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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 9 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 489) M. de Moor, secrétaireµ, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres de l’administration communale de Clavier prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

« Même demande des habitants d'Ernouheid. »

-- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Tervueren prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Mayence. »

M. de Macarµ. - Je demande que cette pétition soit renvoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport. La concession du chemin de fer dont il s'agit sera éminemment utile à une bonne partie du pays et notamment à mon arrondissement dont le chef-lieu serait relié directement à la capitale.

Je demande en même temps que la commission comprenne dans son rapport les pétitions du même genre qui ont été adressées antérieurement à la Chambre.

- Cette double proposition est adoptée.


« Le sieur Lietard demande que le coin des maudits soit supprimé dans les cimetières. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1864

Rapport de la section centrale

M. Van Humbeeck présente le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur pour 1864.

Projet de loi ouvrant un crédit spécial de 210,000 francs au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. de Moorµ présente le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit spécial de 210,000 francs au département des travaux publics, pour l'acquisition d'un immeuble destiné à l'installation d'une partie des bureaux de l'administration centrale.

- Ces deux rapports seront imprimés et distribues. La Chambre les met à la suite de l'ordre du jour.

Discussion générale sur la crise ministérielle

M. Orts. - Messieurs, je viens répondre à un discours auquel je m'empresse de rendre immédiatement un éclatant hommage d'admiration. Comme forme et comme talent de parole, comme magie et comme séduction, le discours de l'honorable M. Dechamps me laisse sans force pour lui répondre. Je ne puis pas, sur le terrain où il m'a amené, lutter à armes égales. Une pensée seule me soutient dans l'accomplissement de ce que je considère comme un devoir : la conviction que l'honorable membre avait tout à l'appui de sa thèse, hors une force qui est irrésistible : la vérité.

L'honorable membre a fait preuve hier d'une grande habileté ; il s'est placé sur le terrain qu'il choisissait, en ayant l'air d'y suivre ses adversaires placés partout ailleurs et défendant d'autres idées que celles que l'honorable membre réfutait.

Ainsi, messieurs, pour aborder immédiatement une des parties les plus remarquées du discours que nous avons entendu, lorsque l’honorable M. Dechamps a repris les paroles par lesquelles mon honorable ami, M. le ministre dis finances, avait terminé son discours, ces paroles, dans lesquelles il exprimait la pensée que l'arrivée au pouvoir du parti catholique, avec les doctrines que venait d'exposer et de combattre M. le ministre des finances, serait un danger pour le pays.

L'honorable M. Dechamps a feint de croire que M. le ministre des finances redoutait, de la part d'un cabinet pris dans les rangs de la droite, appuyé par une majorité de la droite, redoutait des violations de notre Constitution, des suppressions des libertés qu’elle consacre, des atteintes (deux mots illisibles) pacte fondamental, et l’honorable membre s’est mis à protester au nom du dévouement qui l’anime et qui anime ses amis pour notre Constitution, pour tout ce qu’elle nous a donné, sans distinction d’opinion et de parti, de liberté, c’est-à-dire de moyens sans propagande et de moyens de défense.

Le danger que signalait M. le ministre des finances n’était cependant pas là où l’honorable M. Dechamps a voulu le croire. Ni l'honorable M. Frère, ni personne ne croient qu’il serait au pouvoir du cabinet de la droite, si habile que fût son chef, de mettre en péril notre Constitution, de la supprimer, de la mutiler. Il y a, pour défendre la Constitution dans le pays les mêmes forces qui ont réussi à nous la donner malgré de plus puissants ennemis.

Mais un danger existe ; ce danger est plus haut que la Constitution, ce qui menace remonte à une époque antérieure à 1831. Le danger d'un programme, pratiqué au pouvoir, tel que le réfutait M. le ministre des finances, ce danger-là, messieurs, existe pour des institutions, pour des idées, pour des conquêtes de la civilisation et des progrès que la Constitution du 1831 n'a pas révélées, mais qu'elle s'est bornée à proclamer et à développer.

Pour vous montrer, messieurs, où, selon moi, est le danger et le péril, permettez-moi, au risque de paraître aller un peu loin dans la voie des explications rétrospectives où cependant tant d'autres m'ont précédé, permettez-moi de remonter où je crois qu'est l'origine des luttes et des divisions qui aujourd'hui nous séparent.

Pendant de longs siècles, la société civile et la société religieuse, confondues en une seule, ont marché dans la voie du progrès, dans la voie des améliorations sociales. Dans cette fusion des deux sociétés, la société religieuse jouait le rôle actif, le rôle principal : elle guidait, elle conduisait, elle exerçait sur la société civile une sorte d'autorité de père de famille, une véritable tutelle.

Loin de moi, messieurs, l'idée de prétendre que cette direction par voie d'autorité ait toujours été fatale à la civilisation et au progrès ; je reconnais volontiers que par l'Eglise de grandes choses ont été faites et que nous recueillons aujourd'hui beaucoup d'excellents faits que l'Eglise a semés.

Mais il y a, dars la vie de l'humanité comme dans la vie des individus qui la composent, des périodes où il est nécessaire que toute tutelle vienne à cesser. De même que la direction qu'imprime à l'homme l'autorité paternelle dans les premiers temps de son existence est chose bienfaisante, indispensable même, de même il arrive un moment où l'homme devient majeur, où il s'émancipe, où il doit se gouverner seul comme c'est devenu son droit de le faire.

La société civile a vu arriver pour elle l'heure de la majorité politique, l'heure des droits ; cette heure, c'est 1789. A partir de cette date solennelle, elle a compris que la tutelle sous laquelle elle avait vécu devait cesser.

Mais la société sentit le même jour aussi qu'elle ne conserverait ses droits et sa liberté d'allure, si ce n'est en brisant les deux grands instruments qui jusqu'alors avaient donné à l'Eglise la haute direction des affaires sociales.

On comprit qu'il y existait aux mains de l'Eglise un instrument de haute domination, tout-puissant dans l'ordre moral, un autre non moins puisant dans l'ordre matériel.

Le premier de ces instruments, l'Eglise s'en était emparée, dans tous les pays, et sans distinction de cultes. Toutes les Eglises d'Etat, toutes les Eglises exerçant un pouvoir politique l'ont saisi, l’exercent ou le convoitent.

L'Eglise catholique le possédait en France, en Belgique et ailleurs à l'époque que je viens de rappeler.

C'était la direction complète, le monopole de l'éducation publique.

Un grand philosophe a dit : Celui qui tient entre ses mains l'éducation tient le monde. L'Eglise le savait, la société civile a brisé cet instrument à l'aide duquel était assurée la domination sur les intelligences. 1789 a sécularisé l’enseignement.

L'instrument de domination matérielle c'était la position privilégiée de l'Eglise et des corporations qui en dépendent, comme propriétaires ; et leur intervention exclusive, comme dans l’enseignement, dans un grand nombre de services publics.

L’Eglise, comma autorité, tenait en mains les institutions destinées à desservir les plus importants des intérêts sociaux.

La société civile a brisé ce deuxième instrument comme le premier ; comme elle avait sécularisé l’enseignement elle a sécularisé la charité et le temporel des cultes en chargeant l'Etat de pourvoir aux nécessités de tous les cultes quels qu'ils fussent, d'entretenir les temples et de donner aux ministres la position honorable qu'ils doivent posséder.

(page 490) La société civile, après avoir déblayé le chemin, devait changer la position de l’Eglise ; l’Eglise, propriétaire privilégié perpétuel, devait perdre cette situation qui n’avait plus sa raison d’être, la mainmorte a été supprimée.

Telle est la position nouvelle faite à l’Eglise par 1789. Mais cette situation que la société civile a créée, et qu'elle veut, qu'elle doit maintenir, la société religieuse ne l’a pas considérée comme un bien. Dès lors, l’Eglise devait croire qu'il était de son devoir de reconstituer ce qui avait été détruit.

En effet, c'est sa conviction qu'après avoir à l'aide de ces instruments conduit le monde dans la voie de la civilisation et du progrès, elle est toujours plus apte que personne, seule apte à conduire dans la même voie la société entière.

Si l'Eglise a cette conviction, elle doit vouloir reprendre les instruments qui lui ont été enlevés.

Elle ne peut pas les abandonner volontairement. Elle manquerait, si elle le faisait, à ce qui est pour elle une obligation de conscience, elle ne l'a pas fait.

Aussi avons-nous remarqué que partout où le souffle de 1789 a balayé les anciennes institutions et les vieilles prérogatives, il s'est immédiatement opéré un travail de patiente persévérance, semblable à ce travail de l'araignée qui, après l'orage, refait les fils de sa toile ; le but de ce travail, jamais abandonné, est de reconquérir la haute direction de l'enseignement et le pouvoir matériel que détenait, à titre d'autorité chargée des grands services sociaux, le clergé dans l'ancien ordre de choses.

Mais alors parmi ceux qui poursuivaient cette idée, qui la poursuivent, je ne saurais trop le dire, car c'est ma conviction, parce que le but qu'ils veulent atteindre est, à leurs yeux, un but honnête, un but saint même, il s'est formé deux opinions, deux partis. On s'est divisé sur les moyens.

Les uns plus pressés, plus impatients, plus téméraires, ayant conservé plus vivaces les préjugés e,t les idées des anciens jours, ont cherché à reconstruire le passé par voie d'autorité et en s'appuyant sur les principes de l'absolutisme. Ils n'ont pas réussi. Ils ont conduit, là où ils ont tenté leurs expériences, les gouvernements à leur perte.

Ils ont perdu les premiers Bourbons en Franco. Ils ont livré successivement le midi de l'Europe à la révolution, amené dans l'Italie entière l'état de choses que nous voyons aujourd'hui. Ils ont compromis, jusque dans Rome même, la solidité du gouvernement temporel.

A côté de ce parti inintelligent et qui a fait à l'Eglise le mal que je rappelle, il s'est trouvé une génération de fils soumis, plus intelligente et plus au courant des idées au milieu desquelles elle était appelée à vivre. Celle-là a demandé, non plus aux idées d'absolutisme, mais à la liberté les moyens de refaire ce que la liberté avait détruit ; elle a demandé à la liberté de se retourner contre elle-même et elle a cru qu'elle rendait un service à l'humanité.

C'est à ce parti qu'appartiennent ceux qui protestent aujourd'hui, sur vos bancs et dans vos journaux, de leur attachement sincère à tout ce qu'a fondé en Belgique la Constitution de 1831.

Mais ce parti, dont je reconnais la loyauté et les droites intentions, commet une faute et la voici. Il va demander la définition de la liberté aux autorités qui appuient les doctrines du parti que j'esquissais tout à l'heure. Il va demander ce qu'il faut entendre par la liberté telle qu'elle est inscrite dans notre libérale constitution à ce que l'honorable M. Dechamps appelle les théories du congrès de Malines.

J'ai dit la différence entre les deux partis catholiques. La différence entre le parti que je veux seul combattre ici et nous libéraux, quelle est-elle ?

Pour nous, la liberté c'est le but. C'est une chose que nous aimons pour elle-même. Nous ne nous préoccupons pas en lui rendant hommage, en cherchant à la développer, de savoir ce que son extension la plus large pourra produire pour nous, pour nos doctrines de bon ou de peu favorable.

Nous aimons, je le répète, la liberté pour elle-même. Nos adversaires voient dans la liberté le moyen de reprendre ce que leur opinion a perdu.

Ils l'aiment comme un moyen, comme un moyen honnête, mais ils l'aiment comme un moyen.

Vos prétentions compromettent, vous le voyez, bien autre chose que la constitution de 1831. Elles compromettent les conquêtes de l'esprit moderne depuis près d'un siècle.

C'est là contre, messieurs, que nous résistons ; c'est contre ce danger que nous devons mettre le pays en garde.

Voulez-vous la preuve que je ne me trompe pas dans mes appréciations ? Je pourrais prendre des exemples, à l’appui de ma thèse dans des ordres d’idées bien différents et je pourrais être, sous ce rapport, très long et très ennuyeux, ce qui ne ferait ni mon compte ni le vôtre. Je me borne à me placer en face des deux libertés qui ont également attiré plus particulièrement que les autres l’attention de l’honorable M. Dechamps : la liberté de l’enseignement et la liberté de la charité.

La liberté d'enseignement, d'après vous, qu'est-ce qu'elle comporte ? Non pas seulement, comme nous l'admettons et comme nous le pensons, le droit d'aller prendre tel enseignement qu'il plaira à un maître quelconque de vous offrir, si cet enseignement vous convient, et le droit pour tout maître d'offrir son enseignement.

Non, la liberté de l'enseignement, pour vous, consiste à vouloir que l’enseignement soit dirigé, au moins de fait sinon de droit, par ceux que vous croyez les meilleurs maîtres, les seuls bons. Vous n’admettez pas qu’il y ait un bon enseignement ailleurs que le vôtre et vous ne pouvez pas d’admettre.

