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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 10 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 501) M. de Moorµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Agniez, dit Agneo, artiste lyrique à Paris, né à Erpent (province de Namur), prie la Chambre de statuer sur sa demande de naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« L'administration communale et des habitants de Bellinghen prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Chapelle réclame contre l'exemption du service militaire des sieurs Lebecque et Adrianne de Vielsalm. »

- Même renvoi.


« Des officiers pensionnés prient la Chambre d'améliorer leur position. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'une commune non dénommée demandent la révision de l’article 47 de la Constitution. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Kerkom demander l la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'habitants de Goyer. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.

Projet de loi autorisation le gouvernement à procéder à un échange d’immeubles

Rapport de la section centrale

M. Ansiau. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à un échange d'immeubles.

Rapports sur des demandes en naturalisation

MM. Thienpont, Van Volxem, de Paul, de Bronckart et Bara déposent des rapports de la commission des naturalisations sur des demandes de naturalisation ordinaire.

Projets de loi de naturalisation

M. H. de Brouckereµ. - J'ai l'honneur de déposer deux projets de loi ayant pour objet d'accorder la grande naturalisation aux sieurs Janssens et Wuyts, dont les demandes ont été prises en considération.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Discussion générale sur la crise ministérielle

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, j'ai écouté en silence et avec la plus grande attention les discours prononcés par les honorables membres qui siègent de l'autre côté de cette Chambre. Je n'ai interrompu personne et j'espère que la Chambre voudra m'accorder aussi une bienveillante attention.

Quand on analyse ces discours on reconnaît qu'ils ne sont tous que des variations plus ou moins brillantes sur le double thème que voici :

« D'abord, vous libéraux, vous êtes violents, haineux, injustes, implacables ; vous l'êtes, vous l'avez toujours été et vous le serez toujours. Vous êtes, en outre, les ennemis de la religion. »

Second thème : « Nous catholiques depuis le commencement du monde, aujourd'hui, et jusqu'à la fin des siècles, nous fûmes, nous sommes des modèles de modération, et nous serons toujours conciliants et prêts à transiger ; nous sommes les amis exclusifs de la religion. » Autrefois vous ajoutiez : Et du trône, mais il m'est permis de conclure de certains articles de votre presse que vous ne revendiquez plus le monopole sous ce rapport.

Messieurs, il est très facile de se ceindre la tête de fleurs, de se tresser des couronnes, quand on cultive, avec autant de soin que vous faites, ses propres lauriers. Il vous est très facile aussi d'accabler ses adversaires, à vous qui parlez toujours seuls et qui défendez même de lire les réponses que l’on fait à vos attaques. Mais ici la tribune est libre, et je compte profiter de cette liberté pour vous démontrer que les éloges que vous vous décernez libéralement à vous-mêmes, sont parfaitement immérités et que vous attaques contre la politique du cabinet de 1857 sont injustes en tous points.

Le devoir de repousser ces accusations m'incombe, parce que je suis placé à la tête du département qui a le plus spécialement les questions politiques dans ses attributions. C’est donc particulièrement de ce que le département de l’intérieur a déjà eu l'honneur de proposer à la Chambre et de ce qu'il lui proposera encore, que je vais avoir l'honneur de vous entretenir.

Messieurs, je ne veux pas faire perdre à la Chambre un temps précieux en combattant cette accusation banale que le parti libéral et le ministère libéral sont hostiles à la religion. Ce reproche a été si souvent répété et si souvent réfuté qu'en vérité il n'est plus aujourd'hui personne qui y croit, c'est une arme usée. Quand on menace trop souvent un enfant, pour l'effrayer, de faire paraître un fantôme, l'enfant, qui ne voit jamais rien, finit par s'habituer à ces menaces et par dire : « Je voudrais bien voir cela ! »

Toujours à l'approche des élections, les accusations d'impiété redoublent, la religion alors est plus que jamais menacée par les libéraux, on fait dans toutes les églises des prières publiques pour que la religion soit sauvée. Le prêtre monte en chaire et s’écrie :

« Prenez garde ! si les libéraux triomphent, si par exemple M. de Florisone est nommé, les couvents seront pillés, les prêtres seront chassés, les églises seront fermées. » (Interruption.)

Cela se dit, cela se prêche partout, à la veille des élections.

Puis ces élections ont lieu, les libéraux triomphent, M. de Florisone est nommé ; je suis élu avec lui ; et le dimanche qui suit les élections, le soleil se lève, les portes de l'église s'ouvrent, la cloche du village annonce le service divin et à dix heures le curé monte à l'autel ; tout se passe comme à l'ordinaire et la religion n'est plus menacée.

Messieurs, quand on a joué pendant vingt ans une pareille comédie, les reproches que vous adressez au parti libéral ne sauraient plus être pris au sérieux. Pensez-vous que l'homme le plus simple, le plus naïf, puisse croire que la religion est perdue et que les églises seront fermées, si le parti libéral reste aux affaires ?

Je n'insiste donc plus sur ce point ; mais voyons si la politique du cabinet a été violente ; examinons le plus brièvement possible les actes accomplis par ce cabinet depuis 1857.

De 1857 à 1861, le cabinet, sauf le projet de loi interprétatif de l'article 84 de la loi communale, n'a présenté aucune loi politique. Il a même fait si peu de politique que, pendant que vous l'accusiez sans cesse d'exagération, une certaine fraction de parti libéral se séparait de lui et lui reprochait d'être beaucoup trop modéré.

- Voix à gauche. - Oui ! oui ! c'est très vrai !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et que faisiez-vous alors, messieurs ? Au lieu d'appuyer ce ministère trop modéré aux yeux d'une fraction du parti libéral, vous prêtiez les mains à ceux-là mêmes qui lui reprochaient sa trop grande modération et vous vous coalisez avec eux dans les élections.

En 1861, un remaniement ministériel eut lieu ; j'entrai au cabinet ; il fut décidé qu'un programme serait présenté. Ce programme a été soumis à la Chambre, et toutes les lois concernant le département de l'intérieur qui avaient été annoncées dans ce programme, toutes ces lois ont été successivement présentées. La partie de ce programme qui concernait le département de l’intérieur a été complètement remplie. J’ai tenu toutes mes promesses. Un seul projet de loi reste à présenter, c’est le projet de loi sur le temporel des cultes, dont j’aurai l’honneur de vous entretenir tantôt.

En examinant les actes que nous avons posés, je me demande où est la violence, où est le défaut de modération ?

Le projet de loi sur l'instruction supérieure, que nous avons soumis à la Chambre, est-ce donc un projet extravagant ? Pouvez-vous nous faire un grief de l'avoir présenté ? Ce projet de loi a été élaboré par une commission d'hommes spéciaux, parmi lesquels figuraient des délégués de 1 université dé Louvain ; il n'est que la reproduction du travail de cette commission, et je crois même qu'il a été, en grande partie, admis par les délégués de cette université, sauf quelques légères modifications.

M. Delcourµ. - C'est vrai !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - M. Delcour le reconnaît. Ce projet de loi n'est donc pas un projet violent ; cependant c’est un projet qui a un côté politique ; et c'était pour (page 502) nous une excellente occasion de chercher à faire prévaloir certains principes que la droite repousse,

Nous n'en avons rien fait ; nous avons voulu rester modérés et nous avons fait un projet de loi qui méritera, je l'espère, l'approbation d'une grande majorité des membres de la droite comme de la gauche de cette Chambre.

Nous avions promis de présenter un projet de loi sur les fraudes électorales. Ce projet a été présenté ; direz-vous que ce projet est violent ? Je ne le crois pas ; car ici encore nous avons été accusées, par une partie de nos amis et par vous, de modérantisme. Ce n'est donc pas encore sur ce point que vous pouvez nous accuser d'avoir été exagérés.

Nous avons soumis à la Chambre un projet de loi sur la décentralisation.

De ce chef, vous ne nous ferez, je pense, aucun reproche ; c'est, aux yeux de l'honorable M. Julliot, qui vient de m'interrompre, le meilleur projet de loi qui ait présenté ! Il ne dit pas pour cela que les autres ne sont pas bons. Ce projet, sur la décentralisation, rentre dans notre programme ; vous ne pouvez donc nous blâmer de l'avoir élaboré, vous ne pourrez plus même prétendre que nous sommes trop centralisateurs. Vous devriez, au contraire, rendre hommage aux efforts que nous faisons pour arriver à la décentralisation administrative la plus large possible.

Vous nous accusez sans cesse de vouloir centraliser tous les services, de chercher à tout concentrer dans les mains de l'Etat ; il faut que le pays sache que ces accusations sont fausses et injustes et que j'ai, pour ma part, contribué très largement à décentraliser et à simplifier l'administration.

D'abord, messieurs, j'ai, par des décisions ministérielles que j'étais en droit de prendre, simplifié les écritures. Je n'insiste pas sur ce point plus qu'il ne faut.

Là où l'intervention royale était nécessaire, divers arrêtés royaux ont débarrassé l'administration centrale d'une masse considérable d'affaires.

Ainsi, l'autorisation pour l'établissement d'usines devait être accordée par le Roi. Un arrêté royal a conféré ce droit aux députations.

Il existait un fonds dit de non-valeurs, et sur une partie de ce fonds on distribuait des indemnités.

C'était une institution donnant lieu à des écritures et à des fraudes nombreuses. Je n'ai pas hésité, malgré de vives réclamations, à proposer au Roi la suppression de ce fonds.

Une loi qui donne aux députations permanentes presque toutes les attributions qu'avait le gouvernement en matière de vicinalité a été déposée par moi et adoptée par vous. C'est là une mesure importante qui a simplifié considérablement les rouages administratifs et donne de grandes facilités aux communes et aux particuliers.

Le projet de loi sur la décentralisation et l'extension des libertés communales qui vous est soumis, consacre des réformes très sérieuses.

Ainsi le plus grand nombre des actes des conseils communaux qui doivent être aujourd'hui approuvés par le Roi, seront, si le projet de loi passe, approuvés par la députation permanente. Il y aura là célérité dans l'expédition des affaires et simplification des rouages. C'est une excellente mesure et je suis certain que vous la consacrerez par votre vote.

Au lieu de devoir comme aujourd'hui recourir à l'autorité royale pour obtenir l'autorisation de faire des emprunts de certaine importance, les communes, d'après le projet, pourront se borner à solliciter l'approbation des députations permanentes, on évitera ainsi des formalités nombreuses et de longs retards.

