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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 7 juin 1864

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)

(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 465) M. de Moorµ procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Florisone donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Moorµ communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Les membres du conseil communal de Marchienne demandent une loi qui attribue à l'autorité civile la réglementation et la police des cimetières. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Cola, Hollenfeltz et autres membres du conseil du premier district agricole du Luxembourg, demandent la révision de la loi sur les distilleries de manière à permettre la mise en activité de la distillation agricole. »

- Renvoi à la commission permanente d'industrie.


« Des habitants de Boussu demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »

« Même demande d'habitants de Maransart. »

- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.


« Le sieur Olivier demande que son fils Jean, milicien de 1863, soit définitivement exempté du service militaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres de l'administration communale d'Ouffet prient la Chambre d'autoriser la concession d'un chemin de fer de Bruxelles à Mayence, qui est demandée par les sieurs Ordener et Goomenil. »

« Même demande des membres des administrations communales de Terwagne, Tohogne et Warzée. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Nieuport prie la Chambre de maintenir le crédit voté au budget de 1863 en faveur de la pêche. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des affaires étrangères.


« Des habitants de Molenbeek-Saint-Jean prient la Chambre d'autoriser la concession des chemins de fer projetés par l'ingénieur Splingard. »

« Même demande d'habitants de Tervueren. »

M. Goblet. - J'ai l'honneur de demander un prompt rapport sur cette pétition. Elle intéresse trop l'arrondissement de Bruxelles, la capitale comme les communes environnantes, pour que je n'engage pas la commission à examiner le plus promptement possible la question que cette pétition soulève.

- Cette proposition est adoptée.


« Des négociants et propriétaires de bateaux demandent l'abaissement des péages sur le canal de Charleroi à Bruxelles. »

M. Goblet. - Je demande également un prompt rapport sur cette pétition.

M. Hymans. - J'appuie la demande de prompt rapport que vient de faire M. Goblet, nais je modifie sa proposition en substituant la commission d'industrie à la commission des pétitions.

M. Goblet. - Je me rallie à cette proposition ; ce que je demande c'est qu'on examine promptement.

M. Sabatier. - Je me rallie à la proposition de mes honorables amis, MM. Hymans et Goblet, qui est de renvoyer la pétition des bateliers du canal de Charleroi à la commission d'industrie avec demande d'un prompt rapport.

L'examen des questions soulevées par la pétition rentre, du reste, dans les attributions de cette commission, et je n'aurais pas même demandé la parole si je ne croyais devoir profiter de l'occasion qui m'est offerte pour interpeller le gouvernement sur la question des péages.

Vers la lin de la dernière session, vingt membres de cette Chambre ont déposé un projet de loi ayant pour objet la révision, non pas seulement d'une de nos voies navigables, mais de toutes les voies navigables du pays.

Il y a donc un an environ que ce projet est porté à la connaissance du gouvernement, qui a eu largement le temps de se former une opinion sur le principe qu'il renferme.

L'honorable ministre des finances pourra donc nous dire quel accueil il réserve à notre projet de loi et si même le gouvernement ne se propose pas de faire ce projet sien. J'hésite d'autant moins à croire aux bonnes dépositions de l'honorable ministre que depuis que nous avons formulé nos propositions, trois faits importants se sont produits et plaident en notre faveur.

D'abord le ministre des travaux publics a modifié le tarif des chemins de fer dans un sens libéral, ce qui explique nécessairement l'abaissement des péages sur les voies navigables.

En second lieu, le conseil supérieur de l'industrie et du commerce, dans sa dernière session, s'est catégoriquement prononcé en faveur de cet abaissement.

Enfin le gouvernement est entré récemment dans l'application du principe de notre projet, en révisant le péage du canal de Pommeroeul à Antoing, de manière à ne porter la tonne kilométrique qu’à 1 centime.

Ces faits ne doivent pas nous laisser de doute sur les intentions favorables du gouvernement, et j'attends avec confiance les explications que M. le ministre des finances n'hésitera sans doute pas à me donner.

MfFOµ.. - Messieurs, le projet de loi auquel vient de faire allusion l'honorable M. Sabatier, soulève des questions fort difficiles. Nous avons pensé que l'on pourrait utilement le soumettre à une commission, qui arriverait très probablement à trouver une solution de nature à sauvegarder les divers intérêts qui sont engagés dans cette affaire.

La Chambre se souvient que déjà, à l'occasion des péages, une commission a été instituée, et que des difficultés qui semblaient presque insurmontables ont pu être tranchées d'une manière tout à fait satisfaisante.

J'ai l'espoir qu'en instituant, comme nous avons décidé da le faire, une commission spéciale pour examiner tout ce qui se rattache à la question des péages, nous arriverons à un bon résultat.

Il est certain que, sur les principes mêmes, le gouvernement partage les sentiments qui animent les auteurs da projet de loi.

Je pense donc qu'il n'y a pas le moindre inconvénient à renvoyer ce projet à la commission d'industrie, sauf à attendre le rapport de la commission spéciale dont je viens de parler, avant de prendre une résolution définitive.

M. Sabatier. - Je suis très satisfait des explications que vient de donner l'honorable ministre des finances, parce que je reste convaincu que les travaux de la commission amèneront le gouvernement à entrer complètement dans le système de notre projet de loi.

Je demanderai seulement de hâter la solution qu'il annonce en instituant le plus tôt possible cette commission et sans attendre que la commission d'industrie se prononce sur les faits spéciaux da la pétition .

MfFOµ. - Nous sommes d'accord.

M. Sabatier. - Quand la commission d'industrie se sera prononcée, il sera libre au gouvernement de transmettre le rapport qui interviendra, à la commission qu'aura nommée l'honorable ministre.

- Le renvoi à la commission d'industrie est ordonné.

Discussion relative à la crise ministérielle

Motion d’ordre relative à la police de l’assemblée et au contenu des Annales parlementaires

M. B. Dumortier. - Messieurs, vous savez les scènes déplorables qui ont terminé nos discussions vendredi. Vous savez comment, nous de la droite, nous sommes sortis de cette salle au milieu des huées et des cris de la tribune publique.

Je dois le dire, j'ai vu avec étonnement que les Annales parlementaires ne rendaient aucun compte de ce qui s'était passé et que, par suite de cette lacune dans le Moniteur, quatre de mes honorables amis sont aujourd'hui accusés dans l'organe officieux du gouvernement d'être les auteurs du trouble scandaleux qui a terminé la séance.

Je demande comment il peut se faire que le Moniteur soit resté silencieux sur des scènes aussi scandaleuses. Quand un journal officiel résume les délibérations d'une assemblée, il est du devoir de ce journal de rapporter tout ce qui se fait, tout ce qui se passe, afin qu'on ne puisse point faire retomber sur le parti qui est victime de certains actes, la responsabilité de ces actes.

Or, que s'est-il passé ? M. le ministre des finances avait à peine terminé son discours, que la gauche a applaudi. Je ne lui en fais point un grief. C'est son droit, je ne prétends point du tout l'en critiquer ; mais à l'instant même, à la tribune publique, des applaudissements frénétiques sont éclaté.

Nous avons tous réclamé sur nos bancs, pour que M. le président, qui (page 466) est quelquefois si sévère vis-à-vis des membres de la droite... (Interruption), fît exécuter le règlement et rappelât aux tribunes que tous signes d'approbation ou d'improbation sout interdits.

M, le président s'est borné à dire qu'il n'avait point vu ou entendu ce que tout le monde entendait, ce que tout le monde voyait, et, à l'instant même, sur ce silence de M. le président les huées les plus effrénées ont été lancé à cette tribune, mêlées à des cris de : « A bas de Theux ! » « à bas Dechamps ! » « à bas la calotte ! » « Vive Frère ! » La droite se trouvant ainsi, comme en 1857, livrée à une espèce d'émeute dans le sanctuaire des lois.

Voilà les faits comme ils se sont passés.

Et aujourd'hui, dans le journal semi-officiel, l'on viendra accuser mes honorables amis d'être les autours d'une pareille indignité !

Je dois protester contre des faits semblables, contre de pareilles accusation».

M. Van Overloopµ. - Je n'ai qu'un mot à dire. Il me semble à moi, qui viens de prendre connaissance de l'article du journal officieux, que nous retournons à l'époque du règne des favorites. A cette époque aussi, l'on faisait des charges à fond contre les jésuites, et l'on n'avait qu'un but, c'était de cacher les manœuvres qu'on employait pour arriver ou se maintenir au pouvoir, ce qui me rappelle cette citation de Tacite : « Ils invoquent la liberté et d'autres prétextes spécieux pour arriver au pouvoir, et lorsqu'ils y sont arrivés, ils exercent le despotisme. »

Eh bien, à cette époque aussi, qu'arrivait-il ? Quand on rencontrait des hommes qui, en acquit de leur devoir, voulaient enrayer un mouvement trop précipité, on les signalait dans des pamphlets pour ameuter les masses contre eux.

La même tactique fut mise en œuvre quelques années plus tard, sous la révolution française. (Interruption.)

Est-ce dans cette voie que vous voulez marcher ?

Prenez-y garde ! Une fois les passions soulevées, vous ne les arrêterez pas. Ce n'est pas nous qui excitons les passions. Non, nous nous en gardons bien.

Qu'ai-je fait, moi, par exemple ?

M. le ministre des finances avait terminé son discours de vendredi par une attaque que je considérais comme un appel des masses dans la rue, contre les jésuites. (Interruption) A tort ou à raison, c'était mon appréciation.

Qu'ai je fait sous l'empire de cette impression ? Je me suis écrié : « Votre discours est une provocation aux masses. » Voilà ce que j'ai dit.... Est-ce là exciter les passions ?

Le Moniteur ne dit rien de cet incident. Au surplus, les Annales parlementaires ne brillent pas par leur exactitude ni par leur respect pour notre règlement. Ainsi, il est interdit de rendre compte des incidents qui surgissent au milieu d'un discours autrement que par le mot interruption. Cependant, à la suite, du discours de M. le ministre des finances, que voyons-nous ? « Longs applaudissements à gauche. »

Comment le Moniteur rend-il compte encore de ce qui s'est passé dans la Chambre il y a quelques jours ? J'avais dit, à propos d'un incident qui se passait dans cette enceinte : « Qu'on lise le discours prononcé par M. le duc de Morny, président de l'assemblée législative de France. »

M. le président m'a demandé : Est-ce à moi que vous vous adressez ? Je lui ai répondu que je ne m'adressais pas à lui, parce que c'était la vérité. Si je m'étais adressé à lui, je le lui aurais déclaré franchement. J'ai dit que c'était à l'assemblée que je m'adressai ?.

Eh bien, que rapportent les Annales parlementaires ? Elles me font dire : Est-ce ainsi qu'on discute dans l'assemblée législative de France ?

C'est complètement changer ma pensée. En rappelant les paroles de M. le duc de Morny, j'avais en vue d'appeler l'attention de l'assemblée sur la sagesse des conseils qu'il venait de donner dans le corps législatif de France ; j'avais en vue de faire disparaître les aspérités qui nous éloignent les uns des autres. Tâchons donc, messieurs, de nous entendre pour travailler ensemble au bonheur de notre pays, et cessons d'employer des expressions irritantes.

M. Guillery. - Je ne sais réellement si les termes de la langue française ont, pour la droite, la même signification que pour le commun des mortels. Il n'y a pas un discours qui parte de ses bancs et qui ne contienne une invocation à la modération, à la conciliation, à la dignité parlementaire. L'honorable membre qui vient de se rasseoir, a terminé le sien par un semblable appel. Mais chaque fois que jusqu'à présent, un membre de la droite a pris la parole, nous avons entendu sortir de sa bouche les expressions les plus amères, pour ne pas dire plus, à l'adresse de la gauche.

A la suite de ce qui a eu lieu dans la séance de vendredi, séance parfaitement passée aujourd'hui et consignée depuis longtemps aux Annales parlementaires, on vient, toujours au nom de la conciliation, toujours au nom de la dignité parlementaire, provoquer dans cette enceinte des explications sur ce qui s'est passé après que la séance eut été levée par M. le président. Je demande si c'est là remplir les vœux que l'on manifeste dans la Chambre en paroles.

Je ne demande pas mieux que de voir le Moniteur toujours parfaitement exact, parfaitement fidèle, et je suis heureux de voir ce désir partagé par les membres de cette Chambre qui n'ont pas toujours paru avoir le même zèle à cet égard ; mais en ce qui concerne les journaux, ceux qui les accusent n'ont qu'à user du droit que leur donne le décret de 1831, du droit de réponse.

