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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 552 ) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des habitants de Boussu demandent la diminution des droits d'accise sur la bière. »

« Même demande d’habitants de Malines. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants de Lennick-Saint-Marlin prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

« Même demande d'habitants de Sombreffe. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des gardes civiques de Bruxelles et des faubourgs se plaignent qu'on leur refuse l'autorisation de sortir en tenue et en corps et demandent qu'on règle les conditions auxquelles les sociétés de gardes civiques devront se soumettre pour obtenir cette autorisation. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Etterbeek prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer secondaires dans la province de Brabant, projetés par l'ingénieur Splingard. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du rapport sur les pétitions relatives au même objet.


« Le sieur Pollet demande la suppression de tout impôt de patente. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Ruykhoven, Reeck et Bosselen demandent que ces hameaux dépendants de Bilsen soient érigés en commune distincte sous la dénomination de Ruykhoven. »

- Même renvoi.


« M. le ministre de la justice transmet, avec les pièces de l'instruction, deux demandes de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« M. le lieutenant général Goblet fait hommage à la Chambre d'un exemplaire de deux ouvrages dont l'un a pour titre : Des cinq grandes puissances de l'Europe dans leurs rapports politiques et militaires avec la Belgique ; le second : Dix-huit mois de politique et de négociations se rattachant à la première atteinte portée aux traités de 1815.

- Dépôt à la bibliothèque.

Discussion générale sur la crise ministérielle

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, lorsque commença la discussion qui nous occupe depuis si longtemps, je n'avais nullement l'intention de demander la parole. La décision que j'avais prise à cette époque s'est trouvée ébranlée par les discours des honorables ministres des finances et des affaires étrangères. Après ces discours, je me suis fait inscrire, et les paroles prononcées dans l'une de nos dernières séances, par M. Frère, m'ont prouvé que j'avais eu raison.

En me jetant dans le débat, ne croyez pas que je veuille venir vous donner des idées nouvelles, vous soumettre de nouvelles appréciations au sujet du programme de l'honorable M. Dechamps, programme qui a été discuté avec beaucoup de talent de part et d'autre, attaqué avec beaucoup d'habileté par la gauche, et, je m'empresse de le dire, défendu avec beaucoup de conviction et de bonheur par ses auteurs.

Quelle que soit ma position vis-à-vis du parti libéral, auquel je n'appartiens plus, de par les événements que j'ai eu l'honneur de vous raconter lors de la discussion de l'adresse, et quoi qu'en puissent dire mes honorables adversaires, j'ai la prétention d'être libéral ; de ce libéralisme vrai,, de ce libéralisme tel qu'on le comprenait en 1830, tel que le comprenait M. le ministre des affaires étrangères lui-même et dont l'honorable M. Schollaert nous a donné un aperçu hier, en lisant quelques passages du magnifique discours prononcé, en 1832, par l'honorable M. Rogier.

C'est en me plaçant sur ce terrain que je compte, avant d'en arriver à la question anversoise, me livrer à quelques appréciations que je soumets à l'attention de la Chambre et qui ont trait à la politique du ministère.

Aujourd'hui, je ne puis que répéter ce que je disais lors de la discussion de l'adresse. Avant d'entrer dans cette Chambre, j'avais assisté souvent aux débats législatifs, et je dois vous avouer que, quelque idée que je me fusse faite des querelles qui peuvent s'élever dans cette enceinte, des discussions vives, chaudes, passionnées qui s'y produisent, je ne pouvais pas croire que, dans un pays constitutionnel comme le nôtre, un parti pût mettre dans des débats parlementaires autant de partialité que j'ai vu mes honorables adversaires en mettre dans le débat actuel.

En effet, que voyons-nous ? Depuis les événements que tout le monde connaît, le ministère s'est trouvé affaibli d'une manière considérable et désespérante pour lui.

La session de 1863-1864 s'ouvre, et, au lieu d'une majorité qui lui permette de marcher et de diriger les affaires du pays, sa majorité se trouve réduite à quelques voix ; en provoquant l'annulation des élections de Bruges et l'enquête de Bastogne, il s'affaiblit encore et il se trouve avoir aujourd'hui deux voix pour le soutenir.

Le ministère, dans cette position, reconnaît lui-même qu'il ne peut pas gouverner ; il remet sa démission entre les mains du Roi ; il en fait l'annonce à la Chambre et il attend. Le parti conservateur, minorité encore, reste également dans l'expectative.

Mais dès les premiers débats parlementaires, le ministère, impatient de cette attitude, veut imposer à la droite l'obligation de prendre le pouvoir. Le parti conservateur ne se rend pas immédiatement à cette invitation, car la dissolution n'est dans les goûts de personne, et il conseille la formation d'un ministère d'affaires. Cette combinaison ne se réalisant pas, la droite se résout à prendre le pouvoir, mais elle se résout en même temps à ne l'accepter qu'armée d'un programme.

J'avoue, messieurs, que je n'ai pas compris la conduite de la gauche et je l'ai d'autant moins comprise que toutes les explications données dans cette discussion, que des déclarations très catégoriques tendent à faire croire au pays que le parti conservateur, en arrivant au pouvoir, constituerait un véritable danger pour la Belgique.

Et pourquoi serait-il un danger pour le pays ?' C'est parce que le parti conservateur, au dire du parti libéral, veut faire retour au passé et ramener en Belgique un état des choses qui n'est plus possible.

Or, au moment où la droite déclare ne plus vouloir de ce passé, au moment où elle déclare se mettre au niveau des progrès constitutionnels réalisés en Belgique, c'est à ce moment même que le ministère retire sa démission et reprend le pouvoir.

Serait-ce qu'il a eu peur de voir arriver le vrai libéralisme aux affaires ?

Pour prouver encore que l'arrivée de la droite au pouvoir serait un danger pour le pays, on a fait de l'histoire. Mais il me semble qu'en la faisant on s'est trompé de pays. On est venu nous reparler des grands principes de 1789 ; mais je pense que ces principes ne sont contestés par personne, pas plus sur nos bancs que sur les vôtres : les principes de 1789 sont contenus dans la Constitution belge et puisque tous les membres de cette assemblée ont juré obéissance et fidélité à la Constitution, il est évident, dis-je, qu'ils acceptent en même temps la consécration de ces principes.

L'honorable M. Orts, en rappelant la révolution française de 1789, a fait de l'histoire de France et non de l'histoire de Belgique. Evidemment, il y a entre ces deux peuples une énorme différence ; la vie communale n'était pas connue en France, tandis qu'elle existait depuis des siècles en Belgique. En France, au dixième siècle, quelques communes existaient, il est vrai ; quelques souverains, et Louis XI surtout, les avaient créées pour caresser l'élément populaire et pour combattre la féodalité que ce roi avait commencé à renverser. Mais ce fantôme de vie communale ne tarde pas à disparaître avec la puissance de l'ancienne aristocratie, et après que le cardinal de Richelieu eut assis définitivement le pouvoir monarchique sur les ruines de la féodalité, il n'est plus fait mention de ces communes affranchies et libres que nous possédions nous, en Belgique, depuis si longtemps et que nous avons toujours conservées.

Parvenu à 1789, le peuple français avait un profond abîme à franchir pour se mettre au niveau de la civilisation et de la liberté des provinces belgiques ; car là le progrès avait été permanent depuis le Xème siècle. Ce que des siècles avaient produit ici successivement et paisiblement, la France a dû le conquérir avec violence, en peu de temps, en quelques jours à peine, et en traversant des flots de sang.

Depuis bien des siècles la Belgique était habituée à la liberté. C'est un fait facile à prouver et que beaucoup d'entre vous peuvent constater en lisant les documents relatifs aux joyeuses entrées de nos anciens souverains ; dans ces occasions solennelles, on jurait obéissance au prince ; (page 553) mais aussi le prince à son tour jurait de maintenir les libertés dont jouissaient ses sujets. Si je ne craignais d'abuser des moments de la Chambre, je prouverais, les pièces à la main, que les libertés conquises eu France en 1789 existaient en tout ou en grande partie dans notre pays.

Ainsi les biens des particuliers leur étaient garantis ; les visites domiciliaires étaient interdites ou soumises à de grandes formalités ; le clergé n'avait pas cet immense pouvoir qu'on lui reprochait en France et que vous semblez tant redouter ; et il y avait des obstacles très grands à l'extension de la mainmorte, le sujet de vos éternelles attaques. J'ai, je le répète, une foule de documents historiques que je pourrais apporter à l'appui de ma thèse.

La conduite du ministère et de la gauche vis-à-vis de la droite a été injuste, illogique, antipatriotique et anticonstitutionnelle. Elle a été illogique, parce que si la liberté n'est pas un vain mot dans votre bouche, vous devez l'admettre pour tout le monde. Ce n'est que par la discussion et non par l'intolérance que vous devez chercher à faire triompher votre opinion. Votre conduite est antipatriotique, parce que vous avez méconnu dans cette discussion les antiques libertés de votre pays ; vous les invoquez quand vous le trouvez bon et vous les mettez de côté quand elles vous gênent. Votre conduite, enfin, est anticonstitutionnelle, parce qu'en décrétant l'immutabilité du parti doctrinaire, du parti libéral au pouvoir, vous sapez les bases de notre pacte fondamental ; vous brisez l'équilibre qui doit exister dans nos institutions et vous rendez le pouvoir exécutif complice d'un coup d'Etat ! (Interruption.)

En un mot, vous avez fait un deux décembre parlementaire.

M. Coomans. - En petit.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, en prenant la parole je n'ai eu l'intention de parler ni de jésuites ni de francs-maçons. Beaucoup d'orateurs de la gauche ont accusé les premiers de captation et de bien d'autres crimes.

Je n'ai, moi, ni à les accuser ni à les défendre. Mais il y a une captation au profit du ministère, dont vous n'avez eu garde de parler et que je signale au pays, .-c'est la captation de la prérogative royale.

A vous entendre, on dirait que vous doutez de la liberté, et que vos principes libéraux, tels que vous les comprenez, ne sont pas aussi certains, aussi indispensables même pour la société que vous semblez le croire et que vous voulez le faire croire aux autres.

Ces principes sont vrais ou ils sont faux. S'ils sont vrais, pourquoi craignez-vous la liberté ?

Il est évident que s'ils sont vrais, la discussion les fera triompher. Et cessez donc en revenant toujours devant le pays avec le spectre noir auquel vous ne croyez pas vous-même, d'égarer l'opinion au lieu de l'instruire. Vous faites rétrograder le pays au lieu de le faire avancer.

S'ils sont faux, vous avez beau faire, ils tomberont avec vous.

Je disais tantôt que la liberté est une plante née sur le sol belge, elle est de tradition et dans notre pays et dans nos cœurs.

Qui donc y a porté la main ? L'hospitalité, par exemple, qui est une des vertus de la Belgique moderne, comme elle l'était au temps de nos pères, qu'en avez-vous fait ? qui a refusé l'hospitalité à des proscrits ? C'est vous.

Je vous citerai le colonel Charras. Je vous citerai M. Raspail qui, expulsé par vous de notre sol, a trouvé un refuge chez l'un de nos collègues, l'honorable comte Vilain XIIII.

La liberté individuelle, qui donc y a porté atteinte ?

La protestation la plus forte, la plus solennelle contre vos actes à cet égard a été faite dans cette Chambre ; la présence de notre honorable collègue M. Hayez est là pour le prouver.

Quant à l'inviolabilité de la magistrature, qui a porté sur elle une main liberticide ? Ai-je besoin de vous rappeler l'affaire de la fonderie de canons de Liège ? Que sont enfin devenues d'autres libertés encore dont vous avez privé le pays ?

Outre cela, depuis le commencement de la session, qui donc a pris la défense de toutes nos libertés en Belgique ? Qui donc a fait valoir les griefs des Flamands qui, en définitive, ont à se plaindre du ministère, et qui ont été placés pour ainsi dire au ban de l'opinion publique.

M. Mullerµ. - Voilà du patriotisme !

M. Delaetµ. - Vous avez dit contre les Flamands ce que vous dites aujourd'hui contre Anvers, c'est pour vous un système.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - C'est de nos bancs que s'est élevée la défense de ce mouvement flamand, de ce grand parti patriotique, car il ne faut pas le nier, les 5/8 de la Belgique parlent le flamand.

Quant à la presse, le projet de loi qui sera soumis aux délibérations de la Chambre, est-ce de vos bancs qu'il est parti ?

Les observations qui ont été faites à la loi sur les étranger, d'où viennent-elles ? Est-ce encore de chez vous ?

Un autre projet de loi qui a été également déposé, qui sera discuté dans cette Chambre et au bas duquel j'ai tenu à honneur de mettre mon nom, la proposition de l’honorable M. Hayez au sujet de la position des officiers en non-activité, est-ce encore vous qui l'avez produit ? Au point de vue de la liberté, la loi de 1836 est arbitraire. Nous voulons la faire disparaître ; nous voulons faire rentrer nos frères de l'armée dans le droit commun.

