(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 403) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont, secrétaire., procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance du 14 février.
- La rédaction en est approuvée.
M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces qui ont été adressées à la Chambre :
« Les membres des conseils d'administration de sociétés concessionnaires de routes dans le Hainaut, les membres des comités pour les chemins vicinaux, des chefs d'administration communale et d'autres intéressés se plaignant des dommages occasionnés aux routes par des transports industriels qui ne payent aucun droit de barrière, demandent qu'il soit pris une mesure pour que tous ceux qui emploient les routes on payent les frais d'entretien en raison des dommages qu’ils y occasionnent ou que la loi accorde une compensation à ceux qui sont chargés de l'entretien de ces routes. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Walthar, blessé de septembre, décoré de la croix de Fer, demande une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« Le sieur Draegens, boutiquier à Rhode-Saint-Genèse, réclame l'intervention de la Chambre peur obtenir ce qui lui est dû par la société d'assurances contre l'incendie : les Belges réunis. »
- Même renvoi.
« Le sieur Wauters, ancien volontaire de 1830, demande la décoration de l'Ordre de Léopold. »
- Même renvoi.
« Le sieur Daems, ancien militaire, demande une augmentation de pension ou une gratification. »
- Même renvoi.
« Le sieur Seghers, ancien combattant de 1830, demande une pension ou une gratification. »
- Même renvoi.
« Le sieur Kauwerr, négociant à Anderlecht, né à Schwanenberg (Prusse), demande la grande naturalisation. »
- Même renvoi.
« Le sieur Antoine Lux, propriétaire cultivateur à Barnich, né à Goeblanche (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire. »
- Même renvoi.
« Le sieur Tiskin, concierge de la cour d'appel de Liège, prie la Chambre d'augmenter le chiffre proposé par la section centrale pour son traitement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Lombaert, ancien commis des accises, et le sieur Hahn, ancien brigadier des douanes, demandent une augmentation de pension. »
- Même renvoi.
« D'anciens combattants de 1830 demandent la croix de Fer, et déclarent renoncer au bénéfice de la pension attachée à cette croix. »
- Même renvoi.
« Les membres de l'administration communale et des habitants de Bavichove présentent des observations sur les projets de canalisation de la Mandel, et demandent qu'on adopte le projet suivant lequel le canal quitte le Mandel entre Ingelmunster et Oostroosebeke pour se diriger en ligne droite vers la Lys qu'il rejoint entre Oyghem et Wielsbeke. »
M. Van Renynghe. - Cette pétition contient des considérations qui sont dignes d'être examinés par la Chambre et le gouvernement ; par conséquent j'ai l'honneur d'en demander le renvoi à la commission des pétitions avec prière d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le conseil communal de Meulebeke demande que le canal à construire de Roulers vers la Lys soit creusé le plus près possible d'Oostroosebeke. »
M. le Bailly de Tilleghem. - Cette requête est du plus haut intérêt, elle émane d'autorités très respectables. Sous le rapport de l'agriculture, du commerce et de l'industrie, le nouveau canal à construire entre la ville de Roulers et la Lys rendra les plus grands services aux localités environnantes.
Le conseil communal de Meulebeke, qui a une population de près de 9,000 âmes, demande que le nouveau canal passe à proximité et aussi proche que possible de l'aggloméré des habitations.
Je donne tout mon appui au renvoi de la requête à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.
- Adopté.
« La dame Ophals prie la Chambre de revenir sur la décision qu'elle a prise au sujet de sa réclamation contre la vente faite, sans son consentement, d'une maison qui lui appartient. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le baron de Flotho réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une décision de la cour d'appel de Gand sur un jugement du tribunal de Courtrai, du 1er juillet 1859. »
- Même renvoi.
« Le sieur Beauduin, décoré de la croix de Fer, prie la Chambre de lui faire payer deux années arriérées de sa pension et d'améliorer sa position. »
- Même renvoi.
« Le sieur Fautomont, garde forestier du bois de la commune de Grand-Leez$, demande une augmentation de traitement. »
- Même renvoi.
« Le sieur Demoulin prie la Chambre de voter une loi qui assure aux secrétaires communaux un traitement en rapport avec les services qu'ils rendent au gouvernement et à la commune. »
- Même renvoi.
« Les membres du conseil communal de Mabompré demandent que la route de Libramont à Herbaimont soit prolongée jusqu'à Houffalize en passant par Salle-Troismonts, Givroule, Gives, Bertogne, Compagne et Mabompré. »
« Même demande des membres du conseil communal de Bertogne, Hamierge. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics.
« Le sieur Blondiau prie la Chambre d'augmenter le traitement proposé par la section centrale pour les secrétaires des parquets. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.
« Le sieur Demoulin, ancien combattant et blessé de septembre, demanda la pension de 250 francs dont jouissent des combattants de la révolution. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
« Le sieur Hebbelinck, ancien volontaire de 1830, demande la récompense qui a été accordée aux combattants de la révolution. »
- Même renvoi.
« Le sieur Walraevens demande qu'on interdise les ventes par loteries. »
- Même renvoi.
« M. le gouverneur de la Banque Nationale adresse à la Chambre 120 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement, pendant l’année 1862. »
- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.
« M. Pierre demande un congé pour motifs de santé. »
- Accordé.
« M. Nothomb demande un congé de quelques jours. »
- Accordé.
M. le président. - La parole est à M. Mouton, pour l'interpellation que, dans la séance du 14 février, il a annoncé vouloir adresser à M. le ministre de la guerre.
- Des membres. - M. le ministre de la guerre n'est pas présent.
M. Mouton. - J'avais prié, effectivement, M. le ministre de la guerre de se rendre à la séance de ce jour ; j'attendrai qu'il soit présent pour faire mon interpellation. Il est convenable que M. le ministre de la guerre assiste à la séance.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Un événement, que tout le monde connaît, empêche M. le ministre de la guerre d'assister à cette séance. Je prie l'honorable M. Mouton de vouloir bien ajourner son interpellation.
M. Mouton. - Volontiers.
(page 404) M. Wasseige (par motion d'ordre). - Messieurs, il a été question à diverses reprises, dans la discussion du chapitre relatif à l'instruction primaire, d'un arrêté royal qui a été publié au Moniteur du 24 janvier 1863 et d'une circulaire qui a été adressée aux gouverneurs par l'honorable ministre de l'intérieur relativement à cet objet.
C'est à propos de ces deux actes que j'avais demandé à la Chambre de vouloir bien me réserver la parole pour aujourd'hui.
Cet arrêté royal contient trois dispositions principales : la classification des écoles en trois catégories ; la fixation d'un maximum de traitement de 600, 700 et 800 francs pour les instituteurs et enfin la fixation d'un minimum de rétribution à payer par tête d'élèves indigents.
C'est à propos de ces trois dispositions que je crois devoir présenter quelques observations et demander des explications à M. le ministre de l'intérieur, attendu que je considère ces mesures comme inconstitutionnelles et illégales, et que par conséquent je ne pense pas qu'elles puissent être appliquées.
En effet l'article 67 de la constitution qui autorise le gouvernement à prendre des arrêtés, lui impose les conditions suivantes :
« Il fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution. »
Eh bien, les points sur lesquels il est statué par l'arrêté royal que je discute sont déjà fixés d'une façon contraire par une loi ou ne sont pas prévus par la loi, et par conséquent ils ne peuvent constitutionnellement faire l'objet d'un arrêté royal.
En ce qui concerne la classification, il est à remarquer que, dans la discussion de la loi de 1842, l'honorable M. de La Coste avait appelé l'attention de la Chambre sur l'utilité d'une classification des instituteurs, dans le but d'exciter leur émulation et de stimuler leur amour-propre.
Il était d'avis aussi que le minimum de traitement ne devait pas être fixé par la loi, mais que cette fixation devait être laissée à la députation permanente. Il proposa un amendement à cet effet, et cet amendement fut rejeté.
Quant à la classification, cette question ne fut pas même traitée, bien que l'attention de la Chambre eût été appelée sur ce point. Or, en présence du texte si précis de l'article 17 de la Constitution qui déclare que l’enseignement est libre en Belgique et que l'intervention de l'Etat est réglée par la loi, les ministres peuvent-ils, par un arrêté royal, venir réglementer ce que la loi n'a pas réglé ?
Qu'on y prenne garde, messieurs, les législateurs de 1842 n'ont pas voulu classer les écoles, ni les communes, ni les instituteurs par catégorie. La loi n'a pas voulu déceler que telle commune aurait plus d'importance que telle autre, que tels enfants seraient mieux traités, qu'on leur donnerait une instruction une éducation plus soignée, qu'ils auraient un instituteur de choix et d'un plus grand prix. Elle n'a pas voulu que les communes moins populeuses ne fussent point libres de conserver un bon instituteur en augmentant son traitement.
Les auteurs de la loi de 1842 ont été mieux inspirés, et plus fidèles à la Constitution, ils ont laissé aux communes la liberté de choisir leurs instituteurs, de prendre les moyens nécessaires de les conserver, sous le contrôle de la députation permanente et sauf recours au Roi. Et, remarquez bien que ce recours au Roi n'est jamais ouvert que lorsqu'il y a dissentiment entre l'administration communale et l'administration provinciale ; ce recours n'est pas l'intervention directe et spontanée du gouvernement pour refaire ce qui aurait été mal fait, à son avis, soit par l'administration communale, soit par l'administration provinciale ; ce n'est qu'un recours en cassation, si je puis me servir de cette expression, recours qui n'est ouvert qu'en cas de désaccord entre l'administration communale et l'administration provinciale.
Il est donc évident, messieurs, que les auteurs de la loi n'ont pas voulu établir de classification ; elle ne se trouve pas dans la loi ; elle ne s'y trouve ni en principe ni même en germe. Ce n'est donc pas, ce ne peut pas être pour exécuter la loi que l'arrêté du 10 janvier décrète la division des écoles en trois catégories. Cet arrêté va plus loin que la loi, il ajoute à la loi dans une matière où la Constitution veut que la liberté ne soit limitée et réglée que par la loi ; cet arrêté est donc inconstitutionnel. Voilà, messieurs, mes observations sur ce premier point.
Quant au second point, la fixation d'un maximum de traitement, l'article 20 de la loi de 1842 est très catégorique. Il dit : Le traitement de l'instituteur est fixé par le conseil communal sous l'approbation de la députation permanente, sauf recours au Roi. Ce traitement ne peut pas être moindre que 200 francs.
Ainsi, messieurs, vous le voyez, la loi a fixé un minimum de traitement ; mais elle ne parle pas le moins du monde d'un maximum. En outre, elle charge le conseil communal seul de fixer le montant de ce traitement sous l'approbation de la députation permanente. Cette règle introduite dans la loi de 1842 est, d'ailleurs, parfaitement conforme à l'esprit et au texte de la loi communale de 1836.
Mais la loi organique ne donne aucun droit au ministre de fixer le traitement à priori ; elle ne lui donne pas même le droit de limiter le chiffre ; elle n'autorise, comme je l'ai dit, l'intervention du gouvernement qu'en cas de dissentiment entre l'administration communale et l'administration provinciale. Il est donc évident, quant à moi, que l'arrêté du 10 janvier, quant à ce second point encore, est complètement inconstitutionnel et illégal, puisqu'il règle une chose qui est réglée par la loi et qu'il la règle contrairement à la loi.
Quant au troisième point, l'article 5 de la loi organique de l'instruction primaire dit encore :
« Le conseil communal fixe le nombre d'enfants indigents qui doivent recevoir l'instruction gratuite, ainsi que la subvention à payer de ce chef, ou, s'il y a lieu, la rétribution à payer par élève ; ces listes ainsi que le montant de la subvention ou la quotité de la rétribution sont approuvés par la députation permanente, sauf recours au Roi. »
L'article 15 contient les mêmes dispositions quant à la rétribution à faire payer par les élèves solvables. C'était bien l'intention des auteurs de la loi de 1842, que ce fût aux autorités communales à fixer le minimum de rétribution à payer par les enfants pauvres, car M. Nothomb l'a répété catégoriquement et à diverses reprises dans la discussion de la loi.
Fixer ce minimum par arrêté royal, c'est donc encore faire une chose contraire à la loi. Ce qui rend la chose évidente, c'est que, dans la discussion, un amendement avait été présenté par la section centrale précisément pour faire fixer par la loi ce minimum à payer par les élèves pauvres et à le fixer précisément à 6 fr. par tête. Eh bien, cet amendement a été rejeté et par conséquent la Chambre a décidé qu'elle ne voulait pas que la loi fixât le minimum à payer par les enfants pauvres, qu'elle voulait abandonner ce soin aux conseils communaux et aux députations permanentes, cela est de toute évidence. Mais l'arrêté royal va plus loin, il fait consister le casuel exclusivement dans la rétribution à payer par tête d'élève, tandis que la loi a laissé le choix entre deux modes, la rétribution par tête ou la subvention globale. Cela a été dit catégoriquement par l'honorable M. Nothomb sur une observation faite par l'honorable M. Devaux.
