(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1863-1864)
(Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)
(page 193) M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor, secrétaireµ, lit le procès verbal de la séance d'hier. La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre :
« Le comte Edgar Duval de Beaulieu prie la Chambre de décider que les décisions de la députation permanente sont sujettes à cassation et à révision et que nul ne peut être condamné par elles sans avoir été entendu. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Les sieurs Carpentier,VleGeyter et autres membres d'une société littéraire à Anvers demandent une loi qui règle l'usage des langues dans les affaires administratives et judiciaires. »
- Même renvoi, avec demande d'un prompt rapport.
« Les habitants de Bruges demandent une loi dans l'intérêt de la langue flamande. »
« Même demande d'habitants de Blankenberghe, Louvain, Rhode-St-Pierre, Nieuw-Rhode. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires cultivateurs et industriels d'Helchin prient la Chambre de réduire les droits d'accise sur la bière indigène. »
- Renvoi à la commission permanente de l'industrie.
« Des habitants de Mabompré demandent une loi qui règle le mode de sépulture. »
« Même demande d'habitants de Bertogne et Champion. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Decq fait hommage à la Chambre, de la part de l'auteur de 118 exemplaires de sa brochure intitulée : Revue rétrospective et sommaire touchant la question de la peine de mort, par un ancien membre des états généraux et du congrès national. »
- Distribution aux membres et dépôt à la bibliothèque.
Les sections de janvier se sont constituées comme suit :
Première section
Président : M. Lesoinne
Vice-président : M. de Kerchove
Secrétaire : M. Orban
Rapporteur de pétitions : M. De Lexhy
Deuxième section
Président : M. Van Leempoel
Vice-président : M. De Macar
Secrétaire : M. Verwilghen
Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt
Troisième section
Président : M. Faignart
Vice-président : M. Thienpont
Secrétaire : M. Snoy
Rapporteur de pétitions : M. Van Humbeeck
Quatrième section
Président : M. Ch. Lebeau
Vice-président : M. J. Jouret
Secrétaire : M. de Florisone
Rapporteur de pétitions : M. Bouvier
Cinquième section
Président : M. Van Iseghem
Vice-président : M. De Paul
Secrétaire : M. Van Volxem
Rapporteur de pétitions : M. Van Renynghe
Sixième section
Président : M. de Renesse
Vice-président : M. Jamar
Secrétaire : M. Magherman
Rapporteur de pétitions : M. Hymans
« M. Kervyn de Volkaersbeke, tenu par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. de Renesse. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des finances pour l'exercice 1864.
- Ce rapport sera imprimé et distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Les membres de la députation anversoise n'avaient pas l'intention de prendre la parole dans la discussion générale de l'adresse quant à la question anversoise ; mais le mot de « mouvement anversois » ayant été prononcé hier dans le discours de l'honorable M. Orts et ayant été accompagné d'appréciations que nous croyons peu exactes, j'ai cru devoir prendre la parole pour rectifier les inexactitudes qui ont été émises à ce sujet.
L'honorable M. Orts a déclaré hier dans son discours que l'échec subi par le ministère à Anvers n'est pas dû à l'influence du parti catholique. Ces paroles dans la bouche de l'honorable membre constituent un aveu qui donne pleinement raison à toutes les appréciations dans ce sens que nous n'avons cessé de présenter au pays.
On avait toujours représenté jusqu’ici le mouvement anversois comme un mouvement catholique, et, je le répète, M. Orts a ajouté que ce n’était pas à l’influence catholique qu’était dû le mouvement anversois.
Puis on a dit encore que la question anversoise est morte ; on l'a répété plusieurs fois, et pour appuyer ce dire, M. Orts a porté le défi à la minorité, arrivée au pouvoir, de se trouver en mesure de résoudre la question anversoise en donnant satisfaction à l'amiable aux Anversois.
Ce défi, je le relève, non pas comme membre de la droite, mais comme simple appréciation personnelle ; je défie l'honorable M. Orts de trouver dorénavant un ministère véritablement soucieux des intérêts généraux du pays qui ne s'efforce de résoudre la question anversoise dans l'intérêt même du pays.
Ne vous y trompez pas, le mouvement anversois n'a pas eu simplement pour but de demander la démolition des citadelles, de demander des indemnités pour les servitudes militaires extérieures ; il y a un autre motif excessivement important qui a poussé les Anversois à prendre l’attitude qu’ils ont prise. La population anversoise, aveuglée trop longtemps par la politique dite libérale du ministère, s’est aperçue que cette politique menait la Belgique droit à un abîme.
Les Anversois ont prouvé par deux élections successives que depuis trop longtemps les partis qui n'ont eu en vue dans leurs discussions politiques que de manger, qui du libéral, qui du clérical.
Les Anversois, poussés purement et simplement par les intérêts généraux du pays, ont voulu que tous les Belges pussent se réunir sur le véritable terrain des intérêts de la nation, et ils se sont efforcés de trouver la solution de différentes questions qui, si elles devaient ne pas être résolues, finiraient par perdre complètement notre nationalité.
Anvers veut être libérale, mais non pas comme le libéralisme doctrinaire voudrait que la Belgique le fût.
Anvers veut être libérale, mais sûr un terrain large, grand, constitutionnel et digne d'un peuple qui se respecte.
Messieurs, le ministère a voulu tuer la ville d'Anvers, et ce qui arrivera c'est que la ville d'Anvers aura tué le ministère.
Non seulement Anvers ne veut plus de cette politique doctrinaire, mais tout le pays nous suivra. Déjà dans un grand centre de population, à Liège, 4 membres en opposition avec l'association doctrinaire ont été élus. Vous en avez un qui a triomphé à Bruxelles.
Eh bien, messieurs, laissez faire le temps, et bientôt vous verrez le système politique complètement abandonné par la majorité de la nation.
Quel est le but de cette politique ?
Que veut le ministère actuel ?
Son but ou l'un de ses buts est de centraliser autant que possible tous les pouvoirs publics.
Son but, tout en attaquant les abus d'un autre âge, puisque ce mot est un terme dont on se sert souvent, est de remplacer tous les abus par un abus plus criant en présence de notre libre Constitution, l'abus du pouvoir.
Le gouvernement tend encore, et ceci n'est pas seulement une atteinte portée à la liberté, mais un démenti donné à toute notre histoire, à tout notre passé, il tend encore à faire disparaître nos anciennes traditions communales, et par là à nous faire oublier qu'alors que tous les peuples de l'Europe étaient plongés dans l'esclavage nous avions non seulement l'idée des libertés communales, mais nous étions tout à fait libres.
Le mouvement anversois, à part ce qui se rapporte aux servitudes et aux citadelles, est le résultat d'un besoin immense de décentralisation et de liberté qu'éprouve la nation.
Le programme de ce mouvement, au point de vue des idées de la grande majorité des électeurs d'Anvers, est large, digne et constitutionnel. Il accorde à chacun sa place au soleil.
Il veut que tous les Belges puissent vivre sur le pied de la plus parfaite égalité, que toutes les aspirations puissent se faire jour. D'après le (page 194) programme, ce n'est qu'après avoir passé par le creuset de l'opinion publique que le véritable progrès se fonde et devient vérité dans le gouvernement.
le programme du mouvement anversois assure toutes les libertés pour tous, le respect pour toutes les opinions, l'extension des libertés communales, la décentralisation, et au point de vue matériel, il est beaucoup de points que je ne puis toucher dans ce moment au sujet d'économies à faire dans diverses branches du service public et que nous aurons à développer plus tard lors de la discussion des budgets.
Le programme anversois ne veut pas permettre qu'une partie des Belges se voient complètement privés de leurs droits par une autre partie.
Le programme anversois ne peut pas admettre la thèse de l'honorable M. Orts qui prétendait hier que l'opinion libérale est seule apte à diriger les destinées du pays.
Cette manière de voir, messieurs, je le répète, est déjà adoptée non seulement par Anvers, mais par une grande partie du pays. Déjà des libéraux très sincères, ceux qu'on est habitué de nommer les avancés, se sont séparés, dans quelques grands centres de population, de la politique ministérielle et sont parvenus, je le répète, à Liège et à Bruxelles, à faire entrer des leurs dans la composition de la représentation nationale et des conseils communaux.
Du reste, messieurs, ce programmé ne doit pas étonner, et doit paraître très logique, car j'ai été heureux de voir hier, dans les développements donnés par l'honorable M. Dechamps, que le projet qui est un des points de notre programme, de remettre aux conseils communaux le droit de nommer les bourgmestres et échevins, a été accueilli avec faveur sur tous les bancs de cette chambre.
Messieurs, dans la politique qu'a suivie le ministère jusqu'aujourd'hui, il est un point que nos gouvernants ont complètement oublié ; c'est qu'ils sont appelés à régir une nation qui se laisse difficilement dominer, une nation jalouse de ses droits, jalouse de sa gloire passée, jalouse de ses libertés, et que toute mesure qui tend à priver cette nation de ses droits ou à les amoindrir, ne peut être acceptée par elle ; qu'elle sera repoussée, sinon immédiatement, du moins fatalement avec le temps, parce que de pareilles pressions ne sont pas possibles en Belgique.
C'est précisément ce sentiment d'indépendance et de justice qui fait que le pays ne voudra jamais accepter aucune espèce de domination, et ce que j'avance est si vrai, que je me permettrai de vous rappeler une phrase écrite dans une lettre qui restera à jamais célèbre, phrase due à l'illustre Souverain de la Belgique et que je trouve dans une lettre qu'il écrivait à l'honorable M. de Decker.
Messieurs, le Roi que toute l'Europe vénère et que toute l'Europe considère comme le monarque le plus éclairé et le plus expérimenté de l'Europe, le Roi comprenait admirablement cette situation.
Ce passage s'applique parfaitement à la situation et à la position du ministère actuel.
« Je n'hésite pas à le dire, il faut chez les partis de la modération et de la réserve. Je crois que nous devons nous abstenir d'agiter toute question qui peut allumer la guerre dans les esprits. Je suis convaincu que la Belgique peut vivre heureuse et respectée, en suivant les voies de la modération ; mais je suis également convaincu, et je le dis à tout le monde, que toute mesure qui peut être interprétée comme tendant à fixer la suprématie d'une opinion sur l'autre, qu'une telle mesure est un danger. La liberté ne nous manque pas, et notre Constitution, sagement et modérément pratiquée, présente un heureux équilibre. »
Voilà, messieurs, la leçon donnée par le chef de l'Etat aux partis politiques et à tout le pays. (Interruption.)