MfFOµ. - Ce sont vos amis qui l'ont faite.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, vous ne pouvez pas vous le dissimuler, votre position en Belgique n'est pas tenable. (Interruption.)

Le doctrinarisme est condamné, et il est condamné parce que vous mourrez de votre belle mort, parce que vous n'avez pas de jeunesse qui vous suive, parce que vous n'avez pas de successeurs.

La jeunesse, qu'elle soit religieuse ou rationaliste, ne veut pas de votre intolérance. Elle ne comprend pas, elle ne veut pas que l'on soit illogique et que l'on fasse, pour soi et à son profit, ce que l'on repousse pour les autres.

La jeunesse a des sentiments généreux ; elle aspire à la liberté et à la vérité, et elle ne vous suivra jamais, parce que vous ne voulez que l’intolérance, le servage ; parce que la liberté que vous voulez est une arme que vous retournez contre vos adversaires.

Le mouvement anversois est un mouvement catholique ! c'est un mouvement clérical ! Tout ce qui s'est fait à Anvers a été fait sous l'influence du clergé ! Et cependant, dans les élections ordinaires, avant le mouvement d'Anvers, le parti libéral dans les luttes à outrance, avait 30 voix de majorité ; le meeting en a aujourd'hui 1/200 à 1,500 ; vous soutiendrez donc aussi que c'est là un appoint catholique ? Eh bien, permettez-moi de vous dire comment l'association libérale entendait la question d'Anvers. Le 28 mars 1862, elle envoyait à la Chambre des représentants, la pétition suivante :

« Nous soussignés, tous membres de l'Association libérale et constitutionnelle d'Anvers, vous prions respectueusement de décréter :

« 1° Que l'Etat doit indemniser les propriétaires des terrains grevés de servitudes militaires par suite des nouvelles fortifications établies autour de notre métropole commerciale ;

« 2° Qu'aucune servitude militaire ne peut être établie dans l'intérieur des villes et que celles qui pourraient exister sont supprimées ;

« 3° Que les deux citadelles placées au nord et au sud d'Anvers seront détruites immédiatement.

« Les discussions qui viennent d'avoir lieu à la Chambre des représentants sur cette triple demande nous dispensent d'entrer ici dans de longs développements.

« Malgré l'obstination du ministère, nous espérons, messieurs, que vous ne tarderez pas à reconnaître combien sont légitimes les plaintes de la ville d'Anvers contre les procédés despotiques du département de la guerre.

« Sans doute nos adversaires politiques tireront profit des fautes graves et multipliées commises dans ces derniers temps et dont la responsabilité remonte au ministère actuel et spécialement au ministère de la guerre.

« Mais est-ce là une raison de ne pas intervenir activement dans une question qui est vitale pour nous et qui est de la plus haute importance pour le pays entier ? Non assurément.

« Le libéralisme doit avant tout faire son devoir et combattre vigoureusement le despotisme militaire qui essaye de prendre racine dans le sol belge.

« Ce devoir, messieurs, nous venons le remplir et nous avons la conviction que vous admettrez avec nous que ceux qui affectent dans cette circonstance de suspecter notre patriotisme, n'ont d'autre but que celui d'égarer l'opinion publique en déplaçant la question que vous avez à résoudre.

« En effet, qu'y a-t-il de commun entre le patriotisme et le système inique que le gouvernement a soutenu devant les Chambres durant la discussion sur les fortifications ?

« Ce qu'il y a de contraire au vrai patriotisme, ce qui tend à désaffectionner les populations, c'est de traiter avec, dédain leurs réclamations (page 554) les plus sérieuses ; c'est de ne vouloir rien faire pour soustraire aux horribles éventualités d'un bombardement une ville de plus de cent mille habitants, ville qui résume en elle, à cause de la supériorité da son port, les éléments de prospérité commerciale et industrielle de la Belgique entière.

« Soyez-en persuadés, messieurs, au jour du danger la ville d'Anvers fera son devoir, mais en attendant, que le gouvernement fasse le sien qui consiste à écouter avec déférence les vœux de la métropole commerciale et à y donner satisfaction lorsque ces vœux, comme dans le cas présent, ne blessent en rien les intérêts généraux du pays.

« Nous osons, messieurs, compter sur votre appui et nous vous prions d'agréer l'assurance de notre haute considération. »

Voilà ce que disait l'association libérale au commencement du mouvement anversois, et le danger qu'elle signale, en disant qu'on cherche à déplacer la question, est le même aujourd'hui, non pour la question anversoise, car elle n'est ni tuée ni enterrée, comme on le prétend, mais pour le ministère lui-même, qui n'a pas saisi la gravité de sa position vis-à-vis de la ville d'Anvers.

Du reste, messieurs, nous trouvons la confirmation de tout cela dans ce qui s'est passé dernièrement au sein de l'association libérale d'Anvers ; elle a perdu un grand nombre de ses membres, et ceux qui restent ne s'occupent plus des affaires du pays ; non, ils font les affaires du ministère.

Nous avons vu, aux dernières élections provinciales, M. Loos venir combattre l'idée de l'abstention. M. Loos a dit qu'il faut mettre les questions de principe au-dessus des questions d'intérêt local.

M. de Gottal n'était pas de cet avis ; les déclarations de l'honorable M. Loos font voir clairement que le mot d'ordre a été donné à Bruxelles, et que l'association libérale, comme je le disais plus haut, ne fait plus les affaires du pays, mais bien celles de MM. Rogier, Frère, Tesch, etc., (Interruption.)

MfFOµ. - Vous direz cela aux meetings ; ce n'est pas la place ici.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - J'ai revendiqué, au commencement de mon discours, le titre de libéral, mais de libéral dans le bon sens du mot ; et c'est au nom des libéraux indépendants d'Anvers et de tout le pays, que j'accuse le ministère d'avoir perdu le libéralisme en Belgique.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est vous qui l'avez retrouvé.

M d’Hane-Steenhuyseµ. - Je me résume sur ce point, messieurs, en déclarant une fois de plus que je considère comme illogiques, antipatriotiques et anticonstitutionnels les moyens mis en œuvre par le ministère pour empêcher les honorables auteurs du programme de réaliser les promesses qui y sont contenues.

J'aborde, messieurs, la question anversoise, cette question qui, s'il faut en croire nos adversaires, est une question morte, une question enterrée. Il faut avouer cependant que voilà un singulier enterrement, où le décédé renaît quand on croit l'avoir tué ; où il remonte sur la brèche avec plus d'énergie chaque fois, et où il plonge tour à tour, dans la fosse qu'on lui creuse sans cesse, tous ceux qui s'efforcent de jouer auprès de lui le triste rôle de fossoyeur.

L'honorable M. Frère qui, lui, a attaqué le plus vertement et la question d'Anvers et ceux qui la représentent dans cette enceinte, l'honorable M. Frère n'est pas animé, je le sais, d'un amour très ardent pour les Anversois ni pour Anvers. Je crois même, messieurs, que je pourrais me servir d'expressions plus énergiques pour caractériser ses sentiments à notre égard ; mais aussi je puis assurer à l'honorable ministre que les Anversois usent pleinement et largement du droit de réciprocité à son égard.

Je ne sais pas, messieurs, si sur les bancs de la gauche et même sur les bancs du ministère, il n'a pas été souvent question de faire droit aux réclamations d'Anvers, et si je suis bien informé le seul obstacle à cet acte de justice a été précisément cet amour effréné de l'honorable M. Frère pour les Anversois.

Lorsque les députés d'Anvers sont venus s'asseoir sur ces bancs, on les avait représentés comme des hommes sans éducation, indignes de siéger parmi vous, je ne sais pas même si on ne se les était pas figurés en blouse, en sabots et la pipe à la bouche, et vous avez dû être désagréablement surpris lorsque vous avez constaté qu'ils ne répondaient en rien à votre attente.

Vous avez accusé la députation anversoise et le mouvement anversois, d'orangisme. Permettez-moi de le dire, vous n'avez pas fait là quelque chose de très loyal ; vous parlez de patriotisme et vous accusez la métropole commerciale de vouloir faire bon marché de la Constitution. Vous l'accusez de fouler aux pieds tout ce que la Belgique a de plus cher ; vous l'accusez enfin de vouloir renverser nos institutions.

Le reproche d'orangisme ne réussissant pas, vous nous avez placé sur la tête un tricorne, et nous sommes devenus bel et bien des cléricaux !

L'honorable M. Frère, dans son dernier discours, a recommencé tout simplement, en grande partie, son discours du 23 décembre 1863. L'honorable M. le ministre nous disait alors :

« Ce qui se passe aujourd'hui, est déjà un premier châtiment pour les députés d'Anvers, car que dira cette population à laquelle, ils ont fait tant d'audacieuses promesses ? Que leur dira-t-elle de leur altitude actuelle, de leur silence ? Que dira-t-elle lorsqu'elle saura qu'ils n'ont pas osé produire ici la proposition qu'ils avaient pris l'engagement solennel de présenter et de défendre ? »

Mon honorable collègue, M. Jacobs, répondit le lendemain :

« Nous maintenons notre programme entier. Nous espérons arriver à la démolition des citadelles, à l'abolition des servitudes intérieures ; nous espérons voir sanctionner le principe de l'indemnité du chef des servitudes extérieures. Nous ne le nions pas, mais nous ne comptons pas y réussir du jour au lendemain ; nous n'avons pas la prétention de convertir le pays en une discussion ; nous ne prétendons pas forcer le pays à nous accorder satisfaction ; nous croyons qu'un premier pas est déjà fait et que beaucoup de membres de cette assemblée ne repoussent pas un examen dans lequel nous avons toute confiance ; nous ne voulons pas bouleverser le pays, nous ne voulons pas lui imposer notre volonté, nous voulons le convaincre. »

Eh bien, messieurs, cette conviction, à mon avis, a déjà pénétré dans pas mal d'esprits, car par un vote qui eut lieu immédiatement après, la question d'Anvers, au lieu d'être enterrée, fit un pas immense et vous mit dans la position où vous vous trouvez aujourd'hui.

Outre cela, M. le ministre des finances nous parlait d'un premier châtiment qui nous attendait à notre arrivée à Anvers. Qu'allait nous dire cette population à laquelle nous n'apportions pas le décret signé par MM. les ministres, le décret de démolition des citadelles ? On allait au moins nous lapider, nous jeter dans l'Escaut. Non, pas du tout ; nous sommes rentrés à Anvers, et comme vous avez pu le voir par les journaux, on nous a fait un excellent accueil, on nous a donné des sérénades, on nous a adressé des félicitations, et la population nous a su gré et nous a remerciés du pas immense que nous avions fait faire à la question anversoise.

Messieurs, cette question est morte ! et cependant voilà trois ans qu'elle dure, et elle est arrivée au point où elle est aujourd'hui, sans secousse, sans pression ; elle y est arrivée sans être accompagnée de ces événements qui ont amené le ministère actuel au pouvoir, en 1857.

Elle est morte ! et elle a renversé tous les obstacles qu'on lui a opposés ; elle est morte, et cependant le conseil communal, toutes les associations, le conseil provincial, la chambre de commerce, toutes les autorités, en un mot, la soutiennent et disent au pays qu'il y a une grande injustice à réparer à Anvers.

Elle est morte ! et aujourd'hui, que voyons-nous ? nous voyons cette question inscrite dans un programme ministériel.

Messieurs, le parti conservateur a compris qu'il y avait du patriotisme à vouloir pacifier Anvers. Je ne parle pas ici de la solution de la question anversoise ; je parle de la pacification de la ville d'Anvers ; le parti conservateur a eu l'honneur de l'initiative, et ce sera un de ses titres à la reconnaissance publique ; il a cherché et il cherchera à pacifier une ville qui, dans un petit pays comme le nôtre, serait de nature à causer de graves embarras dans un moment donné. Cette thèse a été développée par l'honorable M. Dechamps avec beaucoup plus de talent que je ne puis le faire.

Messieurs, lorsque la ville d'Anvers a réclamé contre les citadelles, on a traité dans les journaux, dans les Chambres et un peu partout, la question militaire. Certainement, je ne veux pas empiéter sur le domaine de mon honorable collègue, M. Hayez, beaucoup plus compétent que moi pour traiter ces sortes de questions. Mais il est un point que les Anversois, rendant ainsi service au pays, ont aussi pris en sérieuse considération. Les Anversois se sont rappelé que la question de défense elle-même avait été sujette à de longs tâtonnements ; qu'il avait été très difficile de se mettre d'accord sur ce système, et que si les procès-verbaux de la grande commission qui a décidé les fortifications d'Anvers avaient été fournis à la Chambre, comme le demandait l'honorable M. de Gottal, la Chambre aurait pu se convaincre que ces fortifications n'ont été décidées qu'à une voix de majorité si mes renseignements sont exacts, et il doit en être ainsi. L'un des résultats de ce système, surtout, c'est l'augmentation effrayante du budget de la guerre.

