alphabétique. (Interruption.)

Je crois que c'est M. le ministre de l'intérieur qui, comme député, a conseillé la mesure (nouvelles interruptions) ; il l'a du moins indiquée comme une menace qui pouvait se réaliser.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Pardon, si mes souvenirs sont fidèles, je n'ai jamais dit un mot en faveur de cette réforme, et lorsqu'un vote a été émis, je me suis abstenu, en disant qu'il fallait y réfléchir bien mûrement, avant de toucher à nos lois organiques.

C'est donc une erreur de la part de l'honorable M. de Theux, quand il pense que j'ai indiqué, appuyé ou conseillé cette mesure.

M. de Theuxµ. - 'est donc une erreur de fait, et je suis bien aise de la rectification, parce que j'aime beaucoup mieux trouver chez MM. les ministres des dispositions libérales et conciliantes que de trouver chez eux des adversaires irrévocables.

Mais il n'en est pas moins vrai que cette réforme a été réclamée et qu'elle nous a été présentée comme une véritable menace ; je crois que si on l'eût réalisée, c'eût été briser, en réalité, la liberté des élections !

Messieurs, une pression très sérieuse et très directe de la part du gouvernement a été exercée depuis 1847 sur les élections. Cette pression a été exercée, non seulement par le système de collation des emplois mais encore par la convocation des conseils communaux à l'effet d'entendre lire une circulaire ministérielle dans toutes les communes.

Quel était le but de ces mesures exorbitantes et sans précédent dans notre pays. C'était évidemment, soit d'intimider les administrateurs communaux, soit de faire croire au pays qu'il était réellement en danger et qu'à tout prix il fallait que le ministère triomphât dans les élections.

Messieurs les bourgmestres, parfois même les échevins ont été appelés dans le cabinet secret de MM. les commissaires d'arrondissement, et là ils ont reçu les invitations les plus précises à voter pour les candidats ministériels.

Ensuite, on a saisi l'occasion de la révolution de France, pour détruire une disposition de la loi électorale que le Congrès national avait cru juste pour maintenir autant que possible l'équilibre des droits entre les villes et les campagnes et entre les chefs-lieux d'arrondissement et les autres villes de l'arrondissement.

Cette mesure, messieurs, consistait dans le cens différentiel ; on l'a aboli et il en est résulté que les électeurs des chefs-lieux d'arrondissement ont eu un avantage considérable relativement aux autres villes du même arrondissement et relativement aux communes rurales.

De plus, la législature, qui avait voté la loi des patentes sur les débits des boissons distillées, avait par une disposition formelle décidé que cette patente ne compterait pas pour fixer le cens électoral, parce qu'elle considérait ce droit comme un droit de consommation ou de fabrication.

Mais, messieurs, si l'on a cru en 1849 que la Constitution exigeait que ce droit de patente pût compter dans le cens électoral, n'aurait-il pas été loyal, pour rester dans le sentiment des auteurs de la loi primitive, de supprimer cet impôt et de le remplacer par l'accroissement de l'impôt sur la distillation ?

MfFOµ. - Pourquoi ne l'avez-vous pas proposé en 1849 ?

M. de Theuxµ. - Toutes ces mesures, messieurs, avaient un seul et même but : c'était de favoriser tout spécialement l'élection des membres de la gauche.

Je ne reproduis pas ici les critiques des enquêtes judiciaires et parlementaires faites dans des discussions récentes.

L'influence que nous avons signalée en ce qui concerne les élections a été, dans une circonstance importante, exercée aussi sur la Chambre des représentants et sur le Sénat.

Rappelons ici ce fameux projet de loi sur les successions. Le gouvernement provisoire avait aboli le serment ; M. le ministre des finances rétablit le serment par ce projet de loi. De plus il aggrava la loi de 1817 sur les successions, loi déjà très dure, par le droit de succession en ligne directe.

Messieurs, il y avait dans la Chambre, au moment où cette loi fut mise en discussion, une opposition formidable qu'il eût été impossible au ministère de vaincre, car elle se manifestait parmi un grand nombre de membres libéraux, comme parmi les membres de la droite.

Que faire pour sortir de cette position ? On imagina l'expédient d'ajourner la loi ; entre-temps il se fit des conversions, et à grand-peine on arriva à une majorité. Toutefois le serment fut rejeté.

Lorsque le projet de loi sur les successions arriva au Sénat, le droit sur les successions en ligne directe y rencontra une vive opposition aussi bien parmi les amis du cabinet que parmi ses adversaires, et il y fut rejeté. Le Sénat fut dissous. La majorité du Sénat opposée au projet de loi fut...

MfFOµ ; - La dissolution a amené au Sénat une majorité en faveur du principe du projet de loi.

M. de Theuxµ. - Permettez, je me rappelle parfaitement ce qui s'est passé à cette époque.

MfFOµ. - Moi aussi !

M. de Theuxµ. - On a fait grand bruit de cette loi des successions. On a dit qu'il s'agissait d'atteindre les grandes fortunes. Sous la pression dont je viens de parler, les membres du Sénat ont dit : eh bien, nous voterons un droit de mutation sur la propriété foncière ; nous, propriétaires fonciers, nous donnerons par là un gage de notre dévouement à la tranquillité publique ; le droit sur les successions en ligne directe, tel qu'il était proposé, fut rejeté et transformé en un droit de mutation sur les immeubles. Voilà ce qui s'est passé.

MfFOµ. - Du tout !

M. de Theuxµ. - J'ai entendu un grand nombre de sénateurs s'exprimer dans ce sens ; mes souvenirs en ce point sont parfaitement exacts.

MfFOµ. - Vous vous trompez. Voulez-vous me permettre une rectification ?

M. de Theuxµ. - Certainement.

MfFOµ. - Vous supposez que l'opposition a voulu faire preuve de désintéressement et que c'est pour arriver à faire voter la loi qu'on a transformé le droit de succession en un droit de mutation ?

M. de Theuxµ. - Oui.

MfFOµ. - Eh bien, c'est une erreur de votre part ; mes souvenirs ne sont nullement d'accord avec les vôtres. La loi a été d'abord repoussée, après le rejet d'un amendement qui la rendait temporaire. Cette proposition a précédé la dissolution. La proposition qui primitivement avait été rejetée n'a plus été reproduite après la dissolution, qui avait donné une majorité en faveur du principe de la loi, et c'est alors seulement qu'est venue la proposition dont vous parlez.

M. de Theuxµ. - Cependant elle n'a été votée qu'après la dissolution.

MfFOµ. - Sans doute, mais lorsque le pays s'était prononcé en faveur du principe de la loi.

M. de Theuxµ. - Enfin il y avait dans le Sénat un sentiment de délicatesse qui lui faisait craindre de ne pas consentir à une imposition suffisante de la propriété.

Eh bien, sous l'empire de ce sentiment, le Sénat a fait le sacrifice de ses intérêts personnels pour sauvegarder au moins la fortune mobilière de l'obligation de s'exposer plus ou moins à la curiosité publique.

Messieurs, encore un fait que je rappelle simplement en passant. On a fait voter la loi des fortifications d'Anvers en l'absence des députés et des sénateurs du district de Louvain. J'ai, dans le temps, signalé ce fait comme exorbitant ; je n'ai jamais compris que l'on eût fait voter dans de pareilles conditions une mesure aussi importante.

En ce qui concerne la liberté de la chaire, nous croyons avoir démontré, dans la discussion du Code pénal, de la manière la plus évidente, la plus péremptoire que l'article voté n'est pas en harmonie avec les garanties assurées par la Constitution.

Quant aux cimetières, nous ne nous occupons pas de tel ou tel cas particulier, mais nous blâmons le système d'impulsion donné à la promiscuité des inhumations.

M. le ministre des finances a cité un arrêté que j'ai contre-signé relativement à un cimetière de la ville de Tournai. Je n'ai aucun souvenir de ce fait et je ne me suis pas donné la peine d'aller au ministère pour (page 570) consulter le dossier ; mais ce que je puis dire, c'est que jamais, ni comme ministre, ni comme député, je n'ai poussé au système de la promiscuité des inhumations.

Je n'ai pas non plus voulu enlever aux fabriques d'église le droit d'agrandir les cimetières et d'en créer de nouveaux. (Interruption.)

J'en viens aux biens des fabriques d'église destinés au service du culte. Nous avons vu dans une adresse en réponse au discours du Trône ces mois : les biens des fabriques d'église sont laïques. Si l'on avait entendu dire par là qu'ils ne pouvaient être aliénés, échangés, acquis qu'avec l'autorisation du gouvernement, que les contestations auxquelles ils donnaient lieu tombaient sous la juridiction des tribunaux, cela ne pouvait souffrir aucune espèce de critique ; mais nous avons vu qu'on voulait transformer le genre de la propriété et qu'on arriverait ainsi peu à peu à en faire une propriété communale dans l'administration et l'application.

le projet de loi sur les conseils de fabrique dont le ministre de l'intérieur a présenté l'analyse valait-il la peine d'être soumis aux Chambres ? Nous pensons qu'il y avait bien d'autres dispositions que celles qu'il nous a fait connaître ; les évêques ont été consultés sur cet avant-projet, nous ne savons pas leur réponse, mais ce qui est certain, c'est que ce projet a causé beaucoup d'émotion. M. le ministre ne pourrait pas dire qu’il ne renferme pas d'autres mesures que celles qu'il a exposées dans son discours.

Nous avons été plusieurs fois péniblement affectés et nous l'aurions été davantage, si nous n'avions pas été habitués à la discussion et si nous ne trouvions pas une garantie dans la discussion même, ce sont les discours passionnés que nous avons entendus tant sur les bancs des ministres que sur les bancs de la majorité. Ces discours ont péniblement impressionné les amis du culte catholique, ils ne doivent pas avoir plu à plusieurs membres de la gauche qui se font honneur d'appartenir à ce culte et de le pratiquer.

Bien des menaces nous ont été adressées ; nous ne savons pas encore en quoi elles consistent ; mais d'après ce que nous avons entendu, nous craignons qu'elles ne voient peu à peu le jour.

Après cela M. le ministre des finances a parlé de surexcitation en matière de religion, il a parlé de fanatisme ; il n'en est rien. Le XIXème siècle n'est pas susceptible de fanatisme, mais il y a au XIXème siècle des convictions aussi fermes qu'au siècle précédent ; il y a un degré de lumière et d'intelligence qui veut donner une nouvelle valeur à ces convictions.

Si l'inquiétude a été répandue parmi les amis du culte catholique, c'est qu'il y avait des faits sérieux, graves, des tendances qui inspiraient de l'inquiétude. On dira : Ce sont vos préjugés religieux qui vous font apprécier ainsi les faits et les discours.