Un jour viendra, soyez-en persuadés, où la Belgique revenue de son erreur, et rendant justice à la ville d'Anvers, lui saura gré aussi de tout ce qu'elle a fait pour le bien de ses institutions ; un jour viendra où la Belgique saura gré à Anvers d'avoir pris l'initiative des grandes assemblées populaires dont l'honorable M. Coomans a pris la défense dans cette enceinte, ce dont je le remercie au nom d'Anvers ; de ces assemblées où peuvent venir se débattre d'une manière consciencieuse et en toute liberté les grands intérêts du pays.
Depuis longtemps, à ce propos, on cite l'Angleterre ; eh bien, permettez-moi, puisque je louais ce pays, de vous dire que ce sont précisément ces meetings, ces grandes assemblées populaires où se rendent non seulement les électeurs, mais tous les habitants du pays, que c'est dans ces assemblées, dis-je, que le gouvernement anglais puise sa force. Puisque notre Constitution a tant de rapport avec celle de l'Angleterre, nous devons, comme elle, la compléter, en permettant à tous nos compatriotes, comme ils en ont le droit, de venir discuter les intérêts du pays.
Je sais qu'à ces grandes réunions on trouve un défaut capital, c'est qu'on ne peut pas les diriger comme on l'entend. Cela est parfaitement vrai quand vous vous trouvez devant 5,000 ou 10,000 personnes, quand le lieu de réunion est accessible à toutes les forces vives de la nation ; libéraux, catholiques, libres penseurs, il est évident que le monde a le droit de venir exposer ses vues et ses espérances. C'est précisément parce qu'on ne peut pas exercer de pression sur ces grandes foules qu'elles offrent l'expression la plus complète des vœux du pays.
Anvers, de par la loi de 1859, est destinée à devenir le dernier refuge de notre nationalité ; Anvers doit un jour servir de refuge à tout ce que la Belgique a de cher.
Eh bien, messieurs, ce périlleux honneur, Anvers l'a accepté. Mais si Anvers est destiné à ce rôle, elle en remplit aujourd'hui un autre tout aussi glorieux ; c'est de sauver l'indépendance nationale en ramenant tout le corps électoral aux idées de nationalité, aux vieilles traditions communales.
La ville d'Anvers a sauvé le pays, parce qu'elle a combattu, elle la première, une politique systématique, et qui, en définitive, est la négation de toute liberté en Belgique, qui ne tend qu'à désunir tous les Belges, et qui n'a d'autre but que l'anéantissement de cette Constitution si belle et si justement vantée, pour le triomphe de laquelle toute la Belgique s'est levée comme un seul homme en 1830.
M. Hymans. - Encore un peu et l'honorable M. d'Hane-Steenhuyse sera le sauveur de la Belgique. (Interruption.) Il vient de nous le dire : Anvers a sauvé le pays, c'est lui qui a sauvé Anvers, donc c'est lui qui a sauvé le pays.
Anvers a ramené le corps électoral sur le véritable terrain constitutionnel, c'est-à-dire le terrain de la confusion des partis, à tel point qu'il est impossible à la députation d'Anvers de dire à quel parti elle appartient et de faire connaître son drapeau an pays.
M. Delaetµ. - Elle appartient au grand parti de la liberté.
M. Hymans. - Au grand parti de la liberté anversoise.
M. Coomans. - Et des hommes libres.
M. Hymans. - Et des Anversois libres.
L'honorable orateur qui vient de se rasseoir a déclaré que le mouvement anversois n'était pas un mouvement catholique. A coup sûr, le mouvement qui a envoyé au Sénat l'honorable baron Osy, dont je respecte les vieilles convictions, sincères et loyales, n'est pas un mouvement libéral.
Le mouvement qui a envoyé à la Chambre l'honorable M. Jacobs et l'honorable M. Delaet, ancien rédacteur de l'Emancipation belge, n'est pas un mouvement libéral. (Interruption.)
M. B. Dumortier. - Qu'est-ce que cela fait ? Le pays se moque bien de vos libéraux. Nous ne faisons pas les affaires d'un parti, nous faisons les affaires du pays.
M. Hymans. - Nierez-vous par hasard que vous appartenez à un parti ?
M. B. Dumortier. - J'appartiens avant tout à mon pays ; nous ne sommes pas ici pour nous occuper de ces misères.
M. Hymans. - Vous représentez sans doute le pays ; mais vous représentez, vous l'avez dit cent fois, une fraction du pays, et si vous représentez le pays, vous voudrez bien admettre avec moi, que les honorables députés d'Anvers le représentent comme vous, et qu'ils n'ont pas le droit de venir poser cette prétention inconstitutionnelle de représenter exclusivement la ville d'Anvers.
M. d'Hane-Steenhuyseµ. - Je n'ai pas cette prétention.
M. Hymans. - Vous avez cette prétention, car vous n'avez pas d'autre mandat dans cette enceinte que de demander la démolition des citadelles ; vous n'avez pas d'autre mandat que de demander satisfaction pour le mouvement anversois... (Interruption.)
Comment ! mais vous l'avez déclaré dans tous vos discours. L'honorable M. Jacobs l'a dit en toutes lettres. « Si nous ne pouvons obtenir du ministère actuel ce que nous désirons, a-t-il dit, nous attendrons sa chute. » Et évidemment après ce ministère, vous en aurez un autre auquel vous demanderez aussi la satisfaction de vos griefs et vous attendrez encore sa chute. Viendra un troisième ministère sous lequel se présenteront les mêmes circonstances ; en un mot, vous voterez contre tous les ministères qui n'accorderont pas satisfaction à la ville d'Anvers. Vous ne représentez, en un mot, ni un principe, ni une pensée politique ; vous ne représentez que le mouvement anversois. Ni catholiques, ni libéraux, tous Anversois.
M. Delaetµ. - Et heureux de l'être.
M. Hymans. - L'honorable M. d'Hane vient de nous dire qu'il se ralliait au programme de l'honorable M. Dechamps, à la réforme communale dont nous aurons quelques mots à dire tout à l'heure.
M. Delaetµ. – Il ne s'agit pas de cela du tout.
(page 195) M. Hymans. – L’honorable M. d'Hane a dit qu'il avait vu avec bonheur l'honorable M. Dechamps soutenir cette thèse de la nomination du bourgmestre dans le sein du conseil communal par le conseil lui-même, cette thèse, l'honorable M. Dechamps l'a combattue jadis.
Eh bien, je suppose que cette réforme si libérale, si nouvelle (elle est vieille comme les rues) soit proposée par le ministère actuel, la voterez-vous ? Vous la voteriez si les citadelles étaient démolies, vous ne la voteriez pas sans cela.
Oh ! l'honorable M. d'Hane est libéral, nous le savons.
Il siège à l'extrême droite ; il y a deux ans, il aurait siégé à l'extrême gauche. L'honorable M. d'Hane est moins catholique que moi, qui ne le suis pas. (Interruption.) Comment ! mais l'honorable M. d'Hane a nié la divinité du Christ. (Interruption.)
- Une voix à droite. - Allons donc !
- Voix à gauche. - Oui ! oui ! c'est vrai.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
MpVµ. - M. Hymans, vous ne pouvez pas reprocher à un membre de cette assemblée des opinions qu'il n'a pas émises ici.
M. Mullerµ. - Ce n'est pas un reproche ; c'est la constatation d'un fait. (Interruption.)
- Voix à droite. - C'est injurieux.
- Voix à gauche. - Ce n' est pas une injure ; c'est la constatation d'une opinion.
MpVµ. - La parole est continuée à M. Hymans.
M. Hymans. - Messieurs, je ne sais pas vraiment ce qui peut exciter à ce point l'indignation de la droite et de l'honorable M. Dumortier en particulier. Ce n'est pas même une opinion que j'exprime ; je constate un fait.
Je n'ai pas sous les yeux le travail de l'honorable membre ; mais il a été cité déjà dans cette enceinte par l'honorable M. De Fré, et d'ailleurs, je ne fais aucun reproche à l'honorable M. d'Hane de nier la divinité du Christ : il en a parfaitement le droit : nous sommes dans un pays constitutionnel ; nous n'avons pas de religion d'Etat ; nous pouvons professer, en matière religieuse, les opinions qui nous conviennent, et même n'en pas professer du tout.
M. B. Dumortier. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
MfFOµ. - Allons donc ! M. Hymans est parfaitement dans son droit.
M. B. Dumortier. - Pas du tout ; le règlement ne permet pas cela.
M. Hymans. - Comment ! ce n'est pas mon droit ? Mais l'honorable M. Dumortier oublie donc que, dans une discussion qui remonte à quatre années, il est venu me reprocher à moi ma religion ! (Interruption.)
- A gauche. - Oui ! oui ! c'est vrai.
M. B. Dumortier. - Vous n'avez pas de religion, comment donc aurais-je pu vous faire un pareil reproche ?
M. Hymans. - J'ai parfaitement le droit de n'en pas avoir....
MpVµ. - Pas d'interruption, messieurs.
M. B. Dumortier. - Pourquoi me met-on en cause ?
M. Hymans. - J'ai le droit de ne pas avoir de religion et vous n'avez pas le droit de me demander quelle est ma croyance.
M. B. Dumortier. - Pourquoi alors attaquez-vous M. d'Hane sur ce point ?
MfFOµ. - Il ne l'a pas attaqué ; il a simplement constaté un fait.
MpVµ. - Encore une fois, messieurs pas d'interruption. La parole est continuée à M. Hymans.
M. Hymans. - Comment, hier, l'honorable M. Dechamps est venu citer un article de journal signé de moi, sur la politique générale du pays, et je n'aurais pas le droit de citer une brochure que l'honorable M.d'IIane a signée en toutes lettres et soumise au jugement du public, brochure dans laquelle il a nié la divinité du Christ !
Du reste, n'insistons pas sur ce point ; je ne veux pas jeter d'irritation dars ce débat (Interruption.) Je n'ai pas dit un seul mot que je n'eusse le droit de prononcer. Je me suis insurgé contre cette prétention inouïe de l'honorable M. d'Hane de régenter la gauche et de rappeler, comme une leçon pour la majorité parlementaire, des paroles du Roi, alors que l'honorable membre a présidé des meetings, dans lesquels on a outragé le Roi et sa dynastie, sans qu'il ait trouvé un seul mot pour réprimer ni flétrir ces insultes.
- Voix à gauche. - Très bien !
M. Hymans. - Du reste, messieurs, laissons de côté ces questions de détail. Il est un fait acquis : l'honorable M. d'Hane est libéral ; il se prétend même plus libéral que nous et il vote avec les catholiques. (Interruption.)
M. B. Dumortier. - Oui, son libéralisme est le véritable libéralisme.
M. Hymans. - Bien plus, l'honorable M. d'Hane ose insinuer qu'il est ici plus que nous le représentant de la nation, parce qu'il est l'émanation des meetings, tandis que nous ne sommes, nous, que l'émanation des associations libérales.
