(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 555) (Présidence de M. Vervoort.)
M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Moor présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.
« Le sieur Peters prie la Chambre : 1° d'abaisser le deuxième titre argent, obligatoire en Belgique, et de le fixer à 800 millièmes ; 2° de réviser les règlements de garantie pour l'orfèvrerie et la bijouterie : 3° de maintenir le tarif sur les montres à l'ancien taux, et même de le diminuer 4° d'accorder aux fabricants un poinçon spécial et gratuit pour tous les produits destinés à l'exportation ; 5° de refuser l'entrée libre aux estampés bruts, appelés coquilles. »
M. Julliot. - Messieurs, cette pétition étant d'un objet très important, j'en demande le renvoi à la commission permanente de l'industrie, avec prière de faire un prompt rapport.
- Adopté.
« Les membres du conseil communal de Houdeng-Goegnies demandent la construction d'un chemin de fer de Houdeng à Jurbise. »
M. J. Jouret. - Messieurs, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de divers chemins de fer. »
- Adopté.
« Des habitants d'Overpelt déclarent se rallier à la pétition ayant pour objet le chemin de fer d'Herenthals à Gladbach par Ruremonde. »
- Même renvoi.
« Le sieur Leerens, facteur rural, demande une augmentation de traitement. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Le sieur Ch. Bertrand, journalier à Arlon, né à Fischbach (Grand-Duché de Luxembourg), demande la naturalisation. »
- Renvoi à la commission de naturalisation.
« Par message du 11 mars, le Sénat informe la Chambre qu'il ne sera donné aucune suite à la demande de naturalisation du sieur François Meier, professeur à Liège, attendu le décès du pétitionnaire. »
- Pris pour notification.
« Par message du 12 mars, le Sénat informe la Chambre que, dans sa séance du même jour, il a adopté le budget de l'intérieur pour l'exercice 1863. »
- Pris pour notification.
« Par dépêche du 11 mars, M. le ministre des affaires étrangères informe la Chambre que, par suite du décès du sieur Isaac Yanni, agent consulaire belge, le projet de loi déposé par le gouvernement, le 25 novembre 1860, et tendant à accorder la naturalisation ordinaire audit sieur, devient sans objet. »
- Pris pour notification.
« M. Dechamps et Wasseige demandent un congé de quelques jours pour cause d'indisposition. »
- Accordé.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est dès à présent certain qui le budget des travaux publics ne pourra être voté avant que le Sénat se sépare. Je viens donc, d'après les ordres du Roi, déposer sur le bureau de la Chambre un projet de loi qui ouvre un nouveau crédit provisoire de 2,162,750 fr. au département des travaux publics.
Je prie la Chambre de vouloir bien renvoyer incontinent ce projet de loi à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics et de suspendre un instant sa séance. Le Sénat a terminé les travaux qui sont à son ordre du jour ou du moins dont il peut s'occuper en l'absence de M. le ministre de la justice. Il sera nécessaire que la section centrale s'entende avec la commission du Sénat, pour connaître la durée probable de l'ajournement de cette assemblée. Si cet ajournement devait être un peu prolongé, il serait nécessaire de voter également un crédit provisoire pour le département de la justice.
- Le projet de loi sera imprimé et distribué, la Chambre le renvoie à la section centrale qui a examiné le budget des travaux publics.
Conformément à la proposition faite par M. le ministre des finances, elle suspend sa séance. Il est deux heures et demie.
La séance est reprise à 2 heures 3/4.
M. H. Dumortier. - Messieurs, ainsi que vient de le dire M. le ministre des finances, le Sénat désire ne pas prolonger ses séances, et par suite de cette circonstance, l'honorable ministre a été amené à déposer un projet de loi ayant pour objet l'ouverture de nouveaux crédits provisoires.
La section centrale qui a examiné le budget des travaux publics, s'est constituée en commission spéciale pour prendre connaissance des propositions faites par le gouvernement tant en ce qui concerne les crédits provisoires destinés aux travaux publics qu'en ce qui concerne les crédits provisoires nécessaires au département de la justice. Elle a adopté, et elle propose à la Chambre d'adopter le projet du gouvernement avec les amendements suivants :
Pour le département des travaux publics, au lieu de la somme de 2,162,750 francs demandée par le gouvernement, une somme de 4,325,000 francs, c'est à dire qu'il y aura 2/12 au lieu de 1/12.
Et pour ce qui concerne le département de la justice, la section centrale demande par le même projet un crédit provisoire de 2,250,000 fr. représentant également les deux douzièmes du chiffre total de ce budget. Nous avons l'honneur de soumettre ces propositions à la Chambre.
M. le président. - La Chambre entend-elle passer immédiatement à la discussion de ce projet de loi ?
- De toutes parts. - Oui ! oui !
La discussion générale est ouverte.
Personne ne demandant la parole, cette discussion est close et l'assemblée passe à l'examen des articles du projet de loi amendé par la section centrale.
« Art. 1er. Un crédit provisoire de 4,325,000 francs est alloué au département des travaux publics, à valoir sur le budget de ce département pour l'exercice 1863. »
- Adopté.
« Art. 2. Un crédit provisoire de 2,250,000 francs est alloué au département de la justice, à valoir sur le budget de ce département pour l'exercice 1863. »
- Adopté.
Il est procédé à l'appel nominal ; le projet de loi est adopté à l'unanimité des 84 membres présents. Il sera transmis au Sénat.
Ont voté pour le projet de loi : MM. de Baillet-Latour, de Boe, de Breyne, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Moor, de Naeyer, de Paul, de Rongé, de Ruddere de Te Lokeren, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Vrière, d'Hoffschmidt, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Frère-Orban, Frison, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Jouret, M. Jouret, Julliot, Kervyn de Lettenhove, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, C. Lebeau, Magherman, Mercier, Moncheur, Moreau, Muller, Notelteirs, Nothomb, Orban, Orts, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Snoy, Tesch, Thibaut, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van de Woestyne, Van Humbeeck, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Allard, Ansiau, Bara, Beeckman, Coomans, Coppens, Crombez, Cumont, David et Vervoort.
M. le président. - Un de nos collègues, M. Goblet, vient de perdre sa mère. Il demande à la Chambre un congé.
- Ce congé est accordé.
(page 556) M. le président. - La parole est continuée à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai fait justice, dans la séance de mercredi, de l'accusation si souvent et injustement reproduite par nos adversaires, et qui tend à représenter nos luttes comme ayant pour objet des dissentiments religieux. Sur la terre de liberté où nous avons le bonheur de vivre, sous le régime constitutionnel si libéral que la Belgique s'est donné, les pouvoirs publics ne sont armés ni pour ni contre les croyances religieuses ; ils n'ont le droit ni de les discuter, ni de les attaquer, et moins encore de les imposer.
Ces croyances peuvent librement se développer et s'épanouir par leurs propres forces ; elles se soutiennent et se défendent par les seuls moyens d'action légitimement dont elles puissent disposer sur le terrain de la liberté, par l’influence de l'exemple et de la persuasion.
Le libéralisme affirme invariablement ce principe ; il met au-dessus de tout, en cette matière, les droits individuels, les droits des Belges, comme dit la Constitution ; le libéralisme n'entend sacrifier ces droits ni à l'Etat ni aux Eglises.
J'ai montré, messieurs, que nos luttes n'avaient pas cessé un seul jour d'avoir un caractère exclusivement politique ; j'ai montré que le parti catholique, en matière d'enseignement, a élevé, dans l'intérêt de la prépondérance absolue de son Eglise, des prétentions inconstitutionnelles qui non seulement auraient rendu le pouvoir civil son esclave, mais qui auraient mis à sa merci les droits les plus sacrés de la conscience, droits si formellement et si justement garantis aux citoyens ; j'ai montré qu'en matière d'association, nonobstant l'intention exprimée, manifestée par le Congrès national, le parti catholique a invariablement poursuivi le but constant de tous ses efforts, qui est, non de conserver les droits des individus, mais de les anéantir dans les corporations, et d'assurer la perpétuité de ses œuvres, en les imposant à la société, au moyen de la personnification civile, et au moyen de la capacité de recevoir par donations et par testaments.
Voyons maintenant, messieurs, si d'autres principes de la Constitution ont été mieux respectés par nos adversaires politiques. Voyons si ces principe ont été compris et pratiqués de la même manière par l'un et l'autre des deux grands partis qui divisent le pays.
La liberté des cultes, comment l'entendez-vous et comment l'entendons-nous ?
Pour nous, la liberté des cultes c'est le droit pour les citoyens de professer, suivant les libres inspirations de leur conscience, telle religion qu'ils trouvent bon de choisir, de l'enseigner, de la pratiquer et de la propager. Certes ce n'est pas là seulement le sens que vous attribuez à la disposition constitutionnelle qui concède ce droit aux citoyens belges. Selon vous, la liberté des cultes a une bien autre portée, une bien autre signification. Vous faites d'abord une petite variante au texte de la Constitution, la liberté des cultes que la Constitution place dans une même disposition, au même rang que la liberté des opinions, devient par vous la liberté du culte et, de votre autorité privée, cette pure abstraction, le culte, devient ainsi une sorte d'être moral auquel vous attribuez des droits dans l'Etat.
Voilà, selon vous, la vrai sens de la disposition qui est écrite dans le pacte fondamental. En interprétant ainsi cette disposition, que vous dénaturez complètement dans son principe et dans ses conséquences, vous prétendez arriver à faire admettre que le culte, c'est-à dire l'Eglise, est une espèce de corps moral ayant une existence propre et indépendante, ayant des droits particuliers bien distincts de ceux des individus. Et chaque fois que l'on vient à gêner l'une des prescriptions de l'Eglise, quelle qu'en soit la nature, fût-elle contraire à la souveraineté civile ou au droit des citoyens, on porte atteinte en elle à la liberté du culte, on viole la Constitution !
De ces prémisses, et de déductions en déductions, on finit, comme vous l'allez voir, par aboutir à des conséquences fort importantes, même dans l'ordre temporel.
L'Eglise, dit-on, est une société parfaite, l'Eglise existe de droit divin ; l'Eglise a le droit d'exiger de la société civile tout ce qu'elle affirme être nécessaire à son existence et à son développement. Toute objection, tout refus opposé à une telle exigence, est tout aussitôt dénoncée comme attentatoire à la liberté du culte, et nécessairement comme une violation flagrante, manifeste de la Constitution.
Partant de là, messieurs, et en vertu de ce principe constitutionnel de la liberté du culte, ainsi interprété, ainsi dénaturé, le parti catholique a toujours soutenu que les biens, soustraits au régime du droit commun, placés en dehors du domaine des particuliers et confiés à un corps constitué par la loi civile, pour un service reconnu d'utilité publique, celui du culte, ne peuvent relever que de l'autorité de l'Eglise ; que dès lors toute loi est illégitime qui a pour objet de régler à un degré quelconque le temporel du culte, et d'établir à cet égard un contrôle réel de la part de l'autorité publique.
C'est là une des prétentions fondamentales du parti catholique. Il se peut, nous pourrons en juger bientôt, que les politiques du parti n'osent aller jusque-là ; mais, dans cette hypothèse, ils seront en retard sur les injonctions formelles qui leur sont faites à cet égard.
