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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 8 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 477) M. de Moorµ procède à l'appel nominal à 2 heures el un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur J. Mertens déclare protester contre les paroles prononcées par un membre de la Chambre dans la séance du 1er juin et demande qu’il soit donné lecture de sa lettre. »

- Ordre du jour.


« Des habitants de Hal prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer projetés par l'ingénieur Splingard. »

« Même demande d'habitants de Brusseghem et d'Isque. »

M. Guillery. - Cette pétition intéresse vivement l'arrondissement de Bruxelles ; j'en demanda donc le renvoi à la commission des pétitions, avec prière de vouloir bien en faire l'objet d'un prompt rapport.


« Des propriétaires de bateaux à Rongy demandent :

« 1° La réduction du droit de patente et l'unification de ce droit ;

« 2° La diminution des péages des voies navigables et notamment des canaux de Mons à Pommeroeul et de Pommeroeul à Antoing ;

« 3° L'amélioration des minières et l'achèvement des canaux concédés. »

M. Bara. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission permanente de l'industrie, avec prière d'un prompt rapport.

Les modifications introduites récemment dans les tarifs de chemin de fer par M. le ministre des travaux publics doivent, je pense, attirer l'attention du gouvernement sur les péages des voies de navigation et sur la batellerie. C'est pour ce motif que les pétitionnaires ont indiqué dans leur pétition certaines mesures qui seraient de nature à améliorer la position de la batellerie en Belgique.

J'appelle aussi l'attention de M. le ministre des finances sur la question du droit de patente, également soulevée dans la pétition et celle de M. le ministre des travaux publics sur les travaux qui sont encore nécessaires dans mon arrondissement et dans les autres pour améliorer nos canaux et nos rivières.

- Cette proposition est adoptée.


« Les membres de l'administration communale de Clavier prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Mayence qui est demandée par les sieurs Ordener et de Grosmenil. »

« Même demande des membres de l'administration communale de Fraiture, Burdinne, Hannesche, Acosse, Lamonizée, Oteppe et Vissoul. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Muysen demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande des membres du conseil communal de Bouckhout. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Des habitants de Bruxelles prient la Chambre de ne pas proroger la loi du 22 septembre 1835, relative aux étrangers, dans les termes où elle est conçue. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi concernant les étrangers.


« Le sieur Bochart demande la révision de l'article 47 de la Constitution. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal et des habitants de Grand Halleux prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »

« Même demande des membres du conseil communal de Warzée. »

- Même renvoi.


« M. le ministre des finances transmet à la Chambre, conformément à l'article 20 de la loi du 8 mai 1850, le rapport de la commission administrative de la caisse de retraite sur les opérations de cette caisse pendant l'année 1863 et sur la situation de l'institution au 1er janvier 1861.

- Impression et distribution.

Motion d’ordre relative aux Annales parlementaires

M. Bara. - La Chambre a été saisie hier d'une réclamation faite par mon honorable collègue, M. Hymans, au sujet du discours de M. Soenens qui a paru aux Annales parlementaires. Moi-même j'avais adressé, au sujet de ce discours, une réclamation au bureau de la Chambre.

M. le président a convoqué aujourd'hui ce bureau et l'honorable M. Soenens et moi nous avens échangé devant lui des explications. Il résulte de ces explications que l'honorable M. Soenens a reconnu que le discours qui a paru aux Annales avait subi une nouvelle rédaction, et qu'il contenait des considérations qui n'avaient pas été développées à la séance et l'honorable M. Soenens a attribué ce fait aux interruptions nombreuses de l'assemblée.

L'honorable membre a, en outre, déclaré que les expressions de misérable et d'odieux qui se trouvent dans le discours paru au Moniteur et qu'il n'avait pas prononcées, excédaient sa pensée en ce qu'il ne les avait pas écrites en vue de me blesser.

Moyennant ces explications, j'ai retiré la réclamation que j'avais adressée au bureau et je crois que l'assemblée peut considérer l'incident comme vidé.

- L'incident est clos.

Discussion générale sur la crise ministérielle

MpVµ. - M. De Fré est le premier inscrit. M. Dechamps s'est fait inscrire également, et c'est à lui que je devrai accorder la parole si la Chambre décide qu'elle entendra alternativement un membre pour et un membre contre.

M. De Fré. - Je demande à faire une observation à la Chambre. La Chambre a entendu, samedi, l'honorable M. Kervyn après l'honorable M. Thonissen.

M. Kervyn de Lettenhove. - C'est une erreur : M. le ministre des affaires étrangères avait répondu d'abord à l'honorable M. Thonissen.

M. De Fré. - Après l'honorable M. Kervyn, nous avons entendu hier l'honorable M. Jacobs ; voilà donc deux orateurs de la droite.

Hier il n'y a eu qu'un seul orateur de la droite, il me semble qu'étant inscrit le premier.....(Interruption.)

Je dois faire observer à M. Dechamps que, ministre d'un cabinet passé, combattant un cabinet présent, c'est un débat tout particulier. J'ajoute que j'attendais le lendemain sa réponse au discours prononcé la veille par M. le ministre des finances.

Si la Chambre désire entendre M. Dechamps maintenant, je m'en rapporterai à ce qu'elle décidera.

- Plusieurs voix à gauche. - Non, non, parlez !

.M. Dechamps. - Je demande que la Chambre veuille bien m'entendre maintenant ; dans la discussion on a entendu tour à tour un orateur de la droite et un orateur de la gauche. C'est d'ailleurs un usage depuis longtemps consacré. On n'y a fait exception qui quand il n'y avait d'inscrits que des orateurs d'un seul côté de la Chambre. C'est pour cela que M. Kervyn a parlé après M. Thonissen. Comme je dois répondre à M. le ministre des finances, et M. De Fré me reproche de le faire tardivement, je désire ne pas me laisser enlever mon tour de parole. Je serai peut-être long et je voudrais ne pas devoir scinder mon discours.

M. B. Dumortier. - M. Dechamps ne demande que l'exécution du règlement ; l'article 18 porte :

« La parole est accordée suivant l'ordre des demandes ou inscriptions.

« Il n'est dérogé à cet ordre que pour accorder la parole alternativement pour, sur et contre les propositions en discussion. »

Voilà l'ordre prescrit par le règlement.(Interruption.) C'est l'exécution du règlement. II ne s'agit pas, par des arguments subtils, de mettre le règlement de côté. Il faut l'exécuter dans son esprit comme dans son texte, entendre alternativement un orateur pour et un orateur contre, c'est ainsi qu'une discussion doit marcher ; il faut que la réponse se fasse entendre après la demande. S'il n'y a pas d'orateur inscrit pour parler dans le sens opposé à celui qu'on vient d'entendre, on donne la parole à un orateur de même opinion ; mais ici il a des orateurs inscrits pour et contre ; par conséquent, on doit entendre alternativement un orateur pour et un orateur contre.

- Plusieurs voix. - Il faut que M. De Fré y consente.

M. De éµ. - Je m'en rapporte à la Chambre.

MpVµ. - La parole est à M. Dechamps.

.M. Dechamps. - Messieurs, comme je vais répondre à un discours qui a duré trois heures et que je dois par conséquent parler longtemps, je demande à la Chambre sa bienveillance, son attention et peu d'interruptions.

En entendant le discours prononcé par M. le ministre des finances (page 478) dans une séance précédente, je me suis demandé si nous étions au pouvoir et si nous avions devant nous le chef d'une opposition violente nous livrant une grande bataille parlementaire pour nous renverser.

Le ministère de la droite n'est pas né, il n'a pas vécu, son programme non accepté n'existe pas ; les projets de lois qui étaient destinés à réaliser ce programme ne vous sont pas proposés ; et c'est nous qu'on discute, comme si nous étions le pouvoir et comme si vous étiez l'opposition !

Mais il me semble que c'est à vous qui êtes assis sur les bancs ministériels, de nous dire pourquoi vous y êtes, pourquoi vous avez retiré vos démissions irrévocables, pourquoi, après nous avoir provoqués pendant cinq mois de prendre le pouvoir, de faire la dissolution des Chambres, pourquoi c'est vous qui êtes au pouvoir, qui allez faire la dissolution des Chambres pour la deuxième fois en six ans, transformant ainsi une mesure extrême, exceptionnelle, confiée par la Constitution à la royauté dans un intérêt de gouvernement et d'impartialité politique, en une mesure normale dont le parti libéral entend faire usage chaque fois qu'il voudra arriver au pouvoir ou chaque fois qu'il voudra ne pas en sortir, mesure qui devient ainsi un véritable instrument de prépondérance politique.

Messieurs, voilà ce qu'il faut expliquer plus clairement qu'on ne l'a fait, Mais on aime mieux poursuivre les ombres des morts avec une grande violence de langage, afin qu'on oublie probablement de combattre les vivants. (Interruption.)

L honorable M. Rogier, en 1846, dans une situation analogue à celle où nous sommes, disait à ses amis :

« Aux explications que l'on doit au pays sur la formation du cabinet existant et sur son programme, on voudrait peut-être substituer une nouvelle discussion où serait engagé un ministère qui n'a pas vécu, un programme qu'il n'a pas eu à exécuter. Messieurs (ajoutait M. Rogier), ce rôle, nous ne l'acceptons pas. Vous avez devant vous un ministère responsable, vous n'avez pas à débattre le programme d'un ministère qui n’a pas existé. Ce programme, je le maintiens, je l'ai défendu, mais je tiens mes amis en garde contre la marche qu'on voudrait imprimer à cette discussion. »

Messieurs, l'honorable ministre des affaires étrangères voudra bien reconnaître que ce langage qu'il a tenu à ses amis en 1846, j'aurais le droit de le tenir à mes amis en 1864 et de dénier absolument à la majorité et au ministère le droit de discuter un ministère qui n'à pas vécu, un programme qui n'existe pas.

Mais ce droit, je ne viens pas vous le dénier. Je compte bien à mon tour discuter ce programme qu'on a très peu discuté, mais ce que je conteste, c'est qu'on puisse venir discuter ici ce qu'on a appelé notre programme secret, le programme imaginaire destiné à distraire l'attention publique du programme réel.

Ce que je conteste, c'est que le ministère puisse cumuler les avantages du pouvoir qu’il garde avec les bénéfices de l'opposition dont il cherche à usurper le rôle.

Messieurs, on aura beau enfler la voix, grossir les arguments, exagérer les déclamations, on ne parviendra pas à égarer l'opinion intelligente du pays, qui vous ramènera toujours à ceci : Quelle est la cause de l'exclusion de la droite du pouvoir ? Est-ce pour ce programme qu'elle désavoue hautement ? Ce serait absurde.

L'honorable M. Rogier déniait à ses adversaires le droit de discuter son programme réel, parce qu'il n'avait pas été admis par la Couronne, et vous voulez élever la prétention de discuter un prétendu programme écrit que vous avez imaginé et que nous désavouons.

Serait-ce parce que notre présence aux affaires, comme l'a dit l'honorable ministre des finances, est un danger public ? Mais, messieurs, ce serait ériger l'ostracisme politique en doctrine absolue, ce serait la dictature politique d'un parti audacieusement proclamée.

Ce n'est donc ni pour notre programme secret ni pour les dangers qu'aurait fait courir notre présence aux affaires, que le ministère de la droite ne s'est pas constitué.

Pourquoi donc ? Est-ce pour notre programme réel, proposé, publié ? Non encore. Notre programme, proposé à la royauté, n'a pas été rejeté dans son ensemble. Je vous l'ai dit, M. le ministre des affaires étrangères l'a reconnu : un seul point a fait l'objet du dissentiment entre la Couronne et nous, c'est la réforme communale, et dans la réforme communale spécialement la question relative à l'abaissement du cens communal et provincial.

Ainsi, messieurs, c'est parce que nous avons proposé la nomination du bourgmestre par le Roi, dans le sein du conseil communal, la députation permanente entendue, de le nommer en dehors du conseil de l'avis conforme de cette députation, d'attribuer au conseil communal le choix des échevins, de réduire le cens communal à un chiffre qui ne pouvait descendre au-dessous de 10 francs et qui n'aurait été fixé qu'après une enquête faite par les députations provinciales. C'est pour cela que vous avez retiré vos démissions et que vous nous avez interdit l'accès du pouvoir.

Je ne puis assez attirer l'attention sur ce point, c'est là le fond du débat, dont on cherche toujours à se détourner. L'honorable ministre des finances qui a parlé pendant trois heures, qui a parlé de beaucoup de choses et beaucoup de lui-même (il en avait, du reste, le droit), l’honorable ministre des finances n'a consacré à la réforme communale que deux ou trois paragraphes de son discours, et il s'est bien gardé d'essayer de démontrer que la réforme communale proposée était un motif légitime de notre exclusion du pouvoir.