Nous pourrions retourner l'argument et dire que les préjugés antireligieux de nos adversaires inspirent leur appréciation. Mais notre appréciation a été jugée par le pays électoral dans plusieurs circonstances ; il en a été donné des preuves.

Nous avons à parler des réserves que l'on a voulu insérer dans le Congrès national aux libertés religieuses et sociales ; si le Congrès n'avait pas eu tant d'esprit de prévoyance, il aurait pu se laisser entraîner.

Cela paraissait peu dangereux dans la forme, mais on sait bien qu'en politique on trouve moyen, à l'aide de telle expression équivoque, de restreindre la liberté et de lui faire courir un danger sérieux et grave. Aujourd'hui plus que jamais je m'applaudis d'avoir voté toutes les libertés sans restriction, non seulement les libertés relatives aux cultes et aux intérêts moraux, mais pour les intérêts politiques et autres. C'était le seul moyen de donner à notre Constitution la popularité et la garantie de durée.

Je pourrais ajouter que les opinions que j'ai exprimées au Congrès et les dispositions que j'ai votées étaient dans mon esprit bien des années avant la réunion du Congrès.

Lorsqu'on entendit le discours du Trône rédigé dans des termes modérés, on conçut quelque espoir d'adoucissement dans la politique, mais il en a été autrement ; l'adresse en réponse à ce discours a été aussi agressive que possible, le ministère lui a donné son appui, de sorte que rien n'est changé ; aussi rien n'est changé dans notre opposition au cabinet et à sa politique.

M. le ministre de l'intérieur a dit que notre opposition était injustifiable, M. le ministre des affaires étrangères a dit qu'elle était factieuse.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'ai dit si elle refusait les moyens de gouverner.

M. de Theuxµ. - Vous vous êtes servi de termes très désobligeants ; j'aime mieux que le mot n'ait pas été prononcé ou soit rétracté.

Je dirai d'abord que notre opposition a entraîné l'amendement, le rejet ou l'ajournement de plusieurs dispositions antilibérales qui ont été soumises au Parlement ou qui étaient en projet.

Noire opposition n'eût-elle eu que ce résultat, nous aurions lieu de nous en glorifier pour notre opinion et aux yeux de nos commettants. La liberté de discussion, je comprends qu'elle gêne le gouvernement, mais cela ne doit pas nous arrêter.

Notre opposition, messieurs, a t-elle été inutile dans la discussion de la loi su' les successions ? Est-ce à tort que nous avons fait rejeter la disposition relative au serment ? Est-ce à tort que le droit de mutation sur les meubles et les immeubles, qui avait obtenu la majorité dans cette Chambre, a été réduit par le Sénat au seul droit de mutation sur les immeubles ?

Je crois, messieurs, que c'est là un très beau résultat et qui n'avait assurément rien de factieux.

Nous avons aussi, par notre opposition, obtenu que l'article 84 de la loi communale ne fût pas interprété avec effet rétroactif.

Enfin, l'opposition aux fortifications d'Anvers !

Je dirai, messieurs, que l'opposition a été, dans les deux Chambres, modérée et prudente.

Si l'on avait donné un libre cours à la discussion de ce projet, on eût eu un tout autre caractère, mais elle a été modérée et prudente et je ne le regrette pas.

On a été, il y a quelques années, jusqu'à nous reprocher notre silence, notre abstention de discussions vives et animées.

Eh bien, messieurs, dans quelles circonstances nous adressait-on ces reproche» ? C'est lorsque nous étions en présence d'une situation extérieure qui devait nécessairement préoccuper le pays. C'est alors que les provocations partaient des bancs des ministres. Nous n'y avons pas répondu. Nous avons accepté avec patience cette espèce de provocation injurienue et qui certainement n'était pas politique.

Messieurs, nous venons d'assister à des discussions passionnées pour la conservation des portefeuilles dans les mains actuelles. Nous avons été témoins dans d'autres temps de discussions passionnées pour faire passer les portefeuilles aux mêmes mains.

Le programme de mes honorables amis a été attaqué avec une violence qu'il ne méritait pas. Ces attaques, messieurs, disons-le, indiquent le but que l'on veut atteindre.

On veut par là effrayer le pays, et prouver que le ministère actuel est une nécessité.

Mais ces attaques sont contradictoires. Parmi les amis du ministère, il en est plusieurs qui trouvent le programme insignifiant ; il en est d'autres qui le trouvent insuffisant, et qui iraient beaucoup plus loin.

Quant à nous, messieurs je déclare,cn ce qui me concerne personnel-lement,que je n'ai trouvé dans ce p-ograramc rien d'alarmant ni pour la nationalité, ni pour la sécurité de l'Etat.

C'est un programme livré à l'appréciation du public, q ri devait être eganisé par des projets de loi qui eussent subi l'épreuve des d scusiions de la Chambre et du Sénat après l'épreuve du scrutin électoral.

Je trouve dans ce programme la franchise, car il est bon, lorsqu'on a des idées nouvelles à mettre au jour, de les énoncer avant d'être au pouvoir. Il y a là une franchise dont on doit savoir gré aux membres de la droite. Il y avait là de leur part une abdication de l'autorité dont ils avaient à faire usage dans la composition des administrations communales, car le renouvellement des administrations communales par moitié n'est pas extrêmement éloigné. Ce cabinet faisait donc abandon en partie du pouvoir que la loi actuelle accorde réellement et en pratique aux ministres.

Ce n'est pas tout.

Messieurs, le parti conservateur, a-t on-dit, est devenu le parti dissolvant. Je vous avoue que cette accusation m'a singulièrement étonné. Je croyais au contraire que le gouvernement actuel était un gouvernement de parti et un gouvernement dissolvant.

Lorsqu'on divise les citoyens quant aux emplois, qui sont aujourd'hui si nombreux, en deux catégories, l'une de privilégiés, l'autre de parias, vous savez ce qui en résulte. Vous savez, messieurs, quel retentissement a eu, sous le gouvernement des Pays-Bas, cette question de la nomination aux emplois.

Ici nous sommes tous frères, nous sommes tous Belges. Mais dans les familles on n'a plus le droit d'aînesse. Tous les frères sont admis au partage égal, avec le bon vouloir naturellement de leurs parents, à la succession paternelle et maternelle.

Je crois que sous un bon gouvernement il ne doit pas y avoir exclusion systématique, des classes privilégiées et des classes écartées.

Messieurs, le cabinet actuel est arrivé au pouvoir avec une minorité de dix-huit voix au moyen de la dissolution. Il reste aujourd'hui avec une majorité de deux voix et il va de nouveau faire la dissolution de la Chambre des représentants.

(page 571) C'est là un fait anomal et qui se justifie difficilement.

Messieurs, il ne manquait plus qu'un élément dans la discussion, c'était d'invoquer le nom du Roi dans nos débats. Ce procédé n'est ri royaliste ni constitutionnel. Le Roi livre à l'appréciation des Chambres et du pays les actes de ses ministres, mais personnellement il doit toujours rester en dehors de nos débats. Jamais son influence, son opinion personnelle ne doivent y être apportées. Le Roi est d'ailleurs trop connu pour être exempt de tout esprit de parti pour qu'on puisse apporter son nom dans un débat parlementaire.

A-t-on voulu faire du sentimentaliste ? Eh bien, l'on a perdu son effet. Il est certain que nos précédents répondent de nos sentiments royalistes dans le présent et dans l'avenir.

Il n'y a donc aucune distinction à faire entre la gauche et la droite et j'avoue que si je n'ai pas applaudi à plusieurs expressions de royalisme émanées des bancs de la gauche qui ont été fortement applaudies, c'est que je considérais ces manifestations comme injurieuses pour la droite.

Nous sommes un danger pour le pays à cause de l'autorité spirituelle, à cause de l'autorité que nous subissons dans l'enseignement. Nous ne sommes pas en possession de notre liberté.

Messieurs, rassurez-vous et convenez avec moi qu'aucune constitution moderne n'a été abolie ni altérée sous l'influence du clergé dans aucun pays libéral.

Voilà un fait incontestable. S'il y a eu des constitutions altérées ou abolies, c'a été sous l'influence de l'esprit religieux.

M. De Fré. - Et l'Espagne.

M. de Theuxµ. - Mais, dit on, la Savoie s'est livrée à la France pour éviter l'oppression religieuse du Piémont. Vous voyez donc l’influence du clergé sur les questions les p'us nationales.

On a oublié, messieurs, que la Savoie a été cédée à la France par le roi dont la maison tirait son origine de la Savoie.

Et pourquoi ? Pour obtenir un agrandissement de territoire considérable. Mais on ne pouvait pas la livrer tout simplement à la France ; il fallait faire au moins le semblant de l'appel au suffrage universel. N'est-il pas naturel que ce peuple, se voyant abandonné par le Piémont et voyant son annexion à la France fatalement décidée, ait pris le parti de voter pour l'annexion à la France, afin d'y être reçu à bras ouverts et d'être gouverné avec bienveillance ? (Interruption.)

Mais parlons d'autres annexions ; parlons de l'annexion au Piémont de la Toscane, du royaume de Naples, pays qui étaient si heureux dans leur autonomie. (Nouvelles interruptions.)

M. B. Dumortier. - Les prisons de Naples regorgent de prisonniers politiques.

M. de Theuxµ. - Je me suis servi à dessein de cette expression. C'étaient deux pays florissants. En Toscane, on devra reconnaître qu'aucune opposition ne s'était manifestée contre le gouvernement grand-ducal, le plus libéral et le plus paternel de ce temps.

Mais, à Naples, j'admets que, dans ce royaume, il y eût une certaine classe de mécontents, qui auraient voulu avoir le régime que nous avons. Si la majorité de la nation n'en voulait pas, ce n'est pas notre affaire. Mais ce que je ne puis approuver, c'est que ce pays ait été trahi, livré à un autre Etat. Ah ! si librement, à la suite d'une enquête loyale, d'un appel loyal et libre aux populations, l'annexion eût été décrétée, nous n'aurions pas à nous en occuper et je n'aurais pas un mot à dire. Mais dans les circonstances dans lesquelles ces faits se sont accomplis, il m'est impossible de ne pas blâmer l'esprit révolutionnaire d'avoir livré ces deux pays à un autre Etat.

