(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1862-1863)
(page 157) (Présidence de M. Vervoort.)
M. Thienpont procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.
M. de Moor fait lecture du procès-verbal de la dernière séance.
- La rédaction en est approuvée.
M. Thienpont présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.
« La dame Henrard, veuve du sieur Maillot, ancien agent des fermiers de l'octroi de Dinant, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir ce que son mari aurait dû toucher, à titre de traitement d'attente, du 21 juillet au 1er décembre 1860. »
M. Thibaut. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec prière à cette commission d'en faire l'objet d'un prompt rapport.
- Adopté.
« Le sieur Meuleman, employé des accises pensionné, demande la jouissance de la pension civique qu'il a touchée jusqu'en 1840, ou bien une gratification annuelle. »
- Même renvoi.
« Le conseil communal de Casterlé prie la Chambre d'accorder au sieur Boucquié-Lefebvrc la concession d'un chemin de fer d'Anvers vers Dusseldorf. »
« Même demande du conseil communal de Desschel. »
- Même renvoi.
« Le sieur Guillaume Pieri, milicien de la classe de 1858 et la demoiselle Cammaert prient la Chambre de leur faire accorder l'autorisation de contracter mariage. »
- Même renvoi.
« Le sieur Bouvier présente des observations en faveur du rétablissement du commissariat de l'arrondissement de Virton. »
M. de Renesse. - La section centrale chargée d'examiner le budget de l’intérieur ayant eu à s'occuper d'autres questions du même genre, je demande que cette pétition lui soit renvoyée.
- Cette proposition est adoptée.
« Les habitants de Binckom demandent que le projet de loi sur les fraudes électorales contienne des mesures sévères contre les membres des administrations communales qui inscriraient ou feraient inscrire sur les listes électorales des personnes qui ne sont pas électeurs. »
- Renvoi à la section centrale chargée d’examiner le projet de loi.
« Le sieur Swellens demande que le projet de loi sur les fraudes électorales contienne des dispositions spéciales contre les membres des administrations communales qui, lors de la révision des listes électorales, auraient rayé ou contribué à rayer illégalement des électeurs. »
- Même renvoi.
« Le sieur Dominique Wenner, tailleur sur cristaux, à Laeken, né à Holstein (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »
- Renvoi à M. le ministre de la justice.
« Le sieur Weustenraed déclare renoncer, pour le moment, à sa demande de grande naturalisation. »
- Pris pour information.
« Par divers messages du 16 décembre, le Sénat informe la Chambre qu'il a donné son adhésion à deux projets de loi de grande naturalisation et à 20 projets de loi de naturalisation ordinaire. »
- Pris pour information.
« Par deux autres messages de la même date, le Sénat informe la Chambre que le sieur L.-F. Boscheron, horloger à Liège, a déclaré retirer sa demande de naturalisation ordinaire et qu'il a reçu notification du décès du sieur J.-J. Dulens, fabricant à Liège. »
- Pris pour information.
« M. de Paul, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé. »
- Accordé.
M. de Gottal.— Les Annales parlementaires, en reproduisant la séance d'hier, m'ont fait demander un prompt rapport sur une pétition chambre des représentants sollicitant l'établissement d'un chemin de fer. C'est sur une pétition d'Anvers réclamant la révision de la législation sur les servitudes militaires que j'ai demandé un prompt rapport. Je désire qu'une rectification soit faite, ou tout au moins l'erreur constatée.
M. le président. - La rectification sera faite par l'observation même de l'honorable M. de Gottal, qui sera consignée dans le compte rendu de la séance d'aujourd'hui.
M. Allard, questeur. -M. le ministre de la justice nous a transmis 60 exemplaires du document relatif aux bourses d'études qui a été réclamé par l'honorable M. Nothomb. La questure a décidé que ces exemplaires seraient envoyés aux membres qui ne faisaient point partie de la Chambre en 1857.
Ce point vidé, je proposerai à la Chambre de fixer à demain la discussion de son budget. Il est urgent que la Chambre se réunisse demain en comité secret, une proposition urgente devant lui être soumise.
- La Chambre adopte cette proposition et fixe la séance de demain à une heure.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne sais quand la Chambre se séparera pour les vaca,ces de Noël ni quels budgets seront votés pour cette époque. Dans ce doute, j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre une demande de crédits provisoires s'appliquant aux départements ministériels dont les budgets ne sont pas encore votés. D'après le travail que la Chambre aura fait d'ici au jour de sa séparation, on pourra effacer ou maintenir telle ou telle allocation. Le projet de loi que j'ai l'honneur de soumettre à la Chambre alloue des crédits provisoires aux départements de la justice, des affaires étrangères, de l'intérieur, des travaux publics et de la guerre ; ils s'élèvent ensemble à 18,258,156 francs.
M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi. La Chambre veut-elle en renvoyer l'examen à une commission ?
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je propose de le renvoyer à la section qui a examiné le budget des voies et moyens.
- Cette proposition est adoptée.
M. de Naeyer (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour faire une rectification à mon discours tel qu'il est rapporté par les Annales parlementaires. On me fait dire que, suivant la proposition du gouvernement, les traitements des conseillers de la cour de cassation ne seraient augmentés que de 18 p. c. tandis qu'en réalité l'augmentation serait de 23 p. c.
La même observation s'applique aux présidents et procureurs généraux des cours d'appel. Cela s'applique donc à 21 magistrats ; si une réduction était opérée d'après les bases que j'ai eu l'honneur de poser, il en résulterait une économie de 26 mille fr.
M. le président. - Votre observation tiendra lieu de rectification.
M. Coomans. - Messieurs, j'exposerai sommairement les motifs généraux qui me détermineront à voter contre le projet de loi qui nous est soumis. Il est bon, ce me semble, que la Chambre examine de près ce projet de loi, parce que du sort qui lui est réservé dépendra probablement le sort des autres propositions financières qui nous ont été ou nous seront encore soumises. Il a été dit, à plusieurs reprises, depuis peu, que l'initiative de l'augmentation des traitements a été prise par la Chambre cette observation a été faite par d'honorables ministres ; mes souvenirs ne sont pas d'accord avec les leurs... (interruption), ni avec ceux de quelques honorables membres de l'assemblée.
Je crois me rappeler que ceux de nos collègues, je m'honore d'avoir été du nombre, qui ont insisté souvent sur la nécessité d'améliorer le sort des fonctionnaires publics, n'ont jamais fait allusion qu'aux fonctionnaires inférieurs, et ont mis au vote de ce sacrifice la condition sine qua non de le compenser par des économies équivalentes à introduire dans nos divers budgets, économies d'autant plus désirables, qu'elles auraient été réalisées en même temps qu'une autre réforme utile, celle des autres rouages administratifs.
Beaucoup ont cru que si le gouvernement avait voulu réformer (page 158) l’administration dans le sens de la décentralisation en donnant plus de responsabilité à des autorités, à des fonctionnaires inférieurs, il eût été facile et d'opérer des économies et d'améliorer le travail gouvernemental. Ces idées ont été longtemps soutenues par la Chambre, elles paraissent abandonnées aujourd'hui ; pour moi, je les garde et je me suis promis de ne laisser échapper aucune occasion de les rappeler au souvenir de mes honorables collègues.
Je dois le dire, je suis très peu satisfait de la réforme qu'on a faite des appointements telle qu'elle nous est proposée. Je regrette beaucoup que M. le ministre des finances, qui exerce une si grande autorité sur le cabinet et sur la majorité de cette Chambre, n'en ait pas usé dans une plus grande mesure pour faire prévaloir le système de réserve et d'économie auquel il me semblait vouloir s'arrêter. L'honorable M. Frère avait d'autant meilleure grâce d'insister qu'il avait prêché d'exemple et que le budget des finances est aujourd'hui le moins défectueux de tous nos budgets, celui que nous votons tous avec le moins de répugnance.
La vérité est que l'honorable M. Frère a pris au sérieux les promesses du gouvernement en 1848, qu'il a réalisé des économies raisonnables dans son budget et qu'il a eu la loyauté de ne pas les supprimer une à une les années suivantes.
II m'est impossible de faire le même éloge des autres départements.
Je n'insisterai guère sur l'étrange opposition que l'on remarque entre le langage que la Chambre tient aujourd'hui et celui qu'elle tenait en 1848 et 1849.
A cette époque le vent était aux économies. Pas un orateur ne se levait sans les recommander, pas un ministre ne prenait la parole sans promettre d'en faire.
Aujourd'hui, c'est bien le contraire qui se produit.
Longtemps après la bourrasque de 1848, les mêmes idées salutaires ont semblé prévaloir dans la Chambre, et nous nous bornions à peu près tous à désirer une augmentation des appointements des fonctionnaires inférieurs combinée, avec des économies à peu près équivalentes, à réaliser par des réformes sérieuses dans l'administration.
Aujourd'hui, messieurs il en est tout autrement. Les petits fonctionnaires ne figurent plus dans nos réformes que comme prétexte pour améliorer le traitement des fonctionnaires supérieurs.
Ou accorde de 5 à 10 p. c. d'augmentation aux petits fonctionnaires, et l'on va jusqu'à 30, 40 et même 60 p. c. pour les fonctionnaires supérieurs.
C'est l'inverse de ce que nous avons toujours soutenu. C’est l'inverse, j'ose le dire, du bon sens et de la justice.
Les traitements de la magistrature qu'on voulait réduire plutôt qu'élever en 1848 ont été doublés depuis 50 ans.
L'augmentation actuelle est trop forte et elle paraît d'autant plus forte qu'on monte plus haut sur l'échelle hiérarchique.
Cependant, ainsi que vous la fait observer très sagement hier mon honorable ami M. de Naeyer, les magistrats sont de tous les fonctionnaires publics les plus honorés et leurs places sont les plus recherchées et les plus sûres.
Je suis très convaincu que ce ne sera jamais faute de quelques milliers de francs que nous ne saurons composer une bonne magistrature.
La magistrature jouit de toutes sortes de privilèges. Ces privilèges sont tels, que les fonctions de magistrat seront toujours très désirées. On ne fait pas assez attention, me semble-t-il, à ce point essentiel, que nos juges sont les seuls fonctionnaires belges inviolables, les seuls qu'on ne critique pas, les seuls dont il ne soit pas permis de discuter les actes. Le public ne se gêne guère pour apprécier parfois très sévèrement la conduite des ministres, la conduite des représentants de la nation et même celle du Roi. On a dû faire à ce propos (je parle de la Couronne) une loi spéciale.
On affirme souvent, fort à la légère, mais enfin très impunément, que les lois que nous faisons sont mauvaises, qu'elles n'ont pas le sens commun, que les ministres abusent de leur autorité, qu'ils mènent la Chambre, etc. Tout le monde peut dire que nos lois ne sont pas bonnes et nul n'a le droit de dire que l'application n'en est pas bonne. Je ne vois jamais critiquer, ici ni dans la presse, les jugements des tribunaux et les arrêts des cours... (Interruption.) C'est un privilège réservé aux avocats de critiquer les arrêts, niais avant qu'ils ont été rendus... (Interruption.) Ce privilège n’est pas accordé aux journaux et je ne leur conseillerais pas de s'en prévaloir, quand même ils en seraient investis. C'est un fait que je constate ; Res judicata pro veritate habetur. On n'a jamais dit cela, ni en français ni en latin, de nous ni des ministres.
Nos magistrats sont sur un lit de roses, tandis que tous les autres lits officiels ont été souvent comparés à des couches plus ou moins épineuses, ceux de MM. les ministres notamment. Et je n'hésite pas à croire, avec mon honorable ami, que ce magnifique privilège d'infaillibilité accordé soit légalement, soit moralement, à la magistrature est une des causes principales de l'ambition qu'ont tant d'honnêtes et paisibles citoyens d'endosser la toge magistrale.
Il faut tenir compte de ce fait dans la réglementation des appointements. Et ne perdons pas de vue qu'un grand politique, que le plus grand politique de ce siècle, le créateur de la plupart de nos institutions, n'a pas craint de ne donner à la magistrature que la moitié des appointements que nous lui donnons aujourd'hui. Et cependant la magistrature française passe avec raison, ce me semble, pour une des plus honorables.
Quant à moi, je repousse de toutes mes forces la simple hypothèse que la faiblesse des traitements puisse influer le moins du monde sur la bonne distribution de la justice. Lorsque nos magistrats ne recevaient que la moitié de ce que le trésor leur paye aujourd'hui, se plaignait-on de l'insuffisance de la justice ? Signalait-on des scandales, des énormités ? Non : et cependant nous nous rappelons tous le temps où un procureur du roi ne recevait que 1,200 florins pour tout appointement, où la place de juge, de conseiller était rétribuée avec la même modération.