Enfin, et c'est là peut-être la partie la plus importante du projet de loi que j'ai déposé, je propose d'étendre une liberté qui doit être des plus chères aux communes, celle de gérer par elles-mêmes, sans l’intervention du gouvernement, les finances communales et de s'imposer comme elles l'entendent, pourvu toutefois qu'elles ne portent pas atteinte à l'intérêt général.

Celte idée ne s'est peut-être jamais produite dans cette Chambre, mais j'ai cru qu'elle était bonne. Aujourd'hui, les communes perçoivent 7 centimes additionnels. Je propose de leur accorder la latitude de s'imposer, sans l'intervention du Roi, jusqu'à 17 et même au-delà, dans la proportion de leurs besoins.

C'est là pour la commune une des plus précieuses libertés et ceux qui parlent toujours des prérogatives de nos vieilles communes ignorent peut-être que les communes flamandes ont fait presque toutes les révolutions et les guerres qui illustrent leur histoire, pour avoir le droit de gérer elles-mêmes leur trésor.

M. Coomans. - Elles l'ont conquis et l'ont gardé.

- Un autre membre. - Et elles l'ont perdu depuis.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et nous, nous voulons le leur rendre sans conquête, sans guerre et sans troubles.

C'est le cabinet de 1857 qui a pris l'initiative de la décentralisation administrative. Je ne réclame pas de brevet d'invention ; mais je veux constater que ce projet, quoi qu’il arrive et quoi que l’on fasse, portera en tous cas la marque de fabrique libérale du gouvernement qui l’a présenté.

Messieurs, un autre projet encore vous a été soumis et je vous demande si c'est le projet de loi sur la milice qui a pu exciter vos colères !

Cette loi a été longtemps réclamée, vivement réclamée. Nous avons promis de la soumettre à la Chambre. Nous avons tenu parole, et si cette loi n'est pas encore votée, est-ce la faute du gouvernement ? Déposé depuis longtemps sur le bureau, le projet a été examiné en sections et il continue de faire l'objet de l'examen de la section centrale.

Cette loi a-t-elle un côté politique ? Non, elle a un double but ; d'abord c'est de coordonner et d'améliorer l'ensemble d s dispositions administratives sur la matière et d'autre part de donner aux miliciens que le sort désigne, une pension à un âge déterminé.

Que demandez-vous de plus ?

M. Coomans. - Beaucoup.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Beaucoup, oui, une armée de volontaires ! Mais enfin, cela ne se trouve pas dans le programme de l'honorable M. Dechamps. Entre la question de milice traitée dans le programme de l'honorable député de Charleroi et le projet présenté par nous, il y a une différence qui peut se discuter. Vous proposez l'exonération ; nous proposons l'indemnité au moyen d'une pension, quel est le meilleur système ? C'est à examiner, mais, lorsque le moment sera venu, il ne sera pas difficile, je crois, de démontrer que notre système est le meilleur et que le vôtre rencontrerait de très grandes difficultés dans l'exécution et consacrerait aussi de très grandes injustices.

Messieurs, pour ne dire qu'un mot en passant, votre système consiste à donner au soldat qui quitte les drapeaux, une indemnité. Je fais ici un appel à tous les bourgmestres des villes et des campagnes et je leur demande si, en pratique, un jeune soldat, quittant les drapeaux et rentré dans la vie civile, muni d'une certaine somme, ira porter cette somme à la caisse d'épargne, ou s'il ne lui arrivera pas le plus souvent de la gaspiller. Il fera plus ; il escomptera, étant au service, la somme qu'il doit trouver à sa sortie et il l'escomptera à des conditions usuraires, parce qu'il y a là une clause mauvaise pour l'assureur ; le milicien peut mourir pendant qu'il est au service. Le milicien commencera déjà à dissiper, étant au service, une partie du pécule qu'on lui réserve, il deviendra mauvais soldat, et quand il quittera son régiment, il est bien probable qu'il dissipera le reste follement.

Ensuite, messieurs, votre système aura un inconvénient beaucoup plus grand encore : vous élèverez inévitablement le prix du remplacement. Aujourd'hui, surtout par suite de la promulgation et de l'application de la loi nouvelle sur la substitution, on trouve des substituants à des conditions accessibles pour ainsi dire à toutes les fortunes bourgeoises : 500, 600, 700 fr. Eh bien, savez-vous ce qu'il en coûte pour se soustraire au service, en France où le système de l'exonération est appliqué ? 2,000 à 2,500 fr. ! Et aux époques de la guerre de Crimée et de la guerre d'Italie, le prix des remplaçants était porté à 4,000 fr.

Votre système ne sera donc pas une amélioration pour les classes bourgeoises et les petits cultivateurs, puisqu'elles devront ou donner des sommes exorbitantes pour faire remplacer leurs enfants eu laisser marcher leurs fils pour leur propre compte. Est-ce là du progrès ?

Et puis, savez-vous ce qui arrive dans des pays où l'exonération est en vigueur ? On y consacre parfois une injustice exorbitante ; quand le nombre de réengagés est insuffisant, que fait-on ? On augmente le contingent. Ainsi vous avez 1,500 miliciens exonérés. Vous ne trouvez que 200 engagés volontaires. Au lieu de demander 10,000 hommes pour le contingent, ou en demande, 11,500, et vous aurez 1,300 remplaçants forcés sans indemnité, quel beau système !

Ce sont de simples indications que je donne, mais on a tellement déprécié notre projet qui je crois pouvoir rendre un peu la pareille au vôtre.

Quant à notre projet, un mot : il maintient la base du remplacement et de h substitution actuelle ; il n'y a rien de changé à cet égard. D'un autre côté, il assure une pension au milicien à l'âge où il en a le plus besoin.

Pour avoir droit à cette pension à l’âge de 50 ans, il suffira que le milicien ait servi pendant deux ou trois années, tandis que beaucoup de petits employés ne peuvent obtenir pareille pension qu'après 25 ou 30 ans de bons et loyaux services. C est, je pense, placer le milicien dans de bonnes conditions en l'indemnisant comme on indemnise le meilleur serviteur du pays.

(page 503) Il est un autre avantage que je signale et dont j'apprécie la valeur, comme ancien bourgmestre surtout. L'entretien des vieillards est une charge très lourde pour les finances des bureaux de bienfaisance et pour les communes rurales principalement. Si dans chaque commune on a à l’avenir un certain nombre, un grand nombre même de pensionnés de l’Etat, n’est-ce pas là un avantage réel, considérable, dont on peut et dont on doit aussi tenir compte ?

Si nous faisions, messieurs, une enquête sur le projet d'exonération produit par vous et sur le projet présenté par nous, si nous consultions tous les bourgmestres, toutes les administrations locales du pays, rien que pour ce motif, la préférence, j'en suis certain, serait donnée à notre projet !

M. Kervyn de Lettenhove. - Je répondrai !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). – Si j’insiste un peu sur ce point, c'est pour dissiper beaucoup d'erreurs qu’on s'est plu à propager, et pour démontrer que l'avénement d'un cabinet catholique n'est pas nécessaire pour assurer la présentation d'un bon projet de loi sur la milice ; que ce projet a été présenté par le parti libéral qui est au pouvoir et que notre projet vaut mieux que le vôtre.

Je viens d'énumérer, messieurs, toutes les mesures que le ministre ■de l'intérieur s'est engagé, par le programme de 1861, à présentera la législature.

Y a-t-il, en tout cela, quelque chose de violent, de haineux, de mauvais ? Vous pouvez discuter nos projets, mais vous ne pouvez pas blâmer nos tendances !

Mais, direz-vous, reste un projet détestable, un projet qui doit saper la religion dans sa base. Vous voulez, nous dit-on, porter une main profane sur le temporel des cultes.

Pourquoi toucher à l'arche sainte, tout y est parfait, personne ne se plaint ! Cette allégation n'est pas exacte ; on s’est plaint beaucoup dans cette Chambre, on y a demandé un projet de loi sur le temporel du culte. Des conseils provinciaux ont adressé des pétitions à la Chambre pour demander que le décret sur l'administration du temporel des cultes fût révisé ; le conseil provincial de Liége, celui du Brabant, celui de la Flandre occidentale et celui de Namur nous ont adressé des requêtes dans ce but.

Le conseil provincial de la Flandre occidentale et celui de Namur ne seront pas taxés d'être composés en grande partie de libéraux, ennemis de la religion. Je crois qu'on ne pourrait pas faire, à ces assemblées, le reproche d'avoir agi dans un but ou dans un intérêt de parti.

Un grand nombre de conseils communaux ont pétitionné aussi et ont demandé qu'un projet sur le temporel des cultes fût présenté. Les communes étaient en droit de faire cette demande ; elles payent et ne peuvent pas contrôler. Les évêques eux-mêmes ont reconnu, il y a longtemps déjà, qu'il y avait quelque chose à faire, que ce décret devait être révisé. (Interruption.)

Mais pourquoi blâmez-vous le projet dont nous parlons ? Vous reconnaissez tous, même ici, par vos interruptions, qu'il faut fortifier le contrôle ; savez-vous s'il y a autre chose dans le projet ? Vous réclamez, vous protestez comme si on voulait porter atteinte aux droits de l'Eglise. Tous vos journaux nous ont traité de voleurs, de brigands. Singuliers voleurs ! singuliers brigands ! Quand le projet a été rédigé, au lieu de le cacher, nous avons cru qu'il était loyal et honnête de consulter ceux qui doivent concourir à son exécution, et le projet a été communiqué aux évêques. Les évêques ont donné leurs avis.

Je le demande, si nous avions eu l'intention de porter la main sur les biens des églises, aurions-nous consulté précisément ceux à qui la défense de ces biens est tout spécialement confiée ? Vous avez donc tort de blâmer cette loi, de faire beaucoup de bruit avant de la connaître. Mais on fait cela, encore une fois, pour égarer l'opinion publique, pour faire peur à ces braves électeurs campagnards qui, lorsqu'on leur permet de voir de près les projets du gouvernement, n'y trouvent aucune de ces exagérations qu'on leur reproche.

M. Wasseige. Faites connaître votre projet ; faites-le connaître avant les élections.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Très bien, c'est précisément ce que je vais faire, merci de l'interruption. Je vais donc entrer dans quelques explications sur ce point.

Il est un fait, messieurs, sur lequel tout le monde est d'accord à droite comme à gauche, c'est que le décret doit être révisé au point de vue du contrôle.