On me dira : C'est pour former l'unité italienne. Mais que dirions-nous si, suivant un écrit imprimé, je crois, en 1854, on venait vous tenir ce langage : la race allemande a le droit de former une unité ; la race latine doit former une unité. Conséquemment les Wallons, les Belges appartenant à la race latine ne doivent pas former une partie du royaume de Belgique ; ils doivent être annexés à une autre nation. La partie flamande de la population, avec la Hollande, doit être annexée à l'Etat allemand qui est prépondérant ; que diriez-vous d'une pareille théorie ?

Ainsi, qu'on laisse de côté cet argument : ils aspiraient à l'unité italienne. Non, messieurs, il y avait sans doute des individus qui y aspiraient. Mais la masse des diverses nations composant l'ensemble de l'Italie tenaient beaucoup à cette autonomie. Il pouvait y avoir des griefs plus ou moins sérieux à charge de quelques gouvernements, mais au moins nous devons supposer que ces pays tenaient fortement à leur autonomie, comme nous tenons à la nôtre, Wallons et Flamands. Nous ne voudrions pas être séparés pour être annexés les uns à droite, les autres à gauche.

Messieurs, nous ne désirons rien de plus que notre Constitution, Elle nous est nécessaire, absolument nécessaire pour la paix publique et pour le bien-être moral du pays, quelque abus que l'on puisse faire des dispositions libérales de la Constitution à l'endroit de nos convictions religieuses dans aucune circonstance nous ne nous en plaindrons.

Certainement, dans notre for intérieur nous le regretterons ; mais jamais nous ne proposerons ni un changement à la Constitution, ni une loi pour arrêter des manifestations qui nous déplaisent. Mais je demande la même tolérance dans les rangs de nos contradicteurs ; je demande que personne ne se plaigne des faits que la liberté produit à notre point de vue et en vue du bien social et moral de la Belgique.

Messieurs, si une nation admet la manifestation des choses qui déplaisent à la majorité, peut-on arrêter la manifestation des choses qu'elle considère comme essentielles au bien-être religieux, social et moral de la plus grande majorité ? Il serait absurde d'en agir ainsi.

Messieurs, on a beaucoup parlé ici du principe de la liberté. On a discuté souvent et longuement, et à mon avis très inutilement, car la Chambre ne sera jamais appelée à se prononcer sur des questions de théorie, et d'ailleurs elle serait incompétente. Je rappellerai seulement, pour tâcher d'éviter le renouvellement de ces discussions inutiles, que le Congrès n'a discuté aucune question de théorie. Il s'est dit : Telle liberté est nécessaire au bien-être, au repos du pays, nous la décréterons.

De plus le Congrès national a dit : Des oppositions se sont manifestées à quelques libertés religieuses ; d'autres se manifesteront plus tard à des libertés purement politiques. Eh bien, garantissons notre œuvre et décrétons que cette œuvre ne pourra être changée que dans des conditions telles qu'il est moralement impossible de les réaliser ; de sorte qu'on peut dire que le Congrès national a exclu à perpétuité tout changement à la Constitution. Je ne crains pas de l'affirmer, aucun gouvernement ne donnera son assentiment à la modification de la Constitution. Cependant l'assentiment du gouvernement est nécessaire ; les deux Chambres ne seront jamais d'accord pour décréter que la Constitution sera changée et ne se soumettront à l'épreuve du scrutin électoral pour apprécier la nécessité ou l'utilité de ces changements, et jamais le corps électoral ne produira une majorité suffisante pour la décréter alors que les deux Chambres doivent être réunies et être présentes aux deux tiers de leurs membres.

Dans de telles conditions, soyons tranquilles ; ce n'est ni de l'Italie, ni de nulle part ailleurs que pourront venir des influences qui disposent le peuple belge à changer la Constitution sous laquelle il vit heureux et sous laquelle il vivra heureux.

Cette Constitution a mis fin, au grand avantage du pays, à ces luttes religieuses qui l'ont agité dans des temps antérieurs et notamment sous le royaume des Pays-Bas dont il venait de se détacher.

Messieurs, qu'il me soit permis d'expliquer en quelques mots, que nous avons le plus grand intérêt, nous parti conservateur, parti catholique, si l'on veut, au maintien légal de notre Constitution ; et s'il est reconnu que nous y avons un grand intérêt, vous croirez d'autant plus à la foi de notre serment et aux assurances que nous vous donnons.

Eh bien, ceci est très facile à prouver et répond en même temps à une interpellation qui a été adressée à la droite en masse dans un des derniers discours.

Je dis, messieurs, que nous y avons le plus grand intérêt. Vous savez historiquement qu'aucun peuple avant l'époque actuelle, n'a admis la liberté des cultes.

Eh bien, je suppose que les idées de tolérance que nous pratiquons eussent été admises dans les temps les plus anciens et sans interruption, croyez-vous que le peuple juif eût eu à subir beaucoup de persécutions, qu'il eût été emmené en captivité ? Je crois, au contraire, que le Décalogue, qui faisait la loi fondamentale, eût été répandu dans le monde entier et eût obtenu une immensité d'adhésions, à cause de la pureté de cette morale. Je crois, messieurs, que si la prédication de l'Evangile n'eût pas été arrêtée parmi les peuples païens civilisés ou non, son extension eût été bien plus rapide, sa prédictiion bien plus complète.

Et si les gouvernements schismatiques, les gouvernements hérétiques, les gouvernements musulmans et les gouvernements à peu près païens qui existent aujourd'hui, admettaient franchement et complètement la liberté des cultes, mais quelle ne serait pas l'extension du catholicisme dans l'immensité de l'Asie, dans les divers Etats du Nord !

Vous voyez, messieurs, que partout où la liberté a été donnée au catholicisme, il a fait à l'instant même les p'us grands progrès ; dans le royaume des Pays-Bas, dans le royaume-uni de l'Angleterre, en Allemagne, partout où la liberté a été rendue au catholicisme, il est évidemment en progrès.

Mais, dit-on, les Etats catholiques ont cependant autrefois établi des (page 572) peines contre l'introduction de cultes étrangers, interdit certaines publications. Mais oui, messieurs ; mais comment cela s'cst-il fait ? D'une manière bien simple.

Pourquoi tous les Etats ont-ils pratiqué cette politique d'exclusion autrefois ? Et les Etats catholiques, pourquoi ont-ils imité cette exclusion ? car ils ne sont venus que bien plus tard.

Eh bien, cette politique d'exclusion a été suivie par tous les gouvernements comme mesure politique principalement et comme mesure religieuse accessoirement, je le veux bien, mais les gouvernements ont vu dans la tolérance de divers cultes l'invasion d'opinions opposées à l'opinion de leur pays et peu à peu, par suite des divisions qui se seraient introduites à l'aide de cette invasion, l'affaiblissement de leurs Etats. C'est ainsi, messieurs qu'on a fait en matière de cultes ce qu'on a fait pendant des siècles en matière de protection douanière. On a dit : N'ouvrons pas nos portes aux produits étrangers, et on a dit : Ne laissons pas pénétrer chez nous les idées étrangères. Eh bien, messieurs, si les Etats catholiques n'avaient pas suivi en politique l'exemple qui leur était donné sous ce rapport, qu'en serait-il résulté ? C'est qu'ils eussent été bouleversés par les diverses sectes schématiques, hérétiques, philosophiques et qu'ils se seraient trouvés faibles vis-à-vis d'autres Etats où l'Eglise catholique était exclue.

Le catholicisme, repoussé de toutes parts, devait chercher à se maintenir au moins dans les Etats où il était pour ainsi dire exclusivement professé.

Maintenant des lois ont été portées, des lois cruelles, sanguinaires ; je ne les approuve pas, mais ces lois étaient plus on moins appropriées aux mœurs de l'époque, aux idées des pays dans lesquels elles étaient portées. Ensuite, messieurs, il est historiquement démontré qu'à Rome il y a toujours eu plus d’humanité dans ces sortes de lois que partout ailleurs, et que toujours les opprimés ont eu recours à Rome pour obtenir des adoucissements.

Mais, messieurs, cette protection du culte catholique par l'Etat avait-elle toujours lieu dans l'intérêt de l'Eglise ? Mais non. Nous avons vu des souverains catholiques assiéger les Etats du souverain pontife et le constituer à l'état de prisonnier de même qu'un grand nombre d'évêques.

Vous voyez donc bien que c'était une arme à deux tranchants. Et aujourd'hui je suis convaincu que sur le courant des idées, on ne reviendra pas plus à la protection exclusive d'un culte qu'on ne reviendra à la protection exclusive en matière douanière.

Les idées de liberté dans les deux ordres de choses marchent d'une manière concomitante. Cela tient à une foule de circonstances, à la facilité qu'ont les populations à se voir, à la facilité des voyages et des transports, enfin à tous les moyens de publicité qui ont aujourd'hui une si grande influence dans le monde.

Nous avons encore des gouvernements attardés, mais ils arrivent successivement à imiter notre Constitution et dans le but de voir se propager les garanties de notre Constitution, qui a été la première Constitution complètement tolérante, je fais des vœux pour que nous apportions beaucoup de modération dans nos discussions, pour que nous apportions dans la pratique de la Constitution et des lois beaucoup de tolérance. Déjà un grand nombre de dispositions constitutionnelles ont été appliquées à d'autres pays aussi bien en ce qui concerne les cultes qu'en ce qui concerne les libertés politiques.

Eh bien, messieurs, j'espère que l'influence de notre Constitution ne se bornera pas aux faits déjà connus, mais qu'elle s'étendra de plus en plus. Seulement il ne faut pas qu'on dise à l'étranger que le gouvernement de la Belgique est livré à la confusion et au désordre à cause de la Constitution.

Cela vous avait été prédit par des diplomates de grande distinction. J'ai toujours répondu que j'avais assez de confiance dans l'esprit de liberté et de tolérance de la Belgique pour n'avoir, à cet égard, aucune espèce d'inquiétude.

Je pourrais citer les noms des diplomates et les dates des conversations auxquelles je fais allusion.

Messieurs, je vais terminer car je crois vraiment d'avoir abusé de votre patience.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. de Theuxµ. - Je veux cependant dire un mot des associations religieuses et du congrès de Malines.

Le droit d'association est garanti par la Constitution, nous n'avons pas le droit de critiquer l'usage qui en est fait. Est-il trop restreint, est-il excessif ? Ce n'est point notre affaire, cela ne nous regarde pas. Quelles sont ces doctrines que l'on enseigne dans les loges ou dans les corporations religieuses ? cela ne nous regarde pas davantage.

Voulons-nous, messieurs, la personnification civile pour les ordres religieux ? En aucune manière.

Les ordres religieux ne l'ont jamais demandée et s'ils la demandaient et si la Chambre était disposée à la leur accorder, elle ne le pourrait pas ; la Constitution y fait obstacle, elle s'y oppose d'une manière invincible.

