Séance du 3 juin 1864
(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 439) M. de Moor procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. Thienpont donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moorµ communique l'analyse des pièces adressées à la Chambre.
« Des habitants d'Ohey prient la Chambre d'accorder aux sieurs de Haulleville et Wergifosse la concession d'un chemin de fer d'Anvers à Saint-Vith. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Jules Van Aken, demeurant à Liège, né à Maestricht, demande la grande naturalisation. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Des habitants de Carellc-au-Bois demandent la diminution des droits d'accise sur la bière indigène. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Hauwaert présente des observations au sujet du conflit qui existe à Saint-Josse-ten-Noode entre le chef de la garde civique et quelques sociétés de gardes civiques, et prient la Chambre de prendre une résolution qui puisse tracer la ligne de conduite à suivre, tant pour les chefs de corps que pour les sociétés qui ont besoin de sortir en tenue et en corps. »
- Même renvoi.
« Des habitants d'Erps-Querbs réclament l'intervention de la Chambre pour que le gouvernement n'approuve pas la délibération du conseil communal de Louvain, décrétant la suppression et la liquidation du mont-de-piété de cette ville. »
- Même renvoi.
MpVµ. - Messieurs, votre députation a rempli, auprès du Roi et de Monseigneur le Duc de Brabant, le mandat dont vous l'aviez chargée.
Sa Majesté et Son Altesse Royale nous ont reçus avec leur bienveillance accoutumée et nous ont chargés de remercier la Chambre de cette nouvelle marque de son dévouement.
.M. Dechamps. - Hier, un honorable sénateur m'a fait remarquer que je n'avais pas, dans le discours que j'ai prononcé au commencement de ce débat, fait connaître textuellement le programme qui fait en partie le fond de ce débat.
J'avais cru que ce programme ayant été publié et l'ayant discuté moi-même dans tous ses articles, avec les modifications qui y ont été apportées, sa publicité était assez grande pour ne pas avoir besoin d'en lire le texte officiel. Cependant je comprends qu'il est utile que es texte soit inséré à nos Annales parlementaires. Si la Chambre le permet, je vais donner lecture de ca programme pour qu'il soit inséré aux Annales parlementaires :
« Le but politique que le ministère aurait surtout en vue serait d'assurer le maintien et le sage développement des libertés constitutionnelles, dans l'esprit large et fécond qui a inspiré le Congrès national de 1830, d'écarter avec soin les causes qui ont entretenu les luttes irritantes dont le pays est fatigué, et qui ont été engageas sur le terrain des questions religieuses, de chercher à déplacer le terrain de ces luttes stériles, en offrant à l'activité parlementaire, au lieu des passions politiques à exciter, les intérêts vivaces du pays à débattre et à servir ; de favoriser, par une politique de modération et de prudence, le calme dont le pays a besoin.
« Les mesures principales que le cabinet soumettrait successivement à la haute et bienveillante appréciation du Roi, afin d'en déterminer les imites, seraient les suivantes :
« 1° (texte initial) : Nomination du collège échevinal par le conseil communal ; nomination du bourgmestre par le Roi, parmi les membres du collège échevinal.
« Faculté laissée au Roi de nommer le bourgmestre en dehors du collège échevinal et dans le conseil, 1° en cas de refus du membre nommé ; 2° en tout cas, après avoir pris l'avis motivé de la députation du conseil provincial.
« Faculté de nommer le bourgmestre en dehors du conseil communal, de l'avis conforme de cette députation. »
« 1° (après modifications consenties par déférence pour le désir du Roi, lors des négociations reprises le 10 mai) : Nomination du bourgmestre par le Roi dans le sein du conseil communal, la députation du conseil provinciale entendue.
« Nomination des échevins par le conseil communal.
« Maintien de la loi en vigueur, quant aux nominations de bourgmestres en dehors du conseil.
« 2° (texte initial) ; Abaissement modéré du cens pour les élections communales et provinciales.
« 2° (après modifications consenties par déférence pour le désir du Roi, lors des négociations reprises le 10 mai) : Le cens provincial n'aurait pu être abaissé au-dessous de 30 fr. pour les élections communales et ou même de 35 fr. Pour le cens communal, maintien du principe d'une réduction modérée. On aurait consulté la députation provinciale sur la quotité da cette réduction.
« 3° Extension de la compétence et des attributions des conseils provinciaux, dans un but de décentralisation administrative et d'expédition plus prompte des affaires.
« 4° Modification de la loi sur la milice, ayant pour base un système d'exonération destiné à restreindre les effets du tirage au sort, à alléger les charges militaires pour les familles et le pays, et en même temps à améliorer les éléments constitutifs de l'armée, en y fortifiant la discipline et l'esprit militaire.
« 5° Adoption du système suivi avec tant de succès dans un grand pays voisin, l'Angleterre, d'affecter, en majeure partie, les excédants des recettes à l'amélioration de notre système financier et au dégrèvement des impôts qui pèsent le plus sur les classes ouvrières, à l'aide de mesures efficaces aussi promptes que le permettent les engagements qui grèvent l'avenir. Arrêter la progression des dépenses publiques, en simplifiant les rouages administratifs et en restreignant l'intervention de l'Etat dans le domaine de l'activité privée.
« 6° Extension des réformes douanières dans le but de faciliter les échanges, et application de ce principe au bon marché des transports à l'intérieur, notamment en modifiant les tarifs des chemins de fer et le système des péages des voies navigables.
« 7° Examen sérieux et bienveillant des difficultés que l'exécution des travaux des fortifications d'Anvers a soulevées dans le but de trouver une solution qui, sans changer le système de défense adopté et sans diminuer la force de la place d'Anvers, permettrait : 1° de ne pas dépasser, pour les travaux entrepris, les limites des dépenses prévues et annoncées, et 2° de faire cesser les inquiétudes qui se sont manifestées dans la population anversoise.
« 8° Faculté laissée au cabinet de déplacer des fonctionnaires dans l'intérêt de la marche régulière de l'administration, et de révoquer ceux qui se montreraient ouvertement hostiles. Le cabinet n'userait de cette faculté qu'avec toute la réserve commandée par le respect des droits des fonctionnaires et par la politique de modération qu'il chercherait à faire prévaloir. »
Ajoutez au 7° : « Au besoin, nomination à ces fins d'une commission spéciale. »
MfFOµ. - Messieurs, depuis tantôt sept ans, le cabinet actuel se trouve en présence d'une opposition violente, d'une opposition systématique. Toujours, cette opposition s'est obstinée à critiquer nos actes, à attaquer nos principes, en nous accusant d'opprimer la religion et de violer les libertés religieuses. Elle a jeté sans cesse le cri d'alarme au nom de la liberté de l'Eglise, et c'est à ce cri, c'est sur ce prétexte trompeur que toutes les élections ont été faites. Les adresses aux électeurs, révélant leur origine par la couleur biblique qu'elles affectaient dans leur forme, leur disaient, après chaque succès remporté : « Vous avez combattu le bon combat dans l'intérêt de la religion et de la liberté, et vous avez triomphé. »
Cependant, après des luttes acharnées et sans cesse renaissantes, malgré tous les efforts tentés contre nous à l'aide des moyens les moins avouables, nous étions encore eu pleine possession du pouvoir, que déjà nos adversaires nous sommaient de le leur abandonner. Dans une (page 440) dernière lutte, où nous avons, je le reconnais, subi un grand échec, la majorité s'est trouvée réduite dans des proportions telles qu'il nous semblait impossible de garder utilement la direction des affaires du pays, et dans une pareille situation, nous n'avons pas hésité un seul instant à de poser nos démissions entre les mains du Roi.
Dès lors, on fait appel à la droite ; on la convie à venir recueillir le prix de sa victoire et de ses laborieux efforts. On doit croire qu'elle va, incontinent, saisir l'occasion si longtemps et si ardemment désirée, et qui lui est enfin offerte, de prendre le pouvoir pour sauver la religion et la liberté. Le pouvoir lui est offert sans condition. Eh bien, non ! A ce moment suprême, la droite hésite. Elle conseille des cabinets compotés d'hommes modérés, pris... dans le sein même de la gauche ! Elle conseille ensuite des cabinets extra-parlementaires. On l'écoute ; on satisfait a tous ses vœux ; on consulte tous les hommes qu'elle-même a désignés Mais tous déclinent l'honneur qu'on veut leur faire.
On pouvait croire que c'était là, de la part de la droite, une tactique pour fondre la modération après la victoire ; mais non ; c'était tout simplement l'impuissance ou la peur... (interruption)... Oui ! l’impuissance ou la peur, je le repère, car enfin, acculée dans ses derniers retranchements, elle refuse catégoriquement de remplir son devoir constitutionnel Avec une faiblesse indigne d'un grand parti, elle se lamente de la situation où elle prétend qu'on l'a réduite, et elle déplore l'accueil fait à toutes ses ouvertures. Ne sachant à qui s'en prendre de tous ses mécomptes, elle va jusqu'à nous accuser d'avoir rendu toute combinaison impossible dans le but de nous rendre indispensables.
Dans ce reproche, messieurs, j'ai à peine besoin de le faire remarquer, il y a une grave offense adressée à tous les hommes honorables qui ont été désignés, comme je le disais tout à l'heure, par la droite elle-même, au choix de la Couronne, et qui n'ont pas voulu consentira accepter dos portefeuilles.
Que leur dit en effet la droite ? « Vous n'êtes que des mannequins, dont le cabinet tient les ficelles ; vous êtes des hommes politiques sans consistance et sans valeur ; vous avez lâchement obéi à des injonctions qui vous ont été faites par les ministres et par la majorité. »
Un de nos amis, l'honorable M. de Brouckere, a déjà fait bonne justice d 'cet outrage. Il a déclaré que, dans la plénitude de sa liberté, sans consulter aucun membre du cabinet, il avait pris la résolu ion qui lui avait paru commandée par la vérité de la situation. M. le prince de Ligne a tenu au Sénat un langage analogue. Tous les deux ont fait observer qu'ayant constamment appuyé la politique du cabinet, ils ne pouvaient être appelés à le remplacer.
Que serait-il donc arrivé, messieurs, si ces honorables membres de la législature avaient cédé aux suggestions du parti qu'ils ont toujours combattu avec nous ? Mais, - et ils ont pris le soin de le faire remarquer, - une de ces deux alternatives se serait produite : ou bien ils auraient continué la politique à laquelle ils s'étaient associés ; et dans ce cas, c'était un simple changement de personnes qui eût été poursuivi et obtenu ; ou bien, ils auraient pratiqué une autre politique, et dans ce cas, ils n'avaient, comme ils l'ont très justement déclaré, aucun espoir de trouver le moindre appui dans les rangs de leurs anciens amis.
Voilà quel a été le langage loyal, honnête et parfaitement constitutionnel tenu par ces hommes politiques lorsqu'ils ont été consultés par le Roi.
Evidemment, nos adversaires ne sont pas descendus à ce degré d'indignité d'agiter le pays pour de simples questions de personnes. Ce serait leur faire injure que de supposer qu'ils ont fomenté dans le pays une longue et violente agitation, uniquement parce que nos visages leur déplaisent ! C'est donc bien à nos doctrines qu'ils s'attaquent ; c'est bien aux principes que nous représentons au pouvoir qu'ils font une guerre acharnée et opiniâtre.
Or, messieurs, s'il en est ainsi, si ce n'est pas une guerre de personnes qui est dirigée contre nous, que signifient donc les tentatives faites auprès de nos amis politiques ? Mais personne ne s'y est mépris. C'était une manœuvre plus ou moins habile pour nous diviser. On leur disait en effet : « Confessez que vous avez secoué le joug qu'on a fait peser trop longtemps sur vous ; avouez que, sans courage, sans dignité, pendant de longues années, vous avez, par vos discours et par vos votes, appuyé une politique que vous condamniez ; avouez cela, et nous vous tresserons des couronnes ; avouez cela, et nous vous placerons sur le pavois ; avouez cela, et nous vous porterons en triomphe. »
Voilà quel était en réalité le langage qu'on osait tenir à d'honorables amis qui ont été associés à tous les actes du parti libéral. C'était là, je le répète, une insigne offense qu'ils avaient le droit de dédaigner.
Je pensais, messieurs, qu'on aurait renoncé à ce thème que j'ose qualifier d'outrageant, et j'ai été étonné au plus haut point de l'entendre reproduire de nouveau dans cette enceinte par l'honorable M. Dechamps. .
Nous avions donc, arrivés à ce point, convaincu nos adversaires d'impuissance : nous avions prouvé que, s'ils étaient capables de détruire, ils étaient inhabiles à édifier. Et, dans cette situation, nous aurions eu incontestablement le droit de rester au pouvoir.
- Voix à gauche. - C'était votre devoir !
MfFOµ. - En tout autre pays parlementaire, ayant affaire à un véritable parti et non pas à des factions, en tout autre pays parlementaire, l'opposition qui a renversé le pouvoir est tenue de le remplacer ; et lorsqu'elle s'y refuse, quels que puissent être ses motifs, elle a le devoir constitutionnel de ne pas entraver, de ne pas rendre impossible le gouvernement du pays.
Messieurs, à l'heure présente, dans un grand pays voisin, dont on a l'habitude d'invoquer souvent l'exemple dans cette enceinte, en Angleterre, le cabinet actuel a-t-il donc une majorité réelle au parlement ? Le ministère y possède à peine une majorité de quelques voix. Mais il a en face de lui le parti tory, c'est-à-dire un véritable parti conservateur ; il a en face de lui le parti tory qui, chaque fois que l'occasion peut s’en présenter, déclare qu'il ne veut pas renverser le cabinet, parce qu’il n’est pas en mesure de le remplacer.