Il ne s'agit pas, en effet, de savoir si la réforme communale vous convient, si elle est bonne ou mauvaise ; la question n'est pas là.

Il s'agit de savoir si cette réforme est discutable. Ce que vous avez repoussé, c'est l'examen à priori ; ce que vous repoussez, c'est le principe même de toute réforme communale, et vous avez déclaré à la royauté que ce principe ne pouvait pas être discuté sans danger pour le pays.

Eh bien, je dis que cela est illégitime, que cela n'est pas sérieux et que cette prétention est indiscutable.

Nous avions le droit de faire discuter cette réforme communale. On aurait pu s'y opposer, on aurait pu la rejeter, mais il fallait la discuter. On a interdit l'examen et la discussion : voilà le grief politique de l'opposition contre le ministère.

M. le ministre des finances a parlé de tout, excepté de ce grief, qui est le fond même du débat politique aujourd'hui engagé. Il a évité soigneusement ce terrain ; il refuse de mettre le pied sur ces charbons ardents ; il ne le fera pas.

Messieurs, je vais donc discuter à mon tour le programme sur lequel mes collègues et moi nous nous étions mis d'accord.

Le programme politique comprend la réforme communale et la question d'Anvers.

Pour ne pas être trop long, je laisse le soin à mes honorables collègues et particulièrement à l'honorable M. de Naeyer, de discuter plus spécialement ce que j'ai appelé notre programme d'affaires.

Réforme communale.

Messieurs, la Belgique, vous le savez, jouit d'admirables institutions politiques libres.

En 1848, on a changé profondément, d'une manière presque radicale, notre système électoral pour les Chambres. Mais depuis 1836, depuis vingt-huit ans, depuis plus d'un quart de siècle, on n'a plus touché, pour ainsi dire, à la loi communale.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Et la loi de 1842 ?

.M. Dechamps. - En 1842 et en 1848, il s'est agi d'une modification plus bruyante que réelle. La question de savoir si le bourgmestre serait nommé en dehors du conseil avec ou sans l'avis de la députation provinciale, est sans grande importance pratique. C'est là une mesure d'exception.

On n'a pas fait usage de ce droit ou au moins on n'en a fait qu'un usage très rare ; c'est un principe qui ne reçoit presque aucune application.

Je fais donc remarquer qu'on n'a, pour ainsi dire, pas touché depuis plus d'un quart de siècle à la loi communale, si ce n'est en 1848, à l'égard du cens électoral, dans les communes de plus de 15,000 âmes ; j'en dirai un mot tout à l'heure.

Messieurs, nous avons pensé qu'il n'était pas téméraire, après vingt-huit ans, de faire un pas dans la voie de l'autonomie communale, d'étendre un peu la prérogative des conseils communaux, d'appeler un plus grand nombre d'électeurs, non pas à la vie politique, mais à la vie communale, que M. de Tocqueville appelle l'école primaire de la liberté politique.

Nous voulions rendre hommage ainsi au progrès politique réalisé par nos libres institutions et au progrès considérable de l'instruction dans notre pays depuis 28 ans.

L'honorable M. Bara, lui, au lieu de rendre cet hommage à nos institutions, les calomnie ; il trouve que nos institutions, après 28 ans d'existence, n'ont pas produit de résultats ; que l’instruction n'a fait aucun progrès ; que la presse n'a rien éclairé, et que l'ignorance populaire est telle qu'on ne peut pas songer à étendre, dans des limites très modérées, le cercle de la capacité électorale dans les communes. Messieurs, je dois protester contre cette accusation.

Comment ! hier le chancelier de l'échiquier faisait l'éloge de l'instruction (page 479) des masses en Angleterre, et trouvait qu'il fallait récompense les progrès réalisés.

L'honorable M. Frère a prétendu, dans une discussion précédente, que l'état de l'instruction du peuple était déplorable en Angleterre ; il citait des enquêtes et faisait de l'ignorance des masses en Angleterre un tableau effrayant. Il proclamait notre supériorité à cet égard. Aujourd'hui, le lord chancelier d'Angleterre pense qu'on peut élargir, en Angleterre, d'une manière que je trouve à coup sûr exagéré, les bases du droit d’élire.

L'honorable M. B3ra craint d'étendre un peu chez nous, après une expérience de vingt-huit ans, le suffrage électoral dans la commune !

Je réponds à l'honorable membre, que la meilleure manière de favoriser l'instruction et d’en répandre le goût dans le peuple, c’est de lui donner les droits ; excitez chez lui l’intérêt à savoir lire et écrire, et l’instruction se répandra.

Messieurs, nous voulions donc faire un pas dans la voie de la liberté communale, un pas prudent, presque timide. Ce but pouvait être atteint de diverses manières, par différents systèmes.

Nous avons proposé celui qui nous a paru le meilleur. Lorsque le projet de loi vous aurait été soumis, on l'aurait discuté ; nous aurions écouté les observations et les critiques dont il aurait été l'objet ; on pouvait y introduire des modifications utiles ; je comprends cela. Mais ce que je comprends moins, c'est qu'on ait mis l'interdit sur la discussion même ; c'est qu'on ait empêché un parti d'arriver aux affaires pour la soutenir. Cela n'est ni légitime ni surtout libéral. (Interruption.)

Mais quelles sont les objections qu'on nous oppose ?

La première, c'est que rien n'est préparé dans l'opinion pour cette réforme. M. le ministre des affaires étrangères, et d'autres après lui, nous ont dit : Quel est le signe de l'opinion qui indique la nécessité et l'utilité administrative ou politique de cette réforme ? où sont les pétitions, les assemblées, les meetings, les débats de la tribune et de la presse qui proclament cette utilité ?

Si cette objection était fondée, serait-ce une raison suffisante pour interdire la discussion d'une réforme communale ? Mais presque toutes les réformes ont été dues à l'initiative de ministères. Je rappelle la principale de toutes. Comment est née ce qu'où a nommé la question de la charité ? Elle est née dans la circulaire de M. de Haussy en 1848. Avant cette circulaire, cette question restait parfaitement ignorée. L'honorable M. Tesch, répondant à une objection que je lui faisais, a avoué que la question n'était pas née à cette époque. Tous les ministres libéraux, MM. Lebeau, Liedts, Leclercq, avaient compris l'article 84 de la loi communale comme nous l'avions compris nous-même. L'honorable M. Verhaegen, pendant dix ans s'était mis à la recherche de la mainmorte et de la personnification civile ; elle était là sous sa main ; il ne l'avait pas trouvée ! C'est le ministère de 1847 qui a eu l'honneur de cette grande découverte. cette grave question, qui a été l'objet de débats irritants parmi nous, est donc née de l'initiative ministérielle ; elle n'avait pas été préparée par un mouvement quelconque de l'opinion publique.

Quant aux lois sur les fondations de bourses d'études et sur les fabriques d'église, où sont les pétitions, les assemblées, les meetings qui ont déclaré l'urgence et l'utilité de ces lois-là ? On ne pourrait rien citer ; ce n'est donc pas là une raison sérieuse pour écarter toute proposition de réforme communale.

Mais est-il vrai que la réforme communale surgisse ainsi, à l'improviste, sans que rien l'ait préparée dans l'opinion ? C'est ce que je vais examiner. Je tâcherai de vous démontrer cinq choses :

1° Que la réforme communale que nous proposions était la conséquence logique, nécessaire de la réforme électorale de 1848 ;

2° Qu'elle était la réalisation d'une promesse formelle et solennelle de l'opinion libérale elle-même en 1848, comme l'a établi hier l'honorable M. Jacobs ;

3° Que l'opinion conservatrice a inscrit cette réforme dans son programme depuis 14 ans et qu'à toutes les époques, le principe même en a été proclamé dans nos débats parlementaires par mes honorables amis et par moi ;

4° Que cette réforme est le redressement d'un des griefs les plus considérables de l'opinion conservatrice ;

5° Qu'elle correspond au mouvement qui s'est manifesté dans presque toute l'Europe par des modifications profondes, introduites partout, depuis 1848, dans le régime communal et dans le régime électoral.

Messieurs, je dis que la réforme communale est une conséquence de la réforme électorale de 1848.

La législation électorale d'un pays forme un ensemble ; des proportions sont établies dans le système comprenant les élections pour les Chambres, les élections pour la province et les élections pour la commune. Partout où le suffrage universel n'existe pas, le cens est beaucoup plus bas pour la commune ; il est plus élevé pour la province et atteint un chiffre plus élevé encore pour les Chambres législatives. Il y a là des gradations suivies, un ensemble, de l'harmonie, des proportions établies.

En 1836, le législateur s'est trouvé placé en présence de la loi électorale de 1831 pour les Chambres ; il a donc dû mettre le cens électoral, fixé par la commune, en harmonie avec celui qu'il avait établi pour les élections aux Chambres.

Voilà ce qu'il a fit. Eh bien, messieurs, que s'est-il passé depuis lors ? En 1848, vous le savez, on a abaissé, sous l’influence d'événements que je n'ai pas besoin de rappeler, le cens électoral législatif du chiffre de 200 fr. où il s'élevait pour certaines villes, jusqu'au chiffre uniforme de 42 francs pour tout le pays.

Tout le monde a qualifié cette réforme de radicale et elle l'était en effet. Messieurs, il est évident que cette réforme une fois établie, qu'un abaissement aussi considérable du cens général pour les Chambres une fois opéré, il était impossible de maintenir le cens communal et le cens provincial dans leurs anciennes limites sans consacrer une véritable anomalie, sans rompre la proportion établie et renverser l'ensemble du système électoral général du pays.

En 1848 on a proposé, en effet, pour les communes de plus de 15,000 âmes, de réduire le cens électoral qui dépassait le cens législatif de 42 francs, et il le fallait pour empêcher une flagrante anomalie.

Mais, messieurs, n'est-il pas évident qu'après avoir réduit dans les proportions de la moitié, des 3/4, des 4/5 le cens législatif, il est impossible, d'une manière logique, de maintenir le cens communal de 1836. Hors l'exception dont j'ai parlé pour quelques grandes villes, on n'a donc pas touché au cens communal depuis 28 ans.

Messieurs, il y aurait anomalie et il y aurait en outre injustice à maintenir cet état de choses. Il y aurait anomalie et je viens de le prouver ; j'ajoute qu'il y aurait injustice, parce que, après avoir réduit en 1848 le cens communal pour les villes de plus de 15,000 âmes, il ne serait pas juste de ne point faire participer les autres communes du pays au bienfait de cette mesure libérale.

M. Orts. - Je demande la parole.

.M. Dechamps. - Messieurs, j'ai affirmé tout à l'heure que la réforme électorale que nous proposons est la réalisation d'une promesse solennelle de l'opinion libérale faite en 1848. L'honorable M. Jacobs vous l'a rappelé hier ; il a cité hier un passage du rapport de la section centrale fait par M. Ch. de Brouckere, cl les paroles prononcées à cette occasion par M. Rogier.

On disait dans ce rapport, et je puis me borner à résumer ces citations rappelées textuellement par mon honorable ami M. Jacobs, que le moment n'était pas venu d'apporter les changements qu'on sollicitait et qu'on réclamait des deux côtés de la Chambre. Des changements, disait le rapport de la section centrale, pourront utilement être apportés à la loi de 1836 en ce qui concerne les élections des conseils communaux. On a reconnu, disait M. de Brouckere, que le système électoral des communes est susceptible de modifications beaucoup plus larges et beaucoup plus importants ; mais on proposait d'ajourner ces modifications à la prochaine législature.

Il y a seize ans de cela, il y a seize ans que cette promesse est faite et l'on trouve qu'on se bâte de la réaliser ? On disait, en 1848, aux impatients de la Chambre : Ne vous pressez pas ; cette réforme vous l'aurez ; cet abaissement du cens communal, vous pouvez bien l'attendre encore une année. La prochaine législature vous la donnera !

L'honorable M. Rogier, qui prétend aujourd'hui qu'à aucune époque il n'a été fait de motion relative à cette réforme, disait lui-même : « Ne vous précipitez pas, nous venons de faire un pas, il n'y a pas urgence. » Et il proposait d'ajourner cette réforme communal, qu'il appelait alors « un progrès espéré de l'opinion libérale ! »

En 1848, l'abaissement du cens communal c'était le progrès espéré par l'opinion libérale ; aujourd'hui, c'est l'anarchie, c'est le radicalisme, c'est presque la révolution.

