(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 904) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.
M. Thienpont, secrétaire., lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Moor, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à Chambre.
« Le sieur Jean-Pierre Thinnes, employé au chemin de fer de Luxembourg, à Bruxelles, né à Niederanven (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi au ministre de la justice.
« Le sieur Ramirez d'Arellano demande que le gouvernement donne des explications sur le fait de la reddition à la France d'un canon pris par les Belges à la bataille de Waterloo. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Pilyser, ancien receveur des contributons directes et accises, combattant de la révolution, demande une place ou une indemnité pour les pertes subies par son père à raison de la fourniture de vivres aux armées alliées. »
- Même renvoi.
« Le sieur Ballière, secrétaire de la commune d'Oisquercq, demande que le traitement des secrétaires communaux soit réglé d'une manière uniforme suivant la population. »
- Même renvoi.
« Des habitants de Wavre prient la Chambre d'adopter le projet de loi relatif aux fondations, tel qu'il est proposé par la section centrale. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de ce projet.
« Des habitants de Louvain proposent des mesures pour assurer la sincérité des élections. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi sur les fraudes électorales.
« Des tanneurs à Wavre demandent égalité de traitement pour les cuirs prussiens et les cuirs belges. »
- Renvoi à la section centrale du projet de loi relatif à la convention avec la Prusse.
M. Moncheur dépose le rapport de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'érection de la commune de Meix-le-Tige.
M. Van Iseghem dépose le rapport de la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au traité de navigation et l'arrangement commercial entre la Belgique et la Prusse.
- Le Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite de l'ordre du jour.
M. Bara, rapporteur. - Messieurs, je regrette beaucoup de devoir prendre une troisième fois la parole, mais vous comprendrez qu'il m'est impossible de laisser sans réponse, si pas le discours de l'honorable M. Schollaert, du moins celui de l'honorable M. Dumortier. Je vais, aussi brièvement que possible, répondre à ces deux honorables membres, et je réclame, pour quelque temps encore, la bienveillante attention de la Chambre.
Le discours prononcé par l'honorable M. Dumortier, je le connaissais, j'aurais pu y répondre immédiatement sans aucune préparation.
Je ne discuterai pas avec l'honorable M. Dumortier sur la définition des droits civils et politiques ni sur le côté juridique du débat soulevé devant le parlement. Je ne discuterai pas, messieurs, bien que l'honorable M. Dumortier ait prétendu que, pour résoudre ces difficultés, il ne faut pas être jurisconsulte, qu'il suffit du bon sens, du sens commun. A M. Dumortier, j'opposerai l'honorable M. Schollaert qui a déclaré, lui, que la question ne pouvait être appréciée par le vulgaire, que pour la comprendre il fallait être jurisconsulte. J'opposerai à M. Dumortier M. Dumortier lui-même. Répondant à l'honorable ministre des finances qui lui avait cité l'opinion de Mgr l'archevêque de Malines, homme de bon sens, sans doute, et de plus docteur en droit canon, M. Dumortier disait : L'opinion de Son Eminence ne signifie rien ; ce n'est pas un jurisconsulte.
Je ne m'occuperai pas non plus des leçons de convenance et de modération que mon honorable concitoyen a bien voulu me donner.
Je le remercie d'avoir bien voulu immédiatement joindre l'exemple au précepte, en se faisant rappeler à l'ordre et en considérant ce rappel à l'ordre presque comme une sorte d'honneur. Sous un pareil maître, je ne puis que m'instruire vite et bien.
Messieurs, dans tout le discours de l'honorable M. Dumortier. dont j'admire la verve et dont j'honore le dévouement désintéressé à la cause catholique, il y a deux points sur lesquels je dois m'arrêter un instant.
Le premier est un petit système dirigé contre la députation tournaisienne, le second est une tactique électorale contre la majorité.
L'honorable représentant de Roulers trouve que la députation tournaisienne agit contre les intérêts de Tournai en votant le projet de loi...
M. B. Dumortier. - Je n'ai pas parlé de la députation tournaisienne.
M. Bara, rapporteur. -Vous avez parlé de moi ; mais vous savez bien que mes honorables amis, MM. Allard et Crombez, voteront le projet de loi...
M. B. Dumortier. - Ils se sont abstenus dans les sections sur la question de rétroactivité.
M. Bara, rapporteur. - Quand bien même le projet de loi nuirait à Tournai, nous le voterions, s'il doit être utile au pays, parce que nous sommes avant tout les députés de la nation. Mais, heureusement il n'en est pas ainsi. M. Dumortier voudra bien reconnaître que mes honorables collègues de Tournai et moi, nous sommes tout aussi autorisés que lui à parler au nom de cette ville. Eh bien, nous sommes convaincus que la loi ne peut qu'être utile à la petite bourgeoisie tournaisienne dont il s'est constitué le défenseur.
En effet, s'il est vrai que l'administration des bourses de Tournai sera transférée à Mons, l'honorable député de Roulers aurait bien fait d'ajouter que ces bourses seront administrées et conférées en partie par des Tournaisiens, par des hommes qui pourront appartenir à la petite bourgeoisie ou qui en seront sortis, et je ne crains pas d'affirmer que mon arrondissement préfère de beaucoup ces administrateurs laïques aux chanoines de Tournai.
Si l'administration des bourses est déplacée, il faut ajouter que les institués restent les mêmes ; que par conséquent la commission provinciale du Hainaut ne pourra attribuer à d'autres qu'à des Tournaisiens les bourses qui ont été fondées pour des Tournaisiens... (Interruption.)
Si vous déniez cela, c'est que vous n'avez pas lu la loi.
Or, mes concitoyens savent maintenant quel beau zèle et quel amour de Tournai anime les collateurs ecclésiastiques. En effet, nous avons vu que les bourses du chanoine Laurent qui avaient été créées pour les établissements de Tournai ont été transférées, de par la volonté des chanoines, au petit séminaire de Bonne-Espérance.
De plus, nous avons vu une tentative de ces mêmes chanoines d'enlever les bourses aux Tournaisiens et de les faire passer aux habitants de Frasnes-lez-Buissenal. Voilà le système. Et M. Dumortier soutient que nous sommes contraires aux intérêts de notre ville, parce que nous combattons un état de choses qui a pour but d'abord de nuire aux établissements de Tournai, ensuite d'enlever les bourses aux Tournaisiens eux-mêmes.
Qu'arrivera-t-il si le projet de loi est voté ? C'est que les Tournaisiens, et notamment les élèves de l'athénée de Tournai, pourront avoir des bourses, tandis qu'aujourd'hui presque toutes les bourses sont données au petit séminaire de Bonne-Espérance, au collège des jésuites, etc.. ; et qu'ainsi le patrimoine de l'instruction publique ne sert qu'à former des prêtres. Je ne m'en plains pas ; mais je trouve que c'est trop ; il y a beaucoup de mes concitoyens qui désirent étudier autre chose que la théologie.
A Tournai, on donne des bourses, même à des étrangers ; car on ne peut pas trouver chaque année 63 boursiers tournaisiens pour l'étude de la théologie. D'où je conclus que la ville de Tournai n'a rien qu'à gagner à la réforme de la législation sur les fondations de bourses d'études.
(page 905) Il est vrai que les chanoines perdent la collation ; mais ce n'est là qu'une chose peu importante.
L'honorable député de Roulers a déclaré hier que toujours les bourses de Tournai avaient été administrées et conférées par les parents des fondateurs. Or, il se trouve que presque toutes les bourses d'études sont à la collation et à l'administration du chapitre ; et je ne comprends pas comment, à perpétuité, un fondateur peut avoir, dans sa famille, des chanoines ; il faudrait prétendre que tous les chanoines sont parents des anciens fondateurs.
M. B. Dumortier. - Vous ne les connaissez pas alors, vous ne connaissez pas l'organisation des bourses.
M. Bara, rapporteur. - Je ne la connais que trop, et je vous assure que pas un des chanoines actuels n'est parent des fondateurs. Nous sommes donc parfaitement tranquilles en ce qui concerne l'intérêt de Tournai, et nous ne nous effrayons nullement de l'accusation lancée contre nous par l'honorable M. Dumortier.
Et au surplus, quand il s'agit de la défense des intérêts de Tournai, nous n'avons nullement besoin ni du concours ni du secours de l'honorable M. Dumortier, nous craignons qu'il ne confonde Bonne-Espérance et Louvain, avec sa ville natale.
J'arrive à la seconde accusation : Vous êtes un ennemi de la religion ; vous avez attaqué la religion de nos pères ; jamais, à aucune époque, dans aucun parlement, on n'a osé lancer contre la religion catholique de pareilles attaques ! Et là-dessus de magnifiques déclamations, avec cet assaisonnement d'épithètes et de grands mots dont l'honorable M. Dumortier a le secret et le monopole.
Cette accusation est très habile ; elle produira son effet dans les prochaines élections ; mais elle démontre votre impuissance à attaquer sérieusement le projet de loi. C'est là un argument d'un parti aux abois ; un argument d'un parti qui n'a rien de mieux pour attaquer une lui juste, une loi morale. Vous avez dit que le projet était malhonnête. Savez-vous ce qui est malhonnête ? C'est le procédé à l'aide duquel vous l'attaquez.
Sur quoi avez-vous étayé votre accusation ? Sur une phrase d'un journal libéral, sur une phrase incorrecte qui peut évidemment échapper à l'insuffisance des moyens de comprendre un orateur. Et vous avez été choisir à dessein ce journal, car si vous lisiez vos propres journaux, si vous aviez lu le Journal de Bruxelles et l’Émancipation, vous auriez vu que ma parole était tout autre que celle que vous m'avez attribuée. Et si vous aviez été loyal, avant de me lancer une pareille accusation, vous seriez venu à moi et vous m'auriez demandé mon manuscrit. Votre attaque, votre accusation, si elle n'était ridicule, serait odieuse.
M. B. Dumortier. - On m'accuse de déloyauté et M. le président laisse passer cela !
M. Bara. - Vous m'avez dit bien autre chose.
M. le président. - M. Bara, il n'est point permis d'accuser un collègue de déloyauté.
M. Bara. - Oh ! M. le président, je relire très volontiers le mot « déloyal », si M. Dumortier le désire ; cela ne fait absolument rien à la question.
M. le président. - M. Dumortier a cité un journal à l'exactitude duquel il a pu croire.
M. Bara. - M. Dumortier n'avait qu'à lire les journaux de son parti, il aurait vu l'erreur. Encore une fois, du reste, je n'insiste pas. Mais M. Dumortier n'a-t-il pas dit hier que j'avais tenu ici un langage indigne d'un député belge ? Cela se trouve dans tous les journaux. Si je prenais M. Dumortier au sérieux, je me serais fâché dix fois pendant son discours. (Interruption.)
Nous attaquons la religion, soit ; voyons. II y a dans notre parti des catholiques aussi sincères et aussi chauds que dans le nôtre, aussi pratiquants même que l'honorable M. Schollaert. Vous savez cela. Des philosophes, certainement nous en comptons ; mais un peu de philosophie ne peut vous nuire. Des francs-maçons, nous en avons et nous ne les cachons pas. Vous, vous en avez aussi, mais vous les cachez. (Longue interruption.)
Ainsi donc, messieurs, ce n'est pas la question religieuse, ce n'est pas la question de dogme qui nous divise. Qu'est-ce qui nous divise ? Je vais vous le dire en toute franchise. La société a fait un immense progrès, elle a proclamé la liberté religieuse. La conséquence inévitable, c'est l'indépendance du pouvoir civil. Vous admettez le principe et vous n'admettez pas la conséquence. Voilà l'abîme qui existe entre nous. Nous vous disons, la Constitution à la main : Nous respectons toutes les croyances, tous les cultes, nous leur accordons la protection la plus complète pour qu'ils se produisent, se manifestent, s'exercent ; nous sommes heureux de pouvoir nous incliner devant une foi robuste et sincère parce qu'un homme qui n'admet pas l’immortalité de l'âme est un insensé plus à plaindre qu'à blâmer. Mais là s'arrête le devoir du législateur. Vous voulez nous faire déclarer dans la loi qu'une religion est la vérité et les autres l'erreur. Dans toutes les lois vous avez voulu faire prévaloir cette prétention. En matière d'enseignement il vous faut d'autorité le prêtre catholique dans l'école. Vous le voulez surveillant seul le personnel du corps professoral et les livres de l'enseignement ; dans la charité vous avez voulu rétablir les couvents et les corporations religieuses et vous voulez que les bourses soient aux mains des collateurs ecclésiastiques.
Nous ne pouvons pas vous suivre sur ce terrain, parce que ce serait mettre l'Eglise au-dessus de l'Etat, parce que vous violez au profit d'une seule religion, le grand et salutaire principe de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Nous vous répondons : Ce que vous demandez n'est pas possible. Quelles que soient nos convictions, nous ne pouvons, comme législateurs, nous prononcer en matière de religion ; nous ne sommes pas compétents pour discerner le vrai du faux et dire : Là est la voie du salut. Et quand nous vous disons cette grande et lumineuse vérité, vous criez : On attaque la religion de nos pères !
Il n'y a rien de commun entre les principes que nous défendons et les dogmes d'une religion quelconque ; nous n'avons pas à nous occuper de dogmes ; la loi n'est ni catholique, ni protestante, ni juive, elle est civile, elle est tolérante, elle ne touche pas aux dogmes, elle les laisse intacts. Vous voulez introduire les dogmes dans la loi ; nous vous résistons et nous protestons non seulement contre les catholiques, mais aussi contre les protestants qui veulent un pareil régime.
Quand nous voyons l'Espagne catholique frapper les protestants pour fait de propagande, nous protestons, quand nous voyons l'Angleterre repousser les juifs du parlement, nous protestons ; quand nous voyons la Suède punir ceux qui abandonnent la religion de l'Etat, nous protestons ; quand nous voyons la France frapper, blâmer, comme d'abus, le prêtre qui refuse l'absolution à un mourant ; nous protestons quand Rome enlève des enfants à leur famille pour en faire des catholiques, nous protestons.
Vous ne nous suivez pas. Vous voulez qu'on émancipe les Polonais, mais vous ne voulez pas de l'émancipation des Romains ; vous voulez la liberté à Varsovie et le despotisme à Rome. Que M. Schollaert, qui parle de la papauté, reconnaisse au moins que le régime politique qui règne à Rome est insupportable pour des hommes créés libres, pour des hommes qui ont autant de droits que nous à la liberté, qu'il le reconnaisse, lui qui prétend être à la lisière des partis et devoir dire leurs vérités à tous.
Quand je dis que je verrais sans regret tomber le gouvernement qui règne à Roue, je n'attaque pas plus la religion et le pape que quand je souhaite aux Polonais une régénération politique.
Ah ! M. Dumortier, c'est une honte pour le parlement belge d'entendre un parole amie pour la liberté romaine ! Ah ! c'est là un cri inaccoutumé dans les assemblées délibérantes de l'Europe !