Mais, messieurs, nous n'avons pas vis-à-vis de nous un parti tory, nous n’avons pas vis-à-vis de nous un parti conservateur : nous avons vis-à-vis de nous, comme on l'a justement dit, le parti clérical, c’est-à-dire un parti implacable, toujours violent, toujours injuste et ne connaissant que la souveraineté du but.
Ce parti, en effet, fait devant le pays l'aveu formel et humiliant qu'il lui a été impossible de trouver dans ses rangs six hommes modérés qui fussent en position de diriger les affaires du pays. Des hommes modérés, il ne les cherche que dans nos rangs. Ce n'est que parmi nous, il l'a prouvé, qu'il espère les rencontrer, et il avoue ainsi qu'il n'en existe pas dans son propre sein, qu'il ne peut pas en offrir au pays ! Ou bien, s'il y existe des hommes modérés, s'il y existe des hommes qui, pendant toute leur vie, ont soutenu cette doctrine que les catholiques n'étaient pas tout le pays, que les libéraux n'étaient pas tout le pays, qu'il fallait entre eux de la modération, de la conciliation ; qu'il fallait un intermédiaire, qu'il fallait une politique mixte, si ceux-là existent, ils sont mis à l'index, ils sont exclus du pouvoir, ils sont condamnés par leur propre parti à ne jamais plus y arriver.
Et pourquoi ? Parce que, s'y étant trouvés, parce que, ayant voulu pratiquer ce qu'ils croyaient être de la politique modérée, ils ont résisté à des exigences épiscopales. Interruption.) C'est pour cela, et uniquement pour cela, qu'ils sont irrévocablement condamnés, et voilà ce qui indique clairement au pays quel élément votre parti représente dans cette enceinte.
Arrivés à cette phase de la crise, tout nous autorisait donc à reprendre le pouvoir. Nous persévérons cependant dans notre refus ; et il suffit de parler avec franchise, avec vérité, pour faire comprendre combien ce refus était sincère. Nous avons passé déjà près de sept années au pouvoir ; nous allions le reprendre après avoir, pendant ce long espace de temps, soulevé contre nous les mécontentements inévitables que suscite l'exercice du pouvoir. Nous avions fait des réformes commerciales et économiques considérables ; on ne peut faire la réforme douanière par exemple, sans froisser certains intérêts privés, qui sont les plus implacables. On ne supprime pas les octrois sans soulever les plaintes d'une partie des brasseurs ou celle des fabricants de sucre ; on ne peut pas enfin, résister à une opposition comme celle qui nous a été faite, sans éprouver quelques mécomptes, sans essuyer quelques échecs. Nous pensions donc que la situation qui se produisait dans le pays imposait à la droite la responsabilité du pouvoir : voilà pourquoi nous persistions à vouloir l'abandonner.
L'opinion publique, en effet, accuse hautement la droite de la situation étrange dans laquelle se trouvait le pays. La droite, sous la pression de l'opinion publique, peut-être aussi sous la pression de quelques impatients, se détermine enfin à déclarer qu'elle acceptera le gouvernement. Les chefs de la droite sont obligés de se rétracter. Après avoir déclaré solennellement à la face du pays qu'ils reculaient devant l'obligation qu'ils avaient assumée par leur opposition, ils changèrent d'avis et annoncèrent qu'ils consentiraient à accepter le fardeau des affaires, si la Couronne leur faisait un nouvel appel.
Une espèce de soulagement se manifeste à cette déclaration ; on se dit (page 441) en se félicitant d’un si heureux événement : « Enfin, nous allons avoir à la tête du gouvernement les sauveurs de la religion et de la liberté de l’Eglise ! » Mais qu’arrive-t-il alors, à notre grand étonnement et à la stupéfaction du pays tout entier ? c’est que ces hommes, appelés à sauver et la religion et la liberté de l’Eglise, viennent dire tout à coup qu’ils n’ont à sauver que la reforme électorale et la réforme douanière ! (Interruption.) C est là leur seule raison d'être ! Ils n'ont absolument pas d'autre motif d’arriver au pouvoir, que de faire prévaloir une réforme communale et une reforme électorale, dont on n'avait jamais parlé, auxquelles personne, eux compris, n'avait jamais songé, et une réforme douanière qui, lorsqu’elle fut annoncée et pratiquée par nous, leur inspira une longue et violente opposition.
Eh bien, messieurs, en présence de l'étrange attitude prise par le parti catholique, je dis ceci, avec une conviction qui sera partagée par le pays tout entier : de deux choses l'une : ou votre opposition de six années a été un acte coupable, ou bien le programme de prétendues réformes que vous nous apportez n'a été inventé que pour vous rendre impossibles. Ou vous êtes coupables d'une opposition violente et passionnée qui a eu pour résultat d’agiter profondément le pays, en prétendant que le cabinet, le parti libéral portait atteinte à la liberté religieuse, ou bien vous avez fait votre programme pour éviter d’accepter la responsabilité du pouvoir. J'admets pour votre honneur la deuxième hypothèse. Oui ! vous redoutiez le pouvoir ; vous le redoutiez tout en le désirant, et vous aviez raison de le redouter, parce que vous n'y pouviez arriver qu’avec une alliance bonne dans l'opposition, mais impossible dès que vous eussiez été gouvernement.
Vos alliés d'Anvers peuvent nous combattre avec vous dans l'opposition. Mais après ? Vous savez parfaitement que vous ne les satisferez pas, que vous ne sauriez pas les satisfaire, et j'ajoute que vous n'y tenez pas. (Interruption.) Et je le prouve.
Si ces alliés, qui vous ont si fidèlement servi, si ces alliés qui vous ont aidé à renverser le gouvernement, si ces alliés vous intéressaient en réalité, et si vous étiez le moins du monde disposés à tenir les promesses que vous leur avez faites, pourquoi donc alliez-vous désigner au choix du Roi, pour constituer l'administration nouvelle, l'honorable M. de Brouckere, qui, avec deux de ses honorables amis, a proposé l'ordre du jour qui a définitivement fait condamner par cette Chambre toutes les prétentions d'Anvers ? (Interruption.) Vous voyez donc bien que l'on a joué la députation d'Anvers. On s'est moqué d'elle ! On lui a dit : Faites de l'opposition pour nous aider à renverser le ministère, c'est très bien ; mais quant à vos idées, à vos réclamations et à vos exigences, c'est assurément la dernière chose dont nous nous occupions. (Interruption.)
Cette première raison, messieurs, est décisive ; elle suffirait à elle seule pour justifier les appréhensions de la droite en présence du pouvoir. Mais il en est une seconde.
La seconde raison qui vous a fait hésiter à accepter le pouvoir, c'est que vous redoutiez la dissolution faite par vous (interruption), et l'honorable M. Dechamps me paraît l'avoir assez naïvement avoué.
Si nous étions arrivés au pouvoir, vous a-t-il dit, tels que nous avons toujours été, avec nos actes, nos doctrines, nos discours, nos votes pendant 30 ans, nous aurions eu une position déplorable devant le pays. De là le programme, destiné à donner le change à l'opinion publique.
Ainsi l'honorable M. Dechamps l'avoue. Si, après avoir pris nos portefeuilles, il avait dû comparaître devant le corps électoral dans les conditions de toute sa vie parlementaire, s'il avait dû représenter au pouvoir l'opposition qui nous a été faite jusqu'à ce jour, l'honorable M. Dechamps aurait épouvanté le pays.
Voilà pourquoi il ne voulait pas accepter le pouvoir, et voilà pourquoi le programme a été imaginé. Ce programme, c'est un masque ! Mais, dans cette scène de carnaval, parce que vous vous seriez déguisés en démocrates, vous imaginez-vous donc que l'on n'aurait pas vu passer quelque bout de vos anciens habits ? Vous imaginez-vous qu'en vous engageant dans une sorte de sarabande démocratique à la recherche de la vérité sociale, comme dit M. Royer de Behr, l'on n'apercevra pas le but que vous voulez atteindre !
Au fond, messieurs, cette nouvelle tactique de nos adversaires n'a qu'un seul but, le même que celui qui nous a été révélé dans la première phase de la crise ministérielle.
Dans la première phase, nos adversaires s'annoncent comme des hommes de paix et de concorde, comme des gens modérés. Ils ne demandent au pouvoir que des hommes modérés, comme eux ; il leur faut des hommes modérés. Qu'on leur apporte des hommes modérés. Qu'on les prenne dans nos rangs ; ils seront satisfaits, car ils ne sont pas exigeants, C'est la droite conservatrice et toujours modérée qui veut assurer le bon gouvernement du pays. Il n'y a pas de modérés à droite, ou bien ils sont impossibles ; les modérés de la gauche refusent au grand déplaisir des conservateurs.
Eh bien, adressons-nous à ceux qu'on ne décore pas du titre de modérés. Voyons d'abord si, dans la Chambre, nous ne parviendrons à séduire personne par l'appât de notre réforme électorale ; si nous ne réussissons pas, rappelons à nous le parti démocratique. Faisons alliance avec la démocratie.
Vous le voyez, messieurs, le but n'est pas autre que celui que j'ai signalé d'abord. C'est d'essayer de nouvelles divisions. (Interruption.) Certainement ! Cela n'est pas niable. Vous voulez, tantôt en attirant les modérés, tantôt en faisant alliance avec ce que vous appelez les démocrates, vous voulez affaiblir l'opinion libérale ; toutes vos manœuvres n'ont pas eu d'autre but. C'est une puretlactique. Vous n'avez aucune espèce de conviction arrêtée, vous n'avez pas d'idées formées sur les principes que vous voulez proclamer, pas plus sur la réforme communale que sur la réforme électorale, mesures que vous présentez cependant comme renfermant en elles le salut de la Belgique, que nous aurions compromis.
Eh bien, au fond, tout cela est pour vous très secondaire ; tout cela vous est parfaitement indifférent. Le vrai but poursuivi c'est la division du libéralisme. (Interruption.) Eh mon Dieu ! Cela est vieux comme le monde : Cherchez à diviser pour régner ! Mais, de ce que vous faites appel à la démocratie, croyez-vous qu'on se méprendra sur vos véritables intentions, sur vos principes et sur vos doctrines ? Mais, messieurs, ce n'est pas la première fois que vous bénissez les arbres de la liberté.
J’aborde maintenant l'examen de ce fameux programme, qui, présenté par l'honorable M. Dechamps, ne peut avoir pour nous qu’un nom : c'est le programme de palinodies. Présenté par tel autre membre du cabinet projeté, libéral avant-hier, hier catholique, aujourd'hui démocrate, à la rigueur je l'aurais compris. Mais présenté par l'honorable M. Dechamps, chef de ce cabinet, c'est vraiment une chose inconcevable.
J'examinerai tout à l'heure, messieurs, ce programme dans chacun de ses articles. Je vous montrerai ce qu'il est, ce qu'il signifie ; niais j'en signale avant tout le caractère général.
L'honorable M. Dechamps, jadis le défenseur de la prérogative royale, l'honorable M. Dechamps qui combattait ceux qui refusaient d'attribuer au Roi la nomination des bourgmestres, qui voulait plus encore, et qui remettait au Roi le pouvoir de nommer les bourgmestres en dehors du conseil, même sans aucune espèce de condition, l'honorable M. Dechamps qui, non seulement défendait, mais qui voulait étendre la prérogative royale, veut aujourd'hui la restreindre ; l'honorable M. Dechamps veut l'anéantir en fait dans le choix des bourgmestres et des échevins. L'honorable M. Dechamps, l'adversaire de la réforme électorale, l'honorable M. Dechamps, le défenseur de la stabilité des lois qui sont comme la base et les assises de nos institutions, l'honorable M. Dechamps propose une réforme qui, de l'aveu de ceux qui la lui imposent, ouvre la porte à une révision de la Constitution et prépare le règne du suffrage universel.
L'honorable M. Dechamps, qui a contribué à faire prévaloir dans nos lois la centralisation administrative ou du moins ce qu'on veut bien nommer ainsi dans notre pays, car je ne l'accuse pas trop sous ce rapport, l'honorable M. Dechamps a arboré le drapeau de la décentralisation... juste au moment où nous déposions, nous, un projet de loi pour modifier les lois qui ont été faites avec son appui.
L'honorable M. Dechamps, qui a combattu toutes nos mesures financières, quelles qu'elles fussent, sans se douter apparemment que nous affections les excédants de nos ressources à des réductions d'impôt et à l'amélioration du sort des populations ; l'honorable M. Dechamps, aveuglé par l'esprit de parti sur ce qui se passe sous ses yeux, mais illuminé par les actes tout récents du ministre illustre d'un pays voisin, l'honorable M. Dechamps vient nous promettre dans son programme de faire précisément ce que nous avons toujours fait et ce que nous continuerons d'accomplir !
L'honorable M. Dechamps, notre éloquent adversaire lorsque nous entreprenions de détruire les tarifs douaniers qu'il avait fait décréter, le système des droits différentiels qu'il avait inauguré, le système des traités de commerce privilégiés dont il se faisait un titre de gloire ; l'honorable M. Dechamps prétend aujourd'hui nous arracher des mains le drapeau de la réforme économique, tout criblé de ses propres projectiles, et le montre fièrement comme sien au pays étonné ! Il nous promet la réforme que déjà nous avons accomplie contre lui, que nous avions entreprise malgré lui. Dans sa générosité tardive pour les intérêts réels du commerce et de l'industrie, il vient promettre au pays des réductions de (page 442) tarifs, accompagnées de réductions des frais de transport... juste au moment où le ministère vient d'accomplir ces actes !