Eh bien, messieurs, cette étrange doctrine de la droite quant au principe de la liberté des cultes, nous l'avons vue déjà se produire dans les écrits, dans les livres orthodoxes, et j'ose prédire et affirmer qu'elle se produira avec plus d'éclat, le jour où nous aurons à discuter la question du temporel des cultes.
Selon nous, au contraire, les Eglises, soit l'Eglise catholique, soit l'Eglise israélite, soit l'Eglise anglicane, soit l’Eglise protestante, toutes en général n'ont d'autres droits dans l'ordre temporel que ceux qui leur sont expressément conférés par la loi. Assurément, messieurs, en cette matière, la loi doit être bienveillante ; toute loi qui s'occupe de ces grands intérêts sociaux doit être conçue dans un esprit vraiment libéral, c'est-à-dire ne renfermer que des dispositions empreintes d'une intelligente tolérance. Mais n'est-il pas évident que soutenir l'incapacité des pouvoirs publics à s'occuper du temporel des cultes, non de ceux qui veulent rester libres et sans privilèges, mais de ceux qui veulent être reconnus d'utilité publique, n'est-il pas évident que c'est en réalité élever cette prétention étrange, exorbitante, absolument inadmissible, qu'il n'y a d'autre pouvoir souverain dans l'Etat que l'Eglise !
Après avoir interprété les principes constitutionnels de la liberté des cultes dans le sens que je viens de rappeler, c'est-à-dire de manière à détruire en réalité le droit de la société civile, voici comment on les interprète de manière à opprimer les consciences.
Vous nous avez parlé de la question des inhumations, disant qu'à ce propos nous avions professé des théories aussi impies qu'inconstitutionnelles. Je ne veux pas traiter ici actuellement toutes les difficultés que cette importante question soulève. Je l'ai fait ailleurs d'une manière que je puis croire complète, et j'attends encore la réfutation des arguments que j'ai produis à l'appui de l'opinion que j'ai défendre au nom du gouvernement. Je ne veux considérer maintenant qu'un côté de cette affaire. Vous affirmez que la liberté de l'Eglise est anéantie, que la liberté du culte est violée, si le ministre d'un culte quelconque ne jouit pas, en maître absolu, de la possession d'un cimetière affecté à ce culte, et si lui seul n'a le droit exclusif et sans appel d'y admettre ou d'en repousser qui bon lui semble.
Eh bien, je proclame hautement que l'admission d'une pareille prétention serait destructive du principe sacré de la liberté de conscience. (Interruption.) Oh ! c'est ainsi, et je vais le démontrer.
Voici un catholique. Il est en différend avec le ministre de son culte pour des causes politiques ou religieuses, peu importe. Il se proclame cependant catholique. Il revendique les droits qui lui sont garantis par la Constitution. Cet individu meurt. A tort ou à raison, je n'examine pas la question et nous sommes absolument incompétents pour l'examiner, il a été frappé d'excommunication. Soutiendriez-vous que le prêtre a le droit d'exiger, au mépris des protestations de la famille, qui invoque les principes les moins contestables de la Constitution, que le ministre du culte a le droit, dis-je, de requérir l'autorité civile, le bras séculier, pour expulser du cimetière la dépouille mortelle de celui qu'il aura condamné? Dans cette lutte, de quel côté vous rangez-vous ? Est-ce du côté du droit du citoyen ? Est-ce du côté du droit de la conscience ? Eh bien, non, c'est du côté de ceux qui veulent l'opprimer !
Il n'est donc pas étonnant, messieurs, qu'ayant ces fausses notions de ce qui constitue réellement la liberté, la droite n'ait pas la véritable intelligence du droit individuel, ni l'exacte notion de ce qui constitue la liberté. Aussi, et presque à son insu, on voit incessamment le parti catholique dévier en ces matières de la voie tracée par la Constitution. (Interruption.)
N'avons-nous pas entendu, l'autre jour, l’honorable M. de Theux formuler comme un grief à la charge du gouvernement le fait de conférer les emplois publics, de préférence aux hommes indifférents et quelquefois hostiles à la religion !
Hostiles à la religion ! Mais, à votre sens nous le sommes tous. Hostile à la religion la majorité parlementaire ! Hostile à la religion le corps électoral qui nous envoie ici. Hostiles à la religion ces élus, ces conseils communaux de toutes les grandes villes, de toutes les grandes communes du pays ! Ceux-là, l'honorable M. de Theux les proscrit en vertu de la liberté des opinions et de la liberté des cultes ; et non seulement il (page 557) proscrit ceux qu’il accuse d’hostilité mais même ceux qu’il appelle des indifférents.
L’indifférence même, selon l’honorable M. de Theux, est donc coupable en cette matière ? Il fait donc être croyant et d’une certaine croyance, il fait avoir reçu de son curé un certificat d’orthodoxie, pour pouvoir obtenir un emploi dans l’Etat. (Interruption.)
- Une voix à droite. - Personne ne dit cela.
M. le président. - Je crois avoir entendu des applaudissements dans les tribunes.
Je ne puis tolérer ces manifestations ; si elles se renouvellent, je ferai immédiatement évacuer les tribunes.
Personne ne doit ignorer qu'il n'est point permis de se mêler par des manifestations aux délibérations du parlement, quand on est admis à écouter les débats.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous vous écriez : « Personne ne dit cela ! » Je rappelle les paroles de l'honorable comte de Theux. (Interruption.) Puisque vous insistez, je les lirai.
M. de Naeyer. - Ils ne doivent pas être « préférés ».
M. le président. - Veuillez ne pas interrompre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'admets volontiers les interruptions, elles permettent souvent d'expliquer la pensée.
M. le président. - La tolérance doit être exercée avec une grande réserve, le règlement est formel.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici donc les paroles de l'honorable comte de Theux :
« Ce serait une chose véritablement fatale que d'entraver le prêtre dans sa mission, de miner son influence et de décourager le zèle religieux ; je dirai plus, de persister dam un système de collation d'emplois exclusivement au point de vue électoral, par lequel on est amené à donner des emplois de préférence aux hommes indifférents et quelquefois hostiles. C'est là un système mauvais et que rien ne justifie. »
- Des membres. - La préférence.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La préférence ! C'est donc la seule distinction que vous vouliez établir ? Eh bien, je n'admets pas même votre distinction, en tant que l'on ferait des choix à raison de cette indifférence ou de cette hostilité.
Votre accusation serait, en ce cas, injuste et dénuée de tout fondement. Vous ne sauriez la justifier par aucun fait. Mais je dis que signaler des individus comme étant hostiles ou indifférents à un culte quelconque, et vouloir trouver dans leur prétendue indifférence ou dans leur prétendue hostilité un motif d'exclusion des fonctions publiques, je dis que cela est manifestement contraire à nos institutions. Le vrai principe, c'est que l'opinion politique, c'est que la croyance religieuse ne sont ni un titre d'admission, ni un motif d'exclusion.
- Plusieurs membres à droite et à gauche. - Très bien ! très bien !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et voilà le principe que nous avons toujours appliqué et que nous appliquerons toujours. (Interruption.)
L'honorable comte de Theux a lié à ce choix des fonctionnaires la question électorale. Il semblerait en vérité que le cabinet actuel aurait eu recours à l'influence de ses agents pour peser sur le résultat des élections, et que certaines nominations de fonctionnaires auraient été le prix de services électoraux. Eh bien, l'honorable membre m'offre ainsi l'occasion de montrer l'erreur dans laquelle il est tombé en nous accusant et de rappeler ce que ses amis et lui ont fait quand ils étaient au pouvoir.
Voici les traditions que j'ai trouvées au département des finances - pour ne parler que de celui-là (et les traditions étaient les mêmes partout) - lorsque j'y suis arrivé il y a quinze ans : il était de règle alors, en matière d'élections, qu'on mît en réquisition tout le personnel de l'administration ; les chefs réunissaient leurs subordonnés dans des conférences ; on s'entendait sur les moyens à mettre en œuvre ; le mot d'ordre était donné, et il fallait que chacun agît dans le cercle de son ressort pour faire triompher dans les comices le candidat patronné par le ministère. Des promotions de faveur et d'autres avantages étaient donnés à ceux qui s'étaient le plus distingués.
Eh bien, messieurs, j'ai répudié ce mauvais système. Je puis le dire du haut de cette tribune : je ne serai contredit par personne ; aucune voix ne me démentira : jamais les employés de l'administration n'ont été mis en réquisition pour intervenir dans les élections.
Assurément, ce n’est pas que j’entende autoriser ceux dont les opinions seraient contraires à celle que nous représentons au pouvoir, d’intervenir activement dans les élections et d’user de leur influence contre le cabinet ; cela leur est certainement interdit ; je me suis toujours opposé et m’opposerait toujours de la manière la plus énergique à une intervention hostile de la part des fonctionnaires. Mais quant à laisser tous les fonctionnaires personnellement libres de voter selon leur conscience, quelques que fussent leurs convictions politiques, c’est là un principe que nous n’avons jamais cessé de faire respecter. (Interruption.)
Que signifient ces dénégations ? Ne venons-nous pas de voir encore, à propos de cette question de la liberté des opinions des fonctionnaires, la droite passer de la théorie à l'application. N'avons-nous pas vu traduire à la barre ce cette assemblée un fonctionnaire public, à raison de ses prétendues opinions, de ses croyances supposées ? N'avons-nous pas entendu dénoncer ce fonctionnaire, qui est placé à la tête d'une des divisions du département de la justice, comme ne pouvant occuper une pareille position, et cela à raison de ses opinions, de ses convictions, de ses croyance, que l’on s'arrogeait le droit d'apprécier, de juger et de condamner !
Messieurs, je ne connais pas ce fonctionnaire ; je l'ai à peine entrevu deux ou trois fois dans ma vie. Je n'ai donc eu avec lui aucune espèce de relation qui me permette d’émettre une opinion sur ce côté intime et tout personnel à raison duquel on ose l'attaquer. Mais ce que je sais, c'est qu'on n'apporte ici, à l’appui de l'audacieuse et injuste accusation lancée contre lui, pas même l'ombre d'une preuve, pas un indice, pas une opinion exprimée, pas un fait, pas un acte, quel qu'il soit. Et cependant ou le dénonce aux vengeances de l'opinion publique ! Et pourquoi ? parce qu'il a quelque part un parent dont les publications déplaisent au parti catholique !
Voilà le thème de l'accusation ; voilà comment le parti constitutionnel par excellence entend la liberté des opinions, comment il entend la liberté des cultes et la liberté de conscience !
Admettons pour un instant, par pure hypothèse, que cet honorable fonctionnaire ne partage pas vos opinions en matière politique et religieuse. Je l'ignore absolument ; mais supposons qu'il en soit ainsi : en quoi, je vous prie, cette divergence d'idées vous autorise-t-elle à déclarer ce citoyen incapable de remplir des fonctions publiques dans son pays...
M. B. Dumortier. - J'ai dit que cette innovation engageait la responsabilité ministérielle.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, il fallait avoir plus de justice et plus de courage.