M. Devaux disait :
« Je crois que l'intention du gouvernement n'est pas de forcer toutes les communes à adopter ce mode de rétribution, c'est-à-dire que dans la commune où on accorde à une école, par exemple, à une école de frères de la doctrine chrétienne un subside, sauf à recevoir les enfants pauvres, le gouvernement n'entend pas substituer à ce mode une rétribution plus élevée. »
Et M. Nothomb répondait :
« Est-il dit dans la loi que temporairement on payera pour les pauvres une rétribution par élève ? Mais non ; c'est sur l'observation de M. Devaux crue nous avons fait un changement au dernier paragraphe de l'article 5. Il y est dit qu'à raison de l'instruction des pauvres on payera soit une subvention, soit une rétribution par élève. »
Il résulte donc clairement et de la discussion et du texte de la loi qu'il y a faculté de choisir pour les administrations communales entre la subvention globale et la rétribution par tête d'élève. Quant à ce dernier mode, il est également évident que c'est aux conseils communaux à faire ce que la loi n'a pas voulu faire elle-même.
Le ministre prétendra peut-être que, chargé de veiller aux intérêts du trésor, il a le droit de mettre des conditions à l'obtention des subsides de l'Etat.
Je lui répondrai que ces subsides ne sont pas facultatifs, que ce n'est pas une faveur qu'il accorde, mais une obligation qu'il accomplit dans des limitée déterminées par la loi, mais qu'en tout cas, il ne lui est pas plus permis de confisquer les libertés communales à prix d'argent, qu'il ne lui serait permis de le faire gratuitement.
J'ajouterai qu'il ne lui est pas loisible de prendre à cette fin des mesures arbitraires ou générales et qu'il doit se borner à employer celles que la loi a réglées et à les appliquer à chaque cas particulier, et selon les circonstances, ainsi que le disait M. Nothomb dans la séance du 19 août 1842. Mais en général, c'est la députation qui a été chargée de contrôler les administrations communales quant à la fixation du traitement de l'instituteur et au montant de la subvention ou de la rétribution par élève (page 405) indigent. Voilà ce qui est dans la loi, et cela seulement s'y trouve, tout changement est une ajoute inconstitutionnelle. L'intervention des députations qui doivent sauvegarder les finances de la province, engagées en vertu de la loi avant celles de l'Etat, doit d'ailleurs offrir toute garantie au gouvernement.
Il est important de remarquer que l'article 17 de la Constitution a été fait pour limiter l'action du gouvernement, par défiance contre l'autorité, comme disait M. de la Coste dans la séance du 19 août 1842 : « On ne voulait pas que l'autorité publique réglât par ordonnance ce qui regardait ses propres établissements, on voulait que cela fût réglé par la loi. »
Le Congrès avait trop présents à la mémoire les funestes édits de Joseph II et les arrêtés du roi Guillaume, pour ne pas prendre toutes ses précautions. C'est pour cela qu'il a déclaré que l'enseignement était désormais libre en Belgique, que toute mesure préventive était interdite et que l'enseignement donné aux frais de l'Etat lui-même devait être réglé par la loi ; d'où il suit que son intervention dans l'enseignement donné aux frais des communes devait être bien plus limitée encore ! Il voulait ainsi enlever au gouvernement non seulement le moyen, mais même la pensée de réglementer arbitrairement l'instruction à tous les degrés. Et aujourd'hui, nous voyons un ministre changer la loi par voie administrative, substituer aux dispositions légales ses arrêtés et ses circulaires et réglementer despotiquement l'enseignement donné aux frais des communes. Cet arrêté respire en outre une ardeur de centralisation que je n'ai pas rencontrée souvent dans des actes de cette espèce.
C'est une nouvelle atteinte, une atteinte très grave à la liberté des administrations communales et des députations permanentes ; c'est l'élément administratif et ministériel substitué à l'élément électif, c'est la liberté confisquée au profit du pouvoir fort.
M. le ministre qui nous a répété dernièrement encore que, quant à lui, il était très disposé à la décentralisation et qui a posé quelques actes dans ce sens, me paraît, quant à celui-ci, avoir eu la main excessivement malheureuse et avoir fait un fameux pas en arrière.
Mais je suppose l'arrêté légal et constitutionnel ; est-il au moins bien conçu ; a-t-il pour but d'améliorer la position des instituteurs ?
Je ne le crois pas.
Je crois même que l'arrêté, s'il était légal et constitutionnel, irait complètement à l’encontre des idées que le gouvernement a toujours préconisées.
Dans sa circulaire, M. le ministre déclare encore qu'il veut améliorer la position des instituteurs.
Or, une des choses les plus importantes dans l'amélioration du sort des instituteurs, l'honorable ministre l'a dit lui-même, c'est la fixité du traitement, c'est que l'instituteur sache sur quoi il peut compter.
Quant à l'amélioration de l'instruction, une des conditions les plus importantes d'après la déclaration de l'honorable ministre, c'est la prolongation du domicile de l'instituteur dans la même école. On a pensé que l'instituteur restant dans une commune pendant de longues années, inspirerait plus de confiance aux pères de famille, connaîtrait mieux l'esprit et les études de ses élèves et serait ainsi plus à même de faire le bien.
C'était tellement l'idée du gouvernement que, par un arrêté du 21 juin 1862, par lequel il alloue des gratifications aux instituteurs, il posait pour condition que l'instituteur aurait résidé dix ans dans la commune.
Eh bien, messieurs, par sa classification, le gouvernement fait précisément le contraire de ce qu'il a indiqué comme désirable. Quand il aura classé les instituteurs de manière à leur faire entrevoir des majorations successives, en passant d'une catégorie dans une autre, il établira une émulation irrésistible pour changer de résidence, puisque ce sera le seul moyen pour eux d'obtenir une amélioration de position. J'ai donc raison de dire que par son arrêté, appliqué comme il l'entend, le gouvernement va directement à l’encontre des principes qu'il a émis sur ce qui convient au bien de l'instruction primaire.
Quant au montant du casuel tel qu'il est déterminé par l'arrêté, avec la condition que si l'élève ne fréquente pas l'école pendant 15 jours la rétribution du mois sera perdue, c'est le moyen de rendre très incertain le traitement de l'instituteur. Il verra souvent, par des causes indépendantes de sa volonté son traitement diminuer considérablement.
Sans me prononcer sur la bonté de la mesure, je puis au moins dire que son résultat sera bien loin de rendre fixe le traitement de l'instituteur, ce que le gouvernement a toujours déclaré être une chose si désirable.
Mais il y a plus, messieurs, c'est que le traitement, tel qu'il est indiqué par M. le ministre de l'intérieur, soit fr. 850, fr. 950 et fr. 1,050 fr. selon les catégories, en y comprenant le traitement et le casuel, ce traitement est en dessous de la moyenne actuelle dans plusieurs provinces.
Ainsi, au lieu d'améliorer la position des instituteurs, elle la rendra moins bonne. Je citerai entre autres la province de Namur, où de grandes dépenses ont été faites pour l'instruction primaire, où la députation permanente et le gouverneur ont fait les plus grands efforts pour améliorer le sort des instituteurs, en augmentant les sacrifices que s'imposent les communes. Eh bien, la moyenne des traitements dans cette province est aujourd'hui supérieure à celle qui a été indiquée par l'honorable ministre.
Mais il y a encore un reproche plus grave à faire à propos de la fixation des traitements, telle que l'entend l'honorable ministre de l'intérieur dans sa circulaire. Dans l'état actuel des choses, les instituteurs, avec l'autorisation du gouvernement, peuvent remplir des fonctions accessoires et ajouter à leur traitement la rétribution qui leur est accordée de ce chef.
Et bien, d'après la circulaire de l'honorable ministre, les instituteurs qui toucheront n'importe quoi pour prix des services qu'ils rendront dans ces fonctions accessoires, verront défalquer cette somme de leur traitement.
Ici je ne puis m'empêcher de déclarer que c'est une injustice flagrante.
Comment, messieurs, le gouvernement est toujours consulté quant à l'acceptation de ces fonctions. Un instituteur ne peut les accepter que s'il y est autorisé par le gouvernement. Le gouvernement donc, quand il accorde cette autorisation, doit avoir toutes ses garanties que ces fonctions supplémentaires ne nuiront pas à l'instruction qui se donne à l'école.
Eh bien, si un instituteur ayant une nombreuse famille à entretenir, veut sacrifier une partie de ses nuits peut-être à un travail accessoire, à un travail secondaire pour augmenter le bien-être de ses enfants, vous viendrez lui enlever le traitement accessoire attaché à des fonctions que vous lui aurez permis d'accepter !
Et il sera dans la même position que l'instituteur qui, ayant moins de zèle, ou moins de besoins que lui, se borne uniquement à donner sa classe !
Je répète que je ne puis voir dans cette manière d'agir qu'une mesure arbitraire et inique.
Il se présente encore une singulière anomalie dans l'exécution du règlement quant à la classification.
Ainsi, la classification se fait entre les écoles où il y a 60 élèves, c'est la troisième catégorie ; de 60 à 100 élèves, c'est la seconde catégorie ; et cent élèves et au-delà c'est la troisième. Mais, lorsque le nombre d'élèves est plus considérable que le nombre des placés officielles qui existent dans l'école, c'est le nombre des places qui sert à fixer la catégorie. Ainsi une école ne comptant que 60 places officielles, je suppose, est fréquentée par 65, 70, ou même 80 élèves. Nous savons qu'il y a beaucoup d'écoles où les élèves sont excessivement agglomérés. Cette école sera rangée dans la troisième catégorie et l'instituteur qui la dirige ne touchera qu'un traitement de 600 francs ; tandis que son voisin qui aura rencontré une salle d'école plus spacieuse où il y a officiellement des places pour 80 élèves et qui n'aura que 61 élèves, sera rangé dans la seconde catégorie.
Voilà donc deux instituteurs à côté l'un de l'autre : l'un a 70 à 80 élèves, l'autre n'en a que 61 et celui qui a le moins grand nombre d'élèves touche un traitement plus fort que celui qui donne la leçon à un nombre d'élèves plus considérable.
Il me paraît qu'indiquer un pareil résultat, c'est démontrer de la manière la plus complète le vice de l'arrêté royal et de la circulaire. Enfin la circulaire dit que le ministre estime qu'en général les crédits à porter aux budgets scolaires pour le traitement et le cas et réunis ne devraient jamais être moindres de 850, 950 et 1,050 fr. selon les catégories ; voilà donc la loi qui fixe un minimum de 200 fr., un arrêté royal qui fixe un triple maximum et une circulaire ministérielle qui vient convertir le maximum de l'arrêté royal en un minimum quadruple du minimum légal. C'est admirable ! et quelle belle chose que la bureaucratie ministérielle !
Je dis donc en résumé que l'arrêté est illégal et inconstitutionnel dans ses trois parties les plus importantes : la classification, la fixation d'un maximum de traitement et la fixation d'un minimum de rétribution pour les élèves pauvres.
Je dis que si l'arrêté royal n'était pas illégal, le règlement qui l'applique et la circulaire adressée aux gouverneurs iraient complètement à l’encontre de ce qu'a voulu l'honorable ministre, qu'elle rendrait la position des instituteurs moins bonne, qu'elle les engagerait à se déplacer, et que (page 406) enfin, elle donnerait lieu à des anomalies tellement criantes qu'il serait impossible de les laisser subsister.
J'appelle toute la bienveillante attention de l'honorable ministre sur les observations que je viens de présenter, et je réclamerai de lui quelques explications, s'il juge convenable d'en donner.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, la question soulevée par l'honorable M. Wasseige a fait l'objet d'un mémoire assez étendu adressé au ministère de l'intérieur par la députation permanente de la province de Namur ; il sera répondu à ce mémoire. La Chambre ne me semble pas disposée à entamer une discussion administrative sur l’instruction primaire, à propos de l'arrêté du 10 janvier dernier ; je crois donc pouvoir me borner à donner à la Chambre quelques courtes explications.
Messieurs, je ne puis admettre, sous aucun rapport, que l'arrêté du 10 janvier soit inconstitutionnel et illégal ; je puis encore moins admettre qu'il viole la liberté des communes et qu'il soit nuisible aux instituteurs mêmes. L'arrêté du 10 janvier respecte la loi de 1842, rien n'est changé par cet arrêté : aujourd'hui encore, c'est à la commune qu'il appartient de fixer les traitements des instituteurs et c'est à la députation qu'il appartient d'approuver ou de ne pas approuver les délibérations des conseils communaux ; et quand les choses ne sont pas réglées convenablement, quand, par exemple l'instituteur ne reçoit pas un traitement suffisant, il appartient au gouvernement d'augmenter le chiffre d'office. La légalité de ces principes ne peut être contestée, et tous les ministres qui m'ont précédé au département de l'intérieur les ont admis. Des communes, parfois, ne consentent pas à allouer une rémunération suffisante à leurs instituteurs, c'est alors pour le gouvernement un devoir d'intervenir ; et ici, messieurs, l'honorable M. Wasseige confond deux choses parfaitement distinctes, le recours au Roi institué par l'article 125 de la loi provinciale et le recours au Roi qui résulte de la loi de 1842 : le premier recours ne s'exerce que sur l'intervention de certains fonctionnaires et pour violation de la loi ; l'article 125 le dit formellement. Le recours en vertu de la loi de 1842 est d'une toute autre espèce ; tout le monde peut l'exercer.
