(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 453) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à rappel nominal à 1 heure et un quart.
M. de Florisone, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont, secrétaire., présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« Le sieur Sprey, ancien volontaire de 1830, demande la récompense qui a été accordée aux combattants de la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
M. le président. - Je vais donner lecture de la proposition déposée hier, et dont les sections ont autorisé la lecture.
Nulle permission de rechercher, ni concession de mines ne donnera le droit d'occuper, sans le consentement du propriétaire, les habitations, enclos murés, cours ou jardins, ni les terrains appartenant à la même personne et contigus aux habitations ou clôtures murées dans la distance de cent mètres desdites habitations ou clôtures.
« (Signé) : Eudore Pirmez, Sabatier, vicomte Van Leempoel de Nieuwmunster, Ch. Carlier, L. Faignart, A. Dechamps, A. Royer de Behr, Braconier, Ch. Lebeau, A. de Paul, Ch. Lesoinne, de Bronckart, D. Mouton, J.-J. Jouret, H. Ansiau. »
M. le président. - La parole est à M. Pirmez, l'un des signataires de la proposition, pour faire connaître le jour où il entend présenter les développements de la proposition de loi.
M. Pirmez. - Les développements que j'aurais à présenter seraient assez longs, parce qu'il serait nécessaire, pour faire comprendre la proposition à la Chambre, d'entrer dans de grands détails. Je demanderai la permission de les faire imprimer.
M. B. Dumortier. - Non ! non !
M. Pirmez. - J'entends que M. Dumortier s'oppose à ma proposition. Je me proposais précisément d'invoquer un précédent qui le concerne, car quand il a fait la proposition de donner cours légal à l'or, il a demandé et obtenu l'autorisation de faire imprimer ses développements.
M. B. Dumortier. - La Chambre n'était pas réunie ou plutôt elle allait se séparer ; il fallait donner à la Chambre le temps et les moyens de prendre connaissance des motifs de la proposition pour pouvoir se prononcer, à la rentrée, sur la prise en considération.
M. Pirmez. - Je ne demande pas qu'on prenne notre proposition en considération sans discussion ; cette discussion aura lieu ; seulement on remplacera les développements oraux par des développements imprimés ; je fais cette proposition pour épargner les moments delà Chambre.
M. Muller. - Je crois que la proposition de M. Pirmez est d'autant plus acceptable, que ce projet de loi, qui est signé par un grand nombre de membres, a une assez grande importance ; qu'il concerne d'une part les intérêts des exploitations minières et de l'autre les intérêts des propriétaires ; il n'est pas mauvais que dans cette circonstance l'attention de ces divers intérêts soit appelée par des développements écrits ; après cela seulement la Chambre s'occuperait du point de savoir s'il y a lieu de prendre en considération la proposition de loi.
M. Coomans. - Je suis convaincu qu'en fait l'adoption de la proposition de notre honorable collègue M. Pirmez n'offrirait aucun inconvénient, mais ce serait un précédent qui pourrait en présenter plus tard ; outre que le règlement exige non seulement que les développements d'une proposition de loi soient oraux, mais qu'ils aient lieu à la tribune ; outre le texte formel du règlement, j'invoquerai cette considération-ci, qui peut ne pas être applicable à M. Pirmez, mais l'être dans d'autres circonstances. N'est-il pas vrai que les développements pourraient être de nature telle, que le président dût les interrompre comme n'étant pas parlementaire ? Cela peut avoir lieu, car le président, qui a la police de la séance, dirige les débats ; il peut et doit parfois les interrompre.
Je le répète, l'honorable M. Pirmez ne doit pas craindre de s'exposer à une interruption de ce genre ; mais c'est un précédent. Si d'autres l'invoquaient, pourquoi ne leur accorderiez-vous pas la même faveur ? (Interruption.)
Quels que soient les précédents, ils ne peuvent prévaloir contre le règlement de la Chambre et moins encore contre le bon sens. Or, je ne comprends pas que l'on puisse développer une proposition de loi en dehors de cette Chambre. Vous ne pouvez pas même la développer à votre banc ; vous devez monter à la tribune.
Aujourd'hui vous voudriez, par un excès de modestie ou par égard pour vos collègues, changer nos usages. Je ne puis souscrire à cette innovation.
Du reste, en ce point, comme dans d'autres, je me soumettrai à la décision de la Chambre, mais j'ai cru devoir lui exposer ces considérations.
M. le président. - Messieurs, le règlement dit que le membre qui fait une proposition exposera les motifs de sa proposition.
Il faut que cette prescription du règlement soit exécutée.
Voici comment l'honorable M. Pirmez entend s'y conformer.
J'ai, dit-il, de longs motifs à développer. Je demande qu'ils soient imprimés et portés à la connaissance de tous, et puis, au jour où il s'agira de discuter pour la prise en considération, je me référerai à ces développements ou j'en ajouterai d'autres, et la Chambre statuera.
Voilà comment la proposition se présente.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On ne peut soumettre au vote une telle proposition. Le règlement est formel et ses prescriptions ne peuvent être mises aux voix. Si personne n'avait fait opposition, évidemment la proposition de l'honorable M. Pirmez pouvait être admise. Elle ne présente en effet aucun inconvénient. L'honorable membre déposait les développements de sa proposition ; on les faisait imprimer et distribuer, puis arrivait la prise en considération sur laquelle la Chambre eût statué ensuite en toute connaissance de cause.
La question n'était nullement préjugée par cette manière de procéder.
Mais en présence de l'opposition qui se produit, je crois qu'il faut procéder régulièrement. C'est une affaire de forme, je le veux bien. Mais enfin le règlement doit être observé.
Or, que dit le règlement ? Voici comment est conçu son article 36 :
« Après la lecture de la proposition, suivant l'ordre dans lequel elle a été déposée, son auteur proposera le jour où il désire être entendu.
« Au jour que la Chambre aura fixé, il exposera les motifs de sa proposition. »
En présence d'une disposition aussi formelle, et en suite de l'opposition qui s'est manifestée, je pense que l'honorable M. Pirmez ne peut se dispenser de présenter oralement à la Chambre les développements de sa proposition.
M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, il y a un moyen d'arranger les choses. C'est que l'honorable M. Pirmez choisisse un jour de la semaine prochaine et vienne lire son manuscrit. La Chambre subira la fatigue de cette audition. C'est le règlement.
- Plusieurs membres. - A mardi.
M. Pirmez. - Je demanderai que l'on fixe les développements de la proposition à mardi. J'en ferai d'autres plus succincts et de nature à être exposés à la Chambre.
- La Chambre fixe à mardi les développements de la proposition de M. Pirmez.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, d'après les ordres du roi, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre.
1° Un projet de loi qui autorise le gouvernement à exempter des droits de douane les marchandises qui ont été détruites par l'incendie de l'entrepôt Saint-Félix, à Anvers, à la condition que la perte réelle en soit prouvée à toute suffisance de droit.
2° Les budgets suivants pour 1864 :
Le budget de la dette publique, le budget des non-valeurs et remboursements, le budget des recettes et dépenses pour ordre, le budget des dotations, le budget des affaires étrangères, le budget de la justice, le budget des finances, le budget des travaux publics, le budget de la guerre.
M. le président. - Il st donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ces projets de lois.
Ils seront imprimés et distribués, et le premier sera immédiatement envoyé aux sections.
M. Vander Donckt, rapporteur. - Par pétition datée d’Anvers, le 12 décembre 1862, les conseils communaux d’Austruweel, Berchem, Borgerhout, Borsbeek, Deurne, Merxem, Edegem, Hooken, Mortsel, Wyneghem, Wilryck et Wommelghem prient la Chambre de restreindre à 250 mètres la zone des servitudes militaires à Anvers.
Par pétition datée de Deurne, le 22 novembre 1862, des propriétaires et habitants de Deurne demandent que le gouvernement se rende acquéreur des propriétés grevées de servitudes militaires qui ne frappaient point sur elles avant l'agrandissement des fortifications d'Anvers, ou qu'il accorde une indemnité aux propriétaires de ces biens.
Par pétition datée de Merxem, le 7 août 1862, le conseil communal de Merxem prie la Chambre d'indemniser les propriétaires de terrains frappés de servitudes militaires par suite des nouvelles fortifications d'Anvers et de leur permettre de faire à leurs habitations des travaux d'entretien et d'amélioration ou bien de décider que ces propriétés seront acquises par l'Etat.
Par pétition datée de Braine-le-Château, le 6 mai 1862, des habitants de Braine-le-Château prient la Chambre d'indemniser les cultivateurs du tort que leur causent les plantations existantes sur les routes de l'Etat et des provinces, si les propriétaires d'Anvers sont indemnisés du chef des servitudes militaires.
Messieurs, je dois faire remarquer, à la Chambre, d'abord que ce ne sont ni les habitants ni l'administration de la ville d'Anvers qui réclament, mais que ce sont les communes suburbaines, sur lesquelles pèsent surtout aujourd'hui les servitudes militaires ; et, en second lieu, qu'on ne demande plus la démolition des forts ; les pétitionnaires se bornent à demander :
1° Que l'on restreigne à 250 mètres la zone des servitudes militaires ;
2° Qu'on leur permette l'entretien et la restauration de leurs habitations.
3° Qu'on indemnise les propriétaires des terrains frappés de servitudes par suite de l'établissement des nouvelles fortifications, et qui ne l'étaient pas avant l'agrandissement de ces fortifications ; ou bien que ces propriétés soient acquises par l'Etat.
Messieurs, j'examinerai successivement ces trois points.
Il s'agit d'abord de restreindre la zone des servitudes militaires à 250 mètres. Vous comprenez tout d'abord, messieurs, que votre commission n'a pu proposer, à cet égard, aucune mesure.
C'est là une question excessivement grave au point de vue de la défense nationale et je pense que ni votre commission, ni peut-être la Chambre elle-même, n'est assez compétente pour la résoudre. Cette solution est exclusivement réservée aux hommes compétents en cette matière. En ce qui concerne ce premier point, votre commission se borne donc, messieurs, à vous proposer le renvoi pur et simple à M. le ministre de la guerre.
Les pétitionnaires demandent, en second lieu, d'être autorisés à entretenir et à restaurer leurs habitations.
Cette question rentre évidemment dans le même cercle d'idées que la précédente, et la solution, dès lors, doit en être réservée.
Mais quant à l'indemnité à accorder aux propriétaires de terrains frappés de servitudes, si l'on entrait dans cette voie vous comprenez, messieurs, où cela nous conduirait. Dans votre session précédente cette question a été longuement discutée. L'honorable M. Nothomb vous a énuméré toute une série d'indemnités à accorder non seulement du chef des servitudes militaires, mais encore du chef de l'établissement des chemins de fer, du chef des plantations sur les routes, enfin du chef d'une infinité d'autres objets relativement auxquels les demandes d'indemnité ne manqueraient pas de surgir immédiatement. En ce qui concerne spécialement les servitudes militaire, l'indemnité devrait être accordée non seulement à la ville d'Anvers et aux communes suburbaines, mais encore à Gand, à Tournai et à toutes les autres villes fortifiées.
Messieurs, sous la législation actuelle il est impossible de faire droit à la demande des pétitionnaires ; il faudrait une nouvelle loi pour leur accorder des indemnités que jusqu'ici on n'a jamais accordées.
La question a été portée devant la cour d'appel de Gand ; elle a été longuement plaidée et en définitive la demande d'indemnité a été écartée.
Toutefois, messieurs, comme les pétitionnaires demandent la présentation d'un nouveau projet de loi dont l'initiative doit être réservée au gouvernement, votre commission a conclu au renvoi pur et simple à MM. les ministres de la guerre et des finances.
M. de Boe. - Messieurs, comme l'honorable rapporteur de la commission des pétitions vous l'a dit, les pétitionnaires demandent trois choses : une restriction du rayon des servitudes militaires, la faculté de réparer, de réédifier les constructions actuellement existantes et une indemnité pour les propriétaires qui établiraient que, du chef des servitudes, ils subissent un dommage, une moins-value de leurs propriétés.
Déjà, messieurs, l'an dernier, à l'occasion d'une pétition du conseil provincial d'Anvers, nous avons soutenu devant vous ces trois points, tout en modifiant, cependant le premier en ce sens qu'au lieu d'une restriction uniforme à 250 mètres, il y aurait lieu d'introduire, dans la loi nouvelle, le principe des polygones exceptionnels, c'est-à-dire d'une restriction à ce qui est strictement exigé pour la défense de la place. Dans certains cas le rayon de la servitude serait maintenu à sa longueur actuelle, dans d'autres cas il serait de moins de 250 mètres. Ainsi, sur les terrains des polders, toute espèce de servitude me semble complètement inutile.
La Chambre prononça le renvoi au gouvernement avec demande d'explications.
Je ne sais, messieurs, si je me fais illusion, mais je crois que nous pouvons concevoir l'espérance qu'en prenant cette décision, la Chambre a pensé que la question des servitudes n'est pas définitivement tranchée, et qu'il y a quelque chose à faire à cet égard.
Il est temps, messieurs, que cette question reçoive une solution. Voilà bientôt dix ans qu'elle se trouve posée devant la Chambre ; chaque fois qu'il s'en est agi, on a parlé d'un projet de loi à déposer. Malheureusement ce projet de loi s'est toujours fait attendre ; il n'a pas encore été soumis à la Chambre.
Je ne veux pas, messieurs, rentrer dans la question de principe relativement aux indemnités, que nous avons discutée très longuement devant vous l'an dernier. Mais je rappellerai en deux mots les considérations que nous avons fait valoir à cette époque.
A mon avis, tout homme doit sa personne et son bien à l'Etat, du moment que l'utilité de l’Etat exige d'une manière évidente ce. sacrifice. L'Etat doit une compensation, et lorsque cette compensation ne résulte pas de la général té des charges imposées ou d'une réciprocité de charges, il faut qu'elle se donne en argent.
Lorsque ce principe n'est pas respecté, une grande condition de justice et d'équité sans laquelle l'ordre social ne peut être maintenu sérieusement, se trouve faussée d'une manière évidente. Contre ce principe, messieurs ; on a fait des objections ; on nous a dit l'an dernier que la loi nouvelle dont nous demandions l'application, constituait un bouleversement général de toute la législation sur les servitudes d'utilité publique et sur les servitudes légales.
J'espère, messieurs, que la loi que nous provoquons conduira à une révision des dispositions législatives qui règlent aujourd'hui cette matière. Ces dispositions sont éparses dans une foule de lois, dont la plupart ont une durée presque séculaire et qui ont été portées suivant les nécessités des circonstances, sans aucun esprit d'ensemble et sans reposer sur aucun principe rationnel.
L'an dernier j'ai cité, à cette occasion, l'opinion d'un homme très compétent, ancien avocat à la cour impériale et à la cour de cassation, M. Jousselin ; il est d'avis qu'il y a lieu d'opérer une réforme dans la législation sur les servitudes d'utilité publique et sur les servitudes légales.
Le ministre qui saisirait la Chambre d'un projet de loi sur cette question ferait un acte méritoire, et il le ferait probablement aux applaudissements de ceux qui nous combattent.
Une foule de servitudes, j'en ai la conviction profonde, disparaîtraient ; l'idée, encore si vague aujourd'hui, du droit réciproque de l'Etat et de l'individu serait précisée, et ce droit serait garanti dans une de ses plus importantes manifestations.
On est allé plus loin : on a dit que le principe dont nous demandions la proclamation bouleversait le régime de la propriété, tel qu'il est établi par le code civil.
Déjà une semblable objection a été faite en 1843, lors de la discussion de la loi sur la police des chemins de fer, quand les partisans de l'indemnité réclamaient à cette époque un principe analogue à celui dont nous demandons l'inscription dans la loi ; elle a été renouvelée l'an dernier par M. le ministre des finances.
Que l'honorable ministre me permette de lui dire qu'une réponse analogue est faite par le gouvernement anglais et par le gouvernement des Etats-Unis à ceux qui leur demandent le droit, pour les étrangers, de posséder des immeubles ou en Angleterre ou aux Etats-Unis, que c'est la réponse que font en général tous ceux qui prétendent qu'il y a lieu de maintenir les principes établis, les dispositions législatives existantes, par (page 455) tous ceux qui s'opposent à l'introduction d'un principe nouveau, à un progrès à réaliser.
Le Code civil est incontestablement une œuvre digne de tous nos respects ; il est la charte de l'égalité. Dans un pays voisin, il est en quelque sorte la seule constitution qui soit restée debout, qui ait résisté à toutes les révolutions qui ont bouleversé les constitutions politiques. Mais le Code civil n'est pas une œuvre immortelle ; elle est susceptible de progrès ; dans une foule de ses dispositions, elle a cessé d'être en harmonie avec les tendances et les besoins de l'époque actuelle, notamment dans ses dispositions relatives au droit de propriété.
Le Code civil accorde une prééminence extraordinaire à la propriété immobilière, et dans cette propriété il attache une importance extrême à la possession matérielle du sol.
C'est ainsi que des garanties exagérées sont établies pour la consécration des biens immeubles des incapables, et qu'il en est pris fort peu pour la consécration de leur fortune mobilière.
Le Code civil est l'œuvre de jurisconsultes ; il ne fut pas l'œuvre d'économistes, de financiers et de commerçants. Depuis longtemps le développement extraordinaire de la fortune mobilière a quelque peu détruit le vieux prestige de la possession du sol. On a aujourd'hui des fortunes considérables en portefeuille, des fortunes consistant en des créances, et en définitive on n'estime plus la propriété que par les revenus qu'elle donne.
De là vient que les restrictions au droit de propriété, que les servitudes militaires qu'on acceptait, il y a 70 ans, sans murmurer, ne sont plus admises aussi facilement ; on s'aperçoit aujourd'hui que les servitudes causent une diminution du revenu de la propriété. On est, dès lors, amené à examiner la question des servitudes, et on demande que cette charge ne soit pas imposée sans indemnité.
Les propriétaires actuels du sol sont gens qui ont péniblement acquis, en la gagnant sou par sou dans le sillon du travail, la terre qu'ils possèdent.
On ne peut guère parler à ces gens de fictions juridiques, de domaine éminent. Le droit pour eux se résume en deux principes : le principe que tout homme a droit de jouir du fruit de son travail et le principe de l'égalité devant les charges publiques, passion séculaire chez nos populations, que ces charges s'appellent impôts, conscription ou servitude militaire.
Un autre membre, messieurs, un ancien ministre de la justice qui ne siège pas sur les bancs de la gauche (si je le mets en cause, ce n'est pas pour cette raison ; c'est parce que laissant de côté pour ainsi dire, toutes ces fins de non-recevoir tirées de la législation existante, des principes qui régissent la propriété sous l'empire du code civil, il est entré plus que d'autres au cœur de la question et l'a élevée à une très grande hauteur), ce membre nous disait dans un langage où la solidité du fond le dispute à l'élégance de la forme :
« Prenez garde, vous soulevez le grave débat de la responsabilité sociale, vous touchez à une des faces du grand problème des droits réciproques de l'individu et de l'Etat. Le principe dont vous réclamez l'application n'est qu'un des éléments d'un principe plus général, à savoir que la société doit indemniser tous ses membres lorsqu'elle leur cause un dommage.
« Ce principe, n'est vrai que dans une législation idéale, dans une société parfaite, surhumaine.
« Mais nous ne sommes pas de ces législateurs spéculatifs : nous sommes, il faut l'avouer, des législateurs positifs, pratiques, appelés à régler les choses de ce monde où, quelles que soient nos sympathies, nos tendances, nos aspirations les plus généreuses, nous rencontrons tout d'abord une infranchissable limite, le possible. Or, la société civile ne vit que de concessions mutuelles, de sujétions partielles. La liberté générale n'est que la synthèse de toutes les servitudes individuelles, innombrables de tous les instants qui nous suivent partout et dont le curieux chapitre vous est parfaitement connu. »
Et développant son thème, l'honorable orateur nous traçait le tableau des charges bien autrement lourdes, bien autrement onéreuses que les charges foncières ; il nous parlait du milicien et de la rude discipline qui pèse sur lui.
Il évoquait devant vous les souffrances de l'homme frappé de la servitude judiciaire, de cet homme innocent arrêté sur un soupçon, que la justice renvoie absous, sans lui allouer d'indemnité, sans même lui donner une parole de regret pour l'erreur commise, un mot de consolation pour les souffrances morales qu'il a endurées.
Telle est, en résumé, dans toute sa force, sinon dans sa forme brillante, l'argumentation de notre redoutable adversaire.
Ce langage, messieurs, (erratum, page 484) fit sur vous une impression profonde et il en était digne.
La solution de ces graves questions semblait impossible. La levée de ces iniquités, la renonciation à ces exigences, la réparation de ces injustices, de ces servitudes, ou de ces hontes infligées au nom et dans l’intérêt de la société, parurent des chimères.
Ceux qui touchaient à ce grave problème étaient des utopistes et en face de ces servitudes du corps et de l'honneur on était mal venu, ce sont les expressions dont on se servit, on était mal venu à parler de la servitude des champs et des maisons.