- Voix à droite. - Assermentées !
M. Hymans. - Assermentées, soit ! Je ne sais pas même ce que ce mot veut dire. Mais que l'honorable M. d'Hane me permette de lui dire un mot de ces meetings dont on est venu faire ici l'éloge fort inutilement.
Mon Dieu ! nous aussi nous avons été dans des meetings et bien longtemps avant vous. Vous trouverez dans la gauche des membres qui on ont présidé et qui en président encore tous les jours.
Vous y trouverez des orateurs qui ont parlé dans les meetings et s'y sont fait applaudir. Vous en trouverez d'autres qui, avec plus de courage que vous, s'y sont fait huer. (Interruption.)
Du reste, avant d'être le candidat des meetings, l'honorable membre, n'a-t-il pas brigué une candidature dans les associations libérales assermentées ? (Interruption.)
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je n'ai pas brigué de candidature, j'en ai accepté une.
M. Hymans. - L'honorable membre n'a pas brigué la candidature, il l'a acceptée, tandis que d'autres à qui ont est venu offrir la candidature des meetings, ont eu le courage de la refuser, dans les conditions où elle était offerte.
Je ne connais pas d'assemblée où l'on soit moins libre que dans ces assemblées qu'on appelle des meetings.
M. Coomans. - Allons donc !
M. Hymans. - Vous avez pu vous y faire entendre, M. Coomans, parce que vous étiez de l'opinion de la majorité ; mais si vous aviez été de la minorité, on vous aurait jeté par les fenêtres. Les meetings sont cent fois plus intolérants que les associations que vous appelez assermentées ; personne ne peut les diriger, toute autorité y est impossible ; la seule excuse qu'on puisse trouver à l'étrange conduite qu'on y tient, c'est qu'il est impossible de les gouverner. M. d'Hane vient de le dire, il se défend de ce qui s'y est passé, il n'en accepte pas la responsabilité :
Que voulez-vous ! dit-il, le meeting est une chose impersonnelle, il se recrute on ne sait où ; on y trouve de tout, un député de Turnhout y défend les intérêts d'Anvers ; on y trouve une confusion digne de la tour de Babel et qui n'est comparable qu'au spectacle que nous présente la députation anversoise qui a l'honneur de siéger dans cette enceinte. (Interruption.)
Je crois n'avoir rien dit qui puisse motiver ces interruptions systématiques.
Je n'ai dit que ce que j'avais le droit de dire ; si j'ai parlé de la sorte c'est parce qu'en prenant place à mon banc, j'ai entendu les paroles extraordinaires de M. d'Hane. Si maintenant j'examinais le discours de l'honorable membre à un autre point de vue, je dirais que la discussion de l'adresse nous a apporté de profondes et de bien tristes déceptions ; on nous avait annoncé une levée de boucliers contre le ministère, contre la gauche, contre le corps électoral qui est encore, quoi qu'on en dise, avec le parti libéral.
Au congrès de Malines, un homme qui occupe la première place dans la magistrature du pays avait annoncé à l'Europe que la Belgique était dans une position critique, qu'elle était au milieu d'une crise qui devait mener le pays à la ruine, nos institutions étaient violées, nos libertés fondamentales foulées aux pieds chaque jour, qu'il fallait en finir avec l'arbitraire, réprimer ces abus, renverser les hommes qui étaient au pouvoir : au lieu de cela, depuis que la Chambre est réunie, qu'avons-nous vu ? On attendait avec impatience la discussion de l'adresse, parce que cette discussion devait embrasser toute la politique du cabinet, toute la politique libérale.
MM. Dumortier et de Theux avaient demandé deux fois l'ajournement du débat, pour qu'il pût être complet et ne fût pas interrompu. Après cela, que voyons-nous ? Nous voyons se lever l'honorable M. Royer de Behr qui ne dit rien, qui vient protester contre quoi ? Contre le culte du veau d'or.
On adore le veau d'or sur vos bancs aussi bien que sur les nôtres, il y a parmi vous autant et plus d'administrateurs de sociétés anonymes que parmi nous.
M. de Mérode. - Qu'est-ce que cela fait ?
(page 196) M. Hymans. - Si cela ne fait rien, que signifient les paroles de l'honorable membre ?
M. Royer de Behr. - J'ai parlé des élections.
M. Hymans. - Alors il n'y a d'adorateurs du veau d'or que parmi vous. (Interruption.)
Vous aviez affirmé que le pays entier était corrompu ; nous vous avons demandé les preuves de votre assertion ; vous ne les avez pas produites. Nous avons cassé les élections de Bruges pour cause de corruption bien constatée.
Ces actes de corruption, ils ne venaient pas de nous.
Si les paroles de l'honorable M. Royer de Behr n'avaient pas d'autre sens que celui qu'il leur donne aujourd'hui, je n'en parlerais pas davantage, ce n'est pas là un programme politique, ce n'est pas ce qu'on annonçait depuis six mois.
Le programme de M. de Behr contenait plusieurs autres détails du même genre : la nécessité d'abolir la peine de mort, de sauvegarder la liberté de la presse, et, par voie de digression, il a parlé de Joseph II et de Van Maenen.
Qu'est-ce que cela a de commun avec vos griefs d'aujourd'hui ? (Interruption.)
Je vais prendre vos griefs un à un et dire ce qu'ils valent.
L'abolition de la peine de mort, aurez-vous la prétention de dire que c'est une idée née dans vos rangs, une idée catholique ?
M. Royer de Behr. - Elle n'est ni catholique ni libérale.
M. Hymans. - Alors ne nous faites pas un grief de ne l'avoir pas réalisée.
M. Royer de Behr. - Je ne vous en fais pas un grief.
M. Hymans. - M. de Behr rétracte-t-il son discours ? Dans ce cas je n'en parle plus. (Interruption.)
Il le maintient, alors je demande pourquoi il est venu parler de toutes ces choses. S'il nous fait un grief de n'avoir pas aboli la peine de mort, qu'il s'adresse à M. Dumortier qui lui répondra encore que pour supprimer la peine de mort, il faut que MM. les assassins commencent ; car c'est M. Dumortier qui a dit ce mot qu'il n'avait pas inventé, qu'il avait pris dans les Guêpes d'Alphonse Karr. (Interruption.)
M. B. Dumortier est un partisan de la peine de mort et les hommes qui défendent la peine capitale appartiennent à la droite, sauf peut-être l'honorable M. Thonissen. (Interruption.)
Quels sont les hommes qui défendent l'abolition de la peine de mort ? L'apôtre de cette doctrine à l'étranger, c'est Victor Hugo. Et Victor Hugo est-il un des vôtres ?
M. Forgeur qui s'est mis à la tête d'une association dont le but est d'obtenir l'abolition de cette peine, est-il un des vôtre ?
M. de Brouckere qui a voté l'abolition dans cette Chambre était-il de vos amis ? M. Devaux, que vous attaquez tous les jours avec tant d'amertume, était-il assis sur vos bancs ? M. J. Jouret qui a fait la proposition d'abolir la peine, M. Prévinaire qui l'a votée et moi-même qui voterais peut-être dans le même sens, sommes-nous de vos amis ? Pouvez-vous nous faire un crime de maintenir une peine dont les principaux partisans sont vos coreligionnaires et vos disciples ?
Ave- vous le droit de nous faire un grief de maintenir une peine dont les partisans siègent parmi vos amis ? (Interruption.)
Je veux vous prouver uniquement que le réquisitoire de l'honorable M. Royer de Behr contre le cabinet n'a absolument rien de commun avec les questions politiques qui doivent nous occuper.
L'honorable membre a parlé de la liberté de la presse. Ici il s'agit d'une question plus actuelle.
M. Royer de Behr. - Nous présenterons un projet.
M. Hymans. - Vous présenterez un projet, soit. Je ne le connais pas, mais je dis d'avance que s'il est favorable à la presse, il trouvera moins de partisans sur vos bancs que sur les nôtres, et je rappellerai qu'une seule proposition qui paraissait restrictive de la liberté de la presse, l'obligation de signer les articles, a été combattue sur les bancs de la gauche après être née sur les bancs de la droite et faite par M. Orban, député catholique de Marche.
Quoi qu'il en soit, si la liberté de la presse est discutée dans cette enceinte, que l'honorable M. Royer de Behr croie bien qu'elle trouvera sur les bancs de la gauche des défenseurs tout aussi énergiques que sur les bancs de la droite, comme elle a déjà trouvé parmi nous un avocat pour la défendre avec l'éloquence que vous connaissez, dans un procès où elle n'avait pas la droite pour appui.
Maintenant que signifie l'invocation du souvenir de Joseph II ?
Je ne sais pas vraiment ce que nous avons à démêler avec Joseph II.
Si j'ai bien compris l'honorable membre, il nous a dit que Joseph II avait été cause que la Belgique avait été livrée pendant de longues années à la domination étrangère.
Je me permettrai de faire observer à l'honorable M. Royer de Behr que la Belgique était déjà sous la domination étrangère quand elle subissait le règne de Joseph II.
M. B. Dumortier. - Vous connaissez peu l'histoire de votre pays pour parler comme cela.
MpVµ. - M. Dumortier, n'interrompez pas.
M. B. Dumortier. - Mais qu'on ne dénature pas notre histoire. Ce n'est pas vous, M. le président, vous qui connaissez notre histoire, qui affirmeriez des choses pareilles.
M. Hymans. - M. le président, l'autre jour l'honorable M. de Theux s'est levé au milieu du discours d'un membre de la droite que personne n'interrompait, pour prétendre qu'il y avait une façon systématique d'interrompre les orateurs de la minorité,
MpVµ. - Je ferai remarquer à l'honorable membre que cela ne dépend pas de moi. Je ne cesse de rappeler qu'il est défendu d'interrompre.
M. Hymans. - Les interruptions ne me gênent pas, mais je tiens à constater que nous ne sommes pas les seuls interrupteurs.
Je ne comprends pas vraiment que l'honorable M. Dumortier prenne plaisir à se faire donner des leçons.
Qu'est ce que cela signifie, prétendre que sous Joseph II la Belgique était indépendante ? La Belgique était alors sous le joug de l'Autriche. Est-ce que l'Autriche n'était pas une puissance étrangère ?
M. B. Dumortier. - Elle n'était pas sous le gouvernement de l'Autriche.
M. Hymans. - Vraiment, c'est comme si vous me disiez que Venise n'est pas sous la domination autrichienne.
Quand éclata la révolution brabançonne, de triste mémoire, ne vous en déplaise, la Belgique proclama son indépendance, mais elle était retombée sous la domination de l'Autriche lors de l'invasion étrangère à laquelle faisait allusion hier l'honorable M. Royer de Behr et en 1815, lorsqu'il s'agit pour elle de conquérir les libertés constitutionnelles malgré le clergé qui demandait le maintien de l'ancien régime, c'est Vander Noot, le chef de la révolution brabançonne qui demandait qu'on remît son pays à la domination de l'Autriche.