En effet, messieurs, qu'était la personnification des ordres religieux ? Mais c'était la mort civile ; le religieux recevait une dotation et il devait renoncer au patrimoine de ses parents ; il ne jouissait plus ni des droits civils ni des droits politiques.

C'était bien la mort civile. Or, la mort civile est abolie par la Constitution. Elle ne pourrait pas être rétablie même du consentement de l'individu qui voudrait s'y soumettre. Cela n'est pas possible. Aucun ordre religieux, aucune personne ne peut constitutionnellement abdiquer ses droits civils ou ses droits politiques, et aucune loi ne pourrait admettre une pareille abdication. Il n'y a plus dans les corporations que des individus qui sont de simples citoyens absolument comme vous et moi, et aucune loi ne peut à leur égard prendre aucune mesure exceptionnelle motivée sur leur état religieux. Ce serait radicalement inconstitutionnel.

Ils sont citoyens, ni les tribunaux, ni les législations ne peuvent leur attribuer aucune autre qualité, ne peuvent les envisager sous aucun autre rapport.

Le congrès de Malines ! J'ai eu l'honneur de présider quelques-unes des séances de ce congrès, et j'ai été vivement touché de l'esprit de patriotisme, de tolérance et de liberté qui s'y est manifesté. Aussi, en prononçant quelques paroles sur la clôture de la session, je n'ai pu m'empêcher de le féliciter de l'ordre qui avait régné dans les discussions, et des sentiments si constitutionnels qui les avaient animées.

Quel doit être le résultat de cette union ? Elle n'a qu'un but : c'est d'aider au développement des œuvres charitables et religieuses. Le congrès n'a nullement voulu imposer un mandat parlementaire, exercer de l'influence sur les membres de la représentation nationale. Croyez-vous que je fusse resté un seul instant dans une assemblée qui aurait eu de telles prétentions ? Je vous déclare que jamais, dans une assemblée quelconque, je n'abdiquerai la moindre parcelle de mon indépendance politique, quelles que soient les circonstances, pour quelques motifs que ce soit.

Messieurs, vous attendez de moi une conclusion politique. Permettez-moi de vous en donner lecture ; je l'ai rédigée d'une manière succincte, je crois qu'elle exprime la pensée générale de mes amis politiques.

Nous désapprouvons la conduite du cabinet, la résolution de rester à la tête du gouvernement.

La dissolution, soit des Chambres, soit de la Chambre des représentants, est maintenant dans l'intérêt du pays, elle est même devenue une nécessité.

L'état anomal ne peut être prolongé ; la position du ministère est loin d'être améliorée depuis l'époque où il a donné sa démission. Le retrait de sa démission n'est pas justifié.

Il est de la dignité du cabinet de soumettre sa politique à l'approbation de la Chambre, en demandant un vote de confiance ; il est de son devoir de faire un appel immédiat au pays et de demander les crédits provisoires nécessaires aux services publics : la discussion des budgets dans l'état actuel du gouvernement et de la Chambre serait un fait sans précédents.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, la Chambre me pardonnera de prolonger encore ces débats ; mais après le discours de l'honorable M. de Theux il est impossible au cabinet de garder le silence.

Je voudrais emprunter à mon honorable adversaire le calme de ses paroles. Je ne cherche pas à passionner le débat ; et si, par quelque emportement de langage, je devais exciter sur les bancs de la droite quelque agitation, je prie qu'on me pardonne ; il ne faut pas confondre une certaine chaleur de parole avec la violence et l'intolérance.

L'honorable M. de Theux a commencé, comme beaucoup d'autres avant lui, par une revue rétrospective ; il a fait, si je puis dire ainsi, un procès de tendance rétrospectif au cabinet ; il l'a pris en 1847, et il l'a jugé depuis cette époque. L'honorable M. de Theux n'a pas remonté assez haut dans l'histoire pour être complètement impartial ; il aurait dû remonter à 1840, et peut-être remonter aussi avec l'honorable M. Thonissen, jusqu'à 1832. Je serai très court sur ces périodes historiques ; mais il est bon de s'y arrêter un moment.

On a rappelé hier, d'après le discours de l'honorable M. Thonissen, ce que j'avais dit à la Chambre en 1832 à l'égard du parti catholique. Dès (page 573) 1832, il y avait des hommes, faut-il dire ? plus clairvoyants ou plus défiants que nous, qui apercevaient pour la Belgique de graves inconvénients dans l'influence prépondérante du clergé et le développement des associations religieuses ; ils signalaient ce danger avec une brusquerie toute républicaine ; un honorable membre s'écriait que la Belgique devenait un nid de moines, une capucinière.

Messieurs, à cette époque, il y avait, suivant moi, une grande exagération dans ces reproches ; je ne dis pas que dans ces craintes tout fût mal fondé ; la suite a prouvé que l'honorable M. Seron avait vu assez clair dans l'avenir. On parlait de l'invasion de tout le gouvernement par les catholiques. Eh bien, moi libéral, je crus devoir constater avec impartialité l'état des choses ; je fis observer qu'à l'exception d'un seul, tous les membres du gouvernement provisoire appartenaient à l'opinion libérale.

Et pour le dire en passant, les catholiques veulent toujours s'attribuer l'honneur de la grande révolution de 1830...

M. de Theuxµ. - Vous y avez pris part.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Avec un grand nombre de libéraux ; et je crois que, sans le concours des libéraux, la révolution de 1850 eût eu le sort de la révolution de 1788. J'ai déjà exprimé cette opinion dans une autre occasion. Je crois encore que, sans l'élément libéral, la révolution belge de 1830 eût subi un complet avortement. (Interruption.)

Oui, si en 1832 tout le monde était patriote, je puis dire que tout le monde se montrait libéral dans la signification que nous donnons à ce mot.

Nous n'avions pas vu surgir alors toutes les prétentions que nous avons dû combattre depuis. Le Congrès n'avait admis du moins aucune de ces prétentions ; nous n'avions pas vu non plus apparaître, signé d'une autorité devant laquelle vous devez vous incliner, un document ou les principes, sortis de la philosophie du XVIIIème siècle, et déposés dans la Constitution belge, d'un commun accord entre les libéraux et les catholiques, étaient l'objet d'un anathème.

Nous n'avions pas vu paraître l'encyclique. (Interruption.) Voyons, messieurs, voici une question que je soumets à l'impartialité des membres de la droite.

Je n'ai pas parlé souvent de l'encyclique, souffrez que j'en dise un seul mot en ce moment. Eh bien, voici ma question : Si l'encyclique avait paru avant la Constitution belge, le parti catholique aurait-il donné son adhésion à cette Constitution ?

- Voix à droite. - Oui, certainement ; sans aucune hésitation.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - En êtes-vous bien sûrs ?

- Voix à droite. - Oui ! oui !

M. De Fré. - Vous ne risquez rien de dire oui !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Etes-vous bien sûrs, j'insiste sur ma question, êtes-vous bien sûrs qu'en présence d'une encyclique qui condamnait de la manière la plus formelle les principes déposés dans la Constitution, tous les catholiques sincères qui siégeaient au Congrès eussent néanmoins voté la Constitution ?

- Voix à droite. - Oui ! oui !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous répondez pour eux ?

- Voix à droite. - Oui, oui, sans exception.

M. Bouvierµ. - Prenez garde. Vous allez être excommuniés. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Je vous demande maintenant si vous-mêmes vous aviez été au Congrès, auriez-vous, en présence de l'Encyclique, voté la Constitution ?

- Voix à droite. - Oui ! Oui !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Eh bien, je vous remercie ; je prends actes de vos paroles ; ne nous fâchons donc pas.

M. Coomans. - Au contraire !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - J'en prends acte avec bonheur, et l'hommage que je rendais en 1832 aux catholiques, je vous le rends également sur ce point.

Je passe maintenant à 1840, c'est une date de la plus haute importance dans notre revue rétrospective ; mais l'opposition glisse rapidement sur les événements de 1840 et ce sont ceux-là surtout qui doivent faire comprendre et son esprit et ses prétentions.

En 1840, on ne reprochait pas au ministère d'être un ministère d'intolérance et d'intimidation. On lui reprochait uniquement d'être un ministère d'irritation ; et pourquoi ?

Pourquoi le ministère libéral de 1840 était-il un ministère d'irritation, alors qu'il n'avait posé aucun acte irritant, alors qu'il était composé des éléments les plus modérés et qu'il se présentait avec un programme des plus modérés ? Mais c'était un ministère d'irritation, et on le renversa parce qu’il était composé de libéraux, et que, soit par la douce habitude qu'on avait prise d'occuper le pouvoir pendant sept années, soit par d'autres raisons, il ne convenait pas que les libéraux occupassent le pouvoir.

J'ai toujours cherché la raison de l'opposition faite au ministère libéral en 1840, et je n'ai pas pu en trouver d'autre que celle-ci : on a renversé le ministère de 1840 parce qu'il était composé de libéraux ; je défie qu'on me donne d'autre raison.

Je sais bien qu'on n'a pas tardé, dans votre parti, à s'en repentir ; je sais que plus tard l'honorable M. Dechamps et d'autres ont déclaré que c'était une faute ; mais il n'est pas moins vrai que l'acte fut consommé et que cette irritation dont on prétend que le pays est le théâtre aujourd'hui avait commencé pour vous en 1840.

Maintenant vient le ministère de 1847, et à cette date commence ia politique d'intolérance et d'intimidation, politique d'intimidation qui se manifeste par les destitutions en grand, comme le dit l’honorable M. de Theux.

En 1847, messieurs, les libéraux arrivent, eux, non pas avec un programme vague, non pas avec un programme emprunté à leurs adversaires, mais avec leur propre programme. Ayant à pratiquer une politique nouvelle, ils demandaient, dans une limite très restreinte, les moyens de mettre cette politique en pratique ; ils demandaient la faculté de remplacer quelques fonctionnaires politiques.

- Voix à droite. - Quelques !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Oui, ils demandaient la démission de quelques fonctionnaires politiques, de ceux qui ne voulaient ou ne pouvaient moralement prêter leur concours au gouvernement.

M. Thonissenµ. - Quant à moi, vous ne me l'avez pas demandé.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Une circulaire a été adressée à MM. les gouverneurs et commissaires d'arrondissement.

M. Thonissenµ. - Je ne l'ai point reçue ; et si je l'avais reçue, je n'y aurais pas adhéré.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Je ne sais pas s'il y a eu une exception en ce qui concerne l'honorable M. Thonissen. (Interruption.)