Un an à peine nous sépare de cette époque. Le problème de la responsabilité sociale que l'on craignait presque de regarder en face, s'est posé devant l'opinion publique et devant les Chambres, et le public et les Chambres semblent toutes résolues à résoudre dans le sens du droit individuel une question exclusivement résolue jusqu'ici dans le sens du droit social.
Un projet de loi dont la Chambre est saisie reconnaît le droit à l'indemnité en faveur des miliciens. On peut discuter sur le mode dont on alloue l'indemnité, on peut discuter le taux de l'indemnité : le principe est admis.
L'Etat reconnaît qu'il doit une réparation pécuniaire à l'homme qu'il arrache à ses travaux, qu'il prive de sa liberté, qu'il enlève à ses affections, auquel il interdit un droit qui n'est pas un droit civil, mais un droit naturel, le droit de constituer une famille, de se marier.
C'est un des éléments du problème qui reçoit sa solution. Un événement terrible qui s'est passé à nos frontières a vivement ému l'opinion publique en Belgique et France, et attiré l'attention sur la législation de la détention préventive et de la réparation judiciaire.
Messieurs, toute cette question de responsabilité sociale et d'indemnité a été jusqu'ici une véritable fantasmagorie, on a voulu y voir un principe des plus dangereux pour les finances de l'Etat. Je ne puis pas examiner spécialement chacune des servitudes qui grèvent la propriété ; ce serait un travail extrêmement fastidieux à l'occasion d'une question du reste peu intéressante par elle-même ; je conviens qu'elle est d'une aridité qui en rend la discussion peu supportable devant une assemblée politique.
(erratum, page 484) Si la question d'une révision de la législation sur les servitudes militaires doit amener une révision de la législation sur la détention préventive dans le sens de la réparation pécuniaire, j'y verrais une raison non de reculer devant la difficulté qu'elle crée et les conséquences qu'elle entraîne, j'y verrais une raison de poursuivre avec plus d'énergie l'application de ce principe.
Je ne veux pas traiter à fond cette question de la réparation judiciaire. Elle est grave, les éléments me font défaut, non pour former ma propre conviction, elle est faite, mais pour porter la conviction dans vos esprits.
Je la soutiendrai un jour avec la conviction profonde que de longues années ne s'écouleront pas sans qu'elle reçoive sa solution.
Messieurs, toute cette question de responsabilité sociale et d'indemnité a été jusqu'ici une véritable fantasmagorie : on a voulu y voir un principe des plus dangereux pour les finances de 1l’tat. Je ne puis pas examiner spécialement chacune des servitudes qui grèvent la propriété ; ce serait un travail extrêmement fastidieux à l'occasion d'une question du reste peu intéressante par elle-même ; je conviens qu'elle est d'une aridité qui en rend la discussion peu supportable devant une assemblée politique.
Mais il faut bien réfuter les objections à l'aide desquelles on nous combat. Lors de la discussion de la loi de police sur les chemins de fer. on disait en 1843 à ceux qui demandaient qu'on appliquât le principe de l'indemnité en faveur de ceux qui justifieraient d'un dommage éprouvé, que l'admission de ce principe irait jusqu'à entraver l'exécution des chemins de fer. Cette considération a été reproduite l'an dernier, Mais si l'on considère que l'indemnité ne peut être due qu'à ceux qui établissent qu'ils éprouvent un dommage, si l'on considère que la servitude de non bâtir n'est guère exercée le long des lignes, si l'on considère de plus que les terrains grevés ne sont pas plus considérables que ceux qui sont grevés de servitude militaire autour de la place d'Anvers, c'est ce que j'ai établi l'an dernier par des calculs auxquels je renvoie, on arrivera à cette conclusion que l'indemnité à accorder du chef de moins-value résultant de cette restriction au droit de propriété aurait été moins considérable que celle qui devrait être allouée aux propriétaires des environs d'Anvers. Celle-ci, si l'on autorise la réparation et la reconstruction des bâtiments existants, ne s'élèverait pas à plus d'un million.
Ainsi donc, avec un million on eût largement réparé le préjudice causé le long des chemins de fer ; or le capital consacré à la création des chemins de fer tant de l'Etat que des compagnies s'élève à plus de 500 millions, c'est-à-dire que si on avait inscrit le principe de l'indemnité dans la loi en 1843, les compagnies et l'Etat auraient eu à payer de ce chef un quart pour cent, à ajouter un million aux 500 millions dépensés.
(page 456) Et c'est cette augmentation de dépense qui eût entravé la création de nos chemins de fer !
J'ai donc raison de dire que l'on se crée des chimères, que l'on s'effraye à tort non seulement du principe de l'indemnité en matière de servitudes militaires, mais du principe plus général de la responsabilité sociale.
La proclamation du premier peut du reste se faire sans entraîner la nécessité d'allouer des indemnités pour les autres charges foncières ou personnelles. C'est ce qu'ont pensé les législateurs anglais, néerlandais et français.
La France, l'Angleterre et les Pays-Bas ont reconnu la nécessité de réparer le dommage causé par l'établissement des servitudes militaires. La France n'a pas admis le principe d'une manière générale, mais d'une manière spéciale pour les fortifications de Paris.
La loi du 5 avril 1841, qui décrète ces fortifications, réduit à 250 mètres le rayon de la servitude. C'est une quantité énorme de terrains complètement libérés. Le gouvernement fut de plus autorisé à acquérir, sur une largeur de 100 mètres, les terrains longeant les 35 avenues qui conduisent à la capitale.
L'acquisition se fit à la valeur du terrain libre de servitudes militaires. On désintéressa ainsi les propriétaires les plus gravement lésés.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'admit pas le principe de l'indemnité.
M. de Boe. - Soit. Mais un équivalent.
Voulez-vous acheter les terrains des environs d'Anvers a la valeur qu'ils avaient antérieurement à la construction des nouvelles fortifications, voulez-vous adopter le système de réparation admis pour Paris, nous ne demanderons plus d'indemnité de ce chef. (Interruption.)
Je n'ai pas à défendre la ville de Liège ; si M. Muller veut se lever pour faire valoir ses droits, je l'écouterai.
J'ai, du reste, déclaré en commençant mon discours, que j'acceptais et que je comptais soutenir, dans un avenir plus ou moins éloigné, toutes les conséquences légitimes fondées, du principe de responsabilité dont je demande l'application.
Pour les terrains qui ne furent pas achetés, qu'est-ce qui fut décidé ? La question de leur soumission à la servitude sembla devoir faire l'objet d'une délibération et d'une loi ultérieures.
En effet, d'après la législation de 1819, tout lieu fortifié doit être classé pour devenir légalement une place de guerre et être soumis en conséquence à l'exercice des servitudes militaires, et éventuellement à l'état de siège. La classification était faite par ordonnance royale. Or la loi décrétant les fortifications de Paris décida par son article. 7 que la classification de Paris ne pourrait se faire que par une loi. Tant que cette loi n'était pas votée, Paris ne pouvait être mis en état de siège et les servitudes militaires ne pouvaient être exercées sur les terrains qui entourent l'enceinte et les forts.
Cette loi n'était pas encore votée au mois de juin 1848,
Pendant l'insurrection, la question fut posée de savoir si l'on avait le droit d'établir l'état de siège à Paris en l'absence de cette loi.
L'assemblée constituante trancha la difficulté en portant un décret spécial mettant Paris en état de siège.
Restait l'autre question, celle de l'exercice des servitudes, qui n'a jamais été résolue d'une manière bien nette.
Lors de la discussion de la loi de 1841, le rapporteur à la chambre des pairs, M. Monnier, déclarait que les servitudes seraient établies aussitôt après l'achèvement des fortifications. Cette allégation fut contredite. Elle était en opposition avec la loi même et avec la loi de 1819, exigeant, pour que les servitudes pussent être exercées, sinon une loi tout au moins une ordonnance de classification. En 1845, le gouvernement déclarait, il est vrai, à la chambre des députés que les servitudes seraient établies sans indemnité. En 1847 il déclarait qu'on devait les considérer comme établies. Ces déclarations n'avaient aucune valeur légale.
En effet, le 30 novembre 1843, le conseil général du département de la Seine invitait le préfet à faire des démarches auprès du gouvernement pour que les dispositions prévues par l'article 7 de la loi du 3 avril 1841 assurassent de justes indemnités à tous les propriétaires de la zone frappée de servitudes ; et le 23 juin 1850, M. de Bussières, rapporteur de la loi de 1851 sur les servitudes militaires, la troisième ou quatrième loi qui en France modifiait, soit d'une manière générale, soit d'une manière spéciale, les décrets de 1791 et de 1811, M. de Bussière disait : « Beaucoup de personnes ont pensé que lorsque des fortifications sont élevées, les servitudes auxquelles donne lieu la classification des places de guerre pourraient entraîner une indemnité. C'est une question pendante encore à propos des fortifications de Paris. » Cette question fut tranchée dans un sens contraire au principe de l'indemnité d'une manière générale par le décret de 1853 ; on sait de quelles garanties le droit individuel était alors entouré en France ; d'une manière spéciale en 1856 pour les terrains des environs de Paris par un arrêt d'un tribunal administratif, amovible au gré du pouvoir, chargé surtout de défendre les intérêts du gouvernement, le conseil d'Etat.
L'histoire des réformes opérées dans la législation néerlandaise est plus curieuse encore.
La loi du 16 novembre 1814 sur les places de guerre, loi rendue 2 mois et demi avant l'arrêté-loi du 4 février 1815 qui nous régit encore, et qui le fut sans doute dans le même esprit, la loi du 16 novembre distinguait les places fortifiées en trois classes.
Autour de celles de la première et de la deuxième classe il était interdit de bâtir dans un rayon de 300 verges. Une semblables interdiction ne frappait pas les terrains entourant les places de troisième classe.
La ville de Zutphen, en Gueldre, ville très anciennement fortifiée n'avait été classée, ni par la loi de 1814, ni par une loi postérieure. La question, analogue à celle qui fut soulevée pour la ville de Paris, se présenta, de savoir si les servitudes pourraient y être exercées et dans quelles limites. Le tribunal de Zutphen décida qu'en l'absence d'une classification, la place devait être considérée comme rangée dans la troisième classe et que, par conséquent, le génie militaire ne pouvait interdire les constructions sur les terrains avoisinants. Cette décision fut confirmée par la cour provinciale de Gueldre et la haute cour, c'est-à-dire la cour de cassation des Pays-Bas, par arrêt du 29 décembre 1843. Le 8 juillet 1844, le gouvernement porta un arrêté, énumérant les villes et les places appartenant aux deux premières classes des places de guerre, et notamment la ville de Zutphen. La légalité de l'arrêté fut contestée.
Saisie de la question, la haute cour décida que cet arrêté n'avait aucune connexité avec la loi de 1814.
Par ce double arrêt le gouvernement se trouvait dans l'impuissance d'exercer la servitude de non bâtir autour de toutes les places non classées par une loi.
Une autre difficulté se présenta vers la même époque. En 1835 et 1836 des fortifications avaient été élevées autour de Breskens, dans la Flandre zélandaise. Un propriétaire avait bâti dans la zone de défense. Poursuivi devant le tribunal, il soutint que la loi de 1814 ne s'appliquait qu'aux fortifications existantes à cette époque. Il fut condamné, et la cour de Zélande confirma la décision du tribunal. Saisie de la question, la haute cour décida par arrêt du 24 décembre 1847, que la loi de 1814 ne s'appliquait qu'aux fortifications alors existantes.
Par ce troisième arrêt, le gouvernement se trouvait mis dans l'impuissance d'exercer des servitudes militaires autour des places bâties depuis 1814.
Il était forcé, sous peine de ne pouvoir sauvegarder la défense militaire du pays, de déposer un projet de loi nouveau.
C'est en me souvenant des nécessités créées au gouvernement néerlandais par le triple arrêt de la haute cour des Pays-Bas que j'ai déposé l'an dernier un projet de loi qui, s'il était adopté, mettrait le gouvernement belge dans une position analogue.
Ce projet de loi a eu peu de succès. Les uns l'ont trouvé trop spécial, les autres l'ont trouvé trop (erratum, page 484) radical ; les intéressés eux-mêmes ne l'ont guère soutenu. On s'en occupera quand on le jugera convenable.
Les conséquences, messieurs, de cet état de choses, ai-je dit, furent pour le gouvernement néerlandais la nécessité de déposer un nouveau projet de loi.
Déjà, en 1847, le discours du Trône avait annoncé qu'on s'occupait de la question. Les états généraux furent saisis d'un projet en 1850. Celui-ci ne parlait pas d'indemnité. La question donna lieu à une très longue discussion. Le projet fut rejeté surtout parce que le principe de l'indemnité ne s'y trouvait pas inscrit.
Le gouvernement se trouvait toujours dans la même position, dans l'impuissance d'exercer des servitudes militaires autour de toutes les places non classées et autour de toutes les fortifications établies depuis 1814.
Le moyen était comminatoire. Le gouvernement déposa un nouveau projet de loi dans lequel il inscrivit le principe de l'indemnité qui y figure encore.
Enfin pour terminer cette revue de la législation étrangère, lorsque en 1860 le gouvernement anglais s'est décidé à fortifier ses ports et ses arsenaux maritimes, on a mis sur la même ligne l'expropriation complète des terrains et la moins-value donnée aux terrains du chef de l'établissement des servitudes militaires. Ce principe n'a été l'objet d'aucune (page 457) réclamation dans le sein du parlement et cependant l'on contestait vivement la demande de crédit faîte pour ces fortifications.
Il y eut des exagérations de chiffres incroyables à cette occasion. Lord Palmerston déclarait qu'il faudrait dépenser 125 millions de francs, soit 9 millions de livres sterling. M. Bright soutint qu'on dépenserait 12 millions de livres et M. Lindsay fut d'avis que la dépense s'élèverait à 59 millions de livres, soit à près de 1 milliard et demi.
Si l'on avait trouvé la moindre chose à redire au principe de l'indemnité, on n'eût pas manqué de le contester afin de réduire ces dépenses que l'on supposait devoir être excessives.
Cette loi à l'occasion de la construction des fortifications, dont j'ai parlé plus haut, distingue les terres qui doivent être prises absolument, c'est-à-dire expropriées, et les terres qui doivent être tenues libres de constructions ou autres obstacles, c'est-à-dire grevées de servitudes militaires.
Les propriétaires dont on veut prendre la propriété d'une manière absolue ou dont la propriété devra être tenue libre de constructions ou autres obstacles, sont avertis par une lettre émanée du secrétaire d'Etat.
L'article 8 décide que le secrétaire d'Etat avertira les intéressés qu'il est prêt à traiter de la compensation à payer pour le dommage à supporter du chef des restrictions imposées par la loi dans l'exercice du droit de bâtir, et d'autres droits qui sont la conséquence du droit de propriété sur ces terres, c'est-à-dire du dommage résultant de l'établissement de la servitude militaire.
Ainsi voilà trois nations dont deux ont, sur la question des servitudes militaires légales, sur le droit de propriété, sur la milice, sur la détention préventive, une législation sinon identique, tout au moins analogue à la législation belge. Eh bien, ces nations n'ont pas hésité à inscrire dans leur législation le principe de l'indemnité en matière de servitude militaire.
Ont-elles considéré ce principe comme devant amener nécessairement et forcément un bouleversement dans la loi sur les servitudes un bouleversement du droit de propriété établi par le Code civil, ce Code qui est entouré de tant de respect en France, dans la loi sur la milice, dans la loi sur la détention préventive ?
Pas le moins du monde.
On a considéré qu'il y avait une question de justice, une question d'équité, et l'on a tenu à honneur d'y faire droit.
Il me semble que dans un pays comme la Belgique, où le droit individuel est entouré de tant de garanties, on devrait inscrire un semblable principe dans la législation ; d'autant plus, messieurs, que ce principe ne serait pas de nature à entraîner des dépenses trop considérables pour l'Etat.
On se fait en ceci de véritables chimères.
Si le gouvernement autorise les réparations, les restaurations, les reconstructions de maisons existantes, la plus grande difficulté se trouve résolue.
L'indemnité ne devait être si considérable que parce qu'elle portait sur des propriétés bâties, sur des maisons, sur ce qui a le plus de valeur dans les campagnes ; mais du moment qu'elle ne porte que sur des terres, sur la moins-value qu'éprouve une terre parce qu'elle ne peut plus servir que comme terre à cultiver, il est évident que l'indemnité diminue considérablement, et je crois pouvoir dire que l'indemnité pour les terrains des environs d'Anvers ne s'élèverait pas à un million. Je ne veux pas entrer dans des calculs, c'est une question trop aride.
Je me borne à ces considérations, sauf à rentrer plus tard dans le débat pour traiter d'une manière plus complète la question financière et la question des polygones exceptionnels.
M. de Gottal. - Messieurs, les pétitions qui ont été adressées à la Chambre ont encore la même portée que celles qui ont déjà été discutées antérieurement, dans la session dernière. Ce seraient donc encore en grande partie les mêmes arguments, les mêmes considérations que j'aurais à faire valoir devant vous.
Je crois que ce serait là fatiguer inutilement la Chambre. En présence de la discussion de la session dernière, et des développements qui viennent d'être donnés par mes honorables collègues de la députation d'Anvers, je pense qu'il me sera permis d'être bref, très bref même dans les observations que je compte encore présenter à l'appui des pétitions sur lesquelles il vient d'être fait rapport.
Comme on vous l'a dit, messieurs, les réclamations des pétitionnaires peuvent se classer en trois catégories. Elles tendent à obtenir du gouvernement : qu'il redresse la zone des servitudes ; qu'il consente à indemniser les propriétaires du dommage occasionné à leurs propriétés par l'établissement des servitudes militaires ou bien qu'il se rende acquéreur des propriétés ; enfin elles demandent implicitement l'abrogation du décret de 1811, c'est-à-dire que le gouvernement permette les travaux d'entretien, de réparations et même autorise des reconstructions de bâtiments actuellement existants.
Quant à la première réclamation consistant à demander la réduction des zones, j'ai déjà dit dans la session dernière que pour ma part j'y attachais une moindre importance, en ce sens que si le principe de l'indemnité était inscrit dans la loi, le gouvernement, dans l'intérêt du trésor, se verrait naturellement amené à faire cette réduction, là où elle pourrait se faire sans compromettre les intérêts de la défense.
Ce serait alors une question à débattre entre le chef du département des finances et celui du département de la guerre, et je ne doute pas qu'ils ne se mettent facilement d'accord. Permettez-moi cependant d'insister un moment sur ce point. Si je ne me trompe, les forts construits en avant de l'enceinte le sont, pour la plupart du moins également en avant des villages, des communes dont les réclamations nous sont parvenues aujourd'hui.
Je comprends que le département de la guerre puisse voir un inconvénient réel, un danger sérieux à admettre une réduction de la zone stratégique, en avant de ces forts du côté où se fera nécessairement l'attaque.
Mais je pense que cet inconvénient est bien moindre, pour ne pas dire qu'il n'existe pas, en arrière de ces forts, c'est-à-dire du côté des villages qui demandent aujourd'hui la réduction du rayon stratégique.
Je pense que cette réduction serait possible du moins de ce côté, ce qui permettrait ainsi au gouvernement, sans bourse délier, de faire droit aux réclamations des pétitionnaires.
Je n'ai pas l'intention de trancher cette question d'une manière absolue ; elle rentre dans les attributions du département de la guerre.
Il me serait même impossible de me former à cet égard une opinion exacte, de me rendre compte de l'importance de cette mesure, sans avoir sous les yeux une carte où figurent ces villages et ou la zone de servitude se trouve indiquée.
Quant à la deuxième réclamation, qui consiste à demander que le gouvernement, en cas de refus d'indemnité, se rende acquéreur des propriétés grevées de servitudes, je crois avoir suffisamment développé cette face de la question, dans la discussion du mois de mars dernier.
Je crois avoir établi alors à toute évidence que si le gouvernement se décidait à adopter cette mesure, la perte qui pourrait lui incomber du chef de cette opération, s'élèverait au maximum à 3 ou 4 millions. Et remarquez bien, messieurs, que dans tous les calculs, manifestement exagérés, que j'ai présentés à cette époque, j'ai toujours supposé le maintien de l'article 3 du décret de 1811 ; décret pour l'abrogation duquel j'ai vivement insisté alors, abrogation que réclament encore aujourd'hui les pétitionnaires, abrogation qu'un arrêt de la cour de Bruxelles, du 8 décembre 1862, a décidé virtuellement exister par suite de l'arrêté-loi du 4 février 1815.
Je pense donc, messieurs, que je puis me dispenser de reproduire ici toutes les considérations que j'ai fait valoir pour faire ressortir l'iniquité de ce décret et je crois que le gouvernement ne fera pas de difficulté à autoriser les travaux d'entretien, de réparation et même de reconstruction, dans le projet de loi que je viens encore lui demander.