(page 555) Ici je cherche de nouveau le traditionnel libéralisme économique du ministère ; il es vrai que nous sommes en 1864, et de même que l'honorable M. Rogier en 1832 dans le discours que l’honorable M, Schollaert nous a lu hier, pensait autrement qu'aujourd'hui, de même en 1852, le ministère actuel écrivait à 1a section centrale qu'il ne fallait plus de dépenses exagérées pour le budget de la guerre, et qu'il s'efforcerait d'arriver à un budget normal de 25 millions.

A cette époque, il y eut une discussion très intéressante sur le budget de la guerre dans cette enceinte. Notre honorable président actuel y prit une part active, et il exposa, d'une manière irréfutable, le danger que présentait l'exagération des dépenses militaires.

En 1845, nous avions une organisation de l'armée. Cette organisation semblait bonne : c'est ce que disait du moins l'honorable ministre de la guerre lui-même, M. Chazal, qui, l'appréciant et la défendant ici, déclarait qu'il assumait la responsabilité de toute espèce d'événements ; que le système de défense, l'organisation de l'armée et le budget de la guerre, tels qu'ils étaient réglés à cette époque, répondaient à toutes les exigences et pourraient parer à toutes les éventualités.

En 1853, une nouvelle organisation de l'armée apparaît, on l'augmente de 20,(00 hommes.

A cette occasion, l'honorable M. E. Vandenpeereboom, dans un magnifique discours où il démolit, à mon avis, tout le système présenté par M. le ministre de la guerre, disait :

« Croyez-vous qu'avec vos demandes exagérées vous aurez fixé le sort de l'armée ? Dès qu'il y aura un peu de calme ou qu'il y aura une crise financière, croyez-vous qu'on vous laissera avec 32 millions ? C'est une illusion complète, et je ne crains pas de le dire, cela n'a aucune chance de durée. Vous verrez, chaque année, surgir la même opposition. Croyez-vous qu'en faisant cette opposition, nous ferons quelque chose de très agréable ? Beaucoup de ceux qui s'opposent aux dépenses extraordinaires ont servi dans l'armée ou y ont des amis et connaissances. Est-ce par mauvais cœur, pas passion que nous résistons ? N'avons-nous pas prouvé dernièrement, dans la loi des pensions des officiers polonais, que nous étions toujours prêts à faire tout ce qu'il était possible de faire pour les personnes ? »

Je sais, messieurs, que dans les choses de la guerre, il faut être excessivement prudent, car lorsqu'un député de la nation se mêle de discuter le budget de la guerre et de le critiquer, on l'accuse aussitôt d'être l'ennemi de l'armée, de vouloir affaiblir notre nationalité, de vouloir nous livrer à l'étranger. Or, je proteste contre de pareilles idées, et je déclare qu'au moment du danger, s'il doit jamais arriver, je serai le premier à voler sur la brèche pour la défense de nos institutions.

Mais je vois dans ces exagérations de nos dépenses militaires un double danger pour le pays, un danger matériel et un danger moral !

En France et chez d'autres grandes puissances, l’armée est une nécessité, au moins momentanée, on peut y exciter ses désirs guerriers ; on peut lui permettre d'espérer qu'un jour on pourra lui donner la gloire, non seulement de se défendre, mais aussi d'attaquer ; mais en Belgique, pays essentiellement neutre, qui ne peut se mêler d'aucune façon aux grandes questions européennes, je vois un danger très grand dans des idées militaires qui sont trop répandues dans le pays, et qui faussent, jusqu'à un certain point, notre esprit national.

Les dédains du ministère, les injures qu'il n'a cessé de lancer à la tête de la population anversoise, quel en sera le résultat ? C'est qu'au jour du danger, et ne croyez pas que ceci soit une menace, vous vous trouverez devant une population, je ne dirai pas ennemie, mais désaffectionnée. C'est encore un point que l'honorable M. Dechamps vous a si éloquemment développé et que d'ailleurs vous avez reconnu être vrai. Il est évident que, si vous deviez arriver dans une ville de 140,000 âmes dans un moment suprême, pour y défendre tout ce que nous avons de plus cher : notre nationalité et notre dynastie, il est évident, dis-je, que votre position serait des plus pénibles, ayant devant vous l'ennemi et autour de vous une population indifférente, parce que vous l'auriez désaffectionnée.

Anvers, en réclamant la démolition des citadelles, ne réclame que sa sécurité ; et pourquoi la réclame-t-elle ? Parce que le Roi lui-même la lui a promise, parce qu'Anvers a foi dans la parole royale, parce que le Roi lui avait dit...

MfFOµ. - Ne faites donc pas intervenir le Roi dans nos débats ; cela est inconstitutionnel.

M. Delaetµ. - Allez toujours ! Cela n'est pas inconstitutionnel !

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - ... parce que le Roi lui avait dit ; J'éloignerai tout danger d'Anvers ; je ne veux que sa prospérité.

Anvers avait donc le droit de voir tout danger éloigné de ses murs, et il ne devait pas même lui venir à l'idée qu'elle pût être trompée dans son attente (Interruption.)

C'est la faute du ministère, messieurs... (Nouvelle interruption.) Oh ! je sais bien qu'il y a une manière d'expliquer cela, l'honorable M. De Fré a eu l'obligeance de le faire.

Il nous a dit : Quand nous avons voté la loi, nous n'avons eu à nous occuper que de la question financière ; nous n'avions pas à nous occuper du côté technique de la question.

Ainsi, et l'aveu est précieux, tout s'est réduit pour la Chambre à une simple affaire d’argent ; tout le reste était de la compétence du ministre de la guerre seul ; de sorte que s'il lui plaisait de placer un fort sur la Place Verte, je suppose, au centre même d'Anvers, nous n'aurions plus qu'à nous incliner. (Interruption.)

Et puis, messieurs, vous accusez toujours Anvers d'égoïsme. Vous avez, dites-vous, fait énormément pour elle. Mais je prierai le ministère de vouloir bien m'énumérer tous ces bienfaits. Est-ce le cadeau des fortifications ? Mais, permettez-moi de revenir sur un fait qui s'est passé à cette époque et que vous ne nierez pas ; c'est que si vous êtes parvenu à faire voter la partie militaire de la loi de 1859, vous vous êtes servi d'un moyen qui n'est pas.... beau (je ne veux pas me servir de l'expression propre) ; vous avez fait passer vos projets, en ce qui concerne Anvers, en les enveloppant dans une masse de travaux publics ; c'est-à-dire que vous avez offert quelque chose à chaque province pour que toutes fermassent les yeux sur les dangers dont on entourait Anvers. (Interruption.)

En ce qui concerne le commerce, qu'avez-vous fait pour Anvers ? Rien.

Eu ce qui concerne la navigation, qu'avez-vous fait pour Anvers ? Rien.

Et j'en trouve la preuve dans ce fait bien concluant, c'est qu'en 1830 nous avions 150 long-courriers, tandis qu'aujourd'hui, en 1864, il en reste à peine 20. Voilà la différence.

M. Delaetµ. - Prospérité croissante !

M. d’Hane-Steenhuyseµ. – Anvers veut sa sécurité, parce que c'est alors seulement qu'elle pourra prospérer. Quand on est venu dire dans cette enceinte que les guerres, aujourd'hui ne sont plus des boucheries ; qu'un général en chef ne permettrait plus cette chose odieuse qu'on appelle bombardement, les événements ont donné bientôt un cruel démenti à de pareilles assertions. Nous avons assisté au siège de Sonderbourg !

Cette ville n'était pas fortifiée, direz-vous ; non, mais Sonderbourg renfermait tout ce qu'il faut à une armée pour se maintenir : des vivres et des munitions.

Or, Anvers n'est-elle pas à la fois le boulevard et le grenier de la défense ? Et quel sera le sort non seulement d'Anvers, mais de ses environs ? Ecoutons l'honorable général Renard, assis sur le banc ministériel en qualité de commissaire du Roi, pour la défense du projet de la petite enceinte :

Il disait : « Mettons tout au pis ; supposons qu'après avoir défendu le terrain pied à pied, nous nous trouvions encore éloignés de tout secours, et que, débordés par un ennemi trop supérieur, nous soyons obligés de nous réfugier dans le réduit formidable que l'on élève sous le canon de l'une des plus fortes places du monde, au point qu'avait déjà choisi pour un semblable usage, le plus grand capitaine du siècle.

« Vous avez donné des millions pour cette œuvre nationale avec un patriotisme dont le pays vous tiendra compte ; là il faut que la lutte soit suprême, eût-elle lieu contre toutes les forces réunies d'un grand Etat. Eh bien, les 30,000 hommes auxquels on veut réduire votre armée de campagne, si tant est qu'ils arrivent intacts dans cette position, suffiront à peine pour assurer « la défense à outrance des ouvrages élevés » sur les deux rives de l'Escaut et en avant du camp retranché, tandis qu'avec les 60,000 hommes la défense n'est plus limitée aux glacis des chemins couverts des forts ; mais elle peut être portée à la lisière de cette véritable Vendée belge à travers laquelle coulent les deux Nèthes et le Rupel.

« Chaque champ est entouré de haies épaisses et souvent bordé de fossés ; de distance en distance le terrain est traversé par des lignes de prairies humides et marécageuses. Tout le pays est parsemé t de fermes entourées d'eau, de châteaux solides et comme fortifiés. » Dans ce « bocage, » dans ce labyrinthe dont nous avons la clef, dont nous connaissons chaque maison, chaque obstacle, l'ennemi ne peut songer un seul instant, ni aux charges de cavalerie ni aux grandes batteries, ni aux attaques à la baïonnette, il lui faudra épuiser ses forces dans une guerre de tirailleurs et conquérir avec du sang chaque pied de terrain. »

L'honorable général Chazal, qui prétend également que ce réduit est inexpugnable, qui prétend également qu'il n'y a pas de danger pour (page 556) Anvers, a déclaré dans cette enceinte qu'on se défendrait à outrance dans la citadelle du Nord, c'est-à-dire dans l'intérieur même de la ville d'Anvers.

En 1830, il n'y avait qu'une citadelle à Anvers ; mais il paraît qu'elle faisait déjà énormément de mal, à en croire ce qu'écrivaient en 1830 les honorables MM. Rogier et Chazal, sous l'impression pénible que leur ont causée deux ou trois bombes seulement, lancées sur la ville.

Extrait d'une lettre de M. Ch. Rogier, membre du comité central du gouvernement provisoire, datée d'Anvers, le 27 octobre. à 5 heures du soir.

« J'arrive à l'instant à Anvers, accompagné de M. le gouverneur de Robiano.

« La citadelle tire à boulets rouges, même des grenades sur la ville.

« La révolution en est maîtresse, mais il paraît que nos lâches despotes ne veulent pas lui abandonner intact leur dernier retranchement.

« Il y a incendie sur deux points...

« Nous sommes forcés de quitter l'hôtel du gouvernement, l'incendie nous chasse et gagne l’hôtel !

« Nous voici place de Meir, d'où nous voyons l'incendie en trois endroits...

« 7 heures et demie du soir.

« Le feu se ralentit et l'incendie aussi. Nous croyons que les brigands ont voulu masquer leur retraite, nous l'espérons au moins...

« 8 heures.

« Des habitants d'Anvers viennent nous demander l'autorisation de faire cesser le feu de la citadelle jusqu'à ce que les négociations puissent être reprises demain matin. - L'écrit signé de moi et de M. de Robiano les y autorise, mais avec la fermeté et la dignité qui conviennent au gouvernement... »

Extrait d'une lettre de M. Chazal, ordonnateur en chef, du 27 octobre, 8 heures du soir.

« C'est de l'hôtel du gouvernement, au fracas de la mitraille et du canon qu'il écrit, et environné de bâtiments en feu.

« Ecrasés dans la ville par nos braves volontaires, les Hollandais se sont renfermés dans la citadelle, d'où le féroce Chassé brûle la ville avec des boulets rouges et des fusées à la congrève. »

Quelques lignes plus bas ;

« Le feu vient d'être mis à l'hôtel du gouvernement par un boulet rouge, on l'évacue.

« Cette épouvantable attaque paraît avoir pour but de protéger la retraite par l'Escaut, où se trouvent trois frégates qui vomissent des bordées sur la ville. »

Messieurs, à cette époque, je le répète, il n'y avait qu'une citadelle qui même n'était pas attaquée comme on aurait pu le faire ou comme on le fera de la citadelle du Nord, et voilà quels étaient déjà les dégâts qu'elle faisait dans la ville, les horreurs qu'elle y semait. Et aujourd'hui combien seraient grands ces dégâts et ces horreurs s'ils étaient produits par deux formidables réduits enveloppant de leurs feux croisés notre cité entière !

Du reste, la preuve que toute cette question de citadelles a été enlevée très légèrement et que même les amis du ministère n'en avaient pas complètement connaissance, c'est que l'honorable M. Loos a déclaré, dans cette enceinte, et cela se trouve consigné dans les Annales parlementaires, que, bien qu'il connût l'existence de la citadelle du Nord, il affirmait sur l'honneur qu'il n'en avait jamais pu supposer les désastreuses conséquences.