Plus de justice, parce que ce n'est pas ce fonctionnaire que vous deviez attaquer dans cette enceinte ; vous deviez faire remonter vos accusations jusqu'au ministre. Plus de courage, parce que vous deviez pousser votre système jusqu'à ses conséquences extrêmes mais logiques, et dire au ministre qui ne partage pas votre opinions : Vous êtes incapable, à raison de votre hostilité ou de votre indifférence en matière de religion, de gérer le département de la justice, qui a l’administration des cultes dans ses attributions.
- Voix à gauche. - C'est cela !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà le langage que vous eussiez dû tenir.
Mais vous trouvez plus commode de ne vous occuper que des opinions prétendues, des croyances supposées du fonctionnaire nommé ; vous ne demandez pas si ce fonctionnaire est un homme honorable, si, par sa capacité, il est à la hauteur des fonctions qui lui ont été confiées ; s'il a été appelé à ces fonctions par une faveur quelconque, ou bien si son avancement a été régulier, tant sous les ministères précédents que sous le ministère actuel. Toutes ces questions d'équité, de bonne administration ne vous touchent en aucune manière. Dans le fonctionnaire public, vous ne voulez voir que l'homme privé, à qui vous demandez, sans aucun droit comme sans aucune raison, compte des mystères de sa conscience !
Eh bien, je dis que vous montrez peu de respect pour la Constitution, pour la liberté des opinions, pour la liberté des cultes, pour la liberté de conscience, pour l'égalité des citoyens devant la loi, en soutenant de pareilles attaques par de pareils moyens. En soulevant une telle discussion en l'an de grâce 1863, vous m'avez rappelé qu'à une autre époque, en 1840, votre parti faisait un grief à je ne sais plus quel ministre, de ce qu'il n'allait pas à la messe !
Maintenant que nous avons constaté l'esprit général qui inspire l'un (page 558) et l'autre parti, voyons quels sont aujourd'hui, après de longues années de pouvoir, les griefs de l'opposition contre nous.
Après de mûres réflexions, après bien des recherches, après de longues hésitations, qu'a-t-on découvert ? Quels actes, quels crimes nous reproche-t-on pour expliquer ces prétendues persécutions religieuses qui font chaque jour le thème des philippiques les plus violentes de la presse de l'opposition ?
La patente réclamée des dentellières ! (interruption), la liberté de la charité méconnue et violée ; enfin le projet de loi présenté sur les bourses d'études, et le projet encore inédit concernant le temporel des cultes ! Voilà, après que nous avons gouverné le pays pendant six ans, voilà tout ce que l'on a pu découvrir et nous opposer.
Je dois constater, pour être juste que, peut-être par inadvertance, l’honorable M. B. Dumortier, en énumérant tous ces griefs, a bien voulu déclarer cependant que jusqu'au jour où nous avons songea présenter ces derniers projets de loi, nous avions été modérés.
M. B. Dumortier. - J'ai dit relativement.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je cite : « C'est ainsi que sont intervenues toutes les lois qui nous ont été présentées dans ce but. On aurait cru avoir épuisé la source des persécutions contre la liberté religieuse. Quand le pouvoir était fort, il y a trois ans, il s'est bien gardé de nous présenter ces lois odieuses : quand le pouvoir était fort il était modéré, précisément parce qu'il était fort. »
M. B. Dumortier. - J'ai dit : « relativement modéré ». Le mot « relativement » se trouve dans le compte rendu de tous les journaux.
M. de Theux. - Je l'ai également entendu.
M. B. Dumortier. - Si ce mot a été omis dans les Annales parlementaires, il faut le rétablir.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je fais de de bien grand cœur la concession du mot « relativement », que réclame l'honorable M. Dumortier.
M. B. Dumortier. - Elle est très importante ; Cela change toute la phrase.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'avais cru à une simple inadvertance et je m'attendais même à une rétractation ; mais voici que l’honorable membre me concède que nous avons été relativement modérés. Que se passa-t-il pourtant pendant que nous étions relativement modérés ?
Nous étions alors l'objet des mêmes imputations qu'aujourd'hui ; tous les jours nous étions accusés de la manière la plus outrageante sur la manière dont nous sommes arrivés au pouvoir ; on nous reprochait d'avoir recours aux mesures les plus arbitraires, les plus vexatoires, les plus persécutrices pour nous y maintenir.
Quoi qu'il en soit, je prends acte de cette justice tardive que nous rend l'honorable M. Dumortier, et j'en suis plein de gratitude. Il nous concède donc que, pendant plusieurs années, nous avons été relativement modérés. C'est un aveu significatif que l'on n'oubliera pas.
Voyons donc comment nous avons passé tout à coup de la modération relative à la violence et reprenons successivement tous les chefs d'accusation articulés contre nous, pour en examiner la valeur.
La patente des dentellières ! Messieurs, je ne veux pas, vous le comprenez, discuter le moins du monde cette question. Vous savez tous qu'elle est agitée déjà depuis fort longtemps. Vous savez aussi que j'ai exactement suivi la marche tracée dans cette affaire par l'honorable M. Mercier. Les instructions qui ont été données jadis par son administration ont été textuellement maintenues et elles ont été appliquées par moi exactement dans le même sens qu'auparavant. Mais enfin des contestations se sont élevées ; elles ont été portées devant les tribunaux ; elles ont passé par toutes les juridictions que la loi indique, depuis les députations permanentes jusqu'à la cour de cassation. Les prétentions élevées par les corporations religieuses qui se livrent à la fabrication des dentelles ont été formellement repoussées ; ces corporations ont été condamnées, et néanmoins, elles n'entendent pas se soumettre, elles n'entendent pas s'exécuter. Elles prétendent résister à la loi.
Que veut l'honorable M. Dumortier ? Que je leur accorde une exemption d'impôt ? Mais l'honorable M. Dumortier sait parfaitement, je le lui ai répété bien souvent déjà, que la Constitution le défend. Or, savez-vous, messieurs, ce qu'il y a de plus caractéristique dans ce débat ? C'est la prétention réelle, parfaitement avouée par une résistance que rien ne peut vaincre, de vouloir jouir à tout prix, malgré l'administration, malgré les tribunaux, malgré la loi et malgré la Constitution elle-même, d’une exemption d'impôt, d’un privilège en matière d’impôt. (Interruption.) Les fabricants laïques de dentelles payeront l'impôt, mais les fabricants religieux de dentelles en seront exempts ! Voilà la prétention ! (Interruption.)
M. B. Dumortier. - S'ils sont fabricants, faites-les payer ; dans le cas contraire ils ont droit à l'exemption.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais c'est là une question de fait sur laquelle je n'ai pas à me prononcer, et que les tribunaux ont jugée contre vous, dans tous les cas où le payement de l'impôt est précisément réclamé.
Ainsi, ce grief, en ce qui touche le gouvernement, est parfaitement injuste, et il faudrait tout au moins le faire remonter jusqu'à l'honorable M. Mercier. Mais, en outre, et c'est pourquoi j'ai eu soin de le signaler, il révèle une tendance naturelle, constante de la part des corps religieux, à se soustraire à la loi commune, à se mettre au-dessus de la loi. Est-ce là ce que vous avez voulu dénoncer au pays ?
Parlerais-je maintenant de votre prétendue liberté de la charité ! Nous savons tous ce que vous entendez par liberté de la charité : c'est, selon vous, le droit de fonder, c'est le droit d'ériger des personnes civiles. Je ne reviendrai pas non plus sur la débat important auquel cette question a donné lieu, débat qui s'est terminé par la déclaration solennelle qu'il ne serait donné aucune suite au projet de loi de 1857.
Je n'examine ni l'origine du droit de fonder, ni ses avantages, ni ses inconvénients, questions qui seraient tout à fait inopportunes dans le moment actuel. Je ne veux constater qu'une seule chose, c'est que chacun possède ici le droit le plus absolu de disposer, pendant sa vie, de ses biens au profit des pauvres et que le droit de fonder existe, en outre, en vertu de nos lois, dans des limites sagement circonscrites. Mais ce que je tiens à constater surtout, c'est que les anciennes prétentions de la droite en cette matière, prétentions que l'on avait quelque raison de croire abandonnées et oubliées, renaissent aujourd’hui plus vivaces, plus exigeantes que jamais. Malgré les nombreux échecs subis à propos de cette question, on nous annonce clairement que, revenu au pouvoir, le parti catholique compte faire de nouvelles tentatives pour conquérir ce privilège qui lui a été si souvent refusé.
Je constate enfin que ni les discussions solennelles du Congrès national, ni la profonde émotion du pays, devant laquelle on a dû reculer lorsqu'on a voulu ériger l'université catholique en corporation ; ni l'émotion plus profonde encore que s'est produite lorsque le projet de 1857 a été soumis aux délibérations de la Chambre, je constate, dis-je, que rien de tout de cela n'a éclairé le parti catholique ; il a toujours les mêmes idées, les mêmes prétentions : il se réserve toujours d'essayer d'infliger quelque jour au pays ces mêmes lois que le pays jusqu'à présent a invariablement et énergiquement repoussées. Telle est donc la signification de votre grief et le pays ne l'oubliera pas.
Je ne veux pas entrer davantage dans la discussion du principe de la liberté de la chaire ; je ne veux non plus m'occuper de ce grief qu'au point de vue politique.
Qu'avons-nous fait en cette matière ? La loi qui érige en délits certains actes commis en chaire, existe depuis un demi-siècle. Après 1830, depuis la Constitution, elle a été appliquée chaque fois que l'infraction prévue au Code pénal a été déférée aux tribunaux. Vingt fois, sous des cabinets catholiques, des ministres des cultes ont été condamnés pour avoir, en chaire, commis le délit prévu par le Code pénal. Le parti catholique a accepté ces condamnations ; jamais il n'a dénoncé l'existence de cette loi comme étant contraire aux principe de la Constitution. Mais arrive la révision du Code pénal ; que faisons-nous en ce qui concerne les délits qui peuvent être commis en chaire ? nous atténuons les peines, nous les modérons ! Eh bien, c'est de ce jour qu'on se prend à invoquer la liberté de la chaire pour nous accuser d'avoir violé la Constitution.
Ce Code pénal, dont la révision est entamée depuis bien des années, dont la révision ne sera achevée peut être que dans bien des années encore, ce Code pénal, est une pure déclaration de principe. Jusqu'à présent, cependant la loi ancienne subsiste, et personne n'en demande l'abrogation ! Cette loi subsiste, et pas un des membres du parti catholique ne se présente pour réclamer le retrait de cette disposition, que le pouvoir judiciaire a déclarée être encore en pleine vigueur !
Est-ce là, messieurs, une opposition digne d’hommes politiques ?
Nous avons discuté longuement et à plusieurs reprises la question de la liberté de la chaire ; nous savons ce que vous voulez au fond, nous savons en quoi elle doit consister selon vous. Eh bien, nous sommes prêts à vous faire à cet égard les plus larges concessions ; nous sommes prêts (page 559) à faire disparaître du Code pénal la disposition répressive des délits commis en chaire ; nous laisserons sous ce rapport subsister uniquement le droit commun. Grands partisans de la liberté, défenseurs zélés de la liberté sous toutes ses formes, dans toutes ses manifestations, vous allez sans doute vous lever pour appuyer un pareil principe ? Vous vous en garderez bien.