Nous n'avons pas à répondre ici à des articles de journaux. La presse est un pouvoir parfaitement indépendant, aux actes duquel nous n'avons rien à voir. Nous répondons aux discours qui se produisent dans cette enceinte, et si quelqu'un croit avoir à se plaindre des journaux, qu'il use, je le répète, du droit de réponse et, au besoin, du droit de poursuite, mais la Chambre est incompétente.

Je finis, messieurs, comme commencent tous les membres de la droite en faisant une invocation à la modération et à ce qu'exige de nous la dignité parlementaire ; je conjure la Chambre, au nom de cette dignité, de ne pas revenir sur des choses regrettables que nous n'avons pas provoqués ni sur des explications dont le premier défaut est d'être parfaitement inutiles.

Je fais des vœux aussi pour qu'on ne vienne pas, dans une Chambre belge, chercher des exemples ailleurs que dans les pays libres. Sans doute, j'admire les belles paroles, les nobles pensées dans quelque lieu qu'elles se produisent ; j'approuve les conseils de modération, alors surtout qu'ils sont donnés avec tant de dignité qu'ils l'ont été dans le discours auquel on a fait allusion ; mais je proteste contre certaines comparaisons.

Je profiterai de cette circonstance pour répondre à ce qui se dit à tout moment sur les bancs de la droite ; il semble qu'on ne puisse pas prononcer le nom du président de cette Chambre sans ajouter qu'il est toujours si sévère pour les membres de la droite.

Eh bien, si l'on a le droit, dans un pays voisin, d'être fier d'un président donné par la confiance du gouvernement à une Chambre législative, nous pouvons être fiers du président que nous nous sommes librement donné et qui est arrivé à sa haute position par une longue et honorable pratique des affaires et par de longs services rendus au pays. Personne n'a le droit de douter de sa profonde loyauté ; sans doute, il peut quelquefois se tromper ; il est facile même de se tromper au milieu d'un tumulte comme celui qui a eu lieu ; mais ne devons-nous pas avoir les uns pour les autres des trésors d'indulgence, alors que les hommes les plus modérés sortent quelquefois de leur caractère et prononcent des paroles que leur conscience ne tarde pas à désavouer ? Ne devons-nous pas avoir de l'indulgence surtout pour notre président, que nous ne pouvons pas abandonner sans nous abandonner nous-mêmes, car celui qui insulte le président insulte la Chambre.

M. Hymans. - Messieurs, nous sommes en droit de nous étonner d'entendre partir des rangs de la droite l'accusation de travestir le Moniteur alors surtout qu'il s'agit d'un fait que, d'après le règlement même, le Moniteur ne peul pas mentionner. Le règlement défend de faire mention aux Annales de tout signe d'approbation ou d'improbation donné pendant la discussion.

Mais comment faut-il caractériser un autre fait, certainement beaucoup plus grave, sur lequel nous avons le droit de demander des explications et qui consiste dans le travestissement d'un discours tout entier depuis le premier mot jusqu'au dernier.

Ja n'ai pas besoin de dire qu'il s'agit du discours qui a été prononcé dans la séance de jeudi par l'honorable M. Soenens.

MpVµ. - Ne mêlons pas un incident à l'autre.

M. Hymans. – C’est le même incident. Il s'agit du travestissement des Annales parlementaires.

MpVµ. - Vous avez la parole.

M. Hymans. - Messieurs, je n'ai pas besoin d'apporter une preuve à l'appui de mon assertion : chacun de vous a pu constater que le discours qui a paru aux Annales parlementaires n'est pas celui que nous avons entendu.

Mais puisqu'on a fait intervenir ici l'allégation d'un journal, je demanderai, à mon tour, s'il est vrai, comme l'ont dit d'autres journaux, que le député de Bruges ait substitué un discours écrit à la copie des sténographes. Je prierai le bureau de vouloir bien donner quelques explications à cet égard ; et si le fait est exact, je le livre d'avance à l'appréciation du pays ; l'assemblée jugera pour le reste ce qu'il convient de faire pour réprimer un pareil abus et en prévenir le retour.

MpVµ. - Messieurs, je ne dirai que quelques mois sur l'incident qui a été soulevé.

(page 467) Après les paroles bienveillantes, trop bienveillantes peut-être, de mon honorable collègue et ami, M. Guillery, je n'ajouterai rien en ce qui me concerne. Je me bornerai à dire que, me trouvant souvent dans des circonstances très difficiles, j'ai toujours eu à cœur d'agir avec justice et avec impartialité.

Je ne parlerai que de l'incident de vendredi dernier, que l'honorable M. B. Dumortier vient soulever, me semble-t-il, un peu tardivement aujourd'hui ; car j'aurais mieux compris que cette réclamation eût été faite le lendemain de la séance.

Je tiens à rétablir les faits dans leur exactitude et tels que je les connais et qu'ils me sont apparus.

Pendant les trois quarts du discours de M. le ministre des finances, il y a eu un silence complet et une attention très grande ; mais pendant la dernière partie, celle où il a parlé de certaines corporations religieuses et du congrès de Malines, il y a eu des interruptions incessantes ; j'ai eu toutes les peines du monde à les réprimer, comme cela a lieu souvent. A la fin du discours, la gauche tout entière a applaudi très énergiquement. Quelques membres de la droite ont chuté ; un très grand bruit se faisait dans l'assemblée. Dans ce moment, je regardais les tribunes réservées, et je déclare que l'accusation de M. Dumortier n'est pas exacte ; aucun applaudissement ne s'était fait entendre dans ces tribunes...

M. B. Dumortier. - Si ! si !

MpVµ. - Laissez-moi me justifier, puisque vous m'accusez. L'autre jour, vous avez pris la parole sans l'avoir, et aujourd'hui vous voulez m'ôter la parole alors que je l'ai et que je suis en droit de l'avoir.

Je répète que je n'ai pas entendu d'applaudissements dans les tribunes réservées. Il y a eu dans les tribunes publiques quelques applaudissements, que je n'ai pu entendre à cause du bruit qui régnait dans la salle ; j'affirme encore cela, et je l'affirme encore sur l'honneur. Mais je me suis empressé de prendre la seule mesure à laquelle je pusse avoir recours : je me suis hâté de lever la séance et je suis descendu du fauteuil. Il était 5 heures et quart.

Quelques membres de la droite m'ont dit assez naïvement que j'aurais dû rester au fauteuil dix minutes de plus.

Mais qu'y aurais-je fait ? J'aurais donné l'ordre d'évacuer les tribunes publiques ; mais les tribunes publiques s'évacuaient elles-mêmes et on aurait ri de l'ordre solennel que j'aurais donné ; ou bien j'aurais ordonné, conformément au règlement, aux membres de l'assemblée de se retirer dans les sections, et, à six heures, j'aurais été seul à mon fauteuil, avec l'huissier de mon cabinet dans la salle.

Messieurs, je me résous à vos accusations, - c'est une des conséquences de mes fonctions, - mais ce que je ne veux pas, ce que je ne voudrais jamais, c'est de mériter vos sarcasmes en me rendant volontairement ridicule.

Je demande à celui qui m'accuse ce qu'il aurait fait à la séance de vendredi, s'il avait été à ma place. Aurait-il fait autre chose que ce que j'ai fait ? J'ai levé la séance aussitôt après que le discours de M. le ministre des finances a été prononcé, et, heureusement pour moi, c'était après l'heure habituelle des fins de séances. Une fois la séance levée, je ne me suis pas occupé de ce qui a eu lieu après, cela ne me regardait plus.

Quant à ce qu'on dit que je suis parfois très sévère, je répondrai que je le suis peut-être trop peu ; surtout pour certaines personnes, à l'égard desquelles on a dû, sous toutes les présidences, déployer une grande et souvent stérile sévérité.

J'ajoute que, chaque fois que je dois rappeler quelqu'un à l'ordre, ce que je fais le moins possible, j'ai soin de faire confirmer ce rappel par la Chambre. Je puis dire aussi que plusieurs membres de la droite qui, en particulier, ont approuvé ma conduite, m'ont cependant condamné dans le vote public. Voilà la vérité !

Messieurs, je ne veux pas et je ne pourrais pas imiter l'honorable président du corps législatif de France, que M. Van Overloop veut bien me proposer pour modèle. Je n'ai pas pour cela les pouvoirs qu'il possède et je ne désire pas les posséder. Mais, croyez-le bien, je suis le premier à souffrir des scènes dont vous vous plaignez, de ces scènes stériles et regrettables. Ce que je crains, ce n'est pas un peu de bruit ; car il est dans ma nature de n'avoir pas vite peur ; ce que je crains, c'est de voir diminuer le prestige de nos belles institutions, c'est de voir amoindrir le dépôt qui nous est confié, la dignité de la Chambre. Et voilà pourquoi je suis quelquefois sévère, quand un devoir rigoureux, mais impérieux, me le commande.

Je déplore plus que vous, messieurs, la nécessité où je me trouve parfois de rappeler un collègue à l'ordre. Aidez-moi, messieurs, je vous en conjure, aidez-moi à maintenir toujours et sans acception de partis la dignité de la Chambre, notre considération à tous y gagnera. Voilà tout ce que j'ai à répondre.

M. B. Dumortier. - Je dois deux mots d'explications à ce que vient de dire M. le président ; et déjà j'aurais dû les donner à la suite de ce qu'avait dit mon honorable collègue M. Guillery.

Pourquoi, nous dit-on, venez-vous rappeler aujourd'hui l'incident de vendredi ? Mais, messieurs, le motif en est très simple : c'est que ce n'est qu'aujourd'hui matin que le journal officieux du gouvernement a accusé nos amis d'être les auteurs de cette scène scandaleusement déplorable. Ce n'est qu'aujourd'hui non plus que les Annales relatant la séance de vendredi ont paru et que nous avons pu voir qu'elles ne rendent aucun compte de l'incident de vendredi ; de manière qu'il n'existe aucun contrôle de l'assertion, que je ne veux pas qualifier, de l’Echo du Parlement.

Comment est-il possible de laisser mes amis sous le coup d'une telle accusation, alors que nous avons tous vu ici ce qui s'est passé ; alors que les membres de la droite ont dû quitter la Chambre au milieu des huées et des cris de la tribune publique ?

C'est là un fait que personne ne peut contester.

Et tous les membres qui ont pris la parole avouent qu'il y a eu une scène regrettable.

Eh bien, je ne veux pas que le soupçon d'avoir provoqué cette scène pèse un seul instant sur mes honorables amis.

On me dira : Pourquoi vous occupez-vous des journaux ? Mais, messieurs, parce qu'il s'agit d'un journal officieux du gouvernement et qu'il ne doit pas être permis à un pareil journal de traiter en coupables ceux-là précisément qui ont été victimes de la scène dont je parle.

Ce que je dis est tellement évident qu'à l'exception du journal auquel je fais allusion, toute la presse gouvernementale a eu la précaution de ne point parler de cette scène, tant ils ont compris tout ce qu'elle a eu de regrettable.

Nous voulons tous, messieurs, le maintien de nos institutions, mais nous pensons que le meilleur moyen de les conserver c'est d'empêcher le retour de pareilles scandales qui ne peuvent s'expliquer que dans des moments de trouble et dans des pays en révolution.

M. de Moorµ. - J'ai entendu avec une surprise extrême l'honorable M. Dumortier venir nous dire que le journal officieux du gouvernement et de la gauche avait...

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas dit cela.

M. de Moorµ. - ... que le journal officieux du gouvernement avait annoncé que la fin regrettable de la séance de vendredi était attribuée à la droite et non pas à la gauche. (Interruption.)

Eh bien, si le gouvernement a un journal officieux, la droite bien certainement eu a aussi ; elle en a même plusieurs ; et, qu'il me soit permis de rappeler à la Chambre et au pays ce que le Journal de Bruxelles et le Bien public disaient naguère d'un discours prononcé par l'honorable M. Schollaert.

Voici comment le Journal de Bruxelles s'exprimait après la séance du 5 mai :

« Les tribunes, par leurs applaudissements plusieurs fois répétés, ont prouvé à l'honorable député de Louvain que ses paroles avaient trouvé le chemin de leur cœur. Cette manifestation toute spontanée (nous savons d'où venait la spontanéité) du public nombreux qui assistait à la séance a visiblement contrarié le cabinet et sa majorité. Cette manifestation n'est-elle pas l'expression de l'opinion publique ? Or, si l'opinion publique applaudit les orateurs qui combattent l'odieux projet de loi sur les bourses d'études, c'est que le principe consacré par ce projet est antipathique au pays et que le pays le condamne hautement. »

Voilà ce que disait le Journal de Bruxelles après la séance du 5 mai. Ecoutons maintenant ce que dit le Bien public : « Le discours de M. Schollaert, fréquemment interrompu par les applaudissements de la Chambre et des tribunes publiques, a produit une sensation profonde. »

La fin de cette séance a été profondément troublée comme celle de vendredi ; mais, de plus, celle du 9 mai a été suivie d'une manifestation dont, heureusement, le spectacle ne nous a pas été offert la semaine dernière.