La liberté de l'enseignement, c'est donc le moyen pour vous de reprendre, comme on le disait très franchement au congrès de Malines, dans ses théories si éloignées de la pratique, d'après l'honorable M. Dechamps ; la liberté d'enseignement, c'est le moyen de reprendre d'une façon universelle l'enseignement catholique, l'enseignement fondé sur les seules vérités que vous reconnaissez.

La liberté de la charité, pour vous, ce n'est pas le droit de donner à qui vous voulez donner ; ce n'est pas le droit de partager exclusivement vos aumônes entre tel ou tel pauvre que vous croyez le mieux les mériter à raison de ses misères, de ses doctrines, de ses croyances ; ce n'est pas le droit de secourir.

C'est le droit de fonder, c'est-à-dire le droit de reconstituer, pour ceux que vous chargez de veiller aux nécessités sociales de la charité et d'y pourvoir, cette faculté de posséder, cette faculté d'éterniser la possession que 1789 leur a enlevée. Vous voulez retrouver, sous le prétexte de la charité, le second instrument de domination dont je parlais, la possession de la richesse la plus importante et la plus solide dans la société, la richesse territoriale.

Et ne croyez pas que je vous en blâme. Car je crois être convaincu que vous pensez rendre service à la société en le faisant ; mais vous vous trompez ; et il serait dangereux pour nous, qui avons la conviction de votre erreur, de la laisser partager par d'autres.

Aussi voyez comme on procède. Il y a, pour défendre la société civile contre la restauration de la position que convoite la société religieuse, il y a une incarnation de cette société civile ; il y a un être particulièrement destiné à la représenter, quoique être de fiction, si vous le voulez, n'ayant rien de matériel ; c'est l'Etat. Vous savez très bien quand vous voulez reprendre, par exemple, la position perdue dans l'enseignement, la haute direction des intelligences dans la société, que l'initiative privée, qui n'est pas organisée comme vous, ne peut être un obstacle sérieux ; mais vous savez aussi qu'il y a l'Etat, être perpétuel et organisé comme l'Eglise, vivant comme elle, et vous comprenez que là est votre véritable adversaire, le véritable obstacle à votre envahissement.

Aussi, êtes-vous au pouvoir, que faites-vous ? Vous amoindrissez le pouvoir de l'Etat dans ses attributions, dans ses prérogatives, là où il est un obstacle à l'Eglise, et lorsque vous redevenez opposition, que ce pouvoir que vous avez affaibli est possédé par vos adversaires, vous l'attaquez désarmé par vos mains, au nom de la liberté.

C'est à cet ordre d'idées qu'appartient toute la partie politique de votre nouveau programme ; et je vous le montrerai : c'est à cet ordre d'idées qu'appartient tout votre passé politique.

Oui, je ne l'avance pas sans preuves, et sans vouloir, je le répète, faire trop d'histoire contemporaine à l'appui de ce que j'entends démontrer, permettez-moi de rappeler la conduite de la droite en matière d'enseignement depuis le jour où la liberté de l'enseignement est devenue le patrimoine de la société belge, et vous allez voir si cette politique traditionnelle que je vous indiquais, affaiblir l'Etat lorsqu'on est au pouvoir, et attaquer le pouvoir lorsqu'on est dans l'opposition au cri de vive la liberté, n'est pas la politique continuellement pratiquée.

En 1830, la liberté d'enseignement est inscrite dans la Constitution. Le gouvernement, après les premières préoccupations révolutionnaires, passe aux mains de la droite. Croyez-vous qu'on va songer à doter le pays d'un enseignement complet ? Croyez-vous que l'on va mettre la société civile, sur le terrain de l'enseignement, en possession d'armes suffisantes pour éclairer les masses sans distinction de croyance ? Non. L'enseignement supérieur, largement et fortement organisé sous le gouvernement des Pays-Bas, est, immédiatement après la révolution de 1830, amoindri, détruit, désorganisé.

Il existait un nombre trop considérable d'universités de l’Etat, je le veux bien.

(page 491) Mais que devaient accomplir de vrais amis du développement des lumières ? Pour l’enseignement supérieur, concentrer, fortifier.

On a divisé, amoindri ; on a laissé subsister les trois universités parce qu’elles se livraient concurrence, on a supprimé des facultés dans chacune.

Ce n’est que pressé par des besoins locaux, auxquels la nécessité politique commandait au ministère de la droite de satisfaire, qu’on a songé après dix années à reconstituer l’enseignement par le haut, alors que si l’on voulait le bien de l’enseignement pour l’enseignement lui-même, il fallait réorganiser d’abord par la base.

En 1831, l’enseignement, primaire était l’objet de répugnance et de prévention fâcheuse.

Il avait été implanté (quelques mots illisibles) par les mains d'un pouvoir hostile aux idées que la révolution avait fait prévaloir. L'enseignement primaire entaché d'un soupçon de dévouement au régime qui venait de tomber et d'hostilité au régime nouveau est livré au plus coupable abandon.

Ce qui avait été fait de bon pour le développement de l'instruction primaire, on l’a laissé déchoir. On ne fait rien pour maintenir ni relever. Il a fallu douze année de réclamations, douze années d'un état de choses déplorables, et il a fallu un homme à l'immense talent duquel l'honorable M. Dechamps rendait hier un hommage auquel je m'associe, il a fallu un homme essentiellement gouvernemental avant tout, l’honorable M. J.-B. Nothomb,, pour proposer une loi organique de l'enseignement primaire en Belgique ! Jusqu'à lui confusion, anarchie, absence d'instruction dans la plupart de nos communes, les communes faisant ce qu'elles voulaient et le gouvernement ne donnant rien ou presque rien soit pour les aider à pourvoir aux besoins de l’enseignement moyen, sait pour les récompenser d'y avoir pourvu.

Reste l’enseignement moyen, l'enseignement moyen organisé. Là la concurrence est plus facile pour ceux qui sont les adversaires-nés de l'Etat sur le terrain de l'instruction, on n'a garde d'y toucher sous le règne de la droite.

Il a fallu attendre l'arrivée d'un ministère de la gauche au pouvoir. Ce n’est qu'en 1850 que l’enseignement moyeu a été organisé.

Et cependant dans cette longue période, combien de fois la droite qui était au pouvoir, combien de fois la droite a-t-elle accompli son devoir le plus impérieux de doter le pays d'un enseignement complétement indépendant de toute espèce d’influence religieuse, de toute espèce d'influence de parti ? Rien n'a été fait. Pourquoi ? Parce qu'il fallait amoindrir le pouvoir de l'Etat dans l’enseignement, lorsqu'on le tenait, afin qu'il fût d’autant plus faible entre les mains de ses adversaires.

Même politique sur un autre terrain.

Vous parlez aujourd’hui bien haut de liberté communale ! En matière de liberté communale le même système a été perpétuellement suivi par vous. L'honorable M. Dechamps disait : De 1842 à 1864 il s'est écoulé de longues années et il est permis à un homme politique de modifier ses idées dans un aussi long laps de temps.

Je n'entends pas le moins du monde reprocher à 1 honorable M. Dechamps une conversion quelconque ; j'admets que c'est son droit et je vois avec plaisir un homme mieux éclairé avoir le courage de rétracter ses erreurs de la veille au profit de ses convictions vraies d'aujourd'hui ; mais ce qui n'a jamais changé, encore une fois, c'est le désarmement du pouvoir communal lorsqu'il luttait contre vous.

Vous, pris aujourd'hui d'une immense passion pour la liberté communale, - nous verrons plus tard si elle est bien sincère, - qu'avez-vous fait lorsque la commune ne marchait pas avec vous ?

N'avez-vous pas restreint, autant que possible, l'autonomie communale, l’indépendance communale, pour arriver à empêcher l'émancipation de toutes les communes où vous n'espériez pas dominer par l'influence électorale ? Sans doute vous avez fait des réformes communales, vous avez même organisé la commune en 1836, mais partout et toujours vous avez fait tout ce que vous pu pour amoindrir l’indépendance des grandes communes.

Il n’y a pas eu une mesure prise par vous en 1842, lors de votre première réforme, qui ne fût dirigée contre les grandes villes. Une de vos réformes communales ne s’adressait qu’à des esprits assez éclairés, assez intelligents pour comprendre ce qu’ils avaient à défendre et pour défendre ce qu’ils avaient compris.

Lorsque vous avez demandé à modifier le mode de nomination du bourgmestre au profit du pouvoir central, lorsque vos amis, allant plus loin que vous, demandaient que le bourgmestre fût toujours nommé par le Roi en dehors du conseil, contre qui était dirigée cette réforme ? Invoquiez-vous, pour les justifier, les nécessités administrations qui, dans quelques (quelques mots illisibles- pour permettre la composition d’un collège communal éclairé et capable pris tout entier dans le conseil ?

Lorsque vous avez fractionné les collèges électoraux des communes, pourquoi l'avez-vous fait ? Vous l'avez franchement avoué : pour faire entrer l'élément de la minorité dans les conseils communaux, donc pour ne pas permettre à la majorité d'exercer seule de l'influence dans la commune ; pour ne pas permettre à cette majorité d'être souveraine et de gouverner selon la volonté de la majorité du corps électoral. Et vous voulez aujourd'hui que cette même majorité dicte le choix des membres du collège î

Celte politique traditionnelle du parti catholique explique autre chose encore. Hier, l'honorable M. Dechamps, protestant avec autant de force que de talent contre l'accusation de n'être pas suffisamment dévoués, lui et son parti, à toutes nos libertés constitutionnelles, faisait autour de nous en Europe et même en Amérique un voyage de découverte.

Il en rapportait ce qu'il croyait les preuves à l'appui de sa thèse et déroulait sous nos yeux un magnifique tableau.

« Partout, s'écr'ait l'orateur, partout, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, nous sommes du côté libéral, nous appuyons les doctrines libérales : nous sommes des libéraux en Angleterre ; nous sommes des démocrates eu Amérique ; nous sommes des républicains en Suisse, nous sommes des martyrs on Pologne. » J'admire autant que l'honorable M. Dechamps la conduite du peuple et du clergé catholique en Pologne ; ils ont toutes mes sympathies ; mais que l'honorable membre me permette de lui dire que si le clergé et le peuple catholique polonais tiennent une conduite que j'admire sincèrement, il y a à côté des catholiques polonais qui meurent pour la nationalité, plus encore que pour la foi, il y a des libéraux, il y a des israélites, et il y a des protestants tombant sur le même champ de bataille et pour la même cause.

Oui, vous êtes des démocrates en Amérique ; oui, vous invoquez la liberté avec les libéraux en Angleterre ; oui, vous êtes des républicains en Suisse. Mais l'honorable M. Dechamps, dans son voyage autour du monde, s'est arrêté trop tôt en chemin, et sa démonstration laisse un peu à désirer...

Vous êtes des libéraux en Angleterre ; vous y invoquez la liberté avec les libéraux. Pourquoi ? Parce que la liberté est le seul moyen, et en même temps le moyen le plus efficace que vous puissiez employer pour parvenir à faire prédominer dans la société civile anglaise vos croyances et vos intérêts.

Quoi d'étonnant que partout où, comme en Angleterre, vous vous trouvez en face d'une Eglise intolérante et dominant dans l'Etat, d'une Eglise d'autorité qui n'est pas la vôtre, vous criez alors : « Vive la liberté ! »

Quoi d'étonnant qu'en Amérique, pays ultra-démocratique, où domine par le nombre une autre croyance que la vôtre, vous invoquiez à votre tour la liberté ?

Mais où vous auriez dû nous montrer la liberté, défendue par vous, c'est là où vous êtes les maîtres. Montrez-nous donc un seul pays où investis de l'autorité, de la toute-puissance politique, où vous ayez implanté la liberté en vertu de cette souveraineté populaire à laquelle vous rendez hommage partout ailleurs.

Je vous comprendrai, je vous croirai lorsque vous viendrez me montrer la Constitution belge octroyée à Rome par le gouvernement temporel du pape !

Lorsque vous me montrerez qu'à Rome la liberté de l'enseignement est pratiquée comme elle est pratiquée en Belgique ; lorsque vous me montrerez à Rome la liberté d'association comprise et pratiquée comme elle l'est en Belgique, c'est-à-dire la liberté d'enseigner publiquement pour les universités libres comme pour les universités catholiques, la liberté de s'associer pour les couvents à droite, pour les loges maçonniques à gauche, tout cela au plein jour, sous l'œil bienveillant du gouvernement.

Lorsque vous me montrerez ce suffrage universel, que vous réclamez, vers lequel tout au moins vous tendez, pratiqué à Rome et décidant cette grande et redoutable question da la forme du gouvernement, de l'intervention de la souveraineté nationale dans la direction des affaires publiques ; lorsque vous me montrerez qu'à Rome on soumet au suffrage universel la question du pouvoir temporel, alors je n'aurai plus de crainte, dans l'avenir, de votre parti et des doctrines que vous défendez. (Interruption.)