L'honorable M. de Theux a parfaitement consacré ces principes. Voici ce qu'il disait lors de la discussion de la loi :
« Il me parait que la fixation d'un minimum (il s'agissait du traitement minime de 200 fr. proposé par le ministre en faveur des instituteurs) n'est pas indispensable, alors qu'en vertu de la loi il peut y avoir recours au Roi, quant au traitement.
« En effet, ce recours sera une espèce de garantie. Le conseil communal propose un traitement ; la députation trouve que ce traitement est insuffisant et n'approuve pas la fixation ; et dans ce cas, le conseil communal sera tenu d'augmenter le chiffre, si le Roi trouve que la commune a eu tort de ne pas fixer le traitement à un taux plus élevé.
« Si la députation approuve le chiffre arrêté par le conseil, et que l'inspecteur ne le trouve pas suffisant, le Roi pourra, sur la réclamation de ce fonctionnaire, majorer le traitement, nonobstant la fixation arrêtée par le conseil communal et par la députation.
« Il y a donc là toute espèce de garantie. »
Dans la même discussion, le même orateur disait encore :
« Il est permis à tout individu de la commune qui croirait qu'une école communale y est nécessaire de prendre son recours auprès du Roi contre la décision contraire du conseil communal.
« Ainsi, le gouvernement central est appelé à contrôler les résolutions des autorités communales et provinciales. On a donc toutes les garanties désirables. »
Voilà comment s'exprimait l'honorable comte de Theux dans la discussion de la loi sur l'enseignement primaire, et plus tard il affirma les mêmes principes de la manière la plus claire dans le premier rapport triennal. Ce qui prouve à l'évidence que l'article 125 de la loi provinciale n'est pas applicable au recours (en matière d'enseignement primaire), c'est que jamais les actes qui en sont l'objet ne pourraient avoir l'un des deux caractères d'illégalité exigés par l'article 125, à savoir « de blesser l'intérêt général ou d’excéder les attributions de la députation. » En effet, dans tous les cas prévus par la loi de l’instruction primaire, la députation décide toujours dans les limites de ses attributions, et l’objet qu’elle règle est un objet d’intérêt essentiellement local.
Il résulte donc de tout cela que le recours au Roi est toujours ouvert lorsqu'il s'agit de la loi de 1842.
La liberté des communes n'est nullement atteinte par la fixation d'un traitement maximum éventuel ; le traitement minimum de 200 francs est obligatoire, parce qu'il est fixé par la loi ; mais lorsque les communes veulent donner un traitement plus élevé de 300, de 400 ou de 500 fr., elles en sont parfaitement libres, sauf approbation ; elles apprécient et jugent.
C'est ainsi par exemple que pour le cas cité par l'honorable M. Wasseige, pour le cas de cumul, la circulaire ne dit pas aux communes qu'elles doivent déduire du traitement principal de l'instituteur le montant des traitements qu'il reçoit pour des fonctions accessoires ; maïs elle dit aux communes qu'elles peuvent tenir compte des traitements accessoires que touche l'instituteur.
L'arrêté royal a principalement pour but d'assurer une rémunération convenable aux instituteurs.
Je crois donc que ce règlement ne porte pas atteinte à la liberté communale. La commune reste maîtresse de faire comme elle l'entend. Si elle veut leur allouer un traitement excédant le maximum, elle est parfaitement libre de prendre cette mesure. Si elle fait cette largesse aux frais de sa propre caisse, le gouvernement ne trouve rien à y redire ; car, dans l'arrêté il ne s'agit que des communes subsidiées.
Si le gouvernement n'avait pas un certain contrôle sur le taux des traitements, il n'aurait plus en définitive qu'un seul droit, celui de payer. Les communes pourraient fixer les traitements, comme elles l'entendraient, et les députations permanentes pourraient les approuver, quelque exagérés que fussent ces traitements, et le gouvernement se résigner à les payer, sans rien avoir à contrôler et sous ce prétexte qu'il doit pourvoir à l'insuffisance des ressources communales.
Messieurs, le droit de réglementation par voie d'arrêté général n'est pas un droit nouveau ; il a été, appliqué dans beaucoup de circonstances par mes honorables prédécesseurs.
Ainsi, un arrêté royal du 26 mai 1842 détermine les conditions auxquelles les enfants pauvres seront admis à recevoir l'instruction gratuite. Un autre arrêté royal du 15 août 1846 contient un règlement général pour la tenue des écoles primaires communales. Un autre arrêté royal du 7 mai 1849 fixe l'époque à laquelle les traitements doivent être payés aux instituteurs des communes ou le payement de ces traitements éprouverait de longs retards. Enfin un arrêté royal de 1852 établit le concours.
D'ailleurs le droit de faire des règlements dans l'intérêt général dérive clairement de l'article 67 de la Constitution. Il s'agit de savoir, dans le cas actuel, si, comme je le prétends, le règlement incriminé est conforme à la loi, s'il doit en assurer l'exécution, ou, comme le prétend l'honorable M. Wasseige, s'il est contraire à la loi même.
Messieurs, ce règlement a un autre but, celui de développer, de favoriser l'enseignement primaire.
Si l'on n'assurait pas un casuel à l'instituteur, si l'on supprimait le casuel comme on l'a fait dans plusieurs communes, il en résulterait que l’instituteur n'aurait plus de stimulant, qu'il n'aurait plus d'intérêt à avoir des élèves.
Le casuel est prévu par la loi de 1842. Eh bien, en fixant un casuel, on a voulu intéresser l'instituteur à avoir beaucoup d'élèves. En d'autres termes, le règlement que l'on attaque a le double but d'améliorer la position des instituteurs et d'améliorer l'état de l'enseignement.
Il n'y a peut-être pas de province où l'on fasse plus de sacrifices pour l'enseignement primaire que dans la province de Namur ; et cependant il n'y a peut-être pas non plus de province où les écoles soient moins fréquentées. Les traitements y sont très élevés et le produit du casuel l'est très peu.
Voici un extrait d'un rapport qui m'a été adressé, il y a quelque temps déjà, et qui n'a pas été fait dès lors pour les besoins de la cause :
« ... Les instituteurs (dans la province de Namur), dit ce document, se soucient peu du nombre d'élèves qu'ils doivent avoir dans leurs classes et de leur degré d'instruction.... 120 écoles ont pris part cette année au concours ; 45 n'avaient au 1er janvier que 4 à 8 élèves dans la division supérieure ; 45 n'en avaient que 1 à 3 et 20 n'en avaient aucun ; 12 écoles seulement en avaient plus de 8. La plupart des écoles, pendant les mois d'été, n'avaient plus la moitié des élèves, d'autres n'en avaient plus le tiers, quelques-unes n'en avaient plus le quart. »
N'est-ce pas là un abus qu'il faut à tout prix chercher à faire cesser ? En intéressant l'instituteur communal à avoir beaucoup d'élèves, je crois que nous rendons un véritable service à l'enseignement primaire.
La quotité des traitements dans le chiffre total des émoluments accordés aux instituteurs varie dans de fortes proportions suivant les diverses provinces.
(erratum, page 416) Pour la province de Brabant le casuel entre pour 66 centièmes et le traitement fixes pour 34 centièmes seulement dans les émoluments des instituteurs du Brabant, et dans la province de Namur il est de 67 1/2 pour le traitement et de 32 1/2 pour le casuel.
Peut-on me reprocher de chercher à faire payer une partie des frais (page 407) d'écolage par les élèves inscrits ? Dernièrement, l'honorable M. Dechamps s'est plaint de ce que le gouvernement contribuait pour une somme trop considérable dans les dépenses de l'enseignement primaire. Il nous reprochait de ne pas faire payer assez les élèves. Le casuel, disait-il, diminue sans cesse.
L'honorable M. Henri Dumortier faisait observer qu'il fallait que l'enseignement primaire fût plus communal et plus rétribué par ceux qui en profitaient.
M. H. Dumortier. - Je le maintiens.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Vous avez raison, et c'est pour atteindre ce but, que le règlement qui a été incriminé à tort, selon moi, comme étant illégal, a été fait. Il aura, je l'espère, des résultats très favorables pour l'enseignement primaire ; il augmentera le nombre des élèves qui fréquentent les écoles et le casuel des instituteurs ; et ainsi nous atteindrons un double but.
Je crois, messieurs, ne pas devoir discuter à fond, pour le moment, tous les points traités par l'honorable membre et qui seront rencontrés dans la correspondance à échanger entre le gouvernement et la députation permanente du conseil provincial de la province de Namur.
J'ajouterai cependant qu'on ne peut pas admettre qu'en présence de l'article 23 de la loi de 1842, le gouvernement soit obligé de combler l'insuffisance des ressources communales sans y exercer un certain contrôle. S'il pouvait en être ainsi, le budget de l'Etat serait mis à la disposition des communes, ce que personne ne veut, bien certainement. Il en résulterait que les communes diminueraient constamment leur part d'intervention, que les parents ne payeraient plus rien et on finirait par faire payer le tout par l'Etat. Or, ce n'est pas ce que nous voulons et c'est une tendance que nous devons empêcher de se développer.
M. Wasseige. - Comme la question dont j'ai entretenu la Chambre est entrée dans la voie d'une discussion administrative, et que M. le ministre de l'intérieur nous annonce qu'il a répondu au mémoire présenté par la députation permanente de la province de Namur, sur ce même objet, mémoire dont j'ignorais complètement le contenu et l'envoi au département de l'intérieur, j'attendrai le résultat de cette correspondance pour l'apprécier et renouveler alors mes observations par motion d'ordre, si je le juge convenable. Seulement, je crois devoir constater que M. le ministre n'a pas répondu à mes principales objections et notamment, quant au droit qu'il s'est arrogé de classer les communes en trois catégories et de supprimer la subvention globale pour l'instruction des enfants indigents, pour former exclusivement le casuel d'une rétribution par tête.
Je proteste également de toutes mes forces contre la signification qu'il a donnée aux mots « recours au Roi », employés dans la loi de 1842, je persiste à croire que ces mots n'ont que la signification que je leur ai donnée, signification grammaticale et naturelle ; qu'ils ont la même valeur que « recours en cassation » ; et que ce recours n'est autorisé qu'en cas de dissentiment entre l'administration communale et l'administration provinciale ; et lorsqu'une partie intéressée se croit lésée, lorsque la loi veut que le gouvernement intervienne d'office et spontanément, elle se sert des mots « sous l'approbation du roi », ainsi que cela existe dans plusieurs dispositions de la loi communale, et non des mots « sauf recours au Roi », dont la signification est bien plus restreinte.
Je n'ai pas voulu non plus prétendre que les communes pussent exagérer les traitements de leurs instituteurs, de manière à compromettre les finances de l'Etat.
L'Etat, sous ce rapport, a des garanties suffisantes dans les députations permanentes et dans les intérêts provinciaux qu'elles ont à sauvegarder,
D'ailleurs, je ne nie pas le droit que l'Etat peut avoir, d'intervenir dans certains cas, et dans certaines limites, mais ce que je nie, c'est que l'Etat ait le droit de réglementer cette matière en prenant des mesures générales et préalables.
Quant à l'intervention des communes, le gouvernement ne peut la réclamer qu'autant que la loi le lui permet ; et quand la commune et la province font ce que l'article 23 de la loi de 1842 leur impose, le gouvernement ne peut rien exiger au-delà ; ce n'est pas seulement pour le gouvernement un devoir, mais une véritable nécessité d'intervenir.
Je me borne, quant à présent, à ces quelques observations ; la Chambre ne me paraissant pas disposée à rentrer actuellement dans une discussion approfondie sur cette matière. J'attendrai que la réponse de M. le ministre à la députation permanente de la province de Namur me soit connue pour juger d'après la solution que la question aura reçue, si je crois convenable d’en saisir de nouveau la Chambre.
M. le président. - L'incident est clos. Nous reprenons la discussion du chapitre XVIII (lettres et sciences).
« Art. 102. Subsides et encouragements ; souscriptions, voyages et missions littéraires, scientifiques ou archéologiques ; fouilles et travaux dans l'intérêt de l'archéologie nationale ; sociétés littéraires et scientifiques ; dépenses diverses ; secours à des littérateurs ou savants qui sont dans le besoin ou aux familles de littérateurs ou savants décédés ; subsides aux dames veuves Van Ryswyck, Vankerckhove, Gaucet et Denis Sotiau ; subsides à des élèves de l'enseignement supérieur libre ; prix quinquennaux fondés par les arrêtés royaux du 1er décembre 1845, du 6 juillet 1851 et du 25 novembre 1859 ; publication des Chroniques belges inédites ; table chronologique des chartes, diplômes, lettres patentes et autres actes imprimés, concernant l'histoire de la Belgique ; bureau de paléographie, publication de documents rapportés d'Espagne ; exécution d'une description géographique et historique du royaume de Belgique ; prix institué pour une histoire des anciennes assemblées nationales de Belgique depuis le règne de Philippe le Bon ; concours extraordinaire pour le meilleur ouvrage sur le développement de la Belgique depuis 1830 ; formation d'un tableau des anciennes assemblées nationales décrétée par arrêté royal du 27 septembre 1860. Indemnités aux fonctionnaires et employés des archives générales du royaume, des archives provinciales et communales qui ont concouru à la confection de ce travail ; frais de la publication du tableau des assemblées nationales et mises en lumière des actes de ces assemblées : fr. 87,500.