Mais ce que j'ai dit, les plus grands orateurs, les hommes les plus consciencieux, les plus religieux, l'ont dit à la tribune de tous les pays.
Lisez les discussions du parlement anglais, lisez ce qui s'est dit dans un pays voisin dont le chef s'appelle le fils aîné de l'Eglise et vous verrez comment on qualifie le régime romain parmi les orateurs du gouvernement lui-même.
Vous nous accusez d'attaquer la religion. La religion n'a rien à faire dans notre débat ; c'est vous qui l'y introduisez toujours ; c'est dans un but mesquin, dans un but de domination temporelle et politique que vous mettez ainsi continuellement en avant des croyances que rien ne menace.
Messieurs, l'honorable M. Dumortier, après cette violente attaque, a voulu être spirituel en soutenant que, de libéral, avancé, j'étais devenu doctrinaire.
Je pourrais faire de l'esprit et lui dire que si je suis l'espoir des jeunes, il est, lui, le désespoir des jeunes de son parti.
Mais, messieurs, je ne comprends pas comment j'ai cessé d'être un libéral avancé en défendant une loi que l'honorable M. Dumortier appelle un défi, appelle une chose inouïe, qui ne s'est jamais vue, qui est issue de 1793 ; il me semble qu'on ne pourrait rien trouver de plus avancé et que ce n'est certainement pas là du doctrinarisme carré, comme il l'a dit.
Mais je connais ces petits moyens. Libéral avancé, doctrinaire, c'est vous qui avez inventé tout cela. Vous avez inventé cette petite histoire pour nous diviser, parce que vous espérez que le parti libéral se fractionnera et vous donnera ainsi les moyens d'arriver au pouvoir.
(page 906) Mais vous vous trompez. Nous sommes Je parti du libre examen. Il y a dans nos rangs des nuances ; nous les admettons, parce que nous ne relevons pas d'une seule pensée ; mais nous sommes d'accord sur les grands principes. Si nous nous séparons sur les petits détails, vous pouvez être convaincus que le jour del la lutte vous nous trouverez tous unis.
Vous espérez créer des trous dans nos rangs et amener des divisions qui vous seront profitables. Vous vous trompez, et vous ne ferez que resserrer nos rangs.
L'honorable M. Dumortier est venu prétendre que depuis 1850 l'opinion libérale avait modifié son programme. C'est encore là une œuvre de fantaisie. Les deux plus grandes questions qui divisent le parti libéral du parti catholique, c'est la question de l'enseignement et la question des fondations.
Sur la question de l'enseignement, en 1850 les principes du libéralisme étaient connus. On avait fait la loi sur l'instruction moyenne, cette loi que vous avez attaquée avec la dernière violence ; et, en matière de fondations, la circulaire de l'honorable M. de Haussy avait indiqué quels devaient être les principes, n'est-ce pas celle que l'honorable M. Dumortier prétend être l'origine de ce système qui défait et refait les testaments ?
Ainsi donc, en 1850, le parti libéral avait annoncé quels étaient ses principes en matière d'enseignement et en matière de fondations. Et c'est à tort que l'honorable M. Dumortier, dans un but que tout le monde saisit, veut persuader que notre parti a changé d'opinion.
Je crois, messieurs, pouvoir laisser sans réfutation le reste du discours de mon honorable concitoyen, je vais maintenant répondre quelques mots à l'honorable M. Schollaert.
L'honorable M. Schollaert a trouvé que la réponse que je lui ai faite manquait aux règles de la modération. Je m'explique.
Sans doute, messieurs, si j'avais dû répondre au discours que vous avez entendu hier, mes impressions eussent été tout autres et mon langage s'en serait ressenti. Mais j'en appelle à la Chambre. Comment M. Schollaert, dans son premier discours, a-t-il apprécié et qualifié le projet de loi ? Je me défie toujours, pour ma part, des formes mielleuses, des formes doucereuses, c'est au fond du discours que je fais attention. Ainsi, l'honorable M. Dumortier se livre à des intempérances de langage que toute la Chambre connaît...
M. B. Dumortier. - Et qui ressemblent aux vôtres.
M. Bara, rapporteur. - Mais au fond, cela n'est pas bien grave. Or, j'ai la conviction que le premier discours de l'honorable M. Schollaert dépasse de beaucoup tous les autres discours de la droite en fait de griefs formulés contre le projet de loi.
L'honorable M. Schollaert ne nous accuse pas seulement d'avoir porté atteinte à la propriété privée, mais même d'avoir compromis l'honneur national. A la fin de son discours, d'une manière, je le reconnais, parlementaire, il a laissé entendre que nous agissions en hostilité de la religion catholique. Je ne puis comprendre autrement ce qu'il a dit à propos du pape.
Et il est à remarquer que ces accusations graves ne sont nullement expliquées par l'appréciation que l'honorable député de Louvain fait du projet de loi. Sa divergence avec nous, il vous l'a dit hier, provient d'une simple question de droit et d'une question qu'il ne résout qu'à l'aide d'une opinion probable qu'il reconnaît lui-même pouvoir être erronée.
Eh bien, je dis que le débat, ramené à ces étroites proportions, ne nécessitait nullement les accusations graves lancées par l'honorable M. Schollaert contre le projet et contre la majorité.
Voyons maintenant si l'honorable M. Schollaert a apporté de nouvelles preuves à l'appui de son système que je persiste à considérer comme une nouveauté et que, sans vouloir froisser l'honorable membre, je prétends nullement fondé en droit.
L'honorable M. Schollaert soutient que les fondations de bourses d'études sont des propriétés privées, et qu'elles sont placées sous la garantie de l'article 11 de la Constitution.
J'avais demandé à l'honorable député de Louvain de vouloir me dire qui était propriétaire de cette propriété privée, quel était le particulier qui en était propriétaire, parce que, selon moi, la science du droit ne reconnaît pas de propriété privée sans un propriétaire en chair et en os. Il faut vous expliquer, il faut un propriétaire en chair et en os.
L'honorable M. Schollaert m'a répondu hier : C'est la personne civile qui est propriétaire privée de ce domaine privé qui s'appelle bourses d'études.
Votre erreur, me dit-il, l'erreur de M. le ministre des finances, c'est que vous n'admettez pas que les personnes civiles puissent être propriétaires privées absolument comme les particuliers, comme les individus en chair et en os, puissent avoir des droits sacrés et inviolables sur la propriété, et pour prouver cette erreur, l'honorable M. Schollaert nous cite les sociétés anonymes, les caisses d'épargne, etc. Il dit : Voilà des personnes civiles et cependant elles possèdent à titre particulier. Vous ne pourriez mettre la main sur leur propriété sans violer l'article 11 de la Constitution.
Que l'honorable M. Schollaert veuille bien m'entendre, et j'aurai du malheur si, avec les principes les plus élémentaires du droit, je ne parviens pas à le ramener à mon avis.
Oui, messieurs, il y a des personnes civiles qui peuvent être propriétaires à titre privé, dont les propriétés sont privées. Mais il y a personnes civiles et personnes civiles. Il y a les personnes civiles qui s'appellent en langage de droit les fondations, les mainmortes ; et il y a les personnes civiles qui s'appellent associations, sociétés d'individus en chair et en os.
Les caractères de ces deux sortes de personnes civiles sont complètement distincts. Les premières appartiennent non à des individus que l'on peut nommer et désigner, mais à un être de raison, à une abstraction, à une fiction qui est un intérêt public.
Les biens des secondes appartiennent à des individus que l'on peut parfaitement nommer et désigner et qui sont des copropriétaires indivis.
Le but des premières est de retirer de la circulation un bien, un capital, de l'affecter à toujours à un intérêt public, de l'amortir, comme le disait hier l'honorable M. Schollaert.
Le but des secondes est, au contraire, de faire produire aux capitaux le plus possible par l'association, de les livrer à une circulation plus active et plus productive.
Rien que ces définitions, messieurs, vous fait toucher du doigt l'immense différence qui existe entre les sociétés anonymes et les mainmortes.
Les premières sont créées surtout en vue de l'intérêt privé et les autres ont pour seule raison d'être l'intérêt public. Les premières sont composées d'individus copropriétaires et dès lors les copropriétaires, conformément aux lois naturelles et civiles, ont une propriété privée.
Les secondes n'existent que par la loi qui les crée ; elles n'ont pas de propriétaires en chair et en os, et doivent, par conséquent, appartenir à la nation, qui seule est propriétaire des biens qui n'ont pas des individus pour maîtres.
Cette doctrine est-elle contraire à celle qui était professée avant 1789 ?
M. Schollaert le soutient et invoque Stockmans. Je ne veux pas blesser l'honorable membre, mais c'est encore une erreur. Les biens de mainmorte n'ont jamais été considérés, avant 1789, comme des propriétés privées, et vous ne pouvez arriver à une pareille solution pour les bourses d'études que si vous les assimilez à des institutions successives, à des substitutions. Pour vous prouver que les fondation de bourses n'étaient pas traitées comme des propriétés privées, qu'elles étaient considérées, au contraire, comme des propriétés publiques, je vous citerai, pour la France, l'édit de Louis XIV d'août 1749, et pour les Pays-Bas, l'édit de Marie-Thérèse du 15 septembre 1753.
Je ne veux pas faire l'analyse de ces édits, mais vous pouvez y voir que les biens de mainmorte étaient considérés comme des propriétés sur lesquelles le souverain a toujours droit, que jamais ils n'ont été traités comme des propriétés privées.
Vous ne pouvez invoquer Stockmans, puisque Stockmans fait des bourses des substitutions, et que vous vous êtes efforcé de prouver que les fondations de bourses ne sont pas des substitutions, et que si vous soutenez la thèse contraire, vous devez abandonner tout votre système, les substitutions étant abolies..
Ainsi donc, messieurs, avant 1789, pas plus qu'aujourd'hui, on n'a considéré la mainmorte comme une propriété à titre privé.
L'honorable M. Schollaert reprend les arrêts des cours belges et il se retranche derrière leur autorité.
J'ai lu loyalement à la Chambre tout l'arrêt qui avait été cité par l'honorable M. Schollaert, l'arrêt de 1839, et j'ai dit qu'il ne s'agissait nullement dans cette affaire, pas plus que dans les autres arrêts, de la question de savoir si les biens des bourses d'études étaient des propriétés privées, mais bien de savoir s'ils avaient été nationalisés ou continuaient d'appartenir aux corps publics qui les possédaient antérieurement, aux administrations particulières autorisées par la nation, déléguées de la nation et représentant un intérêt public.
Ces arrêts décident que les biens des bourses d'études n'ont pas été nationalisés, voilà tout, et l'honorable M. Schollaert tire, de ce que cts bien n'ont pas été nationalisés, la conclusion qu'ils ne sont pas du domaine public. Mais, messieurs, un bien peut parfaitement être du domaine public et ne pas être national.
L'honorable M. Schollaert ne paraît pas se douter qu'il y a dam le (page 907) domaine public de» biens divers ; il y a le domaine provincial, le domaine communal, le domaine des bureaux de bienfaisance, le domaine des hospices, le domaine des bourses et bien d'autres,
Il y a une foule de domaines particuliers, à cause de leur affectation, qui ne sont pas des biens nationaux, mais qui ne font pas moins partie du domaine public.
Eh bien, qu'ont décidé la cour d'appel et fa cour de cassation ? Que le domaine public d'une espèce particulière, celui des bourses d'études, n'a pas été nationalisé, qu'il n'appartient pas à la nation, qu'il a conservé son affectation particulière ; mais il n'en résulte nullement que ce domaine soit une propriété privée.
Mais s'il en est ainsi, l'honorable M. Schollaert doit être logique : il doit prétendre que toutes les corporations qui existaient avant 1789 ont été injustement dépouillées, car les bourses d'études existent de la même manière que ces corporations. Il faut donc dire à l'heure qu'il est que les anciennes corporations ont été spoliées, et il faut les rétablir. Voilà la logique du système de M. Schollaert.
Mais il y a plus..., vous répondrez peut-être à l'argument que je vais produire, que les tribunaux ne peuvent refuser d'appliquer une loi inconstitutionnelle.
Mais c'est là une question qui n'est pas résolue définitivement par la jurisprudence. Si réellement les bourses d'études sont une propriété privée, eh bien, en vertu de l'article 11 de la Constitution la loi sera une loi inconstitutionnelle. Que les collateurs de bourses se présentent devant les tribunaux et soutiennent que les bourses sont une propriété privée que la loi n'a pas pu confisquer sans indemnité.
Mais vous ne le ferez pas, car vous ne trouveriez pas de jurisconsulte pour soutenir devant les cours une pareille cause.
L'honorable M. Schollaert est entré dans un ordre de considérations sur lesquelles des explications sont nécessaires.
Vous nous reprochez, dit-il, de forcer les boursiers à suivre les cours d'un enseignement déterminé, de l'enseignement catholique et vous faites la même chose. Vous forcez les jeunes gens à qui vous donnez des bourses, à suivre les cours d'un établissement de l'Etat ; vous êtes inconséquents. Nous pourrions vous dire comme vous nous avez dit : « Tu croiras ce que l'Etat croit ou bien tu n'auras pas de bourse. »
Eh bien, l'honorable M. Schollaert est encore dans l'erreur.
Quels sont ses arguments ? Le premier c'est la loi de 1849 relatif à l'enseignement universitaire. Les bourses créées par la législature pour l'enseignement universitaire devaient être données aux universités de l'Etat. C'est, dit M. Schollaert, peser sur la conscience des boursiers. Mais l'honorable M. Schollaert oublie de dire que si l'on crée au budget des bourses pour les étudiants qui fréquentent les universités publiques, au même budget se trouve la liste civile des établissements libres, au même budget se trouvent des allocations que le gouvernement devait donner en bourses, en subsides aux étudiants des université libres.
Ensuite, l'opinion libérale ne soutenait pas que c'était là le dernier progrès qu'on devait réaliser en matière de bourses. On disait : L'université de Louvain a accaparé toutes les bourses d'études ; eh bien, il faut autant que possible rétablir l'équilibre, et c'était par un système de compensation que l'on inscrivait au budget des bourses pour les universités de l'Etat.
C'était une réponse à votre système injuste de l'accaparement des bourses de fondation au profit des établissements ecclésiastiques. C'est tellement vrai que lorsqu'en 1857 honorable M. Frère proposait de modifier la législation sur les bourses d'études, il le faisait, pourquoi ?
Parce que vous réclamiez les bourses qui avaient été créées au profit des universités de l'Etat, au profit des universités libres ; et c'est parce que vous avez fait triompher ce système qui est juste et constitutionnel que le gouvernement a été obligé de présenter le projet de loi, afin de rétablir l'équilibre,
Remarquez en outre que les bourses du budget ne sont pas des fondations, ce sont des libéralités annuelles, libéralités que pourront encore faire les corps publics, tels que les conseils communaux qui créent des bourses au profit des jeunes gens qui fréquentent l'université établie dans leur ville.