L'honorable M. Dechamps, qui nous fit longtemps, très longtemps, un crime d'avoir appliqué modérément, et, j'ose le dire, trop modérément, ce principe que les fonctionnaires politiques doivent être en harmonie avec le gouvernement, l'honorable M. Dechamps réclame la faculté de déplacer les fonctionnaires, et même de révoquer ceux qui seraient ouvertement hostiles à la politique qu'il se propose de pratiquer !
L'honorable M. Dechamps, l'adversaire des dissolutions, l'honorable M. Dechamps qui voit, dans les dissolutions, presque des coups d'Etat, l'honorable M. Dechamps réclame enfin la dissolution des Chambres.
Tel est, messieurs, l'énoncé des disposions qui constituent le nouveau programme de l’honorable M. Dechamps. Ce simple énoncé vous permet de juger si j'ai tort de le nommer le programme des palinodies.
Voyons-en maintenant les détails.
S'il est un principe salutaire, c'est le principe de la stabilité des lois fondamentales, des lois organiques d'un pays. On ne doit y toucher qu'avec précaution, et lorsque la nécessité en est évidente.
Quelles raisons graves peuvent donc faire agir en cette matière le prétendu parti conservateur ? Administrativement rien, absolument rien ne démontre qu'il y ait lieu d'introduire une modification dans la loi communale, quant la nomination des bourgmestres et échevins. Administrativement, on ne le contestera pas, il n'y a aucune espèce de motif.
Politiquement, je dis que la mesure ne se justifie pas davantage. Sous l'empire de la législation actuelle, qui confère au Roi le droit de nommer les bourgmestres et les échevins, y a-t-il eu des abus graves, nombreux ? Mais, messieurs, dans les neuf dixièmes des cas, les choix des bourgmestres et échevins sont des choix inévitables. Il y a des particuliers désignés. Il n'y a pour ainsi dire pas d'alternative, pas de choix. Ils sont indiqués naturellement par leur position dans le sein des conseils.
L'honorable M. Dechamps vous a rappelé, messieurs, que, occupant le pouvoir presque sans interruption depuis 1847, nous avons, un grand nombre de fois, procédé au renouvellement de tous les collèges communaux du pays, à la nomination de tous les bourgmestres et de tous les échevins. Nous avons donc fait des milliers de nominations. Eh bien, apportez vos griefs ! Venez nous dire : Voilà des cas dans lesquels vous avez abusé, dans lesquels la Couronne a abusé du droit qui lui était donné de nommer les bourgmestres et les échevins. Sortez donc des nuages dans lesquels vous vous tenez trop complaisamment enveloppés, et citez les actes que vous auriez à nous reprocher. Jusque-là, nous avons le droit de vous dire que vous vous faites des armes de griefs purement imaginaires et inventés pour colorer d'inutiles réformes. (Interruption.)
Je concède, si l'on veut, à ceux qui m'interrompent, que, dans tel ou tel petit village où il y avait querelle entre Pierre et Paul, entre Jean et Jacques, entre les partisants du curé et les adversaires du curé, on a nommé le libéral tandis que vous eussiez préféré et que vous eussiez nommé le clérical.
Mais trouvez-vous donc dans ce fait, le plus insignifiant, le plus dénué de toute espèce de valeur, en admettant même qu'il soit prouvé, trouvez-vous-là, dis-je, une raison suffisante pour modifier une de nos lois organiques ? Le Roi est investi, et ceci vous prouve combien l'opinion libérale a abusé du pouvoir qu'il tenait de la loi ! le Roi est investi du droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députation permanente. Nous avons donc été en possession de cette faculté pendant environ quatorze années ! Et combien de fois en avons-nous fait usage ? Combien de fois n'est-on pas resté en harmonie avec le conseil communal ? Combien de fois a-t-il fallu choisir un bourgmestre en dehors du conseil ? Je ne pense pas qu'il y ait trois ou quatre exemples de l'application de cette disposition. Et, s'il y en a trois ou quatre, ils sont tous motivés par des raisons purement administratives, et ils ont tous été admis sans aucune espèce de contestation ni de réclamation !
Et c'est dans de pareilles circonstances qu'un parti qui se dit conservateur, qui veut absolument qu'on le nomme conservateur, qui ne veut pas qu'on le nomme clérical, c'est dans de telles conditions que ce parti juge qu'il est nécessaire, pour le salut du pays, de modifier une de nos lois organiques ? Cela a-t-il quelque apparence de raison ? Cela peut-il être considéré comme le fait d'hommes d'Etat dignes de ce nom ?
Que porte, au surplus, le programme ? Nomination du collège échevinal par le conseil communal ; nomination du bourgmestre par le Roi dans le sein du collège échevinal. Mais on reconnaît qu'il se peut parfaitement que celui qu'on aura choisi, refuse le mandat qu'on a voulu lui conférer, ou qu'il y ait des motifs administratifs sérieux pour ne pas faire de choix dans le sein du collège, On donne donc dans ce cas la faculté de choisir dans le sein du conseil et, en toute hypothèse, après avoir pris l'avis, le simple avis, de la députation permanente. Voilà ce que l'on veut substituer au principe actuel de la nomination du bourgmestre en dehors du conseil, de l'avis conforme de la députation permanente.
Mais, messieurs, ce système, comme beaucoup d'autres, a été présenté, discuté et repoussé en 1836. Ce système se rapproche beaucoup de celui que l'honorable M. Dumortier défendait à cette époque. (Interruption.) Je dis que ce système se rapproche de celui que vous avez défendu en 1836. Soyez tranquille, je ne vous compromettrai pas.
Il s'en rapproche, en ce que l'honorable M. Dumortier voulait la nomination des bourgmestres et des échevins par les conseils communaux, et qu'en réalité on transfère la nomination des bourgmestres et des échevins aux conseils communaux par la proposition qui est annoncée à la Chambre. Lorsque l'honorable M. Dumortier a présenté son projet, qui valait encore mieux (interruption), l'honorable M. Dechamps l'a combattu ; et le jour où il se convertit aux principes de l'honorable M. Dumortier, en matière communale, il ne fait pas à M. Dumortier l'honneur de l'appeler à défendre ses propres idées ! Cependant, il y fut toujours fidèle. Après avoir échoué en 1836, il a proposé de nouveau cette réforme en 1851, et il ne parvint même pas à la faire prendre en considération ; l'honorable M. Dechamps lui-même n'a pas assurément admis alors la simple prise en considération du projet de M. Dumortier.
Aujourd'hui, messieurs, comme en 1851, notre raison fondamentale pour combattre une innovation de ce genre, c'est qu'aucun intérêt sérieux ne la réclame. Cette question de la nomination des bourgmestres et des échevins se lie à toute notre organisation politique et administrative. Sans doute, on conçoit parfaitement un système dans lequel les bourgmestres et les échevins pourraient, sans difficulté et sans graves inconvénients, être les élus directs, soit des électeurs soit des conseils communaux. Mais ce serait, naturellement, à la condition qu'ils soient exclusivement chargés des intérêts communaux. Dans une semblable organisation, j'admettrais parfaitement ce système ; il n'aurait rien d'anomal. Mais sous le régime actuel, avec notre organisation politique et administrative, les administrations communales interviennent dans les affaires générales ; les bourgmestres et les échevins sont les représentants du pouvoir exécutif ; ils sont chargés, en son nom, de l'exécution des lois. Est-il concevable que les représentants du pouvoir central, chargés d'une telle mission, n'aient aucune espèce de lien, si faible qu'on puisse le supposer, avec le pouvoir exécutif ?
Modifiez donc toutes nos lois, modifiez tout notre système politique et administratif ; ayez des conseils communaux chargés exclusivement des intérêts communaux, comme les paroisses en Angleterre ou les communes, lorsqu'elles sont incorporées ; et alors nous comprendrons votre système. Mais alors aussi vous serez obligés d'avoir dans les communes, ou tout au moins dans certaines circonscriptions, des représentants du pouvoir exécutif, qui seraient chargés de l'exécution des lois.
Au surplus, et c'est ce qui révèle parfaitement le caractère du programme, cette proposition a été présentée sans aucune espèce de réflexion ; elle n'a pas été méditée ; elle est tout simplement impraticable. Si vous voulez arrêter la proposition à ceci, « Les conseils communaux nomment les collèges échevinaux ; le bourgmestre est pris dans le collège échevinal, » nécessairement tout sera dit. Mais vous nous apprenez que ce serait impossible et le plus souvent absurde, et vous dites : « Si la personne nommée refuse, le bourgmestre peut être nommé dans le sein du conseil. » Maïs alors que devient la nomination faite par le conseil communal ? Il a composé le collège tout entier, soit de trois, soit de cinq personnes, et à ce collège vous adjoignez un nouveau membre ! Vous aurez nécessairement non plus le collège échevinal dont parle la loi, non plus le collège échevinal composé de trois ou de cinq personnes, mais vous aurez un collège échevinal de quatre ou de six membres. Voilà comment cette proposition a été étudiée ! Et je ne m'appesantis que sur ce détail ; bien d'autres critiques pourraient être faites. Mais cela suffit pour faire apprécier comment, sans réflexion, sans examen, sans étude préalable, cette proposition si grave, touchant à nos lois organiques les plus essentielles, a été introduite par le parti conservateur.
Mais il y a beaucoup mieux encore que cette petite réforme communale. On promet au pays une réforme électorale, l'abaissement du cens pour les élections communales et provinciales.
Nous savons, messieurs, jusqu'où l'on voulait aller dans le programme qui nous a été communiqué. Par des causes que je n'ai pas à examiner, on paraît avoir retranché, depuis, les chiffres qui caractérisaient la proposition. Mais il nous est permis de nous en emparer pour faire comprendre jusqu'où voulait aller la droite conservatrice et toujours très modérée. Il est très probable que pas un seul des membres qui ont (page 445) coopéré à l'élaboration de ce programme, n'en sait le premier mot. Si je crois le principal promoteur de cette proposition, ce n'est rien ; c'est une simple pièce de cent sous, s'est écrié l'honorable M. Coomans. Qu'est-ce que cela signifie ? Eh bien, vous serez peut-être fort étonnés d'apprendre que vous aurez ainsi plus que doublé le nombre des électeurs...
M. Coomans. - Quel mal y a-t-il à cela ?
MfFOµ. - Sans doute, pour vous qui demandez le suffrage universel, ce n'est pas un mal d'aller jusque-là ; c'est même un mal de s'arrêter là ; vous devez aller beaucoup plus loin. C'est vous qui, avec quelques-uns de vos amis, avez persuadé au grand parti conservateur que le jour où l'on parlerait au pays de réforme électorale et de réforme douanière, tout serait dit ; qu'il ne serait plus question en Belgique de clérical et de libéral.
Mais enfin, quelques-uns de vos amis politiques prétendent ne pas vouloir aller jusqu'au suffrage universel ; ils croyaient faire une chose assez modérée en s'associant à cette proposition de réduction du cens. Eh bien, je leur indique où ils vont du premier coup.
Certes, messieurs, j'ai à peine besoin de le dire, s'il est une mesure grave par les conséquences qu'elle peut avoir, par l'influence qu'elle peut exercer sur l'avenir politique et social d'une nation, c'est une réforme électorale. Par qui donc une pareille réforme a-t-elle été réclamée en Belgique, et quand l'a-t-elle été ? A quel signe découvre-t-on qu'elle est dans les vœux du pays ? Jamais il n'y a eu aucune manifestation quelconque en faveur d'une réforme de cette nature. Je vais plus loin : Je dis que cette réforme dans no're pays n'est pas même l'arme des partis extrêmes. C'est tout récemment que quelques prétendus conservateurs se sont imaginé qu'une bonne base d'opérations, comme tactique parlementaire et électorale, c'était d'essayer de faire de la démocratie.,
On se trompe sous ce rapport de temps et de pays.
Il y a quelques-années, avant 1848, un certain nombre de personnes fondaient de grandes espérances sur l'abaissement du cens électoral, et même sur le suffrage universel. Dès ce temps, nous n'étions pas de leur avis. Après avoir vécu dans une longue opposition, après nous être trouvés dans cette situation où les partis commettent si facilement des fautes, en plein congrès libéral, nous élevions la voix en faveur des idées que nous préconisons encore aujourd'hui au pouvoir, c'est-à-dire qu'en matière électorale, ce qu'il faut, ce sont des électeurs et non pas des serviteurs.
- Voix à gauche. - Très bien !
MfFOµ. - Ce qu'il faut, ce sont des hommes qui présentent des garanties de lumière, d'indépendance et d'ordre. (Interruption.)
Voilà ce que les libéraux, que vous représentez comme des hommes violents et dangereux, disaient, lorsqu'ils étaient dans l'opposition ; ils ont à vous apprendre aujourd'hui, à vous, grand parti conservateur, que vous oubliez tous ces principes de prudence et de véritable modération, pour provoquer une réforme dont vous n'avez pas prévu les conséquences ni calculé les dangers.