« A sa sortie de la Chambre, M. Schollaert a été l'objet sur la Place du Palais d'une ovation à laquelle nos honorables collègues M. Van Overloop et M. le comte de Liedekerke prenaient un intérêt tout particulier. »

Je ne sache pas que la gauche soit venue, le lendemain ou le surlendemain de cette regrettable séance, protester contre ce qu'avaient fait les tribunes.

Nous l'avons regretté, mais nous n'en avons pas fait un reproche au président ni même à la droite.

(page 468) Il me semble que la haute personnalité d'un président de la Chambre ne doit jamais être discutée au sein d’une assemblée parlementaire.

M. Delaetµ. – Je trouve déplorable, comme vient de le dire M. Guillery, de voir discuter ici des questions de journaux. Nous ne devons nous occuper dans cette enceinte que du Moniteur et des Annales parlementaires, nous ne connaissons ni journal officieux du ministère, ni organe de la droite.

Les journaux, d'après nos institutions constitutionnelles, sont réputés indépendants de toute influence.

En ceci nous sommes d'autant plus désintéressés, nos amis d'Anvers et moi, qu'un journal de Liège nous a accusés d'avoir sifflé après le discours prononcé par M. le ministre des finances ; je ne sais pas s'il existe des journaux qui devinent les sifflets occultes.

Je n'aurais pas relevé le fait si un journal de nos amis n'avait accusé un de nos collègues de la gauche d'être l'auteur de la correspondance.

Je crois que cette allégation est aussi erronée que l'autre.

Voilà pourtant où nous en arrivons quand nous attaquons la presse ; nous parlons sans cesse de la liber é de la presse, respectons-la donc même dans ses inconvénients, dans ses écarts, et surtout ne la discutons pas ici. Je demande que l'incident soit clos ; il a déjà duré trop longtemps.

MpVµ. - L'incident est clos ; nous passons à l'ordre du jour.

M. de Moorµ. - Il y a l'autre incident.

M. Hymans. - Je demande la parole.

Messieurs, quand j'ai pris la parole, M. le président m'a dit que je soulevais un second incident lorsque j'ai demandé des explications au sujet du travestissement d'un discours d'un honorable membre ; j'ai alors répondu : Si c'est un autre incident, je demande si le bureau est informé du fait énoncé par un journal de la suppression d'un discours sténographié et de son remplacement par un autre discours écrit.

MpVµ. - Je vais répondre à la question que m'a adressée M. Hymans. Le bureau est effectivement saisi d'une réclamation au sujet du discours de M. Soenens tel qu'il a paru dans les Annales parlementaires ; le bureau s'occupe de réunir les pièces ; quand il les aura, il se propose d'entendre M. Soenens sur cette affaire.

(page 471) M. Soenensµ. - Messieurs, la manière dont l'honorable M. Hymans s'y prend pour soulever ce second incident, me paraît un peu trop adroite.

L'honorable membre pouvait venir affirmer lui-même si mon discours, tel qu'il a été inséré aux Annales, était oui ou non travesti ; car enfin, il me l'avait entendu prononcer, il y a répondu le lendemain, et sur des notes prises par lui, et suivant à peu près l'ordre même dans lequel j'avais présenté mes idées.

Avant la clôture du précédent incident, j'avais déjà demandé la parole pour répondre à l'honorable membre ; et, sans son intervention, j'aurais provoqué cette discussion moi-même, pour avoir l'occasion de demander si un membre de cette Chambre prenait la responsabilité des articles publiés par certains journaux à propos de mon discours, et de la prétendue disparition de la sténographie.

- A gauche. - Il n'est pas question de journaux ici.

M. Soenensµ. - J'ai le droit de le demander, car cette sténographie n'a pas disparu, et il sera facile de constater que les idées, l'ordre des idées et des arguments que j'ai développés pour répondre à l'honorable M. Bara, sont restés aux Annales ce qu'ils étaient dans la sténographie. Mais au milieu du tumulte et des interruptions dont mon discours a été l'objet, il est impossible que la sténographie ait donné une reproduction exacte de mon discours.

Seulement, je ne m'étonne pas que ce soit l'honorable M. Hymans qui m'attaque à ce propos. Avant que j'eusse l'honneur de siéger ici, il m'attaquait déjà, dans des articles signés par lui.....

- A gauche. - Cela ne nous regarde pas.

- A droite. - Si, si.

M. Soenensµ. - J'ai le droit de demander compte aux membres de cette Chambre...

MpVµ. - On ne répond ici que de ce qui s'y dit ou se met aux Annales parlementaires ; le reste est affaire particulière dont la Chambre n'a pas à s'occuper.

M. Soenensµ. - Je me bornerai donc à dire que je ne m'étonne pas de la réclamation de l'honorable M. Hymans. Jeudi dernier c'est encore lui qui s'est chargé d'en faire à propos de l'opinion de M. de Haussy, que j'ai citée dans cette enceinte, par la production d'un document émané de lui. Je saisis l'occasion que j'ai, cette fois, de revenir sur cet incident : quand j'avais la parole pour répondre à M. Hymans, je ne pouvais répondre que sur un fait personnel.

M. Hymans m'a donc accusé d'avoir produit une pièce falsifiée.

A quel titre pareille accusation était-elle légitime ? j'aurais employé le mot de « circulaire » pour qualifier cette pièce. Je dis d'abord que je n'avais pas employé ce mot. La sténographie qui existe, ne le mentionne pas du moins ; et comme je suis persuadé avoir exposé à la Chambre l'origine du document signé par M. de Haussy, qui était une réponse à la réclamation d'un particulier, j'aurais employé ce terme, si je l'avais employé, sans intention possible d'induire en erreur.

Mais la manière dont je pouvais avoir qualifié cette pièce ne pouvait avoir ici d'importance. Toute la question est de savoir si M. de Haussy, membre du cabinet libéral homogène de 1847, a émis, en 1849, l'opinion formelle défendue aujourd'hui par les pétitionnaires catholiques, que la liberté des cultes est violée par l'inhumation dans la partie du cimetière affectée aux catholiques, d'un individu non catholique. Or, le doute n'est pas possible ; et c'est l'honorable M. Nothomb, qui figurait dans un compte rendu d'un journal comme ayant appuyé par une interruption les allégations de M. Hymans, qui va m'en fournir des preuves déjà anciennes.

La pièce que j'ai citée a été produite par M. Nothomb, en 1862. Pour les besoins d'alors, on l'a combattue comme tronquée, falsifiée.

M. Nothomb a dû s'adresser à l’Echo du Parlement, le 20 août 1862.

M. Goblet. - Nous connaissons tout cela.

M. Soenensµ. - Oui, mais le pays qui a pu lire les paroles de M. Hymans ne le connaît pas, et je tiens à le faire connaître, pour qu'il ne reste plus de doute à cet égard.

M. Nothomb reproduisant donc, dans sa lettre à l’Echo du Parlement, l'importante citation que j'ai faite à cette tribune, ajoutait :

« Tel a été mon langage. Je n'ai pas proféré le mot de circulaire ; je n'ai rien prêté à M. de Haussy. J'ai dit qu'il avait pris une décision, qu'il s'était prononcé sur la question.

« Cela est-il vrai, oui ou non ?

« Est-il vrai, oui ou non, que M. de Haussy a décidé qu'il maintenait ]a clause contre laquelle une famille réclamait ?

« Incontestablement, oui.

« Est-il vrai que M. de Haussy a motivé son opinion de la manière la plus formelle, oui ou non ?

« Incontestablement, oui.

« Est-il vrai, oui ou non, que M. de Haussy a décidé de la manière la plus formelle que ce serait violer la liberté des cultes, que d'obliger le ministre des cultes à recevoir, dans la partie des cimetières affectée aux catholiques, des individus d'autres religions, ou d'aucune religion ?

« Incontestablement, oui. »

Et que répondait le défenseur officieux du ministère ? Il veut démontrer que la pièce était falsifiée, parce que ce que M. Nothomb en avait cité n'était pas complet, et il finit par faire connaître, de ce même document, la finale ainsi conçue :

« Quant à moi, je ne vois dans l'avenir d'autre solution possible, qu'en réservant dans tous les cimetières un terrain séparé de la partie bénite, où pourraient être accordées des concessions aux familles qui voudraient réunir dans une même sépulture leurs membres appartenant à des communions différentes. »

« 8 avril 1849.

« Parafé : de Haussy. »

Et c'est M. Hymans qui vient me dire en pleine Chambre que, pour faire la citation que je fais, je ne dois pas connaître les débats de 1862 ! Voilà les débats de 1862, non seulement d'après les Annales parlementaires, mais d'après les journaux de l'époque : que vient faire maintenant la mauvaise querelle à propos du mot de « circulaire », et les accusations de falsification, qui se sont trouvées dans la bouche de l'honorable membre ? J'espère, que ma réponse est complète et péremptoire.

(page 468) M. Bara. - Messieurs, mon honorable ami M. Hymans a probablement saisi la Chambre de la question qui vient d'être soulevée, parce que c'est lui qui a répondu au discours de l'honorable M. Soenens, et il a été très étonné, comme moi du reste, de retrouver un tout autre discours. Je ne dis pas que le fond n'est pas la même chose ; il s'y trouve certainement des idées que l'honorable M. Soenens a développées devant la Chambre, mais quant à la forme, quant aux considérations à l'aide desquelles il a développé ses idées, l'honorable M. Soenens et toute la droite, j'en suis convaincu, reconnaîtront que le discours qui se trouve au Moniteur n'en reproduit absolument rien.

Quand on lit ce discours, on est tout étonné des interruptions qui ont lieu sur les bancs de la Chambre, on est tout étonné de la manière dont la presse a apprécié le discours de l'honorable M. Soenens, et sans que je veuille prétendre que les honorables membres ne doivent quelque peu corriger leurs discours sous le rapport de la rédaction, je dois faire remarquer qu'il n'est pas possible, quand on développe la même pensée, de le faire par d'autres considérations que celles qui ont été produites devant la Chambre.

Il y a de plus quelque chose de très fâcheux, c'est que l'honorable M. Soenens a introduit dans son discours une quantité d'épithètes très violentes et très malveillantes à l'égard du collègue auquel il répondait. Ainsi, vous rencontrerez à chaque instant les mots « misérable, odieux ».

M. de Haerne. - Il les a dits.

M. Bara. - Pour moi, je ne les ai pas entendus, mais en supposant qu'il ait prononcé le mot « misérable » je dirai que j'ai quelquefois vu supprimer ce mot aux Annales parlementaires, mais que je ne l'ai jamais vu ajouter à profusion ; or, vous ne sauriez lire cinq lignes du discours de l'honorable M. Soenens sans rencontrer les mots « misérable et odieux », etc.

Je demande, messieurs, si ce sont là des expressions bien aimables à l'égard de collègues !

On parle toujours de la violence des membres de la gauche. Eh bien, je crois que vous trouviez fort difficilement, dans les discours de ces membres que l'on accuse d'être les plus violents, une seule parole malséante à l'égard de n'importe quel collègue de la droite. On peut avoir la parole énergique, exprimer une pensée qui déplaît aux adversaires de la gauche, mais ce que l'on doit toujours respecter, c'est la personnalité,

Je dis que ce qu'a fait l’honorable M. Soenens par son discours est parfaitement regrettable.

D'après des renseignements positifs, il n'a pas renvoyé au Moniteur la sténographie, mais un discours écrit de sa main.

Il a donc jugé qu'il lui était impossible de faire les corrections désirables sur le travail des sténographes et il a cru plus prudent et plus court de faire immédiatement un nouveau discours.

Je ne dis pas que l'honorable M. Soenens n'a pas développé les mêmes idées, mais je dis qu'il l'a fait par d'autres considérations, par d'autres exemples, avec un autre style, et que le discours qui se trouve au Moniteur n'est pas celui que nous avons entendu.

M. de Theuxµ. - Messieurs, je me rappelle d'avoir souvent entendu de la part de MM. les sténographes, à l'égard des précédents en matière de corrections ou de substitutions de discours, qu'un des membres les plus considérables de la gauche, lequel n'est plus de ce monde, avait l'habitude de substituer des discours presque entiers à ceux que la sténographie avait reproduits.

Jamais il n'était content, et je ne me rappelle pas qu'aucun membre de la gauche ait réclamé contre ce précédent.

Moi qui connaissais ce fait et qui aurais eu le droit de le signaler à la Chambre, je m'en suis abstenu, quoique, en ce qui me concerne, j'ai toujours été excessivement sobre de corrections.