Mais, messieurs, là où les gouvernements n'ont rien de libéral, là vous n'appelez pas la liberté ; là, au contraire, vous appuyez un (page 492 gouvernement qui donne, au XIXème siècle, le triste spectacle de vivre dans son pays comme gouvernement politique, malgré l'opinion publique, malgré les vœux de la souveraineté nationale, de vivre sous la protection des baïonnettes et par l'aumône de l'étranger. (Interruption.)

M. Schollaert. - Je demande la parole. (Interruption.)

M. Orts. - Je disais, messieurs, qu'à cette politique traditionnelle, qui tend toujours à se débarrasser de l'obstacle qu'on appelle l'Etat, c'est-à-dire la représentation, l'incarnation de la société civile, qu'à cette politique appartiennent vos réformes d'aujourd'hui et ce programme que moi, partisan d'une réforme électorale sur le terrain où vous nous appelez, je suis heureux d'avoir vu repousser et je bénis la main qui ne l'a point signé.

Examinons.

Et d'abord l'honorable M. Dechamps m'arrête pour me dire : Ce programme, vous n'avez pas le droit de le discuter ; c'est obligeance pure de notre part si nous le défendons. Où a-t-on vu discuter dans un parlement le programme d'un ministère qui n'est pas né, un programme qui n'a point été accueilli par la Couronne, qui n'est pas dans le domaine pratique ?

Et l'on nous cite des paroles prononcées par l'honorable M. Rogier en 1846, qui a émis cette opinion.

Si votre programme était un programme mort-né, si ce programme ne devait aboutir à aucune espèce d'épreuve pratique, votre langage serait parfaitement autorisé.

Mais vous oubliez comment vous-même vous posez la question ; vous oubliez que depuis huit jours, de tous vos bancs part cet appel adressé aux nôtres : Faites donc la dissolution sur notre programme, et le pays nous jugera ! Ah ! vous voulez que le pays juge votre programme et que nous ne le discutions pas !

Et vous croyez que nous allons vous laisser présenter au pays ce programme avec son masque démocratique, sans avoir montré ce qui se cache sous ce masque ? Ce serait vraiment plus que de la naïveté de notre part et je ne crois pas, si bons que nous soyons, que nous vous ayons jamais habitués à de pareilles naïvetés.

Nous discuterons et nous devons discuter votre programme, précisément à cause de cet appel au pays que vous faites, vous les premiers, sur votre programme.

Ce qui, par parenthèse, me permet de vous adresser un reproche ou plutôt de vous soumettre une remarque que vous n'avez pas faite vous-mêmes. Elle concerne le caractère dangereux, j'allais presque dire révolutionnaire, du procédé que vous employer pour faire passer votre programme de spéculation dans le domaine de la pratique.

Quoi ! vous provoquez aujourd'hui le pays à se prononcer sur un programme qui n'a pas été accepté par la Couronne, et puis vous viendrez ici, avec de grandes phrases, nous jeter à la tête le reproche de compromettre la prérogative royale par l'usage qui a été fait du pouvoir par le ministère.

Dans cet ordre délicat d'idées, n'y a-t-il pas un bien plus grand danger (je veux rester modéré dans mes expressions) à appeler, comme vous le faites, le pays à se prononcer par voie de la dissolution sur un programme refusé, qu'il n'y en a eu à faire les nominations des bourgmestres que vous avez reprochées hier au ministère actuel ? N'est-il pas évident que par votre appel vous provoquez le pays à dire que vous aviez raison de vouloir gouverner comme l'énonce votre programme et qu'on a tort de vous refuser le gouvernement ?

M. Coomans. - C'est vrai !

Voix à droite. - C'est certain ; est-ce que le pays n'est pas souverain ?

M. Orts. — Très bien ! Nous faisons de la pure théorie constitutionnelle : j'accepte l'interruption et j'y réponds. Voyons. Le pays est souverain, je l'admets et je comprends qu'on l'appelle à se prononcer sur un ace de la prérogative royale, contresigné par un ministre et qui ne peut pas s'exercer sans sa participation. J'admets parfaitement cela. Mais un instant ; ce n'est point là ce que vous faites : vous demandez non pas qu'on refuse à la couronne couverte par le ministère un concours que la couronne réclame. Vous demandez que le pays se prononce sur les conditions que vous avez faites à la prérogative royale et qu'elle a refusées. Voilà le danger. (Interruption.) Oui, voilà le danger et pour peu que vous y réfléchissiez, vous le comprendrez aussitôt en mesurant les conséquences de votre acte.

La dissolution se fait, et elle vous donne raison ; et alors ? De deux choses l’une : ou votre programme sera accepté ou il ne le sera pas. Avez-vous réfléchi à ces deux éventualités ? (Interruption.)

Jamais, en aucun pays parlementai une dissolution ne s’est produite par laquelle on demandait au pays de se prononcer sur les conditions d’avénement ministériel non acceptées par la couronne. A une époque fatale au prestige si nécessaire au gouvernement monarchique, une tendance s’est faite pour imposer à la couronne une volonté étrangère. Mais cette tentative est restée purement parlementaire, elle n’est pas sortie de l'enceinte de la Chambre pour aller au-dehors éveiller les passions populaires et jeter le pays dans le conflit.

Un jour, dans un pays voisin, la chambre a voulu imposer au chef de l’Etat l’appel au pouvoir de ministres dont la présence lui déplaisait. Vous vous souvenez sans doute de cette fameuse coalition qui, unissant dans une opposition communale MM. Guizot, Thiers et Odilon Barrat, a compromis sans retour le prestige de la royauté en France, qui, dès ce jour, a fait entrevoir aux amis du régime monarchique les événements de 1848 et préparé l'abaissement personnel de Louis-Philippe ! Si c'est là que vous voulez en venir, je vous en laisse volontiers toute la responsabilité.

J'aime mieux croire, messieurs, que vous n'avez pas réfléchi au jeu que vous jouez, en provoquant le pays à se prononcer entre vous et la couronne. (Interruption)

Je dis que vous n'avez pas réfléchi au jeu que vous jouez, car votre coup porte un nom et un nem parfaitement connu ; cela s'appelle échec au Roi !

M. Coomans. - Est-ce que le ministère a encore une fois donné sa démission ? (Interruption.) Si nous avons encore des ministres, ils sont responsables.

M. Orts. - Ah ! si vous demandiez à faire juger par le pays un acte ministériel, je le comprendrais ; mais vous demandez au pays de décider que votre programme est bon, qu'il le faut accepter, et ce programme n'a rien de commun avec la conduite et les actes des membres du cabinet. (Interruption. )Les membres du cabinet n'ont pas demandé au pays de se prononcer entre leur conduite et votre programme. (Nouvelle interruption.)

.M. Dechamps. - Et ils l'ont fait refuser !

M. Orts. - Ah ! ils l'ont fait refuser. Où est votre preuve ? Ils acceptent la responsabilité de la situation que le refus a faite et je m'associe parfaitement à eux pour en supporter le poids. Mais vous ne demandez pas au pays de juger le cabinet actuel par la dissolution.

- Voix à droite. - Si ! Si ! (Interruption.)

M. Orts. - Je comprends que cela vous gêne. (Interruption.)

MpVµ. - N'interrompez pas.

M. Orts. - M. le président, laissez, je vous prie, m'interrompre ; je répondrai aux interruptions, cela ne me dérange en aucune façon et ce sera plus court.

Vous dites que cela ne vous gêne pas ; si cela ne vous gênait pas, si cela vous était indifférent, pourquoi vous récriez-vous ? je me trompe ? Le bon sens public rectifiera.

M. Rodenbach. - Ce n'est pas constitutionnel.

M. Orts. - Je suis très constitutionnel en montrant les périls que vous faites naître. Je reviens d'ailleurs au programme lui-même.

Messieurs, vous demandez au pays de juger ce que vous avez la prétention d'appeler la réalisation d'une réforme démocratique, vous voulez doter des classes que le régime actuel écarte du contrôle des affaires publiques. Vous prononcez deux mots sonores destinés à séduire la faveur populaire. Ils m'ont séduit moi-même aussi longtemps que je n'ai pas reconnu ce que les mots « réforme électorale, admission de classes plus nombreuses de citoyens à la discussion des affaires publiques » cachaient de peu démocratique.

L'admission d'un plus grand nombre de citoyens au maniement des affaires publiques me va très fort. Mais dans quel but la voulez-vous ? Quels sont vos moyens pratiques de réforme ? De quels citoyens réclamez-vous la participation au mouvement électoral ?

Qu'est-ce aussi que votre réforme communale ?

Je ne vois dans cette réforme et je la prends la première, parce qu'elle est plus facile à discuter, dans votre réforme communal, je ne vois rien que la reproduction de ce système qui je rappelais tantôt ; de ce système si vieux, qui consiste à amoindrir le pouvoir communal là où il vous déplaît, pour le combattre plus facilement.

En matière communale, pour la composition des administrations, je connais deux systèmes logiques et je les comprends également, mais je ne comprends pas création mixte, empruntant à l’un et à l’autre système une combinaison disparate, qui ne profite à aucun des intérêts engagés dans la question.

Je conçois que, dévoué sans réserve aux libertés communales, ne tenant pas compte des positions faites aux chefs des administrations (page 493) communales par notre organisation de la commune, on se prononce pour l’élection directe des bourgmestres et des échevins. Cela peut être dangereux ; mais c'est logique.

A côté des dangers, surgissent d'énormes avantages ; lors de l'organisation de 1836, cette idée s'est produite, elle pouvait se produire d'autant mieux qu'elle avait été pratiquée quelques années auparavant eu Belgique et non sans succès.

Ce n'est pas là ce que vous voulez. Vous proposer d'enlever au Roi en partie la nomination des bourgmestres et pour le tout celle des échevins. Est-ce pour la rendre au peuple par hasard ? Non, vous vous en gardez bien. C'est pour la placer exclusivement entre les mains d'une majorité d'élus ; pour substituer à l'élection directe, la seule logique, la seule démocratique, la seule vraie, l'élection bâtarde à deux degrés. Vous dépouillez la couronne d'une prérogative au profit d'une coterie, d'une majorité d'élus souvent le fruit d'une coalition d'intérêts de famille ou d'intérêts moins respectables encore ; et cela dans un pays où le mandat de conseiller communal est si facile à conquérir dans les petits collèges, à l'aile de ces influences mauvaises, plus facile à conquérir que vous aurez appelé un plus grand nombre d'électeurs dépourvus d'indépendance matérielle, dépourvus de l'intelligence nécessaire pour contrôler efficacement la gestion de leurs mandataires.

Vous donnez cela dans un pays où l'administration centrale n'est représentée au sein des communes que par les administrateurs communaux.

Vous oubliez de compléter votre réforme en plaçant en face de ces administrateurs exclusivement communaux par leur origine, l'équivalent des gouverneurs dans notre organisation provinciale, pour sauvegarder au moins les intérêts généraux.

Vous oubliez que le mandat de conseiller communal est l'un des plus longs mandats politiques et qu'un long exercice du pouvoir n'est jamais favorable à la liberté.

Vous ne demandez pas s'il y a moyen, en présence de ce fait grave, d'empêcher les élus d'une coterie amenés par surprise au gouvernement, de mal gouverner pendant de longues années. Si du moins vous apportiez comme contre-poids un droit de dissolution des conseils communaux comme il y a le droit de dissolution des Chambres quand on croit y voir une majorité ne représentant plus l'opinion publique !

Rien de tout cela dans vos projets.

Votre prétendue réforme, je le répète, amoindrit, sans profit pour personne, la prérogative royale exercée au moins sous le contrôle des Chambres et cela sans que le peuple en profite. Pareille conception n'a rien de démocratique. Je repousse un système qui loin de s'appuyer sur la confiance dans le peuple fait appel à l'esprit de coterie.

Votre réforme électorale ? Son caractère est difficile à définir, j'en conviens, lorsque l'on n'a pas quelque chose de plus précis à cet effet que les explications contenues dans te discours de M. Dechamps ou le texte primitif de son programme.

Il faut, pour le traduire au pays et lui donner son sens exact, un commentaire qu'on aurait voulu écarter du débat. Ce sont ces chiffres éloquents dent le ministre des finances a parlé, dont M. Dechamps ne s'est occupé que pour les reléguer dans l'ombre. Que prouvent ces chiffres ? Que votre réforme consiste à abaisser le cens pour les élections communales, en maintenant un cens différentiel entre les communes, suivant l'importance de la population ; qu'en déterminant le cens électoral, vous l'abaissez à un chiffre des plus minimes, sans garantie aucune da capacité, de moralité dans les petites communes du pays, et vous maintenez un cens presque triple pour les communes placées au haut de l'échelle de population. Vous maintenez le cens à 25 francs dans les communes possédant plus de 15,000 âmes, tandis que vous l'abaissez à 10 francs dans les communes au-dessous de 2,000 âmes.

M. Coomans. - C'est la proportion de la loi actuelle.

M. Orts. - Si vous ne voulez pas corriger les défauts de ce qui existe, ne réformez pas. Votre réforme n'a qu'un but ; vous abaissez considérablement le cens dans les communes au-dessous de deux mille âmes. Vous y organisez la préparation au suffrage universel.