L'honorable ministre des finances a touché également, dans son discours, à la question traitée par le numéro7° du programme de l'honorable M. Dechamps. Il a prétendu que les Anversois sont mystifiés, que le projet de l'honorable M. Dechamps n'est pas exécutable et que, dans tous les cas, il ne l'est pas dans les conditions formulées par les auteurs du programme.

J'en ai causé avec l'honorable M. Dechamps et il a eu l'extrême obligeance de vouloir bien me remettre quelques renseignements dont je me permettrai de vous donner connaissance. Et tout d'abord, je dirai à l'honorable M. Frère qu'il s'est trompé, en disant que la proposition, telle qu'elle est présentée par ses auteurs, ne peut s'exécuter qu'au moyen de 20 millions. C'est là un chiffre imaginaire, une pure fantaisie du ministre des finances, et je le mets au défi d'en prouver l'exactitude. Les chiffres de M. Dechamps sont puisés à des sources certaines, et je pense que ceux de M, le ministre n'ont pas le même caractère.

Ces derniers sont de la fantasmagorie, pour faire croire au pays que la question anversoise ne peut être résolue qu'au prix de lourdes charges pour les contribuables.

Comme l'a dit l'honorable M. Dechamps, il faudrait 16 millions.

Au moment de prendre les rênes du pouvoir, l'honorable M, Dechamps s'est trouvé en mesure de recueillir des renseignements précis, de manière que les données que je vais avoir l'honneur de communiquer à la Chambre sont exactes, et sont puisées à des sources sûres.

Au moyen de la vente des terrains de la citadelle du Sud, des bâtiments de l'arsenal, de l'école de pyrotechnie et des terrains militaires de la ville d'Ostende, on parviendrait à construire l'enceinte continue et les forts de la rive gauche, plus le fort de Merxem qui n'est pas encore fait, quoique décidé, et on rendrait ainsi complet notre système de défense.

Qu'il me soit permis de dire en passant que M. le ministre des finances a parlé de l'école de pyrotechnie, comme d'un bâtiment important et que ce n'est, en réalité, qu'une agglomération de baraques, qui ne coûteraient presque rien à démolir.

Au moyen donc de ces 10 millions, on construirait les fortifications et le fort non construit à Merxem ; on reconstruirait les bâtiments de l'école de pyrotechnie, l'arsenal et les hôpitaux.

Les hôpitaux actuels ne répondent pas, d'ailleurs, aux exigences du système défensif actuel.

Je me résume : Il y aura donc dans la vente des terrains de la citadelle du Sud, de l'école de pyrotechnie, de l'arsenal, des hôpitaux et des terrains militaires d'Ostende, des ressources suffisantes pour satisfaire aux exigences des dépenses nouvelles, sans que cela puisse coûter un sou aux contribuables. Vendus, après enquête, les terrains de la citadelle du Nord, joints à ceux de la citadelle du Sud, suffiraient et au-delà pour l'exécution du plan proposé. Il y a plus : la garnison nécessaire à Ostende, en temps de guerre, suffira à la garde de la rive gauche et des forts qui l'entoureront.

J'ajoute enfin que l'armement de la place d'Ostende suffira à la défense des fortifications de la rive gauche. Il en résulte donc que, moyennant 16 millions, la solution de la question anversoise peut être trouvée, et qu'on peut exécuter ces travaux sans imposer la moindre charge nouvelle au pays ; car utiliser des terrains aujourd'hui improductifs, ce n'est pas une charge imposée au contribuable, et rien n'est demandé à l'impôt.

M. Bouvierµ. - C'est merveilleux !

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je demandais tantôt ce qu'avait fait le gouvernement pour Anvers.

A-t-il une seule fois fait la promesse de la traiter sur le même pied que les villes démantelées ; et lui a-t-il accordé, comme à celles-ci, de grandes communications, des chemins, des rues, etc. ?

MfFOµ. - Oui !

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Vous avez fait pour Audenarde, pour Ypres, pour Menin et pour d'autres ce que vous n'avez pas fait pour Anvers.

Quel est donc le seul cadeau que vous ayez fait à Anvers ? Ce sont, vous l'avez dit, les 48 millions pour les fortifications ; triste cadeau, messieurs, et dont Anvers se souviendra !

Avez-vous agi de même à Bruxelles ? Vous lui avez donné la promenade de la Cambre, vous lui avez fait cadeau d'immenses collections constituant un capital considérable ; à Anvers, vous donnez généreusement des fortifications, cause de ruine et de désolation, et quand. Votre métropole commerciale se plaint, vous n'avez, pour lui répondre et lui rendre justice, que le mépris et l'injure.

M. Bouvierµ. - Le grande enceinte, vous l'oubliez.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - La position qu'a prise M. le ministre des finances est, comme l'a dit mon honorable ami M. Jacobs, inconcevable, lorsqu'il refuse l'enquête ; de deux choses l'une : ou l'enquête aurait été favorable aux réclamations d'Anvers, ou elle leur aurait été contraire ; si l'enquête, mais l'enquête sérieuse, impartiale, avait eu lieu sous votre administration et si il en était résulté que nos demandes sont absurdes et exagérées, le pays les aurait condamnées ; mais vous avez eu peur de l'enquête ; vous savez parfaitement bien qu'elle donnera raison aux Anversois ; c'est pour cela, pour cela seul que vous nous l'avez refusée,

M. Bouvierµ. - Je vous la donne.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Messieurs, avant de terminer, je veux dire deux mots des meetings ; mais, avant de commencer à en parler, qu'il me soit permis d'adresser de vifs remerciements à mon honorable collègue et ami, M. Coomans, pour les paroles qu'il a bien voulu prononcer lors de la discussion de l'adresse. Comme nous avions à éviter, à cette époque, un piège que nous tendait le ministère, que nous tendait la gauche, celui de nous faire parler avec exagération, de nous rendre ridicules, odieux devant le pays, nous n'avons pas toujours relevé complètement les attaques lancées aux meetings. Aujourd'hui, messieurs, il est de mon devoir de le faire.

Mon honorable ami, M. Coomans, a vu les meetings, et je viens déclarer, certain de n'être pas contredit et certain de l'adhésion de mon honorable ami, que les meetings d'Anvers sont plus convenables et (page 557) arrivent à des résultats plus clairs et plus pratiques que beaucoup de séances de la Chambre.

Le meeting est libre, messieurs ; ce n'est plus comme dans les associations assermentées ; la porte n'en est plus fermée, on n'y fait pas signer de liste de présence. On a le droit de venir y défendre sa candidature ou celle des autres. On peut y exprimer son opinion, quelle qu'elle soit. On peut y venir sans la moindre crainte, sans la crainte de passer par les fenêtres ainsi que l'a raconté un jour une feuille de la capitale. On n'y a jeté personne par les fenêtres. Je m'étonne beaucoup que l'honorable M. Rogier n'ait pas cru devoir s'y rendre ; il aurait pu venir s'y expliquer, et personne, je l'affirme, n'aurait eu la pensée de lui faire un mauvais parti. (Interruption.)

Nous y avons eu des adversaires de la cause anversoise. On peut y venir soutenir toutes les thèses ; on peut y prononcer sans crainte des discours apologétiques à l'adresse de toutes les individualités, de toutes les personnalités ; on pourrait même y faire part à l'assemblée de ses sympathies pour la grande figure de l'illustre Mazzini !

MfFOµ. - Voilà le parti conservateur !

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Mais, messieurs, ce qu'on a reproché aux meetings anversois ce sont les insultes au Roi. Voilà le fait grave, voilà le fait qui a servi de machine de guerre, de bélier entre les mains du ministère et de la majorité.

Non seulement, dit-on, les meetings sont catholiques, mais ils sont antidynastiques.

Qu'il me soit permis d'adresser à ce sujet une simple question au ministère.

Lorsque les meetings se livraient, selon vous, à des attaques contre le Roi, vous, ministres, qui deviez les connaître et qui ne les poursuiviez pas, vous avez manqué à votre devoir.

Vous avez à Anvers un gouverneur qui est de vos amis, qui défend votre politique ; l'honorable M. Loos était bourgmestre d'Anvers ; toutes les autorités vous étaient dévouées. Que faisaient ces autorités, que faisait le procureur du roi ?

Comment ! dans une ville comme Anvers, on laisse tranquillement insulter le Roi, et personne ne dit rien !

La session du conseil provincial s'ouvre. Le gouverneur, selon l'habitude de ces honorables fonctionnaires, lit un discours d'ouverture ; il fait à peine allusion au fait qu'on nous reproche. Le bourgmestre parle de la question anversoise dans différentes occasions ; des insultes, il n'en dit pas un mot. Personne n'en sait rien.

Et ce n'est qu'au moment où les députés d'Anvers viennent s'asseoir sur les bancs de la Chambre qu'on va chercher cette vieillerie pour s'en faire une arme de guerre contre une question qui est éminemment nationale, une question qu'on voudrait étouffer parce qu'elle vous étreint, vous, et qu'elle vous tue.

L'honorable ministre des finances disait dans son dernier discours en parlant de l'abstention : « Vous n'aviez pas le droit de vous abstenir. » Mais, messieurs, c'est ce qu'on a appelé à Anvers la révolte légale. L'expression n'est pas d'un catholique, elle est d'un libéral et des plus doctrinaires.

Puisque l'on parle toujours de 1789, permettez-moi de vous lire l'article 2 de la déclaration des droits de l'homme ayant trait aux associations, réunions, meetings, etc.. et qui trouve son application dans le cas qui nous occupe :

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »

Eh bien, messieurs, qu'a fait Anvers ?

Anvers a défendu la liberté de ses meetings ; elle a défendu le droit d'association. Elle a défendu la propriété en demandant des indemnités pour les terrains frappés de servitudes. Elle a recherché la sécurité en demandant la démolition des citadelles.

M. Bouvierµ. - Et elle a tout cela.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Anvers, enfin, a voulu résister à l'oppression et c'est précisément ce qu'elle a fait en s'abstenant.

Je ne sache pas d'ailleurs qu'il y ait dans la Constitution belge un seul article qui force les citoyens à voter. C'est une obligation morale, oui ; mais quand il s'agissait de renverser un ministère, quel autre moyen avait Anvers, que cette révolte légale, qui consiste à refuser momentanément son concours ?

Il n'y a là rien que de très naturel. Il n'y a là rien d'inconstitutionnel.

Messieurs, les meetings ne doivent pas vous effrayer et cela pour deux motifs : le premier, c'est qu'ils ne sont pas effrayants, c'est qu'ils sont constitutionnels, et le second, c'est que, quoi que vous fassiez, vous n'empêcherez pas qu'ils se développent en Belgique.

Le noble et salutaire exemple donné à Anvers a été suivi par Bruxelles, par Liège et par d'autres villes.

M. Orts. - Il y a vingt ans qu'on fait des meetings à Bruxelles.

M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je ne doute pas que d'ici à peu de temps les meetings ne soient le véritable foyer où se formera l'opinion publique.

MfFOµ. - Voilà le parti conservateur !

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - C'est dans ces grandes assemblées que le peuple viendra prendre connaissance des affaires de son pays et y prendre des résolutions qui lui permettront de déposer son vote en parfaite connaissance de cause.

On a parlé, messieurs, du suffrage universel, et je crois que sur tous les bancs de la Chambre il y a, pour l'avenir, une tendance vers ce but.

Eh bien, lorsqu'un électeur sait lire et écrire, cela ne lui suffit pas précisément pour savoir ce qu'il doit faire.

Le meilleur moyen de le lui apprendre, c'est de l'engager à se mêler à la vie publique, en écoutant discuter ses intérêts dans de nombreuses et libres réunions où sont représentées toutes les opinions du pays.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Vous aurez des meetings, soyez tranquille.

M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Permettez-moi, messieurs, de terminer par une courte citation ; ce sont les paroles d'un homme dont vous regrettez tous l'absence sur vos bancs. Il n'appartient pas à ce côté-ci de la Chambre. C'est un homme aux lumières duquel vous rendez un éclatant hommage. Cet honorable député, invité à donner les motifs de son abstention lors du vote sur l'ensemble du projet de loi du 8 septembre 1859, s'exprimait ainsi :

« Messieurs, l'année dernière, dans une circonstance analogue, je me suis abstenu. J'avais à cette époque émis le vœu que le gouvernement voulût faire examiner sérieusement et à fond par une commission d'hommes compétents la question de la préférence à donner soit à Bruxelles, soit à Anvers, comme base de notre système de défense, et que les raisons données de part et d'autre fussent publiées.

« Il n'a pas été fait droit à ma demande, et je dois le dire, les arguments produits en faveur d'Anvers, par M. le ministre de la guerre, ont été insuffisants pour me convaincre que par l'adoption de ce système on ne commet pas une grande faute. »

Ce sont là les paroles de l'honorable M. Devaux. Eh bien, M. Devaux, dans cette question, a été prophète. Cette faute, vous l'avez commise ; cette faute, vous l'expiez aujourd'hui, et cette expiation s'étendra sur tout ministère qui suivra la voie désastreuse dans laquelle vous vous êtes engagés à l'égard d'Anvers. J'ai dit.