Je n'ai jamais inséré dans le travail de MM. les sténographes que ce qui pouvait déterminer le sens des paroles que j'avais prononcées. Je n'ai jamais été au-delà. Dans beaucoup de circonstances, j'ai préféré raturer complètement une pensée que de me donner la peine même de la rétablir ainsi que je l'avais exprimée.

Mais je dis que nous devons user de la plus grande tolérance à l'égard du droit de chaque membre de corriger ses discours. Il est arrivé à plusieurs membres de substituer des discours entiers à ceux que la sténographie avait recueillis.

Dans la circonstance actuelle, le fait s'explique d'autant mieux que l'honorable M. Soenens avait été attaqué, je dirai d'une manière peu convenable, puisqu'on en faisait le représentant de l'évêque, alors que chaque représentant est le représentant de la nation et de l'arrondissement qui l'a élu.

Et ici, ce n'est pas que je considérerais personnellement comme une injure d'avoir été appuyé dans ma candidature par un évêque.

Les évêques sont des personnages éminents dans l'Etat et dans la religion et dont je ne récuserai jamais l'appui. Mais je dis qu'il est contraire à la dignité parlementaire de venir dire : Vous êtes le représentant de tel ou tel. Cela ne se fait pas dans un pays où l'on entend le régime parlementaire et les convenances.

En second lieu, le discours de l'honorable M Soenens a été constamment interrompu, tellement interrompu qu'il était, pour ainsi dire, impossible à l'honorable membre de suivre le fil de son discours. C'est encore là une inconvenance beaucoup plus grave que l'autre.

En troisième lieu, il a été attaqué par des personnalités que j'ai dû signaler à la Chambre.

Je n'en dirai pas davantage. J'espère que cet incident finira. Le fait aurait d'ailleurs dû être relevé aussitôt que le compte rendu de la séance a paru au Moniteur. Finissons-en de ces réclamations personnelles. Ne nous permettons aucune personnalité à l'égard de nos collègues et que nos collègues ne s'en permettent aucune à notre égard. La dignité de nos débats y gagnera.

MpVµ. - S'il n'y a pas d'opposition, l'incident est c'os.

Il y a eu une réclamation. Le bureau examinera.

Discussion générale

(page 471 M. Jacobsµ. - Messieurs, la question d'Anvers a été jetée dans le débat par M. le ministre des finances. J'attendais qu'il me permît de l'aborder sans encourir le reproche d'importuner la Chambre. Son testament politique servira de passe-port à mon discours ; je n'abuserai pas d'ailleurs du droit de défense ; ce serait trop bien servir une tactique qui consiste à noyer le point fondamental de la discussion dans une foule de détails d'un intérêt indirect ou sans intérêt.

Vous connaissez tous l'article 7 du programme de l'honorable M. Dechamps. Cet article nous accorde ce que le cabinet nous a toujours refusé : l'examen, l'enquête ; il nous la promet sincère et bienveillante ; il en détermine le but.

Rappelez-vous, messieurs, nos débats de décembre dernier ; nous n'en demandions pas tant.

L'enquête, faite alors, eût pu n'être pas sérieuse ; à coup sûr, elle n'eût pas été bienveillante ; on n' n eût pas déterminé le but, comme l'a fait l'honorable M. Dechamps.

Les juges que vous nous refusiez, l'honorable membre vous les eût donnés. Il est vrai qu'à en croire M. le ministre des finances, l'article 7 n'est qu'un leurre, une mystification.

M. le ministre n'a pas réfléchi que ces expressions passaient par dessus la tête de la députation d'Anvers pour aller beaucoup plus haut. Si l'article du programme de M. Dechamps est une mystification, M. Dechamps ne voulait pas seulement mystifier les Anversois, il voulait ou mystifier la Couronne, à laquelle il présentait ce programme, ou la rendre complice d’une mystification. (Interruption.)

M. de Brouckere. - Laissez le Roi en dehors de ces débats.

MfFOµ. - C'est inconstitutionnel.

M. Jacobsµ. - C'est parce que votre expression est inconstitutionnelle dans ses conséquences que je la relève et que j'en signale la portée.

Je pourrais ne pas m'y arrêter ; l'honorable député de Charleroi est trop haut placé dans l'estime de cette assemblée pour qu'une semblable accusation puisse l'atteindre. Je pourrais ajourner M. le ministre des finances jusqu'à la réalisation du programme, qui ne tardera guère. Je ne le ferai pas. Je le suivrai dans les trois points qui, d'après lui, embrassent toutes les réclamations d'Anvers.

Le premier, le principal, celui dont fait spécialement mention l'article 7 du programme, c'est la question des citadelles.

M. Dechamps, j'en suis convaincu, ne tardera pas à s'en expliquer. Ou je me trompe fort, ou l'honorable rédacteur de l'article avait les raisons les plus sérieuses de croire que les citadelles ne sont pas comme vous persistez à le penser, le complément indispensable de la place ; ou je me trompe fort, ou des officiers et des ingénieurs distingués l'avaient confirmé dans l'idée que la démolition des citadelles est possible, sans sacrifices financiers et sans affaiblir la défense.

(page 472) Vous entendrez les explications de l'honorable M. Dechamps et d'autres membres du cabinet avorté s'ils jugent utile de joindre leurs appréciations aux siennes. Et à ce propos, je tiens à relever un mot de M. le ministre des finances à l'adresse de M. Royer de Behr. Il s'est étonné que l'honorable député de Namur qui, jadis, s'est prononcé en faveur de la nécessité des citadelles, comme complément de la défense, eût signé le programme sans s'élever contre l'article 7. Mais M. le ministre des finances doit savoir que, dans ces matières spéciales, dans ces matières où l'on forme son opinion moins par soi-même que par la confiance qu'on accorde aux hommes compétents, qui sont en petit nombre, rien n'est plus fréquent qu'un changement d'idées.

L'honorable ministre des finances n'a-t-il pas lui-même notablement modifié les siennes ?

Je vais lire un court passage du discours qu'il prononçait le 29 juillet 1858, .à l'appui du projet d'agrandissement d'Anvers au Nord.

M. Bouvierµ. - Je demande la parole.

M. Jacobsµ. - L'honorable ministre des finances disait alors : « C'est, il faut bien le dire, tout un système. La grande enceinte et les plans que soumet aujourd'hui le gouvernement tiennent à deux ordres d'idées entièrement différents. Dans le système de la section centrale, il s’agit, en réalité, quoi qu'on en ait dit, d'enfermer l'armée dans la place et de la charger uniquement de garder cette position. Dans le système du gouvernement, l'armée doit jouer, dans le pays et pour le pays, le noble rôle qui lui est assigné. Si quelque jour il était nécessaire de combattre pour ce que nous avons de plus cher, nos institutions, notre indépendance, l'armée, j'en suis convaincu, remplirait son devoir patriotique, et vous ne la réduirez jamais à l'humiliation de fuir au plus vite pour aller s'enfermer dans une place de guerre et y attendre l'ennemi. »

Cette humiliation, que l'on flétrissait en 1858, on ne la craignait plus l'année d'après. M. le ministre des finances, lorsqu'on lui a rappelé ce souvenir, a cherché à distinguer entre telle grande enceinte et telle autre grande enceinte, entre l'enceinte Keller et l'enceinte du gouvernement.

Mais remarquez ses paroles, ce sont deux principes essentiellement différents qui se trouvent en présence, et l'honorable M. Orts, dans le rapport de la section centrale sur le projet de 1859, a rendu toute échappatoire impossible : « Le projet actuel, y est-il dit, se range à l'opinion de la section centrale de 1858. »

Loin de moi la pensée d'accuser M. le ministre des finances d'avoir modifié son opinion pour conserver son portefeuille, mais qu'il veuille bien s'abstenir aussi d'insinuer que M. Royer de Behr ait varié pour en obtenir un.

Que M. le ministre des finances ne prenne pas au sérieux l'espoir de M. Dechamps de résoudre la question d'Anvers, c'est un débat entre lui et l'honorable membre. Pour lui, je le sais, les citadelles sont des choses sacrées, et, chaque fois qu'on parlera de les démolir, il criera à la mystification. Je ne m'en formalise pas, je ne lui demande qu'une chose, c'est, lorsque le programme sera devenu une réalité, de vouloir bien alors crier au miracle !

Des bruits parvenus aux oreilles de M. le ministre lui font croire que le plan dont les députés d'Anvers ont entretenu la Chambre l'an dernier n'admettait que la démolition de la citadelle du Sud et non celle de la citadelle du Nord ; c'est une profonde erreur, et il pourra s'en convaincre en relisant la délibération prise par le conseil communal d'Anvers avant l'ouverture de la session et expédiée à son collègue de l'intérieur. Ce qui a pu l'égarer, c'est sans doute l'une de ces innombrables études que le ministre de la guerre, à cette époque, nous disait exister à son département.

M. le ministre des finances s'est demandé ce que ferait l'honorable M. Dechamps des dix millions, prix des terrains de l'ancienne enceinte, et il a insisté de nouveau sur l'obligation d'Anvers de les payer.

Je pourrais recommencer la preuve du contraire et lui citer une décision judiciaire récente qui tranche ce différend conformément à notre opinion et contrairement à la sienne ; je me bornerai à lui répondre que ces terrains n'ont pas disparu, qu'ils ont leur valeur, peu importe que la ville doive les payer, qu'elle les prenne volontairement, ou qu'on les cède à une société ; et si cette valeur n'était pas équivalente au chiffre de dix millions M. le ministre ne doit pas oublier un autre élément du débat, l'offre de concours financier faite par la ville d'Anvers le 6 novembre dernier. Une négociation pour aboutir doit porter sur cette offre en même temps que sur la reprise des terrains ; c'est ce que le cabinet actuel n'a pas voulu faire, c'est ce que fera M. Dechamps lorsqu'il sera au pouvoir.

Quant à l'indemnité due en compensation des servitudes militaires, ce n'est pas là une question exclusivement anversoise. S'il en était autrement, vous auriez le droit de dire que c'est une question d'argent, mais nous vous avons toujours répondu que pour nous c'était une question de principe, une question de justice, une question d'équité. Elle s'applique à Diest, à Termonde, au petit nombre de villes condamnées à rester fortifiées.

Nous ne tarderons pas à fournir à la Chambre l'occasion de la discuter ; la députation d'Anvers déposera prochainement un projet de loi ayant pour but de consacrer en cette matière le principe de l'égale répartition des charges publiques, sans grever le trésor dans une proportion sensible.

Quel que soit le cabinet qui se trouve alors aux affaires, sauf peut-être le cabinet actuel, nous espérons le voir admettre cette solution. Et, ne réussissions-nous pas de prime abord, nous sommes convaincus que ce mouvement des esprits qui nous a valu divers projets destinés à indemniser le milicien du sacrifice qu'il a fait de son existence à la chose publique, que ce mouvement qui tend à généraliser le principe de l'égalité des charges sera bientôt appliqué aux servitudes militaires. Nous sommes convaincus que, lorsqu'on voudra ne plus voir ici une question de parti, une question politique, la Chambre n'hésitera pas à admettre que nul ne peut subir un dommage dans l'intérêt de tous sans que ce dommage soit réparé proportionnellement par tous.

Messieurs, quel a été le but de M. le ministre des finances en nous entretenant des réclamations d'Anvers et en faisant la critique de l'article 7 du programme ?

Son but était d'effrayer le pays en lui faisant entrevoir des charges nouvelles très considérables ; il ne réussira pas, par cette diversion habile, à faire oublier les charges imposées au pays, et à lui imposer encore comme conséquences nécessaires, d'après lui, des travaux décrétés en 1859, qui sont l'œuvre du cabinet et dont la responsabilité lui incombe.

M. le ministre n'a pas parlé de ces 48,925,000 fr. votés pour la défense d'Anvers et qui devaient être un maximum qu'on n'excéderait en aucun cas. M. le ministre des finances n'a pas parlé de l'augmentation de 3 millions et demi annoncée dès les premiers jours de 1862. Le 23 janvier de cette année, le général Chazal répondait à une interpellation de l'honorable M. Beeckman :

« Les devis du génie établissent que les fortifications d'Anvers ne coûteront positivement que ce qui est indiqué dans la note remise à la section centrale. Cette note renferme toutes les explications désirables. Il en résulte que le montant de l'estimation sera dépassé de trois millions quatre cent et quelques mille francs.

Au mois de janvier dernier, l'honorable général, en défendant son budget, nous annonçait un nouvel excédant de dépense qui majorait les 48,925,000 votés en 1859 de 5 millions et demi.

Cette progression constante n'est pas arrivée à son apogée et si mes renseignements sont exacts, le chiffre de 5 1/2 millions pourrait bien se trouver doublé. (Interruption.)

