(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 579) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Marchot prie la Chambre de statuer sur sa demande ayant pour objet d'obtenir dix années de service en qualité de volontaire combattant de 1830. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Destante, ancien volontaire de la révolution, demande la croix de Fer et la pension de 250 francs qui y est attachée. »
- Même renvoi.
« Les directeurs des dépôts de mendicité établis en Belgique demandent d'être assimilés aux directeurs des prisons centrales et admis au bénéfice de la cause de retraite. »
- Même renvoi.
« Des propriétaires et habitants du bas de la ville de Bruxelles, se plaignant de l'insalubrité des eaux de la Senne par suite des déjections qui s'y déversent, demandent qu'il soit pris des mesures pour faire cesser la cause de leurs griefs. »
M. Guillery. - Des habitants de Bruxelles demandent qu'il soit pris des mesures pour parer aux inconvénients très graves résultant de l'insalubrité de la Senne. cette question est à l'ordre du jour depuis longtemps, et il est à désirer que le gouvernement, d'accord avec la commune et la province, prenne enfin une décision.
Je crois que le moyen le plus simple d'obtenir un prompt rapport sur la pétition dont nous sommes saisis, est de la renvoyer à la section centrale qui a été chargée d'examiner le budget des travaux publics. C'est la proposition que j'ai l'honneur de faire.
- Cette proposition est adoptée.
« Les membres du conseil communal et les habitants de Messelbroek demandent que la société concessionnaire des chemins de fer d'Aerschot à Diest établisse une station à Teslelt. »
« Même demande d'habitants de Sichem. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. Coomans. - Si j'ai bien compris, l'honorable secrétaire vient de donner lecture de l'analyse d'une pétition relative au chemin de fer d'Anvers à Dusseldorf, et notre honorable président a proposé le renvoi à la commission des pétitions. Il serait plus régulier et plus expéditif de prononcer le renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi déposé dernièrement par M. le ministre des travaux publics.
C'est la proposition que j'ai l'honneur de faire.
M. le président. - M. Coomans, il s'agit d'une pétition d'habitants de Messelbroek qui demandent que la société concessionnaire du chemin de fer d'Aerschot à Diest établisse une station à Testelt.
M. Coomans.—Je vous demande pardon, M. le président, d'avoir présenté cette observation d'une manière inopportune. Mais je prierai la Chambre d'y avoir égard en ce sens qu'elle pourrait s'appliquer aux pétitions qui nous sont déjà parvenues ou qui pourraient nous parvenir encore relativement aux divers chemins de fer dont M. le ministre des travaux publics nous a saisis. Il me paraît régulier de renvoyer toutes les pétitions concernant ce projet de loi à la section centrale qui en fera l'examen. Sinon nous aurions deux discussions, et d'ailleurs la commission des pétitions a déjà assez de besogne.
M. le président. - Votre observation est juste, mais il y a été satisfait. Au commencement des séances précédentes, des pétitions auxquelles vous faites allusion ont été renvoyées à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à diverses concessions de chemin de fer.
M. Coomans. - C'est très bien, M. le président.
« Le sieur Danvoye, conseiller communal à Seloignes, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la liquidation d'une créance arriérée de cette commune. »
- Même renvoi.
« Le sieur Pirette prie la Chambre d'accorder un traitement aux commis greffiers surnuméraires des tribunaux. »
- Renvoi à la commission chargée d'examiner le projet de loi sur l’organisation judiciaire.
« Les membres du conseil communal de Cruyshautem demandent que le chemin de fer à concéder de Denderleeuw à Courtrai passe par Sotteghem, Nederzwalm-Hermelghem, Cruyshautem, et se joigne à Waereghem, à la voie de l'Etat de Gand à Courtrai. »
M. Vander Donckt. - Je me borne pour le moment à recommander spécialement cette pétition à la Chambre et à l'honorable ministre des travaux publics.
- Renvoi à la section centrale du projet de loi relatif à la concession des chemins de fer.
« Les notaires de l'arrondissement de Courtrai demandent que les ventes publiques d'immeubles appartiennent exclusivement aux notaires. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Par 15 messages en date du 13 mars 1863,1e Sénat informe la Chambre qu'il a pris en considération autant de demandes en naturalisation ordinaire. »
- Pris pour notification.
« Par 4 messages en date du 13 mars 1865, le Sénat informe la Chambre qu'il a rejeté les demandes de naturalisation ordinaire des sieurs Marin Barbera, Gerard Vandeweyer, Henri Vandervelden, François-Auguste Méaux. »
- Pris pour notification.
M. Hymans. - Messieurs, la discussion qui nous occupe me semble bien près d'être épuisée. Les orateurs de la gauche qui m'ont précédé n'ont laissé debout aucun des griefs de l'opposition. Ils ont démonté pièce à pièce l'édifice si laborieusement construit par nos adversaires, et si j'en juge par la foule qui se presse sur les bancs de la droite, la combat est bien près de finir faute de combattants. (Interruption.)
L'honorable M. Dumortier a été désavoué lui-même par des hommes de son parti, et je me demande, on prenant la parole, s'il est possible d'apporter encore quelque lumière dans cet étrange débat. Etrange en vérité, car ce que nous discutons messieurs, ce n'est pas le budget de la justice ; ce que nous discutons, ce n'est plus le chapitre des cultes, c'est tout le passé, tout ce qui est acquis à l’histoire, c'est tout l'avenir, c'est à-dire tout ce qui échappe aux prévisions humaines. J'éprouve donc le besoin, en quelque sorte, de m'excuser d'avoir demandé la parole et j'aurai besoin plus que jamais de toute l'indulgence de la Chambre.
Je n'entends pas, messieurs, me placer exclusivement sur le terrain où l'honorable M. Dumortier, après cinq ou six déviations antérieures, a fait en dernier lieu, dévier le débat.
Il faut cependant que je dise quelques mots de ce grief qui consiste à reprocher au gouvernement d'avoir abusé de sa position pour peupler le pays de ses créatures, de n'avoir songé qu'aux questions électorales dans la collation des emplois.
Ce grief, messieurs, ne se produit pas pour la première fois dans cette enceinte, depuis que j'ai l'honneur d'y siéger. Il a été produit l’année dernière par un honorable député de Malines à propos d'une discussion du budget de l'intérieur, et j'ai eu l'occasion, messieurs, à cette époque d'expliquer d'une manière très nette, très catégorique mou opinion sur point.
J'ai dit alors et je pense encore aujourd'hui que les fonctionnaires politiques doivent, en règle générale, appartenir à l'opinion politique du gouvernement. Je crois que c'est là la vraie théorie du gouvernement représentatif, c'est la théorie appliquée en Angleterre, c'est la théorie appliquée aux Etats-Unis, c'est la théorie qui sera appliquée nécessairement en Belgique, lorsque le régime représentatif et parlementaire sera entre plus profondément dans nos mœurs.
J'ai dit aussi et je répète encore aujourd'hui que je blâmerais le gouvernement, et certes tous mes honorables collègues de la gauche associeraient à ce blâme, s'il faisait intervenir les considérations politiques dans les nominations purement administratives, dans les nominations de magistrats, dans les nominations de professeurs.
Mais je trouve étrange qu'un gouvernement nomme aux fonctions politiques des hommes qui appartiennent à une opinion politique opposée à la sienne et je trouve tout aussi étrange que des fonctionnaires, oubliant leur dignité', acceptent des fonctions politiques d'un gouvernement dont ils ne partagent pas les opinions. Ainsi, l'autre jour, l'honorable M. Dumortier est venu parler de certaines révocations faites par le cabinet (page 580) libéral lors de son avènement en 1847. Il a parlé de MM. d'Huart et de Muelenaere, révoqués de leurs fonctions de gouverneurs. Je ne sais s'ils l'ont été, mais personne de nous, à coup sûr, ne peut comprendre que des hommes qui avaient joué dans la politique un rôle aussi éminent que l'honorable M. de Muelenaere, aussi important que l'honorable M. d'Huart, aient pu songer un seul instant à conserver des fonctions politiques active, militantes, sous un gouvernement qui ne partageait pas leur opinion, qui était la négation vivante et radicale de leurs principes ; qu'en un mot ils ne se soient pas retirés.
- Une voix. - Ils se sont retirés.
M. de Brouckere. - On les a forcés de donner leur démission.
M. Hymans. - Je réponds à M. Dumortier qui a dit qu'ils avaient été révoqués. S'ils ne l'ont pas été, je n'ai pas besoin de défendre le gouvernement qu'on a mis en cause.
On les a forcés de donner leur démission ; ce qui équivaut à dire qu'ils ont été révoqués ; eh bien, ils n'auraient pas dû attendre cette invitation pour se retirer ; ils ne devaient pas rester sous le contrôle d'un gouvernement dont ils avaient été constamment les adversaires.
Eh bien, quoi qu'il en soit, et cette question étant complétement réservée, je crois qu'il n'est personne dan s cette Chambre, qu'il n'est personne dans le pays qui puisse sérieusement faire au gouvernement le reproche que l'honorable M. B. Dumortier lui a adressé dans la dernière séance ; et comme le disait, au début de cette discussion, un de mes honorables collègues de la députation de Bruxelles, M. Guillery, si des reproches peuvent venir de quelque part, c'est plutôt des rangs libéraux que des rangs de l'opposition. Nous avons' entendu plus d'une fois appeler faiblesse de la part du gouvernement libéral ce que l'honorable M. Devaux appelait tolérance.
Et sans vouloir m'étendre plus longtemps sur ce point, je répète qu'aucun reproche sérieux ne peut partir d'aucun point du pays, et par conséquent d'aucun côté de cette Chambre, au sujet de l'usage que le gouvernement a fait de son droit légitime de nommer et de révoquer les fonctionnaires publics.
Que dirai-je de cette incroyable prétention qu'on a émise dans ce débat, de rechercher les croyances des fonctionnaires, même du fonctionnaire qui est placé à la tête de la direction des cultes ?
En droit, on vous l'a dit, rien n'est plus inconstitutionnel ; mais en fait, l'honorable fonctionnaire dont on parle ici depuis huit jours, sans le connaître, fût-il un mécréant, n'en serait pas moins le subordonné de M. le ministre de la justice. Si, comme cela s'est vu dans d'autres pays, le directeur des cultes état un ecclésiastique, il n'en serait pas moins le subordonné de M. le ministre de h justice, de même que l’a été le fonctionnaire orthodoxe dont on regrette tant la retraite. (Interruption.)
En réalité donc, la responsabilité réside dans la personne de M. le ministre de la justice ; c'est au ministre de la justice que vous devez dire qu'il est un mécréant ; et quand vous en serez là, quand vous serez réduit à cette extrémité, vous reculerez par une excellente raison : C'est que vous n'avez pas plus le droit de rechercher les croyances d'un ministre que celles d'aucun citoyen belge.