M. Bara. - Messieurs, je ne comptais pas rentrer dans le débat. Mais puisqu'il n'y a pas d'orateur de la gauche inscrit, je me permets de prendre la parole pour répondre à des attaques qui ont été dirigées contre le parti libéral, et à des interprétations fausses du discours que j'ai prononcé au commencement de cette discussion.

Je m'attendais, messieurs, à voir la lutte acceptée avec plus de franchise. Nous avions convié nos adversaires à un combat sérieux. Nous avions demandé de faire tomber les masques, et la droite n'y a point consenti. Elle n'a voulu qu'une chose : c'est démontrer au pays qu'elle n'était plus elle-même ; c'est démontrer au pays qu'elle arriverait au pouvoir uniquement pour se transformer.

Je ne vous parlerai pas des articles écrits du programme. En matière de finances, de douanes, de réformes économiques, votre ministre des finances, l'honorable M. de Naeyer s'est expliqué. Il nous a dit ; de réformes, je n'en ai pas. Je me livrerai à des études, comment voulez-vous que je puisse apporter des réformes, alors que je n'ai pas le personnel et les moyens dont dispose l'honorable ministre des finances ?

M. de Naeyer. - Je n'ai rien dit de semblable.

M. Bara. - Vous n'avez indiqué aucune réforme ; et je dis que quand un parti, un parti composé d'hommes intelligents comme l’honorable M. de Naeyer, vient faire miroiter aux yeux de la nation des réformes économiques, prétendre qu'il va faire mieux que ceux qui sont au pouvoir, il doit dire en quoi il fera mieux.

Ce que voulait la droite, c'est donc une expérience. Il s'agissait d'envoyer l'honorable M. de Naeyer aux finances pour savoir s'il résulterait de ses études des réformes à accomplir, réformes qu’il ne soupçonne pas, qu'il n'indique pas, et que l'honorable M. Frère a eu le malheur de ne pas découvrir.

Pour la question d'Anvers, c'est la même chose. On ne promet que des études. Ce sera un véritable ministère d'étudiants. (Interruption.) Les (page 558) ministres étudieront toutes les questions. Ils nous feront les plus belles promesses, et en définitive, de solution, nous n'en verrons pas poindre à l'horizon.

Quant aux réformes communales, il ne faut plus s'en occuper. Elles sont quelque peu compromises, depuis que l'honorable ministre des finances est venu perler de législations étrangères qui avaient été complètement transformées par l'honorable M. Dechamps.

En ce qui concerne le suffrage universel ou plutôt les réformes qui acheminent vers le suffrage universel, la base de cet acheminement devait être l'ignorance. Eh bien, sur ce point on a constaté un abîme profond entre la droit et la gauche.

Mais nous avions demandé à l'honorable M. Dechamps des explications en matière de fondation, en matière d'enseignement, en matière de cimetières. Que nous a répondu l'honorable chef de la droite ? Pas un mot. Toute sa tactique a consisté en ceci : Fuir le débat, amuser ses adversaires et le pays et les attirer sur un terrain complètement étranger à toutes les difficultés et à tous les différends qui existent entre nous.

En matière d'enseignement, l'honorable M. Dechamps s'est tu ; mais l'honorable M. de Naeyer s'est expliqué et avec la franchise que tout le monde lui reconnaît, il a dit : Le budget actuel de l'instruction publique est le nec plus ultra des sacrifices de l'Etat.

M. de Naeyer. - Cela n'est pas exact.

M. Bara. - Pas de progression, avez-vous dit. J'exprime parfaitement la pensée de l'honorable membre. L'honorable M. de Naeyer pense que l'Etat fait trop pour l'instruction, s'il progresse dans le budget, s'il le fait augmenter. Eh bien, vous savez quelle est notre théorie. Nous voulons, nous, au contraire, augmenter la dotation de l'instruction publique ; nous voulons augmenter considérablement les ressources du budget, afin d'inonder le plus possible le pays de lumières.

Eh bien, je dis que si vous ne faites plus rien pour l'instruction publique, si le budget reste stationnaire, avant dix ans d'ici, l'instruction publique sera complètement désorganisée ; avant dix ans d'ici, il sera impossible à l'enseignement de l'Etat de lutter contre celui des associations religieuses, Contre la concurrence des jésuites et des petits frères. L'Etat a encore de grands devoirs à accomplir ; les écoles sont insuffisantes, et l'instruction des jeunes filles pauvres est dans la plus déplorable situation.

Vous parlez de la liberté et vous dites : l'intervention de l'Etat est hostile à la liberté.

Mais, je vous en prie, messieurs, la liberté n'a rien à faire avec l'enseignement de l'Etat. Est-ce que les établissements de l'Etat vous empêchent de créer des écoles et des collèges ?

Quand même vous auriez de nombreuses écoles dans le pays, quand bien même il y en aurait à suffisance pour l'instruction du pays tout entier, mais vos écoles, elles s'adressent à qui ? à une partie de citoyens. Il y en a d'autres qui ne voudraient pas de vos écoles et qui ne pourraient les fréquenter à cause de leurs croyances ; et si vous n'aviez pas la concurrence de l'enseignement de l'Etat, vos écoles dégénéreraient, elles tomberaient, elles n'existeraient même plus. L'expérience du passé vous le démontre.

Mais, dit l'honorable M. de Naeyer, pourquoi les libéraux ne fondent-ils pas des écoles comme les catholiques ? Voilà la grande question. L'honorable M. Dechamps fait un signe de tête. Je vais m'expliquer sur ce point, la réponse est très facile.

Autrefois, messieurs, l'Eglise formait un grand corps ; elle était une puissance ; elle a vécu de longs siècles à l'état de puissance ; elle dominait le pouvoir temporel ; elle a eu son enseignement, ses tribunaux, sa charité. L'Eglise a conservé sa solide organisation et aujourd'hui encore, elle a assez de force et elle a assez de ressources pour pouvoir satisfaire à la tâche de l'enseignement. Autrefois aussi, les citoyens étaient divisés. Il y avait des métiers, des corporations, des gildes, des castes et chacune de ces parties de la nation avait son budget, ses impôts. Alors il leur eût été possible aussi d'avoir leurs écoles. Les citoyens pouvaient s'entendre et tirer de ces impôts de quoi former des écoles.

Mais est arrivée la révolution française, et toutes ces corporations, toutes ces divisions de citoyens se sont fondues dans l'Etat et l'Etat soigne pour elles. Mais où est votre erreur, c'est que vous ne vous apercevez pas que l'Etat c'est vous, c'est nous, c'est tout la monde. Quand donc l'Etat fonde des écoles, c'est le citoyen qui les fonde. Quand nous faisons de l’instruction publique, c*est vous, c'est nous qui créons des établissements.

Maintenant si l'enseignement de l'Etat ne vous convient pas, vous avez le droit, en vertu de votre liberté, de fonder des écoles. (interruption.) Mais s'il nous convient à nous, pourquoi voulez-vous que nous dépensions inutilement de l'argent à en créer un autre ? Si l'enseignement de l'Etat satisfait les citoyens, pourquoi voulez-vous qu'ils fondent des écoles ? (Interruption.)

Mais il me semble que c'est tout naturel : dès que nous payons l'impôt pour avoir l'enseignement public, il me paraît tout naturel que nous ne fassions pas des écoles concurrentes des écoles de l'Etat alors que nous les trouvons bonnes.

Ce n'est pas nous qui écrivons des mandements pour dire que les écoles publiques sont des foyers de pestilence. (Interruption.)

Le ministère qui se proposait d'arriver, devait être un ministère de trêve et de conciliation ; eh bien, messieurs, ce ministère, je le considère comme un ministère clérical pur et voici pourquoi : l'honorable M. D-champs était en pourparlers avec la Couronne, il ne lui a jamais conseillé de s'adresser à des membres de la droite connus par leur esprit de modération ; il conseille au Roi de consulter l'honorable M.de Brouckere, mais jamais il ne lui a conseillé de consulter l'honorable M. de Decker, ni l'honorable M. Vilain XIIII. Pourquoi ? Parce que l'honorable M. de Decker déplaît à l'épiscopat et déplaît aux jésuites. Parce que l'honorable M. de Decker a dit à un ministère catholique : « Vous êtes un anachronisme et un défi. » Parce que l'honorable M. de Decker a dit, après les mandements des évêques : « Un souffle d'intolérance a passé sur la Belgique. » Parce que, s'occupant du jésuite Boone, l'honorable M. de Decker a dit : « On veut faire du pays une génération de crétins. »

L'honorable M. de Decker, résistant à l'épiscopat, on l'a jeté dans les oubliettes.

.M. Dechamps. - C'est pour cela qu'on lui a envoyé des pavés.

M. Bara. - Si vous ne lui envoyez pas de pavés, vous ne lui donnez pas, vous, des témoignages de reconnaissance. (Interruption.)

Eh bien, messieurs, l'exclusion de ces honorables membres de la combinaison ministérielle est la clef de la situation ; elle montre quels sont les véritables agents extérieurs qui influent sur la marche politique, elle montre que les évêques et les jésuites auxquels l'honorable M. de Decker était hostile, ont pris part et ont pris une large part dans la composition de votre parti et ont des garanties dans le ministère qu'a formé l'honorable M. Dechamps.

Et, messieurs, ce qui me montre encore qu'il y a des articles secrets dans ce programme de la droite, c'est le silence auquel se réduisent les anciens chefs, les vétérans du parti ; où est le comte de Theux ? où est l'honorable M. Dumortier ?

Croyez-vous qu'ils s'occupent de faire des réformes communales et des réformes électorales ?

Ils se conservent et lorsque vous arriverez au pouvoir, ils diront : Nous maintenons notre passé ; lorsque vous aurez conquis le banc ministériel à l'aide de votre programme, eh bien, eux reprendront l'ancien drapeau que vous cachez pour le moment. (Interruption.)

Croyez-vous que l'honorable M. Dumortier qui, pendant sept ans, a crié à la violation de la Constitution, va s'amuser à chanter la palinodie et à faire des bucoliques sur la réforme communale et sur la réforme électorale ? Non, messieurs, quand vous serez au pouvoir, l'honorable M. Dumortier viendra demander la réforme de tous les abus qu'il a signalés lorsqu'il était dans l'opposition. (Interruption.)

Pour détourner le débat, messieurs, les honorables membres de la droite ont repris le vieux thème de leurs accusations ; pour inaugurer le système de trêve et de réconciliation, pour être logiques, eux qui prétendent ne devoir rien changer à ce que le ministère a fait, ils ont eu de nouveau recours à leurs anciennes invectives ; nous avons entendu hier l'honorable M. Schollaert soutenir qu'il y avait dans notre parti des ennemis de la religion.

Il serait cependant utile de s'entendre sur ce qu'on entend par ennemi de la religion. C'est sans doute là une arme redoutable, c'est la grande arme de bataille électorale, mais c'est une arme déloyale. « Vous attaquez la religion, » s'écrie tout enflammé l'honorable M. Dechamps, et il y a sur les bancs de la gauche des hommes qui vous applaudissent, qui envoient leurs enfants dans les établissements religieux, qui vont à la messe et qui font leurs pâques.

Mais, M. Dechamps, j'ai entendu des personnes approuver vos discours, qui font gras le vendredi, qui ne font pas leurs pâques et qui ne mettent jamais le pied dans l'église. (Interruption.) Qu'est-ce que nous pouvons en conclure ? Rien, sinon ceci : c'est que la religion est complètement étrangère à tous nos débats, c'est que la religion n'a rien à voir ici, puisque vous trouvez dans votre parti, comme dans le nôtre, des gens d'opinions diverses en matière religieuse.

Nous sommes ennemis de la religion, parce que nous voulons l'extension de l'enseignement public, parce que nous voulons la tolérance, (page 559), parce que nous n'aimons pas !a personnification civile pour le couvent, et que nous nous défions un peu des jésuites. Est-ce que, par hasard, les jésuites et les moines seraient des saints même de leur vivant ? Est-ce que la personnification serait un dogme ? Venez donc le démontrer la théologie à la main avant de nous accuser !

Nous sommes des ennemis de la religion ! Mais où sont, sur les bancs de la gauche, les sectes religieuses qui font de la propagande ? Où sont les doctrines religieuses que nous indiquons au peuple comme meilleures que telle ou telle autre ? Sommes-nous protestants, juifs, mahométans ? Et comment se fait-il ensuite que c'est précisément la religion de la majorité qui se plaint toujours, qui se dit persécutée ? Comment ! les juifs, les protestants ne parlent point de persécutions et les catholiques sont pourchassés ! Quand nous votons des lois, faisons-nous donc une différence entre les juifs et les catholiques ?

Oui, nous avons fait une différence : Nous avons introduit dans l'école le prêtre catholique à l'exclusion du prêtre juif et du prêtre protestant. (Interruption.)

La vérité, messieurs, c'est que comme législateurs nous proclamons le grand principe de la tolérance. Nous vivons au milieu d'hommes qui professent des cultes divers ; eh bien, nous ne pouvons, comme législateurs, protéger l'un moins que l'autre, nous ne pouvons faire des distinctions et nous sommes obligés, quand nous faisons des lois, de rester complètement en dehors des opinions religieuses.