Je conçois que vous n'acceptiez mon affirmation que sous bénéfice d'inventaire et je consens à m'arrêter aujourd’hui au chiffre de 5 1/2 millions officiellement reconnu.

Je demande à la majorité ce qu'elle fera lorsque le ministère viendra faire appel à son dévouement pour lui faire voter un nouveau crédit égal à cette somme, non pour satisfaire, non pour pacifier Anvers, mais uniquement pour exécuter ce qui a été décrété en 1859.

La Chambre n'a pas perdu de vue l'ordre du jour qui a clos notre discussion de décembre. Dans les développements qu'y a donnés l'honorable M. Dolez, de l'assentiment de ses amis, je lis ce qui suit :

« Si, avec conviction et bonheur, j'ai voté les dépenses antérieurement réclamées dans l'intérêt de la défense du pays, et si le pays a accepté ces dépenses avec patriotisme, je protesterais et le pays protesterait contre la proposition de dépenses nouvelles en vue de travaux à faire à Anvers. »

Il ajoutait encore :

« Pour moi, je suis convaincu que si, par des concessions nouvelles, nous imposions au pays d'autres dépenses encore, le pays tout entier nous blâmerait. »

Quelle attitude la majorité, dont l'honorable M. Dolez était à cette époque l'organe, quelle attitude la majorité va-t-elle prendre au sujet de ces 5 millions et demi, annoncés par l'honorable général Chazal.

Je crois qu'elle les votera, car, lorsque l'honorable général Chazal a annoncé le premier excédant, aucune réclamation ne s'est élevée ; lorsqu'il a fait connaître le second, il y a eu bien une observation assez anodine de l'honorable M. De Lexhy, mais aucune protestation n'est partie de vos bancs. Vous voterez ces cinq millions et demi, car si vous agissiez autrement, si le cabinet devait laisser tomber en ruine son œuvre de prédilection, ce ne serait plus la droite, ce ne serait plus le corps électoral qui le renverserait, ce seraient ses propres amis.

Mais que dira le pays si la majorité parlementaire accorde au cabinet (page 473) ces nouveaux crédits ; mettant ce vote en regard de celui de l'ordre du jour du 24 décembre et du langage tenu par l'honorable M. Dolez à cette époque, il se dira : « La majorité a refusé alors le principe d'une dépense ultérieure quelconque, par haine pour Anvers, et elle la vote aujourd'hui par dévouement au cabinet. Ce qui la guide ce sont les amitiés ou les inimitiés, ce n'est pas l'intérêt du pays. »

Ne le dissimulons pas ; les fortifications d'Anvers, même dans les limites des projets du cabinet, continueront longtemps encore à grever le pays ; et l'honorable M. Bara, qui se proposait de consacrer les excédants budgétaires à bâtir des écoles, ne pourra, d'ici à plusieurs années, bâtir, au moyen de ces ressources, que des châteaux en Espagne.

Comparez maintenant la position que veut prendre l'honorable M. Dechamps avec celle du cabinet.

D'une part on vous annonce des dépenses nouvelles considérables pour des travaux que le pays était en droit de croire définitivement et complètement soldés ; d'autre part on vous déclare qu'on espère arriver à remédier aux défauts que présentent les travaux exécutés aujourd'hui, aussi bien au point de vue militaire qu'au point de vue civil, sans plus de sacrifices qu'il ne nous en faudra pour ne remédier à rien. Le pays se dira : Le cabinet me garantissait en 1859 que 48 ou 49 millions seraient un maximum ; en 1862, il m'assurait que la dépense ne dépasserait pas ce chiffre de 5 millions et demi ; eu 1864, il se voyait déjà contraint d'annoncer un excédant de 5 millions et demi ; qui est donc mystifié ? Est-ce Anvers, ou est-ce moi ?

Ce même cabinet m'affirme que la question d'Anvers est insoluble ; tandis que d'autres hommes croient pouvoir arriver à une solution satisfaisante, croient pouvoir pacifier Anvers, sans qu'il m'en coûte davantage ; en qui dois-je avoir confiance ? en ceux qui tant de fois ont déçu les espérances que j'avais fondées sur leurs paroles, ou bien dans ces hommes nouveaux que je n'ai pas, jusqu'aujourd'hui, le droit de suspecter et qui se disent prêts à examiner le problème d'Anvers au grand jour avec bonne foi et bonne volonté.

Nous attendons avec confiance le jugement du pays.

Messieurs, l'affaire d'Anvers n'est qu'un incident dans le débat, et j'ai hâte d'arriver au point qui le domine.

Le véritable objet de cette discussion n'est ni l'ensemble du programme, ni ses articles secrets, ni ses articles publics. C'est la situation. Quelle est-elle ?

Reportons-nous aux débats de l’adresse ? L'honorable M. Dechamps, à cette époque, faisait la déclaration bien explicite des conditions dans lesquelles la droite pouvait accepter le pouvoir ; il annonçait dès lors qu'elle n'y arriverait qu'avec une réforme communale, avec des mesures de décentralisation.

Peu de jours après le cabinet donne sa démission et la crise commence. Le pouvoir est offert à la droite ; avec un esprit de modération qu'on a qualifié d'excessif, la droite conseille un ministère d'affaires, seul moyen d'éviter la dissolution ; aussi longtemps que la constitution d'un cabinet de ce genre est considérée comme possible la droite maintient son conseil et reste dans l'expectative.

Les premières explications sont échangées il y a environ deux mois ; que nous déclarent alors les conseillers de la Couronne ? Ils nous disent d'une part : « Le cabinet est impuissant ; il n'a plus la force de gouverner. » D'autre part : « Le pouvoir est offert à la droite sans conditions, d'une manière générale, avec toutes ses conséquences. » Ces paroles indiquaient suffisamment que les conditions dans lesquelles la droite pouvait accepter le pouvoir, conditions qu'elle avait indiquées par l'organe de l'honorable M. Dechamps lors de la discussion de l'adresse, que ces conditions ne feraient pas obstacle à son avènement.

Comment se fait-il donc qu'aujourd'hui le cabinet impuissant se trouve encore à la tête des affaires ? Comment se fait-il que ce parti, auquel le pouvoir était offert sans réserve, ne s'y trouve pas ? Comment se fait-il que le cabinet de droite dès qu'il eut formulé un programme que plusieurs de nos amis comme de nos adversaires politiques en dehors des Chambres trouvent trop anodin, comment se fait il qu'il s'est vu refuser le pouvoir ?

Messieurs, d'après les déclarations déjà échangées, d'après celles de l'honorable M. Dechamps, d'après la note d'une des intermédiaires, l'honorable M. Malou, d'après le discours lu par M. le ministre des affaires étrangères au commencement de cette discussion, le cabinet formé dans les rangs de la droite a avorté parce qu’il n'a pas voulu sacrifier le principe de l'abaissement du cens communal. J'en extrais quelques lignes :

« Un honorable sénateur de leurs amis fut chargé de leur indiquer certaines modifications que Sa Majesté jugeait nécessaires, Ces modifications portaient principalement sur l'article 2 du programme relatif la réforme électorale.

« Le Roi ne pouvait admettre qu'une réforme électorale, dont il n'avait pas été fait mention même en 1848, fût commandée soit par les besoins du pays, soit par les exigences de l'opinion publique.

« De leur côté, les auteurs du programme, tout en modifiant la rédaction de l'article 2, n'ayant pas voulu renoncer au principe qu'il consacrait, la dissidence sur ce point a été constatée comme définitive. »

C'est donc parce que l'honorable député de Charleroi et ses amis ont proposé l'abaissement du cens communal et provincial, non pas à tel ou tel chiffre déterminé, mais en principe, c'est pour ce motif qu'ils ne sont pas au pouvoir, c'est pour ce motif que vous y êtes encore.

L'exclusion d'un grand parti appelé à gouverner, de l'aveu de ses adversaires, ne peut s'expliquer que par des exigences exorbitantes ; l'exclusion de la droite est inexplicable, à moins que l'abaissement du cens, quelque modéré qu'il soit, ne constitue, comme l'a dit une feuille qu'on appelait tout à l'heure le journal officieux, une énormité ; qu'autant qu'elle puisse être accusée, en demandant cette réforme, de coiffer le bonnet phrygien, pour me servir de l'opinion de l'honorable M. Bara ; qu'autant, ainsi que le disait M, le ministre des finances, que son programme eût été rédigé dans le but de se rendre impossible.

Examinons, messieurs, si l'abaissement du cens est une énormité, puisque c'est là le point fondamental du débat. Jamais, nous déclarait M. le ministre des affaires étrangères, jamais, même en 1848, on n'avait admis que le cens pour la commune et pour la province pût être abaissé au-dessous des limites qui existent depuis lors ; il citait, à l'appui de ses paroles, un passage d'un discours de l'honorable M. Dechamps, passage très péremptoire et qui n'a d'autre défaut que de s'appliquer au cens général.

Les souvenirs de l'honorable M. Rogier lui ont fait défait lorsqu'il a cru pouvoir dire que ni en 1848, ni depuis, aucune réclamation ne s'était élevée, aucune aspiration ne s'était produite en faveur de l'abaissement du cens communal ; je rappellerai à l'honorable ministre que lui, qui considère aujourd'hui tout abaissement de ce cens comme un fait énorme, de nature à justifier l'exclusion d'un parti du pouvoir, que lui-même, en présentant la loi qui nous régit aujourd'hui, proposait d'abaisser, dans les villes de plus de quinze mille âmes, le cens à quarante francs c'est-à-dire au-dessous de 20 florins.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Pour la commune.

M. Jacobsµ. - C'est précisément ce qui nous occupe. Il s'agit de savoir si le cens communal existant aujourd'hui, et qui est gradué d'après la population, ne peut subir aucune modification ni dans les grandes ni dans les petites communes.

Eh bien, l'honorable, M. Rogier, dans son projet de 1848, admettait déjà que, pour les villes au-dessus de 15,000 âmes, on descendît à 40 fr. Mais je vais être bien plus explicite en vous lisant quelques extraits de la discussion de ce projet, et j'aurai soin de ne pas les choisir dans les discours des membres de la droite.

Le rapport de la section centrale, rédigé par M. Ch. de Brouckere et qui proposait l'égalité des trois cens dans les grandes villes pour faciliter la formation des listes électorales, s'exprimait ainsi :

« Le moment n'est peut-être pas éloigné où d'autres changements pourront être utilement apportés à la loi du 30 mars 1836 en ce qui concerne l'élection des conseils communaux, mais la section estime qu'il est prudent d’user d'une certaine réserve en cette matière et d'attendre, pour décréter ces changements, que l'exécution qui va être donnée au projet qui nous occupe et à la loi du 12 mars l848, soit venue augmenter notre expérience et nous donner de nouveaux enseignements. »

Ce n'était donc là qu'un premier abaissement qui, loin d'en exclure d'autres, les indiquait déjà dans l'avenir.

M. Castiau combattit cette uniformité des deux cens dans les communes populeuses en ces termes :

« Suivant notre système, une distinction existait et semblait imposée par la raison, par la nature même et l'importance des opérations électorales entre le cens pour les Chambres et le cens pour les communes ; cette différence, je le répète, résultait de la différence même du mandat conféré par la loi à ces deux catégories d'électeurs, et aujourd'hui on l'efface et on vient établir l'uniformité entre des opérations électorales qui, sous le rapport de l'importance, n'ont entre elles aucune similitude. »

M. Castiau se trouve donc ici en contradiction complète avec l'honorable M. Bara, pour qui les deux cens doivent être les mêmes.

« La section a reconnu, ajoutait-il, que le projet était incomplet, elle a pressenti qu'il faudrait nécessairement élargir le cercle de la capacité électorale dans la commune. »

(page 474) Analysant le rapport avec une mordante ironie, il admettait qu'on eût pu faire valoir ces motifs de réserve et de prudence lorsqu'on avait voie de commun accord et presque sans discussion l'abaissement du cens général aux dernières limites constitutionnelles ; il ne comprenait pas la timidité que montraient ses collègues en présence de la réforme bien moins grave, bien moins importante du cens communal.

L honorable M. Rogier, le ministre qui présentait la loi, s'exprimait en ces termes :

« Faut-il abaisser le cens dans une proportion plus forte en ce moment ? Je ne le pense pas. » Ce n'était pas pour lui une question de principe ; c'était une question de temps, une question d'opportunité

« Dans l’état actuel de la civilisation et de l'instruction politique du pays, je crois que ce serait descendre beaucoup trop bas que d'admettre le cens uniforme de 10 francs pour toutes les communes du royaume. »

Vous voyez, messieurs, de quoi il s'agissait à cette époque. On ne craignait pas d'agiter la question de l'abaissement uniforme du cens communal à dix francs ; que nous en sommes loin aujourd'hui !