Je comprends qu'en 1832, à l'époque où. M. Guizot fut appelé par la confiance du roi Louis-Philippe au ministère de l'instruction publique, en France, cet homme d'Etat ait demandé que l'on séparât les cultes du département de l'instruction publique pour les transférer au département de la justice.
M. Guizot était protestant ; en second lieu, les rapports qui existent en France entre l'Etat et l'Eglise ne sont pas les mêmes qu'en Belgique ; la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'existe pas en Frame ; c'est le gouvernement qui nomme les évêques, à qui le pape donne l'institution canonique.
M Guizot pouvait avoir à se prononcer tous les jours sur des matières relatives au culte, comme les Israélites admis dans le sein du parlement britannique peuvent avoir à se prononcer sur des points da la liturgie anglicane.
Mais, en Belgique, messieurs, il ne peut pas être question un seul instant de pareilles craintes. M. Guizot, d'ailleurs, avait demandé lui-même que l'on séparât l'administration des cultes de celle de l’instruction publique ; personne ne lui avait imposé cette séparation comme une condition de son entrée au pouvoir ; le roi lui avait accordé sa confiance, quoique protestant. Et M. de Broglie, son collègue catholique, parfaitement orthodoxe, n'avait émis aucun scrupule. Et, cependant, M. Guizot, renonçant aux cultes, se trouvait, comme ministre de l'instruction publique, jeté, lui protestant, au milieu de la lutte la plus ardente entre l'Université de France et l'Eglise.
En Belgique, une telle situation est évidemment impossible, mais avec le système de l'honorable M. Dumortier, il faudrait quatre directeurs des cultes ; il en faudrait un pour le culte catholique, un pour le culte protestant, un pour le culte anglican, un pour le culte israélite. Il y a plus, avec un pareil système il ne serait plus permis à un non-catholique d'être ministre de la justice, par cela seul qu'il aurait les cultes dans ses attributions, ni ministre de l'intérieur parce qu'il aurait dans ses attributions l'instruction primaire, sur le terrain de laquelle le gouvernement se trouve constamment en lutte avec le clergé.
Si du reste, messieurs, nous devions rechercher les croyances, maïs nous aurions à apprécier le degré de foi des catholiques eux-mêmes ; et je demande où vous vous arrêteriez dans une pareille voie ; car nous connaissons des libéraux très sincères qui sont des catholiques très zélés ; et d'un autre côté, j'ai entendu dire parfois qu'il y a des catholiques politiques très ardents qui ne sont que de très médiocres croyants ; on assure même que parmi nos honorables adversaires il en est plusieurs qui ont reçu le baptême maçonnique.
Il y a d'ailleurs une contradiction manifeste, d'une part, à reprocher au gouvernement de porter atteinte à la liberté religieuse et à la liberté de conscience ; et, d'autre part, à venir demander soi-même qu'on descende au fond de la conscience des citoyens pour rechercher quelles sont leurs croyances.
On nous accuse d'intervenir dans les affaires du culte. Mais si le gouvernement avait eu à intervenir dans les affaires du culte à propos de la question spéciale qui est en ce moment en discussion, l'affaire de Mont, le gouvernement n'aurait pas pu autoriser la fondation faite en faveur de cette église ; et cela par orthodoxie. (Interruption.) Vous allez le voir. La mission créée à Mont a pour but spécial d'honorer la sainte Vierge sous le titre de Notre-Dame de la Salette et elle doit servir à tous les associés de l'archiconfrérie de Notre-Dame de la Salette établie dans l'église paroissiale de Mont.
Le gouvernement ne s'est pas préoccupé iu seul instant de savoir si l’on peut créer une fondation à propos d'un miracle quelconque. Mais, s'il avait à intervenir dans les affaires du culte, comme on l'accuse de l'avoir fait, il est très probable que, par orthodoxie, il n'aurait pas admis la fondation.
En effet, messieurs, nous savons tous qu'en 1854, malgré tous les efforts de l'évêque de Grenoble, le pape a refusé de reconnaître comme un miracle l'apparition de la Vierge, à deux enfants, sur la montagne de la Salette. Au point de vue de l'intervention, il eût été très heureux aussi que Mont fût situé dans le diocèse de Liège.
Si cette commune faisait partie du diocèse de Tournai, l'évêque lui-même aurait refusé d'autoriser la fondation ; en voici la preuve : l’Echo du Parlement du 18 septembre dernier a publié la lettre suivante adressée de l'évêché de Tournai au doyen de Clamai ;
« Tournai, le 1er février 1859.
« Monsieur le doyen (de Chimai),
« J'ai l'honneur de vous renvoyer les pièces qui étaient jointes à votre lettre du 29 janvier et qui concernent l'acceptation d'une donation faite à la fabrique de votre église.
« Monseigneur autorise (en ce qui le concerne) cette acceptation, mais à la condition que cette chapelle soit dédiée à la sainte- Vierge, sans qu'il sait question, de la Salette.
« Recevez, M. le doyen, l'assurance de mes sentiments d'estime et de sincère affection.
« Voisin, « Vicaire général. »
Vous voyez donc bien que si l'Etat, hors de son droit, avait examiné le caractère religieux de la fondation, il aurait pu ne pas l'autoriser et fonder son refus sur l'opinion d'un prélat belge.
A propos de cette lettre, je demande la permission d'ajouter une observation. Comment est-elle expliquée par les catholiques qui défendent si énergiquement la volonté sacrée des testateurs ? Que devient cette volonté sacro-sainte, inviolable, en présence du texte de cette épître ?
Voici une donation faite en faveur de Notre-Dame de la Salette, l'évêque ne reconnaît pas Notre-Dame de Salette ; que fait-il ? Il n'approuve pas l'application, mais il ne lâche pas la donation elle-même et la garde. (Interruption.) Vous voyez que le clergé refait quelquefois les testaments.
J'arrive au pont essentiel du débat. J'ai demandé la parole quand M. Dumortier, répondant à M. Devaux, prétendait, malgré les protestations énergiques de l'honorable député de Bruges, que ce qui nous divise, dans cette enceinte, c'est la question de la liberté religieuse. Il m'était imposable de rester silencieux en présence d'une pareille affirmation. A mes yeux, de pareils griefs, mais c'est le monde renversé. Je me suis demandé s'il existe un pays dans le monde civilisé où la liberté religieuse soit plus entière, plus large, plus respectée qu'en Belgique.
(page 581) Je sais que d'un côté de cette Chambre, quand on parle de liberté religieuse, on entend la liberté catholique, j'accepte le débat sur ce point, Mais partout où les catholiques se plaignent, partout où ils souffrent, où ils protestent contre des entraves apportées à l’expression de leurs croyances, à la liberté de conscience, à l'exercice des droits civils et politiques, je les entends réclamer quoi ? La liberté comme en Belgique !
On prétend, je le sais, que cette liberté était écrite dans la Constitution, qu'elle avait été votée par le Congrès national, mais que depuis lors une réaction formidable s'est produite, que ce qu'on appelle la politique nouvelle, politique heureusement déjà fort ancienne dans notre pays, est venue détruire, dénaturer, fausser tout ce qui le Congrès avait proclamé dans cette sphère.
Messieurs, veuillez-le remarquer, la politique nouvelle date de 1846 ; l’opinion libérale avait passé huit années au pouvoir de 1847 jusqu'en 1856. Or, en 1856 que s'est-il passé ?
Vous vous rappelez tous quel beau spectacle donna à cette époque la Belgique à l'Europe. Vous vous rappelez tous cette grande solennité nationale dans laquelle le pays tout entier, sans distinction de partis, rendit un brillant, un solennel, un enthousiaste hommage à la royauté belge. Je n'ai pas besoin de vous rappeler ce spectacle, de vous rappeler les sentiments qui alors éclatèrent sur toute la surface du pays et dont l'expression produisit en Europe une sensation si profonde. Le souvenir de cette solennité est encore gravé dans tous les cœurs.
Qu'arriva-t-il à cette époque ? Après huit années d'administration libérale, ce jour-là, le Roi fut reçu dans la capitale par les grands corps de l'Etat, par les deux Chambres, par les anciens membres du Congrès et par le clergé catholique ayant à sa tête le cardinal-archevêque de Malines.
Quatre orateurs parlèrent ce jour-là, sur ces quatre, trois au moins étaient des vôtres : M. de Gerlache, ancien président du Congrès, M. Delehaye, président de la Chambre, qui n'avait pas toujours été catholique, mais qui ce jour-là lisait un discours qui avait été voté par le parlement et qui était rédigé par un des vôtres, par l'honorable M. Dechamps ; le troisième enfin fut le cardinal archevêque de Malines parlant au nom du clergé.
Eh bien, écoutons ce qui se dit alors après ces huit années de persécution et de réaction libérale. Je cite d'abord M. de Gerlache :
« Sire,
« Les mêmes hommes qui furent alors témoins de ce solennel engagement viennent affirmer aujourd'hui, à la face du ciel, que Votre Majesté a rempli toutes ses promesses et dépassé toutes nos espérances. Et la nation entière, Sire, vient l'affirmer avec nous, elle vient attester que pendant ce règne de 25 ans, son Roi n'a ni violé une seule de ses lois, ni porté atteinte à une seule de ses libertés, ni donné cause légitime de plainte à un seul de nos concitoyens. »
- Plusieurs voix. - Très bien !
M. Hymans. - Vint après celà M. Delehaye parlant au nom de la Chambre, et récitant le discours rédigé par l'honorable Dechamps.
« Sire,
« La Constitution que vous avez juré d'observer est là, après un quart de siècle, entière et inaltérée, sincèrement pratiquée et toujours inviolable. »
Maintenant écoutons la voix du chef du clergé.
« Sire, nous sommes heureux de proclamer au nom du clergé et de tous les catholiques, que V. M. a accordé au culte qu'ils professent la protection la plus constante et la plus efficace.
« ... Votre Majesté a voulu que les écoles de l'Etat et des communes offrissent toujours à la jeunesse belge l'occasion de se procurer non seulement une instruction solide, mais surtout cette éducation chrétienne d'où dépend le bonheur public et privé.
« Le libre exercice du culte catholique est garanti par la Constitution ; ses ministres sont librement nommés et installés par leurs chefs ; ils règlent tout ce qui concerne le culte de Dieu. Votre Majesté a tenu la main à ce qu'aucune entrave ne fût mise à ces liberté. Mais il appartient au gouvernement de faire la répartition des avantages temporels que la Constitution et les lois accordent à nos églises et à leurs ministres. Votre Majesté s'est plu à faire le plus gracieux usage de cette prérogative, en allouant tous les traitements et tous les subsides dort les besoins ont été constatés. Ces subsides, joints aux ressources locales, ont permis de reprendre partout la restauration des églises que les vicissitudes des temps païens avaient laissées en souffrance, la Belgique, sous ce rapport, n'aura bientôt plus rien à envier aux autres pays de l'Europe. »
J'insiste sur le dernier paragraphe :
« Sire, si grâce à vos soins, notre belle patrie a prospéré sous le rapport temporel, elle a également progressé sous le rapport religieux. L'instruction chrétienne est plus répandue ; le sentiment religieux a des racines plus profondes et les devoirs que la religion impose sont mieux remplis ; la piété et le zèle pour les œuvres de charité se sont considérablement accrus. »
Voilà, messieurs, l'hommage qu'allaient porter au pied du trône l'ancien président du Congrès, le présidente catholique d'une Chambre catholique et le chef du clergé catholique belge, après luit ans d'administration libérale et de réaction contre les idées du Congrès.