Il s'agit d'améliorer le sort de tous les fonctionnaires publics ! Certes, messieurs, le but est louable, mais nous ne pouvons pas l'atteindre sans condition. Il y a des conditions importants : Sommes-nous assez riches pour rétribuer libéralement tous les fonctionnaires ? A-t-on observé les règles de la justice distributive ? Surtout ne serait-ce pas manquer d'équité envers des millions de contribuables que de les surtaxer dans un but d'utilité publique, non suffisamment justifié ? On améliore le sort des fonctionnaires, mais qui donc améliorera le sort des contribuables ?
J'estime certes les fonctionnaires, mais j'estime aussi les travailleurs belges qui, sans être fonctionnaires, rendent tout autant de services que les fonctionnaires et ne sont ni aidés ni pensionnés pendant leur vieillesse besogneuse.
Faites-vous une enquête pour vous assurer si tous vos impôts se payent facilement sans imposer aux citoyens de trop grands sacrifices ? Vous enquerrez-nous si des millions de nos compatriotes, très laborieux et très honnêtes ont de quoi je ne dis pas mettre la poule au pot ne fût-ce qu'une fois par semaine, mais de quoi manger un morceau de lard ?
Or, voilà la grande question. Il y a une grande question de justice distributive à résoudre et je prétends que nous n'avons pas le droit de dépenser les deniers publics sans nécessité.
L'impôt est prélevé en grande partie sur le nécessaire des citoyens, par conséquent il ne peut être appliqué qu'à des dépenses nécessaires.
Or, beaucoup de vos dépenses ne sont pas nécessaires et ne m'apparaissent que comme des dépenses de luxe.
Vous nous refusez cette réforme administrative, vous dites que vous ne pouvez pas diminuer les dépenses, décentraliser et économiser. Eh bien, quoique cette attitude du gouvernement me déplaise beaucoup, j'aurais abandonné la condition des économies, et j'aurais voté les augmentations d'appointements pour les petits fonctionnaires ; mais en présence du refus du gouvernement, en présence de sa persistance à maintenir des impôts odieux, je ne puis pas accorder des augmentations pour les fonctionnaires supérieurs.
Une voix s'est écriée hier : « Et les évêques ! » Eh, messieurs, qu'importe ? Je ne pense pas qu'il y ait ici un seul membre qui se croie chargé de défendre les intérêts mondains des évêques, je suis convaincu que l'intérêt des évêques est ici un masque derrière lequel se cachent d'autres figures.
On introduit les évêques pour pouvoir augmenter les appointements de fonctionnaires rétribués à peu près de la même manière et peut-être pour arriver à une augmentation pour les ministres.
Je reconnais que si les traitement» des évêques étaient augmentés, force serait d'augmenter les traitements des gouverneurs, des ministres et des diplomates, et vice-versa. Mais c'est précisément pour cela que je m'oppose en ce moment, avec force, à l'augmentation des traitements des évêques.
Messieurs, je m'exprimerai franchement, selon mes habitudes, à mes risques et périls : Je considère comme un grand malheur un excédant de recettes dans le trésor public, car c'est alors qu'on fait des folies. Quand le trésor public est vide, on est sage, on est économe ; mais des qu’il y a quelques millions de trop dans le trésor public, sur lequel il y a tant d'yeux fixés, on voit à l'instant les demandes se multiplier à l’infini ; on voit toutes sortes d'intérêts élever la voix et tendre la main pour obtenir une bonne part de cet excédant de recettes. Chaque fois qu'il y aura un excédant, vous verrez le parti militaire dire que la patrie est en danger, et faire inscrire des fonds au budget pour l'armée et pour les travaux de fortification.
(page 159) Chaque fois qu'il y a un excédant de recettes, vous verrez la diplomatie se plaindre, déclarer qu'elle est pauvre, qu'elle est mal vue, sans autorité dans les cours, qu'il lui faudrait des ressources nouvelles pour se faire respecter ; vous verrez jusqu'à la magistrature réclamer une amélioration de position.
Oui, messieurs, un excédant de recettes est un grand malheur quand il persiste.
Je voudrais que nous eussions inscrit dans la Constitution cette prescription salutaire, que tout excédant de recettes aurait pour conséquence immédiate une diminution équivalente de l'impôt.
Ah ! s'il en avait été ainsi, si les contribuables savaient que tout excédant de recettes doit amener immédiatement pour eux une diminution d'impôts, vous verriez les électeurs insister davantage sur les économies à faire, et vous seriez beaucoup moins portés à accroître sans cesse le chiffre, des dépenses.
Voilà donc le grand malheur en Belgique : c'est que nous n'ayons pas réduit les impôts et même supprimé quelques impôts, à mesure que les finances publiques s'amélioraient et que nos lois financières produisaient davantage.
Il me semble qu'il n'est pas trop tard d'en venir à l'adoption de ce principe. Les contribuables nous sauront bien gré d'insister sur la convenance d'une réduction d'impôts chaque fois que le gouvernement vient nous proposer des dépenses dont la nécessité n'est pas absolument démontrée.
Nous sortons à peine d'une discussion déplorable. L'autre jour, n'a-t-on pas prétendu que les 5,200,000 fr. que rapporte l'impôt du sel étaient indispensables au trésor !
Et pourquoi indispensables ? Indispensables pour faire une foule de dépenses de luxe. Car la plupart des augmentations de traitement qui nous sont demandées constituent des dépenses de luxe, de pur luxe, que nous pourrions nous permettre seulement, si nous n'étions pas en présence des principes économiques qui exigent la suppression de certains impôts.
Il est bien dommage que la Chambre n'ait pas insisté sur des économies préalables, sur des économies sérieuses à réaliser, avant de songer à augmenter les traitements.
Vraiment, messieurs, nous allons bien loin dans une voie désastreuse, et quiconque a de la mémoire a de quoi être surpris du chemin que nous avons fait depuis quelques années. Je me rappelle parfaitement que, il a deux ou trois ans, l'honorable M. Frère-Orban, dont je prise fort, je l'avoue (c'est pour moi un besoin de le reconnaître), le soin jaloux qu'il prend souvent des deniers publics, je me rappelle, dis-je, que l'honorable M. Frère-Orban, en nous parlant, il y a deux ou trois ans, de l'augmentation générale des traitements, ne nous signalait, comme conséquence de cette mesure, qu'une dépense de deux à trois millions, équivalu à 10 p. c. de ces traitements.
Tel était alors le langage de l'honorable M. Frère-Orban, et je regrette fort qu'il l'ait perdu de vue.
Aujourd'hui, messieurs, il s'agit déjà d’une dépense de six millions, et je suis très convaincu que nous ne sortirons pas de ce débat sans avoir atteint le chiffre de 7, 8 et peut-être neuf militons. Et il ne s'agit plus d'une augmentation proportionnelle de 10 p. c. à répartir exclusivement entre les petits fonctionnaires ; on nous propose des augmentations de 15, 20 et jusqu'à 50 p. c. pour les fonctionnaires supérieurs ; et j'étais bien sûr que les officiers de l'armée seraient englobés dans cette vaste libéralité : on leur promet déjà de grosses augmentations d'appointements.
Et d'où sortent ces promesses, messieurs ? De nos plaintes au sujet du piètre sort de nos miliciens. Et que donne-t-on aux miliciens ? Cinq pour cent ! C'est le chiffre fixé par M. le ministre de la guerre et constaté par l'honorable M. Allard dans son rapport.
M. Allard. - Oui, mais ils ont obtenu déjà 5 p. c. l’an dernier.
M. Coomans. - Cinq pour cent d'une solde déjà dérisoire. Mais 20, 30 et jusqu'à 40 p. c. pour les fonctionnaires supérieurs ! c'est-à-dire que vous proposez d'accorder aux petits fonctionnaires de l'armée une augmentation de 30 fr. par an, tout an plus, et que vous assurez des augmentations de 2,000 à 3,000 fr. à des fonctionnaires supérieurs.
Messieurs, ces observations sont un peu générales ; mais elles doivent l'être nécessairement : il est impossible de séparer ce projet de loi de tous ceux que nous avons sous les jeux ou dans nos prévisions ; car s'il s'agissait de se prononcer uniquement sur la question de savoir si la magistrature a besoin d'appointements plus élevés, la réponse pourrait être unanime. Mais avant de répondre, nous avons à nous demander si les contribuables sont disposés à supporter de pareils sacrifices : et s'il y a convenance, utilité, nécessité même d'augmenter les gros appointements.
Eh bien, messieurs, voyez encore, voyez le budget des affaires étrangères, que nous avons déchiqueté avec tant de soin en 1848 et sur lequel nous avons eu tant de peine à réaliser quelques économies. Qu'est devenu ce budget depuis 1848 ? Il a été à peu près rétabli dans ses proportions antérieures, et celui qui sortira de nos délibérations prendra probablement des proportions plus vastes encore et qu'avant 1848 on n'eût point manqué de qualifier de scandaleuses. Il s'agit aujourd'hui d'augmenter de nouveau les appointements de nos diplomates.
Messieurs, j'avoue que cela me répugne tout particulièrement ; c'est peut-être parce que je ne comprends pas nettement la grande utilité d'une diplomatie politique pour un petit pays neutre comme le nôtre. Je ne veux cacher mes convictions à personne, et j'avoue que si l'on voulait supprimer demain toute notre diplomatie politique, j'y donnerais volontiers la main. C'est vous dire que je trouve qu'elle est déjà trop payée aujourd'hui.
Mais, messieurs, on ferait bien de se souvenir un peu des discussions de 1848 et de 1851 ; je voudrais surtout que les honorables membres qui ont bien voulu me confier déjà leur parti pris de voter les augmentations proposées, daignassent recourir aux Annales parlementaires de 1848 ; ils y trouveraient des discours prononcés par eux-mêmes, qui seraient la condamnation la plus complète du vote qu'ils comptent émettre aujourd'hui.
En somme, messieurs, pour moi, il m'est impossible d'accorder aucune augmentation d'appointements si l'on ne réalise pas des économies à peu près équivalentes, et je ne dérogerai à cette règle qu'en faveur des petits fonctionnaires, de ceux, par exemple, dont le traitement ne dépasse pas 3,000 francs au maximum.
- M. E. Vandenpeereboom remplace M. Vervoort au fauteuil de la présidence.
M. le président. - M. Julliot a déposé sur le bureau l'amendement suivant :
« Les augmentations de traitement décrétées par la présente loi ne seront applicables aux titulaires que quand ils auront cinq ans révolus de services judiciaires rétribués. »
La parole est à M. Julliot pour développer son amendement.
M. Julliot. - Dans toutes les circonstances qui se sont présentées, vous m'avez vu défendre les intérêts de la justice en élevant la magistrature à la plus haute considération possible.
Avec une bonne justice, la société ne peut être mauvaise, parce que quand la base est bonne, l'édifice doit être solide ; et à ce point de vue je n'avais pas demandé d'augmentation de traitement, mais j’avais indiqué l'application de l'éméritat aux magistrats vieillis sous la robe de la justice, comme récompense à leurs longs travaux.
Aujourd'hui on nous propose non pas de récompenser le passé, mais de mieux pourvoir au présent. On nous demande des augmentations de traitement assez considérables.
Je ne viens pas combattre ces augmentations en principe, mas je désire mettre en harmonie les besoins du trésor avec une juste rémunération des services rendus, je tiens moins à récompenser d'avance des services à rendre, cela appartient à l'avenir.
Parmi les membres de l'ordre judiciaire il y a peu d'avancement.
Le nombre de juges de paix et de juges de première instance étant beaucoup plus considérable que le nombre des présidents et des conseillers dans les cours, il s'ensuit qu'un grand nombre de juges finissent leur carrière dans le même fauteuil où ils l'ont commencée ; eh bien, dans le projet présenté il en sera encore de même il n'y aura pour un grand nombre d’entre eux pendant 40 ans ni avancement hiérarchique, ni avantage pécuniaire spécial, et selon moi c'est un défaut dans le projet. Mon amendement a pour but d'approprier les traitements aux besoins de la vie sans les dépasser.
En moyenne, les besoins de l'homme progressent avec l'âge ; en règle générale, après vingt ans de fonction le magistrat a une famille à éduquer : après trente ans de service il aura à établir cette famille, et les exceptions qui existent confirment la règle.