« Je demande à l'honorable M. Castiau, continuait le ministre, si la réforme actuelle ne serait pas suffisante dans les circonstances où nous sommes. Le pays est entré dans une voie nouvelle, pour longtemps si l'opinion publique n'a pas à craindre de résistance aveugle ou hostile de la part du pouvoir.

« Le triomphe des idées libérales est assuré pour longtemps. Il n'y a donc aucune nécessité pressante de nous précipiter tout d'un coup jusqu'aux dernières limites de ce que peut espérer le progrès de l'opinion libérale. »

Le cens uniforme à dix francs ! tel était alors la dernière limite que pouvait atteindre le progrès de l'opinion libérale !

Et aujourd'hui l'opinion catholique propose d'abaisser le cens dans une proportion à déterminer sur l'avis des députations permanentes, elle demande un abaissement si minime qu'il soit, et c'est l’opinion libérale qui l’entrave et l’accuse de coiffer le bonnet phrygien, d’exiger une énormité dans le seul but de se rendre impossible.

M. Charles de Brouckere, reconnaissant la justesse de l'observation de M. Castiau, quant à l'uniformité du cens général et du cens communal répondait :

« Cette objection n'est pas sans fondement. On eût pu abaisser le cens à 35 francs dans les communes de plus de 15,000 âmes. Mais ces avantages ne sont pas de nature à être préférés à ceux de la proposition.

« Elle simplifie la formation des listes électorales...

« Elle évite un grand nombre de contestations judiciaires...

« La section centrale a déjà reconnu, et je viens ici le confirmer, elle a reconnu que le système électoral des communes est susceptible de modifications beaucoup plus larges, plus importantes que celles que le projet de loi introduira.

« Mais c'est là une question d'opportunité, et nous avons pensé que le moment n'était pas venu de modifier, d'une manière en quelque sorte radicale, le système électoral qui régit les communes. »

Il terminait en faisant remarquer que la session touchait à son terme et qu'il valait mieux laisser à la législature suivante élue d'après les bases nouvelles, le soin de compléter l'œuvre de ses devanciers.

Telles étaient, messieurs, les idées qui régnaient en 1848, qui paraissaient alors acceptées par tous, et qui aujourd'hui, au moins à gauche, paraissent reniées par tous aussi.

Seize ans se sont écoulés depuis cette époque ; aucun progrès n'a été réalisé !

Mais, vous dit-on, personne ne demande l’abaissement du cens communal.

C'est une erreur ; voyez la presse, car il doit en être question lorsqu'il s'agit de connaître les vœux de l'opinion publique ; voyez la presse libérale indépendante :

Voyez l’Economiste belge ; voyez le Bulletin du Dimanche ; voyez l'Echo de Liége ; voyez l’Escaut ; tous l'appellent, tous y applaudissent.

Voyez même les autres feuilles libérales. Vous verrez que l'abaissement du cens ne les effraye en aucune façon.

Voyez l’Indépendance, que dit-elle ? Elle irait jusqu'au suffrage universel, mitigé par l’instruction ; c'est la seule réserve qu'elle y apporte.

M. Orts. - Elle a son importance. (Interruption.)

M. Jacobsµ. Elle a son importance, oui, mais je crois que le suffrage universel, même mitigé par l'instruction, aurait pour effet d'augmenter le corps électoral des grandes villes dans des proportions énormes.

Mais, du reste, quand même l'opinion publique ne serait pas là avec ses exigences, quand même les circonstances ne commanderaient pas impérieusement cette réforme, faut-il attendre que les hommes ou les choses nous y forcent ? Ne vaut il pas mieux aller librement au-devant des besoins de l'avenir ? (Interruption.)

La plupart d'entre vous, messieurs, auront lu sans doute le discours prononcé par le chancelier de l'Echiquier à la chambre des communes, le 11 mai dernier ; le langage que je tiens aujourd'hui, M. Gladstone le tenait alors en bien meilleurs termes.

Rassemblez vos souvenirs et dites-moi : vous a-t-on su gré de la réforme électorale de 184S ? y a-t-on vu le développement spontané des idées libérales ?

En aucune façon, vous le savez. On y a vu une mesure imposée en quelque sorte aux deux partis par la force des circonstances.

Quelques dates montreront qu'on ne peut se faire illusion sur ce point :

Le congrès libéral de 1846 n'avait admis que l'abaissement successif du cens ; M. Castiau, ayant proposé en 1847 d'admettre le cens de 20 florins pour les capacités, ne put rallier que 17 voix en faveur de sa proposition.

Le cabinet du 12 août la reproduisit le 14 février 1848. Le 25, on discutait le retrait de la loi sur le fractionnement, et l'honorable M. Rogier, faisant allusion aux réformes qu'il introduisait dans la loi communale, répondait aux impatients :

« Je resterai toujours dans les sages limites que je me suis tracées ; jamais je ne me laisserai emporter au-delà. »

Le lendemain, 26 février, la révolution éclate à Paris et l'on proclame la république Le lundi 28, le cabinet retire le projet du 14 et en présente un autre, nivelant le cens général à 20 florins. (Interruption.)

Je n'en fais pas un reproche au ministère, son empressement a pu être un acte de sage politique, mais je demande si vous attendrez un nouveau 1848, une nouvelle pression des circonstances, pour abaisser le cens communal ?

Mieux vaut devancer l'opinion publique que de se laisser remorquer par elle.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Sur vos bancs on me traitait d'anarchique.

M. Jacobsµ. - L'interruption de M. le ministre des affaires étrangère tend à prouver que la droite a progressé depuis lors ; cessez donc de lui reprocher des opinions d'autrefois, félicitez-la plutôt de ses opinions d'aujourd'hui.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je la félicite, la conversion est charmante.

M. Jacobsµ. - L'abaissement du cens communal, non pas dans les dernières limites du progrès de l'opinion libérale, non pas à 10 fr. pour toutes les communes, mais restreint et modéré, n'était donc pas un motif suffisant pour exclure la droite du pouvoir, comme on l'a fait entendre. Je serais plutôt tenté de croire avec M. Dechamps que ce n'était qu'un prétexte.

Aussi M. le ministre des affaires étrangères a-t-il jugé nécessaire d'appeler à son aide l'article premier du programme et de faire entendre que l'échec de la droite doit être attribué autant au mode de nomination des magistrats communaux qu'à l'abaissement du cens.

L'article premier du programme, d'après lui, était une atteinte à la prérogative royale. Cette prérogative, à en croire l'honorable M. Bara, on la transférait aux curés, aux grands seigneurs et à leurs intendants.

S'il est, messieurs, des partis qui progressent, il en est d'autres, paraît-il, qui reculent. Telle n'était pas l'opinion du parti libéral et notamment de M. Rogier en 1830.

L'arrêté du gouvernement provisoire du 8 octobre 1830 est ainsi conçu : « Le gouvernement provisoire voulant pourvoir à la recomposition des régences d'après les principes d'une révolution toute populaire dans son origine et dans son but...

« Article 2. Dans toutes les villes et communes rurales..... les notables seront immédiatement convoqués pour procéder à l'élection des bourgmestres, des échevins et des conseillers de régence.....»

A cette époque il ne pouvait être question de prérogative royale, mais le gouvernement provisoire pouvait s'arroger cette prérogative que l'on dit aujourd'hui indispensable au pouvoir exécutif.

Le discours par lequel le gouvernement provisoire inaugura le Congrès rappelait l'arrêté du 8 octobre.

« Nos actes, disait-il, vous les connaissez, messieurs, et la nation, nous osons l'espérer, les a ratifiés. »

Parmi ces actes se trouve l'élection populaire des bourgmestres et des régences. Si les circonstances ne lui avaient pas permis d'agir autrement, il n'y avait pas lieu de s'en faire un titre de gloire, et un acte obligé n'avait que faire de la sanction du peuple.

(page 475) M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – La Constitution a passé là-dessus.

M. Jacobsµ. - En effet, mais pendant six années encore l'arrêté de 1830 nous a régis et les communes ont conservé le droit de nommer leurs magistrats, jusqu'à la loi communale de 1836. Parmi les nombreuses péripéties par lesquelles elle dut passer, je tiens à signaler un vote de la Chambre en 1835, admettant un système identique ou à peu près à celui proposé par M. Dechamps.

La loi de 1836 fut modifiée en 1842 et en 1848.

Je vous lirai quelques courts passages de la discussion de la loi du 1er mars 1848.

« En 1830, disait M. Castiau, c'est l'ère de l'émancipation et du libéralisme ; alors la nomination des bourgmestres était abandonnée aux électeurs et l'usage qu'ils avaient fait de cette prérogative prouvait qu'ils en étaient dignes. »

M. Delehaye se gardait de proposer le retour au régime antérieur à 1830 de crainte qu'on ne l'accusât d'être trop avancé.

Le 4 mai 1854, lors de la discussion de l'annexion des faubourgs à la capitale, M. Verhaegen manifestait ses regrets pour ce régime :

« En 1836, disait-il, il faut bien en convenir, on a porté une première atteinte aux principes proclamés en 1830 en ce qui concerne les libertés communales. »

M. Bara traitera-t-il MM. Castiau, Verhaegen, Delehaye de cléricaux ? les accusera-t-il de vouloir transférer la prérogative royale aux curés, aux grands seigneurs et à leurs intendants ?

Cette réforme, à laquelle personne ne songeait, au dire des membres du cabinet, avait été réclamée par un honorable membre de cette assemblée qui se lève toujours le premier quand il s'agit de la liberté communale.

Le 3 juillet 1851, M. B. Dumortier en fit l'objet d'une proposition ; et ce n'était pas là un acte isolé, car la prise en considération, combattue par le cabinet, fut appuyée par vingt-trois membres de cette Chambre, dont trois siégeaient sur vos bancs, MM. de Renesse, Delfosse et de Perceval ; M. Dechamps ne l'a pas votée, c'est vrai, il n'assistait pas à la séance, mais elle a eu l'appui des principaux membres de la droite, MM. de Theux, de Liedekerke, de Muelenaere, de la Coste, de Decker.

Depuis lors, à différentes reprises, la droite a réclamé la réforme communale. Si vous l'avez oublié, je vous rappellerai ce que vous disait M. Dechamps le 29 janvier 1862 :

« Nous avions cru donner ces nominations à la royauté et non à un parti ; du moment qu'il est prouvé que ce sont là des armes confiées à un parti pour vaincre une minorité opprimée, ces armes dangereuses, nous vous les ôterons.

« Voilà où vous mènera votre système politique, c'est de forcer les partis opprimés tour à tour, de désarmer le pouvoir et de ne plus se confier qu'à la liberté. »

Ce dont M. Dechamps vous menaçait alors, il n'était que juste qu'il le proposât en arrivant au pouvoir ; il devait le faire, sous peine de se voir accuser de vouloir désarmer ses adversaires en refusant de se désarmer lui-même. (Interruption.)

Messieurs, on s'est déjà beaucoup entretenu du passé des partis dans cette chambre, et, au lieu de vous livrer à des récriminations rétrospectives, examinez l'attitude et la conduite actuelles, jugez nous d'après les actes que nous posons, d'après les projets que nous annonçons, d'après les vœux que nous émettons et dont la loyauté ne peut être suspectée.

Vous êtes adversaires de la réforme communale que nous proposons, vous ne voulez ni de l'abaissement du cens communal, quelque modéré qu'il soit, ni d'une participation plus grande du peuple dans la nomination de ses magistrats.

Le pays connaît nos aspirations respectives, il aura bientôt l'occasion de nous juger.

Je n'ai pas l'intention, messieurs, de suivre l'exemple de l'honorable M. Bara et de vous entretenir de toutes les questions qui ont occupé le pays depuis 1830 : l’enseignement primaire, l'enseignement moyen, l'enseignement supérieur, la liberté de la charité, la liberté de la chaire, les bourses d'études, les cimetières, le congrès de Malines, le clergé, les couvents, les jésuites, le denier de Saint-Pierre, les petits frères...

- Une voix à droite. - Les petits Chinois.

M. Jacobsµ. - Les petits Chinois, et que sais-je encore ?

J'avoue qu'en entendant l'honorable membre je croyais me trouver devant l'un de ces panoramas mouvants qui font passer sous les yeux des spectateurs des scènes constamment variées.

II m'a intéressé, je le reconnais, il m'a égayé parfois, je l'avoue, mais je lui ferai le reproche de m'avoir fait quelque peu perdre de vue l'objet fondamental de la discussion.