Vous amenez au scrutin un grand nombre d'électeurs nouveaux à 10 fr. pour un nombre proportionnellement moindre d'électeurs nouveaux dans les communes d'une population supérieure à 15,000 âmes. Cela n’est pas démocratique, cela ne répond pas aux espérances qui justifieraient votre programme au point de vue de la popularité.

Une réforme électorale, s'il s'en faisait une - et c'est celle-là ï que je proposerai à mon tour par amendement à la vôtre ; - une réforme électeur vraiment démocratique serait celle-ci. Elle consisterait à faire pour le cens électoral communal ce que nous avons fait en 1848 pour le cens électoral des Chambres ; elle consisterait à donner le même droit à l'électeur qui paye le cens admis comme minimum, quel que soit le lieu de son habitation.

Mais à côté de cette extension du suffrage électoral, il me faudra quelque chose de plus encore, quelque chose que vous ne me donnez pas : la garantie que je m'adresserai toujours, pour obtenir des conseils sur les intérêts du pays, à des gens capables de me comprendre.

J'aurais trouvé votre réforme électorale très démocratique si, remontant dans le passé, vous étiez allé prendre dans le discours de l'honorable M. de Brouckere, que l’on citait hier ou avant-hier à cette tribune, cette pensée qui y était inscrite en 1848, et qu'on a eu soin de taire. Un jour viendra où nous aurons le cens uniforme et au lieu d'abaisser le cens à 10 fr., comme vous le faites, nous aurons le cens uniforme à 15 fr. dans toutes les communes.

J'aurais demandé et je demanderai à côté de cela deux garanties encore. Tout électeur devra savoir lire et écrire et pour que dans 5 ans il n'y ait plus un seul Belge qui puisse se plaindre légitimement de ne pas être électeur parce qu'il ne sait pas lire et écrire, j'aurais demandé, au lieu de 15 millions pour la solution de la question d'Anvers, 15 millions pour bâtir des maisons d'école, loger des instituteurs et leur donner un traitement convenable dans toutes les commîmes.

M. Bara. - Voilà de la démocratie et de la bonne.

M. Orts. - Mais vous n'en voulez pas. Le conseil que je vous donne, vous ne le suivrez jamais ; cette réforme que je vous apporterai un jour si le moment opportun me paraît venu, vous ne l'accepterez pas.

Et voici pourquoi.

En abaissant considérablement le nombre des électeurs dans les communes au-dessous de 2,000 âmes,, dans les communes les moins éclairées, et ce n'est pas leur faute si elles le sont peu, vous arrivez à vous procurer un corps électoral qui vous est favorable. Je crois que vous appréciez parfaitement la situation en jugeant ainsi.

Mais si dans les grandes villes d'une population de plus de 15,000 âmes, vous arriviez à admettre au scrutin, même avec la garantie et surtout avec la garantie des capacités, les électeurs qui payent ce cens, croyez-vous que vous trouveriez dans cette couche de la société un bien grand appui pour votre système, pour vos doctrines, pour les noms que couvre encore une ancienne impopularité ?

Je ne le pense pas.

Voici en effet la classe à laquelle vous vous adressez dans les villes. Il y a autour de cette bourgeoisie qui participe aujourd'hui au mouvement électoral pour la commune comme pour les Chambres, une population ouvrière qui est la pépinière dans laquelle la bourgeoisie se recrute. Cette population grandit, elle se développe tous les jours matériellement et moralement surtout ; à cette grandeur et à ce développement j'applaudis, car ce progrès est un gage de force et de civilisation pour le pays.

Cette population se compose particulièrement de travailleurs industriels dont le labeur a ce caractère que la main y est toujours rapprochée de l'intelligence.

Cette classe, prolétaire encore par la racine, bourgeoise déjà par le sommet, est avide d'instruction. Elle va la chercher non pas uniquement dans les sources que vous recommandez, mais elle va puiser là où elle croit que l'instruction est bonne. Cette classe lit ; elle est préparée à la vie publique par la communauté établie dans les travaux de l'industrie, entre le maître et le patron, par le travail en commun, communauté qui n'existe pas pour les travaux agricoles ; par ce contact permanent de l'atelier, qui fait que l'ouvrier cause avec son voisin des choses publiques comme d'autres. Vous avez dans cette classe également une initiation à la vie politique déjà toute faite. Cette classe elle lit, je l'ai dit ; elle lit, notamment les journaux, les nôtres comme les vôtres et peut-être un peu plus les nôtres que les vôtres ; elle se façonne à la vie publique en discutant jusque dans ces meetings dont on a souvent dit beaucoup trop de mal et qui ont cela de bon que lorsqu'on y prononce des paroles malsonnantes, ce n'est jamais des lèvres de l'ouvrier qu'elles tombent, mais bien des lèvres de ceux qui vont au milieu des ouvriers, au milieu du peuple, le flatter, non pour le servir, mais pour l'exploiter.

Ces mêmes hommes, messieurs, sont habitués déjà au mécanisme électoral par certaines fonctions qui leur out été déférées et qu'ils remplissent, tout le monde doit le reconnaître, avec toute l’activité et toute l'intelligence désirables. Ceux-là participent déjà par l'élection à la formation des conseils de prud'hommes.

Par les sociétés de secours mutuels ces classes se sont encore innées au mouvement des affaires ; elles ont appris de plus à nommer des mandataires en procédant par voie d'élections à la nomination des administrateurs.

(page 494) Si vous vouliez faire par votre programme une réforme démocratique, c'est cette classe qui vous devriez appeler la première au scrutin. Après cette expérience faite avec ménagement, vous auriez pu alors descendre au cens de 10 francs, non plus dans les communes de 2,000 âmes seulement, mais partout.

Peu coutumiers de pareille besogne, vous avez précédé en faisant de la démocratie comme ferait celui qui, sous prétexte de principes libéraux et démocratiques, viendrait remettre le droit électoral aux mains des mineurs et des fous.

Votre programme n'est donc pas de la démocratie ou c'en est de la mauvaise.

La discussion à laquelle je viens de me livrer vous prouve cependant que je ne suis pas, moi, hostile aux réformes, qu'au contraire je les appelle ; mais je les veux sages, je les veux surtout profitables non pas pour ceux qui les donnent, mais pour ceux qui les reçoivent.

Je ne veux pas, messieurs, cependant laisser croire que si je suis partisan des réformes électorales, j'en suis partisan dans ce qu'aucune d'entre vous ne laissent entrevoir comme la promesse de l'avenir. J'ai quelque crainte du suffrage universel, je le dis nettement, j'ai quelque crainte du suffrage universel inintelligent et aveugle surtout et si un jour ceux de vos amis qui vous devancent dans cette voie, M. Dechamps, viennent proposer le suffrage universel, je répondrai avec un éminent publiciste anglais, très démocrate, avec Stuart Mill : « Ajournons la question ; avant le suffrage universel l'instruction universelle, et quand l'instruction sera universelle, nous reprendrons la question du suffrage. » (Interruption.)

Le suffrage universel et aveugle, je n'en veux pas, quoique l'honorable M. Dechamps nous ait dit hier que le mouvement vers le suffrage universel était européen.

Le suffrage universel pour moi a fait ses preuves et ces preuves ne m'ont pas rassuré. J'ai vu le suffrage universel inintelligent et aveugle compromettre, dans les dernières années, les deux biens auxquels tout Belge comme moi tient avant tout autre. J'ai vu le suffrage universel inintelligent et aveugle sacrifier je ne sais à quelles préoccupations ou à quelles séductions et la liberté et la patrie. J'ai vu le suffrage universel reniant sa mère ; car c'est la liberté qui l'avait produit.

Je l'ai vu abdiquer à nos portes au profit du despotisme, au profit du césarisme ; je l'ai vu à Nice renier la patrie et la nationalité. Et je dois le dire, ce n'est pas la direction du clergé, l'influence du clergé sur le suffrage universel qui pourrait me rassurer. Dans ces deux tristes circonstances, je doute que le clergé de France soit intervenu au suffrage universel pour assurer le maintien de la liberté contre l'empire. J'ai la conviction partagée par tout le monde, que c'est en haine d'un gouvernement libéral et national, en haine du gouvernement italien, que l'appui du clergé de la Savoie a été donné au vote sur l'annexion.

M. B. Dumortier. - Cela vous prouve le danger qu'il y a de toucher aux questions religieuses.

M. Orts. - Cela prouve que, dans certaines régions catholiques, on place les questions religieuses au-dessus des questions de patrie et de nationalité.

L'aveu est précieux, je vous en remercie. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Je dis que cela prouve le danger de toucher aux institutions religieuses, et tout homme d'Etat doit comprendre que lorsqu'il y a deux grands sentiments dans le cœur de l'homme, c'est toujours un acte profondément impolitique que, d'opprimer l'un d'eux.

M. Orts. - Je remercie l'honorable M. Dumortier de son discours sous forme d'interruption, mais je n'en maintiens pas moins mon appréciation.

M. Coomans. - La Belgique a été vendue par le suffrage restreint.

M. Orts. - La Belgique ne s'est pas vendue ; elle a été dominée par la violence ; c'est une calomnie de dire que la Belgique s'est livrée elle-même à la fin du siècle dernier.

M. Coomans. - Pas la Belgique, mais un certain nombre d'électeurs.

M. Orts. - Il s'est trouvé des clubs composés pour la majorité de Français, de réfugiés de tous les pays, sans patrie ni nationalité, et ceux-là ont renié la patrie belge avec l'appui du sabre étranger. Et vous appelez cela un scrutin !

M. B. Dumortier. - Et les vonckistes qui étaient les libéraux d'alors !

M. Orts. - L'honorable M. Dechamps a placé sa réforme démocratique, son premier pas dans la voie qui doit nous conduire au suffrage universel, sous le patronage des hommes d'Etat les plus éminents.

Il disait à l'honorable ministre des finances entre autres : Pourquoi donc condamner en principe et comme indiscutable une réforme appuyée même en Angleterre par un homme dont vous vantez le talent, dont vous aimez à suivre les exemples ? M. Gladstone est venu, en plein parlement anglais, réclamer une réforme plus avancée encore que celle que nous proposions ; et au lieu de la déclarer indiscutable, on y a applaudi.

M. Gladstone, éminent homme d'Etat autant que grand orateur, ressemblant sous ce rapport à l'honorable M. Dechamps, a été plus prudent que l'honorable chef du cabinet qui n'est pas né. M. Gladstone a donné le véritable sens de la réforme dans la préface dont il a fait procéder la publication de son discours, et je recommande ces lignes à l'attention de l'honorable M. Dechamps quand il voudra inaugurer la politique de M. Gladstone en Belgique.

« Dans ce discours, on trouvera l'expression d'une opinion que la législature devrait refuser l'exercice du droit électoral pour deux raisons seulement :

« 1° D'abord elle devrait exclure ceux qui, selon toute présomption, sont par eux-mêmes inhabiles à l'exercer avec intelligence et intégrité. »

Ainsi, garantie de capacité d'abord. M. Gladstone continue :

« 2° Elle devrait exclure ceux à l'égard desquels il pourrait sembler que, bien qu'aucune incapacité personnelle ne puisse être alléguée contre eux, cependant il y aurait danger politique à les admettre, par exemple, parce que leur admission pourrait causer la perturbation de l'équilibre du corps électoral, ou parce que leur nombre serait une cause de monopole virtuel au profit d'une seule classe. »

Donc, d'après M. Gladstone, pas d'invasion de paysans dans le corps électoral, dans une mesure telle qu'ils dominent les classes industrielles, les classes habitant les villes.

Voilà deux restrictions qui me conviennent parfaitement, mais je doute qu'elles conviennent à d'autres.

Mais M. Gladstone va plus loin encore dans la voie de la prudence. Il s'occupe quelques lignes plus bas de l'opportunité qu'il y aurait à réaliser une pareille réforme même avec ces deux grandes garanties que l'honorable M. Dechamps ne nous donne pas.

« J'ai parlé, continue le chancelier de l'échiquier, eu égard au présent ou plutôt dans la vue de régler les arriérés du passé, et ni le temps ni la raison, je crois, ne se permettraient de tenter la solution des problèmes très compliqués qui appartiennent entièrement à l'avenir et qui ne paraissent pas devoir être tranchés en pratique, du moins dans la génération actuelle, »

Le programme de l'honorable M. Dechamps est-il fait pour les générations à venir ? Ou est-il fait pour être soumis à l'avis du pays comme une mesure de pratique à accomplir immédiatement ?

.M. Dechamps. - M. Gladstone s'occupe du cens général et non du cens communal.

MfFOµ. - C'est la même chose. Vous ne sauriez maintenir un désaccord pareil entre les deux cens.