Que signifie ensuite le souvenir de Guillaume Ier ? La révolution de 1830 a été faite contre Guillaume Ier par les catholiques et les libéraux réunis.
Les libéraux ont lutté à cette époque comme les catholiques pour les institutions qu'ils ont le bonheur de posséder aujourd'hui et nous ne sommes pas plus disposés à en abandonner les profits qu'à en abandonner la défense.
En somme, je crois avoir répondu à tout ce qu'a dit hier l'honorable M. Royer de Behr. Il ne reste plus, en fait de programme catholique, que celui de l'honorable M. Dechamps.
L'honorable M. Orts l'a dit hier, avec raison, nous nous attendions à voir l'honorable M. Dechamps nous apporter ici, comme il en avait pris l'engagement solennel, le discours ou plutôt reprogramme de M. le comte de Montalembert.
.M. Dechamps. - Il y a trente-trois ans que nous le professons.
M. Hymans. - S'il y a trente-trois ans que vous le professez, vous êtes bien coupable de ne pas nous l'avoir fait connaître plus tôt.
Mais le programme de M. le comte de Montalembert a été une surprise.
Il a été une surprise même au congrès de Malines ; il a été tel que si l'on avait pu prévoir qu'il se serait produit, on aurait probablement prié M. le comte de Montalembert de ne pas prendre la parole. (Interruption.)
Ce programme ne peut d'ailleurs avoir aucune portée pour un homme qui raisonne, puisque d'avance son auteur le soumettait à l'autorité infaillible de l'Eglise romaine. De programme pratique, il n'y en a point. Mais si j'ai bien compris le discours de M. le comte de Montalembert, la formule théorique de sa thèse c'est l'union de l'Eglise avec la démocratie.
Eh bien, je dis à l'honorable M. Dechamps qui ne nous a pas apporté ce programme : Apportez-le-nous, nous n'en voulons pas ! Pourquoi ? Pour une raison bien simple : quel que soit ce programme, il ne peut avoir qu'un seul but, celui d'assurer mieux la domination de l'Eglise. (Interruption.)
Or, peu m'importe à moi que la domination de l'Eglise s'affermisse par le despotisme ou par la démocratie. Je n'en veux en aucune façon. (Interruption).
Votre royaume n'est pas de ce monde. Nous ne voulons par aucun moyen la domination de l'Eglise dans les choses temporelles d'un pays libre et constitutionnel.
(page 197) La vraie formule du programme de M. le comte de Montalembert, ce n'est pas l'union de l'Eglise et de la démocratie, c'est le règne de l'Eglise par la démocratie et voilà ce que nous ne voulons pas.
Du reste, voyons quel est le sens pratique de ce programme ?
L'éloquence entraîne quelquefois. Le langage harmonieux de l'honorable M. Dechamps, qui vaut parfois celui de M. de Montalembert, peut séduire les populations comme il séduit les membres de la Chambre, mais, au fond, qu'y a-t-il ?
Pour commencer, que nous apporte l'honorable M. Dechamps ? Il nous a dit hier son programme. C'est la réforme communale.
.M. Dechamps. - Nous commencerons par là. Cela vous gênera beaucoup.
M. Hymans. - Nous verrons. Je crois que c'est vous que cela gênera. Qu'y a-t-il dans cette réforme communale vaguement annoncée, très peu expliquée et que je n'ai pu que deviner, car elle n'a été développée que par l'honorable M. d'Hane.
II y a deux choses : d'abord l'élection du bourgmestre par le conseil communal. Est-ce là ce que vous voulez ? (Interruption.)
Ou bien est-ce la nomination du bourgmestre par les électeurs ?
.M. Dechamps. - Nous vous le dirons.
M. Hymans. - Ah, vous ne le savez pas encore ! L'honorable M. d'Hane catholique et néophyte paraît n'être pas encore bien avant dans les secrets de ses chefs. Il nous a dit, lui, que c'était l'élection par les conseillers.
M. d’Hane-Steenhuyseµ. - Je ne parle pas au nom de M. Dechamps,
M. Hymans. - L'honorable M. Dechamps ne s'explique pas. Mais ce qui m'avait fait penser que c'était bien là le programme, c'est que j'ai lu dans les journaux que l'honorable M. Delaet avait l'intention de proposer à la Chambre de faire nommer les bourgmestres directement par les conseils communaux, que cette proposition serait faite dès l'ouverture de la session.
Voilà donc le premier élément de la proposition.
Le second élément, si j'ai bien compris, et c'est, je pense, dans le discours de l'honorable M. Royer de Behr que se trouve cette indication, c'est le suffrage universel étendu aux élections communales.
Eh bien, l'honorable M. Dechamps aime beaucoup à faire de l'histoire parlementaire et il la fait très bien. Je la fais beaucoup moins bien que lui. Je vais, cependant, essayer d'en faire un peu.
En 1835, la Chambre discuta la loi communale, l'honorable M. de Theux, mii'stre de l'intérieur à cette époque, proposa à la législature la nomination par le Roi du bourgmestre qui ne pouvait être, en même temps, membre du conseil communal. Il devait être président du conseil avec simple voix consultative. Voilà ce que proposait l'honorable M. de Theux en 1835, c'est-à-dire à une époque où le pays, d'après ce qu'on nous dit, à chaque instant, de l'autre côté de cette Chambre, était bien plus imbu des traditions du congrès national qu'aujourd'hui.
A cette époque l'honorable chef de la droite proposait la nomination de bourgmestre par le Roi, en dehors du conseil. Ce n'était pas là, je l'avoue, l'opinion de M. Dechamps. Il parla un jour sur cette question, et voici comme il s'exprimait.
« Le bourgmestre devient, par l'élection, le mandataire de la commune, et le choix du Roi le rend le représentant des intérêts nationaux. Le bourgmestre étant revêtu de la double confiance du Roi et de ses administrés, est censé réunir beaucoup plus de chances de capacités et de moralité que celui qui serait choisi par le gouvernement ou par le peuple exclusivement. Donc, il acquiert par là une confiance plus marquée et plus légitime dans la commune. »
L'honorable M. Dechamps, donc, demandait jadis que le bourgmestre fît partie du conseil communal, mais qu'il fût nommé par le Roi, attendu que de cette façon il était revêtu d'un double baptême, celui de la confiance populaire et celui de la confiance royale. L'honorable M. Dechamps, donc, autrefois professait la thèse contraire à celle qu'il défend aujourd'hui.
En 1842, l'on modifia ce système si sage, ce système qui donnait au bourgmestre le double baptême dont je parlais tout à l'heure. Et qui proposa le système de 1842 ? Fut-ce un membre de la gauche ? Non, ce fut le chef du cabinet d'alors, l'honorable M. Nothomb.
L'honorable M. de Theux proposa de permettre au Roi de nommer le bourgmestre hors du conseil. L'honorable M. Malou voulait qu'il fût toujours nommé hors du conseil, qu'en aucun cas il ne pût en faire partie. On admit la transaction que vous connaissez, et qui fut proposée par la section centrale. Le bourgmestre put être nommé hors du conseil, parmi les électeurs ayant 25 ans accomplis.
Qu'advint-il du système introduit par la droite ?
Il arriva qu'en 1848, lorsqu'une crise éclata en Europe, la première chose que dut faire le ministère libéral, fut de retirer la modification qu'on avait ainsi, sur la proposition d l'a droite, portée par la loi de 1842 à la loi de 1836. Ce fut par le ministère libéral que fut décrétée cette loi en vertu de laquelle le Roi pouvait prendre le bourgmestre hors du conseil, mais seulement sur l'avis conforme de la députation permanente.
M. Coomans. - C'était à peu près la même chose. (Interruption.)
M. Hymans. - Et il a été fat, je crois, très peu usage de cette prérogative. Je pense même que, s'il en a été fait usage, c'est une seule fois et c'est sous le ministère de l'honorable M. de Decker.
M. Coomans. - Maintenant on ne les nomme plus du tout, c'est plus facile.
M. Hymans. - L'honorable M. Coomans dit : On ne les nomme plus du tout. Vous devez en être enchantés.
Si c'est d'Anvers que vous parlez, vous devez évidemment être plus enchanté de voir maintenir à la tête du conseil communal de cette ville un homme qui jouit de votre confiance, que d'y voir envoyer par le Roi un homme qui n'en jouirait pas. Si c'est d'autres communes que vous parlez, ce n'est pas à vous qu'il appartient de vous en plaindre, c'est à nous, et l'honorable M. Dechamps se rappellera que l'an dernier, dans la discussion d'un budget, nous nous sommes plaints que le gouvernement n'eût pas pourvu à certaines places de bourgmestre, pour être agréable à votre parti, entre autres à Jumet, dans l'arrondissement de l'honorable M. Dechamps.
Vous voyez donc que la réforme que nous apportera l'honorable M. Dechamps comme étant issue du congrès de Malines, n'a rien de bien extraordinaire et que les honorables amis de M. Dechamps comme lui-même l'ont combattue en principe, parce qu'ils étaient partisans d'un système tout opposé, que l'honorable M. de Theux voulait avoir le bourgmestre nommé hors du conseil le plus souvent et l'honorable M. Malou toujours.
Vient la seconde partie du système, le suffrage universel appliqué aux élections communales. Voilà le côté démocratique du programme.
J'avais pensé, messieurs, que nous jouissions déjà, en matière de système électoral communal surtout, de droits excessivement démocratiques. Dans les petites communes, il suffit de verser 15 francs dans le trésor pour être électeur, j'ai toujours considéré cela comme étant une limite extrême.
J'ai souvent entendu dire que c'était trop démocratique, et où l'ai-je entendu dire ? Sur les bancs de la droite. Où l'ai-je lu ? Dans les journaux cléricaux. Si j'ai bonne mémoire, cette année même à propos du budget des voies et moyens, l'on a protesté contre le droit de compter la patente des débitants de boissons dans le cens électoral. On en a parlé souvent à la Chambre ; on en a parlé en sections tout récemment. On considérait cette patente comme donnant des droits électoraux à des citoyens qui ne présentaient pas assez de garantie. Et aujourd'hui, l'on vient, au nom du congrès de Malines, nous demander de supprimer complètement le cens électoral de 15 fr., d'accorder le droit de suffrage à tous les citoyens indistinctement, et il est probable qu'on nous proposerait le suffrage universel pour les élections législatives, si la Constitution le permettait.