Je ne suivrai pas non plus M. le ministre des finances dans les excursions qu'il lui a plu de faire à Malines, à Louvain, à Rome et à Naples. Qu'ils me permettent de le leur dire, ce sont là des hors-d'œuvre, et je ne relèverai que ceux d'entre eux qui peuvent avoir une corrélation plus ou moins directe moins avec le débat qu'avec l'élection qui le suivra.

On s'est beaucoup occupé, messieurs, dans cette enceinte des ordres religieux. M. Bara a fait une statistique des couvents. Il en a dépeint les richesses en termes pompeux ; il en a critiqué l’origine.

L'honorable membre nous donnait-il ces détails pour nous éclairer sur le programme et la situation ? n'était-ce pas plutôt, pour me servir d'une de ses expressions, une caresse intéressée aux mauvaises passions du dehors ?

J'apprécie le fait et non l'intention, et l'honorable membre comprendra, que ce dilemme devait se présenter à tous les esprits, surtout en présence de ce qui se passe dans beaucoup de villes, alors qu'on y voit distribuer à profusion des caricatures et des brochures que je dois qualifier d'ignobles, contre les ordres religieux.

En entendant les attaques qui se sont produites dans cette enceinte, n'avions-nous pas lieu de croire qu'on voulait faite reposer les élections prochaines non pas sur les questions qui nous occupent, situation et programme, mais sur les couvents ou les jésuites ?

- Une voix. - C'est la même chose.

M. Jacobsµ. - La séance de vendredi n'a pas été moins propre à nous éclairer sur le caractère que le cabinet et la majorité veulent imprimer à la prochaine lutte électorale.

La dernière parole de M. le ministre des finances a été celle-ci :

L'avènement des catholiques au pouvoir serait un danger pour le pays.

Et d'où provient ce danger ?

De la division des catholiques au sujet du régime parlementaire et constitutionnel ?

Qui des deux partis, nous disait-il, sera le mieux à même de résister aux ennemis de nos institutions nationales, à cette fraction de catholiques qui domine à Rome ? vous qui partagez toutes leurs autres idées, vous leurs amis, ou nous leurs adversaires ?

Eh bien, oui, quelque exagération qu'il y ait dans vos paroles, je le reconnais, les catholiques sont divisés sur le mérite des diverses formes de gouvernement.

MfFOµ. - Il ne s'agit pas de formes, mais de principes.

M. Jacobs.—Soit, au sujet du principe de nos institutions ; ils sont divisés, comme les protestants, les juifs, les incrédules, parce que c'est là bien moins une question religieuse qu'une question politique.

Mais dites-moi donc, depuis 1830, quand les catholiques ont-ils été une menace pour nos institutions ? En quelles circonstances ont-ils mis le pays en danger ?

Oubliez-vous donc que ces institutions, ce sont eux en grande partie qui en ont doté le pays ? N'ont-ils pas été majorité depuis le congrès jusqu'en 1847 ?

Aujourd'hui, il est de bon ton de parler de la Civiltà. Jadis on avait un document plus important, auquel on ne recourt plus parce que sans doute il devient un peu vieux, l'Encyclique de Grégoire XVI.

Après cette fameuse encyclique, les catholiques ont été quinze ans au pouvoir ; étaient-ils moins divisés ? étaient-ils moins dangereux ? Et dites-moi quels périls a courus le pays ?

Mais vous, messieurs, vous qui vous dites seuls appelés à gouverner la Belgique, vous qui n'avez rien de commun avec la Civiltà, vous qui n'êtes pas divisés, qui êtes-vous donc ?

La plupart d'entre vous, lorsqu'ils s'adressent à leurs électeurs, ne se disent-ils pas catholiques ? Ne protestent-ils pas de leur attachement à la foi de leurs pères ? Ne sont-ils pas les fils soumis de l’Eglise, les ouailles des évêques, les paroissiens des curés, les coreligionnaires des jésuites, des capucins, de nous tous ?

M. Bouvierµ. - Pas des jésuites.

M. Jacobsµ. - Je le demande donc, n'est-ce pas à des amis, plus qu'à des amis politiques, à des amis religieux, que vous devriez résister, si le clergé avait les tendances que M. le ministre des finances lut prête ?

Pourquoi donc le pouvoir sera-t-il mieux placé dans vos mains que dans les nôtres ?

Ah ! vous n'avez pas réfléchi à la portée de l'aveu qui vous échappait.

Jusqu'aujourd'hui nous n'avions que des indices, que des présomptions (page 476) de l'hostilité qui vous anime, non comme individus peut-être, mais comme parti, à l'égard de l'Eglise. (Interruption.)

A en juger par les attaques incessantes que vous prodiguez aux évêques, au clergé et aux ordres religieux ; à eu juger par vos journaux, dans lesquels la religion n'a d'autre place que celle qu'ils consacrent à relater les scandales de ses ministres indignes ; à en juger par les ouvrages que vous patronnez et qui annoncent l'intention d'étouffer le catholicisme dans la boue... (Interruption.)

M. Goblet. - Quels ouvrages ?

MpVµ. - Pas d'interruptions, messieurs, vous répondrez.

M. Jacobsµ. - A en juger par les loges qui, dans différentes circonstances, ont été proclamées le foyer du libéralisme, et sans lesquelles, pourrais-je dire, à mon tour, vous ne seriez ici ni dix, ni même cinq, nous avions de justes motifs de défiance.

Aujourd'hui nous avons l'aveu de votre chef ; nous avons appris que vous êtes plus aptes à gouverner la Belgique, que vous lui offrez plus de garanties que les catholiques libéraux contre une tentative chimérique des catholiques absolutistes, parce que vous n'êtes que libéraux et que vous n'êtes pas catholiques. (Interruption.)

Messieurs, j'insiste sur cette parole : * L'avénement des catholiques serait un danger pour le pays. »

Cette parole qui, on vous l'a rappelé au commencement de la séance, a été applaudie par la gauche jusqu'à ce que ces applaudissements eussent trouvé un écho dans les tribunes ; cette parole qui a produit dans cette enceinte une de ces scènes qui ne s'y étaient plus passées depuis longtemps ; cette parole, vous ne la prenez pas vous-mêmes au sérieux ! (Interruption.)

Remarquez-le bien, c'est vous qui avez sommé la droite d'accepter le pouvoir. Vous alliez donc de gaieté de cœur exposer le pays au danger ! Vous ne le croyez pas vous-même, et cette parole n'est qu'une parole d'intimidation.

Messieurs, lors de la discussion de la loi sur la charité, M. le ministre des finances tenait un langage analogue. Vous vous jetez dans une voie périlleuse, disait-il à la droite, elle vous sera fatale.

On sait ce qui a suivi ; et aujourd'hui, chose triste à dire, nous voyons tenter de toutes part une sorte de réhabilitation des journées de mai 1857.

Nous nous sommes tous rappelé la fable du Loup et de l'Agneau, lorsque M. le ministre des finances et M. Bara, l'un après l'autre, ont dit à la droite : En 1857, vous avez troublé le pays.

Nous avions déjà entendu le rapporteur de l'adresse, M. Orts, se faire, lui le premier, l'avocat de l'émeute et plaider la provocation... (Interruption.) L'honorable M. Orts nous disait : La loi de 1857 était un défi à l'esprit moderne ; il a été relevé. Il excusait donc ces manifestations.

Et nous nous demandons aujourd'hui s'il faut augurer de l'avenir par le passé. Nous nous demandons si l'avénement de la droite serait accueilli, comme l'a été la loi sur la charité, par des émeutes et s'il se trouvera des hommes qui prendront texte de l'avertissement de M. le ministre des finances pour en rendre les catholiques responsables.

Nous nous demandons s'il suffira désormais que l'un des deux partis appelés à gouverner le pays arrive aux affaires ou présente une loi, pour que l'autre, s'imaginant y voir un défi ou une provocation, s'arroge le droit de descendre dans la rue, de recourir à l'émeute et de se faire une arme des pavés.

Unissons-nous tous, au contraire, et j'ai vu avec joie que nous étions d'accord pour blâmer l'intervention des tribunes dans nos débats législatifs.

M. de Moorµ. - Il fallait donner ce conseil aux amis de M. Schollaert, lorsqu'il nous livrait son âme.

M. Jacobsµ. - Unissons-nous pour déclarer que, dans notre libre Belgique, jamais l'intervention de l'émeute ne se trouvera justifiée ni par l'avénement d'un parti, ni par une loi portée par ce parti. (Interruption.)

M. Goblet. - Qui a jamais prétendu cela ?

- Un membre. - C'est de la zizanie.

M. Jacobsµ. - Eh bien, déclarons donc que ni l'avénement d'un parti, comme je le disais, ni une loi quelconque portée par ce parti, ne peut autoriser son adversaire, sous prétexte de provocation, sous prétexte de défi, à recourir à la force.

Les garanties du peuple sont dans l'élection et le renouvellement de ses mandataires, elles sont dans les prérogatives royales, le droit de choisir les ministres, le droit de dissoudre les Chambres, le droit de veto. Elles sont dans la Constitution ; elles ne sont jamais dans la rue.

L'intervention du désordre ne peut exciter que la réprobation de tous ; jamais on n'a le droit de dire à un parti : C'est vous qui avez troublé l'ordre, lorsque les troubles ont eu lieu contre lui ; jamais on ne peut lui dire : C'est vous qui avez fait l'émeute, lorsque c'est contre lui qu'on l'a faite.

- Un membre. - Ce sont les meetings d'Anvers qui font les émeutes.

M. Jacobsµ. - Le mot d'Anvers vient d'être prononcé. Le mouvement d'Anvers dure depuis trois ans et jamais l'ordre n'a été troublé. (Interruption.) Depuis trois ans on n'y a ni arraché un pavé ni cassé un carreau.

M. Mullerµ. - On a insulté le Roi.

M. Jacobsµ. - Depuis trois ans, je défie qu'on me cite un fait de trouble : et cependant nous nous gouvernons nous-mêmes, sans autorités nommées par le gouvernement, sans bourgmestre et sans échevins.

MfFOµ. - En suspendant l'exécution des lois.

M. Jacobsµ. - Je le nie. Le mouvement d'Anvers est un mouvement légal, il n'est pas sorti un instant de la légalité.

- Plusieurs membres. - Si ! si !

M. Jacobsµ. - Je vous défie de citer un fait de trouble accompli par lui ; en 1857 vous en avez eu partout en trois jours ; à Anvers il n'y en a pas eu en trois ans.

Messieurs, si j'ai insisté sur ce parallèle qui vient entre tous les esprits, entre la situation de 1857 et celle d'aujourd'hui, c'est qu'à cette époque un des organes de la presse libérale nous prévenait que ces faits recommenceraient dans toutes les grandes occasions. Ne faut-il pas que nous prévenions à notre tour, et de commun accord, que si de pareils faits se représentent, que le pouvoir soit dans les mains de la droite ou dans celles de la gauche, les deux partis s'uniront pour les réprimer énergiquement ? (Interruption.)

Toutes vos paroles et tous vos actes, messieurs, ont eu pour but de proclamer, en quelque sorte, la déchéance de la droite.

Elle ne peut plus même rêver au pouvoir, elle n'est pas un parti, elle est une faction, son avènement serait un danger pour le pays, et une foule d'autres considérations que je me dispense de relater.

Vous prononcez sa déchéance, mais vous n'osez appeler le pays à ratifier cet ostracisme.

Vos hésitations vous condamnent d'avance.

L'honorable M. Bara disait : « Je voudrais presque la dissolution .» Ce presque est charmant, mais il est de trop.

L'honorable M. Rogier nous l'annonçait en cas d'obstacle absolu ; mais il serait utile de savoir ce qu'on entend par obstacle absolu. Il serait bon d'avoir quelques explications à ce sujet. L'honorable M. Orts nous a fait entendre qu'un vote de l'opposition contre les budgets serait un obstacle absolu. Cependant dans le sens strict du mot, ce ne serait qu'un obstacle presque absolu, grâce à votre majorité de deux voix.

Quant à l'époque de la dissolution, le ministère refuse aussi de s'expliquer. Je crois cependant qu'il est bon de dessiner nettement notre attitude de part et d'autre. Il est une question que la droite a soulevée à différentes reprises, mais que, par conciliation, par modération, elle n'a pas proposée jusqu'ici ; c'est le vote à la commune.

Eh bien, je crois que nous serons unanimes à dire que, si la dissolution avait lieu à une époque malencontreuse, peu loyale, comme le disait l'honorable M. Dumortier, soit en hiver, soit lors de la moisson, je suis convaincu qu'il n'y aurait qu'une voix dans la droite pour réclamer avec une persistance invincible le vote à la commune.