M. Orts. - Nous allons nous mettre d'accord. Pourquoi l'honorable M. Dechamps a-t-il cité l'exemple de l'Angleterre et la réforme de M. Gladstone au parlement ? Pour montrer que M. Gladstone voulait la même chose que lui. C'était un argument à l'appui de la thèse qu'il défendait. Eh bien, cette réforme M. Gladstone ne la demande que pour les générations à venir et avec des garanties que vous ne nous donnez pas.

Maintenant, j'avoue que je n'ai jamais rien compris à cette distinction que vous faites entre la capacité nécessaire pour émettre un bon vote en matière communale ou provinciale et la capacité nécessaire pour émettre un vote convenable en matière d'élections générales. Je n'y comprends absolument rien (interruption), et vos exclamations ne changeront pas ma conviction. Je vais vous dire sur quoi elle est fondée.

Elle est fondée d'abord sur quelque chose de très pratique, de très matériel. N'avons-nous pas une loi électorale qui dit que pour le scrutin de la commune, de la province et de l'Etat, il faut présenter un bulletin écrit ? Eh bien, je dis que quand la loi exige un bulletin écrit, il n'y a pas de garantie, de sincérité des élections, si celui qui dépose le bulletin ne sait ni lire ni écrire. Je voudrais, messieurs, qu'on donnât à cette objection une réponse satisfaisante.

Or, qu'est-ce que je demande ? Je ne suis pas bien exigeant ; je demande quelques garanties de capacité. Je demande qu'on sache lire et écrire de manière que ni curé, ni seigneur, ni franc-maçon ne puisse remettre dans les mains d'un malheureux électeur un billet contenant ce que cet électeur ne peut discerner.

Les élections communales et provinciales dans notre pays sont, comme le disait hier l'honorable M. Dechamps, c'était un argument qu'il (page 495) invoquait, la préparation des électeurs à l'exercice d'une magistrature électorale supérieure.

Or, comment voulez-vous que ces électeurs se préparent à devenir un jour électeurs aux Chambres, s'ils votent sans intelligence, sans appréciation de la bonté du caractère, de l'opinion politique même des candidats ?

L'honorable M. Dechamps a assisté comme moi à bien des élections, et il doit savoir qu'il n'y a pas d'élections communales qui se soient faites depuis 1830 dans notre pays, sans qu'un petit grain de politique s'y soit mêlé.

On n'a pas discuté entre électeur, dans les comices comme au sein d'une Chambre ; mais pour parler sans ambage ni circonlocution, il n'y a pas eu un électeur, ne sût-il pas même lire et écrire, qui ne soit allé au scrutin sachant au moins et très bien qu'il y allait pour voter pour un catholique ou pour un libéral, pour un républicain ou pour un monarchique, dans les temps, heureusement fort rares, où la question était passée sur ce dernier terrain.

Admettons donc qu'il faut être capable pour être électeur, quels que soient le but et le résultat des élections.

Maintenant je rappellerai à l’honorable M. Dechamps un souvenir. Il a beaucoup insisté sur cette considération que son programme réalisait une promesse oubliée de la gauche, en même temps qu'une promesse de la droite. Je lui rappellerai que, lorsque nous avons, nous, soit réformé le système électoral général, soit admis d'être déshérité aujourd'hui du droit d'élection, à l'exercer dans un but autre qu'un but politique, nous avons réformé et réformé dans un sens démocratique et que l'honorable M. D'champs ne l'a jamais fait.

Ainsi, par exemple, nous avons, en 1848, abaissé le cens d'une manière uniforme. Nous avons dit : Puisque le cens électoral est la garante de capacité voulue par la Constitution, quiconque payera ce cens, qu'il habite une ville ou une commune rurale, a le droit de participer dans la même mesure au gouvernement des affaires publiques.

Nous avons été logiques et nous avons été justes. Comment, en effet, me prouvera-t-on qu'une démarcation idéale comme celle qui sépare Bruxelles de ses faubourgs, qu'un mur d'octroi même puisse justifier qu'il faut payer 25 fr. d'un côté de la ligne ou du mur, et 10 fr. de l’autre pour pouvoir participer à l'élection des conseillers communaux ?

Au point de vue de la capacité, voici notre conduite à nous, hommes de la gauche, et à vous, hommes de la droite.

Il s'agissait un jour de procéder à l'organisation d'institutions précieuses pour la classe ouvrière, pour cette classe qui est, de toute justice, la première à laquelle il faudra s'adresser, quand on descendra les échelons qui mènent à l'abaissement du cens à 10 francs.

Vous avez fait, eu 1842, une loi sur les conseils de prud'hommes. C'était le cas ou jamais d'appeler, comme initiation à la vie politique, les classes industrielles à l'organisation de cette magistrature de famille.

Eh bien, qu'avez-vous fait ? Vous avez conservé le mode aristocratique de formation des conseils de prud'hommes tel que l'avait établi le premier empire en 1806. Vous avez exclu du scrutin les simples ouvriers, vous n'y avez admis que des ouvriers presque introuvables dans notre système financier, des ouvriers patentés, et à côté d'eux les maîtres, les patrons, tous les chefs d'industrie ; et vous n'avez demandé à personne la moindre garantie de capacité ou d'intelligence.

En 1858, nous reprenons votre œuvre. Nous nous adressons de nouveau à la classe ouvrière, et que faisons-nous ?

Nous disons : Il s'agit de l'intérêt des simples travailleurs ; aux ouvriers la parole. Et nous écrivons en tête de notre loi : Tout ouvrier prendra part désormais comme les maîtres, comme les patrons, comme les chefs d'industrie, à l'élection de la magistrature de famille chargée de concilier précisément les différends entre patrons et ouvriers, tout ouvrier y prendra part, mais à une condition, c'est qu'il sache lire et écrire.

Voilà, encore une fois, la manière différente dont on comprend les réformes démocratiques à droite et à gauche.

Voici maintenant le caractère vrai de votre réforme. Vous vous défiez d'une partie du corps électoral ou bien, je me servirai d'un mot meilleur que celui que je viens d'employer, vous voyez une situation électorale trouble ; vous voyez les partis en présence et à peu près en équilibre de forces et vous vous dites : Il faut, pour sortir de cette situation, consulter l'opinion publique ailleurs qu'aux sources seules consultées jusqu'à ce jour.

Jusque-là c'est en théorie une pensée d'homme politique et d'homme d Etat. Elle devrait nous conduire si la chose était possible, si la Constitution ne s'y opposait pas, à la réforme électorale pour la composition des Chambres surtout.

Mais vous ne voulez pas plus que moi toucher à la Constitution et je vous en loue : que faites-vous ? Vous cherchez à consulter l’opinion publique sur un terrain nouveau, sur le terrain des élections communales et des élections provinciales ; élections si importantes au point de vue politique que vous nous sommez de quitter le pouvoir parce que les élections provinciales, d’après vous, nous ont condamnés ; si importantes que vous avez quitté le pouvoir en 1857 parce que les élections communales vous avaient condamnés ! Preuve nouvelle sans doute que les élections communales et provinciales n’ont jamais rien de politique, comme vous le prétendiez tout à l’heure.

Vous vous adressez donc à une partie de la population, mais à cette partie dont vous êtes sûrs.

Vous voulez créer des électeurs nouveaux, mais des électeurs dont vous êtes sûrs. Vous prenez la réforme par en bas et si pour paraître impartiaux vous faites aussi une très petite réforme en haut, vous la faites la plus petite possible.

Vous allez chercher le plus grand nombre possible d'électeurs à 10 fr. parce que ce font les vôtres, mais quant aux nôtres, ceux qui payent 40 et 42 francs vous réduisez le cens à 25 ou 35 fr. Cela n'est pas juste, cela n'est pas démocratique.

M. Coomans. - C'est la loi actuelle.

M. Orts. - Mais, encore une fois, si vous voulez réformer la loi actuelle, faites une réforme juste et égale pour tout le monde et si ce n'est pas là votre but, alors ne vous en mêlez pas, laissez faire les autres.

Maintenant où vous mène le calcul que vous faites ? Vous avez apporté une réforme électorale que personne dans le pays ne demandait. Aujourd'hui on la demande et on la demande plus large que vous ne la proposez.

Aujourd'hui des pétitions nous demandent d'abroger l'article 47 de la Constitution et d'appeler les classes qui présentent des garanties d'intelligence et de moralité à participer à l'exercice du droit électoral du degré le plus élevé.

Vous avez cru que pour nous abattre il suffisait de vous allier à la démocratie, et vous lui avez proposé une alliance qui n'est pas sérieuse. La démocratie l'a compris, car ce qu'elle demande, c'est tout précisément les garanties de capacité et de moralité que vous n'offrez pas.

Ces exigences extraconstitutionnelles que personne n'avait formulées, vous les avez appelées. Elles vont, se discuter désormais dans le peuple, et il sortira de la discussion un jour des prétentions à une réforme électorale plus large et autrement conçue. Il en sortira une réforme électorale démocratique, et si elle réussit, vous subirez une condamnation bien plus énergique que la condamnation prononcée par les électeurs auxquels vous voulez faire appel aujourd'hui.

Je finis et je me résume : pour nous abattre, vous avez fait appel à une arme dangereuse, oubliée dans un vieil arsenal. Vous voulez tuer le libéralisme par la démocratie ; vous n'y parviendrez pas. Si la démocratie et le libéralisme diffèrent, ce que je nie, concédez au moins que libéralisme et démocratie sont enfants d'une même mère, les enfants de la liberté.

Entre enfants d'une même mère, l'accord pour vous combattre est facile : il est fait. Vous avez d'un bras imprudent soulevé la hache au-dessus de nous : c'est sur votre tête qu'elle retombera.

M. Delaetµ. - Messieurs, vous n'attendez sans doute pas de moi que je réponde, sans préparation aucune, au long et à certains égards très remarquable discours que vient de prononcer l'honorable M. Orts. Dans ce discours il y a bien des erreurs historiques, bien des appréciations fausses ; il y a surtout cette déplorable confusion qui fait le fond de la théorie de ceux que nous appelons les doctrinaires, la confusion de 1 Etat et de la société. S'il y est beaucoup question de liberté, il y a en réalité toute la théorie du despotisme exercé au profit de l'Etat, au profit de la force matérielle contre l'intelligence humaine, que cette intelligence s'appelle religion ou philosophie. Quand l'Etat aura soumis la religion, il soumettra la philosophie, parce que l'Etat c'est le pouvoir matériel, et que le sabre partout et toujours tend à dominer sur l'intelligence.

Je ne répondrai pas à cette partie du discours de M. Orts ; mon honorable ami M. Schollaert s'est chargé de cette tâche et il s'en acquittera bien mieux que je ne le pourrais faire, car il est à la fois beaucoup plus compétent et plus éloquent que moi. Mais la partie du discours à laquelle je suis heureux de répondre, c'est celle où l'honorable M. Orts nous accuse de vouloir faire échec au Roi.

Toujours la droite a été pleine de déférence, pleine de dévouement pour Sa Majesté et très souvent il lui est arrivé de devoir la défendre contre des attaques parties de vos bancs ; jamais elle n'a failli à ce devoir.

Un honorable membre de cette Chambre, M. Bara, m'accuse d'avoir attaqué la prérogative royale, d'avoir voulu diviser la nation belge en (page 496) peuple flamai d et en peuple wallon. II y a là une erreur. J'ai dit dans le Nederduitschen Bond... (Interruption)

Le Nederduitschen Bond est un corps avec lequel vous aurez à compter un jour dans tout le pays. J'ai dit dans le NederduitschenBond...

MpVµ. – Ne nous occupons pas de ce qui s'est passé ailleurs.

M. Delaetµ. - L'honorable M. Bara y a fait allusion ; j'ai le droit de m'expliquer, et je maintiens mon droit.

- Voix à droite. - Maintenez votre droit, ne cédez pas !

M. Delaetµ. - J'ai dit dans le Nederduistchen Bond « que le jour où il se trouverait dans le pays un Bismarck pour conseiller au Roi de faire abus de sa prérogative. royale, pour conseiller à Léopold Ier de Belgique de suivre l'exemple de Guillaume Ier de Prusse, j'opposerais à la prérogative royale, transformée en instrument de parti, les vieilles prérogatives du peuple flamand, qui sont aujourd'hui les prérogatives nationales. »

M. Bara. - Vous n'avez pas parlé au conditionnel.

M. Delaetµ. - Voilà ce qua j'ai dit et je le maintiens ; mille personnes étaient là ; que celles-là me démentent, si elles le peuvent ; mais ce n'est pas vous qui avez le droit de me démentir, et ce que j'ai promis de faire, je le fais ; toute la droite le fait avec moi. Depuis dix jours nous vous sommons de faire appel au pays, pour que le pays exerce sa prérogative, aujourd'hui que vous avez donné à Sa Majesté le conseil de faire de la sienne un usage que nous ne saurions approuver.

Maintenant, que fait le ministère ? Il quitte le pouvoir qui vacillait dans ses mains ; il maintient sa démission, tant que la droite n'a pas produit son programme ; mais il revient bien vite sur sa démission, quand ce programme est produit ; qu'il sait que ce programme est sincère et que la liberté est avec nous. (Interruption.)