Vous avez dit que la réforme indiquée dans notre programme n'était pas sérieuse ; je réponds que ce qui n'est pas sérieux, ce sont ces futiles prétextes que l'on nous oppose, c'est cette parade d'épouvante, ce sont ces déclamations indignées auxquelles vous avez pris soin d'infliger vous-mêmes d'avance un démenti qui les démasque. (Interruption.)

Messieurs, si l'opinion libérale est engagée par sa promesse de 1848, l'opinion conservatrice avait inscrit de son côté, depuis 14 ans, cette réforme communale dans son programme politique. On vous l'a rappelé : en 1851, mon honorable ami, M. Dumortier, ce vétéran de la liberté (page 480) communale, ce défenseur dévoué de nos franchises politiques, a fait la proposition formelle d'attribuer aux conseils communaux la nomination des bourgmestres et des échevins.

Eh bien, messieurs, l'opinion conservatrice presque tout entière, à peu d'exceptions près, a voté en faveur de la prise en considération du projet de mon honorable ami. M. le ministre des finances a rappelé que mon vote ne se trouvait pas à côté de ceux de mes amis ; mais j'étais absent de la Chambre, à cette époque, et mes amis savent combien pleinement je m'étais associé à leur vote en cette occasion. (Interruption.)

Messieurs, dès 1862, je disais dans la discussion du budget de l'intérieur en formulant nos griefs contre les nominations politiques du gouvernement dans les communes, je disais que lorsque mes amis arriveraient au pouvoir ils ne pourraient y venir qu'avec cette réforme à la main.

Mon honorable ami, M. Nothomb, dans la séance du 11 mars 1863, s'écriait : Le temps viendra où l'extension du droit électoral s'imposera non seulement comme un acte de justice, mais comme une nécessité à laquelle il est prudent de se préparer.

Lors de la discussion de l'adresse de l'année dernière, nous n'étions pas à la veille de prendre le pouvoir ; nous ne pouvions pas même pressentir la crise actuelle, et cependant j'ai fait connaître alors le motif et le principe de la réforme communale que l'opinion conservatrice apporterait quand un appel serait fait à son dévouement politique.

Nous aurions donc réalisé au pouvoir non seulement une promesse de l'opinion conservatrice, de l'opposition, mais encore une promesse formelle de l'opinion libérale, lorsqu'elle était majorité.

Messieurs, dans le premier discours que j'ai prononcé, j'ai dit déjà que la réforme communale serait une satisfaction donnée à l'un des principaux griefs de l'opposition conservatrice. Vous le savez, plusieurs fois à cette tribune, nous nous sommes plaints en termes très vifs, amers même, des nominations politiques qui étaient substituées souvent, trop souvent, aux nominations administratives dans les conseils communaux.

À chaque renouvellement des autorités communales ces plaintes ont grandi, elles ont acquis plus d'intensité.

On a cité des faits nombreux ; je ne veux pas les rappeler ; nous ne sommes pas au pouvoir et nous ne pouvons pas faire une enquête administrative sur ces faits. Mais, pour ne parler que de mon arrondissement, j'ai prouvé qu'en 1857 et en 1861, dans deux renouvellements des conseils communaux, on avait éliminé de l'arrondissement de Charleroi seul les deux tiers des bourgmestres dont le mandat était expiré et qui avaient été réélus. Dix bourgmestres sur quinze - on n'a pas contesté ce fait - ont été éliminés.

M. De Fré. - Ils n'avaient plus la majorité.

.M. Dechamps. - Ils avaient été réélus et presque tous avaient encore la majorité dans le conseil.

MfFOµ. - Dans le conseil ?

.M. Dechamps. - Oui, dans le conseil. On a souvent, dans mon arrondissement, éliminé des bourgmestres qui étaient à la tête de la presque unanimité de leur conseil communal.

Ainsi, dans une commune voisine de celle que j'habite, il y a, à l'heure qu'il est, un conseil communal où il n'y a que deux membres appartenant à l'opinion libérale ; on a fait de l'un un bourgmestre, de l'autre un échevin, on n'a trouvé personne pour remplir la place de deuxième échevin. Aujourd'hui les conseillers refusent de se réunir, les budgets ne peuvent pas être votés. C'est l'anarchie complète organisée dans les communes.

MfFOµ. - C'est une allégation vague, on ne peut pas vérifier le fait.

M. Pirmez. - Citez le nom de cette commune.

.M. Dechamps. - Je fais allusion à la commune de la Hestre située près de chez moi. Je pourrais citer bien d'autres exemples. (Interruption.)

En 1857, en 1861 vous avez donc éliminé, dans un seul arrondissement, les deux tiers des bourgmestres, et vous affirmez qu'il n'y a pas d'abus, qu'il n'y a pas là un grief considérable à réparer ?

M. Mullerµ. - Vous en avez fait tout autant.

.M. Dechamps. - M. Muller, vous voyez la paille qui est dans notre œil et vous ne voyez pas la poutre qui est dans le vôtre.

- A droite. - Très bien !

.M. Dechamps. - Messieurs, il y a un fait dont les journaux ont parlé ; je ne sais pas s'il est exact ; j'interroge le ministère, il pourra nous le dire.

On nous a appris, sans que le fait ait été désavoué, que deux ministres avaient remis leur démission entre les mains du Roi, pour vaincre une haute résistance qui s'opposait à la nomination d'un bourgmestre de l'une de nos grandes villes. (Longue interruption.)

Si cela est vrai, que devient la prérogative royale ? Qu'en faites-vous ? Ce n'est plus une prérogative, c'est un asservissement, une abdication ! M. Bara s'est permis de dire que la droite au pouvoir c'était le clergé qui deviendrait le distributeur des places et des fonctions. Je pourrais dire avec plus de vérité assurément qu'aujourd'hui ce sont les associations libérales qui dictent les nominations. (Interruption.)

Oui, messieurs, dans le système tel qu'il est pratiqué, il n'y a plus de prérogative royale, plus même de prérogative ministérielle ; il n'y a plu» qu'une prérogative de parti.

Voilà pourquoi, messieurs, nous avions voulu écrire dans la loi la règle administrative dont le gouvernement ne doit pas généralement se départir, celle qui exige que le choix des bourgmestres et des échevins soit fait dans la majorité du conseil communal.

On m'a opposé mon opinion de 1842, pour me mettre en contradiction avec moi-même.

A cette époque de 1842, messieurs, le gouvernement avait la prétention de n'être pas un gouvernement de parti, mais un gouvernement de transaction ; il voulait la transaction au pouvoir, la transaction dans les lois, et dès lors l'impartialité administrative. (Interruption.) Il l'a prouvé en faisant voter la grande loi d'instruction primaire à la presque unanimité de la Chambre.

On comprend que d'après le principe du système politique qui prévalait alors et malgré les abus qui ont pu se commettre, on était en droit de croire, et j'ai pu croire que l'impartialité administrative présiderait aux nominations des magistrats communaux. Mais aujourd'hui ce système de gouvernement a été renversé ; c'est le système de gouvernement de parti qui a prévalu.

Or, quand un parti est au pouvoir, il est bien près de gouverner au profit d'un parti. Ce système de gouvernement de parti doit produire nécessairement la partialité dans les nominations.

J'aurais donc pu en 1842 accorder au gouvernement des attributions que je lui refuserais aujourd'hui, sans me contredire en rien. Il n'y avait pas de danger, il pouvait y avoir des avantages, à accorder au gouvernement des droits qui profitaient à tous et ne pouvaient pas être tournés contre une opinion ; mais aujourd'hui, sous l'empire des ministères homogènes, c'est-à-dire de parti, il est bon, il est nécessaire d'enlever aux partis ces armes dangereuses qui ne servent plus à accroître l'influence modératrice et bienfaitrice de la royauté, mais uniquement à blesser des adversaires politiques. Ce n'est pas au pouvoir, c'est aux partis qu'il faut arracher ces armes.

En ce qui concerne les opinions que j'ai pu soutenir en 1842, vous me permettrez d'emprunter à l'honorable M. Rogier, la réponse qu'il a adressée à ses adversaires, en 1848, en pareille circonstance.

L'honorable M. Rogier, à qui on faisait le même reproche, répondit ceci : « Entre 1833 et 1848 il s'est passé 15 ans. Quelque bon conservateur que je sois, je n'ai pas pris l'engagement de rester, à 15 ans d'intervalle, parfaitement conséquent avec toutes mes opinions. »

Si M. Rogier a pu en quinze ans modifier son opinion, faire un pas dans la voie de la liberté communale, on me permettra bien, après vingt-deux ans, de l'imiter et de faire aussi un pas dans la voie de cette liberté. Je n'ai pas la prétention d'être un meilleur conservateur que lui.

Messieurs, j'ai dit tout à l'heure, et c'est l'argument sur lequel j'appelle plus particulièrement l'attention de la Chambre, j'ai dit que la réforme que nous avions prescrite correspond au mouvement qui s'est manifesté dans presque toute l'Europe, par des modifications apportées presque partout dans le régime communal et dans le régime électoral.

Depuis vingt-huit ans, nous n'avons pour ainsi dire pas touché à notre loi communale. Que s'est-il passé pendant cet intervalle dans les pays qui nous entourent ?

En France, le suffrage restreint a été vaincu par le suffrage universel ; vous venez d'entendre le grand chancelier d'Angleterre, lord Gladstone, annoncer une réforme électorale qui touche au suffrage universel dans le pays le plus aristocratique du monde et qui semble donc y être le moins préparé.

Le suffrage universel frappe à nos portes ; partout la législation communale a été modifiée en Prusse en 1850, en Autriche, en 1849 et le Reichsrath autrichien vient de jeter les bases d'un système communal (page 481) plus libéral, en laissant aux diètes provinciales des pays de la couronne le soin d'appliquer ces principes généraux aux lois communies spéciales, que ces diètes doivent adopter pour chacun de ces pays. Presque tous les cantons de la Suisse ont modifié leur système communal en 1848 et 1849 ,la Hollande en a fait autant en 1849 ; le royaume d'Italie a adopté son système communal en 1859.

Vous serez étonnés d'apprendre que sous le rapport du mode de nomination des autorités communales, partout, excepté en France, le régime introduit ailleurs est plus libéral que chez nous ; que partout, excepté en Hollande, le cens communal est inférieur, non seulement à celui qui existe chez nous depuis 1830, mais à celui que nous voulions introduire dans la réforme communale de notre programme.

Ce fait me paraît me décisif.

M. de Renesse. - L'instruction en Allemagne est plus avancée qu'ici.

M. Coomans. - Mais nous ne sommes pas plus bêtes que les autres.

.M. Dechamps. - Je proteste contre cette allégation-là, qui n'est qu'une insulte jetée à nos institutions et au pays. Du reste je réponds à M. le ministre des finances qui a prétendu que l'Angleterre était plus en arrière que nous sous le rapport de l'instruction, et cependant là le régime communal, sous le double rapport de la nomination des magistrats communaux et du droit de suffrage, est plus large et plus libre que chez nous.

La Chambre me permettra d'entrer dans quelques détails et d'indiquer des chiffres qui justifient mes allégations.

Je m'occupe d'abord du mode de nomination des autorités communales.

En Angleterre, les maires, les aldermen sont nommés par le conseil communal.

En Prusse, les bourgmestres, les adjoints et les échevins sont nommés par le conseil. Les bourgmestres et les adjoints sont confirmés par le Roi pour les communes d'une population dépassant 10.000 âmes. Et encore lorsqu'il y a refus, il faut que le refus soit soumis au contrôle du comité cantonal.

MfFOµ. - Quelles sont leurs attributions ? Ils n'ont aucune attribution d'intérêt général.

.M. Dechamps. - C'est une profonde erreur. Leurs attributions sont analogues aux nôtres.

En Angleterre ils ont même, je crois, certaines attributions judiciaires.

En Autriche, 1a législation nouvelle qui vient d'être votée par le Reichsrath est une réforme libérale relativement à la loi de 1850. Mais le Reichsrath n'a fait que jeter les bases générales de l'organisation communale, il a laissé le soin aux diètes provinciales de les appliquer par des lois spéciales, et ces lois spéciales ne sont pas encore faites. Mais la loi de 1850 était moins libérale que celle qu'on inaugure maintenant en Autriche.

D'après la loi de 1850, les maires et les adjoints en Autriche sont élus par le comité électoral.

En Saxe, en Westphalie, dans d'autres pays allemands, la législation est à peu près analogue.

En Italie, le maire (sindaco) est nommé par le roi parmi les membres du conseil communal, et le conseil élit dans son sein les assesseurs et les échevins.