- Plusieurs membres. - Très bien !
M. Hymans. - Je crois qu'après de tels certificats, nous pouvons passer l'éponge sur la première période de persécution. Voyons ce qu'a été la seconde époque.
Mais la seconde époque a été au fond une période de persévérance dans les mêmes principes. Le parti libéral n'a évidemment abdiqué aucun des principes qu'il avait apportés au pouvoir en 1847 et qu'il avait proclamés avant d'être au pouvoir, lorsqu'il était dans l'opposition.
Mais j'ose le dire et je ne serai démenti par aucun homme sérieux dans le pays, le parti libéral, lors de son avènement au pouvoir, a apporté dans la pratique de ses principes une modération plus grande que dans la première période de son administration ; et cette modération a été telle, que si le parti libéral s'est divisé dans quelques villes, dans quelques grands centres du pays, là où il était fort, c'est précisément parce que le gouvernement et la majorité parlementaire n'ont pas voulu subir cette pression sous laquelle on l'accuse de succomber aujourd'hui.
L'honorable M. Dumortier disait l'autre jour, se servant d'une expression peu littéraire, et peut-être peu parlementaire, que le ministère est gouverné par la queue de son parti. Mais c'est précisément le contraire. Où est-elle cette queue ? Où est-elle dans cette chambre ? Où est-elle dans le pays ? Où est son influence ? Où est sa force ? Mais c'est parce que le gouvernement arrivé aux affaires en 1857 après une grande manifestation publique, après que le corps électoral se fut prononcé dans le pays tout entier par la voie des élections communales, n'a pas voulu suivre la voie dans laquelle on voulait le faire entrer, que des divisions se sont produites dans ses rangs.
On a entendu demander à cette époque la révision de la loi de 1842, et certes, beaucoup parmi nous, si elle était proposée, la voteraient. Le gouvernement l'a-t-il proposée ? Quelles sont les voix qui dans cette Chambre l'ont réclamée ?
A-t-on exclu le prêtre de l'école, comme vous prétendiez qu'on voulait le faire ? En matière de charité, qu'a-t-on innové ? Tout ce qu'on a fait, tout ce qu'on a inscrit dans les lois, tout ce qui a été mis en pratique par l'administration est-il quelque chose de plus que ce que l'honorable M. de Haussy avait inscrit dans ses circulaires de 1849 ?
Vous dites, messieurs, que ce qui nous sépare, c'est la question de la liberté religieuse, il y a une moitié de vrai dans votre assertion. C'est une question de liberté qui nous sépare, mas ce n'est pas la question de la liberté religieuse, c'est la question de la liberté civile.
Ce que l'opinion libérale a toujours fait dans tous les temps, ce qui a toujours été son rôle et sa mission, c'est la défense des prérogatives, ou pour mieux dire, de l'indépendance du pouvoir civil.
C'est l'indépendance du pouvoir civil que le parti libéral défend dans l'enseignement, dans la question de la charité, dans la question des sépultures, dans tous les rapports entre l'Eglise et l'Etat. C'est la nécessité de sauvegarder l'indépendance du pouvoir civil qu'a proclamée le Congrès libéral, et c'est à la sauvegarde de cette indépendance que se sont voues tous les libéraux, quelle que soit la nuance à laquelle ils appartiennent.
Mais que signifient en Belgique, que signifient dans cette Chambre, les plaintes que nous entendons se produire à propos de la liberté religieuse ? Je le cherche en vain. J'entends ici une ou deux voix, isolées même dans leur propre parti, venir crier que la liberté religieuse est violée. Mais pouvez-vous citer à l'appui de ce grief une seule protestation dans le pays ? Pouvez-vous nous signaler une seule pétition déposée sur le bureau de cette Chambre ?
Il y a deux ans, aussi à la veille des élections, vous veniez dire que le pays était profondément agité à l'occasion d'une question d'économie politique, et vous faisiez de ce grief une question de cabinet, une question d'existence. Mais vous aviez, pour étayer vos réclamations, un mouvement dans le pays, mouvement plus ou moins spontané, mais appréciable et réel.
Aujourd'hui qu'avez-vous ? Oseriez-vous dire, dans l'intérêt même de votre cause, que le pays, qui s'agite à propos d'une question d'intérêt matériel, reste passif devant la violation de la liberté de conscience, c'est-à-dire de ce que l'homme a en lui de plus précieux et de plus cher.
En présence d'un tel crime le pays resterait neutre, resterait muet, suivrait nos discussions sans même comprendre quel en est l'objet ! Car, (page 582) ne vous le dissimulez pas, la discussion que vous avez provoquée dans cette Chambre qui en est à sa dixième séance, le pays l'écoute surpris, étonné, et se demande ce qu'elle signifie.
Le pays qui, dans les jours de révolution et d'agitation, a l'habitude de voir le mouvement partir d'en bas pour trouver, dans les moments de crise, quelque écho dans les régions supérieures, se demande si le monde est renversé et si la révolution commencera cette fois par le haut.
D'ailleurs que signifient ces plaintes au nom de la liberté religieuse de la part de ceux qui sont en immense majorité dans le pays ? Irez-vous persuadez au monde que les catholiques, qui forment les neuf dixièmes de la nation belge, sont opprimés ?
Ah ! nous avons vu des luttes pour la liberté religieuse. Nous avons vu la lutte des réformés sous Charles-Quint et sous Philippe II. Nous avons vu la lutte des huguenots sous Louis XIV. Nous avons vu les catholiques anglais lutter pour la liberté religieuse avant 1829. Nous avons vu les catholiques d'Irlande lutter pour la liberté religieuse, alors qu'ils étaient opprimés par une puissance étrangère plus forte et plus nombreuse que leurs fidèles.
Mais une insurrection catholique en Belgique, ou, si vous le voulez, une agitation catholique au nom de la liberté religieuse en Belgique, dans ce pays où les catholiques possèdent ce qu'ils ne possèdent nulle part, où ils possèdent plus qu'ils n'ont osé demander en 1830, car alors ils accordaient comme la condition de toutes les libertés, la renonciation au budget des cultes, et ils ont le budget des cultes et la liberté par-dessus le marché.
Allez donc dire à l'Europe que les catholiques sont persécutés en Belgique. Elle accueillera cette assertion par un immense éclat de rire, comme vous avez accueilli l'assertion de l'honorable M. Dumortier, lorsque, répondant à mon honorable ami, M. Bara, il disait qu'il croyait entendre un général russe dictant les ordres du czar aux Polonais.
Du reste, messieurs, ceci n'est pas le seul point extraordinaire du débat qui nous occupe. Vous nous accusez, nous, c'est-à-dire la majorité de la Chambre, c'est-à-dire le gouvernement ; vous faites le procès au gouvernement, vous faites le procès à la Chambre, et vous oubliez une toute petite chose, c'est que vous faites le procès au pays.
Vous oubliez que la majorité libérale n'a jamais été plus grande dans le sein de la Chambre qu'elle ne l'est aujourd'hui ; vous oubliez que le pays se retire de vous tous les jours de plus en plus ; vous oubliez que dans les grandes villes, c'est-à-dire là où règne le plus d'intelligence, là où les électeurs sont le plus éclairés, où ils connaissent le mieux leurs intérêts, où ils les discutent le plus volontiers, vous oubliez que dans les grandes villes vous n'oseriez pas même engager une lutte, vous n'oseriez pas engager une lutte électorale à Bruxelles, à Gand, à Liége, à Anvers. (Interruption.) Oseriez-vous entamer une lutte sur le terrain de la liberté religieuse ? Vous avez engagé la lutte à Gand, mais vos candidats n'étaient pas même des catholiques, c'étaient des indépendants. Vous avez engagé la lutte à Tournai, mais vous vous êtes cachés derrière la question de l'or, comme vous vous êtes cachés à Mons derrière la question des sucres, comme vous vous cacherez à Anvers derrière la question des servitudes. (Interruption.)
L'honorable M. Dumortier qui habile Tournai, qui y a ses influences de famille, ses relations d'affaires ; l'honorable M. Dumortier qui prétend que la liberté religieuse est sacrifiée, représente ici l'arrondissement de Roulers ; qu'il cherche à se faire réélire à Tournai et nous verrons.
En vérité, messieurs, je ne sais pas comment vous osez venir parler dans cette enceinte au nom de la liberté religieuse, comment vous osez venir parler au nom de la tolérance en vous posant, vous, comme les amis de la liberté de conscience et nous représentant nous comme ses adversaires !
Vous parlez volontiers du passé. M. Dumortier prend rarement la parole sans invoquer les traditions du peuple belge, les grands souvenirs de son histoire, les exploits des anciens Belges, les gloires des communes flamandes, sans invoquer, en un mot, les vieilles libertés belges transcrites dans le pacte fondamental en 1830. Vous ne voulez pas du libéralisme qui semble être quelque chose d'antinational, quelque chose d'hostile à la Constitution.
Messieurs, j'en suis très fâché pour vous, mais la liberté de conscience n'a jamais été inscrite dans aucune constitution belge avant 1815. La liberté de conscience n'a jamais été une liberté belge, n'a jamais été inscrite dans aucune de nos anciennes chartes et chaque fois qu'on a voulu l'y inscrire les catholiques ont fait une révolution contre la liberté.
Je laisserai de côté les faits trop anciens, parce qu'il est très difficile de discuter ici ce dont il faudrait aller chercher la preuve dans des archives poudreuses ; ce n’est pas ici le lieu ; mais tout en laissant de côté le passé trop ancien, permettez-moi de rappeler un seul fait qui se rapporte à la période communale. Lorsque les Flamands, conduits par un homme qui était certes un grand citoyen, et sur lequel les catholiques ont essayé de jeter un peu de boue, il y a quelques années.. .(interruption.)
M. de Gerlache a rabaissé Jacques d'Artevelde au rang des plus vils agitateurs. (Interruption.)
Or, lorsque les Flamands, conduits par Jacques Van Artevelde, voulurent secouer le joug de la France et reconquérir leur liberté, leurs oppresseurs allèrent demander au clergé des armes contre la nation. On demanda au pape de jeter l'interdit sur la Flandre. C'est de l'histoire ; si l'on doute, on peut trouver la confirmation de ce que j'avance, dans l'excellent ouvrage de M. Kervyn. (Interruption.)