Je vous prouverai tout à l'heure que vous n'êtes que le despotisme sous le nom de liberté. Vous aviez un masque, et ce masque vous a été arraché.

L'honorable M. Frère a pâli, s'est ému le jour où l'honorable M. Dechamps a fait connaître qu'il n'accepterait le pouvoir qu'en apportant un programme ; ce jour-là il a été arrêté que la droite n'entrerait pas au pouvoir.

Je ne veux pas vous suivre dans les voies souterraines, cachées, occultes où vous vous êtes engagés pour empêcher la droite d'arriver aux affaires. Ce n'est pas la tâche que j'ai à remplir ; mais le fait est que nous avons su, au début de la seconde phase de la crise, que la droite n'arriverait pas au pouvoir.

Maintenant que faites-vous ? Vous venez découvrir le Roi devant le pays. (Interruption.)

Oui, vous qui vous dites dynastiques, dévoués au Roi, vous venez découvrir Sa Majesté devant le pays ; vous la couvrez fictivement par la fiction constitutionnelle ; mais que dites-vous en réalité ?

Vous lavant les mains comme Pilate, vous nous dites : « Nous n'avons pas conseillé au Roi de repousser votre programme, dont nous n'avons eu connaissance que par les journaux ; c'est le Roi qui n'en a pas voulu.» Votre responsabilité n'est donc pas réelle, elle n'est pas sincère ; vous signalez au pays la Couronne comme ayant agi personnellement, comme ayant spontanément pris parti pour vous, contre nous.

Eh bien, la droite, je l'espère, ne commettra pas cette faute, ne tiendra jamais cette conduite antipatriotique.

Je connais deux dévouements ; il y a le dévouement qui se sert de la Couronne et qui la compromet ; il y a le dévouement qui sert la Couronne et qui l'avertit au besoin.

Je ne vous dirai pas quel est le vôtre ; mais le premier n'est pas le mien ; il ne sera jamais, je l'espère, celui de la droite.

Messieurs, je vous demanderai la permission de vous rappeler quelques mots prononcés par l'honorable M. Orts dans une séance précédente, lorsqu'il a répondu à mon honorable ami et collègue d'Anvers, M. Jacobs.

Je ne rendrai probablement pas les expressions dont il s'est servi, mais je suis certain de bien rendre sa pensée. A propos des émeutes de 1857, il a dit : Qui crée la cause est responsable des effets.

J'admets cette théorie, messieurs, je l'admets en plein ; mais alors je demanderai qui a créé toute l'agitation qui se manifeste aujourd'hui dans la Belgique entière ? (Interruption.) cette agitation existe ; laissez faire la dissolution, et vous verrez.

Cette agitation a diverses causes que je puis classer en trois grandes catégories : le mouvement flamand, la question d'Anvers et la situation générale ; il y a aussi la question de la centralisation.

En ce qui concerne le mouvement flamand, je sais bien quelle est la théorie de ses adversaires ; on nous accuse du mal dont nous souffrons et l’on nous crie : Vous divisez le pays. Mais qui, par de longs et injurieux dénis de justice, expose la Belgique aux dangers de la division ?N'est-ce pas vous ? Ne craignez-vous pas que la moitié de la nation, que vous séparez de l'autre moitié et à laquelle vous n'accordez aucun droit à moins qu'elle ne renonce à sa langue maternelle. (Interruption.) Comment ! mais quel est donc le droit que le citoyen flamand peut exercer ?

M. Allard. - Dites-nous plutôt quel est le droit qu'on lui refuse ; ce sera plus facile.

M. Delaetµ. - Mais, messieurs, le citoyen flamand ne peut pas même plaider devant les tribunaux dans sa langue maternelle. Accusé, il ne peut se défendre lui-même et sans avoir recours à un interprète. Et vous dites qu’il jouit des mêmes droits que tous les autres citoyens ! Non, messieurs, il n’a aucun de ces droits, il est étranger sur le solde la patrie : c’est vous qui en faites un ilote au milieu de ses concitoyens wallons, et vous voulez que celui que vous avez rendu étranger dans son propre pays soit plus dévoué que vous à la Belgique ? Non cela ne se peut pas, cela n’est pas possible.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et votre programme ne dit pas un mot du mouvement flamand.

M. Delaetµ. - Si le programme n'en dit pas un mot, c'est que cela n'était pas nécessaire, parce que je suis ici, moi !...(Interruption.) Le programme n'en parle pas, parce que, la commission des pétitions a daigné me confier la rédaction du rapport sur les pétitions relatives à cette question. Et je suis heureux de le pouvoir dire ici, je ne ferai ce rapport que lorsque nous serons en présence d'un ministère réellement définitif et responsable. Je ne veux pas qu'on l'enterre dans vos cartons.

M. Bouvierµ. Le ministère ?

M. Delaetµ. - Le mot est vraiment très heureux ! Seulement si, comme je le crois, nous avons à enterrer le ministère, j'espère que nous l'enterrerons ailleurs et dans une tombe mieux scellée encore.

Je disais donc que vous n'avez jamais tenu si suffisamment compte de ce grand mouvement flamand.

Je veux bien rendre ici hommage aux bonnes intentions de M. le ministre de l'intérieur : il a fait ce qu'il a pu faire, lui personnellement, mais il n'a pas pu faire grand-chose parce qu'il ne constitue pas à lui seul tout le cabinet.

J'ai donc le droit de dire que cette situation, c'est vous qui l'avez créée par votre long déni de justice, et c'est vous qui en êtes responsable.

Vient maintenant la question d'Anvers. (Interruption.)

Qui, messieurs, a fait naître cette question ? Eh ! mon Dieu ! ici nous n'avons pas à chercher bien loin : je n'accuserai pas l'opinion libérale, je n'accuserai pas même le cabinet tout entier, j'en accuserai surtout et très personnellement M. le ministre des finances. (Interruption.)

D'après vous, nos prédécesseurs dans cette enceinte défendaient la question d'Anvers avec plus dc talent et de succès que nous n'en aurons jamais ; et cependant ils n'ont rien pu obtenir. Quant au talent, je n'y prétends en aucune façon ; mais quant au résultat de nos efforts, je dirai que la question d'Anvers a singulièrement grandi depuis un au et qu'Anvers presque tout entier partage notre opinion sur ce point. (Interruption.)

Nos prédécesseurs trouvaient à grand-peine, sur vos bancs, une douzaine de voix favorables. Aujourd'hui nous avons avec nous toute une grande opinion qui demain sera la majorité.

Récemment, lorsque j'avais le plaisir d'écouter le discours de l'honorable M. Hymans, j'ai fait involontairement un parallèle entre Robert Peel, le grand ministre anglais et M. Frère, le grand ministre belge.

- Voix à gauche. - Oui ! oui ! le. grand ministre belge.

M. Delaetµ. - Mais certes, je ne le nie pas ; j'ai autant d'estime pour le talent de l'honorable M. Frère, que j'en ai peu pour sa politique.

J'ai vu Robert Peel justifier la première de ce qu’on appelle ses palinodies, l’émancipation des catholiques, par l'état de révolte dans lequel se trouvait l’Irlande et par l'élection d'O'Connell. Il a cédé, et c'est pourtant quelque chose que la dignité du gouvernement anglais, c'est quelque chose surtout pour un ministre tel que Robert Peel.

Il était, non pas devant une agitation légale dont tout gouvernement sérieux doit tenir compte, mais devant la révolte, et il a cédé.

L'honorable M. Frère s’est trouvé, lui, non pas devant une révolte, mais devant d'humbles réclamations, et il n'a rien voulu accorder. L'honorable M. Loos lui-même a eu soin de nous l'apprendre en plein parlement ; il a eu soin de vous dire : « Je me suis adressé deux fois au ministre, mais il m'a parlé d'autre chose et je n’ai pas ose insister. »

Certes, ce n’était pas un rebelle, un factieux l’homme qui parlait ainsi, ce n’étaient ni des factieux, ni des rebelles les hommes des premières pétitions, et pourtant vous leur avez tout refusé. Était-ce dans l’intérêt de votre dignité ?

(page 497) Plus tard, on s’est réuni en meeting pour la question des servitudes ; de nouveau on a répondu : Rien, parce que vous osez tenir des meetings. En attendant vous continuiez d’exécuter la loi contre la loi. (Interruption.) L'honorable M, Chazal a eu la bonté d'en fournir la preuve au Sénat ; et cette preuve je la citerai tout à l'heure.

Vous exécutiez la loi contre la loi, c'est-à-dire que vous éleviez des citadelles là où la loi non avait point prévu. (Interruption.) C'est après les débats de cette enceinte, qu'au sein du Sénat M. le ministre de la guerre a fourni un document tout à fait nouveau pour nous et pour la Chambre.

Lorsque j'indiquais la citadelle du Nord comme étant le véritable danger pour la ville, que je disais aux Anversois : Quand vous demanderez la démolition de cette citadelle, je serai des vôtres, que me répondait-on ? Il n'y a pas de citadelle du Nord, Sa Majesté a promis que tout danger serait éloigné de la ville, elle ne faillira pas à sa promesse, cela ne se peut pas.

Quand le ministre de la guerre a réclamé les servitudes militaires, les yeux se sont dessillés. M. Loos a prié le ministre non pas de démolir les fronts intérieurs, mais seulement de retirer sa lettre ; non pas de faire cesser le danger, mais de ne point éveiller de craintes.

On a pas même voulu faire cela. L'agitation est venue alors non pas de nous, mais des vôtres ; de l'association libérale et de la chambre de commerce ; vous avez pu les détacher de nous plus tard, c'est possible, mais l'agitation est venue de là ; elle était si peu politique que nul catholique ne s'était mis sur les rangs, quand M. Loos a refusé au meeting le droit de désigner un candidat, un seul pour le conseil communal. il voulait que ce candidat fût désigné par l'association libérale, il voulait faire triompher le ministère. Le meeting dès lors a dû agir sans l'association. Et si l'association ne s'est pas dissoute, elle s'est du moins presque désorganisée, son influence a cessé d'être prépondérante. Devant ce fait, comment a procédé le meeting ?

II s'est adressé à des libéraux pour leur offrir toutes les candidatures au conseil communal. Partout il a essuyé des refus, quelques uns avaient accepté, ils ont retiré leur parole. Que fallait-il faire ? Fallait-il laisser Anvers sans conseil communal ? On disait que le meeting était impuissant ; les catholiques avaient renoncé à tirer de la situation un avantage politique, parce qu'ils étaient dévoués à leur ville natale, avant d'être dévoués à leur parti. On les a forcés d'accepter, parce que l'on croyait que les candidatures catholiques compromettraient la cause du meeting. C'est donc vous qui avez créé la situation.

Après cela vous triomphez et vous dites aux Anversois : Vous êtes mystifiés.

M. Bouvierµ. - Vous l'êtes !

M. Delaetµ. - Je suis heureux de l'être comme cela ; je demande à être toujours mystifié de la même façon. D'abord nous avons pleine et entière confiance dans les intentions de la droite ; mais j'ai une autre garantie dont je ne parle pas en premier lieu pour qu'on ne dise pas que je fais primer la deuxième garantie par la première. Nous sommes reconnaissants à la droite, à ce grand parti d'avoir reconnu la justice de notre réclamation ; le pays aussi la reconnaîtra bientôt.

Nous déclarons donc hautement ici que nous avons foi dans la loyauté de la droite, confiance pleine et entière dans ses promesses ; mais nous avons une autre garantie encore, et celle-là c'est M. Frère qui nous la donne, c'est l'intérêt de M. Frère qui la rend sûre. (Interruption.)

C'est vous qui nous fournissez la meilleure garantie de l'exécution des promesses de la droite. En opposant ce que vous appelez votre dignité personnelle, ce que je pourrais appeler d'un nom moins euphémique, aux réclamations d'Anvers, vous avez servi la droite, vous avez sinon déplacé, du moins fortement amoindri la majorité ; votre dignité aurait mieux été sauvegardée si elle vous avait portés à faire droit aux réclamations d'Anvers.

Allez-vous travailler contre ou avec la droite dans les élections prochaines ? Si vous travaillez pour la droite vous vous suicidez ; si vous travaillez contre la droite, vous travaillez pour Anvers ; car Anvers ne donnera son concours qu'au gouvernement qui lui donnera satisfaction.

Vous allez donc faire en sorte qu'Anvers sera l'arbitre de la situation. A cette ville à laquelle vous ne voulez rien concéder, vous accordez le gouvernement du pays. Vous avez voulu nous mystifier et c'est vous qui êtes mystifié ; vous êtes en même temps le mystifié et le mystificateur. Vous avez la double qualité.

M. Bouvierµ. - Vous n'aurez pas la démolition et vous n'aurez pas d'or.

M. Delaetµ. - Nous vous avons déjà un peu démolis et vous allez nous aider à démolir les citadelles.

M. Allard. - Vous n'aurez rien du tout.

M. Delaetµ. - M. Allard n'est pas la loi et les prophètes.

Un orateur des plus écoutés de la gauche, l'honorable M. Bouvier...