Ce que vous voulez, c'est que, dans le temple, le ministre du culte puisse faire tout ce qu'il veut, qu'il puisse s'occuper de toute autre chose que du culte, qu'il puisse à son gré discuter la politique, qu'il puisse à son gré traduire à la barre, au sein du temple même, le bourgmestre qui aura eu quelque contestation avec lui pour des réparations à faire à l’église, au presbytère, et l'obliger à entendre, chapeau-bas et dans un respectueux silence, les accusations dirigées contre lui, et cela sans qu'il puisse répondre et se défendre. Eh bien, c'est là un privilège exorbitant que vous ne parviendrez jamais à faire consacrer.
On admettra la faculté de répondre, de se défendre ; ou bien, le temple étant un édifice consacré au culte, sera soumis à des dispositions spéciales ; il sera interdit d'interrompre, de troubler l'exercice du culte, mais aussi il sera interdit de s'y occuper d'autre chose que de l'exercice du culte. Voilà un principe juste, équitable, rationnel, et qui, tout en sauvegardant parfaitement la liberté du culte et celle de la chaire, respecte les droits et la liberté de des citoyens.
Ce grief écarté, il ne reste plus, messieurs, dans l'arsenal des armes accumulées par la droite pour nous combattre, que la loi proposée concernant les bourses d'études, et la loi annoncée sur les fabriques d'église.
Ces deux lois sont, nous a-t-on dit, le résultat de concessions faites aux hommes extrêmes de l'opinion libérale, le jour où nous avons cessé d'être relativement modérés ; nous subissons le joug que nous impose la queue de notre parti. C'est ainsi que parle l'honorable M. Dumortier.
Je ne suis pas, en vérité, trop mécontent que, pour une fois, l'on veuille bien admettre que je ne suis pas absolu, dominateur, opiniâtre ; que, cette fois du moins, je ne conduis pas, mais que je suis conduit.
Cependant, pour être juste, il faut bien reconnaître que les questions résolues par les lois dont il s'agit, font de longue date partie de notre programme. La question du temporel des cultes, je l'ai posée dans cette Chambre il y a quinze ans, six mois après y être entré. Quant à la question des bourses d'études, l'honorable M. Dumortier oublie sans doute que j'ai pris l'initiative d'une proposition à cet égard en 1856. Il se trouve donc que nous réalisons tout simplement notre programme, le programme de l'opinion libérale accepté depuis longtemps par tous les membres de l'opinion libérale, sans distinction de nuance.
Ce programme, nous l'accomplissons à notre heure, au moment opportun, et avec cette fermeté, ce calme que nous avons coutume d'apporter dans l'administration des affaires publiques.
Nous ne discuterons pas davantage par anticipation les principes d’une loi dont vous êtes saisis, et d'une autre que nul ne connaît encore.
Nous qualifierons la situation d'un mot. La loi sur les bourses d'études pourquoi l'avons-nous présentée ? Parce qu'elle était nécessaire. Au mépris de la loi, par des moyens souvent violents et oppressifs, le parti catholique a réussi à s'emparer de presque toutes les bourses d'études au profit de l'université catholique. Que veut le projet de loi ? Le projet, conçu dans un esprit vraiment libéral, tend uniquement à assurer à ceux qui ont le droit de jouir des bourses, la liberté de faire leurs études dans tel établissement public ou privé du pays qu'ils désirent choisir. Voilà les vœux du projet ! Et ceux qui détiennent les fondations sans titre, sans aucun droit, qui n'entendent les donner qu'à ceux qui souscrivent à des conditions qui portent atteinte à nos principes constitutionnels, crient à la spoliation ! Oh ! je dis, messieurs, que l'opinion libérale mérite bien du pays en résistant à de pareilles exigences et en maintenant intacts les droits qu'ont tous les citoyens, sans exclusion comme sans privilège, de participer aux fondations d'intérêt public.
Quant au deuxième projet de loi, voici son principe et sa raison. Les communes, les contribuables, ont, de par la loi, l'obligation de pourvoir à certaines dépenses du temporel des cultes ; ils y sont obligés, à défaut de ressources suffisantes dans le chef des fabriques d'église. Dans l'état actuel de notre législation, les moyens de contrôle étant imparfaits, il arrive souvent, non pas exceptionnellement, mais souvent, que les revenus des fabriques sont mal employés, qu'ils sont affectés à des objets de luxe, à des dépenses inutiles. Alors, pour subvenir à des dépenses utiles et nécessaires, on vient réclamer des communes, des contribuables, des charges extraordinaires.
Quel sera le but du projet de loi ? D'appliquer un contrôle sérieux et efficace aux dépenses des fabriques et rien de plus. Quelle est la prétention que nous combattons, celle que le parti catholique élève, qui sera accueillie avec réprobation dans le pays ? Elle est celle-ci : nous recevrons les contributions qu'il faudra imposer aux communes et aux contribuables, mais nous ne rendrons de compte à personne de l'emploi de nos revenus.
Messieurs, ce sont là sans doute des griefs bien religieux ! Ne voyez-vous pas qu'ils portent sur des objets matériels, sur des objets temporels, sur des objets bien infimes, si on les compare à l'importance, à la grandeur des choses spirituelles qui restent dans le plein domaine de la liberté. Ce sont là cependant les seuls griefs qu'on ait pu découvrir, les seuls qu'on ait pu articuler contre nous. Suffiraient-ils à motiver les attaques violentes auxquelles l'opinion libérale est en butte ? Ne sont-ce pas là de vaincs prétextes mis en avant pour déguiser les vrais motifs que l'on n'ose avouer ?
Eh bien, n'en doutez pas messieurs, ce ne sont là que des prétextes.
Toutes les prétentions du parti catholique que vous avez eu à combattre depuis vingt-cinq ans, elles sont debout, elles sont vivaces comme au premier jour. C'est en réalité pour obtenir tout ce qui lui a été refusé, quant à l'enseignement, quant à l'association et quant aux fondations, que l'on a lutté et que l'on combat encore aujourd'hui.
Quant à nous, dans cet état des choses, nous ne redoutons pas la sentence du pays. Après l'avoir gouverné durant de longues années, nous le trouvons calme et confiant, jouissant pleinement de toutes ses libertés et donnant au monde le spectacle du développement le plus merveilleux, aussi bien dans l'ordre des intérêts moraux et politiques, que dans l'ordre des intérêts matériels. Nous ne demandons pas, nous qui avons eu la responsabilité du gouvernement pendant ces dernières années, que l'on nous fasse honneur de cette florissante situation. Mais ce que nous demandons avec une entière confiance dans la justice de la nation, c'est que l'on veuille bien reconnaître que nous avons gouverné avec assez de sagesse pour ne point la compromettre.
- Voix nombreuses. - Très bien ! Très bien !
M. de Theux. - Nous n'avons pas convaincu le gouvernement de la légitimité de nos griefs, pas plus que ses amis et ses adhérents ; j'ose le dire en toute franchise, les discours de MM. les ministres de la justice et des finances ne nous ont pas convaincus davantage.
Au contraire, messieurs, la conviction de la légitimité de nos griefs s'est accrue et cette conviction, je n'hésite pas à le dire, sera plus profondément enracinée dans l'esprit de nos amis politiques et de ceux dont nous défendons les intérêts.
Messieurs, les principes élémentaires qu'il s'agissait d'exposer clairement, de réfuter, ont été noyés dans un flot d'arguments au milieu desquels des personnes peu habituées à la discussion sérieuse auront certainement de la peine à démêler la vérité.
Nous tâcherons cependant de revenir sur ce terrain.
M. le ministre des finances, comme M. le ministre de la justice, dit que la Constitution ne reconnaît que les droits des Belges, c'est-à-dire des droits individuels. Cette maxime, il l'applique au culte.
Or, messieurs, c'est par le texte même de la Constitution que je réfute cette opinion qui est une véritable hérésie, d'où peuvent découler toute espèce d'attentats au libre exercice public des cultes.
Que dit la Constitution quand il s'agit d'individus ?
Lisons l'article 15.
« Art 15. Nul ne peut être contraint de concourir d'une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d'un culte, ni d'en observer les jours de repos. »
Voilà qui est clair.
S'agit-il maintenant de l'être collectif par lequel tous les cultes s'affirment, car ils ne peuvent s'affirmer autrement, qui trouvons-nous dans la Constitution ?
Voyons l'article 14.
« Art. 14. La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »
Or, l'exercice public du culte, n'est-ce pas un exercice collectif par les ministres du culte et par ses adhérents ?
« Art. 16. L'Etat n'a le droit d'intervenir ni dans la nomination ni dans l'installation des ministres d'un culte quelconque, ni de défendre à ceux-ci de correspondre avec leurs supérieurs, et de publier leurs actes, sauf, en ce dernier cas, la responsabilité ordinaire en matière de presse et de publication.
« Le mariage civil devra toujours précéder la bénédiction nuptiale, sauf les exceptions à établir par la loi, s'il y a lieu. »
N'est-ce pas encore là l'être collectif du culte que l'on veut protéger ? Evidemment lorsque des individus ont à correspondre avec leurs (page 560) supérieurs ou à publier leurs actes, c'est évidemment comme chef d'un être collectif.
Messieurs, un autre moyen de nous combattre, c'est de nous prêter des intentions qui heureusement ne sont autorisées par aucune de nos paroles.
Lorsque nous avons articulé comme grief le système de nominations civiles adopté par les ministres, notre intention n'a pas été de demander que les postulants apportassent un certificat d'orthodoxie de la part de leur curé.
M. le ministre des finance a trop d'esprit pour nous prêter sérieusement de pareilles prétentions, et je regrette véritablement qu'il ait eu recours à de semblables moyens.
Mais ce que nous disons, c'est que les nominations se font dans un système qui est dominé par des vues électorales et que ce système est pratiqué pour se maintenir et se perpétuer au pouvoir.
Messieurs, il a été beaucoup parlé de sépulture.
M. le ministre de la justice a fait cet aveu qu'en droit chaque culte devrait avoir son compartiment séparé dans le cimetière, mais que la seule difficulté consiste à savoir qui déciderait à quel culte le défunt avait appartenu et dans quel compartiment il doit être inhumé.
Celte question dans la pratique est très simple. Il y a deux manières de la résoudre.
Celle des Etats-Unis où chaque culte a son cimetière séparé ; où lorsque l'individu n'est accepté par aucun des cultes exercés dans la commune, l'autorité locale pourvoit dans un autre lieu de sépulture à l'inhumation du défunt.
Voilà un système spécial. Ici, messieurs, que le cimetière soit commun ou non, la pratique est également facile.
En effet quels droits sont en question ici ?
Les droits du défunt ou de sa famille, les droits du culte et le droit de police. D'abord le droit du défunt et de sa famille.
Lorsque le défunt a demandé à être inhumé dans tel lieu s'il n'y a point d'obstacle religieux ou de police, il pourra y être inhumé et sa volonté sera respectée.
Ainsi il n'appartient au ministre d'aucun cultes de venir réclamer le corps d'un défunt malgré sa volonté ou malgré l'opposition de sa famille. Mais si la liberté de la famille doit être respectée, celle du culte doit l'être également.