Ce n'est pas ici le lieu d'engager une discussion historique, mais la Flandre était si bien mise en interdit que le roi Edouard III, allié des Flamands, déclara pour rassurer le pays qu'il amènerait avec lui des prêtres qui diraient la messe, malgré l'interdiction du pape.
Ai-je besoin encore de rappeler Charles-Quint et ses édits contre la réforme qui ont été la première cause, le point de départ de la décadence matérielle des Pays-Bas ? C'est des édits de Charles-Quint contre la réforme que date cette longue série de désastres, de malheurs et de misères qui ne se termina qu'en 1830.
Assurément vous n'étiez pas, vous catholiques, adversaires des édits de Charles-Quint. (Interruption.) Je sais bien que j'avais raison de dire qu'il ne fallait pas remonter trop haut pour ne pas s'engager dans une discussion trop obscure. Je ne parlerai plus que de choses connues de tout le monde et sur lesquelles aucun démenti n'est possible.
Vous avez dans l'histoire de la Belgique trois époques que vous rappelez volontiers : c'est le soulèvement des Pays-Bas contre l'Espagne au XVIème siècle, la révolution brabançonne à la fin du XVIIIème et enfin le premier soulèvement contre le roi Guillaume en 1815. Je demande la permission à la Chambre de dire quelques mots sur ces trois époques afin de rétablir la vérité et de rendre à César ce qui appartient à César.
La révolution du XVIème siècle était composée de deux éléments, d'abord un élément constitutionnel et national qui voulait secouer le joug de l'Espagne, qui voulait le renvoi des troupes espagnoles, la convocation des états généraux.
Ceux-là voulaient le maintien des anciens droits constitutionnels, des anciennes coutumes ; mais à côté d'eux, il y avait un élément qui voulait la liberté de conscience, dont les premiers faisaient très bon marché ; ceux-ci étaient les vôtres ; dans cette glorieuse révolution du XVIème siècle, dans cette grande lutte, où tant de sang fut versé, vous étiez les partisans de l'intolérance. Les partisans de la tolérance, c'était Guillaume le Taciturne...
M. B. Dumortier. - Je demande la parole.
M. Hymans. - ... c'était Marnix de Sainte-Aldegonde que vous avez appelé traître, parce qu'il a défendu Anvers, le dernier refuge de l'indépendance nationale, contre le général catholique d'un prince catholique.
Philippe II, après une lutte sanglante et stérile, comprit qu'il y avait un moyen de traiter avec la révolution.
C'était de mettre les catholiques de son côté, c'était de leur accorder certaines concessions sur le terrain politique et de s'en faire des alliés sur le terrain religieux, et il en résulta que les griefs politiques étant satisfaits, les provinces méridionales se déclarèrent satisfaites ; et à partir du jour où il fut bien entendu que la religion catholique serait seule admise dans l'Etat, à partir de la confédération d'Arras, ceux qui osèrent encore défendre la liberté furent appelés, par vous, des traîtres.
Traître, Marnix de Saint-Aldegonde pour avoir défendu la patrie jusqu'à la dernière goutte de son sang. Trahison ! la conduite de la comtesse de Lalaing qui défendit héroïquement contre les Espagnols Tournai, la ville natale de l'honorable M. B. Dumortier ! Traître, Simon Stévin pour avoir servi sous Maurice de Nassau !
Voilà pour la première époque. Et permettez-moi de vous prouver par un fait combien peu les prétentions des amis de la liberté étaient satisfaites après la séparation des provinces du Nord et des provinces du Midi, en acceptant avec enthousiasme les archiducs Albert et Isabelle, alors que l'acte par lequel Philippe II cédait nos provinces à sa fille, punissait de la confiscation et de la mort tous les Belges qui feraient le commerce avec les Indes, c'est-à-dire que le roi consacrait de par la loi le malheur et la ruine du pays.
Voilà pour la première époque ; maintenant, voyons la seconde.
Je ne viens pas ici me poser en défenseur de Joseph II.
Mais je pense qu'il est permis, après trois quarts de siècle, de rendre quelque justice à un prince qui, s'il porta atteinte aux anciens droits des Belges, s'il viola leur droit de voter des subsides, n'en fut pas moins (page 583) un honnête homme. Il ne toucha jamais au dogme ; c'était un sincère catholique ; sa politique, a-t-on dit, fut un rêve, mais le rêve d'un honnête homme.
L'expression est de M. Jean-Baptiste Nothomb.
Joseph II était, d'ailleurs, imbu de l'esprit de son temps ; il avait hérité des traditions de Marie-Thérèse, qu'on loue beaucoup sur vos bancs sans la connaître ; qui était déjà bien libérale pour son temps, qui avait déjà provoqué des réclamations, des anathèmes, des excommunications de la part du clergé, pour avoir fondé les collèges thérésiens, pour avoir arraché au clergé belge le monopole de l'enseignement moyen.
Joseph II, je vous l'accorde, eut de grands torts vis-à-vis des Pays-Bas ; mais quel fut le premier acte qui lui valut la haine du clergé belge ? Son édit sur la tolérance ; et pour vous faire comprendre combien cet édit était conçu en termes modérés, permettez-moi de vous en lire quelques phrases.
« Le 12 novembre 1781, Albert de Saxe-Teschen et Marie-Christine, gouverneurs généraux des Pays-Bas autrichiens, adressèrent au nom de Joseph II, aux magistrats, aux tribunaux et à l'université de Louvain, une dépêche qui les informait que, « quoique l'Empereur fût dans la ferme intention de protéger et de soutenir invariablement la religion catholique, S. M. avait jugé néanmoins qu'il était de sa charité d'étendre à l'égard des protestants les effets de la tolérance civile qui, sans examiner la croyance, ne considère que la qualité de citoyen et que, quoique son désir fût de voir la religion catholique rester la dominante, il croyait pouvoir autoriser les protestants et les réformés à bâtir des temples, toutefois avec la réserve qu'ils n'auraient ni cloches, ni sonneries, et que les constructions extérieures n'annonceraient pas l'existence d'églises. Il admet entre autres les protestants aux grades académiques, dont ils avaient été exclus jusqu'alors. »
Voilà le premier grief contre-Joseph II ; c'est à propos de cet édit qui proclame la tolérance dans des termes presque timides, qui déclare que la religion catholique restera la religion dominante de l'Etat ; c'est à propos d'une telle mesure que les évêques et les Etats inspirés par eux formulent leur protestation, déclarant que la religion catholique considérait tous les hérétiques comme des victimes vouées à toute l'horreur d'un supplice éternel ; que, dans leur intime conviction, la dépêche du 12 novembre occasionnerait des dissensions et des haines sans fin entre les catholiques et les protestants, et que l'Eglise proposait à ses enfants ce dogme comme un article essentiel de leurs croyances.
Voilà pour la seconde époque.
Passons à la troisième et dernière époque, et je termine.
Nous sommes en 1814. Nous ne sommes plus au temps d'Artevelde, mais au XIXème siècle et les chefs du clergé belge repoussent de toutes leurs forces les principes fondamentaux du gouvernement représentatif.
Il est encore permis, je pense, sans faire acte de mauvais patriote, de rendre quelque justice au roi Guillaume et au régime sous lequel fut placée la Belgique à la chute de l'empire français.
Le projet de loi fondamentale, qui avait été soumis aux provinces méridionales du royaume, admettait la liberté des croyances, accordait une protection égale à tous les cultes, consacrait la liberté de la presse, et le droit pour tous les Belges, sans distinction de culte, d'être nommés à tous les emplois. Eh bien, toutes ces dispositions furent repoussées comme contraires à la loi de Dieu, à la tradition catholique et aux droits imprescriptibles de l'Eglise.
C'est de l'histoire. Ai-je besoin maintenant de rappeler l'incroyable mémoire adressé par M. l'évêque de Broglie, au congrès de Vienne, contre la tolérance religieuse, les représentations faites par les évêques au roi Guillaume, leurs lettres pastorales contre la liberté des cultes, leurs protestations contre l'égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction de culte ; enfin ce jugement doctrinal par lequel ils défendirent de prêter le serment d'observer la Constitution !
En 1815, il n'y a pas 50 ans, les catholiques belges qu'on représente ici comme défenseurs séculaires de la liberté religieuse, demandaient le monopole de la liberté religieuse, excluant les dissidents de tous les emplois publics, proscrivant la liberté de la presse, exigeant l'entrée du clergé, à titre d'ordre reconnu, dans les assemblées tant générales que provinciales, réclamant une dotation fixe et la direction absolue, souveraine, de l'instruction publique.
- Un membre. - Et la dîme ?
M. Hymans. - On me dira sans doute qu'un grand changement s'est produit depuis, que les catholiques se sont ralliés à la liberté ; qu'ils ont accepté les idées modernes, qu'après avoir repoussé la tolérance en 1781, en 1815, ils ont voté, au Congrès, les institutions qui consacrent toutes les libertés modernes.
Je sais que les catholiques belges se sont inspirés, à cette époque d'idées venues de France, des idées de l’Avenir, des écrits de trois hommes éminents, Lamennais, de Montalembert et le père Lacordaire. Je sais que les catholiques, à cette époque, ont cédé la liberté aux autres en la réclamant pour eux.
Mais je sais aussi que cela se passait de 1829 à 1831, que les doctrines de l'Avenir furent censurées plus d'une fois par le pape, je sais enfin qu'en 1832 la liberté fut excommuniée par l'encyclique, qu'à ctte époque la liberté de conscience fut déclarée un funeste délire ! Et ne venez pas prétendre que cette excommunication est purement dogmatique ; ne venez pas, avec votre éternel distinguo, nous dire que l'excommunication des libertés ne s'applique pas à leur inscription dans nos lois et à leur application à notre société civile et politique ! Cela n'est pas possible.
Les principes de l'Eglise sont éternels, invariables, immuables et je vous ai rappelé tout à l'heure que la seule proposition d'introduire la liberté de conscience en Belgique avait été pour les évêques, en 1781 et en 1815, une raison pour prêcher la révolte, pour pousser le pays à l'insurrection.
Eh bien, qu'arriva-t-il ? L'encyclique ayant excommunié toutes les libertés modernes, Lamennais, de Montalembert et le père Lacordaire se rendirent à Rome, et selon l'expression éloquente d'un écrivain de vos amis, le père Lacordaire alla se prosterner sur le tombeau de saint Pierre et se releva, soumis et transformé. Le comte de Montalembert se sentit troublé dans sa foi ; il rentra dans le giron de l'Eglise ; il se rallia à la plus sévère, à la plus stricte orthodoxie ; Lamennais seul eut le courage de la logique ; il jeta le froc aux orties ; il répondit à l'anathème par les Paroles d'un croyant et se jeta désespéré dans les bras de la révolution.