Nous vivons dans un siècle d'impatience où le jeune homme, le lendemain de son dernier examen, vise à une carrière ; s’il peut se caser aujourd'hui, il n'attend pas le lendemain.
M. le ministre de la justice, qui cherche le talent partout où il se trouve, comme il me l'a dit souvent, a nommé et nommera des jeunes gens de mérite après peu d'années de stage.
Or, est-il raisonnable, est-il juste et, je dirai, est-il admissible, que la jeune homme n'ayant à soigner que pour lui, n'ayant encore rendu aucun service de magistrat, commence sa carrière dans les mêmes conditions que le vieillard qui termine la sienne et qui a de longs services à faire valoir.
(page 160) Non, cela heurte l’idée la plus vulgaire sur la rémunération.
Je dis donc, reconnaissons les services chez ceux qui les ont rendus, et le tour de chacun viendra.
La haute idée que j'ai de la magistrature ne m'empêche pas de savoir qu'elle fait partie de l'humanité, et quel zèle peut-on attendre d'un homme qui, pendant 40 ans. n'a pour avenir d'autre perspective que celle du dernier souffle de sa vie. Non, il doit y avoir, chez lui, lassitude et découragement.
Soutenons donc le zèle de nos magistrats, graduons leur traitement en proportion des services rendus, appliquons la mesure à tous les magistrats sans distinction et quelle que soit notre décision sur le casuel des juges de paix, cette mesure générale leur sera toujours applicable.
La Prusse a quelques principes d'administration qui ne sont pas à dédaigner. Eh bien, en Prusse, les traitements de la magistrature sont échelonnés en minimum, médium et maximum. Je n'ai pu me livrer à un travail proportionnel à cet égard, mais afin de donner corps à mon principe, j'ai déposé mon amendement qui peut être adopté sans inconvénient, en attendant la loi de réorganisation judiciaire
Par l'adoption de cet amendement, vous pourrez ne rien demander de plus au trésor et satisfaire aux droits que nous reconnaissons aux anciens juges de paix, de voir porter leur traitement à 3,000 francs.
Messieurs, l'honorable M. Nothomb a si bien fait ressortir l'importance des justices de pais qu'il me reste peu à dire.
Un point cependant est resté à l'ombre Le juge de paix en général est isolé, il n'a de conseil qu'en lui-même. MM. les juges du tribunal sont trois, quatre, et les procureurs y sont aussi ; quand on est embarrassé, on se consulte, chacun fait des recherches, et quatre doivent en savoir plus qu'un.
Eh bien, quand un juge de paix tient à honneur de ne pas faire réformer ses jugements, et j'en connais plus d'un dans ma province, et la cour de Liège les connaît aussi, eh bien, que fuit alors ce juge de paix dans des cas difficiles ? Il consulte un jurisconsulte éminent qui se laisse payer à l'échelle de sa réputation.
- Plusieurs voix. - Oh ! oh ! Non !
M. Julliot. - Il n'y a pas de quoi se récrier ! On dirait que j'ai avancé une énormité, et cependant c'est ainsi et plus d'un de vous connaît cette échelle.
Je dis donc que ce magistrat aura rendu bonne justice, il est vrai, mais aussi aux dépens de sa bourse.
J'insiste donc sur mon amendement et je prie la Chambre de le prendre en mûre considération, il vaut la peine qu'on s'en occupe. Le magistrat, après cinq ans d'exercice, rentre dans la règle générale tracée par la loi. Voilà le caractère de mou amendement.
M. d’Hoffschmidt. - Je me proposais de prendre la parole pour défendre l'amendement que j'ai présenté avec plusieurs de mes honorables collègues. Jusqu'à présent, il n'a pas été combattu. J'attendrai, avant de parler, que l'amendement dont il s'agit ait rencontré des adversaires.
(page 167) M. Pirmez. - Messieurs, le projet qui vous est soumis a été l'objet des critiques les plus opposées.
Plusieurs de nos honorables collègues pensent que le gouvernement s'est arrêté trop lot dans la voie où il s'est engagé, qu'il y a lieu d'ajouter à son projet de nouvelles augmentations de traitement.
Vous avez d'autre part entendu les honorables MM. de Naeyer et Coomans vous soumettre des idées toutes contraires et proposer le rejet du projet parce que le gouvernement a été trop loin.
Permettez-moi de dire quelques mots de l'amendement déposé dans la séance d'hier d'abord, et des doctrines émises par MM. de Naeyer et Coomans ensuite.
Si la question que soulève l'amendement déposé hier consistait à savoir s'il faut assurer aux juges de paix un minimum de traitement de trois mille francs, je n'hésiterais pas à le voter.
Mais cet amendement à une portée toute autre ; il accorde le traitement de trois mille francs à tous les juges de paix indistinctement, sans s'occuper de leurs émoluments qu'ils continuent à toucher en sus de ce traitement fixe. Or, si ces émoluments ne s'élèvent en moyenne qu'à quatre et cinq cents francs, il en est qui atteignent le chiffre de plusieurs milliers de francs.
M. Nothomb qui a développé hier cette proposition se déclare dès aujourd'hui l'adversaire du maintien de ces émoluments ; il est partisan du système qui a été adopté en France, et qui consiste à n'allouer aux juges de paix qu'un traitement fixe.
Il nous proposera donc, lors de la discussion du projet d'organisation judiciaire, de convertir en traitement ce que les juges perçoivent comme casuel. Mais voyez dès lors où vous allez. On ne retire pas des avantages une fois accordés ; en cette matière et vis-à-vis de l'Etat, on admet toujours que possession vaut titre. Vous devrez donc, si le système de l'honorable M. Nothomb prévaut, accorder en traitement fixe aux juges de paix, la somme de trois mille francs, augmentée d'une somme égale au montant des émoluments.
J'avais au sein de la section centrale proposé aussi d'élever le traitement des juges de paix, mains dans des proportions moindres et de manière à ne pas devoir, dans la suite, quel que soit le système adopté, fixer un minimum supérieur à trois mille francs.
Je me réserve de reproduire cette proposition dans la discussion ; mais n'oublions pas que la loi que nous faisons aujourd'hui est toute provisoire et qu'il faut éviter de proscrire, par un excès de zèle pour les magistrats intéressés, une réforme, sur laquelle je ne me prononce pas, mais que beaucoup peut-être réclament.
J'aborde maintenant l'examen des critiques que MM. de Naeyer et Coomans ont dirigées contre le projet.
Le discours de M. de Naeyer me parait avoir sa source dans une discussion que la Chambre a close l'un de ces derniers jours.
M. de Naeyer nous a proposé, dans l'examen du budget des voies et moyens, la suppression d'une des ressources importantes du trésor de l’Etat.
Il ne pouvait convenir à la haute raison et à la logique si vigoureuse de notre honorable collègue de demeurer sous le coup de ce reproche qui lui a été fait de proposer sans compensation, soit par la création de nouveaux impôts, soit par la diminution des dépenses, la suppression de revenu important du trésor.
Cette circonstance n'a-t-elle pas déterminé l'honorable membre à rechercher avec trop d'empressement et à saisir avec trop d'avidité l'occasion de montrer qu'il sait accepter les côtés désagréables des réformes qu'il propose.
Je ne puis m'empêcher de le croire, messieurs, en voyant dans quels termes étroits, lui qui sait si bien élever une question, a resserré celle qui nous occupe, et le rapport que l'honorable M. Coomans a établi entre la suppression de cet impôt et la loi actuelle, m'a continué dans mon sentiment.
M. de Naeyer ne va pas jusqu'à contester l’utilité, voire même la nécessité d'élever les traitements de la magistrature, mais tout se réduit pour lui à l'examen du point de savoir quel est le renchérissement des choses de la vie depuis un quart de siècle ; il considère les individus, leurs besoins et les moyens d'y satisfaire.
Tel est tout son système.
Il repose sur une base tout à fait inexacte.
L'honorable M. de Naeyer fait de cette question une question individuelle, il ne s'attache qu'à l'intérêt des fonctionnaires qui doivent jouir de l'augmentation.
Pour être dans le vrai, il faut se placer au point de vue de l'intérêt social.
En agissant comme il le fait, M. de Naeyer ne fait que suivre des idées fort répandues, qui sont de plus en plus acceptées, et que, pour ma part, je suis heureux d'avoir occasion de repousser.
C'est une tendance générale aujourd'hui de ne considérer dans les fonctions publiques que les avantages qu'elles confèrent à ceux qui en sont investis.
S'agit-il de conférer une fonction, on s'occupe très peu de savoir à qui l'intérêt public demande que cette place soit attribuée ; on n'entend parler que de droits à l'obtenir ; on paraît considérer que la fonction est créée pour l’avantage de ceux que quelques circonstances indiquent comme pouvant y être appelés. On la revendique presque comme un patrimoine ou une succession, comme s'il existait un droit à une place, et si la place, au contraire, n'avait pas droit à être remplie par celui qui sera plus utile à la société.
On en est arrivé ainsi à ce que les nominations soient faites presque toujours à l'ancienneté, et si, par hasard, le gouvernement viole le rang d'âge, il n'est pas d'accusation qu'il n'ait à subir.
II s'agit aujourd'hui de fixer les traitements attachés aux fonctions : tout se résume, pour MM. Coomans et de Naeyer, à discuter les besoins des individus. Ce que réclame la dignité de la fonction est perdu de vue par eux. La maxime socialiste : A chacun selon ses besoins, est leur règle.
Ils sont ainsi conduits à améliorer le sort, c'est l'expression consacrée, des employés inférieurs ; c'est pour eux une mesure d’humanité ; mais ils doivent repousser tout ce que l'on propose pour les magistrats qui occupent le haut de la hiérarchie judiciaire.
Ils ne peuvent admettre que, pour avoir au sommet de cette organisation des capacités exceptionnelles, il faille leur donner une rétribution proportionnée à ces capacités.
L'honorable M. Coomans comprend tellement peu qu'il soit nécessaire d'avoir ua certain nombre de traitements élevés, que nous l'avons entendu accuser le gouvernement des intentions les plus basses, parce qu'il a proposé d'augmenter le traitement des évêques.
Je n'ai pas à juger ici cette mesure ; mais je constate une chose c'est que si une proposition devait être accueillie par nos adversaires politiques comme un gage d'impartialité, c’est celle-là.
Qu'est-elle cependant pour M. Coomans ?
Cette augmentation est un masque que prennent les ministres pour se mettre de l'argent en poche. Voilà ce dont vous les avez accusés.
Ils jouent ici une comédie qui n'a d'autre but que d'arriver à s'enrichir personnellement.
L'honorable M. Coomans paraît connaître très bien l'histoire parlementaire, il est remonté très haut dans cette histoire, trop haut pour que je puisse le suivre ; il n'aurait pas dû oublier qu'il y a quelques années, lorsque la droite était majorité, il fut proposé d'augmenter le traitement du chef du clergé belge.
Cette proposition a été repoussée et combattue par la minorité d'alors ; elle ne voulait pas faire à ce prélat une position supérieure à celle des ministres, mais est-il entré dans l'esprit d'un seul membre de la gauche d'accuser les ministres d'avoir fait cette proposition pour arriver à se faire attribuer à eux un accroissement de traitement ?
Messieurs, je laisse à l'honorable membre la responsabilité de cette accusation ; mais je ne crains pas de dire qu'elle serait ridicule si elle n'était odieuse.
Messieurs, les honorables MM. de Naeyer et Coomans ne considèrent donc qu'une chose dans la loi qui nous est soumise, l'intérêt individuel des fonctionnaires qui doivent jouir des plus hauts traitements.
Il faut, messieurs, j'ai eu l'honneur de vous le dire, considérer uniquement ce qui est d'intérêt général.
De même, d'après nous, que lorsqu'il s'agit de faire une nomination, il faut se demander uniquement quel est celui qui en est le plus digne, de même dans la fixation des traitements, il faut s’enquérir non des besoins mêmes des titulaires, mais de ce que réclame la bonne administrai ou de la justice.
De toutes les missions qui sont conférées au pouvoir social, il n'en est pas de plus nécessaire ni de plus noble que celle de rendre la justice ; de plus nécessaire, parce que, comme vient de le dire M. Julliot, la justice est la base même de l'organisation sociale, de plus noble, parce qu’elle est, pour ainsi dire, une délégation de l'un des attributs que nous séparons le plus difficilement de la notion de Dieu.
(page 168) Mais suffit-il, pour que la justice soit rendue conformément aux besoins sociaux, de donner aux corps judiciaires la force matérielle nécessaire pour contraindre les justiciables à observer ses décisions ?