Vous parlez de l'alliance du pouvoir et de la religion ; eh bien, cela n'est pas possible. C'est là toute votre erreur. Vous n'allierez jamais plus, comme le veut M. de Montalembert, la religion avec le pouvoir : la différence des croyances et leur antagonisme empêchent d'une manière complète le mélange du spirituel et du temporel ; vous ne ferez pas suivre à la société la voie dans laquelle vous voulez l'engager, la marche de la société c'est vers la civilisation américaine : l'affranchissement complet de l'Etat et du pouvoir civil de toute religion quelconque, le respect de toutes les croyances, mais aussi l'exclusion de toute croyance religieuse du pouvoir civil.

Voilà la vérité, voilà le progrès, et non pas l'alliance du pouvoir temporel et de la religion. (Interruption.)

Je vois avec plaisir que l'honorable M. Dechamps applaudit à mes paroles.

Savez-vous, messieurs, ce que nous combattons ? Ce que nous combattons, c'est le parti clérical, et le parti clérical n'est pas un parti religieux, il n'est pas le défenseur du dogme, c'est le produit exagéré d'une croyance sincère.

Les hommes qui ont été préposés à la conduite des religions, convaincus de la supériorité de leurs doctrines, ont cru que le bonheur de l’humanité résulterait de la confusion du spirituel et du temporel ; ils ont soutenu et ils soutiennent encore que les pouvoirs publics doivent subir l'empire de leurs croyances. Ils veulent la consécration de l'influence du clergé sur les affaires publiques ; l'intrusion du culte dans le gouvernement civil. Voilà ce que nous combattons.

Messieurs, il ne faut pas être catholique pour être du parti clérical ; le système clérical n'existe pas seulement dans les pays catholiques, il y a un parti clérical dans tous les pays, en Angleterre, en Suède, en Russie, en Turquie et ailleurs encore. Si je me trouvais dans la patrie de Mahomet, si j'étais à Constantinople, je combattrais les mêmes idées que je combats ici, je serai hostile au parti clérical ; et vous, minorité, vous viendriez me dire : « Vous combattez la religion de Mahomet au profit des catholiques. »

Je ne veux aucune religion dominante ; je ne veux pas qu'une religion s'ingère dans le gouvernement des intérêts publics, où doit régner exclusivement la tolérance de toutes les doctrines et de toutes les croyances. Voilà notre pensée, et elle n'a rien d'irréligieux.

Je pense donc avoir fait justice du reproche d'irréligion qu'on adresse toujours aux hommes de la gauche.

Hier, pour passer à un autre ordre d'idées, l'honorable M. Schollaert a attaqué vivement le point de mon discours où je blâme les autorités publiques de laisser percevoir dans les écoles publiques de l'argent pour le petits Chinois. Comment ! me dit-on, vous n'aimez pas que l'enfance fasse l'aumône, qu'elle s'habitue à secourir le malheur ; vous ne comprenez guère la charité.

J'admets parfaitement la charité, mais je n'admets pas la charité qu'on impose. Vous voulez que les enfants fassent l'aumône pour les petits Chinois, soit ; mais permettez-leur de la faire volontairement ; mais ne les obligez pas à venir, à un jour déterminé, déposer leur obole ; vous voulez donner aux enfants des notions d'économie, d'épargne, des sentiments d'humanité ; eh bien, faites-les épargner pour eux-mêmes ou pour les plus malheureux d'entre eux ; ce sera beaucoup mieux que d’envoyer leur argent en Chine.

Faites-les s’y cotiser ; faites leur faire une caisse, à l'aide de laquelle il pourront fournir de la nourriture, des vêtements aux plus pauvres ; ceux-là valent bien les petits Chinois sans doute qui n'ont pas besoin de notre argent, et sur lesquels on n'a débité que des fables ridicules. (Interruption.)

L'honorable M. Dechamps s'est occupé de ses démêlés avec le Monde, la Civiltà cattolica et le Bien public. Quel accent onctueux, quelle bienveillance pour ces précieux alliés !

Et en effet, messieurs, c'était nécessaire. Heureusement le résultat est atteint. La paix est faite ; mais elle durera jusqu'après les élections.

Que l'honorable M. Dechamps en soit bien convaincu, la politique d'ajournement ne vaut jamais rien, L'honorable membre a fait des promesses à Dieu et à tous les saints, il en a fait au Bien public, au Monde, à la Civiltà Cattolica ; il en a fait même aux Anversois ; lorsque le jour de l'échéance arrivera, l'honorable M. Dechamps devra déposer son bilan. (Interruption.)

L'honorable M. Dechamps et le Bien public sont d'excellents amis ; il n'y a entre eux qu'un petit dissentiment purement théorique. A entendre l'honorable M. Dechamps, le Bien public ne parle que de l'état du monde, tel qu'il sera dans deux ou trois siècles, quand l'unité religieuse, rêvée par le Bien public, sera rétablie sur la terre.

Mais l'honorable membre se trompe : le Bien public ne s'occupe pas du tout de l'avenir ; il en a peur ; il voit dans l'avenir un immense massacre, un 93 dans lequel les hommes et les chiens s'entre-dévoreront, s'empoisonneront mutuellement dans ces horribles festins.

Mais le Bien public jette un regard sur le passé ; il y voit la tiare, dominant la couronne, il voit le clergé maître de l'enseignement, de la charité, des cimetières, de l'état civil, il le voit commandant à tous les pouvoirs publics, et il dit : Oui, notre civilisation moderne est bonne, mais nous avons connu d'autres temps, et c'était la vraie civilisation chrétienne.

Voilà ce que dit le Bien public ; voilà, M. Dechamps, le langage tenu par votre allié du jour ; il ne nous parle pas de l'avenir, il ne regarde que dans le passé, et il va y puiser un exemple qu'il vous offre pour arriver à son idéal, le gouvernement théocratique.

Et lorsque nous, hommes de liberté et de progrès, nous nous étonnons de la joie que manifestent ces revenants du moyen âge ; lorsque nous disons au pays : « Un véritable danger nous menace, » vous vous récriez et vous dites : « Vous êtes les ennemis de ka religion ! » Non, nous ne sommes pas les ennemis de la religion ; nous sommes les ennemis du moyen âge, nous sommes les partisans de 89, et c'est parce que nous voulons maintenir les conquêtes faites à cette époque glorieuse par la société civile, que nous sommes ici pour vous combattre. (Interruption.)

Oh ! s'écrie M. Dechamps : i Dans l'ordre politique, nous ne relevons que de notre raison, de notre indépendance, et de notre patriotisme. » Belles paroles auxquelles j'applaudis.

Mais pourquoi avez-vous soumis vos opinions politiques à la cour de Rome ? Pourquoi, vous, citoyen belge, avez-vous écrit au pontife romain ? Pourquoi l'honorable M. Dechamps et le Bien public ont-ils comparu au tribunal de la papauté ?

Vous êtes allez chercher des conseils et des approbations qu'on ne pouvait pas donner ; vous êtes allé demander au souverain pontife, dans les moments difficiles qu'il traverse, la condamnation de son propre gouvernement, en approuvant vos idées. Vous, fils soumis de l'Eglise, vous avez été très cruel pour votre mère. Par vos revendications de la liberté, vous avez fait plus de tort au pouvoir temporel du pape que ne lui en ont fait ses plus grands ennemis. (Interruption.)

L'honorable M. Dechamps devait savoir alors et savait quelle était l'opinion du souverain pontife en matière de gouvernement temporel. A la fin de décembre dernier, le pape l'avait exprimée, d'une manière claire, non par une lettre adressée par le cardinal Antonelli, soit à l’honorable M. Dechamps, soit au Bien public, mais par une lettre signée de son propre nom.

Lorsque l'empereur Napoléon III a convié le saint-père à assister au congrès, quelle a été la réponse du pape ? Il a dit : t J'applaudis a cette idée, mais j'y applaudis pour qu'on rétablisse spécialement dans les (manque un mot) catholiques la prééminence réelle qui appartient à la religion catholique, comme étant la seule vraie. »

Voilà la doctrine du pape. Je vous la livre. Pie IX déclare d'une (page 560) manière formelle qu'il faut, non pas maintenir là où elle existe, mais rétablir là où elle n'est plus la prééminence réelle de la religion catholique dans les pays catholiques. Et la Belgique est un pays catholique.

Oh ! l'honorable M. Dechamps n'en dira pas un mot de cette pièce importante : quand on lui cite un fait compromettant, il saute au-dessus ; il n'en dit rien. Pour moi, messieurs, ce n'est point là de la franchise dano les explications. (Interruption.)

M. le ministre des finances, s'occupant des prétentions cléricales et non catholiques, car nous ne nous occupons pas de dogme, a dit : le programme du parti catholique, c'est celui du congrès de Malines. Le congrès de Malines, s'est écrié l'honorable M. Dechamps, mais ç'a été une assemblée scientifique, une société de savants, une réunion d'idéologues ; on y a fait des romans politiques, des rêves. Nous ne nous sommes pas occupés là des affaires publiques.

La droite presque tout entière était au congrès de Malines, on y rencontrait toutes les nuances de l'opinion catholique : MM. de Theux, Delaet. Dechamps, Dumortier, qui fermait les débats que l'archevêque de Malines avait ouverts. Eh bien, pressé par la logique de M. le ministre des finances, la droite a bondi sur ses bancs quand on est venu lui parler du congrès de Malines. (Interruption.) Ne le niez pas. Je n'y étais pas, s'est écrié de suite l'honorable M. Coomans.

M. Coomans. - Je n'ai pas dit cela.

M. Bara. - C'est aux Annales parlementaires.

M. Coomans. - C'est une erreur des Annales. (Longue interruption.) Je demande la parole.

MpVµ. - Je vous inscrirai ; veuillez ne pas interrompre.

M. Coomans. - Je n'ai pas assisté au congrès de Malines, parce que j'étais malade. Je n'ai pas réclamé une rectification aux Annales, parce que cela n'en valait pas la peine.

M. Bara. - Enfin l'honorable M. Coomans n'y était pas mais il aurait désiré y être.

M. Coomans. - Certainement !

M. Bara. - Un membre qui n'est pas M. Coomans, a crié : Je n'y étais pas. L'honorable M. Dumortier qui, lui, y était, a dit qu'on n'y avait exprimé que des opinions individuelles ; l'honorable M. de Naeyer, à son tour, a interrompu pour dire : Le congrès de Malines n'oblige personne.

M, de Naeyerµ. - J'ai dit qu'aux termes des statuts, les résolutions du congrès de Malines n'engageaient personne.

M. Bara. - Nous allons voir.

Le congrès de Malines a donc été excommunié, il a été renié. (Interruption.) Et il a fallu que le lendemain le Bien public, qui défend courageusement et avec un talent considérable son système politique, il a fallu que le Bien public vînt rappeler la droite au respect de cette grande assemblée à laquelle vous avez tous ou presque tous assisté, et que vous reniez, (interruption) le jour où l'on invoque ses résolutions dans cette enceinte.

Eh bien, voyons donc s'il est vrai que ce congres de Malines était un congrès d'idéologues, de romanciers politiques.

Je dis que vous étiez à Malines en vue de la politique actuelle, pour renverser le ministère, pour établir des doctrines uniformes et pour prendre des résolutions que vous devez exécuter. Voilà ce que je vais établir.

M. de Gerlache, votre président, disait au milieu des acclamations enthousiastes de l'assemblée : « Il nous est impossible de ne pas parler de nos libertés politiques. Et comment ne pas en parler ? Sans nos libertés politiques, nous ne serions pas ici, et sans les atteintes portées à notre Constitution nous n'aurions pas de motif d'y être. »

- Voix à gauche. - Voilà qui est clair !

M. Bara. - Vous étiez donc à Malines à cause des atteintes portées à notre Constitution ; c'est votre président qui l'a déclaré au milieu de vos applaudissements et lorsque vous présidiez votre section, M. Dechamps, vous disiez : le discours de l'honorable M. de Gerlache nous impose de grands devoirs.

Vous avez donc, messieurs, des griefs qui ont nécessité votre réunion, et le congrès de Malines a eu pour objet le redressement de ces griefs. C'est loyal, c'est logique.

Mais ce qui ne l'est pas, c'est de venir dire au pays que vous ne voulez pas du congrès de Malines.

Ce qui ne l'est pas, c'est de rejeter de votre programme tout ce que vous avez fait dans cette assemblée.

Ce qui ne l'est pas, c'est de venir tromper le pays avec un programme économique et électoral dont il n'avait jamais été question dans toutes vos prétentions et dont il n'a même pas été parlé au congrès de Malines. (Interruption.)

Et, messieurs, quant aux résolutions, voyons ce qui en est. L'archevêque de Malines, homme pratique, ne se risquant pas comme M. de Gerlache dans les invectives contre les hommes du parti qui n'est pas le sien, homme plein de bienveillance pour ses adversaires, voici ce qu'il disait :

« Tous aussi, vous serez prêts à abandonner, s'il est nécessaire, vos sentiments et vos projets pour vous rallier aux mesures qui seront reconnues les meilleures. » (Interruption de M. de Naeyer.)