M. Vanden Branden de Reeth. - Je n'ai pas non plus reçu cette circulaire.

M. de Mérode. - Elles seront restées à la poste.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Enfin, que vous l'ayez reçue ou non, vous la connaissiez.

Quoi qu'il en soit, je vais vous mettre à l'aise par une simple question. Je vous demande si vous auriez donné votre adhésion à la circulaire dans le cas ou vous l'auriez reçue ?

M. Thonissenµ. - Non. Je viens de le dire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Et vous, M. Vanden Branden de Reeth ?

M. Vanden Branden de Reeth. - J'aurais dû en connaître les termes. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je répète que cette circulaire a été publiée et que par conséquent vous avez pu la connaître.

Eh bien, cette circulaire inaugurait une politique soi-disant d'intolérance. Et cependant des fonctionnaires appartenant notamment à l'opinion de M. de Theux y ont adhéré, et ceux-là n'ont pas été remplacés.

D'autres, à qui l'on aurait cru faire injure en supposant qu'ils auraient soutenu une politique que la veille ils combattaient encore avec énergie, ceux-là ont été remplacés. Mais peut-on dire qu'il y ait eu des démissions en masse ? Quatre gouverneurs ont été remplacés, dont un sur sa demande. (Interruption.)

(page 574) Vraiment, messieurs, je m'étonne du reproche que nous fait l'honorable M. de Theux. Il a été ministre pendant six années, à une époque bien facile pour le ministère, à une époque où il n'y avait pour ainsi dire pas d’opposition politique au sein de cette Chambre et où beaucoup de libéraux soutenaient l'honorable M. de Theux, en présence des événements de l'extérieur.

Eh bien, que faisait l'honorable M. de Theux, pendant cette période pacifique ? L'honorable M. de Theux destituait politiquement un grand nombre de fonctionnaires libéraux, et ces destitutions, sans nécessité politique, ne lui étaient dictées que par l'esprit de parti.

L'honorable M. de Theux a destitué ou déplacé successivement M. de Stassart qui était ou avait été président du Sénat, M. Tielemans en le nommant à une fonction judiciaire pour laquelle il n'avait pas l'aptitude légale, M. de Chestret, commissaire d'arrondissement à Waremme, M. Camille de Smet, autre commissaire d'arrondissement ; le gouverneur du Limbourg, M. Hennequin était remplacé par un gouverneur à la dévotion de M. de Theux et qui cependant a adhéré à la politique d'intolérance qu'on vient de me reprocher.

Nous avons eu la destitution du procureur du roi de Nivelles, celle du procureur du roi à Gand, lequel a poussé loin l'oubli des injures. (Interruption.) Je n'ai pas sous la main le martyrologe complet de M. de Theux.

M. de Theuxµ. - Ces destitutions ont eu lieu pour des faits qui les justifiaient.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande qui le forçait, lui ou la politique qu'il appuyait, à nommer 40 ou 50 bourgmestres en dehors du conseil communal.

M. de Theuxµ. - Ce n'est pas moi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est votre politique, la politique de vos amis, qui, apparemment, n'était pas une politique d'intolérance ; vous trouviez bon qu'on destituât 40 ou 50 bourgmestres appartenant aux conseils communaux pour les remplacer par des agents pris en dehors du conseil ; vous trouviez cela excellent, irréprochable, et parce qu'en douze ans nous avons choisi en dehors du conseil communal une demi-douzaine de bourgmestres, il y en a eu trois sous mon administration et trois sous celle de mon successeur, ce qui fait six ; voilà un ministère violent,, un ministère d'intimidation.

Comment M. de Theux peut-il expliquer cette contradiction ?

M. de Theuxµ. - Très facilement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Oh ! je le sais, vous n'êtes jamais embarrassé pour vous justifier, du moins vis-à-vis de vous-même ; mais pour ceux qui vous écoutent, il serait difficile de vous justifier de la position que vous prenez vis-à-vis de nous.

Voilà pour 1847 !

En 1857, ce ministère d'intolérance et d'intimidation ne touche pas à un seul fonctionnaire.

S'il y a un reproche à lui faire, ne serait-ce pas d'avoir poussé l'abnégation trop loin ? Il n'est pas normal que des ministres responsables ne puissent pas avoir pour agents de leur politique des hommes en qui ils puissent avoir confiance ainsi que leurs administrés.

Cela n'est pas juste, n'est pas normal. Ce sont ces principes pratiqués autrefois et condamnés aujourd'hui par M. de Theux, qui ont pris place dans le programme de M. Dechamps, qui viennent s'y étaler avec un luxe que nous ne nous serions jamais permis quant à nous.

M. Dechamps a inauguré sa politique de modération et de conciliation en demandant à pouvoir destituer les fonctionnaires qui ne s'associeraient pas à sa politique, ce n'est pas de la violence chez lui, c'est de la modération, de la conciliation.

Il n'est pas moins vrai qu'il menace de destitution tous les fonctionnaires qui ne s'associeraient pas à son programme, qui pourront le gêner dans l'application de son programme, toujours au nom de la modération. C'est encore au nom de la modération que vous combattrez tous les libéraux modérés ou exaltés aux prochaines élections, comme vous l'avez fait en 1840 ; le ministre qui a l'honneur de vous parler a été combattu par les moyens les plus violents, dès 1840, dans l'arrondissement d'Anvers.

L'honorable M. de Theux a trouvé des preuves de l'intolérance du cabinet dans les lois qu'il a rappelées.

Je réponds par un seul mot : Si nous avons introduit dans des lois des principes d'intolérance, il faut les faire disparaître ; si nous avons fait des lois spoliatrice», il faut les supprimer,

Que sur une loi administrative on ait fait de l'opposition et qu'on ne la retire pas en arrivant au pouvoir, il n'y a pas là d'inconvénient ; mais sur des lois de principe, il n'y a pas à transiger ; sinon on a le droit de vous dire que votre opposition n'avait pour but que de renverser le ministère, que les principes qu’on faisait sonner bien haut, n'avaient qu'une valeur secondaire, n'étaient qu'un moyen de renverser.

J'abrège cette partie de ma réponse, je ne veux pas fatiguer la Chambre, je dis ce seul mot : si nos lois contiennent des principes inconstitutionnels ou qui répugnent à vos consciences, il fallait en demander le retrait dans votre programme.

Je passe au rôle que M. de Theux attribue au gouvernement dans les élections. Voici le fait qu'il dénonce. Des commissaires d'arrondissement, crime abominable ! font venir dans leur bureau les bourgmestres et les échevins pour les engager à soutenir les candidats qui soutiennent le gouvernement.

Je ne sais si cet usage est général, j'en doute. Est-ce à la province du Limbourg que M. de Theux fait allusion ?

Mais, messieurs, si les commissaires d'arrondissement dévoués à la politique du cabinet faisant ce qu'on leur reproche, qu'y aurait-il à leur dire ?

Qu'y aurait-il à dire aux commissaires d'arrondissement qui feraient venir les bourgmestres dans leurs cabinets et leur conseilleraient de voter pour les candidats qui soutiennent le gouvernement ? Serait- ce un crime ?

M. Coomans. - C'est un abus.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Sortiraient-ils de leur droit, de leur devoir ? (Interruption.) Pourquoi alors le leur reproche-t-on ?

Constatons que partout il y a une grande indépendance chez les magistrats communaux. Et vous leur faites injure quand vous pensez qu'une conversation dans le cabinet d'un fonctionnaire va faire changer de principes et de conduite d'honorables magistrats.

Eh ! messieurs, au temps des élections, voyez les manifestes électoraux, voyez combien de bourgmestres figurent dans ces manifestes dirigés contre l’opinion libérale. Pour me citer moi-même, dans les dernières élections, j'ai vu des manifestes électoraux signés par un grand nombre de bourgmestres affichant leur qualité, et tournant leur iufuaence contre les hommes du gouvernement.

Voilà, messieurs, la conduite des bourgmestres, et je ne crois pas que les commissaires d'arrondissement exercent sur eux une pression bien illégitime et surtout bien efficace.

Il y a un autre genre de pression beaucoup plus efficace et plus généralement pratiqué. Est-ce que par hasard on ne fait pas venir les fonctionnaires municipaux et les électeurs dans la maison du curé, dans la sacristie, est-ce qu'on ne fait pas venir leurs épouses au confessionnal ? (Interruption.)

Je pense que c'est de notoriété publique.

M. B. Dumortier. - Allons donc !

M. Allard. - Vous le savez mieux que moi, M. Dumortier. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Si vous voulez bien avoir la bonté d'établir devant le pays, que le clergé n’intervient dans les élections par aucun des moyens qu'il a à sa disposition, vous rendriez au clergé lui-même un service signalé.

Je l'ai déjà dit bien des fois. D'où vient cette animosité dans certaines populations contre le clergé ? Mais précisément de son intervention dans les élections ; elle ne vient que de là. (Interruption.)

Là où le clergé renonce à se mêler d'élections, règnent le respect et la concorde.

Dira-t-on que la province de Liège, par exemple, est livrée à l'hérésie, que le prêtre n'y est pas respecté, que les temples y sont déserts ? Là, dans la plupart des communes, le clergé a renoncé à se mêler d'élections ; là aussi il n'y a pas cet antagonisme déplorable qui divise aujourd'hui les populations.

Parcourez les localités du pays, petites ou grandes, où le clergé n'intervient ni dans les élections communales, ni dans les élections provinciales, ni dans les élections générales, et vous y verrez le respect le plus complet pour le clergé, vous verrez que la religion y est plus en honneur et que les pratiques religieuses s'y font avec plus de ferveur que dans d'autres localités où cette abstention du clergé n'existe pas.

(page 575) M. Mullerµ. - C'est très vrai.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - En présence de l'intervention à outrance du clergé, qu'on ne vienne donc pas nous entretenir de quelques commissaires de district qui vont timidement demander à quelques bourgmestres de voter pour les candidats qui soutiennent le gouvernement.

Si nous n'avions nulle autre force, je crois que vos vœux seraient réalisés ; mais heureusement nous croyons pouvoir nous présenter avec une autre autorité que celle-là devant les électeurs, nous croyons pouvoir nous défendre sans le secours de quelques fonctionnaires publics.

Ah, messieurs, nous vous le demandons, puisque nous semblons écoutés en ce moment avec une certaine bienveillance, si l'opinion libérale offrait à l'opinion adverse le projet de convention que je vais vous lire, l'accepteriez-vous ?

Vous parlez de l'intervention de fonctionnaires publics dans les élections.

Eh bien, qu'il soit entendu que les fonctionnaires de l'Etat pas plus que les fonctionnaires de l'Eglise n'interviendront dans les élections. Voulez-vous ce marché ? Nous sommes prêts à le signer.