Une seule question resta debout sur les ruines de l'Avenir ; c'est la question de la liberté d'enseignement. Eh bien, quant à celle-là, nous savons ce qu'elle est dans votre pensée. D'honorables orateurs, de ce côté de la Chambre, vous l'ont dit ; la liberté de l'enseignement, pour vous, c'est la liberté du monopole.
En parlant ainsi, messieurs, je le déclare loyalement, je n'entends pas confondre tous les catholiques dans une même accusation.
Je sais qu'il est encore dans cette grande opinion des hommes qui sont restés fidèles aux traditions de 1830, des hommes qui professent sincèrement les idées qu'ils défendaient à cette époque ; mais ceux-là ne sont pas ici, ceux-là n'ont pas pris la parole dans ce débat et nous n'avons entendu que ceux qui, avec Lacordaire et Montalembert sont entrés dans le giron de 1’Eglise, en abandonnant leurs doctrines d'autrefois.
La liberté d'enseignement seule est restée debout dans ce naufrage ; mais à celle-là vous en ajoutez une autre d'invention nouvelle, de fabrique nouvelle, comme disait samedi l'honorable M. Devaux, la liberté des fondations.
Des hommes plus compétents que moi vous ont montré ce qu'est cette liberté ; ils vous ont montré que c'était la liberté de créer des personnes civiles, la liberté de rétablir la mainmorte, de créer un Etat nouveau dans l'Etat. Eh bien, soyez-en bien sûrs, messieurs, le pays ne vous suivra pas dans cette voie ; le pays ne se sent pas le moins du monde ému de toutes les déclamations qu'il a entendues dans cette Chambre depuis quinze jours.
Le pays sait qu'au fond de cette discussion politique, au fond de ces griefs lamentables que vous avez étalés ici avec emphase, il n'y a pas autre chose qu'une affaire électorale.
Il y a deux ans, messieurs, j'ai eu l'occasion de vous dire la même chose à propos du débat sur la question de l'or. Il y a deux ans, vous agitiez le pays, sous prétexte de donner cours légal à l'or français. Aujourd'hui vous voudriez donner cours légal aux idées de 1781 et de 1815. Mais le pays sait parfaitement qu'il gagnerait moins à vous suivre dans cette voie. Il est bien convaincu qu'au lieu de lui offrir, comme il y a deux ans, une monnaie étrangère, vous ne lui offririez plus aujourd'hui que de la fausse monnaie.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, cette discussion a été soulevée à propos d'un acte posé par mon département, et, quoiqu'elle ait pris de plus grandes proportions, qu'elle ait embrassé toute la politique du cabinet, cet acte n'en a pas moins été très vivement attaqué par tous les membres de la droite qui ont pris la parole. La Chambre comprendra donc que, malgré mon désir de ne pas prolonger ce débat, je dois cependant quelques mots de réponse aux différents orateurs que vous avez entendus.
Les honorables MM. Nothomb et de Theux ont soutenu que l'arrêté royal qui a été pris relativement à la fabrique de l'église de Mont est, en tous points, contraire à la loi.
(page 584) L’honorable M. Nothomb a même manifesté le regret que cet acte ne pût pas être déféré à la justice, convaincu qu'il était, disait-il, que la justice y trouverait un tissu d'erreurs et de contradictions.
Cette assertion, messieurs, prouve que l'honorable M. Nothomb n'a pas examiné sérieusement l'acte qu'il s'est permis de qualifier de cette manière.
Je regrette qu'il ne soit pas ici, mais son absence ne doit cependant pas m'empêcher de répondre aux attaques dont j'ai été l'objet. (Non ! non !)
L'honorable M. Nothomb vous a dit qu'il était assez, singulier qu'on invoquât le décret de septembre 1809 qui défend les missions, alors que ce décret avait été virtuellement abrogé par celui du 30 décembre suivant sur les fabriques d'église.
L'honorable M. Nothomb aurait bien fait de se mettre d'accord avec l’honorable M. de Theux, qui considère le décret prohibitif de septembre 1809 comme une simple mesure de police. Le décret du 30 décembre 1809, relatif aux fabriques d'église, n’est certainement pas venu abroger une mesure de police ; cela me paraît de toute évidence. Je constate donc tout d'abord une contradiction flagrante entre les honorables MM. Nothomb et de Theux.
Et n'est-il pas évident encore que si les missions à l'intérieur étaient défendues par une mesure de police, au mois de septembre 1809, il ne peut pas être entré dans l’intention du législateur d'accorder, par le décret du 30 décembre suivant, aux fabriques la capacité de recevoir des fondations en faveur des missions ? Je ne crois pas, messieurs, que l'on puisse faire une objection sérieuse à cette argumentation.
J'ai dit que telle était en France l'opinion unanime de tous les auteurs qui avaient examiné la question, à quelque parti, à quelque opinion qu'ils appartinssent.
J'ai démontré par de nombreuses décisions du conseil d'Etat que la loi en Fiance avait toujours été interprétée comme je l'ai fait. A cela personne n'a répondu ; le conseil d'Etat de France doit connaître mieux que personne l'interprétation qu'il faut donner au décret de 1809 sur les fabriques et au décret de la même année qui prohiba les missions.
MM. Nothomb et de Theux prêe ndront-ils connaître mieux le sens de ces décrets ?
Eh bien, l'avis du conseil d'Etat de 1810, postérieur de quelques mois à la publication de ces décrets, déclarait qu'il était défendu de recevoir des donations pour les missions en France.
Mais, dit-on, le décret de 1809 prévoit les misions à l'intérieur. C'est une complète erreur. Tous les auteurs et le conseil d'Etat font une différence entre les prédications faites à des jours donnés et les missions.
Qu'on lise les avis du conseil d'Etat et les auteurs qui ont traité la question, qu'on relise la lettre du directeur général des cultes de 1849, que je mettais sous les yeux de la Chambre au début de cette discussion, et l'on verra qu'il est interdit de recevoir des donations pour des missions et que ces donations sont permises pour les prédications qui se font dans les termes du décret de l809.
En citant M. Gaudry, M. Thibaut a oublié de citer le passage où la question est examinée.
Voici ce que dit cet auteur :
« Les prédicateurs exercent leur ministère dans les cérémonies habituelles et surtout à des époques spécialement destinées à des exercices religieux, qui sont l’avent, le carême et les fêtes de l'Eglise. »
Voilà les prédications permises, celles qui se font dans les cérémonies habituelles.
« Lorsque, continue l'auteur, pour frapper plus énergiquement les populations, il se fait une suite de sermons par un ou plusieurs prêtres étrangers à la paroisse, on donne à ces solennités religieuses le nom de mission. Toutes les missions à l'intérieur avaient été défendues par un décret du 26 septembre 1809, mais une ordonnance du 25 septembre 1816 les autorisa, en reconnaissant une société de missionnaires. Deux ordonnances du 25 décembre 1830 et du 11 janvier 1831 ont rapporté l'ordonnance du 25 septembre ; Ainsi, les missions à l'intérieur ne sont pas légalement reconnues. »
Ainsi donc, depuis 1809 jusqu'à présent, pas plus en France qu'en Belgique, il n'a pas été et il n'est pas légalement possible d'admettre des fondations pour une mission.
M. Nothomb ajoute :
Voyez la contradiction. l'arrêté du 13 septembre 1862 déclare que le décret de 1809 n'a pas été publié, que la Constitution l'a abrogé ; cependant le même arrêté argumente du décret de 1809.
Il n'y a de contradiction que pour ceux qui ne veulent pas réfléchir. La question des missions, telle qu'elle se présente, doit être examinée sous deux aspects : au point de vue des cérémonies du culte et au point de vue des fondations.
Au point de vue des cérémonies religieuses, il est évident que le décret de 1809 a été aboli par la Constitution, pour autant qu'il contrarie une cérémonie du culte. J'ai admis que les missions sont permises aux termes de la Constitution ; mais en ce qui concerne la fondation, la personnification civile, y a-t-il lieu d'invoquer la Constitution ? Je ne puis l'admettre.
Quelle est la difficulté ?
C'est de connaître les attributions de la personne civile, l'étendue de ses droits. Pour déterminer ces attributions, je ne dois plus recourir à la Constitution, qui ne s'occupe pas des personnes civiles, mais aux actes contemporains du décret qui a donné au culte catholique cette personnification, pour savoir quelles sont les cérémonies pour lesquelles les fondations sont possibles.
Vous voulez qu'on interprète par la Constitution les dispositions relatives aux personnes civiles, parce que vous confondez toujours deux choses parfaitement distinctes, parce que vous voulez que liberté des cultes et liberté de fondation soient synonymes.
Quand j'ai à interpréter une question de liberté, je consulte la Constitution, parce que la Constitution proclame des libertés ; mais quand j'ai à examiner un question de personnification civile, ce n'est pas à la Constitution que je dois recourir ; elle ne s'occupe ni de personnification civile ni de fondation.
Rapprochez le décret sur les fabriques des actes contemporains, consultez la jurisprudence et les auteurs et vous trouverez partout la condamnation de votre système.
Messieurs, je n'en dirai pas davantage sur l'arrêté relatif à la fabrique de Mont, je le regarde comme conforme au droit.
Je dois un mot de réponse à M. de Theux, qui me fait dire beaucoup de choses que je n'ai pas dites et qui me prête des opinions que je n'ai pas exprimées.
L'honorable comte de Theux en s'occupant de la question des inhumations dit que j'avais reconnu que chaque culte avait droit à un compartiment séparé.
Je n'ai rien reconnu, je n'ai rien méconnu, je ne me suis pas expliqué, j'ai seulement dit que la difficulté n'était pas de savoir s'il y aurait un compartiment séparé pour chaque culte ou s'il n'y en aurait pas, mais bien de savoir quelle autorité déterminerait le compartiment dans lequel devra avoir lieu l'inhumation en cas de contestation.
C'est là en effet que réside toute la difficulté.
Que réclame M. de Theux ? Il réclame pour le clergé le droit absolu d'écarter du compartiment catholique tout individu qu'il ne lui convient pas de voir enterrer dans ce compartiment.
Nous, au contraire, nous défendons le droit de l'autorité civile. Voilà la différence.
L'honorable comte de Theux veut pour le clergé l'omnipotence la plus complète. Nous contestons cette omnipotence.
Là est la véritable difficulté ; elle n'est pas ailleurs. Elle n'est pas dans la question de savoir s'il y aura ds5 compartiments, ce qui est tout à fait accessoire.
A ce propos l'honorable comte de Theux citait ce qui se passait en France. Mais l'honorable comte de Theux sait-il bien ce qui se passe en France ?
Je ne sais où il a pris ses renseignements, mais ils ne sont pas exacts. En France on ne reconnaît pas du tout au clergé l'omnipotence que l'honorable comte de Theux réclame pour lui. Ces questions y ont été décidées par un homme que certes l'honorable crante de Theux ne range pas parmi les hommes hostiles au clergé, par M. Barthe.