Je ne reproduirai pas non plus toutes les raisons, à mon avis péremptoires, que j'ai présentées à l'effet d'obtenir que le gouvernement insère dans la loi le principe de l'indemnité. Cependant, comme c'est là le point qui me semble rencontrer le plus d'opposition au sein de cette Chambre, je crois devoir m'y arrêter un instant.
Il est incontestable, il ne sera du reste contesté par personne, messieurs, que l'établissement des servitudes militaires cause aux propriétés qui en sont frappées, à certaines propriétés surtout, un dommage et un dommage considérable qui n'est compensé absolument par rien.
J'insiste surtout sur cette absence de compensation parce qu'elle répond à cette argumentation qui consiste à soutenir que si l'on accordait des indemnités du chef des servitudes militaires, il faudrait en accorder pour toute espèce de servitudes quelconques.
Celte absence de compensation me semble répondre encore à la pétition des habitants de Braine-le-Château qui demandent que, pour le cas où l'indemnité du chef des servitudes militaires serait accordée, on indemnisât également les cultivateurs du tort que leur causent des plantations établies le long des routes de l'Etat et de la province. Les pétitionnaires de Braine-le-Château ont oublié sans doute que la province d'Anvers a également le bonheur d'être sillonnée par des routes et subit également l'inconvénient du dommage que peuvent causer les plantations que l'on y a faites.
Du reste, je ne m'attacherai pas à réfuter la prétendue analogie que les pétitionnaires de Braine-le-Château semblent vouloir établir entre (page 458) leur réclamation et celle des pétitionnaires d'Anvers et des communes environnantes ; je ne dirai qu'un mot à ce sujet ; c'est que je doute fort que les habitants de Braine-le-Château, pour s'affranchir du tort causé par les plantations dont ils se plaignent, consentent à laisser supprimer leurs routes ; j'affirme, au contraire, que les pétitionnaires d'Anvers et des communes environnantes, pour voir disparaître les servitudes militaires, consentiraient de tout cœur à la suppression la plus complète de toutes les fortifications.
Ce n'est pas, messieurs, que je m'oppose à ce que l'indemnité soit accordée, non du chef de l'établissement de toute servitude, mais du chef du dommage causé par suite de l’établissement de cette servitude ; mais ce que je ne puis admettre, c'est que l'on vienne prétendre qu'il ne faut rien faire parce qu'on ne fait pas tout à la fois.
Mais si j'accepte le principe que tout dommage causé par l'établissement d'une servitude donne lieu à une indemnité, ce que j'entends également, c'est que ce dommage ne soit pas compensé et souvent largement couvert par d'autres avantages. Dans ce cas, il y a lieu d'appliquer la maxime Ubi commodum ibi incommodum esse debet. Et, messieurs, ne perdez surtout pas de vue que le servitude militaire est une servitude essentiellement exceptionnelle et que cette circonstance, à elle seule, justifierait la demande d'une législation exceptionnelle.
Cette servitude est devenue d'autant plus exceptionnelle dans notre pays par suite de l'adoption du nouveau système de défense, qui consiste à concentrer toutes nos forces sur Anvers ; système par suite de l'adoption duquel plusieurs villes du pays ont déjà vu ou voient tomber les murs qui s'opposaient à leur développement.
Ce caractère exceptionnel, on l'a parfaitement saisi en Hollande et en Angleterre.
Croyez-vous, messieurs, qu'en Hollande et en Angleterre il n'existe pas aussi d'autres servitudes que les servitudes militaires ? Là aussi il y a des servitudes le long des routes, le long des chemins de fer ; il y a aussi des servitudes douanières, et cependant on n'a pas hésité à faire une loi exceptionnelle pour l'établissement des servitudes militaires.
C'est ainsi qu'en 1853 la loi hollandaise qui contient des dispositions relatives aux constructions, aux plantations et à d'autres ouvrages à faire dans un certain rayon des fortifications ; que cette loi, dis-je, porte dans l'aliéna final de son article 5 :
« Si quelqu'un prétend que sa propriété, située dans les zones prohibées, a diminué de valeur par suite d'arrêtés pris en vertu de l'article 4 (article qui autorise la construction des fortifications et l'établissement d'une zone stratégique dont l'étendue varie selon la classe dans laquelle ces fortifications sont rangées), et qu'il réclame une indemnité de ce chef, le juge décide, à défaut d'arrangement amiable à cet égard, s'il y a dommage ; en cas d’affirmative, il en détermine le montant, et condamne l'Etat à le payer. »
Vous le voyez, messieurs, dans cette loi on a inscrit le principe de l'indemnité, non pas du chef des servitudes militaires, mais du chef des dommages causés par l'établissement de ces servitudes.
En Angleterre un acte du parlement du 28 août 1860 est venu également régler cette matière d'une façon tout exceptionnelle. Cet acte, relatif à la défense du territoire, après avoir indiqué de quelle manière les intéressés seront informés que leurs propriétés sont sujettes à l'expropriation ou à l'établissement de la servitude militaire, dans son article 8 s'exprime ainsi :
« L'avis indiquera que le gouvernement est disposé à traiter de l'indemnité due pour l'expropriation ou, pour le cas où il s'agit de l'établissement de la servitude (le texte porte de garder le terrain libre de bâtisses), de l'indemnité due pour le dommage essuyé par suite des restrictions apportées par la loi au droit de bâtir, ainsi qu'aux autres droits inhérents à la propriété de ces terrains ; de même de l'indemnité due pour le dommage que causerait l'exécution des travaux autorisés par cette loi, travaux qui sont indiqués dans l'acte même de notification. »
Ainsi, messieurs, cette notification a pour but : d'avertir les propriétaires que leurs terrains doivent être grevés de servitudes, notification qui, malheureusement, n'a pas lieu dans notre pays, ce qui a donné lieu à plusieurs contestations très regrettables ; ensuite, comme le dit le même article 8, d'inviter les personnes intéressées à fixer le chiffre de l'indemnité à laquelle elles croient avoir droit. Comme en Hollande l'acte du parlement de 1860 règle la manière dont cette indemnité doit être fixée, soit à l'amiable, ce qui fait l'objet de l'article 10, soit devant le juge, ce qui fait l'objet de l'article 12.
Eh bien, messieurs, cet acte du parlement n'a pas été l'objet de la moindre contestation, n'a pas soulevé la moindre discussion en Angleterre.
Je demande si l'on nous a donné jusqu'ici une seule bonne raison, si l'on peut nous en donner une seule pour ne pas faire en Belgique ce qu'on a fait si justement, et si loyalement, dirai-je, en Hollande et en Angleterre.
Est-ce la question financière qui doit y faire obstacle ? Le trésor serait-il vide ? Aujourd'hui peut-être, qu'on vient de l'épuiser, mais évidemment il ne l'était pas à l'époque où les réclamations se sont produites. Il ne l'était pas au mois de mars dernier.
En effet, n'augmente-t-on pas le budget d'une somme d'environ six millions de francs pour améliorer la position des fonctionnaires, six millions dont je reconnais qu'une partie au moins est bien employée ?
Mais au moins si l'on a trouvé six millions pour améliorer certaines positions, pour accorder jusqu'à un certain point de nouveaux avantages, si l'on a pu dans ce but trouver 6 millions par an, c'est-à-dire le revenu annuel de 120 millions, je me demande si l'on ne saurait pas trouver un ou deux millions pour indemniser ceux qui ont été spoliés.
Car évidemment la législation qui nous régit aujourd'hui constitue une véritable spoliation, en contradiction manifeste avec l'esprit de nos institutions, en opposition formelle avec les idées de justice et d'équité qui heureusement prédominent encore en Belgique.
Je m'étonne, messieurs, qu'une législation pareille, qu'une législation aussi inique ait pu continuer à exister aussi longtemps en Belgique. La seule explication que j'en trouve, ce qu'on ne l'a jamais exécutée ; que toujours on a reculé devant son exécution. Aujourd'hui cependant on cherche à la faire renaître de ses cendres.
Je m'en étonne, surtout en présence des promesses formelles du gouvernement à cet égard. Dans un rapport présenté dans la séance du 26 mai 1855 par l'honorable M. Coomans à propos d'un créd.t pétitionné par le département de la guerre, je trouve ce qui suit :
« Le rayon réservé, qui est aujourd'hui de 585 mètres, sera réduit à 300 à compter de la crête des glacis. »
Ainsi, vous le voyez, à cette époque on ne faisait pas de difficulté de réduire la zone.
Je comprends l'objection que l'on nous présentera aujourd'hui, c'est que les perfectionnements qu'a subis l'artillerie, la précision et la portée des nouvelles armes à feu s'opposent à ce que des réductions pareilles soient accordées. Aussi je vous prie de vous rappeler que je n'ai pas insisté d'une manière formelle et précise à cet égard. J'ai demandé que cette question fût examinée comparativement et selon les localités. Ce n'est pas d'une manière générale que je demande la réduction des zones de servitude.
Du reste l'objection que l'on présenterait ne serait pas concluante. Car je suppose qu'à cette époque la réduction de la zone de servitude eût été votée, on serait pas venu demander aujourd'hui son extension, pas plus qu'on ne demande l'extension du rayon stratégique actuel en se fondant sur la portée plus grande des nouvelles armes à feu.
Le rapport ajoute : « En dehors de ce rayon le droit de propriété restera intact, sauf la faculté que le gouvernement se réserve de fixer les tracés des rues de commun accord avec l'autorité communale.
« Le gouvernement vous présentera un projet de loi modifiant dans ce sens la législation en vigueur.’
Ceci, messieurs, s'écrivait le 26 mai 1855.
La section centrale, continue le rapport, s'abstient de se prononcer sur l'étendue des concessions à faire par le gouvernement aux propriétaires des terrains frappés de servitudes militaires. Mais elle émet le vœu que dans le cours du nouvel examen auquel il va se livrer, en ce qui concerne le camp retranché et les servitudes militaires, M. le ministre ne néglige aucun moyen de concilier les intérêts du trésor et des habitants d'Anvers avec ceux de la défense de la place.
Messieurs, ces promesses ont été confirmées dans la séance du 24 janvier 1856 par M. le ministre de la guerre d'alors. Interpellé comment il se faisait qu'un projet de loi sur cette matière n'était pas présenté à la Chambre, l'honorable ministre s'excusait sur les difficultés qu'il éprouvait à se procurer les législations étrangères et sur la lenteur avec laquelle se faisait la traduction de ces documents.
Or, je pense que depuis le mois de janvier 1856 jusqu'aujourd'hui, c'est-à-dire en sept ans, le gouvernement a eu le temps de se procurer ces législations et de faire faire ces traductions. Il ne peut ignorer la législation hollandaise de 1853 et la législation anglaise de 1860 que je ne puis trop invoquer.
Je demande donc si c'est se montrer exigeant que de prier le gouvernement (page 459) de présenter un projet de loi révisant la législation sur cette matière ; je demande encore si c'est élever des prétentions exagérées que de demander l'insertion de ce principe de l'indemnité dans la loi, alors qu'il est déjà inséré dans la législation du deux pays voisins.
Je ne saurais assez insister sur ce point que c'est uniquement pour les dommages réellement causés, réellement éprouvés, que nous demandons des indemnités.
Je ne m'élève pas contre la faculté qu'a le gouvernement de créer des servitudes militaires.
Je lui reconnais ce droit dans un intérêt général, celui de la défense, je lui reconnais le droit d'expropriation. Mais ce que je demande, ce sur quoi j'insiste, c'est que ce droit de nuire, de déprécier, de détériorer parfois même, la propriété, le gouvernement l'exerce comme le droit d'expropriation, c'est-à-dire à charge d'indemnité.
Lorsque ce principe sera inscrit dans la loi, il dépendra du gouvernement de réduire à un chiffre bien minime l'indemnité éventuelle à payer, en réduisant la zone autant qu'il peut le faire sans compromettre les intérêts de la défense, en autorisant les travaux d'entretien, de réparation, de reconstruction, en créant, comme l'a dit mon honorable collègue, des polygones exceptionnels.
Quant à ce dernier point, que M. le ministre de la guerre me permette de lui présenter quelques observations qui, si elles pouvaient être accueillies, non seulement diminueraient considérablement le chiffre de l'indemnité à payer éventuellement, mais donneraient satisfaction à de justes réclamations et conduiraient à une mesure uniquement et toute en faveur de l'industrie, que tous nous cherchons à faire prospérer en Belgique.
D'après les pétitions présentées par Austruweel, Berchem, Borgerhout et autres communes voisines d'Anvers, 19 établissements industriels se trouvent frappés de la servitude militaire par suite de l'établissement des nouvelles fortifications. Déjà, sous la législation actuelle, nous rencontrons, en faveur d'établissements de ce genre, des dispositions tout à fait exceptionnelles.
Je demande si, dans le nouveau projet, il n'y a pas moyen d'aller plus loin, d'inscrire dans la loi des dispositions exceptionnelles en faveur des établissements actuellement existants (faveur dont au reste ils ne jouiraient qu'en tant qu'établissements industriels), des dispositions, dis-je, qui leur permettraient non seulement d'exister et de se maintenir, mais encore de se développer en se tenant à la hauteur des progrès incessante de l'industrie.
Ne pourrait-on, en leur faveur, créer des espèces de polygones exceptionnels, affranchis de la servitude. C'est là certes une question dont la solution doit varier suivant les circonstances et surtout suivant les localités. C'est une observation que je soumets à l'honorable ministre de la guerre. C'est une idée sur laquelle je me permets d'appeler son attention, que j'indique uniquement dans le désir de contribuer à une mesure qui sauvegarde, autant que possible, tous les intérêts.
Messieurs, je pense que je puis borner là les observations que j'ai à présenter. Je m'exposerais à tomber dans des redites et à fatiguer inutilement la Chambre.
Au reste, aujourd'hui ce n'est pas tant le jour de la discussion que le jour de la solution de la question qui est venu. Depuis un an, depuis la séance du 19 mars, dans laquelle les pétitions du conseil communal et du conseil provincial d'Anvers ont été renvoyées à MM. les ministres de la justice, de la guerre et des finances, avec demande d'explications, le gouvernement doit avoir examiné sérieusement cette question.
Je pense qu'aujourd'hui il ne pourrait plus invoquer aucun motif sérieux pour se refuser à la présentation d'un projet de loi révisant coordonnant la législation actuelle.
Cette opinion, je pense, sera unanimement partagée par la Chambre, (et pour qu'aucun doute ne puisse exister, l'honorable M. Vander Donckt nous a dit également dans son rapport qu'il faut un projet de loi pour réviser la législation), m'exprimant d'une manière absolue, sans indiquer en quel sens, je proposerai de modifier les conclusions de la commission comme suit :
« La Chambre, considérant qu'il y a lieu de réviser la législation sur les servitudes militaires, renvoie les pétitions à MM. les ministres de la justice, des finances et de la guerre. »
Je pense que le gouvernement pourra nous donner aujourd'hui les explications aux fins desquelles les pétitions ont été renvoyées précédemment, et nous dire quelles sont ses intentions relativement aux réclamations qui sont présentées aujourd'hui.
M. Loos. - Messieurs, il serait fastidieux d'entendre un troisième représentant d'Anvers sur cette question ; je ne pourrais que répéter les arguments qui ont été présentés par mes honorables amis. J'espère que le gouvernement a quelque chose à dire dans cette question ; quand il se sera expliqué, nous verrons jusqu'à quel point il peut être utile de continuer ce débat. Dans la situation actuelle, si je devais parler immédiatement, je devrais renoncer à la parole, car je ne voudrais pas fatiguer inutilement la Chambre
- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je suis à peu près dans la même position que l'honorable préopinant. Il me provoque à parler ; comme lui, cependant, je ne puis que répéter ce que j'ai déjà dit. plusieurs fois antérieurement, en semblable occasion. La question qui se reproduit aujourd'hui devant vous n'est certes pas nouvelle ; elle a déjà été discutée longuement et à diverses reprises dans cette enceinte. Que pourrais-je ajouter encore aux considérations que j'ai fait valoir alors ? A-t-on introduit dans le débat un seul argument nouveau ? A-t-on présenté, à l'appui de la thèse défendue par les honorables préopinants, une seule raison que déjà nous n'ayons rencontrée et repoussée ? Messieurs, je ne le crois pas ; tout ce que vous venez d'entendre vous a déjà été dit.
On vous répète aujourd'hui, comme déjà on l'a soutenu auparavant, que des indemnités sont dues et qu'il est inique de les refuser ; on vous répète que les pays voisins n'ont pas hésité à reconnaître l'équité du système des indemnités en matière de servitudes, et à en proclamer le principe ; que nous devons nous engager dans cette voie à la suite de ceux qui nous ont donné un pareil exemple. En un mot, messieurs, on n'a fait que reproduire tous les thèmes dont les réclamations anversoises ont été le sujet.
En réalité, je n'ai entendu citer aujourd'hui qu'un fait nouveau ; j'ai appris, non sans un profond étonnement, je l'avoue, que la France aurait admis, depuis quelque temps déjà, le principe de l'indemnité pour les servitudes militaires.
M. de Boe. - Elle l'a admis, puisqu'elle a acquis les terrains le plus dépréciés.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je le demande, est-il sérieux de prétendre tirer d'un fait exceptionnel cette conclusion radicale que la France a admis le principe de l'indemnité, alors que chacun sait que le principe contraire n'a pas cessé de prévaloir dans ce pays ?
Je dois protester contre de pareilles assertions, qui ont pour conséquence fâcheuse, déplorable, de propager dans les populations des idées fausses, des idées complètement erronées. (Interruption.)
Certainement ! c'est ainsi que l'on fait supposer l'existence de faits qui sont purement imaginaires, faits sur lesquels on s'appuie ensuite pour soutenir des réclamations dénuées de tout fondement. (Interruption.)
Vous ne pouvez ignorer que le principe de l'établissement de servitudes sans indemnité a été soumis en France à une série de discussions successives qui n'ont pu l'entamer ; que ce principe y a été invariablement maintenu de la manière la plus énergique, et d'une manière plus énergique encore par la chambre des pairs que par la chambre des députés.
L'honorable membre a invoqué, à l'appui de sa thèse, l'exemple de ce qui s'est fait lors de l'établissement des fortifications de Paris.
Eh bien, nous avons constaté qu'à cette occasion les chambres et le gouvernement en France ont admis deux choses : la première consiste en une restriction du principe général relatif aux zones de servitudes ; la zone sous Paris est moins étendue que sous d'autres places fortes ; c'est une exception apportée au régime de la loi, et que comportait le rôle réservé à la placé de Paris. La seconde exception est celle-ci : par une disposition spéciale, déterminée par des considérations que tout le monde peut facilement apprécier, on a acquis une certaine zone de terrain aux abords de la ville...
M. de Boe. - On a réparé le dommage, en acquérant la propriété.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a réparé aucun dommage ; on a exproprié ; mais cela ne constitue pas un droit d'indemnité ; ce n'est pas là sans doute le principe d'indemnité introduit dans la législation. Bien au contraire : ce qui s'est fait alors est une exception au principe général en vigueur en France, et cette exception, loin de porter atteinte à la règle, n'en est que la confirmation. On a, je le répète, maintenu formellement le principe de non-indemnité.
On a répété souvent, depuis quelque temps, qu'en Hollande la législation accorde des indemnités du chef de l'établissement de servitudes militaires (interruption) ; on l'a longtemps persuadé à la population d'Anvers. Eh bien, à force de relire le texte de la loi hollandaise, on a fini par trouver que ce n'est pas précisément cela...
M. de Gottal. - Je n'ai jamais soutenu cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Beaucoup (page 460) d'autres l'ont soutenu : je ne veux pas apporter ici de noms propres ; mais il me serait extrêmement facile de citer un grand nombre de personnes qui ont soutenu que le principe de l'indemnité avait été admis par les chambres hollandaises...
M. de Gottal. - Cela n'a jamais été dit dans cette Chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Soit. Je ne dis pas le contraire ; mais je maintiens qu'on l'a persuadé aux intéressés d'Anvers ; et je répète qu'à force de lire le texte de la loi à laquelle on donnait cette portée, on a dû finir par s'apercevoir que la Hollande n'a pas proclamé ce principe, mais qu'elle a admis simplement que l'on pouvait avoir droit à une indemnité s'il y avait dommage...
M. de Gottal. - Nous n'avons jamais soutenu autre chose.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Faites-le donc comprendre aux pétitionnaires qui, certainement, demandent tout autre chose.
Le principe admis en Hollande se réduit donc à ceci : qu'il y a lieu à indemnité lorsqu'on cause un dommage à la propriété. Désire-t-on qu'une mesure analogue soit adoptée en Belgique ? Je doute qu'elle puisse satisfaire les pétitionnaires. Car, dans l'ensemble, y a-t-il dépréciation de la propriété foncière aux environs d'Anvers, par suite de l'établissement des fortifications ? Je crois que les éléments qui existent déjà ne sont pas de nature à confirmer cette prétendue dépréciation. Depuis l'établissement des fortifications d'Anvers, on n'a pas cessé de vendre ; et si par hasard on trouvait que les propriétés vendues depuis cette époque ont été cédées à des prix supérieurs à ceux que l'on eût pu en obtenir auparavant.....