Il ouvre le congrès, il en précise le but, M. de Naeyer, et il vous dit : « Tous vous serez prêts à abandonner vos préférences pour vous rallier aux mesures qui seront reconnues les meilleures. » (Interruption.) Ne le niez pas, c'est un extrait textuel du compte rendu.

M. de Naeyer. - Lisez le» statuts.

M. Bara. - Qu'ai-je à m'occuper de vos statuts ? Est-ce que les statuts et les règlements ne sont faits pour être violés ? (Interruption.)

M. de Mérode. - C'est libéral cela.

M. Bara. - Vos statuts vous permettaient sans doute de protester contre les doctrines émises au congrès de Malines ; vos statuts vous permettaient de ne pas les approuver, d'en proposer de meilleures. Mais vous votez même ce que vous prétendez considérer comme mauvais, et lorsque vous l'avez voté, vous dites que cela ne vous oblige pas. (Interruption.)

M. de Naeyer. - Voulez-vous me permettre une explication ?

M. Bara. - Certainement.

M. de Naeyer. - Voici ce que porte l'article final des statuts du congrès de Malines :

« La participation aux travaux non plus que les votes de l'assemblée n'engagent d'aucune manière l'opinion et la responsabilité individuelle des membres, qui conservent, après comme avant, leur pleine et entière liberté. »

M. Bara. - Certainement.

M. de Naeyer. - C'est une clause qui n'est pas usitée dans vos sociétés et c'est probablement pour cela qu'elle a échappé à votre attention.

M. Bara. - Je dis que vous aviez entendu cette parole grave de l'archevêque de Malines, venant vous dire que tous vous seriez prêts à abandonner vos préférences pour vous rallier aux mesures qui seraient reconnues les meilleures, et vous saviez parfaitement quel était le but qu'on poursuivait. Eh bien, vous avez accepté ces paroles ; voyons comment vous avez exécuté l'article final de votre règlement.

Celte clause était écrite pour ceux qui n'approuvaient pas les résolutions du congrès, mais non pour ceux qui les approuvaient ; pour ceux-ci elle était superflue. Il vous est libre encore, messieurs, de protester contre les doctrines de Malines, nous accueillerons avec plaisirs vos protestations.

Vous avez pris des résolutions et vos résolutions s'exécutent. Est-ce que vous ne réalisez pas immédiatement la partie que vous pouvez réaliser. Vous avez transformé le Journal de Bruxelles, première résolution ; vous avez organisé le denier de Saint-Pierre, encore une de vos résolutions ; vous avez organisé le denier de la sainte enfance.

M. de Mérode. - C'est vieux comme les rues.

M. Bara. - Vous l'avez organisé sur de meilleures bases, vous en avez beaucoup parlé au congrès de Malines ; vous avez partout, en vertu du congrès de Malines, créé des cercles catholiques, et vous avez, pour obéir aux décisions de cette assemblée qui, d'après vous, n'obligent pas, organisé le pétitionnement des cimetières ; vous avez, en un mot, exécuté la partie qu'il était possible d'exécuter ; mais il en est une autre que vous ne pouvez exécuter que si vous avez le pouvoir.

Aussi demandez-vous d'arriver au ministère, et la revendication du pouvoir est encore l'exécution d'une résolution du congrès de Malines qui vous permettra de réaliser toutes les autres. Quand vous aurez l'instrument en main, quand vous serez au pouvoir, votre besogne du congrès de Malines sera bien vite faite.

J'ai rappelé que le pays avait plus de couvents qu'au moyen-âge, qu'il en avait douze cents, un par deux communes.

Quelle colère dans la presse cléricale, quelle indignation chez M. Dechamps ! Mal parler des couvents, quel blasphème ! le couvent, c'est l'école, c'est l'asile du pauvre, du malheureux. Des couvents s'échappent des flots de lumière et des trésors de charité, c'est le salut, c'est l'avenir de la société. (Protestation de M. Schollaert.)

(page 561) Vous les aimez beaucoup, M. Schollaert, vous auriez tort de ne pas le dire ; après votre discours d'hier, qui est l'apologie de toutes les congrégations religieuses, vous auriez bien tort de ne pas dire que vous êtes amateur de couvents. Je comprends qu'un capucin tienne un pareil langage en chaire, je n'y trouverais pas de mal, mais que de pareilles doctrines se produisent dans le parlement d'un pays arrivé à notre degré de civilisation, je trouve cela plus dangereux.

Vous êtes partisan de l'instruction, me dit M. Dechamps, et vous blâmez les couvents qui répandent l'instruction.

Il est probable que M. Dechamps ne s'est pas plus enquis de ce que font les couvents en matière d'instruction que des législations anglaise et prussienne en matière communale.

Je ne parlerai pas de l'instruction des jeunes filles par les couvents. Vos écoles dentellières, elles sont dans un tel état que vous ne pouvez pas les revendiquer comme des foyers de lumière ; il faudra que l'Etat s'occupe de l'enseignement des jeunes filles. Mais vous avez des écoles pour les jeunes gens. Est-ce que l'honorable membre a compté le nombre des couvents qui s'occupent d'instruction moyenne et d'enseignement primaire gratuit et rémunéré ? ils ne dépassent pas la cinquantaine. (Interruption.) J'ai pris mes renseignements dans l’Annuaire ecclésiastique de 1861.

- Un membre. - Il exclut les écoles de femmes.

M. Bara. - Oui certainement. (Interruption.) Mais laissez-moi achever.

L'Etat a négligé tous ses devoirs en matière d'instruction pour les filles ; vous avez créé une instruction tellement mauvaise qu'il y a beaucoup à réformer.

Votre enseignement des filles, je ne puis en tenir compte, parce que je n'appelle pas cela de l'enseignement.

Mais pour les jeunes gens, vous avez des établissements organisés, et ils sont environ 50. (Interruption.)

Prenez l'état qui se trouve dans l'Annuaire ecclésiastique, je ne suis pas en relation avec les corporations, je ne puis savoir si mes chiffres sont exacts, mais ce que je vous dis est imprimé avec l'approbation des évêques. Voilà ces flots de lumière que répandent les couvents ! Maintenant où voit-on vos couvents ? Poussent-ils dans les communes pauvres là où la commune n'a pas de ressources suffisantes pour fonder une école ? Nullement ; aux couvents il faut des terrains fertiles, les villes, les gros bourgs ; c'est là que vous trouverez les établissements d'instruction religieuse, mais dans les communes pauvres, pas de couvents, le couvent ne s'y acclimate pas.

Messieurs, la charité, l'instruction, c'est souvent le prétexte ; il y a tel couvent où, pour douze pensionnaires, il y a 27 religieuses, à Assche, par exemple. A Braine-le-Comte pour 20 malades, il y a 27 religieuses. A Hooghlede on a remplacé 6 religieuses, qui suffisaient, par 18. A Hautrages, le couvent refuse formellement de recevoir des malades. Voilà des faits incontestables, patents.

Ne venez pas dire que le couvent est indispensable pour la charité et l'instruction.

Eh bien, vous n'avez rien de mieux à offrir au peuple que le couvent ! C'est au sujet des couvents que nous avons eu nos luttes les plus ardentes.

Vous vantez la liberté de la fondation ; quant à nous, nous reconnaissons que les couvents ont le droit d'être mais nous en contestons l'utilité sociale, nous ne voulons pas faire des couvents des êtres privilégiés, des moyens de gouvernement.

Nous ne venons pas dire au pays, comme M. Dechamps au congrès de Malines : « Ce sont nos joyaux, nos trésors, nos richesses, » parce que nous nous souvenons des maux qu'ont causés les couvents. Vous avez eu le règne des couvents au moyen âge, qu'ont-ils fait pour le peuple ? Ils l'ont laissé ignorant, misérable, se traînant en guenilles, couvert de vermine et de lèpre à la porte des églises ; les couvents ont toujours été une plaie pour le pays.

M. Coomans lui-même a reconnu que les couvents avaient été une cause de paupérisme, de démoralisation, un encouragement au libertinage. (Interruption de M. Coomans.) Vous avez dit que beaucoup de filles commettaient des fautes parce que les institutions de charité publiques et privées leur donnaient des secours. (Nouvelle interruption de M. Coomans.)

Je dis que ce sont là vos propres paroles. Dans de pareilles conditions le couvent est un encouragement au libertinage. Là où il y a des facilités pour toutes les fautes, des encouragements pour toutes les paresses, il y a la démoralisation du peuple, le paupérisme et la mendicité comme avant 1789, Voilà ce dont vous voulez gratifier la nation.

Nous, au contraire, nous offrons au peuple comme moyen de progrès l'ordre, le travail et l'économie.

Les couvents ne feront jamais de bien à un peuple, et si les sociétés éprouvent des malheurs, les couvents en sont en partie cause. Vous avez beau dire et beau faire, à chaque rénovation sociale vous les voyez sombrer et disparaître parce qu'ils sont considérés comme des fléaux.

M. Coomans. - Veuillez me faire le plaisir de citer exactement, de me dire où et quand j'ai exprimé l'opinion que vous m'avez attribuée tout à l'heure.

M. Bara. - Vous avez dit cela en 1849 à la Chambre des représentants. Vos paroles ont été citées par M. le ministre des finances dans la discussion de la loi de 1857.

Vous avez dit de plus que les couvents étaient une cause de paupérisme. Cela vous fait honneur. Vous n'êtes pas tout à fait de la droite ; vous n'êtes de la droite que pour lui inspirer des programmes impossibles. Après cela vous ne parlez pas et vous vous amusez beaucoup de l'embarras de vos amis. (Interruption.)

M. Coomans. - Je ne m'amuse pas du tout.

M. Bara. - S'il m'était permis de me servir d'un dicton familier, je dirais que dans ce cas les conseilleurs ne sont pas les payeurs.

Mais me dira la droite, pourquoi parlez-vous des couvents, ? Laissez leur l'air de la liberté.

Je le veux bien, mais ce que je combats, c'est que comme hommes politiques, vous poussiez à la multiplication des couvents, et que vous leur donniez les moyens de s'établir, de se perpétuer, que vous leur accordiez des privilèges.

Je vois, messieurs, les couvents recommencer leur œuvre ; je les vois acquérir de grandes richesses, bâtir de somptueux palais, et je le dis avec un sentiment de douleur, rétablir la mainmorte. On va reconstituer la fortune des couvents, et je vous dis à vous, messieurs de la droite, qui oubliez les leçons de l'histoire pour de mesquins intérêts électoraux, le danger recommence. (Interruption.)

Vous êtes sur une pente fatale ; 1,200 couvents ne suffisent pas, il vous faut encore la personnification civile.

L'honorable M. Van Humbeeck, dans son remarquable discours d'hier, vous posait la question : Réclamez-vous encore la liberté de fonder ?

Comme il est certain que personne de la droite ne répondra à mon honorable ami, je vais me faire pour un instant le mandataire de la droite.

Je vous dis que la liberté de fonder est dans votre programme et que vous voulez profiter de votre passage au pouvoir pour rétablir la mainmorte.

En effet, messieurs, il existe dans le Code civil, œuvre de Napoléon, le restaurateur des autels, des dispositions relatives aux sociétés.

Ces dispositions empêchent de former des sociétés civiles, quand elles n'ont pas pour but de réaliser des gains.

Il existe dans le Code de commerce des dispositions pour les sociétés anonymes qui ont pour but des gains commerciaux et pour lesquelles l'autorisation du pouvoir central est exigée.

Faites attention à ceci, messieurs, il ne s'agit pas d'idéologie, c'est très important pour le pays. Les ordres religieux sont donc empêchés de faire des sociétés civiles.

Aussi que font-ils ?

Ils réclament contre ces dispositions et plaident même en justice contre l’interprétation que la jurisprudence leur donne et contre leur constitutionnalité.

Ils soutiennent qu'ils ont le droit de former des sociétés civiles, possédant, acquérant, plaidant, dont l'avoir appartient au dernier mourant et avec la possibilité pour les membres de se recruter. C'est la mainmorte.

Quand vous avez une société civile qui peut posséder et qui ne mourra jamais, puisque vous avez la possibilité à chaque décès d'un de ses membres d'en faire arriver un nouveau, alors vous avez la mainmorte.

On veut plus, messieurs, on ne veut pas seulement de l'extension pour les couvents du droit de faire des sociétés civiles, on veut même qu'ils puissent former des sociétés anonymes. On demande le changement de l'article 37 du Code de commerce, on demande qu'on autorise le couvent à devenir une usine de bienfaisance, une manufacture de charité,

M. Delcourµ. - Qui demande cela ? C'est le commerce.

M. Bara. - Le commerce demande la suppression de l'autorisation royale, mais il ne demande pas, je pense, qu'on étende la disposition du Code de commerce à des sociétés qui n'ont pas pour but de réaliser des gains commerciaux.