Deux cas se sont présentés en France de 1831 à 1838, et je crois que c'est l'honorable M. Barthe, alors ministre des cultes, qui les a décidés tous les deux.
On avait inhumé un protestant dans le compartiment catholique.
M. Barthe le fit exhumer ; il dit que les protestants devaient être enterrés dans le compartiment protestant. En droit il avait raison. Mais ou a voulu aller beaucoup plus loin, et l'on a voulu introduire en France la théorie que l'honorable comte de Theux veut introduire ici, et M. Barthe résista très vivement, et déclara que cela ne pouvait se faire.
La seule chose qui ait été permise en France, c'est d’établir dans le compartiment catholique une place pour les enfants morts sans baptême. Je vais donner lecture à la Chambre d'une lettre écrite en 1838 (page 585) par M. Barthe à l’évêque que la chose concernait : les principes énoncés dans cette lettre sont encore appliqués en France aujourd'hui. Voici, messieurs, ce qu'il dit :
« Mais s'il me paraît possible d'accéder à vos désirs, en ce qui concerne la subdivision à établir dans les cimetières, pour les enfants morts sans baptême, je ne saurais, monseigneur, consentir à voir étendre la même mesure à une autre classe de personnes. Vous comprenez que je veux parler des suicidés, des duellistes, mariés civilement : que d'anciennes règles de l'église privaient de la sépulture religieuse.
« Ici, il ne s'agit plus, comme tout à l'heure, de prendre en considération un fait tel que celui du baptême, facile à vérifier, et qui peut paraître inoffensif pour les familles. La limite devient incertaine, les difficultés d'appréciation souvent très délicates, enfin ceux que l'exclusion atteindrait pour n'avoir pas observé toutes les prescriptions de l'Eglise n'en étaient pas moins catholiques.
« La mesure qui les séparait de leurs coreligionnaires, ne pourrait donc être considérée que comme une punition publique. Dès lors, elle aurait pour résultat inévitable de blesser les familles et de jeter l'irritation dans le pays. »
Comme vous le voyez, les suicidés les duellistes, les mariés civilement et tous ceux qui n'obéissent pas aux prescriptions du culte sont enterrés en France par voie d'autorité dans le compartiment catholique, ce que vous ne voulez pas admettre ici.
Je cite ces faits parce que l'honorable comte de Theux a représenté la France comme un pays où l'on admettait ce que nous repoussons en Belgique.
L'honorable comte de Theux et avant lui l'honorable M. Nothomb m'ont fait dire aussi que dans les pays où existait la liberté d'association et la liberté d'enseignement, le gouvernement devait être armé de pouvoirs restrictifs contre la liberté.
Je n'ai pas dit un mot de cela.
Voici ce que j'ai dit et ce qui est d'une vérité frappante.
J'ai dit que dans les pays où existent la liberté d'association et la liberté d'enseignement, la question des fondations avait une bien plus grande importance que dans les pays où n'existe ni la liberté d'association ni la liberté d'enseignement ; que la facilité d'acquérir la personnification civile présente dans les uns des dangers qui n'existent pas dans les autres.
Cela est-il sérieusement contestable ?
En Belgique il y a peut-être 500 ou 600 couvents.
- Une voix à gauche. - 700.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Peu importe ! Mettez-en 700, si vous voulez.
Eh bien, il est évident, il est incontestable que tous ces couvents tendent à obtenir la personnification civile ; car tous les moyens indirects employés pour arriver à ce résultat le prouvent ; et si la loi laissait une porte ouverte à la personnification, si petite que fût cette porte, vous y passeriez bientôt. Il en serait de même pour les congrégations enseignantes, et nous verrions le pays couvert de mainmortes comme il l'était anciennement.
Est-ce que ce danger est à craindre dans les pays où n'existe pas la liberté d'association ?
Y a-t-il là autant de corps qui viennent aspirer à 1a personnification civile ? Evidemment non ! La personnification civile serait permise, qu'il n'y aurait personne pour en profiter, et si quelqu'un voulait en profiter pour fonder une association ou une école, le gouvernement est toujours armé du pouvoir de faire disparaître la congrégation ou l'école, ce qui ferait immédiatement disparaître aussi la personne civile.
Voilà ce que j'ai dit, et ce que j'ai dit est parfaitement vrai.
Vous ne pouvez contester que si vous aviez aujourd'hui les moyens d'arriver à la personnification civile, la mainmorte serait introduite en Belgique sur la plus vaste échelle. Vous auriez certainement 700 ou 800 couvents qui seraient de nouveau constitués comme dans l'ancien temps.
J'ai dit que c'est un grand danger. Je n'ai pas voulu dire autre chose.
Remarquez que dans notre pays la personnification civile n'est pas nécessaire pour que les couvents puissent subsister. Elle n'est réclamée que parce qu'on veut en quelque sorte abuser du présent pour garantir l'avenir, car vous pourriez fort bien vous contenter des libertés que la Constitution a proclamées. Ces libertés vous assurent assez de garanties d'existence et de développement.
Enfin, messieurs, on a parlé de la charité, et l'on a dit que je refusais toute espèce de fondation.
On a répété tous les reproches que l'on m'a faits il y a longtemps déjà, car je me rappelle avoir été accusé ici, il y a à peu près 12 ans, de tarir les sources de la bienfaisance, d'étrangler la charité.
On faisait, à ce sujet, les prédictions les plus sinistres.
Qu’y a-t-il donc de vrai dans ces reproches, dans ces accusations ?
Messieurs, j'appelle l'attention de la Chambre sur la statistique que je vais lui soumettre.
J’ai, dit-on, refusé toute espèce de fondation. Je suis un ennemi déterminé des fondations. Eh bien, savez-vous pour quelle somme cet ennemi déterminé des fondations en a approuvé ; en 1858, 1859, 1860 et 1861 ? Je ne prends que ces quatre années ; la statistique de 1862 n'est pas faite. J'en ai, messieurs, approuvé, pendant ces quatre années, pour la somme de 11,087,494 fr. 18 c., dont deux tiers à peu près pour les établissements de bienfaisance, et un tiers pour le culte ; 7,488,593 fr. 64 c. pour les établissements de bienfaisance, et 3,599,095 fr. 51 c. pour les fabriques d'église.
Cela fait une moyenne par année de 2,750,000 fr. et si j'ajoute cette moyenne pour 1862, il en résulte qui j'ai autorisé, depuis cinq ans que je suis au ministère, pour 14 millions de fondations.
- Un membre. - C'est une bagatelle !
M. Allard. - Mais cela deviendra dangereux.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Voilà la vérité. Je n'ai pas à m'expliquer davantage ; mais je réponds par des chiffres aux incroyables accusations qu'on se permet dans ce débat.
Faut-il mettre en parallèle la somme des fondations de l'époque où florissait le beau système des administrateurs particuliers ? Savez-vous quelle était la moyenne de 1842 à 1847 ? De 1842 à 1847, sous le ministère de l'honorable M. d'Anethan, la moyenne des fondations était de 1,753,718 fr. 68 centimes.
Aujourd'hui donc, sous le ministère que l'on attaque continuellement que l'on accuse d'avoir tari les sources de la bienfaisance, la moyenne est d'un million plus forte que celle de la période que j'indique.
Parlant de la charité, l'honorable M. de Theux a cité la fondation d'un de nos anciens collègues, M. De Pouhon, et il a dit : Le ministre refuse toute espèce de fondation, qu'elle soit demandée par arrêté royal, qu'elle soit demandée par une loi ; il n'en veut aucune. Voyons, messieurs, ce qu'il en est de la fondation proposée par M. De Pouhon ?
M. De Pouhon voulait faire une fondation en dehors de toutes les conditions déterminées par la loi. Il ne donnait pas aux hospices ; il voulait une personnification civile, une fondation tout à fait indépendante.
Quel que soit le ministre qui eût été au pouvoir, il lui eût été impossible d'accepter la fondation de M. De Pouhon sans violer manifestement toutes les lois qui règlent cette matière.
Je le fis remarquer à M. De Pouhon avec la plus grande bienveillance possible. Je fis tout ce qui dépendait de moi pour l'engager à modifier des conditions que je considérais comme inacceptables.
En général, M. De Pouhon ne répondait que par des injures à l'adresse du ministre, à l'adresse du gouvernement, à l'adresse de la majorité de la Chambre.
Malgré l'inconvenance de ses lettres, j'ai insisté auprès de lui pour obtenir des modifications. Il en a fait quelques-unes, mais il laissait subsister des conditions qui ne me permettaient pas d'accepter la donation qu'il voulait faire.
Enfin M. De Pouhon demanda qu'une loi fût proposée à la Chambre pour accorder la personnification civile à sa fondation. Je dis à M. De Pouhon, dont toute la fondation, remarquez-le bien, avait consisté à offrir des bâtiments, que du moment qu'il s'agissait de créer une personne civile, tout à fait indépendante des hospices, il fallait, avant de soumettre dans ce but un projet de loi à la Chambre, assurer une dotation à cette personne civile. Il est évident que je ne pouvais venir vous demander d'ériger en personne civile les murs d'un bâtiment.
On eût dit : Où est votre dotation ? Qui entretiendra les bâtiments et les personnes qui doivent être secourues ? M. De Pouhon se décida à constituer une dotation qui devait s'élever à 1,500 francs de rente.
C'était à la fin de la session. L'affaire était à l'examen ; je devais même la soumettre à mes collègues, lorsque tout à coup M. De Pouhon m'écrivit une lettre conçue eu termes injurieux comme les précédentes, pour m'informer qu'il ne lui restait plus qu'à faire connaître aux ouvriers d'Ensival celui qui mettait obstacle à ses bonnes intentions.
Voilà ce qui s'est passé. Si M. De Pouhon y avait mis autant de bonne volonté que le gouvernement, s'il n'avait pas voulu soulever une question politique plutôt qu'accomplir une œuvre de bienfaisance, je n'hésite pas à le dire, on aurait abouti. Car chaque fois que j'ai eu à traiter ces sortes d'affaires, j'ai fait tout ce qui dépendait de moi pour leur donner une solution favorable. Je ne puis pas violer la loi et je ne le ferai pas.
Mais personne n'a le droit de me reprocher de ne pas favoriser autant que je le puis les donations en faveur des pauvres.
L'honorable comte de Theux a eu grand tort de rappeler cette affaire s'il la connaissait, Il y a un acte de M. De Pouhon lui-même qui prouve (page 586) que le gouvernement n'a mérité aucun reproche à cette occasion. M, De Pouhon a publié une partie de sa correspondance. Je lui avais adressé une lettre où je relatais tous les faits, où je rappelais même les injures qu'il m'avait écrites, où j'établissais de quel côté était le droit, et où j'indiquais les motifs de ma détermination. M. De Pouhon a eu soin de ne pas publier cette lettre qui eût permis à tout le monde d'apprécier ses prétentions.