Dans aucun esprit, messieurs, la justice ne se présente dégagée de certains éléments de dignité de la part de ceux qui l'exercent, de respect de la part de ceux qui y sont soumis.
Cette dignité, c'est la force morale du magistrat ; ce respect, c'est la soumission morale des justiciables, plus important que le droit de contrainte matérielle.
Sans doute, pour le penseur qui se rend un compte exact de ses sentiments, il est fort indifférent que le magistrat se trouve dans une position de fortune ou d'aisance plus ou moins grande.
Il proportionnera son respect pour les fonctions à la part de pouvoir social qu'elle comprend, sa considération pour le magistrat à son degré d'intelligence ou de mérite.
Mais cette analyse des causes qui entraînent la déférence n'existe pas chez le peuple.
Le prestige de l'autorité ne s'exerce sur la masse que dans certaines conditions extrinsèques à l'autorité même, mais que le peuple n'en sépare pas.
C'est un préjugé sans doute, mais il faut prendre les hommes comme ils sont, et mieux vaut maintenir à l'autorité son influence eu se conformant à ce préjugé, que de la sacrifier pour se conformer à des idées qui n'ont pas cours.
Est-ce à dire qu'il faille aller jusqu'à donner à la magistrature les moyens de déployer du luxe, du faste, comme l'a supposé l'honorable M. de Naeyer ?
Non, messieurs, tout ce que je réclame pour elle comme indispensable à sa mission, c'est une position aisée, à l'abri de cette besogneuse économie qui aux yeux du public donnerait à ses membres une position d'infériorité sociale, c'est en un mot le maintien de la position dont elle a toujours joui.
M. de Naeyer croit qu'il maintiendra cette position en ajoutant au traitement un tantième égal à celui du renchérissement des objets de consommation ordinaire.
Il est sur ce point dans une grave erreur.
Les nécessités de la vie changent avec le temps. Il ne s'agit pas de savoir si les magistrats pourraient, avec 10 p. c. d'augmentation sur leurs traitements, consommer les mêmes choses qu'en 1852, mais il faut se demander quelle est l'augmentation nécessaire pour qu’ils occupent la même position sociale qu'alors.
La richesse publique s'est depuis lors accrue dans d'énormes proportions ; toutes les professions, l'industrie et le commerce surtout, ont produit des bénéfices plus considérables ; si les traitements de la magistrature ne suivent pas le mouvement ascensionnel, il en résulte inévitablement que la position sociale des magistrats devient inférieure à ce qu'elle était.
Or, je demande qui peut vouloir cet abaissement ?
Personne, sans doute. Mais alors comment vouloir limiter à 10 ou 20 p. c. les augmentations de traitement ? Contestera-t-on que depuis un quart de siècle, la dépense dans une famille qui a conservé le même rang social a plus que doublé ?
On n'a jamais contesté qu'un certain éclat ne dût entourer quelques fonctionnaires. Les traitements des ministres et des gouverneurs, celui des évêques, sont considérés comme nécessaires à leur mission sociale.
Le projet exagère-t-il le traitement des magistrats qui occupent le haut de la hiérarchie judiciaire ?
Mais le premier président de la cour de cassation n'a pas le traitement d'un gouverneur ; le gouverneur a, outre le traitement fixe à peu près égal, des avantages considérables par suite de la jouissance de l'hôtel que l'Etat lui fournit ?
M. de Naeyer trouve cependant exagérés les traitements des chefs de la hiérarchie judiciaire.
Messieurs, ces gros traitements que l'on attaque aujourd'hui, on les apprécie mal, parce que toujours c'est au point de vue seulement de la personne qui en jouit qu'on les apprécie. Mais c'est là le point le plus inexact que l'on puisse prendre. Vous remarquerez d'abord, messieurs, que ces traitements ne donnent pas lieu à une dépense considérable ; il n’existe qu'en très petit nombre de ces positions privilégiées. Il en résulte que l'augmentation même assez sensible pour certains traitements, se réduit à une somme insignifiante. Mais cette dépense relativement peu considérable exerce la plus utile influence sur tous les degrés du corps judiciaire, elle facilite le recrutement des magistrats et inspire aux membres des corps inférieurs une utile émulation.
Ces gros traitements jouent un peu dans l'organisation judiciaire le rôle des gros lots des loteries.
On met à la loterie, sans trop calculer les chances, on espère dans les coups du sort.
Quand on choisit entre plusieurs carrières que l'on voit ouvertes devant soi, on n'en regarde pas seulement l'entrée, mais on va en esprit jusqu'au bout ; l'amour-propre aidant, on se persuade facilement qu'on gravira rapidement les degrés de la hiérarchie et qu'on arrivera un jour à obtenir les fonctions privilégiées. Si le docteur en droit ne pensait qu'au traitement de juge de paix de substitut ou de juge de première instance, je crois qu'il hésiterait longtemps avant de s'engager dans les rangs de la magistrature. Mais il espère que ses fonctions ne seront que temporaires, que ses efforts, son travail, ses talents, son dévouement à ses devoirs l'amèneront à des positions supérieures. On acquiert ainsi pour la magistrature des jurisconsultes qui certainement n'y entreraient pas, si les positions inférieures étaient à leur yeux autre chose qu'un passage.
Mais lorsque le magistrat a pris possession de son siège, il est bon encore, quelque désintéressé qu'on le suppose, que l'aiguillon de son intérêt l'excite à son devoir.
Ces hautes fonctions, dont il a la perspective, sont pour lui la récompense du devoir courageusement et brillamment rempli ; il sait qu'il ne les obtiendra qu'après de longs travaux faits pendant une vie sans tache.
Si vous mettez en regard la somme peu élevée dont ces traitements supérieurs grèvent les finances de l'Etat, et le bien qu'ils peuvent produire, vous n'hésiterez pas à dire que c'est une des choses les plus utiles de l'administration de la justice.
Mais l'honorable M. Coomans nous présente la carrière de la magistrature comme étant l'aspiration de tous ceux qui obtiennent un diplôme de docteur en droit.
Est-il dans le vrai ? Je crois, messieurs, qu'il se fait à cet égard la plus grande illusion.
Sans doute, on trouvera toujours des docteurs en droit qui sans aucune position et voyant peu d'avenir dans la carrière du barreau, chercheront à entrer dans la magistrature.
Mais l'honorable M. Coomans pense-t-il qu'avec le traitement actuel on trouvera toujours des capacités pour entrer dans la magistrature ? Pense-t-il que les jeunes avocats dont les talents sont remarqués et qui ainsi voient une belle carrière s'ouvrir pour eux, n'hésiteront pas à se lancer dans la magistrature ?
M. Coomans. - La magistrature n'est-elle pas bonne, aujourd'hui ?
M. Pirmez. - Sans doute, elle est bonne.
Mais la magistrature ne date pas d'aujourd'hui, et si vous deviez composer toute la magistrature avec les traitements fixés par la loi actuelle et si ces traitements ne devaient pas être augmentés, vous rencontreriez des difficultés insurmontables.
La plupart des magistrats qui remplissent les fonctions élevées, celles de conseiller à la cour de cassation et à la cour d'appel, sont entrés dans la magistrature depuis 20 à 30 ans et même davantage.
Or, à ces époques les traitements étaient aussi élevés que ceux du projet, non pas aussi élevés sans doute en chiffre, mais relativement aux besoins d'alors.
Il n'est personne des membres de cette Chambre qui ayant été en relation avec un grand nombre de membres du barreau, ne sache que des propositions très avantageuses ont été souvent faites aux jeunes avocats les plus distingués et ont été refusées précisément à cause de l'insuffisance du traitement attaché aux fonctions de la magistrature.
Même au point de vue d'économie de M. Coomans, les traitements de la magistrature sont ceux qu'il est le plus nécessaire d'augmenter. L'augmentation est utile, pour que l'administration de la justice soit bonne. C'est quant aux petits traitements que l'Etat a le moins d'intérêt à élever les chiffres. Qu'il s'agisse de nommer un garde de chemin de fer, un facteur de poste et un éclusier, ne trouvera-t-on pas dix personnes pour une s'offrant, au traitement actuel, de remplir ces fonctions, et toutes ne seront-elles pas capables de le faire ?
Je suis loin de contester l'opportunité d'élever les traitements inférieurs, mais je tiens cependant à constater les considérations élevées, d'un ordre tout différent, qui nous imposent le devoir d'accroître les traitements des magistrats. Conserver à la magistrature son autorité morale, son prestige, la composer des hommes les plus capables, sont deux résultats d'une importance majeure, que l'adoption du projet nous permettra seule d'atteindre.
Ne pensez pas, messieurs, que je ne vienne ici que défendre ce que d'autres appelleraient les droits des magistrats ! Je me garderai de méconnaître ceux que la société a vis-à-vis de la magistrature. Votre intérêt (page 169) est de la bien rétribuer, mais votre droit est de lui demander à proportion de ce que vous lui donnez.
Nous ne sommes plus au temps où l'on donnait les fonctions de la magistrature à certaines familles riches, formant une noblesse à part et qui trouvait dans cette carrière l’otium cum dignitate.
Aujourd'hui la carrière de la magistrature doit être ouverte à toutes les capacités, il ne faut pas qu'on doive demander à un candidat si une fortune indépendante lui permettra de soutenir son rang.
Sous nos institutions démocratiques toutes les fonctions doivent être accessibles à tous. Ceux qui occupent des fonctions publiques doivent trouver dans leur carrière même des ressources suffisantes. Vouloir le contraire serait en réalité établir un cens d'éligibilité pour les nominations judiciaires.
Mais la conséquence de ce changement ne doit pas être perdue de vue. Le magistrat doit à l'Etat qui lui fait une position complète, qui assure son sort tout entier, toute son énergie, toutes ses facultés, tout son travail.
Si mes contradicteurs veulent entrer dans la voie des économies, s'ils veulent supprimer des fonctions, je serai prêt à leur donner la main. Je ne demande pas mieux que de voir les attributions du pouvoir diminuer d'étendue, et les rouages administratifs se simplifier.
Diminuer l'intervention administrative, c'est dégrever les finances de l'Etat et augmenter la liberté individuelle.
Mais il faut que l'autorité que vous laissez au pouvoir soit pleine de dignité et entourée de respect.
La vraie liberté réclame deux choses : empêcher le gouvernement d'intervenir dans les intérêts individuels, maintenir dans tout son prestige l'autorité.
Circonscrivez toujours l'action du pouvoir, mais que cette action circonscrite soit puissante dans sa sphère étroite.
C'est là le secret de l'Angleterre, c'est ce qui fait sa force, c'est ce qui a maintenu depuis deux siècles sa liberté.
C'est le pays du monde où, à la plus grande somme de liberté, s'allie le plus de soumission à l'autorité.
C'est un exemple pour nous. Sachons à l'occasion resserrer les attributions du pouvoir ; mais, en revanche, sachons entourer l'autorité la plus incontestée de toutes, du prestige dont elle a besoin et faisons que les dépositaires de cette autorité ne soient pas dans une position permanente d'infériorité vis-à-vis d'un grand nombre de ceux qui lui sont soumis.
(page 160) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je ne pourrai pas suivre les orateurs que vous avez entendus hier et aujourd’hui dans les considérations auxquelles ils se sont livrés à propos d'objets qui ne se rattachent nullement au projet que nous discutons. Ainsi il m'est impossible de discuter avec l'honorable M. Coomans le budget de la guerre. l'augmentation de la solde des troupes ; il ne m'est pas plus possible de discuter avec lui le budget des affaires étrangères ni les augmentations de traitement qui seraient accordées au corps diplomatique.
Evidemment, messieurs, cette discussion nous mènerait trop loin et je ne comprends pas pourquoi M. Coomans n’a pas soulevé ce débat lors de la discussion du budget des finances, car il se rattachait certainement bien plus à l'examen d'un budget qu'à un projet de loi uniquement relatif à l'augmentation des traitements de la magistrature.
Je me bornerai à répondre aux objections qui ont été faites contre ce projet ; c'est la seule chose qui soit actuellement en discussion.
L'honorable M. de Naeyer, dans la séance d'hier, et l'honorable M. Coomans, dans la séance d'aujourd'hui, ont regretté que l'augmentation des traitements de la magistrature ne coïncide pas avec une réforme administrative et que cette augmentation ne soit pas compensée par une diminution dans les dépenses, diminution que l'on obtiendrait en simplifiant l'administration de la justice.