En Suisse, je n'ai pas besoin de vous le dire, le maire, les adjoints, les magistrats communaux, sous diverses dénominations, sont choisis par le conseil ou par les électeurs.

En Hollande, le bourgmestre est nommé par le Roi d'une manière absolue et les échevins sont élus par le conseil communal ou par les électeurs.

Vous le voyez, messieurs, j'avais raison tout à l'heure en disant que pour le mode de nomination des autorités communales, partout, sauf en France, la prérogative communale est plus étendue qu'en Belgique, la législation est plus libérale que chez nous, plus libérale que celle que nous avions proposée.

J'aborde maintenant la question du droit de suffrage et de cens électoral.

En Prusse, d'après la loi de 1850, il faut, pour être électeur, payer les impôts communaux ; il faut payer deux écus d'impôt direct ou posséder un immeuble d'une valeur de 100 écus, 2 écus équivalent à fr. 7-50 ; nous proposons, nous, de ne pas descendre au-dessous de 10 fr. Nous devions même consulter les députations provinciales pour fixer la quotité du chiffre.

En Autriche, dans la plupart des communes, il n’y a pas de cens électoral ou il est insignifiant. Un autre système y a prévalu. Le système électoral y repose sur des groupes d’intérêts. Chaque groupe d’intérêts choisit directement ses délégués pour la Chambre, pour la province comme pour la commune, c’est presque le suffrage universel organisé par groupes d’intérêts.

Eu Suisse, le cens est universel.

En France, le cens est universel.

Dans le royaume d'Italie, le cens communal est de 5 fr.

En Angleterre, vous le savez, messieurs, tout citoyen majeur qui a occupé pendant 3 ans une maison, une boutique, qui paye la taxe des pauvres, est électeur.

MfFOµ. - Elle est énorme.

.M. Dechamps. - Elle varie de paroisse à paroisse ; elle descend même parfois jusqu'à un shilling. Mais la taxe des pauvres est une taxe locale et les taxes locales ne comptent pas même chez nous pour l'électorat.

Vous voyez donc que partout, à l'exception de la Hollande, le cens électoral pour la commune est inférieur à celui que nous proposons.

Je vous le demande, messieurs, dans cette Belgique, dont les fortes traditions de franchises communales plongent si avant dans l'histoire, dans le pays de nos vieilles communes flamandes et wallonnes, après 28 ans d'attente de la promesse faite d'un abaissement du cens communal, lorsque dans l'Europe entière, autour de nous, il se produit un grand et universel mouvement dans le sens de l'extension du droit de suffrage, lorsque presque partout déjà le cens communal est inférieur au nôtre et que le caractère libéral de notre régime communal se trouve ainsi dépassé, est-il raisonnable, est-il possible que des ministres belges viennent déclarer, affirmer que la proposition d'un abaissement prudent et modéré du cens communal soit une mesure révolutionnaire, presque monstrueuse qui ne réponde à aucun mouvement d'opinion et qu'il soit impossible même de prendre un instant en considération quelconque ?

Voici ce que disait à York, dans un banquet donné au prince Albert et aux maires des principales villes d'Angleterre, lord John Russell, aux applaudissements de ses auditeurs :

« Je vois avec plaisir un grand nombre de maires réunis ici, et c'est bien le lieu d'observer que les magistrats de nos communes ne sont pas, comme ceux d'autres pays, les créatures du pouvoir exécutif. Ils sont nommés par la volonté du peuple, ils sont librement élus. Ils représentent une partie des institutions nationales qui toutes, depuis la plus petite paroisse jusqu'à la chambre des communes, doivent leur force à leur origine populaire. »

Voilà ce qu'un ministre anglais disait il y a peu d'années, et des ministres belges qui peuvent dire avec raison que la Belgique est, non pas avant l'Angleterre, mais à côté d'elle, le pays le plus libre du monde, viennent affirmer que notre réforme proposée de nommer le bourgmestre dans le sein du conseil, la députation provinciale entendue, et de le nommer en dehors du conseil de l'avis conforme de cette députation, de faire nommer les échevins par le conseil communal, d'abaisser le cens à 10 francs est une réforme dangereuse et impossible. On nous a transformés en anarchistes, nous avons été jugés indignes d'être au pouvoir pour avoir osé proposé une réforme de cette nature et de ce caractère !

Messieurs, je viens d'examiner, de discuter les principaux arguments qui se sont produits dans la discussion contre notre réforme, et je crois avoir le droit de dire en conscience, parlant devant une assemblée intelligente et impartiale comme la vôtre, que le motif allégué contre nous n'est pas sérieux, que le veto qui nous est opposé dissimule mal son caractère de prétexte politique.

Je vais aborder maintenant le second article de notre programme politique, qui concerne ce qu'on a appelé l'affaire d'Anvers.

Je commence par déclarer que je considère l'affaire d'Anvers, dans la situation qu'on lui a faite, comme étant la faute la plus grave dont le ministère actuel nous aurait légué la succession.

J'ai voté les fortifications d'Anvers. Moins que personne, je suis disposé à excuser, à amnistier les exagérations de langage, les prétentions irréfléchies, les excès qu'on a eus à déplorer, dans de rares occasions heureusement, dans quelques grandes assemblées tumultueuses, et je me suis associé avec vous tous au blâme qu'on a infligé à ces excès.

J'ajoute que je professe la plus grande estime pour le général Chazal, que je puis nommer mon ami pour son talent, pour son mérite hors ligne, pour son caractère et son patriotisme, mais je n'en ai pas moins le devoir de dire que la conduite du ministère, dans son ensemble, que (page 482) son refus obstiné opposé à toutes les réclamations, que son dédain de tout examen, a été une faute grave que nous aurions été appelés à corriger.

Comment ! la population d'Anvers doit, au jour de nos périls publics, servir de dernier refuge, de suprême abri à notre famille royale, à tous nos pouvoirs, à notre armée dévouée, à notre nationalité tout entière, et le jour où le canon a fait gronder à nos frontières, sans que personne pût savoir s'il ne devait pas être le signal d'une guerre européenne, vous refusez tout examen !

Vous laissiez ces populations dont le dévouement bien plus que nos remparts doit servir à notre défense nationale, dont le patriotisme associé au courage de notre armée, doit être notre dernier salut ; vous vouliez, dans ces moments où les périls grandissaient autour de nous, vous vouliez laisser ces populations mécontentes, découragées, irritées, désaffectionnées ; et lorsque la députation d'Anvers vous demandait ici une chose modérée, l'examen, la nomination d'une commission, dans ce moment même vous lui répondiez en lui opposant le mot : Irrévocable ! (Interruption.)

Je dis que c'est la faute grave, capitale, dont vous nous laissiez la succession.

M. Allard. - On ne voulait pas les tromper.

.M. Dechamps. - Messieurs, quelle est la question d'Anvers ? Dans les débats de l'adresse, la députation de la ville d'Anvers vous a déclaré qu'elle voulait d'abord le maintien du système adopté qu'elle considérait comme un fait accompli ; en second lieu qu'elle demandait l'examen.

La question des servitudes dont on a parlé n'a pas même été abordée dans les débats de l’adresse ; on l'a reléguée au second plan.

Et, en effet, la question des servitudes est une question légale, qui ne concerne pas exclusivement la ville d'Anvers, mais qui concerne le pays tout entier. Cette question n'aurait pas même fait l'objet des délibérations de la commission spéciale qu'on aurait nommée. C'est une question dont le gouvernement se serait probablement réservé l'examen.

La question d'Anvers a été concentrée dans la question des citadelles, pas ailleurs. La question des 10 millions a été longuement discutée ; mais il est évident que le jour où une solution serait sortie de l'examen de la commission spéciale dans laquelle les intérêts d'Anvers auraient été impartialement représentés, la ville d'Anvers n'aurait pas prétendu se dégager du payement des 10 millions.

Toute la question est donc celle-ci : Vous avez refusé l'examen ; nous l'avons accepté. Voilà la différence profonde qu'il y avait entre nos deux politiques.

Vous avez refusé l'examen d'une manière irrévocable ; nous avons accepté l'examen bienveillant ; voilà ce qui nous divise. Où donc était la mystification dont vous avez parlé ?,

Messieurs, si nous nous étions bornés dans notre programme à dire : Il y aura examen, il y aura nomination d'une commission spéciale pour rechercher la solution des difficultés anversoises, y aurait-il eu mystification ? Nous avions promis l'examen ; en accordant l'examen, en proposant la nomination d'une commission, nous exécutions notre promesse et la ville d'Anvers ne nous demandait rien au-delà.

L'un des ministres a parlé de tactique odieuse. Eh bien, je dis qu'il y avait ici une tactique, qui visait à l'habileté. L'honorable M. Frère ne professe pas, a-t-il dit, le principe de la souveraineté du but. Mais il me permettra de lui dire que ces mots irritants, ces qualifications injustes qu'il a prodiguées et que j'ai le droit d'accueillir avec un parfait dédain, on les jetait pour diviser Anvers, comme, quand il a fait sonner bien haut le dissentiment qui nous sépare du Bien public, on voulait diviser Gand, comme, quand on a soulevé l'incident de M. Soenens, on voulait diviser Bruges. Vous n'êtes pas pour la souveraineté du but, mais vous êtes pour la souveraineté d'un parti et pour la souveraineté du ministère. (Interruption.)

Ainsi si nous nous étions bornés à demander l'examen d'une question anversoise, nous aurions complétement rempli les promesses de notre politique.

Mais nous ne nous sommes pas bornés là. Nous avons indiqué le caractère de la solution que nous voulions rechercher. Quel est ce caractère ?

D'abord, le maintien du système actuel, ne pas affaiblir, ne pas diminuer la force de la place. Mais n'est-ce pas votre système et vous-mêmes ne voulez-vous pas maintenir les fortifications d'Anvers et ne pas en diminuer la force ?

Où est la mystification ?

Nous avons déclaré ne pas vouloir dépasser, pour les travaux entrepris, les dépenses prévues et les dépenses annoncées. Mais c'est votre déclaration.

Vous avez déclaré que vous ne dépasseriez pas, pour les travaux entrepris, les crédits demandés. L'honorable général Chazal nous a annoncé la demande prochaine d'un crédit nouveau de 5 millions et demi de fr., et je m'étonne, par parenthèse, que ce projet ne soit pas encore soumis à la législature. Mais enfin, messieurs, pour ce second point du programme relatif à Anvers, objet d'une si amère critique de la part de M. le ministre des finances, nous n'avons fait qu'insérer à notre programme votre propre déclaration. Encore une fois, où sont la mystification et la comédie ?

Mais, messieurs, c'est la solution même des difficultés soulevées à propos du maintien des deux citadelles, et qui alarment la population anversoise, c'est cette solution que l'honorable ministre des finances déclare, lui, impossible, et c'est parce qu'il la croit impossible que nous sommes des mystificateurs, et qu'Anvers est mystifié. Mais, messieurs, qu'en sait l'honorable ministre des finances ?

Est-il bien sûr qu'aucune transaction raisonnable ne soit possible et que le mot « irrévocable » soit la seule réponse à faire à la ville d'Anvers ?

Messieurs, c'est là une question militaire que je ne veux pas traiter, que je suis parfaitement incompétent à traiter. Mais lorsque nous avons engagé des pourparlers avec des notabilités de l'armée pour le choix du ministre de la guerre dans le ministère que nous formions, choix que nous avons ajourné par une juste déférence pour le Roi dont nous tenions à consulter le désir, dans ces pourparlers nous avons acquis la conviction que l'opinion de M. le ministre des finances sur l'impossibilité de trouver cette solution, était loin d'être partagée par les officiers supérieurs que nous avons consultés.

Nous avions donc le droit de dire dans notre programme que nous rechercherions une solution destinée à faire disparaître les craintes soulevées dans la population anversoise, et cette solution nous avions le droit de la croire possible.

M. le ministre des finances demande quelle était cette solution. Nous promettions l'examen par une commission et M. le ministre des finances nous demande : Quelle était votre solution ? Vous aurait-elle permis de ne pas demander de nouveaux sacrifices aux contribuables ?

Je réponds que lorsque le travail de la commission nous aurait été présenté, si des sacrifices nouveaux avaient été jugés nécessaires pour atteindre le but que nous avions eu vue, nous aurions examiné si ces sacrifices étaient en rapport avec le but politique et national à atteindre, et quelle eût été la part d'intervention de la ville d'Anvers dans ces sacrifices.

M. Frère me demande de lui dire aujourd'hui quelle est la solution qui doit sortir de l'examen de la commission spéciale que nous aurions nommée. Cela est-il sérieux ? (Interruption.)