M. le comte de Theux nous a parlé aussi des bourses d'études, et anticipant sur le débat, il a fait le procès au projet de loi que nous avons présenté. Mais qui donc a rendu nécessaire, a rendu indispensable la présentation d'un projet de loi sur les bourses d'études ? C'est assurément la droite.
Que s'est-il passé ?
Avant 1830, ceux qui jouissaient des bourses d'études devaient fréquenter les universités de l'Etat. Il y avait des dispositions expresses à cet égard dans des règlements de 1816 et de 1823. La révolution arrive. Des universités libres s'élèvent et l'on soutient (je n'ai pas à examiner aujourd'hui si c'est avec raison ou non) que les arrêtés de 1816 et de 1823 qui obligeaient les boursiers à fréquenter les universités de l'Etat sont virtuellement abolis par la proclamation de la liberté d'enseignement.
Tel était alors le thème de la droite : Les arrêtés de 1816 et de 1823 n'ont plus aucune espèce de force ; les boursiers n'auront plus besoin de fréquenter les cours des universités de l'Etat.
En 1835 ; on organise l'enseignement supérieur, on place une université à Liège, une à Gand et on laisse la ville de Louvain disponible pour l'université catholique. Tout cela était parfaitement combiné, et on en a su tirer tout le profit possible.
Une fois à Louvain, on s'empare des bourses, et la droite déclare que c'est à Louvain que tous les boursiers devront faire leurs études.
Voyez, messieurs, quelle était la logique de la droite : par suite de la liberté des cultes et de la liberté d'enseignement, les arrêtés de 1816 e* de 1823 sont virtuellement abolis, disparaissent complètement ; le boursier doit jouir de la plus entière liberté, c'est-à-dire qu'il ne sera plus oblige de suivre les cours des universités de l'Etat.
Mais ce principe ne s'applique pas aux actes de fondation. Dans le temps, les fondateurs ont créé des bourses auprès de l'université de Louvain, la volonté des fondateurs sera respectée, c'est la volonté privée du fondateur qui fera loi. Ce qui est véritablement la loi, l'expression de la volonté nationale disparaît, mais la volonté des fondateurs restera.
On plaide pour faire déclarer que l'université catholique actuelle jouira des mêmes immunités, des mêmes faveurs que l'ancienne université de Louvain, qu'elle en est la continuation, mais les tribunaux repoussent ce système, ils déclarent qu'il n'y a rien de commun entre l'ancienne université de Louvain et la nouvelle ; on n'a pas égard à cette décision judiciaire, on persiste à soutenir que tous ceux qui jouissent de bourses créé s autrefois près de l'université de Louvain doivent faire leurs études à Louvain.
Je vous demande, messieurs, si cela est sérieux, je vous demande ce que signifie la liberté d'enseignement dans ce système. Je vous demande si cela est loyal. Qua d il s'agit des universités de l'Etat, les boursiers ont le droit d'étudier où ils veulent, la Constitution a aboli tous les arrêtés, mais dès qu'il s'agit de l'université de Louvain, quoique les tribunaux aient condamné les prétentions du parti catholique, on maintient que les boursiers sont obligés d'étudier à Louvain. Est-ce encore la liberté de l'enseignement ?
Vous proclamez que la liberté de l'enseignement doit modifier les dispositions relatives aux bourses quand ce principe vous est favorable, mais dès qu'il s'agit de l'appliquer aux autres établissement, vous n'en voulez plus et nous sommes forcés de venir présenter une loi qui vous oblige à appliquer en fait le principe que vous proclamez en droit sans jamais vouloir vous y conformer.
C'est une expropriation, dit l’honorable M. de Theux, c'est une expropriation sans indemnité et non pour cause d'utilité publique, mais contre l'intérêt public ; et M. Kervyn a ajouté : C'est une loi rétroactive. Voyons donc, messieurs, s'il y a expropriation, s'il y a lieu à indemnité et s'il y a rétroactivité.
Et d'abord, qui doit retirer des bourses tout le profit ? S'il y avait expropriation, s'il y avait lieu à indemnité, l'indemnité serait due à ceux qui doivent jouir des bourses.
Le droit principal qui résulte de la fondation d'une bourse, intéresse surtout celui à qui elle est accordée pour ses études.
Touchons-nous le moins du monde à la disposition principale des actes de fondation ?
Est-ce que celui à qui la fondation accorde la jouissance de la bourse sera lésé ?
Lorsque le fondateur dit que la bourse est instituée au profit de ses parents, ou au profit des habitants de certaines villes, de Bruxelles, à Gand, de Tournai, par exemple, est-ce que cette disposition n'est pas respectée ?
Mais celui qui jouit de la bourse continuera d'en jouir. Il n'y a donc expropriation d'aucun droit, il n'y a rien d'enlevé, il n'y a donc pas lieu à indemnité, puisque aucun tort n'est fait à celui qui doit jouir de la bourse.
Et l'utilité publique ! Mais l'utilité publique consiste non pas précisément à ce que toutes les bourses soient attachées à l'université de Louvain, mais l'utilité publique censée à faire respecter le principe de la liberté d'enseignement, si, comme vous le prétendez, la question des bourses s'y lie d'une manière intime. Eh bien, c'est dans ce but que nous avons déposé le projet de loi.
L'intérêt public pour vous, c'est exclusivement l'intérêt de l'université de Louvain, c'est parce que vous ne voyez jamais l'intérêt public qu'à travers vos intérêts, parce que, pour vous, tout l'intérêt public se résume dans l'intérêt de votre parti. Pour nous l'utilité publique c'est que l'enseignement soit libre en fait, comme vous le proclamez libre en droit et que tous les boursiers ne soient pas dépendants d'une administration qui les oblige à faire ce qu'ils ne voudraient pas faire.
La loi est rétroactive ! a dit M. Kervyn. Pas le moins du monde Savez-vous comment il y aurait rétroactivité ? Il y aurait rétroactivité si nous touchions au droit des individus qui doivent jouir des bourses, mais nous laissons ce droit intact.
Nous apportons seulement des changements à l'administration, et d'après tous les jurisconsultes, il n'y a jamais de droit acquis lorsqu'il s'agit d'administration. Nous pouvons modifier les administrations de bourses comme nous pouvons modifier les bureaux de bienfaisance ; ce sont des établissements publics dont le législateur peut toujours changer ou réformer l'administration sans qu'il y ait pour cela rétroactivité.
J'ajouterai que lorsque les collateurs appartiennent à la famille du fondateur, il n'est pas même touché au droit de collation.
Vous ne pouvez donc pas parler de rétroactivité, car il s'agit de matières où il n'y a jamais de droits acquis.
Cela est tellement vrai, du reste, que la commission, composée de jurisconsultes éminents, a parfaitement admis en 1849 le système d'administration que nous avons soumis à la Chambre.
Mais, dit l'honorable comte de Theux, vous ne respectez pas ce que le gouvernement hollandais avait respecté, et cependant le gouvernement hollandais agissait sous l'empire de circonstances bien différentes de celles où vous vous trouvez ; il agissait sous l'empire de la loi fondamentale tandis que vous agissez sous l'empire de la Constitution,
Je vais expliquer à l'honorable comte de Theux, qui ne s'en est pas aperçu, comment les circonstances permettaient au roi Guillaume de faire ce que nous devons défaire aujourd'hui.
J'ai dit quelles étaient, sous le gouvernement du roi Guillaume et sous l'empire de la loi fondamentale, les dispositions en vigueur relativement aux bourses d'études.
Sous l'empire de la loi fondamentale et sous le règne du roi Guillaume, tous les boursiers devaient nécessairement fréquenter les cours d'un établissement public. La question de collation, sous un pareil régime, était donc complètement indifférente. Les universités de l'Etat étaient organisées de la même manière ; le même esprit y régnait ; il importait dès lors peu que la collation appartint à une classe de la société plutôt qu'à une autre.
Mais aujourd'hui que la liberté d'enseignement a été proclamée, que les universités libres ont été érigées à côté des universités de l'Etat, il est certain que la liberté d'enseignement est exposée à recevoir des atteintes, quand la collation de bourses est laissée à une certaine classe qui s’intéresse à un établissement déterminé et qui peut indirectement violenter l'élève, et l'obliger à suivre les cours de cet établissement, alors que cet élève voudrait faire ses études dans un autre établissement.
Quant à l'administration du temporel des cultes, c'est encore le ministère actuel qui, par suite de ses tendances antireligieuses, a suscité cette question.
Messieurs, nous ne sommes pas si loin des discussions qui ont eu lieu à l'occasion du discours du trône en 1861. Je crois avoir bien démontré, à cette époque, que cette question est très ancienne, et que des personnes très orthodoxes, d'anciens amis de l'honorable M. de Theux, avaient déjà depuis 1830 réclamé des garanties pour l'administration du temporel des cultes.
Je lui ai cité Mgr l'évêque Van Bommel qui avait même indiqué le corps qu'on devait charger de ce contrôle ; qui, dans un langage très clair, très énergique, avait déclaré que, quand il y avait un déficit, c'était à la commune à y pourvoir et que c'était dès lors à la députation permanente de surveiller le bon emploi des menus des fabriques.
(page 587) Ainsi, la question date de loin ; elle a été agitée, il y a plus de 25 ans ; elle a été discutée dans tous les conseils provinciaux ; toutes les autorités ont élevé des réclamations à ce sujet ; et je ne comprends pas, lorsque la nécessité d'une réforme a été aussi unanimement reconnue, je ne comprends pas qu'on vienne nous dire que c'est pour donner satisfaction à la queue de notre parti que nous avons suscité cette question. Cela n'est pas soutenable.
Je ne veux pas anticiper sur le débat que ce projet peut faire naître. Je dirai seulement en deux mots, à l'honorable M. Dumortier, qu'il ne connaît pas bien l'avant-projet, ou qu'il ne connaît pas bien la législation actuelle.
L'honorable membre semble nous faire un grief énorme d'avoir introduit le bourgmestre de droit dans le conseil de fabrique, prétendant que nous irons choisir des bourgmestres hostiles au clergé.
Il lui sera très facile de constater que cette disposition est littéralement extraite du décret de 1809.
Pour terminer, un mot au sujet des nominations.
On nous a beaucoup reproché de faire des nominations, des destitutions et des déplacements, exclusivement au point de vue politique.
C'est avec beaucoup de raison que mon honorable collègue, M. le ministre des affaires étrangères, a dit à l'honorable M. de Theux qu’il était heureux de ne s'être pas inspiré des principes que l'honorable député de Hasselt avait mis en pratique quand il était ministre,
En effet, messieurs, le premier exemple, non pas d'une destitution, le mot serait trop dur, - l'honorable comte de Theux fait les choses d'une manière plus paternelle et plus douce - le premier exemple, donc, si pas d'une destitution, au moins d'une mesure qui y ressemble beaucoup, a été donné par l'honorable M. de Theux lui-même.