Messieurs, assurément notre cœur et notre raison nous disent que tous les hommes, réunis en société, doivent être appelés à participer à la gestion des affaires du pays. C'est là l'idéal à poursuivre. Mais pour en arriver là, il faut avant tout instruire les hommes ; il faut avoir des hommes suffisamment capables, je n'en demande pas davantage, de faire un choix avec discernement.
Ce n'est pas, messieurs, un droit qui appartienne à tous les hommes que d'être appelés à la gestion des affaires politiques. Etre mêlé aux affaires politiques comme électeur, comme représentant, c'est remplir une fonction. Pour remplir cette fonction, il faut réunir certaines conditions indispensable. Sans doute, pour le simple droit électoral, ces conditions peuvent être assez simples ; il suffit d'un certain degré d'intelligence et d'instruction pour pouvoir exercer utilement ce droit.
A ce point de vue, messieurs, quelle signification faut-il attacher au cens électoral ? Est-ce, comme vous l'a dit l'honorable M. Royer de Behr, qu'on a voulu exclusivement avoir dans les collèges électoraux les représentants de la propriété ? évidemment non ; on a cherché dans le cens une présomption de capacité ; ce n'est qu'un moyen, et c'est celui qui a paru le plus simple, pour arriver à reconnaître quels sont les citoyens aptes à être électeurs ; on a pensé que ceux qui payent une certaine quotité d'impôt ont un degré suffisant d'intelligence, d'instruction et de moralité, pour exercer utilement, librement et consciencieusement le droit électoral.
L'instruction comme base du droit, c'est là, messieurs, le principe qui paraît définitivement prévaloir, surtout dans notre pays ; c'est là ce qui fait que vous chercherez en vain les alliés démocrates sur lesquels vous comptez.
Sous un autre rapport, vous vous trompez encore. Dans notre pays, il n'y a pas à proprement parler de parti démocratique, comme il en existe en Angleterre sous le nom de parti radical, comme il en existe en France sous son vrai nom de parti démocratique.
Il peut bien y avoir, en Belgique comme ailleurs, des individualités démocratiques et radicales ; mais un parti, c'est-à-dire un nombre plus ou moins considérable d'adhérents, exerçant une véritable influence sur la direction des affaires publiques, ce parti démocratique je ne pense pas qu'il existe chez nous.
Au surplus, ce que nous avons à rechercher, messieurs, c'est le véritable sens de la réforme électorale inscrite au programme de nos adversaires. Nous avons à nous demander ce que l'on veut, où l'on va : 15 ou 10 francs, 20 ou 30, 30 ou 40 francs, cela n'a pas de signification ; il y a un but ; ce but quel est-il ?
Messieurs, je prends le langage du promoteur même de cette réforme ; je prends également le langage de l'un des membres qui devait faire partie de l'administration nouvelle dont le programme est en ce moment discuté. Ce que l'on veut, c'est le suffrage universel. (Dénégations à droite.)
Nous allons au suffrage universel, et toutes nos dénégations n'y feront rien.
- Voix à gauche. - C'est évident !
MfFOµ. - L'honorable M. Royer de Behr, qui devait entrer dans les conseils de la couronne, ne s'est donc pas demandé si, dans le monde ancien, ou dans le monde moderne, on connaît une monarchie, ayant pour base les libertés inscrites dans notre Constitution, qui ait pu subsister ou qui subsiste avec le suffrage universel ? Car, s'il avait examiné cette question, il aurait peut-être été mené à reconnaître que le suffrage universel, dans l'état de nos mœurs, avec le degré d'instruction répandu dans les masses, nous conduirait bientôt à l'anarchie et au renversement de la monarchie constitutionnelle.
- Voix à gauche. - C'est cela !
MfFOµ. - Oui, messieurs, voilà quelle est la véritable portée de la mesure que le parti conservateur soumet à l'examen du pays.
Mais, pour arriver à faire réussir cette grande réforme, il y a une fraction démocratique ou cléricale, peut-être l'une et l'autre, qui se trouve dans cette assemblée ; c'est la députation d'Anvers. Elle devait trouver place dans le programme ; on lui promet « un examen sérieux et... bienveillant des difficultés que l'exécution des travaux des fortifications d'Anvers a soulevées, dans le but de trouver une solution (on n'en a donc pas) qui, sans changer le système de défense adopté (interruption) et sans diminuer la force défensive de la place (nouvelle interruption) permettrait :
« 1° De ne pas dépasser pour les travaux entrepris les limites des dépenses prévues et annoncées ; et 2° de faire cesser Jes inquiétudes qui se sont manifestées dans la population d'Anvers. »
Cet article du programme est tout entier, - il faudra bien qu'on le confesse, - une tactique électorale et parlementaire.
.M. Dechamps. - Pas du tout !
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Nous ne faisons pas de tactique à Anvers.
MfFOµ. - C'est cependant le cas ou jamais de faire de la tactique.
Cet article du programme ne promet rien et laisse un peu espérer ; mais les équivoques ne sont, je présume, de nature à satisfaire personne.
A la veille d'un appel au pays, la nécessité de s'expliquer clairement sera sans doute reconnue par tous, comme un acte de loyauté politique.
Or, messieurs, l'affaire d'Anvers comprend trois questions :
La question des citadelles,
Le payement des dix millions,
L'indemnité pour les servitudes militaires.
Ce sont là, messieurs, trois questions d'argent.
Abstraction faite de toute autre considération, il s'agit de savoir si les promesses du programme impliquent de nouveaux sacrifices à imposer au pays, aux contribuables, pour satisfaire aux prétentions qui se sont fait jour à Anvers. Voilà la question. C'est là, messieurs, ce que les électeurs ont intérêt à connaître. S'il y a de nouvelles charges à faire peser sur le pays, qu'on le dise, qu'on le déclare franchement, loyalement ; le pays appréciera.
Si de nouveaux sacrifices ne doivent pas être demandés aux contribuables, autres que ceux qui ont été prévus ou annoncés, le programma est une véritable mystification pour la députation d'Anvers (interruption) ; (page 444) une véritable mystification, car il est impossible de satisfaire à vos prétentions sans argent. ‘Nouvelle interruption.)
Voyons : exonérez-vous la ville d'Anvers du payement des dix militons ?... Proposez-vous le retrait de la loi qui a décrété que la ville d'Anvers contribuerait à concurrence de dix millions de francs dans les frais d'établissement de la grande enceinte qu'elle-même sollicitait alors ? Voilà la véritable question. Si Anvers ne doit pas payer, ce sera le pays, ce seront les contribuables qui payeront.
Les indemnités ! Il n'en est pas question dans votre programme. Les indemnités, pour les servitudes militaires sont donc écartées ; elles sont formellement condamnées par le programme de la droite ; la droite ne veut pas réclamer du pays des charges nouvelles pour payer des indemnités du chef des servitudes militaire. Donc, vous êtes mystifiés. (Interruption.) Vous êtes mystifiés et vous êtes condamnés à continuer de voter avec la droite. (Interruption.) Oh ! ce n'est pas pour vous attirer dans nos rangs que je parle ainsi. Non ! non ! vous êtes dans les rangs de la droite, messieurs, vous y resterez, et vous êtes condamnés à continuer de voter avec cette droite qui vous refusera ce que vous lui avez demandé, mais sans jamais vous désespérer.
Je vous le déclare donc, ce programme que vous acclamez, pour lequel vous allez voter, ce programme est un leurre pour vous. Les dix millions seront réclamés de la ville d'Anvers ; de nouvelles charges ne seront pas imposées au pays, et je défie qu'on nous dise le contraire. De nouvelles charges ne seront pas imposées au pays pour le payement des indemnités aux propriétaires d'Anvers pour les servitudes militaires.
M. Delaetµ. - Et après ?
MfFOµ. ) Après, Mais après comme avant, vous continuerez à être mystifiés. (Longue interruption)
Indépendamment du programme, la composition du cabinet exclut vos prétentions : les opinions exprimées, les votes émis, tout atteste qu'on ne veut pas faire droit à vos réclamations de ce chef. Cela seul aurait dû vous suffire pour vous éclairer. Mais on comptait, sur ce programme, faire la dissolution, sans discussion, sans que le pays fût averti et sans qu'on pût révéler quelque chose au meeting d'Anvers de ce qui aurait été accepté par ses représentants.
Fort heureusement pour le pays, cet espoir a été déçu.
On s'est trompé : nous avons une discussion sur le programme : le pays et le meeting seront éclairés ; les députés d'Anvers devront faire connaître leur position.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Nous nous expliquerons.
MfFOµ. - Oh ! je le sais parfaitement ; on vous fera de fort belles phrases ; on vous fera une charmante diplomatie ; elle vous paraîtra fort habile ; rien n'y manquera, j'en suis certain, et de plus, vous vous déclarerez satisfaits !
Mais ce que je dis ici ce n'est pas pour vous seulement, c'est pour le pays ; c'est pour que le pays puisse juger et apprécier, c'est pour que le pays sache quelles sont les comédies que l’on joue (interruption) dans des intérêts de parti.
Reste donc la question des citadelles ; elle n'est pas venue la première dans l'ordre des réclamations ; mais on déclare aujourd'hui qu'elle est la plus importante pour les députés d'Anvers ; les questions d'argent d'abord agitées, on les reléguait au second plan ; mais quant aux mesures qui doivent assurer la parfaite sécurité des habitants d'Anvers, c'est un point sur lequel il n'est point permis de faire la moindre concession. Messieurs, le programme dit très nettement qu'il n'y a pas de solution pour la question des citadelles.
Depuis un an les journaux d'Anvers en ont cependant indiqué une, qui, comme vous l'allez voir, est excessivement simple : on démolit d'abord la citadelle du Sud, on vend les terrains, et l'amateur qui les paye, s'engage pour le prix de ces terrains à construire de nouveaux forts sur la rive gauche de l'Escaut. Dans ce plan, imaginé pour accroître encore la fortification et non pour l'affaiblir, le maintien de la citadelle du Nord est obligatoire, si j'en crois les bruits qui ont couru. Et si c'est à ce plan que l'on a fait allusion, on sera fort longtemps avant de trouver l'introuvable amateur qui, en échange du prix de vente des terrains de la citadelle du Sud, doit exécuter les nouveaux travaux de la rive gauche. Dans tous les cas, si on parvient à le découvrir, Anvers aura toute une combinaison de citadelles.
Elle en aura sur la rive droite, elle en aura sur la rive gauche, et cela, bien entendu, sans compter la citadelle du Nord, qui restera. (Interruption.) Mais, messieurs, qui donc se charge de vous prouver que vous conserverez la citadelle du Nord ? C'est l'honorable M. Royer de Behr ! Il vous déclare par ma voix, qu'il ne consentira pas à la démolition de la citadelle du Nord, car nul n'a mieux prouvé que lui, qu'elle est partie essentielle du système et qu'elle est indispensable pour la défense de la grande enceinte ! A aucun prix, il ne consentira à la démolir. (Interruption.) Je suis convaincu que l'honorable membre ne se rétractera pas.
M. Royer de Behr. - Je répondrai.
MfFOµ. - Certainement vous répondrez. Mais en tout cas veuillez croire que c'est un honneur que je vous fait, que c'est un hommage que je rends à votre caractère, quand je dis que je suis convaincu que vous n'avez pas changé de conviction sur un point aussi essentiel que la défense nationale, pour accepter un portefeuille.
- Voix à gauche. - Très bien ! très bien !
MfFOµ. - Le compte des députés d'Anvers est donc bien facile à établir : les 10 millions seront payés ; il n'y aura pas d'indemnité pour les servitudes militaire ; et la citadelle du Nord ne sera pas démolie.
Maintenant qu'ils battent des mains, qu'ils admettent le programme et qu'ils continuent à appuyer la droite, ici et à Anvers. Le pays appréciera !
A part sa réforme électorale et la manœuvre employée uniquement en vue de se procurer des alliés, la droite est toute passionnée pour les intérêts économiques de la société ; elle veut d'abord réformer la loi sur la milice ; elle veut la réformer par un système d'exonération qui restreigne les effets du tirage au sort, qui allège les charges des pères de famille et celles du pays.
Ainsi, messieurs, alléger les charges de la milice pour la famille et pour le pays, améliorer les éléments constitutifs de l'armée en fortifiant l’esprit militaire et la discipline de l'armée, la rendre plus forte ! Mais l'esprit le pays sera enchanté ! des charges moins lourdes pèseront sur lui, le système d'exonération aura pour effet d'atténuer les conséquences du tirage au sort ! Vraiment j’admire votre zèle, je suis profondément touché. Mais je ferai remarquer cependant, que, pendant les longues années que vous avez passées au pouvoir, il vous eût été sans doute très facile de réformer nos lois de milice dans le sens indiqué par votre nouveau programme. Pourquoi donc vous êtes vous abstenus de le faire ? Et pourquoi n'y songez-vous que le lendemain du jour où nous avons nous-mêmes déposé un projet de loi sur cette matière ? Vous avez, dites-vous, un meilleur système que celui que nous avons présenté à la législature. Mais votre système d'exonération est connu ; il est pratiqué, ailleurs, et il est constaté qu'il constitue une aggravation du système actuel ; il impose des charges plus lourdes au pays ; en France, il a fait doubler le prix du remplacement. Votre système aura pour effet, d'une part, de doubler la charge que doivent s'imposer les particuliers, les pères de famille, et d'autre part, par suite des innovations que vous avez imaginées, d'accroître, dans une proportion considérable, les dépenses de l'Etat.