M. Bouvierµ. - Comme vous !

M. Delaetµ. - M. Bouvier a dit avant-hier qu'Anvers ne voulait pas de principes, qu'elle voulait de l'or !

Sans doute Anvers veut de l'or, comme tous vous voulez de l'or, comme le pays veut de l'or ; et le gouvernement est heureux de le constater quand dans le discours de la Couronne il vient nous dire que la prospérité publique est toujours croissante ; Anvers veut l'or qu'elle gagne honnêtement, elle ne mendie pas, elle ne vous demande pas d'or ; ce qu'elle vous demande, ce qu'elle a droit d'exiger de vous, c'est de ne pas lui gâter son instrument de travail, de ne point le lui fausser, de ne point le lui prendre.

Le même orateur nous a dit que la question d'Anvers était enterrée et que ce n'était pas dans le bon coin du cimetière, mais dans le coin des réprouvés.

J'ai été heureux d'apprendre que la gauche, elle aussi avait, son coin des réprouvés. Nous ne sommes donc pas les seuls à vouloir plusieurs cimetières, des cimetières spéciaux.

C'est un progrès.

Mais dans, le coin des réprouvés on exhume... (Interruption.) On nous exhumera.

Je dis un mot des cimetières parce que M. Bouvier m'y a amené. Ici on cherche à soulever les vivants à propos des morts ; à Anvers, où les vivants vous échappent, vous faites mieux que cela, vous allez soulever les morts.

Ici je ne m'adresse pas personnellement à M. le ministre des finances. Je ne crois pas qu'il soit intervenu, et s'il est intervenu, c'est en deuxième lieu.

Au moyen d'une légère rectification dans le tracé de l'enceinte, l'ancien cimetière de Borgerhout, qui n'existe que depuis 12 à 15 ans, pouvait être épargné ; on pouvait le placer à l'intérieur de l'enceinte, contre le chemin de ronde. On avait même une intervention financière ; non pas de la ville cette fois, mais d'un grand industriel, d'un Anglais : par conséquent d'un homme en qui vous devez avoir plus de foi qu'en nous. D'après les officiers cela ne changeait rien à la force de la défense, mais le plan avait été arrêté, le plan devait être exécuté. Il fallait que le cimetière de Borgerhout devînt le fossé de la ville.

Il y a 5 ans à peine, pas même 5 ans, que l'on a enterré dans ce cimetière pour la dernière fois.

Il y a à Borgerhout beaucoup de familles qui ont dans ce cimetière un père, une mère, des enfants. Demain peut-être on les déterrera. On nous assure qu'une commission a été nommée par le gouvernement pour examiner si dès demain cela peut se faire ou s'il faut attendre encore quelques mois.

On m'a dit aussi, mais j'ignore si le fait est vrai, qu'aucun membre de cette commission n'a jusqu'ici consenti à accepter le mandat offert.

Eh bien, messieurs, on vous fait des discours très pathétiques sur un époux libre penseur, qui ne pourra pas reposer à côté de son épouse dans le sommeil éternel, et à Anvers, ville destinée à tous les genres de scandales, on exhume des cadavres, récemment enterrés, pour les jeter à la voirie. Vous allez les mettre pêle-mêle dans une fosse commune au nouveau cimetière.

M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Je dis formellement que cela n'est pas exact, et demain je vous le prouverai.

M. Delaetµ. - Tant mieux. Je ne demande pas que cela soit.

- Une voix à gauche. - Vous l'affirmez.

M. Delaetµ. - Je viens de dire que je n'affirme que ce que je sais. Je dis que dans la croyance générale à Borgerhout et à Anvers, il en sera ainsi. (Interruption.) Mais comment allez-vous reconnaître chaque cadavre ? Cela est-il possible ? (Interruption.) Si mes observations préviennent cette profanation, j'en serai heureux.

Maintenant, messieurs, j'ai à parler de la situation générale. cette situation, qui l'a créée ? Est-ce vous, est-ce nous ? Est-elle le produit de nos actes ou celui de vos fautes ?

Quand vous êtes opposition, vous tenez compte de tout. Alors le moindre indice dans le corps électoral devient pour vous un signe du temps qu'il ne faut pas négliger. Mais du moment que vous êtes gouvernement, du moment que vous résumez en vous le pouvoir, le pays n'est sage ni n'est intelligent, il n'est progressif que lorsqu'il se contente de ce que vous voulez bien lui donner. S'il exige autre chose, s'il demande davantage, il devient clérical et obscurantiste.

Pour vous le temps ne marche pas, le corps électoral n'est jamais en progrès.

(page 498) Vous avez abaissé en 1848 le cens électoral général à 20 florins et quoique cet abaissement n'ait pas été de votre part bien volontaire, que vous avez un peu agi comme le capitaine qui jette une partie de sa cargaison par dessus le bord pour sauver le navire, que vous ayez cru peut-être faire une manœuvre de parti en assimilant les classes inférieures des villes aux classes supérieures des campagnes, j'applaudis à cette diminution-là.

Mais vous n'avez pas fait que cela. Vous avez fait autre chose. Vous avez aboli le timbre des journaux. C’est encore là une excellente mesure à laquelle j'ai applaudi des deux mains.

Je vous dirai tout à l'heure ce qu'a produit cette abolition du timbre ; mais il paraît que quand vous avez pris une mesure vous n'en observez pas trop bien les effets. cette abolition du timbre a décuplé et au-delà le nombre des journaux ; elle a créé les petits journaux ; elle a quadruplé en Flandre le nombre des feuilles périodiques. Vous avez augmenté vos écoles, vous avez créé plus de gens sachent lire, écrire et calculer et même un peu plus.

Tout cela, sauf vos écoles dont je parlerai tout à l'heure, est excellent, je n'y trouve rien à redire, mais par là même vous avez augmenté le nombre de ceux qui éprouvent le besoin de prendre part, en quelque mesure que ce soit, à la vie politique.

Tous ces lecteurs de journaux qui aujourd'hui suivent nos débats, qui suivent les travaux des conseils provinciaux et les délibérations de leurs conseils communaux veulent prendre part à la vie publique et vous leur barrez le chemin et vous leur dites : Vous êtes incapables, vous n'entrerez pas. Nous voulons bien que vous arriviez, car nous sommes les amis de l'intelligence, de la lumière et du progrès, mais nous allons vous poser la condition de savoir lire et écrire, d'être des hommes intelligents, des hommes de progrès.

Mais vous n'avez pas toujours raisonné ainsi.

Quand l'honorable ministre des finances, sans consulter la Chambre, par circulaire, a augmenté le nombre des électeurs en faisant compter pour le cens électoral la patente des débitants de bossons, s'est-il adressé au public intelligent et moral ? (Interruption.)

Est-ce là ce que nous avions de meilleur en Belgique ; fallait-il accorder à cette classe de citoyens un privilège, fallait-il pour elle faire une exceptiez à la loi commune ?

MfFOµ. - Voulez-vous me permettre une observation ? Je veux seulement faire remarquer à la Chambre que vous n'avez pas même étudié la question que vous traitez. Vous supposez que c'est par une simple circulaire que j'aurais attribué le droit électoral aux débitants de boisson. Eh bien, c'est une erreur : ils sont électeurs en vertu de la loi.

M. Delaetµ. - Nous connaissons les lois de budget.

MfFOµ. - Mais pas du tout ; ce n'est pas par la loi du budget.

M. Delaetµ. - Les lois de budgets sont des lois destinées à faire passer, sous forme d'un chiffre, un principe qu'on n'ose pas introduire dans cette Chambre.

Nous l'avons vu dans cette session même pour la réforme des octrois. Vous l'avez fait passer avec la loi de budget ; personne n'y a fait attention.

MfFOµ. - Vous êtes dans l'erreur.

M. Delaetµ. - Vous voyez donc que j'ai étudié la question. (Interruption.)

MfFOµ. - Vous n'avez rien étudié du tout, il ne faudrait pas parler de choses que vous ne connaissez pas.

M. Delaetµ. - En tout état de cause, vous n'oseriez pas donner, non pas aux cabaretiers, ceux-là peuvent être très honorables, mais à vos débitants de boisson un brevet exceptionnel de moralité et de capacité.

M. Mullerµ. - Il s'agit d'un impôt direct.

M. B. Dumortier. - Non, c'est un impôt indirect.

M. Delaetµ. - Messieurs, s'il était possible, sans toucher à la Constitution, d'appeler à la vie politique réelle un plus grand nombre d'électeurs, je le ferais ; je donnerais de plein cœur mon adhésion à une semblable mesure. Mais faut-il toucher à la Constitution ? Voilà une question qui nous arrête tous et qui doit d'autant plus nous arrêter qu'aujourd’hui les partis se balancent et ne peuvent, par une entente commune, faire passer un principe.

Le moment serait très mal choisi ; peut-être n'y a-t-il pas eu de moment moins opportun depuis 1830, que le jour d’aujourd’hui.

Mais ce que nous pouvons faire, c'est d'ouvrir à une grande classe de citoyens une vie électorale.

Vous devrez un jour toucher à votre cens de 20 florins à moins de nier le progrès. Vous parlez tant d'ériger des écoles. Eh bien, érigez une grande école èlectorale. Admettez à faire leur apprentissage dans les élections communales et provinciales ceux que plus tard vous devrez appeler à prendre part aux élections politiques. Faites-leur faire un stage et vous ferez bien, vous ferez sagement.

Mais pourquoi ne voulez-vous pas admettre cela ? Evidemment parce que vous avez peur de voir la droite constitutionnelle belge indiquer franchement le terrain sur lequel est assis son principe ; car il est assis sur la base de la liberté, tandis que vous avez pour base le despotisme, masqué sous le nom de pouvoir civil.

Quand nous vous parlons progrès, vous nous répondez jésuites ; quand nous vous partons intelligence, vous nous répondez passion. Voilà votre politique. Vous êtes le parti intelligent, et jamais, par la seule intelligence, vous n'êtes parvenu à obtenir le pouvoir, Il vous a toujours fallu passionner le pays. Vous ne respirez que dans cette atmosphère-là. Aussi, lorsque vous êtes gouvernement, vous ne réalisez pas le quart de ce que vous promettez lorsque vous êtes opposition.

Quant au programme de la droite, non seulement il aurait été réalisé ; mais pour nous, c'est un minimum de concessions à faire à la nation intelligente, à la nation dévouée à ses institutions. C'est un minimum, et, par conséquent, ce que vous aviez à craindre de nous, ce n'était pas que nous refusassions de faire assez, c'était que nous fissions trop à votre gré, puisque le peu qui a été annoncé, est déjà trop.

L'honorable M. Orts vous a parlé de la révolution française. J'ai vu le moment où il allait remonter plus haut et nous montrer, à travers le moyen-âge, l'Eglise niant partout la liberté et partout ayant recours au bras séculier.

L'histoire eût été quelque peu fausse. L'Eglise à travers le moyen âge, et ceux qui connaissent l'histoire le savent, a été la gardienne de la liberté, la gardienne de la dignité de l'intelligence humaine, vis-à-vis du sabre, vis-à-vis du pouvoir matériel représenté par César. Aujourd'hui les césars renaissent, mais il faut que l'Eglise meure, parce qu'alors toute résistance cessera.

Mais sommes-nous donc aujourd'hui la seule Eglise ! Ne sommes-nous pas en plein moyen âge ? N'y a-t-il pas une autre Eglise qui nous ramène au moyen âge, et au bras séculier et surtout à la caisse séculière ?

Je ne veux porter atteinte à la liberté de personne. Mais il me sera bien permis, puisque vous voulez des discussions philosophiques et religieuses, puisque vous nous parlez jésuites et congrès de Malines, de vous parler un peu de la maçonnerie, de cette Eglise moderne qui a sa hiérarchie et son caractère universel, son caractère catholique dans le sens antireligieux, anti-révélateur. (Interruption.) Ne réclamez pas ; vous êtes catholiques dans le sens grammatical, dans le sens étymologique du mot.

Vous êtes universels ; vous n'êtes pas nationaux. Vos doctrines sont universelles absolument comme les doctrines catholiques sont universelles, ce qui ne vous empêche pas d'être nationaux.

Mais enfin vous existez comme doctrine générale sociale. J'ai eu un document signé par un mes honorables collègues à qui j'ai demandé s'il le croyait exact. Il a bien voulu me répondre affirmativement.

Après tout, je n'ai pas des intentions hostiles vis-à-vis de la maçonnerie. Vous avez des intentions hostiles vis-à-vis de l'Eglise ; je n'en ai pas vis-à-vis de la loge. Je l'admets au partage de la liberté et du droit commun. Mais vous voulez plus pour elle.

Voici quelle est sa doctrine, je cite :

« Le respect de toutes les religions n'implique nécessairement l'approbation d'aucune d'elles. L'indépendance de la raison de l'homme, la liberté d'examen, veulent qu'aucun dogme, aucun texte, aucun pouvoir, ne puisse nous arrêter dans nos investigations ; elles ne peuvent vouloir non plus qu'aucune révélation soit acceptée comme limite imposée à l'action de la pensée.