- Un membre. - Tant mieux !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tant mieux sans doute ! Mais tâchez donc aussi de persuader à ceux qui réclament, que, la valeur actuelle de leurs propriétés étant supérieure à la valeur de ces mêmes biens avant l'établissement des fortifications nouvelles, c'est là une situation dont il est au moins étrange de les voir se plaindre !
Ce ne serait donc pas de l'adoption du principe qui a été admis en Hollande, et qui, je pense, y est resté sans application, que l'on se montrerait satisfait.
Reste l'Angleterre. Mais, messieurs, je me permettrai d'adresser une question aux honorables préopinants. Connaissent-ils bien la législation anglaise ?
M. Loos. - Oui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous la connaissez, dites-vous ; eh bien, moi, je n'ai pas la prétention de la connaître. Il y a très peu de personnes qui connaissent la législation anglaise, même en Angleterre. Aucune législation n'est plus compliquée, plus diffuse, et n'oppose autant de difficultés à fétu le qu'on en voudrait faire.
Il est extrêmement rare qu'on parvienne à acquérir une connaissance un peu satisfaisante de la législation anglaise. Quand on veut en savoir quelque chose, il faut s'adresser à un très petit nombre d'hommes faisant exclusivement leur spécialité de l'étude de cette législation, et qui même ne sont pas encore bien assurés de vous donner toujours des indications positives.
Ainsi, je vous pose une première question : Connaissez-vous le régime général des servitudes légales en Angleterre ? Pour ma part, je serais presque porté à croire qu'il n'en existe pas ; ou que, s'il en existe, on accorde des indemnités pour toute espèce de servitude. Et si c'est là le principe général qui domine en Angleterre, que signifie l'autorité que vous invoquez, en citant l'exemple de cette puissance comme devant être suivi dans le cas tout spécial qui nous occupe ?
Je viens d'exprimer l'opinion que l'indemnité paraît être un principe général en Angleterre pour tous les cas où l'Etat dispose, directement ou indirectement, de la propriété des citoyens. Voici, à ce propos, un fait qui nous paraîtra, à nous, bizarre, impossible : Des empiétements avaient eu lieu sur la voie publique. Ou avait établi, en empiétant sur la voie publique, des enseignes, des moyens d'éclairage, etc. A un moment donné, on a dit : Il faut les faire disparaître. Chez nous, rien de plus simple : on ne peut pas empiéter sur la voie publique, on ne peut pas prescrire sur la voie publique ; dès lors l'obstacle doit disparaître, et, assurément, sans aucune espèce d'indemnité.
Mais j'ouvre les actes du parlement anglais et je trouve, en 1861, un acte relatif à la ville de Dublin, où je lis qu'on fera disparaître les enseignes, les réverbères, etc., qui ont été établis par empiétement sur la voie publique, et qu'on accordera des indemnités pour autant cependant, dit le législateur, que, par une loi antérieure, il n'ait pas été permis de faire de pareille chose. Réserve qui prouve que l'on n'était pas certains qu'une pareille loi existait ou non.
On nous cite les actes relatifs aux fortifications en Angleterre. Eh bien oui, là on paye des indemnités ; cela est vrai et cela semble être, comme je le disais tout à l'heure, un principe général. Je n'affirme rien. Je me borne à exprimer l'opinion que je me suis formée en lisant certains actes de la législation anglaise que j'ai fait traduire, et d'où ce principe me semble ressortir.
Voyez d'ailleurs, messieurs, jusqu'à quel point le système des indemnités est poussé en Angleterre.
On vient de parler des fortifications de Portsmouth, et dans l'acte même qui a été invoqué, on a décidé l'application des servitudes à certaines propriétés voisines des fortifications établies. On avait oublié ou l'on ignorait alors que l'un des terrains grevés de servitude était autrefois occupé annuellement par une foire. Nouvel acte du parlement pour décider que cette foire sera supprimée, mais que cette suppression sera compensée par une indemnité au profit du lord du manoir et de la paroisse. Et voici ce que dit à ce propos le jurisconsulte qui a commenté cet acte du parlement : « Mais on n'a pas été assez loin ; pour être juste, on devait accorder des indemnités à ceux qui avaient coutume d'aller acheter et vendre à cette foire, car ceux-là surtout ont été lésés ». (Interruption.)
II est possible que ce système soit extrêmement équitable, je le veux bien ; mais je crois qu'un temps assez long s'écoulera avant que nous ayons fait passer de pareils principes dans notre législation.
On invoque encore, pour justifier le principe de l'indemnité, ce qu'on a le projet de faire pour la milice, ce qu'on se propose de faire, dit-on, dans le cas d'arrestations préventives erronées. Je ne veux pas, messieurs, entrer dans la discussion des questions très complexes qui se rattachent à l'idée d'un système général d'indemnité, pour toutes les servitudes auxquelles les citoyens sont soumis dans leur personne et dans leurs propriétés. Il me serait facile de prouver qu'il n'y a aucune espèce d'analogie dans ces matières ; elle sont assurément fort différentes : ce n'est pas parce qu'on les aura appelées : servitudes militaires, pénales, civiles ou autres, qu'il y aura la moindre ressemblance entre elles.
Je n'entrerai donc pas dans la question de principe ; mais je ferai remarquer cependant, que, lorsqu'il s'agit de ce qu'on appelle les servitudes militaires ou autres de ce genre, l'indemnité est accordée à tous ceux qui se trouvent dans le même cas.
Or, que demandez-vous, au contraire, au point de vue des servitudes qui grèvent la propriété ? Vous demandez une exception. Vous demandez que certaines servitudes spéciales donnent lieu à indemnité, tandis que toutes les autres continueraient à peser sur la propriété sans aucune indemnité. Ah ! si vous veniez dire : Procédons d'une manière complète, générale, équitable ; faisons disparaître toutes les servitudes qui grèvent la propriété ! Il se peut qu'une proposition ayant ce caractère mériterait d'être examinée ; elle serait empreinte d'un esprit de justice qui, tout au moins, préviendrait fort en sa faveur. Il resterait à trouver le moyen de l'exécuter.
Mais il y a quelque chose de souverainement inique à venir demander que, spécialement et exclusivement pour les servitudes qui existent autour de la place d'Anvers, on accorde des indemnités aux propriétaires qui se disent lésés, et je doute qu'il se trouve quelque jour une majorité pour appuyer une pareille prétention. (Interruption.)
Quoi donc, messieurs ! Mais les habitants de toutes nos villes ont été tour à tour grevés de servitudes, et ils les ont supportées sans indemnité.
Hier encore on érigeait une nouvelle forteresse, celle de Diest ; des terrains fort considérables se sont trouvés, par suite de cette érection, grevés de servitudes qui, quelque temps auparavant, frappaient la propriété autour de Hasselt. Les habitants de Diest ont, en général, pacifiquement accepté ce sort commun de la propriété en Belgique.
Et parce qu'on se serait livré à des démonstrations que, certes, personne ici ne saurait approuver, voilà qu'il faudrait, pour ce cas tout spécial, accorder des indemnités et même décider la question de principe ! Je dis, messieurs, qu'un tel acte et dans de pareilles circonstances, serait peu digne du gouvernement et des Chambres belges.
Messieurs, nous avons dit à diverses époques que nous reconnaissions nous-mêmes qu'il y avait quelque chose à faire pour mitiger la législation des servitudes militaires ; mais nous avons fait observer en même temps que le moment n'était pas opportun pour modifier cette législation, et qu'on ne devait pas, dans les circonstances actuelles, nous convier à le faire. Nous reconnaissons qu'il faut permettre de construire en toute sécurité les établissements maritimes que réclame l'extension du mouvement commercial de la ville d'Anvers, Nous sommes d'accord que la (page 461) législation doit être modifiée en ce point, nous l'avons déclaré déjà, et nous réitérons cette déclaration.
Nous avons dit également : Il y a dans la loi des servitudes un principe qui est trop rigoureux ; nous croyons qu'il ne faut pas s'opposer à ce que l’on puisse réparer, entretenir, reconstruire, même rétablir la chose dans l'état où elle était quand la servitude a été établie. Nous admettons parfaitement cela ; nous l'avons déclaré également. Nous avons dit que des modifications pouvaient être proposées dans ce sens à la législation existante ; mais nous avons déclaré aussi que ces modifications ne seraient présentées que quand le gouvernement croirait le moment convenable, pour soumettre à la Chambre de telles propositions. Or, nous disons franchement, sincèrement que le moment ne nous paraît pas opportun.
M. Loos. - Pourquoi ?
M. Coomans. - La justice n'est jamais inopportune.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne qu'on m'interpelle sur ce point ! je m'étonne qu'on me demande s'il peut être de la dignité de corps constitués, de l'autorité publique, de la Chambre, du Sénat, du gouvernement, de paraître délibérer sous le coup de la pression qu'on veut exercer sur les pouvoirs publics !
M. de Gottal. - Ce sont les faibles qui subissent la pression ; nous sommes forts, nous.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne veux pas insister sur ce point, parce que le désir du gouvernement n'est pas d'aigrir ce débat, mais au contraire d'essayer de calmer l'irritation qu'on y a apportée ; par conséquent, nous ne voulons pas insister sur l'opportunité même de la discussion soulevée. Comme dans d'autres circonstances, quand des pétitions analogues ont été présentées, nous acceptons le renvoi pur et simple, mais non celui formulé par M. de Gottal, avec la déclaration de la Chambre qu'il y a lieu de réviser la législation sur les servitudes.
- Une voix. - Vous en êtes convenu.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est précisément pour cela que la proposition est inutile, et que la déclaration que vous voulez faire insérer aurait une portée que nous ne pouvons pas accepter.
M. de Boe. - L'honorable ministre des finances me semble vouloir faire prévaloir un principe nouveau ; c'est que dans l'examen des questions soulevées dans la Chambre, on ait à s'occuper de la manière dont ces questions se sont produites au-dehors.
Les pétitionnaires sont de paisibles cultivateurs et propriétaires. Ceux qui les soutiennent sont des membres de la Chambre qui apportent dans ce débat toute la modération possible. Lorsqu'une question se présente ainsi dans cette enceinte, elle mérite d'être prise en considération, et il est injuste de la repousser par une fin de non-recevoir fondée sur ce qu'ailleurs elle a donné lieu à des clameurs et à des outrages.
Examinons la question en elle-même, et dégageons-la surtout de l'équivoque dont on semble vouloir l'entourer.
Il s'agit de bien se rendre compte de ce que demandent les pétitionnaires au point de vue de l'indemnité ; ils ne demandent pas une indemnité pour toute servitude, mais seulement quand ils subissent un dommage, quand ils prouvent que leurs propriétés ont subi une dépréciation. Il serait ridicule de demander une indemnité pour toute servitude, même quand il n'y aurait pas de dommage causé ; car je demanderai quelle serait la base de cette indemnité.
Il faut que celui qui se plaint des servitudes militaires indique le dommage qu'il subit, qu'il l'établi se devant les tribunaux compétents. La question est simple, réduite à ces termes.
Dès l'origine de la discussion qui eut lieu l'an dernier, nous demandâmes l'application du principe de la loi hollandaise et de la loi anglaise qui n'allouent d'indemnité qu'en cas de dommage justifié.
Je ne sais si la loi néerlandaise a été appliquée. L'application de la loi, l'appréciation du dommage est la plus grande, la seule difficulté du principe. J'ai fait des démarches nombreuses pour être éclairé sur le point de savoir comment, en fait, ces difficultés avaient été résolues en Angleterre et dans les Pays-Bas. Elles n'ont point abouti. Le gouvernement a des agents diplomatiques à sa disposition. Il est à même de recevoir rapidement les renseignements nécessaires en s'adressant au département des finances à la Haye et à Londres.
Quant à la législation de 1841 en France, M. le ministre des finances a dit qu'elle n'a pas admis le principe de l'indemnité. L'objection est fondée à de certains égards, mais elle n'affaiblit eu rien la force de nos réclamations.
On peut, en effet, réparer le dommage causé du chef de l'établissement des servitudes militaires, de deux façons :
1° Par l'acquisition des terrains de la zone de défense ;
2° Par l'allocation d'indemnités pour dépréciation de valeur.
Or, qu'a-t-on fait à Paris ? Trois choses : d'abord on a restreint le rayon de la servitude de 487 à 250 mètres, on affranchissait ainsi une quotité énorme de terrains.
La zone de défense autour d'Anvers comprend 2,500 hectares, et si l’on applique le même principe à l'enceinte, il ne resterait que 400$ hectares de grevés.
La zone de défense de l'enceinte de Paris n'est que de 900 hectares et cependant le développement des fortifications est de 9 lieues de Fiance.
Ainsi la mesure prise de limiter la zone à 250 mètres était une mesure capitale au point de vue de la question de propriété. Qu'a-t-on fait ensuite ? Le long des 35 avenues conduisant à Paris, on a acquis les terrains avant l'établissement de la servitude et on les a revendus et ensuite ; on a dépensé de ce chef six à sept millions.
L'Etat n'a point fait de perte, la revente, la location des terrains s'étant faite à une époque où la population de Paris augmentait d'une manière considérable et où la propriété immobilière des environs monta de valeur. Pour les terrains non acquis et dont la dépréciation était estimée, d'après M. Thiers, devoir s'élever tout au plus à 1 ou 2 millions, comment la question a-t-elle été écartée ? Le conseil d'Etat a décidé, il est vrai, qu'il n'y avait pas lieu à indemnité. Mais quelle compensation le gouvernement a-t-il offerte aux propriétaires ? La levée de la servitude en fait. La servitude n'est pas exercée dans les environs de Paris. On bâtit dans le rayon de 250 mètres comme au-delà.
Vous avez entendu, l'an dernier, M. le ministre de la guerre vous lire un extrait d'un ouvrage du général du génie Prevost des Vernois. Le général se plaint amèrement de ce que, autour de Paris, on n'exerce pas les servitudes militaires. Il n'y a pas eu d'indemnité dans ce cas, parce qu'il n'y avait pas lieu à indemnité du moment qu'on n'exerce pas la servitude.
Le principe de la législation anglaise diffère essentiellement, en matière de servitudes, de celui de la législation française et belge.
La loi anglaise part de ce principe que le droit individuel est la règle, que le droit de l'Etat est l'exception. L'Etat ne peut restreindre l'exercice du droit de propriété par des servitudes que dans de rares exceptions ; les servitudes sont rares en Angleterre. Dans le régime français, c’est le principe contraire qui domine, le droit de propriété n'est que le droit de jouir, sauf les restrictions établies par la loi.
Or, quelle est la limite de ces restrictions ? Jusqu'ici ou ne l'a pas fixée, on n'a pas dit jusqu'où le droit de l'Etat peut aller. Nous voulons, nous, poser une restriction au droit de l'Etat, le limiter au moyen de l'indemnité qui serait allouée lorsque la restriction au droit ne serait accompagnée d'aucune compensation d'autre nature.
C'est le meilleur moyen de faire tomber la plupart des servitudes et notamment une atténuation extrême dans la rigueur des servitudes militaires, le gouvernement étant financièrement intéressé à ne pas les exercer. J'ai développé ce point assez longuement l'an dernier.
L'indemnité produira, pour les servitudes, l'effet que la nécessité de payer en numéraire produit sur les lettres de change et les billets de banque. Il est une garantie contre l'abus de leur émission. Cette question mérite un sérieux examen.
Il y aurait, a dit M. le ministre des finances, injustice, iniquité à faire, pour la place d'Anvers, ce qu'on n'a pas fait pour les autres places de guerre du pays. J'ai déjà eu l'honneur de prouver devant la Chambre qu’il serait impossible d'allouer des indemnités pour les servitudes établie anciennement dans le pays.
Du reste, parce que dans le passé cette question n'a pas été traitée avec toute la justice, toute l'équité qu'elle comporte, ce n'est pas une raison pour agir de même aujourd'hui : le progrès consiste à détruire les anciens abus.
Tous les Etats de l’Europe se sont plus ou moins trouvés dans l'impossibilité, à la suite de grandes révolutions ou de longues guerres, de payer leurs dettes. Au fur et à mesure de l'amélioration des finances on a fait des règlements.
Vous avez en Europe un pays qui règle chaque jour sa dette, c'est l'Espagne, chaque jour on appelle de nouveaux fonds pour lesquels députe longtemps on ne payait pas d'intérêts, à être inscrits au budget de la dette publique ; les porteurs de ces fonds reçoivent des intérêts.
Eh bien, messieurs, je ne sache pas qu'en Espagne l'on ait soutenu qu'il n'y avait rien à faire pour certains créanciers parce qu'immédiatement on ne satisfait pas tout le monde. On satisfait au fur et à mesure des ressources.
Je ne vois pas pourquoi en Belgique on n'adopterait pas ces principes. L'examen de la question de la responsabilité sociale est pleine (page 462) d'intérêt. Je suis convaincu que si M. le ministre des finances veut examiner à fond la législation des servitudes, il trouvera à y apporter de nombreuses réformes.
Telles sont les considérations par lesquelles je crois devoir insister pour l'adoption de la proposition dont nous venons de saisir la Chambre.
M. Loos. - Messieurs, il a fallu que M. le ministre exagérât les réclamations d'Anvers pour vous engager à ne pas y faire droit. C'est ainsi que l'on a procédé depuis fort longtemps.
Nous savons tous que n'importe qui adresse des réclamations à la Chambre ou au gouvernement ne manque jamais d'exagérer ses prétentions ; et, sous ce rapport, les habitants d'Anvers qui réclamaient des indemnités pour le préjudice qu'ils pouvaient éprouver des servitudes militaires, ont fait comme tout le monde ; ils exagèrent le dommage et peut-être leurs droits.
Mais qu'avons-nous soutenu dans cette Chambre ?
Avons-nous soutenu qu'il fallait, d'une manière générale, indemniser tous les propriétaires de terrains tombant dans les servitudes militaires ?
Incontestablement non, messieurs. On ne peut avoir droit à une compensation, à une indemnité que pour autant que l'on ait éprouvé un préjudice.
C'est là le seul point que nous ayons toujours soutenu.
Eh bien, pour ma part, je considère cette partie des réclamations d'Anvers qui est relative aux dommages éprouvés par suite des servitudes militaires, comme bien fondée ; et ne pas y faire droit me paraît une iniquité.
Il faudrait, d'après l'honorable ministre des finances, qu'il n'y eût plus en Belgique une seule injustice à réparer avant qu'on puisse faire droit à celle dont se plaignent les habitants d'Anvers.
Messieurs, pouvez-vous accepter une semblable doctrine : Vouloir réparer toutes les injustices à la fois, c'est ne vouloir en réparer aucune ? On vous a cité Diest.
On dit : Voilà des habitants dociles, patriotes ; ceux-là acceptent la loi telle qu'elle existe et telle qu'on l'applique.
Les principes que je défends s'appliquent autant à la ville de Diest et aux autres forteresses du pays qu'à la ville d'Anvers. Si, autour de Diest, des propriétaires subissent un préjudice par suite des servitudes, ils ont, autant qu'Anvers, droit à une indemnité de l'Etat.
Je dis, messieurs, qu'il serait inique de ne pas faire droit à ces réclamations. Ce serait en quelque sorte vouloir placer, sous ce rapport, la Belgique hors du droit commun, puisque aujourd'hui il est généralement admis, dans presque tous les pays, soit par les législations établies, soit par les faits, comme en France, que celui qui supporte un préjudice par suite des servitudes militaires doit être indemnisé.
Mais, dit l'honorable ministre des finances, connaissez-vous bien la législation anglaise ? Connaissez-vous la loi qui décrète les indemnités ? Je me suis permis de répondre oui.
S'il m'avait demandé si je connaissais en général la législation anglaise, j'aurais dû dire non, probablement avec la plupart des membres de cette Chambre.
Mais la loi anglaise sur les servitudes est parfaitement claire, je dirai même qu'elle est plus claire et plus absolue que la loi hollandaise que nous connaissons tous.
Elle dit d'une manière absolue que celui qui subit un dommage, soit par suite de dépossession, soit par suite de servitude, doit s'entendre avec le secrétaire d'Etat pour régler la perte qu'il éprouve, et que s'ils ne s'entendent pas, la question est déférée à des arbitres et aux tribunaux.
La loi contient beaucoup d'articles, les lois anglaises en général sont longues, mais en voilà le résumé.
On vous dit aussi que ce n'est pas l'application de la loi hollandaise que l'on demande à Anvers.
Nous discutons ici les droits de ceux qui réclament ; nous ne soutenons que ce qu'il y a de fondé dans leurs réclamations et ces réclamations sont fondées dès qu'il est établi que le dommage est réel.
Un autre argument de M. le ministre des finances, c'est que le moment n’est pas opportun ; que ce n'est pas dans les circonstances actuelles que l'on peut rendre justice.
On a répondu déjà qu'il est toujours opportun de réparer une injustice.