Quant à l'armée, que vous voulez fortifier à tous les points de vue, le jour où votre projet sera produit, vous n'entendrez pas un militaire, quel qu'il soit, vous ne trouverez pas un ministre de la guerre, quel qu'il soit, qui ne condamne la proposition de loi déposée par M. Kervyn de Lettenhove.
Je dis en passant que le cabinet, qui se formait probablement parce qu'il savait qu'il présentait un programme impossible, n'a pas songé à. se compléter en désignant le ministre de la guerre destiné à appliquer les idées de ce programme qui concernent notre état militaire.
Quant à nous, messieurs, nous avons formulé un projet modifiant notre système de milice, et j'ose dire que ce projet consacre un principe équitable, celui de l'indemnité. Il n'est pas la copie d'un système qu'on a pu emprunter ailleurs ; c'est un système nouveau, que l'on pourrait appeler le système belge, et qui aurait des conséquences les plus heureuses, des conséquences incalculables pour l'avenir du pays.
Il s'agissait d'enseigner chaque année à dix mille citoyens la plus grande des vertus des classes laborieuses : la prévoyance ! il s'agissait de doter chaque année dix mille citoyens appelés au service, d'une rente qui viendrait les soulager dans leurs vieux jours ; de leur donner un livret où ils auraient eu à cœur de faire inscrire successivement le fruit de leurs économies. Je dis que ce système eût produit les résultats les plus favorables aux vrais intérêts du pays, en affranchissant en grande partie les classes laborieuses du joug de la misère qui pèse sur elles, quand l'âge vient leur enlever les moyens de gagner par leur travail de quoi suffire aux besoins de leur vieillesse. Je le dis hardiment : il y a dans ce projet autre chose qu'une réforme de la milice ; il y a une idée sociale et moralisatrice.
Mais ce n'est pas tout encore, messieurs : la droite a été frappée des réformes annoncées naguère dans un pays voisin ; le ministre des finances (page 445) en Angleterre a proposé d'appliquer les excédants de ressources à l'amélioration de la situation financière et à des réductions d'impôt. Vite la droite, s'emparant de ce qu'elle croit une heureuse innovation, s'empresse de déclarer dans son programme qu'elle entend inaugurer ce système en Belgique.
Messieurs, cette partie du programme doit être pour nous l'occasion d'examiner ce que nous avons fait nous-mêmes sous ce rapport, et vous direz bientôt si l'on a été heureusement inspiré en invoquant des exemples pris à l'étranger.
Avant tout, je ferai une remarque. Vous vous souvenez de quel beau prélude cet article avait été précédé. Il s'agissait de supprimer 10 à 12 millions d'impôts. Il y avait sous ce rapport engagement formel ; tout le monde était d'accord ; la droite à l'unanimité avait accueilli ce système. On rendait cette suppression possible au moyen de réductions sur les dépendes militaires, tout en fortifiant, bien entendu, l'armée, par les moyens que vous savez.
Mais le jour où le programme paraît, ces belles promesses s'envolent en vaine fumée.
Messieurs, il est probable que les auteurs du programme auront reculé au dernier moment. Ils se retranchent sur ce que, prétendument, il y aurait des engagements grevant l'avenir, et qu'ils devaient attendre qu'on en fût dégagé, pour proposer des réductions d'impôts, et notamment, je suppose, la suppression de l'impôt du sel, sur lequel l’honorable M. de Naeyer a des engagements très précis.
Je dis, messieurs, que c'est là un leurre, une défaite, un aveu d'impuissance.
Il n y a pas d’engagements. (Interruption.) Je révèle qu'il n'y a d'engagements d'aucune sorte, que vous n'étiez liés en rien, et j'ajoute que vous n'oseriez pas soutenir sérieusement le contraire.
Vous étiez parfaitement libres de disposer du trésor public comme vous l'entendiez, dès votre avènement au pouvoir. Rien ne vous aurait arrêtés. On n'est lié vis-à-vis de personne à un plan financier quelconque, et vous pouviez adopter tel plan que vous auriez voulu une fois que vous eussiez été en possession des portefeuilles.
Vous avez donc créé un obstacle imaginaire, pour vous dispenser de tenir les promesses que vous aviez faites au pays.
J'ai dit, messieurs, qu'il n'y avait pas d'engagement, et en effet il n'y en a pas. Qu'ai-je proposé à la Chambre ? Un plan de conduite que j'ai appliqué. J'ai dit ceci : Nous avons des excédants de ressources. Nous payerons avec ces excédants telles ou telles dépensas extraordinaires que nous pouvons faire, en l'indiquant pour plusieurs années à l'avance.
Mais si vous ne trouviez pas bon que l'on payât avec ces excédants, vous pouviez aisément trouver d'autres moyens de payer. (Interruption.) Mais sans doute ; rien n'est plus simple. Cela est élémentaire.
- Une voix à droite. - Faire un emprunt.
MfFOµ. - Certainement faire un emprunt, si vous le vouliez.
Mais, messieurs, aviez-vous l'intention, par exemple, de supprimer les travaux publics ? Cela entrerait-il aussi dans le programme de la droite, et serait ce un article sous-entendu ? On n'aurait donc plus exécuté de travaux publics en Belgique ? (Interruption.)
Ah ! on en aurait encore exécuté ! Mais comment, si ce n'était avec les excédants ? Il fallait donc que ce fût à l'aide de ressources extraordinaires que vous auriez créées ! Donc, ces ressources vous pouviez les créer pour vous dégager.
Mais écoutez, ceci est de la théorie. En effet, tous les engagements pris sont acquittés avec les excédants qui ont été recouvrés ou par ceux qui vont l'être. Il n'y avait donc aucune espèce d'embarras, aucune espèce de difficulté de ce chef. En fait de charges pour le trésor, dans tous ces engagements dont vous prétendez parler, il n'y a que les 10 millions qu Anvers ne paye pas, et que vous auriez eu soin de réclamer, et la charge extraordinaire et très facilement acceptée, résultant du remboursement du péage de l'Escaut.
Mais, je le répète, puisqu'il s'agit d'un programme opposé au nôtre, qu'on nous permette de jeter un coup d'œil sur le système que nous avons pratiqué en matière de finances.
Il y a, messieurs, deux moyens de réduire les charges publiques, deux moyens d'alléger les sacrifices que l'on demande aux contribuables.
Le premier, c'est d'enrichir le pays par l'exécution de travaux qui accroissent dans des proportions incalculables sa force productive.
Le second moyen, c'est de diminuer les impôts.
Or, messieurs, nous avons appliqué concurremment, simultanément ces deux moyens. Aveuglés par l'esprit de parti, nos adversaires s'obstinent à ne pas le reconnaître. Je ne veux pas remonter bien haut, messieurs ; je ne veux pas rappeler les actes da notre premier ministère. Je ne veux pas rappeler cette loi monstre, comme on l'a nommée, qui, au dire de nos adversaires, qui avaient d'ailleurs fait leur possible pour assurer la réalisation de leur prédiction, ne devait jamais s'exécuter, et qui a pourtant été exécutée tout entière ; cette loi colossale qui a couver le pays de travaux publics de toute espèce, à l'aide d'une triple intervention : d'abord celle de l’Etat, agissant directement ; puis par la garantie d'un minimum d'intérêt donnée à certaines compagnies, et enfin par des concessions pures et simples accordées à d'autres compagnies.
Je m'en tiens aux faits de ce second ministère. En six années, les dépenses extraordinaires en dehors du budget ou qui y ont été rattachées, ont été couvertes à concurrence de plus de 100 millions de francs, par les excédants des ressources ordinaires sur les dépenses de même nature.
Plus de 100 millions ont donc été appliqués aux canaux, aux rivières, aux routes, aux chemins de fer, aux ports et côtes, à la construction de maisons d'école, à la voirie vicinale, à l'hygiène publique.
Quel accroissement de richesses n'en est-il pas résulté pour le pays, et partant quelle réduction d'impôts n'a pas été la conséquence nécessaire el inévitable de ces grands travaux ?
Dans le même temps, nous avons réduit directement les impôts de plus de 8 millions de francs. Et à vous, qui faites miroiter aux yeux des électeurs 6, 8 ou 10 millions de réduction d'impôts, je vous apprends que nous avons déjà réduit les charges publiques de 8 millions, pendant que nous appliquions les excédants de ressources à concurrence de plus de 100 millions de francs à des travaux publics sur toute la surface du pays ! (Vive approbation à gauche.)
Voici les chiffres pour que vous puissiez les contrôler :
Sur les accises la réduction est de 2,550,000 fr.
Sur les douanes la réduction est de plus de 5,000,000 fr.
Sur les péages de 600,000 fr.
Sur le pilotage de 180,000 fr.
Sur les rétributions exigibles du commerce de 260,000 fr.
Total : 8,590,000 fr.
En supprimant les octrois, messieurs, nous avons affecté 4 millions de nos revenus à l'exécution de cette mesure. Quel en a été le résultat ? Le produit brut des octrois était de 13 millions. Les impôts remaniés et appliqués à la suppression s'élevaient à 10,500,000 fr. La diminution des charges pour le pays était de ce chef seul de 2,500,000 francs. Mais en outre, les communes rurales dotées, d'un revenu considérable, ont à leur tour diminué les impôts locaux...
M. de Naeyer. - Qu'elles payent.
MfFOµ. - Elles payent sans doute. C'est dans le compte général que je viens de faire. Les octrois produisaient 13 millions de francs. Les impôts remaniés s'élèvent à 10,500,000 fr., et de ce chef il y a une réduction de 2,500,000 fr. pour la généralité du pays. Cela n'est pas contestable.
Et maintenant, l'allocation de 3,000,000 de francs qui est la compensation de ce que payent, comme vous le dites, les habitants des campagnes, l'allocation de 3,000,000 de francs faite aux communes rurales a eu pour effet une réduction des charges directes qui pesaient sur les habitants de ces communes. L'allocation de 3,000,000 de francs qui a été faite en 1861 à ces communes, a amené incontinent une diminution de taxes personnelles à concurrence de 850,000 fr. et ces mêmes communes rurales ont pu appliquer en outre 1,850,000 francs à l'enseignement primaire et à la voirie vicinale. (Approbation à gauche.)
Ainsi, l'application des excédants de nos revenus à l'amélioration du système financier et au dégrèvement des impôts, nous ne l'avons pas promise, nous l'avons réalisée.
Nos adversaires veulent aussi la réforme douanière, disent-ils ; ils poursuivent l'extension des réformes commerciales, dans le but de faciliter les échanges avec application de ce principe au bon marché des transports à l'intérieur, notamment en modifiant les tarifs des chemins de fer et le système des péages des voies navigables !
Mais, messieurs, avez-vous oublié déjà que c'est nous qui avons inauguré ces réformes, et que c'est contre vous que nous les avons faites ? nos adversaires, mais nous les avons trouvés presque tous, à de rares exceptions près, dans les rangs de la droite !
Abuserais-je des moments de la Chambre si je citais quelques-unes des paroles de ces propagateurs si ardents de la réforme commerciale ?
- Plusieurs membres. - Non, non ! lisez !
MfFOµ. - Il vous souvient, messieurs, que nous avons renversé le système de protection appliqué à l’agriculture. Nous avons renversé l'échelle mobile ; nous avons détruit le système des droits différentiels, et il nous arriva, à la suite de (page 446) ces mesures, d'exposer un jour dans cette Chambre quels étaient les principes qui devaient désormais diriger la politique commerciale du pays.
L'honorable M. Dechamps prit alors la parole. « La réforme industrielle, disait M. Dechamps, la révision des tarifs est annoncée par M. le ministre des finances. Les principes de cette réforme nous sont assez connus pour que l'industrie ait le droit de s'en alarmer ; mais on la soustrait à notre examen en l'ajournant ; on divise les projets, on laisse à ceux qui ne sont pas atteints des espérances, des illusions qui paraissent acceptées par nos collègues de Gand ; on évite ainsi les coalitions de mécontentement entre l'agriculture, le commerce maritime et les industries, si on les avait frappés tous à la fois par une seule réforme.
« Je crains bien que les représentants de nos centres industriels, qui ont donné la main à la réforme agricole et qui aujourd'hui acceptent la réforme maritime, n'aient à se repentir bientôt de cet abandon du principe de la protection qu'ils espèrent conserver pour eux. Une ligue se formera contre l'industrie, ligue de l'agriculture et du commerce maritime sacrifiés. »
Et l'honorable M. de Liedekerke :
« Messieurs, le discours prononcé par M. le ministre des finances, dans les séances des 26 et 27 novembre, a singulièrement agrandi ce débat. L'honorable préopinant a, en effet, attaqué tout notre passé commercial, il en a contesté les bons effets, l'utilité, et élevant sa réprobation jusqu'où système protectionniste tout entier, il l'a condamné en fait et en théorie.
« C'est là, messieurs, un acte grave, cas un tel discours, partant du banc ministériel, venant d'un ministre qui occupe depuis quatre ans et plus le pouvoir, que la force des circonstances peut y maintenir longtemps encore ; un tel discours, qui n'est suivi d'aucun acte, d'aucune résolution, qui met tout en question et qui ne résout rien, est fait pour répandre l'agitation dans toutes les classes du pays et pour y soulever les plus vives, plus sérieuses inquiétudes. C'est là peut-être un nouvel art de gouverner ; mais, à coup sûr, je crois que ce n'est point celui que justifient ni les traditions gouvernementales ni la sagesse du bon sens.