Vous dites : « Le projet de loi consacre les mêmes idées ; vous permettez, d'après le projet, de créer des fondations au profit d'élèves devant suivre des universités publiques, et le rapport de la section centrale admet ce système. »
Quand on permet de désigner un établissement public, on crée une dotation au profit de cet établissement. Voilà pourquoi nous avions dit qu'en principe strict, absolu, on pouvait désigner un établissement (page 908) public, reconnu utile et bon par la nation, parce que ces établissements peuvent avoir une dotation. Mais si nous admettons une pareille possibilité, si nous croyons que le texte de la Constitution ne s'y oppose pas, nous nous sommes empressés d'ajouter qu'en vertu du grand principe de la liberté des opinions, il serait mieux de ne pas permettre aux fondateurs de désigner même des établissements publics.
Nous pensons qu'il est dans l'esprit de nos grandes libertés de décider que le boursier pourra aller étudier où il voudra, sans distinction d'établissements publics ou d'établissements privés.
Remarquons au surplus que dans un pays libre, il n'est pas à craindre que l'enseignement des établissements publics soit contraire à nos principes constitutionnels, donc qu'il soit intolérant.
Si, dans les établissements publics, il y avait des professeurs enseignant contrairement à la Constitution du pays, poussant à la haine de nos institutions, il est évident que, sous sa responsabilité, le ministre constitutionnel démissionnerait de pareils professeurs.
Ainsi donc il n'y a pas là de danger. Et c'est ce que l'honorable M. Schollaert reconnaît lui-même ; car dans sa profession de foi de 1850 il n'était pas de l'avis de l'honorable M. Dechamps, il ne prétendait pas que l'enseignement public n'est qu'un accessoire, il disait : « A côté de l'enseignement libre il faut un enseignement de l'Etat fort, complet et progressif, » Et pourquoi ? parce qu'il n'y a pas de danger, parce que l'enseignement public est toujours contrôlé par la nation, parce qu'il ne peut rien s'y passer de contraire à la civilisation sans qu'immédiatement la voix publique proteste, sans qu'immédiatement les corps publics s'agitent pour faire ramener l’établissement dans les voies constitutionnelles. Mais il n'en est pas de même des établissements privés ; et voilà pourquoi il est impossible de créer des personnes civiles au profit de ces établissements.
Et, du reste, que dit le rapport de la section centrale ? Le rapport de la section centrale prévoyait l'amendement de M. Orts.
Voici ce que nous lisons à la page 19 du rapport :
« Nous croyons qu'il serait préférable de ne point permettre d'indication d'établissements même publics. A vrai dire, les mourants ne devraient pas imposer une instruction plutôt qu'une autre, et il vaudrait mieux laisser toujours aux boursiers le choix de l'établissement. »
Nous n'avons pas proposé l'amendement comme section centrale ; mais évidemment était indiqué par le rapport ; et les honorables membres de la section centrale, appartenant à la majorité, étaient tous d'avis que nous devions présenter cet amendement à la Chambre.
Quanta l'honorable M. Nothomb, il n'a rien proposé ; il a présenté un amendement qui était tout à fait contraire à celui de M. Orts ; un amendement tendant à permettre de faire des libéralités au profit des établissements publics et au profit des établissements privés ; il voulait inscrire dans la loi qu'on pût désigner dans les actes toute espèce d'établissements Nous avons dit : « Non, cela n'est pas possible, c'est la personnification civile indirecte, créée au profit des établissements privés. »
Il est donc évident que l'honorable M. Schollaert ne peut retourner contre nous l'argumentation dont nous nous sommes servi contre son système.
Messieurs, l'honorable M. Schollaert a terminé son discours par quelques particularités qui le concernent ; il nous a dit qu'avant peu il aurait notre estime.
Eh bien, messieurs, il est bon de ne jamais attendre en pareille matière et de chercher à obtenir tout de suite ce qu'on désire. Je regrette que l'honorable M. Schollaert ne soit pas présent, il pourrait me répondre.
Voici ce que je lui dirais :
L'honorable M. Schollaert, dans sa profession de foi de 1850, a admis on principe qui est le mien.
Nous sommes peu nombreux sur les bancs de la gauche, qui sommes partisans de la révision de la loi de 1842, qui ne voulons pas du prêtre à titre d'autorité dans l'école. Nous serions excessivement heureux d'avoir des hommes de la droite pour renforcer nos rangs ; d'avoir des hommes de la droite, surtout des catholiques sincères, pour venir dire au pays : « Le prêtre n'intervenant pas dans l’école à titre d'autorité, c'est là le véritable système constitutionnel, il n'y a là rien d'hostile à la religion. »
Vous êtes loyal, vous êtes sincère ; je l'admets, je le reconnais ; mais il nous faut plus que des paroles, il nous faut des actes.
Vous avez dit, dans votre profession de foi de 1848 et dans votre profession de 1850, qu'il était complètement impossible que le prêtre (page 908) entrât, à titre d'autorité, dans les écoles du gouvernement. Eh bien, si vous êtes sincères, comme Jj le crois, donnez-nous la main. Mais alors les applaudissements que vous avez reçus seront changés bien vite en manifestations hostiles ; et, avant un mois d'ici, vous ne serez plus sur votre banc ; les hommes qui vous ont apporté dans cette enceinte s'empresseront de vous en faire sortir.
Voilà la demande que je voulais adresser à l'honorable M. Schollaert, et je voudrais avoir de lui une réponse.
M. B. Dumortier. - Vous n'avez pas le droit de l'interroger.
M. de Moor. - Il nous a livré son âme.
M. Bara, rapporteur. - J'ai posé loyalement la question. Personne ne doit craindre de faire connaître son opinion.
L'honorable M. Schollaert vous a parlé, messieurs, de l'âge d'or des partis. Il a dit : « Je suis le trait d'union entre la droite et la gauche ; j'arrive ici pour réconcilier tout le monde. La réconciliation est possible. »
Mais quelle amère déception l'honorable M. Schollaert a dû éprouver lorsqu'il a assisté à ces irritants débats ! Est-ce qu'il ne croit pas que le conseil du P. Lacordaire est encore bon, qu'il pourrait encore rentrer dans le silence pour méditer ? Il a vu les deux partis aux prises ; il a vu les assauts qui ont été livrés de part et d'autre, croit-il qu'il est possible de réconcilier les partis ? Croit-il qu'il est possible que nous nous réconcilions avec l'honorable M. de Liedekerke qui parle de la solidarité des générations passées et des générations futures pour donner aux particuliers le droit de fonder ? Croit-il qu'il y a réconciliation possible entre nous et M. Dumortier qui veut la liberté la plus absolue, la plus effrénée, c'est-à-dire la licence au profit du parti catholique ?
Eh bien, l'honorable M. Schollaert n'a que des illusions, illusions généreuses ; d'autres que lui les ont eues. Un homme dont nous admirons le talent, un homme qui a mis au service de sa cause la plus grande loyauté, est venu essayer ce programme ; eh bien, il est retombé meurtri sur son banc, meurtri par la droite elle-même. (Interruption.)
Oui, l'honorable M. de Decker est resté isolé, et il y a plus, je crois pouvoir le dire sans témérité que la gauche l'estime plus que certains membres de la droite.
- Voix à gauche. - C'est très vrai.
M. Bara. - Dernièrement encore, il arrive à quelques membres de la droite de faire partie d'une association qui se crée pour discuter librement sur la science. Que disent les organes de la presse catholique ? On ne discute pas avec les libéraux ; vous êtes des dupes. Nous refusons le pain et l'eau aux libéraux ; on ne discute pas avec eux. (Interruption.)
Cela a été écrit, vous avez beau le désavouer, et c'est précisément ce que je dis à l'honorable M. Schollaert : Vous ne représentez pas votre arrondissement. Si vous avez les idées que vous dites, vous ne représentez pas votre arrondissement.
Vous prétendez que vous êtes arrivé ici porté par le flot populaire. Est-ce que les évêques ont jamais été le flot populaire ? Allons donc ! (Interruption)
Voilà, messieurs, la vérité, le but que se propose l'honorable M. Schollaert est un rêve.
Hier, l'honorable M. Schollaert rendait hommage à la science politique de l'honorable M. Devaux. Mais n'a-t-il donc pas entendu l'honorable député de Bruges lui dire que la fusion entre les partis est une chimère, que cette fusion est impossible, qu'elle n'existera jamais ? Vous vous modifierez ; vous vous êtes modifié déjà ; vous, parti de la droite, vous ne serez plus le catholicisme intolérant comme vous avez été longtemps ; un autre parti arrivera ; mais la lutte continuera ; et quant à l'opinion libérale elle n'est pas à la fin de son combat.
Elle sait bien que ce n'est pas avec la droite qu'il est possible d'arriver à la réconciliation des hommes. C'est pourquoi elle se ceint les reins ; elle fait appel à tous les hommes animés de l'amour de la liberté et les convie à marcher avec elle vers le progrès par les voies constitutionelles que nous a tracées le Congrès de 1830. (Interruption.)
M. le président. - Je préviens les tribunes que si elles renouvellent les manifestations auxquelles elles viennent de se livrer, je les ferai évacuer ; c'est le dernier avertissement que je leur donnerai pendant cette discussion.
- Plusieurs voix. - La clôture !
.M. Dechamps. - Messieurs, hier, après avoir écouté, avec une émotion partagée par la Chambre presque tout entière, le discours de l’honorable M. Schollaert, discours dans lequel il s'est révélé non seulement dans tout l'éclat de son talent, mais dans la modération de son esprit, la dignité de son langage, le libéralisme de ses idées, dans la fierté blessée de son caractère, je croyais que l'honorable rapporteur, qui vient dose rasseoir, aurait compris et reconnu, avec une franchise qui n'abaisse pas, mais qui honore, qu'il s'était trompé. (Interruption.) Il a atténué quelques-unes de ses paroles, mais il n'a pas retiré ses accusations blessantes adressées au passé politique de mon honorable ami.
Aujourd'hui, il s'est vengé des attaques qu'il n'a pas osé renouveler contre le discours d'hier ; il s’est vengé en les dirigeant contre l'honorable M. Dumortier qui est hors de ses atteintes, qui est un des vétérans du parlement et de la révolution et qui voudra bien accepter nos respects sympathiques eu compensation des injures qu'il fera bien de dédaigner.
- A droite. - Très bien !
.M. Dechamps. - Messieurs, pour moi, lorsque je vois se produire, sur les bancs de nos adversaires politiques, un talent nouveau, un homme d'espérance et d'avenir, je puis regretter de rencontrer en lui un adversaire de mes opinions, mais un instinct patriotique, un sentiment de fierté nationale m'entraîne toujours à applaudir au talent en combattant les doctrines. Ce sentiment, il est le vôtre comme il est le mien, et l'honorable membre a eu le tort de ne pas l'avoir suffisamment compris.
Du reste, je ne me plains pas de ce que je me permettrai d'appeler une faute qui trouve peut-être son excuse dans l'inexpérience parlementaire.
- Voix à gauche. - Oh ! oh 1 !
.M. Dechamps. - C'est ce que je puis dire de plus doux, je ne m'en plains pas, puisque cette faute nous a valu un des plus beaux triomphes de tribune auxquels il nous ait été donné d'assister depuis longtemps. (Interruption.)
Puisque je viens de m'occuper, eu passant, de la partie personnelle du discours de l'honorable membre, permettez-moi, messieurs, avant de suivre MM. le ministre des finances et l'honorable M. Devaux sur le terrain plus élevé où ils se sont placés, permettez-moi de m'occuper un moment encore de la partie doctrinale des discours de l'honorable M. Bara.
L'honorable M. Bara, après avoir qualifié d'hérésies juridiques et constitutionnelles les opinions de l'honorable M. Nothomb, ancien ministre de la justice, a affirmé, en s'adressant à l'honorable M. Schollaert, que pas un membre de la droite n'oserait avouer les doctrines que l'honorable député de Louvain avait professées.
L'honorable M. de Theux a donné à l'instant même un démenti à cette assertion.
Mais j'affirme, moi, que pas un membre de la gauche ministérielle n'oserait accepter la responsabilité des théories absolues défendues par M. Bara, en matière d'enseignement et de fondation.
Quelle est la doctrine de l'honorable membre ?
Je laisse de côté les incidents, les petits côtés de la question, allons au fond ; quelle est donc la doctrine de M. le rapporteur de la section centrale en matière d'enseignement c'est que l'enseignement de l'Etat est la règle, le principe dominant ; c'est que la liberté n'est que l'exception. C'est le renversement du principe écrit dans l'article 17 de la Constitution et de toutes les traditions de cette époque.
En matière de fondations, l'honorable M. Bara est plus absolu encore : pour l'enseignement, l'article 17 de la Constitution l'oblige d'admettre au moins la liberté, ne fût-ce qu'à titre d'exception ; mais pour les fondations, le silence la Constitution laisse plus de latitude : l'honorable membre professe cette doctrine que, non seulement le droit de fondation doit devenir une exception très rare, mais ne doit être qu'une transition pour arriver à sa complète suppression. Il a renouvelé plusieurs fois cette profession de foi, il a répété avec insistance qu'il formait le vœu de voir remplacer bientôt...
M. Bara. - Je n'ai pas dit bientôt.
.M. Dechamps. - Mon Dieu ! je vous laisse le temps qu'il vous plaira de fixer ; mais vous avez émis le vœu de voir remplacer les libéralités particulières, les fondations par l'impôt. Or, qu'est-ce que l'impôt substituée aux libéralités particulières ? Si je ne me trompe, cela s'appelle, dans tous les pays et dans toutes les langues, le droit à l'assistance. (Interruption.)
Comment ! lorsque vous aurez tari cette source féconde et abondante des libéralités privées d'où sont nées toutes ces institutions magnifiques qui peuplent le sol de l'Europe chrétienne et civilisée et guérissent plus de misères sociales en un seul jour que tous les budgets d'Etat n'en pourront guérir en plusieurs siècles ; (page 909) quand tous aurez interdît les libéralités volontaires aux riches, supprimé le droit de fondation, anéanti les œuvres durables de la bienfaisance privée pour les remplacer par l'assistance publique, les populations nécessiteuses et misérables auront à coup sûr le droit de dire à l'Etat : Vous avez pris seul la responsabilité du soulagement des misères sociales, vous en avez assumé le devoir, et en face de ce devoir nous affirmons notre droit, le droit à l'assistance.
Il est donc clair que l'impôt substitué aux fondations libres, c'est le droit à l'assistance, et personne n'ignore que la conséquence du droit à l'assistance, c'est le droit au travail. (Interruption.) En doutez-vous ? Je vous renvoie à ces paroles de Louis Blanc : Admettre, dit-il, le droit à l'assistance et nier le droit au travail, c'est reconnaître à l'homme le droit de vivre improductivement ; c'est consacrer son existence comme charge, quand on refuse de la consacrer comme emploi, ce qui est une remarquable absurdité.