« Charge extraordinaire : fr. 52,400. »
M. le président. - Ici vient un amendement de M. le ministre de l'intérieur tendant à ajouter au texte « continuation de la publication des actes des Etats-Généraux de 1632 » et à augmenter l'allocation de 52,400 qui figure dans les colonnes des charges extraordinaires, d'une somme de 4,500 francs.
M. H. Dumortier. - Parmi les crédits pétitionnes à cet article, j'en remarque un sur lequel je désire appeler un instant l'attention de M. le ministre de l'intérieur.
Ce n’est un secret pour personne, messieurs qu'en Belgique la position d'homme de lettres est aussi ingrate que peu lucrative. Depuis longtemps, le gouvernement at porté son attention sur cette situation et la Chambre elle-même vote chaque année certains crédits pour y porter remède. Cependant, messieurs, soit que ces crédits entrent plutôt dans la caisse des éditeurs et des libraires que dans la poche des auteurs, soit par toute autre cause, il est évident que ces sacrifices restent pour ainsi dire sans résultat au point de vue des belles-lettres.
Les efforts du gouvernement ont plus particulièrement porté sur l'encouragement à la littérature dramatique, et l'arrêté royal du 2 avril 1860 a décidé de donner des subsides pour les travaux de littérature dramatique.
M. Hymans, rapporteur. - Cette observation a trait aux beaux-arts.
M. H. Dumortier. - En effet, mais je n'ai plus qu'un mot à ajouter. Je demande la permission de continuer.
Je disais donc que l'arrêté du 2 avril 1860 a décrété la collation de prix en argent aux auteurs d'œuvres dramatiques ; mais cet arrêté est resté pour ainsi dire à l'état de lettre morte ; voici pourquoi. Pour que ces prix puissent être accordés, il faut que les pièces de théâtre soient acceptées d'abord par un comité et ensuite par un directeur de théâtre. Or, messieurs, si ce comité s'est trouvé assez rarement dans le cas de recevoir des œuvres dramatiques, il a été infiniment plus rare encore de trouver des directeurs de théâtre qui voulussent bien accepter ces œuvres et consentir à les faire jouer.
Or, il paraîtrait que les exigences de ces messieurs ont été telles jusqu'à présent, qu'elles ont eu pour effet d'absorber complètement les prix alloués aux auteurs dramatiques dont ils ont consenti à faire représenter les œuvres. Aussi ai-je pu constater que le rapport de la commission spéciale qui s'est occupé de cette question constitue un véritable procès-verbal de carence.
Il en résulte que l'art dramatique ne fait aucun progrès dans notre pays et que notre scène est constamment occupée par des pièces qui peuvent être très spirituelles, comme les Ganaches, le fils de Giboyer, les Misérables, etc. ; mais qui émanent d'un autre milieu que le nôtre et qui ne sont peut-être pas sans danger pour l'avenir.
Car, messieurs, il ne faut pas le perdre de vue, il y a ici une question de patriotisme et je crois qu'il n'est pas prudent, pour le présent et pour (page 408) l'avenir, que notre scène soit exclusivement occupée par cette littérature exotique, au lieu de produire de temps en temps des œuvres belges qui apprennent à nos patriotiques populations que les Flamands, les Brabançons et les Liégeois connaissaient et pratiquaient la liberté plusieurs siècles avant 1789 et qui, en leur rappelant nos glorieuses traditions nationales, les attachent ainsi de plus en plus à nos institutions libérales.
Maintenant, vient la question de savoir par quel moyen il serait possible d’arriver à ce résultat. Je comprends que l'on ne puisse pas forcer les directeurs de théâtre à faire représenter, gratuitement pour leurs auteurs, les pièces indigènes qui leur sont présentées ; mais je me demande si l'on ne pourrait pas introduire une disposition relative à cet objet dans les cahiers de charges des concessions d'exploitation des théâtres.
- Plusieurs membres. - C'est une affaire communale.
M. H. Dumortier. - Soit ! Il me suffit que le moyen soit praticable, et ce qui le prouve, c'est que la ville de Liège a pris déjà l'initiative d'une mesure de ce genre. Il serait à désirer que les autres localités ayant des salles de spectacle suivissent cet exemple patriotique. J'engage le gouvernement à porter sur ce point sa sérieuse attention et à rechercher les moyens d'obtenir un résultat sérieux des sacrifices qu'il fait pour les lettres et pour les beaux-arts.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, comme vient de le dire l'honorable membre, le gouvernement a cherché à favoriser la représentation des œuvres dramatiques dues à des auteurs belges. Après examen, il a pensé que le meilleur moyen était celui qui a été adopté, c'est-à-dire de donner des primes par représentation pour le théâtre flamand ; ce système réussit ; tout le monde sait qu'on représente beaucoup de pièces flamandes aujourd'hui sur des théâtres de sociétés et sur des théâtres publics.
Quant aux pièces françaises, comme l'a reconnu l'honorable membre, le gouvernement ne peut pas imposer à un directeur l'obligation de jouer telle ou telle pièce, il ne peut pas introduire dans les conventions avec les directeurs une clause en ce sens ; c'est une affaire communale ; plusieurs communes ont inscrit cette clause ; on l'a fait, je crois, à Liège, à Bruxelles.
On a engagé aussi les directeurs à représenter des pièces nationales ; le gouvernement est allé plus loin, il a donné des indemnités considérables pour faire représenter, dans certaines circonstances, des pièces spéciales ; on a accordé de forts subsides pour assurer la représentation de certaines œuvres importantes. Est-il possible d'aller plus loin, de faire plus ?
Si on trouvait d'autres moyens pour atteindre le résultat que nous désirons tous voir se réaliser je serais le premier à y applaudir et à y prêter les mains. Messieurs, je demande à la Chambre la permission de proposer une modification au littéra A de l'article 102, elle consisterait à ajouter ces mots : « Subsides extraordinaires à l'académie royale de Belgique » afin de la mettre à même d'accorder des prix pour les principales questions portées aux programmes de ses concours.
Les primes accordées jusqu'ici par l'Académie sont reconnues insuffisantes ; le gouvernement a fait connaître à ce corps savant qu'à l'avenir il mettrait à sa disposition une somme supplémentaire de 3 mille fr. Je ne demande pas, cette année, d'augmentation le crédit, tel qu'il est porté au budget, me suffira ; mais je propose la modification du libellé afin de pouvoir liquider les dépenses imputées sur cet article. La Chambre n'y verra pas, je pense, aucun inconvénient.
M. Hymans, rapporteur. - L'honorable M. Henri Dumortier a soulevé tout à l'heure une question intéressante, sur laquelle je demanderai la permission de dire quelques mots. Il est malheureusement vrai, comme l'a dit l'honorable membre, que la carrière d'auteur dramatique est fort ingrate en Belgique, mieux vaudrait dire qu'elle n'existe pas.
Le gouvernement a voulu donner aux auteurs les moyens de se produire et a voulu ouvrir une carrière aux écrivains en instituant des primes pour les pièces de théâtre ; c'est une excellente intention, mais il doit être permis de constater que bien que les sommes votées aient été dépensées, l'institution de primes n'a guère produit de résultats en dehors du théâtre flamand.
A quoi cela tient-il ? A des raisons de diverse nature. Si l'on ne joue pas de pièces belges, c'est, d'abord, parce qu'on n'en fait pas. Je suis convaincu que si un auteur belge apportait à un directeur de théâtre une bonne pièce, une œuvre de nature à produire des recettes fructueuses elle serait acceptée, et que le public lui ferait un excellent accueil ; si les œuvres de nos compatriotes avaient la valeur des Ganaches et du Fils de Giboyer dont M. Dumortier fait trop bon marché, elles auraient certainement du succès. Quand nos auteurs en feront autant, le gouvernement pourra sans danger supprimer les subsides et les primes.
Le gouvernement, je le répète, a été mu par de bonnes intentions en instituant des primes pour encourager l'art dramatique. Mais je crois qu'il y a dans l'arrêté royal de 1860 une petite clause qui le rend stérile, que si on pouvait y introduire une légère modification on obtiendrait des résultats plus sérieux que ceux qu'on a constatés jusqu'à présent.
Toute pièce d'auteur belge pour obtenir la prime doit être approuvée par un comité de lecture qui exerce une sorte de censure préventive. Je crois que c'est là un mal. Il arrive que des pièces sont admises à la prime, sans être pour cela jouées.
Quand le comité admet une pièce, aucun directeur n'est obligé pour cela de la représenter.
Il a le droit de se retrancher derrière les frais de mise en scène ; malgré l'opinion exprimée par le comité de lecture, il a le droit de trouver l'œuvre mauvaise et de lui préférer des pièces d'origine étrangère-. Ains l’intervention gouvernementale ne sert à rien. Si l'on pouvait décerner des primes à des pièces jouées sans l'intervention préalable du comité, si le jugement n'était rendu qu'après la représentation, sur le contrôle du public, les résultats seraient beaucoup plus sérieux ; on exciterait une émulation plus vive parmi les écrivains ; on exciterait aussi le zèle des directeurs.
Encore une fois, il y aurait sur ce point une légère modification à introduire dans l'arrêté royal de 1860.
Quant à l'obligation à inscrire dans le cahier des charges des directeurs, comme le gouvernement ne subsidie pas de théâtre, il ne peut imposer de conditions à des industriels qui ne relèvent pas de lui et qui ne jouissent d'aucun privilège.
Mais il y aurait peut-être lieu d'accorder les subsides aux villes ou bien de les faire distribuer directement par l'Etat. De cette façon, les communes pourraient imposer des conditions aux directeurs.
Ainsi la ville de Bruxelles qui jadis imposait aux directeurs l'obligation de représenter un certain nombre de pièces belges par an, et qui a supprimé cette clause, songerait peut-être à la rétablir.
(page 415) M. Pirmez. - Messieurs, dans les notes explicatives que M. le ministre de l'intérieur a jointes à son budget, nous lisons ce qui suit :
« Art. 102. Exécution d'une description géographique et historique du royaume de Belgique, 6,000 fr. s
« La troisième livraison de cette publication a paru ; elle est consacrée à la description de la ville et du canton de Nivelés. La quatrième livraison paraîtra sous peu. »
J'ai voulu savoir, messieurs, ce que c'était que cet ouvrage dont 3 livraisons seulement avaient paru et pour lequel figure au budget une subvention annuelle de 6,000 fr.
J'ai trouvé, je dois le dire, que ces trois livraisons contiennent un travail très complet, très bien fait sur deux des cantons du Brabant, et si cet ouvrage n'avait pas été subventionné par le budget, je n'aurais eu que des félicitations à adresser à ses auteurs et des vœux à former pour l'achèvement de leur entreprise.
Mais comme ces trois livraisons m'ont paru tout d'abord constituer une œuvre fort peu étendue relativement à la somme allouée au budget, j'ai voulu connaître tout ce qui concerne cette affaire et je demande à la Chambre la permission de lui soumettre le résultat de mes recherches.
Cette somme de 6,000 francs figure au budget depuis 1857. Elle a donc été payée pendant 6 ans déjà.
Voici en quels termes M. de Decker, ministre de l'intérieur à cette époque, demandait à la Chambre l'allocation de ce crédit :
« La Description géographique et historique de la Belgique formera dix parties ou volumes ; le premier contiendra un travail général sur le royaume et un dictionnaire de tous les noms des personnes et des lieux cités dans l'ouvrage ; les neuf autres seront consacrés aux neuf provinces et varieront d'étendue à raison de l'importance de celles-ci. Chaque volume paraîtra par livraison mensuelle de 80 à 100 pages environ à deux colonnes d'un format in-8° très compacte ; chaque livraison comprendra la description d'un canton de justice de paix.
« MM. Tarlier et Wauters estiment que le travail qu’ils projettent d'entreprendre exigera dix années ; la première sera consacrée aux recherches générales, à la réunion des principaux matériaux, etc. La description de chaque province et la publication du volume qui s'y rapporte demandera une année en moyenne.
« Pour les mettre à même de s'occuper de ce travail avec assiduité et persistance, le gouvernement leur allouerait à chacun une subvention annuelle de 53000 fr. dont 2,0t)0 fr. à titre de rémunération et 1,000 fr. à titre d'indemnité pour les voyages qu'ils seront obligés de faire.
« Il est donc bien entendu que le crédit proposé serait continué pendant dix années à partir du budget de 1857. »
Telles étaient, messieurs, les promesses qui étaient faites à la Chambre lorsque le crédit fut demandé pour la première fois. Il souleva cependant une vive opposition, et si la tradition que j'ai recueillie est exacte, le crédit ne passa qu'à une voix de majorité.
L'honorable M. de Naeyer entre autres signalait qu'il s'agissait en définitive d'engager une somme de 60,000 fr. et qu'il fallait y regarder à deux fois avant de donner pareil subside à un ouvrage.