« Placés sur un tel terrain et en face d'une question aussi importante, provoqués, pour ainsi dire, directement par le discours de l’honorable ministre, il doit être permis à ceux qui ne partagent ni les opinions, ni les sentiments du ministère, d'expliquer à leur tour quelles sont les raisons de leur profond dissentiment.
« Il y a longtemps, messieurs, que l'on traite les idées protectionnistes de vieilleries surannées, qu'on nous engage avec plus ou moins d'aménité à abandonner, parce qu'elles ne sont pas à la hauteur des idées nouvelles et qu'elles nous rendent impropres à l'avenir. Il y a longtemps que l'on dit que les idées protectionnistes ne sont conçues que dans un but d'égoïsme, afin de créer des privilèges et de les perpétuer.
« Eh bien, c'est là, dans ma conviction, une erreur profonde. Non, il n'est pas juste de dire que la protection soit à ce point entachée d'égoïsme. On se trompe quand on la représente comme un but ; car elle n'a jamais été qu'un moyen, celui de développer toutes les forces productives d'un pays, celui de mettre en relief toutes ses valeurs morales, matérielles et intellectuelles, et de vivifier toutes les semences de richesse que la Providence a mises en lui.
« Messieurs, en examinant la ligne de conduite que suit le gouvernement à l'égard de nos intérêts matériels, j'ai certainement lieu de concevoir de sérieuses, de profondes inquiétudes. Tout n'est là aussi que hasard et témérité ; on crée comme à plaisir un régime d'incertitude, et l'on nous pousse vers l'inconnu ou plutôt, non, je me trompe, on nous livre à de trop déplorables réalités. L'intérêt agricole est, je ne dirai pas immolé, mais mis hors du droit commun.
« N'a-t-on pas, en effet, créé pour lui un régime tout spécial ?
« Aujourd'hui, on porte une atteinte directe et funeste aux grands intérêts commerciaux du pays. Et récemment, l'un des organes du cabinet faisait entendre de menaçantes prophéties contre l'intérêt industriel. L'intérêt industriel vient aujourd'hui, enivré d'illusions qui ne seront que trop passagères, soutenir le traité et le ministère ; mais qu'il s'en souvienne : le régime du libre échange qui atteint l'intérêt commercial et l'intérêt agricole, finira tôt ou tard, par l'irrésistible force des choses, par le frapper lui-même. Et alors se lèveront pour l'industrie aussi des jours de deuil !
« Messieurs, au bout de cette politique ministérielle, je ne vois que ruines, que désastres et confusion. Ne pourrions-nous donc pas faire cesser un instant nos divisions et écarter les dissentiments qui nous séparent pour arrêter le pouvoir sur cette pente fatale et dangereuse f Je crois qu'il en serait grand temps. Quant à mon vote sur la traité, il sera négatif, parce que je suis persuadé que la main qui le signera aura signé la déchéance et l'abdication commerciale de la Belgique ! » (Longue interruption.)
C'est ainsi, messieurs, qu'on m'accablait ; c'est ainsi que l'on me dénonçait au pays, lorsque j'ai proposé la réforme commerciale ; et maintenant qu'elle est accomplie en grande partie, ce sont ces mêmes hommes qui se retournent contre nous et prétendent nous enlever le drapeau de cette réforme qu'ils feignent de vouloir accomplir à notre place.
Et je n'avais pas seulement pour adversaires les honorables membres que je viens de citer. L'honorable M. Coomans se leva aussi. J'étais soutenu dans cette lutte longue, difficile et périlleuse, - car tous ces discours étaient faits surtout dans le but d'agiter le pays et d'y éveiller des craintes ; c'était un but électoral que l'on poursuivait ; on voulait exciter tous les intérêts contre la politique du gouvernement, - j'étais, dis-je, appuyé par plusieurs de mes honorables amis, et entre autres par un économiste distingué, M. Ch. de Brouckere. C'est l'honorable M. Coomans qui lui répondit, et voici comment il s'exprima :
« M. de Brouckere s'est élevé par-dessus les nuages et s'est livré aux plus hautes considérations pour combattre la proposition douanière.
« Respectez, dit-il, l'œuvre de Dieu, la liberté, la propriété humaine ; c'est ce qu'il y a de plus sacré au monde, et c'est porter atteinte à la liberté, à la propriété, aux lois divines et humaines, que de protéger les industries nationales contre celles de l'étranger. Dieu a dit : « Laissez passer, laissez faire », c'est par oubli que ces mots ne sont pas inscrits au décalogue.
« Au moment où le droit divin s'éclipse dans un certain ordre d'idées, n'est-il pas étrange de l'entendre invoquer pour le libre échange ? Le libre échange serait, à en en croire l'honorable M. de Brouckere, d'institution divine.
«De grâce, MM. les libre-échangistes, ne faites pas Dieu à votre image ; ne lui attribuez pas vos utopies, ne les faites pas remonter si haut.
« Ne nous égorgez pas avez un fer sacré. (Interruption.)
« Dieu a prescrit aux hommes des devoirs de charité et d'autres ; il n'a pas prescrit les aventureuses formules de l'économie politique.
« Quoi, messieurs, Allah serait libre échangiste et l'honorable M. de Brouckere son prophète ! Puisse son pacifique cimeterre ne pas faire plus de conquêtes qu'il n'en a réalisées jusqu'à présent ! la preuve que Dieu n'est pas libre échangiste, c'est que l'univers le maintient dans sa majestueuse harmonie. (Interruption.)
« Si les principes des honorables MM.de Brouckere et Frère dominaient là-haut, il y a longtemps que le monde serait détraqué, et que nous ne serions plus réunis ici pour entendre de pareilles extravagances. A ceux qui voudraient absolument voir du merveilleux dans le frée-trade, je dirais plutôt que le diable est libre-échangiste, s'il ne s'appelait pas l'esprit malin. » (Interruption.)
Et c'est après avoir vaincu nos adversaires, c'est après les avoir convertis même à ce qu'il semble, qu'ils s'en viennent nous reprocher en quelque sorte de n'avoir pas assez fait en matière de réforme douanière !
Mais, j'y pense, messieurs : il y a peut-être à cela une bonne raison : l'honorable M. Dechamps a été soufflé sans doute par MM. Coppens, Debaets et Kervyn de Volkaersbeke ; assurément ces honorables membres lui auront dit : la réforme qui a été faite a encore laissé une trop grande protection au coton, et c'est par ce motif que l'article relatif à la réforme douanière aura été introduit dans le programme. (Interruption.)
Peut-être aussi l’honorable M. Dechamps a-t-il subi l'influence de ses propres penchants : nous avons abaissé les droits sur la fonte, sur les fers, sur les charbons ; nous avons été assez loin même ; mais l'honorable M. Dechamps trouve sans doute que ce n'est pas assez, et il se propose probablement de supprimer entièrement les droits sur la fonte, sur les fers, sur les cotons, sur les houilles. (Interruption.)
Ce doit être pour ces raisons que l'article a été introduit dans le programme, car, remarquez-le bien, messieurs, sauf en ce qui concerne les cotons, les fontes, les fers et la houille, je ne sais pas ce qui reste d'important dans le tarif qui puisse être considéré comme droits protecteurs.
Messieurs, je ne puis pas quitter ce terrain économique, ce terrain des impôts, sans vous dire encore un mot. Nous avons, comme je l'ai rappelé plus d'une fois, gouverné le pays pendant longtemps ; nous avons dû prendre bien des mesures, toucher à bien des intérêts. Eh bien, en somme, messieurs, et tout compté, nous n'avons fait que des réductions d'impôts ; les réductions excédent notablement, très notablement, les augmentations qui avaient été rendues nécessaires en d'autres temps, par suite de la mauvaise gestion financière que nous avons trouvée en 1847.
(page 447) Mais en quel état laissons-nous aujourd'hui le contribuable ? Nos impôts indirects sont, règle générale, de beaucoup moins élevés que dans les autres pays. Je ne veux vous faire juger que par la comparaison des impôts directs, de la véritable situation du citoyen belge vis-à vis du fisc.
Nous avons été réunis à la France, nous avons été réunis à la Hollande ; dans ces deux pays il existe, quant à l'impôt direct, une législation analogue à la nôtre ; elle est même identique en Hollande. Or, messieurs, voyons ce que représente en France, en Hollande et en Belgique la contribution foncière, en y comprenant la partie qui est perçue au profit des communes et des provinces ou départements.
En Belgique, pour 1863, l'impôt foncier représente par habitant 4 fr. 96. En France il représente 7 fr. 82 et en Hollande 7 fr. 70.
La contribution personnelle qui, en France, est représentée par la contribution mobilière et personnelle, les portes et fenêtres et la taxe sur les voitures, la contribution personnelle donne par habitant : en Belgique 2 fr. 82, en France 3 fr. 35 et dans les Pays-Bas 5 fr. 74.
La patente représente en Belgique 0 fr. 90, en France 2 fr. 20 et en Hollande 1 fr. 28.
En somme, pour les trois contributions directes dans ces trois pays, le Belge, que nous avons si fort maltraité, que nous avons écrasé d'impôts, le Belge paye 8 fr. 68 c, tandis que l'on paye en France 13 fr. 37 et en Hollande 14 fr. 72.
Mais ce n'est pas assez des merveilles que promettent nos adversaires quant à la bonne application des finances : il faut arrêter la progression des dépenses publiques. Cela est inscrit dans leur programme.
Nous savons, messieurs, à quoi l'on fait allusion lorsque l'on parle ainsi. A part les dépenses militaires, que je mets hors de cause, il n'y a que les dépenses de l'instruction publique qui soient susceptibles d'une réduction dans le sens des idées de la droite. (Interruption.) Je vous défie de trouver dans nos budgets d'autres articles qui aient subi une augmentation qui vaille la peine d'être mentionnée, sauf l'augmentation des traitements des fonctionnaires, des magistrats et du clergé. C'est pour l'instruction publique que nous sommes de grands coupables, que nous sommes criminels. Mais, quant à nous, nous ne nous croyons pas encore assez coupables, pas assez criminels.
- Voix nombreuses à gauche. - C'est cela ! Très bien !
MfFOµ. - Je ne remonte pas à 1847, je ne prends que de notre deuxième administration. En 1858, le budget de l'enseignement supérieur était de 898,000 francs, et nous l'avons porté à 1,077,000 francs. Le budget de l'enseignement moyen était de 787,000 francs, nous l'avons porté, pour 1864, à 1,158,000 francs. Le budget de l'enseignement primaire était de 1,498,000 fr. et avec l'amendement soumis à la Chambre par mon honorable collègue de l'intérieur, il sera porté, pour 1864, à 2,800,000 fr., c'est-à-dire qu'il sera presque doublé. Les dépenses de l'instruction publique étaient, en 1858, de 3 millions ; en 1864, elles dépassent 5 millions et, si nous conservons le pouvoir, ces dépenses s'accroîtront encore, nous l'espérons, dans une forte proportion.
Ainsi, messieurs, si nous jetons un regard sur le passé, nous voyons :
La réforme douanière accomplie ; les octrois abolis ; le péage de l'Escaut supprimé ; la défense nationale assurée ; des routes et des canaux construits sur tous les points du royaume ; le réseau des chemins de fer immensément étendu ; le régime de nos fleuves et rivières amélioré ; la voirie vicinale largement subsidiée, de nouveaux établissements pénitentiaires et de réforme fondés ; de nombreuses maisons d'école érigées ; tous les traitements augmentés ; le budget de l'enseignement notablement accru ; le budget de l'enseignement primaire presque doublé ; les impôts réduits : tels sont les actes que nous avons le droit de soumettre avec confiance au jugement du pays. (Interruption.)
M. Coomans. - Pourquoi avez-vous donné votre démission, si vous êtes si populaire ?
MpVµ. - M. le ministre, désirez-vous vous reposer un instant ?
MfFOµ. - Non, M. le président.
MpVµ. - La parole est continuée à M. le ministre des finances.
MfFOµ. - Mais pour accomplir tout ce programme, qui est le vôtre, était-il besoin, et ici je réponds à la question de l'honorable M. Coomans, était-il besoin d'un changement de cabinet ? Non ; si votre programme ne contenait que les réformes que j'ai analysées, si ce programme n'était pas un masque derrière lequel vous cachez vos opinions et vos doctrines. (Interruption.) Si vous ne voulez rien de plus que les réformes que vous avez inscrites dans votre programme, reconnaissez donc que votre opposition a été injuste et partiale.
Mais votre programme est un masque, et vous vous êtes chargés vous-mêmes de le prouver. Est-ce que pour accomplir la réforme électorale, vous aviez donc besoin de demander la faculté de destituer les fonctionnaires publics ? Est-ce que vous vous attendiez à trouver des fonctionnaires publics disposés à vous combattre ouvertement, parce que vous vous proposeriez d'améliorer la situation financière, d'opérer des réformes douanières, de faire une réforme électorale ? Si vous ne vouliez pas arriver au pouvoir pour faire triompher vos principes, abrités sous le masque que nous venons de vous arracher, qu'aviez-vous besoin de la faculté de destituer les fonctionnaires publics ? Qu'aviez-vous besoin d'être armés de la faculté de dissoudre les Chambres ? Cette dissolution s'explique-t-elle, peut-elle s'expliquer, si c'est uniquement pour les réformes dont je viens de faire l'analyse que vous vouliez arriver au pouvoir ?