M. de Mérode. - Il n'y a pas de contrôle.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Eh bien, nous voulons établir un contrôle sérieux. C'est un point très délicat et à cet égard on a répandu les bruits les plus incroyables ; on a dit : Le projet est mauvais car on veut soumettre les budgets et les comptes des conseils de fabrique à l'approbation des conseils communaux, qui pourront être hostiles au curé ; il n'en est rien. On évite cet écueil : ce n'est pas le conseil communal qui sera appelé à approuver le budget et les comptes des fabriques d'église ; c'est à la députation permanente, autorité placée en dehors des luttes locales, que sera confiée cette mission. Cet article vous satisfait-il ?

- Un membre. - Nous le discuterons.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Soit, mais je crois que lorsque vous connaîtrez le projet de loi, vous ne le blâmerez pas, comme vous l'avez fait par anticipation.

Un deuxième point, messieurs, qui était très délicat aussi, c'est ce qu’on appelle le budget spécial, le budget des objets qui sont spécialement consacrés au culte. Quoi ! s’est-on écrié : le bourgmestre aura à s’occuper du point de savoir combien il fait d’hosties et combien il faut de litres de vin ! Il aura à fixer les dépenses pour achat de cire, de linge d’autel, etc.

Un bourgmestre, libéral peut-être, pourra se mêler de tout cela ; mais c'est indigne !

Eh bien, autant d'erreurs que de mots. A l'avenir M. le curé fera, comme M. le curé a fait jusqu'ici, son budget spécial. Le budget général sera soumis à la députation permanente qui devra y insérer le budget spécial et celui-ci sera soumis à l'évêque.

Pourriez-vous critiquer encore cette disposition ?

Quant au budget général, qui concerne l'administration des biens, la réparation des édifices, il est évident qu'il doit être soumis à l'autorité civile. Il sera soumis à la députation permanente. Or, vous dites tous les jours dans vos journaux que sur neuf députations permanentes, cinq vous appartiennent.

Ces collèges vous présentent donc de sérieuses garanties.

Enfin, messieurs, reste la question de la composition du conseil de fabrique, question délicate encore et fort mal expliquée au public par vous. Vous avez fait croire que c'est le conseil communal qui nommera les marguillers. Il nommera, avez-vous dit, des francs-maçons, des hérétiques ; s'il y a un protestant dans la commune, on le fera marguillier. Eh bien, messieurs, encore une fois, rien de tout cela n'est exact : les conseils de fabrique continueront à être renouvelés, comme ils le sont aujourd'hui, par les conseils de fabrique eux-mêmes.

Seulement lorsqu'on érigera une paroisse nouvelle et qu'il y aura lieu de former un conseil de fabrique nouveau, que fera-t-on ? On fera alors ce qu'on fait aujourd'hui ; c'est-à-dire que la moitié sera nommée par l'évêque et l'autre moitié par le gouverneur, avec cette seule différence que, d'après le projet, les conseillers étant en nombre pair, l'évêque et le gouverneur en nommeront chacun la moitié tandis qu'aujourd'hui le nombre des conseillers de fabrique étant impair, l'évêque nomme un conseiller de plus que le gouverneur. C'est là de la violence, n'est-ce pas ? C'est une abomination ! Cette disposition est évidemment de nature à jeter l'inquiétude dans tous les esprits, dans toutes les consciences !

Une autre disposition donnera aussi lieu sans doute à beaucoup de vives réclamations. Aujourd'hui le président du conseil est nommé par le conseil ; il en sera encore ainsi, mais aujourd'hui le curé est assis à la droite du président, tandis que, d'après le projet nouveau, le bourgmestre, qui fait aussi partie du conseil, sera assis à la droite du président, s'il est plus âgé que le curé ; mais si le curé est plus âgé que le bourgmestre, ce sera le curé qui siégera à la droite du président.

C'est bien grave cela ! Ajoutez à tout cela, messieurs, des dispositions réglementaires sur la gestion des biens qui seront soumis à peu près aux mêmes règles que les biens communaux et les biens des bureaux de bienfaisance et vous aurez presque tout le projet. Le contrôle de l'autorité civile est parfaitement légitime, les conseils de fabrique sont des personnes civiles instituées dans un but déterminé. Le gouvernement et les communes ont parfaitement le droit de contrôler, d'examiner si le but pour lequel la personne civile a été instituée est atteint et n'est pas dépassé.

Voilà, messieurs, les dispositions politiques du projet, si je puis parler ainsi ; tout le reste ne peut donner lieu à aucune objection. La partie administrative sera calquée sur la loi communale et sur la loi qui régit les bureaux de bienfaisance et les hospices. Il me semble que ce sera justice, car, à tout prendre, les règles à tracer pour l'administration des biens de fabrique ne sont pas précisément des articles de foi, et l'on, peut régler l'administration de ces biens sans toucher à la religion de nos pères.

Il me reste à donner des explications et à rassurer les consciences (page 504) catholiques sur un autre point. Au moyen de la question des cimetières, vers avez cherché à agiter le pays, vous avez prêché une croisade, vous avez dit : Chrétiens, levons-nous comme un seul homme ; protestons contre ce mauvais gouvernement qui ne laisse pas même en paix les cendres de nos pères !

On veut, a-t-on dit et répété, faire une loi qui décide la promiscuité des cimetières, et puis, en exécutant cette fois une décision du congrès de Malines, on a présenté dans toutes les provinces de nombreuses pétitions pour protester contre le terrible projet de loi sur les cimetières. 800,000 citoyens, citoyennes et petits citoyens (Interruption) ont apposé leur signature sur ces pétitions, qui vont être un de ces jours déposées, je pense, sur le bureau de la Chambre, et sur lesquelles notre honorable collège M. Soenens fera un rapport que je suis très curieux d'entendre.

Eh bien, c'est encore le même système que pour le conseil de fabrique ; on trompe le pays. Il n'est pas question de présenter un projet de loi sur les cimetières, vous le savez bien, mais il s'agit d'émouvoir le pays, de remuer ure corde sensible pour troubler les consciences. Il faut qu'on pense qu'il va se passer quelque chose d'extraordinaire, et qu'après avoir fermé les temples et chassé les ecclésiastiques, on violera les cimetières catholiques.

Mais au fond de tout cela, qu'y a-t-il ? Vous ne pouvez pas l'ignorer ; il n'y a rien.

Vous parlez d'une loi sur les cimetières, mais, je le dis très carrément, il n'est pas question, il n'a jamais été question de présenter une loi sur les cimetières, de modifier le décret du 1er prairial an XII. Il n'est pas non plu question de l'interpréter, comme vous voulez le faire, sans bruit, tranquillement, au moyen de circulaires.

Que s'est-il passé en tout ceci ? Un incident comme beaucoup d'autres, a été soulevé. Mais c'est par vous, ce n'est pas par le gouvernement qu'il a été soulevé. S'il y a eu du scandale, c'est vous qui l'avez excité et si la discussion a tourné contre vous, c'est votre faute.

M. Wasseigeù. - C'est à Uccle qu'avait été fait le scandale.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - J'ai dit scandale dans une autre acception. Je veux seulement dire que si à la suite de cette discussion une question est née, ce n'est pas moi qui l'ai soulevée. Cette question a été apportée ici ; j'ai fait connaître à la Chambre et au pays mon opinion sur certains articles de la loi, et cette opinion je la maintiens. D'autres orateurs ont fait connaître leur manière de voir, ils en avaient parfaitement le droit, et puis... ? Plus rien. On n'a rien fait ; il n'y a pas eu de circulaire ; on n'en fera pas, et il n'y aura pas de projet de loi.

Vous pouvez donc vous rassurer, et les 800,000 pétitionnaires si émus peuvent se rassurer aussi. Ce qui s'est passé autrefois se passera à l'avenir. Ce qui s'est passé sous le ministère de l'honorable M. de Theux, sous le ministère de l'honorable M. Nothomb et sous le ministère actuel continuera à se passer encore.

Nous croyons et nous croyons fermement qu'il faut laisser la police des cimetières à l'autorité communale et que le gouvernement ne doit intervenir que dans des cas exceptionnels, jamais préventivement, mais seulement quand on a enterré un citoyen dans un coin mauvais, inconvenant ou hors du cimetière. Dans des cas semblables à celui que j'ai cité lors de la discussion sur l'incident d'Uccle et relativement au brigadier des douanes dont le corps avait été déposé dans un endroit immonde, alors l'intervention du gouvernement est un devoir.

M. Nothomb. - Il a été réintégré dans le cimetière, votre brigadier.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On a bien fait.

M. Nothomb. - Certainement.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Si le cas se présentait encore, vous agiriez encore de même et nous aussi.

Mais puisque l'honorable M. Nothomb m'interpelle, je lui rappellerai que le brigadier dont je parle a été exhumé, mais que Van Hecke ne l'a pas été. (Interruption.) A Saint-Pierre-Capelle on n'a pas exhumé, parce que Van Hecke n'avait pas été enterré dans un endroit inconvenant ; il avait été enterré dans la partie bénite du cimetière.

L'honorable M. Nothomb est revenu à de meilleurs sentiments et je l’en félicite : il a renoncé à cette exhumation.

M. Nothomb. - Je soutenais cette théorie...

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je constate que le cadavre n’a pas été exhumé ; ne parlons plus de cette affaire.

Je dis donc que le gouvernement n'intervient pas préventivement dans la question des cimetières, que le gouvernement n'interviendra1 que dans des cas extrêmes, dans des cas analogues à celui que je viens de citer.

Vous avez agi, comme nous avons agi, et comme nous nous proposons d'agir. De quoi donc vous plaignez-vous ? Pourquoi tout ce bruit ? Pourquoi ces 800,000 signatures ? Pourquoi avoir inquiété tant de braves gens, alarmé tant de consciences ? Pourquoi avoir demandé à tant de personnes : « Mon ami. voulez-vous être enterré à côté de vos parents, dans le cimetière catholique ; ou voulez-vous être jeté dans un coin ? » Voilà ce qu'on a demandé à tout le monde, et c'est à la suite de cette démonstration que la Chambre a reçu les nombreuses pétitions sur lesquelles la commission des pétitions doit lui faire un rapport.

Je profite de l'occasion pour faire une déclaration, et répondre aussi à une autre calomnie.

Lorsqu'un bourgmestre vient nous consulter sur des affaires de ce genre, je professe les principes que j'ai l'honneur d'exposer devant cette Chambre ; je refuse de donner un conseil préventif ; je dis au bourgmestre : Faites ce que votre conscience, votre raison vous dit de faire ; je ne puis pas intervenir, parce que le ministre de l'intérieur ne peut pas être le fossoyeur général en Belgique.