L'honorable M. Coomans l'interrompant disait : « 60,000 fr. sans les queues », et l'honorable M. de Naeyer répondait avec une incontestable justesse : « Oui, sans les queues qui naturellement viendront après. »
Ces observations montraient chez leurs auteurs une très profonde connaissance de la physiologie des créations budgétaires qui toujours ont cet appendice très développé, mais je doute que toute la perspicacité de ces honorables membres ait pu leur faire concevoir les gigantesques proportions qu'il atteindrait dans le crédit qui nous occupe.
Messieurs, vous avez compris par la lecture de ce fragment de l'exposé des motifs que le travail devait durer 10 ans ; ce laps de temps devait suffire à faire la description complète de la Belgique. La première année devait être consacrée à faire les recherches, à rassembler les matériaux nécessaires. Chacune des années suivantes devait voir paraître un volume comprenant 12 livraisons de 80 à 100 pages, et contenant la description d'une province.
Qu'avons- nous eu au lieu de cela ?
Nous avons eu, messieurs, trois livraisons que j'ai sous la main. Ces trois livraisons ont mis six ans à paraître, en sorte la publication de chaque livraison mensuelles, duré 2 années.
Ces trois livraisons nous coûtent 36,000 fr. ; c'est-à-dire 12,000 fr. chacune.
De quoi traitent ces 3 livraisons ? De deux cantons de la Belgique seulement.
La première livraison s'occupe du canton de Genappe ; la seconde, des communes rurales du canton de Nivelles, et la troisième, de la ville de Nivelles.
Ainsi au lieu de 60 livraisons promises pour les six années (en ne comptant pas la première) et de la description de cinq provinces, nous avons 3 livraisons et la description de deux cantons.
Comme il y a quelque chose comme 200 cantons en Belgique, nous sommes justement au centième de la publication. Elle pourra donc durer 600 ans à raison de 6,000 fr. par an.
On prétendra peut-être que mon calcul est exagéré parce que dans ces trois livraisons nous en trouvons une qui est exclusivement consacrée à un chef-lieu d'arrondissement et qu'une de ces villes auxquelles une livraison spéciale, est consacrée, ne se rencontre pas en moyenne par deux cantons.
Je pourrais répondre à cette objection en examinant ce qu'on doit faire pour nos plus illustres cités, si Nivelles et Genappe occupent pareille place ; mais je vais prendre une autre base.
Le Brabant doit avoir 24 livraisons. La partie de l'ouvrage qui le concerne ne finira donc que vers l'an 1900.
Comme il doit y avoir dix volumes en comptant le volume s'occupant du pays en général, nous aurons un total de 240 livraisons.
A deux ans par livraison nous en aurons encore pour près de 500 ans.
Si nous nous appliquons maintenant à calculer le prix total de l'ouvrage, nous constatons qu'il doit s'élever à 3,000,000 fr. environ.
Mais ce n'est pas tout ; il est une chose désespérante, c'est que l'on ne peut espérer de voir finir le travail ; quand il sera à moitié, on sera probablement obligé de recommencer.
En effet l'histoire du canton de Genappe dans 250 ans sera déjà assez ancienne pour qu'il faille la refaire et entamer ainsi une nouvelle série de livraisons.
Je dois dire, messieurs, que quand j'ai fait d'abord le calcul, j'ai pensé qu'il y avait quelque chose à en rabattre et je me suis fait une objection que probablement vous vous faites aussi, c'est que la mise en train d'un pareil ouvrage demande un certain temps ; qu'il faut d'abord rechercher les documents, accumuler les matériaux et que ce travail préparatoire fait, on peut aller plus vite.
J'ai été forcé de renoncer à cette espérance. Voici pourquoi :
D'abord, il est très rare qu'en vieillissant on devienne plus actif. Il est aussi très rare que l'on mette plus d'ardeur à un travail ancien qu'à un travail nouveau. L'activité et l'ardeur ne vont guère qu'en déclinant.
Mais ce n'est là qu'une appréciation générale, j'ai cherché quelque éclaircissement plus précis dans la marche du travail.
Or, force m'est de constater que nous sommes menacés de le voir aller plus lentement encore.
Voyez en effet ce qui s'est passé.
La première livraison a paru en novembre 1859.
La deuxième, en novembre 1860, c'est-à-dire un an après la première.
La troisième n'a paru qu'en mai 1862, c'est-à-dire 1 1/2 an après la deuxième.
Il y a donc déjà ralentissement.
Mais ce n'est pas tout. La première s'occupait du canton de Genappe, la deuxième du canton de Nivelles ; la troisième de la ville de Nivelles.
Il y avait entre les deux premières livraisons une différence quelconque quoique fort insensible, entre les lieux décrits, mais les deux dernières s'occupent de la même matière. Il est évident que l'on n'a pu faire l'histoire du canton de Nivelles sans avoir les matériaux nécessaires pour faire l'histoire de la ville de Nivelles.
En novembre 1860 on avait tout ce qu'il fallait pour faire la troisième livraison ; et cela n'empêche que cette troisième livraison ne paraisse qu'un an et demi après la seconde !
Je me demande maintenant ce que cette lenteur, passablement inquiétante déjà, deviendra lorsque les auteurs auront à s'occuper des cantons éloignés de leur domicile. Si je ne me trompe, l'un des auteurs habite l'un des cantons décrits ; l'autre canton est voisin, et tous deux sont fort proches de la capitale.
Lorsqu'il s'agira de faire la description des communes situées au fond du Luxembourg ou de la Flandre, de l'arrondissement d'Arlon ou de Nieuport, par exemple, n'avons-nous pas à craindre qu'il ne paraisse pas une livraison tous les dix ans ?
La Chambre appréciera ce qu'elle a à faire.
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(page 416) Pour moi, j'ai tenu à signaler ce fait, non seulement pour faire la critique de ce cas spécial, mais pour indiquer, une fois de plus, ce qu'il a vient des subsides que donne le gouvernement, et montrer les tristes résultats de son intervention.
Le subside accordé a été demandé dans les meilleures intentions.
M. de Decker espérait qu'au bout de dix ans le pays serait enrichi d'une description topographique et historique plus complète que celle d'aucun royaume. Ses intentions très bonnes et très louable ne sont certes pas couronnées de résultats répondant à son attente.
Je cite cet exemple à M. le ministre de l’intérieur ; je l'engage à le méditer. Ce nouveau fait, qui n'est d'ailleurs que la répétition de ce qui se passe toujours dans des cas semblables, lui montrera, j'espère, les déceptions que l'on rencontre lorsqu'on entre dans la voie des encouragements et des subsides.
(page 408) M. Van Overloop. - Je suis heureux des critiques que vient de soulever l'honorable M. Pirmez, pour deux motifs.
Le premier motif, c'est qu'il a appelé l'attention du public sur un ouvrage excessivement intéressant qui fera honneur à la Belgique.
Le second, c'est que j'espère que les critiques dirigées contre la lenteur avec laquelle paraît cet ouvrage, auront pour effet d'engager les savants auteurs, MM. Tarlier et Wauters, à travailler avec plus d'activité à cette publication.
Il ne faut pas se dissimuler qu'il sera impossible de faire paraître cet ouvrage en dix ans. Nous comptons en moyenne 300 communes par province. Or s'il fallait faire l'histoire de toutes les communes d'une province en une année, il en résulterait qu'il faudrait faire l'histoire d'une commune à peu près par jour.
C'est ce qui est de toute impossibilité.
Quant à l'ouvrage en lui-même, et j'appelle sur ce point toute l'attention de mes honorables collègues, je répète qu'il est excessivement intéressant et qu'il facilitera singulièrement l'étude de l'histoire de notre pays. Ainsi il contient la topographie et la dénomination de tous les lieux tant anciens que modernes ; la population et le nombre des foyers à différentes époques, l'histoire de chaque grand établissement industriel, des voies de communication, des marchés ; l'histoire de toutes les découvertes archéologiques ; l'historique des faits remarquables qui se sont passés dans chaque commune ; l'organisation communale ; l’organisation seigneuriale ; l'histoire authentique des seigneuries, des abbayes, des églises, des paroisses et des établissements de bienfaisance et d'instruction, la biographie abrégée de tous les hommes qui se sont distingués dans la commune ; des cartes très bien faites et très détaillées.
Voilà en quoi se résume l'ouvrage de MM. Wauters et Tarlier.
Je le répète, je me joins aux critiques de l'honorable M. Pirmez en ce qu'elles sont dirigées contre la lenteur que, d'après moi également, on met à la publication de cet ouvrage. Mais je regretterais fort qu'on retirât les subsides alloués, depuis 1857, à un ouvrage qui est d'une incontestable utilité.
M. Jamar. - Les considérations que mon honorable ami M. Pirmez vient de présenter sont de deux natures.
Les unes se rapportent à un fait spécial sur lequel l'honorable ministre de l'intérieur donnera sans aucun doute des explications satisfaisantes à la Chambre.
Comme l'honorable M. Van Overloop et comme l'honorable député de Charleroi, je rends hommage à l'utilité de l'ouvrage mis en cause et au mérite des deux hommes qui sont chargés de ce travail.
(page 409) Quant à la dérogation aux conditions primitives de l'entreprise, il n'est pas douteux que M. le ministre de l'intérieur l'explique de manière à la justifier.
Aussi sachant combien les moments de la Chambre sont précieux, je n'eusse pas demandé la parole, si l'honorable député de Charleroi avait borné ses observations à ce fait spécial ; mais de ce qu'il considère comme un abus, il conclut à la suppression complète de tout encouragement, de tout subside à des publications scientifiques ou littéraires.
C'est contre cette conclusion que je viens protester.
Je ne crains pas d'affirmer que la plupart des publications faites depuis vingt ans en Belgique, et dont beaucoup ont une importance et une valeur que personne ne contestera, n'auraient pas été faites sans l'intervention du gouvernement, car les subsides que le gouvernement accordait servaient, la plupart du temps, à couvrir en partie les frais matériels de ces publications.
Quant aux hommes de talent et de cœur qui consacrent leur temps à des travaux dont plusieurs font un grand honneur au pays, ils ne retirent ordinairement de ce travail qu'une rémunération insignifiante et sans comparaison avec celle que des travaux analogues auraient produit, en France et en Angleterre. Aussi vous voyez presque toujours ces hommes obligés de chercher, soit dans l'administration, soit dans l'enseignement, les ressources que leurs travaux scientifiques ou littéraires ne peuvent leur procurer.
Il y a, messieurs, dans cette question, d'autres intérêts.
Il y a d'abord l'intérêt industriel et, je le déclare, j'en fais bon marché, bien que des considérations sérieuses, des considérations d’équité puissent être invoquées dans cette enceinte pour légitimes l'intervention du gouvernement.
Il ne faut pas perdre de vue, en effet, que la convention littéraire conclue avec la France en 1854, et qui fut le prix des concessions faites par la France à d'autres grandes industries du pays, a eu des résultats funestes pour le commerce de la librairie.
Non seulement l'avenir de ce commerce reçut un coup fatal ; mais par une mesure peu justifiée, par une rétroactivité fort dure, on le frappait dans son passé en imposant l'exploitation des clichés d'un droit de 10 p. c. au profit des éditions françaises. Aussi, à cette époque, sur tous les bancs de cette chambre, l'honorable M. Verhaegen sur les bancs de la gauche, l'honorable M. Dumortier sur les bancs de la droite, n'hésitèrent pas à indiquer les considérations qui devaient faire attribuer au commerce de la librairie une indemnité qu'il n'a jamais obtenue.
Quant aux résultats de la convention dont on a dit quelquefois qu'elle avait été très favorable aux intérêts de la librairie belge, deux chiffres nous permettront de les apprécier.
En 1854, à l'époque de la convention, nos exportations s'élevaient à 2,800,000 francs par an.
En 1861, le chiffre a été réduit à 1,300,000 fr. Cependant, messieurs, je le répète, je fais très bon marché de l'intérêt industriel. Je compte sur l'industrie privée, sur ses efforts énergiques pour réparer le mal qui a été fait par la convention. Mais si le chiffre de nos exportations vous indique la situation fâcheuse de notre commerce, le chiffre de nos importations est digne des méditations les plus sérieuses de tous ceux qui se rendent un compte exact de l'influence du journal et de la presse sur les progrès delà civilisation et de l'esprit humain.
En 1854, la France n’importait en Belgique qu'un million de fr. En 1861, l'importation française s'est élevée à 2 millions. Pensez-vous, messieurs, que ces bataillons d'idées étrangères à nos mœurs, hostiles quelquefois à nos institutions et même à notre nationalité, traversent toujours nos frontières impunément ? Pour ma part, je ne le pense pas. Il faut y prendre garde.
Je suis, autant que l'honorable député de Charleroi, l'ennemi déclaré de l'intervention du gouvernement dans l'industrie sous quelque forme que ce soit, protection, prime ou subside.
Mais je dis que nous rencontrons ici la seule raison qui puisse légitimer cette intervention : un grand intérêt moral et national.
Les livres, messieurs, que l'on donne en prix dans la plupart de nos collèges et de nos athénées sont des livres français, et je pourrais en citer plus d'un, parfaitement orthodoxe il est vrai, mais dans lesquels notre histoire nationale et surtout les luttes de nos anciennes communes contre la France sont travesties de la manière la plus pitoyable.