Messieurs, il est très facile de venir demander des simplifications, de venir demander des réductions de dépenses ; il serait bien plus difficile de les indiquer. Si la Chambre le veut, je l'introduirai immédiatement dans toute mon administration et je demanderai, après cela, aux honorables membres ce qu'ils croient pouvoir réformer.
Je commencerai, messieurs, par l'administration centrale, par le département de la justice lui-même. Comment est-il organisé ? Il y a, messieurs, au département de la justice, une première direction qui comprend les cultes et la bienfaisance. Il y a une deuxième direction, composée de la sûreté publique et des prisons.
Il y a une troisième direction dans laquelle se trouvent les référés et le bureau de législation.
La quatrième direction est celle de la comptabilité.
Il y a ensuite le directeur du Moniteur et la direction du secrétariat ; celle-ci sera supprimée prochainement.
Eh bien, messieurs, je demande si cette simplicité qui existe aujourd'hui au département de la justice ne défie pas toute espèce de réforme.
Pouvez-vous avoir moins d'une direction pour la bienfaisance et les cultes, moins d'une direction pour les prisons et la sûreté publique, alors que les prisons seules exigeraient déjà un directeur ; pouvez-vous avoir pour la législation moins d'une direction composée de cinq ou six employés, dans un pays où il n'y a pas de conseil d'Etat ?
Quant au Moniteur, le directeur est seul. Vous seriez étonné, messieurs, si vous saviez combien est petit le nombre des employés du département de la justice.
Il y eu a un pour tout le service du personnel ; pour les grâces, il y en a deux, et ainsi de suite.
Si la section centrale du budget de la justice veut avoir sous ce rapport des renseignements, je m'empresserai de les lui fournir et elle verra s'il est possible d'opérer des réformes dans mon département.
Du reste, messieurs, il y a ici d'honorables membres qui ont été ministres de la justice avant moi ; ils peuvent dire s'il serait possible d'organiser ce département d'une manière plus économique. Le directeur du secrétariat est le seul fonctionnaire qui puisse être supprimé, et il le sera.
J'ai comparé ce qui existe ici, et ce qui existe en France, et je suis prêt à fournir à la Chambre tous les détails qui concernent l'administration centrale.
J'ai vu, messieurs, dans le temps, une comparaison dans les journaux entre les personnels des départements de la justice en France et en Belgique. On prétendait que les employés étaient en nombre égal dans les deux pays.
On en a conclu très sérieusement qu'il y a en Belgique des abus énormes, qu'il y a un nombre exagéré d'employés.
Ceux qui faisaient ces observations perdaient de vue une chose essentielle, ce sont les services qui ressortissent au département de la justice en Belgique et ceux qui ressortissent au département de la justice en France.
Quelles sont les attributions du département de la justice en France ? Le personnel, les grâces, la statistique, les affaires civiles, les affaires criminelles. Mais la bienfaisance, les prisons, la sûreté publique, de quel ministère font-elles partie ? Du ministère de l’intérieur ; les cultes font partie du ministère de l’instruction publique et des cultes. Si le département de la justice en Belgique n'avait que les attributions qui sont dévolues au département de la justice en France, il y aurait 20 employés. Voilà la vérité.
Si maintenant je fais le calcul des employés qui, dans les différentes administrations françaises, sont chargés du service de la bienfaisance, des cultes, de la sûreté publique, des prisons, et si j'y ajoute le nombre des employés qui sont au département de la justice, j'arrive au total de 300.
Ce sont là des faits dont on ne tient pas compte ; la critique se fait avec beaucoup de légèreté. Personne ne pénètre dans les détails de l'administration.
Voilà, messieurs, quant à l'administration centrale.
Quelles sout maintenant les administrations et les services qui, dans la capitale ou dans les provinces, ressortissent au département de la justice, en dehors de l'administration centrale ? Ce sont principalement les corps judiciaires, dont l'organisation est réglée par la loi ; un projet sur la matière vous est soumis ; je serai très heureux si la commission trouve des simplifications qui puissent être acceptées par le gouvernement. Est-on d'avis de supprimer des cours d'appel ? Supprimera-t-on des tribunaux ? Réduira-t-on le nombre des cantons ? J’en doute très fort. Quelles simplifications voulez-vous donc introduire ? Que peut faire le ministère ? Quelles sont les réformes que je pourrai proposer ? Où sont les compensations que je pourrais vous offrir, pour les augmentations qui sont demandées ?
Voilà pour la magistrature. Il y a ensuite les prisons : comment le personnel des prisons est-il calculé ? Il est établi par un règlement qui date, je pense, de mon honorable prédécesseur, M. Nothomb, à raison d'un (page 161) gardien pour 25 détenus. Ce n'est pas assez, si j'en crois les administrations des prisons ; mais j'insiste pour que l'on ne revienne à ce chiffre.
Je demande en ce moment, pour améliorer le sort des gardiens, qu'on en diminue le nombre dans cette proportion.
Messieurs, embrassez par la pensée les divers services qui rentrent dans les attributions du département de la justice, et dites-moi où sont les réductions qu'il est possible de faire ? Je suis autant que qui que ce soit dans cette Chambre, partisan des réductions et des réformes, mais à la condition que ces réductions et ces réformes n'entravent pas le service.
Ainsi donc si je ne puis présenter des diminutions à faire pour compenser les dépenses nouvelles que j'ai proposées, ce n'est pas ma faute. Après l'exposé que je viens de faire et qui est de tout point conforme à la vérité, je demanderai qu'on veuille bien me dire où il est possible d'opérer des réductions. Je n'hésite pas à dire que pas un membre de cette Chambre, venant à prendre demain la direction du département de la justice, pas un membre de cette Chambre ne pourrait en indiquer, fût-ce même l’honorable M. de Naeyer. L'honorable membre y appliquerait sans doute toute son intelligence, et après l’examen le plus minutieux, il devrait venir confesser que les services, tels qu'ils sont organisés, ne comportent pas de réduction.
L'honorable M. de Naeyer demandait hier quelles étaient les bases du projet de loi ; il disait en même temps que sans doute nous ne voulions pas innover, que nous ne changions pas les principes consacrés par les lois de 1832 et de 1845 ; et que si le prix des choses nécessaires à la vie n'avait pas renchéri, personne n'aurait songé à augmenter les traitements.
Sans doute, s'il n'en eût pas été ainsi, personne, ni dans le gouvernement, ni dans la Chambre, n'aurait songé à demander une augmentation.
Aussi quant aux bases du projet de loi, j'ai conservé celles qui oui été consacrées par les lois de 1832 et de 1845, et autant que possible, je me suis conformé à l'esprit qui a dicté ces deux lois.
Quel était dans les lois de 1832 et de 1845 le point de départ des traitements ? C'était le traitement des juges. Le traitement des juges de première classe était fixé par la loi de 1845 à 4,0000 fr. Le président du tribunal avait la moitié en sus, soit 6,000 fr. ; le vice-président avait 1/4 en sus, soit 5,000 fr. Les traitements du président et du procureur du roi, qui étaient chacun de 6,000 fr., correspondaient donc au traitement du conseiller de cour d'appel, qui était également de 6,000 fr.
Le président de la cour d'appel avait moitié en sus du traitement des conseillers, c'est-à-dire 9,000 francs ; le conseiller à la cour de cassation avait un traitement égal à celui du président de la cour d'appel.
Enfin le président, de la cour de cassation avait 14,000 francs, c'est-à-dire 500 francs de plus que ce qu'il aurait dû avoir en suivant les mêmes errements, en lui attribuant moitié en sus du traitement des conseillers.
Voilà, messieurs, quelles étaient les bases de l'organisation de 1832 et de 1845.
Eh bien, j'ai respecté ces précédents, je me suis conformé à l'esprit qui a dicté ces dispositions eu proposant, par exemple, pour les présidents des tribunaux de première instance, un traitement de 7,500 francs, soit moitié en sus du traitement des juges, et en calculant de la même manière le traitement des présidents de cours d'appel qui correspond à celui des conseillers de la cour de cassation.
Mais quant au président de la cour suprême, on ne lui a pas donné, comme en 1852, moitié en sus du traitement des conseillers, on a fixé son traitement à 16,000 francs.
Voilà, messieurs, d'après quels principes a été rédigé le projet de loi qui vous est soumis et qui est en tous points conforme à ce qui s'est fait antérieurement.
L'honorable M. de Naeyer voit donc bien que je n’ai pas innové grandement et que je me suis conformé à l'esprit qui a dicté toutes les anciennes dispositions.
Y a-t-il lieu d'abandonner les bases adoptées jusqu'à présent ?
Y a-t-il lieu de donner, par exemple, aux conseillers de la cour d'appel un traitement moindre que celui des chefs des tribunaux de première classe ? Je ne le pense pas ? Y a-t-il lieu de changer de système et de ne plus accorder aux présidents et aux procureurs du roi moitié en sus des traitements des juges ? Je ne le crois pas non plus. Je crois qu'il faut maintenir le système actuel, qui ne renferme aucune exagération.
Dans un pays voisin les chefs des corps ont des traitements très élevés, des traitements doubles et même triples de ceux des membres mêmes de ces corps. Je ne suis pas partisan de ce système : je préfère de beaucoup le système belge, dans lequel il y a une différence suffisante pour marquer les degrés. Mais je ne pense pas que l'on puisse aujourd'hui donner aux présidents et aux procureurs du roi une somme inférieure à celle qui est proposée pour eux, ni donner aux conseillers des cours d'appel un traitement moins élevé que celui des chefs de la magistrature inférieure, ni ne pas donner aux conseillers de la cour de cassation le même traitement qu'aux présidents des cours d'appel.
C'est ainsi que le traitement des conseillers à la cour d’appel a été fixé à 7,500 francs, parce que c'est le traitement affecté aux présidents et aux procureurs du roi des tribunaux de première instance, et vous ne pouvez pas, sans détruire l’ordre hiérarchique qui a été observé depuis 1832 jusqu'à présent eu Belgique, vous ne pouvez pas diminuer les chiffres que critiquait l'honorable M. de Naeyer.
Ou a dit, messieurs, que ce n'étaient que les gros traitements qui avaient été augmentés. L'honorable M. Coomans a encore répété cette accusation aujourd’hui. Mais l'honorable M. Coomans n'a pas examiné la loi ; il n'a pas examiné un seul des chiffres proposés : car, s'il l'avait fait, il se serait certainement abstenu d'une accusation aussi dénuée de fondement.
Ainsi, au sommet de la hiérarchie judiciaire se trouvent le président et le procureur général près la cour de cassation. Je constate que leur traitement n'est majoré que de 14 p. c. Au bas de l'échelle judiciaire se trouvent les juges de paix ; et à combien s'élève l'augmentation proposée pour ces magistrats ? A 33 p. c. Ainsi l'augmentation proposée pour les juges de paix sera de plus du double, toute proportion gardée, de celle du président et du procureur général près la cour de cassation.
Quant aux commis greffiers, qui étaient le moins bien rémunérés, l'augmentation sera, pour eux aussi, de 33 p. c au moins.
Ainsi, ce sont les fonctionnaires les moins rétribués actuellement qui obtiennent l’augmentation relativement la plus élevée. Les reproches qu'on a adressés, sous ce rapport, au projet de loi n'ont aucune raison d'être.
Messieurs, à ce sujet, l'honorable M. Coomans s'est permis une accusation que je ne relèverai pas ; il est venu dire que l'augmentation accordée à des évêques n'était autre chose qu'un masque pour couvrir l'augmentation du traitement des gouverneurs et peut-être même celle du traitement des ministres.
Ce sont là, messieurs, des accusations personnelles, des impertinences, auxquelles je ne veux pas répondre par respect pour la dignité de la Chambre.
M. Coomans. - Cela ne s'adressait pas à vous ; vous gagnez assez, vous. (Interruption)
- Un membre. - C'est une grossière insulte.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est une inconvenance et une impertinence.
M. Coomans. - Je maintiens ce que j'ai dit.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Si vous n'avez que ces choses à me dire, je vous engage à me les dire en dehors de cette Chambre. Par respect pour la dignité de la Chambre, je n'y répondrai pas.
M. Guillery. - Vous avez parfaitement raison.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous déclare, M. Coomans, que de pareilles impertinences, vous ne vous les permettriez pas ailleurs ; tenez-vous-le pour dit.
M. le président. - Je n'avais pas compris ce qu'a dit M. Coomans, parce qu'en ce moment je parlais à l'un de MM. les secrétaires ; maintenant que je le sais, je dis que c'est une inconvenance.