J'aime à croire que vos amis qui ont applaudi quand vous parliez ont applaudi au talent et non à la pensée et à la doctrine, car c'est pour la première fois qu'elle se produit d'une manière si peu déguisée dans le parlement.
Je rentre plus particulièrement dans le débat. Je promets à la Chambre, après ces trois semaines de discussion, de ne pas m'engager longtemps sur le terrain des questions juridiques. On a échangé des deux côtés de cette Chambre des arrêts de cour d'appel contre des arrêts de cour de cassation, des rétroactes de jurisprudence et des autorités de la science ; je ne sais pas si l'opinion en a été complètement éclairée. Pour moi, je vais vous dire quel est le résultat que cette discussion a produit dans ma conscience.
La fondation est-elle un droit privé ou un droit public ?
Je crois, en m'en rapportant à mon bon sens, qu'il y a dans toute fondation du droit public et du droit privé ; c'était l'opinion de la commission de 1849. Quand vous considérez la loi qui autorise une fondation, qui déclare l'utilité publique, mais qui ne la constitue pas, qui garantit l'affectation perpétuelle de l'œuvre et la soumet au contrôle du gouvernement, quand vous regardez ce côté de la fondation,, vous y trouvez les caractères d'une institution publique ; mais si vous tournez vos regards du côté du fondateur, cst-il possible de nier qu'il y ait là du droit privé ?
Comment ! le fondateur, le citoyen fonde, crée la fondation, il en est la première origine ; pour la fonder il use de deux choses sacrées et personnelles, de son bien, de sa propriété et de sa pensée, de sa liberté individuelle, il dispose de ces deux choses qui sont à lui, pour fonder une œuvre de charité, d'enseignement, d'utilité sociale, et vous niez qu'il y a là, dans ce droit individuel que le fondateur exerce, dans cette propriété dont il use, qu'il y a là du droit privé, d'une manière évidente ?
Mais pour que ce droit privé soit élevé à la hauteur d'on droit public, pour que cette propriété privée devienne en même temps une institution publique et revête le caractère de la perpétuité, il faut l'intervention de la loi et de l'Etat.
Le fondateur crée, il imprime sa pensée à cette création et l'Etat sanctionne.
- Voix à droite. - C'est cela !
.M. Dechamps. - Nous n'avons jamais soutenu autre chose. Pour nier qu'il y ait du droit public dans la fondation, il faudrait admettre la doctrine dos économistes, de Frédéric Bastiat et, pour ne pas sortir de la Belgique, de MM. Molinari et Ch. de Brouckere, qui soutiennent les droits de la liberté individuelle dans la sphère des fondations, jusqu'à prétendre qu'il faut supprimer l'autorisation préalable comme une chaîne et une entrave à la liberté ; nous n'avons pas été jusque-là.
Nous admettons avec vous cette autorisation, l'intervention de la loi pour la conférer, le contrôle de l'Etat comme garantie.
Mais comment n'admettez-vous pas, avec nous, la liberté du fondateur, dans ces conditions et ces limites, la liberté de donner à son œuvre le caractère qu'il veut, de lui imprimer sa pensée, son intention, sa volonté, quand cette volonté n'est pas contraire à l'intérêt social ? Comment ne reconnaissez-vous pas qu'il y a là un droit personnel et privé, une liberté individuelle à respecter ?
M. Bara est sans cesse revenu sur cette objection : c'est une institution publique, exclusivement politique, puisque c'est la loi seule qui lui donne l'existence et la vie.
L'honorable ministre des finances a répondu lui-même à cette objection. Le droit de tester, a-t-il dit, est-il absolu ? La loi ne l'entoure-t-il pas de liens étroits ? La puissance paternelle n'est-elle pas limitée en ce qui concerne la quotité disponible et l'égal partage entre les enfants ? L'honorable M. Frère a raison ; non seulement le droit de tester, la puissance paternelle sont limités par le code civil, par la loi ; mais la propriété elle-même ne l'est-elle pas ?
Le principe exorbitant de l'expropriation pour cause d'utilité publique, n'est-il pas une exception au droit de propriété consacré par la loi ?
Parce que la loi intervient dans l'usage du droit de tester et même du droit de propriété, direz-vous que la puissance paternelle, le droit de tester, le droit de propriété, ne sont pas des droits naturels, des droits privés, direz-vous que l'intervention de la loi en a fait des droits politiques ?
Messieurs, pour moi, le côté de la fondation qui constitue un droit privé, c'est la propriété d'abord, le bien affecté à l'œuvre, c'est surtout la pensée que le fondateur a voulu lui imprimer, c'est sa volonté et les conditions qu'il y a attachées, quand ces conditions se concilient avec l'intérêt social ; voilà le droit privé.
Le côté de la fondation qui est du droit public, c'est l'autorisation préalable, c'est la garantie donnée par l'Etat pour la perpétuité de l'œuvre, c'est le contrôle du gouvernement, pour que l'administration reste intègre et fidèle, pour la répression des abus, pour que la volonté du fondateur soit respectée, dans les limites de la possibilité et de l'utilité sociale.
Cette autorisation, cette déclaration d'utilité publique, ce contrôle, c'est-à-dire toutes les conditions attachées à l'institution politique, nous les admettons ; mais la pensée, l'intention, la volonté du fondateur, l'âme de son œuvre, vous la niez et vous la supprimez, pour y substituer la pensée de l'Etat. Voilà l'erreur fondamentale que nous combattons.
Mais admettons, par hypothèse, que sur cette question, au point de vue du droit strict, dura lex, qu'il y ait doute, sommes-nous ici un tribunal ? Nous sommes une assemblée politique qui doit se diriger avant tout par des considérations politiques, par des raisons d'équité, de prudence, d'honnêteté et de loyauté politique.
L'honorable M. Tesch, lorsque j'invoquais, dans une séance précédente, l'autorité de la commission de 1849, en ce qui concerne la rétroactivité, me répondait que la commission s'était laissé diriger par des considérations d'intérêt politique, qu'elle n'avait pas voulu blesser certaines susceptibilités, qu'elle avait voulu maintenir et respecter certaines positions acquises, ces traditions qui ont traversé la révolution, l'empire, le royaume des Pays-Bas et le régime belge sans qu'on osât y toucher. J'ai contesté l'exactitude de cette assertion, mais admettons-la un moment, et je demande à M. le ministre pourquoi il ne suit pas l'exemple gouvernemental que la commission lui a donné.
Pourquoi n'adopte-t-on pas cette conduite sage, prudente et politique ; pourquoi ne respecte-t-il pas ces convenances, ces traditions, ces susceptibilités ?
Pourquoi abandonne-t-il la politique qu'il a adoptée, en ce qui concerne la rétroactivité, en 1859 ?
Après une première hésitation devant la Chambre, le ministère de 1859 a accepté des mains du Sénat le principe de la non rétroactivité ?
Ce principe est-il différent, quand on l'applique aux administrations spéciales pour les fondations charitables, ou bien quand on l'applique aux collateurs spéciaux des fondations de bourses d'études ? Mais évidemment le principe est exactement le même..
Je vous interroge. Pourquoi avez-vous changez de conduite, de politique ? Pourquoi en 1859 avez-vous admis avec le Sénat le principe de la non rétroactivité à l'égard du même fait et pourquoi le repoussez-vous aujourd’hui ?
Mais ne m'autorisez-vous pas à dire que pour les bourses d'études il vous fallait le passé parce que l'avenir ne vous promet rien. On l'a dit, depuis 1818 on n'a fondé que deux bourses d'études, et comme l'avenir vous paraît stérile, vous mettez la main sur le passé, pour dépouiller ainsi l'université de Louvain de ses bourses anciennes.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ! Toujours le même système ?
.M. Dechamps. - Cette université ne reçoit aucun centime des budgets de la commune, de la province ou de l'Etat. Les universités de l'Etat ont leur large donation, l'université libre de Bruxelles reçoit des subsides communaux et provinciaux, on trouvera bien moyen de la faire jouir du legs de M. Verhaegen. L'université de Louvain est exclue de tous les budgets, et aujourd'hui vous voulez lui enlever quelques bourses d'études fondées par des prêtres et des évêques et dont elle jouit depuis un temps immémorial.
Cette université, lorsque vous l'aurez ainsi privée de ces libéralités particulières auxquelles des droits traditionnels étaient ainsi attachés, (page 910) que lui laisserez-vous ? Vous lui laisserez les collectes des fidèles dans nos églises ; mais non, je me trompe, ce droit a déjà été mis en question. On le conteste, et si je ne suis pas dans l'erreur, la question des collectes dans les églises forme un article du projet de loi sur les fabriques d'église qui doit nous être présenté, et naturellement ce sera pour jeter une dernière entrave à la liberté du haut enseignement.
Lorsque l'université catholique aura été ainsi exclue des budgets, lorsqu'on l'aura dépouillée des anciennes bourses d'études, lorsqu'on aura empêché les libres collectes dans les églises, lorsqu'on lui aura enlevé le pain et l'eau, on lui dira : Vivez de l'air de la liberté ! (Interruption.)
Messieurs, j'en appelle à votre loyauté ; trouvez-vous bien, trouvez-vous juste que lorsqu'un prêtre, un chanoine, un évêque - en Angleterre ce sera un prêtre protestant - aura légué une part de sa fortune, dans une pensée religieuse, pour assurer aux descendants de sa famille, une éducation, une instruction religieuse, trouvez-vous juste qu'à l'aide de la rétroactivité, cette bourse soit conférée à un jeune rationaliste qui voudra désapprendre les principes chrétiens dans une université qui est née de la liberté, qui à ce titre mérite tous nos respects et que toujours sous ce rapport j'ai défendue, mais que j'ai aussi le droit de juger au point de vue des doctrines ; dans cette université que son fondateur lui-même, à cette tribune, a déclarée être l'antithèse de la foi catholique que nous professons ?
Les jeunes gens qui en sortent, les étudiants de cette université n'ont-ils pas récemment encore, par leur organe avoué, non contredit, fait sur un cercueil retentissant, le serment des solidaires, en promettant hautement qu'à leur dernière heure, ils repousseraient les secours de cette religion qu'on leur a désappris à connaître et à aimer ? (Interruption.)
Trouvez-vous que cela soit juste ?
Trouvez -vous que la volonté de ce prêtre, de cet évêque aura été respectée lorsqu'on aura fait un pareil usage de sa libéralité, lorsqu'on aura ainsi rajeuni sa fondation et renversé la pensée religieuse qu'il avait en la créant ?
Voyons, messieurs, par quoi sommes-nous séparés ? Nous sommes séparés par deux choses. Nous voulons nous, comme tous les législateurs de tous les pays, de toutes les époques, nous voulons qu'en matière de fondation, le principe, la règle principale soit le respect pour la volonté du fondateur aussi longtemps qu'il est possible de lui garder ce respect. Nous ne voulons pas que l'on change, que l'on transforme la pensée du fondateur, qu'on dénature son testament et sa fondation, en gardant l'argent.
Voilà l'un des principes qui nous séparent. Le second, c'est que nous admettons des administrations spéciales, des collateurs spéciaux, sous le contrôle, sous la main du gouvernement, et c'est ce que vous n'admettez pas.
Mon Dieu ! je comprends que sur ces principes le désaccord soit permis et possible, mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'on soit parvenu à le présenter au pays comme une énormité, comme une exigence intolérable qui n'existe dans aucun coin du monde ; ce sont les paroles de l'honorable M. Frère.
On a fait croire que ce principe exorbitant, inouï, renfermait dans ses flancs tous les abus du moyen âge, tout ce que le monde moderne a renversé. C'est à l'occasion des questions que ce principe soulève qu'on a effrayé une partie de l'opinion, fait des phrases superbes aux souvenirs de Philippe II, de l'inquisition et des bûchers.
Eh bien, messieurs, voyons. Nous ne sommes plus en présence des émotions contagieuses d'un pays que la fièvre égare, nous pouvons examiner froidement, impartialement, à la lumière des faits et du bon sens, la valeur du grief qu'où nous a opposé.
Comment ferez-vous croire à des hommes sensés que le principe des administrations spéciales dans les fondations, principe que tous les peuples civilisés ont accepté dans leurs législations, que ce principe est la résurrection du moyen âge avec tous ses abus ?
Voyons : ce principe des administrations spéciales, par lequel nous sommes divisés, a traversé la révolution et l'empire, depuis 1804 jusqu’en 1814 ; il a traversé le royaume des Pays-Bas tout entier sans que personne songeât à s'en émouvoir et à s'en préoccuper.
En 1830, au Congrès national, la question a été un moment, incidemment soulevée, et l'honorable M. de Theux, avec l'autorité de ses souvenus, a rappelé à la Chambre ce qui s'était passé en présence des deux systèmes opposés qui s'étaient produits.
Le Congrès n'a pas voulu se prononcer, il a suspendu la solution ; le Congrès s'en est rapporté à la législature future. Et qu'est-il arrivé ?
En 1836, la législature a décidé la question en votant l'article 84 de la loi communale, L'article 84 de la loi communale a consacré le maintien des administrateurs spéciaux, il a maintenu notre principe et non pas le vôtre. Vous l'avez longtemps contesté ; mais en présence de l'arrêt de la cour de cassation, désormais il n'est plus possible de le faire. Ainsi, en 1836, le principe des administrations spéciales a été consacré. Que s'est-il passé depuis ?
Sous tous les ministères, que les ministres de la justice s'appelassent M. Liedts, M. Leclercq, M. Lebeau, ou bien M. Van Volxem et M. d'Anethan, tous ces ministères ont commis cette énormité sans s'en apercevoir et sans s'en douter. Tous ont signé de nombreux arrêtés constituant des administrations spéciales, sans savoir qu'ils remuaient une de ces questions formidables, qu'ils ressuscitaient le moyen âge et nous faisaient remonter jusqu'à Philippe II.
Ce n'est pas tout, messieurs ; pendant nos luttes les plus vives, lorsque les deux partis se sont définitivement constitués, après 1840, au milieu des passions qu'on cherchait à exciter, l'opposition libérale avait peine à trouver un grief généreux. La seule question politique sérieuse qui ait été soulevée dans l'ordre des intérêts sociaux dont nous nous occupons aujourd'hui, est la question de l'enseignement primaire ; or, cette question de l'enseignement primaire a été l'objet d'une grande et pacifique transaction, et résolue à la presque unanimité des deux Chambres. Cette question, qui pouvait promettre des orages, a donc échappé à l'opposition libérale.
Il lui fallait pourtant des griefs, pour alimenter les passions, pour faire croire que l'indépendance du pouvoir civil était menacée et que le clergé pesait sur le ministère. On était à la veille des élections de 1845 ; la dîme fut trouvée.
On l'a découverte dans un petit catéchisme du diocèse de Namur, qui avait été réimprimé depuis 1796 avec le même imprimatur, et dans lequel se trouvait encore l'obligation de payer la dîme.