Je laisse donc à chacun sa liberté ; je conserve mes opinions et quoi qu'on en ait dit, je défie qui que ce soit de me citer un cas où je sois intervenu d'une autre manière.

Nous ne présenterons pas de projet de loi, et vous n'en présenterez pas non plus ! Je vous défie, si vous arrivez aux affaires, de modifier le décret de prairial. (Interruption. ) Non, vous ne pourrez jamais, vous n'oserez jamais modifier le décret de prairial, dans le but de donner au curé la police du cimetière. (Interruption.) Non ; non, vous ne l'oseriez pas.

Messieurs, ici vient se placer un fait dont on a parlé mardi et sur lequel il est nécessaire de donner quelques explications à la Chambre ; il s'agit de la question du cimetière de Borgerhout. Je ne sais si l'honorable général Chazal n'aurait rien à dire à cet égard.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Je vous prie d'avoir l'obligeance de donner ces explications ; vous le ferez beaucoup mieux.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Lorsqu'on a fait le tracé de la nouvelle fortification d'Anvers, il a été reconnu indispensable d'y comprendre l'ancien cimetière de Borgerhout. Pour que cette décision fût prise, il a fallu que la nécessité en fût bien constatée, car je n'ai pas besoin de dire que ce n'est pas pour son plaisir que le gouvernement a résolu de faire passer la grande enceinte par le cimetière de Borgerhout et qu'il s'est mis ainsi dans la nécessité de faire exhumer les cadavres qui y reposent. Au surplus, M. le ministre de la guerre, qui a spécialement traité cette question, pourra vous donner à cet égard de plus complètes explications.

La nécessité de supprimer le cimetière de Borgerhout ayant été constatée, on en a fait part au conseil communal et on l'a engagé à prendre les mesures nécessaires pour se pourvoir d'un nouveau cimetière.

C'est ce qu'a fait l'administration communale de Borgerhout ; elle a vendu l'ancien cimetière au département de la guerre ; elle en a établi un nouveau dans lequel on enterre depuis le 1er janvier 1861. Maintenant, il est vrai, comme l'a dit M. Delaet, que des cadavres devront être transférés dans le nouveau cimetière ; mais ce qui n'est pas exact, c'est que cette opération commencerait dès demain et qu'elle se ferait sans l'entourer de toutes les précautions nécessaires ; ce qui n'est pas exact non plus, c'est qu'il serait question de jeter tous les cadavres pêle-mêle dans une fosse commune.

La vérité est, messieurs, que cette question a été étudiée avec un soin que je qualifierai de minutieux. M. le ministre de la guerre s'est mis en rapport avec Mgr l'archevêque de Malines ; il a demandé le concours du clergé ; par mon intermédiaire, il s'est mis en rapport avec la commission supérieure d'hygiène, avec la commission médicale provinciale d'Anvers, avec le bourgmestre de Borgerhout, en un mot, avec toutes les autorités. Mgr l'archevêque de Malines a promis le concours du clergé ; on cherche à rendre aussi peu désagréable que possible cette pénible opération.

Le comité supérieur d'hygiène a dressé un programme du travail à faire ; et il est si peu question de jeter pêle-mêle les cadavres, qu'il a été décidé, entre autres choses, qu'il serait ouvert autant de fosses qu'il y a aujourd'hui de corps dans l'ancien cimetière ; chaque corps sera religieusement exhumé et transféré dans le nouveau champ de repos. En un mot, toutes les autorités ont été d'accord pour recommander toutes les précautions possibles afin que cette opération pénible puisse se faire (page 505) avec toute la dignité désirable. Cette opération n'est pas commencée ; on attend, pour la faire, des circonstances favorables et il est probable qu'elle n'aura pas lieu avant l'hiver prochain.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - C'est exact.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - La translation des cadavres sera surveillée par une commission spéciale composée du bourgmestre de la commune, du desservant de la paroisse, d'un membre de la députation permanente, d'un docteur militaire, d'un officier du génie et d'un membre du conseil supérieur d'hygiène. Vous voyez que le gouvernement a pris toutes ses précautions et qu'il n'y a aucun reproche à lui faire de ce chef ; du moment où la nécessité de déplacer le cimetière de Borgerhout était constatée, il était impossible de prendre plus de précautions pour que la translation des cadavres eût lieu avec toute la dignité possible.

J'abandonne, messieurs, le domaine des morts pour aborder un terrain plus fertile, celui de la question flamande si vivace et si pleine d'actualité.

Je tiens à m'expliquer aussi sur ce point parce que je tiens à détruire toutes les inexactitudes qu'on a répandues sur le compte du gouvernement. On nous a dit l'autre jour ici : Vous dédaignez la question flamande ; vous n'en faites aucun cas ; vous y êtes hostiles même. Eh bien, messieurs, il en est de ce reproche comme de ceux que je viens d'examiner.

Hier déjà, un honorable membre de cette Chambre, qu'on n'accusera certes pas d'être un ministériel extravagant, M. Delaet, a bien voulu rendre hommage à ce que le ministre de l'intérieur a fait en cette matière. Ce certificat de bonne conduite a certainement sa valeur ; mais l'honorable M. Delaet a ajouté que, s'il rendait hommage à ma bonne volonté personnelle, je n'étais pas seul le cabinet et qu'il faisait de très grandes réserves quant à certains de mes honorables collègues.

Evidemment, messieurs, je ne suis pas plus tout le cabinet que l'honorable M. Delaet n'est toute la question flamande, bien qu'il s'en soit déclaré l'homme-programme.

J'occupe dans le cabinet une place modeste que je cherche à remplir le plus utilement possible ; je tâche de faire, dans ma position, le plus de bien que je puis ; mais je ferai remarquer à la Chambre et à l'honorable membre en particulier, que dans le fameux rapport de 1856, rapport qui résume les griefs des Flamands, c'était surtout au département de l'intérieur qu'on s'adressait pour obtenir le redressement de ces griefs.

Je suis donc dans cette question un peu plus qu'un sixième du ministère, puisque c'était surtout à mon département qu'on s'adressait.

Eh bien, je ne crains pas de le dire et je le proclame bien haut, dès mon entrée aux affaires, la question flamande a fait, de ma part, l'objet d'un examen sérieux et bienveillant. Et cet examen n'a pas été seulement bienveillant et sérieux, il a été utile et efficace. Né au milieu des populations flamandes, ayant étudié leur histoire, c'est de tout cœur que je me suis livré à l'étude de cette question et que j'ai cherché â redresser, autant que possible, les abus qui m'étaient signalés.

D'ailleurs, je veux constater ici que dès le jour où j'ai abordé l'examen de cette question, j'ai pu reconnaître que mon honorable prédécesseur, M. Rogier, loin d'être, comme on l'a dit, hostile à la cause flamande, s'y est, au contraire, toujours montré des plus sympathiques.

Plusieurs mesures ont été prises par lui qui témoignent de cette sympathie ; je me bornerai à signaler la formation au ministère d'un bureau flamand et les encouragements nombreux que M. Rogier a accordés à notre littérature flamande. Sous ce rapport je n'ai eu qu'à suivre ses traces ; je me suis borné à renforcer le personnel du bureau flamand et lorsqu'une place au ministère de l'intérieur devient vacante, elle est accordée, à mérite égal et dans de justes limites, au candidat qui connaît les deux langues.

Quand à la littérature flamande, j'ai augmenté le chiffre des encouragements, et je m'en félicite tous les jours davantage ; car, je suis heureux de pouvoir le proclamer ici devant la Chambre et devant le pays, les progrès de notre littérature flamande grandissent chaque jour, et je regrette sincèrement, pour mes frères wallons, qu'ils ne puissent pas jouir des beautés qu'elle produit.

Notre théâtre flamand mérite les plus grands encouragements ; c'est un théâtre national avant tout !

Le théâtre flamand retrace nos grandes traditions nationales, il flagelle en même temps les vices et les abus de notre âge.

- Une voix. - Les abus d'un autre âge.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il ne ménage pas plus ceux-là que les autres. Aussi, le théâtre flamand est entré tellement dans nos mœurs, qu'il serait injuste aujourd'hui de ne pas en encourager le développement.

Sur ce terrain donc, j'irai plus loin encore que mon prédécesseur, et j'encouragerai la littérature flamande dans les plus larges proportions.

M. Rodenbach. - Les avocats ne peuvent pas plaider en flamand devant certains tribunaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Le pouvoir judiciaire est un pouvoir indépendant du nôtre, et nous n'avons pas le droit de nous mêler de ce que font les tribunaux.

Comme gouvernement nous devons nous abstenir, nous pouvons avoir une opinion individuelle, personnelle ; mais par respect pour la justice, je ne crois pas devoir faire connaître la mienne ici.

Je vais énumérer maintenant, messieurs, les mesures que j'ai prises dans l'intérêt de nos populations flamandes ; au point de vue administratif, j'ai ordonné que tous les documents qui s'adressent à un grand nombre de personnes fussent publiés en français et en flamand dans les arrondissements flamands.

Les registres de l'état civil sont en général tenus en flamand dans les communes rurales ; dans les villes, ils sont tenus dans la langue réclamée par les parties.

J'ai à l'administration centrale, pour ma part, introduit une innovation qui prouve ma sympathie pour la cause flamande : je réponds en flamand à toutes les personnes qui me font l'honneur de m’écrire dans cette langue.

- Un membre. - Et dans les autres départements ministériels ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Ils suivront mon exemple, je l'espère. Mais, c'est surtout sur les questions d'enseignement, messieurs, que les auteurs du rapport des griefs avaient appelé l'attention du gouvernement ; j'ai écouté leurs conseils : deux places étant devenues vacantes au sein du conseil de perfectionnement de l'enseignement supérieur, j'ai nommé deux Flamands, un littérateur distingué, M. de Saint-Génois, et un de nos anciens et bons collègues, M. de Boe.

J'ai veillé à ce que des cours flamands fussent donnés régulièrement à l'université de Gand. Si tout n'est pas fait encore, si une nomination y est encore possible et n'est pas faite, c'est parce que des circonstances exceptionnelles m'en ont empêché, et je pense que je pourrai bientôt renforcer le personnel flamand de l'université de Gand.

Quant à l'enseignement moyen du premier degré, les auteurs du rapport des griefs se plaignaient du peu de capacité en général et de l'insuffisance de la rétribution des professeurs de langue flamande.