M. Delaetµ. - Laissez crier, M. Dechamps ; ce n'est pas la gauche qui vous écoute, c'est Anvers.

.M. Dechamps. - Comment ! nous ne pouvions pas résoudre la question d'Anvers sans avoir une autorité militaire dans notre conseil ; nous ne pouvions pas résoudre la question même pour laquelle nous proposions un examen avant que cet examen eût eu lieu. Vous n'avez donc pas le droit de nous demander d'avance quelle eût été notre solution.

- Voix à droite. - C'est cela.

.M. Dechamps. - Je pourrais, je devrais m'arrêter là.

Mais comme je soupçonne un peu (je vous demande pardon de ce soupçon), comme je soupçonne un peu M. le ministre des finances de regarder au-delà des murs de cette Chambre et de s'adresser aux électeurs d'Anvers, je demanderai la permission de répondre à cette provocation.

Nous n'étions tenu qu'à l'examen ; les éléments d'une solution devaient nous être fournis par l'examen même ; une autorité militaire, notre ministre de la guerre, pouvait seule nous éclairer définitivement sur la solution définitive à présenter aux Chambres ; c'est ce que je viens de constater. Mais je puis aller plus loin :

Nous avions l'espoir fondé, raisonné que cette solution pouvait être prochaine peut-être et qu'elle n'eût pas entraîné des charges nouvelles et directes pour les contribuables. (Interruption.)

Ce n'était pas une certitude, c'était un espoir sérieux dont je vais vous donner les éléments. M. le ministre a voulu accroître les craintes mécontentes d'Anvers, en lui parlant de mystification ; mon devoir est de chercher à les calmer.

J'aurais évité de parler de ce fait, si M. le ministre des finances ne l'avait indiqué lui-même, mais d'une manière exacte et incomplète. Il a indiqué un plan dont les journaux avaient parlé, relatif à la cession d'une partie des terrains militaires, plan qu'il a traité de chimère. Je (page 483) pense que M. le ministre des finances s'est trop avancé et que ce plan n'est pas chimérique et que l'amateur pour le réaliser n'est pas aussi introuvable qu'il l'a prétendu.

Messieurs, lorsque nous étions à la veille d'arriver au pouvoir, un négociateur représentant des capitaux considérables, d'après son affirmation que je n'ai pas de raison de mettre en doute, m'a annoncé que le jour où nous serions minières et qu'il croyait prochain, il nous fera.t des propositions dont il m'a fait connaître les bases et ces bases pouvaient servir, à nos yeux, à résoudre les difficultés soulevées à Anvers.

J'ignore si cette proposition a été soumise au ministère actuel ; M. le ministre des finances pourra nous le dire.

Messieurs, voici quelles étaient les bases de cette négociation que l'on voulait ouvrir avec le ministère, s'il avait été formé et que probablement on a ouvert ou on ouvrira, je dois le croire, avec le ministère actuel.

La compagnie dont je viens de parler voulait proposer au gouvernement d'achever 1° les terrains des anciens remparts pour lesquels la ville d'Anvers devait payer les 10 millions 2° les terrains de la citadelle du Sud qu'on aurait démolie et d'une portion de l'esplanade ; 3° les terrains de l'arsenal de guerre, de l'arsenal de construction, de l'hôpital militaire et des bureaux du génie.

Le chiffre de la proposition n'était pas fixé, mais le négociateur indiquait, comme base de la négociation, celui du 23 à 24 militons. II avait en outre l'intention de comprendre dans sa proposition l'achat des terrains militaires des fortifications d'Ostende, ce qui aurait permis à la ville d'Ostende de s'étendre et de s'embellir. Le chiffre total de l'offre aurait atteint 25 à 26 millions de francs.

Vous le voyez, dans ce plan, la ville d'Anvers était exonérée du paiement des dix millions.

Or, lors des pourparlers engagés avec des notabilités militaires pour le choix du ministre de la guerre dans le cabinet de la droite, nous avons su, nous avions le droit de savoir, que les constructions à faire sur la rive gauche, pour compléter les travaux de défense d'Anvers, en vue de trouver la solution recherchée, devaient coûter environ 20 millions, y compris les dix millions à payer par la ville d'Anvers.

MfFOµ. - Ces dix millions appartiennent au pays actuellement.

.M. Dechamps. - Cela est vrai et je m'exprime mal ; ma pensée n'est pas saisie par M. le ministre dus finances. La dépense pour les constructions à établir sur la rive gauche serait d'environ 15 à 16 millions. J'en déduis donc les 10 millions que la ville d'Anvers devait payer et dont la compagnie l'aurait exonérée.

Ainsi, dans ce plan, on démolissait la citadelle du Sud qui est un hors d'œuvre dans le système des fortifications d'Anvers, qui en gêne la régularité et que pas un militaire ne tient à conserver.

On continuait l'enceinte sur la rive gauche, on y construisait les quatre forts en projet, et le canal de ceinture et de grande navigation qui doit permettre de jeter un pont d'une rive à l'autre, c'est-à-dire on complétait les travaux d'Anvers et on y trouvait la compensation militaire nécessaire, après la démolition de la citadelle du Sud, et des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, si, après l'examen par la commission, cette dernière démolition est jugée possible. (Interruption.)

Ceci est une question toute militaire que je suis incompétent à juger et qui aurait fait l'objet de l'examen de la commission spéciale et du cabinet.

M. le ministre des finances a affirmé que dans ce plan, la citadelle du Nord restait. Cela n'est pas exact ; c'est la question militaire et politique à décider ; le plan indiqué, proposé, permettait de démolir les fronts intérieurs de la citadelle du Nord, puisqu'il offrait les ressources d'argent nécessaires pour établir, sur la rive gauche ou ailleurs, la compensation militaire destinée à permettre de démolir ces fronts intérieurs. Le ministère aurait été libre de le faire ou de ne pas le faire. Si la commission spéciale que nous aurions nommée avait été d'avis que d'autres ouvrages à construire pouvaient permettre la démolition des fronts intérieurs de la citadelle du Nord, nous aurions donc pu le faire, au point de vue de la défense, et nous l'aurions fait.

M. le ministre des finances a dit avec raison que l'affaire d'Anvers était une question d'argent, Pouvez-vous, a-t-il dit, trouver et réaliser une solution sans demander des sacrifices nouveaux aux contribuables ? Si vous ne le pouvez pas, c'est une mystification.

Eh bien, en supposant que la compagnie qui se présentait était sérieuse, et personne ne peut dire qu'elle ne l'était pas, n'avions-nous pas les voies et moyens pour réaliser la solution ? D'après les autorités militaires interrogées par nous, les travaux nouveaux sur la rive gauche et destinés à la réaliser, doivent coûter 15 à 16 millions ; ces 15 à 16 millions, l'offre de la compagnie nous les donnait, et le chiffre de cette offre, lorsqu'il aurait été débattu, se serait probablement élevé au-delà. J'ajoute que si on avait décidé la démolition des forts intérieurs de la citadelle du Nord, cinq, six millions d'économie, peut-être plus, auraient été trouvés même de ce côté.

Je le demande maintenant à la Chambre : la solution est-elle impossible ? Ne pouvions-nous pas croire, espérer de pouvoir amener l'importante pacification d'Anvers, sans charges nouvelles directes |pour les contribuables ? Le mot « mystification » était-il juste ? M. le ministre des finances pouvait-il légitimement l'employer ? Je vous en laisse juges.

La négociation dont les bases nous ont été communiquées, la veille du jour où l'on croyait à la formation d'un ministère de la droite, et que je viens de vous faire connaître, pouvait nous donner l'espoir sérieux et fondé d'une solution favorable et prochaine. Nous pouvions donc dire à la ville d'Anvers d'espérer. (Interruption.)

Messieurs, je pense avoir discuté sérieusement et complètement notre programme politique, la réforme communale et l'affaire d'Anvers. Permettez-moi d'ajouter quelques mots pour faire ressortir le caractère modéré et gouvernemental du programme que nous avions proposé.

Messieurs, je vous ai dit, dans un discours précédent, que la pensée politique du ministère conservateur était d'écarter, autant qu'il l'aurait pu, les questions irritantes, les questions posées sur le terrain religieux. C'était la pensée politique que nous voulions apporter au pouvoir ; c'était à ce point de vue, la trêve politique que nous voulions inaugurer.

Ainsi, nous n'aurions pas retiré les lois que nous avions combattues dans l'opposition. La loi des bourses d'études tombait naturellement par la dissolution ; nous n'aurions pas apporté de lois politiques nouvelles, par exemple, une réforme électorale générale, parce que cette question aurait pu nous ramener sur le terrain des anciennes luttes, dont nous voulions nous éloigner.

M. le ministre des finances nous a dit : Vous n'apportiez donc pas vos doctrines au pouvoir ; vous aviez le devoir de retirer les lois politiques que vous aviez combattues, de proposer les lois politiques qui devaient réaliser les vœux exprimés par vous dans l'opposition.

J'ai déjà répondu et je réponds encore à M. le ministre des finances : Est-ce que le ministère actuel a retiré les lois qu'il avait combattues dans l'opposition ?

M. le ministre des affaires étrangères, partisan de l'enseignement obligatoire, a-t-il proposé une loi décrétant l'enseignement obligatoire ? M. le ministre des finances a combattu, dans leur principe, la loi de 1842 sur l'instruction primaire ; la convention d'Anvers, c'est-à-dire la transaction sur l'enseignement moyen ; il est l'adversaire de notre système des jurys universitaires. A-t-il retiré ces lois ? La loi sur l'or a été considérée par lui comme tellement importante que, si j'ai bon souvenir, il a déclaré que l'adoption de cette loi serait une honte pour le pays ; il la trouvait si dangereuse qu'il a cru devoir donner sa démission ; eh bien, quand il est rentré au ministère, a-t-il retiré la loi sur l'or ?

Vous voyez donc que, quand on arrive au pouvoir, on ne retire pas toujours les lois qu'on a combattues dans l'opposition. Et nous avions une raison particulière pour ne pas le faire ; nous ne voulions par réveiller les luttes politiques.

Pas de retrait des lois que nous nommons aussi vos lois réactionnaires ; pas de lois politiques nouvelles, ayant le caractère de lois de parti ; voilà le principe modéré, conciliateur que nous inscrivions en tête de notre programme ; c'était l'antithèse du programme de politique vaillante et hostile que vous avez inauguré et pratiqué.

Lorsque le ministère de la droite s'est formé, nos honorables amis, en majorité, je le déclare, nous conseillaient fortement de proclamer, dans le premier article de notre programme, la réduction des charges militaires. Vous savez, messieurs, que l'opposition au budget de la guerre, formée par les deux côtés de cette Chambre, est déjà de 26 voix...

M. Coomans. - Y compris les trois présidents.

.M. Dechamps. - Il y a donc déjà dans cette Chambre une opposition considérable contre le budget de la guerre ; j'ajoute que sans l'influence légitime que le ministère exerce sur ses amis politiques ; sms l'influence légitime que nous exerçons nous-mêmes sur les notes, ces 26 voix s'élèveraient à un chiffre plus élevé. Il y avait là un danger. Nos honorables amis nous disaient : « Vous devez insérer dans votre programme le principe d'une diminution des charges militaires. Déclarez, comme l'honorable M. Rogier l’a fait autrefois, qu'il entrait dans les vues du cabinet de réduire le budget de la guerre, non pas à 25 millions, mais de le réduire de quelques millions. Nous étions en présence d'une tentation de facile et certaine popularité, la veille d'une dissolution, et nous aurions trouvé là un moyen de pouvoir réaliser immédiatement une (page 484) sérieuse réforme économique ; nous avons résisté, patriotiquement résisté ; nous avons déclaré que nous ne pouvions pas accepter le pouvoir à cette condition ; on nous eût reproché avec raison de présenter un programme inacceptable pour la royauté.

Nous sommes parvenus à obtenir de nos amis politiques, que le principe de la réduction des charges militaires ne ferait pas partie de notre programme. Certainement, si la pacification de l'Europe se faisait, si le désarmement général s'opérait, nous aurions été très heureux de réduire les charges militaires ; mais notre conviction est que jusque-là nous ne pouvons pas toucher au budget de la guerre.

Trouvez-vous que ce soit là un mince résultat politique ?

Je viens de vous dire quel était notre espoir de résoudre la difficulté anversoise ; si nous y avions réussi, je me serais consolé des ennuis et des fatigues du pouvoir, en laissant cet acte comme souvenir de notre passage aux affaires.