Eh bien, vous ne le croirez pas, on porta ce grief à la tribune, on l'y agita pendant de longues et orageuses discussions, on égara le pays avec la dîme, de la même manière qu'en 1857 on l'a agité avec les couvents. Aujourd'hui cela paraît presque ridicule, mais l'évêque de Namur a dû intervenir, il a dû faire un mandement solennel pour déclarer qu'il n'était pas question de rétablir la dîme, que cette menace n'était nullement suspendue sur le pays.
L'honorable M. Devaux, qui trouve maintenant que nos griefs sur l'enseignement, sur la charité, sur le temporel des cultes, sur la sépulture religieuse, sont des misères et des infiniment petits qu'une opposition sérieuse ne devrait pas ramasser et élever à la hauteur de griefs politiques, l'honorable M. Devaux était alors à la tête de l'opposition libérale ; il ne trouvait pas que la dîme, portée à la tribune par M. Verhaegen, était une arme de guerre indigne d'un grand parti. Que l'honorable M. Devaux compte bien, pèse bien les griefs sérieux, considérables, que l'opinion libérale a soulevés depuis 1840 jusqu'en 1847.
Il rencontrera, au point de départ, l'incident Vandersmissen et au but l'affaire Retsin. Il a fait échouer le ministère du comte de Theux en 1840, sur l'incident Vandersmissen, qu'il a élevé à la hauteur d'une question politique, et, en s'emparant de l'émotion patriotique et légitime de la droite ; l'opposition libérale a ébranlé le ministère de M. Nothomb, en 1843, à l'aide de la dîme, et elle n'a pu découvrir que le grief Retsin dans ses attaques contre le ministère conservateur de 1846. Voilà les grandes questions, les griefs sérieux à l'aide desquels on a renversé trois ministères.
M. De Fré. - Vous n'étiez pas forts alors.
.M. Dechamps. - Eh bien, au milieu de tous ces griefs, l’honorable M. Verhaegen, qui avait apporté la dîme à la tribune nationale, l’honorable M. Verhaegen dont le coup d'œil perspicace nous est connu, n'a pu découvrir la mainmorte, les personnes civiles, les administrateurs spéciaux et les couvents !
Il les cherchait pourtant, il parlait de dîme et de mainmorte, mais l'énormité trouvée par M. Frère a échappé à ses yeux.
Les administrateurs spéciaux, c'est-à-dire les couvents et la mainmorte, étaient là cachés dans les flancs du pays, les abus étaient là, le grief se trouvait sous la main, il ne fallait que se baisser pour le soulever et en effrayer le pays, et cependant on n'a rien vu, rien soupçonné.
Pas plus l'honorable M. Verhaegen que l'honorable M. Leclercq, que l'honorable M. Liedts, que l'honorable M. Devaux, personne ne l'avait aperçu ; tout le monde l’ignorait.
Quelques années plus tard, le Congrès libéral s'ouvre à l'hôtel de ville. Vous savez dans quelle situation des esprits ce Congres s'est réuni. Déjà la tempête européenne grondait dans le lointain, l'air de l'Europe était agité, le flot libéral montait. (Interruption.)
(page 911) M. Hymans. - Pas de tout.
.M. Dechamps. - Comment ! Vous l'avez oublié : La révolution de la Suisse éclatait, l'Italie était en mouvement, l'opposition en France grandissait, et certainement la Belgique participait à cette situation. (Nouvelles interruptions.)
- Plusieurs membres. - Non ! non !
.M. Dechamps. - Je laisse là cette phrase, si elle vous contrarie. Mais je dis que le Congrès libéral, qui devait résumer tous les griefs de l'opposition, qui n'avait trouvé que le fractionnement des collèges communaux, la nomination des bourgmestres en dehors du conseil avec l'avis conforme, je pense....
- Plusieurs membres. - Non ! non !
.M. Dechamps. - Sans l'avis conforme des députations permanentes ; je ne parle pas du grief de l'intervention du prêtre à titre d'autorité ; car enfin ce grief paraît avoir disparu, puisque le ministère, depuis dix ans, ne l'a pas encore réparé ; je dis que le Congrès libéral qui devait résumer tous les griefs qui pouvaient mieux émouvoir le pays, n'a pas soupçonné que la mainmorte existait. M. Frère était là, il ne l'avait pas devinée plus que les autres.
M. le ministre de la justice a exprimé une grande vérité en répondant à un de mes honorables amis, lorsqu'il a dit que cette question n'était pas née. Effectivement la question n'était pas née ; personne ne la connaissait. Pour la faire naître, il a fallu l'entrée de l'honorable M. Frère au pouvoir. C'est lui qui en est l'inventeur. Si c'est une gloire, elle lui appartient.
Nous sommes arrivés au ministère de 1847. Il introduit la question pour la première fois. Il nomme la commission de 1849 et la charge de l'examen des questions relatives aux fondations.
Il choisit cette commission parmi les notabilités les plus respectées de la magistrature du pays ; il les choisit toutes ou presque toutes dans l'opinion libérale,
Eh bien, j'ai eu l'occasion de vous le dire, que fait cette commission ? Elle adopte presque toujours à l'unanimité, tous les principes contraires à ceux que vous défendez et que vous faites prévaloir, fondations pour les établissements d'instruction, avec administrations spéciales, administrations spéciales pour les fondations charitables, collateurs spéciaux pour les bourses d'études, non rétroactivité, c'est-à-dire tous les principes que nous soutenons contre vous.
Et qu'est-il arrivé ? Lorsque la circulaire de l'honorable M. de Haussy a paru, la commission déclare, dans la lettre de M. Leclercq, que la question sortant du domaine de l'examen juridique, devenant une question politique, c'est-à-dire une question de parti, elle donne sa démission et remet son travail inachevé dans les mains du ministère avec lequel elle se trouve en complet dissentiment.
L'honorable ministre de la justice l'a dit avec raison : la question n'était pas née ! elle n'.était pas née ; MM. Leclercq, Liedts, Orts, Tielemans, Paquet, de Luesemans, Van Hoogten et Closset, n'avaient pas soupçonné que cette question des fondations qu'ils examinaient paisiblement, au point de vue du droit, de la justice et de la modération, était une grosse question de parti portant dans ses flancs les émotions contagieuses de 1857 ; pas un parmi eux n'y avait aperçu des abus intolérables, des énormités. nous replongeant en plein moyen âge, les couvents s'emparant de toutes les richesses et la mainmorte absorbant toutes les propriétés ; ils n'avaient rien découvert de tout cela, pas plus que le congrès libéral, pas plus que M. Verhaegen et l'opposition libérale tout entière, pas plus que MM. Lebeau, Liedts et Leclercq comme ministres de la justice, pas plus que la Belgique, pendant vingt ans, pas plus que tous les peuples civilisés dont les législations consacrent ces principes que vous avez appelés des abus d'un autre âge ; ils n'avaient rien vu, rien soupçonné !
Et vous nous ferez croire, après cela, que c'est là un grief sérieux, une énormité qui a pu légitimement causer la chute d'un ministère modéré, amener ce grand échec légal et parlementaire, que rien n’explique ni n'excuse, que ce sont nos fautes et non pas vos passions qui ont provoqué la fièvre du pays.
Messieurs, ma raison se refuse absolument à se courber devant une pareille exigence et une telle erreur. (Interruption.)
Le lendemain de 1857, les émotions factices, je ne veux pas dire : qui ont égaré le pays, parce que je ne veux pas passionner le débat, ces émotions vous les aviez eues pour vous, mais nous avions pour nous la raison de l'Europe, de tous les hommes d'Etat, de toutes les autorités de la science ; j'en citerais cent qui ont condamné vos doctrines.
Vous n'en citerez pas un qui les ait approuvées, Vous connaissez le langage de cet illustre protestant, M. Guizot, et les conseils sympathiques et inquiets qu'il adressait à cette époque à la Belgique ; M. Guizot disait au parti dont l'honorable M. Frère est le chef : « Vous avez contre vous le droit, l'histoire et l'exemple de tous les peuples civilisés. »
Ces paroles, l'honorable ministre des finances a cru piquant, dans son dernier discours, de les emprunter textuellement à M. Guizot, en les retournant contre nos*.
Eh bien, je reprends la phrase célèbre de M. Guizot, je l'affirme de nouveau ; je viens de prouver de manière à défier la contradiction, que nous avions pour nous notre histoire depuis 1804 jusqu'en 1859 ; je vais vous démontrer que nous avons pour nous l'exemple de tous les peuples civilisés.
Connaissez-vous une seule législation, une seule, qui consacre vos principes ? Si vous en connaissez une seule, nommez-la, non pas en citant un incident, une disposition détachée et exceptionnelle, mais en prenant la législation dans son ensemble ; connaissez-vous une seule législation qui consacre la possibilité, pour le gouvernement, de s'emparer d'une fondation, de changer complètement la volonté du testateur et la destination de la fondation et de garder l'argent ?
Je vous défie de citer une loi qui consacre cette énormité. En second lieu, dites-moi quelle est la législation qui proscrit aussi absolument que vous le faites, des administrations distinctes et spéciales ?
J'ai sous les yeux un livre qui a été publié, depuis 1857, par un homme qui, en cette matière, fait autorité en Europe et qui a brillé dans tous les congrès de bienfaisance et de science sociale ; je parle de M. Ducpetiaux. J'ai sous les yeux ce livre couronné par le congrès de Francfort et qui donne l'analyse de presque toutes les législations, en matière de fondations charitables, de la France, de l'Angleterre, des Etats-Unis, de la Hollande, de la Prusse, de l'Autriche, de toute l'Allemagne, des pays du Nord, de la Suisse, de l'Italie, du Portugal, des Etats sardes, de la Turquie et de la Chine. L'honorable M. Ducpetiaux a fait ce travail en puisant aux sources officielles, et je ne pense pas que, sur ce point, une réfutation de son livre ait été essayée.
Il a démontré, les législations à la main, que si chez tous ces peuples les fondations sont soumises à l'autorisation légale et à un contrôle du gouvernement plus ou moins sévère, partout le respect de la volonté du fondateur est le principe et la règle que ces législations consacrent, dans les conditions possibles ; partout, on a admis, d'une manière plus ou moins étendue, la faculté pour le fondateur d'instituer des administrations spéciales, comme représentant particulièrement la pensée du fondateur ; partout dès lors c'est notre principe qui triomphe, et nulle part votre système n'existe avec le caractère absolu que vous lui avez donné.
Messieurs, le seul pays dont la législation ressemble à la nôtre, le seul pays où vous prétendez avoir puisé les traditions de votre système, c'est la France ; mais vous savez aussi bien que moi que, dans la manière d'appliquer la loi, on a introduit des tempéraments et une jurisprudence plus large, plus libérale et plus généreuse qu'ici vous répudiez.
Le gouvernement accorde la personnification civile, après approbation des statuts par le conseil d'Etat, aux institutions particulières et libres de toute nature, sociétés charitables, d'enseignement, de science, de littérature, caisse d'épargne, sociétés de secours mutuels. Il suffit que l'utilité publique soit constatée et que l'établissement ait des ressources suffisantes pour assurer sa durée. Il n'y a d'exception que pour les congrégations d'hommes, qui ont besoin d'une loi pour être reconnues. Encore les congrégations d'hommes antérieurement reconnues par un simple acte du pouvoir exécutif, ont conservé tous leurs droits.
Les faits parlent plus haut que les phrases : en France, les frères des écoles chrétiennes, les lazaristes, les pères des missions étrangères, sont personnes civiles ; les hospitalières, les sœurs de charité, une foule d'institutions de femmes sont personnes civiles ; depuis 1852, dit M. Martin Doisy, le nombre d'établissements reconnus n'est pas inférieur à deux cents.
Vous le voyez, messieurs, la personnification civile refleurit en France pour les œuvres vraiment utiles, et le ministère doit renoncer à chercher là des exemples.
En tout cas, s'il est vrai que la liberté des fondations n'est pas aussi étendue en France qu'en Angleterre, aux Etats-Unis et en Hollande, ce n'est pas en France, à coup sûr, que nous devons aller puiser des exemples de libéralisme, et ce n'est pas, je pense, la liberté comme en France qui sera jamais en Belgique le programme d'un parti vraiment national.
L'Angleterre ? Je m'étonne que l'honorable ministre des finances, qui connaît si bien les législations étrangères, ait osé citer l'Angleterre. Mais (page 912) en Angleterre, tout est corporation, tout est fondation, tout est fidéicommis ; il n'est pas une œuvre, dans une sphère quelconque, qui ne soit une personne civile. Les cultes, la charité, l'enseignement à tous les degrés, tout cela repose sur le principe des fondations.
La moitié des écoles primaires sont des écoles dotées par des fondations ; tous les collèges, les écoles intermédiaires ont pour basa des fondations, depuis les écoles d'Eton et de Windsor, jusqu'aux collèges des Jésuites et des Oratoriens ; les universités d'Oxford et de Cambridge sont des corporations ; l'université libre de Londres est personne civile et l'université catholique de Dublin repose sur une fondation de 2,500.000 fr. La dotation des cultes n'est pas le budget, mais les libéralités fondées. En Angleterre, le droit de tester est illimité et celui de fonder l'est à peu près. La liberté de fonder y est considérée, comme celui de lester, comme inhérente au droit individuel du citoyen et comme l'exercice du droit de propriété.
La volonté du fondateur est toujours respectée ; la loi ne peut jamais changer la destination de la fondation, à moins qu'elle ne soit devenue impossible, et alors la cour de chancellerie intervient pour que la fondation soit affectée à l'objet le plus analogue à celui de la destination originelle.
il faut vraiment un grand courage d'affirmation pour oser citer l'Angleterre, comme l'a fait M. le ministre des finanças, en faveur d'un système qui est la négation même du droit de fonder, comme je l'ai démontré dans mon premier discours.
Que fait l'honorable M. Frère ? Il s'empare d'un incident, d'une exception qu'il a trouvée enfouie dans le recueil des bills anglais, et à l'aide de cette exception il nie et il tue la règle ; il élève l'incident à la hauteur d'une synthèse, et s'écrie : Voilà la législation de l'Angleterre ! Quelle est la valeur de ces deux ou trois bills qu'il a cités ? L'honorable M. Frère a trouvé en ce qui concerne les universités d'Oxford et de Cambridge, qu'on avait transformé, je crois, des places d'agrégés en bourses, qu'on avait converti les prix de certaines fondations en bourses, qu'on avait aboli certains droits de préférence, qu'on avait touché à certains droits décollation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On a changé l'administration et la direction.
.M. Dechamps. - Oui, exceptionnellement, quand les administrations refusaient d'obéir à la loi ; mais je le demande à l'honorable M. Frère, est-ce que la corporation de l'université d'Oxford ou de Cambridge a été changée ? Est-ce que des administrations spéciales n'existent plus ? A-t-on transféré les bourses de ces universités à l'université de Londres ? A-t-on rajeuni les testaments, changé la pensée des fondateurs ? A-t-on enlevé à la fondation ses administrateurs distincts, et aux bourses ses collateurs ? Rien de tout cela ; et j'ai remarqué, à une rapide audition, que dans chacun des bills secondaires cités par M. le ministre des finances, on mentionnait toujours la volonté du fondateur, pour ne pas y déroger et pour la respecter.