J’ai institué un diplôme pour ces professeurs, et ceux qui passent cet examen spécial sont assimilés aux professeurs de la troisième latine lorsqu'ils n'ont pas le diplôme de docteur en philosophie, et aux professeurs de rhétorique quand ils ont ce diplôme. C'est là, je pense, une mesure utile, à un double point de vue.

Ce n'est pas tout ; il a été décidé que le flamand serait enseigné en rhétorique, il ne l'était pas jusqu'ici, et que les athénées du pays wallon pourraient prendre part au concours spécial pour la langue flamande.

Pour l'enseignement moyen du deuxième degré, j'ai créé une deuxième école normale dans une de nos provinces flamandes, à Bruges. C'est encore là une institution dont la création avait été vivement réclamée.

Je pourrais citer plusieurs autres mesures encore. Je n'en citerai plus qu'une seule que je crois capitale.

Depuis quelque temps, j'ai fait adjoindre aux écoles normales primaires des provinces wallonnes un cours de flamand, et pour engager les élèves instituteurs wallons à suivre ce cours, on attribue, à l'époque des examens, à ce cours, un nombre de points égal à celui que l'on compte aux élèves flamands qui subissent l'examen sur la langue française.

Les instituteurs apprécient tellement cette mesure, qu'à Nive les et à Huy presque tous les élèves se sont fait inscrire pour suivre le cours facultatif flamand.

Il est utile que le pays sache que le gouvernement n'est pas indifférent au mouvement flamand, et qu’il a fait tout ce qui était nécessaire pour l'appuyer.

Un mot maintenant au sujet des nominations. On nous a accusés d’être exclusifs, de ne faire des nominations que dans un intérêt de parti, de faire une guerre implacable à nos adversaires. Interrogeons les faits. On nous accuse d'avoir fait une razzia de bourgmestres et une Saint-Barthélemy d'échevins.

Eh bien, je vais vous prouver que c'est là de la poésie, si poésie il y a ; c'est au moins de la fantaisie. Je réponds par des chiffres, vous verrez que sous ce rapport encore il y a exagération, et que notre manière de faire ne peut nullement justifier la nécessité de changer notre organisation (page 506) communale dans le sens de l'article premier du programme de M. Dechamps.

Je vous ferai remarquer d'abord qu'en dehors de cette réforme, vous demandez l'autorisation de destituer les fonctionnaires, et que nous n'en n'avons destitué aucun ! Vous nous accusez de choses que vous seriez bien capables de faite vous-mêmes.

Voici donc quelques renseignements sur les nominations des bourgmestres.

On a parlé des bourgmestres nommés en dehors du conseil. La loi est de 1842. Depuis lors il a été nomma 52 bourgmestres en dehors des conseils communaux. De ces 52 bourgmestres, 2 ont été nommés en 1847 et 1848, c'est-à-dire sous un ministère libéral, tandis que 44 nominations ont été faites de 1842 à 1850.

De 1850 à 1860, on a renoncé en quelque sorte à cette pratique.

Il y a cependant dans cette période de 10 ans quelques nominations ; il y en a 6. Je vais les citer.

Il y a eu dans la province d'Anvers, en 1855, une nomination ; dans la Flandre orientale, deux, l'une en 1852, l'autre en 1854 ; dans le Hainaut, une, en 1854 ; dans le Limbourg, deux, l'une en 1854, l'autre en 1855.

Quant à moi, depuis 1861, je n'ai pas proposé une seule nomination en dehors du conseil. Ainsi vous voyez, messieurs, que le parti libéral, - j'admets que personne n'a abusé du droit de nommer en dehors du conseil, - en a surtout fait un usage extrêmement modéré !

Quant aux nominations de bourgmestres et d'échevins, voici, messieurs, quelques renseignements, qui sont, je pense, assez intéressants.

Par suite du renouvellement des conseils communaux en 1863, j'ai eu à proposer à Sa Majesté 3,841 nominations de bourgmestres et échevins. Eh bien, sur ces 3,841 nomination', il y a eu 120 éliminations de bourgmestres et échevins, c'est-à-dire à peu près 3 p. c.

Sur ces 120 bourgmestres et échevins qui n'ont pas été renommés, un certain nombre ne l'ont pas été pour motif d'âge ; d'autres pour des motifs administratifs, les uns n'ayant pas toujours bien géré, les autres n'ayant pas eu une conduite exemplaire ; cela arrive rarement, mais cela-peut arriver et les autorités provinciales n'ont pas cru devoir proposer de renouveler leurs mandats.

Si de ces 120 victimes, vous défalquez celles que des motifs particuliers et non politiques n'ont pas permis de renommer, je vois que nous arrivons à n'avoir qu'un nombre d'éliminations fort restreint.

Je crois donc que vous trouverez tous, et le pays sera de cet avis, que les griefs qu'on élève contre nous, de ce chef, sont bien peu fondés. Je crains même que mes honorables amis de la gauche ne m'accusent d'avoir poussé la modération jusqu'à là faiblesse. (Interruption.)

Encore une observation, messieurs, c'est que sur ces 3,841 nominations de bourgmestres et d'échevins, deux ou trois seulement ont été faites en dehors des propositions des autorités administratives.

Et il ne s'agit là que de toutes petites communes et de cas tout à fait spéciaux.

L'honorable M. Dechamps se plaignait d'avoir surtout été maltraité dans son arrondissement. J'ai fait faire le relevé des nominations dans le Hainaut en 1857, 1860 et 1863, c'est-à-dire lors des trois renouvellements auxquels l'honorable M. Rogier et moi nous avons procédé et qui nous ont permis de faire ces grandes razzias, ces grandes hécatombes.

En 1857, 1860 et 1863, dans le Hainaut, sur 2,315 nominations il y a eu en tout 76 éliminations.

L'honorable M. Dechamps, qui se plaint d'avoir été si maltraité dans son arrondissement, n'y a pas réfléchi ou il a compté double au moins.

Dans ces trois périodes, sur 355 bourgmestres et échevins nommés dans l'arrondissement de Charleroi, il n'y a eu que 19 éliminations.

M. Wasseige. - C'est déjà quelque chose.

M. Bara. - Combien en avez-vous fait vous autres ?

.M. Dechamps. - Il y en a eu 10 dans mon arrondissement.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En 1857 sur 98 bourgmestres et échevins de l'arrondissement que M. Dechamps représente ou a éliminé 10 bourgmestres.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qui les avait nommés ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - L'honorable M. Rogier en différentes circonstances vous a donné sur ce point des explications très catégoriques.

Mais en 1860 qu'a fait l'honorable M. Rogier ? Il y avait 156 nominations à faire dans votre arrondissement. Il y a eu 2 éliminations d'échevins.

M. Wasseige. - Elles étaient faites auparavant.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Comment, sur 355 nominations en sept ans, 19 éliminations dans tout un arrondissement ! C'est exorbitant.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - C'est trop modéré.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Et, en 1863, dans l'arrondissement de Charleroi, sur 101 nominations il y a en une seule élimination d'échevin !

Ainsi, je suis coupable d'une élimination d'échevin. Vous voyez donc, messieurs, combien il est nécessaire de mettre fin à cette tyrannie, à cette centralisation, à cette pression du gouvernement central sur les administrations communales.

Il était vraiment impossible que l'état actuel des choses continuât, il fallait que l'honorable M. Dechamps arrivât pour sauver la Belgique et les communes. (Interruption.)

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Rendez le même compte si vous pouvez.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - On m'a reproché spécialement une nomination et je tiens à m'expliquer sur ce point, c'est la nomination du bourgmestre d'une des principales villes du pays, de Louvain.

La place de bourgmestre était devenue vacante par la nomination du titulaire à un autre emploi. J'ai consulté officieusement le conseil communal et des personnes honorables ; à l'unanimité on me désigna un conseiller, déjà ancien, homme honorable, ancien patriote, décoré de la Croix de Fer, décoré de l'Ordre de Léopold, vice-président du conseil provincial, un homme populaire, estimé, capable !

Cet homme, qui se trouve dans une position particulière, ne désirait pas obtenir ces fonctions. Il vint me trouver et me pria de faire de nouvelles démarches pour trouver un autre titulaire ; il alla jusqu'à me proposer d'accepter les fonctions modestes d'échevin si un de ses collègues voulait accepter celles de bourgmestre ; mais personne n'y consentit.

Le conseil communal et toutes les personnes que je consultai me déclarèrent donc que M. Peemans devait être bourgmestre de Louvain.

Au milieu de ce concert général, de cette unanimité, il y eut une voix discordante. Une certaine presse locale me jeta à la tête le défi le plus insolent en même temps qu'il jetait à la tête de M. Peemans les injures les plus grossières, et cela parce que M. Peemans avait eu l'impudence d'intenter un procès à l'université de Louvain. Dès lors, il devait être proscrit, il ne pouvait être bourgmestre, il était frappé d'ostracisme.

Et moi, membre du gouvernement, j'aurais dû céder devant cette pression, devant les menaces et les défis ! Je ne l'ai pas fait. J'ai proposé la nomination de M. Peemans, je l'ai obtenue et, je ne crains pas de le dire, si je ne l'avais pas obtenue, il y a cinq mois que je ne serais plus sur ce banc. (Interruption.)

Messieurs, je suis bon, je suis bienveillant. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je cherche à terminer les difficultés par d'honorables transactions. Mais, quand il s'agit de questions de principes, de la dignité du gouvernement, je ne céderai jamais, et en face des menaces qu'on m'a faites, je n'aurais pas cédé.

Messieurs, vous nous accusez quelquefois de nous occuper trop des nominations de bourgmestres et d'échevins. Mais c'est une nécessité. Si nous n'avions pas, dans certaines localités, des bourgmestres qui sont favorables, je ne dirai pas à nos principes politiques, mais à nos principes administratifs, nous ne pourrions rien ; car à côté de l'influence du gouvernement, il y a une autre influence incessante, qui agit dans l'ombre et qui pèse sur les conseils communaux eux-mêmes. Ainsi le clergé, dans quelques provinces surtout, fait élire les conseillers communaux ; il ne se contente pas de cela ; il leur dicte plus tard leurs votes. J'ai la preuve formelle que dans des scrutins secrets où il s'agissait de nommer des fonctionnaires, des conseillers communaux ont été forcés par leurs propriétaires et leurs curés de déposer dans l'urne un bulletin marqué, même au sein du conseil communal.

M. Beeckman. - Les libéraux de même.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je n'en sais rien ; je n'en ai aucune preuve.