(page 562) M. Delcourµ. - Produisez une pièce où cela est demandé.

M. Bara. - Vous ne lisez pas même les pièces de l'orthodoxie ! (Interruption.)

Vous vous étonnez de tant d'audace, M. Delcour, vous avez raison, vous croyez que j'invente, eh bien, je vais vous donner la preuve de ce que je viens de dire. Qui demande cela, messieurs, c'est d’abord le savant, l'éminent, le constitutionnel père De Buck qui dit :

« On se demande comment il se fait qu'en conteste aux ordres religieux jusqu'au droit de former des sociétés civiles, au même titre que toutes les autres classes de citoyens. On se récrie en effet dans un certain monde contre cet expédient dont la légalité ne peut cependant être contestée. »

Les tribunaux l’ont cependant déclaré illégal. Le père appelle cela un expédient.

On en conteste la légalité, on a tort.

En définitive, les ordres doivent pouvoir former des sociétés civiles comme les autres.

M. de Mérode. – Il y en a.

MfFOµ. - C'est une erreur.

M. Bara. - Le père De Buck ajoute : « On a parlé de la chasse aux héritages au moyen des novices. Nous ne répondrons qu'un mot, c'est que beaucoup et probablement tous les religieux belges ne demandent pas plus que ce que l'auteur de cette accusation se montre prêt a leur accorder, et qu'ils l'aideront à prévenir les chasses aux héritages qu'il a dénoncées, en lui montrant comment les moyens qu'il a indiqués et que MM. Kervyn de Lettenhove et Van Overloop ont spécifiés davantage, pourraient être mis en pratique, sans changer les principes du Code civil et sans restreindre les droits d'autres citoyens de même que ceux des religieux. »

C'est clair, c'est net. Il faut le droit pour les novices qui entrent dans la société d'apporter tout leur argent au couvent, il faut pour les corporations religieuses le droit d'hériter des novices.

M. Kervyn de Lettenhove. - Il ne s'agissait pas de cela.

M. Bara. - Je viens de lire le passage clair et net où le père De Buck « réclame pour les couvents le droit de former des sociétés civiles et des sociétés anonymes. »

M. Kervyn de Lettenhove. - Le père De Buck cite mes paroles. Veuillez-les reproduire.

M. Bara.- Je ne veux constater que ceci : C'est que le père De Buck demande de former des sociétés civiles.

M. Kervyn de Lettenhove. - Quand vous citez un adversaire lisez-le.

M. Bara. - Ce n'est pas vous que je cite. C'est un passage du père De Buck que je lis et le père De Buck vous invoque, je ne puis pas retirer votre nom du passage du père De Buck, je ne vous attribue aucune opinion en cette matière. Je ne sais pas même quelle est votre opinion, mais je suis obligé, pour être exact, de citer en entier le passage du père De Buck où votre nom figure.

Mais, messieurs, l'opinion du père De Buck m'importe peu en ces matières. C'est quelque chose, mais elle ne m'autoriserait pas à tenir le langage que je tiens, à savoir que vous avez dans vos projets le rétablissement des couvents.

Il existait au congrès de Malines une section qui avait dans ses attributions les associations. Cette section avait un comité qui proposa une résolution ayant pour but de faire modifier le Code civil et le Code de commerce dans le sens que j'ai indiqué plus haut, c'est-à-dire de donner le droit aux corporations religieuses de former des sociétés civiles et même des sociétés anonymes.

Il ne s'agissait pas là, messieurs, d'idéologie ; il ne s'agissait pas de dispositions applicables dans deux siècles ; il ne s'agissait pas de rêves de Thomas Morus ou de Campanella. C'est une réforme positive. On indique les articles 1836 du Code civil et 37 du Code de commerce qui doivent être réformés.

Un membre de cette section fait une observation qui appelle à la tribune un orateur que l'assemblée jugea digne, pour la franchise de son langage, de représenter ses idées puisqu'elle le nomma rapporteur.

Et savez-vous comment s'exprime ce membre ? Il demande d'abord qu'on réforme, ainsi que le proposait le comité, les articles 1836 du Code civil et 37 du Code de commerce, dans le sens de la liberté la plus absolue pour les couvents de former des sociétés civiles, et il ajoute :

« Les avantages de cette réforme peuvent être considérables. Si nous pouvons former ces sociétés civiles dans un but catholique, quel qu'il soit, nous pourrons nous passer de toute personnification civile... Nous pourrons même nous passer, à la rigueur, du droit de fonder. »

Voila ce que disait cet honorable membre et les articles furent votés par toute la section. On a adopté la révision du Code civil et du Code de commerce dans le sens que je vous indique.

M. Delcourµ. - On a demandé le droit commun, et pas de privilège.

M. Bara. - Eh bien, je dis que ce droit commun que les tribunaux vous refusent, c'est la mainmorte.

M. Delcourµ. - Nullement.

M. Bara. - Vous dites que non ; mais ce que je vous répète ici, a été applaudi par toute l'assemblée ; le compte rendu le constate ; l'honorable rapporteur s'écriait : Nous pouvons nous passer de la personnification civile ; nous pouvons nous passer du droit de fonder. Evidemment parce que vous obtenez par là le même résultat. Si vous n'aviez pas le même but, pourquoi diriez-vous cela ? Vous avez beau crier et beau faire, la société perpétuelle, c'est la mainmorte, c'est l'immobilisation des biens, ce sont les biens qui restent toujours aux mêmes mains, aux mains des couvents.

Ce n'est pas tout ; qui était à la tête de cette section ? Qui était à la tête de ce comité ? Qui participa à la proposition de la révision de nos Codes, qui l'a élaborée ? un homme obscur, vous croyez ? Non, nullement. C'est un honorable membre du parlement ; c'est celui qui se propose de faire trêve entre le clérical et le libéral, qui va inaugurer l'ère de la paix et de la fraternité entre les partis ; c'est le chef du futur cabinet dont la Belgique est menacée, c'est l’honorable M. Dechamps. Voilà le premier cadeau qu'il se propose de faire au pays : la révision de nos institutions civiles, la révision du Code Napoléon dans le sens de la mainmorte, dans le sens de la multiplication des couvents. Voilà ce qu'il a proposé, voilà ce qu'a décidé la section dont il était président. (Interruption.)

Et puis, l'honorable M. Dechamps viendra nous dire : Vous agitez le voile rouge devant le taureau populaire ! Et puis, il viendra nous représenter aux yeux de l'Europe comme des fauteurs d'émeute, comme des hommes de désordre. Le véritable fauteur d'émeute, le véritable homme de désordre, c'est celui qui a préparé des dispositions qui doivent devenir la cause de l'émeute, c'est celui en un mot qui veut imposer à son pays un régime impossible. (Longue interruption.)

L'honorable ministre des finances a attiré sur sa tête un orage formidable. Il a montré la puissance de l'ordre des jésuites. Il a montré cet ordre poursuivant à travers les siècles un but invariable.

Messieurs, je ne pensais pas que la preuve de cette puissance allait nous être donnée aussi vite, je ne pensais pas que la vérité de la parole de l'honorable ministre serait justifiée presque immédiatement.

Qu'avons-nous vu en effet, messieurs ? De quoi s'est le plus occupé le chef du nouveau cabinet ? C'est de défendre l'ordre des jésuites. Fasciné par ce pouvoir contre lequel il sent sa faiblesse, il est venu involontairement, mais dominé par la puissance de cet ordre avec lequel il a à compter dans la lutte électorale, prendre la défense, faire l'apologie des jésuites.

Ni les expulsions que les jésuites ont subies, ni les condamnations qu'ils ont encourues, même de la part de l'autorité papale, ni les livres immoraux qu'ils ont écrits, n'ont retenu un instant au bord de la tribune un homme qui allait prendre en main les destinées de la libérale Belgique. Il ne s'est pas demandé s'il convenait d'oublier le passé des jésuites. Il ne s'est pas demandé si ces hommes pouvaient avoir des projets contraires à la liberté ; il ne s'est pas demandé quels sont leurs sentiments, s'il n'y a parmi eux que des Belges.

Sait-il ce que pense, ce que veut leur général ? sait-il ce qu'il médite à Rome ? Et il s'est posé ici, méprisant l'histoire et les faits, en apologiste des jésuites ; il s'est fait leur avocat le plus énergique. Il est venu avec l'écrit du père De Buck, comme si c'était l'explication la plus vraie, la plus complète de toutes nos libertés constitutionnelles, de toutes nos aspirations vers la liberté.

Ce n'est pas tout. On n'avait plus attaqué les jésuites ; on n'en avait plus dit un mot depuis le discours de l'honorable M. Dechamps. Mais la puissance de cet ordre devait encore se faire sentir. Il fallait qu'un autre orateur vînt à la recousse et vînt défendre de nouveau l'ordre de Loyola.

Ce n'était pas trop des phrases sonores de cet orateur de la droite pour venger les jésuites des attaques de l'honorable ministre des finances ; et pour mieux réussir, il nous a fait dire ce que nous n'avions pas dit. Il a prétendu que nous avions représenté les jésuites comme des fainéants. Il est venu compter les heures de leur travail. Il vous a dit : ils se lèvent à quatre heures du matin et se couchent à onze.

(page 563) Tant de zèle, je le reconnais, appartenait à l'honorable M. Schollaert. C'était son droit, c'était son devoir de défendre cet ordre. Mais, messieurs, si les jésuites travaillent, croyez-vous, qu'il n'y ait pas d'autres travailleurs dans le monde ? Est-ce que le peuple ne se lève pas aussi tôt et n'use point ses forces au travail ?

Est-ce que nos bourgeois, nos commerçants, nos instituteurs et tant d'autres n'ont pas autant de mal que les jésuites ? Est-ce que, eux aussi, n'ont pas de la peine tout le jour ? Est-ce qu'ils n'ont pas, de plus, les inquiétudes de la famille et l'incertitude du gain ? Le jésuite poursuit une vocation ; illuminé par une idée, il a les jouissances de la pensée et de l'apostolat ; le jésuite est sûr de l'existence ; il est dans une classe privilégiée de la société.

On ne doit donc pas venir présenter ces hommes comme des martyrs du travail. (Interruption.) Je ne les attaque pas, je dis qu'ils sont une classe privilégiée dans la société, qu'ils sont dans une position meilleure que la plupart des citoyens, mais ce que nous attaquons, ce que nous avons le droit d'attaquer, c'est leur doctrine, c'est leur passé. Pas un d'eux n'a renié le passé de l'ordre de Loyola, pas un d'eux n'a renié ce que leurs ancêtres avaient fait. Ils sont encore debout avec toutes leurs menaces et leur même organisation, et nous sommes dans l'incertitude au sujet de leurs projets.

Voyez leur puissance !

Le père De Buck avoue qu'une seule congrégation reçoit dans une ville cent mille confessions par an. Voilà le travail des jésuites ! Voilà les influences qu'ils ont dans les mains, voyez leurs richesses. (Interruption.) Voyez leurs richesses, j'ai dit que leurs palais sont considérables, j'ai dit que l'instituteur du pauvre ne faisait pas de pareilles fortunes.

J'ai dit que, par conséquent cas richesses devaient venir d'autres sources que du travail, j'ai dit que les jésuites reçoivent de nombreuses successions et de nombreuses donations. L'histoire est là pour attester la vérité de mes paroles, et les nombreux procès qu'on leur intente de nos jours l'établissent encore. (Interruption.)

Je termine, messieurs, vous allez tenter mille choses pour conquérir le pouvoir, vous allez vous précipiter dans l'arène électorale, ayant en mains les moyens d'action que vous fournit la religion.

Vous défendrez aux électeurs de lire d'autres journaux que les vôtres, vous allez nous représenter comme violant la religion, comme violant le sentiment le plus noble qui existe dans le cœur de l'homme.

Eh bien, messieurs, votre conduite va contraster avec celle que vous tenez dans le parlement. Vous avez dit que vous ne rapporteriez aucune loi, vous avez dit que vous feriez la trêve entre le libéral et le clérical. Si vous êtes sincères, promettez qu'on ne nous accusera pas du haut de la chaire d'attaquer la religion, promettez qu'on ne dira pas aux électeurs campagnards que nous sommes des athées et des impies, promettez cela et vous ne reviendrez plus dans cette enceinte et vous n'existerez plus comme parti. Mais vos calomnies vont renaître. (Interruption.)

Je ne parle pas des membres de cette Chambre, je parle des calomnies de votre presse, des calomnies de vos agents. Quand on dit que nous n'avons pas de sentiments religieux, on nous calomnie et vous devez être heureux que nous protestions ici contre ces indignités. Eh bien, tout cela va recommencer et vous aurez encore une situation électorale fausse, vous n'aurez pas la véritable pensée du pays. Le pays est libéral et il vous condamnerait si vous ne lui arrachiez pas ses votes au nom du ciel, par la menace de l'enfer. Et si vous avez la majorité, votre programme de commande disparaîtra et vous exécuterez celui du congrès de Malines. (Interruption.)

- La séance est levée à 4 heures 1/2.