Mais je suppose même que pour des cas exceptionnels, le parlement anglais ait apporté certaines restrictions, dans un but de répression d'abus et de contrôle, n'en reste-t-il pas moins vrai que les personnes civiles, soit comme corporations complètes, soit comme fidéicommis, sont appliquées presque sans exception à toutes les œuvres utiles en Angleterre ?...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la loi que j'ai citée ?
.M. Dechamps. - Vous êtes un homme trop sérieux pour que dans une matière aussi importante que celle des fondations en Angleterre, vous vous réfugiiez derrière de pareils incidents et de telles exceptions...
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est un principe !
.M. Dechamps. - C'est si peu un principe, que la législation générale, l'acte du 20 août 1853, est en opposition formelle avec ce principe ! Voyons quelle est cette législation ?
En 1849, pour constater de nombreux abus signalés, une enquête parlementaire a été ouverte sur les fondations charitables ; cette enquête a duré plusieurs années. Mon étonnement est que sous une législation aussi large, avec un contrôle aussi inefficace attribué au gouvernement, les abus n'aient pas été plus nombreux.
L’enquête eut lieu. Qu'a fait cette enquête ? qu'a-t-elle proposé au gouvernement ? De supprimer les administrations spéciales ? de supprimer les collateurs spéciaux ? de confier aux mains de l'Etat la bienfaisance et les fondations ?
Voici les conclusions du rapport :
« Pour remédier d'une manière permanente et efficace à ces vices et ces abus, il nous paraît nécessaire d'instituer, par voie législative, une autorité publique et permanente qui serait chargée d'exercer un contrôle sur l'administration des fondations charitables en général.
« Parmi les dispositions qui se rattacheraient nécessairement à l'institution que nous venons de mentionner, nous recommandons entre autres : l'obligation imposée aux administrateurs ou curateurs des fondations charitables de dresser des comptes annuels des recettes et des dépenses ; la communication de ces comptes à quelque autorité locale chargée de leur vérification ; leur enregistrement subséquent et leur dépôt dans un office public où chacun pût en prendre connaissance ; l'envoi de copies de ces mêmes comptes à un fonctionnaire public ou à un comité, dans le bureau duquel on les conserverait, de même que toutes les autres informations concernant les diverses fondations charitables existant dans le royaume ; l'autorité attribuée à ce fonctionnaire ou à ce comité d'intenter telles procédures et telles poursuites, et d'exercer tel contrôle jugés nécessaires pour atteindre le but proposé.
« Nous sommes intimement convaincus que la création de cette autorité donnerait le moyen d'empêcher efficacement la dilapidation des fondations charitables en mettant un terme aux abus actuels résultant de la négligence ou de la mauvaise administration, de suggérer des règles de direction aux administrateurs disposés à se laisser guider par de bons conseils, et de prévenir dans beaucoup de cas des procès coûteux, qui seraient rarement nécessaires, alors qu'il serait généralement connu que tout acte de négligence ou de malversation serait certainement et promptemeut empêché. »
Messieurs, le projet de loi de 1857 sur la charité allait beaucoup plus loin en matière de surveillance ; le projet déposé par l'honorable M. Nothomb renfermait et organisait un contrôle bien plus efficace que celui-là.
Voici comment M. Dupectiaux résume cette législation anglaise nouvelle qui a été votée à la suite de l'enquête, je veux parler de l'acte du 20 août 1853.
« En présence des conclusions de la commission de 1849, le gouvernement comprit la nécessité d'apporter quelques changements à l'ancienne législation sur les fondations charitables ; nous disons quelques changements, car l'acte du 20 août 1853 n'eut aucunement pour but de centraliser, comme en Belgique, l'administration de la bienfaisance.
« Cet acte se borne à instituer une surveillance centrale sous le nom de « Commission des fondations charitables pour l'Angleterre et le pays de Galles ». Cette commission se compose de quatre membres auxquels sont adjoints un secrétaire et deux inspecteurs ; elle a spécialement pour mission de veiller à ce que les fondations particulières de charité soient administrées conformément aux intentions des fondateurs, et à ce que les fonds destinés à la bienfaisance reçoivent la meilleure application possible.
« L'acte de 1853 fait d'ailleurs toutes réserves en ce qui concerne les droits et privilèges de l'Eglise établie. Ses dispositions ne s'étendent pas non plus aux universités d'Oxford, de Cambridge, de Londres, de Durham, ni aux collèges ou écoles dépendant desdites universités, aux cathédrales, collégiales, ou autres établissements destinés aux cultes, ni en général aux établissements d'utilité publique ou de bienfaisance créés et soutenus aux moyens de contributions volontaires.
« Cet acte ne met, comme on voit, aucune entrave à la création des corporations et des fondations dirigées par des administrateurs particuliers ou spéciaux ; elles peuvent être instituées non seulement dans un but charitable, mais aussi dans un but religieux ou scientifique. La liberté la plus large existe à cet égard sans distinction de communion religieuse, sauf le contrôle nécessaire pour assurer l'exécution des intentions des fondateurs et des bienfaiteurs, et prévenir les abus. »
Messieurs, il est donc impossible que vous invoquiez l'exemple de l'Angleterre. Je reconnais beaucoup d'habileté à M. le ministre des finances ; mais il lui faudrait plus que de l'habileté pour faire croire à la Chambre, au pays et à l'Europe, que l'Angleterre, en matière de fondations charitables ou d'enseignement, a adopté les principes que tend à consacrer le projet de loi du gouvernement.
Aux Etats-Unis, la liberté des fondations est peut-être plus grande encore. Il n'y existe pas de législation spéciale sur la charité. Une liberté presque complète y est laissée aux fondateurs. Toutes les villes des Etats-Unis sont peuplées d'hospices, d'hôpitaux, d'établissements de bienfaisance splendides comme des palais. L'honorable abbé de Haerne a rappelé que 2 millions d'hectares sont affectés aux fondations d'instruction, et que 221 collèges et universités reposent sur les revenus de riches fondations. Les collèges des jésuites sont personnes civiles aux Etats-Unis, comme ils le sont en Angleterre, comme les frères des écoles (page 913) chrétiennes et les Lazaristes le sont en France, et en Belgique en refuse d'accorder cette personnification aux sœurs de la charité ; voilà ce que l'on appelle la liberté et le progrès !
En Hollande, vous le savez, messieurs, le principe qui a prévalu est précisément le principe opposé à celui défendu par M. Bara et par le ministère. D'après M, le rapporteur de la section centrale, la fondation ne doit être qu'une rare exception ; le principe et la règle ce sont les établissements publics et l'impôt.
En Hollande, au contraire, le soin des pauvres est abandonné aux églises et aux particuliers. L'administration publique n'est que subsidiaire. Les établissements de bienfaisance y sont administrés, gérés et surveillés par les diaconies et par des associations privées.
Voici quels sont les principes de la loi néerlandaise de 1854 ; je cite les paroles mêmes de M. le ministre de l'intérieur qui avait présenté la loi. Il la résume ainsi :
1° Abandon aux institutions de charité ecclésiastiques et particulières, du soin de pourvoir à l'assistance des pauvres ;
2* Désignation du bureau de bienfaisance civil qui peut prêter assistance à ceux qui ne peuvent pas être secourus par des institutions ecclésiastiques et particulières ;
3° Reconnaissance de la pleine liberté de gouvernement et d'administration des institutions ecclésiastiques de bienfaisance.
4° Réglementation de l'assistance civile.
Non seulement l'assistance publique n'est considérée, en Hollande, que comme subsidiaire, mais la loi a été considérée comme transitoire ; c'est une voie de transition, dit le rapport de la section centrale, pour aboutir, s'il est possible, à restituer à la charité privée le soin exclusif du soulagement et de l'entretien des indigents. »
C'est l'antithèse du système, de la section centrale et du ministère qui consiste à donner la prépondérance et le monopole à la bienfaisance ou à l'enseignement public, et le rôle subsidiaire et transitoire à la charité privée.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La fondation c'est de la charité publique ; vous le reconnaissez vous-même.
.M. Dechamps. - Ce n'est pas ainsi qu'on le comprend ailleurs-
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais c'est ainsi que vous le comprenez vous-même.
.M. Dechamps. - La charité privée dont parlent l'exposé de la législation hollandaise, ainsi que les législations des Etats-Unis et de l'Angleterre, comprend évidemment les œuvres durables et fondées. Je pourrais parcourir ainsi toutes les législations que j'ai mentionnées tout à l'heure, et je vous ferais voir, en toute évidence, que nulle part votre système n'est établi.
Mais je m'arrête. Il est un moyen de nous mettre d'accord et de terminer ce débat, de manière à être clairement compris par l'opinion ; laissons là les phrases et posons un fait. Voyons : parmi toutes les législations, en matière de fondations, d'instruction et de charité, de l'Angleterre, des Etats-Unis, de la Hollande, de la Prusse, de l'Allemagne tout entière, des Etats-du Nord, des Etats sardes, d'où 125 évêques sont exilés, de l'Italie, de la Suisse, de la Turquie et de la Chine, parmi toutes ces législations qui toutes consacrent le principe des administrations spéciales, choisissez celle qu'il vous plaira, la moins libérale de toutes, nous l'acceptons de vos mains comme un bienfait, en place des lois que vous nous imposez.
- Voix à droite. - C'est cela.
.M. Dechamps. - Et je vous déclare, messieurs, que ce n'est pas ici une phrase à effet que je prononce, mais une pensée sérieuse que j'exprime, je parle au nom de tous mes amis politiques ; je vous déclare que nous accepterions comme libérales, non seulement les législations de l'Angleterre, des Etats-Unis et de la Hollande, nous n'en sommes plus à espérer des institutions aussi larges que celles-là, mais celles des Etats Sardes, celles de la Turquie et de la Chine, moins étroites, moins restrictives que la vôtre. (Interruption.)
Messieurs, c'est toujours la même idée : le progrès c'est l'extension des droits de l'Etat.
Le libéralisme, c'est la tutelle de jour en jour plus pesante de l'Etat sur la société retenue dans les langes d'une éternelle minorité. Plus les langes seront étroites, au moins en matière de liberté religieuse, plus la liberté sera grande aux yeux de votre opinion ; plus l'intervention de l'Etat dans l'enseignement, la charité et les cultes sera forte et centralisée, plus la tutelle de l'Etat sera absolue dans l'ordre de ses intérêts sociaux, plus, selon vos doctrines, le progrès sera manifeste. Il n'est pourtant pas permis au XIXème siècle, en présence des progrès de la science sociale et économique, de venir encore professer de pareils principes.
Comment ! c'est la tutelle de l'Etat qui est la liberté ? Comment ! vous confondez, comme l'a fait l'honorable M. Tesch, vous confondez sars cesse la société avec l'Etat !
Sans doute, il ne faut pas les séparer, les opposer, il faut les concilier et les unir ; mais n'est-il pas évident qu'à mesure que la liberté de l'Etat, c'est-à-dire son pouvoir, sa tutelle, augmente, dans la même mesure diminue la liberté des individus, de la famille, des associations, des églises et des cultes, de toutes ces agrégations qui sont des êtres vivants formant la société et dont les droits sont antérieurs et supérieurs à ceux de l'Etat dont la mission est précisément de les protéger et de les garantir.
N'est-ce pas là le libéralisme ? N'est-ce pas là l'idée moderne ? N'est-ce pas la doctrine que vous professez, quand il s'agit de la liberté de conscience, de la liberté d'opinion, de la liberté de la presse et de la liberté de l'industrie et du travail ? Pourquoi, - je vous l'ai déjà demandé - la liberté, la non-intervention de l'Etat, est-elle du libéralisme dans ces sphères, et pourquoi l'intervention croissante de l'Etat dans l'enseignement publie à tous les degrés et dominant l'enseignement privé, dans la bienfaisance publique centralisée, pourquoi la main de l’Etat dans le temporel des cultes, pourquoi cette tutelle devient-elle du libéralisme} ?
Pourquoi ? C'est parce que derrière la liberté des cultes, vous voyez les cultes dissidents qui en profitent ; parce que derrière la liberté de la presse vous voyez le libéralisme qui en use puissamment, et parce que derrière l'enseignement et la charité, vous voyez le clergé.
Messieurs, je viens de vous montrer quel est le principe du gouvernement en matière de fondation. Je viens de vous prouver que nos adversaires n'ont pour eux ni le droit, ni l'histoire, ni l'exemple des peuples civilisés.
Je demanderai à l'honorable M. Devaux, en passant, si ces graves questions qui agitent et divisent non seulement les partis en Belgique mais en Europe et dans le monde, si ces questions peuvent être appelées une petite question, un grief sans valeur qui n'est pas digne d'être ramassé par une opposition sérieuse. Je lui demanderai si ce n'est point là une question plus grave que l'affaire Vandersmissen, que la dîme de 1845, que l'incident Retsin de 1846, que toutes ces armes de guerre dont l'ancienne opposition libérale a usé et abusé ?
.M. Devaux. -Vous avez maintenu toutes les lois dont le parti libéral a pris l'initiative.
.M. Dechamps. - L'honorable M. Frère, après dix ans de pouvoir, n'a-t-il pas maintenu trois lois de premier ordre qu'il a combattues à outrance dans l'opposition : la loi de 1842 sur l'instruction primaire, la convention d'Anvers pour l'enseignement moyen, et le système des jurys universitaires pour l'enseignement supérieur ? Ne sommes-nous pas tenus, nous parti conservateur qui vivons du calme du pays, à plus de prudente patience que vous qui vivez le plus souvent de l'agitation et de la passion publique ? Mais j'y reviendrai tout à l'heure., En matière d'enseignement, quel est votre système ? Celui de M. Bara, que vous n'avez pas désavoué, c'est, comme pour les fondations, l'enseignement public élevé à la hauteur du principe et de la règle, et l'enseignement privé réduit à une exception.
M. Bara. - Ce sont deux choses différentes.
.M. Dechamps. - Vous voulez un établissement universitaire, comme en France, qui seul, indépendamment de l'enseignement libre sur lequel on ne compte pas, satisfasse à tous les besoins de l'enseignement et des populations.
C'est bien là votre système.
M. Bara. - C'est le système de M. Schollaert.
.M. Dechamps. - M. Schollaert vous répondra : Vous voulez une école primaire légale, officielle dans chaque commune, dans chaque hameau du pays ; vous voulez un athénée royal dans chaque province ; des collèges communaux, aux mains de l'Etat, dans chaque arrondissement, dans chaque canton ; vous voulez enfin, au faîte, deux universités. A côté de l'enseignement littéraire, l'enseignement agricole et industriel, parlant de l'atelier d'apprentissage à l'école agricole, pour monter, en passant par la section professionnelle des collèges et des athénées, jusqu'aux écoles centrales de l'agriculture et les écoles polytechnique, du génie civil et des mines. Vous voulez un enseignement militaire depuis l'école de régiment jusqu'à l'école militaire établie dans la capitale. C'est bien là traduit en fait le principe de M. Bara : l'enseignement public devenu le principe dominant et la liberté descendue à une exception sur laquelle on ne compte pas.