On se rappelle qu'en 1832 il y avait à Liège un gouverneur qui s'appelait M. Tielemans. A un jour donné, M. Tielemans s'est trouvé nommé avocat général à la cour de cassation. Je ne pense pas que M. Tielemans eût demandé ce changement, car il n'avait pas l'âge requis pour occuper les fonctions qu'on venait de lui conférer.
M. Tielemans fut donc arraché à son poste de gouverneur, et envoyé à la cour de cassation comme avocat général ; il fallait avoir 35 ans pour être apte à remplir cette place ; M. Tielemans n'en avait que 32, et il est resté sans fonctions jusqu'en 1834.
Ce n'était pas une destitution, mais un acte qui en était l'équivalent.
Maintenant quel motif attribuait-on à ce singulier déplacement d'un gouverneur nommé à des fonctions pour lesquelles il n'avait pas la capacité légale ? Il y avait eu une difficulté entre l’évêque de Liège et un des curés de cette ville. L'évêque tenait à enlever à sa paroisse un curé auquel les paroissiens étaient très attachés. M. Tielemans interpréta la Constitution en ce sens que l'autorité civile n'avait rien à voir dans ce débat, il encourut la disgrâce de l'évêque, et il fut envoyé comme avocat général à la cour de cassation, il fut nommé à des fonctions qu'il ne pouvait accepter.
Voilà le premier exemple de destitution qui se rencontre dans nos annales depuis 1830, et c'est l'honorable M. de Theux qui a donné cet exemple.
L'honorable M. de Theux prend toujours le rôle d'agneau sans tache quand il s'agit d’élections ; mais dans la réalité il n'y a jamais eu au ministère d'homme de parti plus décidé que l'honorable M. de Theux.
En 1839, je cite des faits qui me sont connus, dans lesquels j'ai été acteur ; en 1839, on a mis en avant la candidature de M. le comte d'Aerschot, dans le Luxembourg ; on a tout fait pour qu'elle réussît, comme nous avons tout fait pour qu'elle échouât. Des circulaires dont j'ai encore des exemplaires et qui émanent du commissaire d'arrondissement, déclaraient nettement qu'il serait très agréable au gouvernement de voir nommer le comte d'Aerschot ; on s'est même adressé à la magistrature. Il en a été de même en 1847 pour l'élection de M. Coppens, luttant contre M. de Favereau. Des circulaires sortant du cabinet de l'honorable M. de Theux ont été autographiées à Bruxelles, et lancées à profusion par M. le gouverneur Smits. Ce sont là des faits notoires dans le Luxembourg.
Que l'honorable M. de Theux vienne prétendre après cela qu'il n'est jamais intervenu dans les élections ! Il y est toujours intervenu, il a sans cesse fait tout ce qu'il était possible de faire pour assurer le triomphe de ses candidats. Jamais ministre n'est intervenu dans les élections avec autant d'ardeur, je dirai avec autant de violence que l'honorable M. de Theux.
Un mot maintenant en ce qui me concerne personnellement. C'est en quelque sorte un parti pris de me reprocher de faire des nominations au point de vue politique. La meilleure preuve du néant de cette accusation, c'est que j'ai été à la fois l'objet des attaques des journaux catholiques et de journaux libéraux ; si dans les nominations que j'ai faites, je n'avais eu égard qu'aux ornions des candidats, j'aurais du moins obtenu l'appui des journaux libéraux qui m'ont attaqué.
Mais il faudrait, messieurs, pour que ce grief ne s'étendît pas à tous les candidats que j'ai l'honneur de proposer à S. M., que je les acceptasse de vos mains. Eh bien, je ne le ferai pas et je vous déclare très nettement que j'aime infiniment mieux subir vos reproches et vos attaques que subir votre influence.
M. de Theux (pour un fait personnel). - Je commence par le dernier fait dont a parlé M. le ministre de la justice. On me reproche d'avoir déplacé M. Tielemans à raison d'un différend qui aurait surgi entre le gouverneur et l'évêque du diocèse de Liège. Je déclare de la manière la plus formelle que jamais ce motif n'est entré pour rien dans ma résolution. (Interruption.)
Sans doute M. Tielemans n'avait pas sollicité ce déplacement ; mais j'ai dû lui donner une autre position parce que, dans l'opinion du gouvernement, il ne pouvait pas conserver la direction de la province de Liège.
- Voix à gauche. - C'est cela !
M. de Theux. - Mais certainement, messieurs. Je ne conteste en aucune façon le droit du gouvernement de changer de position un fonctionnaire qu'il croit ne plus convenir à ses fonctions. Nier cela en théorie serait une absurdité. Mais je dis que le motif du déplacement de M. Tielemans était antérieur à mon entrée au ministère ; voilà ce que je déclare.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et M. Hennequin ?
M. de Theux. -Et si M. Tielemans a été nommé, quoique n'ayant pas l'âge requis, avocat général à la cour de cassation, c'est le fait d'une véritable erreur.
Jamais, messieurs, je n'ai eu recours à des moyens détournés ; jamais je n'ai reculé devant aucune discussion politique ; jamais non plus les attaques de l'opposition ne m'ont fait défaut et je crois avoir toujours répondu avec la franchise et le courage que doit avoir un homme politique.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et M. Hennequin, gouverneur du Limbourg ?
M. de Theux. - Messieurs, je ne veux pas dire les motifs personnels qui m'ont guidé dans cette affaire (interruption) ; cela ne convient pas ; mais il est de notoriété que ce changement était parfaitement dans l'ordre gouvernemental. (Nouvelle interruption.)
Mais, messieurs, si je devais m'expliquer ici, je ne pourrais pas le faire sans sortir des convenances gouvernementales et politiques, et je saurai résister aux excitations qui me pressent de parler. D'ailleurs, on me reproche aujourd’hui mon intolérance ; or, je me rappelle parfaitement qu'à ma sortie du ministère en 1840, on a remarqué que la plupart des fonctions publiques étaient occupées par l'opposition.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Oh ! quant à cela, c'est une grande erreur.
M. de Mérode-Westerloo. - C'est un fait !
M. de Theux. - Si c'est une erreur, vous devez vous en prendre à un écrit qui émanait d'une plume libérale et qui, à coup sûr, appréciait les choses autrement que vous, à un écrit qui, à cette époque, était une grande autorité.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une très grande erreur, je le répète.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ou bien, c'est que M. de Theux avait eu la main bien malheureuse.
M. de Theux. - Je vais plus loin et je dis que je n'ai fait qu'user de mon droit en cherchant à établir un certain équilibre dans les fonctions publiques.
La majorité de la Chambre comme celle du Congrès étaient dans cet ordre d'idées et il eût été absurde de ne point profiter des occasions qui se présentaient pour rétablir cet équilibre. C'est la marche que j'ai toujours suivie.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Que nous reprochez-vous donc ?
M. de Theux. - C'est différent ; il ne faut pas confondre les faits ; j'explique ici le système gouvernemental.
Maintenant on parle d'élections, et ou prétend que jamais ministère libéral n'a pesé sur les élections, En 1857, on arrive au pouvoir à la suite d'une grande agitation qui avait été provoquée on sait comment ; que fait-on en cette circonstance, au moment de l'élection ? On fait un manifeste ministériel, et ce manifeste est lu, par ordre, dans tous les conseils communaux, Avait-on jamais vu jusque-là un fait pareil ? (Interruption.)
(page 588) M. de Moor. - Et les mandements des évêques ?
M. de Theux. - Qu'est-il arrivé, â une autre époque ? En 1858, on demande une loi pour dissoudre les conseils communaux, les conseils provinciaux, on dissous les Chambres, et l'on fait déclarer par les organes du gouvernement que le pays est en péril si les membres de la droite sont réélus. (Interruption.) Après cela, messieurs, je puis abandonner en toute confiance au pays l'appréciation de ma conduite en comparaison avec celle des membres du cabinet actuel.
Messieurs, lorsque, dans une précédente séance, j'ai signalé les tendances générales du gouvernement, j'ai eu immédiatement l'occasion de me trouver en rapport avec des hommes qui connaissent beaucoup de particularités sur la manière dont le ministère comprend son rôle sous ce rapport.
Eh bien, messieurs, il y en aurait pour des mois entiers si nous avions à discuter chacun des faits que je connais. Mais il ne me convient pas d'entrer dans des débats personnels et je ne suivrai pas l'exemple de nos adversaires qui à une autre époque, ne laissaient point passer la plus insignifiante nomination faite par un ministère conservateur sans y consacrer deux à trois jours de discutions passionnéees et que je considérais alors comme vraiment scandaleuses.
Qu'il me soit permis seulement de citer un fait qui fera juger des autres. Il s'agissait dernièrement d'une nomination à un emploi qui n'avait rien de politique ; le père du candidat fut vivement sollicité d'entrer dans une association libérale, et on lui fit comprendre que de son assentiment pourrait dépendre la nomination de son fils. Mais on avait affaire à un homme important, et la nomination eut lieu malgré sa résistance à se rendre au désir qui lui était manifesté.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je déclare que je n'ai jamais engagé personne ni directement ni indirectement à entrer dans une association quelconque et j'ignore complètement à qui l'honorable M. de Theux fait allusion.
M. de Theux. - Je ne veux pas citer de nom propre, mais j'affirme le fait.
M. De Lexhy. - Je demande la parole.
M. le président. - La parole est à M. Royer de Behr.
M. Royer de Behr. - Je la cède à M. De Lexhy, s'il se propose de parler sur ce dernier incident.
M. De Lexhy. - Oui, c'est sur l'incident que j'ai demandé la parole.
L'honorable M. de Theux a para faire allusion à un bruit que l'on a fait courir dans la province de Limbourg,
M. de Theux. - Je n'ai pas dit où.
M. De Lexhy. - Eh bien, veuillez préciser vos insinuations et me répondre, par oui ou par non, si je suis dans le vrai.
M. le président. - M. de Theux ne répondant pas, il est inutile d'insister,
M. De Lexhy. - Si le prétendu fait, dont l'honorable membre a voulu faire l'objet d'un grief à charge du ministère, avait été articulé d'une manière précise, j'aurais pu fournir des explications qui auraient démontré l'inanité de ce bruit, que l'on a fait courir dans le but de nuire à l'opinion libérale.
Mais puisqu'on m'amène sur ce terrain, moi, j'articulerai un fait positif qui servira de contrepartie à l'insinuation en question. Ce fait le voici : Il existe dans le Limbourg un fonctionnaire politique qui, il y a deux ans, a voulu exiger d'un membre d'une association libérale, sa démission de cette association, pour le présenter comme candidat pour une place de bourgmestre. Voilà un fait en réponse à une insinuation.
- Voix nombreuses. - A demain !
- La séance est levée à 4 heures et demie.