M. Beeckman. - J'en ai.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Mais, messieurs, pour d'autres motifs encore, le gouvernement est obligé d'être vigilant. De toutes parts on cherche à le circonvenir et à entraver la marche administrative. L'année dernière, le gouvernement (page 507) voulant s'éclairer, décida de faire une enquête sur les effets produits par la loi de 1842, relative à l’enseignement primaire.

Cette enquête ne portait évidemment pas sur le côté politique de la loi ni sur le côté religieux. Tout ce que l'on voulait savoir, c'étaient les effets que la loi avait produits au point de vue de l'instruction. Le gouvernement voulait une enquête sincère, loyale ; il ne donna aucune instruction. Il croyait que le clergé agirait de même. Voici un fait qui m'a été dénoncé, il est grave, je ne parle pas sans avoir les preuves matérielles de ce que j'affirme.

On m'a remis un écrit, une circulaire sans doute qui renverse de fond en comble l'enquête que nous voulions faire. Dans certains ressorts d'inspection, les curés ont reçu la lettre qui suit ; c'est une traduction du flamand :

« Monsieur le curé,

« J'ai l'assurance que le gouvernement fera dans les premiers jours une enquête chez votre instituteur concernant le progrès des écoles depuis l'année 1842.

« Une chose qu'ils devront certainement répondre ou du moins qu'ils doivent exposer dans tous les cas, est la suivante : L'intervention du clergé est nécessaire pour pouvoir maintenir l’école dans une bonne situation ; l'école a fait des progrès, grâce à la protection que le clergé lui a accordée depuis cette époque. »

« La solution donnée à des questions de cette nature pourrait avoir, dans un avenir rapproché, les plus grandes conséquences pour la religion, pour l'enseignement spirituel dans notre pays et pour la juste influence que le curé doit avoir en tout temps sur l'instituteur et sur les enfants des écoles de sa paroisse.

« Veuillez donc, M. le curé, autant qu'il vous est possible, guider votre instituteur dans cette circonstance ; qu'il réponde par exemple... » (Interruption.)

Vous voyez que les instituteurs n'avaient pas grande peine à répondre, on leur dictait leurs réponses :

« 1° En indiquant le nombre des enfants qui sont annuellement envoyés à l'école par le curé ou par le prêtre ;

« 2° En disant que la première communion est l'unique ou au moins la grande cause qui attire les enfants dans les écoles ;

« 3° Que l'expérience prouve facilement que les enfants sont moins assidus, quand le curé ne peut fréquenter l'école pour cause de maladie ou d'absence ;

« 4° Que l'influence de l'instituteur est grande, mais que le curé seul peut convaincre les parents ;

« 5° Que le curé peut toujours ériger avec ses premiers communiants une école qui rendrait l'existence de toute autre école impossible. » (Interruption.)

M. B. Dumortier. - C'est extrêmement vrai.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Laissez-moi lire. Je ne discute pas ; mais je constate des faits.

« Pour que ces vérités et d'autres puissent pénétrer facilement dans l'esprit de votre instituteur et qu'il sache les exposer adroitement dans son rapport, il ne peut pas savoir que l'inspecteur ecclésiastique s'en est mêlé, d'autant moins que, probablement, il sentira aussi, d'un autre côté, les effets d'une influence étrangère.

« Ayez la bonté, M. le curé, de m'honorer d'une réponse, dans laquelle vous voudrez bien me dire : 1° Si votre instituteur a déjà expédié son rapport et dans quel sens à peu près il a répondu ; 2° S'il a reçu une visite ou des instructions quelconques de la part de l'inspection civile.

« Votre très humble et dévoué serviteur. »

Ainsi, messieurs, vous le voyez : inquisition, pression et empêchement pour le gouvernement de poursuivre une enquête qu'il voulait faire loyalement.

J'ignore si cette mesure a été générale ; mais ce sera facile à constater. Je n'aurais pas lu cette circulaire, mais j'ai voulu prendre acte et date.

Les réponses des instituteurs sont parvenues depuis quelque temps au gouvernement. Elles seront imprimées. Je serai très curieux et vous serez curieux comme moi de constater s'il y a une certaine analogie entre les réponses des instituteurs et la circulaire que je viens de vous faire connaître.

M. Nothomb. - Par qui est signée cette circulaire ?

M. Schollaert. - Est-elle signée par quelqu'un qui a autorité ecclésiastique ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, mais je ne veux nommer personne. (Interruption.) Je désobligerais beaucoup le signataire de cette circulaire, puisqu'il défend au curé de dire à son instituteur que l'inspecteur ecclésiastique lui a parlé de cela.

Du reste je crois que personne ne me croira capable de lire une pièce fausse et je suis disposé à montrer le. texte flamand.

M. Delaetµ. - Puis-je vous faire une question ? Quel est, dans la circulaire, le mot flamand qui correspond au mot « adroitement » ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je vous communiquerai le texte flamand ; s'il y a quelque erreur dans la traduction, elle sera rectifiée. En tous cas, je dirai à l'honorable M. Delaet que c'est un flamand détestable. On parle quelquefois de latin de cuisine ; du flamand semblable ne vaut pas mieux ; je crois que l'honorable M. Delaet sera de mon avis.

Messieurs, je viens de vous démontrer que la plupart des griefs articulés contre le cabinet libéral ne sont pas fondés. Vous l'avez accusé d'être vindicatif, haineux, exagéré, et vous n'avez pu jusqu'ici signaler aucun fait. Ce sont de vagues déclamations. A ces déclamations j'oppose des faits. Je les ai discutés devant vous et le pays jugera.

Mais permettez-moi maintenant de vous demander à mon tour si vous avez toujours été aussi modérés, aussi calmes que vous voulez bien le dire. Je ne ferai pas, à mon tour, la revue rétrospective de votre histoire parlementaire depuis 1830. Elle a été faite souvent ; elle est connue.

Je ne vous rappellerai pas l'époque où le gouvernement appartenait à votre opinion, unissait sa puissance, qui était grande, qui était immense à la puissance des évêques qui était plus grande aussi qu'aujourd'hui ; je ne parlerai pas de ce qu'on fit, en 1847, par exemple, pour conserver le pouvoir qui vous échappait ; je ne parlerai pas de la pression scandaleuse que certains fonctionnaires exercèrent alors sur le corps électoral ; si je voulais entrer dans cette voie, je pourrais vous lire des circulaires adressées alors par des commissaires d'arrondissement à leurs bourgmestres.

- Plusieurs membres. - Lisez ! lisez !

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - En 1847, au moment suprême où le pouvoir allait vous échapper, vos agents adressaient à leurs bourgmestres des circulaires conçues dans le sens que voici :

« Ypres, le 5 juin 1847.

« Monsieur le bourgmestre,

« Confiant dans les dispositions qui vous animent pour le bien général, et dont vous n'avez cessé de me donner des preuves, depuis l'instant où j'ai été appelé à partager avec vous les devoirs résultant de la direction des affaires et de l'administration dans les communes de cet arrondissement, - je me persuade que, dans cette circonstance, vous vous unirez, avec un nouveau zèle, une nouvelle ardeur, aux sentiments qui doivent vous stimuler, pour donner au gouvernement un témoignage de notre dévouement, et, au chef de la province, la preuve que nous savons apprécier et seconder ses efforts dans tout ce qui peut tendre au bien général ; - à la province elle-même confiée à sa direction sage et éclairée, un gage que nous ne restons indifférents à rien de ce qui intéresse sa prospérité (sic) et sa splendeur.

« S'il est des circonstances où des devoirs impérieux nous sont imposés, c'est bien dans le moment actuel, où les passions se déchaînent pour détruire les éléments du bonheur de la nation ; où l'esprit de parti, où la perversité et l'impiété cherchent à se grouper pour mieux pouvoir jeter le trouble et le désordre dans le pays, afin de mieux établir cette anarchie par laquelle ils espèrent abattre les trônes, détruire la morale et la religion, sous le faux prétexte que les hommes actuellement à la tête des affaires sont incapables de gouverner et de comprendre les besoins de la nation et tout ce que la prospérité du pays exige et réclame. Il est peut-être superflu de répéter - car vous l'aurez déjà remarqué avec moi, - que toutes ces associations politiques, loin d'être ce qu'elles s'efforcent de paraître, n'amènent que la désunion, détruisent tous les éléments de prospérité et de bonheur que l'ordre et la subordination procurent aux nations.

« Il ne vous sera pas échappé que ces comités, ces associations sont pour la plupart dirigés, soit directement, soit indirectement, par des hommes dévoués au gouvernement déchu, hommes imbus de ces principes qui détruisent tout sentiment de nationalité belge, sont, par conséquent, les ennemis déclarés de notre souverain et envient à notre pays ces institutions, ces lois qui ont donné à la Belgique cette nationalité, cette existence dont tout Belge, tout citoyen devrait être fier, et qu'il devrait prendre à cœur de soutenir et de défendre plutôt que de prêter la main à leur destruction et à leur anéantissement. Le moment est donc arrivé, M. le bourgmestre, de vous pénétrer que le serment d'obéissance au Roi, de fidélité à la Constitution et aux lois du peuple belge, vous impose le devoir de donner au souverain de votre choix, un témoignage de notre amour, de notre dévouement. C'est ici le cas de donner au pays la (page 508) preuve que vous avez compris votre mission, et que vous saurez remplir votre engagement avec cette probité loyale et cette délicatesse soutenue qui fut (sic) de tout temps la marque distinctive du Belge et l'apanage du peuple flamand.

« Cette profession de foi, vous me la donnerez, j'espère, à moi particulièrement et au pays en général, en appuyant par votre vote et par votre influence sur vos administrés, la candidature des personnes qui, au Sénat et à la Chambre des représentants, peuvent soutenir le gouvernement dans ses efforts pour cimenter dans le pays cette union, ce. repos, cette paix indispensable au développement de la prospérité, du commerce et de l'industrie, et pouvoir faire goûter la richesse d'une agriculture bien dirigée.

« Ces sentiments, M. le bourgmestre, vous les partagerez avec moi, parce que l'amour de votre pays est le mobile de vos actes. Vous adopterez donc avec moi les moyens de mettre ces désirs à exécution, et, pour réaliser cet heureux résultat, vous vous empresserez de donner une preuve évidente de votre zèle prudent et éclairé en confiant à M. Malou-Vergauwen le mandat de vous représenter au Sénat et à M. Van Renynghe, Charles, bourgmestre de Poperinghe, celui de soutenir vos droits et de défendre vos intérêts à la Chambre des représentants. (Interruption.)