Et je le comprends. Au point de vue de vos intérêts politiques, c'est parfaitement logique. Ainsi en matière d'élections communales, vous voyez parfaitement que les petites communes qui votaient avec vous commencent à vous échapper.
Vous ne pouvez plus compter sur les villes ; elles vous ont échappé depuis longtemps ; vous comptiez encore sur les petites communes, sur les parties rurales du pays, vous avez vu qu'elles vous échappaient et vous avez dit : Proclamons le suffrage universel ; il nous sera plus facile d'entraîner avec nous le prolétaire que le censitaire, et cela se conçoit ; l'intervention du clergé qui est aujourd'hui officielle, qui est dirigée, organisée, disciplinée, s'exerce évidemment avec beaucoup plus de facilité et à beaucoup meilleur marché sur de petits électeurs que sur des électeurs d'un rang plus élevé. Ne pouvant plus régner par les censitaires, on s'est dit : Régnons par le suffrage universel, et voilà le sens de l'Union de l'église et de la démocratie.
.M. Dechamps. - Ainsi la liberté, la démocratie et le suffrage universel favorisent, suivant vous, l'influence de l'Eglise ! Quel aveu !
MfFOµ. - Il ne s'agit pas de liberté.
M. Hymans. - Je pourrais à la rigueur refuser de m'expliquer sur ce point, comme l'honorable M. Dechamps refusait de s'expliquer tout à l'heure.
Nous ne voulons pas de ce suffrage universel, mais pourquoi ? Ce n'est pas que nous soyons les adversaires du suffrage universel en principe...
(page 198) M. B. Dumortier. - C'est parce qu'il n'est pas pour vous.
M. Hymans. - Je crois pouvoir le dire au nom de mes amis, dans «ne société parfaite, dans une société qui serait en quelque sorte l'idéal de la société humaine, nous serions les partisans du suffrage universel ; nous le serions dans un pays où tout le monde se rendrait compte exactement des droits qu’il exerce ; mais le suffrage universel dans les conditions actuelles, dans les conditions où vous voulez l’établir, d’après moi et d’après la grande majorité du pays, d’après tous les hommes de bon sens, ne serait pas autre chose que le triomphe de l’ignorance et de la superstition. Ce serait, en outre, le triomphe de la corruption.
Nous avons vu déjà avec quelle facilité on achète les voix de certains petits électeurs, mais la corruption ne s'exercera-t-elle pas bien plus facilement, ne s'exercera-t-elle pas sur une bien plus grande échelle par le confessionnal, par le sermon, par l'argent, par le refus de sépulture, par toutes les armes spirituelles et temporelles dont on dispose !
MfFOµ. - Voilà ce que vous appelez la liberté !
M. Hymans. - On usera bien plus efficacement de tous ces moyens avec le suffrage universel qu'avec le suffrage restreint, mais véritablement démocratique dont la Belgique jouit aujourd'hui.
M. Royer de Behr. - Elevez le cens !
M. Hymans. - Messieurs, je n'en dirai pas davantage aujourd'hui sur ce point ; quand nous saurons au juste en quoi consiste la réforme proposée par M. Dechamps nous la discuterons à fond.
J'ai voulu démontrer que sur le premier point, la nomination des bourgmestres, l'opinion actuelle de l'honorable M. Dechamps est contraire à celle qui a été exprimée par la plupart des membres de la droite depuis vingt-cinq ans ; j'ai voulu démontrer, quant au deuxième point, que le suffrage universel aurait pour but d'assurer pendant quelque temps (et ce temps ne serait pas long) la domination de l'Eglise, que la démocratie qu'on invoque ne serait en réalité qu'un instrument de pouvoir.
« Mais, dit l'honorable M. Royer de Behr, le suffrage universel est nécessaire, l'extension du suffrage est un besoin, parce que (oh ! quand j'ai entendu ces mots, je me suis demandé s'il fallait prendre au sérieux le discours de l'honorable membre), parce qu'il n'y a pas de vie politique en Belgique ! »
Mais, messieurs, jamais, à aucune époque, la vie politique n'a été plus active, plus ardente, qu'elle ne l'est en Belgique aujourd'hui. L'honorable M. Royer de Behr, qui n'a pas été combattu à Namur, peut dire qu'il n'y a pas de vie politique dans son arrondissement. Mais n'y a-t-il pas de vie politique à Anvers ? Ce qui se passe à Anvers n'est-il pas la preuve la plus évidente de la vitalité politique du pays ? N'y a-t-il pas de vie politique à Gand ? N'y a-t-il pas de vie politique à Bruges ? N'y a-t-il pas de vie politique à Nivelles ? N'y a-t-il pas de vie politique à Tournai ?
N'y a-t-il pas de vie politique à Bruxelles ? à Bruxelles ! je le demande à tous mes honorables collègues de la capitale ; nous en savons quelque chose : jamais les titres des candidats n'ont été discutés avec plus d'ardeur, jamais on n'a vu toutes les classes de la population se préoccuper de l'exercice du mandat parlementaire comme depuis quelques années. Pas une question ne se produit à l'horizon politique sans que immédiatement des meetings se réunissent partout. S'agit-il d'élections pour les Chambres, d'élections communales, de la Banque nationale, des douanes, immédiatement les meetings se réunissent et ces meetings, que M. d'Hane prétend avoir inventés, ils existent à Bruxelles depuis dix ans ; ils se réunissent partout ; on y cite à la barre les représentants de la nation ; on les interroge ; on les juge, et ce n'est point là la vie politique ! On voit même des candidats catholiques entrer en lice à Bruxelles, chercher à reconquérir cette influence que le parti catholique n'y retrouvera plus et aller jusqu'à faire publiquement alliance avec des libres-penseurs et même avec des solidaires... (Interruption.)
Les journaux catholiques l'ont dit hautement, pour renverser la majorité toutes les coalitions sont bonnes, pour renverser le ministère il faut accepter toutes les alliances. L'honorable M. Coomans lui-même l'a écrit et l'a signé.
Au lieu que la vie politique diminue, elle augmente tous les jours ; il y a, en quelque sorte, exubérance plutôt qu'inertie, et cela se conçoit.
La presse à bon marché fait descendre tous les jours les idées dans des rangs de la population où elles ne pénétraient point jadis. Chacun aujourd'hui se préoccupe des affaires publiques. Le cabaret, dont on plaisante souvent, que l'honorable M. Royer de Behr me reproche d'avoir appelé le forum moderne, le cabaret, tout s'y discute, les questions les plus graves.
M. Royer de Behr. - Je ne le blâme pas.
M. Hymans. - Vous avez raison, car lorsque vous en avez besoin, vous savez parfaitement en profiter.
Les réunions de tout genres, les meetings, la vie politique sous toutes ses faces ont pris aujourd'hui en Belgique un développement qu'elle n a jamais eu et c'est précisément ce qui nous tranquillise sur le sort de nos institutions. Ce n'est que lorsque la Belgique s'endormira, lorsque le corps électoral ne s'enquerra plus de ce qui se fait dans les Chambres, dans toutes les assemblées politiques, ce n'est qu'alors que la Belgique périclitera ; ce n'est qu'alors que nos institutions seront compromises. Mais ce n'est pas tant qu'elles recevront la vie et la lumière de la discussion publique, tant que tout homme pourra lire et discuter les débats des Chambres, ce n'est pas dans de pareilles conditions que la vie politique périra, et ce n'est point parce qu'elle périt que vous devez nous octroyer le suffrage universel.
De même que l'on nous dit qu'il n'y a pas de vie politique, l’on nous affirme que la liberté d'association est mutilée ; la liberté d'association est mutilée au profit des doctrinaires !
Je répondrai à cela par un chiffre.
Quand on parle de liberté d'association, l'on veut parler naturellement de la liberté de fonder des associations religieuses. Eh bien, voici les chiffres :
D'après l'exposé de la situation du royaume de 1850, celui de 1860, malheureusement, n'a pas encore paru ; il donnerait des chiffres plus significatifs encore ; en 1789, avant la révolution française, la Belgique comptait 601 couvents ou béguinages. En 1829, sous le régime des Pays-Bas, elle en comptait 280, et en 1846, elle en comptait 779, soit 178 de plus qu'en 1789, avant la révolution française.
M. de Haerne. - Il faut tenir compte de l'accroissement de la population.
M. Hymans. - Et l'on nous dit que ce n'est pas encore assez, qu'il en faut plus encore, comme l'a dit M. de Gerlache à Malines, et comme les Bénédictins de Termonde l'ont prouvé.
Eh bien, fondez-en. Qui vous en empêche ? Y a-t-il une loi qui y mette obstacle ? Y a-t-il une mesure préventive quelconque qui gêne la liberté d'association ? Mais il m'est impossible d'aller dans une ville de province, après six mois d'intervalle, sans voir de nouveaux couvents sortir de terre, et je n'ai jamais entendu dire que l'on opposât à la naissance de ces utiles établissements un obstacle quelconque.
La liberté de la charité, celle-là est mutilée aussi.
Je ne reviens pas en détail sur cette question. Elle a été discutée assez longuement dans la session dernière. Nous avons dit tout ce que nous avions à dire sur ce point, et si nous avions à le répéter, ce serait probablement à propos du budget de la justice. Mais il a été démontré à satiété au pays, que ce que l'on ne voulait pas vous accorder, c'était la liberté de fonder, de créer la mainmorte, de créer des personnes civiles, en un mot d'imposer votre volonté aux générations futures.
Quant à la liberté d'enseignement, vous ne voulez, dites-vous, de l'enseignement de l'Etat que pour combler l'insuffisance de l'enseignement libre, et l'on s'insurge contre ces mots, dans le projet d'adresse, que l'enseignement à tous les degrés est une dette sainte de l'Etat.
D'abord, c'est l'épithète qui blesse ; le mot « saint » appliqué à une dette pareille, à la dette de l'instruction qui est en définitive le pain de l'intelligence, cela blesse les honorables membres de la droite. Mais, mon Dieu, l'on a dit et l'on dit encore : le saint office, On a dit ; la sainte inquisition ! Pourquoi ne dirions-nous pas la dette sainte de l'enseignement ?
M. B. Dumortier. - La sainte instruction de l'Etat !
M. Hymans. - L'enseignement de l'Etat est une dette sainte. Nous voulons l'enseignement de l'Etat par une raison bien simple ; c'est que l'enseignement libre est incapable en Belgique de satisfaire aux nécessités du pays, et parce qu'en outre, l'enseignement libre n'offre pas aux populations et à ceux qui sont chargés de les gouverner, les garanties suffisantes. Elle n'en donne d'aucun genre. Cela a été démontré cent fois dans la Chambre, dans la presse. Je vais plus loin, je dis que s'il n'y avait pas d'enseignement de l'Etat, il n'y aurait pas d'enseignement libre. Je dis que l'enseignement libre ne naît que par la force des choses, comme une concurrence à l'enseignement de l'Etat. Vous appuyez l'enseignement libre, vous le stimulez pour faire concurrence à l'enseignement de l'Etat ?