Il est d'usage dans le culte catholique, et c'est un usage ancien, de bénir et de consacrer ses cimetières. Or, il est évident que c'est violer les lieux consacrés au culte que d'y inhumer une personne qui n'a pas voulu vivre ni mourir d'après les principes de ce culte.
C'est là un principe élémentaire.
Maintenant, quant au droit de police, on dit : Vous voulez donc mettre le curé au-dessus du bourgmestre ?
En aucune matière, mais je ne veux pas non plus mettre le bourgmestre au-dessus du curé ; puisque je mets au-dessus de l'un et de l'autre la Constitution.
Quels sont les droits du bourgmestre ? Il a le droit et l'obligation de veiller à ce que dans sa commune il y ait des lieux de sépulture convenables, c'est-à-dire : un cimetière où il y ait des compartiments pour les divers cultes et un autre compartiment pour ceux qui n'ont point de culte. Il doit veiller à ce que le cimetière soit tenu dans un état parfaitement décent et d'autre part veiller à ce que les inhumations ne se fassent pas en renouvelant d'une manière trop fréquente les fosses qui ont été récemment occupées, d'empêcher aussi qu'il ne soit fait aucune exhumation, en un mot qu'il ne soit porté aucune atteinte à la chose sacrée que nous nommons sépulture.
Que fait-on, messieurs, en France où la propriété des cimetières appartient aux communes ? Je n'attache, quant à moi, aucune importance à la question de propriété. C'est ici une question de liberté religieuse et de police. Eh bien, le gouvernement blâme le maire qui viole la liberté religieuse et quelquefois il va jusqu'à ordonner l'exhumation.
En Belgique, que fait le gouvernement ? Il approuve la conduite d'un bourgmestre qui, au mépris de la liberté du culte, vient violer la partie spécialement affectée à ce culte.
Messieurs, si je parle du culte catholique, c'est que c'est celui-là qui est particulièrement en butte à ces difficultés. Si des difficultés de même nature se produisaient pour un culte protestant quelconque, pour le culte israélite, je mettrais la même énergie à défendre ces droits constitutionnels.
Vous voyez donc, messieurs, qu'avec un peu de bon vouloir et quand on n'est pas disposé à céder en toute chose aux adversaires de notre culte, on arrive facilement à s'entendre et que, dans la pratique, il ne devrait y avoir aucune difficulté sérieuse.
Messieurs, on a aussi parlé d'association et de la personnification civile. On a invoqué l’autorité du Congrès, comme si notre Constitution portait qu'il ne pourra jamais être créé de personne civile, qu'il ne pourra jamais être fait de fondations.
Les deux discours que nous avons entendus de la part de MM. les ministres se sont longuement étendus sur ce fait. Eh bien, je me suis donné la peine de relire le texte primitif du projet de constitution et les discussions qui ont eu lieu, et voici ce qui a été décidé par le Congrès.
La Constitution portait d’abord le principe de l'association tel qu'il est resté dans le texte définitif. Ensuite il y avait deux autres dispositions : la personne civile doit être reconnue par une loi spéciale, c'était la première. La seconde : la personne civile ne pourra acquérir, soit à titre gratuit soit à titre onéreux, qu'avec l'autorisation spéciale du pouvoir législatif
Vous voyez donc que le texte primitif du projet n'excluait en aucune manière la personnification civile à accorder par la législature.
Uns discussion s'en est suivie : M. Van Meenen, unioniste vrai à l'époque du Congrès, a demandé la suppression des paragraphes 2 et 3. Les uns ont demandé que la personnification civile fût de droit pour toute association charitable qui déclarerait se constituer telle et que, par le seul effet de cette déclaration, elle serait apte à acquérir, à posséder.
D'autres amendements demandèrent qu'en aucune manière le droit de personnification civile ne pût être accordé.
Ces deux opinions ont été également écartées. C'est l'honorable M. Lebeau qui, à la fin de la discussion, a repris la proposition de M. Van Meenen, de supprimer les deux derniers paragraphes et de rejeter tous les amendements.
M. Lebeau a ajouté qu'il fallait supposer assez de sagesse à la législature pour lui laisser la liberté de décider ultérieurement ce qu'il y aurait à faire à l'égard des personnifications civiles.
Notez bien qu'il ne s'agissait pas là d'une simple loi des fondations dont s'occupait le projet de 1857, niais de la véritable personnification civile des corporations religieuses s'étendant à toute œuvre de bienfaisance.
Messieurs, je puis parler avec d'autant plus de conviction de ce texte clair et précis de la Constitution, qui ne renferme aucun obstacle aux lois particulières qu'il nous conviendrait de porter, que c'est dans ce sens que, la veille de l'adoption de la proposition de l'honorable 4M Lebeau, je m'en étais entretenu avec lui, et que pour abréger la discussion qui me semblait assez inutile, parce qu'il était pour ainsi dire impossible de formuler, dans un texte constitutionnel, ce que les exigences ultérieures du temps pourraient demander, j'ai, de commun accord avec l'honorable M. Lebeau, admis le retranchement des paragraphes 2 et 3 ; et la preuve que ce n'est pas ici une simple assertion, que c'est une assertion qui est accompagnée d'une preuve papable, c'est qu'à partir de la motion de l'honorable M. Lebeau, il n'y a plus eu de discussion, preuve que mes amis politiques de cette époque avaient accepté l'opinion que j'avais exprimée dans une conversation particulière avec l'honorable M. Lebeau ; et pour moi, je ne conçois pas d'opinion plus absurde que celle qui consisterait à dire que le Congrès a repoussé pour l'avenir toute personnification civile. Cela n'est plus soutenable, pas plus que de prétendre que le Congrès a voulu qu'il y eût un enseignement complet, et à tous les degrés de l'Etat. Tout ce que le Congrès a décidé, c'est que lorsque l’Etat instituerait un enseignement à ses frais, il serait réglé par la loi. Cela est tellement vrai, que l'article final de la Constitution ne fait pas même mention d'une loi à présenter sur l’enseignement public. Cette question n'est pas comprise parmi celles que le Congrès recommandait à l'attention des législations futures.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Personne n'a dit que la Constitution défendait toute espèce de fondation. J'ai parlé de l'esprit de l’assemblée.
M. de Theux. - J'ai à combattre encore une doctrine de M. le ministre de la justice, lorsqu'il nous dit que, dans les pays où existent la liberté d'association et la liberté d'enseignement, il faut apporter des dispositions restrictives aux fondations. Mais M. le ministre de la justice va bien plus loin dans la pratique que dans son discours : il refuse, sous quelque prétexte. que ce soit, et dans quelque occasion que ce soit, la fondation ; il m l'admet pas même avec le concours de la législature.
Vous savez qu'un de nos anciens collègues avait voulu fonder un hospice, y avait consacré une somme importante, s’était soumis à toutes les exigences du gouvernement, demandant très humblement qu’il voulût (page 561) présenter une loi pour faire sanctionner cette donation. Eh bien, cette proposition est restée dans les cartons du ministère.
Vous le voyez donc, c’est toute fondation, quelle qu'elle soit, de quelque manière qu'on veuille le faire, qui est écartée.
Est-ce ainsi, messieurs, que, dans les pays de liberté, l'on agit ? En aucune manière.
Voyons l'Amérique. Là aussi la liberté d'association existe de la manière la plus illimitée : est-ce que dans ce pays on refuse le droit de fondation ? Mais non, ce droit s'accorde très facilement, On y va plus loin, on accorde à certaines corporations la personnification civile. Ainsi quand les jésuites ou d'autres veulent fonder de grands collèges aux Etats-Unis, eh bien, les législateurs des divers Etats accordent à ces corporations la personnification civile en limitant seulement l'étendue des acquisitions.
Il y a plus ; dans ce pays les membres de ces corporations, ayant obtenu la personnification civile, peuvent recevoir des dons et legs en leur nom personnel au dehors de la somme stipulée pour l'établissement. Dans ce pays, messieurs, un jésuite est un citoyen américain et aucune restriction n'est imposée même à ceux qui font partie des corporations autorisées, aucun obstacle ne s'oppose à ce qu'ils acceptent des dons et des legs.
En Angleterre, le droit de fondation existe également concurremment avec la liberté d'association et d'enseignement. Mais voulez-vous, messieurs, prendre note de la largeur des principes dans ce pays d'un exemple ? Vous savez que le culte catholique y à été prohibé longtemps et que dans cet état de prohibition on ne pouvait faire aucune fondation au profit d'établissements religieux catholiques.
Cependant, dans la pratique, le gouvernement fermait les yeux et ces fondations se pratiquaient de la même manière que sous le gouvernement de Juillet. Les jésuites existaient en France quoique la corporation fût interdite par le gouvernement. Cela ne faisait point de difficulté, mais en Angleterre, voici jusqu'où l'on a poussé le libéralisme : on a décidé que le culte catholique ayant obtenu sa liberté, il était juste que les fondations faites illégalement sous l'empire dos lois prohibitives obtinssent sanction légale avec effet rétroactif et que lorsqu'on ne pourrait plus reconstituer la fondation suivant l’intention primitive du fondateur, on suivrait dans l'exécution, autant que possible, le volonté présumée du fondateur.
Ici, au contraire, dans le projet sur les fondations de bourses, on va à l’encontre de la volonté primitive du fondateur, on détruit ce que le gouvernement des Pays-Bas a ait rétabli.
Cependant ce gouvernement agissait sous l'empire d'une situation bien différente de la nôtre, sous l'empire de la loi fondamentale qui était loin d'être aussi large, aussi libérale que notre Constitution. Eh bien, je dis, messieurs, que ce projet sur les fondations de bourses est un projet de loi d'expropriation, non pour cause d’utilité publique, mais contrairement à l’utilité publique, parce qu’il jette la défiance dans les esprits et qu’il est cause que, dans l’avenir, on ne fera plus de fondations de bourses.
L'expropriation se fait, en outre, non pas sous la condition d’une indemnité préalable, mais sans indemnité quelconque.
Voilà, messieurs, le parallèle entre la marche d'autres gouvernements et la marche du nôtre.
Messieurs, ou a dit que nous avons, dans le temps, demandé la personnification civile pour l'université catholique ; eh bien, cette demande a été envisagée par le cabinet qui existait alors comme tendant à lui créer un embarras, et le cabinet hésitait à adhérer à la proposition. La section centrale, composée d’hommes de diverses nuances, avait adopté le projet à l'unanimité, et ce vote était parfaitement fondé en raison. Si l’on a proclamé l'enseignement supérieur libre, pourquoi ne pas autoriser la fondation de grands établissements ? De quelle manière pouvez-vous mieux assurer cette liberté ?
Ce que je dis de l'université catholique s'applique également à l'université libre de Bruxelles parce qu'en matière de liberté il faut accepter la liberté avec ce qui vous convient comme avec ce qui vous déplaît.
Il ne s'agit pas en ce moment de demander la personnification civile pour l’université catholique, ni de revenir au projet de loi de 1857 ; mais quand on rappelle le projet de loi de 1857, l’impression qu'il a produite dans le pays, on devrait aussi rappeler le débat injuste auquel ce projet avait donné lieu, les débats passionnés qui ont servi de marchepied pour arriver au pouvoir.