Eh bien, messieurs, si nous l'avions apportée, cette solution, à la Chambre, si le ministère avait fait appel, pour en obtenir la sanction, à ses amis de la droite qui tous, à l'exception de dix seulement, ont voté contre les fortifications d'Anvers ; si la droite tout entière, et, je l'espère, la Chambre tout entière avait voté en faveur de la solution proposée, si nous avions obtenu cette solennelle consécration du système de défense nationale, par la Chambre entière, y compris mon honorable ami, M. Coomans... (Interruption.)

- Voix à gauche. - Il fait un signe négatif.

.M. Dechamps. - Je dis, messieurs, que si nous étions arrivés à ce résultat, nous aurions accompli un acte important.

M. Bouvierµ. - Extraordinaire. (Interruption.)

.M. Dechamps. - Oui, important, patriotique, donnant pour appui à notre système de défense la popularité qui lui manque et l'adhésion de la population anversoise. (Interruption.)

Voilà notre programme, voilà la politique que nous voulions suivre, la prudence que nous étions décidés à employer, la modération que nous aurions pratiquée, le but national et patriotique que nous aurions cherché à atteindre, l'espérance d'y réussir que nous étions en droit de concevoir, et vous croyez que le ministère a pu légitimement nous interdire l'accès du pouvoir, en nous opposant ce que je puis nommer une misérable chicane politique, la réforme communale, l'abaissement du cens communal de 15 à 10 francs !

Messieurs, je viens de passer en revue les différents articles de notre programme politique. Dois-je examiner maintenant notre programme secret ?

- Voix à gauche. - Oui ! oui !

.M. Dechamps. - Messieurs, je devrais ne pas le faire ; je m'étais même promis de ne pas le faire ; mais comme ce programme, qu'on prétend nous être imposé par notre grand électeur le clergé, n'a été imaginé et discuté qu'en vue d'égarer l'opinion publique à la veille d'une dissolution, permettez-moi d'en parler à mon tour. Nos adversaires se sont adressés aux passions politiques ; je m'adresse, moi, à la raison impartiale du pays.

Nous avons donc un programme secret, que nous cachons, que nous aurions été tenus de réaliser au pouvoir, parce que telle était la volonté du clergé et des évêques auxquels nous obéissons. Voilà l'accusation.

M. le ministre des finances nous a lu les articles de ce programme ; ce sont des résolutions du congrès de Malines.

Messieurs, ai-je besoin de vous dire que le congrès de Malines comme toutes les assemblées scientifiques...

- Voix à gauche. - Scientifiques !

.M. Dechamps. - Comment ! messieurs, le congrès de Malines où siégeaient les sommités de la littérature et de la science européenne, le cardinal Wiseman, Manning, l'illustre comte de Montalembert, le prince de Broglie, M. Cochin, Frans de Champagny et tant d'autres, il ne me sera pas permis de l'appeler une assemblée scientifique au même titre que les congrès de Bruxelles et de Gand ou de Francfort ? C'est trop de préjugés !

Dans tous ces congrès de science religieuse et sociale, que discute-t-on ? On y poursuit la recherche de l'idéal et de l'absolu.

Les gouvernements ne font pas de l'idéal ; ils font du possible. Mais, messieurs, ces articles qui ont si fort indigné M. le ministre des finances et qu'il a signalés à la frayeur publique, quels sont-ils ?

« Art. 1er. L'enseignement officiel ou public à tous les degrés doit être strictement subordonné à l'insuffisance bien constatée des établissements libres.

« Il ne peut jamais être admis à titre de concurrence et qu'à la condition pour l'Etat de suspendre son action dès qu'elle devient superflue. »

Messieurs, je suis vraiment étonné que l'honorable M. Frère ait cité cet article. Il n'a donc pas pris garde que c'est la reproduction à peu près littérale du principe que l'honorable M. Roger a écrit dans l'exposé des motifs de la loi de 1834 sur l'enseignement public en Belgique.

L'honorable M. Rogier disait dans son exposé des motifs que l'enseignement public ne pouvait que suppléer à l'insuffisance de la liberté d'enseignement. (Interruption.)

Le Congrès de Malines n'a donc fait que traduire, en termes identiques, le passage de l'exposé des motifs de 1834 signé par M. Rogier.

Messieurs, un honorable membre distingué de votre parti, dont la loyauté vous est bien connue, l'honorable M. Guillery, un jour, eu m'interrompant, a déclaré franchement que lui aussi considérait l'enseignement officiel comme une exception et comme devant rester subsidiaire.

M. Guillery. - Non ! non ! je n'ai pas dit cela.

M. Orts. - C'est pour cela sans doute que M. Guillery demande des millions pour l'instruction primaire.

.M. Dechamps. - L'honorable M. Guillery a déclaré, j'en appelle à son souvenir, qu'il considérait l'intervention de l'Etat comme une exception au principe théorique de la liberté.

Quand l'honorable M. Frère déclarait dans cette Chambre qu'il n'admettait pas non plus que l'Etat pût enseigner en vertu d'un droit régalien, comme souverain, il professait au fond la même doctrine que le congrès de Malines. Si l'Etat ne peut enseigner qu'au nom d'une utilité sociale, ne doit-il pas reconnaître par cela même que le jour où cette nécessité diminuera, l'instruction de l'Etat devra diminuer dans une égale proportion ? Cela est de toute évidence.

Vous serez peut-être étonnés d'apprendre, messieurs, que non seulement M. Rogier, M. Guillery, quelque peu M. Frère, sont assez près de s'entendre avec le congrès de Malines sur le principe de l'enseignement public, mais que M. Bara est tout à fait d'accord sur ce point avec le congrès de Malines. (Interruption.) Dans un discours que j'ai prononcé à la Chambre sur la même question, j'avais cité un passage d'un discours de M. Jules Simon au congrès de Bruxelles. Je disais :

« Je vais résumer cette citation ; voici, en deux mots, l'opinion de M. Jules Simon : l'intervention de l'Etat n'est nécessaire que quand la liberté se récuse. M. Bara m'interrompit en disant : Parfaitement !

J'ajoutais : « Par conséquent, l'Etat ne peut intervenir que pour suppléer à l'insuffisance de la liberté : l'Etat doit préparer sa destitution. » M. Bara m'interrompit encore, pour me répondre : D'accord ! (Interruption.)

M. Bara. - Je n'ai pas été au Moniteur ce jour-là pour vérifier les interruptions qui m'étaient attribuées. Mais le lendemain j'ai répondu complètement à la question que vous me posez de nouveau. Vous ne me citez donc que très imparfaitement.

.M. Dechamps. - Je cite textuellement les Annales parlementaires. Voilà donc M. Rogier, M. Guillery, M. Frère et M. Bara bien près d'être les complices des doctrines du congrès de Malines et de notre programme secret !

Mais ce principe qui fait considérer l'intervention de l'Etat, en matière d'enseignement, comme destinée à suppléer à l'insuffisance de la liberté, n'a-t-elle pas été professée ailleurs encore, et d'une manière aussi solennelle, qu'au congrès de Malines ?

C'est au congrès de Gand que cette question a été discutée, approfondie, et ce congrès de libres penseurs, en grande majorité, ne sera pas soupçonné d'obéir aux évêques.

La moitié des orateurs soutenait l'opinion de la non intervention absolue de l'Etat en matière d'enseignement ; je cite parmi ceux-ci MM. Pelletan, le pasteur protestant de Pressencé et notre savant économiste M. Molinari.

A la tête des orateurs qui défendaient la nécessité de l'intervention de l'Etat, brillait un orateur distingué M. Jules Simon. Or, ce défenseur des droits de l'Etat, savez-vous quels principes il professait ? Précisément les principes du congrès de Malines que M. Frère a signalé aux craintes du pays. M. Jules Simon a proclamé que l'enseignement de l'Etat n'était pas un service public, que son intervention ne constituait qu'une situation transitoire, que l'Etat ne devait enseigner qu'après tout le monde, quand la liberté se récuse et qu'il devait préparer sa destitution.

(page 485) - Voix à droite. - Voilà le principe libéral et constitutionnel.

- A gauche. - Cela peut être bon en France !

M. Delaetµ. - Pour la gauche il y a des vérités au-delà de la frontière, qui deviennent des erreurs en deçà. (Interruption.) Elle admet pour la France ce qu'elle nous reproche d’admettre pour Rome.

.M. Dechamps. - M. Jules Simon était le défenseur au congrès de Gand de l’enseignement de l'Etat ; il combattait des orateurs puissants, des économistes qui demandaient la destitution immédiate de l'Etat en matière d'enseignement ; et voilà que M. Jules Simon se trouve d'accord, en principe, avec le congrès de Malines, dont vous dénoncez les doctrines comme antilibérales, dangereuses, presque coupables !

M. Bara. - Nous avons déjà eu ce débat, c'est une répétition.

.M. Dechamps. - Oui, c'est une répétition, mais les vérités sont toujours bonnes à redire.

M. le ministre des finances a dénoncé aussi l'article 2 et l'article 3 du programme de Malines, relatifs au droit de fonder, de doter les écoles, de recevoir, d'accepter et d'administrer les libéralités, dons et legs, sous le contrôle de l'Etat, et relatif à la capacité des provinces et des communes pour recevoir des libéralités et des legs en faveur de l'enseignement.

C'est la législation de l'Angleterre et des Etats-Unis qui ne se trouve pas, que je sache, sous la domination de nos évêques. Mais je réponds encore une fois par le congrès de Bruxelles, parlant par l'organe de M. Jules Simon :

« Réveillons, disait M. Jules Simon, réveillons l'énergie individuelle, provoquons des fondations comme en Angleterre, où les universités ont une vie propre et par conséquent une ample liberté. »

Voilà donc notre programme secret ! Voilà les choses ténébreuses que l'on a professées au congrès de Malines ! voilà ce que notre grand électeur, le clergé, allait nous imposer ! voilà ce joug politique des évêques sous lequel nous allions nous courber ! (Interruption.)

Je m'arrête un moment ; c'est l'heure de vous faire une déclaration nette et franche, en mon nom, pour mes amis qui m'écoutent, pour dissiper une bonne fois les préjugés que l'ignorance répand dans une partie de l'opinion, sur notre indépendance politique.

Dans l'ordre de la foi et des croyances, nous obéissons à une autorité religieuse que notre raison elle-même a reconnue et que librement elle accepte ; nous avons une mère qui est aussi la vôtre, puisqu'elle a porté dans ses flancs la civilisation moderne tout entière ; cette mère, nous l'aimons, nous la respectons, nous lui obéissons. (Interruption.)

Mais dans l'ordre politique, comme citoyens, nous ne relevons que de notre raison, de notre indépendance, de notre patriotisme.

- De divers cotés. – Très bien, très bien !

.M. Dechamps. - En politique nous n'obéissons qu'à nous-mêmes ; nous ne demandons à personne la permission d'interpréter nos devoirs de citoyen comme nous le voulons : aux Etats-Unis, nous sommes des démocrates ; en Suisse, nous sommes des républicains ; en Angleterre, nous sommes des libéraux parlementaires ; en Pologne, nous sommes des patriotes et des martyrs ; ici, nous sommes des constitutionnels belges. (Longue interruption.)

Messieurs, dans l'impossibilité où il s'est trouvé de critiquer d'une manière sérieuse le programme que nous avons proposé, dans l'impossibilité de donner un corps à l'accusation d'avoir un programme secret et inavouable, M. le ministre des finances s'est réfugié dans une accusation plus générale, imprudente, opposée à toute doctrine constitutionnelle.

Comment ! Nous avons été pouvoir et majorité pendant vingt ans ; nous avons fait ou du moins largement participé à faire notre immortelle Constitution ; les grandes lois organiques votées par les deux partis, au nom de la transaction politique, la loi électorale de 1831, les lois provinciales et communales, la loi sur l'enseignement supérieur, l'organisation judiciaire, la loi sur le jury, le traité de paix, la loi de 1842 sur l'enseignement primaire, toutes les lois organiques ont été votées sous le règne de la majorité conservatrice et unioniste, et nous sommes un danger pour le pays !

Nous ne sommes jamais arrivés au pouvoir qu'à l'aide du calme des populations qui amène nécessairement notre triomphe ; nous n'avons jamais eu besoin ni de l'agitation publique, ni de la dissolution des Chambres pour arriver ou pour nous maintenir au pouvoir ; c'eût été la première fois que nous en eussions usé, parce que nous y étions forcés, n'étant qu'une minorité parlementaire. Vous, au contraire, vous avez toujours eu besoin, et de l'agitation publique et des dissolutions parlementaires pour naître au pouvoir et pour ne pas y mourir ; vous avez eu besoin de l'agitation européenne de 1847 et de 1848, des émotions contagieuses de 1857, pour vous emparer du pouvoir : vous avez dû recourir à la dissolution en 1848, à la dissolution en 1857 ; vous allez, chose inouïe dans les annales politiques, recourir à cette arme extrême, pour la deuxième fois en six ans, pour tâcher, par la pression exercée par le gouvernement et les fonctionnaires, de comprimer, s’il se peut, le mouvement de l’opinion qui vous a condamné ; et c’est nous qui sommes un danger public !