M. Coomans. - Je demande la parole.
M. le président. - Je vous prie de retirer cette expression ; elle est offensante.
M. Coomans. - Est-ce que M. le président a entendu le mot « impertinence » employé par M. le ministre ?
M. le président. - J'ai entendu que vous lui avez dit : Vous gagnez assez, vous !
M. Coomans. - Un instant, M. le président.
M. le président. - M. le ministre ne peut avoir prononcé le mot « impertinence »qu'après.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Pardon, M. le président, si vous voulez bien le permettre, je vais rétablir les faits. M. Coomans a dit tantôt que les ministres n'avaient proposé l'augmentation de traitement en faveur des évêques que pour masquer l'augmentation de leur propre traitement, et, répondant à cette insinuation, j'ai dit que c'était une impertinence, ce qui est parfaitement vrai.
M. de Moor. - Et vous avez bien fait !
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Car accuser des ministres de proposer des augmentations de traitement dans un but (page 162) exclusivement personnel et pour arriver à faire augmenter leur propre traitement, c'est lancer contre eux une accusation odieuse.
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ignoble.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Et en disant que c'était une impertinence, je crois être resté très modéré. J'ai employé ce mot uniquement par respect pour la Chambre.
M. le président. - M. Coomans, veuillez retirer ces expressions : Vous gagnez assez, vous !
M. Coomans. - Permettez ! Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole pour vous expliquer.
M. Coomans. - Voici comment j'ai compris la chose que M. le président n'a pas comprise.
M. le ministre de la justice m'a dit : C'est là une impertinence ; à quoi j'ai répondu : Elle ne s'applique pas à vous, car vous gagnez assez. Voilà ce que j'ai dit.
Maintenant, je déclare que si M. le ministre de la justice ne s'était pas servi du mot « impertinence », je ne me serais certainement pas permis de lui adresser, non pas une injure, mais l'observation que je lui ai faite et qu'il prend en mauvaise part.
Je reste convaincu que M. le ministre de la justice n'aurait pas proposé une augmentation du traitement des évoques, pour obtenir, lui, une augmentation de son traitement, (Interruption.)
M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) et M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier). - Qui alors ?
M. Coomans. -J'ai dit, j'en appelle à la Chambre tout entière, je vois dans les traitements proposés pour les évêques un masque derrière lequel il y a d'autres figures, par exemple, celle des gouverneurs et peut-être celle des ministres. (Interruption.) Mais, est-il donc si étrange de voir émettre le vœu que le traitement des ministres soit augmenté ?
N'a-t-on pas vu des ministres venir proposer l'établissement d'une pension pour eux-mêmes ? Quand même les ministres eussent introduit l'augmentation du traitement des évêques pour obtenir l'augmentation du traitement des évêques et peut-être du leur, je ne verrais là rien d'inconvenant. On peut être convaincu à d'autres points de vue que celui où je me place, que les ministres ne sont pas assez payés. M. le ministre de la justice a eu tort de penser que c'est à lui-même que j'ai fait allusion ; c'était loin de ma pensée.
M. le ministre des affaires étrangères (M. Rogier) et M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - A qui donc alors ? à qui donc ?
M. le président. - M. Coomans, retirez-vous les expressions dont vous vous êtes servi ?
M. B. Dumortier. - Faites retirer le mot prononcé par M. le ministre de la justice. (Interruption.)
M. le président. - Je vais rétablir les faits : la première attaque est venue de M. Coomans, quand il a dit que les ministres se cachaient derrière le traitement des évêques pour arriver à une augmentation de traitement pour eux-mêmes.
M. B. Dumortier. - Lisez la phrase, ce n'est pas là ce qu'il a dit.
M. le président. - Je ne présidais pas en ce moment, mais je dis que si ces mots ont été prononcés, ils oui été mal prononcés. Quoi qu'il en soit, quand on dit. Vous gagnez assez...
M. de Moor. - Vous gagnez assez, vous !
M. le président. - On dit un mot inconvenant. M. Coomans, relirez-vous ce moi ?
M. B. Dumortier, M. de Liedekerke, M. Van Overloop, M. Nothomb et M. de Theux. - Et le mot « impertinence » !
M. Coomans. - Je demande si le mot « impertinence » n'est pas inconvenant, surtout quand il s'adresse à un membre de la Chambre.
(page 169) M. le président. - C'était une réponse à une première inconvenance.
M. Pirmez. - Je demande la parole.
Je prie la Chambre de ne pas borner l'incident aux dernières paroles qui ont été prononcées ; il est certain qu'antérieurement il avait été directement imputé aux ministres de n'avoir proposé l'augmentation du traitement des évêques que pour arriver à l'augmentation de leur propre traitement. Je dis que le sens des paroles de M. Coomans a été celui-là : c'est dans ce sens que j'ai relevé ces paroles, et pas un membre n'a protesté quand je les ai appréciées en disant qu'elles seraient ridicules si elles n'étaient odieuses. Lorsque, répondant à cette accusation de proposer l'élévation des traitements des évêques pour arriver à mettre de l'argent dans sa poche, M. le ministre de la justice a qualifié ces paroles d'impertinence, je crois qu'il n'a fait que répondre à une attaque dirigée auparavant contre lui.
(page 162) M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je voulais faire observer que les paroles de M. Coomans avaient un caractère plus grave que celui que je leur ai donné, car l'honorable M. Pirmez lui répondant avait dit qu'elles seraient ridicules si elles n'étaient odieuses, et M. Coomans n'a pas protesté le moins du monde contre ces paroles. Je prie la Chambre de remarquer que les traitements des évêques rentrent dans mon budget, que c'est moi qui en ai proposé l'augmentation ; or, quand M. Coomans a dit que c'était un moyen de faire augmenter les traitements des ministres, c'était bien à moi que cela s'adressait ; je demande si je ne pouvais pas dire que c'était une impertinence ? C'est un outrage et il est impossible de tolérer de pareilles choses.
M. le président. - Je répète que je n'étais pas au fauteuil quand les premières paroles ont été prononcées, je n'ai pas à m'en occuper. Mais je dis que M. Coomans doit retirer les paroles que j'ai entendues, les mots : « Vous gagnez aussi, vous ! »
M. B. Dumortier. - Je voudrais d'abord que M. le président voulût bien lire, puisqu'il l'a sous les yeux, la phrase prononcée par M. Coomans.
M. le président. - J'ai, en effet, la copie sous les yeux, mais elle est déjà corrigée.
Je vais lire la phrase telle qu'elle a été recueillie par la sténographie :
« On a introduit les évêques pour pouvoir augmenter les appointements d'autres fonctionnaires et peut-être pour arriver à une augmentation en faveur de MM. les ministres. »
- Plusieurs voix. - Et le masque ! et le masque !
M. B. Dumortier. - Vous ne pouvez pas révoquer en doute la phrase recueillie par les sténographes.
M. de Moor. - Le mot « masque « a été dit ! (Interruption.)
M. le président. - Je prie tous les membres de vouloir bien garder le silence ; l'incident est déjà une chose assez fâcheuse.
M. B. Dumortier. - La question se réduit à des termes très simples...
M. le président. - Je vais lire la phrase qui précède, celle dont j'ai donné lecture tout à l'heure ; la voici : « Du reste je suis sûr que les évêques sont ici un masque derrière lequel se cachent d'autres figures. »
M. B. Dumortier. - La question se réduit à la liberté de la tribune pour l'opposition, au droit de la minorité de caractériser les actes des ministres. La question est là et pas ailleurs.
Mon honorable ami, M. Coomans, usant de son droit de membre de la minorité, a dit que sa conviction, à lui, était qu'on avait augmenté les traitements des évêques, peut-être pour arriver à d'autres augmentations. Dans l'hypothèse de ce peut-être, il a dit qu'il y avait un masque qui couvrait cette opération.
Est-ce là, je le demande, sortir des droits légitimes de l'opposition ?
Je me rappelle qu'un député est venu dire un jour qu'il nous arracherait le masque qui nous couvrait ; il s'adressait à nos personnes, l'attaque était directe, on n'a pas demandé de rappel à l'ordre ; pourquoi rappellerait-on à l'ordre mon honorable ami, lorsque, en définitive, cette parole antiparlementaire n'est pas partie des bancs de la droite, mais du banc des ministres.
Je dis que si une telle parole, que si le mot « impertinence » peut passer dans le dictionnaire parlementaire, c'en est fait de la dignité qui doit couvrir nos débat.
C'est une parole éminemment antiparlementaire et si quelqu'un doit être rappelé à l'ordre, ce n'est pas mon honorable ami, mais bien M. le ministre de la justice.
M. le président. - Vous avez déjà parlé deux fois. Finissons-en ! M. Coomans, retirez-vous vos paroles ?
M. Coomans. - Lesquelles ?
M. le président. - « Vous gagnez assez, vous ! » Si j'avais siégé au moment où vous avez prononcé les autres expressions qui vous sont reprochées, je vous aurais prié de les retirer.
M. Coomans. - C'est sur l'observation que vous venez de faire que j'appelle l’attention de la Chambre. Quand j'ai prononcé la phrase incriminée, l'honorable président ne m'a pas interrompu. M. le ministre de la justice ne m'a pas interrompu. Pas une seule voix dans la Chambre ne m'a interrompu.
Je le déclare, il faut être juste avant tout, si l'honorable président m'avait dit : Cela est inconvenant, je lui aurais répondu : Je m'en rapporte à votre appréciation.
Si l'honorable M. Tesch m'avait interrompu, j'improvisais, il n'y a pas une ligne d'écrite dans tout ce que j'ai dit, j'aurais déclaré tout de suite que mon observation ne s'appliquait pas à lui.
Je ne pouvais donc m'attendre au mot d'« impertinence » qui une demi-heure après est sorti de la bouche de M. le ministre de la justice.
En somme, je considère le mot « impertinence » comme inconvenant, mais je crois qu'il faut laisser une grande liberté à la tribune et pour moi je n'insiste pas pour le rappel à l'ordre de M. le ministre de la justice. (Interruption.)
J'aurais pu prier l'honorable M. Pirmez de retirer aussi cette expression : Cela est ridicule, si cela n'était odieux. Car, en définitive, il est aussi désagréable d'être ridicule que d'être odieux.
Je ne l'ai pas fait parce que l'honorable membre improvisait et parce que je veux laisser en toutes choses la plus grande liberté.
Maintenant, il me parait qu'il doit suffire d'une déclaration conforme à mes sentiments. Je n'en ai jamais fait d'autre.
C’est qu'il n'est jamais entré dans ma pensée de soupçonner que ce fût M. le ministre de la justice qui voulût se cacher derrière l'augmentation de traitement des évêques.
J'ni le droit d'exprimer ma pensée et je dois dire que cette pensée (page 163) était que les évêques ne figuraient là que comme moyen d'obtenir autre chose de la majorité de la Chambre, car la majorité de la Chambre n'a jamais eu un grand amour pour les évêques. Cela m'est un peu suspect.
M. le président. - M. Coomans, soyez aussi modéré dans les faits que dans vos paroles. Retirez l'expression que vous avez adressée au ministre.
M. de Theux. - Je regrette vivement l'incident qui vient d'être soulevé ; je dirai même qu'il y a à opposer à cet incident une fin de non-recevoir, parce qu'il est contraire à tous nos usages parlementaires.
C'est la premier, fois, depuis 30 ans que je siège dans les assemblées délibérantes, soit au Congrès, soit à la Chambre, que l'on vient, une demi-heure après, relever une parole par un rappel à l'ordre.
M. le président. - M. le ministre a parlé à son tour de parole.
M. de Theux. - C'est égal, cela concernait le président et non le ministre.
Je dis qu'il y a là une fin de non-recevoir, quant à moi, je m'oppose positivement au rappel à l'ordre, et s'il était mis aux voix par appel nominal, je voterais contre.
J'ai d'autant plus le droit de parler ainsi que lorsqu'un ministre a de son banc adressé à un député de la majorité les mots : « Vous en avez menti », ces mots n'ont jamais été retiré.
M. le président. - Ils ont été retirés.
M. de Theux. - ils n'ont pas été retirés du tout. C'est moi qui ai donné une explication qui a mis fin à l'incident qui se serait probablement terminé par un duel, et voici l'explication que j'en ai donnée.
L'honorable membre qui avait consigné certaines observations dans son discours a cru être dans le vrai ; le ministre s'étant cru offensé par un démenti, pouvait être considéré comme ayant usé d'une défense, quoique excessive et antiparlementaire ; j'ai dit que l'affaire pouvait en rester là et que la Chambre ne devait pas y attacher tant d'importance.