Messieurs, la situation actuelle, de l'aveu de nous tous, ne peut se dénouer que par la dissolution. Comment se fait-il donc que, alors que la minorité est prête à se soumettre au verdict du pays, la majorité ne l'est pas ?

C'est que vous sentez le terrain trembler sous vos pas ; c'est que vous savez que cette arme, dont vous avez tant abusé, tournera contre vous ; c'est que vous n'ignorez pas que, malgré toutes les influences administratives et bureaucratiques, vous allez au-devant d'un échec. Vous n'ignorez pas que le pays est fatigué de votre politique irritante, vous sentez qu'il n'est pas avec vous, et vous craignez son arrêt.

(page 468) M. Orts (pour un fait personnel). - Messieurs, l'orateur qui vient de se rasseoir m'a appelé : avocat de l'émeute. J'ai, selon lui, plaidé pour l'émeute, l'excuse de la provocation. L'honorable membre a relu les paroles que j'ai prononcées, il ne les a pas citées textuellement, peu m'importe, mais ce qui est certain c'est qu'il ne les a pas comprises.

Je ne me suis jamais fait l'avocat de l'émeute, mais je me suis fait l'accusateur de ceux qui l'avaient provoquée.

J'ai blâmé les scènes profondément regrettables du mois de mai 1837, et il n'a pas dépendu de moi de faire plus. Le jour où elles avaient atteint leur plus haut degré de gravité, le jour où le Palais de la Nation, le lieu où nous délibérons a failli être envahi par la foule, deux membres de cette assemblée, seuls, s'y sont opposés lorsque le premier degré allait être franchi ; l'un était l'honorable comte de Baillet, l'autre c’était moi, et à cette époque on n'est pas venu dire sur nos bancs que j'étais l’avocat de l'émeute.

Je fais appel au souvenir des membres de la droite qui me demandaient (page 469) de vouloir lin leur prêter ce qu'ils appelaient d'une manière un peu triviale, le parapluie de ma popularité. Je n'ai jamais excusé les scènes déplorables de 1857, mais j'ai dit que la présentation du projet de loi et la persistance à vouloir ramener des institutions que le sentiment public condamne depuis près d'un demi-siècle, que c'est là ce qui a provoqué les désordres et que ceux qui les ont provoqués sont encore plus coupables à mes yeux que ceux qui, dans leur ignorance, se sont livrés à des excès que je blâmais. Cette accusation que la droite est la première responsable, la première coupable des faits de 1857, cette accusation, je la maintiens.

M. Bouvierµ. - Messieurs, quand je disais.au mois de janvier dernier, que la droite ne voulait point prendre le pouvoir qui lui était offert sans condition, j'ai prononcé le mot de déception, relativement à la question d'Anvers et l'honorable ministre des finances a dit que le mot était vrai, niais qu'il ne caractérisait pas encore assez la situation de la question anversoise qui était plus qu'une déception, que c'était une « mystification ».

On vient de vous dire : Non, ce n'est pas une mystification. M. Royer de Behr qui a déclaré que la citadelle du Nord était la clef de la défense d'Anvers, M. Royer de Behr va modifier sa manière de voir.

Il est vrai que M. Royer de Behr a déclaré qu'il répondrait à M. le ministre des finances, lorsque celui-ci a dit qu'Anvers était véritablement mystifié.

Que demande, que veut, qu'exige Anvers ? Est-ce, comme le dit l'honorable M. Jacobs, la nomination d'une commission, une enquête ? Non, ce qu'Anvers réclame, ce qu'Anvers veut, ce qu'Anvers exige dans toutes ses manifestations, dans ses élections communales, dans ses élections provinciales, dans ses élections pour la Chambre ; ce qu'Anvers a toujours demandé, voulu, exigé, ce n'était pas une enquête, ni des explications de la part de l'honorable M. Dechamps, comme vient de le dire M. Jacobs, c'est une satisfaction qui se résume en deux mots énergiques : la démolition des citadelles, le payement des servitudes militaires.

Il est vrai que l'honorable M. Royer de Beh-, membre de ce ministère mort-né, de ce ministère avorté, que M. Roger de Behr va changer sa manière de voir et que ce qui faisait la clef de la défense d'Anvers sera une clef qui tournera au gré de l'honorable ministre passé.

Nous arrivons maintenant, pour suivre le raisonnement de l'honorable M. Jacobs, à la question des indemnités ; mais la question des indemnités, c'est, d'après lui, une question de principe qui s'applique, non pas seulement à Anvers, mais qui s'applique avec équité et justice à Diest, à Tournai et à toutes les villes fortifiées du pays.

Mais, messieurs, ce que réclame Anvers ce n'est pas un principe, c'est de l'or et toujours de l'or.

Eh bien, parmi les membres de ce cabinet avorté je vois un homme très honorable, un homme que j'honore et que j'estime, qui devait être ministre des finances dans ce cabinet et tenir les clefs du coffre-fort, du trésor de l'Etat. Ces clefs, j'aime à le dire, auraient été en très bonnes et très honorables mains.

Eh bien, messieurs, quelle est la doctrine économique et financière de cet honorable membre ?

Cet honorable membre a déclaré dans cette enceinte que, loin d'élever l'assiette de l'impôt en Belgique, il faut diminuer les impôts. Il a même trouvé à lui seul et dans sa haute sagesse qu'en Belgique le peuple mangeait le sel à un prix très élevé. Il est vrai qu'il a été seul de cette opinion....

M. Coomans et d'autres membres. - Non ! non !

M. Bouvierµ. - Je vais le prouver. Nous avons eu un nombre énorme de pétitions sur la question des cimetières ; toutes ces pétitions portent jusqu'à 700,000 signatures ; il est vrai que pour ces pétitions on a recueilli les signatures d'un nombre considérable de vieillards, de femmes, d'enfants, de marguilliers et j'ajoute les signatures de quelques hommes honorables dont on a surpris la religion et qui ne connaissaient pas le premier mot de la loi de prairial an XII ; mais je n'ai pas vu arriver à cette Chambre une seule pétition qui demandât la réduction de l'impôt sur le sel.

Maintenant, j'ai beau me creuser la tête, faire un appel au plus simple bon sens : je me demande avec quels voies et moyens l'honorable M. de Naeyer ira payer les indemnités réclamées par Anvers,

Mais, dit l’honorable M. Jacobs, il y a à Anvers les terrains des anciennes fortifications ; c'est une négociation industrielle ; l’honorable M. Dechamps, qui se connaît dans ces sortes d'affaires, se chargera de la négociation. Voilà ce que répondait l'honorable M. Jacobs.

Mais est-ce que les dix millions rentreraient dans les caisses de l'Etat ? L'honorable M, Jacobs n'a rien dit à cet égard. Il est vrai que l'honorable M. Dechamps donnera des explications ; mais jusqu'à présent les coffres de l'Etat, à l'administration desquels l'honorable ministre des finances actuel préside avec une si grande habileté, ces coffres restent vides des dix millions. Est-ce à l'aide des explications qu'on va donner, que les dix millions seront versés dans le trésor public ?

Vous êtes ici, vous députés d'Anvers, en vertu d'un mandat impératif ; sinon, votre présence dans cette Chambre n'a pas de raison d'être.

Vous devez exiger de la manière la plus impérieuse ce que le corps électoral d'Anvers, à la suite de toutes les manifestations des meetings, a réclamé avec la plus grande énergie ; vous devez exiger satisfaction pour elle. Ah ! si vous n'exigez pas cette satisfaction, je le dis bien haut, à la face de mon pays : Anvers est trompé.

Oui, Anvers est trompé, lorsque vous ne demandez pas satisfaction pour cette ville ; oui, le corps électoral d'Anvers est trompé, lui qui était libéral, et qui, pour obtenir satisfaction, vous a fait entrer dans le camp clérical. (Interruption). Oh ' nous avons l'habitude de dire ce que notre conscience nous fait un devoir de proclamer, et nous ne cherchons pas des circonlocutions pour déguiser notre pensée.

Maintenant, je vais caractériser en un mot le discours de l'honorable M. Jacobs sur la question d'Anvers : La question d'Anvers est aujourd'hui enterrée, non pas dans la bonne partie du cimetière, mais dans le coin des réprouvés.

J'ai prononcé le mot d'enterrement et je m'aperçois que déjà l'attention redouble. En effet, dans cette assemblée où je suis tout nouveau, quelles sont les questions que j'ai entendu débattre avec le plus de vivacités ? Ce sont celles qui ont rapport à la religion, comme si elle courait les plus graves dangers dans notre pays. On nous représente sans cesse comme les ennemis de cette religion pratiquée par la presque universalité des Belges ; à vos yeux nous passons pour y être hostiles, ennemis des prêtres, capables et prêts à renverser les autels et les églises.

On va même jusqu'à défendre, par la chaire et le confessionnal, la lecture de nos journaux comme étant pernicieuse et pleine de dangers pour les croyances religieuses. Je me suis demandé, en présence de tant d'acharnement, quand et comment ces attaques se sont produites. Quels livres contraires à la religion avons-nous signés ? Où, quand et comment avons-nous poursuivi les prêtres ? Où et quand ont ils souffert le martyre de la persécution ? Où et quand avons-nous démoli les églises ? Où, quand et comment, je vous le demande, avons-nous attaqué le dogme publiquement. Répondez ! votre silence répond éloquemment pour vous et fait justice de ces violentes déclamations, de ces méchantes et injustes attaques.

Au lieu de détruire les églises, nous en construisons. C'est un fait. Je vais l'établir. Dans mon arrondissement, qui est libéral, que se passe-t-il ? Je vais vous le dire. Dans deux humbles communes, Saint-Mard et Ethe, on élève deux monuments à la gloire éternelle de Dieu.

Dans la première de ces communes, le bourgmestre voue tous ses soins, consacre tout son temps, exerce toute son intelligence à l'érection de ce monument. Les élections provinciales ont eu lieu, il a demandé le renouvellement de son mandat, et vous croyez que ce sont les libéraux qui ont combattu cet honorable bourgmestre. Non, messieurs, il a été combattu, non par nous, mais par les cléricaux.

Vous dites sans cesse partout et toujours que nous combattons la religion, nous qui ne comprenons pas de société bien organisée, sans religion, nous qui professons et pratiquons la sublime doctrine du Christ, de l'égalité des hommes que le grand mouvement de 89 a fait triompher et fera triompher dans le monde entier avec le principe de la liberté en tout et pour tous, mouvement contre lequel vous marchez sans cesse, à reculons, il est vrai. Ce mouvement a consacré le triomphe définitif de la démocratie et du tiers Etat, donné le nom de citoyens à ceux qu'on appelait les taillables et les corvéables et fait justice des scandaleuses immunités dont jouissaient les nobles et le clergé. Ces principes sont la consécration de ces doctrines immortelles, prêchées par le Christ il y a dix-huit siècles, qui a enseigné aux hommes que son royaume n'était pas de monde tandis que, vous, vous voulez faire votre royaume de ce monde. Au lieu de chercher à régner sur les âmes, vous voulez régner sur le monde matériel, vous voulez la domination en tout sur tout et partout, vous voulez même étendre votre empire jusque dans le saint et inviolable asile de la mort, vous voulez régner jusque sur nos cadavres. Eh bien, je combattrai, partout et toujours ces étranges prétentions, si contraires à la vraie religion qui doit planer sublime et radieuse au-dessus de nos misérables débats, non pas dans un intérêt politique et parce qu'elle concourt puissamment à la paix et à l'ordre, à la force et à la stabilité des gouvernements, mais parce qu'elle est et sera toujours le consolant refuge de l'homme qui souffre quand elle ne servira pas de protestation contre les tyrannies d'ici-bas.

(page 470) J'ai dit et je le répète, la religion doit, dans son intérêt même comme dans celui des Etats, rester en dehors des passions humaines.

Dès qu'elle est descendue dans l'arène politique, dès qu'elle est venue se souiller aux contact de ses passions, elle a perdu de son prestige, de son éclat et de son autorité, elle a englouti les rois, les royaumes et les dynasties, l'histoire de la Restauration l'enseigne, la profanation de l'église Saint-Mery, le déplorable pillage de l'archevêché de Paris, à l'époque de la Révolution française de 1830 l'attestent et proclament.

Au nom de la sainte religion, je vous en conjure, rentrez en vous-mêmes, mettez un frein à cet ardent besoin de domination temporelle ; arrêtez-vous, il en est temps encore, demain il sera trop tard peut-être. Bientôt, messieurs, les comices s'ouvriront, nous nous y présenterons sans crainte et sans peur, arborant le glorieux drapeau libéral, avec cette consolante pensée qu'il n'a jamais failli en nos mains et que, malgré vous et contre vous, notre chère patrie poursuivra sa marche ferme et ascendante vers l'accomplissement de sa glorieuse destinée.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.