Les revues les plus répandues sont des recueils français. Je dis qu'il y a là une espèce d’annexion littéraire contre laquelle il est temps de réagir. Je n'entends pas faire le procès à la littérature française, je ne viens pas demander que l'on proscrive les livres français, mais j’aimerais mieux, je l'avoue, que les livres donnés en prix à nos enfants, qu'ils conservent avec tant de bonheur, pour les lire et les relire encore, fussent des livres belges.
Je voudrais que le gouvernement encourageât aussi les publications populaires ; il s'en publie un grand nombre en Allemagne et en Angleterre et qui exercent la plus heureuse influence sur l'esprit public en parlant à tous, petits et grands, du passé, du présent et de l'avenir de la patrie.
Pour réaliser la plupart de ces idées il ne faudrait pas que le gouvernement fît de bien grands sacrifices et le pays en retirerait de précieux fruits.
Non seulement je ne saurais admettre les idées de mon honorable ami sur le rôle passif qu'il voudrait voir prendre au gouvernement, mais j'appelle avec confiance l'attention de l'honorable chef du département de l'intérieur sur les considérations que je viens d'avoir l'honneur de soumettre à la Chambre.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Les détails que vient de donner l'honorable M. Pirmez étaient déjà connus de la Chambre.
Si je tiens à donner, comme on le demande, des explications satisfaisantes, je dois tout d'abord rappeler que je suis de ceux qui ont voté contre le crédit demandé en 1857 par l'honorable M. de Decker. Mes explications ne seront donc pas suspectes.
D'après l'exposé des motifs, le travail de MM. Wauters et Tarlier devait être terminé en dix ans ; la première année devait être consacrée à réunir les matériaux, et un volume devait paraître ensuite tous les ans, Mais, messieurs, ce contrat était-il exécutable ?
Etait-il possible de faire en dix ans l'histoire de toutes les localités du pays, de toutes les seigneuries, de tous les lieux célèbres, l'histoire militaire, l'histoire archéologique ? Est-il possible de réunir en une année un nombre suffisant de documents et de faire paraître, tous les ans, l'histoire complète d'une province ? Tous ceux d'entre nous qui se sont occupés de travaux historiques savent combien il faut de temps pour préparer de semblables travaux ; lorsque les documents sont réunis, il faut se les approprier, se les classer dans l'esprit. Il est vrai de dire que lorsqu'un écrivain a réuni ses matériaux et lorsqu'il les a classés dans son esprit, son travail est aux trois quarts terminé.
Quant à l'utilité du travail dont il s'agit, elle ne saurait être contestée, et la section centrale qui, l'année dernière, a examiné le budget de l'intérieur, a encore reconnu que les livraisons qui ont paru sont irréprochables sous tous les rapports. La presse a fait le plus grand éloge de ce travail et, à mes yeux, si les auteurs ont un tort c'est de faire trop bien, c'est d'être trop consciencieux, ce reproche ne les blesse a sans doute pas. On pourrait peut-être leur dire : Faites un peu moins bien, mais faites beaucoup plus vite.
Les auteurs, MM. Tarlier et Wauters, que j'ai entretenus de cette affaire, m'ont donné des explications sur les causes du retard qu'a éprouvé leur publication. Ainsi, ils ont eu beaucoup de peine à trouver des graveurs pour graver leur carte ; ils ont eu aussi des difficultés avec leur imprimeur. Maintenant ils ont pris des mesures pour marcher beaucoup plus vite à l'avenir. Trois livraisons sont sous presse et ils espèrent encore en faire paraître plusieurs dans un délai assez rapproche.
Ce travail n'est pas le seul travail encouragé par le gouvernement qui ait subi des retards ; cependant c'est le seul qui ait suscité des critiques. Ainsi, nous encourageons par des subsides annuels les travaux complémentaires de la carte géologique du pays ; on ne voit pas, jusqu'ici, paraître la suite de ce travail. Cependant le savant qui s'en occupe apporte la plus grande activité à son travail. La carte topographique de la Belgique, faite par l'état-major, a nécessité le vote de plusieurs crédits ; peut-on dire que ce travail ne marche pas parce qu'il en a paru seulement une ou deux planches à titre de spécimen ?
Tout à l'heure l'honorable M. Hymans, en m'interrompant, a cité les bollandistes ; ce travail considérable a été commencé en 1857, et en 1862 il n'a été publié que 4 volumes.
M. H. Dumortier. - Il n'y a pas de comparaison.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Il n'y a pas de comparaison non plus entre les sommes payées ; on a payé à MM. Wauters et Tarlier 36,000 francs, tandis que les bollandistes ont reçu 141,000 francs pour quatre volumes ; 35,000 francs par volume.
Veuillez-le remarquer, messieurs, je ne critique pas le subside accordé aux Bollandistes, et s'il était attaqué, je serais le premier à le défendre. Le département de l'intérieur vient même de prendre encore quelques souscriptions à la réimpression des anciens Bollandistes. J'ai (page 410) voulu seulement démontrer que de pareils ouvrages ne peuvent être publiés en peu de temps.
Messieurs, il sera très diifficile ou plutôt impossible à MM, Wauters et Tarlier d'exécuter leur contrat, et la Chambre aura à examiner plus tard ce qu'elle entend faire. En attendant je constate qu'il s'agit d'un travail très utile et très remarquable et que, s'il laisse quelque chose à désirer, c'est qu'il se laisse désirer trop longtemps.
- L'article est mis aux voix et adopté.
« Art. 103. Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique ; publication des anciens monuments de la littérature flamande et d'une collection des grands écrivains du pays ; publication d'une biographie nationale ; publication d'un texte explicatif de la carte géologique de la Belgique : fr. 40,338.
« Charge extraordinaire : fr. 13,200. »
- Adopté.
« Art. 104. Observatoire royal ; personnel : fr. 18,540. »
M. Hymans, rapporteur. - Je demande à M. le ministre de l'intérieur s'il n'y a pas une erreur dans le chiffre de 18,540 fr. porté à l'article 104. D'après la mesure générale adoptée pour le personnel des divers établissements ressortissant au département de l'intérieur, une augmentation de 10 p. c. est proposée pour le personnel de l'observatoire royal.
Cette augmentation est de 1,800 fr. ; la moitié à porter au budget de 1863 est de 900 francs ; et cependant on ne demanda dans le budget en discussion qu'une augmentation de 520 francs.
La même observation s'applique au personnel de la bibliothèque royale ; le chiffre devrait être augmenté de 165 francs pour faire la moitié des 10 p. c. qu'on accorde.
Une rectification a déjà été faite par l'honorable ministre de l'intérieur, en ce qui concerne les archives. Il a dit à la section centrale que M. l'archiviste général du royaume lui avait fait savoir qu'une erreur avait été commise dans le chiffre demandé pour le personnel de son administration. Je pense qu'il y a également une erreur pour l'observatoire et pour la bibliothèque.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, nous avons déjà fait connaître qu'on augmente les traitements en moyenne de 10 p. c, mais qu'il n'y a pas lieu d'augmenter tous les traitements de 10 p. c. Ainsi certains fonctionnaires supérieurs dont le traitement actuel est suffisant ou à peu près suffisant, ne recevront pas nécessairement 10 p. c. ; d'autre part, certains employés recevront plus de 10 p. c. ; si ma mémoire m'est fidèle, car je n'ai pas le tableau sous les yeux. Au budget de 1864, les traitements seront portés à leur taux définitif et alors la Chambre pourra apprécier.
M. Hymans, rapporteur. -L'honorable ministre de l'intérieur fait erreur. D'après un tableau qu'il a fourni à la section centrale, et qui est joint au rapport, le traitement du directeur de l'observatoire et celui du conservateur en chef de la bibliothèque royale sont augmentés de 10 p. c.
Il n'y a donc pas de moyenne à prendre entre les divers traitements en faveur des petits.
M. le ministre de l'intérieur dit qu'il n'a pas le tableau sous les yeux ; mais il est imprimé à la suite du rapport de la section centrale ; et c'est précisément après l'avoir consulté que j'ai cru devoir demander une explication. (Interruption.)
- Une voix. - Réservons la question.
- Autres voix. - C'est inutile.
M. Hymans. - Pardon ; c'est très utile, c'est indispensable. La Chambre a accepté les explications de M. le ministre de l'intérieur. Je trouve qu'elles sont fondées sur une erreur de fait. Le chiffre de l'article 104 doit être augmenté de 380 Ir. et celui de l'article 106 de 165 fr. pour accorder justice à tout le monde.
M. le président. - Proposez-vous une modification ?
M. Hymans, rapporteur. - Oui, M. le président, à moins que M. le ministre de l'intérieur ne dise que les chiffres du tableau fourni à la section centrale sont inexacts.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, il y a probablement une erreur, ou une faute typographique : on aura mis 5 p. c. partout même là où cette indication ne doit pas se trouver.
M. Hymans, rapporteur. - Je n'insiste pas.
- L'article 104 est mis aux voix et adopté.
« Art. 105. Observatoire royal ; matériel et acquisitions : fr. 7,500. »
- Adopté.
« Art. 106. Bibliothèque royale ; personnel : fr. 31,710. »
- Adopté.
« Art. 107 Fiais de la fusion des trois fonds de la bibliothèque royale et frais de la rédaction du catalogue général ; charge extraordinaire : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 108. Bibliothèque royale ; matériel et acquisitions : fr. 33,320. »
- Adopté.
« Art. 109. Musée royal d'histoire naturelle ; personnel : fr. 10,810. »
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je désire appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur un point de détail qui a cependant une importance relative.
Depuis plusieurs années, une partie du musée d'histoire naturelle, j'entends parler des collections d'entomologie et de minéralogie, est devenue tout à fait inaccessible au public.
Le motif qu'on assigne à cet état de choses, c'est qu'il y a des classements à opérer.
Messieurs, il y a trois ans, le directeur du musée d'histoire naturelle avait promis de prendre des arrangements qui lui permettraient de mettre ces collections à la disposition des personnes qui s'occupent de la science, à mesure que des classements partiels seraient effectués.
Cette promesse est restée sans résultats.
Depuis cette, époque la collection d'entomologie a reçu des augmentations.
C'est ainsi qu'on a acquis la collection des lépidoptères exotiques de feu Robyns ; on a reçu, par don, la célèbre collection de minéralogie, appartenant à M. Tamnau, de Berlin, collection généreusement offerte au gouvernement belge.
Le donateur a été décoré, mais personne en Belgique n'a vu la collection. (Interruption.)
Ces richesses ne doivent pas rester enfouies. C'est là un fait étrange, alors qu'il s'agit de collections qui n'ont de valeur pour le pays que lorsqu'elles sont mises à la disposition du public.
Je signale donc ce point à toute l'attention de M. le ministre de l'intérieur, et j'espère qu'il suffira de le lui avoir signalé pour que, l'année prochaine, il ait à constater devant la Chambre une amélioration sous ce rapport.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Messieurs, il me suffit que le fait soit signalé pour que je cherche de nouveau à mettre un terme à cet état de choses. Il est à remarquer cependant qu'il manque des locaux pour que toutes les collections, possédées par le musée, puissent être exposées en public. Il faudra bien qu'un jour la Chambre consente à voter des fonds pour la création des locaux, afin que le gouvernement puisse y classer les collections si riches dont il est le dépositaire.
M. Van Humbeeck. - Messieurs, je crois que l'empêchement qu'on prétend exister, par suite de locaux suffisants, n'est pas aussi réel qu'on veut bien le dire. Peut-être n'est-il pas possible de disposer les locaux actuels de manière que le classement général et définitif puisse être effectué de la manière plus convenable ; mais il est possible de classer provisoirement les collections, de façon que les personnes qui s'occupent de sciences puissent en profiter. Je le répète, l'état actuel des choses ne peut durer plus longtemps ; il a déjà trop duré.
- L'article 109 est mis aux voix et adopté.
« Art. 110. Musée royal d'histoire naturelle ; matériel et acquissions : fr. 7,000. »
- Adopté.
« Art. 111. Subside à l'association des Bollandistes pour la publication des Acta Sanctorum. Charge extraordinaire : fr. 6,000. »
- Adopté.
« Art. 112. Archives du royaume. Personnel : fr. 37,150.
« Charge extraordinaire : fr. 1,800. »
M. Van Overloop. - Tout le monde sait, messieurs, dans quel état déplorable se trouvent les archives dans la presque totalité de nos communes ; et je ne puis que remercier M. le ministre de l'intérieur des mesures qu'il a déjà prises pour améliorer cet état de choses. J'ai demandé la parole spécialement pour appeler l'attention du gouvernement sur l'état dans lequel se trouvent celles des archives qui ont été déposées aux greffes des tribunaux de première instance. Allez à Bruxelles, à Nivelles, à Louvain, à Malines et dans une foule d'autres localités, vous serez effrayés de l'état d'abandon dans lequel elles s'y trouvent, et cependant ce sont des archives très importantes.
(page 411) Quand le gouvernement français s'est avisé d'ordonner le transfert des actes judiciaires des diverses communes aux greffes des tribunaux, on ne s'est pas contenté d'y transporter les archives judiciaires, on y a transporté aussi les archives administratives. Ainsi, les archives des établissements de bienfaisance se trouvent confondues avec toutes les autres dans le désordre le plus complet.