Mon honorable ami M. Thonissen vous a démontré la gravité du péril que vos prétentions font courir au régime représentatif.

Vous avez voulu inventer les partis homogènes ; vous avez détruit les centres parlementaires ; vous n'avez laissé que deux partis en présence, les catholiques conservateurs et les libéraux, les torys et les whigs. Bien ! Cela est fait. Mais cela suppose que ces deux partis gouvernent tour à tour, légitimement, régulièrement, quand l'opinion du pays les portera naturellement au pouvoir. Lord Derby combat lord Palmerston, celui-ci combattra demain le premier ; mais chacun proclame la légitimité pour son adversaire d'occuper le pouvoir, quand la majorité du pays le soutien.

Mais vous venez déclarer, sans hésiter, que nous sommes impossibles, parce que notre avènement au pouvoir serait un danger public ! Ceci est la négation même des partis politiques, tels que votre politique les a constitués, c'est la négation formelle et audacieuse du régime parlementaire ; c'est la dictature d'un seul parti, c'est l'ostracisme décrété contre nous.

- Voix à droite. - C'est cela.

.M. Dechamps. - Messieurs, vous ne niez plus que nous sommes un parti constitutionnel. Vous avez déclaré vous-mêmes que nous étions constitutionnels, tous, dans cette Chambre. J'ai ajouté que depuis 1860, le parti parlementaire conservateur et catholique est un parti profondément national, constitutionnel et dynastique. Personne ne pourrait le nier.

J'ai souvent, messieurs, porté un défi à cette tribune, et je saisis cette occasion de le renouveler. Je défie que l'on cite une seule parole tombée de cette tribune, depuis 33 ans, un seul acte posé ou provoqué par la majorité conservatrice, qui ait eu de près ou de loin, directement ou indirectement le caractère de porter atteinte à notre Constitution, à nos libres institutions. Ce défi n'a jamais été relevé, il ne le sera pas.

L'honorable M. Orts, en me répondant, n'avait jamais trouvé qu'une seule objection à m'opposer : la loi communale de 1842, contraire, selon lui, à nos traditions libérales.

Eh bien, messieurs, l'honorable M. Orts devra reconnaître qu'aujourd'hui cette objection a disparu, et je puis dire que rien, absolument rien, ne subsiste des préjugés qu'on a cherché à répandre sur la sincérité de nos principes constitutionnels.

Ne pouvant contester nos convictions nationales et nos principes, politiques, qu'a dû faire M. le ministre des finances ?

Il a dû inventé une vaste conspiration existante autour de nous, à côté de nous, plus haut que nous.

Cette conspiration c'est le clergé, ce sont les évêques, c'est une corporation puissante, les jésuites.

M. le ministre des finances nous a représentés, nous les constitutionnels, nous le parti parlementaire, comme les faibles, les vaincus, les condamnés. Les puissants, ce sont les évêques, ce sont les jésuites, et ils nous condamnent !

Mais, messieurs, chose étrange, depuis trente-trois ans nous sommes le produit, a dit l'honorable M. Bara, des élections faites sous la main des évêques et du clergé ; les évêques et le clergé réprouvent nos principes et notre conduite politique depuis trente-trois ans. Nous sommes le produit constitutionnel d'une puissance occulte qui condamne le constitutionnel ; nous sommes en opposition permanente avec ceux qui nous ont enfantés, selon vous, à la vie politique !

Je demande, messieurs, comment il est possible de soutenir une pareille absurdité.

Mais, messieurs, est-il vrai que l'épiscopat belge, que le clergé, que la corporation religieuse dont on a parlé, sont entrés dans cette conspiration liberticide dépeinte en si sombres couleurs par M, le ministre des finances ? Aux allégations vagues, j'opposerai des faits, aux préjugés des raisons.

Depuis longtemps, dans la presse, à la tribune, on mettait en suspicion l'attachement sincère des évêques et du clergé à notre Constitution. Tous les jours on les interpellât, on signalait leur silence, on agitait les préventions. Une voix puissante et autorisée a répondu. Le cardinal-archevêque de Malines, le primat de la Belgique, parlant évidemment au nom de ses collègues de l’épiscopat, a publié des lettres devenues célèbres ; nous avons donc la pensée loyale, solennelle des évêques belges ; il n'est plus permis de leur en prêter une autre. Que dit l’éminent prélat ?

(page 486) Il loue notre immortel congrès d'avoir fait la Constitution, il applaudit aux libertés qu'elle consacre, aux résultats féconds qu'elle a produits. Il recommande au clergé et aux catholiques de s'attacher a nos libres institutions, à les aimer ; il prescrit le devoir de ne jamais songer à restreindre ces libertés à l’égard des dissidents ; il recommande au clergé le soin de les défendre, de les maintenir.

Il fait des vœux pour le long avenir de notre Constitution :

« Je justifie, dit-il, notre immortel congrès national de 1830, la Constitution dont il a doté la Belgique et le serment qu'il a prescrit. Je réfute les imputations injustes dont on voudrait nous charger aujourd'hui... Cette publication, ajoute l'illustre primat, est devenue urgente ; on cherche, en effet, à alarmer les consciences au sujet du serment de la Constitution, en prétendant que le vénérable pontife Grégoire XVI en a condamné les articles qui concernent la liberté des cultes et de la presse ; on va même jusqu'à blâmer le congrès national d'avoir accordé ces libertés, et à imputer aux catholiques de n'avoir accepté ces libertés que comme des concessions transitoires, et d'être prêts à en provoquer la suppression, dès que les circonstances le permettront. »

« Nous devons, dit-il en s'adressant au clergé et aux catholiques belges, nous devons travailler sans cesse à ce que nos populations s'attachent de plus en plus à notre Constitution, car, après Dieu, elle offre le garant le plus sûr de la conservation du droit sacré d'exercer avec une pleine liberté la religion de leurs pères. »

L'éminent primai de la Belgique termine ainsi : « Une expérience de trente-trois ans a prouvé que notre Constitution est approprié ; aux circonstances où la Belgique s'est trouvée. Le congrès national, en la votant, a donc fait acte de sage et prévoyante politique, et c'est à juste titre que la nation reconnaissante lui a érigé un magnifique monument sur l'une des places publiques de la capitale. »

Voilà le langage du primat de la Belgique au nom de l'épiscopat et du clergé. Et vous osez dire qu'il y a une conspiration contre vos institutions libres et qu’à la tête de cette conspiration se trouve l'épiscopat.

MfFOµ. - Je n'ai pas dit cela.

M. Dechamps. - Comment ! Mais vous n'avez dit que cela pendant une heure entière. A côté des évêques, on place le clergé belge dans cette conspiration imaginaire. Messieurs, ai-je besoin de le défendre ? Tout le monde sait et proclame que le clergé belge est aujourd'hui comme en 1830 patriote, dynastique, attaché à notre sol national et à notre Constitution qu'il a tant contribué à faire.

L'on a parlé du congrès de Malines. J'aurais voulu que vous y fussiez à côté de nous. J'ai vu alors 2,000 prêtres de nos paroisses, de nos séminaires, de nos établissements religieux, applaudir, les mains en l'air, avec un enthousiasme indescriptible, chaque fois que le nom du Roi, celui de la Constitution, celui de la liberté belge, comme aussi chaque fois que le nom auguste de notre pontife Pie IX était prononcé.

Mon cœur ressentait une joie profonde, vous l'auriez partagée, au spectacle magnifique d'une pareille manifestation. (Longue interruption.)

Messieurs, M. le ministre des finances a parlé de la presse. Il a prétendu qu'au moins dans la presse cette conspiration existe (Interruption.) Vous voulez un autre mot ?... que la plupart de nos journaux professaient des doctrines que nous combattons. Il a cité le Bien public. Je l'ai dit tout à l'heure, je soupçonne un peu que ceci était à l'adresse des électeurs de Gand où la principale bataille électorale doit être livrée. On a essayé de diviser Gand ; on n'y réussira pas.

Je déclare qu'il y a entre le Bien public et nous un profond dissentiment politique sur certaines questions.

Mais vous exagérez et vous méconnaissez la portée et le caractère de ce dissentiment qui ne concerne pas notre Constitution.

Le Bien public soutient notre Constitution tout entière autant que nous, autant que vous, souvent contre vous.

Le Bien public veut maintenir la Constitution belge sans réserve et sans réticence ; mais un dissentiment théorique nous sépare.

Il concerne l'état du monde qui luira dans un ou deux siècles, s'il luit jamais, où l'unité religieuse serait rétablie. On se demande, en vue de cet idéal, quel sera alors le régime de la liberté de conscience et des cultes.

Pour nos temps actuels chez les peuples divisés de croyance, nos amis du Bien public sont d'accord avec nous ; ils admettent comme nous la liberté, comme le droit commun, et plus particulièrement ils défendent avec nous notre Constitution.

J'ajoute ici en passant, puisque l'honorable ministre des finances a cité un passage du Journal de Bruxelles< relatif aux doctrines de la Civiltà cattolica écrite à Rome, que des réclamations ont été faites au Journal de Bruxelles par la rédaction de la Civiltà cattolica sur l'exagération et même l’inexactitude du passage invoqué par M. Frère-Orban.

La Civilta cattolica a protesté qu'elle ne voulait pas le renversement de nos institutions, qu'elle condamnait absolument la pensée qu'on ne devait lui prêter qu'un serment provisoire, et je dois à la loyauté et à ma conscience de déclarer que j'avais donné à certains passages de cette Revue une interprétation et une portée que n'autorisait pas l'ensemble des doctrines professées par sa rédaction.

Messieurs, l'honorable ministre des finances nous a lu un bref du souverain pontife Pie IX, adressé au propriétaire du Bien public, dans lequel on loue beaucoup le zèle déployé par ce journal dans la défense de la religion. Mais dans ce bref, il ne s'agit pas du tout d'approuver ou de condamner des doctrines particulières, objets de nos controverses. La preuve en est claire.

L'honorable vétéran de la presse catholique belge, M. Kersten, a reçu une haute distinction de Pie IX. Il a été décoré et cependant il soutient la doctrine opposée à celle du Bien public. L'honorable rédacteur du Journal de Bruxelles, M. Stas, a reçu une autre marque de distinction de la cour de Rome, et le Journal de Bruxelles ne défend pas assurément les doctrines du Bien public.

Vous voyez donc que tous ces fantômes disparaissent tour à tour à mesure que nous les plaçons en pleine lumière.

Mais il reste la corporation puissante des jésuites, qui a la main partout, qui domine le clergé, les évêques et Rome elle-même.

Je viens de vous prouver que le parti conservateur belge est resté constitutionnel depuis 1830 ; que les évêques, le clergé, la presse catholique, ont soutenu la même cause.

Reste la corporation des jésuites qui pour la première fois, apparaît dans les débats parlementaires depuis trente ans.

MfFOµ. - Non ! non !

.M. Dechamps. - Depuis 1828, depuis la congrégation, épouvante de cette époque, depuis les déclamations des Dotrenge et des Reyphins, les doctrinaires du royaume des Pays-Bas, on avait bien fait intervenir à cette tribune, les évêques, le clergé politique et électoral. Mais c'est la première fois que l'on y fait intervenir, avec ce caractère, la corporation des jésuites. Je me souviens même du temps où l'honorable M. Rogier avait une assez grande affection pour les jésuites dans la question des jurys universitaires et qu'il les opposait volontiers à l'université de Louvain.

Messieurs, je vous ai apporté les paroles de l'épiscopat. Eh bien, je vais vous apporter les paroles d'un des plus savants jésuites belges, prononcées dans une occasion solennelle.

On les a attaqués ; vous voudrez bien me permettre de les défendre.

Au congrès de Malines, cette grande assemblée catholique, les jésuites étaient représentés par un homme éminent, par un écrivain d'un talent distingué, un de nos plus savants bollandistes. Seul parmi les jésuites, il a parlé au congrès de Malines.

Direz-vous que c'est une opinion individuelle ? Mais à coup sûr il était autorisé par ses supérieurs à y parler. Personne ne le contestera ; vous dites que ce sont des cadavres obéissants. Il a émis une opinion individuelle mais autorisée.

Eh bien, voici ce que ce savant bollandiste disait au congrès de Malines. Je place ces magnifiques et dignes paroles en présence des inqualifiables calomnies, des basses injures, des ignobles tentatives contre lesquelles tout cœur honnête et toute âme loyale devraient courageusement protester.