C'est sur les observations que j'ai faites que la Chambre a passé l'éponge sur l'incident.
J'aurais vraiment regretté, pour l'honneur du pays, qu'un ministre du Roi eût été rappelé à l'ordre. Sans les observations que j'ai produites, le rappel à l'ordre était inévitable.
Je demande qu'on use, dans cette circonstance, non pas d'indulgence mais d'un procédé qui sera bien mieux accueilli du public, puce que l'affaire est très peu grave comparée à celle que je viens de rappeler.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je n'ai qu'une observation à faire. Il ne s'agit pas des paroles qui ont été prononcées il y a une demi-heure, mais de celles prononcées eu dernier lieu.
M. le président. - J'invite une dernière fois M. Coomans à retirer ses dernières paroles : « Vous gagnez assez, vous ! »
Ces paroles, rattachées à ce qui a été dit avant, sont une injure qu'il est de mon devoir de réprimer : je vous invite donc instamment à les retirer.
M. Coomans. - Si l'impertinence est retirée.
M. le président. - Consentez-vous à les retirer ?
M. Coomans. - A la condition que je viens de dire.
M. Dolez. - Je crois, en effet, qu’il est profondément désirable, dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, que cet incident ne se prolonge pas davantage, et je crois que le moyen de le terminer d'une manière convenable pour tout le monde, c'est qu’il soit entendu que M. Coomans retire les paroles dont il s'est servi tantôt et celles qu'il avait prononcées avant ; que par cela même tombe et soit retirée, au besoin, l’épithète que M. Pirmez y a appliquée et la qualification que M. le ministre de la justice lui-même y a donnée.
L'honorable M. Coomans vient de déclarer que son intention n’avait été, sous aucun rapport, de suspecter, et il aurait peut-être eu tort de le tenter, la dignité de M. le ministre de la justice.
En présence de cette déclaration, je crois que la solution que j'indique doit être en harmonie avec les vœux de tous les membres de l'assemblée.
Je demande que toutes les expressions soient retirés.
M. le président. - J’ai fait, trois fois, à M. Coomans l'invitation de retirer ses paroles. Je le fais une quatrième fois.
M. Coomans. - Dans le sens expliqué par M. Dolez, oui.
M. le président. - Commencez par retirer vos dernières paroles
M. Van Overloop. - Messieurs, ces fails sont déplorables.
L’honorable M. Coomans a employé des expressions que M. Pirmez a qualifiées d'odieuses.
M. Coomans n’a pas protesté.
M. le ministre de la justice a dit ensuite que les paroles de M. Coomans étaient une impertinence et c'est à la suite de cette expression de M. le ministre de la justice que M. Coomans a prononcé les paroles à l'occasion desquelles M. le président voulait rappeler à l'ordre M. Coomans.
Je trouve maintenant que la solution proposée par M. Dolez est la solution la plus sage. C'est pour cela que j'ai demandé la parole.
Il est juste que tout le monde retire les expressions désobligeantes qui ont été employées.
Si l'on impose le retrait à celui qui a répondu et non à celui qui a provoqué cette réponse, ou ne reste plus dans le système de l'équité et je déclare positivement que s'il fallait voter par appel nominal sur le rappel à l'ordre de M. Coomans avant que les expressions de M. Pirmez et de M. le ministre de la justice soient rétractées, je, voterais contre le rappel à l'ordre.
M. le président. - Je ne puis pas mettre en même temps les deux propositions aux voix. Il était dans mes intentions, après que M. Coomans aurait dit : Je retire ces paroles, de dire à M. le ministre de la justice de retirer aussi les siennes.
Procédons par ordre. M. Coomans, retirez-vous les paroles que vous avez dites en dernier lieu ?
M. Coomans. - Sous la condition indiquée par l'honorable M. Dolez. (Interruption.)
M. le président. - Je n'ai pas de conditions à recevoir.
Retirez-vous ces paroles ?
M. Nothomb. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Nothomb. - Ce qui se passe est le renversement de toutes les idées. Comment ! M. Coomans, mon honorable ami, déclare sur sa bonne foi, sur sa conscience, que dans les premières paroles qu'il a prononcées, il n'a entendu inculper personne, ni désigner nominalement aucun des ministres ! Quand il parlait, personne ne s'est ému, ni sur les bancs de la gauche, ni sur les bancs ministériels. L'honorable M. Coomans a parlé en termes généraux et purement hypothétiques. Et même il a pris un soin extrême à cet égard. Il a dit : Peut-être un jour pourra-t-on se faire un prétexte pour augmenter d'autres traitements.
Mais il n'est donc plus permis d'exprimer ici sa pensée ? La liberté parlementaire n'est donc plus qu'un instrument dans vos mains ? Je le répète, c'est le renversement de toutes les nouons. Vous voulez quoi ? Que celui qui a été le premier insulté fasse des excuses ! C'est révoltant ! (Interruption.)
Mon honorable ami a été insulté gravement par M. le ministre de la justice. L'honorable ministre a proféré un mot inouï dans cette enceinte, et vous voulez que l'honorable M. Coomans fasse des excuses, lui qui a été outragé le premier et qui proteste qu'il n'a pas eu d'intention mauvaise ? C'est impossible, M. le président ; je rappelle la majorité au sentiment de la justice et de la dignité parlementaire.
M. Dolez. - Je demande la parole.
M. le président. - Je pose la question dans les termes du règlement. Le président a le droit de rappeler à l'ordre ; il fera, dans cette circonstance, ce que son devoir lui commande. Mais celui qui a été rappelé à l'ordre a le droit de réclamer, et c'est alors que la Chambre se prononce.
Vous savez dans quels termes la question est posée. J'ai demandé à M. Coomans : Retirez-vous vos paroles ?
M. de Naeyer. - Je crois que cet incident est profondément regrettable, et il me semble qu'après les explications qui ont été données, il y aurait lieu de clore ce débat.
M. d'Hoffschmidt. - Ce n'est pas pour prolonger te triste débat que je prends la parole. Tout le monde désire que ce malheureux incident finisse. Le public aura apprécié les paroles prononcées par l'honorable M. Coomans et la réponse que lui a faite M. le ministre de la justice, comme chacun de nous, de son côté, les a appréciées.
Maintenant l'honorable M. Dolez a fait tout à l'heure une proposition conciliante, qui a paru recevoir l'assentiment général. Eh bien, que M. le président demande si quelqu'un réclame contre cette proposition, et comme il n'y aura pas d'opposition, l'incident sera clos.
M. Dolez. - Je regrette de ne pas avoir obtenu la parole avant l’honorable M. d'Hoffschmidt, car lorsque je l'ai demandée, c'était pour déclarer à la Chambre qu'après avoir entendu l'honorable M. Nothomb, je ne maintenais plus ma proposition.
Je déclare donc que ma proposition est retirée et je fais cette déclaration à cause des paroles violentes de l’honorable M. Nothomb.
M. B. Dumortier. - Je n'ai qu'un mot à ajouter, c'est que si le rappel à l'ordre est prononcé contre l'honorable M. Coomans, je demanderai le rappel à l’ordre de M. le ministre de la justice.
M. le président. - M. Coomans, je vous invite une dernière fois à retirer vos paroles. Les retirez-vous, oui ou non ?
(page 164) M. Coomans. - Sous la condition que M. le ministre de la justice retire le mot « impertinence ».
M. le président. - Sans condition ?...
M. Coomans, vous ne répondez pas ? Je vous rappelle à l'ordre.
M. B. Dumortier. - Je demande que vous rappeliez à l'ordre M. le ministre qui a prononcé le mot « impertinence ».
M. le président. - Celui qui est rappelé à l'ordre peut en appeler à la Chambre. Si M. Coomans réclame, je vais consulter la Chambre pour savoir si le rappel à l'ordre sera maintenu, avec inscription au procès-verbal.
M. Coomans. - Eh bien, je réclame, M. le président. (Interruption.)
M. le président. - En ce cas, je consulte la Chambre.
- Plusieurs membres. - L'appel nominal ?
M. le président. - Il va être procédé à l’appel nominal. Ceux qui sont pour le maintien du rappel à l'ordre, avec inscription au procès-verbal, répondront oui, ceux qui sont contre répondront non.
- L'appel nominal donne lu résultat suivant :
82 membres sont présents.
40 répondent oui.
35 répondent non.
7 s'abstiennent.
£u conséquence, le rappela l’ordre est maintenu.
Oui répondu oui : MM. Allard, Bara, Braconier, C. Carlier, Carlier-Dautrebande, Crombez, Cumont, de Baillet-Latour, de Breyne, de Florisone, De Fré, de Lexhy, de Moor, de Ridder, de Vrière, d'Hoffschmidt, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grandgagnage, Guillery, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, C. Lebeau, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Prévinaire, Rogier, Sabatier, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Humbeeck, Van Iseghem et Van Volxem.
Ont répondit non : MM. Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coppens, Debaets, de Decker, de Liedekerke, de Mérode, de Montpellier, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Terbecq, de Theux, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Janssens, Julliot, Landeloos, Magherman, Mercier, Moncheur, Nothomb, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van de Woestyne et Van Overloop.
Se sont abstenus : MM. Coomans, de Gottal, Hymans, Nélis, Orts, Pirmez et Tesch.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.
La parole est à M. Coomans.
M. Coomans. - M. le président, je ne crois pu avoir besoin d'expliquer mon abstention.
M. de Gottal. - Je n'ai pas voulu voter contre le rappel à l'ordre parce que je désapprouve formellement les paroles de M. Coomans ; si je n'ai pas adopté le rappel à l'ordre, c'est parce que les paroles de l'honorable ministre de la justice constituaient, jusqu'à un certain point, une provocation. J'aurais voulu que la question eût été posée à M. Coomans comme il l'avait demandé.
M. Hymans. - Je me suis abstenu parce que je n’étais pas dans la salle quand l'incident s'est produit et que, dans une matière aussi délicate, il est difficile de se laisser guider par l'impression des autres.
M. Nélis. - Je me suis abstenu parce que je n'étais pas ici quand l'incident s'est élevé.
M. Orts. - Je me suis abstenu exactement pour les mêmes motifs que MM. Hymans et Nélis.
. M. Pirmez. - J'étais engagé dans la question.
M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable M. Pirmez ; j’étais engagé plus personnellement encore que lui dans la question.
M. B. Dumortier. - En vertu du règlement, je demande le rappel à l'ordre de M. le ministre de la justice.
M. le président. - Veuillez m'indiquer l'article du règlement sur lequel vous appuyez votre proposition.
M. B. Dumortier. - Je crois que nous sommes une assemblée sérieuse, et quand il a été prononcé un mot qui n'est point parlementaire, tout membre a le droit de demander le rappel à l'ordre. C'est ce dont on ne se fait pas faute chaque fois que l’occasion s'en présente. (Interruption.)
Si on ne veut pas me reconnaître le droit de demander le rappel à l'ordre alors, en vertu du règlement qui dit qu'on peut s'adresser au président, je m’adresse à M. le président et je lui dis ; Je vous adjure, au nom de l'impartialité qui doit régner au fauteuil de la présidence, de rappeler à l'ordre le provocateur, comme vous venez de rappeler à l'ordre mon honorable ami.
M. le président. - Je ne puis pas accepter le reproche que vient de m'adresser M. Dumortier. Je me suis montré complètement impartial, Je n'étais pas au fauteuil quand l'incident a pris naissance, je ne pouvais pas apprécier ce qui avait été dit, je n'avais pas le droit de l'apprécier ; plus tard quand M. Coomans a prononcé les paroles qui ont amené le débat, M. le secrétaire m'adressait une question, et ces paroles m’étaient échappées. Je me suis fait remettre la copie de la sténographie, copie déjà changée par M. Coomans et que j'ai lue à la Chambre. C'est après cela que j'ai invité jusqu'à six fois M. Coomans à retirer ce qu'il avait dit et j'avais déclaré d'avance que j'engagerais aussi M. le ministre à retirer son expression, ce que M. le ministre eût fait sans aucun doute.
J'ai donc été parfaitement impartial.
M. B. Dumortier. - Je ne puis pas accepter les paroles de M. le président lorsqu'il prétend que j'aurais voulu lui donner une leçon d'impartialité. J'ai dit à M. le président que si le règlement ne m'autorisait pas à demander le rappel à l'ordre de la personne qui s'était servie du mot « impertinence » je l’adjurais, au nom de l'impartialité qui doit régner au fauteuil, à prononcer ce rappel à l'ordre comme il aurait rappelé à l’ordre mon honorable ami.