« C'est avec une entière satisfaction que j'ai l'honneur de recommander le succès de cette élection à votre influence, à votre coopération. Je suis persuadé que l'empressement constant que vous avez eu de me témoigner votre bienveillance, ne me fera pas défaut, et que je pourrai, comme antérieurement, vous exprimer la satisfaction que me procure votre coopération active à tous les actes administratifs et gouvernementaux que nous sommes appelés à exercer de commun accord.

« Agréez, M. le bourgmestre, l'assurance de ma parfaite considération. »

- Un membre. - Il n'y a pas de menace.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il ne manquerait plus que cela ! Mais on fait intervenir directement le Roi et l'on fait croire aux bourgmestres que ceux d'entre eux qui ne voteraient pas pour les candidats de la droite violeraient leur serment.

Je n'ai pas besoin de dire, messieurs, que l'homme qui voulait renier la religion, déchaîner les passions, faire régner l'anarchie, c'était moi.

L'auteur de la circulaire est un ancien commissaire d'arrondissement. Je n'ai pas cessé de rester en excellents termes avec lui malgré sa circulaire.

M. Coomans. - Cette circulaire est un abus très grave ; n'en commettez pas trop de semblables.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Nous ne faisons rien de semblable. Je cite ces faits pour prouver que tandis que vous nous accusez d'exercer une pression administrative, c'est vous qui l'exerciez quand vous étiez au pouvoir et j'ajoute que vous l'exerceriez encore.

M. Wasseige. - Les vôtres n'écrivent pas ; ils sont plus malins.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Nos fonctionnaires sont plus malins ! Vous leur faites beaucoup d'honneur, mais vous aviez tort de choisir des agents qui ne l'étaient pas.

Je viens, messieurs, de citer un exemple de la pression que vous exerciez dans le pays quand vous étiez au pouvoir. Et dans cette Chambre, qu'avons-nous vu ? Vous parlez constamment de centres. Vous regrettez qu'il n'y ait pas de centres.

Je ne dis pas qu'il y ait jamais eu ici un centre gauche et un centre droit, mais il y a eu des nuances ; ainsi de 1847 à 1857, il y avait sur les bancs de la gauche un certain nombre de membres d'un libéralisme très modéré et très pointilleux chaque fois qu'il s'agissait d'une question qui ressemblait de près ou de loin à une question religieuse. Ce sont ces membres qui ont voté contre le serment en matière de successions ; ce sont eux qui ont fait introduire, dans la loi de 1850, l'article 8 relatif à l'enseignement religieux.

Ce sont encore ces membres si modérés, formant une espèce de centre gauche, qui ont introduit la convention d'Anvers. Ce centre tendait à se former et pourquoi ne s'est-il pas formé ? Qu'en avez-vous fait ? Un beau jour, vous avez dit : « Tout ce qui n'est pas pour nous est contre nous. » Vous auriez pu dire avec plus de vérité encore : « Tout ce qui n'est pas à nous est contre nous. »

Eh bien, ces membres modérés, votre presse les traînait dans la boue ; on ne leur tenait aucun compte de leur modération et on les rejetait ainsi hors du centre qu'ils auraient peut-être fini par constituer définitivement.

Voici un exemple qui vous frappera tous. Une question difficile, grave, était soulevée, une question à laquelle le clergé et tous les hommes religieux attachaient une extrême importance ; il s’agissait de mettre à exécution l'article 8 de la loi de 1850.

Un homme modéré, quoique très ferme dans ses convictions, un homme dont nous regrettons tous l'absence, l'honorable M. Loos, bourgmestre d'Anvers, prit sur lui et sous sa responsabilité, si je puis m'exprimer ainsi, de résoudre cette difficulté, il négocia et, d'accord avec lui, le gouvernement vient présenter ici un projet qui à cette époque semblait de nature à tout concilier.

Dans cette tentative, l'honorable M. Loos avait joué toute sa popularité. Vous auriez dû lui tenir compte de son dévouement. Qu'avez-vous fait de cet homme qui aurait pu devenir le chef d'un centre gauche ?

Peu de temps après la discussion de la convention d'Anvers, une élection eut lieu et le parti catholique combattit M. Loos avec une énergie incroyable.

- Un membre. - C'est une erreur. Il fut soutenu par les catholiques.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Du tout. Les catholiques le combattirent avec acharnement, j'en fis l'observation à un de mes amis non politique, il me répondit :

« M. Loos est un homme politique, et nous le combattons comme tel, bien qu'il ait posé, un acte très louable ; mais M. Loos est un bourgmestre excellent, et quand il s'agira des élections communales, on lui tiendra compte de ses excellentes qualités. »

Eh bien, messieurs, les élections communales eurent lieu et, dans sa modération extrême, le parti catholique combattit encore M. Loos comme conseiller communal.

Voilà, messieurs, comment vous avez aidé, à toutes les époques, à la formation de centres dans cette Chambre.

Nous avons eu un ministère de centre droit. L'honorable M. de Decker et l'honorable M. Vilain XIIII, deux hommes que la Chambre entière respecte, avaient été chargés de former un cabinet. Qu'est-il arrivé ? Dès que ce cabinet s'est présenté devant la Chambre, presque toute la gauche, ayant dans la loyauté de ces hommes honorables une grande confiance... (Interruption) ... oui, une grande confiance, a dit : « Nous accordons à ce ministère notre concours administratif ; mais nous faisons nos réserves sur la question politique. »

Nous avons bien fait de faire ces réserves, car bientôt ce ministère dut soumettre à la Chambre un projet de loi sur la charité, et nous ne pouvions pas d'avance engager notre adhésion à ce projet de loi. (Nouvelle interruption.)

Je veux constater que nous n'étions pas hostiles à ce ministère de centre droit ; et la preuve que nous ne voulions pas le renverser, c'est que nous l'avons soutenu plus particulièrement contre l'honorable M. B. Dumortier qui m'interrompt pour me dire que nous l'avons renversé ; c'est plus particulièrement contre vous, M. Dumortier, que nous l'avons soutenu, contre vous qui lui étiez hostile ; quand vous attaquiez ce ministère avec une violence extraordinaire, c'était à gauche qu'il recevait des applaudissements et des encouragements. Voilà la vérité. (Interruption.) Oui, vous avez fait à ce ministère une guerre de tous les instants, une guerre implacable.

M. Rodenbach. - Pourquoi nous traitait-il de crétins ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il a été renversé à la suite des élections communales de 1857 ; maïs vous n'avez cessé de le combattre à outrance ; vous l'avez vu tomber sans regret, et la preuve, c'est que vos rancunes n'ont pas encore complètement cessé, c'est qu'après neuf années, vous n'avez pas encore oublie l'appui qu'il avait trouvé sur les bancs de la gauche ; c'est que dans les longues négociations auxquelles la crise ministérielle a donné lieu, les noms des honorables MM. de Decker et Vilain XIIII n'ont pas même été prononcés.

Voilà votre modération dans le passé.

Parlerai-je maintenant de votre modération dans le présent ? Je voudrais pouvoir faire à la Chambre un tableau fidèle de ce qui se passe en ce moment dans quelques arrondissements flamands où, grâce à votre modération, à la modération de vos agents électoraux, on est parvenu à semer la division dans toutes les communes, dans les familles ; où, toujours au nom de la modération, on prêche contre les personnes les plus honorables de la localité ; je voudrais pouvoir vous montrer nos amis politiques inscrits pour ainsi dire sur des listes de proscription ou d'excommunication mineure par le clergé et auxquels le clergé fait même défense aux fidèles de parler.

La division s'étend même aux communes où l'union avait toujours existé auparavant entre le bourgmestre, le propriétaire du château et le curé ; et pourquoi ces haines, ces divisions ? Pourquoi ? Parce qu’on cherche à accréditer dans ces communes, toujours avec modération, les reproches et les accusations auxquels je viens de répondre dans ce discours.

(page 509) Voilà ce qui se passait dans le pays à l'époque des élections ; aujourd'hui cet état de choses est devenu permanent.

Et ce n'est plus simplement dans les chaires de vérité qu'on prêche contre les hommes les plus honorables ; on répand encore des écrits tellement infâmes... (interruption) non pas contre les jésuites... on répand des écrits tellement infâmes contre nous que l'on n'ose pas les signer, que l'on n'ose pas même y placer le nom de l'imprimeur.

Ces brochures circulent dans tous nos arrondissements flamands, et c'est ainsi qu’au nom de la modération, on cherche à égarer l'opinion publique.

Messieurs, ces principes de modération, vous voulez les appliquer également à l'avenir, et c'est dans ce but que vous avez rédigé votre programme.

Ce programme, me direz-vous, est très calme, très modéré ; nous voulons donner une trêve au pays. Quelle trêve !

Mais, messieurs, vous n'y avez pas réfléchi ; car vous auriez dû reconnaître que l'application de ce programme ne pouvait avoir que ce double résultat, d'assurer pour longtemps votre prépondérance dans le pays, et d'autre part de semer partout l'agitation la plus vive qui se soit produite depuis 1830.

Je ne vous dirai rien, messieurs, des articles 3, 4, 5 et 6 du programme, on en a déjà suffisamment parlé. Quant à l'article 7 qui concerne Anvers, un seul mot.

Je comprenais très peu cet article quand je l'ai lu, mais depuis que l'honorable M. Dechamps nous l'a expliqué et que l'honorable M. Delaet a confirmé ses explications, j'avoue que je n'y comprends plus rien du tout.

En effet, que dit cet article ? Il dit : « Nous voulons satisfaire les Anversois, maintenir le système actuel de défense et n'imposer à l'Etat aucun sacrifice. »

Je ne sais pas si la population d'Anvers sera très satisfaite de la promesse qu'on lui fait d'examiner s'il y a lieu d'envoyer cette affaire à une commission d'examen dont le rapport sera soumis à l'examen de l'autorité communale et à l'examen d'une société financière ; que le tout sera ensuite examiné par la Chambre et par le Sénat. Je ne sais pas si cette promesse éventuelle d'examens successifs est bien de nature à satisfaire beaucoup de monde ; car, messieurs, quand tant de personnes sont appelées à examiner, il est bien difficile qu'il règne entre elles un accord parfait, et ordinairement quand on examine tant on conclut très peu.

Mais ce que je saisis moins, c'est que d'une part on veut maintenir le système actuel de défense et que, d'autre part, on annonce l'intention de démolir la citadelle du Nord. Il m'est impossible de concilier ces deux idées, car, de l'avis de tous les officiers supérieurs, la place d'Anvers sans la citadelle du Nord serait une forteresse sans valeur.