L'enseignement de l'Etat est la seule raison d'être de l'enseignement privé, et si vous en voulez la preuve, lisons le premier rapport sur l'enseignement primaire, présenté à la Chambre en 1842, à la veille de la discussion de la loi formulée par M. Nothomb et vous y verrez que lorsque, en 1830, la liberté de l'enseignement eut été proclamée par le gouvernement provisoire et par le congrès, la proclamation de cette liberté fut (page 199) le signal de la décadence la plus complète de l'enseignement primaire, de la suppression même.
Vous y verrez que 1'indilférence s'empara du pays entier, qu'il fallut des efforts surhumains pour relever de ses ruines l'enseignement tombé aux mains défaillantes et impuissantes de la liberté, que l'enseignement ne parvint à renaître que grâce à l'Etat, lorsque la loi de 1842 lui eut imposé des obligations.
Et qu'arriva-t-il après la loi de 1842 ? Prétendez-vous que cette loi dont je ne discute pas en ce moment la portée politique, que je n'examine qu'au point de vue pratique de l'enseignement, prétendez-vous que cette loi ait, en quoi que ce soit, mutilé la liberté ? Prétendez-vous qu'elle ait empêché une école libre de s'ouvrir ? si vous le prétendiez, je vous répondrais encore par un chiffre.
Au 31 décembre 1840, avant la loi de 1842, il y avait en Belgique 5,189 écoles, parmi lesquelles 2,284 écoles privées.
Au 31 décembre 1863, après dix-neuf ans de pratique de la loi de 1842, il y avait en Belgique 5,568 écoles, sur lesquelles 2,463 écoles libres et adoptées.
C'est-à-dire qu'il y a eu, depuis 1840, augmentation de 379 écoles, et que sur ces 379 écoles, il y en a 179 libres, soit la moitié.
Prétendez-vous que la part n'est pas suffisante ? La part de la liberté, malgré toutes ces entraves que vous prétendez à tout instant y être apportées, est restée aussi considérable que la part de l'Etat.
J'ai donc le droit de dire que c'est l'Etat qui a fécondé la liberté d'enseignement, qui en a été le principal stimulant.
Cela étant, je vous demanderai quand, où, dans quelle circonstance, une liberté quelconque a été mutilée.
On a inventé une liberté nouvelle, la liberté des cimetières.
Mais qui réclame la liberté des cimetières ? C'est nous. C'est nous qui réclamons l'égalité devant la mort comme nous avons déjà l'égalité devant la Constitution, et c'est vous qui, au nom de privilèges qui ne sont plus de notre siècle, au nom du fanatisme, au nom de principes qui n'ont rien de commun avec la religion, venez protester contre les institutions issues de la révolution de 1789, auxquelles vous aviez paru un instant vous rallier en 1830.
L'honorable M. Dechamps nous disait hier : Vous défendez les libertés qui vous servent et vous combattez les libertés qui vous nuisent. Eh bien, c'est exactement ce que l'on fait sur les bancs de la droite.
Vous défendez la liberté d'enseignement dans l'intérêt du clergé et vous combattez la liberté de l'enseignement de l'Etat qui a aussi ses libertés et ses droits qu'il faut respecter.
Vous défendez la liberté de la charité et vous dites qu'il se trouve dans la gauche des juristes qui la gênent, qui trouvent, à chaque instant, des moyens de l'entraver.
Mais vous oubliez donc que vous avez, vous aussi, vos juristes ; vous oubliez que vous avez dans tous les évêchés « de sages avocats et de prudents notaires » pour capter les successions... (lnterruption.) Nous avons vu cela tout au long dans une lettre portant la signature de Mgr l'évêque de Gand. Voilà ce qu'est pour vous la liberté de la charité.
Vous défendez, prétendument, la liberté de l'Eglise et vous n'oubliez qu'une chose, c'est qu'en définitive l'Eglise c'est le despotisme organisé. (Interruption.)
Si vous trouvez le mot trop fort, je dirai que l'Eglise c'est l'autorité avec l'ignorance à la base et l'infaillibilité au sommet.
.M. Dechamps. - L'Eglise est une autorité spirituelle, sans gendarmes à son service.
M. Hymans. - Pardon, elle a les gendarmes ; seulement au lieu de porterie sabre, ils portent le goupillon. (Interruption.)
En un mot, la liberté, pour vous, c'est le moyen ; l'autorité, c'est le but. Et vous vous plaignez après cela, M. Dechamps, de ce qu'on ait jeté un préjugé sur vous. Vous vous plaignez de ce qu'on ait fait croire au pays qu'un gouvernement clérical ou épiscopal est une chose désormais impossible en Belgique. Vous vous plaignez de ce qu'on vous accuse de vouloir la prépondérance de l'épiscopat ! Mais, franchement, dites-nous, est-ce une calomnie ?
.M. Dechamps. - Certainement !
M. Hymans. - Quoi ! vous ne voulez pas la prépondérance des évêques ; vous ne voulez pas la prépondérance du dogme catholique !
- Voix à droite. - Du dogme, oui ; distinguons.
M. Hymans. - Mais prétendez-vous donc que vous ne la voulez pas tout autant en matière temporelle ?
M. Coomans. - Cela est radicalement faux.
M. Hymans. - Mais veuillez donc alors vous expliquer sur la question de la mainmorte ; veuillez donc vous expliquer sur la question des cimetières ; veuillez donc vous expliquer sur ce que vous appelez la liberté d'enseignement, qui n'est, en définitive, d'après vous, que le monopole de l'enseignement entre les mains du clergé.
.M. Dechamps. - Jamais !
M. Hymans. - Mais certainement ; c'est le droit exclusif, pour le clergé catholique, d'enseigner ; et en vérité, messieurs, je ne comprends pas ces dénégations.
.M. Dechamps. - Et moi je ne comprends pas vos affirmations.
M. Hymans. - Je répète que votre seul but c'est de concentrer tout l'enseignement dans les mains du clergé catholique.
MfFOµ. - Tous les mandements le proclament.
M. Hymans. - Je répète avec l'honorable M. Bara que votre conscience est dirigée par les évêques ; et je ne comprends pas que vous craigniez d'afficher franchement vos prétentions. Du reste, plus vous niez, moins le pays vous croit. (Interruption.)
L'opinion que j'apprécie ici, messieurs, est-elle donc si étrange ? Mais elle est résultée pour moi de la lecture de tout ce qui s'est passé en Belgique avant et pendant 1830.
Si les catholiques d'alors, qui avaient protesté au nom du dogme (l'honorable M. Dechamps ne le niera pas), qui avaient protesté contre la liberté de conscience, contre l'égalité des citoyens devant la loi, contre la liberté de la presse, que l'on qualifiait de délire comme la liberté de commerce, si ces catholiques de 1830, dis-je, avaient pu supposer que la Belgique serait devenue ce qu'elle est aujourd'hui, s'ils avaient su qu'elle serait devenue un des pays où la raison, la philosophie, le libre examen jetteraient les plus profondes racines, ils ne se seraient certainement pas ralliés aux libéraux de l'époque pour acclamer les libertés dont nous jouissons.
Je termine, messieurs, par deux mots de réponse à l'honorable M. D-champs, qui m'a reproché, hier, d'avoir dit que le ministère actuel est le seul ministère possible.
.M. Dechamps. - Nous voilà enfin au ministère.
M. Hymans. - Pardon, vous n'y êtes pas encore. (Interruption.)
J'ai dit que le ministère actuel est le seul possible en ce moment en Belgique ; je m'explique : Je le crois le seul possible en ce moment, parce que, seul, il représente d'une manière exacte l'opinion libérale, que je crois être l'opinion de la majorité du pays. Mais je comprends pourquoi l'expression de cette pensée vous choque.
Vous avez cru que, dans le cas où, par suite de circonstances que vous avez bien un peu contribué à amener, le ministère actuel serait obligé de se retirer, un autre ministère libéral viendrait prendre sa succession ; vous avez cru qu'il y aurait dans la gauche des hommes (vous les avez nommés, vos journaux les nomment tous les jours) qui étaient disposés à vous tendre la main par-dessus les centres que vous aimez tant.
.M. Dechamps. - Cela ne nous regarde pas.
M. Hymans. - Cela ne vous regarde plus depuis le jour où vous avez la conviction qu'elle est impossible. (Interruption.)
Vous vous êtes complètement trompés dans vos espérances, qui ont été de profondes et d'amères illusions : vous avez aujourd'hui la certitude que si, par suite de circonstances qui peuvent survenir avant peu, le ministère était, je ne dirai pas condamné mais obligé politiquement et constitutionnellement à la retraite, vous auriez à supporter, à vous seuls catholiques, les responsabilité de la situation. Eh bien, acceptez donc cette responsabilité. Vous prétendez que le pays est avec vous, vous le dites tous les jours ; vous ferez un appel au pays et le pays vous répondra : il renverra dans la Chambre une majorité libérale plus forte....
- Voix à droite. - Allons donc !
M. Hymans. - ... que celle qui siège aujourd'hui sur ces bancs. Ce qui le prouve, messieurs, c'est l'élection de Gand, c'est l'élection de Tournai, c'est l'élection de Nivelles ; ce qui le prouvera avant huit jours, ce sera l'élection de Bruges. (Interruption.)
Ne vous y trompez pas, messieurs, le pays a beaucoup appris depuis six mois. Entre les élections du mois de juin et ce débat, il y a eu le congrès de Malines dans lequel se sont dévoilées les véritables aspirations du parti catholique. Ce n'est véritablement que depuis lors que le pays sait où l'on voudrait le conduire. Le pays s'était dit : nous avons un ministère qui occupe le pouvoir depuis trop longtemps. Cela se voit partout ; les ministères s'usent au pouvoir, non point parce qu'ils abdiquent leurs opinions, parce qu'ils trahissent leurs principes, mais parce qu'ils se sont fait des ennemis ; parce que, comme le disait un jour M. Verhaegen, ils ont refusé, à l'un une place, à l'autre quelque faveur ; parce qu'ils n'ont pas toujours tenu toutes leurs promesses personnelles ; et que certains mécontents sont devenus des adversaires sous lesquels ils finissent par succomber.