- Plusieurs voix à droite. - Oui ! oui !

M. Wasseige. - Comment voulez-vous l'imposer, quels moyens aurez-vous ?

M. de Moorµ. - Oh ! oh !

M. Wasseige. - Il ne s'agit pas de dire oh ! oh !

M. de Moorµ. - Je n'ai pas votre voix mélodieuse, M. Wasseige, mats je vous demanderai quels moyens vous aurez vous-même pour l'empêcher.

Vous n'en avez pas, car vous avez les mains liées.

M. Bouvierµ. - Ainsi vous n'acceptez pas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Personne de la droite ne veut accepter la convention. Eh bien, moi je la signe des deux mains.

M. Wasseige. - Et moi aussi.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Voulez-vous vous charger de l'exécution ? Nous nous en chargeons en ce qui nous concerne. (Interruption.)

L'honorable M. de Theux a parlé avec beaucoup de respect du parti conservateur. Ce sont les principes du parti conservateur qui seuls doivent triompher, et qu'il s'agit, s'il est possible, d'installer au pouvoir.

Eh bien, en quoi consistent aujourd'hui les principes du parti conservateur ? Qui dit conservateur dit homme d'ordre, de consistance, dit adversaire des changements, des innovations irréfléchies, des bouleversements.

M. de Mérode. - Des bouleversements, oui, mais non des changements.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je vais vous donner des exemples. Certainement il est du droit, peut-être du devoir du parti conservateur de renverser un ministère révolutionnaire comme le nôtre. En le faisant, il reste conservateur. Mais, pour atteindre ce but, il est bon que le pays sache en quoi consistent aujourd'hui les principes du parti conservateur, à quels moyens il a recours, dans quelles incroyables inconséquences il tombe.

La Belgique jusqu'ici avait passé en Europe pour renfermer une nation estimable, honorable, dévouée à ses institutions, essentiellement religieuse, pleine de respect pour la liberté des cultes.

Comment l'opposition représente-t-elle la Belgique ? Elle la représente comme un pays livré au désordre, où règnent l'injustice et la persécution, où la religion est à peine tolérée, où les ministres des cultes sont persécutés, où d'autres sont brûlés par la main des libéraux, où les propriétés ne sont plus en sécurité.

M. Thonissenµ. - Allons donc.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Ne vous récriez pas, M. le représentât de Louvain. Voici un fait. Vos journaux nous ont appris l'existence de certain conciliabule, meeting au petit pied, où une résolution a été prise, qui peut se formuler de la manière suivante :

« Attendu qu'il ne règne plus d'ordre en Belgique ;

« Attendu que les citoyens ne trouvent pas contre les menaces des libéraux une sécurité suffisante dans la police communale. » (Interruption.)

Voulez-vous : dans la force publique. Oseriez-vous aller jusque-là ?

- Un membre. - Je ne comprends pas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Attendez, vous comprendrez.

« Attendu que les citoyens ne trouvent plus de sécurité dans l'exercice de la police communale, il est convenu que chacun veillera à sa propre sécurité, qu'il se formera des espèces de corps francs pour se substituer à la police de nos communes. » (Nouvelles interruptions.)

Voilà ce qui se dit et se fait au nom du parti conservateur ! Et que voulez-vous que les peuples étrangers pensent de la Belgique, lorsqu'ils lisent de pareilles énormités ? Ne doivent-ils pas supposer que nous sommes livrés à l'anarchie, au désordre, qu'il n'y a plus de sécurité en Belgique, alors que chaque citoyen est obligé de veiller à sa propre sûreté par suite de l'absence de police ?

Messieurs, après le pays, je serais en droit peut-être de citer la royauté.

Depuis un certain temps, il s'introduit dans les habitudes de la polémique certaines attaques qui remontent plus haut que les ministres. Pour ceux-ci, ils en ont pris leur parti ; on les abreuve tous les jours d'outrages et d'injures ; on cherche à étouffer le ministère dans la boue. (Interruption.)

C'est le rôle de la presse depuis très longtemps, messieurs, c'est notre lot, nous l'acceptons avec résignation, mais nous demandons qu'on s'arrête à la personne des ministres et qu'on ne remonte pas au delà.

La royauté a-t-elle fait abus de ses attributions ? A-t-elle fait abus de l'autorité dont elle est revêtue par notre loi communale ? Comment ! nous avons une royauté qui, on peut le dire sans flatterie aucune, parce que le fait est notoire, est respectée par tous les gouvernements étrangers. Il n'est pas de monarque, je pense, à l'époque où nous vivons, qui soit entouré de plus de respect et de considération ?

M. Thonissenµ. - Sans doute ! C'est notre opinion à nous tous.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous n'entendons pas nous réserver le monopole des hommages à la royauté. Mais permettez ; je ne puis que glisser sur certaines appréciations malveillantes ; elles n'en sont pas moins très positivement exprimées.

Je dis, messieurs, que le Roi a toujours fait un usage impartial de sa prérogative, et nous qui avons souvent pris part aux négociations relatives à des crises ministérielles, nous sommes en droit de dire que si quelquefois le Roi... (Interruption.)

Messieurs, je défends la royauté ; je veux seulement vous pénétrer de cette vérité : c'est que le Roi ne marque pas de partialité contre vous, comme on le lui a reproché.

- Un membre. - Ni contre vous.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Voilà ce que je veux dire.

- Un membre. - Cela vaut mieux.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Comment ! cela vaut mieux ! C'est tout ce que je veux dire, ni plus ni moins.

Messieurs, je dis que la royauté n'a jamais abusé des prérogatives, des attributions qui lui ont été conférées. Or, le parti conservateur arrive avec un programme contenant un blâme implicite de la manière dont le Roi avec ses ministres responsables a usé du droit qui lui est attribué en ce qui concerne la nomination des bourgmestres et des échevins,

M. de Naeyer. - Le Roi n'est pas responsable, ce sont les ministres qui sont responsables,

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je dis le Roi avec ses ministres responsables. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - La royauté ne doit pas intervenir dans nos débats.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Aujourd'hui le Roi, en vertu de la loi, a le droit de nommer les bourgmestres et les échevins. Je dis qu'il n'a pas été fait abus de ces attributions et que le programme de la droite implique qu'il a été fait un tel abus de ces attributions qu'il faut changer ce mode de nomination.

M. de Naeyer. - Oui, mais l'abus vient des ministres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si j'avais dit que le programme de la droite veut enlever aux ministres la nomination des bourgmestres et échevins pour l'attribuer aux communes, vous vous seriez écriés : Et le Roi ! et le Roi !

- Plusieurs membres. - Pas du tout !

MfFOµ. - C'est le terme légal. La loi dit : Le Roi.

M. de Naeyer. - Sous la responsabilité des ministres.

MfFOµ. - Sans doute.

M. de Naeyer. - Vous n'avez pas le droit de faire intervenir la royauté dans les débats.

(page 576) MpVµ. - J'invite à ne plus interrompre. M. le ministre des affaires étrangères seul a la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, je suis mal récompensé de la modération que je me proposais d'apporter dans ce débat.

M. Julliot. - Vous n'êtes pas modéré du tout.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qu'ai-je donc dit de si violent ?

La loi dit : le Roi nomme les bourgmestres et les échevins. Voulez-vous que je dise la prérogative royale, le pouvoir exécutif ? Que voulez-vous ?

M. de Naeyer. - Nous voulons le pouvoir responsable.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Je dis qu'aujourd'hui la loi communale fonctionne d'une manière satisfaisante dans tout le pays, que cette loi est appréciée dans tous les pays étrangers, que diverses législations étrangères nous empruntent nos institutions communales et provinciales et que c'est en ce même moment que le parti conservateur veut modifier ces institutions et enlever à la prérogative royale la nomination des bourgmestres et des échevins.

Nous avons, messieurs, la liberté illimitée d'association, et je crois qu'on ne peut pas lui reprocher d'être stérile ; eh bien, cela ne suffit pas, il faut ajouter à la liberté d'association la liberté de fondation.

M. B. Dumortier. - Pour les pauvres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous avons en Belgique beaucoup d'associations, je prononcerai le mot, sans vouloir blesser personne, beaucoup de couvents ; eh bien, d'après le parti conservateur, il n'y en a pas assez ; il ne peut y avoir trop de couvents.

Messieurs, nous avons le droit de réunion politique illimité, réunions électorales, congrès de toutes couleurs, eh bien, cela ne suffit pas ; le parti conservateur vient, depuis quelque temps, de mettre en relief et d'exalter les meetings. Je ne suis pas, messieurs, un adversaire des meetings, je n'ai pas peur des meetings, mais je signale seulement au pays ces tendances du parti conservateur qui, ne se contentant pas de ce que nous avons en fait de liberté de réunion, est devenu depuis un certain temps tout amoureux des meetings.

Eh bien, je ne veux dire qu'un mot des meetings ; nous ne sommes qu'au début de l'histoire des meetings, et je demande au parti conservateur ce qu'il fera lorsque dans chacune de nos communes, à côté du prêche de l'église, il y aura une prêche de démocrates, de libres penseurs, de solidaires ; lorsque ces réunions se tiendront à côté de la réunion de l'église, peut-être à la même heure ?

Je ne sais pas si, à cette époque, le parti conservateur trouvera encore que les meetings sont une excellente chose, une chose qu'on ne saurait assez encourager.

Nous avons un système électoral auquel on ne pourrait faire qu'un seul reproche, c'est que, eu égard au degré de l'instruction de l'électeur, le cens est peut-être un peu bas ; eh bien, tout à coup le parti conservateur trouve qu'il faut réformer le système électoral par des abaissements successifs du cens, de manière à arriver au suffrage universel. Le parti conservateur se met à la tête d'une réforme qui a pour but et pour fin le suffrage universel. (Interruption.) M. Kervyn dit non, mais d'autres disent oui. M. Coomans, qui a tenu la plume pour divers articles du programme, dit oui. M. Nothomb dit également oui,

M. Nothomb. - Je ne dis pas oui. Je vous expliquerai ce que j'ai dit.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Mais, enfin, messieurs, c'est une idée qui n'a pas été combattue dans vos rangs jusqu'ici. Eh bien, le suffrage universel je ne vous le souhaite pas, et quant aux meetings, vous en aurez plus que vous ne voudrez.