« Par cela seul que notre point de départ est l'étude de l'homme et de ses facultés, nous pouvons être conduits à considérer la raison comme un moyen suffisant de nous pénétrer de la notion de l'Etre suprême, nos rapports avec lui, des devoirs que nous avons à remplir envers lui. Dès lors nous pouvons en Maçon soutenir que toute révélation est inutile pour que l'humanité puisse poursuivre ses destinées. Cependant, une révélation est pour toutes les religions un point de départ ; il est pour toutes un dogme fondamental, dogme que nous ne pouvons nous engager à ne pas discuter. »

Voilà un symbole bien net, bien clair, bien précis. On dit aussi :

« Le mérite relatif des articles de loi, nous ne pouvons le discuter. Nous ne pouvons examiner si telle doctrine de révélation vaut mieux que (page 499) telle autre ; si Moïse est un prophète plus authentique que Jésus ; si Jésus, à son tour, a mieux justifié de sa qualité de révélateur que ne l'a fait Mahomet. En un mot, nous discuterons si la pensée humaine a pour règle la liberté ou l'autorité ; mais nous nous abstiendrons de décider, entre ceux qui admettent une autorité, quelle est la meilleure à suivre.»

Et plus loin :

« Le Maçon ne se charge pas de prononcer entre Fô et Sammonocodom, et quant à ceux qui considèrent leur raison comme impuissante et veulent la faire fléchir sous l'autorité d'un dalaï-lama quelconque, elle leur abandonne le choix et n'assume à cet égard aucune responsabilité. »

Ainsi voilà une religion maçonnique bien nettement accentuée : la négociation, l'élimination, si vous l'aimez mieux, de toute révélation. Les maçons sont dans la liberté ; je ne les blâme pas ; seulement je constate.

M. Bara. - Vous n'avez rien compris à ce document.

M. Delaetµ. - Il paraît qu'on ne vous comprend jamais. Vous, les hommes de lumière, vous êtes très obscurs quand vous parlez.

Maintenant voici dans le même document la citation d'une planche. (Interruption.) Je crois que cela s'appelle une « planche » - transmise par le suprême conseil de Belgique au chapitre (car il y a un chapitre dans la loge, je ne sais s'il y a des chanoines) au chapitre des Vrais Amis de l'Union et du Progrès :

« Sociale partout, dit le Sup. Cons., mais nulle part nationale, la Franc-Maçonnerie s'interdit chez tous les peuples de s'occuper de politique, autrement qu'au point de vue de la philosophie et des sciences qui s'y rattachent, sans préoccupation exclusive des affaires d'un Etat particulier. »

L'Eglise n'a jamais fait autre chose que cela. Seulement, comme il y a une hiérarchie ecclésiastique, il y a une hiérarchie maçonnique ; comme il y a dans l'Eglise un pape, il y a dans la maçonnerie un grand maître universel. Or, si ce grand maître universel se nommait lord Palmerston par exemple, et s'il gouvernait l'Angleterre, n'y aurait-il pas là un plus grand danger que dans l'existence d'un pape, pauvre vieillard, obligé, comme on vient de nous le rappeler, de se faire garder par une armée étrangère ?

Eh bien, que la maçonnerie sorte de ses ténèbres et se déclare église, qu'elle réclame comme l'Eglise les avantages dont jouit l'Eglise catholique, je l'admettrai volontiers à la jouissance du droit commun.

Quant à moi, je voudrais que l'Etat n'intervînt ni dans l'Eglise ni dans la loge ; mais la loge fait mieux que réclamer l'intervention de l'Etat, elle se fait l'Etat ; elle intéresse l'Etat à ses principes et elle prend à tous les citoyens belges l'argent qu'elle se sent trop peu dévouée pour donner à ses écoles.

Vous nous avez dit : « Vous êtes intolérants, vous nous excommuniez, vous excommuniez nos journaux, vous excommuniez nos écoles. » Je ne sais pas jusqu'à quel point le fait est vrai ; je crois qu'en général il ne l'est pas, mais il le serait, que je trouverais cela fort naturel.

Quant à moi, et je parle ici en mon nom personnel, car je n'ai pas autorité pour parler au nom de la droite ; quant à moi, oui, j'excommunierais vos journaux et vos écoles ; mais où serait la sanction pénale de mon excommunication si celui que j'excommunierais se ri de mon excommunication ?

Et vous, que faites-vous ? Vous excommuniez les abonnés de nos journaux, vous excommuniez nos écoles, et ceux que vous avez excommuniés vous les excluez du budget, vous les plongez dans les ténèbres extérieures du budget, vous les jetez dans le coin des réprouvés du budget, car le budget, lui aussi, a son coin des réprouvés !

Nous avons des abonnés à nos journaux, c'est un titre à être exclu du budget ; nous avons des écoles, des écoles que nous avons fondées sans rien vous demander, que nous avons fondées au moyen de contributions volontaires (interruption) et de legs si vous voulez, car les legs n'ont rien d'immoral ; il n'y a que les captations qui soient immorales et celles-là vous avez le droit de les poursuivre devant les tribunaux. Ainsi quand un legs va à votre bureau de bienfaisance il est excellent, mais s'il va à un couvant, à une communauté enseignante, oh ! alors il est immoral au premier chef et le pays court un danger immense.

Quand nous avons fait une école dans une localité où vous n'aviez pas songé à en faire, vous vous empressez de venir dire à la commune : Vous avez adopté une école ; il y a des frères, il y a des nonnettes, vous devez renoncer à cette adoption, vous devez créer une école communale. Voilà comment vous venez faire concurrence à la liberté, non pas parce que votre école est nécessaire, mais parce qu'il y en a une autre qui vous gêne.

Vous avez invoqué contre vous la Civiltà cattolica. Je pourrais vous dire à mon tour, que vous ne comprenez pas la Civiltà, mais je suppose que les théories de la Civiltà sont telles que vous les dépeignez ; eh bien, alors je dis que la Civiltà est votre alliée et non pas la nôtre : les théories de la Civiltà sont absolument, au point de vue dc l’Eglise, ce que sont vos théories à votre point de vue à vous, au point de vue de l'Etat.

Vous n'aimez pas plus la liberté que ne l'aime la Civiltà, vous aimez bien mieux une douce protection qui vous permette de ne pas faire trop d'efforts par vous-mêmes.

Vous nous avez demandé : « Mettez-vous en poche votre programme clérical ? Mettez-vous en poche vos réclamations en faveur de l'Eglise ? » Pas le moins du monde, nous ne les mettrons pas en poche ; nous les produirons partout, mais toujours sur le terrain de la liberté, sur le terrain du droit commun et nous vous convions à y venir avec nous ; nous convions la loge à se déclarer ce qu'elle est, et à venir lutter au grand jour.

Mais aujourd'hui, dans un pays de liberté et de publicité, le parti qui fait toujours appel à la publicité est précisément le seul qui conserve les sociétés secrètes.

En effet, dès qu'un jésuite est entré dans l'ordre, tout le monde la connaît ; mais il y a bien des maçons que l'on ne connaît pas.

M. de Moorµ. - Il y en a chez vous. Demandez à M. Landeloos, il vous initiera.

M. De Fré. - Vous êtes entourés de maçons.

MfFOµ. - Et vous en faites des saints.

M. Bara. - Vos amis vous ont mystifié.

M. Delaetµ. - Je vous ai lu les doctrines de l'ordre maçonnique. Je demanderai à l'auteur du document la permission de dire son nom, puisque le document est public ; je lui demanderai si les passages que j'ai lus sont authentiques ou ne le sont pas ; je parle du texte, j'assume la responsabilité de la glose.

M. Bouvierµ. - L'auteur vous a dit que oui ; il a ajouté qu'il vous répondrait.

MfFOµ. - Il est acquis qu'il vous répondrait.

- Des membres. - A demain.

M. Delaetµ. - L'heure étant avancée, j'abrégerai ce qu'il me reste à dire.

Je faisais donc observer que nous avons aujourd'hui l'ordre maçonnique ; que cet ordre a une doctrine, une hiérarchie, un caractère universel...

MfFOµ. - Parfaitement.

M. Delaetµ. - Par conséquent, il a tout ce qu'il faut pour constituer une Eglise aussi régulière que l'Eglise romaine.

Pourquoi l'ordre maçonnique se cache-t-il ? Est-ce que l'ordre maçonnique est composé de gens qui aient peur ?

Je ne le crois pas ; je connais trop d'honorables maçons qui avouent hautement et leurs principes et leurs tendances et leurs actes.

Voici pourquoi l'ordre maçonnique se cache : c'est que s'il se produisait ouvertement, il devrait se déclarer Eglise ; alors le pouvoir civil, pour rester indépendant, devrait se séparer de lui comme il se sépare de l'Eglise catholique ; et alors aussi la cause séculière ne serait plus à son service.

Comment, dans un pays de publicité et de liberté, peut-il y avoir un danger suffisant pour qu'on croie devoir se cacher à l'ombre ? Ce n'est pas pour y tramer des complots, pour y aiguiser des poignards, ce n'est plus de notre époque. Si donc vous ne restez dans vos loges, ni pour tramer des complots, ce que je ne crois pas, ni pour aiguiser des poignards, ce que je crois encore moins, vous y restez pour que le pouvoir séculier ne vous échappe pas, pour que vous puissiez, au besoin, faire appel au bras séculier et à la caisse séculière et pour que le budget, que nous payons tous, soit employé pour vous seuls et contre nous. Voilà la raison pour laquelle vous n'osez pas avouer ce que vous êtes.

Le mouvement d'Anvers a ceci de bon qu'il a fait sortir le mouvement politique de ces petites assemblées, où quelques hommes arrangeaient les élections et se servaient des électeurs sans trop servir le pays.

On nous a dit que nous nous sommes servis des électeurs. Non, messieurs, nous les servons ; nous ne sommes pas les élus d'une coterie, mais de toute une population.

Nous servons les électeurs, et nous ne saurions faire autrement. Vienne la dissolution, ce ne sera ni devant un comité catholique, ni devant un comité libéral que je ma présenterai pour rendre compte de ma conduite. Ce sera devant le grand forum des meetings ; c'est là seulement que siègent mes véritables juges ; nous déclinons toute autre juridiction ; celle-là seule est digne de l'homme libre ; c'est la seule qui est digne d'un vrai représentant de la nation.

(page 500) Ces meetings, l'honorable M. Rogier les a appelés les mauvais meetings. Je comprends, M. Rogier, que vous les trouviez de mauvais meetings. A votre point de vue, ils oui été bien mauvais. Si vous aviez été un peu meilleur pour eux, ils eussent été un peu moins mauvais. Mais ils auraient toujours été mauvais, parce que vous ne sauriez tenir, vous autres doctrinaires, devant le jugement du peuple, devant la discussion publique.

Vous y avez si peu confiance que si vous aviez été ce que vous dites être, les favoris de la nation belge, vous auriez fait un grand acte. Vous auriez dit à la droite : Vous êtes arrivée lentement, et par des moyens que nous jugeons mauvais, à vous faire quasi-majorité ; il faut que le pays juge entre nous. Il faut que le pays soit juge et juge loyal. Nous allons conseiller au Roi de nommer un ministère intérimaire avec la seule mission de dissoudre les Chambres ; nous renonçons aux budgets ; nous renonçons à nos administrations publiques, à nos fonctionnaires, à toutes ces influences qui nous favorisent.

MfFOµ. - Et au clergé.

M. Delaetµ. - Mais le clergé n'est-il pas libre ? (Interruption.) D'ailleurs, n'avez-vous pas les loges ?

Vous parlez des loges comme nous parlons du clergé. Le clergé n'a pas de budgets à distribuer.

- Plusieurs membres. - Si ! si !

M. Delaetµ. - Si le clergé a de l'argent, c'est nous qui le lui donnons.

M. Bouvierµ. - Et le budget.

M. Delaetµ. - Si le clergé a de l'argent, c'est nous qui lui en donnons. Car ce n'est pas contre le clergé qu'on fait des captations ; vous n'avez jamais dit que le clergé se laissât capter.

Vos loges aussi ont de l'influence et ses membres sont haut placés. Vous avez vos briquets et vos briquettes. Il en circule autant dans le pays que des pièces de 5 fr. catholiques.

Voilà la voie que vous deviez suivre. Mais vous n'avez pas osé ! Vous saviez que nous allions appeler le peuple dans de grands meetings et que vous ne résisteriez pas devant la discussion publique. Car je vous l'ai dit déjà : Vous vous prétendez l'avenir. Vous n'êtes pas l'avenir ; vous n'êtes plus même le présent, vous êtes le passé et le pays vous enterrera bientôt... je ne sais dans quel coin.

M. Bouvierµ. - Nous sommes des trépassés.

- La séance est levée à cinq heures et quart.