Eh bien, messieurs, je le demande, est-il tolérable, est-ce que le pays acceptera que l'honorable M. Coomans ait été rappelé à l'ordre pour avoir répondu à une provocation el que l'auteur de cette provocation n'ait pas été rappelé à l'ordre ?
Vous avez dit, M. le président, que vous aviez l'intention d'engager M. le ministre de la justice à retirer ses paroles, eh bien, maintenant que l'incident est terminé, demandez à M. le ministre de retirer l'expression dont il s'est servi, et s'il ne le fait pas, rappelez-le à l'ordre comme vous avez rappelé à l'ordre mon honorable ami.
M. le président. - Nous sommes tous soumis au jugement du pays et pour ma part je l'accepte sans réserve, mais j'ai poussé l'esprit de conciliation jusqu'à ses dernières limites en disant que, si M. Coomans voulait retirer ses paroles, j'engagerais M. le ministre à retirer les siennes.
M. Coomans a fait ses conditions ; je ne suis pas au fauteuil pour subir des conditions.
M. Van Overloop. - Je demande la parole.
M. le président. - Sur quel objet ?
M. Van Overloop. - Sur la proposition de M. Dumortier.
M. le président. - Il n'y a pas de proposition. Toute proposition doit être faite par écrit et déposée sur le bureau.
- Plusieurs membres. - A demain ! A demain !
M. Van Overloop. - J'ai demandé la parole.
M. le président. - La proposition d'ajournement doit avoir la priorité.
M. Van Overloop. - J'avais demandé la parole avant que l'ajournement fût proposé.
J'ai déclaré que je me ralliais à la proposition de M. Dolez, je persiste dans cette manière de voir.
M. le président. - La proposition de M. Dolez a été retirée.
M. Van Overloop. - Vous avez dit, M. le président, que si M. Coomans retirait ses expressions, vous inviteriez M. le ministre de la justice à retirer les siennes. Vous considériez donc les paroles de M. le ministre comme de nature à devoir être retirées.
Maintenant M. Coomans a été frappé du rappel à l'ordre. Eh bien, conformément à l'engagement qui, selon moi. a été pris par M. le président, je le prie d'obéir au sentiment d'impartialité qui lui a fait prendre cet engagement et d'adresser à M. le ministre de la justice l'invitation de retirer ses parties.
Je suis convaincu, quant à moi, que M. le ministre de la justice n'hésitera pas à le faire, parce qu'il est soucieux de la dignité de la Chambre.
Quant à nous, messieurs, nous devons sauvegarder les droits de la minorité ; nous devons, nous minorité, demander que le règlement soit exécuté avec impartialité.
M. le président. - Voici une proposition qui vient d'être déposée sur le bureau :
« Le soussigné demande le rappel à l’ordre de celui qui a prononcé le mot impertinence. »
M. Orts. - Je demande la parole pour un rappel au règlement ; et je crois que la circonstance qui m'a forcé de m'abstenir tout à l'heure est pour la Chambre une garantie de mon entière impartialité dans ce regrettable débat. Une proposition est faite : elle a pour but de l'exiger du (page 165) président qu'il prononce le rappel à l’ordre d'un membre de la Chambre. Cette proposition n'est pas recevable ; elle doit être écartée par la question préalable. Il n'y a que le président qui, usant de son initiative, aux termes de l'article 31 du règlement, a le droit de rappeler à l'ordre un membre de la Chambre ; s'il ne le fait pas, si l’on croit qu'il n'a pas rempli son devoir en ne le faisant pas, on peut ne pas le réélire à la session prochaine ; la Chambre n'a pas d'autre moyen à sa disposition., D'ailleurs, le président, pour les actes qu'il pose en vertu de son droit d'initiative, doit se soumettre au jugement du pays, et l'honorable collègue qui occupe en ce moment le fauteuil a déclaré tout à l'heure qu'il s'en rapportait au jugement du pays, que le pays apprécierait sa conduite.
M. le président. - J'ai demandé à M. B. Dumortier en vertu de quel article du règlement il faisait sa proposition ; il ne m'a indiqué aucun article ; par conséquent, je ne puis accepter sa proposition.
M. B. Dumortier. - C'est l'article du règlement sur lequel vous avez motivé votre rappel à l'ordre de l'honorable M. Coomans, pour les expressions dont il s'était servi. Or, si en vertu de cet article mon honorable ami a pu être rappelé à l’ordre pour une parole qu'on a trouvée blessante, la conséquence immédiate de cette décision de M. le président devait être le rappel à l’ordre de l'orateur dont une parole, bien plus blessante, avait provoqué celles de mon honorable ami. (Interruption.)
M. le président, vous disiez tout à l'heure que vous n'étiez pas présent lorsque l'honorable M. Coomans a prononcé les premières paroles qui ont été incriminées ; cela est vrai, mais vous étiez présent lorsque M. Tesch a prononcé le mot « impertinence ». Maintenant faites votre devoir, nous vous en adjurons, et si vous ne le faites pas, le pays saura alors qu'il n'y a plus de règlement pour la minorité, que la minorité ne peut plus se défendre et que des bancs des ministres il peut partir impunément les paroles les plus injurieuses à l'adresse des membres de cette minorité.
M. le président. - Je vais lire l’article 31 du règlement.
« Art. 31. Si un membre trouble l’ordre, il y est rappelé immédiatement par le président....
« Au président seul appartient le droit d'apprécier si un membre trouble l’ordre et doit y être rappelé, car d'après une autre disposition du règlement, il a seul la police de la séance. »
J'ai usé de mon droit et je m'en rapporte volontiers, pour l'usage que j'en ai fait, au jugeaient du pays ; d'ailleurs, la Chambre elle-même a déjà jugé ma conduite, en votant le maintien du rappel à l’ordre. J'ai du reste subordonné l'exercice de mon droit à toutes les garanties que me permettait le règlement ; je ne puis aller au-delà. La proposition de M. Dumortier n'est pas recevable. Je ne la mettrai pas aux voix.
M. de Theux. - Messieurs, personne ne regrette plus vivement que moi les incidents de cette nature qui se produisent dans cette Chambre. Ainsi que je l'ai rappelé tout à l'heure, j'ai donné un exemple unique dans cette assemblée ; c'est qu'étant dans l'opposition et vis-à-vis du ministère et vis à-vis de la majorité, j'ai cependant fait une proposition de conciliation dans une circonstance cent fois plus grave que celle-ci. La Chambre a accueilli alors avec empressement l'ouverture que je faisais, et aujourd'hui l'honorable M. Coomans a été accablé par un rappel à l’ordre.
Messieurs, veuillez remarquer ceci : les membres de cette Chambre ont incontestablement le droit d'appeler l'attention du président sur des faits de désordre qui peuvent se produire dans le sein de l'assemblée.
Or, depuis 32 ans que je siège dans les assemblées délibérantes, il ne s'est jamais vu un fait aussi inouï, que des paroles prononcées depuis une demi-heure aient été relevées par un autre président que celui qui siégeait quand les paroles ont été proférées...
- Des membres : Cela n'est pas exact.
M. de Theux. - Permettez que j'achève.
Qu'a dit M. le président pour repousser la fin de non-recevoir que j'avais proposée ? Il a dit que le rappel à l'ordre ne portait pas sur les paroles prononcées au commencement de la séance, mais bien sur les paroles qui avaient été prononcées en dernier lieu, alors que l'honorable M. Coomans s'est écrié que M. le ministre de la justice n'avait pas besoin d'une augmentation de traitement, qu'il avait assez de fortune...
- Des membres. - Ce n'est pas ça pour cela !
M. le président. - M. Coomans a dit à M. le ministre de la justice : « Vous gagnez assez, vous ! »
M. de Theux. - L'honorable M. Coomans, dans sa pensée, n'avait eu vue que la position de fortune de M. le ministre de la justice et il disait dès lors que M. le ministre n'avait aucun intérêt à demander une augmentation de traitement. (Interruption.)
Or, est-il vrai, oui ou non, que M. le ministre de la justice a une position très avantageuse dans la société du Luxembourg ? On dit qu'il est tout prêt à résigner son portefeuille pour s'occuper exclusivement de ses intérêts privés ?
- Un membre. - Vous et vos amis le désirez.
M. de Theux. - Que cette opinion soit vraie ou fausse, die est répandue dans le pays.
Messieurs, je viens au point culminant de la question.
M. le président a dit qu'il avait rappelé l'honorable M. Coomans à l’ordre pour les paroles : « vous gagnez assez » qu'il avait adressées à M. le ministre de la justice ; eh bien, ces paroles sont elles-mêmes une réplique au mot « impertinence » dont M. le ministre de la justice s'était servi à l'égard de l'honorable M. Coomans...
- Des membres. - Votre conclusion ?
M. de Theux. - Ma conclusion est qu'après le rappel à l’ordre de l'honorable M. Coomans, il est du devoir strict de M. le président de demander à M. le ministre de la justice la rétractation formelle du mot « impertinence ».
J'ajouterai que ce n'est pas la première fois que des paroles aussi malsonnantes partent des bancs ministériels.
Messieurs, que deviendrait la position d'un député, si, à propos d'une argumentation semblable à celle qu'a faite l'honorable M. Coomans et qu'il était en strict droit de faire, il était rappelé à l’ordre sans que les paroles du ministre, qui ont provoqué cette argumentation, fussent l'objet d'un pareil blâme ? Cette position ne serait pas tolérable pour un représentant.
- Des membres. - A demain !
M. Orts. - J'ai demandé la question préalable sur la proposition de l'honorable B. Dumortier. Il s'agit de voter.
M. le président. - La question préalable est demandée ; je la mets aux voix.
- Des membres. - L'appel nominal !
- Il est procédé à cette opération.
En voici le résultat :
74 membres y prennent part.
36 membres répondent oui.
35 membres répondent non.
5 membres s'abstiennent.
En conséquence, la question préalable est prononcée.
Ont répondu oui : MM. Allard, Braconier, C. Carlier, Carlier-Dautrebande, Crombez, Cumont, de Baillet-Latour, de Breyne, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Ridder, de Vrière, d'Hoffschmidt, Frère-Orban, Frison, Hymans, Jacquemyns, Jamar, J. Jouret, M. Jouret, C. Lebeau, Loos, Moreau, Mouton, Muller, Orban, Orts, Prévinaire, Rogier, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Iseghem et Van Volxem.
Ont répondu non : MM. Verwilghen, Wasseige, Beeckman, Coppens, Debaets, de Decker, de Liederkerke, de Mérode, de Muelenaere, de Pitteurs-Hiegaerts, de Ruddere de Te Lokeren, de Smedt, de Theux, Dolez, B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Faignart, Goblet, Grandgagnage, Janssens, Landeloos, Magherman, Mercier, Moncheur, Nothomb, Tack, Thibaut, Thienpont, Van Bockel, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Humbeeck et Van Overloop.
Se sont abstenus : MM. Bara, Coomans, Guillery, Pirmez et Tesch.
M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont priés d'en faire connaître les motifs.
M. Bara. - Je me suis abstenu parce que la proposition d'opposer la question préalable à la motion de l'honorable M. Dumortier soulevait une des questions les plus graves relativement à la tenue des assemblées parlementaires ; elle faisait consacrer le principe de la prédominance du président sur l'assemblée quant à la police de l'assemblée.
Il me semble résulter de l'article 31 du règlement que si le président a le droit de rappel à l’ordre, ce droit n'est nullement enlevé à l'assemblée elle-même.
Je n'ai cependant pas voulu me prononcer sur la question préalable parce que, dans une question aussi grave, le doute existant dans mon (page 166) esprit, il m'était impossible, à défaut d'une étude complète d'une matière aussi difficile, de me prononcer instantanément.
M. Coomans. - J'ai cru convenable de m'abstenir. (Interruption.)
M. Guillery. - Je n'ai pas voté contre la question préalable, parce que je ne crois pas que le règlement permette le vote de la motion de l'honorable M. Dumortier.
Je n'ai pas voulu voter la question préalable, parce que je ne voulais pas que mon vote pût être interprété comme une approbation des paroles qui ont été échangées et du système d'après lequel il serait permis à un ministre, provoqué ou non, d'adresser de pareilles paroles à un membre de la Chambre.
M. Pirmez et M. le ministre de la justice (M. Tesch), se réfèrent aux motifs qu'ils ont fait valoir précédemment.
- La séance est levée à cinq heures et demie.