Voici comment s'exprimait au congrès de Malines le savant bollandiste.

M. Bara. - Quel est son nom ?

M. Delaetµ. – Il s'appelle De Buck. Etes-vous content ? Ce n'est pas son nom, c'est la doctrine que nous invoquons.

.M. Dechamps. - Voici donc les paroles du savant bollandiste, le père De Buck.

« La Constitution belge est une grande loi de transaction, conforme à l'état des esprits et aux besoins de la nation, jugée sage et excellente par les meilleurs hommes politiques du pays, accueillie par des applaudissements universels sans distinction de partis ou de tendances et en particulier par le clergé. De telles lois ont le double caractère de pactes permanents et de lois fondamentales ; elles doivent être acceptées sans arrière-pensée et défendues par tout le monde, non seulement dans les articles qui sont favorables aux vues de chacun, mais dont tous les articles indistinctement.

« Un bon citoyen doit s'interdire toute discussion qui ne peut que jeter le soupçon dans les esprits et amener l'inquiétude générale. Si les lois ordinaires, malgré leur importance infiniment moindre, doivent être (page 487) respectées, à combien plus forte raison ne faut-il pas respecter les lois qui portent avec le droit naturel tout l'édifice social ?

c Et puisque en lisant ces lignes, le souvenir de l'encyclique de 1832 se présentera à l'esprit de bien des personnes, disons franchement que cette lettre doctrinale, dirigée contre le radicalisme de Lamennais, ne concerne pas plus la Belgique que la Hongrie, et que les religieux comme tous les catholiques belges veulent sincèrement les libertés favorables à leurs concitoyens libéraux, comme le cardinal Scitovski et les magnats catholiques hongrois veulent celles des protestants de Hongrie.

« Lorsque, grâce à la liberté, les religieux ont pu se réinstaller ouvertement en Belgique, ils ont béni avec trop de reconnaissance le régime nouveau qui les couvrait de son égide, pour ne pas désirer que tous leurs concitoyens en profitassent également. Ils peuvent défier hardiment leurs adversaires et les sommer de signaler un seul acte qui révèle la pensée même de vouloir diminuer de loin ou de près, directement ou indirectement, la liberté des autres. »

Vous dites : les jésuites acceptent la liberté comme la nécessité du temps présent, mais leur idéal c'est le passé tout entier, c'est sa résurrection qu'ils espèrent.

Voici ce que répond le savant bollandiste :

« Tout l'ancien état de choses a disparu et doit être considéré comme ayant disparu sans retour. Non seulement il ne saurait être rétabli sans susciter inutilement d'immenses troubles, mais le simple essai, la simple manifestation du désir de son rétablissement causerait infiniment de mal. L'Eglise fait ses affaires, et l'Etat fait les siennes : le bon sens doit leur dicter d'éviter les froissements le plus possible ; la prudence doit être la grande conseillère des deux autorités, et les excès de zèle et l'esprit d'empiétement sont également condamnables des deux côtés.

« Qu'on le sache donc une bonne fois, lorsque les religieux ont reparu en Belgique et qu'ils y ont redressé leur tente, ils ont béni la liberté générale qui leur accordait une place dans leur patrie. Le passé ne leur laissait aucun regret... »

L'écrivain ajoute qu'il faut rester consciencieusement et catholiquement fidèle à notre Constitution, non seulement aujourd'hui, mais demain.

Messieurs, voilà les paroles et les opinions des jésuites belges. En avez-vous entendu, à cette tribune, de plus belles, de plus nobles, de plus patriotiquement constitutionnelles ?

Voilà cette corporation cherchant à organiser une vaste conspiration contre nos libres institutions ! Que vous en semble ? Ne sont-ils pas suffisamment vengés ?

Ainsi, messieurs, parti parlementaire catholique, presse, évêques, clergé, jésuites, ordres religieux, tout conspire en effet, mais c'est pour maintenir inviolable notre Constitution, pour fortifier notre nationalité et assurer à la Belgique un splendide avenir.

Pourquoi se calomnier ainsi ? Quel intérêt avez-vous à le faire ? Si vous parveniez à faire croire que les catholiques et le clergé belge veulent la ruine de la Constitution, quel intérêt national auriez-vous servi ?

Si vous aimiez la liberté, et je n'ai pas le droit de dire que vous ne l'aimez pas, mais si vous l'aimiez avec dévouement, vous devriez vous réjouir de toute parole de liberté sortie de notre bouche ; si vous aimiez nos institutions plus que vous ne le faites, ne devriez-vous pas vous réjouir de voir qu'elles trouvent un appui solide dans les forces puissantes de la religion et du clergé ? Pourquoi chercher des conspirations qui n'existent pas ? Pourquoi évoquer des fantômes qui disparaissent au moindre examen ?

- Voix à droite. – Très bien.

.M. Dechamps. - Messieurs, et c'est nous qui sommes les accusés, c'est nous qu'on déclare impossibles et dont la présence au pouvoir serait un danger public !

Nous sommes impossibles pour notre programme réel, qui est trop libéral, nous sommes impossibles pour notre programme secret qui est trop clérical, nous sommes impossibles toujours, absolument parce que notre avènement aux affaires est un danger. Nous sommes donc impossibles pour ce que nous disons, impossibles pour ce que nous taisons, impossibles toujours pour ce que nous sommes. (Interruption.)

Je le demande, est-ce là le régime représentatif ?

N'est-ce pas là nous faire un procès de tendance et nous appliquer la loi des suspects ?

Vous vous êtes donc récriés à tort lorsque j'ai dit que vous ne nous déclariez impossibles que pour vous rendre vous-mêmes indispensables.

C'est pour cela que vous avez inventé le programme secret dont vous aviez besoin pour détourner l'attention de notre politique avouée.

L'honorable M. Bara avait plus besoin du programme secret que l'honorable M. Frère. L'honorable M. Bara n'a, qu'il me permette de le dire qu'une corde à sa lyre politique, la corde cléricale, du moins je n'ai entendu résonner que celle-là depuis qu'il est entré dans cette Chambre ; mais l'honorable M. Frère a plusieurs cordes à la sienne, je le reconnais volontiers.

L'honorable M. Bara est un jeune libéral ; il lui eût été bien difficile de venir combattre de front la liberté communale, de faire un discours tout entier pour prouver que l'extension un peu plus grande de nos franchises municipales était un crime politique assez grand pour justifier l'exclusion de la droite du pouvoir.

L'honorable M. Frère, lui, ne se vante pas d'être un jeune libéral ; il est un grand centralisateur ; il comprend le gouvernement à la tête d'une majorité compacte, homogène, disciplinée, personne hors des rangs. Pour l'honorable M. Frère le gouvernement c'est l'enseignement de l'Etat puissamment organisé et écrasant toute concurrence sous des budgets décuplés ; c'est la bienfaisance sécularisée et centralisée dans les mains de l'Etat ; c'est le temporel des cultes dans les mains de l'Etat, c'est, nous en avons la preuve aujourd'hui, les autorités communales dans les mains de l'Etat. L'honorable M. Frère c'est donc un puissant centralisateur-doctrinaire.

Mais l'honorable M. Bara a dû, à tout prix, trouver le programme secret, les évêques, le clergé, les couvents ; dans les grands jours oratoires, il a la ressource du saint office et de l'inquisition. Il en avait besoin ; il avait bien découvert, dans notre réforme communale, un peu le curé et un peu le grand seigneur ; mais cela ne pouvait guère réussir ; il lui fallait les évêques et surtout les couvents.

L'honorable M. Bara a prononcé un discours un peu vieux pour nos oreilles ; nous l'avons entendu pendant quinze ans dans la bouche de l’honorable M. Verhaegen, dont l'honorable député de Tournai semble convoiter l'héritage... sans captation ! (Interruption.)

L'honorable M. Bara a donc refait les anciens discours de M. Verhaegen, les évêques et les couvents !

1,200 couvents, s'est-il écrié, c'est effrayant ! c'est à devenir blanc de terreur. Mais l'honorable député de Tournai ignore peut-être (j'aime mieux accuser son ignorance que sa bonne foi) que parmi ces 1,200 couvents les quatre cinquièmes au moins sont des établissements de bienfaisance ou des établissements d'enseignement et d'apostolat. Ce sont des hospices, des maisons d'orphelins, de malades, d'incurables, d'aveugles, de sourds-muets, de vieillards ; des crèches, des asiles, des écoles primaires, des écoles moyennes, des collèges, ou des hommes dévoués usent en peu d'années leur santé, leurs forces et leur vie, et que l'honorable membre a désignés du doigt à la foule comme des palais somptueux habités par la fainéantise ! (Interruption.)

Et l'honorable membre parle avec amour de l'instruction. Il ne veut pas qu'on appelle au droit électoral communal quelques électeurs de plus parce qu'il faut vaincre avant tout l'ignorance des masses ; il veut que l'on fasse servir les excédants des budgets non pas à réduire les impôts, mais à grossir les dépenses de l'instruction publique ; il veut que l'instruction soit répandue partout à pleines mains.

Mais pourquoi donc cette frayeur que vous faites éclater à la vue des écoles, des institutions moyennes, des collèges fondés par la liberté d'enseignement ? Vous n'aimez donc pas l'instruction pour elle-même, vous" ne voulez pas des écoles enveloppées de l'atmosphère religieuse, vous avez peur des écoles où le catéchisme est enseigné et où est suspendu le crucifix.

Si vous aimiez l'instruction pour elle-même, au lieu de vous effrayer de la multiplication des écoles que vous appelez des couvents, vous devriez-vous réjouir et applaudir.

Pendant que l'honorable membre parlait, je comptais, sur les bancs où il siège, des hommes honorables qui envoient leurs fils chez les jésuites et leurs filles dans les grandes institutions religieuses. Je comptais, parmi les membres qui applaudissaient le plus l’honorable M. Bara, des hommes qui font de leur fortune un noble et magnifique emploi, qui fondent, dans les villages ou ils sont les seigneurs, des écoles de frères de la doctrine chrétienne et des écoles de sœurs de Saint-Vincent de Paul.

M. Crombez. - Il faudrait les nommer.

.M. Dechamps. - Ah ! M. Crombez, je crois vous faire beaucoup d honneur en vous nommant. Seulement il ne fallait pas applaudir.

M. Bara. – Je n’ai pas parlé des couvents à propos de l’instruction.

.M. Dechamps. - Ne reculez pas. Vous avez fait un discours de frayeur, d'épouvante, de politique indignée à l'endroit des 1,200 couvents dont vous déplorez la multiplication.

Or, je vous dis que les quatre cinquièmes de ces couvents sont des établissements de charité et d'instruction.

Vous vous êtes servi de ce mot « couvents » parce que vous pensiez en avoir (page 488) besoin dans un calcul électoral. Ce mot vous a merveilleusement servi en 1857 ; vous voulez le galvaniser ; vous cherchez à exploiter un incident récent, un procès, ce que je puis appeler une calomnie ; vous l'agitez comme un lambeau de peau rouge devant le taureau populaire.

M. de Saint-Marc Girardin, un libéral du Journal des Débats, vous reprochait, en 1857, d'avoir parlé par la fenêtre à la foule que vous y aviez assemblée et qu'on y avait fanatisée.

Eh bien, messieurs, vous avez voulu parler de nouveau de cette fenêtre ; mais vous avez pu apercevoir qu'elle était fermée et que la foule n'y était plus. (Longue interruption.)

Il y a derrière vous l'opinion, et cette opinion, savez-vous ce qu'elle est ? L'opinion, ce sont les élections générales de 1861, ce sont les élections générales de 1863, ce sont les élections de Bruges qui vous ont condamnés ; ce sont les élections provinciales qui, le lendemain de votre rentrée au pouvoir, ont jugé votre politique pour la quatrième fois.

Lorsque en 1857 mon honorable et loyal ami, M. de Decker s 'est retiré du pouvoir devant la manifestation des élections communales qui n'avaient pas cependant un vrai caractère politique, vous avez hautement loué sa loyauté. Si vous avez loué sa loyauté, comment appelez-vous donc la vôtre ; vous avez applaudi notre honorable ami parce qu'il s'est retiré du pouvoir ; je vous demande à vous pourquoi vous y restez ?

J'ai donc le droit de dire, en puisant dans le vocabulaire politique de M. le ministre des finances, des expressions qui ne sont pas dans le mien, mais que je lui emprunte : « La comédie dont vous parlez, c'est vous qui la jouez ; les masque, c'est vous qui les portez. » (Interruption.)

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.