Messieurs, on a parlé de l'affaire de Mont ; ici encore, quoique je n'attache pas une grande importance à cette petite question de Mont, je dois dire que M. le ministre de la justice verse évidemment dans une erreur de droit. En effet, pourquoi, en France, les dons et legs en faveur des missions à l'intérieur ne pouvaient-ils pas être acceptés par les conseils de fabrique ? Parce qu'une loi de police défendait les missions à l'intérieur ; mais n'est-il pas évident que la loi de police étant tombée, le conseil de fabrique, qui est chargé de veiller à tous les intérêts du culte, a parfaitement compétence pour accepter un legs fait pour une mission intérieure, qui est un objet du culte et du culte public ! Je n'en dirai pas davantage sur ce point.
La fondation, donc, est un privilège. Je concevrais, messieurs, que l'on fît cette objection si nous ne demandions le droit de ne fonder que pour un culte déterminé, pour une opinion déterminée ; mais quand nous le demandons pour tous indistinctement, il est impossible d'y trouver un privilège, à moins de dire que les sociétés anonymes commerciales et industrielles, les banques constituent un privilège et comme la Constitution défend les privilèges, on ne peut pas soutenir que les sociétés anonymes soient un privilège. Eh bien, messieurs, si le mot de fondation a quelque chose d'effrayant, qu’on accorde la société anonyme pour les objets de bienfaisance comme on l'accorde pour les objets d'industrie et de commerce.
S'il ne s'agit que d'un mot, on peut s'entendre.
Mais la vérité est que l'on veut exclure systématiquement toutes les fondations qui pourraient amener un peu plus de stabilité, procurer certains avantages à l’expansion du culte catholique.
Messieurs, on a cru tout renverser en rappelant certaine discussion du projet de loi sur l'enseignement primaire. Je vous assure que, quant à moi, cela n'a fait aucune espèce d'impression sur mon esprit.
Messieurs, je n'ai pas soutenu personnellement cette opinion, qu'il suffisait que le ministre du culte refusât son concours à une école primaire pour que l'école dût être fermée ; mais nous avons tous reconnu que la loi sur l'instruction primaire devait être exécutée dans toutes ses parties.
Or, je vous le demande, si un instituteur manquait à ses devoirs au point de ne pas se conformer aux dispositions de la loi relatives au culte, ne s'exposerait-il pas à être réprimandé, suspendu au besoin, et même révoqué de ses fonctions par le gouvernement ?
La réponse à cette question ne peut être un instant douteuse.
En ce qui concerne l'enseignement moyen, il y a eu de longs pourparlers, de longues négociations pour savoir de quelle manière s'établirait un accord désirable, et je dirai désiré, sur cette question.
On a trouvé finalement deux moyens : le premier, qui résulte de la loi même de 1830, consiste dans la disposition qui autorise la création d'établissements patronnés, le second est la convention dite d'Anvers, qui a été sanctionnée par votre approbation.
Pourquoi donc récriminer sur les négociations ? Et, puisqu'on s’est placé sur ce terrain, qu'il me soit permis de rappeler, de mon côté, que le gouvernement, qui doit être l'observateur le plus scrupuleux de la Constitution, n'a pas craint de proroger une loi qui lui attribuait à jamais, et sans condition aucune, la nomination des membres des jurys d'examen lui qui atteignait à la fois tous les établissements d'instruction moyenne et toutes les facultés de l'enseignement supérieur ; et il a fallu dans cette enceinte une opposition très vive, appuyée fort heureusement par l'honorable M. Delfosse à qui j'ai toujours su gré de son courage et de sa loyauté, dans cette circonstance, il a fallu, dis-je, cette opposition d'abord pour amener une loi temporaire, et puis pour faire insérer ces garanties dans la loi elle-même.
Ces dispositions sont encore en vigueur aujourd'hui et je ne pense pas que les universités de l'Etat, pas plus que les universités libres, aient à s'en plaindre sérieusement.
Quand on rappelle une tentative qui a été faite par des personnes n'appartenant pas au gouvernement, pourquoi oublie-t-on cette autre tentative faite par le gouvernement lui-même, et qui, annulant positivement la liberté de l'enseignement moyen et celle de l'enseignement supérieur, en mettant aux mains du gouvernement, d'une manière absolue, la nomination des membres des jurys d’examen ?
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Ce n'est pas moi qui ai, comme ministre de l'intérieur, proposé cela. C'est. M. Nothomb.
M. de Theux. - Pardon, c'est vous qui l'avez proposé dans le projet de loi sur l'enseignement supérieur en 1849.
II est vrai que dans l'exposé des motifs vous vous expliquiez sur la manière dont vous entendiez organiser le principe absolu. (Interruption.)
Je rends hommage aux intentions personnelles de l'honorable M. Rogier ; je suis convaincu qu'il n'aurait jamais cessé d'exécuter la loi comme il l'avait annoncé dans l'exposé des motifs, qu'il en aurait fait l'objet (page 562) d'un arrêté organique ; mais cet arrêté, que d'autres ministres pouvaient rapporter plus tard, pouvait-il offrir à la liberté d'enseignement les garanties d'une disposition légale ? (Interruption.) Je le répète, je n'accuse en aucune manière les intentions de l'honorable M. Rogier ; mais enfin tous les établissements d(enseignement moyen et supérieur libres n'avaient d'autre garantie qu'un simple arrêté royal contre une disposition qui mettait leur liberté à la discrétion du gouvernement.
Messieurs, on nous demande quels griefs nous avons à articuler. La question est vraiment singulière. Mais qu'avons-nous donc fait depuis plusieurs années, à l'occasion des budgets et dans la discussion des projets d'adresse ? Nous n'avons pas cessé d'articuler des griefs. Dans cette session, il n'y a pas eu de discours du Trône. Par suite de diverses autres circonstances, une discussion politique complète n'a pu s'engager.
Eh bien, on a entamé une discussion spéciale sur le budget des cultes ; c'est une matière assez importante en elle-même, pour qu'on puisse l'isoler des autres griefs ; la liberté complète des cultes a bien le droit d'éveiller toute notre sollicitude, surtout à cette époque où l'on fait de grands efforts pour amoindrir l'influence de la religion. (Interruption.) C'est incontestable. Ces efforts sont tentés soit par des associations, soit par des particuliers, soit par des écrivains ; nous n'avons pas à nous occuper comme législateurs, de ces écrivains, de ces particuliers, de ces associations, parce que nous n'avons pas, comme législateurs, le droit de censure qui se fait dans le domaine de la liberté ; mais ce dont nous nous plaignons, c'est que le gouvernement vienne prêter son appui à des influences que nous considérons comme contraires à l'ordre social.
M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, j'étais résolu à ne pas prendre la parole dans cette discussion, pour ne pas soulever un débat politique, mais au point où nous en sommes venus, je crois que mon scrupule peut disparaître. J'entre donc aussi dans le débat. Je ne veux pas rencontrer toutes les accusations qui ont été élevées contre nous ; je ne m'occuperai que d'une seule chose : c'est de l'accusation dont nous avons été l'objet et qui consiste à dire que nous avons formé une vaste conspiration contre la liberté de la charité.
Messieurs, si je voulais me tenir sur la défensive, ma réponse serait courte et facile : toutes vos accusations, toutes vos récriminations peuvent se traduire par ces mots : « En Belgique, la liberté de la charité se meurt, la liberté de la charité est morte ; et c'est vous, libéraux, qui l'avez tuée ! »
Messieurs, les faits sont là pour répondre.
Il y a deux modes de charité ; nous avons d'abord celui qu'on suit de son vivant et qui, selon moi, est le meilleur, puisque, pour faire ainsi la charité, il faut s'imposer un sacrifice ou du moins une privation. Il y a ensuite la charité qu'on fait, pour qu'elle commence après sa mort ; or ce n'est pas là la charité faite de son bien, mais plutôt la charité faite d'un bien que la mort vous enlève et dont vous privez vos héritiers, enfants ou autres proches. Eh bien, nous n'empêchons aucun de ces deux modes de charité. S'il faut parler de la charité exercée par des vivants, vous en avez des exemples frappants sous les yeux.
Une crise affreuse se déclare dans la ville de Gand, et aussitôt la charité publique et la charité privée se mettent d'accord pour atténuer les effets de cette terrible position. Dans la ville de Gand, une administration communale, libérale et éclairée, vote 1,600,000 francs pour alléger ces souffrances ; la charité privée déborde de toutes ses sources et coule à pleins bords. Grâce à ce concours unanime, on traverse cette crise, je ne dis pas tout à fait sans souffrances, mais du moins beaucoup mieux qu'on n'aurait pu l'espérer.
Voilà pour les vivants. Et quant aux legs à faire aux pauvres, les a-t-on jamais empêchés ?
Ouvrez tous les jours le Moniteur ; vous constaterez que jamais les approbations de legs n'ont été aussi nombreuses, et je me demande si la main du ministre ne doit pas se fatiguer bien souvent à signer tant d'arrêtés ! Je prétends que, si l'on en faisait la statistique, on prouverait que jamais, sous aucun ministère et à aucune époque, on n'a approuvé autant de legs, faits au profit de bureaux de bienfaisance et d'hospices.
Nous n'empêchons donc pas les legs ; nous n'empêchons pas la charité privée : tous les faits parlent contre vos accusations.
Mais ce que nous n'admettons pas, c'est, comme le voudrait, je ne dis pas tout votre parti, mais une fraction de votre parti, c'est qu'on nous ramenât en arrière. Ce que nous ne voulons pas, c'est le couvent qui se cache derrière l'hospice ; c'est la reconstitution, en un mot, de la mainmorte... (Interruption.) Oh ! oh ! je le sais, ce mot ne vous plaît pas, et quand nous le prononçons... (Nouvelle interruption.) Vos interruptions lie m'empêcheront pas, messieurs, de dire toute ma pensée. Je répète donc que ce que nous craignons et ce que nous ne voulons pas, c'est la reconstitution de la mainmorte ; et j'ajoute que nous avons des motifs de le craindre ; je vous le prouverai tout à l'heure.
Quand nous parlons de mainmorte, vous nous dites deux choses. Vous nous dites : Vous évoquez des fantômes, et vous voulez galvaniser notre parti !
Evoquer des fantômes ! Mais, Dieu merci, nous avons devant nous des adversaires vivants et vigoureux, que nous avons parfois assez de mal à combattre ; nous avons des abus vivaces que nous avons beaucoup de peine à déraciner ; et cela est bien suffisant, je pense, pour que nous ne nous amusions pas à combattre des fantômes.
Galvaniser notre parti ! Mais est-il donc mort ou seulement endormi ? Je crois que nous sommes en majorité dans cette Chambre et que ce sont nos amis qui sont au pouvoir. Que venez-vous donc dire que nous cherchons à galvaniser notre parti ?
Il fut un temps où vous veniez nous combattre avec de tels arguments. C'est quand, il y a vingt ans, au moyen d'une adresse du Sénat, vous renversiez, par un procès de tendances, le ministère qui occupait alors régulièrement le pouvoir. Mais aujourd'hui, messieurs, cela n'est plus possible.
Notre parti est ce qu'il a toujours été, il porte le nom qu'il a toujours porté ; il professe les principes qui, de tout temps, ont été inscrits sur son drapeau.