L'honorable M. Devaux qui m'interrompt faisait partie de la commission de 1834 ; cette commission professait des principes diamétralement opposés à ceux que j'expose ; elle a déclaré hautement que l'enseignement (page 914) public devait se borner à combler les lacunes laissées par la liberté, qu'il ne devait que suppléer à la liberté et jamais l'étouffer. (Interruption.)
C'est précisément le système que nous défendons, c'est celui que tous les partis professaient, au Congrès, en 1834 et même en 1842 ; aujourd'hui c'est la centralisation de l'enseignement public que vous cherchez à établir ; j'ai eu l'honneur de vous dire, en chiffres, à quel degré cette centralisation est déjà parvenue, puisque nos budgets d'instruction s'élèvent à la moitié du budget français, et dépassent trois, cinq et même sept fois les budgets de la Hollande, de la Prusse et de l'Angleterre, à l'exception, pour ce dernier pays, des subsides considérables accordés à l'enseignement primaire privé.
Messieurs, cet enseignement constitué dans de pareilles proportions de monopole, occupant toutes les places, prenant tout l'argent des budgets et tout à l'heure tout l'argent des fondations, cet enseignement on veut le séculariser.
Vous savez ce que ce mot signifie : j'ai eu l'occasion bien des fois de combattre ce système qui n'est pas encore tout entier réalisé, mais qui le sera si l'honorable M. Frère reste à la tête du parti libéral. Nous connaissons le système de l'honorable ministre des finances, en matière d'enseignement.
Pour 1'enseignement primaire, c'est un enseignement religieux commun ou approprié à tous les cultes et à toutes les opinions, c'est l'exclusion de tout enseignement dogmatique dans l'école.
M. De Fré. - M. Schollaert aussi.
.M. Dechamps. - M. Schollaert voulait l'atmosphère religieuse pour l'école primaire ; ce n'est pas, je pense, votre principe.
Je dis que ce système consiste à exclure de l'école primaire tout enseignement dogmatique spécial, à y substituer un enseignement approprié à tous les cultes et à toutes les doctrines ; par conséquent, c'est l'exclusion du prêtre de l'école primaire, car le prêtre n'aurait plus aucune mission à y remplir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai prouvé vingt fois le contraire, et cependant vous répétez encore la même chose.
M. de Theux. - On peut reproduire la vérité.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est que précisément ce n'est pas la vérité.
.M. Dechamps. - Messieurs, je m'étonne de l'interruption. L'honorable M. Frère a été plus loin ; non seulement il a préconisé cette théorie, à l'appui de laquelle il a cité les Etats-Unis et la Hollande, mais il a été jusqu'à prétendre que la loi de 1842, à certains égards, la consacrait. C'était le principe qu'on a voulu écrire dans la loi de 1850 sur l'enseignement moyen, et c'est pour cela que l'honorable M. Frère a combattu la convention d'Anvers.
Pour l'enseignement supérieur, le principe de la sécularisation, c'est la défense, pour le professeur, de donner à ses leçons une empreinte religieuse conforme à un dogme particulier, parce qu'il violerait, d'après nos adversaires, la liberté de conscience des élèves appartenant à d'autres cultes ou à d'autres opinions ; mais c'est en même temps la faculté laissée au professeur, au nom de la liberté de la science, de combattre le dogme dans lequel il ne peut être enfermé.
J'ai défini ce système par ces deux mots que je répète : c'est l'indifférence, l'exclusion de l'instruction religieuse positive en bas et c'est l'hostilité en haut.
C'est toujours la même doctrine : la liberté pour les non croyants, au détriment de la liberté des croyants que l'on supprime, dans l'enseignement public, pas d'enseignement religieux positif que toutes les familles croyantes réclament, pour ne pas blesser la liberté d'un enfant appartenant à une famille rationaliste ; dans la question de sépulture religieuse, cimetières communs à tous les cultes et à toutes les opinions, cimetières sécularisés, refus d'accorder aux cultes les cimetières particuliers qu'ils ont toujours possédés, sous prétexte de garantir la liberté de la tombe des non croyants, liberté que nous voulons du reste respecter comme vous ; pour les fondations, même principe : le chrétien, le croyant ne peut pas imprimer sa pensée religieuse à sa fondation ; l'indifférent seul peut le faire ; c'est la même doctrine appliquée dans toutes les sphères et qui se résume en ces mots : Le scepticisme seul a des droits.
Ce système, ce n'est plus un enseignement public et national érigé pour toutes les familles, ce n'est plus une législation charitable au service de tous, c'est une véritable Eglise d'Etat, un véritable rationalisme d'Etat.
Il y a en Belgique, comme dans le reste du monde, une secte politique et religieuse qui est la véritable Eglise des libres penseurs et dont le dogme purement rationaliste exclut tout dogme d'une religion positive. Cette Eglise, vous la connaissez ; elle a ses temples, ses pontifes, ses cérémonies, ses serments, ses fêtes, son calendrier et ses doctrines ; elle vise à l'universalité, et l'on peut dire d'elle qu'elle a son centre partout et sa circonférence nulle part.
Je suppose que cette secte politique religieuse vienne à conquérir la majorité dans la Chambre et monte au pouvoir, quel système d'enseignement et de fondations, quel système en ce qui concerne le temporel des cultes, organiserait-elle, pour rester fidèle à son dogme d'indifférentisme religieux et de rationalisme ? Mais exactement celui que je combats, celui qui donne tous les droits, toute l'influence aux non-croyants, au détriment de ceux qui croient, celui qui exclut toute idée religieuse positive de la sphère de l'enseignement et de la sphère de la charité.
Messieurs, je ne nie pas encore une fois l'utilité, la nécessité relative de l'enseignement public ; je serais en contradiction avec moi-même et avec mes antécédents.
Mais nous soutenons, comme en Angleterre, pour l'enseignement, et comme en Hollande et aux Etats-Unis pour la charité, nous soutenons que c'est la liberté qui est la règle, que c'est l'intervention de l'Etat qui doit rester l'exception ; que la mission de l'Etat est de protéger, d'encourager, de stimuler la liberté, mais qu'elle ne doit pas chercher à lui être substituée, à lui faire une concurrence ruineuse et illibérale.
L'honorable M. Devaux s'est étonné de la défiance croissante qui se manifeste dans la droite, à l'égard de l'action de l'Etat.
Il nous a rappelé que nous nous appelions le parti conservateur, et que de jour en jour nous devenions plus opposés à l'intervention du gouvernement dans l'ordre des intérêts sociaux.
Je vais dire clairement quelle est ma pensée.
Il y a dans notre histoire politique deux époques bien distinctes. Dans la première, qui sépare 1830 de 1847, on transigeait au pouvoir et l'on transigeait dans les lois. Les ministères de toutes couleurs tenaient avant tout que les lois politiques, les lois organiques, reposassent sur la forte base des grandes majorités formées dans les deux côtés des Chambres.
S'ils n'obtenaient pas ce résultat, si une loi présentée n'était acceptée que par un parti, ils considéraient ce résultat comme un échec, et cette loi comme éphémère et destinée à disparaître,
Tous les lois organiques votées pendant cette période de 16 ans, ont eu ce caractère transactionnel : la Constitution a été la plus haute expression de ce système ; la loi électorale de 1831, les lois communales et provinciales, la loi d'organisation judiciaire, le traité de paix de 1839, ont été l'objet d'une transaction entre les partis. La dernière loi qui a eu ce caractère, est la loi de 1842, sur l'instruction primaire, et c'est pour cela qu'il est si difficile de la renverser. L'honorable M. Devaux a dit bien des fois à cette tribune, que ces majorités considérables et transactionnelles étaient la condition de la durée et de la stabilité des lois.
Depuis 1848, le système opposé à prévalu.
Maintenant quand le ministère propose une loi politique, il tient, pour lui conserver ce caractère, qu'elle soit adoptée exclusivement par la gauche ministérielle. Notre adhésion serait pour lui un échec.
Gouvernement de parti, il a besoin de notre hostilité qu'il cherche et que naturellement il obtient.
Messieurs, dans une séance précédente vous avez été frappés comme moi du spectacle que nous avons eu sous les yeux et qui caractérise bien cette situation.
Quelques membres de la majorité ministérielle, obéissant à leurs convictions et à leur conscience, s'étaient séparés du ministère dans une question touchant à la liberté communale dans la loi qui nous occupe.
L'honorable ministre des finances s'est levé, il s'est adressé à ces amis peu disciplinés, et il leur a dit : Ne voyez-vous pas les mains tendues au-dessus de nos têtes et qui s'adressent à vous ?
- Plusieurs voix à gauche. - C'est très vrai.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pour nous diviser.
.M. Dechamps. - Il aurait dû dire que ces mains, au contraire étaient tendues de notre côté, puisque l'initiative de cette question n'est pas venue de nous. L'honorable M. Frère a ajouté : Ces mains vous devez les repousser, vous manqueriez à vos engagements de parti en ne le faisant pas.
Ainsi, messieurs, voilà bien la situation prise sur le fait : entre la conscience et les convictions hautement manifestées et l'esprit de parti, ce n'est pas à la conscience, c'est à l'esprit de parti qu'il faut obéir, (Interruption.)
Voilà donc le caractère de vos lois ; elles doivent être assez hostiles, (page 915) assez exagérées pour interdire toute adhésion possible de notre part. L'honorable M. Devaux nous disait hier : Si la fusion des parts est un rêve, le rapprochement des partis est possible et il faut le conseiller et l'amener. Ce qui m'étonne, c'est que c'était à nous qu'il adressait ce conseil.
Je le lui demande : avec le système de lois politiques hostiles, de lois de parti, tel que M. Frère le veut et le pratique ; comment conçoit-il que le rapprochement des partis puisse s'opérer ? C'est évidemment vers le ministère qu'il aurait dû se tourner, pour lui donner cette leçon.
Messieurs, quand le gouvernement ne voulait pas être un gouvernement de parti, gouvernement par et pour un parti, quand il voulait rester au-dessus des partis pour les modérer, pour les rapprocher, que telle était sa mission, alors, messieurs, je comprends dans une pareille situation politique, qu'on pouvait sans danger accorder plus de prérogatives au gouvernement que nous ne pouvons lui en accorder désormais.
Dans une pareille situation, les pouvoirs donnés à l'Etat étaient des pouvoirs au profit de tout le monde. Le gouvernement n'était pas le gouvernement de quelques-uns, mais le gouvernement de tous ; l'influence qu'on lui accordait, même dans l'ordre des intérêts moraux, n'était pas dirigée par l'esprit de parti.
Aujourd'hui les positions sont complètement changées. Dans le système qui a triomphé, quand nous accordons des pouvoirs au gouvernement, quand nous lui donnons des attributions, ce sont des armes qu'il dirige contre nous pour nous blesser, ce sont des instruments dont il se sert pour nous vaincre et pour combattre les libertés religieuses que nous avons mission et devoir de défendre. (Interruption.)
C'est notre conviction bien réfléchie. Le système des divisions irréconciliables dont M. Devaux est l'inventeur et le père, doit nécessairement produire ce résultat, que les partis se sentant blessés tour à tour par ces armes prêtées au gouvernement dans l'intérêt de tous et qui ne servent qu'à blesser des adversaires, on les lui enlèvera les uns après les autres. La décentralisation est la conséquence nécessaire des gouvernements de parti.
C'est pour cela que désormais l'opinion conservatrice, tout en conservant ses traditions gouvernementales et modérées (Interruption.) marchera toujours davantage dans la voie démocratique et libérale.
Messieurs, j'avais encore à répondre à cette assertion de MM. Frère et Devaux, que nous sommes condamnés à maintenir, quand nous sommes au pouvoir, les lois que nous avons énergiquement combattues dans l'opposition.
J'aurais facilement renversé cette objection sur nos adversaires qui n'ont pas compris quelle accusation contre l'opinion libérale ils formulaient en la produisant. Mais je me sens trop fatigué, et j'aurai, du reste, plus d'une occasion d'exposer à cet égard toute ma pensée.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. de Haerne. - Messieurs, j'étais inscrit pour répondre très brièvement à ce que l'honorable ministre des finances a avancé dans son discours au sujet des fondations de Rome et d'Angleterre, L'honorable M. Dechamps a déjà rempli en partie ma tâche quant à l'Angleterre, J'aurais voulu cependant y ajouter quelque chose quant aux lois postérieures à celles qui ont été citées. (Interruption.)
Je comprends l'impatience de la Chambre et je sens qu'il me serait impossible de m'expliquer aujourd'hui. Je ne rentrerai pas dans la discussion. Je me réserve de présenter mes observations plus tard.
- La discussion générale est close.
M. Nothomb (pour une motion d’ordre). - Arrivés, messieurs, à la fin de cette longue et grave discussion, je voudrais proposer incontinent une conclusion immédiate et pratique.
Le débat a porté en grande partie sur la rétroactivité des effets de la loi nouvelle ; pour nous, c'en est le point culminant et pour vous la vraie raison d'être du projet.
Le moment est opportun pour présenter à cet égard un amendement ; je veux le rattacher à l'article 47 du projet qui traite des dépositions transitoires, et afin de ne pas devoir, à l'occasion de cet article, rouvrir la discussion, je demande la priorité pour la disposition que mes honorables amis et moi allons soumettre à la Chambre.
Nous demandons que dès maintenant, sous l'impression encore vive et fraîche du débat, on commence la discussion du chapitre IV du projet. Cette marche est rationnelle, il y a des précédents et elle doit convenir aux intérêts de tout le monde.
Nous proposons l'article suivant :
« Les fondations reconnues en vertu des arrêté-lois des 26 décembre 1818, 2 décembre 1823 et 12 février 1829, antérieurement à la publication de la présente loi, continueront à être administrées conformément aux actes d'autorisation, sauf au gouvernement à prendre, s'il y a lieu, par arrêté royal, les mesures propres à assurer le contrôle de la gestion des biens donnés ou légués et leur conservation. »
Notre proposition est claire et nette ; chacun la comprend et nous l'avons assez discutée depuis trois semaines pour que je puisse me dispenser de la développer à nouveau.
M. le président. - Voici l'amendement :
« Article additionnel. Les fondations reconnues en vertu des arrêtés-lois des 26 décembre 1818, 2 décembre 1823 et 12 février 1829, antérieurement à la publication de la présente loi, continueront à être administrées conformément aux actes d'autorisation, sauf au gouvernement à prescrire, s'il y a lieu, par arrêté royal les mesures propres à assurer le contrôle de la gestion des biens donnés ou légués et leur conservation.3
Il est signé de MM. de Theux, Dechamps, Al. Nothomb, B. Dumortier, Van Overloop, Schollaert et de Liedekerke.