Il conviendrait, me paraît-il, dans l'intérêt public, dans l'intérêt des études historiques de notre pays, de réunir aux dépôts provinciaux les archives qui, aujourd'hui, sont déposées aux greffes de nos tribunaux. De cette manière, du moins, on saurait où s'adresser quand on voudrait consulter d'anciens documents, tandis qu'aujourd'hui cela est absolument impossible.
Les gouvernements français et hollandais ont changé beaucoup de nos circonscriptions administratives et judiciaires ; il en résulte que la commune de Malderen, par exemple, fait partie de l'arrondissement de Bruxelles. C’est donc au greffe du tribunal de Bruxelles qu'on devrait trouver ses archives ; tandis que, par suite des changements dont je viens de parler, c'est au greffe du tribunal de Malines qu'elles ont été déposées et qu'il faut aller les chercher.
A Bruxelles, il n'existe pas de dépôt provincial des archives : les actes de l'ancienne préfecture de la Seine sont déposés aux archives générales du royaume ; les actes modernes du gouvernement provincial du Brabant sont, au contraire, déposés au palais de justice. Ne conviendrait-il pas de former ici, dans le Brabant, un dépôt provincial des archives, dans lequel on réunirait toutes les archives modernes du gouvernement provincial et celles de l'ancienne préfecture.
On pourrait réunir ensuite dans ce même dépôt les archives judiciaires qui sont actuellement éparpillées dans le plus grand désordre aux greffes des tribunaux du Brabant.,
J'appelle sur ce point l'attention sérieuse de M. le ministre de l'intérieur qui porte un intérêt tout particulier à la conservation de nos archives. Je le fais d'autant plus que je lis le passage suivant dans le rapport de la section centrale :
« La troisième section émet le vœu que la section centrale invite M. le ministre à encourager davantage, mais dans les limites des crédits actuels, l'étude historique de l'administration belge avant 1789. L'histoire du droit, de la magistrature, des finances, des travaux publics, n'a pas encore été l'objet d'études sérieuses.
« La section centrale s'est ralliée à ce vœu. »
Je suis convaincu que M. le ministre de l'intérieur s'y est rallié d'avance. Moi aussi, je tiens très fort à la propagation de la connaissance de l'histoire du droit, de la magistrature, des finances et des travaux publics.
Je désirerais que l'on étudiât un peu mieux l’histoire de nos institutions véritablement belges plutôt que de s'occuper continuellement de l'histoire des institutions en France et, sous ce rapport, je partage entièrement les idées que notre honorable collègue, M. Jamar, a si bien développées tout à l'heure.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Depuis longtemps le gouvernement fait des efforts constants afin de parvenir à réunir autant que possible toutes les archives éparses dans les différents greffes des tribunaux de première instance. Une disposition réglementaire ancienne exige que toutes ces archives soient réunies dans les dépôts provinciaux. Déjà un grand nombre de ces archives y ont été déposées et on en dresse des inventaires. Mais il en est d'autres sur lesquelles il est difficile que le gouvernement puisse exercer une action sérieuse : les communes, en général, se montrent très jalouses de la conservation de leurs archives ; elles les cachent même autant que possible pour n'en être point privées.
Elles conservent ainsi même les archives des anciennes châtellenies et d'autres encore ayant un intérêt également général ; de telle sorte qu'on a les plus grandes difficultés à obtenir certaines de ces archives des conseils communaux qui les détiennent.
Le cas se présente actuellement dans une localité assez importante de la Flandre orientale. Il est cependant bon et il serait très utile que toutes ces archives fussent réunies au chef-lieu de la province, et que les archives locales seules restassent dans les dépôts com-mnaux. C'est à quoi continueront de tendre mes efforts.
L'honorable M. Van Overloop a recommandé la publication des inventaires des archives communales ; c'est un travail qui se fait. L'an dernier, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a appelé l'attention du gouvernement sur l'état des archives communales. Son appel a été entendu : plusieurs communes et entre autres Audenarde, Warneton, Diest, etc. s'occupent du classement de leurs archives et de la formation des inventaires ; ces villes ont demandé des subsides au gouvernement et ces subsides leur ont été ou leur seront accordés.
C'est pour aller un peu plus loin dans cette voie que je sollicite une augmentation de crédit de 1,000 francs à l'article 115. La somme n'est pas considérable, mais je la crois suffisante, parce qu'elle est destinée à être répartie entre quelques savants modestes qui s'occupent de ce genre de travaux et qui ne demandent, pour toute rémunération, que le remboursement de leurs frais de déplacement.
M. H. Dumortier. - Je ne veux pas prolonger une discussion sur !c chapitre qui nous occupe ; mais il est un point cependant dont je tiens à dire quelques mots parce qu'il domine tous les autres par son importance. Je veux parler de la nécessité impérieuse de chercher une autre local pour les archives générales du royaume.
L'année dernière, l'honorable M. Kervyn de Lettenhove a appelé l'attention de la Chambre et du gouvernement sur cet objet, et il n'entre pas dans mes intentions de reproduire ses observations.
Mais je désirerais que M. le ministre de l'intérieur nous dît où en est cette affaire, si l'on a fait quelque chose ou si l'on est resté dans le statu quo, malgré la gravité des considérations que notre honorable collègue a présentées. Si une commission a été instituée, je demande si elle a fait son rapport. Il serait déplorable qu'on n'eût absolument rien fait ; cela prouverait qu'il ne sert de rien de faire ici des motions, quelque sérieux qu'en soit l'objet, quelque fortes que soient les considérations présentées à l'appui.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Cette question, messieurs, n'a pas été perdue de vue depuis l'année dernière, bien qu'on n'ait pas nommé de commission pour l'examiner. Un événement tout récent est même venu prouver à quel point il y a nécessité de déplacer le dépôt des archives générales : un commencement d'incendie s'y est déclaré, il y a deux mois à peine et, sans une circonstance toute fortuite, un grand sinistre pouvait en résulter. On a beaucoup cherché, mais on n'a pas trouvé jusqu'ici.
Il est probable que vous connaissez tous le palais de Cazeaux ; ce local étant isolé ; on a cru qu'il serait possible d'y construire des locaux pour y placer toutes nos archives ; mais les hommes compétents consultés ont trouvé que le terrain était trop limité et qu'il ne serait pas suffisant pour y élever des constructions assez vastes. La difficulté est d'abord de trouver un terrain, et ensuite, et cela nous concerne, messieurs, de pouvoir disposer d'un crédit en rapport avec l’importance de la dépense à faire.
Les terrains disponibles à Bruxelles sont très rares, il est difficile de trouver des terrains d’une certaine étendue.
Quand le palais de justice actuel sera déplacé, le local actuel reconstruit pourra peut-être offrir un emplacement convenable ; pour ma part, je serais heureux de présider à l'édification d'un nouveau palais des archives, mais jusqu'à présent des difficultés très grandes entravent l'exécution de ces projets. Nous ne perdrons, du reste, pas de vue les observations qui ont été présentées.
- L'article 112 est mis aux voix et adopté.
« Art. 113. Archives du royaume. Matériel ; atelier de reliure pour la restauration des documents. : fr. 4,700.
« Charge extraordinaire : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art. 114. Archives de l'Etat dans les provinces ; personnel : fr. 25,350. »
Le gouvernement, d'accord avec la section centrale, propose une augmentation de 300 fr., ce qui porte le chiffre à 25,650 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. A. Vandenpeereboom). - Au point où eu est arrivée la discussion, je crois devoir signaler un fait à la chambre : les archivistes provinciaux sont en général tous rétribués par le gouvernement et sur le budget de l'Etat ; deux provinces seulement interviennent pour une part dans ces traitements, ce sont les deux Flandres ; les subsides payés par les autorités provinciales sont versés au trésor et figurent au budget des voies et moyens.
Je crois qu'il y a là une injustice ; je ne vois pas pourquoi deux provinces payeraient des fonctionnaires de l'Etat, alors que cela n'a pas lieu dans les autres provinces. Voici l'origine de ce fait : les deux Flandres les premières se sont occupées de classement de leurs archives et elles ont payé les archivistes ; cet état de choses s'est perpétué.
Cela n'est pas juste et à l'avenir les deux Flandres doivent être traitées comme les autres provinces. On vient donc d’exonérer ces provinces de la somme qu'elles ont payée jusqu'ici pour le traitement des archivistes provinciaux.
La somme, très minime du reste, ne sera pas lourde pour le trésor, et l'on fera cesser toute injustice.
(page 412) - L’article 114 est mis aux voix et adopté.
« At. 115. Frais de publication des Inventaires des archives ; frais de recouvrement de documents provenant des archives tombés dans des mains privées ; frais d'acquisition ou de copie de documents concernant l'histoire nationale ; dépenses de matériel des dépôts d'archives dans les provinces ; subsides pour le classement et pour la publication des inventaires des archives appartenant aux provinces, aux communes, aux établissements publics ; dépenses diverses relatives aux archives. Recouvrement d'archives restées au pouvoir du gouvernement autrichien ; frais de classement, de copie et de transport, etc. : fr. 5,800.
« Charge extraordinaire : fr. 7,000. »
M. le ministre a déposé un amendement par lequel il propose de porter à 6,000 fr. le crédit ordinaire, et à 10,000 fr. le crédit extraordinaire.
- L'article 115 ainsi modifié est adopté.
« Art. 116. Location de la maison servant de succursale au dépôt des archives de l'Etat ; charge extraordinaire : fr. 3,000. »
- Adopté.
« Art. 117. Subsides à de jeunes artistes pour les aider dans leurs études ; encouragements à de jeunes artistes qui ont déjà donné des preuves de mérite ; voyages dans le pays et à l'étranger pour les aider à développer leurs talents ; missions dans l'intérêt des arts ; secours à des artistes qui se trouvent dans le besoin ou aux familles d'artistes décédés ; encouragements à la gravure en taille-douce, à la gravure en médailles, aux publications relatives aux beaux-arts ; subsides ; souscriptions ; acquisitions d'œuvres d'un intérêt artistique ou archéologique ; subsides aux sociétés musicales, aux sociétés instituées pour l'encouragement des beaux-arts, aux expositions locales ; encouragements à l'art dramatique (littéraire et musical), etc ; commandes et acquisitions d'œuvres d'artistes vivants ou dont le décès ne remonte pas à plus de dix ans ; subsides aux établissements publics pour aider à la commande ou à l'acquisition d'œuvres d'art ; encouragements à la peinture murale, avec le concours des communes, et des établissements intéressés ; académies et écoles des beaux-arts autres que l'Académie d'Anvers ; conseil de perfectionnement de l'enseignement, des arts du dessin ; encouragements pour la composition musicale, la peinture, la sculpture, l'architecture et la gravure ; pensions des lauréats ; frais relatifs aux grands concours ; dépenses diverses : fr. 294,500. »
La section propose une réduction de 36,000 fr., ce qui réduit le chiffre à 258,500 fr.
Le gouvernement ne se rallie pas à cette diminution.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, je désire présenter quelques observations sur certaines critiques qui ont été faites à l'égard des peintures murales.
On a dit d’abord que les peintures murales ne convenaient pas à notre climat ; ce reproche a trouvé de l'écho dans cette enceinte.
On a dit encore que les peintures murales, telles qu'on les exécute aujourd'hui ne conviennent qu'à des monuments romans ou byzantins, les seuls dont le style comporte la grande peinture mural et on a ajouté que nos monuments de style ogival ne se prêtent qu'à la peinture polychrome, adopté de préférence dans d'autres pays pour l'ornementation des édifices.
Quelle que soit l'autorité des savants qui ont émis cette opinion, je déclare qu'il m'est impossible de la partager. Au contraire,, je crois que si les peintures murales conviennent au style roman, elles conviennent aussi à tous les genres d'architecture, sans en exclure aucun.
Fn effet, s'il fallait admettre que l'architecture romane eût seule le privilège de se servir de peintures murales, il en résulterait que les travaux ordonnés par le gouvernement et auxquels j'applaudis de grand cœur, deviendraient des œuvres inutiles, exécutées dans le seul but de dépenser des sommes considérables en pure perte.
Ce serait absurde, et certes les Chambres n'y auraient pas prêté la main. Il est incontestable que la peinture murale est celle qui convient le mieux aux édifices religieux. Dans la construction d'un temple, l'architecte, le sculpteur, le peintre s'unissent dans une même pensée pour élever un monument qui respire le sentiment religieux qui doit régner dans tout édifice consacré au culte. C'est une œuvre complète qui saisit l'âme.
On ne doit pas faire de nos églises catholiques un musée où les œuvres d'art, fort recommandables sans doute, sont entassées les unes sur les autres.
Dans une conception aussi vaste, il faut qu'il y ait de l'ensemble, que le génie de l'architecte s'identifie avec celui du peintre et du sculpteur.
Telle est, messieurs, ma manière de voir au sujet de l'ornementation. des temples religieux.
L'honorable rapporteur de la section centrale nous dit : « De ce que l'Etat doive encourager ce genre, là où se produisent des vocations et des tendances très nettement accusées, résulte-t-il que le gouvernement doive créer, aux frais du budget, un genre nouveau dans lequel ne s'est produit, en dehors de l'action officielle, aucune tentative, aucun essai de quelque importance ? »
Mais, messieurs, je m'étonne que l'on ait pu dire qu'il s'agit d'un genre nouveau.