Vous, vous étiez, à l'origine, le grand parti catholique, nom glorieux à porter, s'il est vrai que la libellé catholique soit attaquée. Mais plus tard, vous vous êtes vous-même débaptisés ; votre premier drapeau vous l'avez mis en poche et vous en avez arboré un autre, sur lequel vous avez inscrit tour à tour les noms de, « conservateurs, », « indépendants, » que sais-je encore ?
Mais ce ne sont là que des noms et je vais vous dire de quel parti vous êtes : hier, vous étiez, à Gand, du parti des mécontents contre le traité anglais ; demain, vous serez, à Anvers, du parti des meetings contre les fortifications. Vous vous cachez derrière toutes les oppositions locales et derrière tous les mécontentements temporaires et passagers. Voilà ce que vous êtes et ce que vous faites.
Je n'ai donc nul besoin de galvaniser mon parti ; mais je viens exprimer sincèrement une crainte et, en le faisant, j'ai la conscience de remplir un devoir.
Je dis que nous craignons, en fait de fondations, la reconstitution de la mainmorte et que si nous ne pensions pas que cette crainte est fondée, pour ma part, je n'aurais point pris la parole.
Messieurs, pour bien connaître la mainmorte, il faut l'étudier dans le passé et dans le présent. (Interruption.) Oh ! je vais vous prouver que le présent ressemble singulièrement au passé ; je ne vous demande qu'un peu de patience.
Je dis donc, messieurs, que, pour bien connaître la mainmorte, il faut étudier les enseignements de l'histoire et les enseignements des faits contemporains.
C'est une erreur de croire que la mainmorte se soit formée dans les temps anciens, tout d'un coup : elle a mis six à huit siècles à devenir exorbitante comme elle l'était en dernier lieu ; et c'est au milieu de mille obstacles, bien plus grands que ceux qu'elle rencontre aujourd'hui, qu'elle a grandi et s'est constamment développée.
En parcourant le recueil de nos édits, on est étonné de voir le nombre de décrets qui ont été portés contre la mainmorte. J'en ai ici la liste complète ; mais, de peur de fatiguer la Chambre, je me bornerai à en citer quelques-uns dans le seul but de justifier la thèse que je soutiens :
Dès 1294, Guy, comte de Flandre, défend que « nulle maison de religion, clercs acquissent en les terres de Flandre fiefz, rentes et terriers héritages, etc.» (Plac. de Fland. Ie boek, f° 47).
\1515. Charles-Quint a fait commandement aux prélats, abbés, prieurs, et tous gens d'église quels qu'ils soyent de donner déclaration des biens temporels qu'ils tiennent, afin d'être ordonné s'ils pourront les retenir ou seront obligés de les aliéner. » (Ibidem, I boeck, f° 54.)
\1520. Charles-Quint encore « défend aux gens d'Eglise d'acquérir des immeubles sans son consentement ; il interdit l'érection de nouvelles églises, cloîtres, chapelles et fondations. Personne ne peut mettre en mainmorte terres ou rentes. Tous les actes contraires à cet édit sont nuls et les magistrats qui les auraient passés sont punis d'amendes. » (Ibidem, V° boeck, eerste deel, fol. 17 et seq.)
\1528. Charles-Quint « défend de mettre aucuns biens meubles ou immeubles en mainmorte ; que nuls religieux, couvents ou monastères ne pourront se fonder héritiers en aucune maison mortuaire pour y succéder. » (Ibidem, Ie boek, f° 747.)
Il faut lire les considérants de ces édits, messieurs, pour comprendre (page 565) combien était ardente la lutte que les souverains de l'époque avaient à soutenir ; si je les répétais ici, je serais certainement taxé d'exagération.
Et cependant, on ne contestera pas que Charles-Quint fût un souverain catholique, puisque, soit par politique, soit par conviction, il a poussé son amour pour les croyances catholiques jusqu'à essayer d'étouffer l'hérésie naissante dans le sang des échafauds et dans la cendre des bûchers.
Eh, messieurs, il n'est pas le seul qui, malgré ses croyances religieuses, ait jugé nécessaire d'opposer une digue aux envahissements de la mainmorte.
Marie-Thérèse, la grande Marie-Thérèse, a dû continuer, elle aussi, ce long combat. Ecoutez :
\1753. Marie-Thérèse « défend l'acquisition de biens immeubles par les gens de mainmorte, aussi l'érection de nouveaux établissements religieux, sans le consentement du souverain. » L'impératrice dit que c'est pour réprimer les abus contre la fortune des familles. Elle fait republier l'édit de 1520 de Charles-Quint. (Ibid. V boeck, I deel, f°10.)
\1755. Marie-Thérèse « confirme l'édit précédent. Charles de Lorraine en prescrit l'observance. » (Ibid. Plac. van VI. V boeck, I deel, pp 26-27.)
\1756. Marie-Thérèse insiste encore sur son édit de 1753. Les gens de mainmorte doivent fournir l'état des biens amortis avant la publication de ce dernier édit. Les dénonciateurs de biens celés recevront le tiers de la valeur des biens confisqués et leur nom ne sera pas recelé. (Ibidem, V boek, I deel, fol. 31.)
Vous le voyez, messieurs, dans ce grand combat, barrières sur barrières étaient opposées à la mainmorte ; et toutes barrières étaient inutiles. Digues sur digues étaient élevées, et le flot montait, montait toujours, lorsque survinrent les événements de la fin du dernier siècle. La révolution crut déraciner cet abus qui couvrait de son ombre des nations entières ; et l'abus tomba, comme tombe le chêne, en répandant une semence féconde d'où sort encore aujourd'hui une végétation nouvelle.
Mais, messieurs, j'ai tort de comparer la mainmorte au noble chêne, ornement de nos forêts.
Savez-vous à quoi il faut la comparer ? Il faut dire que la mainmorte est le chiendent des sociétés anciennes et modernes ; laissez long comme la main de chiendent dans le champ le plus fertile et il aura bientôt rendu cette terre complètement inféconde et incapable de produire encore aucun fruit. Laissez la mainmorte s'implanter en Belgique, dans notre pays si prospère, et bientôt la Belgique subira le même sort que l'Espagne et l'Italie. L'Espagne et l'Italie, messieurs, ne se sont sauvées que par la confiscation des biens du clergé et des couvents ; et c'est parce que nous ne voulons plus de confiscation que nous ne voulons pas la reconnaissance de la mainmorte. Nous aimons mieux prévenir le mal que d'avoir à le réprimer. Et ainsi, nous pourrions prendre aussi le beau nom de conservateurs, que vous vous êtes peu modestement donné à vous-mêmes.
Messieurs, je vous ai dit que, pour ma part, je craignais qu'on ne fût en train de refaire la mainmorte, Je ne veux pas, à cet égard, venir avec des déclamations. Je viendrai avec quelques faits, et je mets mes adversaires au défi de les contester. Je ne citerai ni des noms de lieux, ni des noms de personnes, pour ne pas aigrir le débat. Je ne suis pas l'ennemi des personnes ; je sais qu'on peut être, malgré soi, entraîné à commettre des abus ; aussi je n'attaque pas les personnes, je n'attaque que les abus.
Je connais trop le respect que je dois à mon mandat pour jamais venir ici affirmer des faits qui ne seraient pas vrais ; et si quelqu'un pouvait douter de ceux que je vais produire, je déclare que je parle pièces en main, appuyées au besoin de témoins : si l'on conteste, je suis prêt à citer.
Il y a, pour les gens de mainmorte, plusieurs manières d'amasser des biens, et quand on l'a fait dans une certaine mesure, il faut mettre ces biens à l'abri pour l'avenir, les constituer en mainmorte véritable, les soustraire à tout droit de mutation.
Je ne dirai pas les obsessions faites auprès des personnes âgées, affaiblies ; les captations pratiquées au lit des malades, je ne parle pas de tout cela, je ne veux venir qu'avec des faits certains.
Il y a d'abord ce que j'appellerai la chasse aux héritages, à l'aide des novices. Voici comment cette manœuvre s'opère, comment le tour se joue, si je puis m'exprimer ainsi.
Ce que je vais dire n'est pas supposé ; je ne vais citer que deux faits : Une personne riche, ayant perdu son père, veut entrer au couvent ; la mère détient les biens, mais fait aux enfants une pension très considérable. Cette personne a un frère, désintéressé, car il a une grande fortune et il est célibataire. Mais, pénétré de l'esprit de famille, il voudrait que le patrimoine n'allât pas à des étrangers. Il va trouver le chef diocésain et lui dit : Ma sœur jouit d'une pension considérable, cette pension lui sera continuée, mais il me semble qu'elle doit renoncer au partage de la famille.
Le prélat, homme conciliant, répondit : Votre demande est juste, la pension est tellement considérable, qu'on peut en consacrer une partie à constituer un capital : votre sœur ne viendra pas partager avec vous, à la mort de sa mère. La mère meurt, la sœur se présente à la succession. Le frère court chez le prélat et lui dit : Nous avions fait tel accord.
C'est vrai, lui répond le prélat, mais l'établissement où se trouve votre sœur a besoin d'argent, il éprouve de grands embarras, on ne peut pas empêcher votre sœur de faire son devoir. La sœur prit sa part de la succession et porta ce gros capital au couvent, car c'était une des grosses fortune de la plus riche ville du royaume.
J'ai à citer un deuxième exemple du même genre, c'est un fait incontestable, j'ai les preuves en mains.
Quand Mlle N. est entrée au couvent, elle avait une pension de 4,000 fr. ; le père vivait ; elle avait promis de ne pas prendre sa part dans la succession. Le père mort, elle a demandé sa part ; toutefois, elle s'est contentée du sixième, elle avait droit au tiers de la succession, il y a eu transaction. Depuis, la part d'héritage a été aliénée, le montant s'est élevé à 200 mille francs, auxquels on avait promis de ne pas toucher. Celui qui me donne cette note me dit : « Les héritiers n'en sont pas encore consolés. »
A ceci, je vous l'avoue, je ne vois pas grand remède, pour le moment ; mais permettez-moi de vous faire connaître un ancien remède contre une tel mal. Ce remède était utilement pratiqué, dans ce qu'on appelle le bon vieux temps. Cependant, j'hésiterais à l'employer aujourd'hui, tellement il est dur. Cela résulte de deux édits de Marie-Thérèse, et non pas de Joseph II, comme vous pourriez le croire. Voici ce qu'ils portent :
\1771. Marie-Thérèse. « Nul cloître ou couvent ne pourra recevoir quoi que ce soit pour l'admission des novices. Toute convention à cet égard est nulle. Tout ce qui aura été donné sera confisqué, au profit de la table des pauvres. Les établissements religieux ne pourront demander aux novices qui ne persistent pas dans la vie monacale, qu'une bonification de 300 florins par an, pour tous frais. Les religieux ou religieuses ne pourront jouir du revenu des biens qu'ils possédaient ou qui leur échoiraient, ils en reprendront la jouissance s'ils rentrent dans le monde ! Leur pension conventuelle ne pourra excéder 50 florins par an. Sévères pénalités contre les supérieurs qui contreviendraient ; ils ne pourront plus mendier. » (Plac. van Vlaend. VI boek, 1° deel, f° 54.)