Je crois aussi que les propriétaires frappés de servitudes ne seront pas très satisfaits non plus de la solution un peu éloignée qu'on veut donner à leurs prétentions, et il me semble, en outre, que ces mêmes propriétaires, s'ils ont des biens sur la rive gauche de l'Escaut, dans la Flandre, ne seraient pas très satisfaits non plus d'y voir construire de nouveaux forts et de nouvelles enceintes qui y frapperaient également de servitudes leurs propriétés.

Je crois même qu'en pareil cas, mon honorable collègue, M. Van Overloop, qui représente l'arrondissement de Saint-Nicolas, ne manquerait pas de se déclarer très peu satisfait de voir une partie des campagnes de son arrondissement frappée de ces mêmes servitudes qu'il a cherché à écarter de la ville d'Anvers.

M. Van Overloopµ. - Je réclamerais pour elles des indemnités, comme pour la ville d'Anvers.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, mais on vous répondrait : On examinera en temps et lieu ! et en attendant vos électeurs seraient, je crois, très peu satisfaits.

Vous pouvez leur faire croire beaucoup de choses, mais jamais vous ne parviendriez à les convaincre qu'ils dussent se déclarer satisfaits de pareilles promesses.

Enfin, ce qui me paraît le plus extraordinaire, c'est que tout ce que le programme promet à Anvers va s'accomplir sans frais ; j'avoue que je ne comprends nullement cette clause. La nouvelle opération doit coûter 25 millions.

.M. Dechamps. - Non, 15 millions.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Permettez, 15 millions plus 10 millions représentant la valeur des terrains des anciennes fortifications ; une compagnie reprendrait ces terrains et payerait dix millions au gouvernement ; moyennant quoi elle serait substituée aux droits et aux obligations de la ville d'Anvers ; c'est très bien ; mais il resterait toujours 15 militons qui seraient employés aux nouvelles fortifications, car je ne pense pas que la compagnie ait l'intention de vous faire ces fortifications gratuitement. Comment donc pouvez-vous dire que vous réaliserez vos promesses sans sacrifice pour le pays ? (Interruption.)

Vous donnez à la compagnie pour 15 millions de terrains au lieu de 15 millions argent, n'est-ce pas tout à fait la même chose ?

M. Jacobsµ. - La compagnie nous donnera d'autres terrains.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Oui, mais qui n'ont pas à beaucoup près la même valeur ; elle vous donnerait des terrains de peu de valeur en échange de terrains à bâtir. La combinaison peut être ingénieuse, mais elle n'est pas sérieuse.

Vous me permettrez une comparaison un peu banale peut-être, mais exacte. Vous offririez à quelqu'un de lui faire un cadeau, un objet quelconque valant douze francs ; en échange vous réclamez deux sacs de pommes de terre ayant chacun une valeur de six francs ; ce quelqu'un vous demanderait certainement si vous voulez le mystifier en lui offrant pareil cadeau. Eh bien, messieurs, s'il y a quelqu'un qu'où veut mystifier ici c'est le pays ; mais, soyez en convaincus, le pays ne sera pas votre dupe.

Deux mots du programme maintenant et c'est par là que je finirai.

L'article premier est, vous ne pouvez le nier, un acte de défiance évidente contre tous les bourgmestres, contre tous les conseillers communaux du pays. (Interruption.)

Comment ! vous voulez modifier la base actuelle de l'élection ; mais n'est ce pas montrer que, selon vous, tout a été mauvais jusqu'à présent ; n'est-ce pas dire que les bourgmestres et les échevins qui depuis si longtemps gèrent les intérêts communaux, sont indignes de les gérer, plus longtemps ? (Interruption.) Jai tout au moins le droit de dire que vous les mettez en suspicion.

- Voix à droite. – Est-ce ainsi que nous avons agi en 1848 ?

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je ne dis pas ce que l'on a fait en 1848 ; mais je dis ce que vous ferez maintenant si vous arrivez au pouvoir.

Pour la nomination des bourgmestres, vous substituez à la garantie de la responsabilité gouvernementale, quoi ? Un avis de la députation permanente, un avis d'un corps irresponsable, mais où s'infiltrent les opinions politiques et qui sera tantôt libéral, tantôt catholique.

Nous avons vu ce que valent pour les élections les corps politiques : il y a eu une époque où les jurys d'examen universitaire étaient nommés par la Chambre, et il en résultait que lorsque vous étiez majorité vous ne nommiez que des professeurs appartenant à votre opinion. Voilà ce qui arriverait encore dans votre système.

Eh bien, je dis, moi, que les conseils provinciaux n'ont rien à voir en pareille matière, et que les bourgmestres étant, dans une certaine mesure des agents du gouvernement, c'est sur l'avis du gouvernement qu'il doivent être nommés.

Et puis, messieurs, voyez quels inconvénients il y a à avoir dans un collège qui doit être homogène des éléments d'origine différente et souvent hostile, un bourgmestre nommé par le Roi et des échevins nommés par le conseil communal. Si le bourgmestre s'absente, étant membre de la Chambre, comme plusieurs d'entre vous le sont, un échevin prend sa place ; vous aurez pour échevin un homme qui peut se moquer du gouvernement, qui n'en dépend ni directement ni indirectement, que le gouvernement ne peut pas suspendre, qu'il ne peut pas destituer.

M. Wasseige. - Il en est de même de la députation permanente.

M. Mullerµ. - Elle n'administre pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cette double origine peut engendrer des conflits qu'il importe d'éviter. Avez-vous songé qu'en portant votre loi vous devez y ajouter un petit article : la dissolution de tous les conseils communaux, de tous les collèges échevinaux ; vous devez ordonner ces dissolutions et de plus celle des conseils provinciaux !

Ce système est admirablement établi ; je vous en félicite, il a fallu beaucoup d'étude pour le découvrir ; je vous félicite surtout de votre modération, de votre adresse extrême. Votre article 8 demandait la destitution des fonctionnaires politiques et le déplacement des fonctionnaires administratifs qui pouvaient vous gêner, et si vous ne les aviez pas destitués, vous leur auriez inspiré une crainte que vous auriez qualifiée de crainte salutaire, c'est la portée de votre article 8. Vous avez voulu suspendre l'épée de Damoclès sur la tête des fonctionnaires... On régularisait la position des fonctionnaires publics !

Ce n'est pas tout !

Un gouverneur, par exemple, étant déplacé, ses amis se trouvent en désarroi ; on fait alors des élections communales avec un corps électoral augmenté, sous la direction du clergé. Vous éliminez sans bruit (page 510) des bourgmestres, des échevins qui n'appartiennent pas à votre opinion, vous formez des conseils communaux à votre gré ; puis, les conseils communaux renouvelés, vous procédez aux élections pour les Chambres : nouvelle élection pour le Sénat aussi, autre pour les conseils provinciaux, pour les collèges échevinaux et pour les conseils communaux.

Après avoir dissous toutes les assemblées délibérantes, le parti qui se qualifie de modéré s'implantait au pouvoir, où il pouvait vivre assez longtemps, sauf les événements de force majeure.

M. Wasseige. - Evénements de force majeure, c'est un aveu excellent.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je parle d'événements au-dehors.

M. Wasseige. - Oui, au-dehors de cette Chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous interprétez contrairement à ma pensée un mot impropre dont j'ai pu me servir.

Je parle avec assez de calme, cependant un mot peut échapper.

M. Wasseige. - Le mot n'est pas impropre, il est au contraire employé très à propos.

MVDPBµ. - Je comprends votre mécontentement contre les conseils communaux et les administrations communales. Depuis 14 à 15 ans ces administrations ont reconnu que le gouvernement libéral leur était utile, qu'il avait bien fait de multiplier les chemins vicinaux, de les entretenir, qu'il avait bien fait de créer des écoles, et d'améliorer l'enseignement, elles ont compris que la loi de l'abolition des octrois était une source de richesse et de bien-être ; que cette loi a permis de réduire ou de supprimer le système des centimes additionnels, des abonnements, des cotisations personnelles. Les conseils communaux sont donc partisans dévoués du gouvernement libéral, eu dehors de toute opinion politique, c'est pour cela que vous voulez éliminer les bourgmestres et les conseillers eux-mêmes, en dissolvant les conseils communaux après avoir introduit des éléments nouveaux et inconnus. Voilà votre modération.

Ainsi dissolution :

1° Du Sénat ;

2° De la Chambre des représentants ;

3° Des conseils provinciaux ;

4° Des collèges échevinaux ;

5° Des conseils communaux !

Dissolution, à une époque rapprochée, de tous les corps électifs du pays. Vous appelez cela une trêve, de la modération, du calme ; mais c'est provoquer la plus grande agitation qui puisse exister dans le pays. Quand on y songe bien, c'était produire le mouvement le plus grand qu'on eût vu en Belgique depuis 1830.

Messieurs, un dernier reproche a été adressé au gouvernement. On a dit dans cette enceinte : Votre politique est antipathique au pays, elle le mécontente ; craignez de semer la désaffection, la Constitution pourrait avoir moins de prestige, le trône pourrait être moins populaire.

En dehors de cette Chambre, on a été plus loin, on a parlé de 1829 et de Guillaume 1er, de 1789 et de Joseph II.

Je dirai aux membres de cette Chambre qui témoignent ces craintes et ces appréhensions : Rassurez-vous. Depuis 1830, il s'est formé en Belgique une génération vigoureuse qui a pu apprécier tous les bienfaits de la Constitution et les services rendus au pays par le chef vénéré qui préside depuis 34 ans aux destinées du pays. Ces sentiments sont profondément gravés dans tous les cœurs, et ce ne sont pas de mesquines divergences soulevées dans cette Chambre qui pourraient arracher ces sentiments de nos cœurs.

A ceux qui rappellent 1789 et 1828, je répondrai : Vos réminiscences historiques sont un insolent anachronisme et impuissant défi. Je leur dirai : La situation de la Belgique en 1864 n'a rien de commun avec la situation des anciens Pays-Bas autrichiens, elle n'a rien de commun avec la situation des provinces méridionales des Pays-Bas en 1829 et j'ajouterai : Si jamais on osait aujourd'hui songer à attaquer notre Constitution ou à lever une main sacrilège dans la direction du trône populaire, cette jeunesse dont je viens de parler se lèverait tout entière pour défendre ce qu'elle a de plus cher, de plus sacré au monde, sa Constitution et son Roi. (Interruption.)

- La séance est levée à quatre heures et quart.