Mais, messieurs, si ce n'est pas le moment aujourd'hui, je me permets de dire au gouvernement que le moment a existé. Si l'on voulait agir en dehors de toute pression, il s'est trouvé des moments de calme à Anvers, et l'on n'a pas fait plus alors qu'on ne semble vouloir faire aujourd'hui.
Le gouvernement a été sollicité alors d'examiner sérieusement ce qu'il pouvait y avoir de fondé dans les réclamations d'Anvers.
Il a trouvé alors, comme aujourd'hui, que le moment n'était pas assez opportun.
Je demanderai donc au gouvernement, quand il lui paraît que le moment sera venu de faire droit aux réclamations fondées d'Anvers.
Quand une réclamation est reconnue fondée, il faut, je l'ai déjà dit, y faire droit, quelles que soient les circonstances, quelle que soit la pression qui peut s'exercer pour obtenir qu’il soit fait justice.
Le gouvernement ne devrait pas s'occuper des clameurs qui peuvent se produire au-dehors.
On vous a dit, messieurs, qu'il n'existe pas en France de législation en vertu de laquelle les propriétaires lésés par les servitudes militaires ont droit à une indemnité.
Mon honorable ami M. de Boe vous a dit que par le fait en France on avait rendu justice aux propriétaires qui se trouvent dans ce cas ou plutôt qu'on a empêché leurs réclamations de naître en acquérant les propriétés du chef desquelles elles auraient pu se produire.
Vous seriez probablement exempts de toute réclamation si vous aviez agi à l'égard des propriétaires, comme la France a cru devoir agir à l'égard des propriétaires des environs de Paris et comme on agit à l'égard de ceux dont on n'a pas acquis les propriétés. En agissant ainsi, vous ne seriez pas seulement exempts de réclamations, mais vous pourriez peut être conserver sans inconvénient l'ancienne législation française à laquelle vous paraissez attacher tant de prix et que la France elle-même semble vouloir répudier ou du moins ne pas appliquer dans toute sa rigueur ; une législation, en définitive, qui a pris naissance dans les mauvais jours que la France a subis, qu'on maintient et qu'on invoque encore aujourd'hui en Belgique.
Je dis, messieurs, que cela est d'autant plus odieux que la France elle-même ne subit plus toutes les rigueurs de cette législation, que la Hollande s'en est affranchie, que l'Angleterre n'en a jamais voulu ; et certes en Belgique les sentiments d'équité n'existent pas à un moindre degré que dans les pays qui nous environnent.
Messieurs, j'ai dit à la Chambre que j'étais loin de vouloir soutenir dans cette enceinte toutes les réclamations d'Anvers. Indépendamment de celles qui concernent l'indemnité pour préjudice éprouvé, il en est une autre que j'ai toujours défendue dans cette enceinte et que je continue à défendre ; c'est celle qui s'élève contre la prétention du gouvernement de vouloir établir des servitudes militaires à l'intérieur de l'enceinte des villes, c'est-à-dire dans la ville même. Voilà encore une prétention que je considère comme illégale d'abord et ensuite comme profondément injuste. La loi, d'après moi, n'autorise pas le gouvernement à en agir ainsi et c'est ce que je chercherai à faire établir lorsque l’occasion s'en présentera.
L'enceinte existe encore ; mais quand elle sera démolie et qu'il me sera possible de recourir aux tribunaux, je ne manquerai pas de le faire, dussé-je acheter une propriété dans la zone des servitudes.
Je crois donc que le gouvernement ne peut étendre les servitudes militaires à l'intérieur de l'enceinte des villes et je crois qu'il y a lieu d'indemniser ceux qui réclament éprouvent un préjudice du chef des servitudes militaires en dehors de l'enceinte. Voilà deux points que je soutiendrai tant que j'aurai l'honneur de siéger dans cette enceinte.
M. Van Overloop. - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans la discussion actuelle ; mais quelques mots prononcés par l'honorable ministre des finances me déterminent à la demander.
La dignité des autorités, a dit M. le ministre des finances, s'oppose à ce qu'on cède aujourd'hui aux réclamations d'Anvers.
C'est là, messieurs, une allusion excessivement transparente à ce qui s'est passé dans les meetings d'Anvers.
Je ne partage pas, messieurs, cette opinion de l'honorable M. Frère : je trouve que la dignité n'est pas compromise lorsqu'on rend justice à une personne, alors même que cette personne l'aurait réclamé d'une manière inconvenante.
Et d'ailleurs, l'objection tirée de la nécessité de faire respecter la dignité des autorités, ne saurait être opposée aux réclamations formulées par les habitants de Calloo.
Dès 1858, les habitants de Calloo se sont adressés à la Chambre pour demander ce que les habitants d'Anvers n'ont réclamé qu'en 1861 ou 1862.
Or, l'exception, si je puis m'exprimer ainsi, que M. le ministre des finances oppose à la ville d'Anvers, n'est, en aucune façon, opposable aux réclamations des habitants de Calloo, qui sont identiques aux réclamations des habitants d'Anvers.
Calloo n'a pas eu de meetings. On a réclamé très convenablement, très respectueusement de la justice de la Chambre qu'elle veuille bien consacrer le principe des indemnités en matière de servitudes militaires.
(page 462) Aujourd'hui, par suite de l'extension donnée au fort Sainte-Marie, les premières maisons de Calloo se trouvent, pour ainsi dire, sous le coup d'un pistolet qu'on déchargerait du fort.
Ne pas faire droit aux réclamations de Calloo parce qu'on aurait à se plaindre d'Anvers, rappellerai ces mots du fabuliste :
« Hélas, on voit que, de tout temps,
« Les petits ont pâti des sottises des grands. »
Je crois donc que l'exception de dignité des autorités qu'oppose M. le ministre des finances aux réclamations des habitants d'Anvers et de ses environs, n'est qu'un moyen dilatoire, un moyen de ne pas faire consacrer le principe des indemnités, principe dont M. le ministre n'a pas osé contester la légitimité.
Cette légitimité, l'honorable ministre l'a même reconnue, d'une manière formelle, en principe ; mais il pense que si des indemnités doivent être accordées pour les servitudes militaires, il doit en être également accordé pour les autres servitudes légales établies au profit de la société.
Eh bien, c'est ce principe de l'indemnité appliqué à toutes ces servitudes que j'ai déjà eu l'honneur de soutenir dans cette enceinte et que je me permets encore de soutenir.
En ce qui concerne l'objection que l'on puise habituellement dans les lois de 1791 et de 1811, elle ne me semble nullement fondée.
Quel est, en dernière analyse, le principe de ces fois ?
Veuillez, messieurs, ne pas le perdre de vue : il se trouve proclamé par cet axiome de Louis XIV : « La France m'appartient ; les personnes et les biens, je puis en disposer. »
Remarquez, messieurs, que le principe de l'omnipotence du gouvernement proclamé par Louis XIV, a passé à travers la régence, à travers la république, à travers l'empire, à travers la restauration, à travers la monarchie de juillet, et qu'il est encore considéré comme une vérité en France.
Mais ce principe ne peut pas se concilier avec celui de l'inviolabilité de la propriété tel que l'a entendu notre congrès de 1830.
Il faut donc laisser de côté, lorsqu'il s'agit des servitudes militaires nouvelles, les lois de 1791 et de 1811, parce qu'elles sont inconciliables avec notre Constitution du 7 février 1831.
Messieurs, la question soulevée par la pétition d'Anvers est une question de principe, et je demande de dire en peu de mots ma manière d'apprécier cette question.
D'une part tous les citoyens ont l'obligation de concourir à la défense de leur pays au moyen de leurs personnes et de leurs biens. C'est un principe incontestable, je crois.
Ainsi nous devons concourir à la défense du pays soit au moyen de nos personnes, soit au moyen de nos biens, soit à la fois au moyen de nos personnes et de nos biens.
De là l'obligation de faire le service militaire ; de là l'obligation de supporter, dans certaines circonstances, l'expropriation de nos propriétés ou l'application des servitudes militaires.
Mais, d'autre part, quel est le devoir du gouvernement ? Son premier devoir, sa première mission est de faire respecter et conséquemment de respecter lui-même tous les droits des citoyens ; et, parmi ces droits, l'un des plus importants est le droit de propriété. De ces devoirs respectifs résultent des droits respectifs. Ainsi pour le gouvernement, du devoir des citoyens de concourir à la défense du pays, résulte le droit de contraindre, au besoin, les citoyens à aider le pays de leur personne et de leurs biens.
Ainsi du devoir du gouvernement de faire respecter tous les droits des citoyens, naît pour ceux-ci le droit d'exiger que le gouvernement remplisse ce devoir, et que, par conséquent, non seulement il fasse respecter les droits des citoyen, mais qu'il commence, avant tout, par donner l'exemple de ce respect.
Maintenant ces droits, comme tous les droits, peuvent arriver à se trouver en collision l'un avec l'autre.
Ce cas arrivant, le droit du plus grand nombre doit-il l'emporter sur celui du plus petit nombre ? Je ne le crois pas. Le droit est le droit. Il existe aussi bien pour les petits que pour les grands. D'après la nature des choses, l'un ne doit donc pas avoir le pas sur l'autre.
Que faut-il donc faire en cas de collision ? Il faut tâcher de concilier les deux droits.
Cette conciliation peut donner lieu à des difficultés pratiques, je le reconnais, mais elle n'est pas moins réalisable.
Ainsi, dans l'espèce, le droit du gouvernement de créer, pour la défense nationale, des servitudes militaires se trouve en collision avec le droit qu'ont les habitants de Calloo et d'Anvers d'exiger du gouvernement qu'il respecte leurs propriétés. Y a-t-il moyen de concilier ces deux droits ? Cela me paraît évident.
Que l'on consacre le principe de l'indemnité en matière de servitudes militaires. et l'on obtiendra ce résultat : d'une part, les citoyens dont les biens seront grevés de ces servitudes, rempliront leur devoir de concourir à la défense du pays par le sacrifie d'une partie de leur droit de propriété ; et, d'autre part, le gouvernement remplira son devoir de respecter les propriétés des citoyens, en les indemnisant, d'une manière équitable, du sacrifice qu'il leur aura demandé.
Mais cette indemnité, qui l'appréciera ? Est-ce le législateur ? Cela n'est pas possible. Le législateur peut fixer quelques grands principes, mais c'est aux tribunaux d'en faire l'appréciation.
On pourrait dire, par exemple que l'indemnité est due pour tout dommage actuel et réel, et les tribunaux auraient à décider si le dommage est actuel et réel et quelle est son importance.
J'ai fait ces observations, messieurs, parce que, dans une discussion comme celle-ci, il importe que chacun de nous fasse connaître ses vues, afin qu'on puisse arriver une bonne fois à mettre un terme aux difficultés que soulèvent incessamment les servitudes militaires.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les honorables préopinants ont paru s'étonner beaucoup de la déclaration que j'ai faite et répétée au nom du gouvernement, que les circonstances ne me paraissent en aucune façon permettre de faire actuellement des propositions à la Chambre relativement aux réclamations de la ville d'Anvers.
Ils trouvent que c'est un vain prétexte que d'invoquer la dignité dos pouvoirs publics en ces circonstances. Messieurs, on a déclaré à Anvers que l’on se mettait en révolte légale, on a déclaré que l'on refuserait de continuer à se faire représenter dans les Chambres ; et, en effet, pour bien constater cet état de révolte légale, on a refusé récemment d'envoyer un représentant au Sénat.
Et d'honorables membres trouvent tout simple que, dans une pareille situation, l'on vienne faire à la Chambre une proposition qui revient à dire : Rien n'est plus convenable pour les pouvoirs publics que de s'incliner devant de pareilles manifestations, que de déférer humblement aux vœux formulés avec autant de respect pour nos institutions !
Je me permets de penser que si les Chambres et le gouvernement pouvaient hésiter un seul instant à montrer la plus grande énergie en présence de pareils actes, il n'y aurait plus de gouvernement en Belgique ; il n'y aurait qu'un état d'anarchie ! (Interruption). Certainement ! Bruxelles demain pourrait se révolter légalement, et ainsi de suite les autres localités importantes du royaume, chaque fois qu'une prétention quelconque ne serait point admise par les pouvoirs publics. Et quelles prétentions ! Des prétentions comme celle-ci : Vous avez voté une loi, elle ne sera pas exécutée ! Vous avez décrété qu'il y aurait des fortifications, il n'y en aura pas ! Des citadelles ont été élevées pour la défense de la nationalité belge, n’importe ! elles ne nous conviennent pas ; démolition des citadelles ! Et l'on trouvera que ce sont là des prétentions légitimes, et il se trouvera des représentants du pays pour les appuyer ?
M. de Gottal. - Il ne s'agit pas de celles-là.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous les avez soutenues vous-même.
M. de Gottal. - C'est inexact.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne veux pas dire ce que je sais.
- Plusieurs voix. - De pareilles prétentions sont sans doute exagérées. Personne ne les soutient.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ces prétentions sont exagérées, dit-on ; on ne soutient pas ces prétentions exagérées. Mais nous ne sommes parvenus à faire avouer leur exagération que grâce à la résistance que nous leur avons opposée. C'est, d'aujourd'hui seulement qu'on veut bien reconnaître qu'elles sont exagérées ; je n'avais jusqu'ici jamais entendu un pareil aveu.
Jadis, cependant, on a soutenu ces réclamations exagérées qui tendaient à faire accorder une indemnité d'une manière absolue pour le seul fait de l'existence des servitudes. Aujourd'hui on veut bien ne demander d'indemnité que pour autant que la servitude cause un dommage, et on veut bien dire qu'il ne serait pas convenable qu'il en fût autrement. On trouvait cependant très convenable qu'il en fût autrement, il y a quelque temps ; on soutenait alors, et on peut d'ailleurs parfaitement soutenir que le fait seul de l'établissement d'une servitude est par lui-même dommageable ; car s'il ne l'est pas aujourd'hui, il peut empêcher un jour de disposer de la propriété, de changer par exemple un terrain de culture en terrain à bâtir, et il peut priver ainsi le propriétaire d'un accroissement de valeur que son bien aurait pu acquérir.
En fait, c'était bien là ce qu'on soutenait. Aujourd'hui il ne s'agit plus d'indemnité que pour le cas où il y aurait un dommage constaté, (page 464à opération qui est certes bien facile à faire, qui ne donnerait lieu à aucune espèce de contestation, à ce que semblent croire les honorables préopinants !
Messieurs, l'indemnité, même restreinte dans ces limites, serait inique si elle était appliquée à la seule ville d'Anvers. Que diriez-vous si l'on inscrivait dans la loi sur la milice une disposition de ce genre : Les miliciens de l'arrondissement d'Anvers recevront une indemnité. Quant aux miliciens du reste du pays, ils sont de la colonie ; la métropole est satisfaite ; chacun doit l'être dès lors, et les autres peuvent servir sans indemnité !
Eh bien ! la situation est exactement la même, lorsque vous venez demander pour Anvers une loi spéciale quant aux servitudes, une loi qui aurait pour effet de proclamer cette étrange exception : Les propriétaires de l'arrondissement d'Anvers ne supporteront pas les charges foncières sans indemnité.
M. Loos. - Personne n'a demandé cela.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Personne n'a demandé cela ! Mais on a fait de longues dissertations pour établir qu'il devait y avoir une exception en faveur d'Anvers. Nous vous prouvons que les prétentions sont tellement exorbitantes, qu'on n'ose plus les avouer. Mais cependant vous ne demandez l'indemnité que pour les servitudes autour d'Anvers ; car lorsque je parle d'autres servitudes, que répondez-vous ? Elles ont été supportées depuis longtemps ; elles n'existent pas d’hier, comme pour Anvers ! Mais pour Diest, c'est d'hier.
M. de Gottal. - Nous l'acceptons pour Diest aussi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous acceptez l'indemnité pour Diest, c'est très bien. Mais les servitudes imposées le long des chemins de fer, comptez-vous aussi en indemniser ceux qui en sont frappés ?
M. de Gottal. - Oui.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Très bien. Mais les indemnités du chef des servitudes douanières les plus lourdes de toutes, à la fois personnelles et réelles ; accorderez-vous également une indemnité du chef de ces servitudes ? Nous en avons qui ne sont pas établies non plus depuis bien longtemps ; il en est qui datent de 1840 seulement et qui sont la conséquence de notre traité avec la Hollande.
Ces servitudes douanières sont bien autrement lourdes et onéreuses que les servitudes militaires qui, sauf de rares exceptions, ne causent pas de charges directes, tandis que celles-là frappent sans distinction et directement, tous les habitants du rayon dans lequel elles sont établies.
Eh bien, parce que les habitants qui les supportent ne se sont pas plaints, parce qu'ils ne se sont pas insurgés, parce qu'ils ne se sont pas mis en révolte légale, ceux-là seront-ils mis hors la loi ? Oh ! je dis, messieurs, que ce serait là une indignité !
Au surplus, nous le répétons, quant aux servitudes militaires, nous avons dit toujours que nous ne refusions pas de faire ce qui était juste, ce qui était équitable ; nous l'avons proclamé en déclarant que quand le moment serait venu, lorsqu'il nous paraîtrait opportun, lorsque notre dignité nous le permettrait, nous le ferions.
Ainsi la permission de construire, vrai sujet de réclamation quant aux servitudes intérieures, la permission de construire sans pouvoir être molesté, sans que la démolition puisse être ordonnée, dans un certain rayon, cela a été parfaitement accordé dès le premier jour. Ainsi encore le droit de réparer, même de reconstruire dans le rayon réservé, nous sommes disposés à l'admettre.
Eh bien, nous le déclarons encore, lorsque le moment sera venu nous ferons à la Chambre des propositions qui concilieront dans une juste mesure les divers intérêts engagés dans la question, non, bien entendu, par une législation spéciale, mais par une législation générale applicable au pays tout entier.
M. de Gottal. - Messieurs, le raisonnement de M. le ministre des finances revient toujours à celui-ci : « Nous ne ferons rien, parce que nous ne pouvons tout faire. » Et pour nous réfuter plus commodément, il nous prête un langage que nous n'avons pas tenu. Ainsi, dans les discours prononcés dans cette séance, pas plus que dans ceux qui ont été prononcés dans la session précédente, personne de nous n'a demandé une loi sur les servitudes militaires, accordant une indemnité seulement pour Anvers ; personne non plus n'a demandé l'indemnité pour l’établissement, mais pour le dommage causé par l'établissement de la servitude militaire ; ce que nous avons demandé, ce que nous demandons, c'est une loi générale, comme la loi anglaise, comme la loi hollandaise.
M. le ministre des finances est venu soutenir que j'avais demandé la démolition des fortifications et de la citadelle d'Anvers. Il y a à cet égard une erreur. J'ai demandé que la Chambre voulût bien nommer une commission d'enquête, afin d'examiner si l'on ne pourrait pas concilier l'intérêt de la défense du pays avec l'intérêt de la métropole commerciale.
Du reste, je n'hésite pas à dire qu'il est dans le désir, dans le cœur de tous les Anversois de voir disparaître les fortifications d'Anvers. Moi-même je voudrais voir démolir ces fortifications. Lorsqu'on a discuté ici la loi sur la grande enceinte, j’ai dit que je l'acceptais, pour échapper à un mal plus grand ; que, dans l'intérêt de la défense du pays, Anvers devait être fortifiée, parce qu'il n'y avait pas possibilité, à cette époque, de faire voter des fortifications sur un autre point du pays.
Voilà ce que j'ai dit, c'est dans ces idées que je persévère ;- mais je ne veux pas qu'on me prête un langage que je n'ai pas tenu.
Que vient dire encore M. le ministre des finances ? Nous jugerons quand le moment sera opportun de réviser la législation. Mais quand le gouvernement jugera-t-il le moment opportun ?
C'est en 1860 que les premières réclamations se sont produites, le moment n’était-il pas opportun ?
Le gouvernement reconnaît aujourd'hui, il l'a reconnu déjà dans la discussion du mois de mars de l'année dernière, que sur certains points la législation était inique, il vous déclare qu'il a toujours été d'avis qu'il fallait autoriser les travaux d'entretien, les réparations, même les reconstructions.
Et que fait-il, malgré cet aveu formel ? Il n'en continue pas moins à exécuter avec sévérité la loi actuelle. On poursuit devant les tribunaux ceux qui se permettent la moindre infraction au décret de 1811.
L'honorable ministre des finances me fait un signe de dénégation ; mais la preuve évidente de ce que j'avance se trouve dans l'arrêt même de la cour de Bruxelles, en date du 8 décembre 1862.
Présenter aujourd'hui un projet de loi, aux yeux de l'honorable ministre, ce serait faire croire que le gouvernement a cédé à une pression.
Mais qui donc supposera que c'est à de pareils motifs que céderait M. le ministre des finances ?
Nous avons à examiner la question en dehors des clameurs du dehors, nous avons à nous mettre au-dessus d'elles, à examiner, à juger sans pression, mais aussi sans prévention.