Eu Belgique, les peintures murales ont existé dès le XIIIème siècle.
En 1846 on découvrit à Gand, dans la chapelle de Saint-Paul, des peintures murales à fresque admirablement conservées qui datent de cette époque et qui ont été pour les sciences historiques un véritable trésor. Elles nous ont appris à connaître l'organisation militaire de nos célèbres corporations flamandes ; et c'est grâce à ces précieux débris de l'art qu'il nous a été donné de connaître quelles étaient les armes dont les bourgeois flamands se servaient dans les combats, entre autres cette fameuse arme flamande connue sous le nom de goedendag, qui a fait de si grands ravages dans l'armée française en 1302, lors de la bataille de Courtrai.
Puisque j'ai nommé Courtrai, je dirai, encore à l'appui de la thèse que je défends qu'à l'église de Notre-Dame de cette ville, on a découvert des peintures murales d'une conservation parfaite.
Je pourrais citer d'autres monuments encore qui attestent que les peintures murales étaient nombreuses dans notre pays au XIVème siècle et qu'elles reproduisaient presque toujours des épisodes glorieux de nos annales.
Les peintures murales ne sont donc pas un « genre nouveau » que l'on veut introduire en Belgique.
On dit encore qu'en dehors de l'action officielle, aucune tentative n'a été faite. Mais, messieurs, à cela ou peut répondre que cette grande peinture, cette grande manifestation de l'art n'est applicable qu'aux monuments. Ce n'est pas dans une maison ou dans une galerie particulière que l'on peut appliquer ce genre de peinture.
Il n'est donc nullement étonnant qu'aucune tentative en dehors de l'action officielle ne se soit produite ; cette grande manifestation de l'art n'appartient qu'aux monuments publics.
Vous venez de voir que la peinture murale a rendu des services à l'histoire.
Cependant l'honorable rapporteur de la section centrale se demande si la peinture murale est bien dans l'essence de l'esprit flamand !
Je m'étonne que l'honorable M. Hymans, dont les connaissances artistique, ne peuvent être contestées, ait reproduit une assertion aussi erronée, lui qui a pu apprécier toutes les découvertes qui ont été faites, découvertes qui ne sont pas moins précieuses pour l'histoire de l'art que pour les sciences.
M. Hymans, rapporteur. - Je vous prouverai que mon assertion est parfaitement fondée.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - On a dit aussi que les procédés que l'on employait actuellement étaient défectueux et que l'on ne connaissait pas ceux dont se servaient les anciens. On a dit : La peinture à fresque ne tient pas ; l'humidité du climat la détériore.
Sans doute, messieurs, l'humidité du climat détériore la peinture à fresque proprement dite, mais toutes les peintures murales ne sont pas à fresque.
Les spécimens que l'on conserve des peintures grecques dans les musées de l'Europe et notamment dans ceux d'Italie, ne sont pas exécutés à fresque, comme l'a dit Vitruve, mais des peintures dont le liant des couleurs est produit par la cire et les résines.
(page 413) Aujourd'hui, en France, on se sert également d'une matière grasse. Les peintures que Flandrin a exécutées Saint-Germain-l’auxerrois ont pour liant la cire.
En Allemagne on a inventé un autre procédé, connu sous le nom de Wasserglass.
Eh bien, messieurs, tous ces procédés sont parfaitement bons et tiennent contre l'humidité du climat.
Pans tous les cas la préparation des murs est une opération délicate et importante à laquelle l'artiste ne saurait apporter trop de soins.
Sans doute s'il fallait peindre les monuments à l'extérieur, je ne pourrais donner mon approbation aux divers projets en voie d'exécution, mais à l'intérieur nos monuments sont parfaitement propres à conserver la peinture murale pendant des siècles.
Sur nos frontières, messieurs, nous trouvons un exemple dans les magnifiques fresques qui ornent le plafond de l'église de Saint-Paulin, à Trêves ; elles représentent le Jugement dernier, peint par Zick, et sont dans un état de conservation parfaite.
Les divers exemples que je viens de citer prouvent à toute évidence qu'il est indispensable d'encourager cette branche de l'art, trop négligée jusqu'à présent, et qui est appelée à de grands et légitimes succès, si l'on en juge d'après ce que nos artistes les plus éminents ont déjà produit.
Je repousse donc, messieurs, toute idée qui tendrait à établir que la Belgique n'est pas propre à avoir de grandes peintures murales.
Le climat de la Belgique convient parfaitement à tous les genres de peintures et nous n'avons pas à redouter que les belles productions de nos artistes se ternissent après quelques années d'existence, puisque celles que je viens de citer datent de six siècles.
Avant de quitter ce sujet je désire fixer l'attention de la Chambre sur un autre passage du rapport. Il s'agit de la somme portée au budget par le gouvernement. Cette somme s'élève à 100,000 fr.
Le rapport de la section centrale, sans s'opposer formellement à la majoration proposée par le gouvernement, se montre néanmoins peu favorable au chiffre pétitionné.
Je me permettrai, messieurs, de ne pas partager ce le opinion et de prier la Chambre de ne pas refuser le crédit qui lui est demandé, et voici pourquoi.
Plusieurs commandes ont été faites et 100,000 francs sont nécessaires pour remplir les engagements que le gouvernement a contractés, sinon d'une manière définitive, au moins par promesse.
Les halles d'Ypres et l'église de Sainte-Anne à Gand sont dans cette dernière catégorie.
La dépense totale des peintures murales à exécuter dans l'église Sainte-Anne à Gand par M. Cauneel, directeur de l'Académie des beaux-arts de cette ville, doit s'élever à 110,000 fr.
Le conseil communal a décidé d'intervenir pour 10,800 fr.
Le conseil de fabrique pour 30,000 fr.
Il resterait à suppléer une somme de 69,200 fr.
Je ne pense pas que l'on puisse soutenir que le gouvernement ne s'est pas engagé. Sans doute, il n'a pas d'engagement formel, mais il a fait une promesse qui équivaut à un engagement et je pense que la Chambre ne reculera pas devant une dépense qui doit ajouter deux fleurons à la couronne artistique de notre patrie.
Maintenant, messieurs, un dernier mot encore sur un passage du rapport et je termine. Voici ce que j'y lis : « On peut se demander si des sommes aussi considérables ne seraient pas consacrées plus utilement à l'achat de tableaux de nos maîtres, en vue de composer un musée moderne vraiment digne de la renommée de l'école belge. »
S'il s'agissait de construire un musée national dans la capitale, je me ferais un devoir de voter les fonds nécessaires à cette construction éminemment patriotique.
Mais je ne puis admettre que toutes les œuvres d'art que possèdent les diverses villes de la Belgique doivent nécessairement être réunies à Bruxelles.
Bruxelles possède déjà d’immenses avantages.
Si elle voulait absorber toutes les œuvres d'art qui appartiennent aux provinces, il n'y aurait pas dix voix dans cette enceinte qui s'élèveraient pour l'appuyer. Et je suis heureux, messieurs, de pouvoir invoquer, à l'appui de mon opinion, la parole même de l'honorable ministre de l'intérieur, dans la discussion qui a eu lieu l'année dernière à propos du musée. Voici ce qu'il disait :
« On donne aussi aux villes des subsides pour acheter des tableaux destinés à leurs musées locaux. C'est encore une dépense extrêmement utile.
« Je n'ai pu partager l'opinion de quelques personnes qui voulaient centraliser à Bruxelles tous les objets d'art et tous les tableaux remarquables du pays dans un grand musée central.
Je me suis opposé à cette espèce de centralisation. Je pense que les petites villes, qui à juste titre sont fières des chefs-d'œuvre qu'elles possèdent, doivent pouvoir les conserver. »
Messieurs, rappeler ces paroles c'est renouveler une fois de plus l’engagement qu'a pris l'honorable ministre de s'opposer à tout système de centralisation artistique. »
Au reste, messieurs, je ne puis comprendre pourquoi la ville de Bruxelles devrait posséder toutes nos œuvres d'art, et pour ne parler que de Gand, je dirai que je déplore amèrement que la grande conception de Van Eyck ait été mutilée.
Nous n'avions plus à Gand, ville où elle a vu le jour, que cinq panneaux des douze qui formaient la composition entière.
- Un membre. - On les a vendus.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Quand ont-ils été vendus ? Je vous le dirai avec franchise, en 1818 par la coupable ignorance des marguilliers. Très souvent ils causent de grands malheurs dans le domaine des arts.
Mais s'il y a eu des vandales en 1818, il y en a eu aussi en 1859, quand deux panneaux ont été transportés à Bruxelles. Je regrette que les deux panneaux représentant Adam et Eve, ne soient pas déposés au musée de Gand et si le gouvernement voulait poser un acte de justice, il les rendrait à la ville de Gand.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je demande la parole.
M. Kervyn de Volkaersbeke. - Messieurs, je pourrais citer d'autres faits ; je pourrais rappeler que, dans bien d'autres endroits, le gouvernement, tout en encourageant les arts et les sciences, n'a pas toujours cherché à encourager d'une manière suffisante les villes qui possèdent des musées et des académies.
Je saisirai cette occasion pour appeler l'attention toute bienveillante de M. le ministre sur le subside qui est accordé pour les expositions triennales. Ce subside n'est pas suffisant pour donner à cette institution toute l'importance qu'elle mérite.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Je partage à beaucoup d'égards les opinions qui ont été exprimées par l'honorable représentant de Gand. Mais en finissant il vient de faire allusion à une sorte d'acte de vandalisme dont la ville de Gand aurait été la victime, à propos du déplacement de deux panneaux dus au pinceau immortel de Van Eyck et transportés à Bruxelles. Comme cet acte remonte à mon administration, je demande à donner quelques mots d'explication.
Messieurs, ainsi que l'a rappelé l'honorable représentant de Gand, en 1818 il s'était passé en Belgique un fait très regrettable. Plusieurs des panneaux de Van Eyck avaient été vendus à l'étranger et lorsque le gouvernement a fait des démarches pour récupérer ces richesses nationales le prix s'en était élevé au-delà des forces du budget. Il a fallu y renoncer.
Restaient deux panneaux qui n'avaient pas été vendus, mais qui pouvaient être considérés aussi comme exilés, comme perdus pour le pays. Le peintre sublime, mais le peintre naïf, avait représenté Adam et Eve comme la tradition nous les représente. Il appartenait à une époque où peut-être, il y avait beaucoup plus de mœurs qu'aujourd'hui, mais beaucoup moins de pruderie. Bref, ces panneaux n'étaient pas susceptibles d'être exposés aux yeux des personnes qui fréquentent les églises. Ils avaient donc été relégués pendant un certain temps dans les greniers et plus tard descendus dans la sacristie, où ils étaient soigneusement cachés à la vue des fidèles.
C'est là qu'il m'a été donné de pouvoir les contempler sous le contrôle de MM. les membres de la fabrique.
L'idée me vint alors qu'il y aurait moyen de rendre au public la jouissance de la vue de ces chefs-d'œuvre et qu'on pourrait les placer ailleurs que dans une église. L'idée fut accueillie, je dois le dire, avec beaucoup de bienveillance par MM. les chanoines de la cathédrale de Gand. Il fut convenu que le gouvernement achèterait ces deux tableaux pour les mettre dans un musée laïc.
En compensation de ces tableaux qui étaient entièrement perdus pour le public, le gouvernement promit de faire faire par un peintre habile la copie d'Adam et d'Eve, en conservant leur caractère primitif, mais de telle manière qu'ils pussent être exposés dans l’église de Gand.
En outre on avait retrouvé d'autres panneaux très précieux, copiés des panneaux vendus à l'étranger ; il fut entendu que ces panneaux seraient restitués à l’église de Saint-Bavon.
Le gouvernement n'y mit point de réserve ; il fut très large, on convint, en outre, que l'Etat consacrerait des sommes importantes à la peinture des vitraux de l'église de Gand.
(page 414) Au moyen de ces compensations, la cession eut lieu sans aucune espèce de difficulté.
Maintenant fallait-il laisser ces panneaux à Gand ou en doter le musée de l'Etat à Bruxelles ?
Je suis de l'avis de l'honorable membre qu'il n'est pas bon de concentrer sur un seul point toutes les richesses artistiques du pays ; il n'est pas mal que chaque localité importante ait des œuvres d'art à montrer à ses habitants et aux amateurs qui savent très bien se déplacer ; il est beaucoup d'amis des arts qui n'hésitent pas à entreprendre un grand voyage pour aller voir un seul chef-d'œuvre. Mais il est bon aussi qu'il y ait dans la capitale un certain nombre de chefs-d'œuvre, qui se trouvent ainsi plus à la portée de tous.
La vile de Gand aurait été par trop exigeante à vouloir cumuler les originaux, les copies des originaux, les panneaux donnés en payement des originaux et les sommes considérables destinées à la peinture des vitraux de l'église. Je crois que le gouvernement a agi très libéralement envers la ville de Gand et qu'il n'y a pas lieu d'adresser des reproches au ministre qui a posé ces actes.
- La séance est levée à 5 heures.