Messieurs, la liberté de l'enseignement ! Il paraît qu'on n'en a pas encore assez. Le clergé a ses établissements à lui, il y règne en maître absolu, le gouvernement n'y pénètre ni de près ni de loin, mais le clergé pénètre dans les établissements de l'Etat. Qu'est-ce qu'on veut pour lui ? Il faut revenir sur les lois relatives à l'enseignement public, il faut détruire autant que possible l'influence de l'Etat dans l'enseignement public, il faut en venir à la liberté d'enseignement, c'est-à-dire à l'enseignement par l'Eglise.

Les établissements de l'Etat jouissent de privilèges, de subsides ! Mais on oublie, messieurs, que l'enseignement de l'Eglise a aussi des privilèges et des subsides, on oublie que le trésor public intervient dans l'enseignement des séminaires, qu'il subsidie les écoles normales du clergé, beaucoup plus nombreuses que les écoles normales de l'Etat, qu'il subsidie des établissements d'enseignement moyen patronnés par les communes. Voi à ce que l'on oublie et ce qui ne suffit pus.

Messieurs, je demande encore un moment d'attention à la Chambre.

A en croire l'opposition, rien de ce qui existe en Belgique n'est bien, il faut tout changer, et ici, messieurs, se présente une question qui, à mon avis a pris peut-être une trop grande place dans le débat, mais dont il faut cependant bien dire encore quelque chose.

Rien de ce qui se fait à Anvers n'est bon ; il faut détruire ce qu'on a construit, il faut bouleverser le système de défense.

Le pays s'est imposé à un sacrifice de 40 millions, pourquoi ?

Pour agrandir notre métropole commerciale, pour dégrever de servitudes une masse de terrains qui ont décuplé de valeur depuis lors, pour éloigner de la métropole commerciale le danger du bombardement, pour faire que la ville d'Anvers devienne la plus belle ville de l'Europe, pour faire que le port d'Anvers, pour peu que l'énergie s'y développe et prenne un autre cours, devienne l'un des ports les plus fréquentés du monde. Eh bien, tout cela n'est rien, le gouvernement n'a que de la haine pour Anvers, n'a que du mépris pour les Anversois. Chambres, lois, tout est bafoué, rien n'est bon, il faut bouleverser l'établissement d'Anvers. (Interruption.)

Il faut le bouleverser au prix de nouveaux sacrifices, cela est dans le programme du parti conservateur, car si cela n'y était pas, le programme n'aurait aucune signification sérieuse.

Enfin, messieurs, le parti conservateur, ce parti de l'ordre, du calme, de la stabilité, semble fatigué de voir régner l'ordre et la paix. D'où viennent ces cris discordants dans le pays, d'où viennent ces excitations à la guerre civile ? Qui nous parle ici d'un peuple flamand opprimé, d'un peuple flamand qui est en droit de revendiquer une charte ? Est-ce là de la conservation ? Et lorsqu'on vient dire que le gouvernement est coupable des griefs de ce qu'on appelle le peuple flamand, n'est-ce pas lui faire la plus grave injure et lui adresser en même temps le reproche le plus immérité ?

On veut l'ordre, la tranquillité dans le pays ; on prêche la modération, et à propos de la question la plus irritante qui puisse s'agiter, à propos de la question des cimetières, question à laquelle nous vous défions, si vous étiez au pouvoir, d'apporter une autre solution que nous, on ne craint pas de remuer le pays jusqu'au fond de ses entrailles, et l'on fait pétitionner des femmes, des enfants, à tour de bras, en faveur de ce qu'on appelle la liberté des cimetières.

Ou veut le calme, la modération, et le premier mot du programme des apôtres de la paix et de la tranquillité, c'est la dissolution de la Chambre, la dissoluton du Sénat, la dissolution des conseils provinciaux, la dissolution des conseils communaux, la destitution des fonctionnaires qui ne marcheraient pas suivant la politique de modération...

M. Bouvierµ. - Cataclysme universel.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, j'aborde, pour finir, un point délicat. Le parti conservateur, qui veut tout changer, veut surtout changer le ministère ; en cela il est parfaitement dans son droit. Ce ministère que l'on veut changer, avec une majorité accrue au Sénat, n'a plus que deux voix au sein de la Chambre ; cela est vrai ; nous avons fait là des pertes très regrettables. Je signale entre autres mes quatre amis de la députation d'Anvers qui ont été, on peut le dire, l'honneur de leur arrondissement et un des plus beaux joyaux de la couronne parlementaire.

L'un d'eux avait l'honneur de siéger comme président de cette Chambre. Les autres, chaque fois qu'ils parlaient, étaient écoutés avec le plus grande sympathie. C'étaient des hommes de talent, de conviction, des hommes d'ordre et de modération. Ils savaient au besoin faire acte d'indépendance, puisqu'ils votaient même contre leurs amis.

Nous avons fait ces pertes. Mais est-ce à la politique libérale qu'il faut attribuer ces pertes ? Je pense bien que vous ne voulez pas vous attribuer comme étant venus de source divine les cinq nouveaux députés d'Anvers.

En voilà cinq.

Nous en avons perdu trois à Gand. L'élection de Gand s'est faite au nom de l'industrie cotonnière ; on vous l'a dit, il n'y avait là ni catholiques ni libéraux. Nous avons perdu trois voix à Gand.

En voilà huit.

Je vous donne le reste. Je donne le reste aux progrès de l'opinion catholique depuis huit ans ; et je m'étonne d'une chose : c'est qu'elle n'ait pas fait plus de progrès ; c'est que des hommes qui occupent le pouvoir depuis bientôt sept ans, sans compter les cinq années précédentes qu'on a soin de leur attribuer encore, n'aient pas excité dans le pays une plus forte opposition. Voilà ce qui m'étonne et ce qui me rassure. Je crois (page 577) que le pays impartial juge le ministère autrement que l'opposition parlementaire.

Il voit au banc ministériel des hommes dévoués, quelques-uns d'une capacité que, je crois, personne ne leur contestera, des hommes, quelques-uns d'un très haut talent, auxquels on ne refusera pas une grande aptitude aux affaires.

Citerai-je notre honorable collègue M. le ministre des finances, qui a le privilège plus particulier d'exciter les animosités (je partage cet avantage, mais pas au même degré que lui). M. le ministre des finances qui a fait à la Belgique une position financière admirable ; qui a été le défenseur toujours énergique du trésor ; qui a résisté et qui résiste encore à tous les entraînements vers des dépenses exagérées, au moyen desquelles un gouvernement moins sûr de lui-même peut gagner quelque popularité.

Je ne veux pas citer d'autres collègues. Je crois que le pays et au fond les hommes impartiaux de la Chambre penseront comme moi, quand je dirai que tous sont dignes de la place qu'ils occupent. Je crois que le pays a confiance dans le gouvernement, a confiance dans l'esprit de modération du gouvernement, a confiance dans l'esprit de tolérance du gouvernement.

Et, messieurs, ce qui ajoutera encore à la confiance du pays dans le gouvernement, c'est l'attitude actuelle de la droite. Si le gouvernement est violent, si le gouvernement persécute la religion et le clergé, si le gouvernement introduit dans ses lois des principes exécrables, comme vous le répétez tous les jours, il faut détruire d'abord tout cela.

Mais vous n'en dites rien dans votre programme, dans vos manifestes électoraux, et vous vous proclamerez libéraux indépendants, et les vrais libéraux vous les rangerez dans le parti servile !

L'opinion que nous combattons, dans son impatience imprudente, nous presse de faire un appel au pays. Est-ce que par hasard on s'imagine que le gouvernement éprouve de la répugnance à faire un appel aux électeurs ? Qu'on se détrompe. Si une raison nous faisait hésiter, ce serait la crainte de jeter dans le pays de nouveaux germes de désunion et d'agitation. Nous n'avons que cette crainte-là. Mais si à toute force l'opinion que nous combattons veut un appel au pays, si, par un acte positif, il nous est prouvé qu'il nous est impossible de marcher plus longtemps avec la Chambre, nous profiterons avec confiance de l'occasion qui nous sera offerte de consulter le pays.

Voilà, messieurs ,ce que je suis bien aise de déclarer, et je souhaite que ma déclaration porte au fond de tous les esprits de l'opposition la même satisfaction qu'elle paraît inspirer en ce moment à un honorable député de Louvain. (Interruption de M. Landeloos.) L'honorable membre qui me sourit et m'interrompt un peu est certain de sa réélection à Louvain ; j'en suis charmé pour lui. Mais est-il bien sûr que la même confiance existe partout autour de lui ? Est-il bien sûr que toute la droite désire un appel au pays ? Je ne le pense pas.

M. Landeloos. - Moi, je le crois au contraire.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je ne crois pas que tous vos amis politiques soient de cet avis.

M. Coomans. - Et de votre côté ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est au vôtre que je m'adresse, et j'attends une réponse.

Messieurs, je lisais dernièrement, dans les débats du parlement anglais, le discours d'un conservateur qui, s'adressant à d'autres conservateurs mécontents et jaloux de réformes, leur citait comme avertissement salutaire, l'épitaphe suivante d'un bon Anglais que je livre, à mon tour, à vos méditations :

« J'étais bien, j'ai voulu être mieux et je suis ici. » (Longue interruption.)

MpVµ. - La parole est à M. Nothomb.

- Voix à gauche. – Aux voix ! Aux voix ! La clôture !

- D'autres membres à gauche. - Non ! Non ! Laissez parler.

M. Orts. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

M. Nothomb. - Je n'en ai pas pour vingt minutes.

M. Orts. - Et moi je n'en demande qu'une.

MpVµ. - La parole est à M. Orts pour une motion d'ordre.

M. Orts (pour une motion d’ordre). - Messieurs, il est évident qu'au moins de ce côté de la Chambre où je siège on s'attendait peu à la conclusion que l'honorable M. de Theux, au nom de ses amis, est venu apporter à trois semaines de débats.

L'honorable comte de Theux se borne à déclarer quelle est son opinion et celle de ses amis sur le ministère, sur la gauche, sur la situation. Nous la connaissions il y a un mois, il n'y a rien de neuf dans cette situation. Mais l'honorable comte de Theux a déclaré que, dans sa pensée et dans celle de ses amis, le ministère n'avait plus le droit de faire discuter par la Chambre aucune espèce de budget.

Accepter cette déclaration sans protestation de notre part, c'est condamner le ministère à jouer le rôle de ce ministère d'affaire que nos adversaires ont tant désiré et dont nous ne voulons pas. Je demande donc, par motion, d'ordre qu'on mette à l'ordre du jour de la Chambre pour mardi prochain le budget de la justice.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je rappelle à la Chambre qu'elle a mis à son ordre du jour, immédiatement après la discussion actuelle, le crédit d'un million de francs pour construction et ameublement de maisons d'école. Je demande que ce projet conserve la priorité.