Oh ! messieurs, il y a autre chose dans tout cela. Il y a un autre programme écrit, que je vous défie de rétracter, que vous serez condamnes à exécuter, qui porte vos noms à vous tous, et que vous avez espéré nous dissimuler. Ce programme écrit, énonçant, article par article, chacune de vos doctrines, chacune de vos prétentions, je vais vous le citer textuellement, et je défie aucun de vous de vous lever pour déclarer que vous êtes opposé à une partie quelconque de ce programme.
« Art. 1er. L'enseignement officiel ou public à tous les degrés doit être strictement subordonné à l'insuffisance bien constatée des établissements libres ; il ne peut jamais être admis à titre de concurrence et qu'à la condition pour l'Etat de suspendre son action dès qu'elle devient superflue. »
Voilà l'article premier de votre programme ; voilà ce que vous serez tenus d'essayer d'accomplir, lorsque vous serez au pouvoir. Eh bien, voyons : en fait d'enseignement supérieur, il y a eu Belgique deux universités libres ; cela suffit ; vous supprimerez les deux universités de l'Etat. (Interruption.) Cela est écrit en toutes lettres dans le programme,
« L'enseignement officiel ou public doit être strictement (les mots sont pesés) subordonné à l'insuffisance bien constatée des établissements libres. »
Or, n'est-ce pas trop que quatre universités pour la Belgique ? Deux universités libres suffisent ; il faut supprimer les deux universités de l’Etat. Du reste, c'était le rêve de l'honorable M. Dechamps dès 1835. Et puis, il ne vous est pas permis de contester une seule ligne de ce programme : c'est le programme du congrès de Malines ; vous êtes incompétents ; vous êtes tenus de l'exécuter tout entier, textuellement, sans y rien changer. (Interruption.) Il fallait le combattre, quand vous étiez au congrès de Malines.
M. Coomans. - Je n'y étais pas.
MfFOµ. - Vous allez peut-être le désavouer ? Est-ce que l'on n'a pas demandé au congrès de Malines l'approbation de toute votre conduite parlementaire ? Avez-vous oublié le discours qui y a été prononcé à ce sujet par l'honorable M. B. Dumortier ? Ecoutez-le :
« Puisque vous avez bien voulu m'accorder quelques instants la parole, je demanderai à l'assemblée de sanctionner solennellement ici la conduite politique que les défenseurs de la cause religieuse ont tenue dans nos Chambres législatives. Je la prie de se prononcer énergiquement contre les atteintes portées à notre culte, à notre conscience et à notre foi. »
Ces paroles ont été vivement et généralement applaudies. Donc vous avez des doctrines, donc vous avez des principes, donc vous avez un vrai programme, donc vous vous présentez ici avec un masque !
Mais, venons maintenant à l'enseignement moyen. Puisque, d'après l'article premier du programme « l’enseignement officiel ou public ne peut jamais exister à titre de concurrence, ni être admis qu'à la condition pour l'Etat de suspendre son action dès qu'elle devient superflue », la suppression des athénées de l’Etat est de droit. (Nouvelles réclamations à droite.)
Oh ! je sais bien que vous rencontrerez des obstacles ; je sais bien que cette suppression n’est pas un acte facile à accomplir ; mais vous serez tenus de faire de constants efforts pour y arriver.
En effet, n'existe-t-il pas, dans les villes qui sont le siège des athénées de l'Etat, de magnifiques établissements de jésuites qui peuvent parfaitement répondre à tous les besoins de la civilisation ? Ces établissements suffisent ; il faut supprimer l'enseignement moyen de l'Etat qui a été condamné, anathémisés dans les mandements des évêques.
Et ce n’est pas tout. Arrivés au pouvoir, il faudra vous attacher à reconstituer sur des bases solides cet ancien régime dont on rêve le retour. Nous avons des corporations d'enseignement sur tous les points du territoire. Mais il y a bien quelques petites choses qui les gênent ; elles n'ont pas la personnification civile : il faut des fraudes, des ruses, des interpositions de personnes pour pouvoir posséder des biens ; il faut mille artifices pour échapper au droit commun, au payement de l'impôt sur les transmissions ; il faudra que les corporations aient une position privilégiée.
C'est ce que demande le programme pour les corporations enseignantes.
Article 2, pris textuellement :
« La liberté de l'enseignement comprend essentiellement le droit de fonder et de doter les écoles, d'ériger ou de posséder les locaux nécessaires, de recevoir, d'accepter et d'administrer les libéralités, dons et legs, qui en assurent l'existence ou le développement, sous tel contrôle équitable que peut déterminer la loi. »
Ainsi donc, messieurs, le second but qu'on poursuit c'est le rétablissement des corporations enseignantes, le rétablissement de la personnification civile. (Interruption.)
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
MfFOµ. - Je suis vraiment étonné de ces interruptions ; j'affirme que je cite textuellement dans les actes du congrès de Malines.
M. B. Dumortier. - Ah ! bah ! Ce sont là des opinions individuelles !
MfFOµ. - Comment ! des opinions individuelles ; c’est le texte même des résolutions de l’assemblée.
M. de Naeyer. - Elles n'obligent aucun membre du congrès ; lisez les statuts.
MfFOµ. - Très bien ! Mon Dieu ! veuillez remarquer qu'en lisant ce programme que j'extrais textuellement des actes du congrès de Malines, je ne vous empêche nullement de le désavouer. Vous êtes parfaitement libres de déclarer que tout cela est détestable, et j'y applaudirai. (Longue interruption.)
Mais ce n'est pas assez. Il faudrait avoir aussi un moyen d'intéresser, par exemple, les provinces et les communes à livrer leurs fonds, leur budget de l’enseignement, aux corporations enseignantes.
Eh bien, avec un peu d'habileté, on peut trouver le moyen : si, par exemple, on autorisait les provinces et les communes à recevoir des dons et des legs au profit de l'enseignement ? Si l'on faisait respecter la clause qui oblige à laisser administrer ces fondations par les personnes désignées par le fondateur, les communes ayant ainsi reçu ces fondations, seraient intéressées à les subsidier. En conséquence :
« Art. 3. Les provinces et les communes doivent être déclarées aptes à recevoir des legs et libéralités en faveur de l’enseignement à tous les degrés, et spécialement des établissements désignés par les testateurs ou dotateurs, à la charge d'observer fidèlement les conditions posées par ceux-ci. »
La liberté communale... on s'en occupera quelque autre jour.
Remarquez, messieurs, qu'il ne s'agit pas du tout de ce système discutable que quelques-uns de nos amis avaient mis en avant, à savoir la faculté pour la commune de recevoir des donations pour les appliquer immédiatement à l'instruction. (Interruption) Non : il ne s'agissait pas là de fondation. Il n'y a pas la moindre analogie entre les deux systèmes ; ils sont séparés par toute la distance qu'il y a entre une somme que l'on dépense et une fondation.
Mais, messieurs, les corporations ont surtout besoin de fondations. Le prince-archevêque de Malines, M. de Méan, écrivant en 1830 au Congrès national, demandait qu'on insérât dans la Constitution une disposition qui eût permis aux associations religieuses et de bienfaisance, c'est ainsi qu’on nomme les couvents, de recevoir à concurrence d'une certaine somme. Le Congrès, vous le savez, refusa catégoriquement d'accueillir cette demande ; mais, depuis trente ans, on proteste, par les actes, avec une énergie incroyable pour reconquérir ce privilège, Tous les moyens sont mis en œuvre ; tontes les combinaisons les plus artificielles ont été conçues pour y parvenir ; mais comme, en définitive, la législation ne permet pas de recevoir suffisamment par donation ou par testament, les corporations poursuivirent le rétablissement de ce même privilège, à l'aide de la loi de 1857.
Certes, si une loi a été fatale, c'est bien celle-là : elle a profondément troublé le pays ; elle l'a profondément ébranlé. En supposant que la pensée fût bonne, qu'elle fût pure, encore des hommes sages, des hommes plus amis de leur pays que de ces prétentions, auraient-ils déclaré qu'il ne fallait plus revenir sur une législation aussi antipathique aux populations.
Eh bien, non, messieurs, vous jetterez au pays ce nouveau défi, cette provocation, cette menace. Voici l'article 4 du programme.
« La liberté de la charité implique le droit de faire tous les actes nécessaires à la fondation, au développement et à la perpétuité des œuvres charitables.
« En aucun cas, et sous aucun prétexte, l'Etat, ou en son nom l'assistance officielle, ne peut se substituer à la charité privée, soit dans la direction et l'administration des œuvres, soit pour l'exécution des conditions assignées à une donation ou à un legs par un bienfaiteur charitable. »
Ainsi, le pays est averti : quand on le pourra, quand on l'osera, ces mesures qui ont été si énergiquement repoussées, on essayera de nouveau de les imposer au pays. Voilà pourquoi on fait tant d'efforts, tant d'alliances, pourquoi on prend tant de déguisements pour essayer d'arriver au pouvoir.
Et ce n'est point assez encore. Nous venons de voir que, pour la liberté de l'enseignement, on arrive à faire des fondations en vertu de cette liberté ; que pour la liberté de la charité on refait les fondations pour les œuvres de bienfaisance.
Mai's il y a des établissements qui ne peuvent être rangés ni dans l'une ni dans l'autre de ces catégories. Il a donc fallu penser aussi à quelque moyen tour les favoriser. Aux termes de nos lois, de la loi civile, il n'y a de société que lorsque des personnes se réunissent en vue de mettre quelque chose en commun pour en partager les bénéfices. Ce n'est point là une définition arbitraire ; elle résulte de la nature des choses ; elle exprime les conditions essentielles de la société, que 1a science du droit a constatées et n'a point créées. On peut faire des associations, d'ailleurs parfaitement licites, mais elles ne constituent pas la société telle que la définit le Code civil. Ce sera une indivision, une communauté ; ce ne sera pas la société.
Or, il s'est trouvé que d'habiles juristes ont découvert que si l'on voulait bien modifier cette disposition du Code civil, on arriverait à rétablir purement et simplement les corporations sans aucune intervention législative.
Eh bien, messieurs, ce vœu clairement exprimé au congrès de Malines a été formulé dans une résolution qui constitue l'article 5 de votre programme :
« L'assemblée exprime le vœu que les ordonnances, décrets, arrêtés, règlements et lois sur le droit d'association en général et les sociétés ou associations en particulier, soient réformés conformément à l'esprit et au texte de l'article 20 de la Constitution belge et sur la base du droit commun. »
Messieurs, c'est là votre véritable programme, c’est celui que vous serez tenus de chercher à accomplir. (Interruption) Malgré vos protestations, quoi que vous disiez, vous serez contraints d’essayer de réaliser ce programme, ce que d’ailleurs vous avez fait déjà. S’il n’en était pas ainsi, je vous demanderai pourquoi vous avez convoqué le congrès de Malines, pourquoi vous avez pis ces résolutions, et pourquoi vous avez notifié au pays que c’était le grand but à poursuivre par le parti catholique ?
A ce congrès, vous avez essayé de couvrir sous des apparences libérales ces actes que je viens de signaler de nouveau à l'attention de la Chambre et du pays. Des discours ont été prononces qui étaient tout en faveur de la liberté. M. Dechamps s'était promis de les porter à cette tribune et de nous sommer de déclarer si nous adhérions à ces principes de liberté ; mais, au grand étonnement de l'honorable membre, ce discours était à peine prononcé, qu'il était dénoncé à Rome ; et ceux qui élevaient la voix, c'étaient des organes importants de l'opinion catholique en Belgique.
Dans cette lutte, qui a fléchi ? qui a succombé ? Sont-ce les doctrines que l'honorable M. Dechamps a défendues qui ont reçu l'approbation de Rome, ou bien sont-ce les doctrines contraires qui ont été approuvées ?
.M. Dechamps. – Non.
(page 449) MfFOµ. - Prenez garde ; ne vous aventurez pas.
.M. Dechamps. - Ni vous non plus !
MfFOµ. - Oh, je sais parfaitement sur quel terrain je marche !
Messieurs, l’honorable membre qui m'interrompt voudrait faire croire qu'il a été vainqueur dans ce combat. On s'est adressé à Rome de part et d'autre. L'honorable membre a envoyé des mémoires pour défendre les doctrines de son illustre ami ; mais ceux qui l'avaient dénoncé s'y sont présentés aussi ; les rédacteurs du Bien public, je puis les nommer, c'est une espèce d'institution catholique comme l'était l’Univers, condamnant le discours de l'honorable membre comme contenant des principes hétérodoxes, ils ont adressé au saint-père la collection complète de leurs œuvres, où sont attaqués les principes les plus essentiels de notre Constitution, et dans lesquelles ces principes sont déclarés contraires aux doctrines catholiques.
En réponse à ses mémoires justificatifs, M. Dechamps a reçu un accusé de réception assez froid, assez insignifiant ; mais les rédacteurs du Bien public, et à leur tête un honorable sénateur, chef de la droite au Sénat, ont reçu la lettre suivante qui, à mes yeux, a une haute gravité :
« Le saint-père a reçu la collection complète du Bien public, dont vous et les autres propriétaires et rédacteurs du journal avez fait hommage à Sa Sainteté, ainsi que la lettre respectueuse, en date du 31 décembre dernier, qui accompagnait cet envoi. Le saint-père a reçu ce don avec une véritable satisfaction, et en même temps il a apprécié l'esprit dont vous êtes tous animés dans votre entreprise ; il a apprécié le courage avec lequel vous surmontez les difficultés que le caractère propre de notre temps ne laisse pas d'opposer à toute bonne œuvre, Le but poursuivi par chacun de vous est bien recommandable, comme aussi le courage qui vous anime.