(page 200) Mais vienne le jour où le pays comprend que son intérêt lui commande d'imposer silence à ces mesquines et misérables questions d'intérêt personnel ; vienne le jour où les drapeaux des partis contraires doivent se déployer, vienne le jour d'une lutte décisive, alors la nation entière se lève et affirme de nouveau ses principes en maintenant au pouvoir les hommes qui représentent le mieux ses véritables sympathies et en renvoyant à la Chambre ceux qui partagent ses principes politiques.
Aussi, messieurs, je n hésite pas à le dire, si les élections générales, au lieu d'avoir lieu le 9 juin, s'étaient faites le 20 août, nous serions dans cette Chambre avec une écrasante majorité.
Et, messieurs, (et je termine par là) si, par hasard et par malheur (je ne crains pas de le dire) on vous donnait la majorité, ce n'est pas, soyez-en bien convaincus, avec le programme de M. de Montalembert que vous l'auriez obtenue, mais avec celui de l'évêque de Bruges et du Bien public. Et alors qu'arrivera-t-il ? Vous prendrez le pouvoir et là vous vous trouverez placés entre deux écueils, trop de zèle et trop peu de foi : si vous montiez trop de zèle, vous verrez se produire dans le pays, contre vous, une formidable et irrésistible réaction ; si vous montrez trop peu de foi, l'épiscopat vous reniera et vous serez excommuniés comme nous.
Vous serez excommuniés comme l'a été, en 1832, M. de Montalembert, comme l'ont été le père Lacordaire et M. de Lamennais ; et comme vous êtes de très bons, de très sincères catholiques, vous vous prosternerez comme M. de Montalembert, comme M. Lacordaire, devant le dogme de l'infaillibilité de l'Eglise. Aussi pour moi tout se résume en ceci : Votre programme, vos discours ne sont que du dilettantisme politique.
Il y a dans la droite un grand nombre de membres animés de sentiments très libéraux qui seraient heureux de pouvoir les professer publiquement.
En théorie, dans un harmonieux et séduisant langage, ils présentent aux yeux du pays une brillante fantasmagorie ; mais dans la pratique, que nous apportez-vous ? Rien.
Vous maintenez vos prétentions exclusives ; en matière de charité, la mainmorte ; en matière d'enseignement, le monopole ; en matière de sépulture, les exigences d'un seul culte aux dépens des autres, et par-dessus tout, la prépondérance de l'épiscopat dans les affaires temporelles.
Ces exigences, le pays les a cent fois repoussées et il les repoussera encore ; vous aurez beau faire, vous ne ferez pas accepter vos doctrines, et si vous persistez dans vos prétentions réactionnaires, il arrivera ce que M. Devaux vous prédisait il y a dix ans, il arrivera que la controverse politique fera place à la controverse religieuse.
Grâce à l'intempérance de langage des évêques, aux excès de pouvoir du clergé, à son intervention dans les affaires politiques, ce pays profondément religieux se révoltera si bien, que la religion elle-même fera naufrage. C'est en vain que vous voulez arrêter l'esprit du temps ; il marche, le flot monte, bientôt il vous engloutira.
Vous le savez ; aussi vous voulez lui opposer une digue ; vous voulez conjurer le péril, vous n'y parviendrez pas. Quand ce flot de la raison, de la philosophie, du libre examen, vous aura renversé du pouvoir, quand il aura envahi la Belgique, vous aurez beau venir proposer une réforme communale, la nomination des bourgmestres par les conseils communaux, le suffrage universel pour la commune, cela ne vous sauvera pas, vous serez perdus, et vous aurez compromis la religion dont vous vous proclamez les uniques défenseurs. (Interruption.)
M. Delaetµ. - Je n'ai pas mission de répondre à la dernière partie du discours de M. Hymans, je n'ai pas autorité pour lui répondre au nom de la droite, et si j'avais autorité pour cela, je n'y répondrais point. Cette dernière partie du discours de l'honorable membre est une réclame électorale en faveur des candidats libéraux à Bruges ; je n'y vois pas d'autre partie pour le moment. Je compte aborder très sérieusement la politique du ministère, non pas au point de vue de la droite ou au point de vue de la gauche, mais au point de vue de ce pays qui vous trouvait en majorité de 27 ou 28 voix en 1857, et vous laisse aujourd'hui une majorité de 6 voix, y compris la voix des ministres.
Il y a là un enseignement qu'il ne faut pas négliger. Il est vrai que les élections d'Anvers qui ont affaibli la gauche, n'ont pas fortifié la droite ; elles n'ont pas été faites dans l'intérêt catholique ; elles n'ont pas été faites non plus dans l'intérêt doctrinaire ; elles l'ont été dans l'intérêt de la liberté.
Si elles ne fortifient pas la droite, elles fortifient l'opposition à un ministère centralisateur, à un ministère antilibéral ; hier il a été fait dans cette Chambre un grand aveu, dont le pays n'avait pas précisément besoin, mais dont il saura tenir compte et tirer profit ; c'est que le parti qui se dit libéral se prétend seul en droit de gouverner le pays ; le parti de l'opposition devant nécessairement être le parti catholique, car avec, tout autre le système ne serait pas possible.
Il s'ensuit que, si le parti catholique se retirait, le ministère n'aurait plus de raison d'être. C'est avouer que le cabinet n'existe pas en vue du gouvernement, qu'il a la mission principale, sinon l'unique mission, de combattre l’Eglise.
Cette théorie de la gauche démontre aussi que le cabinet n'a pas sa raison l'existence en lui-même, mais qu'il la doit trouver dans ceux qu'il crée ses adversaires.
Il lui faut diviser le pays en vainqueurs et en vaincus, en une féodalité libérale qui gouverne, et une plèbe catholique qui est gouvernée. Nous voilà presque au moyen âge ! Des aristocrates doctrinaires et la plèbe, les vilains, ceux qui croient encore quelque peu à l'Eglise.
Mais s'il est facile à la gauche de professer ces doctrines, il lui est moins facile de les mettre en pratique, parce que sa théorie repose sur une base fausse, qui n'est ni politique, ni philosophique. Au nom du parti libéral, on est venu prêcher la doctrine du pouvoir fort, sans se ressouvenir, sans se douter peut-être que prêcher le pouvoir fort, c'est prêcher la liberté faible.
Le gouvernement a la prétention de dire au pays : Accordez-moi toute liberté. Mais, la liberté du gouvernement, c'est la négation de la liberté des gouvernes. Chez nous le gouvernement, le ministère n'est pas une autorité ; c'est le chargé d'affaires de toute la nation ; il n'a pas à commander en souverain, son devoir est d'étudier l'opinion publique et de tâcher de la satisfaire. Voilà sa mission, dans un pays de liberté, de souveraineté populaire.
On a avoué que, depuis que le parti libéral est au pouvoir, il a pris à tâche de combattre l'envahissement du clergé et l'immixtion du clergé dans les affaires temporelles. Mais toute notre histoire politique, messieurs, nous dit que cet envahissement et cette immixtion ont été inventés tout juste pour pouvoir lés combattre.
Etudiez notre histoire parlementaire et vous verrez qu'avant 1847 aucun des deux partis lesquels du reste n'étaient alors séparés que par des nuances plutôt que par un mur d'airain, n'obéissait à l'épiscopat et qu'on résistait très bien aux évêques, quand il leur armait, comme cela arrive un peu à tout le monde, un peu partout, de demander des choses excédant le droit constitutionnel.
Pour pouvoir mettre en pratique cette théorie du pouvoir fort, le gouvernement a nécessairement dû avoir recours à l'arme favorite de toute autorité qui veut sortir de sa sphère normale, à la centralisation. La centralisation est antipathique à l'esprit national belge et c'est parce que le pays voit qu'on l'y mène à grandes guides qu'il se détourne de la gauche.
Si le pays ne veut pas être mené par le clergé, il ne veut pas non plus être mené par ceux qui, sous prétexte d'être les adversaires du clergé, ne font que constituer sous des formes libérales un despotisme réel.
Messieurs, moi et mes amis nous avons été assez longtemps frappés du caractère centralisateur que portent toutes les mesures proposées dans ces dernières années par le gouvernement.
Il n'est pas de besoin public, il n'est pas même de vœu de parti auquel on donne satisfaction pour y donner satisfaction. On ne s'en préoccupe que pour y chercher un moyen de centralisation.
Ainsi, la grande réforme des octrois que nous avons appelée de tous nos vœux depuis bien des années, qu'a-t-elle été pour M. le ministre des finances ?
Un moyen de centraliser entre les mains de l'Etat les finances communales, et je doute fort que si M. le ministre des finances n'avait pas vu dans l'abolition des octrois ce moyen de gouvernement, ce moyen d'assujettissement des communes, il eût proposa l'abolition des octrois. Il savait si bien ce qu'il faisait, que plus tard il est venu dire dans cette enceinte que l'indépendance de la commune est dans la caisse communale. Et il en avait mis la clef en poche ! (Interruption.)
Ainsi, des bourses d'études. Je présume que la droite croit en général que la loi sur les bourses d'études a été inventée pour enlever à l'université de Louvain une partie des avantages dont elle jouit depuis longtemps.
Je ne pense pas pourtant que ce soit là le but. On a trouvé dans cet appât jeté aux passions antireligieuses un moyen de centraliser de nouveau toutes les bourses, toutes les fondations entre les mains de l'Etat, si bien qu'on ne veut pas même accorder à la ville de Bruxelles le droit d'accepter des donations pour son université. Je suis convaincu qu'au fond l'université de Bruxelles gêne autant le pouvoir centralisateur que le fait l'université de Louvain. Il lui faut le seul enseignement de l'Etat.
Il en est de même des caisses d'épargne, de la charité, du temporel, des cultes.
Tout cela à une apparence d'être hostile à la droite, mais n'est en (page 201) définitive hostile qu'à la liberté. Cela favorise la centralisation et le pouvoir fort.
Depuis quelques années le système a eu beaucoup de succès. Mais où cela nous mène-t-il ?
Si l'Etat a seul la liberté, si l'Etat est tout, si l'Etat fait tout et qu'un seul parti gouverne, car c'est là votre théorie, où prétendez-vous aboutir ? Il faut absolument en arriver à dominer les collèges électoraux.
Ces collèges, vous avez deux moyens de les dominer à coup sûr.
D'abord, c'est la collation des places ; la corruption en grand. Le fonctionnaire devenant le serviteur de l'Etat, non plus le serviteur de l'Etat-nation, mais le serviteur de l'Etat-gouvernement ; et puis, dans les grandes communes, les associations permanentes, les oligarchies électorales.
Anvers a vu ce que vaut l'oligarchie électorale et Anvers n'en veut plus. Anvers a réuni les meetings qui, comme l'a très bien dit l'honorable M. Hymans, sont difficiles à diriger, et c'est précisément pour cela qu'ils sont des instruments de liberté, tandis que les associations permanentes, qui sont beaucoup trop faciles à diriger, sont des instruments de despotisme et d'asservissement.