\1772. Marie-Thérèse « défend de faire profession avant l'âge de 25 ans révolus. Les supérieurs sont astreints à déclarer aux officiers fiscaux le nom de la personne devant faire profession. » (Ibidem, VI boek, I deel, folio 41.)
C'est-à-dire que pour chaque novice on recevait 50 florins par an et on ne pouvait pas capitaliser cette rente ; c'était peu, je l'avoue ; voilà le remède ancien, je ne dis pas qu'il faille y revenir. Mais si l'on veut prendre la part d'héritage, je dis qu'il ne faut pas tromper le père de famille qui donne sa fille sans savoir qu'il donne aussi une partie de sa fortune. S'il perd sa fille, que du moins le reste de la fortune soit conservée aux autres enfants.
Mais on dit : Nous ne viendrons pas au partage, et quand la succession s'ouvre on y vient.
M. Rodenbach. -- On a tort.
M. E. Vandenpeereboom. - C'est parce qu'on a tort que je critique ce procédé trompeur et déloyal. Je dis que si c'est au père de famille à se garder contre de tels événements, le clergé a grand tort d'induire en erreur les parents des novices.
J'en connais qui, pour avoir à payer une rente moindre que celle qu'on demande dans leur ville natale, envoient leurs filles à une certaine distance ; ils ne savent pas que, quand leur mort sera venue, ils auront économisé par an quelques centaines de florins, mais qu'on viendra réclamer une part d'enfant d'une succession qu'ils croyaient avoir sauvée.
Je le répète, il ne faudrait pas tromper les pères de famille.
J'ai indiqué une manière de ramasser l'avoir conventuel, je vais dire à présent comment on tâche de le fonder. A cette fin, on a employé trois moyens. M. le ministre des finances et M. de Theux viennent de rappeler l'affaire de l'université de Louvain. Je trouve cette manière la plus régulière. Je voudrais qu'on la suivît toujours. Je ne dis pas que j'accorderais tout ce que l'on demanderait, mais demander l'adhésion législative est une bonne chose, car c'est reconnaître les vrais principes, en fait de création de personne civile.
On a retiré cette proposition non pas devant l'émeute, car il n'y a pas eu de pavés de déplacés alors, mais les évêques ont écrit à la Chambre que, vu l'émotion que leur proposition soulevait dans le public, ils ne persistaient (page 564) pas dans leur demande. C'est alors que les honorables membres ont retiré leur proposition.
Je dis que cette proposition était encore assez acceptable, en fait de fondation, car on venait demander à la législature le droit de fonder et la législature restait juge de l'opportunité.
Cela n'ayant pas réussi, on a inventé une autre méthode que je trouve encore meilleure que celle qui se pratique maintenant. Car, remarquez-le bien, on a toujours procédé par de nouveaux moyens que je désapprouve de plus en plus.
La seconde méthode, la voici :
On se réunissait à vingt et l'on apportait dans un but déterminé, - pour créer un hôpital ou une maison d'enseignement, toutes choses bonnes en elles-mêmes, - certains biens.
Ces biens restaient indivis entre les sociétaires. Quand un des membres venait à mourir, le fisc demandait un droit de mutation sur la part du défunt, comme nous payons un droit sur les biens de nos parents, de nos frères, de nos sœurs, quand nous héritons.
Eh bien, messieurs, ce moyen fut trouvé trop lourd pour les corporations.
On alla en justice.
On plaida, et naturellement on perdit.
On se dit alors : Nous pouvons posséder, nous pouvons fonder, mais nous devons de temps en temps, payer une certaine part au fisc ; il faut imaginer autre chose, et voici la belle chose que l'on imagina :
J'ai ici un acte sous la main, je ne veux pas vous le lire. Sans divulguer aucun détail ni aucun nom, je vais vous dire, en peu de mots, en quoi il consiste.
II s'agit d'une somme d'environ 200,000 fr.
Une ancienne religieuse était pour 150,000 fr., dans cet avoir consistant non seulement dans l'établissement principal, mais en beaux biens au soleil. Elle devenait vieille. Il y aurait eu un moment où une mutation se serait opérée.
Il fallut aviser.
Le moyen employé a déjà été indiqué dans l'excellent ouvrage de Jean Van Damme. Ce moyen n'était alors que l'exception ; aujourd'hui il est devenu la règle.
Voici comment cela s'est fait.
Il y a d'abord, la supérieure qui apporte 150,000 francs de biens immeubles, des particuliers donnent des maisons ; de pauvres sœurs fournissent des meubles. Et le tout forme l'avoir de société et chacun reçoit des actions de mille francs, suivant la valeur de son apport. La société doit durer cinquante ans.
Toutes ces actions, comme on le suppose bien, n'entrent pas dans la main des tiers. Elles restent dans la caisse du couvent ; cela va sans dire.
Or, quand une de ces personnes, ayant 20 ou 40 actions, meurt, comme cela est arrivé dans le cas dont j'ai ici la formule, et que le fisc demande où sont ces actions, on lui répond : Des actions ! nous ne savons pas ce que vous voulez dire.
Eh bien, au bout de 49 ans on recommence la même opération, et l'on renouvelle la société pour 50 ans.
Si ce n'est pas là la mainmorte je ne m'y connais plus.
D'abord, la perpétuité de la chose possédée par une personne fictive qui est la société, érigée en mainmorte, sans loi et par la volonté de quelques individus. Et puis, il n'y a plus aucun droit de mutation sur la part de ceux qui meurent ; avant l'expiration de la société, on recommence une autre société qui dure cinquante ans encore et ainsi tant qu'on voudra.
Je dis que si de pareils abus doivent prévaloir, c'est la reconstitution pleine et entière de la mainmorte.
Je ne vois pas, pour le moment, de proposition à faire. Je ne vois pas clairement le remède, mais on pourrait toujours adopter celui-ci.
On dirait : Vous apportez des biens immeubles, - car pour les biens meubles on ne peut rien y faire ; il y aurait des millions qu'on ne pourrait les atteindre, - mais pour les immeubles on dirait aux associés : Vous resterez tous propriétaires par indivision, et si l'un de vous meurt il y a aura un droit à payer sur la part qu'il a dans la communauté. On pourrait aussi défendre la mise en société de tout autre immeuble que le siège principal de la société.
Il me semble que ce ne serait pas si effrayant. C'est, en partie, la seconde méthode que vous aviez adoptée d'abord et que vous avez abandonnée par avarice.
Messieurs, je voudrais n'être pas mal compris. Je ne voudrais pas dire que je suis partisan de tous les couvents qui s'établissent.
Je ne serais pas sincère en parlant ainsi. Mais ce que je puis dire en vérité, c'est que s'ils s'établissent sous le droit commun, je dois les souffrir. Nous sommes des libéraux et nous devons prendre la liberté avec ses fruits qui nous semblent amers comme avec ceux qui nous plaisent.
Je dis que le couvent est possible en Belgique, et, Dieu merci ! nous en avons la preuve ; vous avez autant de couvents en Belgique qu'avant 1789 et si vous n'y prenez garde ils deviendront aussi riches qu'à cette époque ; et vous pouvez vous appliquer ce mot de Tertullien : « Nous ne sommes que d'hier et déjà nous remplissons vos villes et vos campagnes. »
Eh bien, qui de nous a jamais empêché l'établissement de ces couvents ? Si l'un de nous s'élevait contre la liberté des couvents s'établissant au nom du droit commun, je serais le premier à le combattre.
Mais quand ils veulent, au lieu de la liberté, le privilège, quand ils créent, par la volonté des individus, des personnes fictives, capables de posséder à perpétuité sans transmission et sans droit de mutation, je dis que c'est là un abus et je le combats. Je dis que c'est la mainmorte qui reparaît, avec un masque transparent.
Eh ! messieurs, quel est donc cet empressement à tout accumuler et à vouloir fonder sur notre siècle tout votre avenir ?
Mais vivez un peu comme les particuliers au jour le jour. Faites votre moisson aujourd'hui, vous en ferez une autre sur les biens de vos successeurs. Mais vous n'avez pas de confiance dans l'avenir, vous n'avez pas de confiance dans votre cause. Vous rançonnez le présent, et, imprudents, vous vous en dites les victimes !
Certes, messieurs, ce n'est pas moi qui souhaiterais ce retour, mais on a toujours vu que, quand ces richesses amorties atteignaient un degré gênant pour la prospérité publique, elles n'étaient pas respectées.
Je dis, messieurs, que ce sont là des abus. J'ai assez de confiance dans mes amis qui sont au pouvoir pour leur dire : Vous avez fait des réformes utiles ; vous nous présentez encore des projets de loi de réformes critiquées par nos adversaires et approuvées par nous ; mais veillez au mal que je vous signale, qui est déjà connu ; il fait des progrès immenses, et c'est pour cela que je le signale à la Chambre.
M. Rodenbach. - Vous donnez des leçons à ceux qui veulent éluder les lois.
M. E. Vandenpeereboom. - Je ne donne pas de leçons, et ceux qui veulent éluder les lois ne sont pas mes amis, mais les vôtres.
Je dis ce que je pense de ce que je sais, et je vois que cela ne vous convient pas trop.
C'est un malheur pour le pays, et ce sera un jour un malheur pour vous-même si vous allez trop loin. Voilà ce que je vous prédis.
On dirait vraiment qu'il y a impossibilité de créer des couvents en Belgique.
Je ne crois pas que s'il manque quelque chose dans notre pays, ce soient des couvents.
Il n'y a pas de pays catholique où, en aussi peu de temps, il ait surgi autant de couvents qu'en Belgique.
Ils y vivent ; ils doivent y vivre, mais ils doivent y vivre sous le droit commun ; ils ne doivent pas y usurper de privilèges.
Ceci soit dit sans donner de leçon à personne, pas même à l'honorable M. Rodenbach.
M. Rodenbach. - J'ai dit que vous donnez des leçons à ceux qui auraient l'intention d'user de ces moyens qui parfois nuisent aux intérêts des familles.
M. E. Vandenpeereboom. - Ceux-là sont trop experts pour avoir besoin de leçon de personne. Du reste, vous me répondrez si vous voulez, mais ne m'interrompez pas, je vous prie.
Je dis donc, messieurs, que je ne donne pas de leçons, mais je remplis un devoir très strict en faisant ce que je fais en ce moment.
Je dis que c'est un très grand mal pour le pays et pour le parti catholique lui-même, dont je n'ai pas à soigner les intérêts ; mais je soigne ceux de la société, et ils sont menacés par votre manière de faire.
Je dis que, quelles que soient vos interruptions et quels que soient les inconvénients que puisse m'attirer cette lutte, je la continuerai. Chaque fois que je verrai un abus pareil, je viendrai le combattre dans cette enceinte. Et je le dis hautement, je n'ai qu'un regret : c'est que ma parole ne soit pas assez forte, c'est que mon autorité ne soit pas assez puissante pour poursuivre cette mainmorte clandestine et maudite, pour poursuivre cette vieille cause de la ruine des familles et des nations, pour poursuivre cet abus, vieux brandon de discorde, jusqu'à ce qu'ils aient disparu de notre heureuse, de notre progressive Belgique.
- La séance est levée à 5 heures.