Je ne puis donc admettre que l'on se retranche derrière ces prétextes de pression, d'inopportunité pour se refuser à faire ce que depuis deux ans on reconnaît comme juste.
M. Vervoort. - Messieurs, je ne viens pas faire un discours ; je me réfère aux observations que j'ai eu l'honneur de présenter, au mois de mars de l'année dernière, j'ai longuement traité alors toutes les questions reproduites aujourd'hui devant vous. Je constate que M. le ministre des finances, organe du gouvernement dans cette circonstance, se rallie aux conclusions principales de mon discours du 16 mars 1862.
Je disais, après avoir parlé des indemnités :
« Pourquoi ne pas, tout au moins, accorder l'autorisation de réparer et de reconstruire dans les mêmes conditions et dimensions ? »
M. le ministre des finances a déclaré franchement aujourd'hui que ce système, il l'adoptait ; mais il croit les circonstances inopportunes pour le présenter à la sanction du Parlement. Je ne partage pas cette opinion. Dès avant 1854 le gouvernement s'est sérieusement occupé de la matière des servitudes militaires. Il a formulé un projet de loi, qui fut soumis à l'avis de certains corps constitués.
Pendant la longue période des discussions relatives aux fortifications d'Anvers, il a été constamment question des servitudes militaires ; on s'en est occupé spécialement en 1856 dans la section centrale dont faisait partie l'honorable M. Coomans ; et le gouvernement a fait alors des promesses.
Il s'en est agi plus tard ; et chaque fois le gouvernement a déclaré que le projet était à l'étude et qu'il s'en occupait sérieusement.
Depuis longtemps le gouvernement a donc contracté une véritable dette ; non seulement envers les propriétaires des environs des fortifications d'Anvers, mais encore envers tous les propriétaires qui se trouvent dans des conditions identiques ; il s'était engagé à étudier la question, il avait même formulé un projet et il est fort regrettable qu'il ne l'ait pas soumis à la législature lors de la présentation du projet des fortifications d'Anvers.
La matière est assurément assez importante pour être réglée par une loi belge.
Les servitudes militaires sont régies en Belgique par une loi de 1791 et par un arrêté du roi Guillaume, du 4 février 1815.
C'est à tort, selon la Cour d'appel de Bruxelles et selon moi, que (page 465) M. le ministre de la guerre a tenté d'y ajouter le décret exorbitant de Napoléon Ier, du 9 décembre 1811. Eh bien, je dis que la matière valait bien les honneurs d'une loi nationale ; cette loi, on la doit depuis longtemps ; et au lieu de la demander à la législature, le gouvernement a exécuté avec une rigueur extrême, en invoquant les devoirs de sa position, la législation existante qu'il reconnaît injuste sur plusieurs points.
Je ne veux pas revenir sur l'indemnité dont mes honorables collègues d'Anvers viennent de parler d'une manière complète, mais veuillez-vous rappeler, messieurs, quelques, faits décisifs que je vous ai signalés au mois de mars 1862.
Quand les fortifications ont été décrétés, il y avait des maisons en construction. Si mes renseignements sont exacts, elles n'ont pu être achevées et ont même été démolies.
J'ai appelé aussi votre attention sur les usines des environs d'Anvers.
Il en est une de la plus haute importance, puisque son établissement a coûté 2,500,000 fr.
Or, le propriétaire a besoin de travailler librement, de suivre les impulsions du progrès pour exister, pour prospérer, pour soutenir la concurrence.
La propriété principale de l'industrie, c'est le droit d'exercer son industrie.
C'est l'exercice de ce droit qu'il doit surtout défendre et conserver.
Les hangars qui abritent des machines et les autres constructions qui servent à mettre son industrie en œuvre ne sont qu'un accessoire à la différence des bâtiments ordinaires que les lois sur la matière ont en vue.
En empêchant la réparation et la reconstruction des bâtiments de l'industriel, on frappe de mort son industrie et on arrive à l'expropriation indirecte sans indemnité.
C'était donc l'exercice de l'industrie qu'on frappait avec une rigueur excessive, en interdisant les travaux de réparation.
Se fondant sur le décret de 1811, le ministre disait devant les tribunaux : « Ou bien, vous faites les travaux de réparation sans mon autorisation, et alors je ferai procéder immédiatement à la démolition ; ou bien vous ferez procéder à ces travaux, après en avoir obtenu la permission et alors votre propriété devient un bien national et peut être démolie sans indemnité quand la nécessité de la défense l'exigera. »
La cour d'appel de Bruxelles a repoussé ce système et a décidé que le décret de 1811 a été aboli en Belgique ; mais le gouvernement n'en a pas moins soutenu que ce décret devait être appliqué à l'usine de M. Wood
Messieurs, je dis que le gouvernement avait comtracté l'obligation de présenter un projet de loi sur les servitudes militaires et qu'au lieu de s'acquitter de cette dette sacrée envers tous les Belges qui sont intéressés dans ces questions, il a appliqué avec une sévérité exagérée les lois actuelles, en cherchant à y englober le décret draconien de 1811, qui n'existe plus pour nous.
En présence de cette situation, il faut immédiatement porter remède au mal. Voyez où nous en sommes encore ! Que le feu vienne à détruire une maison ou la foudre à abattre des arbres qui existaient depuis longtemps aux environs d'Anvers dans le rayon des servitudes, et les propriétaires ne pourront ni rebâtir ni replanter.
Je suis tenté de croire que dans ce cas le gouvernement userait de tolérance ; il faut que la loi mette un terme à une pareille situation.
Dans d'autres pays on a sagement réglé la matière des servitudes militaires, on s'est empressé de le faire en Hollande depuis notre séparation.
Il est des principes si respectables qu'il ne faut jamais les laisser à l'écart. Il s'agit de droits si sacrés qu'on ne peut se dispenser de leur donner immédiatement la juste satisfaction qui leur est due.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, lorsque nous avons discuté en 1859 la grande enceinte, il est possible que si on avait soulevé la question du principe de l'indemnité du chef de servitudes, principe sur lequel on s'est tu alors prudemment, il est possible que nous nous fussions empressés de formuler un projet de loi pour régler cet objet
Mais à cette époque on s'est tu sur les servitudes.
M. Goblet. - J'ai attiré l'attention de la Chambre sur la question des servitudes, et personne n'a relevé mes observations ; au contraire.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Au contraire ? personne donc ne s'est occupé des servitudes ?
M. Goblet. - Ni ministère, ni Chambre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le ministère n'avait évidemment pas h soulever cette question, puisqu'il n'a jamais été d'avis qu'on pût réclamer des indemnités du chef des servitudes militaires. Maïs les membres qui sont venus ultérieurement soutenir la thèse contraire, devaient savoir ce qu'ils se proposaient de faire plus tard, et ils auraient dû s'en expliquer à ce moment où la Chambre votait, en pleine connaissance de cause, cette grande dépense des fortifications d'Anvers. Mais alors on s'est tu sur la question de l'indemnité comme on s'est tu sur la question des citadelles.
Depuis, lorsque la question s'est présentée, nous nous en sommes expliqués très franchement et très loyalement ; et si je prends encore la parole, c'est pour faire remarquer l'erreur dans laquelle vient de tomber l'honorable M. Vervoort, qui semble prendre acte d'une concession que je viendrais de faire au nom du gouvernement. J'aurais, selon l'honorable membre, reconnu enfin qu'il y avait lieu d'apporter des modifications à la loi sur les servitudes, comme si le gouvernement ne l'avait jamais reconnu ! Mais, dans cette même séance de mars 1862, à laquelle l'honorable membre vient de faire allusion en invoquant les paroles qu'il-a prononcées, j'ai eu aussi à m'expliquer. L'honorable membre me disait alors : Ainsi, il n'y a rien à faire en ce qui concerne les servitudes, vous n'entendez faire aucune espèce de concession ?
M. Vervoort. - Je disais : Vous voulez donc le maintien du statu quo ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ; et aujourd'hui vous déclarez que je viens de faire une concession ?
M. Vervoort. - J'ai dit que c'est la conclusion des explications que vous avez données.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est important de bien constater que, depuis très longtemps, et chaque fois que la question s'est produite dans la Chambre, nous avons reconnu qu'il y avait lieu d'introduire des modifications à la loi sur les servitudes.
Voici comment je m'exprimais, à la séance du 19 mars 1862, répondant à un discours de l'honorable M. Vervoort :
« Puisque j'ai la parole j'ai deux mots à dire en réponse à l'honorable M. Vervoort.
« Il s'est attaché à démontrer que le gouvernement aurait déclaré, de la manière la plus absolue, qu'en fait de servitudes militaires il n'y avait rien à faire, qu'il fallait s'arrêter devant cette déclaration. Le gouvernement n'a rien dit de semblable ; Il a discuté la question qui fait l'objet des préoccupations des pétitionnaires, l’établissement de la citadelle du Nord et l'établissement des servitudes. Sur ces deux points, il a donné les explications les plus précises, les plus catégoriques.
« Quant aux autres points, il n'avait pas à s'en occuper ; ils ne sont pas à l'ordre du jour. La servitude intérieure nous en avons dit quelques mots ; mais ces questions ne sont pas soumises à la Chambre.
« ... Nous nous sommes occupés de ce qui fait l'objet des préoccupations d'Anvers. Personne n'a prétendu qu'il n'y eût pas lieu d'apporter quelques modifications à la loi sur les servitudes militaires ; le contraire résulte clairement des explications données par M. le ministre de la guerre dans une lettre qu'il a écrite au bourgmestre d'Anvers. Si l'on veut proposer, a-t-il dit, une modification à la loi en ce qui touche la réduction de la zone de servitude jusqu'au Vosse-Schyn, je ne m'y oppose pas.
« La question reste donc tout entière dans le domaine du gouvernement. Mais ce n'est pas en présence de ce qui s'est passé que le gouvernement fera une proposition. Ce qui prouve ses dispositions conciliantes, c'est qu'il y a des projets élaborés depuis 1854. Ces projets seront présentés en temps opportun. Quant à la question principale, nous avons dit notre pensée, nous croyons qu'il n'y a pas lieu à indemnité. »
Ainsi, dès cette époque, nous avons reconnu qu'il serait juste, équitable, d'introduire certaines modifications dans la loi sur les servitudes militaires ; nous avons même précisé quelques points sur lesquels ces modifications pourraient porter. En cela encore, aujourd'hui comme alors, nous persistons dans les mêmes sentiments. Nous croyons que c'est donner une grande et légitime satisfaction à ce qu'il peut y avoir de fondé dans les réclamations soumises à la Chambre, que d'annoncer l'intention d'introduire, d'une manière générale, certaines modifications dans la loi sur les servitudes militaires.
M. Van Humbeeck. - Je ne viens pas reprendre la question des servitudes militaires, mais je tiens à appeler l'attention de la Chambre sur la solution qui me paraît devoir être donnée au débat actuel et sur la portée de la proposition qui nous est faite par les honorables représentants d'Anvers.
Que dit cette proposition, messieurs ? Proclame-t-elle le moindre principe spécial, déterminé ? Non ; elle n'en proclame aucun : elle dit (page 466) simplement qu'il y a lieu à une révision de la législation sur les servitudes militaires, et c'est là une thèse sur laquelle tout le monde est d'accord, gouvernement et pétitionnaires ; seulement, on diffère du plus au moins.
Les auteurs de la proposition viennent vous dire tout simplement : Il y a quelque chose à faire. Le gouvernement répète, après eux, comme il l'avait dit précédemment : Il y a quelque chose à faire ; cependant il ajoute : Ce n'est pas le moment pour la Chambre de proclamer qu'il y a quelque chose à faire. Et on étaye cette fin de non-recevoir sur une raison de dignité. Eh bien, cette raison de dignité, je déclare, pour ma part, que je ne puis l'accepter ; j'ai cependant la prétention d'être, en âme et conscience, bon juge de ma dignité personnelle et de ma dignité de représentant, par conséquent de la dignité de la Chambre. Aussi je tiens à m'expliquer brièvement sur ce point.
Pour moi, messieurs, la dignité des corps publics est de ne pas céder à une pression illégitime quelconque, mais aussi de ne pas même y être sensible. La dignité des corps publics, c'est l'impassibilité.
Nous devons, en présence de la question qui est soulevée, en présence de cette nécessité d'une réforme proclamée par tous, nous devons rester impassibles ; nous devons savoir braver les agitations du dehors ; mais nous devons, malgré les torts des intéressés, savoir faire justice, comme nous devrions savoir résister d'une manière inébranlable à toute pression qui aurait pour effet de nous faire commettre une injustice.
Quelques proportions qu'elle ait prises et quelque blâmable qu'elle ait pu être par instants, il ne faut pas que la pression du dehors puisse exercer la moindre influence sur notre décision.
Nous devons savoir demeurer calmes ; voilà la véritable force, la véritable dignité ; restons impassibles, qu'on ne puisse nous entraîner à aucune injustice, mais aussi qu'on ne puisse pas nous empêcher de faire justice.
Et que dit-on encore ? Si ce système qu'on cherche à faire prévaloir triomphe, si l'on s'aperçoit qu'il suffit de faire de l'agitation pour obtenir du gouvernement une concession, aujourd’hui c'est Anvers qui s'agite, demain ce sera Bruxelles, plus tard d'autres localités.
J'aime à croire, messieurs, que Bruxelles a été cité ici en forme d'exemple seulement et que je n'ai besoin de faire aucune espèce de protestation en faveur de ma ville natale.
Mais M. le ministre des finances, en produisant cet argument, ne s'est pas bien rendu compte de l'état de la question. Ce que demandent les agitateurs, ceux aux prétentions desquels on ne veut pas céder, c'est tout autre chose que ce qui se trouve dans la proposition des honorables députés d'Anvers.
Cette agitation dont on vous parle, qui veut la proclamation générale, absolue du principe de l'indemnité de la manière la plus large et sans aucune appréciation des circonstances particulières, cette même agitation voulait ainsi la démolition des citadelles, et c'est là surtout ce qui a compliqué le conflit.
La question toute particulière de l'indemnité du chef des servitudes a été confondue dans la question plus générale des citadelles ; elle n'a occupé qu'une place toute secondaire dans les causes de l'agitation, dont on se plaint et à laquelle on ne veut point avec raison paraître céder ; la cause principale de cette agitation réside dans la question des citadelles, complétement étrangère à la proposition qui vous est soumise.
Cette proposition n'est donc aucunement, ni dans la pensée de ses auteurs ni dans celle des membres qui l'appuient, une concession faite à des agitations qui peuvent avoir atteint par moments des proportions infiniment regrettables et que je suis le premier à déplorer.
Je reste donc fidèle à la conviction que j'exprimais tout à l'heure : notre dignité est d'être impassibles devant les agitations du dehors et de ne point refuser de faire justice, parce que les intéressés se sont mis dans leur tort.
Jamais nous ne devons consacrer une injustice, parce qu'on aurait voulu nous l'imposer par la pression ; sachons faire justice sans nous préoccuper davantage de cette pression. Je voterai la proposition des honorables représentants d'Anvers.
M. Dolez. - Quant à moi, je voterai contre la proposition des honorables députés d'Anvers, et cela précisément pour les motifs qui viennent d'être développés par notre honorable collègue de Bruxelles.
Si, messieurs, la Chambre doit rester impassible, si, au nom de sa dignité même, elle ne doit pas tenir compte des faits déplorables qui se sont passés à différentes reprises dans la ville d'Anvers, comment doit-elle manifester son impassibilité ? En procédant, à l'égard des pétitions dont elle s'occupe en ce moment, comme elle le fait à l'égard de toutes autres pétitions, en ne prenant pas des mesures exceptionnelles, en restant dans les termes de son règlement dont les prescriptions sont en harmonie avec notre dignité.
Quelles sont les mesures que la Chambre a à sa disposition à propos de pétitions ? L'ordre du jour, qui est la mesure de rigueur ; le dépôt au bureau des renseignements, qui implique certains égards pour les pétitionnaires ; le renvoi au gouvernement, qui indique que la Chambre attache une certaine importance à la pétition, et le renvoi avec demande d'explications, quand la pétition présente un intérêt à l'égard duquel la Chambre croit que le gouvernement lui doit des explications. Hors de là, le règlement ne prévoit aucune mesure à prendre sur un rapport de pétitions. Or, que demandent nos honorables collègues d'Anvers ? Une déclaration de principe précédant le renvoi au gouvernement, c'est-à-dire une mesure exceptionnelle, en dehors de notre règlement et de nos pratiques. Cette déclaration, je la repousse encore au nom de la dignité de la Chambre.
Quand la Chambre croit qu'il y a lieu de modifier une loi existante ou de porter une loi nouvelle, elle a le droit de formuler directement un projet ; elle doit donc attendre les propositions du gouvernement ou les formuler elle-même ; cette marche peut être suivis dans le cercle de ses pouvoirs, par chacune des trois branches du pouvoir législatif. Mais je ne pense pas que l'une de ces branches puisse, à l'occasion d'une pétition, inviter le gouvernement à rendre l'intérêt traité par cette pétition l'objet d'une loi nouvelle ou d'une modification à une loi existante ; il y aurait une sorte d'anarchie si une des branches du pouvoir législatif, au lieu d'user de son droit d'initiative, invitait une autre branche de ce pouvoir à faire une loi dont il déclare ne pas vouloir ou dont il n'admet pas l'opportunité.
Messieurs, ce que j'ai voulu démontrer, c'est que la mesure qu'on propose est exceptionnelle, insolite, que jamais la Chambre ne l'a pratiquée en aucun cas.
Depuis 26 ans que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, si mes souvenirs ne me trompent pas je n'ai pas vu un seul exemple de ce que demandent les honorables députés d'Anvers. Et cette mesure exceptionnelle rien ne la motive, de l'aveu même de l'honorable M. Van Humbeeck, puisqu'il a déclaré ne pas vouloir laisser influencer son vote par les incidents d'Anvers.
Je ne me suis pas ému outre mesure de ce qui s'est accompli à Anvers. J'entrevois le retour à la raison d'une population momentanément égarée ; le jour de la raison reviendra pour elle, j'en ai la ferme conviction : ce que je demande, c'est que la Chambre procède pour cette pétition comme pour toutes les pétitions dignes d'intérêt, dignes de son attention ; l'attitude prise par le gouvernement est d'ailleurs rassurante pour de légitimes intérêts.
Puisqu'il a déclaré accepter le renvoi en faisant connaître les sentiments qui l'animent sur les questions que soulève la pétition, je ne comprends pas après cela quel intérêt peuvent avoir les députés d'Anvers à poursuivre l'adoption de leur proposition ?
A quel intérêt répond-elle ? A aucun, si ce n'est à cette pensée que repousse M. Van Humbeeck, de donner des satisfactions à des exigences si déplorablement manifestées.
Je demande que la Chambre dans l'intérêt de sa dignité, dans l'intérêt de la dignité de nos institutions, adopte le renvoi proposé par la commission et n'adopte pas la proposition de nos honorables collègues d'Anvers, pas plus que celle des honoraires MM. Crombez et Bara.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, on parle beaucoup de dignité ; eh bien, je pense qu'il est très digne de ne pas faire d'équivoque. (Interruption..)
Mais que signifie donc la proposition émanée des honorables représentants d'Anvers, après le langage qu'ils ont fait entendre ? Evidemment qu'il y a lieu à indemnité !
M. Van Humbeeck. - Nous ne votons pas les discussions, mais la proposition.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne votons pas les discours, dites-vous ; mais la signification vraie de la proposition, où la trouvons-nous, si ce n'est dans les discours ?
On ne signe pas cette proposition sans motifs. C'est la conclusion des discours à la suite desquels elle a été produite. Tous les députés d'Anvers se sont levés pour dire : Il y a lieu à indemnité ! Comme conséquence de leurs discours, de leurs déclarations, ils ont formulé la proposition qu'ils convient la Chambre à voter avec eux. Eh bien, je le demande, quelle autre conclusion pourrait-on tirer de cet ensemble de circonstances, sinon que l'on veut faire reconnaître et proclamer par la Chambre qu'il y a lieu de payer une indemnité !
Il n'y a, assure-t-on, pas d'inconvénients à laisser passer cette proposition anodine : « Considérant qu'il y (page 467) a lieu d'introduire des modifications dans la législation sur les servitudes militaires » ! Peut-on faire quelque chose de plus simple ? Y a-t-il quelque raison de s'émouvoir d'une telle déclaration ? Voilà ce que l'on nous dit.
Je soutiens, moi, le contraire de ce que soutiennent les auteurs de la proposition ; pour faire disparaître l'équivoque il faudrait proposer de déclarer formellement, ouvertement, qu'il y a lieu à indemnité du chef des servitudes militaires. C'est là le principe qu'on veut faire voter sous forme de déclaration.
- Un membre. - Toutes les questions sont réservées.