Maintenant, un seul parti gouvernant, le gouvernement étant tout, vous avez par le fait même, sinon aboli, du moins énervé la presse ; car il n'est pas à supposer qu'un parti se résigne à ne prendre part aux affaires publiques que pour toujours donner la repartie obligée au gouvernement et à être son serviteur très humble tout en se prêtant niaisement à jouer le rôle d'un adversaire.
Vous aurez donc énervé la presse et ce qu'il en restera, mon Dieu ! on sait aujourd'hui par quelle voie on le peut dompter. Il y a les tribunaux civils qui remplacent le jury. Rien ne serait donc plus commode pour le gouvernement que de dompter la presse qui aurait encore quelques velléités d'indépendance. Mais ce que vous ne dompterez pas, ce sont les meetings, c'est la grande voix du peuple qui, énergique et impérative, vient vous dire : Nous ne voulons pas de ces oligarchies, nous voulons la liberté. C'est un fait heureux que l'intervention des meetings, mais tout vient à son heure.
Je demande à la gauche qui combat le clergé, qui veut l'indépendance du pouvoir civil, si elle sait où la conduirait la politique du ministère, en admettant que, par impossible, cette politique pût durer et aboutir ?
Elle mènerait purement et simplement à la domination du clergé.
Quand vous n'aurez plus de parlement libre, plus de collèges électoraux libres, plus de presse libre, qu'est-ce qui restera debout ?
D'abord, le gouvernement et ceux qui le servent ; et puis le clergé, car vous ne le détruirez pas.
M. Allard. - Tant mieux pour vous.
M. Delaetµ. - Je le répète, le retour à l'ancien régime, même par vous et par votre politique, est impossible ; le pays vous empêcherait si vous vouliez aller jusque-là.
Mais vous auriez ramené l'alliance du pouvoir fort avec le clergé ; le pouvoir fort n'ayant plus de contre-poids, aurait un allié. Eh bien, si au lieu d'être catholiques, car moi, parmi la députation anversoise, je le suis et j'en suis fier, si au lieu d'être catholiques, nous étions, comme vous le dites, des cléricaux, je donnerais à la droite le conseil d'appuyer M. Frère ; car son système, eu rigoureuse logique, doit forcément aboutir à l'ancien régime dont personne ne veut dans cette Chambre.
L'honorable M. Orts nous a dit hier que les élections d'Anvers étaient un accident.
En admettant qu'il n'y ait de possible dans le pays que deux partis, le parti doctrinaire et le parti clérical, comme vous l'appelez, les élections d'Anvers sont, il est vrai, un accident, et comme l'honorable M. Orts a cette foi, il a eu pleinement raison d'appeler ces élections un accident.
Mais à Anvers on ne les considère pas ainsi, et je ne pense pas que le pays consente à y voir ce qu'y aperçoit l'honorable M. Orts.
Les élections d'Anvers sont un avertissement ; un avertissement donné par la Belgique tout entière, qu'il est temps de sortir de la vieille ornière, que ces spectres, au moyen desquels on gouverne aujourd'hui, ont fait leur temps, et que l'heure est venue d'entrer sur le terrain de la réalité.
Or, la réalité, elle peut vous gêner ou ne pas vous gêner, je ne m'en préoccupe pas ; mais le terrain national, c'est celui de la liberté politique, de la liberté réelle, du gouvernement réel du pays par le pays. Et comme base, nous avons la liberté communale, la grande et sainte liberté de notre histoire ; car la Belgique n'a pas d'autre raison d être nationale que la commune. C'est son histoire, et l'on ne gouverne pas un pays contre son habitude, contre son passé. Vous ne gouvernerez pas la Belgique en centralisant, alors que tout son passé tend à la décentralisation et a produit ces communes aux libertés fortes qui nous ont permis de supporter en 1830 une Constitution comme n'en aurait supporté aucun pays da l'Europe.
Voilà un grand, un sérieux avertissement.
Un autre avertissement, c'est que nous voulons de la liberté de la presse ; non pas seulement de la liberté inscrite dans la Constitution, mais de la liberté réelle et que nul moyen de chicane ne peut venir éluder devant un tribunal.
Nous voulons que la presse soit libre, parce qui toutes les libertés sont solidaires et que nous ne comprenons pas l'une sans l'autre.
Ainsi les élections d'Anvers ne soit pas seulement un accident, elles sont avant tout un avertissement, et je prie la Chambre d'y avoir égard, non pas au point de vue d'Anvers, quoique la question d'Anvers ne soit pas enterrée, et que si pour vous le métier de fossoyeur a des charmes, nous aurons soin de vous donner encore bien souvent l'occasion de l'enterrer, - mais au point de vue du pays.
L'honorable M. Hymans nous a dit tout à l'heure que les meetings n'étaient pas d'invention anversoise. Non, les meetings ne sont ni d'invention anversoise ni d’invention bruxelloise ; ils ne sont pas même d’invention anglaise. Les meetings, chez nous, sont historiques ; c’est une vieille invention flamande, la meilleure arme de la liberté.
Notre histoire entière a toujours été basée sur les grandes assemblées populaires, et quand van Artevelde luttait contre la France, c'était en convoquant le meeting sur la place du Vendredi. Au grand promoteur de ces meetings vous venez d'élever une statue. Anvers a eu l'honneur, je dirai la fortune, de retrouver dans le trésor de notre histoire la grande arme de nos pères, de la fourbir, d'en faire une arme de notre époque ; et aux meetings d'aujourd'hui l'honorable M. De Fré a bien voulu se charger de jeter de la boue. Il est vrai qu'elle ne nous a pas atteints ; elle nous a passé par-dessus la tête.
M. Hymans. - On a assassiné d'Artevelde.
M. Delaetµ. - Je ne sais si on nous assassinera ; mais j'en connais qui ne seraient pas fâchés de nous voir enterrés avec la question anversoise. (Interruption.)
Eh bien, je dis qu'Anvers a eu la bonne fortune de faire revivre cette ancienne institution nationale et qu'un jour le pays tiendra compte à Anvers de lui avoir rendu, sous une forme nouvelle, ce puissant instrument de liberté.
Anvers ne nous a pas envoyés dans cette enceinte pour défendre la droite ou la gauche ; Anvers ne nous y a pas envoyés avec le mandat restreint de demander la démolition des citadelles ; Anvers nous a chargés d'une autre mission encore ; c'est celle de démolir la citadelle de la décentralisation. Et cette tâche, nous l'avons acceptée. Si nous sommes trop faibles pour l'accomplir, d'autres viendront après nous, et ils seront plus heureux. Seulement avec l'aide de Dieu et du bon sens public nous espérons réussir.
Je dis que c'est vers ce but que tendent les efforts d'Anvers, que c'est là sa mission nationale, et qu'en attendant qu'Anvers devienne le boulevard de la nationalité, de la dynastie, elle sera le boulevard de la liberté. Après cela, nous pouvons attendre ; quand on a la conscience d'une telle mission, on peut être patient.
Pour remplir notre mission, nous n'avons pas fait appel à la droite. Mais nous lui faisons appel de tout cœur comme nous faisons appel à la gauche ; car, quelle que soit la discipline de la gauche je ne crois pas que cette discipline soit assez rigoureuse pour que, quand la justice se montrera, quand la vérité se fera jour, il n'y ait pas des hommes consciencieux, des hommes de cœur qui diront : Avant tout la liberté, et puis les partis ! Avant tout le pays, et puis les partis ! Avant tout la justice, et puis les partis !
Jusqu'ici, et j'en suis reconnaissant à l'honorable M. Dechamps, lui et ses amis ont adopté le premier point de notre programme. Ils l'ont adopté spontanément, sans que nous soyons intervenus, parce qu'ils ont reconnu qu'il était juste. Je le répète, j'espère bien qu'avec le temps nous trouverons aussi des auxiliaires dans la gauche. J'y compte, parce que j'ai plus de foi dans la justice que dans la discipline.
Maintenant, je combats la politique du cabinet parce que, sous prétexte d'unifier le pays, il n'a réussi qu'à le désunir, à le déchirer, à semer la division partout et en toutes choses. Ses amis ont avoué qu'il veut la division. Il pratique la devise du despotisme : divite ut imperes. Le dicton est vieux, mais il est vrai.
L'adresse nous parle d'un pays satisfait ; la réalité nous monde un pays agité, mécontent, cherchant à sortir d'une situation qu'il sait être anomale.
La question d'Anvers, je vous l'ai dit, vous aurez encore à l'enterrer bien souvent avant qu'elle demeure dans la tombe.
(page 202) La question flamande grandit et s'impose ; un récent déni de justice lui a donné, même pour nos compatriotes wallons, mais qui sont belges avant d’être wallons, le caractère d'une grande question nationale ;
La centralisation, votre moyen d'arriver rapidement à la réalisation de votre fête, à la constitution du pouvoir fort, est antipathique au pays, comme lui sont antipathiques les diverses restrictions à la liberté introduites directement ou par voie détournée.
Votre système économique n'est ni logique ni équitable ; il a deux poids et deux mesures et ici encore le pays insiste sur une large et prompte réforme.
Votre système militaire n'est en rapport ni avec les besoins ni avec les ressources du pays ; vos lois sur la milice sont injustes.
Votre guerre à l'Eglise, le pays sait aujourd'hui dans quel but vous la faites et quels en doivent être les résultats.
Vous vous prétendez seuls en droit de gouverner le pays. Cette prétention injustifiable, vous avez cherché à la colorer d'un prétexte. Nous sommes, avez-vous dit, la pensée moderne, nous sommes le présent, nous sommes l’avenir.
Non, messieurs, vous n'êtes pas la pensée moderne, vous êtes la vieille pensée monarchique d'avant 1789, pensée que la Belgique n'a jamais ni subie, ni même connue, vous n'êtes pas l'avenir, vous n'êtes pas même le présent, vous êtes dépassé.
MpVµ. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits. (Interruption.)
M. de Theuxµ. - La Chambre est évidemment fatiguée ; elle ne peut pas entendre de suite deux orateurs parlant dans le même sens. D'ailleurs les bancs de la Chambre sont dégarnis. Je demande la remise à demain.
- Plusieurs membres. - Non ! non ! Continuons !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). – Je pense que si M. de Theux veut parler, la Chambre lui doit de l'écouter, et s'il demande la remise à demain pour prendre la parole, je l'appuie.
M. de Theuxµ. - Si la discussion est continuée à demain, je compte y prendre part après un orateur en sens contraire.
- La séance est levée à 4 heures et demie.