M. Nothomb demande que le débat porte d'abord sur sa proposition.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je crois qu'il est indispensable que cet amendement soit imprimé et distribué, pour qu'on ait le temps de réfléchir ; et en attendant on peut commencer la discussion de l'article premier. Evidemment, il est impossible de s'expliquer "aujourd'hui sur cet amendement ; une simple lecture ne suffît pas pour en faire comprendre la portée.
Mais rien m'empêche qu'on ne s'occupe d'abord de l'article premier qui contient des dispositions tout aussi importantes.
On a dit qu'il y avait un précédent. Certainement il y a eu un précédent, lorsqu'il s'agissait d'une loi dont toute l'économie se résumait dans le principe des administrateurs spéciaux. Mais il y a dans le projet actuel des dispositions aussi importantes que celle sur laquelle on veut nous faire commencer- Ainsi, le principe des commissions provinciales, leur organisation, n'ont pas une importance moindre que l'article 47 du projet et l'adoption du chapitre II est de nature à exercer aussi de l'influence sur le vote du chapitre IV.
Ainsi, supposons que le chapitre II soit modifié, on se montrerait probablement moins hostile aux dispositions transitoires.
Il y a donc lieu de commencer par l'article premier, sauf à voir, lorsque l'amendement sera imprimé et distribué, s'il y a lieu de s'écarter de l'ordre ordinaire pour nous occuper de l'article 47.
M. Nothomb. - Je ne m'oppose pas à ce que notre amendement soit imprimé et distribué ; mais je m'oppose à ce qu'on procède de suite à la discussion de l'article premier, par une raison simple et péremptoire et qui doit paraître telle au ministère comme à toute la Chambre ; c'est que du sort de notre amendement dépend l'attitude que nous aurons à prendre vis-à-vis de l'ensemble de la loi.
Si notre amendement est adopté, il est évident que notre position sera toute différente, que nous désirerons discuter avec vous et chercher à améliorer la loi ; tandis que si notre amendement est rejeté, nous aurons à voir quel rôle les circonstances nous imposeront.
C'est un acte de loyauté que de poser dès maintenant la question principale et celle qui a dominé et qui résume tout le débat.
M. de Theux - Je viens appuyer les observations si justes et si pratiques de mon honorable ami M. Nothomb. J'ajouterai qu'il est impossible en ce moment d'aborder la discussion des articles de la loi. Je pose en fait que la plupart des membres de cette assemblée n'ont pas seulement le projet sous les yeux. Quant à moi, je ne l'ai pas. Je ne m'attendais pas à ce que la discussion des articles commencerait aujourd'hui. Si j'avais pu prévoir que la discussion générale serait close avant la fin de cette séance, je me serais occupé de l'examen des articles. Je n'ai pas seulement présentes à la mémoire les dispositions de l'article premier.
A moins donc de vouloir nous faire violence, j'espère que la Chambre remettra la discussion sur la motion d'ordre à la prochaine séance. J'en fais la proposition formelle.
Je demande s'il est possible de voter aujourd'hui, dans la situation d'esprit où nous sommes.
Depuis vingt jours, nous sommes occupés de la discussion générale. (page 916) Personne ne s'est occupé des articles. On n'a pas les documents ; on ne peut avoir dans la mémoire les détails. Nous faire voter aujourd'hui, ce serait une violence sans exemple avec la minorité. S’il y a des membres qui ont leur conviction faite, nous ne sommes pas dans cette situation, et je demande formellement la remise de la discussion à mardi.
M. le président. - On est d'accord pour l'impression et la distribution de l'amendement.
La question est maintenant de savoir si nous aborderons aujourd'hui la discussion des articles.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - La droite ne prétendra certes pas que jusqu'à présent on l'ait violentée dans cette discussion. Nous n'entendons pas la violenter davantage aujourd'hui, et nous ne nous refusons pas à ne commencer que mardi la discussion des articles, mais à la condition que l'on commencera par l'article premier.
Vous prétendez que personne ne s'est attendu à voir commencer la discussion des articles aujourd'hui, que vous n'avez pas les documents, que vous avez été absorbés complètement par la discussion générale pendant les vingt jours qu'elle a duré.
Nous ne voulons pas vous forcer de voter aujourd'hui les articles dont vous ne connaissez encore, dites-vous, ni le sens, ni la portée.
Qu'on remette la séance à mardi, mais qu'on commence par l'article premier, comme on a l'habitude de le faire pour toutes les lois.
Je demande donc, si l'on décide que la séance sera remise à mardi, que l'on décide en même temps que la discussion commencera par l'article premier. Nous saurons ainsi ce dont nous aurons à nous occuper.
M. Nothomb. - J'ai une autre raison encore à donner à la Chambre pour qu'on ne commence pas immédiatement la discussion des articles ; c'est qu'à l'occasion de l'article premier, j'entends présenter un amendement relatif aux prérogatives de la commune quant à l'enseignement.
Je répète que le vote sur l'amendement que nous venons de présenter doit exercer une influence considérable sur la position qui nous sera faite. C'est pour nous toute la loi, et l'incertitude dans laquelle nous serions sur le sort de notre proposition principale doit réagir, cela est évident, sur nos disposions ultérieures quant au reste de la loi.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. de Theux. - On crie aux voix. Il ne s'agit pas ici de faire de surprise.
M. Allard. - C'est vous qui voulez nous surprendre !
M. de Theux. - Je ne veux pas non plus prolonger les débats, mais je veux obtenir une marche raisonnable de nos discussions.
M. le ministre de la justice a d'abord voulu faire voter l'article premier.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Du tout.
M. de Theux. - Il a reconnu la justesse de mes observations ; il a consenti à ce qu'on n'abordât la discussion qu'à la séance prochaine.
H ne nous reste donc plus que cette seule question : Faut-il décider aujourd'hui, immédiatement, si l'amendement proposé par. l'honorable M. Nothomb, par d'autres honorables amis et par moi, doit avoir la priorité.
- Un membre. - Non.
M. de Theux. - Vous dites non ; je dis oui.
C'est là ce qui reste en discussion pour ce moment.
Eh bien, vous avez demandé l'impression de notre amendement. Prenez le temps de l'examiner jusqu'à la séance prochaine, et alors la Chambre décidera s'il faut s'occuper d'abord de cet amendement ou de l'article premier de la loi.
Je demande aux hommes raisonnables que, pour une matière aussi importante qui divise profondément les esprits, on prenne le temps jusqu'à mardi pour examiner la portée de notre amendement et se prononcer ensuite sur la question de priorité.
Cette marche que je propose est essentiellement raisonnable. L'amendement est pour ainsi dire écarté d'emblée par la motion de M. le ministre de la justice, car l'amendement a pour portée de sauvegarder le passé, mais il a aussi pour portée d'établir l'ordre rationnel de la discussion.
Si le principe de la rétroactivité est admis, nous saurons ce que nous aurons à faire dans la discussion ; si le principe de la rétroactivité est rejeté, nous aurons un autre ordre d'idées pour la discussion.
Je demande donc que l'assemblée ne statue pas aujourd'hui sur la motion ; le feu n'est pas à la Chambre, bien que nos discussions aient été très animées ; prenons un moment de calme et de réflexion, et décidons cette importante question dans la prochaine séance.
M. Orts. - Messieurs, mon vif désir est d'adopter pour l'examen de la loi la marche la plus prompte, tout en respectant la liberté de discussion de chacun, mais j'ai aussi le vif désir qu'une discussion, qui a duré si longtemps, aboutisse, qu'elle ait un résultat. Avant de me prononcer donc sur la question posée par les honorables MM. Nothomb et de Theux, je désirerais savoir si, dans la supposition que la Chambre discuterait d'abord l'amendement de M. Nothomb relatif à la rétroactivité, et dans la supposition que cet amendement serait rejeté, la droite compte présenter encore d'autres amendements et voter pour la loi si elle est améliorée dans le sens de ces amendements.
Si au contraire, l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Nothomb est une condition sine qua non de votre concours à la discussion, j'attends de votre loyauté que vous le déclariez.
M. B. Dumortier. - Je ne crois pas qu'il soit dans l'intention de personne de lier ici le vote de la droite, mais ce que je puis dire, et je crois être en cela l'organe de tous mes honorables amis, c'est que la droite n'a pas de parti pris. La droite, soyez-en sûrs, n'acceptera pas la loi si l'amendement de mon honorable ami est rejeté ; mais quant à la question de savoir si elle discutera ou si elle ne discutera pas, si elle présentera ou si elle ne présentera pas d'amendements, que voulez-vous que je dise, si ce n'est qu'elle n'a point de parti pris ?
Seulement vous semblez nous ouvrir une idée nouvelle, à laquelle, pour mon compte, je n'avais point encore pensé. Vous craignez une tactique de la part de la droite, mais la droite peut, si elle veut, vous empêcher de voter le projet de loi dans cette session : le projet se compose de 64 articles ; eh bien, que la droite ouvre une discussion sur chaque article, qu'elle demande l'appel nominal sur chaque article, et je vous défie de voter la loi avant deux mois d'ici. (Interruption.) Vous posez une question de tactique, je vous réponds.
Voilà le moyen que la droite peut employer, et si elle l'emploie que ferez-vous de toutes les lois qui sont à l'ordre du jour ? Voulez-vous arriver au jour des élections sans retourner chez vous ? Mais vous avez plus à perdre à cela que nous, car vous êtes bien plus menacés que nous.
Il est donc inutile de nous interpeller sur faits et articles ; nous n'avons pas de parti pris, mais vous venez de nous fournir une idée.
M. Allard. - Nous avons vu les ficelles.
M. B. Dumortier. - Si les ficelles vous sont agréables, nous vous en laissons la propriété.
Je dis, messieurs, qu'il importe avant tout de savoir si on donnera à la loi, oui ou non, un effet rétroactif. (Interruption.)
Le caractère rétroactif du projet a été avoué par le ministère et par le rapporteur. Seulement on a dit : Nous avons le droit de donner à la loi un effet rétroactif parce que c'est une loi politique. Eh bien, cette question de la rétroactivité a pour nous une immense importance et si cette question est décidée négativement, nous serons d'autant plus accommodants sur le reste de la loi, que nous savons parfaitement qu'avec cette loi il n'y aura plus de fondations. En effet qui est-ce qui donnera sous l'empire d'une loi pareille ? (Interruption.) J'espère, M. le président, que vous ferez exécuter le règlement.
M. le président. - Vous sortez du débat.
M. B. Dumortier. - Je réponds à l'interpellation de M. Orts.
M. le président. - Ces considérations rentrent dans la discussion générale ; renfermez-vous dans l'objet du débat.
M. B. Dumortier. - Je ne sors pas du débat. La question posée par M. Orts sortait du débat et vous m'avez accordé la parole pour répondre.
La droite n'a donc point de parti pris ; elle verra ce qu'elle aura à faire. Dans tous les cas, je remercie l'honorable M. Orts de nous avoir éclairés sur ce que nous pourrions faire, le cas échéant.
M. de Theux. - Messieurs, je répondrai à mon tour à la question posée par l'honorable M. Orts. Je déclare qu'il n'existe entre nous aucune espèce de concert sur la marche à suivre ; il y a deux amendements arrêtés entre nous, celui que l'honorable M. Orts a déposé et celui qu'il a annoncé sur l'article premier. A part cela, il n'y a pas de concert entre nous, mais je dis que la conséquence directe du refus de statuer sur la question de l'effet rétroactif sera de prolonger indéfiniment la discussion.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous en aurez la responsabilité.
M. de Theux. - Si la discussion se prolonge, ce ne sera point par l'effet d'une tactique, ce sera dans l'intérêt de la cause que nous avons à défendre, car il y a une énorme différence entre une loi qui ne s'applique qu'à l'avenir et une loi qui a un effet rétroactif. La vérité de cette observation doit sauter aux yeux de tout le monde. Il est évident que si la loi n'a point d'effet rétroactif, elle perd considérablement de sa gravité, tandis que si elle doit avoir un effet rétroactif, il importe de la discuter dans tous ses articles et de peser mûrement les conséquences de chacune de ses dispositions.
Maintenant, puisque M. le ministre de la justice n'est pas suffisamment éclairé sur la portée de l'amendement relatif à la rétroactivité et qu'il a (page 917) demandé l'impression et la remise de la discussion à mardi, je demande, moi, que la décision sur l’ordre des débats soit également remise à mardi. Alors nous statuerons en connaissance de cause ; chacun fera ses réflexions sur les conséquences du voit, quant à la rétroactivité.
M. le président. - M. de Theux demande que l'on remette à mardi le vote sur la proposition de M. Nothomb, tendante a ce que la discussion de son amendement ait la priorité sur la discussion de l'article premier du projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et moi, je demande formellement que la Chambre décide aujourd'hui qu'elle commencera mardi par l’article premier.
- La proposition de M. de Theux est mise aux voix par appel nominal.
Voici le résultat de cette opération ;
92 membres sont présents.
41 répondent oui.
51 répondent non.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Ont répondu oui : MM. Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Notelteirs et Nothomb.
Ont répondu non : MM. Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Bara, Braconier, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, de Boe, de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, de Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Moreau, Mouton, Muller, Nélis et Vervoort.
La proposition de M. le ministre de la justice tendante à commencer mardi par l'article premier du projet de loi est ensuite mise aux voix par appel nominal.
Voici le résultat de cotte opération :
92 membres sont présents. $
51 répondent oui.
41 répondent non.
En conséquence, la Chambre adopte.
Ont répondu oui : MM. Orban, Orts, Pirmez, Pirson, Prévinaire, Rogier, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Bara, Braconier, Carlier, Crombez, de Baillet-Latour, de Boe, de Bronckart, Dechentinnes, De Fré, de Lexhy, de Macar, de Moor, de Paul, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Lange, Laubry, C. Lebeau, J. Lebeau, Moreau, Mouton, Muller, Nélis et Vervoort.
Ont répondu non : MM. Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coomans, Coppens, Debaets, Dechamps, de Decker, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Kervyn de Volkaersbeke, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Notelteirs et Nothomb.
M. Nothomb. - J'ai eu l'honneur de vous dire que dans une certaine hypothèse se présenterait un amendement au projet en ce qui concerne la faculté pour la commune d'accepter des libéralités pour l'enseignement en général. Le moment est venu de déposer cet amendement ; il est signé par les honorables amis qui siégeaient avec moi dans la section centrale, et où nous avons soulevé la question :
La voici :
« § 2. Sont également réputées faites à la commune les libéralités pour dépenses facultatives de l'enseignement à tous les degrés.
« Le donateur ou testateur peut stipuler qu'en cas de non application de la libéralité pendant trois ans, les biens légués ou donnés feront retour à sa famille.
« Alph. Nothomb, de Liedekerke-Beaufort, de Pitteurs-Hiegaerts. »
Je développerai ultérieurement notre proposition ; entre-temps, je me réfère aux observations que j'ai présentées pendant la discussion, dans la séance du 28 avril.
- La séance est levée à quatre heures et demie.