- Un autre membre. - Il n'y a plus d'équivoque.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - I1 n'y en a plus, parce qu'une voix s'écrie que tout est réservé (interruption) ; cela ne signifie rien ! La déclaration est sans signification, si tout est réservé selon vous. (Interruption.) De deux choses l'une : ou la déclaration implique l'admission du principe d'indemnité, ou elle ne signifie rien. Dans les deux cas elle doit être écartée. Je déclare, au surplus, que la motion ne peut en aucune façon être acceptée par le gouvernement.
M. Bara. - Je regrette vivement que M. de Gottal ait proposé d'accompagner de considérations particulières le renvoi au gouvernement des pétitions des conseils communaux des localités environnant Anvers ; mais en présence des paroles de M. le ministre des finances je me trouve dans la nécessité de voter la proposition de M. de Gottal.
L'honorable ministre proclame qu'il est certains points de la législation concernant les servitudes militaires, sur lesquels le gouvernement n'a plus de doutes, qu'il est juste de réviser cette législation, notamment en ce qui concerne les réparations à exécuter aux bâtiments situés dans le rayon de servitude, et pour les constructions à y faire.
Il déclare que la question a été étudiée dès 1854, qu'un avant-projet de loi existe ; l'année dernière dans la discussion qui a eu lieu, le gouvernement était encore d'avis qu'il fallait réviser la législation sur les servitudes militaires.
Eh bien, en présence de ces déclarations, indépendamment de la question d'indemnité sur laquelle je ne me prononce pas, pouvons-nous dire avec M. le ministre des finances qu'à cause des excès auxquels on s'est laissé aller à Anvers, il n'y a pas lieu de s'occuper d'une question qui attend une solution désirée par tout le monde, que la dignité de la Chambre et du gouvernement s'y oppose ? Pouvons-nous admettre que nous répondions à la violence par une autre violence, la violence des pouvoirs publics ?
Nous devons, c'est notre devoir impérieux, examiner toutes les questions qui se présentent ici au point de vue de la justice absolue, et ne pas nous laisser guider par les clameurs du dehors.
Lorsque le gouvernement vient nous dire qu'il est des points sur lesquels il n'y a plus de doute, lorsque de tous les côtés de la Chambre nous constatons notre accord sur ces points, pouvons-nous repousser un amendement qui a pour but de le proclamer ? Pouvons-nous dire : Nous refusons aujourd'hui de reconnaître ce qui est juste et nous le faisons pour entrer en lutte, nous corps public, avec la population d'Anvers.
Quels sont les auteurs des excès qui ont été commis ? J'aime à croire que c'est l'infime partie de la population anversoise ; que ce ne sont que quelques personnes qui ont égaré les électeurs. J'aime à croire que les véritables représentants d'Anvers sont les hommes qui sont dans cette Chambre et qui ont signé la proposition que vous avez à apprécier.
M. Devaux. - Et l'abstention électorale ?
M. Bara. - Soutenez-vous que le vote est obligatoire ? Pouvez-vous dire toutes les raisons qui ont déterminé cette abstention ? (Interruption.)
Savez-vous comment elle a été obtenue et pourriez-vous dire quelle est l'expression sincère, libre du corps électoral d'Anvers ? (Interruption.)
Devons-nous du reste discuter ici le fait d'une abstention électorale ? Parce qu'une population se soustrairait à ses devoirs, est-ce une raison pour refuser de lui faire droit ?
Est-ce que l'empereur de Russie aurait vos applaudissements s'il disait : La Pologne s'est révoltée, j'ai le droit de l'écraser sous le despotisme le plus rigoureux ?.
Non, messieurs, nous ne devons pas dévier de la ligne de la justice ; nous devons examiner la pétition au point de vue des principes et des règles de la raison et de l'équité.
M. le ministre des finances reconnaît qu'il y a lieu à une révision de la législation sur les servitudes militaires, je ne m'occupe pas du principe de l'indemnité, je crois même que c'est une question difficile à résoudre.
Pour ma part, je supprime même, si l'on veut, les considérants de l'amendement.
Je vote la proposition de MM. de Gottal et consorts, parce que je ne veux pas adopter les motifs de l’honorable ministre des finances ; je ne veux pas que l'on puisse croire que c'est à raison de ce qui s'est passé à Anvers, que je ne proclame pas aujourd'hui ce que M. le ministre lui-même avait reconnu juste l'année dernière.
M. de Gottal. - Messieurs, je serai très court.
Je m'étonne qu'après avoir été déjà obligé de demander la parole pour relever des erreurs dans lesquelles est tombé M. le ministre des finances, il persiste dans le système qu'il a mis en pratique aujourd'hui, de me faire tenir un langage que je n'ai pas tenu. J'avais demandé la sténographie pour être plus certain de ce que j'avance.
M. le ministre nous a dit que notre proposition n'avait d'autre signification que de faire prévaloir le principe de l'indemnité.
Quant à moi, j'ai déclaré que le gouvernement ne pouvait plus rester dans l'inaction ; qu'une révision de la loi sur les servitudes militaires (et j'ai ajouté de la manière la plus générale, sans indiquer en quel sens) était nécessaire et que pour qu'aucun doute ne restât à cet égard, je proposais de changer les conclusions de la commission des pétitions dans le sens de la proposition que j'ai signée avec mes honorables collègues d'Anvers.
Je crois que ces explications suffiront. Maintenant, quant à dire qu'il n'y a pas d'antécédents, je ne pense pas que parce qu'une proposition aurait été formulée pour la première fois, ce soit un motif pour la rejeter.
Je vous demande, messieurs, quelle portée auraient les propositions de la commission des pétitions telles qu'elles sont formulées ?
On conclut simplement au renvoi au gouvernement, c'est-à-dire à ce que celui-ci veuille bien entasser cette pétition sur toutes les autres du même genre.
Je pense qu'aujourd'hui nous ne pouvons plus nous borner à une discussion et que nous devons arriver à une solution. Le vote de la Chambre indiquera d'une manière claire que son intention est de voir disparaître cette législation que le gouvernement lui-même condamne déjà en partie comme inique.
Maintenant un mot en réponse à l'honorable M. Dolez qui termine son discours en disant que la députation d'Anvers ne peut, dans sa proposition, avoir d'autre but que de donner satisfaction à des exigences si déplorablement manifestées.
Messieurs, notre but, notre intention n'est pas du tout de donner satisfaction à des exigences quelconques, notre but est de donner satisfaction à des réclamations justes et légitimes, dont la légitimité est reconnue en partie par le gouvernement lui-même.
Je ne vois donc pas ce qui peut s'opposer à l'adoption de la proposition.
M. le président. - Une nouvelle proposition vient de parvenir au bureau ; la voici :
« La Chambre renvoie la pétition à MM. les ministres de la guerre, des finances et de la justice, en émettant le vœu que le gouvernement continue à s'occuper de la révision de la législation sur les servitudes militaires.
« Signé Bara. »
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M.- de Gottal a une façon toute particulière de raisonner. II vous dit : On m'attribue des choses que je n'ai pas dites, on me fait tenir un langage que je n'ai pas tenu, c'est un moyen commode de me réfuter.
Quel langage ai-je prêté à l'honorable membre ? qu'ai-je supposé qu'il avait dit ? Absolument rien, je ne lui attribue aucune parole. Je me suis simplement permis de qualifier le sens de son amendement.
M. de Gottal. - Je l'avais expliqué.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais vous l'expliqueriez vingt fois, que vous ne pourriez m'empêcher de le qualifier, de l’apprécier ! Par conséquent c'est tout à fait à tort que vous protestez contre le langage que j'ai tenu.
J'ai résumé les conclusions des discours qui ont été prononcés, et j'ai dit que l'amendement avait nécessairement la signification des arguments présentés pour l'appuyer. J'ai dit ce qui, à mon sens, résulterait nécessairement de l'adoption pure et simple de l'amendement.
L'honorable M. Bara voudrait maintenant substituer une autre rédaction à la première. Mais toutes deux ont le même sens, la même signification, la même portée.
M. Crombez. - La proposition a été rédigée par moi, et M. Bara l'a signée avec moi.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il s'agit dans les deux cas de faire décider par la Chambre qu'il y a à faire autre chose que ce que le gouvernement a fait jusqu'à présent.
(page 468) Notre thèse est celle-ci : Nous ne croyons pas que le gouvernement doive, dans les circonstances actuelles, soumettre une proposition à la Chambre quant aux servitudes militaires. Nous avons tort ou nous avons raison ; mais telle est notre appréciation, et nous sommes ici pour être jugés par vous.
Voilà donc notre position ; elle a été telle depuis que la question anversoise est née.
Nous nous sommes expliqués ainsi en mars 1862. Nous avons eu l'approbation de la Chambre et du Sénat pour cette attitude.
Nous tenons exactement le même langage aujourd'hui.
Mais on veut quelque chose de plus...
M. Bara. - Mais non !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment ! Prétendrez-vous que les déclarations que l'on veut faire voter sont sans signification ?
M. Bara. - Je ne veux pas entrer en lutte avec le corps électoral d'Anvers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous voulons conserver notre liberté d'appréciation, malgré la lutte ouverte par les manifestations d'Anvers, tandis que l'amendement serait au contraire une satisfaction donnée à ces manifestations. (Interruption.) Alors que voulez-vous faire ? Vous voulez donc blâmer le gouvernement ? (Interruption.) Mais sans doute : sinon c'est un véritable enfantillage ; votre conduite est incompréhensible.
Vous prétendez que l'amendement ne signifie pas que des indemnités sont dues, qu'il ne signifie pas que l'on cède devant les manifestations d'Anvers ; qu'il ne signifie pas que l'on s'incline, que l'on se met à genoux devant la révolte légale ! Il ne signifie donc rien du tout ! et pourtant vous le soutenez avec passion ! Eh bien, c'est là une chose déraisonnable, c'est là une chose incompréhensible. Quant à moi, je ne conçois pas que l'on puisse soutenir une pareille thèse.
M. le président. - Je dois déclarer que je m'étais trompé en disant que la proposition dont j'ai donné lecture était de M. Bara, elle est de M. Crombez et signée par M. Bara.
M. Dolez. - J'ai demandé la parole en entendant notre honorable collègue M. Bara dire, et dire avec raison, que la Chambre n'avait pas à se passionner contre le collège électoral d'Anvers. Mais quel est donc le moyen de montrer que la Chambre r este impassible dans sa dignité, dans sa force, vis-à-vis des manifestations anversoises ?Mais la seule manière pour la Chambre de le montrer, c'est de suivre, à l'égard des pétitions anversoises, ses usages, ses errements, son règlement. Je ne comprends pas que l'on aboutisse à une mesure exceptionnelle, à une mesure insolite, à une mesure sans exemple dans cette Chambre, quand on proclame en principe que notre vote ne doit point subir l'influence de ce qui s'est passé à Anvers. Or, je demande s'il est un seul des membres de cette Chambre qui puisse citer un exemple dans lequel la Chambre aurait procédé comme le proposent les honorables députés d'Anvers.
Je vous ai rappelé tout à l'heure votre règlement et je vous ai montré que la mesure que l'on propose lui est tout à fait contraire.
J'ai, je pense, démontré également que la proposition était contraire à la dignité de la Chambre en ce qu'elle paraîtrait céder à une sorte de pression, si elle adoptait une mesure que tous ses usages repoussent.
Elle l'est encore sous un autre rapport.
Ou vous émettriez un vœu, selon la proposition des honorables MM. Crombez et Bara, ou vous diriez : Considérant qu'il y a lieu de réviser la législation sur les servitudes légales, d'après la proposition de nos honorables collègues d'Anvers, et vous enverriez ce vœu ou ce considérant au gouvernement.
Mais si le gouvernement n'en tient pas compte, qu'aurez-vous fait en lui adressant votre vœu ? Une chose vaine, sans efficacité, sans résultat et par cela même peu en harmonie avec le soin de votre dignité.
Je ne connais, messieurs, qu'une seule occasion dans laquelle la Chambre procède vis-à-vis du gouvernement par voie de vœux ; c'est quand elle vote l'adresse en réponse au discours du Trône. Là elle procède parfois par émission de vœu. Mais dans toutes les autres circonstances, la Chambre procède par des votes qui ont la sanction de sa propre autorité.
Je vous demande donc, en vertu des considérations qui ont été émises et par l'honorable M. Bara et par l'honorable M. Van Humbeeck, de traiter la pétition qui vous est soumise en ce moment comme toutes les autres pétitions, vous bornant à la renvoyer au gouvernement sans y ajouter le vœu que proposent nos honorables collègues de Tournai ou le considérant de nos honorables collègues d'Anvers.
Et en réalité, je vous le demande, le résultat ne sera-t-il pas le même ?
Que le vœu soit émis ou qu'il ne le soit pas, la situation restera la même.
Vous connaissez les déclarations du gouvernement, sa ferme volonté de modifier ce qu'il y a de trop rigoureux dans la législation sur les servitudes.
Le gouvernement présentera la loi, lorsque le moment opportun sera venu. L'adoption des propositions que je combats ne modifiera pas cette situation.
Où est donc son utilité ? Je ne la vois nulle part. Le gouvernement pourra, après votre proposition comme avant, attendre le moment opportun pour présenter son projet de loi et vous savez que c'est ce qu'il fera.
Encore une fois, ou votre proposition n'a pas de portée ou elle signifie que vous cédez devant les manifestations si regrettables qui ont eu lieu à Anvers. Vous prétendez que telle n'est pas votre pensée. Eh bien, n'insistez pas sur une proposition qui n'a pas de portée, si ce n'est celle-là.
M. Guillery. -Messieurs, je ne m'attendais pas, je l'avoue, à voir dégénérer cette question en une question de procédure.
Elle a, au fond, une très grande importance ; il ne faut donc pas nous égarer dans des discussions.
Je suis peiné, je l'avoue, lorsque je vois que, sur une proposition faite à la Chambre d'ordre du jour motivé ou de renvoi motivé, on vient contester à l'assemblée le droit d'agir comme elle l'entend. Je le déclare, depuis vingt ans que je m'occupe spécialement et assidûment de ces questions, je n'ai jamais pensé qu'il y eût un seul cas où la Chambre n'eût pas le droit de voter comme elle l'entend. Le règlement ne lui donne pas le droit de blâmer les ministres, et ne lui dénie pas le droit de présenter des ordres du jour motivés. Elle peut présenter une pétition au Roi pour demander le renvoi des ministres. Elle peut faire tout ce qu'elle croit bon, juste, utile dans l'intérêt général.
Je considère réellement comme tout à fait indigne d'elle de venir discuter ici si tel article du réglementa été appliqué de telle manière.
Ce qui n'est pas défendu par le règlement est permis. Il n'y a pas d'article du règlement qui permette les ordres du jour motivés ; et la question est tellement puérile que si vous le vouliez, il serait tout simple, au lieu du renvoi aux ministres, de dire : La Chambre considérant, etc., passe à l'ordre du jour. Ce n'est qu'une question de procédure. Il suffira de cinq minutes au premier procureur venu pour mettre la question sur pied, de manière qu'elle soit conforme au règlement.
Ce que je vois d'important dans la question, c'est le dissentiment qui se produit. Et je n'accepte pas le dilemme par lequel a terminé l'honorable préopinant, qui nous a dit que de deux choses l'une, ou nous nous mettons à genoux devant des manifestations coupables, ou la proposition ne signifie rien.
Je n'admets pas non plus le dilemme de l'honorable ministre des finances qui nous dit : De deux choses l'une, ou la proposition implique l'indemnité ou elle ne signifie rien.
Messieurs, l'honorable M. Bara a parfaitement expliqué le dissentiment en développant son amendement, et je ne conçois pas qu'on ne le comprenne pas, à moins que ce ne soit parce qu'on n'écoute pas.
Il y a dissentiment parce que d'une part on vient déclarer, au nom du gouvernement, qu'on ne croit pas pouvoir, dans les circonstances actuelles, s'occuper de la question qui vous est soumise ; que le gouvernement ne croit pas, dans les circonstances actuelles, pouvoir prendre l'initiative d'un projet de loi. A tort ou à raison, voilà l'opinion du gouvernement.
D'autres membres de cette Chambre disent qu'ils ne pensent pas que les manifestations blâmables qui se sont produites à l'occasion de réclamations légitimes, puissent empêcher la Chambre de faire droit à des demandes justes.
Voilà donc un dissentiment. Il me semble que ce dissentiment est parfaitement clair.
D'un autre côté, on prétend qu'il n'y a pas lieu de s'occuper des manifestations qui ont eu lieu, d'un autre côté l'on s'en occupe.
Ainsi, il y a un dissentiment entre le gouvernement d'un côté et les auteurs de la proposition de l'autre.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela ; c'est un blâme.
M. Guillery. - Mais non, ce n'est pas un blâme.
M. Dolez. - C'est un blâme moins la franchise. Ce n'est pas se montrer procureur que de demander de la franchise.
M. Guillery. - En fait de franchise personne n'a le droit de me donner des leçons, personne plus que moi n'a fait preuve de franchise. (Interruption.) En vérité, messieurs, je suis stupéfié de voir que cette (page 469) question soulève autant de passion, et que l'honorable M. Dolez, le plus calme de nous tous, perde ici le calme qui lui est habituel ; je suis d'autant plus étonné qu'il me prête des paroles que je n'ai pas prononcées.
M. Dolez. - La Chambre les a entendues.
M. le président. - M. Dolez, je vous prie de ne pas interrompre.
M. Guillery. - Je suis seul l'interprète de ma pensée. J'ai dit que je ne m'attendais pas à voir descendre une question comme celle-là à une question de procédure et dans la suite de mes développements j'ai dit que pour la rédaction il n'y avait qu'à la renvoyer au premier procureur venu.
J'étais déjà bien loin de M. Dolez et je n'ai jamais eu l'intention de le blesser. Le mauvais procédé est dans l'imputation qu'on m'a adressée. (Interruption.) J'ai dit, messieurs, et c'était mon droit, que suivant moi c'était une question de procédure qu'on soulevait, et qu'après avoir exprimé notre pensée soit sous la forme d'un ordre du jour motivé, soit sous la forme d'un renvoi motivé au ministre, la rédaction pouvait être abandonnée au premier procureur venu.
Voilà ma pensée et je n'y trouve rien de blessant pour personne. Si M. Dolez a voulu y trouver quelque chose pour lui, j'en suis fâché, mais cela ne m'empêchera pas de continuer la discussion d'une question beaucoup plus intéressante que de petites questions de personnes.
On dit : C'est un blâme ! Mais ne peut-il pas y avoir de dissentiment sans qu’il y ait blâme ? Ne puis-je pas croire qu'on doit être plus indulgent, sans que pour cela je blâme le gouvernement ? Je n'ai pas plus entendu blâmer le gouvernement dans cette circonstance que je n'ai entendu le blâmer quand j'ai proposé à la Chambre de lui accorder 200,000 ou 300,000 fr. de plus pour l'instruction primaire.
L'honorable M. Devaux a paru croire, dans son interruption, qu'il y avait de ma part approbation de ce qui s'est fait à Anvers. Mais où trouve-t-il cette approbation ?
Ai-je dit un mot qui puisse la faire supposer ?
Il y a, messieurs, dans les grandis circonstances, dans les grandes émotions politiques, il y a deux manières de procéder ; l'une consiste à les braver et à augmenter l’irritation, l'autre consiste à les modérer en agissant soi-même avec modération, avec bienveillance. Les nations qui s'occupent elles-mêmes de leurs affaires sont quelquefois saisies de ces mouvements subits, imprévus, avec lesquels il est plus sage de composer que de lutter. Je crois que cette doctrine, qui n'est pas de moi, a déjà porté d'heureux fruits et qu'un gouvernement sage ne doit jamais en écarter.
Personne n'a contesté un seu1 instant qu'il n'y ait eu des manifestations blâmables, personne ne s'en est fait le défenseur. L'honorable M. Loos a été le premier à les blâmer, et il n'avait pas besoin de les blâmer dans cette enceinte pour nous apprendre qu'il était lui-même, dans la ville qu'il représente si dignement ici, l'un des premiers soutiens de l'ordre.
Ainsi ne nous prêtons pas les uns aux autres des intentions que nous n'avons pas. Personne n'accuse le gouvernement d'y mettre du mauvais vouloir, personne n'accuse le gouvernement de chercher à provoquer qui que ce soit, mais nous pouvons dire au gouvernement en examinant la question comme nous devons l'examiner : Nous trouvons nous que l'on peut faire mieux que ce que vous faites, et nous venons, en notre qualité de membre de la Chambre vous donner un conseil que nous avons parfaitement le droit de vous donner.
L'honorable M. Dolez ne croit pas que nous ayons ce droit ; il dit que lorsque nous avons terminé la discussion de l'adresse, ce droit est épuisé. Mais, messieurs, le contraire ne se voit-il pas fréquemment en Belgique et en Angleterre ? Je rappelais récemment que la chambre anglaise a voté une adresse à la reine pour la prier d'instituer une commission d'enquête : la chambre anglaise agit fréquemment de cette manière.