« Défendra la religion et l'Eglise, proclamer ses enseignements sans aucun égard aux opinions particulières, tel est, sans aucun doute, le moyen de recueillir des fruits qui tourneront à l'avantage de la société chrétienne et civile.
« En vous faisant connaître es sentiments du saint-père, je dois ajouter encore, en son nom, qu'il vous remercie pour le don en lui-même, et je vous transmets la bénédiction apostolique qu'il vous accorde à tous de tout son cœur.
« Je vous prie de vous rendre auprès de vos collègues l'interprète du contenu de cette lettre, et je suis heureux de vous exprimer les sentiments de ma considération distinguée.
« Rome, 9 février 1864.
« (Signé) G. card. Antonelli. »
Messieurs, ce n'est pas là un acte insignifiant ; c'est un acte d'une extrême gravité, que l'approbation qu'on donne ainsi aux doctrines qui sont enseignées par le Bien public. Je sais bien que la plupart d’entre vous, sinon tous, vous avez combattu ces doctrines ; je sais que vous avez voulu nous élever contre les principes qui sont défendus par la presse que je viens de signaler. Mais vous avez des adversaires plus puissants que vous. Ceux qui défendent ces principes, ce sont les jésuites... (Interruption.) Je m'étonne véritablement... (Interruption.)
Je considère ceci comme étant de la plus grande importance pour le pays. (Interruption.)
.M. Dechamps. - Les jésuites sont divisés sur ces questions.
MfFOµ. - L'honorable M. Dechamps doit savoir que, de tout temps, à toutes les époques, on a toujours trouvé deux jésuites d'opinion différente sur une même question ; mais ce sont des opinions individuelles. Il en est tout autrement quand il s'agit de la doctrine du corps, de la doctrine de ceux qui dirigent la société, et ceux-là seuls ont qualité pour parler. (Interruption.)
Eh ! messieurs, les jésuites ferment une corporation puissante, respectable, qui a un grand but, qu'elle poursuit avec une persévérance et une ténacité que rien ne peut ébranler ; c'est une corporation qui veut restaurer l'influence de la papauté, lui rendre la direction morale de la société, rétablir l'unité de croyance et qui a basé toute sa doctrine sur ces fondements immuables : cette société a des principes à faire prévaloir et elle a su les défendre énergiquement à toutes les époques. Elle a été longtemps proscrite, dispersée ; après les guerres de la révolution et de l'Empire, elle s'est retrouvée pleine de vie, en Espagne, en France et en Italie. En France et en Espagne elle a perdu la royauté. En Italie, à l'avènement de Pie IX, elle avait excité contre elle l'hostilité de tout le pays ; par une fidélité inébranlable à ses principes, elle ne pouvait dissimuler son opposition aux réformes que le pape voulait inaugurer dans ses Etats ; son opposition fut tellement prononcée, que le pape dut inviter les jésuites à quitter Rome. Ils se retirèrent à Naples, où ils fondèrent la Civiltà catolica, qui, depuis la première jusqu'à la dernière ligne, soutient des principes diamétralement opposés à ceux qui ont triomphé dans la société moderne.
Ni la liberté de conscience, ni la liberté des cultes, ni la liberté d'opinion, ni la liberté de la presse, aucune de ces libertés ne peut être érigée en principe ; ce sont des faits regrettables, que l'on peut tolérer, grâce au malheur des temps, mais qu'il faut détester. Telles pour les doctrines qui sont précitées, enseignées, publiées par une fraction notable du parti catholique.
Or, messieurs, des deux partis qui divisent les catholiques quel est celui qui a l'autorité, quel est celui qui a la puissance ?
Nous l'avons vu dans notre pays, sans chercher des exemples ailleurs.
Les jésuites ont voulu s'emparer de l'université de Louvain. Les jésuites ont combattu la philosophie qui était enseignée dans cette université sous le patronage de nos évêques. Deux fois l'évêque de Liège se rendit à Rome pour aller réclamer contre l’opposition qui lui était faite par les jésuites, et deux fois il en revint, l'âme navrée, et convaincu que ce n'était pas l'autorité épiscopale qui devait prévaloir. Les jésuites ont fait condamner à Rome les doctrines qui étaient enseignées à l'université de Louvain. (Dénégations à droite.)
MfFOµ. - Vous avez grand tort de faire ces dénégations.
M. Coomans. - Nous ne sommes pas un concile.
MfFOµ. - Vous comprendrez tout à l'heure, M. Coomans, comment les plus grands intérêts du pays sont engagés dans cette question. Il s'agira de savoir si, lorsque vous aurez à compter avec cette corporation qui domine l'épiscopat, qui domine Rome elle-même, qui vous domine et vous entraîne, nos institutions constitutionnelles ne seront pas compromises ! (Longue interruption.)
M. de Liedekerke. - Nous ne voulons pas vivre sous le régime des corporations maçonniques. (Nouvelle interruption.)
MfFOµ. - Je reprends, messieurs.
L'évêque de Liège mort, l'évêque de Liège qui n'avait pas permis aux jésuites d'ouvrir leur église au public, a pour successeur un prélat désigné par les jésuites. Dès ce jour, ce sont les jésuites qui ont toute influence. Ceux qui avaient été les adversaires des jésuites dans l'enseignement, au séminaire et dans la chaire, tous ceux-là sont renversés ; ils sont remplacés par des hommes dévoués aux doctrines des jésuites.
Nous avons eu pendant deux ans un ministère de la droite ; il a été sommé par des mandements publics d'exécuter certaines sentences épiscopales contre des professeurs qui enseignaient des doctrines hétérodoxes, ou qui publiaient des livres non approuvés par l'Eglise. Nos établissements publics d'instruction ont été dénoncés comme des foyers de pestilence où des remèdes énergiques devaient être appliqués. Les ministres ont résisté ; ils ont essayé de faire intervenir Rome, et ils n'ont rien obtenu ; leurs adversaires étaient plus puissants qu'eux. Ce sont ces mêmes adversaires que vous aurez contre vous. Ce seront eux qui vous dicteront votre programme, et qui vous sommeront de marcher lorsque l’heure paraîtra propice, quoi que vous fassiez pour leur résister.
Et voilà, messieurs, pourquoi ie libéralisme est debout et prêt au combat ! Voilà comment on lui a tracé son programme !
Ce programme, c'est la défense de nos institutions, c'est la défense des principes consacrés par le pacte fondamental ! La Constitution proclame des principes, non des faits accidentels et toujours révocables, et ces principes, tous les jouis attaqués par les organes de cette puissante corporation, seront tous les jours défendus par nous.
Ecoutez le résumé des doctrines de la Civiltà Cattolica, des doctrines des jésuites, et vous apprendrez « qu'on peut admettre, toutefois avec des réticences, certaines libertés, qu'on peut obéir à la Constitution, qu'on peut prêter serment à cette Constitution libérale, mais à la condition de la subir plutôt que de l'accepter, d'en blâmer l'origine et les principes, de les regretter, d'en gémir sans cesse, de ne lui prêter qu'un serment provisoire avec la réserve de le violer le plus tôt possible, d'en déplorer tous les jours les résultats, de condamner pour l'avenir la liberté qu'on déclare utile et nécessaire pour le présent, et de dire aux dissidents : Je défends avec vous la liberté de l'Eglise, je défends avec vous la liberté générale, mais quand nous serons les plus forts, nous vous enlèverons la vôtre ! »
M. Coomans. - Cette doctrine est une infamie.
M. Thonissenµ. - Cette doctrine n'est pas la nôtre, nous la repoussons formellement.
(page 450) MfFOµ. - C'est ce que j'ai l'honneur de vous dire.
Vous combattez cette doctrine, vous la dénoncez, vous la repoussez, mais cette doctrine est professée par la fraction la plus puissante du parti catholique en Belgique !
M. Nothomb. - C'est insensé !
MfFOµ. - Oui, c'est un parti insensé ! Mais ce parti insensé a perdu la royauté en Espagne, il l'a perdue en France, et le jour où il aura fait subir son influence à notre pays, il y aura certainement beaucoup à craindre pour la stabilité de nos institutions.
.M. Dechamps. - Y a-t-il aujourd'hui dans cette Chambre, y a-t-il eu depuis 30 ans dans le parti conservateur parlementaire un seul membre que vous pourriez nommer et qui ait professé les doctrines que vous attribuez à l'opinion catholique ?
MfFOµ. - Il semblerait, messieurs, que ce n'est pas une chose indifférente pour le pays que de constater l'existence d'un grand parti, très puissant et possédant presque tous les sièges épiscopaux....
M. Coomans. - Nous ne sommes pas les représentants des jésuites. Mettez-vous d'accord.
MpVµ. - M. Coomans, vous ne pouvez pas interrompre. Les interruptions amènent des incidents fâcheux.
MfFOµ. - Je dis que ce n'est pas chose indifférente de constater dans le pays l'existence d'un grand parti représenté par cette vaste et puissante corporation des jésuites, qui enseigne et défend énergiquement les principes que je viens d'indiquer ; ce n'est pas chose indifférente de voir la presse catholique, à peu d'exceptions près, se rallier à ces mêmes doctrines. (Interruption.)
Messieurs, je sais que j'accuse un état de choses qui est très grave et très pénible pour vous. (Interruption.)
Je suis parfaitement vrai, je ne fais aucune espèce d'exagération, et prévoyant bien les réclamations auxquelles mes assertions donneraient lieu, je vous avertis que le résumé que je viens de donner des doctrines que vous-mêmes qualifiez, est textuellement pris dans le Journal de Bruxelles.
.M. Dechamps. - La citation que vous venez de faire et qui est extraite du Journal de Bruxelles, a été écrite par moi. Eh bien, dans ce passage, je combattais la doctrine dont vous parlez.
MfFOµ. - Mais c'est ce que je dis. (Interruption ) Je crois avoir eu soin de dire, de répéter, et je répète encore que ces doctrines que je cite, celles de la Civiltà Cattolica, qui se trouvent également reproduites dans le Bien public, sont des doctrines que la plupart d'entre vous... (interruption), tous, si vous le voulez...
- Un grand nombre de membres à droite. - Oui, tous ! tous !
MfFOµ. - Tous, soit ; tous vous les repoussez ! (Nouvelles interruptions.)
Je prie l'honorable M. Nothomb de ne pas m'interrompre. Je ne lui impute absolument rien. Je le tiens pour le plus énergique défenseur des principes de la Constitution. J'affirme et je soutiens que M. Nothomb appartient à cette fraction du parti catholique qui est résolue à poursuivre à outrance tous ceux qui mettraient en question nos principes constitutionnels. Etes-vous satisfaits ?
M. Coomans. - Tous !
MfFOµ. - Tous ! tous, bien certainement ! Etes-vous satisfaits ?
- Plusieurs membres. - Oui ! oui !
- Des membres à gauche. - Taisez-vous alors !
MpVµ. - Messieurs, si vous êtes satisfaits, n'interrompez plus.
La parole est continuée à M, le ministre des finances.
MfFOµ. - Je dis, messieurs, que ce parti est puissant dans le pays, qu'il prêche ouvertement ses doctrines partout, qu'une grande partie de la presse catholique est entraînée par lui dans le même courant.
M. Coomans. - Non !
- Plusieurs membres. - N'interrompez donc pas.
MfFOµ. - De telles dénégations sont vraiment incroyables en présence des faits que chacun de nous connaît parfaitement ! Je répète donc qu'une grande partie de la presse catholique est amenée à défendre les mêmes idées, et je dis que c'est là un état de choses qui est extrêmement grave pour le pays. En admettant, en reconnaissant que tous les honorables membres de la droite protestent contre ces doctrines, même quand elles sont approuvées (interruption) à Rome, quand elles sont sanctionnées, non seulement dans la lettre au Bien public que je viens de vous lire, mais dans un bref du souverain pontife, adressé aux rédacteurs de la Civiltà Cattolica, quand la Civiltà Cattolica enfin est l'organe officiel et avoué des jésuites, je dis que, pour l'Eglise même, c'est une situation pleine de périls. (Interruption.)
MpVµ. - Je prie encore de ne pas interrompre. Il n'y a pas moyen de discuter ainsi.
MfFOµ. - Je prie l'honorable M. de Theux de vouloir bien faire un instant la police de la droite pour l'inviter à ne pas m'interrompre. Je n'ai plus que quelques mots à dire, et je ne parviens pas à achever.
Le libéralisme est debout et armé pour combattre, lui aussi, ces doctrines, et puisque vous les repoussez, puisque vous les condamnez comme il les repousse et comme il les condamne, dites-moi donc quel est le parti qui est le plus capable de résister à l'ennemi commun ? Sont-ce ceux qui sont engagés dans toutes les querelles de ce même parti catholique et qui admettent toutes ses prétentions, une seule exceptée, qui pourront être maîtres de la situation à une heure donnée ?
Je dis que la présence au pouvoir des catholiques, avec la constitution du parti catholique telle qu'elle existe aujourd'hui, serait un véritable danger pour le pays. (Applaudissements prolongés sur les bancs de la gauche.)
M. de Theuxµ. - Nous ne pouvons délibérer sous la pression des tribunes. Voilà deux fois que l'on y applaudit Je demande que M. le président fasse exécuter le règlement.
MpVµ. - J'ai regardé aux tribunes, et je n'y ai pas aperçu d'applaudissements. (Interruption.)
- La séance est levée à cinq heures.