M. Orts. - Je ne puis pas accepter la proposition de M. le ministre de l'intérieur parce qu'il importe que ma proposition, dont la signification ne peut échapper à personne, obtienne la priorité.

Je demande que l'on réponde à la condamnation formulée par l'honorable comte de Theux par une protestation qui consiste à faire discuter et voter le budget de la justice, ce budget que, d'après la droite, le ministère serait incapable de défendre.

Je maintiens donc ma proposition et je demande qu'elle soit soumise au vote par appel nominal.

M. B. Dumortier. - Une discussion comme celle à laquelle nous assistons depuis des semaines ne peut pas se terminer par une surprise ; les situations équivoques sont toujours très mauvaises, nous ne devons pas les accepter. Si l'on veut mettre à l'ordre du jour de mardi en premier lieu le budget de la justice, je n'y vois pas d'inconvénient, et je crois que mes amis n'en verront pas davantage. Mais s'imaginer que la mise aux voix d'une pareille proposition puisse servir à marquer la division que la discussion a établie entre nous, c'est là une chose impossible, que nous ne pouvons pas admettre. Cette conclusion ne serait réellement pas digne de l'assemblée. (Interruption.)

M. Nothomb. - Messieurs, au point où nous sommes arrivés, il faut une conclusion formelle, franche, conforme à la dignité et à la loyauté parlementaire ; et ce n'est point par un subterfuge qu'on peut clore une discussion pareille.

Nous affirmons que le ministère ne possède plus la confiance du pays, qu'il succombe sous le poids des fautes qu'il a accumulées, qu'il est condamné par les votes du pays, qu'il périt sous l'ensemble de sa politique excessive, hautaine, et surtout par ses coups de majorité, qui s'appellent l'annulation des élections de Louvain, l'annulation des élections de Bruges, l'enquête de Bastogne, et par tous ses actes d'une partialité systématique. Telle est sa situation devant la nation et devant nous. Vous êtes vaincus ! Oui ! les vaincus des élections du mois de juin de l'année dernière, les vaincus de Louvain, les vaincus de Bruges et les pénitents de Bastogne ! Vaincus partout, et hier encore dans les élections provinciales. Artisans de votre chute vous-mêmes, vous avez perdu la confiance du pays. Je propose donc une motion dans ce sens, catégorique, précise, ne laissant place à nulle équivoque : La voici ;

« La Chambre, considérant que le ministère a perdu la confiance da pays, passe à son ordre du jour. »

- Voix à gauche. - Aux voix ! Aux voix !

MpVµ. - Il n'y a plus que l'ordre du jour proposé.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix i la clôture !

MpVµ. - M. Nothomb demande-t-il la parole ?

M. Nothomb. - Oui, certainement.

M. Goblet. - La clôture est demandée.

MpVµ. - Il faut que les membres se lèvent pour la demander.

- Un grand nombre de membres se lèvent.

MpVµ. - La clôture est demandée. Vous avez la parole contre la clôture.

- Plusieurs membres à droite. - Vous avez déjà donné la parole à M. Nothomb.

MpVµ. - Je lui avais demandé s'il réclamait la parole, mais je ne la lui avais pas donnée. (La clôture ! la clôture !)

M. Nothomb, vous avez la parole sur la clôture.

(page 578) M. Nothomb. - Il est évident que devant l'impatience d'une partie de la Chambre et un cadran qui marque 4 1/2 heures, je ne puis espérer que quelques minutes d'attention.

Ne pouvant ainsi rentrer dans la discussion, où j'avais bien des choses à dire, je m'arrête seulement à la dernière partie du discours de M. le ministre des affaires étrangères.

M. Goblet. - Ce n'est pas la clôture. Nous persistons à la demander.

M. Nothomb. - Comment ! pas même quelques minutes ? (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères a terminé son discours par la glorification du cabinet et surtout par la sienne et celle de M. le ministre des finances, suivant en cela l'exemple que son honorable collègue avait donné il y a quelques jours.

MM. les ministres n'ont pas voulu laisser ce soin à la postérité et comme jadis, ce Romain illustre, quoique peu modeste, ils s'écrient : « A nous, citoyens, nous avons sauvé la patrie ; montons au Capitole pour y rendre grâces aux dieux immortels ! »

Je le veux bien, mais puisque vous-mêmes devancez l'histoire, permettez que je vous imite et souffrez que je l'interroge à mon tour.

Je reconnais volontiers le mérite des membres du cabinet, et ici je m'adresse plus spécialement à M. le ministre des finances, comme au chef réel et légitime du cabinet et de l'opinion que nous combattons.

Je le ferai dans des termes vifs peut-être, mais parlementaires, sans aigreur, en respectant les intentions, et j'ose le dire, sans passion et sans même avoir besoin de recourir à la précaution oratoire par laquelle l'honorable M. Rogier a commencé son discours. Homme politique, j'ai le droit de juger les actes de mes adversaires politiques, et j'en use dans les limites d'une ferme vérité sans suspecter leur bonne foi.

L'histoire reconnaîtra, je n'en doute pas, votre talent et vos services, votre vigueur et vos rares facultés oratoires. Elle rendra justice à vos laborieux efforts pour les intérêts matériels du pays, pour la liberté commerciale, la suppression des octrois, l'essor des travaux publics ; elle louera votre gestion régulière, pure, habile des deniers publics ; oui, l'histoire vous assignera, j'en suis convaincu, une place distinguée entre toutes parmi nos grands orateurs politiques.

Mais, j'en suis tout aussi convaincu, elle vous demandera, à un autre point de vue, plus élevé, un compte sévère d'un pouvoir tout-puissant que vous avez tenu pendant sept ans dans vos mains.

Avez-vous montré, au même degré, les qualités de l'homme d'Etat ? Ne vous êtes-vous pas égaré ?

Avez-vous compris et avez-vous rempli les devoirs que vous imposait votre responsabilité d'homme d'Etat ?

Qu'ayez-vous fait dans l'ordre moral et dans l'ordre politique, comment avez-vous laissé le pays ? C'est là ce qu'il vous demandera. (Interruption.)

N'ai-je donc plus le droit d'apprécier la politique de nos adversaires ?

Je dis que vous laissez le pays profondément troublé, par votre politique de parti, cassante, altière, exagérée par votre dédain systématique des droits des autres.

Vous laissez après vous ce pays agité jusque dans ses derniers replis, toutes les questions de conscience religieuse soulevées, la discorde partout, ici, dans les provinces, les communes, les familles, jusqu'au foyer domestique ; l'inquiétude partout.

Vous avez donné à croire que votre politique rangeait ce pays en deux fractions : vainqueurs et vaincus !

Et nous en sommes venus à ce point que l'étranger doute de l'efficacité de notre régime parlementaire, naguère si respecté et si envié ! Votre obstination à garder un pouvoir brisé dans vos mains entrave le rouage de nos institutions et, pour tout dire, nous sommes menacés, par votre faute, d'une espèce d'anarchie légale dont je ne sais même pas si une dissolution des Chambres nous sauvera ! Une sorte d'impasse politique, voilà où nous a conduits votre manière de gouverner qui rendra peut-être inévitable un jour une réforme électorale bien autrement sérieuse que le projet, si modéré, de mes amis.

Enfin vous allez quitter le pouvoir en laissant la seconde ville du pays dans un état d'irritation profonde. (Interruption.)

Ici apparaît votre grande faute, votre faute capitale, celle qui fera le plus douter de votre mérite d'homme d'Etat.

Vous n'avez rien su prévoir... (Interruption.)

- Voix à gauche. - Vous avez voté avec nous.

M. Nothomb. - Ne m'interrompez pas ; je devrais, pour vous répondre, faire un discours et vous me donnez à peine quelques instants. Oui, je vous ai soutenus dans la question des servitudes d'Anvers ; ce qui prouve, soit dit en passant, ce que vaut votre reproche que nous vous aurions fait une opposition systématique, haineuse, implacable. Je vous ai soutenus dans cette question comme en plus d’une autre. J'ai défendu contre mes meilleurs amis, et en votre faveur, le principe de non-indemnité en matière de servitudes du genre de celles dont il s'agissait à Anvers ; c'était le petit côté de la question.

J'ai dit alors et je dis encore aujourd'hui que la société ne peut et ne doit pas accorder d'indemnité pour un peu de dommage causé à quelques lopins de terre, aussi longtemps qu'elle laissera sans réparation ces deux grandes iniquités sociales qui sont la servitude militaire, la conscription, et l'autre plus affreuse encore la détention qui pèse sur les malheureux que la justice sociale emprisonne, ruine, déshonore et acquitte.

- A gauche. - Proposez-le.

M. Nothomb. - Oh ! on le fera un jour, je l'espère.

Vous allez donc laisser derrière vous, dans un état d'irritation, de désaffection peut-être, la ville dont vous voulez faire le dernier refuge de la nationalité, la capitale des jours de détresse et vous vous vantez d'avoir habilement assuré la défense nationale quand vous avez rompu par votre attitude provoquante, inflexible, injuste, ce qui vaudra toujours mieux que la plus solide des forteresses : l'union, la concorde entre les citoyens d'une même patrie.

Voilà votre œuvre et voilà votre héritage. ! Non ! non ! l'histoire ne vous maintiendra pas au Capitole.

Vous n'avez plus la confiance du pays. Osez le consulter loyalement et qu'il décide entre nous. (Aux voix ! aux voix !)

MpVµ. - Voici l'ordre du jour :

i

« Considérant que le cabinet a perdu la confiance du pays la Chambre passe à l'ordre du jour. »

MfFOµ. - Vous préjugez l'opinion du pays.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération. En voici le résultat :

113 membres répondent à l'appel nominal.

56 membres répondent oui.

57 membres répondent non.

En conséquence la Chambre n'admet pas.

Ont répondu oui :

MM. de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Ruddere de te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, d'Hane-Steenhuyse, du Bois d'Aische, B. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Hayez, Jacobs, Janssens, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Magherman, Moucheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Schollaert, Snoy, Soenens, Tack, Thibaut, Thienpont, Thonissen, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Hoorde, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, Declercq, de Conninck, de Decker, de Haerne, Delaet et Delcour.

Ont répondu non :

MM. de Macar, de Moor, de Paul, de Renesse, de Rongé, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, Ch. Lebeau, J. Lebeau, Le Hardy de Beaulieu, Lesoinne, Mascart, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Alp. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Vau Iseghem, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Ansiau, Bara, Bouvier, Braconier, Carlier, Crombez, Cumont, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Florisone, De Fré, de Kerchove, De Lexhy et Ernest Vandenpeereboom.

- La séance est levée à 5 heures.