Que ferez-vous, dit l'honorable membre, si le gouvernement ne tient pas compte du conseil que vous lui aurez donné ? Mais alors nous ferons ce que nous faisons lorsqu'une pétition est renvoyée au gouvernement avec demande d'explications et que les explications ne sont pas données. Lorsque la Chambre vote un ordre du jour motivé, elle fait une chose dont elle apprécie elle-même la portée.
Si je voulais blâmer le gouvernement, messieurs, je le dirais très franchement. Je n'ai aucune espèce de motif pour déguiser ma pensée. Mais je suis très loin de trouver la conduite du gouvernement blâmable, je crois, au contraire, qu'on doit lui savoir gré de la fermeté qu'il montre mais je puis trouver qu'il y met un peu trop de roideur, et je puis le lui dire sans aucune espèce de malveillance.
Si la Chambre ne pouvait pas se prononcer dans ce sens, mais son droit serait paralysé ; elle ne pourrait plus jamais émettre un vote qui ne fût pas entièrement d'accord avec les vues du gouvernement sans que celui-ci y vit un blâme de sa conduite. Ainsi, lorsque la chambre des communes demande une enquête sur l'enseignement, c'est un blâme ?
Et si nous votions un ordre du jour motive dans lequel nous dirions : « Considérant que le gouvernement n'a pas fait telle chose, » ce serait un blâme ? Mais lorsqu'on renvoie au gouvernement lui-même, lorsque c'est au ministre lui-même qu'on s'en rapporte sur ce qu'il y a à faire, loin que ce soit un blâme, cela montre que la Chambre continue sa confiance au ministre à qui elle ordonne le renvoi.
Evidemment, messieurs, la question anversoise est assez importante, assez grave pour que nous nous en occupions de la manière la plus sérieuse. Eh bien, messieurs, ce que je viens dire au gouvernement, ce que je viens dire à la Chambre avec une conviction profonde, c'est que, dans les moments d'irritation, il faut se montrer paternel et bienveillant ; il faut montrer que le sanctuaire de la justice s'ouvre à ceux qui sont lésés, bien que des gens parlant en leur nom, des gens non autorisés souvent, aient pu gâter leur cause.
Nous ne connaissons de représentants légaux d'Anvers que les représentants officiels. Quant à ceux-là, nous avons à apprécier leur langage ; nous avons aussi à apprécier leur position ; nous avons aussi, en reconnaissant la fermeté dont ils ont fait preuve par leur résistance à des demandes injustes et en rendant hommage à leur loyauté, nous avons à leur prêter notre appui moral, à leur montrer qu'ils ne seront jamais seuls dans cette enceinte, quand ils viendront y réclamer ce qui est juste et légitime, et avec cette modération qui n'a cessé de les caractériser.
M. Bara. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire en réponse à une accusation qui vient d'être lancée.
On a dit que ma proposition était un blâme du gouvernement, moins la franchise. Je crois que cette accusation est partie de l'honorable M. Devaux. Messieurs, il m'est pénible de recevoir un pareil blâme d'un homme politique aussi considérable.
Ma proposition a été motivée uniquement par les paroles de l'honorable M. Frère-Orban. J'ai dit en commençant que je regrettais que l'honorable M. de Gottal eût cru devoir faire une proposition spéciale.
Mais M. le ministre des finances, répondant au discours de l'honorable M. de Gottal, a déclaré qu'il ne croyait pas opportun pour le gouvernement, de s'occuper de la question à cause des événements d'Anvers. J'ai dit que ce motif, je ne pouvais pas l'admettre ; j'ai dit que je ne pensais pas que la dignité de la Chambre fût compromise en proclamant que, dans son opinion, il est utile de s'occuper d'une loi sur les servitudes militaires.
Je regrette le tour passionné qui a été donné à ce débat ; j'aurais voulu que la Chambre, eu statuant, ne fût pas forcée de voter pour ou contre Anvers ; j'eusse voulu qu'elle eût voté indépendamment d'Anvers. C'est là ce que veut l'honorable M. Dolez.
Dans un but de conciliation, j'ai dit : Le gouvernement s'occupe de la législation sur les servitudes ; eh bien, je demande qu'il continue à s'en occuper, et qu'il ne soit pas entravé dans son examen et dans le dépôt d'un projet de loi par les manifestations d'Anvers.
Ma proposition est donc franche, je ne blâme pas le gouvernement. Je ne tiens pas, du reste, essentiellement à ma rédaction ; si M. le ministre des finances en a une meilleure, s'il peut préciser la portée du vote en ce sens qu'il ne sera pas une manifestation contre Anvers, j'accepterai volontiers cette nouvelle rédaction ; mais je ne puis pas admettre qu’on ne présente pas un projet de loi, à cause de ce qui se passe à Anvers.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dît qu'il n'était pas opportun de soumettre actuellement des propositions à la Chambre, et rien de plus.
M. Bara. - Soit. M. le ministre des finances déclare qu'il n'est pas opportun de soumettre des propositions à la Chambre.
Eh bien, je dis que si le gouvernement avait un projet prêt, il devrait le présenter à la Chambre.
Je crois que la dignité des corps électifs ne peut être compromise par ce qui se passe à Anvers, et que puisque beaucoup d'intérêts sont lésés par la situation actuelle, nous ne devons pas nous laisser arrêter par les manifestations de cette ville pour ne pas donner satisfaction à ces intérêts. Je ferai remarquer en outre que le moment est opportun de réviser la législation sur les servitudes militaires, puisqu'on construit une grande forteresse, et qu'il est dès lors important de fixer les rapports réciproques de l'Etat et des citoyens quant à la propriété.
- Des membres. - A mardi !
D’autres membres. - Continuons.
M. Devaux. - Je demande la parole sur la remise à mardi. L'heure de la séance est très avancée. Il est évident que, si on ne remet pas à mardi, la discussion d'aujourd'hui n'ira pas plus loin, et que va-t-il (page 470) arriver ? Il ne faut pas se le dissimuler ; déchirons les voiles : il s'agit du renversement du ministère. (Interruption.)
Là est le fond de la question. Je demande s'il est possible de laisser poser et voter une question de cabinet sans que la question politique de l’existence du ministère soit discutée.
- Des voix. - Il n'est pas question de cela.
M. Devaux. - Il n'est plus question que de cela. (Interruption.)
Le gouvernement vous dit : « Voici les mesures que nous avons l'intention de proposer pour Anvers. Mais nous jugeons contraire à notre dignité de le faire dans ce moment. Nous attendrons un temps plus opportun. »
Et on vous propose de lui répondre que la Chambre désire qu'il fasse ce que lui-même déclare blesser sa dignité ; c'est-à dire qu'on veut que la Chambre se déclare en dissentiment avec le ministère sur une question de dignité du pouvoir et par conséquent, que la Chambre blâme le cabinet ; car se déclarer en dissentiment avec lui, c'est bien le blâmer.
Qu'on cherche, si on le veut, à renverser le ministère ; qu'on ait même le courage de le faire sur la question d'Anvers, mais il faut que les oppositions de toutes les couleurs acceptent la responsabilité d'un pareil vote. Il ne faut pas que personne puisse dire qu'il en a ignoré les conséquences ni qu'on empêche la discussion de les rendre évidentes pour tout le monde.
Vous ne fermerez pas le débat au moment où il commence sur son véritable terrain, c'est l'honorable M. Guillery qui l'y a placé. L'honorable membre vient de vous dire qu'il y avait un dissentiment avec le ministère, qu’il fallait le constater.
Un dissentiment avec le ministère déclaré par la Chambre sur une question à laquelle le ministère attache sa dignité d'après la déclaration formelle de M. le ministre des finances, ce n'est pas autre chose qu'une question de cabinet.
Il est impossible que le vote n'ait pas cette conséquence. Puisque le débat prend cette proportion, ce n'est pas en cinq minutes qu'on peut le vider ; je demande que la discussion continue mardi.
M. Goblet (sur la position de la question). - Messieurs, il n'y a plus de liberté de discussion dans cette enceinte... (Interruption.) La manifestation de notre pensée n'est plus libre si, chaque fois qu'un membre sera en désaccord avec le ministère, on pourra l'accuser de vouloir renverser le cabinet.
M. Devaux. - Renversez-le franchement.
M. Goblet. - M. Devaux, je ne vous permets pas de m'accuser de vouloir le renversement du ministère, car cela n'est ni vrai, ni juste. Cela n'est pas vrai, parce que telle n'a jamais été ma pensée ; cela n'est pas juste, parce que je n'ai jamais posé aucun acte qui puisse le faire supposer.
Bien plus, en m'exprimant ainsi, je crois avoir le droit de dire que je parle au nom de tous mes collègues de ce côté de la Chambre.
Car enfin, qu'y a-t-il dans le langage de ceux qui ont pris part à cette discussion qui permette de leur prêter une telle intention ? Est-ce une question de principe qui est ici en jeu ? Est-ce la question d'Anvers proprement dite, est-ce la question des fortifications qui nous occupe en ce moment ? Mais nullement, messieurs, il s'agit d'une question toute spéciale, question qui n'est pas même nouvelle puisque, de l'aveu de M. le ministre des finances lui-même, elle a fait en 1854 déjà l'objet d'un avant-projet.
On n'est donc nullement autorisé, messieurs, parce que, sur la question d'opportunité de la solution à donner à cette affaire nous différons d'avis avec MM. les ministres, à nous prêter des intentions que nous n'avons pas, et à prétendre que nous voulons, par une voie détournée, arriver au renversement du ministère. Et puisqu'on a parlé de pression tout à l'heure, je dirai que si une pression est exercée en ce moment sur les délibérations de la Chambre, ce n'est pas par nous, mais par ceux qui nous accusent.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A en croire l'honorable M. Goblet, certains membres se méprennent singulièrement sur le caractère de cette discussion et sur les conséquences qu'elle peut avoir. L'honorable membre se révolte à l'idée d'être accusé de vouloir renverser le ministère.
M. Goblet. - Si cela n'est pas, n'ai-je pas le droit de m'en révolter ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). -Permettez.
Je dis que si vous croyez qu'il y ait lieu de renverser le cabinet, c'est votre droit de le faire, je dis même que c'est votre devoir ; et il n'est pas besoin de vous mettre si fort en colère pour repousser la pensée qu'on peut attribuer à la motion.
Il ne dépend pas de vous de faire qu'une motion ait ou n'ait pas te ou tel caractère, qu'elle soit appréciée de telle ou telle façon par ceux qu'elle touche particulièrement. (Interruption.) Nous sommes bien aussi, je suppose, quelque peu appréciateur» des questions qui sont posées à la Chambre et des conséquences que leur solution doit entraîner. Or, malgré toutes les protestations contraires, la motion ne peut avoir, pour nous, qu'une seule signification : c'est un blâme pour le cabinet ! (Interruption.) Elle ne peut pas en avoir d'autre.
M. Goblet. - Ce n'est pas mon appréciation.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Permettez donc. L'honorable M. Guillery l'a franchement déclaré : il y a dissentiment. L’honorable M. Guillery vous a dit : Je ne blâme pas en toutes choses le ministère ; je lui sais même gré de l'attitude qu'il a gardée devant les manifestations qui ont eu lieu à Anvers ; il a fait preuve en ces circonstances de sang-froid et d'énergie, je l'en loue et je l'en remercie. Mais il y a quelque chose de plus à faire et le ministère ne veut pas le faire. Eh bien, ce quelque chose de plus, moi je veux le faire ; je crois qu'il faut aller au-delà de ce que veut le ministère : je veux le forcer à faire un pas de plus.
Voilà le sens, la portée du langage de l'honorable M. Guillery. Eh bien, honnêtement, en bon français et entre hommes loyaux, cela veut dire : Je blâme le ministère.
M. Guillery. - Pas du tout !
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment ! ce n'est pas un blâme ? On veut me faire faire un pas de plus que je ne veux ; on veut me forcer à faire ce que je ne veux pas ; et l'on prétend qu'on n'entend point blâmer ma résistance ? (Interruption.)
Pour nous, messieurs, quoi qu'on puisse dire pour en atténuer la signification, la proposition qui vous est soumis implique évidemment un blâme pour le ministère ; et ce blâme, il nous appartient bien certainement de déclarer que nous ne l'acceptons pas.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition qui a été faite de remettre la suite de la discussion à mardi.
M. Bara. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.
M. de Gottal. - Et moi je le demande pour un fait personnel.
M. le président. - La parole est à M. de Gottal.
M. de Gottal. - L'honorable M. Devaux vient de dire ici qu'il entrait dans les intentions d'une partie des membres de la Chambre de renverser le ministère.
M. Devaux. - Je n'ai pas parlé de l'intention.
M. de Gottal. - Ce que l'on veut, avez-vous dit, c'est le renversement du cabinet. Messieurs, la proposition sur laquelle on discute émane de la députation d'Anvers, et son adoption, d'après l'honorable membre, doit avoir pour résultat le renversement du ministère.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est évident.
M. de Gottal. - Eh bien, je proteste, au nom de tous mes collègues, et je dis que je ne crois pas qu'il y ait dans cette enceinte un seul membre qui ait le droit de faire un semblable reproche à la députation anversoise, dont vous connaissez tous la situation. J'ajoute que si je ne devais attribuer le langage de l'honorable M. Devaux à une aberration momentanée d'esprit, je dirais que c'est une indignité.
M. le président. - M. de Gottal, pas de personnalité, je vous prie.
M. de Gottal. - Il y a, parmi les signataires de la proposition, des hommes dont le dévouement au ministère ne saurait être suspecté par personne, et dont le nom au bas de cette proposition est une protestation énergique contre l'intention qu'on nous prête.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne nous comprenons pas.
M. de Gottal. - Il est possible, M. le ministre, que vous ne me compreniez pas ; mais, quant à moi, j'ai parfaitement compris le sens et la portée des paroles de l’honorable M. Devaux, et c'est contre ces paroles que je crois devoir protester.
M. Bara. - En présence des incidents qui viennent de se produire et de ce que vient de dire M. le ministre des finances, je déclare, au nom de l'honorable M. Crombez comme au mien, retirer notre proposition. Je regrette infiniment que le gouvernement ne se soit pas associé au sentiment qui a dicté cette proposition. Nous n'avons, en aucune manière, entendu blâmer le ministère ; nous avons voulu rester neutres dans le débat et montrer que nous restions calmes même devant les excès de la population anversoise.
M. Van Humbeeck. - En dehors des signataires de la proposition, je suis le premier député qui, dans cette Chambre, se soit levé pour déclarer que cette proposition contenait, à mon avis, la seule solution (page 471) que la Chambre pût dignement donner au débat actuel. Je persiste dans cette opinion et je regrette infiniment que le gouvernement veuille donner à la proposition un autre caractère.
Cependant, messieurs, la situation qui nous est faite est tellement grave, que la liberté de mon suffrage m'est enlevée ; je proteste, mais je ne puis pas prendre sur moi la responsabilité d’un vote qui devrait entraîner le renversement du cabinet. Cette conséquence est loin de ma pensée. Je ne veux pas d'une telle responsabilité. On ne veut pas de la proposition des honorables représentants d'Anvers ; soit ! que d’autres assument la responsabilité de la solution que recevra la question. Quant à moi, il ne me restera qu'à m'abstenir.
M. Loos. - Le ministère ne nous a pas déclaré qu'il envisageait notre proposition comme renfermant une question de cabinet. C'est l'honorable M. Devaux qui s'est chargé de ce soin.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit et répété que nous ne l'acceptions pas.
M. Guillery. - Oui, mais vous n'avez pas déclaré que vous en faisiez une question de cabinet.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais c'était évident.
M. le président. Pas d'interruption, messieurs, cela provoque des incidents fâcheux.
M. Loos. - J'en suis profondément au regret ; mais personne ne forcera nos intentions ; personne n'a le droit de les dénaturer et de leur donner un autre caractère que celui qu'elles ont réellement ; et, quelle que soit à présent la détermination que prenne le cabinet, je voterai pour la proposition que j'ai signée. On ne peut forcer personne à donner à une proposition qu'il formule une portée autre que celle que lui assigne son auteur.
Je proteste qu'elle n'a pas la portée que lui assigne M. Devaux ; je ne puis pas non plus la retirer parce que je la trouve juste et équitable ; je ne la retirerai pas.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Messieurs, M. le ministre des finances, au nom du cabinet, a fait connaître à la Chambre de quelle manière il envisageait la proposition des honorables représentants d'Anvers ; il a fait connaître aussi, ou plutôt il a rappelé les intentions du gouvernement en ce qui concerne les mesures qu'il croit utile et juste de prendre dans la question anversoise ; il a annoncé qu'un projet de loi serait proposé dans le but d'introduire des améliorations dans le régime actuel.
Que signifie dès lors la proposition de mes honorables collègues de la députation d'Anvers ? Ils demandent à la Chambre de décider qu'il y a lieu de réviser la législation sur les servitudes militaires ; le gouvernement a déclaré qu'il déposerait un projet de loi ; dans quel but répéter cette déclaration du gouvernement, en prendre acte dans un ordre du jour motivé ? N'est-ce pas supposer que le gouvernement pourrait ne pas tenir sa parole, ne pas poursuivre le but annoncé ?
Ou nous dit : Nous sommes d'accord, nous vous remercions de ce que vous promettez. Mais quand présenterez-vous le projet ?
Nous demanderons aux auteurs de la proposition : Quand pensez-vous qu'il y aurait lieu de le présenter, est-ce immédiatement, dans huit jours, dans quinze jours ?
- Une voix. - C'est votre affaire !
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Nous pensons que le moment n'est pas venu ; le moment n'est pas opportun.
- Une voix. - Nous sommes d’accord.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Si nous sommes d'accord sur la présentation et sur le choix du moment laissé au gouvernement, à quoi bon la proposition ?
La proposition émane de représentants siégeant sur les mêmes bancs que nous, qui sont nos amis politiques et plusieurs nos amis personnels ; eh bien, nous leur disons que la proposition telle qu'elle est ne peut pas être accepte par le ministère ; si, après la discussion qui vient d'avoir lieu elle était votée contre son gré, le ministère serait renversé.
On a beau dire que l'on proteste contre de pareilles conséquences, il n'en est pas moins vrai que le ministère appréciant, comme c'est son droit, la portée de la proposition, la considère comme une marque de défiance.
J'appelle donc l'attention de mes amis sur les conséquences de la proposition. Si nous sommes d'accord sur la question d'opportunité, elle n'a plus de raison d'être ; si elle était appuyée, ce serait par ceux qui voudraient s'associer à un vote qui renverserait le cabinet.
M. Devaux. - Je demande la parole sur la position de la question.
M. le président. - Toutes les explications ont été données sur la position de la question. (Aux voix ! aux voix !)
Persiste-t-on à demander le renvoi de la discussion à mardi ?
M. Devaux. - En présence de la tournure qu'a prise la discussion, je retire ma proposition de continuer la discussion à mardi.
M. le président. - Je mets aux voix la proposition des quatre députés d'Anvers.
- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
68 membres répondent à l'appel.
18 répondent oui.
46 répondent non.
4 s'abstiennent.
En conséquence, la Chambre n'adopte pas.
Se sont abstenus : MM. Goblet, Guillery, Van Humbeeck et Cumont.
Ont répondu oui : MM. de Gottal, de Mérode, de Montpellier, de Smedt, de Terbecq, B. Dumortier, d'Ursel, Kervyn de Lettenhove, Loos, Snoy, Thienpont, Van de Woestyne, Van Overloop, Vervoort, Verwilghen, Vilain XIIII Coomans et de Boe.
Ont répondu non : MM. de Lexhy, de Paul, de Renesse, de Rongé, Devaux, Dolez, Faignart, Frère-Orban, Frison, Grandgagnage, Grosfils, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Nothomb, Orban, Rodenbach, Rogier, Royer de Behr, Sabatier, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vander Donckt, Vanderstichelen, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Allard, Bara, Braconier, Crombez, David, de Bronckart, de Brouckere, Dechentinnes, de Florisone et E. Vandenpeereboom.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
M. Goblet. - Je me suis abstenu par les motifs développés par M. Van Humbeeck. Je ne crois pas pouvoir prendre part à un débat, soit par ma parole, soit par mon vote, alors qu'il y a sur ma conscience ou sur mes idées une pression quelconque.
Je ne puis accepter l'existence d'une pression extérieure qui n'a, en aucune circonstance, rien à faire ici, pas plus que je n'entends m'incliner devant une pression intérieure, dont je repousse également toute expression.
M. Guillery. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter contre la proposition que j'avais défendue, que je considérais comme juste et loyale et dont le sens ne me paraissait pas douteux.
D'un autre côté, mon vote affirmatif se serait réduit à un vote contre le ministère. C'est ce que je n'ai pas voulu.
M. Cumont. - Je n'ai pas voulu voter contre la proposition parce qu'elle me paraît juste et fondée. Je n'ai pas voulu voter contre le gouvernement parce qu'il s'agissait du renversement du cabinet.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, j'ai formulé les motifs de mon abstention dans la déclaration que j'ai faite à la fin de la discussion.
- Le renvoi pur et simple de la pétition est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à 5 1/4 heures.